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RÉCENTS DÉVELOPPEMENTS DE LA LITTÉRATURE SUR LA FINANCE ET

LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

Jude C. Eggoh

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »

2011/3 n°155 | pages 141 à 150


ISSN 0302-3052
ISBN 9782804165130
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DOI : 10.3917/med.155.0141

Récents développements de la littérature sur la


finance et la croissance économique
Jude C. EGGOH1

L a relation entre le développement financier et la croissance a donné lieu à


des contributions académiques qui ont fourni des résultats contrastés
voire contradictoires. Bien que les premières réflexions théoriques sur le sujet
remontent à Schumpeter (1911), qui évoquait déjà le rôle fondamental du
secteur financier dans le développement économique, les travaux théoriques de
Mac Kinnon (1973) et Shaw (1973) restent marquants dans la littérature. Ils ont
donné une envergure mondiale aux débats en inspirant les recommandations de
politique économique faites par les institutions internationales aux pays en
développement : la libéralisation du secteur financier serait porteuse de
croissance et de développement. Cependant, les résultats des politiques de
libéralisation financière ont été dans l’ensemble décevants, compte tenu de
l’instabilité macroéconomique et des crises financières qu’elles ont engendrées2.
Les modèles de croissance endogène de la fin des années 1980 et la prise en
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compte dans ces derniers des facteurs financiers ont donné un regain d’intérêt à
l’étude de la relation entre le développement financier et la croissance
économique. Ce nouveau courant de littérature s’inspire des insuffisances de la
théorie de la libéralisation et formalise un cadre théorique propice à la mise en
évidence de l’impact du développement financier sur la croissance économique.
Les avancées théoriques ont par la suite fait l’objet d’évaluations empiriques, qui
révèlent un effet aussi bien favorable que défavorable du premier sur la
seconde. Cet article fournit une note de synthèse sur les récentes contributions
théoriques et empiriques qui ont alimenté la littérature sur le sujet.
Après les modèles de croissance endogène prenant en compte le
développement financier, sera présentée la synthèse des contributions
empiriques.

1
Laboratoire d’Économie d’Orléans (LEO), Université d’Orléans.
comlanvi-jude.eggoh@univ-orleans.fr.
2
Les auteurs d’inspiration keynésienne dénoncent les politiques favorables au développement
financier, ce dernier devant se réaliser en réponse à la demande dans le secteur réel.

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1. LE DÉVELOPPEMENT FINANCIER DANS LES


MODÈLES DE CROISSANCE ENDOGÈNE
Dans le cadre des modèles théoriques de croissance endogène, on peut
identifier trois principaux canaux par lesquels le développement financier
affecte la croissance économique : la diversification du risque, l’efficacité de
l’intermédiation et la réduction des problèmes informationnels.
Le premier canal par lequel le développement financier peut affecter la
croissance est la diversification ou la réduction du risque. Par exemple, à l’aide
d’une modélisation à générations imbriquées, Bencivenga et Smith (1991), et
Levine (1991) suggèrent que les intermédiaires financiers permettent de
modifier la composition des portefeuilles en réduisant la fraction de l’épargne
consacrée aux actifs liquides improductifs3. Ce qui entraîne l’accroissement des
investissements productifs, évite le retrait prématuré du capital de la sphère de
production, et améliore la croissance économique. Selon Greenwood et
Jovanovic (1990), la présence d’intermédiaires financiers dans l’économie
permet un meilleur partage de l’information et une diversification du risque
idiosyncrasique4. Les résultats obtenus par ces derniers révèlent que
l’interaction entre le développement financier et la croissance génère un
accroissement des inégalités5 au cours du processus, qui va s’estomper à long
terme et favoriser un impact globalement positif du développement financier.
Comme Greenwood et Jovanovic (1990), Saint-Paul (1992) conclut que les
intermédiaires financiers permettent une plus grande spécialisation des facteurs
de l’économie. Ainsi, en l’absence d’intermédiaires financiers, les agents
minimisent leur exposition au risque en adoptant des technologies de
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diversification moins spécialisées et par conséquent peu productives.
Le second canal est l’efficacité de l’intermédiation, c’est-à-dire la transformation
de l’épargne en investissement. Pagano (1993) fait remarquer qu’une
amélioration de l’intermédiation financière accroît la fraction de l’épargne
consacrée aux investissements, réduit les pertes d’intermédiation et affecte
positivement la croissance. Toutefois, Pagano reste peu explicite sur le contenu
théorique du taux d’intermédiation financière6. Amable et Chatelain (1995)
désagrègent l’efficacité financière de Pagano (1993) en trois composantes :
l’efficacité dans la mobilisation de l’épargne des ménages, l’efficacité dans
l’allocation de l’épargne aux entreprises, et l’efficacité dans la transformation
des ressources en investissement par les entreprises. Une autre modélisation

3
Le modèle de Levine (1991) se distingue de celui de Bencivenga et Smith (1991)
par l’introduction du capital humain comme externalité liée à la production et l’existence
d’un facteur aléatoire (risque) dans la technologie de production.
4
Dans ce modèle ce risque est spécifique au projet individuel.
5
Les individus qui ont pu accéder aux réseaux d’intermédiaires, compte tenu de leur dotation
initiale en capital, bénéficient de rendements plus élevés, ce qui n’est pas le cas de ceux qui
sont en dehors du réseau.
6
Une autre limite de Pagano (1993) a été d’occulter le processus de collecte de l’épargne.

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intéressante a été celle de Berthelémy et Varoudakis (1994). Ces auteurs


endogénisent l’efficacité de Pagano en supposant que la fraction de l’épargne
transformée en investissement par la banque est une fonction croissante de la
quantité de main-d’œuvre employée. Les résultats obtenus mettent en évidence
des équilibres multiples (deux stables et un instable), compte tenu de
l’externalité réciproque entre les secteurs réel et financier. Tandis que l’équilibre
instable sert de transition, le premier équilibre stable est caractérisé par une
croissance négative et un faible niveau de développement financier, le second
étant défini par une croissance économique forte et un secteur financier
développé. Eggoh et Villieu (2010) confirment l’existence de plusieurs
équilibres de croissance endogène en relation avec différents niveaux de
développement financier. L’article de Eggoh et Villieu (2010) se distingue du
travail de Berthelémy et Varoudakis (1994), d’une part à travers l’existence d’un
taux de croissance positif au niveau des différents équilibres7 et, d’autre part,
compte tenu de l’indétermination locale et globale du modèle, puisque
l’équilibre bas est localement stable, alors que l’équilibre haut est stable au sens
du point-selle. Hung (2009) conclut à l’aide d’un modèle à générations
imbriquées en distinguant les prêts destinés à la consommation des prêts
réservés aux investissements, qu’il peut exister une relation non-linéaire entre le
développement financier et la croissance. En particulier, l’impact du
développement financier sur la croissance dépend de l’ampleur de chaque canal
qui est fortement influencé par le niveau initial de développement financier.
Le troisième canal est la réduction des problèmes informationnels. Lorsque la
structure de l’information est caractérisée par une asymétrie, la relation entre le
développement financier et la croissance devient indéterminée. En présence
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d’asymétrie, la structure des prix n’est plus un bon indicateur permettant une
allocation efficiente des ressources, d’où la nécessité de sa prise en compte dans
les modèles de croissance en vue de mieux évaluer la relation entre les secteurs
réel et financier. Selon Bencivenga et Smith (1998), lorsque les coûts
d'intermédiation imputables aux imperfections sont élevés, l'équilibre financier
caractérisé par une forte croissance ne peut être atteint. Zilibotti (1994) ajoute
que pour de faibles niveaux de développement financier les coûts
d'intermédiation sont élevés et l'économie est bloquée dans la trappe de sous-
développement. Par contre, l'amélioration du niveau de développement
financier s’accompagne d'une réduction des coûts d'intermédiation qui permet
aux firmes d'adopter des technologies plus efficientes. Pour Blackburn et Hung
(1998) et de la Fuente et Marin (1996) le développement de l'intermédiation
financière stimule la croissance économique parce qu'il évite la duplication des
coûts de monitoring et réduit le coût d'évaluation des projets. Par contre, pour
Shi (1996), l'asymétrie d'information sur le marché des biens capitaux peut
stimuler la croissance économique à long terme. Cet effet d'accélération de la

7
Les résultats de Berthelémy et Varoudakis (1994) suggérant une croissance négative à long
terme au niveau de l’équilibre bas restent peu réalistes.

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croissance se produit quand les nouveaux biens capitaux sont très productifs et
moins coûteux à produire par rapport aux anciens biens capitaux de faible
qualité8. Dans ces conditions, l'asymétrie d'information incite les agents à se
lancer dans des projets à haut risque dont le succès crée un accroissement
rapide des connaissances et une croissance économique plus forte.
En dépit de ces résultats, les modèles de croissance endogène qui prennent en
compte le développement financier ont la faiblesse de ne pas mettre en relief la
différence entre le secteur bancaire et le marché boursier. Néanmoins,
Greenwood et Smith (1997) estiment que le marché boursier contribue plus à la
croissance économique que le secteur bancaire si les agents ont une forte
aversion au risque. En effet, les banques consacrent une bonne partie de leur
portefeuille en réserves pour faire face aux retraits de liquidité. Ces réserves
(statutaires ou obligatoires) défavorables à l'intermédiation financière et à la
croissance économique sont absentes au niveau des marchés boursiers9. Par
contre, en intégrant les coûts d’accès, les auteurs trouvent que le système
bancaire est préférable au marché boursier puisque les coûts inhérents au
premier sont inférieurs aux coûts associés au second : la banque a de la
mémoire, elle pratique une tarification progressive, tandis que le marché
pratique la tarification à l'acte.

2. LES ÉTUDES EMPIRIQUES


Les analyses empiriques de la relation entre le développement financier et la
croissance s’articulent autour de trois axes : les études réalisées sur données de
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panel, les études qui analysent la causalité entre le développement financier et la
croissance et, enfin, celles qui mettent en évidence une relation non-linéaire
entre les deux variables.

2.1 Les résultats des études en panel


Les travaux de King et Levine (1993) constituent sans doute les contributions
pionnières dans la littérature empirique récente qui étudie la relation entre le
développement financier et la croissance. Les auteurs concluent, à partir d'une
étude en coupe transversale, qu'au-delà du lien positif entre les deux variables,
le développement financier permet de prévoir la croissance économique dans
un horizon de 10 à 30 années. Les travaux de Roubini et Sala-i-Martin (1992) et
de Savvides (1995) fournissent des résultats connexes à ceux de King et Levine.

8
Le modèle de Shi (1996) reposent sur trois hypothèses : (i) la production des biens capitaux
de grande qualité est plus risquée que celle de faible qualité ; (ii) les agents peu qualifiés
fournissent davantage d'efforts pour élaborer les biens capitaux de grande qualité ; (iii) les
connaissances se transmettent d'une génération à une autre moyennant un coût.
9
Néanmoins, ces réserves présentent l'avantage de favoriser la stabilité du système bancaire.

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Les critiques suscitées par les études en coupe transversale10 ont conduit à
l'utilisation de techniques économétriques plus performantes dans l'évaluation
du lien entre la croissance économique et le développement financier,
notamment la méthode des moments généralisés (GMM) sur panel dynamique.
Dans ce nouveau courant de littérature, Beck et al. (2000) mettent en évidence
une relation positive et significative entre le développement financier et
différents indicateurs de mesure de la croissance : le taux de croissance
économique, le taux d'accumulation du capital et la productivité globale des
facteurs. Aussi, Rioja et Valev (2004) concluent-ils que le développement
financier affecte la croissance économique dans les pays à faible revenu par le
biais de l'accumulation du capital, tandis que dans les pays à revenu élevé le
canal de transmission est la productivité du capital.
Au-delà de la relation favorable entre les indicateurs du secteur bancaire et ceux
de la croissance économique, Levine et Zervos (1998), puis Beck et Levine
(2004), fournissent la preuve que le développement des marchés boursiers
permet d’envisager de bonnes perspectives de croissance économique. Selon
Bekaert et al. (2005), les économies qui ont libéralisé leurs marchés boursiers
enregistrent des taux de croissance élevés. Henry (2000) conclut, à partir de la
méthodologie des études événementielles, que la libéralisation des marchés
boursiers affecte positivement le niveau de l'investissement privé. Enfin, Atje et
Jovanovic (1993) confirment que les indicateurs des marchés boursiers sont
plus corrélés avec la croissance que ceux du secteur bancaire. Ces résultats sont
contraires à ceux obtenus par Harris (1997), qui suggère une faible relation
entre les indicateurs des marchés boursiers et le taux de croissance économique.
Plusieurs travaux aboutissent à des résultats suggérant une relation négative ou
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non significative entre le développement financier et la croissance économique.
Pour De Gregorio et Guidotti (1995) le développement financier est associé
négativement à la croissance économique dans les pays d’Amérique latine. Ram
(1999) obtient une corrélation négative et significative dans 56 cas sur un
échantillon de 95 pays. Berthelémy et Varoudakis (1998) trouvent une relation
négative entre le développement financier et le taux de croissance dans des
économies financièrement réprimées. Les auteurs attribuent ce résultat à
l’existence d’effets de seuil associés aux équilibres multiples dans la relation de
long terme entre le développement financier et la croissance.

2.2 L’examen de la causalité


La littérature sur l'analyse de la causalité entre les indicateurs de développement
financier et ceux de croissance économique peut être répartie en deux
catégories : une première teste la causalité entre la finance et la croissance par
pays et une seconde étudie la causalité sur données de panel.

10
Les principales critiques ont été la non-prise en compte de la dimension individuelle et
temporelle, le faible degré de liberté et, enfin, l’intégration systématique des effets
inobservables dans les termes d’erreur.

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Les contributions de Luintel et Khan (1999), Demetriades et Hussein (1996),


entre autres, s'inscrivent dans les travaux de première génération. Ces études
fournissent, dans l’ensemble, des résultats contrastés. La causalité peut aller du
développement financier vers la croissance économique ou l’inverse. Elle peut
être également bidirectionnelle ou inexistante entre les deux variables. Ces
résultats varient suivant l’indicateur de développement financier utilisé, le pays
et la période de l’étude. Les analyses de causalité sur des séries temporelles
portent sur des périodes relativement courtes, compte tenu de l’absence de
données, et sont souvent basées sur une approche bivariée. Cette faiblesse
associée aux études qui analysent la causalité peut conduire à des biais de
variables omises et à des erreurs d’inférence causale.
Au cours des dernières années, des extensions des études empiriques sur séries
temporelles entre le développement financier et la croissance économique ont
pris en compte la dimension individuelle, à travers les études de causalité ou de
cointégration sur données de panel. Les résultats obtenus par les travaux de la
deuxième génération sont aussi variables que ceux des études de la première
génération. Les travaux de Rousseau et Wachtel (2000) réalisés sur données de
panel fournissent l’évidence d’une causalité du développement financier vers la
croissance. Aussi, les résultats de Christopoulos et Tsionas (2004) suggèrent-ils
une causalité à long terme allant du développement financier vers la croissance
économique malgré une absence de causalité à court terme. Apergis et al. (2007)
montrent qu’il existe une relation de long terme, aussi bien au niveau de
l'échantillon global qu'en ce qui concerne les sous-échantillons des pays de
l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et
des pays non membres de l'OCDE. De plus, les auteurs obtiennent une
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causalité réciproque entre le développement financier et la croissance, quel que
soit l'échantillon considéré. Contrairement aux auteurs précédents, Dufrénot et
al. (2010) suggèrent qu'à long terme il existe une forte relation entre la
croissance et le développement financier dans les pays de l'OCDE, alors que
dans les pays non membres de l'OCDE, compte tenu de la forte hétérogénéité,
il n'est pas possible de détecter de relation de causalité entre les deux variables.

2.3 La non-linéarité entre le développement financier et la


croissance
Les résultats souvent contradictoires obtenus peuvent être liés à l’existence
d’une non-linéarité entre le développement financier et la croissance
économique. Cette non-linéarité peut s’expliquer par le phénomène des
équilibres multiples d’une part, et à travers la causalité réciproque d’autre part.
Des modèles de croissance endogène prenant en compte le secteur financier
mettent en évidence des équilibres multiples (Eggoh et Villieu 2010 ;
Berthélemy et Varoudakis, 1994 ; Zilibotti, 1994 ; Saint-Paul, 1992). De
nombreux travaux tentent d’apporter une illustration empirique aux modèles

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fournissant les équilibres multiples11 et d’identifier les sources potentielles de la


non-linéarité entre le développement financier et la croissance.
Le niveau de développement financier peut être une source de non-linéarité
entre le développement financier et la croissance : les travaux de Khan et
Senhadji (2000), Berthélemy et Varoudakis (1996) s’inscrivent dans cet ordre
d’idées. Utilisant différentes mesures du secteur bancaire et des marchés
financiers, Shen et Lee (2006) mettent en évidence l’existence d’une courbe en
cloche et suggèrent que le secteur bancaire promeut la croissance seulement
pour des niveaux de développement financier inférieurs à un seuil donné.
Deidda et Fattouh (2008) trouvent que la non-linéarité peut être conditionnelle
au niveau de développement des marchés boursiers et que l’impact du secteur
bancaire est faible pour des pays disposant de marchés financiers développés.
Des divergences au niveau des indicateurs macroéconomiques peuvent aussi
entraîner la non-linéarité. Huang et Lin (2009) détectent de la non-linéarité à
partir de la base de données de Levine et al. (2000) et montrent que l’effet
positif du développement financier sur la croissance est plus élevé dans les pays
à revenu faible que dans les pays riches. Des résultats suggérant de la non-
linéarité conditionnellement au niveau de revenu sont obtenus par Rioja et
Valev (2004) et Deidda et Fattouh (2002). Ces résultats sont contraires à ceux
de Huang et Lin (2009) puisqu’ils révèlent une faible relation entre le
développement financier et la croissance dans les pays à revenu faible, alors que
cette relation est positive et robuste dans les pays à revenu élevé. Récemment,
l’inflation a été identifiée comme une source potentielle de non-linéarité entre la
finance et la croissance, dans la mesure où la relation entre les deux variables est
non significative dans les pays caractérisés par des taux d’inflation élevés
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(Huang et al., 2010 ; Rousseau et Wachtel, 2002).

CONCLUSION
Cette revue de littérature présente une synthèse des récents développements
théoriques et empiriques réalisés sur la relation entre le développement
financier et la croissance économique. La littérature théorique élaborée dans le
cadre des modèles de croissance endogène révèle que le développement
financier affecte principalement la croissance économique à travers la réduction
et la diversification du risque, l’efficacité du processus d’intermédiation et la
réduction des problèmes informationnels. Les estimations empiriques
consécutives aux modélisations théoriques, réalisées à l’aide d’une méthodologie
diversifiée, suggèrent globalement que le développement financier serait
positivement associé à la croissance économique. Toutefois, les origines

11
L’existence possible d’équilibres multiples dans le processus de croissance d’une économie
a été reconnue très tôt dans la théorie économique. L’argument standard est qu’il y a des
processus cumulatifs conduisant à un déclin quand l’économie est sous un certain seuil de
développement, alors que le progrès économique est possible quand ce seuil est franchi.

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financières des récentes crises de 2007 pourraient remettre en cause le rôle des
intermédiaires financiers sur la croissance. À différents niveaux, le système
financier a mal fonctionné. L’exposition du système financier est considérable :
le marché des dérivés de crédit n’a pas opéré le transfert des risques qu’il était
censé assurer. Une trop grande intermédiation financière, liée aux faibles taux
directeurs de la Federal Reserve (Fed) et aux innombrables innovations financières
ont facilité l’accessibilité au crédit d’une clientèle peu solvable. Les innovations
financières ont aussi entraîné une opacité dans le système de gestion financière,
accentuant ainsi les problèmes d’asymétrie d’information
Par ailleurs, la crise des subprimes intervient sur fond de déséquilibres financiers
mondiaux. Selon Artus et al. (2008), la crise financière est en partie liée à la
grande fragilité de l’économie mondiale. La recherche de rentabilité élevée en
contournement de la réglementation bancaire et des normes comptables a
favorisé des innovations financières, principal mécanisme par lequel les
déséquilibres mondiaux se sont propagés et amplifiés. La crise n’ayant pas que
des causes financières, elle s’est diffusée, non seulement par les marchés du
crédit, mais aussi à travers la chute des prix des logements et l’envolée des cours
des matières premières. Les conséquences non financières de la crise ont aussi
rudement impacté l’économie mondiale que la crise du crédit elle-même. Les
réponses en termes de politique économique ont été un interventionnisme
massif des États afin de rassurer les marchés et la mise en œuvre de politique
restrictive en matière de supervision du système bancaire afin de combattre les
dérives du capitalisme financier.
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