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Économie contemporaine

ABC
c a t é g o r i e

Tome 2
Les politiques économiques et sociales de l’État
Régions, départements, collectivités locales autant de lieux où les
agents publics au contact des citoyens et usagers du service public
sont confrontés aux contraintes économiques et juridiques, le droit
communautaire ou les aléas économiques constituent de plus en plus des

Économie
constantes qui agissent sur l’environnement territorial. Le mouvement de
décentralisation, du RSA à la formation professionnelle en passant par le
soutien à l’action économique, ne fait qu’imbriquer un peu plus ces deux

contemporaine
dimensions.
Attaché ou administrateur le futur cadre territorial se doit de connaître
les lignes de force qui sous-tendent la vie économique, et pour agir de
comprendre l’environnement dans lequel se meuvent toutes les collec-
tivités.
L’auteur Gilles Rasselet après avoir, dans un premier tome, présenté Tome 2
les grandes fonctions économiques s’attache dans le second tome de
l’ouvrage Économie contemporaine à étudier les politiques économiques

Les politiques
et sociales de l’État, politiques qui impactent directement et indirectement
celles des administrations décentralisées.
De façon claire, précise et illustrée l’auteur permet d’appréhender le
contexte actuel où se joue l’action économique et sociale de l’État sur
fond de mondialisation et de déséquilibres économiques, il vous invite à économiques
le suivre dans sa description et son explication de la politique budgétaire,
monétaire et économique de l’État.
Il met aussi à jour les enjeux des politiques sociales qu’il s’agisse des
et sociales de l’État
retraites ou de la santé, de l’emploi ou de la protection sociale.
Au-delà de la préparation aux concours d’attaché ou d’administrateur
Économie contemporaine constitue un ouvrage de référence propre à
éclairer durablement les débats et les enjeux économiques et sociaux de
notre temps.
© 11/7808/AJ - CNFPT studio graphique - Imprimerie CNFPT Gilles Rasselet
L’auteur, Gilles Rasselet, est docteur d’État ès sciences économiques et
licencié ès lettres. Il est professeur de sciences économiques à l’Université
de Reims Champagne-Ardenne où il dirige le master administration
économique et sociale. Dans le cadre de sa collaboration au CNFPT,
il avait dirigé l’édition de l’ouvrage Économie générale, tome 1 et 2, publié
antérieurement par les éditions du CNFPT.

CENTRE NATIONAL DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE


80, RUE DE REUILLY - CS 41232 - 75578 PARIS CEDEX 12 - Tél. : 01 55 27 44 00 - Fax : 01 55 27 41 07 - WWW.CNFPT.FR
ISBN : 978-2-84143-336-0 - Les éditions du CNFPT, édition 2010 - Prix 30 €
Économie
contemporaine
tome 2
Les politiques
économiques
et sociales de l’État

Gilles Rasselet
Le comité de lecture de cet ouvrage était composé de
- Philippe Defrance, service Ingénierie et développement des formations, direction de
la Formation, CNFPT
- Pham van Dat, service Editions, direction de la Communication, CNFPT

Les chapitres 8 et 9 de cet ouvrage sont le produit d’une collaboration amicale avec Madame
Michèle Severs, maître de conférences en sciences économiques à l’université de Reims
Champagne-Ardenne.

© Éditions du CNFPT, 2010


Aucune partie de la présente publication ne peut être reproduite, mise en mémoire ou
transmise sous aucune forme ni aucun moyen électronique ou mécanique, par photocopie,
enregistrement, ou toute autre façon sans autorisation expresse du centre national de la
fonction publique territoriale.
Sommaire

IntroductIon gÉnÉrale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
I - Les diverses fonctions de l’État et les politiques économiques et sociales . . . . . . . . . . . . . . . 8
II - L’évolution historique du rôle de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

parte 1 : le contexte contemporaIn de l’actIon ÉconomIque


et socIale de l’État : dÉsÉquIlIbres ÉconomIques
et mondIalIsatIon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

chapItre 1 : les déséquilibres de l’économie : l’inflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25


Section 1 : L’inflation : mesure et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Paragraphe 1 : La mesure de l’inflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
Paragraphe 2 : L’évolution des prix au XXe siècle : inflation et désinflation . . . . . . . . . . . . 35
Section 2 : Les explications de l’inflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Paragraphe 1 : L’inflation, phénomène d’origine monétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Paragraphe 2 : L’inflation, résultat de déséquilibres de l’économie réelle . . . . . . . . . . . . . 50
Paragraphe 3 : L’inflation, phénomène social et structurel. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
Section 3 : Les effets de l’inflation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Paragraphe 1 : Une pluralité d’effets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62
Paragraphe 2 : La politique française de « désinflation compétitive ». . . . . . . . . . . . . . . . . 66

chapItre 2 : les déséquilibres de l’économie : le chômage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73


Section 1 : Le chômage : mesure et évolution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Paragraphe 1 : Le chômage et l’emploi : problèmes de définition et de mesure . . . . . . . . 75
Paragraphe 2 : L’inégalité devant le chômage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88
Section 2 : Les explications du chômage : néoclassiques et keynésiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
Paragraphe 1 : L’analyse néoclassique du chômage : les atteintes à la concurrence . . . . . . 95
Paragraphe 2 : L’analyse keynésienne du chômage : l’insuffisance de la demande globale 108
Section 3 : La relation inflation-chômage et le débat de politique économique . . . . . . . . . . 121
Paragraphe 1 : La relation inflation-chômage et la courbe de Phillips. . . . . . . . . . . . . . . . 121
Paragraphe 2 : La critique néoclassique de la courbe de Phillips . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

chapItre 3 : la mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 129


Section 1 : La mondialisation commerciale et productive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131
Paragraphe 1 : Les firmes multinationales agents moteur de la mondialisation . . . . . . . . 135
Paragraphe 2 : Les investissements directs à l’étranger vecteurs de la mondialisation . . . 148

Sommaire 3
Section 2 : La mondialisation financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Paragraphe 1 : La montée en puissance du capital financier et des marchés de capitaux 156
Paragraphe 2 : Les investisseurs institutionnels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Paragraphe 3 : Portée et limites de la mondialisation financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170

partIe 2 : les polItIques ÉconomIques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 185

chapItre 4 : le budget de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191


Section 1 : Les recettes du budget de l’État : les impôts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Paragraphe 1 : Les caractéristiques du système fiscal français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195
Paragraphe 2 : Le débat à propos de l’impôt sur le revenu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203
Paragraphe 3 : La question du niveau et de l’évolution des prélèvements obligatoires . . 215
Section 2 : Les dépenses du budget de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 222
Paragraphe 1 : Les classifications des dépenses de l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 223
Paragraphe 2 : L’évolution des dépenses publiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 227
Section 3 : Le solde budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Paragraphe 1 : Le débat théorique à propos du solde budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 236
Paragraphe 2 : Le déficit budgétaire contemporain et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . 240

chapItre 5 : la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253


Section 1 : Les modalités d’action de la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 257
Paragraphe 1 : Le jeu des multiplicateurs budgétaires dans le cas de variations
des achats publics, des impôts ou des transferts publics. . . . . . . . . . . . . . . 258
Paragraphe 2 : La valeur algébrique des multiplicateurs des achats publics, des impôts
et des transferts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262
Paragraphe 3 : Le multiplicateur du budget équilibré. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 265
Section 2 : Portée et limites de la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 267
Paragraphe 1 : Les conditions d’efficacité d’une politique budgétaire expansive. . . . . . . 267
Paragraphe 2 : L’internationalisation croissante des économies dans un contexte
de modialisation et les limites à l’efficacité de la politique budgétaire . . 271
Paragraphe 3 : Les effets dérivés d’une politique budgétaire de relance :
la hausse des taux d’intérêt et ses conséquences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 274
Paragraphe 4 : Mobilité des capitaux, régime de changes et efficacité d’une politique
budgétaire de relance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281
Section 3 : La construction européenne et la politique budgétaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285
Paragraphe 1 : Le Pacte de stabilité et de croissance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 284
Paragraphe 2 : La contestation et la réforme du Pacte de stabilité et de croissance . . . . 291

chapItre 6 : la politique monétaire et la politique de change . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303


Section 1 : Les modalités d’action de la politique monétaire et de la politique de change . . 307
Paragraphe 1 : L’action de la politique monétaire sur la situation économique interne
du pays : les canaux de transmission de la politique monétaire . . . . . . . . 307

4 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Paragraphe 2 : L’action de la politique monétaire et de la politique de change
sur l’équilibre des échanges extérieurs du pays . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 314
Section 2 : Portée et limites de la politique monétaire et de la politique de change . . . . . . . 318
Paragraphe 1 : L’absence de maîtrise des taux d’intérêt et du taux de change pour
certains pays. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 318
Paragraphe 2 : Les effets dérivés de la politique monétaire et de la politique de change 323
Paragraphe 3 : Les délais de mise en œuvre de la politique monétaire . . . . . . . . . . . . . . . 327
Section 3 : L’euro, la Banque centrale européenne et la politique monétaire unique
de la zone euro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 329
Paragraphe 1 : La Banque centrale européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 331
Paragraphe 2 : Les objectifs et les instruments de la politique monétaire de la Banque
centrale européenne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 336
Paragraphe 3 : L’action de la BCE depuis 1999 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 348

chapItre 7 : la politique économique structurelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361


Section 1 : L’organisation directe par l’État de la production et des échanges :
l’État producteur de biens et services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 365
Paragraphe 1 : Les fondements et justifications de l’organisation directe par l’État
de la production de biens et services . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 366
Paragraphe 2 : L’affirmation puis le déclin du rôle de l’État producteur . . . . . . . . . . . . . . 377
Paragraphe 3 : Le déclin de l’État producteur et la question des services publics . . . . . . . 385
Section 2 : La réglementation de l’activité économique par l’État . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 389
Paragraphe 1 : L’exercice par l’État de sa fonction de réglementation de l’activité
économique : le cas de la réglementation de la concurrence . . . . . . . . . . 390
Paragraphe 2 : La politique contemporaine de déréglementation
et de libéralisation des marchés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 398
Section 3 : L’orientation par l’État de l’activité et du développement économiques . . . . . . . 406
Paragraphe 1 : La maîtrise et l’orientation du développement : la planification
et la politique d’aménagement du territoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 406
Paragraphe 2 : La politique industrielle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 413

partIe 3 : les polItIques socIales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 421

chapItre 8 : les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé . . . . . . . . . 427


Section 1 : Les politiques concernant les retraites et la protection sociale de la vieillesse . . 430
Paragraphe 1 : Le système français de protection sociale de la vieillesse . . . . . . . . . . . . . . 430
Paragraphe 2 : Les débats sur la réforme des retraites : répartition versus capitalisation 435
Paragraphe 3 : L’ambiguïté des réformes des régimes de retraite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 444
Section 2 : Les politiques de santé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 452
Paragraphe 1 : L’évolution de longue période des dépenses de santé. . . . . . . . . . . . . . . . 453
Paragraphe 2 : Les actions sur la demande de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464
Paragraphe 3 : Les actions sur l’offre de soins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 467
Paragraphe 4 : Vers une refonte du régime de l’assurance-maladie ? . . . . . . . . . . . . . . . 474

Sommaire 5
chapItre 9 : les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté . . 479
Section 1 : Les politiques de l’emploi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 481
Paragraphe 1 : La réglementation du marché du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 485
Paragraphe 2 : Les politiques passives de lutte contre le chômage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 490
Paragraphe 3 : Les politiques actives de lutte contre le chômage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 498
Section 2 : Les politiques familiales et les politiques de lutte contre la pauvreté
et l’exclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
Paragraphe 1 : Les politiques familiales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 510
Paragraphe 2 : Les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion . . . . . . . . . . . . . . 518

chapItre 10 : la protection sociale sous tension . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 529


Section 1 : Les comptes de la protection sociale : état des lieux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
Paragraphe 1 : Les dépenses de la protection sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 531
Paragraphe 2 : Les ressources de la protection sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 541
Paragraphe 3 : Comparaisons européennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 544
Section 2 : La crise de financement du système de protection sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . 548
Paragraphe 1 : Les causes de la crise de financement du système de protection sociale . 548
Paragraphe 2 : Les réponses des pouvoirs publics à la crise de financement . . . . . . . . . . . 555
Paragraphe 3 : Diverses propositions pour le financement de la protection sociale . . . . . 558
Section 3 : La protection sociale : un sujet de controverses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 562
Paragraphe 1 : La contestation libérale du système public de protection sociale
existant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 563
Paragraphe 2 : Les réponses à la contestation libérale du système public de protection
sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 566
Paragraphe 3 : La démographie et la question du financement de la protection sociale . 571

bIblIographIe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 577

6 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Introduction générale

S’appuyant sur la présentation et l’analyse des fonctions économiques auxquelles était dé-
dié le tome 1, ce second tome de l’ouvrage Économie contemporaine est consacré à l’étude
des politiques économiques et sociales de l’État.
Dans une première acception, l’État correspond formellement à ce que la comptabilité na-
tionale dénomme les administrations publiques centrales (APUC), elles-mêmes constituées
de deux sous-ensembles :
1) l’État central, au sens restreint du terme, défini par l’ensemble des ministères et des
services administratifs qui en dépendent, dont les recettes et les dépenses sont retra-
cées dans les lois de finances (budget) ;
2) les organismes divers d’administration centrale (ODAC), soit environ six cents orga-
nismes, de statuts juridiques variés, disposant de l’autonomie financière mais dont les
ressources proviennent pour l’essentiel des subventions d’État et qui interviennent
dans des domaines aussi variés que l’enseignement et la formation (universités, ins-
tituts universitaires…), la culture (bibliothèques et musées nationaux, Comédie fran-
çaise…), la recherche (CNRS, CNES…), la santé et l’intervention sociale, le logement et
l’organisation du territoire, les transports.
Il existe des liens étroits entre l’État ainsi défini et l’ensemble des organismes et institutions
chargés d’administrer les différents dispositifs de protection sociale des individus contre
divers risques, ce que la comptabilité nationale dénomme les administrations de sécurité
sociale (ASS). Ces dernières se décomposent également en deux sous-ensembles :
1) les régimes d’assurances sociales constitués d’une mosaïque d’organismes autonomes
qui gèrent une prise en charge collective et obligatoire des différents risques sociaux
que l’individu peut rencontrer tout au long de sa vie (la maladie, l’infirmité, la perte
d’emploi, la vieillesse, les accidents du travail, la charge de l’entretien d’une famille, la
maternité, l’indigence…) ;
2) les organismes dépendant des assurances sociales, c’est-à-dire essentiellement les hô-
pitaux publics et privés qui participent au service public hospitalier, dont la majorité
des ressources provient des régimes d’assurances sociales et qui offrent des services de
soins à tout citoyen frappé par la maladie ou un accident.
Dans une seconde acception, plus large, l’État peut par conséquent être défini comme
l’ensemble constitué des administrations publiques centrales et des différentes adminis-
trations de sécurité sociale.
Dans une troisième acception, plus large encore, on peut également inclure dans l’État les
diverses administrations publiques locales (APUL) qui regroupent les organismes à com-
pétence et financement locaux. Celles-ci se divisent également en deux sous-ensembles :
1) les collectivités locales (régions, départements et communes), auxquelles les lois de
décentralisation du 2 mars 1982, des 7 janvier et 22 juillet 1983 et du 13 août 2004
ont confié des responsabilités particulières en matière d’enseignement, de formation,
d’aménagement du territoire et d’aide sociale ;
2) les organismes divers d’administration locale (ODAL) qui rassemblent une multitude de
structures (chambres des métiers, chambres de commerce et d’industrie, centres com-
munaux d’action sociale, maisons des jeunes et de la culture, piscines, bibliothèques et
musées municipaux…) jouant un rôle de premier plan dans l’animation de la vie éco-
nomique, sociale, culturelle et sportive locale et dont les budgets sont alimentés pour
l’essentiel par des subventions des collectivités locales et/ou des taxes et impôts locaux.
L’État, ainsi défini dans cette acception large, exerce en premier lieu les fonctions réga-
liennes qui sont spécifiquement dévolues à l’État central : justice, police, défense, diplo-
matie... Il édicte les lois, veille à leur respect par les citoyens et sanctionne les éventuels
manquements, assure l’ordre public ainsi que la défense et l’intégrité du territoire natio-
nal, etc. Mais son action ne se limite pas à l’exercice de ces fonctions régaliennes qui sont
l’apanage de la puissance publique. C’est également l’acteur le plus important de la vie
économique et sociale du pays et il exerce à ce titre diverses autres fonctions (I). C’est le
résultat d’une longue évolution historique marquée par l’extension et la diversification
progressive de ses foncions (II).

I - Les diverses fonctions de l’État et les politiques


économiques et sociales
Selon la présentation canonique qu’en a faite R. A. Musgrave dans sa Théorie des finances
publiques (1959), les interventions de l’État dans la vie économique et sociale du pays ré-
pondent à l’exercice de trois grandes fonctions :
1) une fonction d’allocation des ressources. Elle consiste pour l’État à assurer une affecta-
tion satisfaisante de l’ensemble des ressources productives (des facteurs de production)
dont dispose le pays entre leurs différents emplois possibles. À ce titre, l’État intervient
pour réglementer les conditions selon lesquelles les marchés, sur lesquels se détermi-
nent les prix des biens et services produits, réalisent l’allocation des ressources par le
biais des variations de prix, qui indiquent aux agents économiques privés vers quelles
branches d’activité il est souhaitable d’orienter les ressources productives dont ils dispo-
sent (force de travail, capital technique, ressources naturelles). Il intervient également

8 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


pour modifier l’allocation résultant ainsi du jeu des mécanismes de marché si cette al-
location n’est pas jugée satisfaisante. Dans le cadre de cette première fonction, l’État
doit veiller en particulier à favoriser une allocation suffisante de ressources aux secteurs
d’activité appelés à se développer dans un futur plus ou moins proche et affecter les
ressources nécessaires pour la réalisation d’infrastructures et la production de biens col-
lectifs contribuant à stimuler la croissance ;
2) une fonction de répartition ou de redistribution. L’objectif est ici pour l’État d’influer sur
la répartition des revenus et de la richesse entre les individus (les ménages) qui forment
la collectivité nationale, telle qu’elle résulte spontanément du jeu des mécanismes de
marché1 afin de garantir aux uns et aux autres des conditions de vie décentes ou jugées
telles. À la répartition primaire des revenus résultant du jeu des mécanismes de mar-
ché se superpose ainsi une redistribution (ou répartition secondaire) des revenus dont
l’État est le maître d’œuvre et qui vise à atténuer, à défaut de les faire disparaître, les
inégalités de revenus et de richesses résultant du fonctionnement normal de l’économie
capitaliste ;
3) une fonction de stabilisation ou de régulation. Elle consiste à contrôler et contenir les
fluctuations conjoncturelles de l’activité économique de manière à régulariser, dans la
mesure du possible, le cours de l’activité économique qui, dans les pays capitalistes,
présente spontanément un caractère cyclique accusé. Pour des raisons qui renvoient à
ses caractéristiques-mêmes, l’économie capitaliste évolue dans le temps selon un mode
cyclique, avec en particulier un cycle économique conjoncturel faisant alterner, sur une
moyenne de 6-8 ans, une phase d’expansion, caractérisée par l’accélération du rythme
de la croissance économique (assortie éventuellement d’une poussée plus ou moins mar-
quée d’inflation), et une phase de ralentissement marqué de la croissance économique,
voire de récession ou de crise, accompagnée d’une poussée du chômage. Il s’agit pour
l’État, à travers l’exercice de cette fonction de stabilisation ou de régulation, de limiter
l’ampleur tant des phases d’expansion que des phases de ralentissement/récession/crise,
afin de favoriser une croissance régulière de l’économie nationale en préservant autant
que faire se peut les grands équilibres économiques et financiers.
L’exercice par l’État de ces différentes fonctions se traduit par la mise en œuvre de poli-
tiques économiques et de politiques sociales.
• Les politiques économiques correspondent à des interventions variées de l’État dans la
vie économique du pays, destinées à influer sur l’évolution dans le temps de l’économie
nationale ainsi que sur ses structures, son organisation et son mode de fonctionnement.
On distingue la politique conjoncturelle et la politique structurelle.
– La politique économique conjoncturelle peut être définie comme la mise en œuvre par
les pouvoirs publics de mesures destinées à influer à court terme (de quelques mois à 1
ou 2 ans) sur le niveau de l’activité et les grands équilibres économiques et financiers du
pays (équilibre entre l’offre et la demande globales sur les marchés des biens et services,
sur les marchés de capitaux ou le marché du travail, équilibre des échanges extérieurs…)
dans le sens jugé souhaitable, compte tenu de la conjoncture économique du moment
et de son évolution prévisible. Elle vise pour l’essentiel à limiter l’ampleur des fluctua-
1 Sachant que les prix qui s’établissent sur les marchés déterminent en même temps les revenus que les agents économiques
privés tirent de leur participation à l’activité économique du pays.

Introduction générale 9
tions conjoncturelles de l’économie et à en régulariser le cours par une action de nature
contracyclique, agissant à contre-courant de la conjoncture économique. À cet effet, la
politique conjoncturelle cherche à freiner la croissance économique lorsque celle-ci tend
spontanément à s’accélérer au-delà de ce qui paraît souhaitable (phase d’expansion du
cycle conjoncturel), et en particulier si cette accélération s’accompagne d’une poussée
d’inflation. À l’opposé, elle cherche à stimuler cette même croissance lorsque celle-ci
fléchit trop fortement (phase de récession ou de crise du cycle conjoncturel) et que le
chômage progresse. Ses deux principales composantes sont la politique monétaire et la
politique budgétaire qui consistent respectivement à agir sur les variables monétaires
(quantité de monnaie en circulation, taux d’intérêt) et sur les variables budgétaires (im-
pôts, dépenses publiques et solde budgétaire) pour influer sur l’évolution de l’activité
économique nationale.
Elle doit originellement beaucoup aux analyses de Keynes qui a souligné la tendance au
déséquilibre de l’économie capitaliste et les conséquences économiquement et sociale-
ment dommageables qui en résultent, ce qui justifie à ses yeux une intervention régula-
trice et stabilisatrice de l’État. Les auteurs du courant néoclassique, le courant aujourd’hui
prédominant au sein de la théorie économique contemporaine (on dit le main stream),
récusent cependant, avec des arguments variant d’une école à l’autre au sein de ce cou-
rant théorique, l’intérêt de telles politiques. Ils considèrent que l’économie de marché
capitaliste atteint spontanément d’elle-même la meilleure situation possible dès lors que
certaines conditions structurelles sont respectées et qu’en particulier rien ne fait obstacle
au libre jeu des mécanismes de marché.
– La politique économique structurelle consiste, quant à elle, en une action à long terme
(10 ans, 15 ans, voire plus) sur les structures de l’économie nationale. Elle vise a priori
à faire évoluer ces structures dans le sens de ce qui peut être considéré comme une ef-
ficience accrue du système productif, permettant de créer plus de richesses en utilisant
mieux les ressources productives dont dispose le pays et, ainsi, de pouvoir mieux satis-
faire les besoins de la population2. Ainsi définie, elle recouvre un ensemble diversifié
d’interventions de l’État, comme, par exemple :
• l’exercice par l’État de sa fonction de réglementation, qui aboutit à définir et à faire
évoluer le contexte institutionnel dans lequel s’inscrit l’activité économique, c’est-à-dire
les institutions proprement dites, mais également l’ensemble des lois et règlements qui
encadrent l’activité des agents économiques ;
• la prise en charge directe par l’État lui-même de la production et de l’échange de biens
et services, marchands ou non marchands (nationalisation d’entreprises privées du sec-
teur concurrentiel, création de grands services publics) ou le renoncement à cette prise
en charge (privatisations), ce qui, dans l’un et l’autre cas, a un impact direct plus ou
moins considérable sur la structure du système productif du pays ;
• les politiques industrielle, agricole, des transports, énergétique… par lesquelles l’État
cherche à influer de manière spécifique sur l’évolution de certains secteurs d’activité
et sur la place qu’ils occupent et le rôle qu’ils jouent dans la vie économique du pays ;
• les politiques scientifique et de formation visant à accroître le potentiel scientifique et
2 En gardant cependant à l’esprit qu’il peut y avoir de sérieuses divergences d’appréciation concernant ce que recouvre
exactement la référence à une meilleure satisfaction des besoins de la population, d’une part, et la manière dont il faut
faire évoluer les structures de l’économie nationale pour accroître l’efficience du système productif, d’autre part.

10 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


la capacité innovatrice du pays et à élever le niveau moyen de qualification de sa force
de travail ;
• la politique d’aménagement du territoire par laquelle l’État cherche à influer durable-
ment sur la structuration économique et l’occupation humaine du territoire.
• Les politiques sociales correspondent à diverses interventions complémentaires de
l’État et, au premier chef, celles par lesquelles celui-ci organise la protection des individus
contre divers risques sociaux (maladie, accidents du travail et maladies professionnelles,
chômage, vieillesse, maternité et charge de famille consécutives…) en mutualisant les dé-
penses et pertes éventuelles de revenus auxquelles doivent faire face les individus lorsque
ces risques se matérialisent. S’y ajoutent la redistribution de revenus à certains membres
de la collectivité nationale en fonction de divers critères et la mise en œuvre de mesures
favorisant l’accès de certaines populations à différents biens et services jugés indispen-
sables aux individus. Ces politiques sociales se sont imposées historiquement, parfois au
terme de conflits sociaux et/ou politiques aigus, en réponse aux déséquilibres et aux iné-
galités sociales que suscite spontanément (ou auxquels est incapable de répondre correc-
tement) le fonctionnement de l’économie de marché capitaliste. Elles n’ont réellement
commencé à s’affirmer qu’à partir des dernières décennies du XIXe siècle (très timidement
encore à cette époque) puis pendant l’entre-deux-guerres. Mais elles sont devenues une
composante essentielle de l’action de l’État après la Second Guerre mondiale.
Les différentes politiques que l’État est ainsi susceptible de mettre en œuvre se distinguent
les unes des autres par leurs objectifs et leurs instruments respectifs.
– Les objectifs assignés à la politique économique et à la politique sociale sont variés et
peuvent différer d’un pays à l’autre à une même époque, en fonction de leur situation res-
pective : puissance économique, niveau de développement, poids dans l’économie mon-
diale, degré d’ouverture de l’économie nationale, spécialisations du système productif,
choix de société en matière d’organisation de la vie économique et sociale nationale, tra-
ditions historiques, état de la conjoncture, etc.
La définition des objectifs assignés à la politique économique et à la politique sociale de
l’État est toujours le résultat de choix qui impliquent un arbitrage entre les intérêts de
diverses catégories d’agents économiques et de différents groupes sociaux. Ces objectifs
ne peuvent en effet être conçus comme la traduction de la seule recherche par une entité
neutre et bienveillante (l’État lui-même) de ce qui serait la meilleure adéquation possible
entre l’aspiration au bien-être de la communauté nationale et les contraintes d’une situa-
tion économique évolutive. Dans une société où coexistent des classes et groupes sociaux
ainsi que des catégories socioprofessionnelles divers, dont les intérêts peuvent être et sont
effectivement contradictoires, voire antagoniques, la définition des objectifs assignés à la
politique économique et à la politique sociale de l’État est nécessairement affectée par ces
contradictions d’intérêts. Les principaux bénéficiaires de la politique économique et de la
politique sociale de l’État varient en effet avec les objectifs poursuivis par cette politique.
Ainsi, par exemple, en schématisant, une politique économique dont l’objectif prioritaire
est la réalisation du plein-emploi profite incontestablement aux salariés qui voient, en
cas de succès de cette politique, s’éloigner la menace du chômage. Une telle politique
peut en outre renforcer leur pouvoir de négociation vis-à-vis de leurs employeurs, avec
comme conséquence possible une évolution du partage de la valeur ajoutée en faveur des

Introduction générale 11
salaires et au détriment des profits des entreprises et des revenus du capital. À l’opposé,
la priorité donnée à la lutte contre l’inflation est fréquemment invoquée pour justifier la
mise en œuvre d’une politique de « rigueur » ou « d’austérité » visant à limiter la hausse
des coûts salariaux et à faire pression sur la demande, ce qui détériore la situation de
l’emploi et affaiblit le pouvoir de négociation des salariés à l’avantage des entreprises.
Une étude comparative des politiques économiques effectivement mises en œuvre dans les
pays capitalistes industrialisés depuis la Seconde Guerre mondiale montre, par ailleurs, que
les objectifs assignés à ces politiques ont sensiblement évolué depuis la Seconde Guerre
mondiale, avec le « tournant libéral » qui a été pris dans la plupart de ces pays à partir de
la fin des années 1970 et du début des années 1980.
– Les instruments auxquels l’État peut recourir pour atteindre les objectifs assignés aux
politiques mises en œuvre sont également très variés. Cela va du contrôle de l’émission
monétaire au budget de l’État, en passant par la réglementation, les nationalisations ou
privatisations des entreprises, la prospective et la planification, l’adoption d’une législa-
tion sociale et l’adaptation de celle-ci à des conditions nouvelles, la mise en place d’un
système de protection sociale et son adaptation à l’évolution des besoins de la société et à
l’apparition de problèmes nouveaux, etc. Le « tournant libéral » évoqué ci-dessus à propos
des objectifs des politiques économiques s’est également traduit dans l’évolution de la
gamme des instruments de politique économique mobilisés par les États, avec la mise en
désuétude de certains instruments (abandon, par exemple, de l’encadrement du crédit) et,
a contrario, le recours accru à d’autres (par exemple, renforcement de la régulation desti-
née à préserver le caractère concurrentiel des marchés).
Si la définition et la mise en œuvre des politiques économiques et sociales telles qu’on les
a définies sont avant tout l’affaire de l’État central, celui-ci n’en est cependant pas le seul
acteur. On a ainsi pu dire à propos de la politique économique qu’elle est le résultat d’« un
compromis » (Thomas, 1990, p. 7) réalisé entre différentes parties prenantes.
Parmi les agents qui concourent, avec l’État central proprement dit, à la définition et à la
mise en œuvre des politiques économiques et sociales, ou qui sont du moins capables d’in-
fluer sur ces politiques, il faut évoquer plus spécifiquement :
1) les banques centrales, auxquelles est confiée la conduite de la politique monétaire et
qui, dans nombre de pays, sont devenues indépendantes de l’État proprement dit, la
création de la Banque centrale européenne (BCE) étant l’illustration la plus récente et
la plus nette de cette évolution ;
2) les diverses collectivités locales (communes, agglomérations, départements, régions)
dont le rôle en matière d’action économique et d’action sociale s’est accru en France
avec les lois de décentralisation de 1982-1983 puis de 2004 ;
3) les groupements professionnels (confédérations patronales, organisations agricoles)
qui animent souvent des structures et institutions aux prérogatives économiques non
négligeables, comme c’est le cas en France pour les chambres de commerce et d’indus-
trie et les chambres d’agriculture, et qui disposent de moyens humains et financiers et
de réseaux d’influence susceptibles d’être mobilisés pour obtenir du gouvernement
qu’il adopte (ou renonce à) certaines mesures ;
4) les syndicats patronaux et de salariés qui jouent souvent un rôle essentiel en ce qui
concerne l’adaptation des dispositifs de protection sociale existants, la mise en place
de nouveaux dispositifs, l’élaboration d’une nouvelle législation sociale…, ou qui, à
l’opposé, sont susceptibles dans certains cas de faire obstacle à la mise en œuvre de

12 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


mesures décidées par l’État ;
5) les associations de consommateurs ou d’usagers, susceptibles d’exercer dans certains
cas un véritable « contre-pouvoir » et d’influer ainsi sur certaines dimensions de la po-
litique économique et sociale de l’État3 ;
6) les groupes de pression agissant auprès des pouvoirs publics pour la défense des inté-
rêts spécifiques de certaines catégories d’agents économiques.
Même s’il doit pour cela composer parfois avec d’autres agents, la capacité à conduire des
politiques économiques et sociales constitue de nos jours un attribut essentiel de l’État.
Il n’en a cependant pas toujours été ainsi. C’est le résultat d’une lente évolution histo-
rique du rôle de l’État, par laquelle celui-ci s’est progressivement transformé d’État « gen-
darme » ou « circonscrit » en État « providence » ou « social ».

II - L’évolution historique du rôle de l’État


L’intervention active de l’État dans la vie économique et sociale du pays fait débat. Depuis
Adam Smith et sa parabole de « la main invisible »4, les économistes libéraux soutiennent
en effet que l’État doit s’en tenir essentiellement, voire exclusivement, à l’exercice de ses
fonctions régaliennes, alors que, depuis l’entre-deux-guerres, les théoriciens hétérodoxes,
et plus particulièrement ceux du courant keynésien, se sont au contraire attachés à légi-
timer une intervention plus ou moins étendue de l’État dans la vie économique et sociale
des nations.
Quoi qu’il en soit de ce débat, cette intervention de l’État dans la vie économique et so-
ciale du pays n’en est pas moins en France une tradition ancienne remontant, pour certains
aspects, à l’Ancien Régime. Elle s’est affirmée comme un phénomène majeur à partir de
l’entre-deux-guerres et plus encore après la Seconde Guerre mondiale. L’État s’est ainsi
transformé d’État « gendarme » en État « providence », cette transformation traduisant
le passage du capitalisme à une nouvelle étape de son processus historique de développe-
ment. Ce mouvement a pu paraître un temps irréversible. Tel n’est cependant pas le cas.
Dans le contexte de la crise économique et sociale durable qui a débuté alors, les années
1970 ont en effet marqué l’amorce d’un tournant fondamental qui s’est confirmé depuis
avec l’affirmation d’un puissant mouvement de libéralisation contestant et limitant de
manière multiforme le rôle que l’État jouait jusque-là dans la vie économique et sociale
du pays.
En France, les premières manifestations de l’intervention de l’État dans la vie économique
remontent à l’Ancien Régime. Le pouvoir royal s’est arrogé très tôt le monopole de l’émis-
sion de la monnaie (le pouvoir de « battre monnaie »). L’État prend en charge la construc-
tion d’infrastructures (routes, ponts et canaux, etc.) et organise le service des postes. C’est
3 Par exemple : rôle des associations de consommateurs en matière de réglementation des pratiques commerciales, de la
concurrence ; rôle des associations de malades en matière de prise en charge de certaines affections par le système de
santé ; rôle des associations humanitaires et caritatives en matière d’action sociale.
4 Selon cette parabole, c’est en agissant conformément à ce que lui dicte son intérêt personnel que chaque individu contribue
en fait à la réalisation du bien-être général. Tout se passe comme si une « main invisible » orientait, à leur insu, les actions
des agents économiques privés de sorte que, sous l’effet de la concurrence qu’ils se font les uns les autres, les individus,
guidés dans leurs actions par la seule considération de leur intérêt personnel, concourent à la réalisation du bien-être
général, l’expression des égoïsmes individuels se résolvant dans une harmonie universelle.

Introduction générale 13
également lui qui, sous l’impulsion de Colbert, est à l’origine de la création des « manu-
factures royales » (manufactures de draps fins à Abbeville, manufactures de tapisseries aux
Gobelins, manufactures de Sèvres…). Il intervient aussi en faveur du développement du
commerce (création de la Compagnie des Indes, mise en place d’assurances pour les négo-
ciants...). Il s’arroge également le monopole de la production du tabac, des allumettes et
des poudres et crée l’Imprimerie nationale. Son intervention dans le domaine social est par
contre plus restreinte. Les formes socialisées d’organisation des soins, les hôpitaux ou hô-
tels-Dieu, l’aide aux vieillards et aux indigents sont le quasi-monopole de l’Église, laquelle
est également en charge de l’état civil. Le pouvoir royal se préoccupe cependant très tôt
d’organiser et réglementer ce que l’on désigne aujourd’hui comme le marché du travail.
C’est par ailleurs à Colbert que l’on doit la mise en place du premier système de retraite
(au bénéfice des marins).
La Révolution, puis l’Empire, s’inscrivent de ce point de vue plus en continuité de l’Ancien
Régime qu’en rupture. La Révolution fait sauter le carcan juridique des réglementations et
privilèges issus de l’Ancien Régime et met en place un nouveau cadre juridique libéral qui
sera perfectionné par l’Empire. Mais les formes anciennes de l’intervention de l’État dans
l’activité économique du pays évoquées ci-dessus ne sont pas remises en cause. Bien plus,
dans le contexte particulier des guerres de la Révolution puis de l’Empire, l’État initie des
pratiques dirigistes (contrôle des approvisionnements, contrôle du commerce extérieur,
organisation de l’industrie de l’armement, etc.) qui seront ensuite abandonnées mais qui
anticipent sur les pratiques auxquelles il recourra plus d’un siècle plus tard à l’occasion de
la Première Guerre mondiale.
Tout au long du XIXe siècle, l’action de l’État est cependant globalement plutôt conforme
aux préceptes libéraux énoncés dès le XVIIIe siècle par les grands théoriciens qui ont jeté les
bases de la pensée économique libérale, et en particulier les classiques anglais (A. Smith,
D. Ricardo, J. S. Mill) et français (J.-B. Say). L’État se consacre principalement à l’exercice
de ses fonctions régaliennes. C’est bien alors un État « gendarme » ou « circonscrit » (De-
lorme, 2002).
Il joue néanmoins déjà un rôle relativement important en matière économique avec : le
contrôle de la monnaie par l’intermédiaire de la Banque de France, créée à l’initiative de
Napoléon ; la protection des marchés nationaux par l’établissement de droits de douane ;
la réalisation d’infrastructures (routes, canaux, chemins de fer : création en 1831 d’un mi-
nistère des Travaux publics, rôle moteur dans la construction du réseau national de voies
ferrées, plan Freycinet de 1879) ; la réglementation du travail (fixation de la durée légale
du travail, législation concernant le travail des femmes et des enfants, etc.). Parallèlement,
il étend progressivement son intervention en matière d’éducation, avec l’adoption de la
loi du 28 juin 1833 sur l’enseignement primaire, imposant aux communes de rémunérer un
instituteur et de scolariser gratuitement les enfants pauvres, puis des lois Ferry sur l’école
sous la IIIe République. Il intervient également en matière sociale avec les débuts d’une
législation sur la protection sociale et la santé publique : loi de 1849 sur l’institution des
sociétés de secours mutuel, loi de 1850 sur les logements insalubres, loi de 1851 modifiant
le fonctionnement des hôpitaux et hospices, loi du 15 juillet 1893 sur l’assistance médicale
gratuite, loi du 1er avril 1898 sur la mutualité, loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail,
loi du 14 juillet 1905 relative aux « vieillards, infirmes et incurables »…
Il faut souligner que, sous la IIIe République, l’intervention économique de l’État est pour
partie dictée par le souci de préserver certains équilibres sociaux au sein de la nation fran-

14 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


çaise (défense de la paysannerie, de l’artisanat et de la petite entreprise), avec en particu-
lier l’adoption des tarifs douaniers protecteurs, dits tarifs Méline, de 1892.
La Première Guerre mondiale se traduit par l’instauration d’une économie de guerre carac-
térisée par un développement considérable de l’intervention de l’État : contrôle du com-
merce extérieur et des mouvements de capitaux, contrôle des changes, réquisition d’usines
travaillant pour l’armement, contrôle de la qualité des productions dans les branches liées
à l’armement et à l’équipement militaire… Les dépenses publiques qui représentaient
12 % du PIB avant la guerre progressent fortement pour s’élever à 27 % du PIB en 1920.
Parallèlement, l’État accroît ses moyens financiers en créant l’impôt sur le revenu. Cette
économie de guerre sera rapidement démantelée après la fin des hostilités, les dépenses
publiques revenant, en 1930, en pourcentage du PIB, à leur niveau de 1870, sous l’effet de
la politique d’assainissement des finances publiques conduite par Raymond Poincaré dans
les années 1920. Un premier seuil a néanmoins été franchi. Durant les années 1920, l’État
va ainsi accroître son intervention en matière financière (création de la Caisse nationale
de Crédit agricole, chargée d’accorder des prêts bonifiés aux agriculteurs, et du Crédit
national, destiné à financer la reconstruction) et dans l’industrie (création en 1924 de la
Compagnie du Rhône, société d’économie mixte spécialisée dans la production d’électri-
cité d’origine hydraulique). Il prolonge parallèlement son intervention en matière sociale
avec l’adoption de la journée de 8 heures, la création du ministère de la Santé en 1920…
Les décrets Poincaré de 1920, instituant les régies administratives, les sociétés d’économie
mixte et introduisant la notion d’établissement public industriel et commercial (EPIC), vont
par ailleurs permettre aux communes ou aux syndicats de communes d’exploiter certains
services à caractère industriel et commercial tels que, par exemple, la distribution publique
de gaz et d’électricité et de jeter ainsi les bases des futurs services publics « à la Française ».
La grande crise des années 1930 marque une nouvelle étape. Confronté à une crise éco-
nomique et sociale d’une gravité exceptionnelle, l’État amplifie et diversifie son interven-
tion : renflouement d’entreprises en difficulté (dont des banques) ; premières nationalisa-
tions (Banque de France en 1936, Compagnie générale transatlantique, chemins de fer en
1937) et création d’Air France en 1933 ; mise en œuvre de programmes de grands travaux
destinés à lutter contre le chômage (plan Marquet de 1934) ; création d’instruments de
régulation de certains marchés (création de l’Office national interprofessionnel du Blé en
1936) ; renforcement de la législation du travail (loi sur les 40 heures, instauration des
congés payés) ; lois du 5 avril 1928 et du 30 avril 1930 instaurant un dispositif d’assurances
sociales pour les salariés du commerce et de l’industrie, loi du 11 avril 1932 sur les alloca-
tions familiales…
Avec les grandes réformes progressistes de la Libération et des années de l’immédiate
après-guerre, une troisième étape, décisive, est franchie. Le rôle de l’État dans la vie éco-
nomique et sociale du pays est désormais sans commune mesure avec ce qu’il avait été
auparavant. L’État « gendarme » s’est transformé en État « providence ». Dans le contexte
spécifique des « Trente Glorieuses », un véritable consensus idéologique et politique s’est
réalisé au sein de la nation française sur la légitimité et la nécessité d’une intervention
accrue de l’État dans la vie économique et sociale du pays. Cette intervention, multiforme,
est animée d’une volonté modernisatrice qui est alors celle d’une large fraction de la haute
fonction publique (les « grands commis » de l’État républicain). L’État contrôle désormais

Introduction générale 15
directement une part significative de la production nationale de biens et services mar-
chands, les nationalisations de 1945-1946 ayant fortement étendu son champ d’action. Il se
dote, avec la comptabilité nationale, le plan, le contrôle de l’essentiel du système financier
et les différentes composantes de sa politique structurelle, de moyens qui lui permettent
d’orienter le développement économique de la nation dans le sens souhaité par les pou-
voirs publics. Il organise et réglemente les marchés, et en particulier le marché du travail
avec l’adoption des lois sur les conventions collectives en 1950 ainsi que l’institution, la
même année, du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG). Il organise la pro-
tection sociale des individus et la redistribution d’une part importante du revenu national
avec la création de la Sécurité sociale. Il organise et développe les grands services publics
chargés de répondre à des besoins jugés fondamentaux par la société : éducation, santé,
culture, recherche scientifique, etc. À l’aide de la politique conjoncturelle, il s’efforce de
réaliser le « réglage fin » de la conjoncture économique par une combinaison appropriée
de ses deux composantes majeures que sont la politique budgétaire et la politique moné-
taire. Il met également en œuvre, de manière systématique mais évolutive dans le temps,
des politiques diversifiées de type structurel (politiques industrielle, agricole, énergétique,
d’aménagement du territoire, etc.) par lesquelles il s’efforce d’organiser l’activité écono-
mique nationale, d’impulser et d’orienter son développement en faisant prévaloir une
régulation étatique suppléant la régulation par les marchés ou la complétant.
Au cours des années 1980 s’amorce un changement très net d’orientation. Dès les années
1970, le débat à propos de l’État, de son organisation et de son fonctionnement, de sa
place et de son rôle dans la vie économique et sociale de la nation, débat qui n’avait en
fait jamais cessé depuis la Seconde Guerre mondiale mais s’était déroulé jusque-là sur un
mode relativement mineur, a pris une ampleur nouvelle. Débat stimulé par le processus de
construction européenne impliquant par lui-même un réexamen et pour partie une redé-
finition des missions de l’État national et de ses domaines d’intervention. Ce débat devint
directement politique avec l’opposition frontale entre un courant libéral, réunissant les
diverses forces politiques regroupées dans la majorité appuyant le Président Valéry Giscard
d’Estaing, élu en 1974, et les diverses composantes de la gauche, initialement signataires
d’un programme commun de gouvernement, lequel prévoyait au contraire une nouvelle
et considérable extension du rôle de l’État comme élément de réponse à la crise écono-
mique et sociale qui frappait le pays depuis les premières années de la décennie 1970. Il fut
tranché, dans un premier temps, avec l’élection de François Mitterrand à la Présidence de
la République en 1981, dans le sens souhaité par les partisans du renforcement de l’action
de l’État.
Mais il en est allé tout autrement dans le monde anglo-saxon où les thèses libérales se
sont au contraire clairement imposées avec l’accession au pouvoir de Margaret Thatcher
comme Premier ministre de Grande-Bretagne et l’élection de Ronald Reagan à la Prési-
dence des États-Unis. Cette vague libérale, partie des pays anglo-saxons, a atteint la France
avec le tournant symbolique de la « rigueur » pris en 1982-1983. Le consensus idéologique
et politique réalisé au cours des Trente Glorieuses à propos de l’État et de son rôle moteur
dans la vie économique et sociale du pays a ainsi commencé à se défaire.

Cette vague libérale qui n’a cessé ensuite de s’étendre s’est traduite en France, comme
dans la plupart des autres pays capitalistes développés qu’elle a fini par submerger, par :

16 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


1) la privatisation de nombreuses entreprises publiques du secteur concurrentiel et même
de certains services publics ; 2) la déréglementation des marchés (marchés des capitaux,
des transports, des télécommunications, de l’énergie...) ; 3) la libéralisation du marché du
travail associée à la remise en cause de certains acquis des salariés (suppression de l’au-
torisation administrative de licenciement, réintroduction du travail de nuit des femmes,
tentative (avortée) d’instituer un SMIC jeune, développement du travail précaire avec la
légalisation de l’intérim, les contrats à durée déterminée, le temps partiel imposé et, plus
récemment, le contrat nouvelle embauche (CNE) ou la tentative de créer le contrat pre-
mière embauche (CPE) ; 4) les réformes successives de certaines composantes du système
de protection sociale (allongement de la durée de cotisation pour l’ouverture des droits à
la retraite, réformes de la Sécurité sociale…).
On assiste parallèlement, en France comme dans l’ensemble des autres pays capitalistes dé-
veloppés, à une réorientation en profondeur de la politique économique. La légitimité et
l’efficacité des politiques conjoncturelles discrétionnaires mises en œuvre par l’État en fonc-
tion de la conjoncture économique et de ses choix politiques font l’objet de critiques de la
part de nombreux théoriciens libéraux : M. Friedman et le courant monétariste, R. Lucas,
R. Barro et les autres théoriciens de la Nouvelle économie classique (NEC), A.Laffer et les
autres théoriciens de l’économie de l’offre. Critiques qui sont relayées et popularisées par les
médias ainsi que par les représentants de forces économiques organisées ayant un intérêt di-
rect à la redéfinition du rôle et des modalités d’intervention de l’État dans la vie économique
nationale. Dans ce contexte théorique et idéologique nouveau, la politique économique
conjoncturelle se transforme. Après la forte poussée de l’inflation, de la fin des années 1960
au début des années 1980, la politique économique conjoncturelle est désormais axée sur
la « maîtrise de l’inflation », au détriment de la recherche du plein-emploi. Parallèlement,
la politique monétaire, conçue comme l’instrument privilégié de la lutte contre l’inflation,
et dont la conduite dans les pays formant la zone euro a été confiée à la Banque centrale
européenne qui est statutairement indépendante des pouvoirs publics des États-membres
et des institutions politiques de l’Union européenne, prend nettement l’ascendant sur la
politique budgétaire. Cette dernière voit au demeurant ses marges de manœuvre sensible-
ment réduites du fait, d’une part, de l’endettement croissant de l’État qui, en France comme
dans nombre d’autres pays développés, augmente la charge du service de la dette auquel
est consacrée une fraction accrue des recettes du budget et, d’autre part, de l’obligation de
respecter les règles qu’impose le Pacte de stabilité et de croissance en matière de gestion des
finances publiques. La délégitimation de l’intervention de l’État et la contestation de son
efficacité affectent également la politique structurelle. L’intérêt d’une régulation étatique
de l’activité économique, s’articulant à la régulation par les mécanismes de marché, est ou-
vertement contesté par de nombreux théoriciens libéraux et responsables politiques. Ceux-ci
opposent à cette régulation étatique les vertus et l’efficacité proclamées de la régulation
par les marchés, et prônent en conséquence le désengagement de l’État ainsi qu’une « libé-
ralisation de l’économie ». Il s’agit de redonner aux marchés, supposés fondamentalement
efficients, le rôle moteur dans l’allocation des ressources, la répartition des revenus et des
richesses et la régulation de l’activité économique d’ensemble. En conséquence, les seules
politiques structurelles considérées comme légitimes sont celles qui consistent pour l’État
à libéraliser l’économie et à redonner aux marchés « rendus à leur fonctionnement concur-
rentiel » le rôle central, voire pour certains exclusif, dans la régulation de l’activité écono-

Introduction générale 17
mique. Il s’agit de libéraliser les conditions de l’offre, de stimuler les initiatives individuelles,
d’accroître la quantité de facteurs de production disponibles et d’en rationaliser l’utilisation.
Cette contestation de l’intervention de l’État n’épargne pas les politiques sociales. Si la
nécessité de préserver l’existence du système de protection sociale mis en place pendant
les Trente Glorieuses n’est généralement pas (ouvertement) contestée, l’exigence de son
adaptation au contexte contemporain est par contre affirmée avec force. Le ralentisse-
ment durable de la croissance économique, limitant objectivement la possibilité d’aug-
menter les dépenses de la protection sociale, la mondialisation, intensifiant la concurrence
entre les territoires et faisant de la compétitivité des firmes le vecteur essentiel de la crois-
sance économique, et l’évolution démographique (et plus spécifiquement le vieillissement
de la population) sont mis en avant par nombre de théoriciens, responsables politiques et
représentants du monde des affaires pour justifier une restructuration de la protection
sociale faisant une certaine place au jeu de la concurrence et aux mécanismes de marché
dans son organisation et sa régulation. Parallèlement, ont déjà été entreprises diverses
réformes qui visent essentiellement à mieux contrôler et en fait à limiter la croissance des
dépenses sociales du pays.
Le discrédit qui frappe aujourd’hui l’action de l’État et la délégitimation de son interven-
tion dans la vie économique et sociale du pays ne sont cependant peut-être pas définiti-
vement acquis. Pour certains auteurs, le balancier, après avoir été très loin dans le sens
de la contestation de l’État-providence, aurait commencé à revenir en arrière. D’autant
qu’après deux décennies de libéralisation de l’économie mondiale, les limites du processus
et les risques qu’il fait courir apparaissent de plus en plus explicitement. L’éclatement de
la bulle spéculative de la « nouvelle économie », puis la succession des « affaires » (Enron,
Worldcom…), qui a clairement fait apparaître que la logique du profit à tout prix peut
déboucher sur des pratiques frauduleuses de « créativité comptable » aboutissant à la mise
en faillite des entreprises, à des licenciements massifs et à la perte de leurs droits sociaux
par les salariés, et, plus récemment, encore l’éclatement de la crise des subprimes, ont mis à
jour les graves dysfonctionnements d’une économie libéralisée, livrée à ce que certains ont
dénoncé comme la « dictature des marchés ». Parallèlement, et en contradiction avec la
thèse libérale selon laquelle « de moindres interventions de l’État favoriseraient toujours
et partout l’efficacité économique » (Fitoussi, 2004, p. 49), il apparaît que « les sociétés les
plus solidaires ne sont pas, loin s’en faut, les moins performantes » (id. p. 50). Tout cela,
selon certains auteurs, justifierait non seulement de préserver la capacité d’action de l’État
mais également de chercher à la renforcer et à la rendre plus efficace5. La question du rôle
de l’État et des politiques qu’il est capable de mettre en œuvre au plan économique et so-
cial demeure donc d’une totale actualité et d’une très grande importance pour l’ensemble
des individus qui composent la collectivité sociale.
Ce sont donc ces politiques que l’on va s’attacher à décrire et à expliciter dans cet ouvrage.
Celui-ci est structuré en trois parties.
5 C’est ainsi que « l’idéologie de l’État minimal fait aujourd’hui place à une réhabilitation du rôle de l’État ». On reconnaît
que « celui-ci est capable non seulement de défendre l’ordre public, la propriété privée et le respect des contrats mais aussi
de créer un environnement favorable à la croissance : développement d’un réseau de transports et de communications,
formation d’une main-d’œuvre de qualité, etc. » (Moatti, 2004, p. 43). Après avoir repris à son compte les critiques libéra-
les les plus dures à l’encontre de l’État, la Banque mondiale en reconnaît désormais « le rôle central (...), non seulement
pour encadrer l’ordre marchand mais aussi pour pallier les défaillances du marché et corriger ses effets redistributifs »
(id., p. 43).

18 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


La première partie est consacrée à l’examen du contexte dans lequel s’inscrit aujourd’hui
l’action de l’État en matière économique et sociale.
Ce contexte reste pour nombre de pays, dont la France, celui de la crise économique du-
rable, qualifiée par certains auteurs de « structurelle » ou même de « systémique », qui
s’est amorcée au cours des années 1970, voire pour certains analystes dès la fin des années
1960, et dont la vive inflation qui a prévalu jusqu’au début des années 1980 (chapitre
I) et le chômage de masse qui persiste encore aujourd’hui (chapitre II) sont deux mani-
festations emblématiques. Si l’inflation paraît maîtrisée, la crainte de sa résurgence n’en
reste pas moins très présente dans les esprits des responsables de la politique monétaire
européenne qui continuent à mettre cette dernière au service quasi exclusif de la maîtrise
durable de l’évolution des prix. Quant au chômage de masse, il demeure en France une
réalité incontournable qui pèse lourdement sur la vie économique et sociale du pays et qui
justifie une intervention diversifiée de l’État, destinée à le résorber. Ces deux déséquilibres
majeurs de l’économie ont profondément conditionné la conduite de la politique écono-
mique et en particulier de la politique conjoncturelle dans les pays capitalistes développés
au cours des trois dernières décennies.
Ce contexte, c’est aussi celui de la mondialisation (chapitre III), qu’impulsent les firmes mul-
tinationales et les grandes organisations internationales comme le FMI, la Banque mon-
diale ou l’OMC, et de l’ensemble des processus qui l’accompagnent : libéralisation, finan-
ciarisation des économies des grands pays capitalistes développés, émergence de nouvelles
puissances économiques… Dans la diversité de ses formes, commerciales, productives et
financières, la mondialisation bouleverse les équilibres géoéconomiques antérieurs. Elle
conditionne fortement la capacité d’intervention de l’État dans la vie économique et so-
ciale du pays et influe directement sur la définition des objectifs qui lui sont assignés et
ses modalités. Depuis les années 1980, et encore plus depuis les années 1990, les politiques
économiques, conjoncturelle et structurelle, sont ainsi de plus en plus contraintes par l’affir-
mation de ce processus de mondialisation et des différentes évolutions qui l’accompagnent.
La seconde partie est consacrée à l’étude des différentes facettes de la politique écono-
mique de l’État. On donnera dans le chapitre IV un aperçu d’ensemble du budget de l’État
qui, dans la France contemporaine, alors que l’État a perdu totalement le contrôle de la
politique monétaire, devenue pour l’ensemble de la zone euro la compétence exclusive de
la BCE, représente le principal moyen d’action économique et sociale de l’État. On exami-
nera ensuite successivement la politique budgétaire (chapitre V), la politique monétaire
(chapitre VI) et la politique économique structurelle (chapitre VII). On explicitera les pro-
cessus et modalités de chacune de ces politiques tout en s’attachant à mettre en évidence
leurs portée et limites spécifiques dans le contexte, essentiel pour la politique mise en
œuvre par l’État français, de la construction européenne, laquelle ajoute à la mondiali-
sation ses propres contraintes pour la définition et la conduite par l’État de sa politique
économique6.
La troisième partie sera consacrée à l’étude des politiques sociales. Au fur et à mesure qu’il
se désengage volontairement de certaines formes d’interventions économiques (privatisa-
tion des entreprises nationales, démantèlement de certains services publics, abandon de la
planification…) et qu’il transfère certaines de ses prérogatives et compétences en matière

6 Allant, comme on l’a déjà évoqué, jusqu’à le dessaisir purement et simplement de ses prérogatives anciennes dans le cas
de la politique monétaire.

Introduction générale 19
économique à l’échelon européen, ces politiques sociales tendent à devenir le principal
point d’application du pouvoir d’intervention de l’État dans la vie économique et sociale
du pays. Les chapitres VIII et IX passeront en revue ces différentes politiques (politique des
retraites et de la protection contre le risque vieillesse-survie, politique de la santé, poli-
tiques familiales, de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, politique de l’emploi), ce qui
permettra d’avoir un aperçu d’ensemble des problèmes auxquels est confronté aujourd’hui
le système de protection sociale d’un pays développé comme la France, des tensions qu’il
subit, des évolutions qu’il connaît déjà et est appelé à connaître dans l’avenir (chapitre X).

20 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


le contexte contemporain de
l’action économique et sociale
de l’État : déséquilibres
économiques et mondialisation
Première partie

Au cours des trois décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, les pays occiden-
taux développés, et en particulier l’Europe et le Japon, ont bénéficié d’une croissance
économique particulièrement soutenue1. Dans des économies nationales qui demeuraient
alors encore relativement peu ouvertes aux échanges internationaux, l’accroissement de
la productivité du travail, lié à un rythme d’investissement soutenu permettant la moder-
nisation de l’appareil productif et à l’extension des méthodes d’organisation taylorienne
et fordienne du travail, a atteint un rythme annuel moyen qui n’avait jamais été observé
par le passé sur une période aussi longue. Ces gains de productivité ont permis une pro-
gression simultanée des salaires réels et des profits, ce qui a soutenu l’augmentation de la
consommation des ménages et de l’investissement productif des entreprises, élargissant
ainsi les débouchés ouverts à une production elle-même croissante. Ce cercle vertueux, qui
fut à la base de la série des « miracles économiques » allemand, français, italien et japonais
des Trente Glorieuses, a permis à ces pays d’atteindre l’objectif de plein-emploi ou de quasi
plein-emploi cher aux keynésiens, avec cependant le plus souvent pour contrepartie une
certaine inflation.
Au cours de cette période, la conviction s’est progressivement imposée que l’État disposait
d’outils d’action économique suffisamment performants et fiables pour être en mesure
d’assurer la pérennité de la croissance et de garantir ainsi le plein-emploi, tout en mainte-
nant l’inflation dans des limites globalement acceptables. Quitte à ce que se succèdent des
phases d’accélération de la croissance pendant lesquelles le plein-emploi s’accompagnait
d’une poussée d’inflation et des phases de ralentissement du rythme de l’activité au cours
desquelles le retour à une inflation plus modérée s’accompagnait d’une certaine hausse
conjoncturelle du chômage. Selon les théoriciens du courant keynésien de la « synthèse »
et, avec eux, nombre de responsables politiques qu’ils influençaient, les deux déséquilibres
économiques que sont l’inflation et le chômage représentaient en fait les termes d’une
1 Tandis que les pays du Sud demeuraient à la traîne et que les écarts se creusaient entre les pays les plus riches et les plus
pauvres et qu’émergeaient successivement dans la littérature économique diverses appellations pour désigner ces derniers :
tiers-monde, pays sous développés, pays en voie de développement (PVD), pays en développement (PED).
alternative, comme le suggère la courbe de Phillips2, selon laquelle le taux de chômage
et le taux d’inflation évoluent en relation inverse l’un de l’autre. Dans ces conditions, une
politique active de soutien de l’activité et l’amélioration consécutive de la situation de
l’emploi devraient s’accompagner, en contrepartie, d’une certaine poussée de l’inflation.
Inversement, une politique destinée à ralentir le rythme de l’expansion afin de peser sur
l’inflation devrait se traduire par une certaine montée du chômage.

Cependant, dès la seconde moitié des années 1960, la belle mécanique d’une croissance
économique durablement soutenue, assurant sur moyenne et longue périodes un niveau
d’emploi satisfaisant, a commencé à se gripper. Des signes de déséquilibre sont apparus :
l’inflation s’est accélérée tandis que le chômage commençait à augmenter. C’étaient là
des signes annonciateurs de la crise durable qui allait faire entrer les grands pays indus-
trialisés dans une longue période de difficultés dont ils sont encore loin d’être tous sor-
tis, comme en attestaient, avant même l’éclatement de la crise des subprimes, les piètres
performances des plus grandes économies de l’Europe continentale (Allemagne, France,
Italie) et du Japon.

C’est au cours de la décennie 1970 que s’effectue le basculement, ponctué par les deux
chocs pétroliers de 1973 et de 1979 et les crises économiques conjoncturelles particulière-
ment sévères qui les ont accompagnés. Lors de la crise économique de 1974-1975, nombre
de spécialistes et de responsables politiques ont estimé que les difficultés que traversaient
alors les pays occidentaux développés, largement imputées au « choc pétrolier » suscité
par le quadruplement du prix du pétrole brut, seraient passagères et qu’il fallait y voir en
quelque sorte les « turbulences d’une économie prospère », pour reprendre le titre d’un
ouvrage publié alors (Friedman, Classen et Salin, 1978). Les années passant et les diffi-
cultés persistant et s’accumulant, l’évidence s’est cependant progressivement imposée :
l’économie des pays capitalistes développés était entrée dans une phase de crise écono-
mique durable, « structurelle », ou même pour certains « systémique », ponctuée de crises
conjoncturelles, telles que celles de 1974–1975 et de 1981–1982, particulièrement fortes,
se démarquant par leur intensité des simples récessions économiques qu’avaient connues
ces pays aux cours des décennies 1950 et 1960.
De la fin des années 1960 au tout début de la décennie 1980, cette crise durable s’est
traduite dans les pays occidentaux industrialisés par une très nette accélération de l’in-
flation parallèlement à une forte montée du chômage, en contradiction donc avec les
enseignements de la courbe de Phillips. Alors qu’en 1965, le taux d’inflation des pays de
l’OCDE était de 4 % et le taux de chômage de 2,8 %, en 1975, le premier passait à 11 %
et le second à 5 %. Selon le terme qui fut alors forgé par les économistes pour caractériser
cette configuration inédite, l’économie des pays occidentaux développés devait désormais
faire face à la stagflation, combinant chômage et inflation. Dans un premier temps, dans
la plupart de ces pays, les pouvoirs publics ont privilégié l’action contre le chômage par le
développement de politiques de soutien de l’activité, inspirées des préceptes keynésiens
qui avaient fait leurs preuves par le passé. Cela n’a cependant pas permis d’enrayer l’irré-
sistible montée du chômage, tandis que l’inflation s’emballait pour atteindre des niveaux
record à la fin des années 1970 et au tout début des années 1980.
2 Du nom de l’économiste néo-zélandais qui l’a présentée dans son étude de 1958 : A. W. PHILLIPS [1958], « The Relation
Between Unemployment and the Rate of Change of Money Wages Rates in the UK, 1861-1957 », Economica, novembre.

22 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Mais, face à ce qui a pu être considéré comme un échec des politiques de régulation
conjoncturelle d’inspiration keynésienne, et alors que les thèses néoclassiques et libérales
amorçaient un retour en force qui n’a cessé depuis de se confirmer, dès la fin des années
1970 aux États-Unis et en Grande-Bretagne, puis ensuite dans tous les grands pays ca-
pitalistes industrialisés, les pouvoirs publics responsables de la conduite de la politique
économique ont opéré un très net changement de cap. La lutte contre l’inflation est de-
venue l’objectif prioritaire des politiques économiques conjoncturelles. Le mouvement de
désinflation qui s’ensuivit, favorisé également par le contre-choc pétrolier de 1986, a été
spectaculaire. Par contre, le chômage a continué de progresser dans pratiquement l’en-
semble des pays de l’OCDE jusqu’à la fin des années 1980 puis, au-delà, dans certains pays
encore, comme la France ou l’Allemagne, où la maîtrise de l’inflation s’est accompagnée
de la persistance d’un chômage de masse qui mine la société en profondeur.
Aujourd’hui, si le chômage est incontestablement le principal problème économique et
social auquel sont confrontés nombre de pays membres de l’Union européenne, la maî-
trise durable de l’inflation demeure néanmoins une préoccupation très forte des pouvoirs
publics et des autorités monétaires. C’est au demeurant l’objectif central, pour ne pas dire
exclusif, assigné à la Banque centrale européenne (BCE) qui a la charge de la gestion de
la monnaie et de la conduite de la politique monétaire au sein de la zone euro. Sa résur-
gence, toujours possible3, est appréhendée comme une menace majeure pour la stabilité
de ces économies et leur capacité de croissance : menace qu’il importe donc absolument
de prévenir. Menace d’autant plus sérieuse pour nombre d’analystes et de responsables de
la conduite de la politique monétaire au sein de la zone euro que le rythme de l’inflation
conditionne directement la compétitivité de chaque économie nationale dans un contexte
caractérisé par l’affirmation, depuis les années 1980, du processus de mondialisation.
Cette mondialisation, à la fois commerciale, productive et financière, modifie en profon-
deur les conditions dans lesquelles l’État peut intervenir dans la vie économique de la
nation. Pour un pays comme la France, elle aboutit objectivement à limiter la maîtrise
de l’État sur l’évolution de l’économie nationale et sa capacité d’intervention en matière
économique et financière, comme l’actualité en apporte régulièrement la preuve. Les nou-
velles orientations qui prévalent dans l’ensemble de la zone euro et en France en matière
de politique économique conjoncturelle (recherche de l’équilibre budgétaire, stratégie
de désendettement, maîtrise de l’inflation), comme en matière de politique économique
structurelle (déréglementation, libéralisation, privatisations, renoncement à la politique
industrielle..), ont assurément directement partie liée avec elle, même si elle ne suffit pas,
bien entendu, à tout expliquer. Mais c’est encore à cette mondialisation que théoriciens
ou responsables politiques se réfèrent pour établir la nécessité de réformer le système
de protection sociale et d’infléchir les politiques sociales dans un sens globalement plus
restrictif. Ce sont donc au total les diverses composantes de la politique économique et so-
ciale de l’État qui se trouvent fortement affectées par l’affirmation, semble-t-il irréversible,
de cette mondialisation.

3 Comme en a attesté la nette accélération de la hausse des prix au sein de la zone euro du milieu de l’année 2007 au
milieu de l’année 2008.

Partie 1 – Le contexte contemporain de l’action économique et sociale de l’État 23


les déséquilibres
de l’économie : l’inflation
CHAPITRE 1

La manière dont le prix d’un bien s’établit sur le marché diffère selon la configuration de ce
dernier (concurrence pure et parfaite, sous réserve de l’existence effective d’un tel marché,
monopole, oligopole, etc. : cf. tome 1, chapitre VII). Cependant, quel que soit le type de mar-
ché considéré, une modification des conditions de production et de l’offre du bien corres-
pondant ou des conditions qui régissent la demande de ce bien doit finalement se traduire
par une variation du prix destinée à traduire le nouvel état du marché1. Dans des économies
soumises à des changements continus, tant du côté de la production des biens, avec en parti-
culier le rôle majeur du progrès technique, que du côté de la demande (changement dans les
modes de vie, apparition de nouveaux besoins, etc.), comme le sont les économies des pays
développés contemporains, il est donc inéluctable que les prix qui s’établissent sur les diffé-
rents marchés varient dans le temps. Selon les circonstances, ces variations de prix devraient
pouvoir correspondre à des hausses ou à des baisses de prix et différer d’un marché à l’autre,
dans la mesure où les changements dans les conditions de production et/ou de demande
peuvent être eux-mêmes très différents selon les biens et services considérés.
De telles variations des prix sont la traduction d’un fonctionnement normal des mar-
chés et font partie intégrante du processus de régulation d’une économie de mar-
ché. Elles fournissent aux agents économiques privés des indications concernant la
situation des différents marchés et le sens dans lequel ils doivent éventuellement
s’adapter aux évolutions qui s’y manifestent. La hausse du prix d’un bien peut être,
par exemple, l’indice de ce que le rapport entre l’offre et la demande qui s’expri-
ment sur le marché a évolué dans le sens d’une augmentation de la seconde par rap-
port à la première, signalant ainsi aux producteurs qu’il est souhaitable d’accroître
leur production et donc leur offre du bien ; et inversement pour une baisse de prix.
De ces variations des prix qui se produisent de manière spécifique et différenciée sur
les marchés des divers biens et services, il faut distinguer les mouvements qui affectent
1 Cela ne signifie pas que la détermination des prix résulte en quelque sorte mécaniquement du jeu de la « loi de l’offre et
de la demande ». Pour une réflexion critique stimulante à propos de cette loi, on pourra se reporter à : COMBENMALE P.
[2003], « La ‘loi’ de l’offre et de la demande explique-t-elle la formation des prix ? », Les Cahiers français, n° 315, juillet-
août, p. 13-17.
simultanément la totalité ou la plupart des prix qui se forment sur les différents marchés :
l’inflation, la désinflation et la déflation.
L’inflation correspond à une hausse continue du niveau général des prix2, ce qui ne signifie
cependant pas que tous les prix augmentent au même rythme (cf. infra). Elle a en règle gé-
nérale un caractère cumulatif et autoentretenu, en ce sens que la hausse des prix se diffuse
dans l’ensemble de l’économie par le biais, en particulier, des relations interindustrielles
et que la hausse des prix d’une année induit, du fait des comportements des agents éco-
nomiques qui y sont confrontés, la poursuite, voire l’accentuation, de cette hausse l’année
suivante. Son rythme peut varier dans le temps, tout comme il peut différer selon les pays
considérés au cours d’une même période. Elle peut prendre la forme d’une inflation « ram-
pante », la hausse annuelle du niveau général des prix n’excédant alors pas en moyenne 3
à 5 %, comme ce fut le cas en France pendant une bonne partie des années 1950 et 1960.
Mais elle est susceptible, dans certaines circonstances, de devenir incontrôlable et de dégé-
nérer en hyperinflation, comme celle qu’a connue l’Allemagne au lendemain de la Première
Guerre mondiale, ou celle qu’ont connue dans les années 1970, ou plus récemment encore,
certains pays en développement du Sud3.
Elle n’implique cependant pas une hausse proportionnelle de tous les prix. Sur la longue
période, l’inflation correspond en fait à des hausses très variables des différents prix. Elle
s’accompagne donc le plus souvent d’une variation des prix relatifs4. À titre d’illustration,
de 1945 à 2000, en France, les prix des produits alimentaires ont été multipliés en moyenne
par 10, ceux des produits industriels par 8, ceux des services par 23 et les loyers par 40.
Comme l’a montré J. Fourastié, ces différences traduisent pour partie les écarts dans les
rythmes de croissance de la productivité en longue période dans les secteurs d’activité
concernés. En règle générale, ce sont en effet les secteurs d’activité où les gains de pro-
ductivité sont les plus importants qui connaissent la hausse des prix la plus faible. À cela
s’ajoute que les prix des services sont largement conditionnés par l’évolution des salaires
(les coûts de main-d’œuvre constituant une part prépondérante des coûts de production
dans les services), alors que le salaire minimum a été multiplié par 40 entre 1945 et 20005.
Elle peut aller de pair avec une hausse plus ou moins régulière et soutenue de la produc-
tion, comme ce fut le cas dans les pays industrialisés de l’inflation rampante des décennies
1950 et 1960, mais il n’en est pas nécessairement toujours ainsi.
La déflation est, à l’opposé de l’inflation, un mouvement de baisse du niveau général des
prix, qui s’accompagne le plus souvent d’une contraction de l’activité économique. C’était
2 Inflation vient du latin inflatio qui signifie enflure. À l’origine, le mot était utilisé pour désigner une hausse abusive de la
quantité de papier-monnaie (Goux, 1998, p. 7).
3 Nombre d’auteurs, à la suite de Phillip Cagan (1956), s’accordent à reconnaître qu’il y a hyperinflation dès lors que le taux
mensuel de hausse du niveau général des prix dépasse les 50 %. Les exemples historiques d’hyperinflation sont nombreux
et variés. Le plus souvent cité est celui de l’Allemagne où les prix furent multipliés par 1 000 milliards de 1914 à 1923, la
hausse la plus forte intervenant la dernière année (Jacoud, 1997, p. 19) : un dollar qui s’échangeait contre 400 marks,
en mars 1922, s’échangeait contre 7 260 marks en janvier 1923 et … 4 200 milliards de marks fin novembre 1923. Mais,
plus récemment, certains pays ont connu des taux d’inflation gigantesques avec, par exemple, un taux d’inflation de
313 000 000 % en janvier 1994 pour l’ex-Yougoslavie (id., p. 45). Plus récemment encore, au Zimbabwe, le taux d’inflation
annuel atteignait, en juillet 2007, 7 634,80 % (Le Monde, 28-08, 2007).
4 Soient deux biens X et Y, le prix relatif du bien X est le rapport du prix de ce bien X sur le prix du bien Y.
5 On a déjà souligné (tome 1, chapitre III) que, sur la période de l’après-Seconde Guerre mondiale, les rythmes de croissance
respectifs de la productivité du travail dans l’agriculture et l’industrie ont été sensiblement supérieurs à ceux enregistrés
dans les services, ce qui se reflète dans la moindre croissance des prix des produits alimentaires et industriels relativement
à celle des prix des services.

26 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


l’un des traits caractéristiques des crises économiques cycliques que subissait à intervalle
relativement régulier l’économie des pays industrialisés jusque l’entre-deux-guerres : à
titre d’exemple, les prix en France baissèrent de 12 % entre 1929 et 1932.

Elle peut avoir, comme l’inflation, un caractère cumulatif et autoentretenu, enfermant alors
l’économie dans un cercle vicieux aux conséquences économiques et sociales redoutables.
D’une part, dès lors que les prix baissent, les ménages sont incités à retarder, si cela est pos-
sible, l’acquisition de certains biens de consommation et/ou la réalisation de leurs investis-
sements en logement, dans l’attente de nouvelles baisses des prix qui augmenteraient leur
pouvoir d’achat, ce qui comprime les débouchés des entreprises. D’autre part, la baisse des
prix se traduit pour certaines entreprises par une contraction de leurs marges bénéficiaires,
réduisant ainsi leur capacité à investir et leur incitation à le faire. Cette pression sur l’investis-
sement se conjugue avec celle qui s’exerce sur la consommation pour comprimer la demande
globale. Confrontées à cette évolution défavorable de la demande globale, les entreprises
sont contraintes de s’adapter en réduisant éventuellement leur production, en licenciant du
personnel et en distribuant donc moins de revenus, ce qui pérennise d’une autre manière la
baisse de la consommation globale des ménages.
Nombre d’auteurs, comme Knut Wicksell (1851-1926) ou Irving Fisher (1867-1947), ont de-
puis longtemps souligné les effets négatifs de la déflation, diminution en valeur absolue
des prix et des revenus, dont ils montrent qu’elle engendre la récession et le chômage. Ces
auteurs soulignent en particulier que la baisse des prix et des revenus nominaux accroît
mécaniquement le poids réel des dettes, avec l’alourdissement de la charge réelle que repré-
sentent pour le débiteur le paiement des intérêts et le remboursement des dettes6, ce qui
peut se traduire par l’impossibilité pour les débiteurs d’en assumer la charge. Cela aboutit à
mettre en difficulté les entreprises endettées les plus fragiles, débouchant sur des faillites et
cessations d’activités, avec les effets en chaîne qui en résultent : licenciement des salariés et
baisse de la masse salariale pesant négativement sur la consommation globale des ménages.
Cela conduit également à la contraction des nouveaux crédits qui influe négativement sur
la partie de la consommation et de l’investissement financés par le recours à l’endettement.
La désinflation correspond à une réduction progressive, plus ou moins marquée, du rythme
de l’inflation, à l’image de ce qu’a connu la France à partir de 1983. Survenant après un
épisode inflationniste plus ou moins aigu, elle traduit en quelque sorte le retour progressif
à la normale. Elle peut être spontanée ou résulter d’une politique délibérée avec, dans les
deux cas, le souci des pouvoirs publics d’éviter qu’elle ne se transforme en déflation, en
raison des risques majeurs que cette dernière fait courir à l’économie nationale.
Dans ce chapitre, consacré plus spécifiquement à l’inflation, on commencera par la carac-
tériser en précisant, en particulier, comment elle se mesure par le biais des indices de prix
et en donnant un aperçu de ses manifestations au cours du siècle écoulé (Section 1). On
cherchera ensuite à en identifier les causes essentielles en présentant les diverses explica-
tions qui en sont proposées par la théorie économique contemporaine (Section 2). L’exa-
men de ses diverses conséquences permettra de mieux comprendre pourquoi les pouvoirs
publics, en Europe, ont fait de son contrôle et de sa limitation un objectif prioritaire de la
politique économique conjoncturelle, ce qui a contribué à l’affirmation, à partir du début
des années 1980, d’un mouvement très marqué de désinflation (Section 3).

6 Comme l’explique Irving Fisher (1933, p. 172), « chaque dollar de dette encore impayé devient un dollar plus lourd ».

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 27


Section 1 : L’inflation : mesure et évolution
L’inflation, telle qu’elle a été définie, se mesure à l’aide d’indices de prix dont on suit l’évo-
lution dans le temps. En France, parmi l’ensemble des divers indices de prix que calculent
les services statistiques du pays, c’est l’indice des prix à la consommation qui joue le rôle
central dans la mesure de l’inflation (§ 1).
Alors que les prix avaient évolué en longue période au cours des siècles passés en faisant
alterner de longues phases de hausse et de longues phases de baisse du niveau général de
prix, l’inflation s’est imposée de manière quasiment ininterrompue tout au long du XXe
siècle au travers de fréquentes variations de rythme. Les deux dernières décennies du siècle
ont cependant marqué une évolution très nette, avec l’affirmation d’un mouvement de
désinflation qui s’est amorcé dès 1982 et a inauguré une période de relative maîtrise de
l’inflation. Celle-ci s’est prolongée jusqu’en 2007, mais sa pérennité fait l’objet d’interroga-
tions alors que se sont manifestées de nouvelles tensions inflationnistes (§ 2).

paragraphe 1 : la mesure de l’inflation

L’inflation est mesurée statistiquement à partir d’indices de prix permettant de retracer de


manière synthétique l’évolution des prix d’un nombre plus ou moins grand de biens et ser-
vices de consommation finale (A). La qualité de la mesure dépend bien entendu de la com-
position de l’indice retenu (quels biens et services entrent dans la composition de l’indice ?),
du mode de pondération des prix des différents biens et services composant l’indice et de la
fiabilité des relevés de prix effectués par les services statistiques. On devine aisément que la
question de la qualité de l’indice est loin d’être anodine. Les indices de prix peuvent en effet
être utilisés pour déterminer l’évolution de certains revenus, dans le cadre d’éventuelles
politiques d’indexation de ces revenus sur les prix. En tout état de cause, le taux d’inflation
conditionne directement l’évolution du pouvoir d’achat des ménages (B).

A – L’indice des prix à la consommation


En France, l’indice auquel se réfère actuellement l’INSEE pour mesurer l’inflation est l’indice
des prix à la consommation (IPC) qui est calculé mensuellement. Cet indice, mis en place en
1999 (base 100 en 1998), mesure l’évolution des prix de 305 postes de dépenses, regroupés
en 12 grandes fonctions, qui entrent dans la consommation des ménages français. De ma-
nière plus précise, il couvre « la consommation finale effective marchande monétaire des
ménages », avec un taux de couverture de 95,2 %, les défauts de couverture concernant
les services hospitaliers privés, les jeux de hasard, l’assurance-vie, les activités associatives
et une partie de l’action sociale. Chacun des 305 postes de dépenses est pondéré par la
part que ce poste occupe dans la consommation moyenne des ménages français (tableau
1.1), la pondération étant ajustée chaque année pour tenir compte des modifications qui
interviennent dans la structure de la consommation des ménages. Cet indice traduit donc
la manière dont évoluent les prix de l’ensemble des biens et services marchands qui corres-
pondent à la consommation moyenne de l’ensemble des ménages français.

28 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Tableau 1 .1
Indice des prix à la consommation pour l’ensemble des ménages en 2007
Moyenne Glissement
Pondération annuelle De déc .à
Fonction de consommation
2007 2007 / 06 déc .2007 / 06
% %
Ensemble (y c . tabac) 10 000 1,5 2,6
Ensemble (hors tabac) 9 824 1,5 2,5
Alimentation, boissons non alcoolisées 1 503 1,5 3,2
Boissons alcoolisées et tabac 333 1,9 4,0
Habillement et chaussures 519 0,6 0,7
Logement, chauffage, éclairage 1 367 3,0 4,3
Meubles, équipement ménager,
627 1,1 1,1
entretien maison
Santé 997 0,4 0,3
Transport 1 651 2,4 6,1
Communications 295 -0,9 0,4
Loisirs et culture 911 -1,7 -1,9
Éducation 24 2,4 -1,3
Hôtellerie, cafés, restaurants 662 2,8 2,8
Autres biens et services 1 136 2,2 2,0
Sources : Tableaux de l’économie française, 2007, mise à jour 28-08, 2008.

Le tableau 1.2 montre, sur un exemple numérique simplifié, la manière dont l’indice est
calculé7.
Il est supposé, dans cet exemple, que la consommation du ménage moyen se réduit à 5
biens ou services distincts (une unité ou un kilo de chacun de ces biens et services) qui
constituent les différents postes de l’indice. Pour chacun de ces biens ou services, son prix
unitaire pour la première et la seconde années ainsi que la quantité de ce bien ou service
qui entre dans la consommation du ménage moyen au cours de la première année sont
connus. À partir de ces données, il est possible de déterminer :
• le coefficient budgétaire qui correspond à chacun de ces cinq postes de dépenses pour
la première année (t1). Exemple de calcul : la dépense totale du ménage moyen s’élève
à 60 euros, le coefficient budgétaire du premier poste est donc 17/60 = 28,33 % ;
• l’indice simple du prix au cours de la seconde année (t2) de chaque bien ou service pour
une base 100 de l’indice correspondant au prix de la première année. Pour le premier
poste, cet indice est de 17,5/17 = 102,94.
Chacun des indices simples de prix pour la seconde année est ensuite pondéré par le coef-
ficient budgétaire pour la première année du poste de dépense correspondant. L’addition
des indices simples de chacun des postes ainsi pondérés donne l’indice synthétique des prix
pour la seconde année, soit : 103,95.

7 L’exemple correspond au calcul d’un indice de type indice de Laspeyres (cf. infra encart) dans lequel les coefficients bud-
gétaires retenus pour le calcul de l’indice composite sont ceux de l’année de base t1.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 29


Le taux d’inflation d’une année se calcule à partir de l’indice selon la formule suivante :
Indice de t – indice de t-1
Taux d’inflation de l’année t = --------------------------------------- X 100
Indice de t-1
Exemple : si l’indice est passé de 245 à 261 entre l’année t-1 et l’année t, le taux d’inflation
est égal à (261 – 245) / 245 = 6,53 %.

Tableau 1 .2

Exemple de calcul de l’indice des prix

Coefficient
1ère année 2e Indice
budgétaire [a] x [b]
(t1) année (t2) simple [a]
en t1 [b]
1 kg de viande 17 euros 17,5 euros 102,94 28,33% 29,16
1 kg de pâtes 2 euros 2,11 euros 105,5 3,33% 3, 51
1 cinéma 8 euros 8,35 euros 104,5 13,33% 13, 93
1 chemise 20 euros 20,3 euros 101,5 33,33% 33, 83
1 disque 13 euros 14,12 euros 108,61 21,66% 23,52
Indice des prix à la consommation en t2, base 100 en t1 103,95

L’évolution de l’IPC dans le temps peut être exprimée de deux manières différentes. L’évo-
lution de l’IPC d’une année sur l’autre est dite en glissement lorsque l’on rapporte l’indice
d’un mois donné à celui du mois correspondant de l’année précédente. L’évolution de l’IPC
est dite en moyenne annuelle quand on rapporte la valeur moyenne de l’indice pour une
année donnée à sa valeur moyenne pour l’année précédente.
La divergence éventuelle entre l’évolution en moyenne et l’évolution en glissement traduit
un changement dans le rythme de l’inflation. Si la croissance de l’indice en moyenne est su-
périeure à celle de l’indice en glissement, cela traduit une décélération de l’inflation. Inver-
sement, si la croissance de l’indice en moyenne est inférieure à la croissance de l’indice en
glissement, cela traduit une accélération de l’inflation. Le tableau 1.1 présente, outre les
pondérations pour l’année 2007 des différents postes de dépenses qui entrent dans l’IPC,
l’évolution, en moyenne annuelle, de 2006 à 2007, et en glissement, de décembre 2006 à
décembre 2007, de l’indice des prix qui correspond à chacun de ces postes de dépenses.
La hausse de l’indice d’une année sur l’autre recouvre une très grande variété d’évolution
des prix des différentes catégories de biens et services pris en compte pour le calcul de
l’indice. Le tableau 1.3 en donne un aperçu en pointant les hausses et les baisses de prix en
glissement de divers biens et services qui se sont produites entre 2006 et 2007. Il montre
également, comme déjà souligné, que, telle qu’elle est mesurée par l’évolution de l’IPC,
l’inflation va de pair avec des baisses de prix qui peuvent être très importantes d’une an-
née sur l’autre pour certaines catégories de biens.

30 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Tableau 1 .3
Quelques hausses et baisses de prix entre 2006 et 2007
Hausses Déc . 2007 / 06 Baisses Déc . 2007 / 06
Combustibles li- Equipements photo
+ 28,4 - 16,3
quides et cinéma
Equipements
Carburants + 15,5 - 13,3
audio-visuels
Volaille + 9,7 Appareils de lavage - 5,4
Lait et crèmes + 8,7 Appareils de cuisson - 4,3
Equipement de sport,
Tabac + 6,2 - 2,5
de camping et loisirs
Assainissement + 5,6 Poissons et crustacés - 2,2
Eau chaude, vapeur Produits
+ 5,4 - 2,0
et glace pharmaceutiques
Fruits frais + 5,0
Champ : France métropolitaine et DOM
Sources : INSEE, Tableaux de l’Economie française, 2007, mise à jour 28-08, 2008.

Parallèlement à l’IPC, l’INSEE publie un indice établi en excluant le prix du tabac de son
calcul, conformément à la loi du 18 janvier 1992 qui stipule qu’à partir du 1er janvier 1992
« toute référence à un IPC pour la détermination d’une prestation, d’une rémunération,
d’une dotation ou de tout autre avantage s’entend d’un indice ne prenant pas en compte
le prix du tabac »8.
Outre celui du tabac, les prix de certains biens et services pris en compte dans le calcul de
l’IPC dépendent de facteurs qui peuvent être considérés comme exogènes au fonction-
nement d’ensemble de l’économie nationale et sont susceptibles de connaître des fluc-
tuations importantes à court terme (produits frais qui subissent l’impact des variations
climatiques, énergie comme le pétrole dont le prix se fixe sur un marché mondial). D’autres
peuvent résulter de décisions politiques (tarifs des services publics). C’est pourquoi l’INSEE
mesure à côté de l’inflation proprement dite « l’inflation sous-jacente » qui est calculée
hors tarifs publics et tabac et hors « produits volatiles » (produits frais, énergie). À titre
d’exemple, en juillet 2008, en glissement annuel, cette inflation sous-jacente était de 2 %
seulement, alors que l’inflation proprement dite, mesurée par l’IPC, était de 3,6 %, l’écart
entre ces deux mesures de l’inflation étant dû en particulier à la hausse du prix de l’énergie
(18,5 % en glissement annuel) et des produits alimentaires (6,4 % en glissement annuel).

L’IPC mesure l’évolution des prix subie par un ménage moyen dont le panier de biens
demeure inchangé entre deux dates successives, la qualité des biens qui entrent dans le
panier étant supposée demeurer constante. En conséquence, si la qualité d’un bien se mo-
difie entre les deux dates de calcul de l’indice, le prix de ce dernier pris en compte dans l’in-
dice en est affecté. Si, par exemple, un ordinateur est remplacé par un autre plus puissant
mais vendu à un prix inchangé, l’IPC va enregistrer cette amélioration de la qualité du bien
comme une baisse du prix. Inversement, si un bien est remplacé par un autre de moindre
8 Le prix du tabac est directement conditionné par les taxes prélevées par l’État. Il a fortement augmenté au cours des
dernières années par suite des hausses successives de ces taxes, destinées à accroître les ressources fiscales de l’État tout
en tentant de réduire la consommation de tabac.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 31


qualité mais à prix constant, l’IPC enregistrera cela comme une hausse du prix de ce bien9.
L’IPC ne suffit pas à lui seul à traduire l’évolution de l’ensemble des prix. D’autres indices
existent donc à côté de l’indice des prix à la consommation, comme l’indice du coût de la
construction qui servait jusqu’en 2007 d’indice de référence pour l’indexation des loyers.
L’INSEE calcule également l’indice du niveau des prix du PIB, ou déflateur du PIB, qui
correspond au rapport du PIB nominal au PIB en volume10. Il calcule aussi l’indice des mé-
nages urbains dont le chef est employé ou ouvrier. Cet indice se distingue de l’IPC par le
jeu des pondérations associées aux différents postes de dépenses, pour tenir compte des
particularités du budget de ces ménages par rapport à celui de l’ensemble des ménages
(par exemple, part légèrement plus importante des dépenses consacrées à l’alimentation,
et plus encore au logement, dans le budget total et, à l’opposé, part un peu plus faible
des dépenses pour la santé, les loisirs…). C’est cet indice (hors tabac) qui est utilisé pour
l’indexation du SMIC.
Depuis mars 1997, l’INSEE calcule en outre un indice des prix à la consommation harmonisé
(IPCH), en base 100 en 1996, qui est utilisé par la Banque centrale européenne (BCE), avec
les IPCH calculés par les autres pays de l’Union européenne, pour calculer un IPCH pour l’en-
semble de l’Union européenne et un pour la zone euro, ce dernier servant de référence à
la BCE pour la détermination de sa politique monétaire (cf. infra, chapitre V). L’IPCH calculé
pour la France est différent de l’IPC proprement dit, son champ étant celui de la dépense de
consommation finale monétaire des ménages11. À titre d’exemple, sa hausse en juillet 2008,
en glissement annuel, a ainsi été de 4,0 %, contre 3,6 % pour la hausse de l’IPC.

Les indices de prix


Un indice permet de déterminer la manière dont la valeur d’une grandeur évolue dans le temps, ici un
ou plusieurs prix. Ainsi, l’évolution entre l’année t1 (période de base) et l’année t2 du prix d’un bien quel-
conque sera mesurée par un indice simple de ce prix, défini comme le rapport, multiplié par cent, du
prix du bien en t2 sur le prix du bien en t1.

Exemple : le prix du bien X est de 140 en t1 et de 157 en t2. Il vient : I t2 / t1 = (157 / 140) x 100 = 112,
ce qui veut dire que, pour une valeur 100 en t1, l’indice du prix du bien est passé à 112 en t2, soit une
hausse de 12 %.

L’indice simple dont il vient d’être question ne concerne que le prix d’un seul bien. Pour se faire une idée,
même approximative, de la manière dont évolue ce que l’on désigne habituellement comme le niveau
général des prix, il est nécessaire de calculer un indice synthétique qui est une moyenne pondérée d’un
ensemble d’indices simples. Pour cela, il faut prendre en compte l’évolution des prix de différents biens
et services (plus le nombre de biens et services dont les prix sont retenus pour le calcul de cet indice syn-
thétique est élevé et mieux ces biens et services sont choisis, plus l’indice sera représentatif) et pondérer
le prix de chaque bien et service par la part que celui-ci représente dans la consommation de l’ensemble
des biens et services retenus dans l’indice. Cet indice synthétique se définit alors comme le rapport :

9 Selon l’INSEE, pour l’année 2003, les divers « ajustements de qualité » effectués pour calculer l’indice ont eu un impact à
la baisse sur l’indice « d’environ 0,3 % sur le glissement annuel » (Insee Références, L’économie française 2007).
10 Les pourcentages de variation des prix sont déterminés pour chaque catégorie de produits. L’indice correspond à
la moyenne pondérée de ces variations en prenant comme coefficient de pondération la part respective de chaque
catégorie de produits dans le PIB.
11 La principale différence avec l’indice des prix à la consommation nationale tient dans le traitement de la protection
sociale et de l’enseignement (Tableaux de l’économie française, 2006, p. 116)

32 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


∑ pi t2. qi
I t2/t1 = ---------------------- x 100
∑ pi t1 . qi

Dans cette expression, pi désigne le prix du bien i, i allant de 1 à n, et qi la quantité consommée du bien
i ou l’indice de pondération correspondant à la quantité consommée du bien.

Pour que l’indice ainsi défini ne mesure que la seule évolution des prix, il est nécessaire que la quantité
consommée de chaque bien qui apparaît au numérateur et au dénominateur soit la même, en sorte que
la différence entre le numérateur et le dénominateur du rapport ne tienne qu’à l’évolution du prix des
biens entre t1 et t2. Selon que cette quantité est celle de l’année t2 ou celle de l’année de base t1, l’indice
est un indice de Paasche ou un indice de Laspeyres12 :
∑ pi t2 . qi t2
Indice de Paasche : P t2/t1 = -------------------------- x 100
∑ pi t1 . qi t2

∑ pi t2 . qi t1
Indice de Laspeyres : L t2/t1 = -------------------------- x 10013
∑ pi t1 . qi t1
Il est également possible de combiner ces deux indices en calculant un indice de Fisher14 qui est égal à
leur moyenne géométrique, c’est-à-dire à la racine carrée du produit des deux indices.

L’indice des prix à la consommation calculée par l’INSEE est un indice de Laspeyres qui est publié en base
100 en 199815.

B - Le taux d’inflation et le pouvoir d’achat des ménages


L’évolution de l’IPC qui permet de mesurer l’inflation ne donne pas nécessairement une
mesure exacte de l’évolution du pouvoir d’achat des différentes catégories de ménages,
le pouvoir d’achat se définissant comme la quantité (le panier) de biens et services qu’un
ménage peut acquérir avec son revenu disponible brut, compte tenu des prix auxquels se
vendent ces biens et services16. Le problème soulevé ici provient de ce que l’IPC calcule le
taux d’inflation sur la base de la structure de consommation moyenne de l’ensemble des
ménages. Or la structure de consommation des ménages varie en fonction de différents
critères, et en particulier le niveau absolu de leur revenu disponible brut. Et, selon la struc-

12 Hermann Paasche, économiste allemand (1851-1925) ; Étienne Laspeyres, économiste et statisticien allemand (1834-1913).
13 Dans cet indice, qui est le plus souvent utilisé, la pondération affectée à la hausse des prix de chaque bien ou service est
donc celle de l’année de départ ; d’où une distorsion croissante au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’année de base.
14 Irving Fisher, économiste américain : 1867-1947.
15 Mais, comme cela a déjà été indiqué, l’INSEE modifie chaque année les pondérations attribuées aux différents postes
de consommation, afin de pouvoir tenir compte au plus près des modifications qui interviennent dans la structure de la
consommation des ménages. De ce fait, les pondérations des différents postes, et donc la base de calcul de l’indice, sont
modifiées chaque année en décembre.
16 En comptabilité nationale, le pouvoir d’achat de l’ensemble des ménages se mesure comme le revenu disponible brut des
ménages corrigé de la hausse des prix telle quelle est appréhendée par l’IPC. Le revenu disponible brut se définit comme
la somme des revenus d’activité (salaires et traitements bruts des ménages, bénéfices des entrepreneurs individuels),
des revenus du patrimoine (dividendes, intérêts et loyers), des prestations sociales en espèces (retraites, indemnités de
chômage, allocations familiales, minima sociaux…) et de certains transferts (en particulier, indemnités d’assurance nettes
de primes) dont sont déduits les impôts directs et les cotisations sociales payés par les ménages (cf. tome 1, chapitre I).
Ainsi défini, le pouvoir d’achat des ménages français s’est accru de 3,4 % par an en moyenne, entre 1998 et 2002, puis
de 1,9 % par an en moyenne entre 2003 et 2006 (Insee Références, L’économie française 2007).

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 33


ture de leur consommation, les ménages peuvent subir une hausse des prix qui est, selon
le cas, supérieure ou inférieure au taux d’inflation tel que le calcule l’IPC. Si, par exemple,
la consommation d’un ménage donné contient des biens et services dont la hausse des prix
est forte, en proportion plus importante que ce n’est les cas pour l’ensemble des ménages,
ce ménage subira un taux d’inflation effectif et, par conséquent, une baisse de pouvoir
d’achat supérieurs à ce qu’indique l’IPC.
En conséquence, pour tenir compte de la diversité de situations des ménages, l’INSEE cal-
cule des indices de prix catégoriels mesurant l’évolution des prix subie par diverses ca-
tégories de ménages, différenciées en fonction, par exemple, du niveau du revenu du
ménage, de la catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage, de sa tranche d’âge,
de la taille de la commune de résidence, etc. Ces indices catégoriels se différencient de
l’IPC par la pondération accordée aux différents postes de consommation, les indices
de prix élémentaires des différents postes de consommation demeurant ceux de l’IPC.
Il ressort de la comparaison de ces indices catégoriels qu’il existe des différences signifi-
catives d’exposition des ménages à l’inflation selon le niveau de revenu. Ainsi, pour la
période de janvier 1999-décembre 2006, l’indice des prix catégoriel du dixième décile (les
10 % de ménages les plus pauvres) a augmenté en moyenne annuelle de 1,63 % (contre
une hausse de 1,53 % pour l’ensemble des ménages), tandis que l’indice catégoriel du 10e
décile (les 10 % de ménages les plus riches) n’augmentait que de 1,44 %. La hausse des
prix a donc été en moyenne plus forte pour les plus pauvres et moins forte pour les plus
riches, une part importante de ces écarts provenant, selon l’INSEE, du poids du tabac (dont
le prix a augmenté de 56 % entre 2001 et 2006) dans les différents budgets. La hausse
des prix a de même été plus forte pour les habitants des communes rurales (1,59 % par
an en moyenne sur la période) que pour ceux de l’agglomération parisienne (hors Paris)
(1,46 %), la plus forte inflation subie par les ménages ruraux provenant principalement de
la hausse des prix des produits pétroliers, dans la mesure où les habitants de ces communes
sont plus dépendants de leur véhicule personnel pour se déplacer et doivent souvent effec-
tuer des déplacements plus longs pour accéder à certains services17.
Ces différences de structure des dépenses des ménages selon le niveau de leur revenu dis-
ponible brut, la catégorie socioprofessionnelle à laquelle ils appartiennent, ou encore leur
lieu d’habitation (communes rurales versus grandes agglomérations urbaines), alors que le
rythme de l’inflation varie selon les produits, a pour conséquence que certains groupes de
ménages peuvent avoir, à juste titre, le sentiment que le taux d’inflation est supérieur à ce
que mesure l’IPC et que l’évolution de leur pouvoir d’achat en est affectée.
Au-delà est soulevée la question de l’éventuel décalage, mis en évidence par les enquêtes
d’opinion spécialisées, entre l’inflation ressentie par les ménages et l’inflation mesurée

17 Le Bureau d’Information et de Prévision Économique (BIPE) a par ailleurs établi que l’inflation « touche (...) plus dure-
ment les chômeurs et les ouvriers que les cadres, les professions intermédiaires et les chefs d’entreprises » (Problèmes
économiques, n° 2916, 31 janvier 2007, note de la rédaction, p. 11). Selon l’étude réalisée par cet organisme, « Le coût
de la vie des 10 % les plus modestes a en effet augmenté, en 2005, de 0,11 % de plus que pour la moyenne des Fran-
çais » (id., p. 11). Sur la période fin 2000-fin 2005, alors que le taux d’inflation pour l’ensemble des ménages a été de
7,9 %, il a été de 8,9 % pour les chômeurs et 8,5 % pour les ouvriers. Par contre, il a été de 7,4 % pour les ingénieurs et
cadres techniques d’entreprises privées, les artisans et les professions intermédiaires de la fonction publique, 6,9 % pour
les chefs d’entreprises de 10 salariés ou plus, ces catégories socioprofessionnelles ayant « une structure de consomma-
tion plus favorable qui leur permet de bénéficier d’une inflation plus faible », car « le tabac, le carburant et les loyers
pèsent en effet nettement moins dans leur budget que pour les catégories précédentes » (Hébel, 2007, p. 25).

34 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


par l’IPC. Cette question s’est posée avec une particulière acuité lors du passage à l’euro,
les enquêtes concernant la perception de l’inflation par les ménages faisant apparaître,
à partir de janvier 2002, un décalage très important entre l’inflation mesurée par l’IPC et
l’inflation perçue par les ménages. Ce décalage s’explique, en partie, par la manière dont
ont évolué spécifiquement les prix des produits d’usage courant fréquemment achetés par
les ménages. C’est le cas des produits vendus par la grande distribution, dont la part de
marché dans l’alimentation et les autres biens de consommation courante est majoritaire.
Or l’indice des prix dans la grande distribution mis en place par l’INSEE montre que celle-
ci « a clairement anticipé le passage à l’euro en augmentant ses prix quelques mois plus
tôt : de moins de 1 % en 1999, le glissement annuel des prix est passé à près de 6 % en
septembre 2001 » (Insee Références, L’économie française 2007). S’ajoute à cela la hausse
marquée des prix de certains produits entre 2001 et 2006 (fiouls domestiques + 66 %, gaz
de ville + 22 %, supercarburant + 22 %, gaz de GPL + 36 %…)18.
Le sentiment ressenti par les ménages d’une inflation réelle plus forte que celle qui est
mesurée par l’IPC peut également s’expliquer par le poids des « dépenses contraintes »
dans le budget des ménages et l’évolution des prix des biens et services qui leur correspon-
dent. Ces dépenses contraintes, qui sont inélastiques par rapport aux prix (les ménages ne
peuvent s’y soustraire même si les prix des biens et services correspondants augmentent),
comprennent les dépenses alimentaires, de transport, de logement… Selon l’INSEE, elles
représentent en moyenne 40 % des dépenses des ménages français, plus encore pour les
ménages les plus modestes, et leur part est en augmentation. Or les prix des biens et
services qui correspondent à ces dépenses contraintes sont ceux qui ont eu tendance à
augmenter le plus vite au cours des dernières années. À titre d’exemple, entre 2003 et
2006, le prix du fioul domestique a augmenté de 56 % en tout et le prix du logement
(loyer, remboursement des emprunts, charges, taxe d’habitation, assurances…) s’est accru
en moyenne de 7 % par an.

paragraphe 2 : l’évolution des prix au xxe siècle : inflation et


désinflation

L’évolution des prix au XXe siècle a été marquée par la quasi-permanence de l’inflation,
dont les poussées périodiques accompagnent certains événements historiques majeurs
comme la Seconde Guerre mondiale (A). Dans les pays capitalistes développés, comme la
France, les vingt-cinq dernières années ont cependant été marquées par un mouvement
très net de désinflation, qui tranche par son ampleur et sa durée avec les tendances à
l’œuvre depuis le début du XXe siècle (B).

18 Cela étant, il faut souligner que l’évolution du pouvoir d’achat des ménages français en longue période a été fortement
affectée par la crise économique durable ouverte au début des années 1970. Alors que ce pouvoir d’achat avait progressé
en moyenne de 5,7 % par an entre 1959 et 1974, il ne s’est plus accru que de 2,1 % par an entre 1975 et 2006. Par ailleurs,
à une hausse annuelle moyenne de 3,4 % entre 1998 et 2002, a succédé une croissance annuelle de 1,9 % seulement
entre 2003 et 2006. Si l’on tient compte de ce que la taille des ménages tend à augmenter du fait de la croissance
démographique, et si l’on mesure l’évolution du revenu réel par unité de consommation (le premier adulte comptant
pour une UC, le second pour 0,5 UC et chaque enfant de moins de 14 ans pour 0,3 UC), l’augmentation annuelle sur la
période 2003-2006 n’est plus que de 1 %.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 35


A - Le XXe siècle dominé par l’inflation
L’inflation, telle qu’elle a été définie, n’est pas un phénomène nouveau. Il est souvent fait
référence pour illustrer ce point à la forte hausse des prix alimentaires qu’a connu l’empire
romain d’occident à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle de notre ère, ce qui condui-
sit l’empereur Dioclétien à promulguer en 301 l’édit du maximum, punissant de la peine de
mort toute augmentation abusive des prix. Plus près de nous, le XVIe siècle a été marqué
par un mouvement séculaire de hausse des prix. Celle-ci apparut initialement en Espagne
et se propagea dans l’ensemble de l’Europe, en s’accélérant sensiblement au cours de la
seconde moitié du siècle. Elle a pu être imputée à l’afflux massif de métal précieux en pro-
venance des Amériques, qui a suscité un accroissement de la demande de biens et services
que la production de l’époque n’était pas en mesure de satisfaire et une dépréciation du
métal précieux, avec en corollaire la hausse des prix exprimés en or de l’ensemble des
marchandises. Au XVIIe puis au XVIIIe siècle, les prix connaissent des fluctuations avant de
s’engager, à partir des années 1730, dans un mouvement de hausse quasi séculaire qui
s’accentue à la fin du XVIIIe siècle, du moins en France, et se prolonge jusqu’en 1817.
Cette hausse des prix tranche avec l’évolution observée au cours du reste du XIXe siècle,
pendant lequel les prix sont globalement plutôt orientés à la baisse, cette baisse séculaire
étant particulièrement sensible pour les prix des produits manufacturés. Dans le contexte
historique du stade concurrentiel de développement du capitalisme, marqué en particulier
par la présence dans la plupart des branches d’activité d’un grand nombre d’entreprises
de taille relativement modeste, incapables d’exercer individuellement un pouvoir de mar-
ché, et d’un régime de monnaie métallique, les gains de productivité se traduisent par
une baisse des prix des biens. À cette tendance séculaire de baisse des prix se superpose
cependant, du moins pour certains prix à l’image de ce que l’on peut observer parallèle-
ment en Grande-Bretagne et aux États-Unis (graphique 1.1), un mouvement cyclique de
longue durée des prix, dit cycle long Kondratieff19, qui fait alterner des longues phases de
hausse et des longues phases de baisse des prix : hausse des prix jusqu’en 1815/1817, suivie
d’une baisse des prix jusqu’en 1848/1851, à laquelle succède une nouvelle hausse des prix
jusqu’en 1871/187320, suivie d’une nouvelle baisse des prix jusqu’en 1896. À partir de 1896
s’amorce une nouvelle phase de hausse de longue durée des prix, qui se prolonge jusqu’en
1913. À ces évolutions de longue période des prix (tendance séculaire à la baisse et cycle
de longue durée) se superpose un mouvement cyclique de moyenne période des prix lié au
cycle économique conjoncturel (cycle Juglar). Ce dernier est marqué par l’alternance d’une
hausse conjoncturelle des prix, associée à la phase d’expansion du cycle (qui peut s’achever
en « boom inflationniste »), et d’une baisse conjoncturelle des prix, contemporaine de la
crise de surproduction qui fait suite à l’expansion (graphique 1.1).

19 Du nom de l’économiste soviétique N. D. Kondratieff qui a consacré à ce cycle des travaux importants pendant les années
1920. Pour un aperçu d’ensemble concernant le cycle Kondratieff, on peut se reporter à Rasselet (2007b).
20 Au cours de cette période, la hausse est cependant relativement modérée : à la hausse sensible des années 1850 succède
une quasi-stabilité des prix pendant les années 1860, dans laquelle il faut peut-être voir en partie l’impact des accords
de libre-échange signés par la France au début de la décennie 1860.

36 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GRAPHIquE 1 .1
Le mouvement long des prix aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne

Source : DOCKÈS P., ROSIER B. [1983], Rythmes économiques, crises et changement social, une perspec-
tive historique, La Découverte, Maspero, p. 117.

Pour mesurer l’évolution du niveau général des prix sur la longue période au XXe siècle,
on dispose en France des séries de divers indices de prix concernant une gamme de biens
et services qui s’est progressivement élargie en passant d’un indice à l’autre21. Il ressort des
séries correspondantes que l’évolution des prix, depuis le début du XXe siècle, en France
comme dans les autres pays industrialisés, a été caractérisée par l’affirmation d’un mouve-
ment quasi ininterrompu de hausse des prix. C’est ainsi que, sur une base 100 en 1901, l’in-
dice des prix passe successivement à 200 en 1918, 1 000 en 1940, 10 000 en 1948, 100 000
en 1981 et 200 000 en 200022.
L’inflation s’est en fait imposée, depuis la Première Guerre mondiale, comme un phéno-
mène endémique, à l’exception toutefois des épisodes de déflation liés aux crises écono-
miques de 1921-1922 et de 1929-1933. Depuis lors, l’évolution des prix fait alterner des
phases d’accélération et de décélération de l’inflation, comme cela ressort du graphique
1.2. Les prix ont augmenté en moyenne de 30 % par an au cours de la décennie 1940,
dans le contexte de pénurie de l’occupation étrangère puis de la reconstruction de l’après-
guerre que l’on connaît (58 % de hausse en 1948). La hausse est ensuite revenue à une
moyenne annuelle de 6 % pendant les années 1950, avec cependant de fortes variations
de court terme dans le rythme annuel de l’inflation, puis de 4 % pendant la décennie 1960,
avec des fluctuations de court terme beaucoup plus faibles qu’au cours de la décennie pré-
cédente. Au total, l’indice des prix à la consommation a augmenté de 158 % entre 1950
et 1970.
21 Les indices qui ont été calculés successivement depuis 1913 contenaient ainsi : 34 articles (1914-1949), 213 articles (1950-
1956), 250 articles (1957-1962), 259 articles (1963-1970), 296 postes (1971-1992), 266 postes (1993-1998), 305 postes
(depuis 1999).
22 Les prix, qui ont été multipliés par 10 entre 1940 et 1948 et à nouveau par 10 entre 1948 et 1981, l’ont donc été par 2
entre 1981 et 2000.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 37


GrAPhIqUE 1.2
L’évolution des prix au XXe siècle France, taux annuel de croissance des prix à
la consommation

Source : d’après H. Bourachot (2004), p. 549.

Prédomine alors une inflation rampante qui laisse cependant place, à plusieurs reprises, à
des épisodes de poussée de fièvre inflationniste (graphique 1.3) :
• les années 1950-1952 (guerre de Corée qui se traduit par un boom inflationniste aux
États-Unis et une forte augmentation des prix des matières premières), avec des hausses
respectivement de 11,1 % en 1950, 16,9 % en 1951 et 11,8 % en 1952, ce qui aboutit à
la mise en œuvre du plan Pinay de 1952 (blocage des prix, lancement d’un emprunt de
4,3 milliards de francs indexé sur l’or et exonéré des droits de succession, contingente-
ment des importations...) ;
• l’année 1958 (guerre d’Algérie), au cours de laquelle la hausse des prix atteint 15 %, ce
qui conduisit en particulier à la dévaluation du franc, destinée à permettre la résorp-
tion du déficit des échanges extérieurs stimulé par cette hausse des prix, et à la mise en
œuvre d’un nouveau plan Pinay en 1958 (création du franc « lourd » après une dévalua-
tion de 17,5 %, restrictions budgétaires, hausse du taux de l’impôt sur les sociétés qui est
porté à 50 % du bénéfice imposable, augmentation des cotisations sociales) ;
• l’année 1963, au cours de laquelle la hausse des prix, qui avait entre-temps sensiblement
ralenti, remonte à 4,8 %, sous l’effet en particulier d’une forte croissance de la demande
globale, liée au retour des rapatriés d’Algérie en 1962 et 1963 ainsi qu’à une forte aug-
mentation du crédit. En réaction, le gouvernement adopte le « plan de stabilisation »,
ou « plan Giscard d’Estaing », conçu expressément comme un plan de lutte contre l’in-
flation (blocage des prix, restrictions du crédit et des dépenses publiques, création de
nouveaux impôts, emprunt de 2 milliards de francs). Ce plan permettra de ramener très
rapidement la hausse des prix à un niveau plus raisonnable (3,4 % en 1964 et 2,5 % en

38 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


1965), tout en freinant sensiblement la croissance économique ;
• les années 1968 et 1969, au cours desquelles l’inflation s’accélère à nouveau (4,6 % en
1968 et 6,5 % en 1969), ce qui conduit à la mise en œuvre de nouvelles mesures de lutte
contre l’inflation, comparables dans leurs grandes lignes à celles de 1963 (blocage des
prix, dévaluation du franc de 12,5 %, hausse des taux d’intérêt...).

GrAPhIqUE 1.3
Variation annuelle de l’indice des prix à la consommation depuis 1950

Cette poussée de l’inflation à la fin des années 1960 marque en fait le début d’une phase
d’accélération de l’inflation, qui s’amplifie à partir de 1971-1972 et qui va se prolonger
jusqu’au début des années 1980, avec deux pics en 1974 (13,7 %) et en 1980-1981(res-
pectivement 13,6 % et 13,4 %) (graphique 1.3). Cette accélération de l’inflation n’est pas
spécifique à la France. Elle affecte en réalité la plupart des pays occidentaux développés.
Antérieure au premier choc pétrolier qui aggravera la situation, c’est l’une des premières
manifestations de l’entrée de l’économie occidentale dans la crise économique durable du
dernier tiers du XXe siècle. Elle peut être mise en rapport avec différents éléments dont,
en particulier : les difficultés de rentabilisation des capitaux qui se manifestent depuis plu-
sieurs années déjà dans plusieurs pays (dont les États-Unis), la crise du système monétaire
international qui a débuté à la fin des années 1960 et les difficultés qui affectent en corol-
laire certaines monnaies, les tensions qui se font jour sur le partage de la valeur ajoutée, le
financement de la guerre du Vietnam...
Le premier choc pétrolier, qui survient fin 1973 et se traduit par un quadruplement du prix
du pétrole, accentue la pression inflationniste, la hausse des prix atteignant 13,7 % en

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 39


France en 1974 et une moyenne de 13,5 % dans l’ensemble des pays de l’OCDE. Les diverses
mesures de lutte contre l’inflation adoptées en France en 1974 (plan Fourcade : encadre-
ment du crédit, surveillance des prix, augmentation de la pression fiscale), puis en 1976
(1er plan Barre : blocage des prix au 4eme trimestre, limitation de la hausse des prix et des
salaires à une norme de 6,5 % pour 1977, hausses d’impôts) et en 1978 (2ème plan Barre :
liberté des prix industriels, dans l’optique d’un renforcement de la concurrence comme
moyen de limiter les hausses de prix, hausse des tarifs publics et des cotisations sociales)
n’ont eu qu’un impact relativement limité sur l’inflation qui se maintient au voisinage des
10 % jusqu’au second choc pétrolier de 197923. Celui-ci s’accompagne d’une nouvelle pous-
sée de l’inflation que favorise également la hausse du cours du dollar.

B – La désinflation de fin de siècle


Les diverses mesures adoptées en 1982 puis en 1983 (le tournant de la rigueur) amorcent la
mise en œuvre de la politique de désinflation compétitive (ou politique du « franc fort »)
qui sera poursuivie jusque dans les années 1990 (cf. infra). Après la forte poussée de l’in-
flation enregistrée de 1973 à 1982, l’économie française a ainsi connu, à partir de 1983, un
mouvement de désinflation également très marqué, le taux d’inflation passant de 11,8 %
en 1982 à 2,7 % en 1986. La hausse annuelle du niveau général des prix est revenue dans
les limites d’une inflation contenue, de l’ordre de 2 % par an en moyenne depuis le début
des années 1990.
Cette inflation contenue, il faut le souligner, ne signifie pas une hausse limitée, mais uni-
forme, de tous les prix. Elle va en fait de pair avec une hausse marquée mais aussi la baisse
de certains prix, comme cela ressort du tableau 1.3 qui montre comment ont évolué les
prix de divers biens et services entre décembre 2006 et décembre 200724. Mais la hausse
des prix est cependant suffisamment générale pour qu’elle ait une traduction concrète
dans l’augmentation de l’indice représentatif de l’évolution de l’ensemble des prix à la
consommation.
La désinflation qui s’amorce en France à partir de 1982-1983 s’observe également dans la
plupart des pays occidentaux développés. Cette évolution favorable résulte de la conjonc-
tion de différents facteurs : les politiques monétaires restrictives auxquelles vont recourir
les uns après les autres ces pays (cf. infra, chapitre V), le freinage de la croissance, le contre-
choc pétrolier qui fait passer le prix du pétrole de 36 dollars courants le baril en 1985 à 12
dollars en 1986, les politiques de déréglementation et de libéralisation qui vont se traduire
par une intensification de la concurrence sur certains marchés de biens et services et une
évolution du rapport de force sur le marché du travail défavorable aux salariés. Après un
petit rebond à la fin des années 1980, marquées par une reprise de la croissance écono-
mique, l’inflation est revenue, et s’est maintenue ensuite (jusqu’au début de l’année 2007),
à un niveau moyen relativement faible dans la plupart des pays de l’OCDE. De 1998 à 2006,
23 La hausse des prix, amplifiée par le premier choc pétrolier, était un moyen de reprendre aux pays exportateurs de pétrole
une partie de la hausse de pouvoir d’achat que leur avait assuré le quadruplement du prix du pétrole, en leur vendant à
des prix en hausse les produits manufacturés qu’ils se procuraient dans les pays occidentaux développés consommateurs
de pétrole.
24 En moyenne, en France comme dans la zone euro, 40 % des variations annuelles de prix correspondent à des baisses.
Une étude de la Banque de France portant sur 50 produits montre, par ailleurs, que les prix varient plus fréquemment
en France (en moyenne au bout de 8,4 mois) que dans l’ensemble de la zone euro (en moyenne au bout de 13 mois).

40 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


l’inflation mondiale a en moyenne été maintenue globalement dans la limite d’une hausse
annuelle des prix de moins de 2 %.
Divers travaux suggèrent que la désinflation puis la longue période d’inflation contenue
qu’a connues la France (comme l’ensemble des pays de l’OCDE) depuis près de deux dé-
cennies ne sont pas dues seulement à la politique très stricte de lutte contre l’inflation
engagée depuis 1983 puis relayée à partir de la création de la zone euro par la politique
monétaire conduite par la BCE. Elles sont également, pour partie, le résultat de la mon-
dialisation et de la montée en puissance des pays émergents qui en est une caractéris-
tique essentielle. La concurrence entre les entreprises s’est accrue à l’échelle mondiale, les
contraignant à comprimer leurs coûts pour rester compétitives sur des marchés de plus en
plus mondialisés. Les pays émergents (Chine en premier lieu, mais aussi Inde et Brésil) sont
capables de produire une gamme très étendue de biens à des prix très faibles, du fait de
coûts salariaux particulièrement réduits, ce qui permet de s’approvisionner dans ces pays à
des prix plus bas que ceux des produits équivalents fabriqués dans les pays développés. Il
est vrai qu’au cours des dernières années, les prix des matières premières ont globalement
fortement progressé par suite de l’augmentation de la demande provenant des ces même
pays émergents, alors que l’économie mondiale croissait en moyenne à un taux de 5 % par
an. En 2007, l’indice du Commodity Research Bureau concernant une vingtaine de matières
premières avait ainsi pratiquement doublé depuis le début de l’actuelle décennie. L’OCDE
estime néanmoins que, lorsque l’on prend en compte simultanément l’impact des impor-
tations de produits à bas prix en provenance des pays émergents et les hausses résultant
de l’augmentation de la demande de matières premières par ces mêmes pays émergents,
le résultat global a été désinflationniste entre 2000 et 200525.
Cette inflation contenue, que fait apparaître l’évolution de l’indice des prix à la consom-
mation au cours des deux dernières décennies, ne doit cependant pas faire oublier les très
fortes hausses qui affectent certains actifs.
C’est le cas pour l’immobilier dont les prix ont très fortement augmenté depuis la fin des
années 1990, avec, pour la France, une hausse annuelle moyenne de 8,6 % entre 1996 et
2006 (Baverez, 2008, p. 12)26, ce qui a rejailli sur l’évolution des loyers27. Cette hausse des
prix de l’immobilier n’est d’ailleurs pas spécifique à la France. Elle s’observe depuis le mi-
lieu des années 1990 dans l’ensemble de la zone euro ainsi qu’aux États-Unis. Son ampleur
alimente depuis plusieurs années déjà les inquiétudes concernant le développement d’une
25 Selon P. Artus, cette désinflation atteindrait « 0,4 point aux États-Unis, dans la zone euro et au Japon » (Le Monde,
21-06, 2007, p. 14).
26 La hausse de l’indice du prix des logements anciens a été de 92,1 % entre 2000 et 2007 ; tandis que les loyers augmen-
taient pendant la même période de 29,6 % (Le Monde, 9-01-2008, p. 15). Cette forte hausse allant de pair avec une forte
croissance du crédit immobilier.
27 Il faut cependant souligner que la manière dont l’IPC est constitué aboutit à ce que les dépenses de logement y repré-
sentent, en 2006, 13,5 % seulement du total des dépenses des ménages, dont 6,1 % au titre des loyers versés par les
locataires de leur résidence principale ou d’une résidence de vacances, alors même que, dans les comptes nationaux, les
loyers (incluant alors les loyers fictifs imputés aux propriétaires de logement censés se louer à eux-mêmes leur logement
en s’appliquant un loyer conforme aux prix du marché) représentent en 2006 18,6 % de la dépense totale de consom-
mation des ménages. Une comptabilisation de l’ensemble des dépenses de logement des ménages, telle qu’elle ressort
de l’enquête « Logement », incluant les dépenses courantes (loyers nets des allocations logement, charges locatives,
dépenses de chauffage, d’électricité et d’assurance) et les dépenses d’investissement en logement (achat de logements
neufs et grosses réparations), les taxes d’habitation et foncière, les charges liées aux emprunts immobiliers (intérêts et
remboursement du principal) montre par ailleurs que ces dépenses agrégées représentaient en 2005 environ 26 % de
l’ensemble des dépenses des ménages (Insee Référence, L’économie française en 2007).

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 41


nouvelle bulle spéculative immobilière, dont l’éclatement est susceptible d’avoir un impact
très important sur l’économie des pays considérés par le biais, en particulier, des effets de
richesse28.
C’est le cas également pour les actifs financiers. L’indice CAC 40 des valeurs mobilières des
40 plus grandes entreprises cotées à la Bourse de Paris qui avait atteint son niveau le plus
élevé depuis la création de l’indice en avril 2000 (6 922 points) puis était revenu au second
semestre 2002 aux alentours de 2 500 points sous l’effet du krach boursier de 2001-2002,
s’est ensuite fortement redressé. Il était revenu à 6 100 points début juillet 2007, juste
avant l’éclatement de la crise des subprimes, le SBF 250 suivant une évolution parallèle29.
La flambée des cours des actifs financiers et de l’immobilier, favorisée par le développement
du crédit, soulève par ailleurs des interrogations concernant la pertinence des indices de
prix, tel l’IPC, pour appréhender la réalité de l’inflation. Alors que les banques centrales dé-
terminent leur politique monétaire (cf. infra, chapitre V) en se référant à des indices du type
de l’IPC, certains auteurs suggèrent ainsi que l’inflation devrait en fait être mesurée à l’aide
d’un indice de prix large, englobant non seulement les prix des biens et services de consom-
mation finale comme le fait l’IPC mais également ceux des actifs immobiliers et financiers :
idée déjà avancée, dès 1907, par Irving Fisher dans Le pouvoir d’achat de la monnaie. À tout
le moins les banques centrales devraient-elles tenir compte de la manière dont évoluent les
prix de ces actifs pour déterminer leur politique monétaire. Mais, affirmant être dans l’inca-
pacité d’évaluer le « juste prix » des actifs, ces dernières refusent en conséquence de prendre
en compte les prix des actifs dans leur appréciation de l’inflation et continuent à ne se ré-
férer qu’à l’évolution des prix des biens et services. Même si, comme le souligne M. Aglietta
(2007, p. 12), « il est aujourd’hui possible, du moins pour les principaux marchés qui ont des
données historiques longues, de calculer de façon assez fiable des valeurs fondamentales de
long terme et de supputer quand les marchés sortent de l’épure ».
Par ailleurs, si l’inflation en France et dans la plupart des autres pays de l’OCDE a été
contenue dans des limites strictes pendant près de deux décennies, les tensions qui sont
apparues au cours des toutes dernières années sur les marchés de différents biens (pétrole,
nombreuses matières premières minérales et végétales…) conduisent aujourd’hui à s’inter-
roger sérieusement sur la pérennité de cette situation.
L’indice COE-Rexecode des cours en dollars des matières premières, qui fluctuait autour de
100 pendant la décennie 1990, a atteint 340 au 1er janvier 2008 et 190 pour le même indice
hors pétrole et métaux précieux. Les cours de certaines matières premières ont connu, au
cours des toutes dernières années, une augmentation considérable. À titre d’exemple, en
base 100 en septembre 2001, les cours du cuivre, du zinc et du nickel dépassaient déjà les
200 à la fin 2005 pour atteindre, en juin 2007, plus de 400 pour le zinc, près de 500 pour
le cuivre et plus de 800 pour le nickel. Les matières premières agricoles ont également été
atteintes. Le cours mondial du blé a augmenté de 70 % en un an, celui du maïs a doublé,
tandis que le rapport de la Banque mondiale sur le Financement du développement dans
le monde, publié en mai 2007, s’attend à la poursuite de la hausse du prix des céréales,
celle-ci pouvant atteindre 40 %, voire 100 %. Alors que la demande mondiale de ces pro-
28 La crise des crédits hypothécaires risqués (la crise des subprimes) qui a éclaté aux États-Unis en juillet 2007 est venue
confirmer le bien-fondé de ces craintes (cf. infra, chapitre III).
29 Il faut cependant souligner que le CAC 40 s’est nettement replié depuis, avec l’éclatement de la crise des subprimes,
revenant aux environs de 4 200 points en juillet 2008 et aux environs de 3 200 points en janvier 2009 (cf. infra, chapitre III).

42 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


duits progresse fortement du fait de la poussée démographique et de l’augmentation du
niveau de vie en Asie, la production n’a pu suivre : raréfaction des surfaces cultivables en
raison de l’urbanisation accélérée en Chine et en Inde, productivité agricole insuffisante
dans les pays en développement (PED) en raison de la faiblesse des investissements réa-
lisés30, mauvaises récoltes de certaines céréales résultant des sécheresses ou inondations
induites par le réchauffement climatique, augmentation des prix des intrants (engrais,
pesticides) du fait de la hausse du prix du pétrole, détournement de productions agricoles
alimentaires vers la production d’agro-carburants. Ce à quoi s’ajoute le rôle de la spécula-
tion avec l’intervention accrue des fonds spéculatifs sur les marchés de ces produits31.
Il est à craindre que ces hausses de prix se prolongent durablement et, avec elles, les ten-
sions inflationnistes diffuses qu’elles génèrent. La très forte croissance des pays émergents,
et en particulier de la Chine dont l’économie croît en moyenne de 11 % par an, suscite une
très forte augmentation de la demande de matières premières, tandis que s’amorce dans
certains de ces pays un mouvement de hausse des rémunérations salariales32, la conjonc-
tion de ces deux évolutions étant de nature à susciter de nouvelles tensions inflationnistes
à l’échelle mondiale. Pour certains analystes, la mondialisation aurait en fait cessé de jouer
le rôle désinflationniste qui fut le sien pendant les premières années de la décennie 200033.
Quoi qu’il en soit, à la fin du premier semestre 2008, la reprise de l’inflation apparaissait
très nette aux États-Unis, dans la zone euro (où elle s’est établie à 4 % en rythme annuel)
et dans plusieurs grands pays émergents, avec, par exemple, une hausse annuelle des prix
de 8 % en Chine au premier trimestre 2008 et une prévision de hausse annuelle des prix de
9,5 % pour la Russie. C’était également le cas en France où l’inflation atteignait 3,6 % en
glissement en juillet 2008. Cette relance de l’inflation s’est traduite par l’altération du pou-
voir d’achat des salaires, et en particulier les plus modestes, qui subissent de plein fouet
la hausse des prix des dépenses contraintes (transports, alimentation, loyers et charges de
logement…). L’indexation des salaires sur les prix ayant disparu en pratique, on n’observe
cependant pas pour le moment d’effet de second tour par lequel la hausse des prix des
biens de consommation se transmettrait aux salaires.

*
Le mode d’évolution des prix observé en France depuis les années 1950 se retrouve pour
l’essentiel dans les autres pays développés, avec cependant des variantes nationales (ta-
bleaux 1.4 et 1.5). L’inflation en Allemagne a été en moyenne sensiblement plus faible
qu’en France jusqu’à la réunification mais a connu les mêmes inflexions. C’est le cas éga-
lement de l’inflation des États-Unis qui demeure jusque dans les années 1980 inférieure

30 Comme l’explique Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, en application des préceptes libéraux énoncés dans le consensus
de Washington (cf. tome 1, chapitre X), il a été demandé aux PED « de ne plus intervenir dans l’agriculture, ce qui reve-
nait à mettre en danger leurs paysans face à la concurrence irrésistible des États-Unis et de l’Europe. Leurs agriculteurs
auraient peut-être pu concurrencer ceux du Nord, mais ils ne pouvaient concurrencer leurs subventions. Aussi les PED
ont-ils moins investi dans l’agriculture, et le fossé alimentaire s’est élargi » (Stiglitz, 2008, p. 10).
31 Les marchés de ces produits se sont profondément transformés au cours des dernières années avec le développement des
produits dérivés (pétrole papier, cuivre papier…) et un afflux important de capitaux à l’achat pour ces produits dérivés.
32 En Chine, la hausse des salaires aurait été en moyenne de 20 % en 2007 (Lemaitre, 2008, p. 2).
33 Ainsi, selon Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, « la mondialisation a cessé, probablement pour une
longue période, d’être spontanément désinflationniste », dans la mesure où « la croissance des pays émergents et l’éléva-
tion du niveau de vie de leur population entraînent une explosion de la demande de ressources naturelles, alimentaires
et énergétiques, dont la conséquence logique est une forte et permanente augmentation de prix ». D’autant plus que
« la mondialisation introduit une synchronisation plus poussée de cycles inflationnistes entre les pays avec les risques
d’amplification qui en découlent » (cité par Le Monde, 4 avril 2008, p. 12).

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 43


à celle de la France. Par contre l’inflation de l’Italie et du Royaume-Uni, plutôt inférieure à
celle de la France jusque dans les années 1960, lui est devenue supérieure à partir de la fin des
années 1960 et jusqu’à la fin des années 1980.

TAbLEAU 1.4
L’inflation dans les principaux pays de l’OCDE (1953-1989)1

1953- 1960- 1968- 1973- 1979- 1983- 1986-


1959 1968 1973 1979 1983 1986 1989
États-unis 2,1 2,4 5,1 7,6 7,5 3,4 3,6
Japon 3,4 5,2 6,9 7,8 1,9 1,3 10,3
RFA 1,8 3,1 6,3 4,7 4,1 2,6 1,0
France 4,8 4,0 6,4 10,5 11,6 6,7
Royaume-uni 3,4 3,7 7,5 16,0 10,8 4,6 5,1
Italie 2,4 4,3 7,2 17,1 18,0 10,6 5,6
Canada 1,6 2,6 5,3 10,1 9,4 3,6
ENSEMBLE 2,7 3,1 5,9 8,6 7,6 3,8
Sources : OCDE, Revue économique, n° 1, automne 1983 ; Statistiques rétrospectives (1960-1983) ; Perspectives écono-
miques de l’OCDE, mai 1986, décembre 1987 et juin 1990.
1
. Variations en pourcentage d’année en année, et moyenne annuelle de ces variations par périodes, de l’indice des prix
du produit intérieur brut.

TAbLEAU 1.5
Le taux d’inflation annuel dans divers pays de l’OCDE : 1993-2008

1983
- 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008
1993
États-
3,8 2,1 2,6 2,9 2,3 1,5 2,2 3,4 2,8 2,3 2,1 2,7 3,4 3,2 2,9 3,9
unis1
Japon 1,7 -0,6 0,7 0,0 1,7 0,7 -0,3 -0,5 -0,8 -0,2 -1,6 0,0 -0,6 0,2 0,4 0,9
Alle-
... ... ... 1,2 1,5 0,6 0,6 1,4 1,9 1,0 1,0 1,8 1,9 1,8 2,3 2,9
magne
France ... 2,0 1,7 2,1 1,3 0,7 0,6 1,8 1,8 2,2 1,8 2,3 1,9 1,9 1,6 3,5
Royaume-
... 1,6 2,0 2,5 1,8 1,6 1,3 0,8 1,2 1,4 3,1 1,3 2,0 2,3 2,3 3,0
uni
Italie ... 3,6 4,2 4,0 1,9 2,0 1,7 2,6 2,3 2,8 3,1 2,3 2,2 2,2 2,0 3,6
Canada 4,0 1,1 0,2 2,1 1,6 1,0 1,7 2,7 2,5 2,8 3,4 1,9 2,2 2,0 2,1 1,3
Total de
... 4,7 3,2 2,3 1,7 1,2 1,1 2,1 2,4 2,1 2,3 2,2 2,2 2,2 2,1 3,4
l’OCDE
* Pourcentage de varaition par rapport à l’année précédente des prix à la consommation.
1 La méthodologie pour le calcul de l’indice des prix à la consommation ayant considérablement changé au cours des
dernières années, l’inflation mesurée s’en trouve substantiellement abaissée.
Source : base de données des Perspectives économiques de l’OCDE, n° 81

Cette évolution relativement similaire de l’inflation dans les différents pays développés sug-
gère que le mouvement des prix est soumis au jeu de facteurs généraux (variations du rythme
de croissance de la productivité du travail, changements dans la demande, évolution des prix
des produits importés, phénomènes monétaires…) associé à certaines spécificités nationales
suscitant des réactions plus ou moins fortes à ces différents facteurs.

44 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Section 2 : Les explications de l’inflation

L’évolution des prix au XXe siècle évoquée ci-dessus suggère que l’inflation peut avoir des
causes différentes et résulter, selon les circonstances, du jeu de divers facteurs. De fait, il y
a une diversité des causes de l’inflation dont l’identification et l’analyse donnent lieu à dé-
bat. Les différentes explications de l’inflation qu’avancent les grands courants de la théorie
économique contemporaine se distinguent généralement par la nature de la (des) cause(s)
fondamentale(s) à laquelle (auxquelles) est imputée la hausse des prix. Selon le cas, elles font
de l’inflation un phénomène d’origine monétaire (§ 1) ou le résultat de déséquilibres au ni-
veau de l’économie réelle (§ 2) ou mettent en avant sa dimension sociale et structurelle (§ 3).

paragraphe 1 : l’inflation, phénomène d’origine monétaire

Au XVIe siècle, le Français Jean Bodin (1529-1596) attribua à l’afflux d’or venant des Amé-
riques la hausse des prix qui se produisit alors dans tous les pays européens34. Cette pre-
mière explication de l’inflation en faisait donc la conséquence d’un excès de monnaie. Jean
Bodin jetait ainsi les bases de la théorie quantitative de la monnaie et de ce qui allait deve-
nir l’explication monétariste de l’inflation35 (A). Celle-ci a beaucoup gagné en audience à
partir des années 1960 dans le sillage des travaux développés par le prix Nobel d’économie,
Milton Friedman (B).
A – La théorie quantitative de la monnaie
Pour la théorie monétariste contemporaine, de filiation néoclassique, l’inflation résulte
d’une croissance de la quantité de monnaie en circulation supérieure à celle des biens
et services disponibles. La base de cette théorie est l’équation quantitative de la mon-
naie formulée initialement par Irving Fisher (Le pouvoir d’achat de la monnaie, 1907) :
M . V = P . T, dans laquelle M désigne la quantité de monnaie en circulation, V la vitesse
de circulation de la monnaie, P le niveau général des prix et T le volume de transactions
(achats-ventes de biens et services sur les marchés). Cette équation est par elle-même une
identité comptable qui est nécessairement vérifiée. Elle signifie en effet que le montant
nominal des transactions effectuées au cours d’une période déterminée et dans une éco-
nomie donnée, c’est-à-dire le produit du volume de ces transactions par le niveau général
des prix (P . T), est égal au produit de la quantité de monnaie utilisée pour effectuer les
transactions par la vitesse de circulation de cette monnaie (M . V)36.
34 Jean Bodin formule cette thèse dans sa fameuse Réponse au paradoxe de M. de Malestroit, publiée en 1568. Ce dernier
soutient que la hausse des prix en France n’est pas réelle et ne fait que traduire la baisse de la valeur en or de la livre, unité
de compte de la France, résultant des décisions prises en ce sens par l’autorité royale. Selon lui, la baisse de la quantité
de métal précieux servant à définir officiellement l’unité de compte conduit nécessairement à ce que le prix (exprimé
en livres) de marchandises dont la valeur en or est inchangée augmente. Jean Bodin soutient au contraire que la hausse
des prix est réelle et qu’elle résulte de l’augmentation de la quantité d’or provenant des échanges avec l’Espagne où
afflue l’or provenant des Amériques.
35 Cette analyse fut reprise au XVIIe et au XVIIIe siècles par John Locke, William Petty, David Hume et Richard Cantillon.
On la retrouve également chez les classiques anglais (David Ricardo et John Stuart Mill) et chez les néoclassiques (Léon
Walras). Selon ces derniers, la quantité de monnaie en circulation ne peut influer sur les prix relatifs et donc sur le rap-
port selon lequel les biens s’échangent entre eux. Les variations de la quantité de monnaie ne peuvent influer que sur
le niveau général des prix.
36 Rappelons que la vitesse de circulation de la monnaie mesure le nombre de fois qu’un même moyen de paiement (le même

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 45


Mais les monétaristes adoptent certaines hypothèses concernant les différents termes de
cette identité qui leur permettent de déboucher sur l’explication monétariste de l’infla-
tion. Ils supposent que la vitesse de circulation de la monnaie (V) est une constante en
courte période car elle est déterminée par les habitudes de paiement des agents écono-
miques et par la structure du système monétaire et financier du pays, qui peuvent être
supposées stables en courte période37. Il en est de même pour le volume des transactions
(T). Celui-ci est conditionné par le volume de la production globale (Y) lequel, selon les
théoriciens néoclassiques, correspond normalement au plein-emploi de l’ensemble des fac-
teurs de production disponibles dans l’économie nationale considérée : plein-emploi qui
est censé être automatiquement réalisé dans une économie concurrentielle. Supposant
ainsi le plein-emploi des facteurs de production disponibles dans l’économie, ce produit
global (Y) peut être considéré comme une constante en courte période38, et avec lui le
volume des transactions (T).
V et T étant supposés constants à court terme, il se déduit de l’équation quantitative de
la monnaie que le niveau général des prix (P) est directement déterminé par la quan-
tité de monnaie en circulation (M) et qu’une augmentation de cette dernière doit né-
cessairement se traduire par une augmentation proportionnelle des prix. De l’égalité
M . V = P . T il découle en effet que P = M . (V / T) et donc, puisque V et T sont constants,
que (∆P / P) = (∆M / M). Les variations de la quantité de monnaie n’influent donc que sur
le niveau général des prix et n’exercent aucune influence sur les variables de l’économie
réelle, et en particulier sur le niveau de la production en volume. La monnaie est dite
« neutre », et il y a dichotomie entre la sphère monétaire et la sphère réelle de l’économie.
Cette neutralité de la monnaie s’explique, selon les théoriciens néoclassiques, par le fait
qu’une variation de la quantité de monnaie en circulation, qui fait varier le niveau absolu
de l’ensemble des prix, n’a par contre a priori aucun impact sur les prix relatifs auxquels se
réfèrent les agents économiques pour prendre leurs décisions de production, de consom-
mation, d’investissement… Rappelons à ce propos, à titre d’exemple, que le consomma-
teur rationnel de la théorie néoclassique est censé acheter la combinaison de biens qui lui
permet de maximiser son utilité, compte tenu des prix relatifs des biens et de son revenu.
Si les prix relatifs des biens varient (par exemple, le prix du bien Y augmente relativement
à celui du bien X), il modifie sa demande respective de chacun des biens, diminuant a priori
celle des biens dont le prix relatif s’élève (ici Y) et augmentant celle des biens dont le prix
relatif diminue (ici X). Il y a donc un effet sur l’économie réelle ; la structure de la consom-
mation se modifie, ce qui va normalement se traduire par une évolution parallèle de la
structure de la production. Par contre, si les prix relatifs ne changent pas, le consommateur
rationnel et maximisateur n’a pas de raison de modifier la combinaison de biens qu’il
demande sur le marché. Dès lors que les prix relatifs sont stables, les décisions des agents

billet de 50 euros par exemple) est utilisé pour effectuer des transactions au cours d’une période de temps déterminée.
37 Il est supposé que le seul motif de demande de monnaie est le motif de transactions et que, rationnellement, les agents
économiques cherchent à ne détenir en permanence que des encaisses de transactions (non rémunérées) les plus faibles
possibles qui leur sont nécessaires. Or ce niveau minimum d’encaisses monétaires, et en corollaire la vitesse de circulation
de la monnaie, dépendent de divers facteurs technique et institutionnels (fréquence moyenne des encaissements et dé-
caissements, délais de paiement, niveau de développement du système bancaire…) que l’on peut supposer relativement
stables en courte et moyenne périodes, ce qui conduit à considérer V comme une constante.
38 Le plein-emploi des facteurs de production auquel correspond le produit global signifie en effet qu’il n’existe pas de
réserve de facteurs de production inutilisés qui permettrait de l’accroître en courte période. Au-delà de la référence au
plein-emploi supposé des facteurs de production déterminant le niveau auquel s’établit le produit global Y en courte
période, il y a l’idée que le produit global, et partant le volume des transactions, ne dépend que de facteurs relevant de
l’économie réelle, laquelle est imperméable aux influences monétaires. Une variation de la masse monétaire en circulation
(M), puisque c’est de cela dont il s’agit, ne peut donc influer sur le niveau de l’activité.

46 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


économiques le sont également et, avec elles, les variables économiques réelles qu’elles
conditionnent (quantité demandée des différents biens, production de ces biens…). De ce
fait, un doublement, par exemple, de l’ensemble des prix, et donc également du revenu
nominal des consommateurs, dû à un doublement de la masse monétaire en circulation,
en ne modifiant pas les prix relatifs ni le pouvoir d’achat des consommateurs, ne doit avoir
aucune conséquence pour les grandeurs réelles de l’économie : le volume global et la com-
position par produits de la consommation demeurent inchangés.
La reformulation de l’équation quantitative de la monnaie proposée par Alfred Marshall
et Arthur Cecil Pigou (1877-1959), et connue sous le nom d’équation quantitative de Cam-
bridge (où enseignaient l’un et l’autre), aboutit à la même conclusion selon laquelle l’évo-
lution du niveau général des prix est commandée par celle de la quantité de monnaie en
circulation. Il est supposé, dans cette reformulation de l’équation quantitative de la mon-
naie, que les agents économiques désirent détenir une certaine fraction de leur revenu
réel (Y) sous forme de monnaie. Le montant en termes réels (en termes de pouvoir d’achat)
de cette encaisse de monnaie (on parle d’encaisse réelle), soit le rapport M / P, avec M le
montant nominal de l’encaisse de monnaie et P le niveau général des prix, est déterminé
par le revenu réel des agents selon un coefficient k constant qui traduit le niveau d’en-
caisse désiré par les agents économiques, soit : M / P = k . Y. Il se déduit de cette égalité que
M = k . P . Y, c’est-à-dire que le montant nominal de l’encaisse monétaire détenue par les
agents économiques, ou leur demande de monnaie, est égal au produit du coefficient k par
le revenu nominal (P . Y). Si la masse monétaire augmente (si M augmente), cela conduit
les agents à détenir une encaisse monétaire réelle supérieure à celle qu’ils désiraient dé-
tenir avant que ne se produise cette augmentation de la masse monétaire. Pour ramener
leur encaisse monétaire réelle au niveau désiré, ils accroissent alors leurs dépenses. Pour un
revenu réel global Y et donc un produit global en volume donnés en courte période (ni-
veau de plein-emploi), cela signifie une hausse du niveau général des prix car la demande
globale de biens et services augmente alors que l’offre globale est stable. Cette hausse des
prix se poursuit jusqu’à ce que les encaisses monétaires réelles reviennent effectivement au
niveau désiré par les agents économiques, autrement dit reviennent dans la proportion k
avec le revenu réel qui prévalait avant que ne se produise l’augmentation de M.
Cette explication monétaire de l’inflation fut fortement critiquée par K. Wicksell (1859-
1926) au début du XXe siècle, puis par J. M. Keynes, soutenant pour sa part que la vitesse
de circulation de la monnaie n’est pas une constante mais est au contraire instable39, que la
monnaie n’est pas neutre et qu’il n’y a pas de dichotomie entre la sphère réelle et la sphère
monétaire de l’économie (cf. infra). Elle n’avait plus guère d’adeptes avant que Milton
Friedman la reprenne à son compte dans le cadre de son entreprise de critique de la théo-
rie keynésienne40. Il fallut cependant attendre le couplage du chômage et de l’inflation qui
s’est manifesté dans les grands pays développés à partir de la fin des années 1960-début
des années 1970, et les échecs des politiques conjoncturelles d’inspiration keynésienne des
années 1970, pour que les thèses monétaristes acquièrent une véritable audience parmi les
responsables économiques des grands pays occidentaux développés.

39 Une augmentation de M peut ainsi être compensée par une baisse de V, comme cela se produit en phase de récession
du cycle et de « trappe à liquidité » où l’augmentation de l’offre globale de monnaie se traduit par une thésaurisation
des quantités supplémentaires de monnaie créées et non par une augmentation de la dépense en achats de biens et
services, la vitesse de circulation de la monnaie baissant de manière drastique.
40 Théorie quantitative de la monnaie : une nouvelle formulation, University Press of Chicago, 1956 ; Histoire monétaire
des États-Unis, 1963.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 47


B – L’explication de l’inflation par M. Friedman
Pour M. Friedman, « l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire ». En
longue période, où la production en volume (et avec elle le volume des transactions) est
susceptible de croître grâce en particulier à l’augmentation de la population active et au
progrès technique, l’évolution du niveau général des prix dépend du rapport entre la crois-
sance de la masse monétaire et celle de la production en volume. Si, en tenant compte de
la vitesse de circulation de la monnaie, la croissance de la masse monétaire est supérieure
à celle de la production en volume, les prix sont poussés à la hausse. Dans ce cas, où la
création monétaire est en fait excessive, les agents économiques qui désirent détenir des
encaisses monétaires réelles d’un certain montant dépenseront en effet le surplus de mon-
naie mis à leur disposition en achetant des biens et services, ce qui fera monter le niveau
général des prix41. En longue période, une croissance de la masse monétaire supérieure à
ce que requiert l’évolution de la production en volume et celle de la vitesse de circulation
de la monnaie ne peut donc se traduire que par l’inflation.
Friedman admet certes qu’une augmentation de la masse monétaire puisse se traduire à
court terme par une certaine stimulation de l’activité économique réelle et un accroisse-
ment de la production en volume42. Mais un tel effet ne peut être que limité dans le temps,
le temps que les agents prennent conscience de l’impact inflationniste réel de la création
monétaire et, réajustant leurs anticipations, fassent revenir la production à son niveau an-
térieur d’équilibre de plein-emploi. À long terme, une création monétaire dont le rythme
excède les besoins résultant de la croissance de la production réelle ne peut avoir d’autre
effet que la hausse des prix.
Si c’est le cas, ce sont l’État et les autorités monétaires, disposant avec la politique moné-
taire du pouvoir de contrôler directement la création monétaire des banques et l’évolution
de l’offre globale de monnaie43, qui en sont responsables. Friedman critique ainsi le fait
que les gouvernements des pays développés aient recouru depuis 1945 au financement
monétaire (par création de monnaie) des dépenses publiques, afin de favoriser la réalisa-
tion du plein-emploi. Il voit également dans l’inflation une forme d’imposition déguisée
qui permet à l’État, principal débiteur, de rembourser ses dettes dans une monnaie dépré-
ciée, au détriment de ses créanciers. Selon lui, l’État accepte par ailleurs d’autant plus aisé-
ment l’inflation qu’elle lui permet de satisfaire des demandes d’intervention économique
émanant de différents groupes sociaux, sans avoir pour cela à augmenter formellement les
impôts. L’inflation augmente en effet mécaniquement le rendement des impôts existants.
C’est la cas, par exemple, de l’impôt progressif sur le revenu dès lors que le réajustement

41 En réalité, dans l’analyse de Friedman, l’augmentation de la demande de biens et services faisant suite à celle de la
masse monétaire n’est pas nécessairement immédiate. Suite à l’accroissement de la masse monétaire portant les encaisses
monétaires à un niveau supérieur à celui qui est désiré par les agents économiques, ces derniers peuvent accroître leurs
achats d’actifs financiers sur le marché des capitaux, ce qui va en faire monter le prix. Les actifs financiers se renchérissant
ainsi relativement aux actifs non financiers, la demande de ces derniers va croître à son tour, élevant leur prix. Le marché
des biens et services sera finalement atteint lui aussi et subira à son tour une augmentation de la demande.
42 À court terme, l’augmentation de la masse monétaire en circulation peut en effet se traduire par une variation des prix
relatifs en raison de la difficulté de certains agents économiques à percevoir les conséquences du changement intervenu et
à adapter rationnellement leur comportement. Les salaires nominaux peuvent retarder sur les autres prix, d’où une baisse
des salaires réels permettant aux entreprises d’augmenter momentanément la production et l’emploi (cf. infra, chapitre II).
43 Il est supposé que les variations de la base monétaire se reflètent dans celles de la masse monétaire et que, en contrôlant
la base monétaire, la Banque centrale est par conséquent en mesure de contrôler l’évolution de la masse monétaire en
circulation.

48 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des barèmes d’imposition retarde sur la hausse des prix. À ses yeux, il ne fait donc aucun
doute que « le gouvernement doit (…) partout être rendu responsable de l’inflation »
(1978, p. 45).
L’inflation est pour M. Friedman et les monétaristes un mal qu’il faut combattre de manière
résolue. Pour la maîtriser, les autorités monétaires doivent être suffisamment fortes pour
pouvoir imposer, s’il le faut, une limitation stricte de la création monétaire des banques. À
cet effet, les banques centrales doivent être rendues indépendantes des pouvoirs publics
et avoir pour principal objectif la maîtrise de l’inflation, ce qui suppose de leur imposer
le respect d’une règle très stricte en matière de création monétaire. Celle-ci doit assurer
une croissance régulière et stable de la masse monétaire, juste suffisante pour permettre
aux transactions de s’effectuer correctement, compte tenu du rythme de croissance de la
production globale en volume et de l’évolution de la vitesse de circulation de la monnaie.
Le rythme de croissance, constant, de la masse monétaire doit être légèrement supérieur à
celui du PIB en volume pour tenir compte de la tendance de longue période à la baisse de la
vitesse-revenu de la monnaie44. Friedman va jusqu’à suggérer que cette « règle monétaire »
soit inscrite dans la Constitution. Au-delà, il est également nécessaire, selon lui, que les gou-
vernements s’abstiennent d’intervenir dans le cours normal des processus économiques et
créent les conditions d’un libre jeu des lois du marché permettant d’atteindre l’équilibre.
Cela implique de faire disparaître les obstacles législatifs, réglementaires et autres au fonc-
tionnement concurrentiel des marchés et, en particulier, de s’attaquer à la toute puissance
des syndicats de salariés qui bloquent la libre détermination des salaires.
M. Friedman et les monétaristes définissent ainsi les grandes lignes d’un programme dont
une partie a été mise en œuvre par les gouvernements de Margaret Thatcher en Grande-
Bretagne et de Ronald Reagan aux États-Unis. Les recommandations monétaristes ont en
fait été suivies dans l’ensemble des pays capitalistes développés durant les années 1980, avec
plus ou moins de détermination. Dans la plupart de ces pays, et en particulier en Europe,
des réformes institutionnelles ont réalisé l’indépendance des banques centrales à l’égard
du pouvoir politique (réforme des statuts de la Banque de France en 1993) ; les statuts de
la Banque centrale européenne garantissent ainsi son indépendance à l’égard des autorités
politiques de l’Union européenne et des pays membres. Le contrôle de l’évolution de la
masse monétaire par l’utilisation de l’arme des taux d’intérêt est devenu l’axe directeur de la
politique monétaire. Cette politique s’est traduite par une baisse du taux d’inflation associée
à un ralentissement de l’activité économique. Ce fut le cas aux États-Unis, dès octobre 1979,
lorsque P. Volker, alors président de la Réserve fédérale, décida d’élever les taux d’intérêt
au-dessus de 20 % pour lutter contre l’inflation et redonner de la puissance au dollar améri-
cain, plongeant les États-Unis et la majeure partie du monde dans la crise conjoncturelle de
1981-1982. En France, la politique du « franc fort » ou de « désinflation compétitive » relève
d’une inspiration proche. L’objectif était de rompre avec des pratiques jugées inflationnistes,
telle que l’indexation des salaires sur les prix, mais également de moderniser et de renforcer
l’économie en obligeant les entreprises à améliorer leur rentabilité par l’accroissement de la
productivité et la baisse des coûts de production (principalement salariaux) et non plus par
44 Cette vitesse-revenu, forme d’expression de la vitesse de circulation de la monnaie, est égale au rapport du revenu nominal
(P . Y) sur la masse monétaire M. L’encaisse monétaire détenue par les ménages à hauts revenus est, proportionnellement
au revenu, plus importante que pour les ménages à bas revenus (leur demande de monnaie est plus forte). En longue
période, avec la croissance économique et la hausse du niveau moyen des revenus, la demande de monnaie s’élève en
moyenne pour l’ensemble des ménages, ce qui veut dire que la vitesse-revenu de la monnaie diminue.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 49


la hausse des prix. Cela passait par une limitation de la création monétaire associée au libre
jeu des taux d’intérêt d’une économie largement ouverte sur l’extérieur et le renoncement
au financement monétaire du déficit public (cf. infra).

paragraphe 2 : l’inflation, résultat de déséquilibres de


l’économie réelle
Les économistes du courant keynésien rejettent l’explication monétariste de l’inflation (A).
Avec d’autres, ils situent l’origine de l’inflation dans des déséquilibres affectant l’économie
réelle. Selon le cas, ces auteurs distinguent entre l’inflation par la demande (B) et l’infla-
tion par les coûts (c).

A - La critique de la thèse monétariste


Les keynésiens rejettent la thèse de la neutralité de la monnaie à laquelle renvoie l’expli-
cation monétariste de l’inflation. Selon eux, la monnaie n’est pas neutre et il n’y a pas de
dichotomie entre la sphère réelle et la sphère monétaire de l’économie. Les variations de
la quantité de monnaie sont, au contraire, susceptibles d’influer sur le niveau de l’activité
et de l’emploi. Selon Keynes, la monnaie n’est pas détenue uniquement pour effectuer
des transactions sur biens et services (motif de transactions), comme le supposent les né-
oclassiques. Elle est également détenue pour d’autres motifs, et en particulier le motif de
spéculation45. Cela signifie que la totalité de l’épargne n’est pas mécaniquement utilisée
à financer des investissements, comme le suppose là encore la théorie néoclassique. Une
partie de cette épargne est en fait conservée par les agents économiques sous forme d’en-
caisses monétaires, et en particulier d’encaisses monétaires de spéculation, pouvant être
utilisées pour effectuer des opérations sur le marché financier, opérations qui sont condi-
tionnées par les anticipations des agents concernant l’évolution des taux d’intérêt. Dans
ces conditions, la monnaie n’est pas neutre et une variation de la quantité de monnaie
en circulation est susceptible d’influer sur l’économie réelle, et en particulier sur le niveau
de la production et de l’emploi, via son impact sur les taux d’intérêt. En cas d’équilibre
macroéconomique de sous-emploi (les entreprises disposent de réserves de capacité de
45 Dans l’analyse keynésienne, la monnaie est demandée par les agents économiques non financiers (ANF) pour différents
motifs. Le premier est le motif de transactions. Les agents économiques doivent détenir en permanence une certaine
encaisse de monnaie pour assurer les dépenses courantes en biens et services, compte tenu du décalage existant inéluc-
tablement entre la périodicité de la perception des revenus (le mois pour un salarié mensualisé) et celle des dépenses
courantes (à la limite quotidienne pour ce même salarié). Le montant de cette demande de monnaie pour motif de
transactions est une fonction croissante du revenu des ANF. Il augmente avec ce revenu. Le second motif est la précau-
tion. Les agents économiques détiennent une certaine réserve de monnaie afin de pouvoir faire face à des imprévus
liés aux aléas de la vie (réduction momentanée de revenus, dépenses exceptionnelles). Le montant de ces encaisses de
précaution est, lui aussi, une fonction croissante du revenu des ANF. Le troisième motif est la spéculation. Une partie
de l’épargne réalisée par les ANF est conservée sous forme d’encaisses monétaires en attente de placements financiers
plus rémunérateurs que ceux qui pourraient être faits sur le moment. Le montant de ces encaisses de spéculation est
directement conditionné par le niveau des taux d’intérêt et par les anticipations que forment les agents économiques
sur l’évolution de ces derniers. Si les taux d’intérêt du moment sont faibles et que les agents économiques anticipent
leur hausse ultérieure, ils s’abstiennent normalement d’effectuer des placements sur le marché financier, dans la mesure
où la hausse à venir des taux d’intérêt ne peut que dévaloriser ces placements. Dans ce cas, les encaisses de spéculation
augmentent. Inversement, si les taux d’intérêt courants sont élevés et que les agents économiques anticipent leur baisse
future, ils accroissent leurs placements sur le marché financier pour bénéficier des taux d’intérêt courants élevés et parce
que la baisse à venir des taux d’intérêt se traduira par une revalorisation de leurs placements. Dans ce cas, les encaisses
de spéculation diminuent. Le montant de ces encaisses est donc une fonction décroissante des taux d’intérêt courants ;
il évolue en sens inverse de ces derniers.

50 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


production inutilisées et il y a du chômage), un accroissement de la quantité de monnaie
en circulation, résultant d’une politique monétaire expansive, est susceptible de stimuler
la croissance de la production. En augmentant la masse monétaire en circulation, les au-
torités monétaires sont en mesure de faire baisser les taux d’intérêt, ce qui est susceptible
de stimuler l’investissement des entreprises, avec l’effet multiplicateur sur le niveau de la
production et de l’emploi qui en résulte (multiplicateur d’investissement). Dans ce cas, les
prix restent stables ; l’ajustement sur les marchés se fait par les quantités, la production et
l’offre augmentant pour s’adapter à la demande accrue. Ce n’est que si l’économie était
préalablement en situation de plein-emploi qu’une augmentation de la quantité de mon-
naie se traduirait par une hausse des prix. Dans ce cas, en effet, l’offre globale de biens
et services étant rigide à court terme, puisque le plein-emploi est préalablement réalisé,
l’augmentation de la demande globale de biens et services qui résulte de celle de la masse
monétaire en circulation ne peut se traduire que par une hausse du niveau général de
prix46.
Les keynésiens rejettent de même la thèse de l’exogénéité de la création monétaire qui
serait supposée ne dépendre que des décisions de politique monétaire des pouvoirs pu-
blics. Selon eux, la création de monnaie résulte fondamentalement du crédit à l’économie
et elle est endogène au fonctionnement du système économique. Une augmentation du
produit global nominal (Y . P) se traduit par celle de la demande de crédits adressée aux
banques, laquelle est assurée d’être satisfaite dès lors que les emprunteurs acceptent le
taux d’intérêt fixé par les banques. Celles-ci sont par ailleurs sûres de pouvoir se refinan-
cer auprès de la Banque centrale qui ne peut pas refuser de jouer son rôle de prêteur en
dernier ressort. De sorte que, contrairement à ce que soutiennent les néoclassiques, ce
n’est pas la quantité de monnaie qui détermine le niveau du revenu nominal mais bien
au contraire ce dernier qui détermine la quantité de monnaie en circulation (Goux, 1998,
p. 63). Dans l’équation M . V = P . Y, la causalité va donc du côté droit vers le côté gauche
et non l’inverse, comme le suppose la thèse monétariste.
Ce rejet de l’explication monétariste de l‘inflation conduit à en rechercher les causes non
plus dans un « excès de création monétaire » mais dans les déséquilibres qui apparaissent
dans l’économie réelle. Selon la nature du déséquilibre, les auteurs (keynésiens et autres)
qui privilégient cette explication de l’inflation distinguent entre l’inflation par la demande
(B) et l’inflation par les coûts (C).

B - L’inflation par la demande


Selon cette explication de l’inflation, celle-ci traduit un déséquilibre entre la demande et
l’offre globales de biens dans l’économie considérée, la demande excédant durablement
l’offre. Le déséquilibre peut provenir initialement d’une évolution défavorable de l’offre.
Son affaissement soudain, comme en période de guerre, après une catastrophe naturelle
46 En réalité, l’inflation peut se déclencher par suite d’une augmentation de la masse monétaire avant que l’économie ne
soit parvenue au plein-emploi. Les branches qui constituent le système productif se développant à des rythmes différents,
des tensions sur les capacités de production peuvent apparaître dans certaines de ces branches, avant que le plein-emploi
ne soit réalisé dans l’ensemble de l’économie. Les hausses localisées des prix qui se produisent alors dans ces branches sont
susceptibles de se communiquer à d’autres branches selon diverses modalités : hausse de la demande dans les branches
qui les approvisionnent et hausse des coûts des branches qui s’approvisionnent auprès d’elles, hausse des rémunérations
des salariés dans ces branches qui sert de référence aux revendications salariales dans d’autres branches.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 51


ou une mauvaise récolte, provoque une pénurie qui pousse les prix à la hausse. Mais ces
situations sont exceptionnelles. En régime normal de fonctionnement de l’économie, le dé-
séquilibre provient initialement d’une augmentation de la demande. Il se produit un « choc
de demande » qui peut avoir des origines diverses : 1) une hausse des dépenses publiques,
assortie d’un déficit budgétaire, prenant la forme d’achats publics (dans ce cas l’augmenta-
tion de la demande globale est directe) ou de transferts au bénéfice des agents économiques
privés (l’augmentation de la demande globale prend alors la forme d’un accroissement de la
consommation des ménages et/ou des investissements des entreprises financé par les trans-
ferts) ; 2) une augmentation des exportations (demande du reste du monde) se traduisant
par un excédent de la balance des transactions courantes ; 3) une déthésaurisation des mé-
nages finançant une augmentation de leur consommation, etc.
Quelle que soit l’origine de l’augmentation initiale de la demande, l’inflation qui en résulte
traduit l’existence de tensions sur les capacités de production. Celles-ci s’avèrent insuffi-
santes pour permettre d’obtenir dans les délais requis le surcroît de production nécessaire
pour répondre à l’augmentation de la demande globale. C’est donc bien, comme l’expli-
quait Keynes, lorsque l’économie est en situation de plein-emploi ou proche du plein-em-
ploi et que l’offre globale est par conséquent rigide, qu’une augmentation de la demande
globale se traduira par une hausse des prix.
Il faut cependant tenir compte du type d’augmentation de la demande globale qui est
à l’origine de l’inflation. L’impact à terme sur l’évolution des prix ne sera pas le même
si, par exemple, l’augmentation de la demande résulte d’une hausse de l’investissement
productif des entreprises ou si elle résulte d’une hausse des dépenses de fonctionnement
de l’État. En effet, les investissements, qui suscitent une hausse des prix à court terme par
suite de l’augmentation de la demande globale à laquelle ils correspondent, permettront
d’accroître ultérieurement les capacités de production et/ou la productivité du travail, ce
qui est en soi un facteur d’augmentation de l’offre et de résorption de l’inflation. Ce n’est
a priori pas nécessairement le cas de certaines dépenses de fonctionnement de l’État.
Cela étant, dès lors que l’inflation par la demande s’est déclenchée, les anticipations des
agents économiques peuvent aboutir à entretenir le processus inflationniste. Si les entre-
prises et les consommateurs anticipent que la hausse des prix est appelée à se poursuivre,
ils sont susceptibles d’adopter des comportements qui pérennisent l’excès de demande à
l’origine de la hausse des prix ; les anticipations sont alors auto réalisatrices. Les entreprises
peuvent ainsi être tentées de retarder la livraison au marché d’une partie de leur produc-
tion pour bénéficier de la hausse future anticipée des prix, tandis que les consommateurs
sont au contraire incités à accroître immédiatement leur demande afin de se soustraire à la
hausse à venir prévisible des prix. Plus généralement, dès lors qu’ils anticipent une hausse
à venir du niveau général de prix, les agents économiques chercheront à se prémunir de
ses effets négatifs pour eux (réduction de leur pouvoir d’achat) en augmentant, si cela est
possible, les prix qui rémunèrent leurs activités (leurs prix de vente pour les entreprises,
leurs salaires pour les salariés…), ce qui ne peut que contribuer à pérenniser cette hausse
du niveau général de prix.

52 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 1.4 A
L’inflation par la demande : une représentation graphique

GrAPhIqUE 1.4 b
L’inflation par la demande : une représentation graphique

Les graphiques 1.4 A et 1.4 B illustrent la manière dont se manifeste l’inflation par la demande
sur le marché d’un bien quelconque considéré comme représentatif de l’ensemble des mar-
chés de biens. Sur ce marché se confrontent une offre et une demande du bien. La demande
est une fonction décroissante du prix. La forme de la courbe d’offre dépend de l’élasticité de
l’offre du bien par rapport au prix. Si l’offre est inélastique (les capacités de production sont
déjà utilisées en totalité, il n’y a pas de main-d’œuvre disponible et la production ne peut
augmenter même si le prix s’élève), la courbe d’offre est une droite perpendiculaire à l’axe
des quantités (graphique 1.4 A) ; le niveau de l’offre ne dépend pas du prix. Si, par contre,
l’offre est élastique par rapport au prix, c’est une fonction croissante du prix (graphique 1.4 B).
Une augmentation de la demande, pour l’une ou l’autre des raisons indiquées précé-
demment, se traduit graphiquement par un déplacement vers la droite de la courbe de
demande. Il en résulte une hausse du prix dont l’ampleur dépend du comportement de

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 53


l’offre. La hausse est maximum si l’offre est rigide. Elle est plus faible dans le second cas,
la hausse du prix s’accompagnant alors d’une certaine augmentation de la production et
donc des quantités produites et échangées (passage de la production de Q1 à Q2).
Mais l’inflation peut être due également à une hausse autonome de certains éléments des
coûts de production.

C - L’inflation par les coûts


Selon cette explication de l’inflation, celle-ci résulte d’une augmentation autonome des
coûts de production des entreprises, que celles-ci répercutent sur les prix des biens et
services qu’elles produisent. Cette augmentation des coûts de production, qui suscite la
hausse des prix, peut concerner différents types de coût : coûts des approvisionnements en
matières premières et/ou en énergie importées, coûts salariaux…
La poussée d’inflation qu’ont connue les pays développés au cours des années 1970 et
jusque dans les premières années de la décennie 1980 a ainsi souvent été imputée, au
moins pour partie, aux fortes hausses du prix du pétrole brut de 1973 et de 1979. Ces
hausses se sont traduites par des majorations mécaniques du prix des carburants et des
produits chimiques issus du pétrole et, par répercussion, de proche en proche, via les rela-
tions interindustrielles, d’une multitude d’autres produits, chaque entreprise essayant de
préserver son taux de marge en répercutant sur ses prix de vente les hausses de prix qu’elle
subissait sur ses approvisionnements47. L’augmentation des prix à la consommation a sus-
cité à son tour une revalorisation des salaires, en application des clauses d’indexation de
ces derniers sur les prix destinées à préserver leur pouvoir d’achat en cas d’inflation. Or les
salaires sont, dans de nombreuses branches d’activité, la principale composante des coûts
de production : de l’ordre de 40 % du coût de production total des entreprises dans l’in-
dustrie et les services. La hausse des prix initialement d’origine externe (la hausse du prix
du pétrole importé) a ainsi été relayée par des facteurs de hausse d’origine interne, avec
le déclenchement d’une spirale prix-salaires : la hausse des prix suscitant celle des salaires
qui relance la hausse des prix…
Une inflation par les coûts peut également se déclencher par suite d’une dépréciation de
la monnaie nationale sur le marché des changes. Une telle dépréciation se traduit en effet
mécaniquement par une hausse des prix, exprimés en monnaie nationale, de l’ensemble
des importations dans une proportion identique à celle de la dépréciation de la monnaie.
Dès lors qu’une part croissante des approvisionnements des entreprises en matières pre-
mières, énergie et produits semi-finis et de leurs équipements, est importée de l’étranger,
la hausse des coûts correspondants qu’implique pour ces entreprises une dépréciation de
la monnaie nationale est en soi un facteur de hausse des prix susceptible de déclencher un
processus inflationniste ou d’intensifier une inflation préexistante.
De nombreux travaux, et en particulier ceux d’auteurs comme M. Kalecki et N. Kaldor,
mettent plus particulièrement en avant le rôle des salaires et de la boucle prix-salaires
dans l’explication de l’inflation. Le salaire représentant le principal coût de production des
entreprises, la hausse des salaires se répercute nécessairement sur les prix. En conséquence,
47 Dans le cas de la France, l’impact inflationniste de la hausse du prix du pétrole de 1973 a ainsi été estimé à 3,5 poins
d’inflation ; mais il faut rappeler que la hausse des prix en 1974 était de 13,7 %.

54 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


lorsque l’économie parvient à proximité du plein-emploi, et que de ce fait les salaires aug-
mentent, des tensions inflationnistes apparaissent.
Il faut cependant préciser que les hausses de salaires ne peuvent être considérées comme
une cause autonome d’inflation que si elles excèdent l’accroissement de la productivité du
travail. Si la hausse des salaires nominaux est inférieure à celle de la productivité, cela si-
gnifie que le coût salarial unitaire, c’est-à-dire le coût en salaire par unité de bien produite,
diminue. Ce qui joue dans le sens de la contraction du coût de production total des entre-
prises et donc de la baisse, et non de la hausse, des prix. En considérant, à titre de simplifi-
cation, que le coût de production des entreprises se réduit au seul salaire de leur personnel
et que les prix auxquels elles mettent en vente leurs produits sont égaux à la somme du
coût de production unitaire et de la marge bénéficiaire, le taux d’inflation sera égal à la
différence entre le taux de croissance du salaire nominal et celui de la productivité48. On
a P = (1 + m) . (W / Q), avec P le prix, m le coefficient de mark up, supposé constant49, W la
masse salariale et Q la production en volume. De cette égalité il vient P = (1 + m) . (W / L)
/ (Q / L), avec L la quantité de travail (le nombre de salariés employés par l’entreprise). Soit
encore : P = (1 + m) . (w / e), avec w = W / L, le salaire par tête, et e = Q / L la productivité
du travail par tête. De cette égalité, on déduit que dP / P = (dw / w) – (de / e), avec (dP / P)
le taux d’inflation, (dw / w) le taux de variation du salaire nominal et (de / e) le taux de
croissance de la productivité.
Divers travaux (Kolm, 1970 ; Rapport Cordes – Cepremap, 1977) ont également souligné
que, dans la mesure où la productivité ne progresse pas au même rythme d’un secteur
d’activité à l’autre, il existe un risque d’inflation induite par les hausses de salaires si celles-
ci s’alignent sur les gains de productivité obtenus dans les secteurs les plus dynamiques ou
secteurs « moteurs ». Dans ce cas, en effet, les entreprises des secteurs où la productivité
progresse moins vite que dans les secteurs « moteurs » voient leur coût salarial unitaire
augmenter, ce qui les conduit à accroître leurs prix pour tenter de préserver leur renta-
bilité. Ces secteurs dynamiques, « moteurs », jouent un rôle d’entraînement en matière
d’évolution des salaires. Dans ces secteurs, les conventions collectives et les négociations
salariales aboutissent en moyenne à définir un rythme de croissance des salaires relative-
ment proche de celui de la productivité. Ce que les entreprises de ces secteurs sont par-
faitement en mesure de supporter, puisque le parallélisme de la hausse des salaires et des
gains de productivité signifie pour elles la stabilité du coût salarial unitaire et, finalement,
toutes choses égales par ailleurs, une croissance des profits parallèle à celle des salaires.
Mais les accords salariaux conclus dans ces secteurs moteurs tendent à servir de référence
pour ceux des autres secteurs où les progrès de productivité sont plus faibles. Si dans ces
autres secteurs le niveau absolu des salaires est généralement plus faible (voire sensible-
ment plus faible) que dans les secteurs moteurs, sa croissance tend ainsi à s’effectuer au
même rythme que dans les secteurs moteurs, ce qui peut se traduire pour les entreprises
de ces secteurs par une hausse du coût salarial unitaire, facteur de hausse des prix. Si la
hausse des salaires, dans l’ensemble des secteurs d’activité, s’aligne sur celle des secteurs
qui connaissent la croissance de la productivité la plus forte, en supposant pour simplifier
que, dans ces derniers, la croissance des salaires s’aligne sur celle de la productivité, cela

48 On peut ajouter que l’impact d’une hausse des salaires sur les prix sera par ailleurs a priori d’autant plus faible que la
part des salaires dans le coût de production total des entreprises est elle-même plus faible.
49 Cela signifie que le prix auquel les entreprises vendent leur production est égal à la somme du coût de production
unitaire (W / Q) et d’un multiple m constant et positif de ce coût de production unitaire.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 55


signifie nécessairement au niveau macroéconomique que le taux de croissance moyen des
salaires excède celui de la productivité du travail. L’économie se retrouve alors dans une
configuration où la hausse des salaires est un facteur autonome d’inflation.
Il faut également tenir compte dans la genèse de l’inflation du rôle des frais financiers que
supportent les entreprises. La hausse des taux d’intérêt est en soi un facteur de hausse des
coûts de production répercutée sur les prix de vente, qui est d’autant plus sensible que les
entreprises sont plus endettées. S’il est vrai que l’inflation profite en soi aux agents écono-
miques qui s’endettent à taux d’intérêt fixe en allégeant mécaniquement la charge réelle
du remboursement de la dette, il est également vrai que, dans un contexte d’inflation, les
prêteurs de capitaux sont tout naturellement enclins à augmenter les taux d’intérêt afin
de se protéger de la perte de pouvoir d’achat de leurs créances, ce qui ne peut qu’inciter
les entreprises endettées à continuer d’accroître leurs prix.
Il faut de même tenir compte du rôle des profits, dès lors que les entreprises disposent
d’un certain pouvoir de marché et adoptent un comportement de mark-up consistant à ap-
pliquer à leurs coûts de production un taux de marge prédéfini qui détermine leur marge
bénéficiaire (profit) unitaire. L’application d’un taux de marge fixe à des coûts de produc-
tion nominaux en hausse aboutit à accroître en valeur absolue le profit nominal unitaire
que réalisent les entreprises et constitue par elle-même un facteur d’inflation, la hausse du
prix d’un bien étant égale à l’augmentation cumulée de son coût de production unitaire
et de la marge bénéficiaire unitaire. Mais la hausse des prix peut également être due à
une tentative des entreprises d’accroître leur taux de marge unitaire. Certains auteurs50
soutiennent ainsi que l’accélération de l’inflation qui s’est produite à partir de la fin des
années 1960 dans les pays industrialisés développés (cf. supra) est imputable pour partie
aux difficultés de rentabilisation des capitaux qui se sont manifestées dans la plupart de
ces pays au même moment. Les entreprises, à commencer par les plus puissantes, ont cher-
ché à compenser leurs difficultés de rentabilisation par une fuite en avant dans la hausse
des prix, déclenchant ainsi une spirale prix-salaires qui a entretenu le processus inflation-
niste de manière cumulative. Les politiques monétaires accommodantes de l’époque ont
accompagné le processus, la création monétaire des banques par le crédit fournissant à
l’inflation l’aliment monétaire indispensable à son développement.

50 En France, il s’agit en particulier d’auteurs appartenant ou ayant appartenu à ce qui se dénomme aujourd’hui l’école de
la régulation systémique (P. Boccara, P. Herzog, L. Fontvieille…). Aux États-Unis, c’est le cas d’auteurs du courant radical
comme S. Bowles, T. Weisskopf ou D. Gordon.

56 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 1.5
L’inflation par les coûts : une représentation graphique

Le graphique 1.5. illustre la manière dont se manifeste l’inflation par les coût sur le mar-
ché d’un bien quelconque, supposé représentatif de l’ensemble des marchés de biens. On
considère le cas où les fonctions de demande et d’offre totales sont respectivement dé-
croissante et croissante en fonction du prix. S’il se produit une hausse autonome des coûts
de production des entreprises, cela s’exprime pour chacune d’elles par un déplacement
vers le haut de sa courbe de coût marginal, ce qui traduit graphiquement le fait que, pour
chaque volume de production, le coût marginal de l’entreprise est désormais plus élevé
qu’auparavant. La courbe d’offre individuelle de chaque entreprise, qui se confond avec
sa courbe de coût marginal pour la partie située au-dessus de la courbe de coût moyen,
se déplace donc vers le haut et il en est de même de la courbe d’offre totale du bien. Il en
résulte une augmentation du prix (associée à une baisse du niveau de production) qui sera
d’autant plus marquée que la pente de la courbe de demande sera plus forte, c’est-à-dire
que l’élasticité de la demande par rapport au prix sera plus faible.
Dans les années 1960, la politique des revenus a été préconisée comme moyen de lutter
contre l’inflation par les coûts. Dans son principe, il s’agissait en quelque sorte de planifier
l’évolution des revenus, et en particulier des salaires, de manière à ce que s’effectue un
partage harmonieux des gains de productivité entre les différentes catégories de revenus,
garantissant une évolution « satisfaisante » du partage de la valeur ajoutée entre salaires
et profits. Mais le principe de cette politique fut rejeté, tant par le patronat que par les
syndicats51. Les tentatives faites en ce sens ultérieurement échouèrent également.
L’inflation par les coûts se développe d’autant plus aisément qu’il n’y a pas d’obstacle à la
fixation des prix par les agents économiques directement impliqués (les prix de vente par
les entreprises, les taux d’intérêt par les banques et les salaires par les salariés), que ces
agents économiques sont capables d’anticiper la hausse des prix et adaptent leur compor-
tement à leurs anticipations et que les structures de l’économie favorisent le déclenche-
ment et la poursuite de l’inflation (structures de marché qui permettent la collusion des
entreprises d’une branche, régime d’indexation…). Ce qui conduit à s’interroger sur les
dimensions sociale et structurelle de l’inflation.
51 Certaines organisations syndicales ont alors dénoncé ce qu’elles appelaient une « police des salaires ».

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 57


paragraphe 3 : l’inflation, phénomène social et structurel
Selon cette explication de l’inflation, celle-ci n’est pas seulement le résultat de déséqui-
libres qui peuvent affecter le fonctionnement de tout ou partie des marchés52, mais trouve
également son origine dans les structures économiques et sociales existantes et les com-
portements des agents économiques que ces structures induisent ou favorisent. Dans cette
optique, l’inflation peut être vue comme le résultat du conflit de répartition qui oppose
différentes catégories d’agents économiques et qui est à l’origine d’une spirale inflation-
niste ou qui en favorise le développement (A). L’inflation après la Seconde Guerre mon-
diale peut également être interprétée comme la traduction du nouveau mode de régula-
tion des économies des grands pays développés, qui s’est imposé à la suite des profondes
transformations structurelles qu’a connues le capitalisme à partir de la fin du XIXe siècle
(B).

A – La lutte pour le partage de la valeur ajoutée et l’inflation


Selon cette interprétation53, l’inflation est le résultat de la lutte pour le partage du revenu
national à laquelle se livrent différentes catégories d’agents économiques : les entreprises
qui cherchent à majorer leurs profits en augmentant leurs prix, les salariés qui cherchent
à accroître leur pouvoir d’achat par des hausses de salaires, l’État qui cherche à augmen-
ter ses ressources par la hausse des tarifs des services publics et/ou la majoration des taux
d’imposition. Cette lutte pour le partage du revenu national est un cercle vicieux qu’entre-
tiennent les réactions des divers groupes d’agents économiques et qui fait de l’inflation un
processus autoentretenu.
En prenant l’initiative d’une hausse des prix, les entreprises peuvent espérer en tirer un
avantage momentané. Il faut en effet éventuellement un certain temps aux salariés pour
percevoir la baisse de leur revenu réel ou le ralentissement de son rythme de croissance
qu’induit l’inflation et y réagir en imposant un réajustement des salaires nominaux. Pen-
dant ce temps, le partage de la valeur ajoutée évolue en faveur des profits et la rentabilité
des entreprises s’améliore54. Mais, en augmentant leurs prix pour améliorer leurs marges,
les entreprises légitiment par là même les revendications salariales de leurs employés. La sa-
tisfaction de ces revendications accroît les coûts de production, ce qui incite les entreprises
à réaliser de nouvelles hausses de prix. Ces hausses de prix accroissent la charge nominale
des dépenses que l’État doit assurer pour le compte de la collectivité. Cela le contraint à
tenter d’accroître ses ressources par la création de nouveaux impôts ou l’augmentation
des taux d’imposition, si l’accroissement des rentrées fiscales qui résulte mécaniquement
de celle des prix (augmentation nominale des impôts indirects sur la dépense, des impôts
directs sur le revenu) ne suffit pas. Ce faisant, il apporte sa contribution à la pérennisation
du processus inflationniste, tandis que ceux des agents économiques privés qui supportent

52 Le déséquilibre entre l’offre et la demande globales de monnaie qui est à la base de l’explication monétariste de l’inflation,
le déséquilibre entre l’offre et la demande globales de biens et services qui est à la base de l’explication de l’inflation par
la demande ou, par exemple, le déséquilibre du marché du travail ou celui des marchés de matières premières (pétrole,
métaux non ferreux…), conduisant à une hausse des salaires ou des prix de certains approvisionnements des entreprises,
qui est l’un des éléments auxquels fait référence l’explication de l’inflation par les coûts.
53 PERROUX François [1957], Structural Inflation and the Economic Functions of Wages, Mac Millan, Londres.
54 C’est d’ailleurs pour faire obstacle à cette évolution défavorable aux salariés que, dans les négociations salariales, les
syndicats cherchent à obtenir des augmentations de salaires qui tiennent compte de la hausse anticipée des prix.

58 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


l’alourdissement du prélèvement fiscal, et qui en ont la possibilité, chercheront à en allé-
ger la charge réelle par la hausse de leurs revenus nominaux.
Pour les différents groupes d’agents économiques qui sont en mesure de participer réel-
lement à cette course pour le partage du revenu national, c’est-à-dire qui ont, d’une ma-
nière ou d’une autre, un pouvoir d’action sur les prix et les revenus nominaux, il est assez
probable que le résultat final soit plutôt le maintien d’un certain statu quo, chaque groupe
parvenant à préserver approximativement sa part réelle du revenu national. Dans cette
course poursuite, il y a cependant des perdants. Ce sont a priori ceux des groupes d’agents
économiques dont la capacité d’action sur les prix et les revenus nominaux est, à la diffé-
rence des précédents, faible, voire nulle, comme les chômeurs ou les retraités, et dont les
revenus dépendent en quelque sorte de la bonne volonté des autres groupes ou de dispo-
sitifs de solidarité sociale.
Une telle spirale inflationniste s’impose d’autant plus aisément que certaines structures et
institutions de l’économie nationale et certains comportements des agents économiques
en favorisent l’apparition et le développement :
• marchés de concurrence imparfaite, et en particulier marchés oligopolistiques, ou mo-
nopoles (légaux ou de fait) qui donnent aux entreprises un pouvoir effectif de fixation
des prix ;
• faible mobilité des facteurs de production et en particulier du travail ;
• clauses d’indexation (des salaires sur les prix, des loyers sur les prix de la construction,
de certains prix sur d’autres, de certains taux d’intérêt sur d’autres) qui ont pour effet
d’étendre mécaniquement les hausses affectant initialement certains prix, ce qui contri-
bue à faire de l’inflation le processus autoentretenu et cumulatif évoqué antérieure-
ment55 ;
• syndicats de salariés suffisamment puissants pour être capables de faire prévaloir leurs
revendications ;
• régime de négociation collective des salaires et conventions collectives de branches
aboutissant à unifier les hausses de salaires au sein de chaque branche, alors que les
gains de productivité peuvent varier entre les entreprises d’une même branche, les en-
treprises les moins performantes pouvant alors être conduites à augmenter leurs prix
pour compenser l’effet des hausses de salaires ;
• évolution de la structure de la consommation des ménages au profit des services, alors
que le rythme de croissance de la productivité est en moyenne plus faible dans le sec-
teur des services que dans le reste de l’économie nationale ;
• anticipation systématique de l’inflation par les agents économiques et adaptation de
leur comportement en fonction de ces anticipations56 ;

55 L’exemple le plus fréquemment évoqué est celui de l’indexation des salaires sur les prix. Celle-ci permet de préserver le
pouvoir d’achat des salariés des hausses du coût de la vie (en tenant compte cependant des éventuels retards dans le jeu
des clauses d’indexation). Mais l’augmentation des salaires nominaux qui fait suite à une hausse des prix en application
des clauses d’indexation signifie pour les entreprises une hausse nominale de leurs coûts. Dans un contexte où il y a déjà
eu hausse des prix, les entreprises sont incitées à répercuter cette augmentation des salaires nominaux sur leurs prix de
vente, prolongeant ainsi la hausse du coût de la vie, ce qui appelle une nouvelle augmentation des salaires nominaux.
Cela signifie que, dès lors que l’inflation est lancée, le jeu des clauses d’indexation ne peut aboutir qu’à l’entretenir.
C’est d’ailleurs au nom de la lutte contre l’inflation que le plan de rigueur décidé par le gouvernement français en 1983
a engagé une politique de désindexation des salaires aboutissant à découpler leur évolution de celle des prix.
56 Si les agents économiques anticipent l’inflation et s’y adaptent en adoptant eux-mêmes un comportement inflationniste,
cela conduit à la réalisation effective de la hausse des prix ; comme déjà souligné, les anticipations sont auto-réalisatrices.

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 59


• politique de la monnaie et du crédit cautionnant éventuellement la dérive inflation-
niste en fournissant à la hausse des prix le substrat monétaire qui lui est nécessaire.
En raison de tels structures, institutions et comportements, une inflation déclenchée ini-
tialement de manière conjoncturelle peut se perpétuer en prenant un caractère durable
et structurel.
L’existence de cette spirale inflationniste repose finalement sur l’acceptation nationale
d’un taux d’inflation plus ou moins élevé selon les pays. L’Allemagne, depuis la Seconde
Guerre mondiale, est très réticente à l’égard de l’inflation car elle a conservé le souvenir
de l’hyperinflation du début des années 1920, considérée comme un facteur déterminant
de la montée du nazisme. Par contre, la France ou l’Italie ont longtemps manifesté une plus
grande tolérance à l’égard de l’inflation.

B - La régulation monopoliste et l’inflation


Pour l’école « parisienne » de la régulation (M. Aglietta, R. Boyer, A. Lipietz, J.-F. Vidal…),
l’inflation contemporaine est l’expression de la « régulation monopoliste » qui caractérise
le fonctionnement du capitalisme depuis plus particulièrement la Seconde Guerre mon-
diale. Pour cette école, le système capitaliste est un système contradictoire par nature.
L’accumulation du capital est inhérente à son fonctionnement : une partie au moins des
profits que réalisent les entreprises est investie, autrement dit transformée en un capital
additionnel qui s’ajoute au stock de capital existant. Or l’accumulation du capital se traduit
inéluctablement par le développement de contradictions qui en menacent la pérennité
et, partant, celle du système capitaliste lui-même. Si l’accumulation du capital peut néan-
moins se poursuivre, et si le capitalisme a pu et peut encore continuer à se développer,
c’est en raison de l’existence d’une régulation. R. Boyer la définit comme « la conjonction
des mécanismes concourrant à la reproduction d’ensemble du système, compte tenu de
l’état des structures économiques et formes sociales », en précisant que « cette régulation
est à l’origine de la dynamique de courte et moyenne période, puisqu’elle définit la nature
et le déroulement des enchaînements conjoncturels » (Boyer, 1979, p. 11)57.
Les auteurs distinguent deux grandes formes de régulation, la régulation concurrentielle
et la régulation monopoliste, qui correspondent « à des modes de fonctionnement polaires
d’une économie capitaliste » (Benassy, Boyer et Gelpi, 1979, p. 402) pour lesquels les prin-
cipes dominants d’ajustement de la production et de la demande sociale sont différents.
Elles sont associées à des configurations différentes du rapport salarial, de la concurrence
entre les capitalistes, du rôle de l’État et du système monétaire.
La régulation concurrentielle correspond en France à la période allant du milieu du XIXe
siècle à l’entre-deux-guerres. Elle a pour base : « une codification bien précise du rapport
salarial qui, par la nature individuelle et limitée dans le temps du contrat de travail, sou-
met l’usage et la rémunération de la force de travail au jeu du marché ; un certain type de
concurrence entre capitalistes, qui (…) repose essentiellement sur les prix ; une interven-
tion de l’État et des autorités monétaires qui, bien que non négligeable, n’interfère que
peu avec le jeu spontané du marché ; le système de création monétaire est fondé sur l’éta-
lon-or » (id., p. 402). Elle se caractérise par des mécanismes d’ajustement faisant intervenir
57 Cette définition de la régulation introduit le concept de mode de régulation, défini comme « tout ensemble de pro-
cédures et de comportements, individuels et collectifs, qui a la triple propriété de : 1) reproduire les rapports sociaux
fondamentaux à travers la conjonction de formes institutionnelles historiquement déterminées ; 2) soutenir et piloter
le régime d’accumulation en vigueur ; 3) assurer la compatibilité dynamique d’un ensemble de décisions décentralisées,
sans que soit nécessaire l’intériorisation par les acteurs économiques des principes de l’ajustement de l’ensemble du
système » (Boyer, 1986, p. 54-55).

60 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


de manière essentielle la flexibilité des prix, avec « un relatif synchronisme des prix et de
la production » (id., p. 404) ; les prix augmentent ou baissent en fonction du cycle écono-
mique conjoncturel. Le salaire nominal obéit lui aussi aux mouvements de la conjoncture
industrielle ; il augmente lors des phases d’essor et baisse avec la contraction de l’activité
(Graphique 1.6 A).
GrAPhIqUE 1.6
Evolution comparée de la production, du coût de la vie et des salaires
en régulations « concurrentielle » et « monopoliste »

A) RÉGULATION CONCURRENTIELLE B) RÉGULATION MONOPOLISTE


Source : R. Boyer [1978], « Les salaires en longue période », Economie et Statistiques, n° 103, septembre.

La régulation monopoliste qui s’impose en France après la Seconde Guerre mondiale


prend appui sur des transformations structurelles concernant la concurrence, le rapport sa-
larial, l’État et la monnaie. La concentration du capital a abouti dans nombre de branches
d’activité à la formation d’oligopoles, voire de monopoles, et au remplacement dans ces
banches de la forme antérieure de la concurrence (par les prix) par une concurrence de
type monopolistique, dans laquelle la différenciation des produits occupe une place es-
sentielle. Le rapport salarial se transforme également avec en particulier : l’extension et la
codification des négociations collectives entre salariés et employeurs, qui altèrent progres-
sivement le caractère individuel du contrat de travail, l’institution d’un salaire minimum
garanti dont la progression tend de plus en plus à être liée à celle de la productivité du
travail, la diffusion à l’ensemble des branches des hausses de salaires qui se produisent
dans les secteurs « moteurs », l’extension considérable des différentes composantes du
salaire indirect (prestations sociales). Parallèlement, l’État renforce son intervention dans
la vie économique nationale, tandis que l’instauration durable d’un régime monétaire de
cours forcé va de pair avec des réformes du système bancaire et de la politique monétaire,
destinées à faciliter l’accès au crédit, relevant ainsi les possibilités de création monétaire.
Cette régulation monopoliste est caractérisée par l’apparition de procédures de formation
des prix et des salaires différentes de celles qui caractérisaient la régulation concurrentielle.
Les prix deviennent « administrés », c’est-à-dire qu’ils sont formés en appliquant à l’ensemble
des coûts de production un taux de marge qui ne dépend que faiblement des débouchés, et
ils sont désormais rigides à la baisse. Les salaires nominaux, qui évoluent de plus en plus en
parallèle dans les différents secteurs, deviennent également rigides à la baisse. Ils incluent
les hausses du coût de la vie (procédure d’indexation) ainsi que, pour partie du moins, celles
de la productivité. L’évolution des salaires est désormais largement indépendante de celle

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 61


de la conjoncture économique et donc du chômage (graphique 1.6 B). Le développement
du salaire indirect a pour conséquence d’affranchir partiellement les salariés de différents
risques sociaux (chômage, maladies, invalidité, retraite), ce qui influe sur la dynamique du
salaire nominal, lequel « devient moins sensible à la conjoncture » (Boyer, 1995 b, p. 109).
Simultanément, le crédit bancaire s’étend de manière à faciliter l’accumulation du capital. La
création monétaire par le biais du crédit bancaire à l’économie fournit régulièrement le sup-
plément de monnaie qui est nécessaire pour permettre le bouclage d’un circuit économique
dans lequel l’évolution des grandeurs nominales est orientée à la hausse. Les hausses des prix
et des salaires sont ainsi validées par le système monétaire qui fournit la monnaie nécessaire
pour huiler les rouages de cette mécanique inflationniste.

Section 3 : Les effets de l’inflation

Les effets de l’inflation sont divers et concernent aussi bien la monnaie que l’activité éco-
nomique réelle (production, consommation et épargne des ménages, investissement des
entreprises) ou la répartition des revenus entre les différentes catégories d’agents écono-
miques. (§ 1). Ils sont le plus souvent jugés économiquement et socialement dangereux.
C’est le caractère négatif des effets de l’inflation qui a été mis en avant pour justifier la
priorité donnée, à partir de la fin des années 1970, à la mise en œuvre d’une politique
vigoureuse de désinflation (§ 2).

paragraphe 1 : une pluralité d’effets

L’inflation a tout d’abord des conséquences monétaires .


Elle se traduit par une altération des fonctions de la monnaie. La hausse du niveau général
des prix signifie une perte de pouvoir d’achat de la monnaie58 et donc une altération de sa
fonction de réserve de valeur et de pouvoir d’achat, avec diverses répercussions, dont en
particulier toutes celles qui ont déjà été évoquées antérieurement à propos de la consom-
mation et de l’épargne des ménages (cf. tome 1, chapitre V).
Une monnaie dont le pouvoir d’achat diminue peut en outre donner lieu à un phénomène
de fuite devant la monnaie. C’est ce qui se produit en particulier en cas d’hyperinflation
lorsque le détenteur de monnaie voit son pouvoir d’achat fondre de jour en jour, voire
d’heure en heure. C’est la fonction de moyen de paiement de la monnaie qui est alors mise
en cause. Les agents économiques tentent d’utiliser la monnaie qu’ils détiennent pour
se procurer des « valeurs refuges » : d’autres monnaies (devises, or) ou simplement des
marchandises. Les ménages anticipent leurs dépenses afin d’éviter une perte de pouvoir
d’achat. À la limite, l’échange monétaire peut alors laisser la place au troc et le volume
58 Si, par exemple, les prix augmentent de 12 % dans l’année, cela signifie qu’il faut désormais 112 de monnaie pour
acquérir la même quantité de biens qu’auparavant avec 100 de monnaie. Le pouvoir d’achat de la monnaie est donc
désormais égal à (100 / 112) x 100 = 89,28 % de son pouvoir d’achat initial ; la monnaie a perdu 10,72 points de son
pouvoir d’achat initial.

62 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des échanges ne peut que se contracter car, dans un tel contexte, il est plus rationnel, si on
le peut, de conserver les biens matériels dont on dispose que de s’en dessaisir contre une
monnaie fondante.
La baisse de son pouvoir d’achat interne rejaillit par ailleurs sur la valeur externe de la
monnaie, sur son taux de change, comme le souligne la théorie de la parité des pouvoirs
d’achat selon laquelle l’évolution du taux de change de la monnaie d’un pays par rapport à
celle d’un autre pays est conditionnée par le différentiel d’inflation entre ces deux pays (cf.
Tome I, chapitre X). Si le taux d’inflation d’un pays est supérieur à celui de ses partenaires
commerciaux, sa monnaie doit se déprécier sur le marché des changes. Dans un système de
taux de change flexibles, les marchés traduisent au jour le jour la diminution du pouvoir
d’achat de la monnaie nationale59. Dans un régime de taux de change fixes, comme celui
du système monétaire international de Bretton Woods, l’écart entre les taux d’inflation
des pays liés par l’accord monétaire, couplé avec des évolutions divergentes des soldes des
échanges extérieurs, peut conduire à des dévaluations monétaires plus ou moins fortes et
fréquentes. Ainsi, le franc a-t-il été dévalué successivement en 1945, 1948 (deux fois), 1949
(deux fois également), 1958 (encore deux fois) et 1969, conduisant le dollar de 0,50 francs
(lourds) en 1945 à plus de 5 francs en 1969. De même les « réajustements monétaires »
dans le système monétaire européen mis en place en 1979 ont-ils été nombreux. Mais cette
dépréciation de la monnaie est elle-même un facteur de pérennisation et d’amplification
de l’inflation en faisant augmenter les prix des produits importés (boucle de Hansen)60.
Mais les effets de l’inflation se font également sentir sur l’activité économique réelle .
Les effets négatifs de l’inflation sur l’activité économique réelle ont longtemps été minorés,
si ce n’est négligés. L’inflation rampante qui s’est développée tout au long des années 1950 et
1960 était ainsi censée contribuer à soutenir la croissance économique en favorisant l’inves-
tissement productif des entreprises61 et la consommation des ménages, financés par recours
au crédit, la hausse des prix aboutissant à réduire le poids réel de l’endettement contracté.
Avec cependant comme contrepartie que les investissements réalisés dans un contexte d’in-
flation, qui allège le coût réel de leur financement, ne sont pas nécessairement les plus judi-
cieux. Des investissements faiblement rentables par eux-mêmes peuvent ainsi être réalisés,
qui ne l’auraient pas été si l’inflation n’avait pas abouti à réduire artificiellement le coût réel
de leur financement62. Le fait est qu’en France l’inflation rampante des décennies 1950 et
1960 s’est accompagnée de la forte croissance économique que l’on sait. Par ailleurs, une
étude de la Banque mondiale portant sur la croissance économique et l’inflation dans 127
pays entre 1960 et 1992 montre que les pays ayant alors enregistré les taux de croissance les
plus élevés sont ceux qui ont connu une inflation rampante (Goux, 1998, p. 74).

59 Il est vrai que les fluctuations du taux de change dépendent également d’autres facteurs, tels que les taux d’intérêt, la
réputation internationale de la monnaie considérée ou les perspectives du commerce extérieur ; mais le rôle de l’inflation
pour la détermination du taux de change est très important.
60 On appelle « boucle de Hansen » le processus selon lequel une inflation nationale supérieure à celle des partenaires
commerciaux entraîne une dépréciation de la monnaie nationale, faisant augmenter les prix des importations, ce qui
est un facteur de pérennisation et de stimulation de l’inflation dans le pays considéré.
61 Selon la formule d’Yves Crozet (1995, p. 57), l’inflation des années 1960 a « masqué la préférence pour l’investissement ».
62 En effet, alors que les revenus nominaux générés par l’investissement croissent avec les prix, le montant nominal des
remboursements d’emprunts contractés pour le financer est fixe, ce qui signifie pour l’emprunteur une baisse de la charge
réelle représentée par le remboursement ; et il en est de même pour ce qui concerne les intérêts sur l’emprunt. En France,
sur l’ensemble de la période 1963-1974, les taux d’intérêt réels se sont élevés en moyenne annuelle à 0,94 % seulement, ce
qui signifiait pour les débiteurs une charge réelle, représentée par le paiement des intérêts, très faible (Bezbackh, 1990).

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 63


L’expérience historique a cependant montré que l’inflation, en s’accélérant, perturbe plus
ou moins gravement le fonctionnement d’ensemble de l’économie. L’accélération de l’in-
flation crée en effet un contexte dans lequel il est plus aisé à certains agents économiques
d’augmenter leurs prix à un rythme supérieur à celui de l’inflation ou de ne pas répercuter
sur l’évolution de leurs prix les gains de productivité réalisés. Elle rend ainsi possible des
modifications indues des prix relatifs, faussant par là même les calculs des agents écono-
miques qui s’appuient normalement sur l’information fournie par ces prix relatifs et leur
évolution dans le temps pour prendre leurs décisions. Par ailleurs, l’inflation crée une in-
certitude sur l’évolution ultérieure des prix dans la mesure où il n’est jamais facile pour les
agents économiques de prévoir avec exactitude l’inflation à venir. Cela peut conduire les
agents à prendre des décisions erronées, par exemple en matière d’investissement.
En s’accélérant, l’inflation incite par ailleurs les agents économiques à rechercher un ac-
croissement de leurs revenus par d’autres moyens que ceux qui correspondraient à l’amé-
lioration de leur efficacité économique propre. Elle peut, par exemple, dissuader certaines
entreprises d’effectuer les efforts de modernisation technique et organisationnelle qui
seraient indispensables pour assurer convenablement leur pérennité à long terme.
L’inflation dégrade plus globalement la compétitivité de l’économie nationale, du moins
pour toutes les productions pour lesquelles le prix des produits est l’élément déterminant
de la compétitivité, et peut ainsi être à l’origine d’un déficit des échanges extérieurs. Ce
sera en particulier le cas si le rythme de l’inflation dans le pays considéré excède celui de
ses principaux partenaires commerciaux. Dans ce cas, il est vrai que l’impact négatif de
l’inflation sur la compétitivité en termes de prix de l’économie nationale peut être com-
pensé par une dépréciation de la monnaie nationale sur le marché des changes, puisque
cette dépréciation est un facteur de baisse des prix exprimés en monnaie étrangère des
exportations du pays et de hausse des prix exprimés en monnaie nationale de ses importa-
tions. Mais, précisément parce qu’elle est un facteur de hausse des prix des importations,
la dépréciation de la monnaie nationale peut engager le pays dans un cercle vicieux qu’il
est ensuite difficile de rompre (cf. infra, chapitre V).
L’inflation a également certaines conséquences pour les finances publiques. L’évolution
nominale des dépenses de l’État est évidemment directement liée à celle des prix et des
salaires. Certaines recettes publiques enregistrent rapidement les hausses de prix (TVA ou
taxe intérieure sur les produits pétroliers, par exemple). Par contre, les impôts sur le revenu
réagissent plus lentement lorsqu’ils sont perçus avec une année de décalage, comme c’est
le cas pour l’IRPP en France63. L’inflation diminue par ailleurs la charge réelle du rembour-
sement de la dette publique, tout en augmentant la charge nominale du paiement des
intérêts dus sur les emprunts si la hausse des taux d’intérêt s’aligne sur celle des prix.
L’inflation agit aussi sur la répartition des revenus.
Elle se traduit par une baisse du pouvoir d’achat de certains revenus fixes ou modestes
(retraites, allocations, rentes, loyers, certains salaires) qui, à la différence de revenus dont
l’évolution est liée à celle des prix (revenus commerciaux, profits, impôts), ne s’adaptent
généralement qu’avec retard à la hausse des prix64. Globalement, ce sont les agents éco-

63 Outre que le rendement réel pour l’État de l’impôt progressif sur le revenu peut être amélioré en cas d’inflation si le
niveau des différentes tranches nominales de l’impôt est relevé d’un pourcentage inférieur au taux d’inflation.
64 L’indice du pouvoir d’achat permet de mesurer l’impact de la hausse des prix sur le pouvoir d’achat du revenu nominal.

64 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


nomiques les moins puissants et dont la position dans le circuit économique ne permet
pas de peser de manière significative sur l’évolution de l’activité économique (allocataires,
boursiers, handicapés, chômeurs, retraités) qui pâtissent le plus de l’inflation. Les salariés
des grandes entreprises, publiques ou privées, mieux organisés et ayant des traditions de
lutte syndicale, parviennent plus aisément à préserver leur pouvoir d’achat.
Ce sont cependant les titulaires de revenus de la propriété et de l’entreprise qui sont a
priori les mieux à même de se prémunir contre d’éventuelles conséquences négatives de
l’inflation pour leur pouvoir d’achat, voire en fait de pouvoir bénéficier de la hausse des
prix. Sur ce point, l’expérience française montre cependant que l’impact de l’inflation sur
l’évolution des revenus de la propriété et de l’entreprise s’est modifié avec le passage de
l’inflation rampante des années 1950 et 1960 à la forte poussée inflationniste des années
1973 à 1982. C’est ce qui ressort d’une étude du rapport sur les comptes de la nation de
l’année 1984 qui a mesuré, pour la période 1963-1984, la rentabilité du capital fixe brut des
sociétés et entreprises individuelles françaises pour l’ensemble des branches non agricoles,
rentabilité définie comme le rapport de l’excédent brut d’exploitation sur le capital pro-
ductif brut engagé. Cette étude fait apparaître que la rentabilité est orientée à la hausse et
se maintient à un niveau élevé jusqu’en 1973 (14,7 % en moyenne annuelle en 1963-1968
et 15,9 % en 1969-1973) puis baisse : 12 % en 1974-1979, 11,4 % en 1979, 10,1 % en 1982,
10,2 % en 1983. Elle ne remonte qu’à partir de 1984, alors que s’est engagé le processus de
désinflation qui a succédé à la poussée d’inflation des années 1970. L’amélioration de la
rentabilité jusqu’en 1969, puis son maintien à un niveau élevé jusqu’en 1973, étaient dus à
la hausse du taux de marge des entreprises, le partage de la valeur ajoutée entre salaires
et profits évoluant en faveur de ces derniers. La dégradation de la rentabilité après 1973,
a résulté, quant à elle, de la poursuite de la baisse de la productivité du capital engagée
depuis 1965 et de la baisse nouvelle du taux de marge. À partir de 1973, le partage de la
valeur ajoutée entre salaires et profits évolue en effet désormais en faveur des salaires, ce
qui pèse négativement sur la rentabilité des entreprises. L’évolution s’est inversée à partir
de 1983-1984, la désinflation s’accompagnant d’un redressement très marqué du taux de
marge des entreprises.

L’inflation est également à l’origine d’un transfert de ressources entre prêteurs et em-
prunteurs .
Le taux d’intérêt réel (r) est égal à : r = (i – p) / (1 + p), expression dans laquelle i désigne le
taux d’intérêt nominal et p le taux d’inflation. Si le taux d’inflation est relativement faible,
le dénominateur du rapport est à peine supérieur à 1 et, par approximation, le taux d’inté-
rêt réel peut alors être défini par le numérateur du rapport, soit la différence entre le taux
d’intérêt nominal et le taux d’inflation. Si le taux d’intérêt réel est négatif, c’est-à-dire que
le taux d’inflation est supérieur au taux d’intérêt nominal, configuration qui s’est rencon-
trée à différentes reprises jusqu’aux années 1970 incluses65, le pouvoir d’achat de la somme
récupérée par le prêteur au terme du prêt (remboursement du prêt qu’il a accordé majoré

Il est égal au rapport, multiplié par 100, de l’indice du revenu nominal sur l’indice des prix. Si, par exemple, entre to et tn
l’indice du revenu nominal passe de 100 à 146 tandis que celui des prix passe de 100 à 127, l’indice du pouvoir d’achat
du revenu s’établira pour une base 100 en to à (146 / 127) . 100 = 114,9 en tn, ce qui signifie que le pouvoir d’achat du
revenu nominal, autrement dit le revenu réel, a augmenté de 14,9 % entre to et tn.
65 Ce fut le cas entre 1974 et 1980, période au cours de laquelle les taux d’intérêt réels se sont établis en moyenne à – 1,1 %
(Crozet, 1995, p. 62).

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 65


des intérêts perçus) sera inférieur à celui de la somme prêtée66. L’inflation profite donc aux
agents économiques qui sont structurellement endettés au détriment de ceux qui sont struc-
turellement créanciers. Le rapport sur les comptes de la nation de l’année 1983 montre ainsi
que, sur la période de forte inflation 1974-1983, les ménages français ont subi une déprécia-
tion cumulée de leurs créances nettes équivalente à leur capacité de financement cumulée
(différence entre leur épargne et leur formation de capital)67. La nouvelle épargne financière
des ménages réalisée au cours de cette période a donc tout juste suffi à compenser la perte
de pouvoir d’achat de leurs placements financiers. Parallèlement, au cours de la même pé-
riode, l’allégement de dette dû à l’inflation dont ont bénéficié les sociétés non financières et
les administrations a représenté près de 75 % de leurs besoins de financement cumulés pour
les premières et près des deux tiers pour les secondes.

paragraphe 2 : la politique française de « désinflation


compétitive »
Au cours des années 1950 et 1960, dans la plupart des pays occidentaux développés, la po-
litique économique était prioritairement axée sur la réalisation du plein-emploi, les pou-
voirs publics s’accommodant de l’inflation rampante et ne mettant momentanément l’ac-
cent sur la lutte contre l’inflation qu’en cas de poussée conjoncturelle des prix. La situation
se modifie cependant du tout au tout au tournant des années 1980. Confrontés depuis la
fin des années 1960 à l’accélération progressive de l’inflation, amplifiée par les deux chocs
pétroliers successifs de 1973 et 1979, et alors que les thèses monétaristes ont acquis une
large audience dans les grandes organisations économiques internationales (FMI, OCDE)
et dans les banques centrales, les responsables gouvernementaux des principaux pays in-
dustrialisés vont opérer les uns après les autres un changement de cap complet en faisant
désormais de la lutte contre l’inflation l’objectif prioritaire de la politique économique.
L’année 1979 marque de ce point de vue un tournant essentiel. D’une part, Mme Thatcher
qui accède au pouvoir en Grande-Bretagne opte explicitement pour une politique de lutte
contre l’inflation s’inspirant des préceptes monétaristes. D’autre part, Paul Volker, nommé
à la tête de la Banque de réserve fédérale (la FED) des États-Unis, engage à partir du mois
d’octobre une politique monétaire très restrictive se traduisant par une hausse brutale des
taux d’intérêt nominaux qui vont atteindre pratiquement les 20 %. Les résultats obtenus
en matière de hausse des prix furent rapides et probants, la hausse des prix à la consom-
mation revenant au Royaume-Uni de 18 % en 1980 à 4,5 % en 1983 et aux États-Unis de
13,4 % en 1980 à 3,2 % en 1983. Mais ils se payèrent d’une très forte récession écono-

66 Exemple : une somme de 1 000 est prêtée pour un an au taux d’intérêt de 8 % mais le taux d’inflation pendant l’année
du prêt est de 12 %. Au bout d’un an, le prêteur récupère 1 080 (1 000 prêtés + 80 d’intérêts). Le pouvoir d’achat de
cette somme est égal à (1 080 / 112) x 100 = 964,28, 112 étant l’indice des prix au moment du remboursement pour une
base 100 au moment où le prêt à été accordé. Le prêteur a donc subi une perte de pouvoir d’achat égale à 35,72. Cette
perte représente le gain d’un montant identique réalisé par l’emprunteur. Le prêteur ne réalise un gain de pouvoir
d’achat à la suite de son prêt que si le taux d’intérêt réel est positif, autrement dit que si le taux d’intérêt nominal est
supérieur au taux d’inflation.
67 1 010 milliard de francs de dépréciation cumulée des créances nettes pour 1 070 milliards de capacité de financement.
De 1971 à 1983, la dépréciation des créances des ménages a représenté en moyenne annuelle approximativement 5,5 %
de leur revenu disponible brut et 34 % de leur épargne (Bezbackh, 1990). Pendant cette période, les taux d’intérêt sur les
livrets d’épargne ont été systématiquement inférieurs à l’inflation. Les épargnants des classes populaires, pour lesquels ces
livrets représentaient alors une importante forme d’épargne financière, ont donc été dans la situation évoquée ci-dessus.

66 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


mique, de sorte que, dès la mi-1982, face à l’ampleur de la récession aux États-Unis où le
taux de chômage atteignait les 10 %, la politique monétaire fut assouplie, favorisant une
détente des taux d’intérêt qui devait permettre la relance de l’activité.
La politique française de désinflation compétitive68 participe de ce mouvement d’ensemble
qui fait de la lutte contre l’inflation la nouvelle priorité de la politique économique. Cette
politique de désinflation compétitive fut engagée dès 1983 avec le « tournant de la rigu-
eur » du plan Delors et fut ensuite poursuivie par les différents gouvernements successifs
tout au long de la seconde moitié des années 1980 et encore pendant la majeure partie des
années 1990. Elle avait pour objectif affirmé de supprimer l’écart entre le taux d’inflation
de la France et celui de ses principaux partenaires commerciaux, et en premier lieu l’Alle-
magne, afin de rétablir la compétitivité en termes de prix des produits français. Elle était
censée permettre d’aboutir à ce résultat en influant sur la marche de l’économie selon une
certaine logique (A). Les faits ont cependant montré que cette politique pouvait avoir un
impact sensiblement différent de celui attendu (B).

A – La logique de la politique de désinflation compétitive


Comme l’explique l’ancien gouverneur de la Banque de France et actuel Président de la
BCE, Jean-Claude Trichet (1992), cette politique a pour « objectif central de donner à notre
économie les coûts les plus faibles possibles en termes réels », avec l’idée que « la faible
inflation des prix et des coûts est (…) une condition nécessaire de la croissance »69. Il s’agit
d’obtenir le plus rapidement possible une baisse marquée et durable du taux d’inflation
en agissant simultanément sur différentes causes supposées de la hausse des prix : l’excès
de création monétaire, la croissance excessive de la demande et plus précisément de la
consommation des ménages, la hausse des coûts de production et au premier chef les coûts
salariaux.
Dans son principe, cette politique de désinflation compétitive consiste à favoriser, par la
rigueur monétaire (contrôle strict de la croissance de la masse monétaire) et la rigueur
budgétaire (limitation du déficit budgétaire de l’État), la désinflation et la préservation
du taux de change du franc (l’arrimage du franc au mark) afin d’améliorer l’équilibre des
échanges extérieurs et de stimuler à terme la croissance interne et l’emploi.
En substance, la rigueur monétaire et la rigueur budgétaire, en freinant la croissance de la
demande intérieure, doivent favoriser la désinflation, avec comme contrepartie acceptée
la montée du chômage. Celle-ci doit permettre à son tour de peser sur l’évolution des sa-
laires nominaux et se traduire par un net ralentissement de la croissance, voire une baisse,
des salaires réels qui, en tout état de cause, progresseront moins vite que la productivité ;
ce résultat étant désormais d’autant plus aisément acquis que la rigueur se doublera d’une
politique de libéralisation du marché du travail visant à assurer la flexibilité des salaires
à la baisse (désindexation des salaires, liberté de licenciement, entraves au pouvoir syn-
dical, etc.). Les entreprises dont les coûts salariaux se réduisent (la productivité du travail

68 Selon l’expression utilisée par le Gouverneur de la Banque de France, Jean-Claude Trichet (1992).
69 J.-C. Trichet (1992) explique que, dans une « économie totalement ouverte », l’économie nationale ne peut progresser à
un rythme supérieur à celui de ses partenaires que si elle vend « proportionnellement plus sur le marché domestique et
sur les marchés étrangers » et donc que si elle est capable de « manufacturer ses biens et produire ses services à moindre
coût, donc à meilleur prix, que les économies de ses partenaires ».

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 67


progressant désormais plus vite que le salaire réel) peuvent ainsi accroître leur rentabilité,
alors même que la désinflation améliore leur compétitivité en termes de prix à l’égard
des concurrents étrangers sur le marché national comme à l’exportation. Cette amélio-
ration de la compétitivité permise par la désinflation est un facteur de rééquilibrage des
échanges extérieurs, auquel contribue également le freinage des importations qui résulte
de la pression que la rigueur monétaire et la rigueur budgétaire exercent sur la demande
intérieure. Ce redressement des échanges extérieurs (réduction du déficit, voire apparition
d’un excédent) contribue à la préservation ou à l’amélioration du taux de change de la
monnaie nationale, ce qui favorise la désinflation et permet de l’entretenir en pesant sur
les prix des produits importés selon un cercle vertueux.
Selon ses défenseurs, s’il est vrai que cette politique commence bien par dégrader la situa-
tion de l’emploi, le chômage doit cependant finalement régresser. L’amélioration de leur
compétitivité permet en effet aux entreprises nationales de préserver, voire d’améliorer,
leurs parts de marché et influe donc positivement sur le niveau d’activité. Il en va de même
du redressement de la rentabilité de ces entreprises qui favorise l’investissement nécessaire
à la modernisation de l’appareil productif et à la préservation d’un rythme soutenu de
croissance de la productivité.
Cette politique de désinflation compétitive, dite aussi politique du « franc fort » repose
en fait sur la conviction selon laquelle, à terme, une monnaie plus forte doit contribuer à
améliorer en profondeur la compétitivité de l’économie nationale. D’une part, en affai-
blissant par elle-même la compétitivité-prix de l’économie nationale (puisqu’elle se traduit
par la hausse des prix des produits exportés et la baisse des prix des produits importés),
l’appréciation de la monnaie nationale contraint les entreprises à amplifier leurs efforts
de compétitivité en réalisant des gains de productivité afin de rétablir leur compétitivité-
prix par la baisse des coûts de production. Elle les contraint également à améliorer leur
compétitivité hors prix par des innovations de produits qui permettent de répondre à de
nouveaux besoins et par la spécialisation dans des productions pour lesquelles la demande
est forte et relativement insensible aux prix (amélioration de la gamme et de la qualité des
produits exportés). Une telle politique est donc conçue comme un moyen d’influer sur la
structure du système productif en favorisant sa réorientation vers les branches d’activité
jugées les plus dynamiques et les plus créatrices de richesses. D’autre part, une monnaie
plus forte doit également permettre de réduire la prime de risque que les prêteurs étran-
gers exigent sur les marchés de capitaux pour se prémunir contre les inconvénients d’une
dépréciation de la monnaie nationale réduisant la rentabilité de leurs placements. Elle
contribue ainsi à faire baisser les taux d’intérêt, ce qui doit influer favorablement sur l’in-
vestissement productif des firmes.

B – La réalité de la politique de désinflation compétitive


Reste, cependant, que les résultats attendus de cette politique en matière de croissance et
d’emploi sont loin d’être assurés.
D’une part, la pression sur les salaires réels qui permet de réduire les coûts salariaux des
entreprises n’est un facteur d’amélioration de leur compétitivité que si la baisse des coûts
est répercutée sur les prix. Or les entreprises peuvent choisir de privilégier leur rentabilité
immédiate par rapport à la compétitivité. Plutôt que de répercuter la baisse des coûts

68 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


salariaux sur leurs prix, gagner ainsi des parts de marché et pouvoir par conséquent aug-
menter leur production et créer des emplois, elles peuvent choisir de relever leurs marges.
De surcroît, les effets positifs à terme sur la croissance et l’emploi de cette amélioration de
la rentabilité (essor de l’investissement favorisant l’accroissement de la productivité du tra-
vail) peuvent ne pas se produire dans les proportions prévues, ou même ne pas se produire
du tout. Ce sera précisément le cas si les entreprises mettent à profit le redressement de
leur rentabilité non pour réaliser des investissements productifs mais pour se désendetter
ou procéder à des placements financiers et dégager des ressources permettant d’effectuer
des opérations boursières de restructuration. Ce qu’ont précisément fait nombre d’entre-
prises françaises après 1983.
D’autre part, la pression sur les salaires réels qui réduit les coûts de production des entre-
prises réduit simultanément la consommation des ménages, ce qui ne peut qu’influer né-
gativement sur l’activité et l’emploi. En outre, une telle politique, qui est dans son principe
non coopérative puisque les pays ne peuvent pas tous chercher en même temps à obtenir
un taux d’inflation plus faible que celui des autres, ne peut réussir que si elle est adoptée
par un nombre limité de pays. Par contre, si tous les grands pays l’adoptent simultané-
ment, ils sont alors confrontés à ce que les keynésiens appellent un « effet de composi-
tion ». La désinflation, s’effectuant en parallèle dans les principales nations commerçantes,
ne se traduira par une amélioration de la compétitivité pour aucune d’elles. L’inflation se
réduira partout, mais les prix relatifs, et donc la compétitivité en termes de prix, ne seront
pas modifiés. Dans ces conditions, l’effet négatif pour la demande globale et pour le ni-
veau de l’activité et de l’emploi de la pression sur les salaires réels joue pleinement.
La politique de désinflation compétitive appliquée en France à partir de 1983 a cependant
permis d’obtenir une désinflation marquée et rapide, le taux d’inflation s’établissant dans
une fourchette de 2-3 % à partir de 1986 puis aux environs de 2 % à partir de 1992, tandis
que le différentiel d’inflation avec l’Allemagne se résorbait progressivement. Ce retour
rapide à un taux d’inflation beaucoup plus faible ne peut cependant être imputé uni-
quement à la politique suivie. La désinflation a bénéficié d’un contexte favorable avec le
contre-choc pétrolier de 1986 qui a fait passer le prix du pétrole brut d’environ 29 dollars
le baril entre 1983 et 1985 à 12 dollars en 1986, la baisse des prix de nombreuses autres
matières premières et la forte baisse du dollar (monnaie de facturation de certaines impor-
tations, dont le pétrole) qui s’est amorcée à partir de 1985 et l’a fait passer d’un maximum
de 10,60 francs en 1985 à moitié moins quelques années plus tard. Ces différents événe-
ments favorables se sont conjugués pour réduire le coût des importations et favoriser ainsi
la décélération de la hausse des prix en interne. Parallèlement à la très vive décélération de
la hausse des prix, la croissance des salaires nominaux a également fortement fléchi. Après
avoir été de 15 % en moyenne annuelle entre 1973 et 1982, la hausse des salaires nomi-
naux a été ramenée à environ 3,5 % en 1989-1990. Cette politique a également contribué
au redressement du solde des échanges commerciaux du pays qui ne redevient cependant
positif qu’à partir de 1992.
Mais elle s’est également traduite par une forte hausse des taux d’intérêt réels. La réduc-
tion du taux d’inflation, à partir de 1983, a en effet été beaucoup plus rapide que celle
des taux d’intérêt nominaux, poussant ainsi les taux d’intérêt réels à la hausse. Alors qu’ils
avaient été négatifs de 1974 à 1980, ces derniers ont atteint dès le milieu des années 1980

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 69


des niveaux très élevés (de l’ordre de 6 %) qui se sont maintenus jusque dans les années
1990. La réunification de l’Allemagne, avec la reconnaissance de la parité du mark est-al-
lemand et du mark ouest-allemand, a alors suscité des tensions inflationnistes très fortes
dans ce pays, auxquelles la Bundesbank a réagi en augmentant sensiblement ses taux d’in-
térêt nominaux à court terme. Pour éviter que des mouvement de capitaux aboutissent
à ce que le franc décroche du mark, la France s’est alignée sur l’Allemagne, élevant ses
propres taux d’intérêt. Des taux d’intérêt réels aussi élevés ne pouvaient cependant que
peser négativement sur l’investissement productif des entreprises (et en particulier des
PME dont on connaît le poids dans le tissu productif français) et donc sur le niveau de l’ac-
tivité et de l’emploi. Ils ont eu également un effet négatif sur la situation des finances pu-
bliques, avec un effet « boule de neige » sur la dette publique (cf. infra, chapitre IV). Cette
politique a pesé sur l’évolution de la production et de l’emploi. En dehors des deux années
de reprise, 1988 et 1989, la croissance du PIB est demeurée languissante jusqu’en 1997.
L’emploi s’est durablement dégradé. La hausse considérable de leurs frais financiers résul-
tant de la hausse des taux d’intérêt réels a conduit les entreprises à limiter les embauches
afin de comprimer la masse salariale et, par ce biais, rétablir leur profitabilité (Clerc, 1999,
p. 149-150). Le taux de chômage s’est élevé jusqu’à plus de 12 % de la population active,
avec une poussée particulièrement marquée du chômage des jeunes et du chômage de
longue durée (cf. infra, chapitre II).
Au début des années 1990, alors que l’inflation était revenue globalement à des niveaux
très faibles, que le chômage progressait et que l’économie traversait une nouvelle crise
conjoncturelle, l’intérêt de prolonger une telle politique a été fortement contesté, certains
auteurs exprimant leur crainte que l’on ne glisse de la désinflation à la déflation. Cette
politique a néanmoins été poursuivie. Ce choix des pouvoirs publics a souvent été justifié
en invoquant l’argument de la crédibilité. En substance, la recherche d’une véritable crédi-
bilité des autorités monétaires (et budgétaires) quant à leur engagement en faveur de la
stabilité monétaire et du contrôle de l’inflation impliquerait de maintenir la rigueur moné-
taire (et budgétaire) tant que les anticipations inflationnistes des agents économiques pri-
vés n’ont pas disparu et que, de ce fait, les taux d’intérêt intègrent une prime d’inflation ;
étant admis qu’une telle politique doit cependant permettre d’obtenir au bout du compte
une baisse significative des taux d’intérêt stimulant l’investissement et donc la croissance
et l’emploi. On ne peut ignorer cette argumentation, mais elle ne suffit pas, loin s’en faut,
à rendre compte de la poursuite de la politique de désinflation compétitive.
D’une part, la politique de désinflation compétitive a été un moyen d’imposer le repar-
tage de la valeur ajoutée au détriment des revenus du travail et en faveur des revenus
de la propriété et du capital (du profit). Ce repartage s’est amorcé en France à partir de
1983 et a abouti, en moins d’une dizaine d’années, à redonner aux profits une part dans
la valeur ajoutée aussi élevée, voire plus, que celle qu’ils avaient pendant les années 1960,
tandis qu’étaient progressivement remis en cause certains des acquis sociaux obtenus par
les salariés au cours des années 1950 et 1960. Alors que la part des salaires dans la valeur
ajoutée avait augmenté sensiblement, et donc que le taux de marge des entreprises avait
baissé, du début des années 1970 au début des années 1980 (graphique 1.7), du fait en
particulier de l’indexation des salaires sur les prix, du ralentissement de la croissance de la
productivité du travail, de l’augmentation du coût de la protection sociale et de la hausse
des prix de l’énergie, l’évolution s’inverse à partir de 1982-1983. La part des salaires dans

70 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


la valeur ajoutée baisse fortement (le taux de marge des entreprises se redresse) jusqu’en
1989 et tombe alors en dessous de son niveau de la seconde moitié des années 1960, et
du début des années 1970, sous l’effet de la politique de désinflation compétitive, de la
monté du chômage de masse, qui réduit la capacité revendicative des salariés et le pouvoir
de négociation de leurs organisations syndicales et du contre-choc pétrolier de 1986 qui
réduit le prix relatif de l’énergie. La baisse se poursuit à un rythme très ralenti jusqu’en
1998, dans un contexte caractérisé par la poursuite de la politique de rigueur et la très
faible croissance du PIB (qui n’augmente que de 1,3 % par an entre 1990 et 1997), alors
que le maintien d’un taux de chômage élevé continue de peser sur l’évolution des salaires,
que s’exerce une pression croissante des actionnaires sur les directions d’entreprises et
que la baisse du prix relatif de l’énergie se prolonge (Bourgeois, 2004, p. 26). La part des
salaires dans la valeur ajoutée et le taux de marge demeurent ensuite quasiment stables
sur la période 1998-2001, alors même que le chômage revient de 12,2 % à l’automne 1997
à 8,7 % au printemps 2001, et que le prix relatif de l’énergie se relève. Cela tient à ce que
les trois années 1998-2001 ont été caractérisées simultanément par une forte croissance du
PIB en volume (3,7 % par an en moyenne), induisant un taux élevé d’utilisation des capaci-
tés productives qui a joué en faveur du taux de marge, et par une certaine croissance de la
productivité du travail (1,5 % par an en moyenne contre 1,1 % en moyenne en 1993-1997
et 0,6 % seulement en 2002-2003) également favorable au taux de marge. À quoi s’est
ajoutée la mise en place des trente-cinq heures qui « s’est accompagnée d’une modération
salariale, limitant ainsi le recul du taux de marge que le recul du chômage aurait pu impli-
quer » (id., p. 26).
GrAPhIqUE 1.7
Évolution de la part des salaires dans la valeur ajoutée
En %
70
Part des salaires dans la valeur ajoutée
corrigé de la non salarisation

65

OCDE
60
Base 95

55
65 69 73 77 81 85 89 93 97 01
Source: OCDE de 1965 à 1995, comptes nationaux base 1995 de 1980 à 2000, prévision OFCE de 2001 à 2010.
Revue de l’OFCE, n° 80, janvier 2002, p. 64

D’autre part, la poursuite de la politique de désinflation compétitive a également été


conçue comme le moyen de préparer la France à son intégration dans l’Union monétaire
européenne. Les orientations données à la politique économique conjoncturelle en France
à partir du tournant de la rigueur de 1983, et parallèlement dans les autres pays euro-

Les déséquilibres de l’économie : l’inflation 71


péens, ont en effet été directement conditionnées par le choix structurel fondamental de
réaliser l’Union économique et monétaire. La décision prise en 1991 de passer à la monnaie
unique en 1999 a en effet conduit les pays européens à s’imposer un objectif commun de
stabilité monétaire intérieure et internationale, formalisé dans l’obligation faite aux pays
souhaitant intégrer la future zone euro de respecter les « critères de convergence » défi-
nis par le traité de Maastricht (cf. infra, chapitres IV et V), dont la réalisation apparaissait
indispensable à l’unification de l’espace monétaire européen. Globalement, le respect de
ces critères de convergence revenait à imposer à la France la poursuite de cette politique
de désinflation compétitive, associée à la rigueur monétaire et à la rigueur budgétaire,
en dépit d’un contexte (jusqu’en 1997-1998) de croissance économique ralentie et de chô-
mage important.
Selon le traité de Maastricht les pays décidés à intégrer l’euro au 1er janvier 1999 devaient
en effet respecter les cinq « critères de convergence » suivants :
1) le taux d’inflation du pays ne doit pas excéder de plus de 1,5 point en pourcentage le
taux d’inflation moyen enregistré au cours des 12 mois précédents par les trois pays de
la zone euro ayant eux-mêmes l’inflation la plus faible ;
2) les taux d’intérêt à long terme du pays ne doivent pas excéder de plus de deux points
en pourcentage les taux moyens correspondants observés dans les trois pays de la zone
ayant l’inflation la plus faible ;
3)les taux de change de la monnaie nationale par rapport aux autres devises européennes
doivent être demeurés à l’intérieur des marges de fluctuations prévues par le système
monétaire européen, sans dévaluation, depuis au minimum deux ans ;
4) le déficit des administrations publiques doit être inférieur à 3 % du PIB ;
5) la dette de l’ensemble des administrations publiques (État, collectivités locales et orga-
nismes de sécurité sociale) doit être inférieure à 60 % du PIB.
Les trois premiers critères, qui sont de nature monétaire, impliquaient la poursuite de la
politique de désinflation et de préservation du taux de change (ancrage du franc au mark)
engagée depuis 1983, la réduction de la dette publique ainsi que celle du déficit budgé-
taire de l’État contribuant également à la réalisation de cet objectif de désinflation. Les
deux derniers critères, compte tenu de la situation des finances publiques, rendaient la
rigueur budgétaire pratiquement inéluctable.

72 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les déséquilibres
de l’économie : le chômage

CHAPITRE 2

Le chômage est contemporain de la société salariale1. Il suppose le salariat comme forme


dominante de mise au travail (Freyssinet, 1991). Dans ce contexte, il se définit par le fait
pour un individu de ne pas parvenir à vendre sa force de travail.
En Europe continentale, le chômage est devenu depuis les années 1970 un phénomène
massif affectant (plus ou moins) toutes les catégories de salariés, y compris les cadres. En
2007, selon Eurostat, l’Union européenne à 27 comptait ainsi 17 millions de chômeurs
recensés (19 millions en 2005) et la France 2 374 000. Le taux de chômage, c’est-à-dire le
rapport du nombre de chômeurs sur la population active totale, atteignait 7,1 % pour
l’ensemble de l’Union, ce chiffre moyen recouvrant cependant une grande disparité de
situations, avec une fourchette allant de 3,2 % aux Pays-Bas à 11,1 % en Slovaquie.
En France, comme dans nombre de pays développés, la montée du chômage, lente à la fin
des années 1960 et au début des années 1970, s’est brutalement accélérée après le premier
choc pétrolier, le taux de chômage passant d’une moyenne annuelle de 1,1 % en 1960-
1967 à 2,7 % en 1968-1973 puis à 4,5 % en 1974-1980. Cette montée du chômage a pu
alors être perçue comme l’expression d’un déséquilibre économique conjoncturel auquel
les pouvoirs publics s’efforcèrent de répondre par des politiques économiques conjonctu-
relles du type de celles qui avaient été appliquées avec succès pendant les années 1960.
Mais, contre toute attente, ces politiques s’avérèrent en fait incapables d’enrayer la crois-

1 Le terme de chômeur, qui désigne à l’origine la situation des ouvriers privés de travail, n’apparaît dans le vocabulaire
économique et politique qu’au tournant des années 1880. Au recensement de 1891, les chômeurs ne forment pas une
catégorie spécifique, ils sont rangés parmi les personnes non classées à côté des « professions inconnues, enfants trouvés,
personnes sans profession (vagabonds, saltimbanques…) ». Ce n’est qu’avec le recensement de 1896 qu’apparaît la caté-
gorie proprement dite des « chômeurs » (Albertini, 1996, p. 5).
sance du chômage. S’est alors peu à peu imposée l’idée selon laquelle le chômage n’était
plus seulement conjoncturel, résultant du ralentissement momentané du rythme de la
croissance économique, mais était devenu, pour partie au moins, structurel et durable, lié
aux transformations du système productif et à certaines évolutions socio-économiques.
De fait, la montée du chômage s’est poursuivie tout au long des années 1980 et 1990, le
taux de chômage s’établissant à une moyenne annuelle de 8,3 % en 1981-1985, 10 % en
1986-1990 et 11,2 % en 1991-1995. Le haut de la vague a été atteint au milieu des années
1990 avec un taux de chômage de 12,3 % en 1997. Une nette décrue s’est ensuite amorcée,
le taux de chômage revenant à 8,8 % début 2001, alors que la France retrouvait, pour une
brève période (1997-2000), un rythme de croissance économique plus soutenu. Entre 1997
et 2000, la France crée 1,8 million d’emplois dont 600 000 en 2000. Alors que les emplois du
secteur marchand avaient pratiquement stagné entre 1974 (13,75 millions) et 1996 (13,85
millions), ils augmentent de 15 % en 5 ans.
L’espoir d’un reflux durable du chômage qui s’était alors fait jour fut cependant rapide-
ment démenti. Le taux de chômage s’est en effet rapidement redressé pour atteindre 10 %
en octobre 2003. Il s’est maintenu à ce niveau jusqu’à la fin de l’année 2004 et a subi une
nouvelle hausse début 2005, le portant à 10,2 % en avril 2005.
Il a ensuite amorcé, à la fin du premier semestre, un nouveau mouvement de repli qui s’est
poursuivi jusque dans les premiers mois de l’année 2008, mais dont l’ampleur exacte a fait
un temps débat. Cette nouvelle baisse du chômage a pu être interprétée comme résultant
de la conjonction du ralentissement très net de la croissance de la population active, lié
au départ à la retraite des premières générations du baby boom, et de la création de nou-
veaux dispositifs d’emplois aidés, en particulier dans le cadre du Plan de cohésion sociale :
265 000 emplois aidés en 2005 et environ 300 000 en 2006 (contrats d’avenir et contrats
d’accompagnement dans l’emploi), 250 000 contrats d’avenir ayant été programmés res-
pectivement pour 2006, 2007 et 2008. À partir de la fin du 1er semestre 2008, le chômage
a recommencé à augmenter sous l’effet de la nouvelle crise économique conjoncturelle.
Si la réalité du chômage, son caractère massif et durable dans un pays comme la France
ne sont malheureusement pas contestables, sa définition précise et sa mesure font cepen-
dant débat, en raison de la présence, à côté des chômeurs proprement dits, de diverses
catégories de personnes dont la situation au regard de l’emploi n’est pas satisfaisante.
En effet, la dégradation de la situation de l’emploi depuis les années 1970 ne s’est pas
limitée à la seule montée du chômage proprement dit. Elle se manifeste également par
l’apparition et le développement de formes d’emplois atypiques dont les titulaires sont
souvent en situation précaire (section 1). Les enquêtes d’opinion confirment régulière-
ment que le chômage est, depuis de longues années, le premier sujet d’inquiétude des
Français. À l’aune de la place qu’il occupe ainsi dans les préoccupations des populations,
le chômage est l’objet d’un débat théorique et politique extrêmement nourri sur sa ou ses
causes principales et, en corollaire, sur le ou les moyens de le résorber, autrement dit sur
les politiques qu’il faudrait éventuellement mettre en œuvre pour le combattre. Les expli-
cations qui en sont proposées sont d’une très grande diversité. Elles vont de l’insuffisante
flexibilité du marché du travail et des rigidités imposées par le respect du Code du travail,
aux destructions d’emplois suscitées par le progrès technique, en passant par la faiblesse
de la demande globale, la recherche exacerbée de profits des entreprises, la concurrence
des pays émergents, l’augmentation du taux d’activité des femmes, les hausses inconsidé-

74 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


rées des salaires... Sur cette question, comme sur d’autres, on retrouve l’opposition entre le
courant néoclassique et le courant keynésien qui avancent des explications théoriques du
chômage et préconisent des politiques destinées à le résorber très différentes (section 2).
Cette opposition entre les deux grands courants théoriques se retrouve également à pro-
pos de l’analyse de la relation entre l’inflation et le chômage et ses incidences concernant
la conduite de la politique économique de l’État (section 3).

Section 1 : Le chômage : mesure et évolution


Le chômage fait l’objet d’un suivi statistique régulier qui, en France, se traduit en particu-
lier par la publication d’une mesure mensuelle du nombre de chômeurs. Les chiffres offi-
ciels du chômage ne donnent cependant qu’une vision incomplète des difficultés de l’em-
ploi, dans la mesure où, depuis les années 1970, les frontières entre le chômage, l’inactivité
et l’emploi sont devenues plus floues et où, dans un pays comme la France, la dégradation
de la situation de l’emploi ne se limite plus au seul chômage proprement dit (§ 1). Au-delà
des débats que soulève sa mesure, il reste que le chômage et les difficultés de l’emploi qui
lui sont associées se sont imposés depuis les années 1970 comme un phénomène massif et
durable, qui affecte cependant les diverses catégories de salariés selon des modalités et
avec une intensité variables (§ 2).

paragraphe 1 : le chômage et l’emploi : problèmes de définition


et de mesure
La définition du chômage est pour partie affaire de convention, ce que traduit la coexis-
tence de plusieurs définitions et mesures officielles du chômage (A). Les chiffres du chô-
mage n’informent par ailleurs que de manière imparfaite sur la gravité réelle du problème
de l’emploi, comme le soulignent les travaux qui mettent en évidence le flou des frontières
séparant le chômage, l’inactivité et l’emploi (B).

A – Les définitions et mesures officielles du chômage


Selon la définition retenue par le Bureau international du travail (BIT), pour être considé-
rée comme chômeur, une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) doit présenter les
caractéristiques suivantes :
• être sans travail, c’est-à-dire n’avoir ni emploi salarié ni emploi non salarié. Cela exclut
de la catégorie des chômeurs toute personne ayant déclaré avoir exercé une activité,
même de très courte durée (une heure au moins), au cours de la semaine de référence
(c’est-à-dire la semaine précédant l’enquête). Cela exclut également les personnes qui,
bien que n’ayant pas travaillé pendant la semaine de référence, ont conservé « un lien
formel » avec leur emploi (maintien du traitement, assurance du retour au travail à la
fin de la période d’exception ou accord sur la date de retour), ce qui correspond aux
personnes en chômage partiel et aux saisonniers ;
• être disponible pour exercer un emploi dans un délai de quinze jours suivant l’enquête ;

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 75


• rechercher activement un emploi (inscription à une agence pour l’emploi, l’ANPE en
France, ou avoir effectué au moins une démarche de recherche d’emploi durant le mois
précédant l’enquête, telle que candidature spontanée, réponse à des annonces…), ou
avoir trouvé un emploi ne commençant qu’ultérieurement.
Il s’agit donc d’une définition du chômage qui ne fait pas référence à un critère d’ordre
juridique ou institutionnel, tel que la perception d’une allocation ou l’inscription dans un
service officiel de placement, mais prend en compte la situation de fait de la personne lors
de la réalisation de l’enquête.
L’INSEE mesure le chômage ainsi défini par une enquête (« l’enquête Emploi » réalisée
depuis 1950) effectuée auprès de plusieurs dizaines de milliers de ménages représentatifs
de la population française2. En 2007, le nombre de chômeurs au sens du BIT, mesuré par
l’enquête Emploi, s’élevait en moyenne annuelle à 2 215 000.
Cette enquête permet de mesurer, outre le nombre total de chômeurs au sens du BIT, la
population sans emploi à la recherche d’un emploi (PSERE). Celle-ci est légèrement in-
férieure à l’ensemble des chômeurs au sens du BIT car elle ne prend pas en compte les
personnes sans emploi ayant trouvé un emploi qui débute ultérieurement, lesquelles sont
considérées comme chômeurs par le BIT. L’INSEE publie également une estimation men-
suelle (corrigée des variations saisonnières, cf. infra) du chômage au sens du BIT, en appli-
quant aux résultats de l’enquête Emploi les évolutions par âge et par sexe des demandes
d’emploi en fin de mois (DEFM) des catégories 1, 2 et 3 comptabilisées par l’ANPE.
Parallèlement à la mesure du chômage au sens du BIT effectuée par l’INSEE avec l’en-
quête Emploi, l’ANPE recense en effet les demandes d’emploi en fin de mois, c’est-à-dire
l’ensemble des personnes inscrites auprès d’elle comme demandeurs d’emploi. Le chiffre
correspondant mesure un stock, et les variations d’un mois sur l’autre le flux qui fait varier
ce stock. Ces demandeurs d’emploi sont répartis en huit catégories différentes.
• Les trois premières catégories (DEFM 1, 2 et 3 évoquées ci-dessus) concernent les per-
sonnes sans emploi, immédiatement disponibles, tenues d’accomplir des actes positifs
de recherche d’emploi et qui recherchent un emploi à durée indéterminée et à temps
plein (DEFM 1, catégorie la plus nombreuse), à durée indéterminée et à temps partiel
(DEFM 2), à durée déterminée, temporaire ou saisonnier (DEFM 3).
• Les DEFM 4 répertorient les personnes sans emploi, non immédiatement disponibles,
non tenues d’accomplir des actes positifs de recherche d’emploi, mais qui sont à la re-
cherche d’un emploi, à durée indéterminée ou non, à temps partiel ou à temps plein ;
ce sont essentiellement des personnes en stage de formation.
• Les DEFM 5 correspondent à des personnes pourvues d’un emploi et à la recherche d’un
autre emploi.
• Les DEFM 6 à 8 diffèrent respectivement des catégories 1 à 3 ci-dessus par le fait que
les personnes concernées ont exercé une activité réduite supérieure à 78 heures au
cours du mois précédent et ne sont donc pas considérées comme immédiatement dis-
ponibles.

2 Cette enquête Emploi de l’INSEE permet de mesurer, outre le chômage tel qu’il est défini par le BIT, la durée du travail,
la formation des personnes interrogées, leur origine sociale, les emplois précaires... Autrefois annuelle, l’enquête est
trimestrielle depuis 2002. Elle est réalisée en continu, chaque semaine. Elle porte sur un échantillon d’environ 36 000
logements (avec renouvellement par 6ème), dont les occupants sont interrogés six fois successivement, à intervalles d’un
trimestre (75 000 personnes interrogées chaque trimestre).

76 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Ce sont les DEFM de la catégorie 1, les plus nombreuses, qui servent d’indicateur de l’évo-
lution mensuelle du chômage, et c’est généralement à elles que se réfèrent le plus souvent
les médias pour informer l’opinion sur l’évolution du chômage.
Il existe un certain écart entre le chiffre des chômeurs selon la définition du BIT publié par
l’INSEE et celui des DEFM de la catégorie 1 publié mensuellement par l’ANPE (tableau 2.1
et graphique 2.1). C’est ainsi, à titre d’exemple, qu’en mars 2006 les DEFM de la catégorie
1 s’élevaient à 2 288 300 et les chômeurs au sens du BIT à 2 583 000. Cette différence de
294 700 tient a ce que les DEFM de la catégorie 1 ne recensent que les chômeurs effective-
ment inscrits auprès de l’ANPE, alors qu’il est parfaitement possible à une personne d’être
chômeur au sens du BIT sans avoir effectué cette démarche (chômeur n’ayant droit à au-
cune indemnisation et recherchant un emploi par d’autres voies). Inversement, les DEFM
de la catégorie 1 prennent en compte des personnes ayant travaillé moins de 78 heures
dans le mois, alors que celles-ci sont exclues des chômeurs au sens du BIT.
Pour donner une idée de la différence de signification entre la mesure du chômage se-
lon la définition retenue par le BIT et les statistiques de l’ANPE, il faut savoir qu’en 2005
(moyenne annuelle), sur les 2 717 000 chômeurs au sens du BIT 453 000 se déclaraient non
inscrits à l’ANPE tandis que 1 705 000 personnes se déclarant inscrites à l’ANPE n’étaient
pas considérées comme chômeurs au sens du BIT, 993 000 étant classées comme actives
occupées, et 712 000 comme inactives selon le BIT (Tableaux de l’Économie Française, 2006,
p. 81).
Depuis la fin de l’année 2007, l’INSEE publie en outre « le nombre de personnes sans em-
ploi et souhaitant travailler ». En 2007, celui-ci s’élevait en moyenne à 2,869 millions de
personnes se répartissant en 2,101 millions de chômeurs au sens du BIT et 768 000 inactifs.
Ces derniers se répartissaient en 290 000 personnes disponibles pour travailler dans les
deux semaines, mais qui ne recherchaient pas activement un emploi par découragement
ou empêchement, et 478 000 personnes qui n’étaient pas disponibles dans les deux se-
maines pour diverses raisons (problèmes de garde d’enfants, de santé…, ou sans raison
avouée), dont 230 000 recherchant activement un emploi.
Soulignons en outre que les statistiques du chômage publiées par les organismes officiels
correspondent à des données corrigées des variations saisonnières (données CVS). Cela
est imposé par l’ampleur des fluctuations saisonnières qui affectent le chômage. Le mois
de septembre, par exemple, est toujours caractérisé par une hausse du chômage à forte
composante saisonnière, puisque c’est en septembre que les jeunes sortis du système sco-
laire en juin s’inscrivent pour la première fois, après les vacances d’été, à l’ANPE. Pour tenir
compte de cet état de fait, les chiffres collectés sont désaisonnalisés. Cela signifie que le
nombre effectif des demandeurs d’emploi diffère de celui qui correspond aux statistiques
publiées (en plus ou en moins selon les mois).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 77


TAbLEAU 2.1
Le marché du travail en avril 2007 Données CVS en milliers

Demandes d’emploi Avril 2007 Variation en %


(en fin de mois) en un an
Catégorie 1 2 011,3 - 11,0
Catégories 1 + 6 2 469,6 - 8,7
Ensemble toutes catégories (1 à 8) 3 202,2 - 9,8
(données brutes)
Chômeurs au sens du bIT 2 261,0 - 11,1
Taux de chômage (en % de la popu- 8,2 - 1,1 Pt
lation active)
Demandes de plus d’un an d’ancien- 563,8 - 21,0
neté
Inscriptions suite à un licenciement 13,8 - 13,2
économique (y compris conventions
de conversion et PAP anticipés)
Offres d’emploi 311,1 + 8,9
Catégorie 1 : personnes déclarant être à la recherche d’un emploi à plein temps et à durée indéterminée et n’ayant
pas exercé une activité de plus de 78 heures dans le mois.
Catégorie 6 : personnes déclarant avoir travaillé plus de 78 heures dans le mois et recherchant un emploi à temps
plein et à durée indéterminée.
Chômeurs au sens du BIT : personnes déclarant ne pas avoir travaillé plus d’une heure dans le mois, être immédiate-
ment disponibles et à la recherche effective d’un emploi.
Source : INSEE. Actualité, n° 272, juin, 2007, p. 19

GrAPhIqUE 2.1
L’évolution du marché du travail

Source : INSEE.

78 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


En complément de la mesure du nombre de chômeurs, celle du taux de chômage, du taux
d’emploi et de la durée moyenne du chômage permet d’améliorer la perception que l’on
peut avoir du chômage et de la situation de l’emploi.
On a déjà défini le taux de chômage comme le rapport entre le nombre de chômeurs et la
population active totale, constituée de l’ensemble des personnes ayant un emploi ou qui
en recherchent un. Les chômeurs figurent donc simultanément au numérateur et au dé-
nominateur du rapport. L’évolution du taux de chômage ainsi défini peut, de ce fait, être
délicate à analyser dans certains cas. Le taux de chômage peut en effet varier, alors que
le nombre total de chômeurs reste le même, du seul fait d’une variation de la population
active occupée. Il baisse si celle-ci augmente et s’élève si elle diminue3. Et ce, alors même
que diverses études ont établi que la situation du marché du travail influe effectivement
sur la population active en l’augmentant ou en la diminuant selon le cas. C Thélot (1975) a
ainsi montré que la création d’un nombre important d’emplois, à la suite de l’implantation
d’une nouvelle entreprise dans un bassin d’emploi, s’était traduite par une augmentation
du chômage liée à une augmentation de la population active, la perspective de pouvoir
trouver un emploi ayant conduit de nombreuses personnes préalablement inactives à se
porter sur le marché de travail et à s’intégrer ainsi à la population active. À l’opposé, une
situation de chômage important et durable peut conduire des chômeurs à renoncer à re-
chercher un emploi et à se retirer ainsi de la population active (effet du « travailleur décou-
ragé »). Des études réalisées par l’OCDE montrent également que le nombre de chômeurs
découragés augmente habituellement avec le taux de chômage.
Le taux de chômage ainsi défini peut en outre être mal interprété si les caractéristiques
spécifiques de la population active à laquelle est rapporté le nombre de chômeurs effectifs
sont oubliées. C’est le cas pour le taux de chômage des jeunes actifs. À titre d’exemple,
celui-ci était en France de 22,3 % en 2005. Mais cela ne signifie pas pour autant que 22,3 %
des jeunes étaient alors au chômage, comme on pourrait être tenté de le penser. En réa-
lité, 8,2 % des jeunes en 2005 étaient au chômage. La différence entre les deux chiffres
(un taux de chômage de 22,3 %, mais 8,2 % seulement des jeunes de 15-24 ans qui sont
au chômage) tient au fait que le taux d’activité dans la tranche d’âge inférieure à 25 ans,
c’est-à-dire le rapport des actifs, chômeurs inclus, sur l’effectif total pour la population des
15-24 ans, est faible. Une fraction importante des jeunes de cette tranche d’âge poursui-
vent en effet des études (près de 60 % des jeunes de 15-24 ans sont étudiants ou lycéens)
et sont donc classés comme inactifs4. Le taux d’activité des 15-24 ans est d’ailleurs en France
l’un des plus faibles de l’OCDE : 33,7 % en 2005 contre une moyenne de 49,4 %, 47,6 %

3 Il peut, par exemple, baisser, alors que le nombre de chômeurs reste le même, si la création d’un nombre donné d’emplois
suscite une augmentation de la population active d’un effectif équivalent. Un exemple numérique permet d’illustrer ce
point. Supposons qu’en t1 il y a 2 millions de chômeurs pour une population active totale de 20 millions de personnes,
soit un taux de chômage de 10 %. En t2, 200 000 emplois nouveaux sont créés dans l’économie, mais cette création d’em-
plois crée parallèlement l’entrée sur le marché du travail de 200 000 personnes qui faisaient partie jusque-là des inactifs
(femmes au foyer qui se portent sur le marché du travail, chômeurs découragés qui se remettent à chercher activement
un emploi…). Au final, le nombre total de chômeurs demeurera inchangé, tandis que la population active aura augmenté
et le taux de chômage diminué.
4 Ceci n’est cependant pas spécifique à la France. Ainsi, en 2005, le taux de chômage et la proportion des jeunes de 15-24
ans au chômage était respectivement de 18,25 % et 8,4 % pour l’Union européenne à 25, 15 % et 7,7 % pour l’Allemagne,
19,7 % et 9,4 % pour l’Espagne, 36,9 % et 13,2 % pour la Pologne, etc.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 79


pour l’Union européenne à 15 et 60,8 % pour les États-Unis5. Quant au taux d’emploi des
jeunes de 15-24 ans (rapport du nombre de jeunes occupant un emploi sur le nombre total
de jeunes de cette tranche d’âge), il est, selon Eurostat (juin 2006), en France, en 2005, de
30,1 % contre 36,8 % pour l’UE à 25 (42 % en Allemagne, 53,1 % en Autriche, 62,3 % au
Danemark, 65,2 % aux Pays Bas) (Tableaux de l’Économie Française, 2006, p. 91).
Les comparaisons internationales fondées sur le taux de chômage doivent par ailleurs être
effectuées avec prudence dans la mesure où un même taux de chômage dans des pays
différents peut recouvrir des situations diverses et d’importantes disparités de structure du
chômage justifiant le recours à des politiques elles-mêmes différentes. Sous cette réserve,
ces comparaisons internationales fournissent néanmoins des indications très utiles sur la
situation des différents pays et l’ampleur de l’exposition au risque de chômage de leur po-
pulation respective, et en particulier, lorsque les écarts observés entre pays sont durables.
Rese que, sur la longue durée, avec la fin des Trente Glorieuses et l’entrée dans la crise éco-
nomique durable des dernières décennies, le taux de chômage a connu en France une très
forte augmentation (avec cependant des fluctuations conjoncturelles marquées), passant
d’à peine 2 % en 1968 à 3 % en 1975, 7 % en 1981, 10,6 % en 1987, 12,3 % en 1997, 9 %
en 2001, 10,2 % en 2004, 9,5 % en mars 2006 et 8,2 % en avril 2007 (graphiques 2.2 et 2.3).
GrAPhIqUE 2.2
Taux de chômage selon la définition du BIT (%), France, 1970-2004

14

12

10

0
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000
Source : INSEE ; OFCE, L’économie française en 2006.

5 En 2003-2004, selon une étude du CEREQ de septembre 2005, 59,9 % des 15-24 ans sont scolarisés, 26,7 % ont un emploi
(dont 44,3 % en CDI, 22,3 % en CDD, 12 % en apprentissage, 7,8 % en stages et contrats aidés, 7,6 % en intérim, 4,3 %
en autres contrats et 1,7 % en emploi non salarié), 7,8 % sont au chômage et 5,6 % sont classés comme « autres inactifs »
(ni scolarisés ni inscrits à l’ANPE).

80 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 2.3
L’évolution du taux de chômage en France : 1996-2009
moyennes trimestrielles en % de la population active, données cvs
12,0 12,0

11,5 11,5

11,0 11,0

10,5 10,5

10,0 10,0

9,5 9,5
9,0 9,0

8,5 8,5

8,0 8,0

7,5 France métropolitaine 7,5


France
7,0 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 7,0

Prévision au délà du pointillé

Source : INSEE, Note de conjoncture, juin 2009.

Parallèlement à la montée du chômage, le taux d’emploi, c’est-à-dire le rapport du nombre


de personnes occupant un emploi sur la population totale en âge de travailler, a baissé
sensiblement à partir de 1972-1973 (de l’ordre de 67 %) jusqu’au milieu des années 1990
(59 % en 1994). S’il s’est ensuite redressé jusqu’en 2006 (63 %), il demeure cependant sen-
siblement inférieur au niveau moyen atteint dans l’ensemble de l’OCDE6 (graphique 2.4) et
à l’objectif de 70 % retenu par la stratégie de Lisbonne définie par le Conseil européen de
Lisbonne en 20007 8. Il est par ailleurs particulièrement faible aux âges extrêmes de la vie
active : 29,3 % pour les 15-24 ans et 37,6 % pour les 55-64 ans.
GrAPhIqUE 2.4
Le taux d’emploi, France et OCDE, 1970-2006
68% de la population d’âge actif (de 15 à 64 ans)

zone OCDE
66

64
France
62

60
Sources : OCDE.
58 Le Monde, 28-06,
1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2006 2007, p. 12

6 Il était en 2005 de 63,1 % en France contre 65,2 % dans l’UE à 15 (France, portrait social, 2006, p. 31).
7 Une hausse du taux d’emploi permet de relever le niveau de la croissance potentielle tout en augmentant les ressources
de la protection sociale, ce qui explique que la stratégie de Lisbonne pour l’emploi s’est fixé comme objectif une élévation
du taux d’emploi moyen dans les pays de l’Union européenne.
8 La situation est un peu différente en ce qui concerne le taux d’activité ou rapport de la population active à la population
en âge de travailler. Celui-ci est très élevé en France pour les hommes et les femmes de 25 à 54 ans. Mais il est particuliè-
rement faible en début et en fin de vie active, chez les 15-24 ans et chez les 55-64 ans.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 81


À côté du nombre total de chômeurs et du taux de chômage, sa durée moyenne est égale-
ment un élément essentiel à prendre en compte pour appréhender l’impact social du chô-
mage. Pour un effectif total de chômeurs donné, le nombre de personnes effectivement
touchées par le chômage au cours d’une année dépend en effet de sa durée moyenne.
C’est ainsi qu’un chiffre de 3 millions de chômeurs peut signifier 3 millions de personnes
restées au chômage toute l’année, 6 millions de personnes frappées par le chômage si ce-
lui-ci dure six mois en moyenne, 12 millions s’il dure en moyenne 3 mois, etc. et l’on devine
intuitivement que l’impact social et économique n’est pas le même pour chacune de ces
différentes situations possibles. Or, dans les faits, la durée moyenne du chômage est une
variable évolutive. Elle a fortement augmenté à partir de la seconde moitié des années
1970 (tableau 2.2). Elle était en 2005 de 14,3 mois. Elle varie par ailleurs de manière signifi-
cative selon l’âge et le sexe. Elle est en moyenne plus élevée pour les femmes que pour les
hommes, pour les salariés âgés que pour les 25-50 ans. Mais elle évolue globalement dans
le même sens pour toutes les catégories considérées.

TAbLEAU 2.2
Evolution de l’ancienneté moyenne du chômage, France (en mois) : 1968-2005

1968 1972 1974 1978 1980 1985 1986 1987 1988 1989 1990 1991 1992
Hommes 8,8 8,2 8,6 9,4 10,6 13,7 14,8 15,9 16,0 16,0 13,5 13,2 12,4
Femmes 8,8 8,7 8,5 11,2 12,3 16,2 16,6 17,2 17,0 16,5 14,3 14,4 13,8

1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
Hommes 11,5 12,4 14,3 14,0 14,4 15,5 14,4 15,4 14,7 12,2 16,0 14,6 14,3
Femmes 13,2 13,6 14,9 15,3 15,5 16,4 15,2 16,3 14,3 13,4 15,6 14,0 14,3
Nombre de mois, en mars de chaque année, sauf pour 1999 (janvier). Moyenne annuelle pour 2004 et 2005
Construit d’après diverses sources INSEE.

La proportion de chômeurs de longue durée (durée du chômage supérieure à 1 an) est


également, avec la durée moyenne du chômage, un élément essentiel d’appréciation de
la situation de l’emploi et de son impact économique et social, dans la mesure où plus le
chômage dure, plus il exclut (perte de qualification et réduction de l’employabilité). La
part des chômeurs de longue durée dans le total a fortement augmenté du milieu des an-
nées 1970 (de l’ordre de 20 % en moyenne au cours de la première moitié de la décennie)
au milieu des années 1980 (plus de 40 %). Il s’est maintenu ensuite en tendance au dessus
de 40 % au travers de fluctuations de moyenne période suivant celles de la conjoncture
économique globale (graphique 2.5). En 2005 (moyenne annuelle), 42,5 % des chômeurs
étaient au chômage depuis un an ou plus (41,8 % pour les hommes et 43,2 % pour les
femmes) et 21,6 % depuis 2 ans et plus (tableau 2.3)9. Ce sont les salariés les plus âgés
qui sont les plus affectés par le chômage de longue durée. En 2005, 63,2 % des chômeurs
hommes de 50 ans ou plus étaient au chômage depuis un an ou plus (60,9 % pour les
femmes) contre 44,6 % pour les chômeurs hommes ayant de 30 à 49 ans (47,1 % pour les
femmes).

9 Tableaux de l’Économie Française, 2006, p. 81. En mars 2006, 715 000 demandeurs d’emploi étaient inscrits depuis plus
d’un an à l’ANPE, soient 31,2 % des DEFM de la catégorie 1.

82 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


TAbLEAU 2.3
Durée du chômage*

Janvier Mars Moyenne Moyenne


1990 1995 2004 2005
Ancienneté moyenne de chômage (mois) :
Ensemble 13,9 14,7 14,3 14,3
hommes 13,5 14,3 14,6 14,3
Femmes 14,3 15,0 14,0 14,3
Personnes au chômage depuis 1 an ou plus·»** (%) :
Ensemble 35,2 39,6 41,6 42,5
Hommes 32,9 38,8 41,5 41,8
- 15 à 29 ans 20,1 24,0 28,1 29,5
- 30 à 49 ans 38,5 45,0 44,9 44,6
- 50 ans ou plus 56,1 57,8 63,1 63,2
Femmes 37,0 40,4 41,8 43,2
- 15 à 29 ans 23,5 27,6 27,4 29,3
- 30 à 49 ans 42,5 46,3 45,6 47,1
- 50 ans ou plus 66,7 60,7 60,7 60,9
* France métropolitaine
** En 2004 et 2005 la proportion de chômeurs de plus d’un an est calculée sur “ensemble des chômeurs pour
lesquels on sait calculer l’ancienneté. On fait “hypothèse que les chômeurs dont l’ancienneté est inconnue ont des
anciennetés de chOmage comparables aux autres. En 2004, 4,2% des anciennetés sont inconnues, 3,5% en 2005.
Source: INSEE, Tableaux de l’économie française 2006, p. 81.

GrAPhIqUE 2.5
Proportion de demandeurs d’emploi ayant un an et plus d’ancienneté, France :
1968-2004
50
41,3
40

30 35,5
23,4
20

10
1968 11 74 77 80 83 86 89 92 95 98 01 02 04
Taux en mars de chaque année (sauf celles du recensement) jusqu’en 2002. A partir de 2002, taux en moyenne an-
nuelle. A partir de cette année, l’enquête emploi ayant été modifiée, il y a rupture de série.
Sources : Insee, Enquêtes emploi ; Le Monde, 3 mai, 2005, p. II.

B – Les frontières incertaines du chômage, de l’activité et de l’emploi


Jusque dans les années 1960, il était relativement aisé, d’un point de vue statistique, de
répartir la population en trois catégories distinctes : les actifs ayant un emploi rémunéré,
les chômeurs et les inactifs. Il existait en effet alors une forme d’emploi type reconnue, en-

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 83


cadrée et protégée par le droit du travail, l’emploi à temps plein (durée légale du travail)
et à durée indéterminée (le contrat à durée indéterminée, CDI) qui se distinguait claire-
ment du chômage et des situations d’inactivité (études, retraite…). Mais, depuis les années
1970 et l’entrée dans la crise économique durable contemporaine, sont apparues et se sont
imposées progressivement des formes nouvelles d’emplois différentes de l’emploi type
des années 1950 et 1960 ou « emplois atypiques » (Puel, 1980) : intérim, contrats à durée
déterminée (CDD), travail à temps partiel (souvent contraint10), stages de formation ou
d’insertion plus ou moins rémunérés, emplois occasionnels ou « petits boulots », diverses
formules de contrats aidés destinés à favoriser l’insertion ou la réinsertion professionnelle
de personnes sans emploi. Ces emplois atypiques représentaient en tout, en 2005, 13,6 %
de l’emploi salarié total. Parallèlement, se sont développés des dispositifs visant à retirer
provisoirement ou définitivement certaines personnes du marché du travail : préretraites,
cessation progressive d’activité, stages de requalification, réorientation, reconversion…
Tout cela a abouti à brouiller et à rendre plus flou la ligne de partage entre l’emploi, l’inac-
tivité et le chômage11 (Freyssinet, 1991 ; Marcel et Taieb, 1991).
À titre d’exemple, les données statistiques concernant la répartition de la population ac-
tive occupée selon le statut des emplois pour l’année 2005 font ainsi apparaître que sur
22,202 millions de salariés, 3,030 millions de personnes (13,64 % du total) se répartissaient
entre intérimaires, apprentis, CDD, stagiaires et contrats aidés, tandis que 3,993 millions
de salariés, soit 17,98 % du total des salariés occupés, avaient un emploi à temps partiel12.
Le problème que soulèvent les emplois atypiques et les dispositifs destinés à favoriser la
sortie du marché du travail est de savoir dans quelle mesure ils aboutissent à masquer la
gravité réelle de la situation de l’emploi. Il ne fait pas de doute que nombre de personnes
occupant un emploi précaire (intérim, CDD, stage...) sont à la recherche d’un emploi plus
sûr et disponibles pour exercer un tel emploi. De même, bien des salariés à temps partiel
souhaiteraient pouvoir bénéficier d’un emploi à temps plein. On est donc en droit de
penser que certains de ces emplois atypiques, ainsi que les dispositifs de retrait du marché
du travail, correspondent en fait à ce qui peut être appelé du « chômage déguisé » et à
un sous-emploi d’une partie de la population active dite occupée. De sorte que, s’il existe
aujourd’hui un accord pour reconnaître que les chiffres du BIT mesurent effectivement le
nombre de chômeurs, il y a débat à propos de la délimitation des frontières du chômage
et de l’estimation de ce qui est appelé le sous-emploi13.
10 En 2005, alors que les salariés à temps plein travaillaient en moyenne 39 heures pour une semaine normale (pas d’absence
ni de congés), les salariés à temps partiel travaillaient en moyenne un peu plus de 23 heures. L’emploi à temps partiel
représentait alors en France 17,2 % de l’emploi total (20,3 % dans l’UE à 15), mais 5,7 % de l’emploi total des hommes
et 30,7 % de l’emploi total des femmes (France, portait social, éd. 2006, p. 257), avec par ailleurs un taux de sous-emploi
parmi les emplois à temps partiel de 28,7 % (id., p. 203), ce qui signifie que 1,3 million de personnes, cette année-là,
ont travaillé involontairement moins qu’elles ne le souhaitaient. Par ailleurs, selon l’enquête Emploi de 2005, 44 % des
jeunes (de 15 à 29 ans) à temps partiel souhaitaient travailler plus.
11 On peut évoquer à titre d’exemple le cas du « demandeur d’emploi en formation professionnelle » : il est indisponible,
et ne peut donc pas être considéré comme chômeur au sens du BIT ; étant en formation, il fait partie des inactifs. On
peut cependant être tenté de le considérer comme un « chômeur déguisé » car, s’il n’avait pas trouvé ce stage, il serait
à la recherche d’un emploi. Il se trouve donc bien dans une position « à cheval » entre l’inactivité et le chômage. Sa
situation est néanmoins provisoire ; il est destiné à réintégrer la population active – avec ou sans emploi – au terme de
sa formation.
12 En 2007 (moyenne annuelle), sur 22,231 millions de salariés, ce sont 2,917 millions de personnes (13,12 % du total) qui
étaient selon le cas en situation d’intérimaires, d’apprentis, de CDD, de stagiaires et de contrats aidés.
13 On peut considérer qu’il y a sous-emploi dès lors qu’une personne occupe involontairement un emploi qui correspond à
un temps de travail inférieur à la durée normale du travail dans son secteur d’activité (emploi à temps partiel contraint)

84 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


On retrouve ainsi dans un ensemble flou, aux frontières du chômage, de l’inactivité et
de l’emploi, les personnes en formation, les travailleurs à temps partiel contraint, les per-
sonnes en cessation anticipée d’activité, les chômeurs découragés qui, du fait de leur situa-
tion personnelle (absence de qualification ou qualification dépassée) et de l’état du mar-
ché du travail, ont cessé de rechercher activement un emploi, voire les personnes désirant
travailler mais ne pouvant chercher un emploi du fait des circonstances (santé, famille…).
Le rapport du Commissariat au plan, Chômage : le cas français (1997) effectuait ainsi pour
l’année 1996, le décompte du chômage et du sous-emploi que retrace le tableau 2.4.
TAbLEAU 2.4

3 000 000 Chômeurs officiels


350 000 Chômeurs en stage de formation professionnelle
1 650 000 Travailleurs à temps réduit contraint et désirant travailler davantage
Personnes désirant travailler mais qui ne peuvent pas chercher d’em-
300 000
ploi du fait des circonstances
200 000 Chômeurs découragés
470 000 Personnes en cessation anticipée d’activité
Salariés subissant l’insécurité de l’emploi (travail temporaire subi à
730 000
temps plein, emploi public aidé)
6 700 000 Total
Le rapport aboutissait à la conclusion selon laquelle près de 30 % de la population active de
l’époque étaient au chômage ou sous-employés. Ce chiffre peut cependant prêter à discus-
sion en ce sens que toutes les personnes que ce rapport considère comme sous-employées
ne se « vivent » pas nécessairement comme telles. Les préretraites (en diminution sensible
au cours des dernières années), par exemple, sont souvent bien acceptées par les intéres-
sés, même si une proportion relativement importante d’entre eux aurait souhaité pouvoir
continuer à travailler. De même, la formation est souvent un élément clé de l’insertion ou
de la réinsertion sur le marché du travail et pourrait donc être considérée comme une forme
productive de l’utilisation de la main-d’œuvre en contribuant à son adaptation aux besoins
de l’économie et à l’élévation de sa qualification professionnelle : ce vers quoi tendent pré-
cisément divers projets de « sécurité emploi-formation » mis en avant depuis une dizaine
d’années (sous des vocables différents) par divers auteurs et organisations (Ramaux, 2007).
A contrario, certains font valoir qu’une partie de la population classée comme inactive ne
poursuit des études que par crainte du chômage. Parmi les inactifs, et surtout les inactives,
beaucoup seraient disposé(e)s à occuper un emploi si les conditions de leur insertion sur le
marché du travail étaient plus favorables (rémunération, localisation des emplois…). Cer-
tains salariés à temps plein souhaiteraient faire des heures supplémentaires pour accroître
leur revenu, tandis que la sous-utilisation des capacités professionnelles des individus est
relativement courante. Partant, si l’on prend également en compte l’ensemble de ces élé-
ments, le taux de 30 % évoqué ci-dessus serait peut-être sous-estimé14. La mesure sociale de

ou qui ne permet pas la pleine utilisation de sa qualification professionnelle. Il est visible lorsque les personnes travaillent
involontairement moins que la durée normale de travail et sont à la recherche d’un emploi supplémentaire ou sont dis-
ponibles pour un tel travail durant la période de référence. Il est invisible quand il correspond à la situation de personnes
exerçant une activité professionnelle dans laquelle leurs qualifications ne sont pas pleinement utilisées.
14 Certains auteurs vont encore plus loin en ajoutant aux chômeurs et aux différentes catégories de personnes victimes du
sous-emploi évoquées ci-dessus, la population carcérale, comme le fait A. C. Robert (1998, p. 20) pour les États-Unis : « la
baisse des revenus a entraîné la criminalisation d’une partie de la société, à laquelle l’autre répond par une politique
répressive d’une brutalité sans équivalent dans les autres pays développés : en dix ans, la population carcérale américaine
a plus que doublé, passant de 750 000 à 1 700 000, pour la plupart des jeunes des minorités ethniques, principalement
des Noirs. En toute rigueur statistique, il faut donc augmenter de 1 700 000 (presque 2 %) le nombre de chômeurs

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 85


la sous-utilisation de la force de travail potentielle demeure donc très délicate et avec elle la
définition de ce que l’on peut considérer comme étant le « plein-emploi ».
Dans une étude publiée en 2000, deux auteurs proposaient une comptabilisation abou-
tissant à la conclusion selon laquelle le France comptait en 1999 plus de 5 millions de
personnes exclues, « durablement ou non », du marché du travail (Boissard et Devillecha-
brolle, 2000, p. 19). Pour obtenir ce chiffre, ils ajoutaient aux 2 695 000 chômeurs officielle-
ment recensés : 1) les 616 000 chômeurs des catégories 2 et 3, (immédiatement disponibles
et à la recherche d’un emploi temporaire ou à temps partiel, et qui sont « pour l’essentiel
des chômeurs ayant perdu l’espoir d’être embauchés pour un emploi ‘‘classique’’ ») ; 2) les
640 000 demandeurs d’emploi des catégories 6 et 7 (personnes « en activité réduite (...),
contraintes par la modicité de leur salaire et la précarité de leur emploi à se maintenir
dans les listes de l’ANPE et à toucher une allocation complémentaire ») ; 3) les 314 000
chômeurs de plus de 55 ans dispensés de recherche d’emploi ; 4) « les 346 000 bénéficiaires
de contrats emploi solidarité ou ville (entièrement subventionnés ou presque par l’État) ;
5) les 211 000 embauchés en emplois jeunes (tant que leur poste n’est pas pérennisé) ; 6)
les quelque 42 000 chômeurs en stage d’insertion ou de réinsertion ; 7) les 42 000 licenciés
économiques en convention de conversion, ou encore 8) les quelque 50 000 personnes
prises en charge par une association intermédiaire ou une entreprise d’insertion »15.
Pour sa part, et sur la base des préconisations du BIT, l’INSEE mesure, à partir de l’enquête
Emploi, le sous-emploi défini comme la situation des personnes répondant à l’un ou l’autre
des critères suivants : 1) travaillant à temps partiel, elles recherchent un emploi à temps
plein ou un emploi à temps partiel complémentaire ; 2) travaillant à temps partiel, elles ne
recherchent pas un autre emploi mais souhaitent travailler davantage et sont disponibles
pour cela ; 3) travaillant normalement à temps complet, elles ont travaillé moins que d’ha-
bitude au cours de la semaine de référence pour l’une ou l’autre des raisons suivantes : chô-
mage partiel, réduction saisonnière d’activité, ralentissement des affaires, intempéries16.
Le sous-emploi ainsi défini concernait en 2007 1 419 000 personnes, soit 5,5 % de l’en-
semble des actifs occupant un emploi. Le taux de sous-emploi, qui était de 3,6 % en 1990,
a atteint 6,6 % en 1998, dans un contexte marqué par une forte augmentation du taux de
chômage, puis est revenu à 4,6 % en 2002 (décrue du chômage)17. Il affecte prioritairement
les femmes (76,3 % de l’effectif total) et les non diplômés18. Il est concentré en presque
totalité dans les activités tertiaires19 (Arnault, 2005). Bon an, mal an, le sous-emploi ainsi
défini par l’INSEE représente l’équivalent de 30 % à 40 % du nombre total de chômeurs
officiellement recensés20.
effectifs aux États-Unis ».
15 Et, ajoutent les auteurs, « pour être tout à fait complet, il faudrait également ajouter à cette estimation les nombreux
Français aux marges de la société, « découragés » par la persistance d’un chômage élevé et par le durcissement du marché
du travail », en évoquant les quelques 450 000 Rmistes qui ne seraient pas inscrits à l’ANPE et la fraction importante des
200 000 sans domicile fixe qui échappent aux statistiques du chômage (id., p. 19).
16 Pour le BIT, font partie du sous-emploi « toutes les personnes pourvues d’un emploi, salarié ou non, (...) qui travaillent
involontairement moins que la durée normale de travail de leur activité et qui étaient à la recherche d’un travail sup-
plémentaire, ou disponibles pour un tel travail durant la période de référence » (OIT, 1998).
17 Comme le soulignait l’INSEE dans une note récente, la baisse du chômage enregistrée depuis le début de 2006 s’est en
fait accompagnée d’une augmentation du sous-emploi.
18 Avec, en 2004, un taux de sous-emploi de 3,4 % pour les titulaires d’un diplôme de niveau supérieur à Bac +2, et de 7 %
pour les titulaires d’un CEP ou sans diplôme.
19 92,7 % du total des actifs occupés en sous-emploi en 2003.
20 Si l’on assimile le « halo » du chômage aux personnes qui ont un emploi à temps partiel subi (comptées comme ayant
un emploi) et aux chômeurs « découragés » qui ont cessé de rechercher un emploi et ne sont donc plus comptabilisés

86 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le poids des emplois atypiques dans l’emploi total a fortement progressé depuis la seconde
moitié des années 1970 (graphique 2.6). Et, s’ils ne représentent encore aujourd’hui qu’une
fraction limitée du stock d’emplois (de l’ordre de 20 % de l’emploi salarié total), ils sont dé-
sormais prépondérants dans les nouvelles embauches. Pour certaines catégories de salariés,
et plus spécifiquement pour les jeunes et les femmes, leur poids dans l’emploi total des caté-
gories concernées est par ailleurs sensiblement supérieur à la moyenne nationale.
Selon les résultats de l’enquête Emploi de 2005, la population active totale s’élevait à
27,637 millions de personnes dont 2,717 millions de chômeurs au sens du BIT, soit 24,921
millions d’actifs occupés. Ceux-ci se répartissaient, selon le statut de leur emploi principal
en 2,7179 millions de non-salariés et 22,202 millions de salariés. Sur les 22,202 millions de
salariés, 86,35 % étaient en CDI, 2,86 % en intérim, 1,75 % en apprentissage, 8,93 % en
CDD (hors emplois aidés) et 2,26 % en stages et contrats aidés21.
Les emplois atypiques ne sont cependant pas tous des emplois précaires. Ce terme désigne
« un statut particulier d’emploi caractérisé par le fait que celui qui l’occupe a de fortes
probabilités de devoir en changer », selon la définition proposée par B. Fourcade (1992),
reprise par D. Clerc (1999, p. 60). Ce sont en fait les contrats à durée déterminée (CDD) et
les contrats d’intérim auxquels il est possible d’ajouter les « emplois aidés » bénéficiant
d’un financement de la collectivité (contrats d’apprentissage, de qualification, d’adapta-
tion, contrats emploi solidarité, contrats emploi consolidé, contrats initiative emploi...), qui
sont également à durée limitée. Ces emplois précaires représentaient en 1998 de l’ordre
de 12 % de l’emploi salarié, 7 % si l’emploi précaire est restreint aux CDD et à l’intérim22.

GrAPhIqUE 2.6
Emploi, chômage et politiques spécifiques d’emploi, France, 1973-2004

Sources : Tableaux de l’Economie française, 2006, p. 83.

dans la population active, il se serait établi en 2005 à 1,5 million de personnes pour 2,5 millions de chômeurs au sens du
BIT. Les chiffres étaient respectivement de 2,7 millions et 4,6 millions pour l’Allemagne et de 2,3 millions et 1,9 million
pour l’Italie (Lemoine, 2007, p. 2).
21 Les contrats aidés désignent les contrats d’aide à l’emploi (CES, CIE, emplois jeunes, etc. et les stages de la formation
professionnelle classés dans l’emploi selon les critères du BIT.
22 Si cela peut paraître relativement peu, il faut cependant tenir compte de ce que « ce sont toujours, presque toujours, les
mêmes qui passent et repassent sur le marché travail » (Clerc, 1999, p. 66).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 87


paragraphe 2 : l’inégalité devant le chômage

Compte tenu de son évolution au cours des trois dernières décennies et compte tenu éga-
lement du niveau élevé auquel il se maintient encore aujourd’hui en France, le chômage
est ressenti à juste titre comme une menace par la grande majorité des salariés. Reste qu’il
affecte différemment les individus selon le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle, le
niveau de qualification...
• Le taux de chômage des femmes est généralement supérieur à celui des hommes, et en
particulier dans les pays méditerranéens (Espagne, Italie...). C’est le cas en France (ta-
bleau 2.5). En 2005, pour un taux de chômage d’ensemble de 9,8 %, le taux de chômage
était de 10,8 % pour les femmes et de 9 % pour les hommes. L’écart est maximal entre
30 et 49 ans (9,8 % pour les femmes et 7 % pour les hommes) (enquête Emploi, 2005).
Tableau 2.5
Taux de chômage par sexe et âge* : France, 1990-2005

Moyenne Moyenne Moyenne


Janvier 1990 Mars 1995
2003 2004 2005
Hommes 7,0 9,8 8,7 9 9,0
15 à 29 ans 11,9 16,2 15,7 16,6 16,6
30 à 49 ans 5,2 8,0 6,8 7,0 7,0
50 ans et
5,4 7,3 6,7 6,6 6,5
plus

Femmes 12,0 13,8 10,9 11,0 10,8


15 à 29 ans 18,8 23,4 17,4 18,4 18,1
30 à 49 ans 9,8 11,7 9,8 9,8 9,8
50 ans et
8,0 8,2 7,8 7,6 7,0
plus

Ensemble 9,2 11,6 9,7 9,9 9,8


* France métropolitaine
Sources : Enquêtes emploi INSEE, Tableaux de l’Economie française, 2006, p. 81.

• Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans est particulièrement élevé en France.
Il s’établissait à 11,4 % (au sens du BIT) en 1977 puis a fortement progressé jusqu’en 1984
pour atteindre alors 25,3 %. Il a ensuite fluctué au rythme de la conjoncture économique
globale et de l’impact des différents dispositifs spécifiques pour l’emploi des jeunes mis
en place par les gouvernements successifs : 16,5 % en 1990, 25,5 % en 1997, 18,1 % en
2001, 22,3 % en 2005 (graphique 2.7).

88 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 2.7
Taux de chômage des jeunes de 15 à 24 ans, France : 1975-2005*

* France métropolitaine. Rupture de série à partir de 2002, suite à nouvelle enquête emploi. Le taux de chômage est
en moyenne annuelle à partir de cette date.
Source : Tableaux de l’Economie française, 2006, p. 91.

Il est presque partout supérieur à celui des « adultes », ce qui traduit les difficultés d’in-
sertion professionnelle des jeunes générations dans un contexte de chômage global élevé.
Le taux de chômage des jeunes de 15-24 ans était en 2007 de 15,2 % dans l’Union euro-
péenne à 25 (19,4 % en France) avec une fourchette allant de 5,2 % aux Pays-Bas à 22,9 %
en Grèce.
L’insertion professionnelle des jeunes s’effectue aujourd’hui dans des conditions très dif-
férentes de celles qui prévalaient jusqu’au milieu des années 1970. Les jeunes sortant du
système scolaire étaient alors en règle générale embauchés rapidement en CDI et acqué-
raient au sein de l’entreprise les éventuels compléments de formation professionnelle
dont ils pouvaient avoir besoin. Aujourd’hui, l’insertion professionnelle selon ce schéma
ne concerne plus qu’une fraction seulement des jeunes issus du système scolaire. Pour une
majorité d’entre eux, le temps qui s’écoule entre la sortie du système scolaire et l’accès à
l’emploi sous forme d’un CDI s’est considérablement allongé. Dans cet intervalle de temps,
ils alternent souvent, et c’est en particulier le cas des moins diplômés, différentes formes
d’emplois atypiques et des périodes de chômage. L’apprentissage bénéficie ces dernières
années d’un certain regain d’intérêt mais ne concerne cependant encore qu’une fraction
limitée de l’effectif de chaque génération. Par contre, les stages en tous genres (stages de
qualification, d’insertion, d’initiation), qui confèrent aux jeunes soit le statut de stagiaires
de la formation professionnelle soit un contrat de travail, se sont fortement développés
depuis en particulier la fin des années 1970 et la mise en place du premier « pacte pour
l’emploi des jeunes ». L’intérim et les CDD, que les jeunes enchaînent les uns après les
autres, jouent également un rôle de plus en plus important dans ce processus d’insertion
professionnelle qui, pour une fraction croissante de chaque génération, ressemble de plus
en plus à une course d’obstacles23. Cela étant, le niveau de formation initiale du jeune qui
23 C’est particulièrement vrai pour les jeunes d’origine étrangère puisque, selon l’enquête Emploi Insee de 2005, le taux de
chômage des jeunes de 15-24 ans ressortissants de pays d’Afrique était alors de 43,4 %.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 89


sort du système scolaire ainsi que sa spécialité de formation conditionnent de manière
essentielle la façon dont s’effectue cette insertion (cf. infra).
• Après 50 ans, le taux de chômage ne se différencie plus guère de celui des 30-49 ans (il
lui est très légèrement inférieur), dans la mesure où les préretraites et les dispenses de
recherche d’emploi masquent une partie du sous-emploi (tableau 2.5). Reste cependant
qu’en 2004, seulement 37,3 % des 55-64 ans occupaient un emploi en France (29,9 % en
2000), contre 40,5 % pour la moyenne de l’Union européenne, soit très loin de l’objectif
d’un taux d’emploi de 50 % en 2010 adopté au sommet européen de Lisbonne en 2000.
Selon les données de l’INSEE, ce sont par ailleurs les plus de 50 ans qui sont les plus tou-
chés par le chômage de longue durée (cf. supra), tandis que les entreprises recrutent peu
de salariés ayant dépassé 50 ans, ces derniers représentant 6 % seulement des personnes
embauchées depuis moins d’un an, alors qu’elles représentent un quart de l’emploi total.
Il ressort finalement des données concernant le chômage des jeunes et des 50 ans et plus,
que l’âge joue un rôle clé dans les trajectoires suivies sur le marché du travail. À une ex-
trémité, les jeunes se caractérisent par une insertion lente mais aussi une aptitude plus
forte à trouver un emploi. Il en résulte pour eux un taux de chômage élevé mais une du-
rée moyenne plus faible. Il s’agit d’un chômage d’insertion. À la fin de la vie de travail, la
probabilité d’être au chômage est plus faible, mais plus faible également la probabilité
d’en sortir lorsque l’on y est entré ; le chômage est plus sélectif et conduit à une exclusion
anticipée du marché du travail. Dans le milieu de la vie active, la vulnérabilité reste faible
tandis qu’il est de plus en plus difficile de retrouver un emploi.
• Le taux de chômage varie également selon la catégorie socioprofessionnelle. Il atteint
l’ensemble des catégories socioprofessionnelles. Mais il affecte beaucoup plus fortement
les ouvriers et les employés que les professions intermédiaires et les cadres et professions
intellectuelles supérieures (tableau 2.6). À titre d’exemple, en 2005, le taux de chômage
variait dans une proportion de 1 à 2,5 entre les cadres et professions intellectuelles supé-
rieures (taux de chômage de 4,9 %) et les ouvriers (taux de chômage de 12,5 %).

TAbLEAU 2.6
Taux de chômage de quelques catégories sociales et selon le diplôme* : 1990-
2005
Janvier Mars Mars Moyenne Moyenne
Catégories sociales
1990 1990 1995 2003 2005
Cadres, prof. Intel. sup. 2,6 5,0 3,7 4,1 4,9
Professions intermédiaires 4,1 6,7 5,5 5,0 5,5
Employés 11,9 14,6 12,4 9,1 10,3
Ouvriers 12,2 14,2 14,4 10,8 12,5

Diplôme
Sans diplôme ou CEP 13,1 16,4 16,2 14,7 15,0
BEPC, CAP, BEP 8,5 10,7 9,4 9,0 9,3
Baccalauréat 6,7 10,1 8,9 8,7 9,2
Bac + 2 3,8 7,4 5,3 6,0 6,6
Diplôme supérieur 3,6 6,9 5,6 7,6 7,0

Ensemble 9,2 11,6 10,0 9,7 9,8


* France métropolitaine
Sources : INSEE. Tableaux de l’Economie française, 2006.

90 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


En corollaire, le taux de chômage varie très fortement en fonction du niveau de qualifica-
tion et des diplômes. Le taux de chômage des diplômés est systématiquement inférieur à
celui des non diplômés (tableau 2.6)24. Pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail,
l’inégalité face au risque de chômage en fonction du niveau de formation reconnu au sor-
tir du système scolaire est également très importante (graphique 2.8).
GrAPhIqUE 2.8
Taux de chômage (au sens du BIT) selon le diplôme, de 1 à 4 ans après la fin des
études

Note : taux de chômage en mars de chaque année sauf celles du recensement (avril en 1982, janvier en 1990 et
1999).
Source : INSEE, enquêtes Emploi. France, portrait social, 2003-2004, p. 171.

Selon l’enquête « Génération 2000 » du Centre d’études et de recherches sur les qualifi-
cations (CEREQ) qui permet de connaître la situation des jeunes de cette génération 3 ans
après leur sortie du système scolaire, il apparaît que, si 68 % des jeunes de cette génération
ont finalement accédé à un emploi durable au terme de ces trois années, 47 % ont connu
au moins une période de chômage pendant ces trois premières années de vie active. La
première période de chômage a duré plus d’un an pour 45 % des jeunes non qualifiés et
pour 12 % des diplômés de 3ème cycle. Le premier emploi était un CDI pour 31 % des non
qualifiés et pour 56 % des diplômés de 3ème cycle25 (graphique 2.9).

24 De ce point de vue, l’amélioration incontestable, mais provisoire, de la situation globale de l’emploi qui s’était produite
à la fin des années 1990 ne s’est pas accompagnée d’une réduction de l’inégalité devant le risque de chômage selon le
niveau de diplôme. Différentes études montrent ainsi que les inégalités face au chômage entre les diplômés du supérieur
et les personnes sans diplôme étaient aussi élevées en 2000 qu’en 1993 (Maurin et alii, 2004 ; Atkinson et alii, 2001),
avec un taux de chômage des hommes (femmes) sans diplôme 3,5 fois (5 fois) plus élevé que celui des hommes (femmes)
diplômé(e)s de l’enseignement supérieur. Cela semblerait s’expliquer en partie par le fait que, pendant la décennie 1990,
« les besoins en travailleurs non qualifiés ont décliné de façon tout aussi rapide que le nombre de personnes peu ou pas
diplômées dans la population active. Dans ce contexte, les perspectives d’emploi des personnes les moins diplômées n’ont
guère pu se rapprocher de celles des personnes les plus diplômées » (Maurin et alii, 2004, p. 25).
25 Selon l’enquête « Génération 92 » réalisée par le CEREQ, pour 100 jeunes sortis du système scolaire en 1992 sans diplôme
ou avec seulement une première année de CAP-BEP, 23 % n’ont jamais été au chômage et 20 % l’ont été au moins 36
mois. Pour 100 jeunes diplômés de l’enseignement supérieur long, ces chiffres étaient respectivement de 41 % et de
2 % (Clerc, 1999, p. 68-69).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 91


GrAPhIqUE 2.9
Principaux contrats à l’embauche pour le premier emploi, génération 2000
CDI CDD Intérim Contrat Autres
aidé

Non qualifié 31 23 22 18 6
Niveau CAP ou BEP
non diplômé, 2de ou 1re 28 26 31 10 5
CAP ou BEP 34 27 18 14 7
Niveau bac non diplômé 28 27 30 9 6
Bac professionnel
ou technologique 31 27 21 16 5
Niveau bac+1 ou bac+2
non diplomé 32 27 22 13 6
Bac+2 32 37 21 6 4
2e cycle 51 30 7 7 5
3e cycle 56 31 6 3 4
Sources : CEREQ. Le Monde, 15-06, 2005, p. 9.

Si le diplôme apparaît bien encore aujourd’hui comme une protection contre le chômage,
il reste qu’il ne permet plus aussi aisément que par le passé d’accéder à des emplois quali-
fiés et d’encadrement. Au cours des dernières décennies, le nombre d’emplois qualifiés a
progressé moins vite que le nombre de diplômés, de sorte qu’il n’est plus possible à tous les
nouveaux diplômés d’accéder à des emplois correspondant à leur niveau effectif de qua-
lification. C’est ainsi que, dans les jeunes quittant le système scolaire avec le baccalauréat
à la fin des années 1960 (18 % d’une classe d’âge), 70 % accédaient à un poste de cadre
ou à une profession intermédiaire. Au début des années 2000, alors que près de 70 %
d’une classe d’âge obtient le baccalauréat, la proportion de ceux qui accèdent à un poste
de cadre ou à une profession intermédiaire n’est plus que de 25 %. Un tiers des jeunes
titulaires d’un Bac + 4 et occupant un emploi deviennent employés. Dans la fonction pu-
blique, 64 % des jeunes recrutés sont titulaires de diplômes très supérieurs à ceux requis
par le concours (Dubet et Duru-Bellat, 2006, p. 22). En fait, comme le soulignent ces deux
auteurs, « s’il est évident que chacun a intérêt à élever son niveau de diplôme, ne serait-
ce que pour résister au déclassement, ce choix rationnel au niveau individuel entretient
lui-même le déclassement général des diplômés au niveau collectif » (id., 22). Toujours
selon une enquête du CEREQ, alors que 38 % seulement d’une classe d’âge obtiennent un
diplôme d’enseignement supérieur, la proportion des diplômés qui sont employés trois ans
après leur sortie de l’université à un niveau inférieur à celui qui correspond normalement
à leurs diplômes est passée pour les Bac + 2 de 22 % en 1981 à 43 % en 1997 et, pour les
Bac + 3 et plus, de 36 % à 45 %. Par ailleurs, selon une étude du Conseil économique et
social, les entreprises accueilleraient 800 000 stagiaires par an dont 60 000 à 120 000, selon
les estimations, occuperaient en fait des postes de travail à temps plein.

92 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Il n’en reste pas moins que la surexposition des personnes les moins qualifiées au risque de
chômage est une réalité indiscutable. Mais celle-ci tient moins à la faiblesse de leur niveau
de qualification en soi qu’à l’ampleur du chômage total et à l’insuffisance de la création
d’emplois qualifiés en quantité suffisante pour absorber une population active qui pro-
gresse non seulement en volume global, comme on l’a déjà souligné, mais également en ni-
veau moyen de qualification. Avec comme conséquence que nombre de postulants à l’em-
ploi qui ne trouvent pas à s’insérer professionnellement dans des emplois correspondant à
leur niveau de qualification sont contraints de se déqualifier en se portant candidat à des
emplois d’une qualification inférieure à celle à laquelle ils pourraient prétendre, condam-
nant de ce fait les personnes peu ou non qualifiées au chômage. Un demandeur d’emploi
peut en effet postuler à toute une série d’emplois plus ou moins qualifiés. Qui peut le plus,
peut le moins. Les moins qualifiés ont de ce fait moins de possibilités de choix que les plus
qualifiés. Ils sont plus souvent devancés par ces derniers et connaissent par conséquent des
taux de chômage plus élevés26. L’augmentation des emplois non qualifiés peut ainsi coexis-
ter étrangement avec la croissance du chômage des non qualifiés. Il suffit pour cela que les
plus qualifiés se reportent, faute de mieux, sur des emplois moins qualifiés.
Le taux de chômage varie également selon la nationalité du postulant à l’emploi. Ainsi, à
titre d’exemple, en 2005, selon l’enquête Emploi de l’INSEE, pour un taux de chômage glo-
bal de 9,8 %, le taux de chômage était de 9 % pour les Français de naissance, 19,4 % pour
l’ensemble des étrangers et 28 % pour les ressortissants de pays d’Afrique, ce qui traduit
l’ampleur des discriminations à l’embauche.
*
Pour conclure, il faut souligner que, s’il est un phénomène général, le chômage présente
cependant des spécificités nationales. Dans les pays en développement (PED), il est généra-
lement endémique et masqué. Les problèmes du sous-développement débordent d’ailleurs
largement celui du seul chômage puisque, dans les PED, et en particulier dans ceux que l’on
nomme les pays les moins avancés (PMA), même les individus qui ont un emploi ou une ac-
tivité sont souvent dans la misère, ce qui explique en particulier que le courant migratoire
du Sud vers le Nord continue de se développer. Dans certains pays « émergents » il atteint
un niveau élevé malgré la forte croissance économique que connaissent ces pays. Dans
les pays développés, il a, en tendance, nettement progressé depuis le début des années
1970, avec cependant des différences significatives d’un pays à l’autre. Au sein de l’Union
européenne à 27, par exemple, il varie actuellement du simple au triple entre les Pays Bas
(3,2 % en 2007) et la Slovaquie (11,1 %) (tableau 2.7) et, au sein de l’Union européenne
à 15, de moins de 4 % (Danemark, Pays Bas) à 8,3 % (France et Grèce). Son mode d’évo-
lution en longue période permet d’isoler en particulier deux groupes de pays. D’un coté,
les pays anglo-saxons où l’amplitude des variations conjoncturelles du chômage est forte.
De l’autre, les grands27 pays européens continentaux où le chômage a connu depuis la fin
des années 1960 jusqu’aux années 1990 une croissance soutenue sans grandes fluctuations
conjoncturelles et où continue à se manifester une forte résistance à sa baisse. Le Japon
qui a longtemps semblé ignorer le chômage rejoint progressivement les pays anglo-saxons.

26 Théorie dite de « la file d’attente » qui explique la permanence d’inégalités devant le chômage. « Derrière l’apparence
d’un ‘‘chômage d’inadéquation’’ (des candidats à l’emploi qui ne possèdent pas les compétences requises pour occuper
les emplois existants) se cache donc vraisemblablement un ‘‘chômage de file d’attente’’, permettant de sélectionner les
candidats jugés les plus attractifs par ordre de diplôme ou d’expérience décroissant » (Clerc, 1999, p. 32-33).
27« Grands » pays car les petits pays européens ont souvent des taux de chômage sensiblement plus faibles. Taux en 2007 :
Suède (6,1 %), Danemark (3,8 %), Autriche (4,4 %), Pays-Bas (3,2 %), Luxembourg (4,7 %).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 93


TAbLEAU 2.7
Taux de chomage dans l’Union européenne (avril 2007 – données standardisées)
% %
France 8,6 Pologne 11,2
Grèce 8,6 Slovaquie 10,5
Espagne 8,2 Hongrie 8,2
Portugal 8,0 Bulgarie 7,5
Belgique 7,6 Roumanie 7,2
Allemagne 6,7 Malte 6,4
République
Finlande 6,6 6,1
tchèque
Italie 6,5 Lettonie 5,8
Suède 6,2 Lituanie 5,4
Royaume-uni 5,4 Slovénie 4,8
Luxembourg 4,9 Estonie 4,7
Autriche 4,5 Chypre 4,4
Irlande 4,0
Danemark 3,4
Pays-Bas 3,3
Zone Euro-13 7,1 États-unis 4,5
uE-27 7,1 Japon 3,8
Source : EUROSTAT

Les disparités de l’exposition au risque du chômage selon l’âge, le sexe, les qualifications
sont assez semblables d’un pays à l’autre et reflètent grosso modo celles que l’on observe
en France. Pourtant quelques différences valent d’être soulignées.
• Le taux de chômage des femmes qui est supérieur à celui des hommes en France lui est
inférieur en Grande-Bretagne et en Irlande ; il lui est quasiment identique aux États-Unis
ou au Japon.
• Si le chômage des 15-24 ans est le plus souvent supérieur à celui des adultes, l’écart
entre les deux taux varie sensiblement d’un pays à l’autre. Si l’on compare, par exemple,
la situation de la France et celle de l’Allemagne depuis le début de la décennie 2000, on
observe que, pour des taux de chômage globaux des deux pays très proches, le taux de
chômage des moins de 25 ans est en France en moyenne un tiers supérieur à celui de
l’Allemagne (tableau 2.8).
TAbLEAU2.8
Taux de chômage de la population active totale et des jeunes de 15-24 ans

Pays 2001 2002 2003 2004


Allemagne PAT 7,4 8,2 9,1 9,5
15-24 ans 9,3 11,4 12,3 13,3
France PAT 8,4 8,9 9,5 9,7
15-24 ans
16,0 17,5 18,1 20,8
Suède PAT 4,9 4,9 5,6 6,4
15-24 ans 11,8 12,8 13,9 17,0

94 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• Les taux d’emploi varient également sensiblement d’un pays à l’autre. Ainsi, pour l’UE à
25, si le taux d’emploi s’établissait en 2007 à une moyenne de 65,4 % pour l’ensemble de
la population en âge de travailler (15-64 ans), il variait de 57 % pour la Pologne et 58,7 %
pour l’Italie à 76 % pour les Pays Bas et 77,1 % pour le Danemark (France, portrait social,
2006, p. 257).
• Le travail à temps partiel représente dans la plupart des pays développés une proportion
significative de l’emploi total, 20,3 % de l’emploi total dans l’UE à 15 en 2005, avec des
écarts importants d’un pays à l’autre (5 % de l’emploi total pour la Grèce et 11,2 % pour le
Portugal à une extrémité, et 22,1 % pour le Danemark et 24 % pour l’Allemagne à l’autre
extrémité) (id., p. 257).
• Il apparaît par ailleurs que, en moyenne, ce sont les pays qui créent le plus d’emplois qui
ont les taux de chômage les plus faibles, avec en particulier l’exemple des États-Unis où de
l’ordre de 40 millions d’emplois ont été créés entre 1973 et 1995 (Marcel et Taïeb, 1997,
p. 51). Nombre de ces emplois, créés principalement dans le secteur des services, étaient
cependant faiblement qualifiés et mal rémunérés.

Section 2 : Les explications du chômage :


néoclassiques et keynésiens
La théorie néoclassique et la théorie keynésienne ont chacune leur propre explication du
chômage qui, on ne s’en étonnera pas, diffère fortement de l’une à l’autre. Selon la théorie
néoclassique (§ 1), l’existence d’un chômage involontaire ne peut être imputée en tant que
telle au fonctionnement de l’économie de marché capitaliste. Elle résulterait en fait des
obstacles qui s’opposent à un fonctionnement réellement concurrentiel du marché du tra-
vail. Pour y remédier, il faudrait donc créer les conditions du retour à un fonctionnement
libre et réellement concurrentiel de ce marché et, plus généralement, libérer l’ensemble
des marchés des multiples entraves s’opposant à leur fonctionnement libre et harmonieux.
Selon la théorie keynésienne (§ 2), par contre, le chômage n’est pas imputable aux défi-
ciences supposées d’un hypothétique marché du travail. Il est en réalité le résultat du fonc-
tionnement d’ensemble de l’économie capitaliste qui, livrée à elle-même, conduit naturel-
lement le plus souvent à la réalisation d’un équilibre macroéconomique de sous-emploi.
Seule l’intervention de l’État, mettant en œuvre une politique adéquate de stimulation de
la demande globale, peut permettre à l’économie de retrouver le plein-emploi.

paragraphe 1 : l’analyse néoclassique du chômage : les atteintes


à la concurrence

Pour la théorie néoclassique, dans une économie de marché parfaitement concurrentielle,


dont elle propose une certaine représentation du fonctionnement d’ensemble (A), les
comportements rationnels des agents économiques individuels devraient aboutir à la réa-
lisation spontanée d’un équilibre du marché du travail excluant tout chômage involontaire

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 95


(B). Si un tel chômage existe néanmoins, cela tient aux imperfections du marché du travail,
et plus particulièrement celles résultant des réglementations imposées par l’État qui font
que ce marché n’est pas un marché de concurrence pure et parfaite (C). Rétablir un fonc-
tionnement pleinement concurrentiel du marché du travail serait donc, in fine, le meilleur
moyen, pour ne pas dire le seul, de résorber le chômage (D).

A - La représentation néoclassique du fonctionnement d’ensemble de l’économie


de marché capitaliste
L’analyse du chômage que développe la théorie néoclassique s’intègre dans son analyse du
fonctionnement d’ensemble de l’économie de marché capitaliste ; un aperçu de celle-ci est
nécessaire pour mieux appréhender celle-là.
Au niveau global (macroéconomique), le fonctionnement d’ensemble de l’économie de
marché capitaliste est supposé pouvoir être représenté théoriquement par celui de quatre
grands marchés articulés entre eux : le marché du travail, le marché des biens, le marché
des capitaux et le marché de la monnaie. Chacun de ces quatre marchés résulte de l’agré-
gation des divers marchés particuliers qui lui correspondent ; le marché global des biens,
par exemple, correspond au regroupement en une entité unique des différents marchés
de tous les biens (et services) particuliers produits et échangés dans l’économie nationale
(biens de consommation finale et biens d’équipement). Sur chacun de ces quatre grands
marchés se confrontent une offre et une demande globales spécifiques du marché : offre
et demande globales de travail sur le marché du travail, offre et demande globales de
biens sur le marché des biens…
En courte période (ce qui signifie en fait que le stock global de capital de l’économie natio-
nale est fixe tandis que le travail est un facteur de production variable), le fonctionnement
d’ensemble de ces quatre marchés aboutit à la détermination de certaines variables macro-
économiques et plus spécifiquement : la production et le revenu, l’emploi, l’épargne, l’in-
vestissement, le taux d’intérêt réel et le niveau général des prix. Sur chacun de ces mar-
chés, la confrontation de l’offre et de la demande globales qui s’y expriment détermine la
valeur de la ou des variables spécifiques de ce marché : le taux de salaire réel et le niveau
de l’emploi global pour le marché du travail, le niveau du taux d’intérêt réel, l’épargne
et l’investissement pour le marché des capitaux, le niveau général des prix pour le marché
de la monnaie. Il est supposé que ces différents marchés sont parfaitement concurrentiels.
Le fonctionnement d’ensemble de l’économie ainsi réduite à ces quatre grands marchés,
tel que le représente la théorie néoclassique, correspond à un enchaînement de processus
qui part du marché du travail pour arriver finalement au marché de la monnaie. Sur le
marché du travail, la confrontation de l’offre et de la demande globales de travail aboutit
naturellement à déterminer le salaire réel d’équilibre, auquel correspond le niveau de
l’emploi global d’équilibre qui se définit comme un niveau de plein-emploi (cf. infra). Le
niveau de l’emploi global étant ainsi déterminé par le fonctionnement du seul marché du
travail, la fonction de production macroéconomique de l’économie nationale28, qui est du
type Y = Y (Ko, N), avec Y le produit global réel, Ko le stock global réel de capital technique
28 Cette fonction de production macroéconomique est formellement comparable aux fonctions de production microéco-
nomiques des entreprises évoquées antérieurement (tome 1, chapitre III). Elle relie le niveau du produit global (réel) aux
quantités de facteurs de production employées à l’échelle de l’ensemble de l’économie nationale.

96 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


(facteur de production fixe) et N l’emploi global (facteur de production variable), indique
le niveau du produit global réel qui correspond à l’emploi global d’équilibre et qui est
donc supposé être un produit global de plein-emploi.
Celui-ci détermine l’offre globale de biens qui se confronte à la demande globale sur le
marché des biens. Il est supposé que cette demande est nécessairement égale à l’offre
globale de biens en raison du jeu de la « loi des débouchés », formulée par l’économiste
classique Jean-Baptiste Say et reprise par les néoclassiques, selon laquelle la production
(et donc l’offre de biens) suscite par elle-même une demande globale de biens d’un mon-
tant équivalent. L’analyse qui est à la base de la formulation de cette loi est en substance
la suivante. La production globale a comme contrepartie la distribution aux agents éco-
nomiques ayant participé à cette production de revenus d’un montant total égal à celui
de la production réalisée : le revenu global est égal au produit global. Si la totalité du
revenu global est dépensée en achats sur le marché des biens, la demande globale y est
nécessairement égale à l’offre. Or, selon les néoclassiques, c’est nécessairement le cas, car
la monnaie perçue par les agents économiques au titre de leurs revenus n’est pas désirée
pour elle-même et n’est donc pas susceptible d’être thésaurisée. La demande de monnaie
est supposée être fondamentalement une demande de monnaie pour le motif de tran-
sactions, avec pour conséquence que les revenus perçus par les agents économiques sont
finalement dépensés en totalité à acquérir des biens.
Il est vrai qu’une fraction de ces revenus est épargnée. Mais, la thésaurisation étant exclue
par hypothèse, toute l’épargne donne lieu à des placements sur le marché des capitaux.
Sur ce marché, se confrontent l’offre globale de capitaux, égale à l’épargne globale, et la
demande globale de capitaux, émanant des entreprises et égale à l’investissement global
que celles-ci souhaitent réaliser29. Cette confrontation aboutit à la détermination d’un taux
d’intérêt réel d’équilibre pour lequel l’offre et la demande globales de capitaux s’égali-
sent, autrement dit pour lequel l’épargne globale désirée par les épargnants, supposée
être une fonction croissante du taux d’intérêt (elle augmente si le taux d’intérêt s’élève),
est égale à l’investissement global désiré des entreprises (qui est supposé être une fonction
décroissante du taux d’intérêt : l’investissement diminue si le taux d’intérêt des fonds qu’il
faut emprunter pour le financer s’élève). Cette égalité de l’épargne et de l’investissement
signifie que la totalité de l’épargne réalisée est utilisée à financer des investissements, et
donc que le revenu global est bien finalement utilisé en totalité à acquérir des biens (de
consommation et d’équipement) sur le marché des biens. La demande globale (somme de
la consommation globale C et de l’investissement global I) est donc égale à l’offre globale,
elle-même égale au produit global.
L’analyse néoclassique suppose donc que le fonctionnement d’ensemble de l’économie cor-
respond à la double relation de causalité suivante : le niveau de l’emploi global (N) déter-
mine le produit global (Y), lequel détermine le revenu global auquel est égale la demande
globale (C + I). Le produit global de plein-emploi est donc par conséquent également un
produit global d’équilibre.
Le produit global d’équilibre et de plein-emploi de courte période étant connu, le niveau
général des prix est déterminé, en application de la théorie quantitative de la monnaie, par

29 En faisant abstraction, dans le modèle de représentation du fonctionnement de l’économie le plus simple qu’il soit possible
d’envisager, de l’éventuelle demande de capitaux provenant des administrations publiques.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 97


la quantité de monnaie détenue par les agents non financiers. Sur le marché de la monnaie,
l’offre globale de monnaie des banques (M), c’est-à-dire la masse monétaire en circulation
(détenue par les agents économiques non financiers : ménages, entreprises, administrations
publiques hors Trésor public), est déterminée par les choix de politique monétaire des pou-
voirs publics30. En courte période, elle est supposée constante pour un état donné de la
politique monétaire. La demande globale de monnaie (L), qui ne répond qu’au seul motif
de transactions, dépend du montant du produit/revenu global réel (Y), du niveau général
des prix (P) et de la vitesse de circulation de la monnaie (V), supposée constante en courte
période (cf. supra, chapitre I). Elle est du type : L = (1 / V) . P . Y. L’équilibre du marché de
la monnaie suppose que l’offre globale de monnaie soit égale à la demande et donc que
M = (1 / V) . P . Y. Pour le produit global réel d’équilibre et de plein-emploi Y connu et une
vitesse de circulation de la monnaie constante, le niveau général des prix dépend directe-
ment de la quantité de monnaie en circulation : une augmentation de la masse monétaire en
circulation (M) entraîne une hausse proportionnelle du niveau général des prix (P).

B - Le fonctionnement concurrentiel du marché du travail et l’impossibilité du


chômage involontaire
Dans cette représentation néoclassique du fonctionnement d’ensemble de l’économie de
marché capitaliste, le travail (et non la force de travail) est donc une marchandise qui fait
l’objet d’une offre et d’une demande31 s’exprimant sur un marché spécifique, le marché du
travail. L’analyse du fonctionnement des marchés de concurrence pure et parfaite présen-
tée antérieurement (tome 1, chapitre VII) s’applique par extension à ce marché du travail32.
Pour que celui-ci soit un marché de concurrence pure et parfaite, les conditions suivantes
doivent être vérifiées : 1) travail homogène (les salariés sont supposés effectuer tous un
même travail indifférencié) ; 2) atomicité de l’offre et de la demande de travail (un très
grand nombre d’offreurs et de demandeurs de travail sur le marché dont aucun n’est en
mesure d’exercer individuellement une influence sur le prix du travail) ; 3) libre accès au
marché des travailleurs potentiels et des entreprises cherchant à embaucher de la main-
d’œuvre ; 4) transparence du marché (l’ensemble des agents intervenant sur le marché
sont à tout moment totalement informés de sa situation réelle et des prix pratiqués) ;
5) absence de réglementation étatique ou de coalitions syndicales limitant la liberté de
contracter des offreurs et des demandeurs de travail.
Dans ce cas, la confrontation de l’offre et de la demande globales de travail sur le mar-
ché, supposées être l’une et l’autre fonction du salaire réel, aboutit nécessairement à la
30 Il est donc supposé que l’offre globale de monnaie est exogène au fonctionnement du système économique. Elle résulte
des choix faits par les pouvoirs publics en matière de politique monétaire.
31 Les économistes néoclassiques utilisent une terminologie spécifique pour évoquer le marché du travail. Considérant que
c’est le travail en tant que tel, et non la force de travail du salarié, qui est l’objet du contrat passé entre celui-ci et son
employeur, ils parlent d’offre de travail des salariés et de demande de travail des entreprises, alors que dans le langage
courant les futurs salariés sont des demandeurs d’emploi et cherchent à se procurer un emploi qui leur convienne parmi
les offres d’emplois des entreprises. La confusion entre ces deux terminologies doit être soigneusement évitée.
32 On a vu que, sur des marchés de ce type, la concurrence (entre d’un côté les offreurs et de l’autre les demandeurs) et
la flexibilité des prix (susceptibles de varier à la hausse comme à la baisse, flexibilité qui résulte normalement de cette
concurrence), garantissent la réalisation de l’équilibre, c’est-à-dire l’égalisation sur chaque marché des quantités offertes
et des quantités demandées au « prix d’équilibre ». En cas de choc subi par le marché aboutissant à rompre l’équilibre,
celui se rétablit spontanément par le biais d’une modification du prix d’équilibre sous l’effet de la concurrence; l’equi-
libre est stable.

98 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


réalisation d’un équilibre. Celui-ci correspond à l’établissement du salaire réel d’équilibre
pour lequel l’offre et la demande globales de travail s’égalisent, c’est-à-dire que la totalité
du travail offert à ce salaire réel d’équilibre par les salariés désirant un emploi fait l’objet
d’une demande de la part des entreprises, ce qui exclut l’existence d’un chômage involon-
taire. Précisons ce point.
Il est supposé que la demande de travail exprimée par les entreprises est une fonction
décroissante du salaire réel (W/P), rapport du salaire nominal (W) sur le niveau général
des prix (P). En courte période, l’entreprise ne maximise son profit qu’à la condition d’em-
ployer la quantité de travail pour laquelle la productivité marginale physique du travail,
définie comme la quantité supplémentaire de biens produite grâce à l’emploi d’une unité
de travail additionnelle, égale au salaire réel (ou la productivité marginale en valeur du
travail : égale au salaire nominal cf. tome 1, chapitre III). Comme la productivité marginale
physique du travail est supposée décroissante (en application de la loi des rendements
décroissants), l’entreprise peut employer d’autant plus de salariés, tout en maximisant son
profit, que le salaire réel est plus faible. La demande de travail des entreprises augmente
donc lorsque le salaire réel diminue. C’est une fonction décroissante du salaire réel : =
DT f (W/P), avec f’ (W/P) < 0, W/P désignant le salaire réel.
À l’opposé, il est supposé que l’offre de travail des salariés est une fonction croissante du
salaire réel. Elle résulte de la comparaison qu’effectue le salarié-consommateur entre l’uti-
lité indirecte pour lui de son travail, c’est-à-dire en fait l’utilité des biens et services qu’il
peut acquérir en dépensant son salaire, et la désutilité directe de son travail qui tient à ce
que celui-ci est une occupation consommatrice d’un temps qui pourrait être consacré à des
loisirs. Chaque salarié-consommateur ayant son propre système de préférences et donc ses
propres critères de décision, déclenche son offre individuelle de travail à un niveau de salaire
réel qu’il détermine lui-même, dit salaire de réservation. Pour un travail donné, dont la
désutilité directe est estimée par les offreurs de travail, l’utilité indirecte augmente avec le
salaire réel qui lui correspond : plus celui-ci est élevé, plus il permet d’acquérir de biens, alors
que l’utilité totale que la consommation procure à un individu augmente avec la quantité
de biens et services consommés. En conséquence, les salariés-consommateurs sont supposés
offrir leur travail en plus grand nombre et chacun individuellement en plus grande quantité
lorsque le salaire réel augmente. L’offre totale de travail s’accroît donc lorsque le salaire réel
s’élève ; c’est une fonction croissante du salaire réel : OT = f (W/P), avec f’ (W/P) > 0.
La confrontation de l’offre et de la demande de travail sur le marché du travail détermine
un salaire réel d’équilibre et un seul. Graphiquement, la courbe qui représente la demande
de travail est décroissante et continue, tandis que la courbe d’offre de travail est croissante
et continue. Elles se coupent donc nécessairement au point E (graphique 2.10), ce qui définit
le salaire d’équilibre (W/P)E et la quantité de travail d’équilibre (NE) achetée et vendue sur le
marché.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 99


GrAPhIqUE 2.10
La représentation néoclassique de l’équilibre du marché du travail

Le fonctionnement concurrentiel du marché est censé garantir la réalisation de cet équi-


libre. Si, pour une raison quelconque, le salaire devait s’établir momentanément à un ni-
veau supérieur ou inférieur à celui qui correspond à l’équilibre, le jeu de la concurrence,
selon le cas entre les offreurs de travail ou entre les demandeurs de travail, aboutirait au
rétablissement de l’équilibre. Si, par exemple, le salaire réel s’établissait à un niveau (W/P)1
supérieur au niveau d’équilibre (W/P)E (graphique 2.11), il en résulterait pour ce niveau de
salaire (W/P)1 un excès de l’offre totale de travail sur la demande (segment AB). La concur-
rence entre les offreurs de travail (les salariés) aboutirait alors à faire baisser le salaire
jusqu’à ce qu’il atteigne le niveau d’équilibre (W/P)E33.
GrAPhIqUE 2.11
Variation du salaire réel et équilibre du marché du travail

Réciproquement, si le salaire s’établissait à un niveau (W/P)2 inférieur au niveau d’équi-


libre, il en résulterait pour ce salaire (W/P)1 un excès de la demande globale de travail sur
l’offre (segment CD). La concurrence entre les demandeurs de travail (les entreprises) ferait
monter le salaire jusqu’à ce qu’il rejoigne le niveau d’équilibre (graphique 2.12).

33 Les salariés qui ne trouveraient pas à s’embaucher à ce salaire (W/P)1, mais qui seraient disposés à travailler pour un salaire
plus faible, offriraient leur travail pour un salaire inférieur à (W/P)1 contraignant les autres salariés à en faire autant et
ce, jusqu’à ce que le marché parvienne finalement en situation d’équilibre (cf. infra).

100 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 2.12
Variation du salaire réel et équilibre du marché du travail

Tous les individus qui acceptent ce salaire d’équilibre, c’est-à-dire qui offrent effectivement
leur travail sur le marché à ce salaire d’équilibre, trouvent un emploi. Ne restent par consé-
quent sans emploi, pour la théorie néoclassique, que ceux qui désirent un niveau de rému-
nération plus élevé que le salaire d’équilibre, et ne sont offreurs de leur travail que pour un
niveau de salaire réel supérieur à ce salaire d’équilibre. Leur chômage est donc qualifié de
volontaire. Pour obtenir un emploi, il suffit à un chômeur (volontaire) de réduire ses pré-
tentions et d’accepter le salaire d’équilibre du marché, puisque, à ce salaire d’équilibre, la
demande globale de travail est, par définition même de l’équilibre, égale à l’offre globale.
Le marché du travail étant préalablement en équilibre, s’il survient un événement nou-
veau qui le déséquilibre, le jeu de la concurrence aboutit nécessairement à l’établissement
d’un nouvel équilibre, correspondant à un nouveau salaire réel d’équilibre : l’équilibre est
stable. Soit, par exemple, l’arrivée d’immigrants dans le pays qui offrent leur travail sur le
marché, augmentant ainsi l’offre globale de travail pour tout niveau possible du salaire
réel. Pour l’ancien salaire d’équilibre, l’offre de travail excède désormais la demande, de-
meurée inchangée. Certains offreurs de travail, plutôt que de rester sans emploi, acceptent
alors de travailler pour un salaire inférieur à l’ancien salaire d’équilibre, contraignant par
cela même d’autres offreurs de travail à faire de même. La concurrence entre les offreurs
de travail fait baisser le salaire. Mais, dès lors que le salaire baisse, les entreprises peuvent
embaucher un nombre accru de salariés relativement à la situation d’équilibre initiale. Un
nouvel équilibre du marché, caractérisé par un nouveau salaire réel d’équilibre inférieur
au salaire d’équilibre initial, et un niveau d’emploi supérieur au niveau initial, sera ainsi
finalement atteint.
Sur le graphique 2.13, l’augmentation de l’offre globale de travail due à l’arrivée des im-
migrants se traduit par un déplacement de la courbe d’offre de travail parallèlement à
elle-même vers la droite. La courbe d’offre globale de travail O*T se substitue à la courbe
d’offre globale de travail initiale OT. Cette nouvelle courbe d’offre de travail (O*T) coupe
la courbe de demande (qui, elle, ne se modifie pas) au point E’ correspondant au nouvel
équilibre du marché. Le segment AB sur le graphique représente l’excès de l’offre sur la
demande de travail qui se manifeste sur le marché à l’ancien salaire réel d’équilibre du

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 101


fait de l’augmentation de l’offre de travail34. Compte tenu de cet excès de l’offre sur la
demande de travail à l’ancien salaire réel d’équilibre, la concurrence entre les offreurs de
travail fera baisser le salaire réel jusqu’à ce qu’il atteigne la nouvelle valeur d’équilibre cor-
respondant au point E’ et pour lequel les entreprises emploieront une quantité de travail
NE’ supérieure à NE. L’équilibre du marché du travail est stable.
GrAPhIqUE 2.13
L’augmentation de l’offre de travail et l’équilibre du marché du travail

C - Les atteintes au fonctionnement concurrentiel du marché du travail et le


chômage
Dans la réalité, le marché du travail diffère fortement du marché de concurrence pure et
parfaite évoqué précédemment.
La liberté de contracter entre salariés et employeurs est encadrée juridiquement et le
contrat de travail soumis à un régime juridique spécifique, celui du droit du travail. Cela
correspond au fait que les salariés sont peu à peu parvenus à imposer le respect de certains
droits : durée légale du travail, grilles salariales par branches d’activité en fonction des
postes de travail et des qualifications, salaire minimum légal, mode de rémunération des
heures supplémentaires, encadrement du licenciement, cotisations sociales assises sur les
salaires finançant le régime de protection sociale...
L’atomicité supposée du marché du travail est loin d’être la norme. Les salariés ont constitué
des syndicats, chargés de les représenter vis-à-vis des directions d’entreprises, des organisa-
tions patronales et des pouvoirs publics, et capables d’organiser une action revendicative col-
lective. Parallèlement, et parfois antérieurement, les employeurs ont créé des organisations
professionnelles patronales (dont les premières sont apparues dès les débuts du capitalisme
industriel) qui sont chargées de préserver leurs intérêts collectifs. Il résulte de cette organisa-
tion collective respectivement des salariés et des employeurs que la négociation individuelle
entre un salarié et son employeur a été progressivement remplacée, et en particulier depuis
la Seconde Guerre mondiale, par des négociations collectives entre syndicats et organisa-
tions patronales aboutissant à la signature de conventions collectives dont l’existence condi-
tionne fortement le mode de fonctionnement effectif du marché du travail.
La transparence du marché qui suppose que chaque agent opérant sur le marché puisse
connaître à tout moment le prix qui s’y établit n’est pas nécessairement assurée. Cela tient
en particulier à la complexité des systèmes de rémunération qui peuvent de surcroît dif-

34 Le lecteur traitera lui même le cas où, par exemple, suite à la perte de débouchés, les entreprises décident de réduire leur
production et diminuent en conséquence leur demande de travail. La courbe de demande globale de travail se déplace
vers la gauche, et un nouvel équilibre du marché s’établit qui correspond à un salaire d’équilibre et un niveau d’emploi
d’équilibre plus faibles qu’initialement.

102 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


férer d’une branche d’activité à l’autre et d’une entreprise à l’autre au sein d’une même
branche. Les primes variables en fonction de différents critères, la rémunération de l’an-
cienneté, les éventuels avantages en nature, les procédures d’intéressement des salariés
aux résultats de l’entreprise… ont pour conséquence que les rémunérations effectivement
perçues par les salaries peuvent être parfois relativement opaques.
Le travail n’est pas homogène. Il se différencie en fonction du niveau de qualification et,
de surcroît, à qualification identique, la qualité du travail fourni peut varier sensiblement
d’un salarié à l’autre. Cela peut permettre de comprendre que les entreprises préfèrent
éventuellement dépenser plus sous forme de majoration de salaires ou d’avantages parti-
culiers pour s’assurer de conserver les salariés qu’elles connaissent et dont elles apprécient
la qualité du travail fourni.
Le marché du travail est « segmenté », comme l’ont montré de nombreux travaux contem-
porains, et en particulier ceux de Doeringer et Piorre (1971). Ces deux auteurs distinguent
à propos du marché du travail entre le « marché interne » et le « marché externe ». Si le
marché externe, tel qu’ils le décrivent, s’apparente au marché du travail concurrentiel de
la théorie néoclassique, ce n’est pas le cas du marché interne. Ce dernier est défini comme
« une unité administrative, un établissement industriel, par exemple, à l’intérieur duquel
la rémunération et l’allocation du travail sont régies par des procédures administratives »
(1971, p. 1-2), ce qui veut dire que, sur ce marché interne, la rémunération du travail et son
affectation ne résultent pas du jeu de mécanismes concurrentiels de marché. L’existence
de tels marchés internes est due en particulier à ce qu’ils permettent aux entreprises de
réduire certains coûts salariaux, tels ceux liés au turn over de la main-d’œuvre : frais de
sélection, d’embauche et de formation de nouveaux salariés, frais de licenciement, impact
négatif sur le moral et donc la productivité des salariés conservés par l’entreprise en cas de
licenciement d’une partie des effectifs. Ils sont également le moyen d’obtenir une mobi-
lité acceptée des salariés au sein de l’entreprise et d’accroître la flexibilité productive des
firmes, conditions de leur efficacité et de leur compétitivité.
Pour les théoriciens néoclassiques, ce sont ces diverses atteintes au fonctionnement concur-
rentiel du marché du travail qui seraient à des titres divers responsables de l’existence d’un
chômage involontaire.
Ainsi, en serait-il, par exemple, de la réglementation instituant un salaire minimum légal.
Si celui-ci est fixé à un niveau supérieur à ce que serait le salaire d’équilibre, cela se traduit
nécessairement par l’apparition d’un chômage involontaire, égal à la différence entre le
niveau de l’emploi que les entreprises peuvent assurer pour un salaire égal au salaire mi-
nimum légal et celui qu’elles pourraient assurer pour un salaire d’équilibre inférieur au
salaire minimum légal35.
Ainsi en serait-il également de l’action qu’exercent les syndicats de salariés sur la détermi-
nation des salaires et en particulier de la résistance qu’ils opposent à la baisse du salaire
effectif en empêchant ou retardant son alignement sur le salaire d’équilibre36.
35 Selon M. Friedman (1971, p. 125) : « L’État peut décider d’un taux minimal des salaires, mais il lui est difficile d’exiger
des employeurs qu’ils embauchent à ce taux minimal tout ceux qui touchaient auparavant des salaires inférieurs à ce
minimum. (...) Le salaire minimum a par conséquent pour effet de rendre le chômage plus important qu’il ne le serait
autrement ».
36 C’est par exemple la thèse que défendait le Français Jacques Rueff dans les années 1930 pour expliquer le chômage qui
sévissait alors en Grande-Bretagne.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 103


Ainsi en serait-il encore de la segmentation du marché du travail. Celle-ci a conduit certains
auteurs à avancer la théorie insiders-outsiders pour expliquer le fait que les salaires pratiqués
par les entreprises puissent être supérieurs à ceux qui correspondraient à l’équilibre d’un
marché du travail concurrentiel, avec comme conséquence le chômage pour une partie des
salariés. Selon cette théorie, les insiders, c’est-à-dire les salariés en place (ceux qui sont de-
dans), seraient en mesure d’imposer certaines revendications salariales à leurs employeurs en
raison des coûts pour les entreprises de leur remplacement par des chômeurs, les outsiders
(ceux qui sont dehors), évoqués précédemment. Et cela, tant que la charge supplémentaire
résultant pour les entreprises de la satisfaction de ces revendications salariales est inférieur
aux coût de l’embauche d’outsiders et au risque que celle-ci fait courir à l’entreprise (risque
de se tromper sur la qualité réelle de l’outsider recruté et de sa capacité à répondre aux be-
soins de l’entreprise). Les insiders bénéficieraient ainsi en quelque sorte d’une rente de situa-
tion. La contrepartie en serait la limitation de la demande de travail des entreprises (obligées
de verser des salaires supérieurs au salaire d’équilibre) et donc le chômage, condamnant les
outsiders à le rester37.
Mais ce serait également le cas des charges sociales acquittées par les entreprises, dont le
montant est déterminé par les pouvoirs publics. En augmentant le coût de l’emploi d’un
travailleur supplémentaire, ces charges sociales réduiraient la demande de travail et seraient
donc l’une des causes du chômage, en particulier des travailleurs les moins qualifiés38. Dans
le même ordre d’idée, le chômage serait également dû pour partie à l’existence de dispositifs
de protection sociale dont bénéficient les chômeurs (financés par les charges sociales que
supportent les entreprises). Ces dispositifs élèvent objectivement le niveau du salaire de ré-
servation. Pour des individus rationnels, le salaire de réservation est en effet nécessairement
au moins égal au montant cumulé des aides, allocations et revenus qu’un individu peut per-
cevoir au titre de son état de chômeur. De ce fait, selon ces auteurs, un chômeur rationnel
peut être amené à refuser une offre d’emploi parce que le revenu obtenu en reprenant une
activité salariée, comparé aux prestations diverses liées au statut de chômeur qu’il perd en
acceptant un emploi, est trop faible si l’on tient compte des frais divers (habillement, trans-
ports, frais de garde des enfants, etc.) et de l’éventuelle majoration d’impôts sur le revenu
engendrés par son emploi. Les chômeurs peuvent alors se trouver dans une « trappe à inac-
tivité » et dissuadés d’accepter les emplois proposés, le chômage coexistant de ce fait avec
des emplois inoccupés.

37 On retrouve cette thèse, avec diverses variantes, chez de nombreux auteurs qui tendent à rendre les protections légales
ou autres dont bénéficient certains salariés responsables du chômage tels, par exemple, M. Godet expliquant que : « à
mes yeux le chômage des uns s’explique en partie par la protection excessive dont jouissent les autres, détenteurs d’un
emploi garanti par des conventions collectives héritées des années faciles » (1997, p. 45-46).
38 Dans cet ordre d’idée, certains auteurs développent la thèse selon laquelle le chômage massif qui affecte la France serait
finalement le résultat des hausses des salaires réels et des charges sociales associées aux salaires. Ils opposent en particulier,
à l’appui de leur argumentation, la situation de la France où, de 1967 à 1995, le salaire réel (salaire + charges sociales) a
progressé de 55 % tandis que le nombre d’emplois n’augmentait que très faiblement, à celle des États-Unis où, pendant
la même période, le salaire réel ne s’élevait que de 20 % alors que le nombre d’emplois augmentait de 50 % (cf. sur ce
point D. Clerc, 1999, p.141 et suivantes).

104 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


D - La déréglementation/libéralisation du marché du travail et la réduction des
coûts salariaux comme solutions au chômage
Les solutions préconisées par la théorie néoclassique pour résorber le chômage s’inscrivent
en prolongement logique de l’explication qu’elle en donne ; il faut en substance dérégle-
menter le marché du travail afin de lui conférer une plus grande flexibilité (a) et abaisser
les coûts salariaux, et en premier lieu les charges sociales, (b) en permettant à la concur-
rence de s’exprimer.

a - Déréglementer le marché du travail


La déréglementation du marché du travail, directe avec, par exemple, une mesure comme
la suppression de l’autorisation administrative de licenciement39, ou indirecte, avec le déve-
loppement depuis les années 1970 des emplois atypiques (intérim, contrats à durée déter-
minée, travail à temps partiel contraint...), a déjà beaucoup progressé dans un pays comme
la France. Elle confère aux employeurs une plus grande latitude en matière de gestion de
la main-d’œuvre, et met à leur disposition des moyens divers permettant d’ajuster plus
rapidement et plus étroitement leurs effectifs aux variations de l’activité liées aux fluctua-
tions conjoncturelles ou aux restructurations industrielles qu’induisent le progrès accéléré
des techniques et l’intensification de la concurrence dans le contexte contemporain de
mondialisation (cf. infra, chapitre III). Elle reste cependant au centre des préoccupations
de nombreux travaux et rapports d’inspiration néoclassique qui préconisent la poursuite
et l’amplification des réformes du Code du travail, avec en particulier : 1) diverses propo-
sitions de refonte du contrat à durée indéterminée (CDI) visant à proportionner la protec-
tion assurée aux salariés (montant des indemnités de licenciement, droit à l’indemnisation
du chômage…) à la durée écoulée depuis la signature du contrat ; 2) l’annualisation du
temps de travail permettant de faire varier le temps de travail hebdomadaire des salariés
de l’entreprise en cours d’année au gré des variations de l’activité imposées par la conjonc-
ture et le marché.
Dans cette optique de déréglementation du marché du travail destinée à lui conférer une
plus grande flexibilité, et partant de l’hypothèse selon laquelle le fait que le licenciement
soit soumis à des contraintes réglementaires et entraîne pour l’entreprise un coût (indem-
nités de licenciement, recours éventuel du salarié licencié devant les Prud’hommes) dis-
suaderait l’embauche de nouveaux salariés, il est préconisé de faciliter les licenciements
pour améliorer l’emploi. La législation du travail réglementant le licenciement est analysée
comme un instrument de défense des « avantages acquis », voire des « privilèges », des
salariés ayant un emploi avec contrat à durée indéterminée, au détriment des chômeurs.
Les entreprises seraient contraintes par cette réglementation de limiter l’embauche de
nouveaux salariés en cas de conjoncture économique favorable, quitte à freiner pour cela
la croissance de leur activité au regard de ce que la conjoncture justifierait. Assurées de
pouvoir licencier plus aisément et à moindre coût, les entreprises seraient au contraire
incitées à embaucher et à créer des emplois leur permettant de développer leur activité.
Certaines réformes très récentes du marché du travail en France s’inscrivent directement
dans cette perspective. La création en 2005 du Contrat nouvelle embauche (CNE), carac-
39 L’autorisation administrative de licenciement a été supprimée en 1986. Le président du CNPF de l’époque, Yvon Gattaz,
qui appelait cette suppression de ses vœux, avait affirmé, en 1984, qu’elle se traduirait par la création de 368 000 em-
plois alors que, comme le souligne D. Clerc (1999, p. 153), « entre juillet 1986 et juillet 1987, l’emploi salarié marchand
a progressé de 100 000 personnes et le nombre de chômeurs de 30 000 ».

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 105


térisé par l’allongement à deux ans de la période d’essai pendant laquelle l’employeur
d’une entreprise de moins de 20 salariés est libre de licencier sans avoir à motiver son
licenciement en cas d’embauche d’un nouvel employé, a ainsi été présentée comme un
moyen de stimuler la création de nouveaux emplois dans ces entreprises. Le Contrat pre-
mière embauche (CPE), auquel le gouvernement à finalement renoncé, qui appliquait des
dispositions similaires pour l’emploi de jeunes agés de moins de 26 ans au moment de
l’établissement du contrat, mais qui était ouvert à toutes les entreprises sans restriction,
avait de même été présenté comme une réponse à la situation particulièrement difficile de
l’emploi des jeunes en France. On est cependant en droit de s’interroger sur l’efficacité en
termes de création d’emplois de ces mesures visant à assurer une plus grande flexibilité du
marché du travail (cf. infra, chapitre IX).

b - Réduire le coût du travail


La déréglementation du marché du travail préconisée par les théoriciens néoclassiques
ne vise cependant pas seulement à faciliter la gestion de leur main-d’œuvre par les en-
treprises. Elle doit également permettre de rétablir une véritable flexibilité du salaire,
laquelle est jugée indispensable pour que le salaire qui s’établit effectivement sur le mar-
ché du travail s’aligne sur le salaire d’équilibre. Ce faisant, il s’agit en réalité de réduire
le coût du travail en créant les conditions d’une limitation de la hausse des salaires réels,
voire d’une baisse pure et simple de ces derniers, et en particulier pour les travailleurs les
moins qualifiés40, afin de permettre aux entreprises de créer des emplois et d’accroître la
demande de travail41. Ce qui soulève la question de savoir si ces baisses du salaire réel sont
nécessairement créatrices d’emplois. Rien n’est en réalité moins sûr.
D’une part, si, dans une logique néoclassique, la baisse des salaires réels permettant de
réduire le coût salarial unitaire est un moyen d’accroître l’emploi, encore faut-il pour que
la demande de travail des entreprises augmente effectivement que cette baisse des sa-
laires se traduise bien par une réduction du coût salarial unitaire. Or cela n’est pas assuré
a priori. La baisse du salaire peut en effet avoir comme contrepartie une diminution paral-
lèle de la productivité du travail, dans la mesure où celle-ci est liée pour partie au niveau
des rémunérations, les salariés travaillant d’autant mieux et plus efficacement qu’ils ont
le sentiment d’une juste reconnaissance de leurs efforts, ce qui doit s’exprimer en termes
de rémunérations. Alfred Marshall, expliquait ainsi, dès 1890, dans ses Principes, que les
salaires élevés permettent d’accroître la productivité du travail en améliorant les condi-
tions physiques et morales des travailleurs (Reynaud, 1994, p. 16)42. La théorie du salaire
40 La réduction du coût du travail pouvant également être obtenue par la baisse ou même l’exonération des charges sociales
liées au salaire, ce qui présente de surcroît l’intérêt (pour ceux qui les préconisent comme moyen de lutter contre le chô-
mage) de réduire le coût unitaire du travail et donc, en théorie, de favoriser la création d’emplois sans qu’il soit nécessaire
pour cela de réduire les salaires et donc sans heurter de front les salariés qui réagissent d’abord au salaire direct perçu.
41 La mise en œuvre de dispositifs permettant de faire pression sur l’évolution des rémunérations salariales tels que, en
France, la suppression de l’indexation des salaires sur les prix dès les années 1980 ou la tentative (avortée) de créer en
1996 un SMIC jeune (CIP), ou encore, comme en Angleterre ou aux États-Unis, les tentatives réglementaires ou autres
d’affaiblir les syndicats et leur capacité à organiser la défense des salariés visent à créer un contexte favorisant la limitation
des hausses de salaires, voire dans certains cas des baisses pure et simple du salaire réel.
42 Georges Akerloff (1982, p. 274-75) écrit pour sa part que : « On sent bien qu’on ne peut plus faire travailler que des
hommes sûrs d’être loyalement payés toute leur vie, du travail qu’ils ont loyalement exécuté, en même temps pour autrui
que pour eux-mêmes. Le producteur échangiste sent de nouveau (...) qu’il échange plus qu’un produit ou qu’un temps
de travail, qu’il donne quelque chose de soi : son temps, sa vie. Il veut donc être récompensé, même avec modération de
ce don. Et lui refuser cette récompense, c’est l’inciter à la paresse et au moindre rendement ».

106 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


d’efficience (cf. infra, encart), à sa manière, souligne également le lien existant entre la
rémunération des salariés et leur productivité.
D’autre part, si les salaires sont un coût pour les entreprises, ce sont en même temps, comme
le font valoir en particulier les keynésiens (cf. infra), la principale source de financement
de la consommation finale des ménages représentant elle-même la principale composante
de la demande globale. En pesant sur les salaires, les entreprises limitent la consommation
des ménages et, partant, leurs débouchés et leur activité, ce qui ne peut qu’influer défavo-
rablement sur le niveau de l’emploi. Comme l’explique E. Malinvaud (1987, p. 12) : « Une
austérité salariale signifie une amélioration de la profitabilité des entreprises, mais aussi
une diminution des débouchés. Ces effet jouent de façon contradictoire ». Tandis que,
pour J.-P. Fitoussi, « le résultat le plus probable d’une plus grande modération salariale
est à court terme une croissance encore plus faible de la demande interne » (1995, p. 69).
Au-delà, la thèse néoclassique selon laquelle il faudrait pour résorber le chômage assurer
une flexibilité (à la baisse) du salaire réel (salaire et charges sociales) repose sur l’hypothèse
selon laquelle l’élasticité de l’emploi par rapport au salaire, qui indique dans quelle pro-
portion varie l’emploi lorsque le salaire baisse de 1 %, a en toutes circonstances une valeur
significative. Or les résultats des études économétriques consacrées à cette question sont
très contrastés. Le recensement de plus d’une centaine d’études internationales consacrées
à cette question (D. S. Hamermesh) fait apparaître que l’élasticité de la demande de travail
par rapport à son coût se situe dans une fourchette allant de -0,75 à - 0,15, ce qui signifie
qu’une baisse du coût du travail de 1 % suscite une augmentation de l’emploi allant de
au mieux 0,75 % à au pire 0,15 % (Clerc, 1999, p. 145). En d’autres termes, s’il n’est pas
possible de nier toute influence de l’évolution des salaires sur celle de l’emploi, il est tout
autant impossible de faire du prix du travail la variable déterminante, et a fortiori exclu-
sive, de commande de l’emploi et, partant, du chômage43.
Quant à la responsabilité supposée de l’existence d’un salaire minimum légal dans l’ex-
plication du chômage, elle a été implicitement mise en doute par une étude de l’OCDE
(1998, p. 63) selon laquelle : « ni la théorie économique ni les études économétriques ne
permettent de dire de façon définitive quel est précisément l’effet sur l’emploi d’un sa-
laire minimum dans une certaine fourchette par rapport au salaire moyen »44. Les auteurs
du rapport Pour l’emploi et la cohésion sociale (1994) concluaient pour leur part de leur
étude comparative concernant la France, le Royaume-Uni et les États-Unis que « le salaire
minimum ne figure pas au nombre des causes principales de l’aggravation du chômage en
France » (Atkinson et alii, 1994, p. 162). De sorte que, selon D. Clerc (1999, p. 168), il ne se-
rait pas possible d’« attribuer aux augmentations du SMIC depuis 1982 une responsabilité
autre que marginale dans la montée du chômage de masse ».

43 J. Généreux (2002, p. 76), souligne pour sa part qu’en Europe « au cours des 10 dernières années, l’emploi a souvent
été plus dynamique et le chômage plus faible dans les pays à coût du travail élevé et à forte hausse annuelle des sa-
laires ». S’il est possible de mettre en évidence une relation négative entre l’emploi et le coût absolu du travail celle-ci
est cependant relativement faible (idem). On serait par contre, selon lui, en droit de s’interroger sur la relation entre les
profits et le niveau de l’emploi. Si, selon le fameux théorème de Helmut Schmidt (ancien Chancelier de la RFA) les profits
d’aujourd’hui sont censés faire les investissements de demain et les emplois d’après-demain, Keynes avait déjà souligné
« comment l’exigence d’un taux de rendement du capital anormalement élevé contribue au déclin de l’activité et de
l’emploi en opérant une redistribution du revenu défavorable à la consommation populaire et favorable aux placements
spéculatifs » (id., p.78).
44 Les auteurs de l’étude ajoutant néanmoins : « on est généralement d’accord pour dire que, s’il est élevé, un salaire
minimum légal réduit l’emploi » (1998, p. 63).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 107


La théorie du salaire d’efficience
La théorie du salaire d’efficience vise, comme d’autres développements contemporains de la théorie des
salaires, à expliquer pourquoi, même en présence de chômage, le salaire effectif est susceptible de s’établir
durablement à un niveau supérieur à celui auquel correspondrait le salaire d’équilibre, en invoquant des ar-
guments strictement économiques (reynaud, 1994, p. 62-65), et en suposant un comportement rationnel
des agents économiques (entreprises et salariés). D’une part, selon le modèle de l’anti sélection, un sala-
rié n’a aucunement intérêt à se satisfaire d’un salaire inférieur à celui du marché car cela pourrait être inter-
prété par l’entreprise comme la reconnaissance par le salarié de sa faible productivité. D’autre part, selon le
modèle de rotation de la main-d’œuvre, l’entreprise peut avoir intérêt à verser des salaires supérieurs à
ceux du marché pour retenir une main-d’œuvre disposant d’une qualification qui lui est utile. Enfin, selon le
modèle du tire-au-flanc, en versant des salaires supérieurs à ceux du marché l’entreprise rend la menace
du licenciement et donc du chômage plus crédible, ce qui renforce l’incitation à travailler des salariés et
permet ainsi de résoudre le problème résultant de ce qu’il est parfois très difficile, voire impossible, à l’en-
treprise de contrôler les efforts que fournissent ses salariés. En effet, si l’ensemble des entreprises pratiquent
de cette manière, le fait que le salaire s’élève globalement au-dessus de celui qui serait le salaire d’équilibre
du marché a pour conséquence de réduire la demande de travail et d’accroître le taux de chômage, ce qui
signifie pour le travailleur licencié une plus grande difficulté à retrouver un emploi et l’incite par conséquent
à fournir les efforts productifs que l’entreprise attend de lui afin de conserver son emploi. George Akerloff
(1982), quant à lui, voit dans le salaire le résultat de normes d’équité, ce qui permet de comprendre que la
productivité de salariés dont le salaire est supérieur à celui du marché puisse être elle-même durablement
supérieure à la norme de rendement fixée initialement par l’employeur.

Au-delà des préconisations concernant plus spécifiquement l’organisation et le fonction-


nement du marché du travail, la lutte contre le chômage passe, selon les néoclassiques, par
la libéralisation de l’ensemble de l’économie. Il s’agit de libérer l’ensemble des « forces de
l’offre ». Le marché du travail n’est en effet pas le seul à être réglementé. Tous les marchés
le sont. Or, pour nombre d’économistes néoclassiques, les réglementations favorisent en
fait les entreprises existantes, les monopoles et les chasses gardées. Elles freinent la créa-
tion de nouvelles entreprises avec, en particulier en France, le thème récurrent de la lour-
deur des réglementations administratives décourageant les créateurs d’entreprises. L’offre
de biens sur les marchés serait donc par là même artificiellement raréfiée, empêchant par
conséquent de baisser les prix et de stimuler la demande45. Pour remédier à ces difficultés,
l’impératif serait donc de déréglementer et de libéraliser l’ensemble des marchés afin de
permettre l’établissement d’un équilibre général « sain » car reposant sur les libres déci-
sions des agents économiques individuels.

paragraphe 2 : l’analyse keynésienne du chômage :


l’insuffisance de la demande globale
Pour les keynésiens, en courte période, le niveau de l’emploi global est conditionné par celui
de la demande globale de biens et services (somme de la consommation et de l’investisse-
ment). Si celle-ci est insuffisante, les entreprises réduisent leur production et le chômage in-

45 L’exemple du téléphone ou du trafic aérien est souvent mis en avant pour justifier cette politique, bien que l’expérience
soit loin d’être aussi concluante, pour ne pas dire plus, que le prétendent ses défenseurs (cf. infra, chapitre VIII).

108 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


volontaire s’installe ou s’accroît. Le chômage résulte donc d’une insuffisance de la demande
globale (A) et non pas de ce qui pourrait être jugé comme un fonctionnement défectueux
du marché du travail en tant que tel (B). La solution au problème du chômage se trouve par
conséquent dans une stimulation de la demande globale et, en corollaire, de l’activité éco-
nomique générale par des mesures appropriées telles que des taux d’intérêt faibles ou un
soutien public de la demande (C). Si ce type d’action paraît justifié lorsque le chômage qui
sévit peut précisément être qualifié de « keynésien », les théoriciens « du déséquilibre », issus
du « keynésianisme de la synthèse », ont montré que le chômage peut prendre deux formes
typiques distinctes appelant pour chacune des politiques spécifiques (D).

A – Le chômage comme résultat du fonctionnement d’ensemble de l’économie :


l’insuffisance de la demande globale et le chômage
L’explication keynésienne du chômage renvoie à une analyse du fonctionnement d’en-
semble de l’économie très différente de celle de la théorie néoclassique. Celle-ci, on l’a
vu précédemment, fait sienne la loi des débouchés selon laquelle l’offre crée sa propre
demande, de sorte que la production globale réalisée par les entreprises génère nécessai-
rement une demande globale d’un montant équivalent, ce qui exclut a priori la possibilité
d’une surproduction générale.
À la différence des néoclassiques, Keynes récuse la loi des débouchés. Pour lui, la demande
de monnaie ne répond pas au seul motif de transactions, comme le suppose la théorie
néoclassique, mais également au motif de précaution et, surtout, au motif de spéculation.
La monnaie peut être désirée pour elle-même du fait de sa propriété fondamentale qu’est
la liquidité, ce qui explique que les agents économiques individuels puissent se constituer
de manière tout à fait rationnelle, outre des encaisses monétaires de transactions, des en-
caisses de précaution et des encaisses de spéculation, souvent qualifiées dans la terminolo-
gie contemporaine d’encaisses oisives. Il résulte de ce comportement de demande de mon-
naie des agents économiques que, contrairement à ce que supposent la loi des débouchés
et la théorie néoclassique, la totalité de l’épargne constituée par les agents économiques
n’est pas affectée au financement de l’investissement, puisqu’une partie de cette épargne
est thésaurisée sous forme, en particulier, des encaisses monétaires de spéculation. La réa-
lisation de l’équilibre macroéconomique entre l’épargne désirée et l’investissement désiré
n’est, par conséquent, a priori nullement assurée46.
Le rejet de la loi des débouchés conduit Keynes à formuler la thèse selon laquelle, en
courte période, c’est le niveau de la demande effective, c’est-à-dire de la demande globale
(somme de la consommation globale et de l’investissement global) anticipée par les entre-
prises, qui détermine le niveau de la production globale (niveau du produit/revenu global).
Et c’est le niveau de la production globale qui détermine à son tour le niveau de l’emploi
global et donc de la demande de travail des entreprises.
Les relations de causalité que décrit l’analyse keynésienne du fonctionnement d’ensemble
de l’économie et de la détermination du niveau de l’emploi global sont donc à l’opposé
de celles que suppose l’analyse néoclassique. Pour cette dernière, ces relations de causalité

46 Si l’égalité de l’épargne globale et de l’investissement global se réalise néanmoins ex post, le niveau du produit/revenu
global qui correspond à la réalisation de cette égalité ex post de l’épargne et de l’investissement peut être différent de
celui qui aurait correspondu à la réalisation ex ante de l’équilibre macroéconomique (cf. tome 1, chapitre V).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 109


peuvent se formaliser de manière simple comme suit : N –> Y = OG –> DG (C + I) = OG. Le
fonctionnement du marché du travail détermine à lui seul le niveau de l’emploi global (N)
qui, en concurrence pure et parfaite, est nécessairement un niveau de plein-emploi. Celui-
ci détermine le niveau du produit global (Y) qui est égal à l’offre globale de biens (OG),
tout ce qui est produit étant destiné à la vente. À cette offre globale correspond néces-
sairement une demande globale d’un montant équivalent (DG = C + I) en application de
la loi des débouchés. Pour l’analyse keynésienne, les relations de causalité se formalisent
comme suit : DG (C + I) –> Y –> N. En courte période, c’est le niveau de la demande globale
effective qui détermine celui de la production (Y), lequel détermine à son tour le niveau de
l’emploi (N), ce qui signifie que les anticipations des entreprises (absentes du modèle néo-
classique de base) jouent un rôle important dans la détermination du niveau de l’emploi.
Mais la demande globale étant la somme de la consommation globale et de l’investisse-
ment global dépend d’une pluralité de facteurs qui sont les déterminants respectifs de
chacune de ses deux composantes (tome 1, chapitres V et VI). L’investissement des entre-
prises dépend ainsi des anticipations que celles-ci forment concernant l’évolution à ve-
nir des divers déterminants de la rentabilité de ces investissements (les prix des biens ou
services produits grâce à ces investissements, ceux des approvisionnements nécessaires à
la production permise par l’investissement, les coûts salariaux, les débouchés offerts aux
biens produits à l’aide des équipements nouveaux…), et des taux d’intérêt qui sont eux-
mêmes conditionnés par la politique monétaire de l’État, l’évolution des marchés national
et international des capitaux, les taux de change… La consommation globale des ménages
dépend quant à elle du revenu global47.
Dans le modèle keynésien de représentation du fonctionnement d’ensemble de l’écono-
mie, c’est donc le niveau auquel s’établit la demande globale anticipée par les entreprises,
avec le rôle moteur joué par l’investissement, qui détermine le niveau de l’emploi en
courte période. Plus la demande globale est forte, plus le niveau de la production et celui
de l’emploi sont élevés, et inversement. Le niveau de la consommation globale s’adaptant
à celui du revenu global selon la propension marginale à consommer (c), en vertu de la loi
psychologique fondamentale, tandis que l’investissement global est conditionné par les
anticipations des entreprises et le taux d’intérêt, il n’y a aucune raison a priori pour que le
niveau auquel s’établit la demande globale soit celui qui garantirait le plein-emploi48. Ce
n’est en fait que pour (des) « raisons fortuites ou voulues » qu’un tel résultat peut être ob-
tenu. L’équilibre macroéconomique est donc compatible avec un chômage involontaire ;
dans ce cas il y a équilibre de sous-emploi. Et non seulement il peut y avoir chômage invo-
lontaire mais, de surcroît, ce chômage peut perdurer. Selon Keynes, le fonctionnement du
« marché du travail » n’est en effet pas capable de rétablir par lui-même le plein-emploi.

47 On rappelle que la fonction de consommation keynésienne de courte période est du type C = Co + c . Y, avec c la pro-
pension marginale à consommer (positive et inférieure à 1) et Y le revenu global.
48 L’équation de l’équilibre macroéconomique étudiée antérieurement (cf. tome 1, chapitre V) Y = [1 / (1 – c)] (Co + I) montre
que le niveau du produit/revenu global d’équilibre, déterminant lui-même le niveau de l’emploi, dépend de la valeur
de la propension marginale à consommer (c) et du montant de l’investissement global (I). La propension marginale à
consommer étant supposée constante en courte période, le plein-emploi ne peut être atteint que si l’investissement global
s’établit au niveau suffisant pour induire le revenu global d’équilibre qui correspond au plein-emploi. Or l’investissement
dépend des valeurs, respectivement, du taux de rendement interne anticipé des investissements et du taux d’intérêt,
variables qui n’ont a priori aucun rapport avec la quantité de travail que les personnes à la recherche d’un emploi sont
disposées à offrir au salaire moyen en vigueur dans l’économie. Il n’y a par conséquent aucune raison a priori pour que
l’investissement s’établisse effectivement au niveau requis pour la réalisation du plein-emploi.

110 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B - L’analyse keynésienne du « marché du travail »
L’analyse keynésienne du « marché du travail » diffère nettement de celle de la théorie né-
oclassique. Pour Keynes, en réalité il n’existe pas à proprement parler un marché du travail
tel que le représente la théorie néoclassique. Pour qu’un tel marché existe, il faudrait en
effet que puissent être identifiées une offre et une demande globales de travail qui soient
l’une et l’autre fonction de la même variable, de sorte que l’idée de confrontation d’une
telle offre et d’une telle demande sur un marché spécifique ait un sens. Or, selon lui, ce
n’est pas le cas.
Le seul point sur lequel l’analyse de Keynes rejoint en partie celle de la théorie néoclas-
sique concerne la demande de travail des entreprises. Keynes suppose en effet, comme les
néoclassiques et avec la même argumentation, que cette demande de travail est une fonc-
tion décroissante du salaire réel (W/P). Selon lui, il faut admettre comme un postulat que
« le salaire est égal au produit marginal du travail ». Le comportement de maximisation du
profit des entreprises implique en effet que le salaire réel soit égal à la productivité mar-
ginale physique du travail. Comme celle-ci est supposée décroissante, Keynes reprenant à
son compte la loi des rendements décroissants, l’augmentation de l’emploi et donc de la
demande de travail par les entreprises suppose nécessairement la baisse du salaire réel49.
La courbe de demande de travail des entreprises a donc la forme représentée sur le gra-
phique 2.14. Représentée dans un système d’axes, avec le salaire réel (W/P) en ordonnée
et la quantité de travail demandée en abscisse, c’est une courbe continue et décroissante.
GrAPhIqUE 2.14
La demande de travail keynésienne

L’analyse keynésienne de l’offre de travail des salariés est par contre très différente de
celle des néoclassiques.
D’une part, il est supposé que cette offre de travail est une fonction du salaire nominal
(W), et non du salaire réel (W/P). Cela ne signifie pas que les salariés seraient victimes
d’une illusion monétaire leur faisant confondre l’évolution du salaire nominal et celle du
salaire réel. Cette hypothèse tient à ce que, dans la réalité, les contrats de travail négociés

49 Cela signifie que, si pour Keynes la baisse du salaire nominal (W) ne constitue pas un moyen de réaliser le plein-emploi
(cf. infra), par contre l’augmentation du niveau de l’emploi suppose nécessairement une baisse du salaire réel (W/P). La
relation établie par Keynes entre l’emploi global (et par conséquent la demande de travail des entreprises) et le salaire
réel renvoie cependant à une relation de causalité opposée à celle que supposent les néoclassiques. Pour ces derniers,
la demande de travail (et donc l’emploi global) augmente parce que le salaire réel baisse. Pour Keynes, c’est parce que
l’emploi global augmente, le niveau de l’emploi global dépendant de la demande effective, que le salaire réel doit baisser.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 111


entre salariés et employeurs sont établis en termes nominaux et ne déterminent donc ex-
pressément que le salaire nominal et non pas le salaire réel (Keynes, 1936, p. 36). Lorsque
les salariés offrent leur travail, le salaire nominal auquel ils seront rémunérés est la seule
variable dont ils peuvent connaître le montant avec précision. Par contre, ils ne peuvent
pas connaître avec exactitude le niveau général des prix et son évolution à venir qui dé-
terminent le salaire réel correspondant à ce salaire nominal. À court terme, les salariés ne
peuvent donc déterminer rationnellement leur offre de travail qu’en se fondant sur le sa-
laire nominal. Une baisse de ce dernier peut ainsi induire une réduction de l’offre globale
de travail, alors même que ce n’est habituellement pas le cas pour une baisse du salaire
réel due à la hausse des prix à salaire nominal constant50.
D’autre part, il est supposé que le salaire nominal (W), à la différence du salaire réel (W/P),
est rigide à la baisse. Cette rigidité du salaire nominal à la baisse, que l’analyse néoclas-
sique interprète comme un dysfonctionnement du marché du travail, est, selon Keynes, un
élément du fonctionnement normal du système économique capitaliste. Elle résulte de ce
qu’une baisse du salaire nominal sera habituellement combattue par les salariés qui la su-
bissent. Ces derniers comparent leur situation relative les uns par rapport aux autres en se
référant à leur salaire nominal respectif. Si un groupe de salariés subit une baisse de son sa-
laire nominal, il la percevra comme une brimade à son encontre, entraînant une inégalité
avec les autres groupes de salariés, à laquelle il lui est par conséquent légitime de s’oppo-
ser. Il résulte de cette hypothèse que le salaire nominal de courte période (W) est, jusqu’au
niveau d’emploi correspondant au plein-emploi, égal à Wo, niveau au-dessous duquel il ne
saurait baisser. Cela signifie que, si l’économie est au-dessous du seuil de plein-emploi, une
contraction de l’emploi n’est pas susceptible de faire baisser le salaire nominal. Par contre,
au-delà du seuil de plein-emploi, le salaire nominal augmente avec le volume de l’emploi.
La courbe d’offre de travail des salariés a donc la forme particulière indiquée sur le gra-
phique 2.15. Représentée dans un système d’axes où le niveau de l’emploi figure en abs-
cisse et le salaire nominal en ordonnée, c’est une droite parallèle à l’axe des abscisses tant
que le niveau de l’emploi est inférieur au seuil N* qui représente le plein-emploi ; c’est
ensuite une courbe croissante pour les niveaux d’emploi supérieurs à ce seuil51.

50« Alors que la main-d’œuvre résiste ordinairement à la baisse des salaires nominaux, il n’est pas dans ses habitudes de
réduire son travail à chaque hausse des prix des biens de consommation ouvrière » (Keynes, 1936, p. 34).
51 Keynes distingue en fait deux seuils d’emploi quant à l’impact d’une variation de l’emploi global (et donc de la demande
effective qui détermine l’emploi global) sur l’évolution du salaire nominal : le « point critique ultime de plein-emploi »
(1936, p. 302), pour lequel toute augmentation entraîne une hausse proportionnelle du salaire nominal ; la zone des
« points semi critiques préalables », pour laquelle le salaire nominal s’adapte de manière discontinue aux variations de
l’emploi en raison de facteurs divers tels que « l’état d’esprit des travailleurs, ainsi que la politique des employeurs et
des syndicats » (cf. sur ce point Reynaud, 1994, p. 24).

112 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 2.15
L’offre de travail keynésienne

L’offre et la demande de travail n’étant pas fonction de la même variable, puisque la


première est une fonction du salaire nominal et la seconde une fonction du salaire réel, il
n’existe donc pas chez Keynes à proprement parler un véritable marché du travail comme
dans l’analyse néoclassique. L’analyse keynésienne de la détermination du niveau de l’em-
ploi et du salaire est donc très différente de celle de la théorie néoclassique. Celle-ci sup-
pose qu’il existe réellement un marché du travail sur lequel se confrontent une offre et
une demande de travail, respectivement fonction croissante et fonction décroissante du
salaire réel, cette confrontation déterminant le salaire réel d’équilibre et le niveau d’em-
ploi d’équilibre. Dans l’analyse keynésienne, la production que les entreprises décident de
réaliser compte tenu de la demande globale de biens qu’elles anticipent, détermine leur
demande de travail et, par conséquent, le niveau de l’emploi global N1. À ce niveau d’em-
ploi N1 correspond le salaire réel (Wo /P) que les entreprises qui cherchent à maximiser
leur profit peuvent effectivement payer (graphique 2.16). Ce salaire réel (Wo /P)1 est égal
à la productivité marginale physique du travail qui correspond au niveau d’emploi N1 ; il
est indiqué par la courbe décroissante de demande de travail des entreprises. Tant que ce
niveau d’emploi N1 est inférieur au seuil d’emploi N*, le salaire nominal reste par ailleurs
fixé à Wo.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 113


GrAPhIqUE 2.16
Le fonctionnement du « marché du travail » keynésien

Le niveau d’emploi global N1 ne correspond pas nécessairement au plein-emploi de l’en-


semble des individus qui seraient disposés à travailler pour un salaire égal au salaire nomi-
nal en vigueur dans l’économie. Si c’est le cas, des salariés disposés à travailler à ce salaire
nominal demeurent inemployés, il y a chômage involontaire représenté par le segment
N1N* sur le graphique 2.16. Ce chômage involontaire est indépendant du niveau du salaire
nominal comme cela apparaît sur le graphique 2.16. Pour que le plein-emploi soit atteint,
la demande globale doit être suffisamment élevée pour induire le niveau de production
supposant d’employer effectivement l’ensemble des salariés disposés à travailler au salaire
nominal en vigueur. L’équilibre macroéconomique (égalité de l’offre et de la demande
globales sur le marché des biens et services) est donc parfaitement compatible avec l’exis-
tence d’un chômage involontaire. Celui-ci peut être résorbé par une augmentation de la
demande globale qui conduit les entreprises à accroître leur production et donc l’emploi.
N1 se déplace alors vers la droite sans incidence sur le salaire nominal tant que le seuil de
plein-emploi N* n’est pas atteint.
Si le niveau de l’emploi s’élève, l’économie passant de N1 à N2 sur le graphique 2.17, le sa-
laire réel doit cependant baisser puisque la demande de travail des entreprises est une fonc-
tion décroissante du salaire réel52. Selon Keynes, cette baisse du salaire réel ne résultera pas
de celle du salaire nominal, comme c’est le cas dans la théorie néoclassique, mais de la hausse
des prix des biens de consommation, due elle-même à l’augmentation des coûts de produc-
tion qu’implique l’élévation du niveau de l’emploi dès lors que la productivité marginale
physique du travail est décroissante. La productivité marginale physique du travail étant dé-
croissante, pour accroître la production d’une unité, il faut en effet utiliser une quantité ad-
ditionnelle de travail de plus en plus grande à mesure que le niveau de la production s’élève.
52 Comme l’indique Keynes (1936), le postulat selon lequel le salaire est égal au produit marginal du travail « signifie que,
dans un état donné de l’organisation, de l’équipement et de la technique, les niveaux de salaire réel et les volumes de
la production (c’est-à-dire de l’emploi) sont liés un par un, de telle sorte qu’un accroissement de l’emploi ne peut, en
général, se produire sans qu’il y ait en même temps une diminution des salaires réels. Nous ne contestons pas cette loi
primordiale, qu’à juste titre les économistes classiques ont déclarée inattaquable ».

114 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Pour un salaire nominal Wo constant, cela suppose que le coût marginal des entreprises
augmente. Partant d’une position initiale d’équilibre de l’entreprise pour laquelle son coût
marginal est égal au prix de vente des biens, la production ne peut alors être accrue, tout en
permettant à l’entreprise de continuer à maximiser son profit, que si les prix augmentent, ce
qui se traduit par une baisse du salaire réel pour un salaire nominal (Wo) constant. Ce n’est
donc pas la baisse du salaire réel qui est à l’origine de l’augmentation de l’emploi comme le
suppose la théorie néoclassique mais, au contraire, l’augmentation de l’emploi global qui,
en élevant les coûts de production des entreprises, à la fois requiert et crée les conditions de
la baisse du salaire réel. La relation de causalité entre l’évolution de l’emploi global et celle
du salaire réel est donc bien chez Keynes à l’opposé de celle que supposent les néoclassiques.
GrAPhIqUE 2.17
Augmentation de l’emploi global et baisse du salaire réel

La conclusion de cette analyse est donc que l’augmentation du niveau de l’emploi global
et la réduction du chômage n’impliquent pas la baisse du salaire nominal, la hausse des
prix constituant un autre moyen d’obtenir la baisse du salaire réel associée à l’élévation du
niveau de l’emploi. Et non seulement il n’est pas nécessaire que le salaire nominal baisse
pour que l’emploi global puisse augmenter mais, de surcroît, il peut être bénéfique pour
l’emploi que les salariés s’opposent à la baisse du salaire nominal. Celle-ci est en effet par
elle-même un facteur de contraction de la consommation globale des ménages et donc de
la demande globale de biens, ce qui ne peut qu’influer défavorablement et de manière
cumulative sur le niveau de la production et donc de l’emploi53. En courte période une telle
baisse du salaire nominal éloigne l’économie du plein-emploi au lieu de l’en rapprocher.

53 Dès lors que les salaires baissent, cela réduit la demande globale et donc la production et l’emploi. Dans un contexte
plus pessimiste, les entreprises sont incitées à réduire leurs investissements, ce qui aggrave la dépression. Cette baisse de
l’emploi signifie une nouvelle baisse de la masse salariale et donc de la demande globale et de l’emploi. Comme l’écrit
Keynes : « Ainsi la réduction des salaires nominaux ne saurait d’une façon durable accroître l’emploi ». Ou encore : « nous
estimons maintenant que le maintien de la stabilité générale des salaires nominaux constitue, tout bien pesé, la politique
la plus sage pour un système fermé » (1936, p. 273). Et encore : « Il est donc heureux que, par instinct et sans d’ailleurs
s’en rendre compte, les travailleurs se montrent des économistes beaucoup plus raisonnables que les auteurs classiques,
lorsqu’ils résistent aux réductions des salaires nominaux (...) alors que les réductions des salaires réels, qui sont associées
aux progrès de l’emploi global ne rencontrent pas chez eux de résistance ».

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 115


Dans ces condition, une flexibilité accrue du marché du travail, comme le préconisent les
théoriciens néoclassiques, qui rendrait possible une baisse des salaires nominaux ne serait
pas, loin s’en faut, un moyen efficace de résorber ce chômage54.

C – Le soutien de la demande globale et la lutte contre le chômage


Pour Keynes, le chômage résulte donc d’une insuffisance de la demande effective, c’est-à-
dire de la demande globale qu’anticipent les entreprises. La réalisation de l’équilibre entre
l’offre et la demande globales sur le marché des biens ne correspond pas nécessairement
au plein-emploi. Celui-ci n’a en fait qu’un caractère exceptionnel et provisoire, l’équilibre
macroéconomique étant le plus souvent un équilibre de sous-emploi.
Le rôle stratégique que joue ainsi la demande globale dans la détermination du niveau de
l’emploi conduit à poser la question de son mode d’évolution en longue période. Selon
la fonction de consommation keynésienne, la propension moyenne à consommer tend
à baisser en longue période au fur et à mesure que le revenu global s’élève (cf. tome
1, chapitre V). Cela signifie que l’écart absolu existant entre la production globale et la
consommation globale des ménages (Y - C) s’accroît progressivement. Dans ces conditions,
l’évolution de la demande globale ne peut permettre d’atteindre et de préserver le plein-
emploi que si l’investissement global augmente de sorte à compenser l’effet négatif sur
la consommation globale (et de là sur la demande globale) de la baisse de la propension
moyenne à consommer. Mais rien ne garantit qu’il en soit ainsi. Avec la baisse de la pro-
pension moyenne à consommer en longue période, il devient donc a priori de plus en plus
difficile de maintenir un niveau de demande globale suffisant pour employer tous les de-
mandeurs d’emploi disposés à travailler au salaire courant.
Une intervention de l’État prenant la forme de sa politique budgétaire et/ou de sa politique
monétaire est par conséquent de plus en plus nécessaire pour palier cette insuffisance de
la demande globale et créer les conditions du plein-emploi55. L’État peut en particulier ac-
croître la demande globale en recourant à une politique budgétaire qui accepte le principe
du déficit budgétaire. Soit qu’il augmente les dépenses publiques (hausse de la consom-
mation et/ou de l’investissement publics), à pression fiscale inchangée. Soit qu’il réduise les
impôts, ce qui permet d’accroître le revenu disponible des agents économiques privés et
favorise la consommation et l’investissement privés, à niveau de dépenses publiques stable.
Par le jeu des multiplicateurs budgétaires, l’augmentation du revenu global obtenue sera
supérieure à celle des dépenses publiques ou à la réduction des impôts consentie par l’État
(cf infra, chapitre V). Pour un taux d’imposition constant, cette augmentation du revenu
global induira une hausse ultérieure des recettes fiscales, donnant ainsi à l’État le moyen de
résorber son endettement. L’État peut également stimuler l’investissement et la consom-
mation privés par le biais d’une politique monétaire (cf infra, chapitre VI) suscitant la baisse
des taux d’intérêt et favorisant ainsi le développement des dépenses d’équipement ou de
consommations des agents économiques privés financées par le recours au crédit.
54 D’autant que la flexibilité des salaires paraît par ailleurs bien incapable de résorber le chômage structurel dont les causes
variées (rapidité des mutations technologiques, inadaptation du système de formation initiale et continue, évolution
démographique, etc.) n’ont généralement rien à voir avec le niveau et l’évolution du salaire.
55 Plutôt que de réduire les salaires, avec les risques de cercles vicieux qui en résultent, c’est donc plutôt en stimulant la
demande globale qu’il est possible de créer les conditions d’une logique vertueuse de création d’emplois, ce à quoi l’État
peut précisément contribuer à l’aide de certains de ses instruments de politique économique.

116 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


De telles politiques ont été mises en œuvre dans les pays capitalistes développés en géné-
ral, et en France en particulier, après la Seconde Guerre mondiale. Elles ont sans conteste
contribué à la forte croissance économique et à la réalisation du (quasi) plein-emploi qui
a caractérisé les décennies 1950 et 1960. Mais, à partir des années 1970, l’impact positif
des politiques budgétaires de soutien de l’activité sur la croissance économique et l’emploi
s’est progressivement affaibli. La raison en est à rechercher dans l’ouverture progressive
des économies nationales sur le reste du monde et le développement de la concurrence
internationale qui l’a accompagnée. Cette ouverture dilue les effets positifs pour l’emploi
national des politiques autonomes de soutien de la demande. Pour une part, ce sont les
partenaires commerciaux du pays, d’où celui-ci importe une partie des biens et services
permettant de répondre à l’augmentation de la demande nationale, qui bénéficient de la
hausse de l’emploi induite par ce type de mesure (cf infra, chapitre V). Une coordination
internationale des politiques économiques permettrait certes de concilier soutien public
de la demande globale et internationalisation de l’économie. Mais, si le G 7 (aujourd’hui
le G 8) a reconnu à diverses reprises l’intérêt d’une telle coordination, celle-ci a rarement
dépassé le stade des déclarations d’intention.

D- La théorie du déséquilibre et la diversité des formes du chômage


Plus récemment, le courant de pensée issu du « keynésianisme de la synthèse » qui a déve-
loppé « la théorie du déséquilibre » (Malinvaud, 1983 ; Hénin, 1985) s’est attaché à montrer
que le chômage peut avoir des origines distinctes et traduire des déséquilibres de l’écono-
mie de nature différente. Selon cette théorie, les prix ne sont pas flexibles, contrairement
à ce que suppose la théorie néoclassique, mais rigides, et la confrontation de l’offre et de
la demande sur un marché quelconque peut se traduire par un déséquilibre pour le prix
(fixe) pratiqué sur ce marché, dès lors que celui-ci ne correspond pas spontanément au prix
d’équilibre. Selon le cas, la demande qui se manifeste sur le marché au prix en vigueur, dite
demande notionnelle, est supérieure ou inférieure à l’offre (notionnelle) qui s’exprime
pour ce même prix. Dans l’un et l’autre cas, les échanges s’effectuent au prix en vigueur
(différent du prix d’équilibre) mais les demandeurs ou les offreurs sont rationnés car leur
demande ou leur offre à ce prix ne sont pas intégralement satisfaites. Si la demande est
supérieure à l’offre au prix du marché différent du prix d’équilibre, ce sont les demandeurs
qui sont rationnés. Dans le cas opposé, ce sont les offreurs qui sont rationnés. Les échanges
se font « du côté court du marché », c’est-à-dire que la quantité effectivement échangée
sur le marché correspond à celle qui, de la quantité offerte et de la quantité demandée, est
la plus faible des deux. Les marchés étant connectés entre eux, le déséquilibre qui apparaît
sur un marché se répercute par ailleurs sur les autres marchés. En considérant deux grands
marchés, celui des biens et celui du travail, et selon le marché où se produit le déséquilibre
initial et la nature de ce déséquilibre, les auteurs identifient différentes situations de désé-
quilibre qui permettent de distinguer deux types de chômage.
• Le chômage « keynésien » trouve son origine sur le marché des biens. Sur ce marché, ce
sont les offreurs (les entreprises) qui sont rationnés. Ils ne peuvent écouler la totalité de
la production offerte en raison de l’insuffisance de la demande globale de biens. C’est par
conséquent la quantité de biens demandée (le côté court du marché) qui détermine le vo-
lume échangé. Ce déséquilibre du marché des biens se reporte sur le marché du travail où

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 117


ce sont les ménages, offreurs de travail, qui sont rationnés, la demande totale de travail
des entreprises (dont les débouchés sur le marché des biens sont limités) étant insuffisante
pour absorber l’offre totale de travail des personnes à la recherche d’un emploi.
• Le chômage « classique » trouve son origine sur le marché du travail. Il est supposé que
le salaire en vigueur est supérieur au salaire d’équilibre, ce qui a pour conséquence que
l’offre de travail des salariés pour le salaire en vigueur est supérieure à la demande de
travail des entreprises. Les offreurs de travail sont donc rationnés. La quantité de travail
effectivement achetée et vendue sur le marché est celle qui correspond à la demande de
travail des entreprises (le côté court du marché). Ce déséquilibre du marché du travail se
reporte sur le marché des biens où ce sont les demandeurs qui sont rationnés au prix en
vigueur. À ce prix, et compte tenu du niveau du salaire, la rentabilité des entreprises n’est
pas assez élevée pour que la production, et donc l’offre de biens, des entreprises puisse
répondre totalement à la demande qui s’exprime à ce prix.
• À l’opposé de ces deux cas de déséquilibre avec chômage, les auteurs identifient égale-
ment une autre situation de déséquilibre dite « d’inflation contenue ». Celle-ci correspond
en fait à une phase de « boom inflationniste » où la demande excède l’offre simultané-
ment sur le marché des biens et sur le marché du travail. Les ménages sont alors rationnés
sur le marché des biens où leur demande excède l’offre, tandis que les entreprises sont
rationnées sur le marché du travail où leur demande de travail excède l’offre de travail
des ménages.
La politique de lutte contre le chômage doit s’adapter au type de chômage en vigueur. Il
découle de cette théorie du déséquilibre que les politiques de stimulation de la demande
globale conviennent au cas du chômage « keynésien ». Ce n’est pas le cas pour le chômage
« classique ». Dans ce second cas, les politiques de lutte contre le chômage efficaces sont
celles qui permettent de réduire les coûts de production et d’accroître la rentabilité des
entreprises : stimulation des gains de productivité du travail, aide à l’innovation… Il s’agit
d’agir sur les conditions de production des entreprises et non sur la demande.

La productivité du travail et l’emploi :


le contenu en emploi de la croissance et le chômage
Nombre d’auteurs contemporains soulèvent la question du rôle que jouerait le progrès technique et l’ac-
croissement de la productivité du travail dans l’apparition du chômage et en particulier, dans l’explication
du chômage de masse qui s’est imposé depuis les années 1970 (rifkin, 1996 ; Onimus, 1997). Il importe
cependant de souligner que l’augmentation de la productivité a des effets contradictoires sur l’emploi.
D’une part, dans la mesure où les gains de productivité permettent d’obtenir une même production avec
une quantité moindre de facteurs de production, et en particulier de travail, ils sont effectivement un
facteur de réduction de l’emploi.

C’est d’autant plus vrai que ces gains de productivité résultent généralement d’une substitution du ca-
pital technique au travail et donc d’une augmentation de l’intensité capitalistique de la production. De
fait, en France, l’intensité capitalistique ou rapport du stock de capital technique sur la dépense de
travail (K / L) est croissante en longue période. Elle a augmenté en moyenne annuelle de 1,2 % entre
1896 et 1930, de 0,6 % entre 1930 et 1950, de 2,9 % entre 1950 et 1960, 4,6 % entre 1960 et 1973
(Albertini, 1996, p. 95).

118 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Mais, d’autre part, en réduisant les coûts de production, la croissance de la productivité permet aux
entreprises d’améliorer leur compétitivité et de gagner ainsi des parts de marchés en interne et à l’ex-
portation, ce qui peut se traduire par une hausse de la production et de l’emploi. S’ajoute à cela que les
gains de productivité peuvent permettre d’accroître les profits et la capacité d’autofinancement des en-
treprises, ce qui favorise l’investissement et, par conséquent, la production et l’emploi dans les branches
produisant les biens d’équipement. Ces gains de productivité peuvent également permettre des hausses
de salaires réels, entraînant une augmentation de la consommation des ménages qui peut favoriser à
son tour un accroissement de la production et des investissements ayant des retombées plus ou moins
positives sur l’emploi. C’est ce que A. Sauvy a appelé le phénomène de « déversement », aboutissant
à la création de nouveaux emplois au fur et à mesure que le progrès technique en supprime certains.
Ce qui ne doit pas masquer les coûts sociaux qui résultent des suppressions d’emplois intervenues, les
personnes dont l’emploi disparaît par l’effet du progrès technique ne parvenant pas nécessairement à se
réinsérer professionnellement dans les nouveaux emplois qui apparaissent, lesquels sont le plus souvent
de nature, de qualification et de localisation différentes de celles des emplois détruits.

Cet effet positif pour l’emploi est particulièrement marqué si le coût de création des nouveaux emplois
est relativement limité. Ce fut le cas pendant les Trente Glorieuses ; l’accroissement de la productivité
dans l’agriculture et l’industrie a permis des gains de pouvoir d’achat qui ont alimenté pour partie une
augmentation de la demande adressée au secteur des services où la création de nouveaux emplois était
alors relativement peu onéreuse.

Contrairement à une idée reçue, les gains de productivité et le progrès technique qui les rend possibles ne
sont donc pas nécessairement défavorables à l’emploi. Tout dépend en fait du rythme auquel s’accroissent
respectivement la productivité du travail et la production. Sachant que la productivité apparente du tra-
vail (productivité par tête) est égale au rapport de la production sur l’effectif total employé, on en déduit
que la croissance de l’emploi est égale à la croissance de la production moins celle de la productivité. Si
l’on désigne par Y la production globale, N la quantité totale de travail et e la productivité du travail, on
a : e = Y / N, soit N = Y / e. En variation, il vient : ∆N / N = ∆Y / Y - (∆e / e). La variation de l’emploi global
est donc égale à la différence entre la variation de la production globale (∆Y / Y) et celle de la productivité
du travail (∆e / e). Pour une croissance donnée de la production, l’emploi évolue donc en sens inverse de
la productivité. Toutes choses égales par ailleurs, si le rythme de croissance de la productivité est supérieur
à celui de la production, il y aura effectivement destruction nette d’emplois à l’échelle de l’ensemble de
l’économie. Par contre, si le rythme de croissance de la productivité est inférieur à celui de la production, il
y aura création nette d’emplois et le niveau de l’emploi global s’élèvera. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit
en France pendant la seconde moitié du XXe siècle au cours de laquelle le rythme de croissance du PIb a
en moyenne été supérieur à celui de la productivité apparente du travail et l’emploi global a augmenté de
13 % en tout entre 1949 et 1973 puis de 7 % en tout entre 1973 et 1998.

Par ailleurs, les gains de productivité peuvent être mis à profit pour réduire la durée du travail à niveau
de production inchangé. Dans ce cas le niveau de l’emploi peut demeurer stable ou même augmenter.
On a en effet : croissance de l’emploi = croissance de la production - croissance de la productivité du
travail + réduction de la durée du travail. Si, par exemple, le PIb augmente de 3 % et la productivité du
travail (par tête) de 2 % tandis que la durée du travail baisse de 1 %, il vient : taux de croissance de l’em-
ploi = 3 % - 2 % + 1 % = 2 %.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 119


Partant de là, on pourrait être tenté de penser que la croissance la plus favorable à l’emploi est celle
qui s’accompagne des gains de productivité les plus faibles. Mieux vaudrait donc pour l’emploi une
croissance extensive qu’une croissance intensive. L’exemple contemporain des États-Unis, où le ralentis-
sement du rythme de croissance de la productivité des années 1970 au milieu des années 1990 a été par-
ticulièrement sensible, et où la croissance économique s’est accompagnée d’une très forte augmentation
de l’emploi global (qui a progressé de 50 % entre 1967 et 1996), semble venir étayer cette intuition. La
réalité est cependant plus complexe. Dans le contexte de mondialisation et d’intégration croissante des
économies nationales qui en est l’une des caractéristiques, un pays comme la France ne peut connaître
durablement une croissance économique soutenue sans augmentation parallèle de la productivité. Cette
dernière est en effet indispensable à la préservation de la compétitivité des différentes économies natio-
nales, alors que celles-ci sont de plus en plus en concurrence les unes avec les autres, ce que manifeste
pour chacune d’elles le renforcement de la « contrainte extérieure », avec l’obligation d’équilibrer ses
échanges extérieurs.

Au cours des Trente Glorieuses la croissance de la productivité du travail par tête a atteint un rythme iné-
galé sur une période aussi longue, avec un taux annuel moyen de 3,9 % en 1950-1955, 4,8 % en 1955-
60, 5,3 % en 1960-65 et 4,7 % en 1965-70 (Marcel et Taïeb, 1997, p. 42). Cette période fut également
elle au cours de laquelle la croissance exceptionnelle de la production (le « miracle français ») est allée
de pair avec la réalisation d’un quasi plein-emploi, l’emploi global progressant en moyenne annuelle de
0,7 % entre 1960 et 1973, alors même que la durée hebdomadaire réelle du travail augmentait jusqu’au
milieu des années 196056. Par contre, depuis les années 1970, alors que le rythme de croissance de la
productivité du travail a sensiblement fléchi (le taux de croissance annuel moyen de la productivité par
tête passant de 3,4 % en 1970-1973 à 2,3 % en 1973-1990 et 1,3 % en 1990-1999 : Lerais, 2001,
p. 2), le taux de croissance annuel moyen de l’emploi global est tombé en dessous de ce qu’il était pen-
dant les décennies 1950 et 1960 (+ 0,3 % entre 1974 et 1980, - 0,5 % entre 1980 et 1985, + 0,8 %
entre 1985 et 1990, + 0,1 % entre 1990 et 1995 (Marcel et Taïeb, 1997, p. 92 et p. 110) contre + 0,3 %
en 1950-55, + 0,2 % en 1955-60, + 0,5 % en 1960-65 et + 0,7 % en 1965-70 (id., p. 42). Cela tient
au freinage très marqué de la croissance de la production caractéristique d’un régime de « croissance
molle » (Fitoussi, 1996).

Le ralentissement de la croissance de la productivité apparente du travail a pour conséquence que la


croissance est devenue progressivement « plus riche en emplois », de sorte que, sil fallait une croissance
du PIb en volume d’au moins 3,4 % par an au début de la décennie 1970 pour qu’il y ait création d’em-
plois, 1,3 % de croissance annuelle du PIb dans les années 1990 ont suffi pour aboutir au même résultat.
Mais, en tendance, le freinage très marqué de la croissance du PIb (réduite de plus de moitié) a plus que
compensé l’effet positif sur l’emploi de cet enrichissement de la croissance en emplois, ce qui explique le
ralentissement de la hausse de l’emploi depuis les années 1970 comparativement à la période antérieure.
C’est d’ailleurs le redémarrage momentané de la croissance entre 1997 et 2000 (augmentation du PIb
supérieure à 3 % par an) qui a permis la création de 1,8 million d’emplois au cours de cette période, en
précisant cependant qu’une très large majorité des emplois créés dans le secteur marchand entre 1997
et 2000 le furent à un niveau de salaire inférieur à 1,3 fois le SMIC.
56 Il est vrai que, depuis la Seconde Guerre mondiale, en tendance, c’est dans le secteur tertiaire, regroupant principalement
les activités de services, dans lesquelles la croissance de la productivité est moindre que dans l’agriculture et l’industrie,
que se créent les emplois nouveaux. L’agriculture et l’industrie qui ont connu l’une et l’autre des rythmes de croissance de
la productivité très soutenus (plus de 6 % par an entre 1960 et 1973) ont perdu des emplois (en quantité très importante
dans l’agriculture et, dans une moindre mesure mais néanmoins très significative, dans l’industrie). Ce constat n’invalide
cependant pas l’idée selon laquelle une forte croissance de la productivité du travail pourrait être compatible avec la
création d’emplois. On peut en effet penser que ce sont les gains de productivité réalisés dans l’agriculture et l’industrie
qui ont permis non seulement de dégager des ressources humaines (en libérant de la main- d’œuvre), mais de créer les
richesses permettant le développement des activités du secteur tertiaire dont beaucoup correspondent à la production
de services de consommation individuelle ou collective.

120 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Section 3 : La relation inflation-chômage et le débat
de politique économique
Le débat entre néoclassiques et keynésiens, à propos de l’explication respectivement de
l’inflation et du chômage et des politiques à mettre en œuvre pour y répondre, s’est plus
particulièrement focalisé sur la question de la relation entre l’une et l’autre. Les keynésiens
ont repris à leur compte et intégré dans leurs analyses la courbe de Phillips, selon laquelle
le taux de chômage et le taux d’inflation évoluent en sens inverse l’un de l’autre. Ils se sont
appuyés sur l’existence de cette relation inverse entre le chômage et l’inflation pour justi-
fier la mise en œuvre de politiques de régulation conjoncturelle permettant, selon le cas,
d’améliorer la situation de l’emploi, en contrepartie cependant d’une certaine inflation,
ou, au contraire, de contrôler l’inflation au prix d’une certaine dégradation de la situation
de l’emploi (§ 1). Les théoriciens néoclassiques ont par contre contesté la réalité d’une
telle relation inverse entre le chômage et l’inflation et, partant, la légitimité et l’efficacité
à long terme (monétaristes) ou même à court terme (Nouvelle économie classique) des po-
litiques de soutien de l’activité et de lutte contre le chômage dont ils considèrent qu’elles
ne peuvent finalement aboutir qu’à élever le taux d’inflation (§ 2) sans effet durable sur
le niveau du chômage.

paragraphe 1 : la relation inflation-chômage et la courbe de


phillips
La courbe de Phillips, dans sa forme initiale, établit une relation entre le taux de chômage
et le taux de variation du salaire nominal. Dans son étude de 1958, A. W. Phillips à cherché
à déterminer s’il était possible d’établir une relation entre le taux de chômage et l’évo-
lution du salaire nominal en Grande-Bretagne sur l’ensemble de la période 1861-1957. Il
montre qu’une telle relation existe et que celle-ci présente deux propriétés (graphiques
2.18 et 2.19). Elle est inverse, c’est-à-dire que le taux de variation du salaire nominal évolue
en sens opposé du taux de chômage : si le taux de chômage augmente, le taux de crois-
sance du salaire nominal diminue, et inversement. Elle est non linéaire ; le rythme auquel
varie le salaire nominal dépend du niveau du taux de chômage. La pente de la courbe est
progressivement décroissante. Pour un taux de chômage élevé, les salaires sont relative-
ment rigides à la baisse, c’est-à-dire qu’une augmentation donnée du taux de chômage
n’a qu’une faible incidence sur le taux de croissance du salaire nominal. Par contre, pour
un taux de chômage faible, les salaires sont fortement flexibles, c’est-à-dire que la même
augmentation donnée du taux de chômage a au contraire une forte incidence sur le taux
de croissance du salaire nominal. Phillips montre de surcroît que les salaires sont stables
pour un taux de chômage de 5,5 % et que leur hausse est de l’ordre de 2 % pour un taux
de chômage de 2,5 %. Le taux de chômage de 5,5 % pour lequel la croissance des salaires
nominaux est nulle est dénommé depuis NAWRU (Non Accelerating Wage Rate of Unem-
ployment).

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 121


GrAPhIqUES 2.18 GrAPhIqUES 2.19
La relation de Phillips en Grande- La courbe de Phillips
Bretagne :1861-1913

Source : PHILLIPS A. W. [1958], “The relationship between unemployment and the rate of change of money wage
rates in the United Kingdom, 1861-1957”, Economica, vol. 25.

Les keynésiens du courant de la synthèse, P. A. Samuelson et R. Solow (1970), se sont empa-


rés de la relation établie par Phillips entre taux de chômage et taux de variation du salaire
nominal et l’ont transformée en une relation inflation-chômage57. L’idée à la base de cette
transformation est que le salaire nominal représente un élément essentiel du coût de pro-
duction des entreprises et que, s’il augmente plus rapidement que la productivité du travail,
la hausse du coût salarial unitaire qui en résulte pour les entreprises est répercutée en hausse
des prix. Dans la formulation la plus simple, il suffit de supposer que les entreprises fixent
leur prix unitaire selon une procédure de mark-up en appliquant un taux de marge constant
au coût salarial unitaire qu’elles supportent, soit p = (1 + m) . [(w . L) / Q], avec : m le taux de
marge, (w . L) la masse salariale, produit du salaire nominal w par le nombre de travailleurs
L, et Q la production globale en volume. Le rapport (w . L) / Q est le coût salarial par unité
produite. Sachant que (L / Q) = 1 / (Q / L) = 1 / e, avec e la productivité apparente du travail
(productivité par tête), il vient p = (1 + m) . w . [1 / (Q / L)] = (1 + m) . w . 1 / e. On en déduit
que dp / p = dm / m + dw / w – de / e, avec dp / p le taux de variation des prix, dm / m le taux
de variation du taux de marge, dw / w le taux de variation du salaire nominal et de / e le
taux de variation de la productivité du travail. Le taux de marge m’étant supposé constant,
il s’en déduit que dp / p = dw / w – de / e et, puisque le taux de variation du salaire nominal
est une fonction du taux de chômage, soit dw / w = f (U), il vient dp / p = f (U) – de / e. On
peut donc déduire la courbe inflation-chômage de la courbe de Phillips originelle en pre-
nant en compte le rythme auquel s’accroît en moyenne la productivité du travail.
Divers travaux ont montré que le taux de croissance annuel moyen de la productivité du
travail par tête en Grande-Bretagne était de l’ordre de 3 %, ce qui signifie qu’une hausse
des salaires nominaux de 3 % va de pair avec un coût salarial unitaire stable et donc un
57 La relation de Phillips présentait pour les keynésiens l’intérêt de leur permettre de compléter leur modèle de base. Alors
que la macroéconomie élaborée par Keynes dans la Théorie générale (1936) concernait fondamentalement les grandeurs
réelles (Keynes s’était peu intéressé à l’inflation, et raisonnait dans la Théorie générale comme si les grandeurs nomi-
nales et les grandeurs réelles coïncidaient), la relation de Phillips « offrait donc aux économistes keynésiens un moyen
séduisant de passer des relations réelles de la Théorie générale à l’analyse de l’inflation qui entraînait inéluctablement
une divergence entre les valeurs réelles et nominales » (Rowley et Wiseman, 1983).

122 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


taux d’inflation nul. La courbe inflation-chômage s’obtient donc en décalant vers le bas
l’échelle des prix par rapport à l’échelle des salaires du taux de croissance moyen de la
productivité : ce que représente le graphique 2.20 dans lequel, pour un taux de croissance
de la productivité de 3 %, à une hausse des salaires de 3 % correspond un taux d’inflation
nul. La nouvelle courbe est obtenue en déduisant, pour chaque niveau possible du taux
de chômage, le taux de croissance de la productivité du travail du taux de croissance du
salaire nominal. Ainsi, par exemple, si pour un taux de chômage de 6 % le taux de crois-
sance du salaire nominal est de 4,5 % et celui de la productivité du travail de 3 %, le taux
d’inflation qui correspond à ce taux de chômage de 6 % est égal à 4,5 % - 3 % = 1,5 %. La
courbe inflation-chômage, dite encore communément courbe de Phillips, coupe l’axe des
abscisses dans ce nouveau système d’axes pour un taux de chômage appelé le NAIRU (Non
Accelerating Inflation Rate of Unemployment) qui est le taux de chômage compatible avec
la stabilité des prix. Il en ressort donc que la stabilité des prix va de pair avec un certain
taux de chômage et qu’en conséquence il n’est possible de faire baisser le chômage en
dessous de ce taux particulier que moyennant une certaine inflation.
Les keynésiens ont logiquement déduit de la courbe de Phillips ainsi requalifiée une rela-
tion stable et inverse entre l’inflation et le chômage, avec pour conséquence qu’une baisse
du taux de chômage doit aller de pair avec une accélération de l’inflation et, réciproque-
ment, une décélération de l’inflation avec une poussée du chômage.
GrAPhIqUE 2.20

Ils en ont conclu à la possibilité pour les pouvoirs publics d’arbitrer entre chômage et in-
flation, la réalisation du plein-emploi impliquant en contrepartie l’acceptation d’une cer-
taine inflation et la stabilité des prix se payant d’un certain chômage, ce que P. Samuelson
a qualifié de « cruel dilemme ». Dès lors, la mise en œuvre d’une politique de régulation
conjoncturelle devient possible, l’État pouvant décider, selon le cas, de privilégier l’objectif
de plein-emploi, en acceptant un certain taux d’inflation, ou celui de stabilité des prix, en
acceptant un certain taux de chômage.
Mais les néoclassiques, à l’initiative originellement de M. Friedman, vont s’attacher à dé-
montrer que, contrairement à ce que soutiennent les keynésiens, il ne peut y avoir réelle-
ment d’arbitrage entre le chômage et l’inflation, la hausse simultanée du taux de chômage
et du taux d’inflation observé au cours des années 1970 paraissant venir confirmer leurs
analyses.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 123


paragraphe 2 : la critique néoclassique de la courbe de phillips
Au plan théorique, les monétaristes, conduits par M. Friedman (A), puis les nouveaux clas-
siques (B) vont s’attacher à démontrer la non-pertinence de la relation de Phillips à court
et/ou long terme et, en conséquence, l’impossibilité de justifier par référence à cette rela-
tion la légitimité et l’efficacité d’un arbitrage de l’État entre l’inflation et le chômage, et
donc d’une politique économique conjoncturelle discrétionnaire se fixant comme objectif
final la maîtrise de l’inflation ou la réalisation du plein-emploi.

A – La critique de Milton Friedman


Pour M. Friedman (1968), la relation inverse entre l’inflation et le chômage que suppose
la courbe de Phillips n’est vérifiée que dans le très court terme, en raison de la difficulté
des salariés à anticiper correctement l’inflation et de leurs erreurs d’anticipation qui en
résultent. À long terme, le taux de chômage effectif s’aligne nécessairement sur le taux de
chômage naturel qui est associé à un taux d’inflation d’autant plus élevé que la création
monétaire est plus forte. Une politique monétaire permissive favorisant la création moné-
taire des banques est donc incapable de réduire durablement le taux de chômage. Elle ne
peut aboutir qu’à accentuer la dérive des prix.
L’analyse de M. Friedman se réfère à la notion de taux de chômage naturel. Selon lui,
l’économie livrée à elle-même (sans intervention de l’État) doit naturellement tendre vers
le niveau d’activité correspondant à l’équilibre macroéconomique de plein-emploi. Cela
ne signifie pas qu’il n’y ait pas de chômage. Mais le chômage qui correspond à cette situa-
tion est le « chômage naturel ». Ce dernier ne peut être réduit durablement. C’est le chô-
mage qui correspond à l’équilibre de long terme de l’économie et qui résulte des structures
réelles de celle-ci. Le taux de chômage naturel, unique et stable dans le temps pour un
pays donné, est en effet défini par Friedman comme « le taux qui découlerait du système
(…) d’équilibre général si les caractéristiques structurelles effectives des marchés des biens
et du travail y étaient intégrées, notamment les imperfections du marché, la variabilité
aléatoire des offres et des demandes, le coût de collecte de l’information sur les emplois
vacants, les coûts de mobilité, etc. ». Ce chômage naturel est en fait la somme du chômage
structurel (qui résulte d’une inadéquation entre les offres et les demandes d’emplois) et du
chômage « frictionnel » (lié aux changements d’emplois). Ce chômage a comme caractéris-
tique de ne pas accélérer l’inflation (NAIRU). Il reste au même niveau tant que la structure
des prix et des coûts relatifs demeure inchangée.
L’analyse de Friedman se réfère également àt -la notion d’anticipations adaptatives des
salariés. Le principe des anticipations adaptatives, qui a été développé par P. Cagan en
1956, est que l’agent économique forme son anticipation concernant l’évolution d’une
variable économique (ici le taux d’inflation) pour une période t en se référant à la valeur
anticipée de cette variable à la période t - 1 et en tenant compte de l’erreur de prévision
qui a été commise à cette même période t - 1. Le degré avec lequel l’erreur commise est
prise en compte dépend du coefficient d’adaptation dont la valeur est comprise entre
0 et 1. Dans le cas du taux d’inflation on a : Pat = Pat - 1 + α (Pt - 1 - P t a- 1 ) avec 0 < α < 1 le
coefficient d’adaptation. Cela signifie que le taux d’inflation anticipé en t (Pat) est égal
au taux d’inflation anticipé en t - 1 (Pat – 1) corrigé, selon une intensité qui dépend de α,

124 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


de l’erreur d’anticipation effectuée pour cette période t - 1, cette erreur étant mesurée
par l’écart entre l’inflation qui a eu réellement lieu (Pt – 1) et l’inflation qui avait été anti-
cipée par les agents économiques (Pat - 1). Si α = 0, cela veut dire que l’inflation anticipée
par l’agent économique est la même à chaque période (Pat = Pat - 1). Si α = 1, cela veut
dire que l’inflation anticipée par l’agent économique pour une période correspond à l’in-
flation réelle qui a été constatée à la période précédente. En effet il vient dans ce cas :
Pat = Pat - 1 + Pt - 1 - Pat - 1 = Pt - 1. Si l’inflation s’accélère (le taux d’inflation augmente d’une
période sur l’autre), ce type d’anticipations aboutit nécessairement à ce que l’inflation an-
ticipée pour la période t soit systématiquement plus faible que l’inflation effective de cette
période t. Il conduit donc à des erreurs d’anticipations systématiques.
Friedman suppose en fait que les salariés ne sont pas en mesure d’anticiper correctement
l’inflation à venir. En phase d’accélération de l’inflation, l’inflation anticipée par les sala-
riés pour la période à venir retarde systématiquement sur ce que sera l’inflation effective
de cette période. Par exemple (cas où α = 1), si l’inflation a été nulle à la période initiale
to, les salariés anticiperont une inflation également nulle pour la période suivante t1 et les
contrats définissant le niveau des salaires pour la période t1 seront négociés sur la base
de cette anticipation d’une inflation nulle en t1. Si l’inflation effective n’est pas nulle en
t1 mais positive, les salariés constatant après-coup que leurs anticipations d’inflation pour
cette période étaient erronées adapteront leurs anticipations et prévoiront alors pour la
période t2 l’inflation qui a été constatée en t1, de sorte que les salaires nominaux qu’ils
négocieront pour cette période t2 intègreront le taux d’inflation observé en t1 et dont ils
anticipent qu’il se maintiendra en t2, et ainsi de suite. Friedman postule en conséquence
que l’on peut définir, pour chaque période à laquelle peut être associé un certain taux
d’inflation anticipé par les salariés, une certaine courbe de Phillips, dite courbe de Phillips
« augmentée des anticipations ».
Il est alors possible de comprendre comment, selon lui, une politique monétaire expansive,
augmentant la masse monétaire en circulation, peut se traduire, à court terme, par une
baisse du taux de chômage effectif et, à long terme, uniquement par de l’inflation.
Supposons que l’économie soit initialement en situation d’équilibre, ce qui correspond au
point A du graphique 2.21. Le taux de chômage effectif coïncide avec le taux de chômage
naturel et l’inflation est nulle.
GrAPhIqUE 2.21
La courbe de Phillips vue par Friedman

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 125


Supposons également que le gouvernement estime que ce taux de chômage est trop élevé
et décide de mettre en œuvre une politique de soutien de la demande, sous la forme,
par exemple, d’une politique monétaire expansive favorisant la création monétaire des
banques. L’idée à la base d’une telle politique est que les banques créeront de la monnaie
nouvelle en accordant des crédits à leurs clients ANF. Ces derniers vont utiliser ces crédits
pour augmenter leurs investissements et leur consommation, ce qui va permettre aux en-
treprises, dont les débouchés vont augmenter, d’accroître la production et donc d’embau-
cher des salariés supplémentaires.
Selon les monétaristes, cette politique monétaire expansive va nécessairement entraîner
une poussée d’inflation (théorie quantitative de la monnaie). Les salariés ne percevant pas
immédiatement l’ampleur exacte de l’inflation, l’évolution des salaires nominaux qu’ils
ont négociée en anticipant une inflation nulle pour la période considérée, retarde sur celle
des prix. Le salaire réel va donc baisser, ce qui permet aux entreprises d’accroître l’emploi
et la production puisque la demande de travail des entreprises est pour les néoclassiques
une fonction décroissante du salaire réel. Le taux de chômage effectif peut par consé-
quent baisser. Sur le graphique 2.21, le taux de chômage qui s’établissait initialement au
point A diminue, l’économie se déplaçant le long de la courbe de Phillips de court terme
n° 1 du point A au point B qui correspond à un taux de chômage plus faible et à un taux
d’inflation plus élevé que dans la situation initiale. C’est donc l’incapacité des salariés à
anticiper correctement l’inflation qui rend possible en courte période la baisse du taux de
chômage effectif en dessous du taux de chômage naturel. Mais les salariés finissent par
prendre conscience de l’ampleur exacte de l’inflation observée au cours de la période et ils
imposent alors, lors des nouvelles négociations salariales, des hausses du salaire nominal
intégrant cette inflation. Le salaire réel qui avait baissé retrouve ainsi son niveau antérieur.
En conséquence, les entreprises réduisent leur demande de travail et ajustent le niveau de
l’emploi global à la baisse ; le chômage, après avoir diminué en dessous du taux de chô-
mage naturel, augmente et revient à son niveau de départ, celui qui correspond au taux
de chômage naturel. L’économie se déplace sur le graphique 2.21 du point B au point C qui
correspond à un taux de chômage effectif égal au taux de chômage naturel, mais associé à
un taux d’inflation plus élevé que dans la situation initiale. L’économie s’est déplacée de la
courbe de Phillips de court terme n° 1 à la courbe de Phillips de court terme n° 2.
L’économie ayant ainsi retrouvé un taux de chômage effectif égal au taux de chômage na-
turel, si le gouvernement suscite une nouvelle relance monétaire, le processus décrit pré-
cédemment se reproduit. L’économie évolue dans un premier temps le long de la courbe
de Phillips de court terme n° 2 de C en D, avant de passer en E sur la courbe de Phillips de
court terme n° 3, position qui est caractérisée par un taux de chômage égal à nouveau au
taux de chômage naturel, mais associé à un taux d’inflation encore plus élevé que précé-
demment. Cela signifie qu’à long terme, le taux de chômage effectif est nécessairement
égal au taux de chômage naturel et que les politiques monétaires successives de relance
n’aboutissent qu’à générer et amplifier l’inflation. La courbe de Phillips à long terme est
en fait une droite perpendiculaire au taux de chômage naturel, le taux d’inflation associé
à ce taux de chômage naturel étant d’autant plus élevé que la quantité de monnaie créée
par les banques est plus grande (graphique 2.21).
Il existe donc bien à court terme une relation inverse entre le chômage et l’inflation et
l’État peut faire baisser momentanément le chômage en dessous du taux de chômage na-
turel au prix d’une accélération de l’inflation. Mais cette relation disparaît à long terme .

126 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le chômage ne peut être maintenu durablement en dessous du taux de chômage naturel
(son niveau d’équilibre), et les politiques de relance successives ne peuvent que générer
une inflation déstabilisatrice pour l’ensemble de l’économie laquelle inflation ne peut al-
ler qu’en accélérant, avec le risque de basculement dans l’hyperinflation.
M. Friedman déduit de son analyse que la politique économique en général et la politique
monétaire en particulier doivent renoncer à tenter d’influer de manière discrétionnaire sur
le niveau de l’activité et de l’emploi, à l’opposé de ce que préconise la théorie keynésienne.
La politique monétaire, comme déjà indiqué, doit avoir pour seul objectif final d’assurer
la stabilité des prix, ce qui passe par le contrôle de la croissance des agrégats monétaires,
l’origine de l’inflation se situant nécessairement dans une croissance de la masse moné-
taire supérieure aux besoins (cf. supra Chapitre I). Elle doit avoir en pratique pour règle
fondamentale d’ajuster le taux de croissance de la masse monétaire au taux de croissance
prévisible du produit global en volume, en tenant compte du rythme d’évolution de la
vitesse de circulation de la monnaie.

B – La critique de la Nouvelle Économie Classique


Pour leur part, les économistes du courant de la « Nouvelle Économie Classique » des
années 1980 et 1990 (R. Lucas, T. Sargent, N. Wallace, R. Baro) développent une argumen-
tation encore plus radicale. Ils supposent que les anticipations des agents économiques
privés, et donc celles des salariés, sont, non pas adaptatives comme le suppose M. Fried-
man, mais rationnelles58 (hypothèse avancée par J. F. Muth en 1961). Cela signifie que les
individus sont parfaitement éclairés sur la manière dont fonctionne réellement l’économie
et savent utiliser correctement la totalité de l’information dont ils disposent à un moment
donné (et pas seulement l’information sur le passé). Ils possèdent la connaissance du fonc-
tionnement de l’économie que fournit le bon modèle (c’est-à-dire en fait celui de la théo-
rie néoclassique : économie en équilibre, prix flexibles, taux de chômage naturel, monnaie
neutre, etc.) et sont donc en mesure d’anticiper correctement les conséquences à attendre
d’une intervention de l’État dans la vie économique. Ils sont de même capables, pour for-
mer leurs anticipations, d’utiliser toute l’information disponible au moment considéré et
pas seulement, comme dans le cas des anticipations adaptatives, l’information concernant
l’évolution antérieure des prix.
Pour la nouvelle économie classique, et contrairement à ce que suppose M. Friedman, les
agents économiques ne font donc pas d’erreur systématique de prévision mais sont par-
faitement capables d’anticiper correctement les conséquences inflationnistes d’une poli-
tique monétaire de relance. Ils savent en particulier qu’une telle politique, aboutissant à
accroître la masse monétaire en circulation, doit normalement se traduire par une hausse
du niveau général des prix comme il ressort de la théorie quantitative de la monnaie. En
conséquence, si l’État met en œuvre une telle politique, les salariés anticipent précisément
l’inflation qui doit en résulter et la hausse des salaires nominaux qu’ils négocient est im-
médiatement conforme à celle des prix. Le salaire réel ne baisse donc pas à court terme,
contrairement à ce que supposait M. Friedman. Les entreprises n’ont par conséquent au-
cune raison d’embaucher des travailleurs supplémentaires ; le chômage se maintient à
son niveau d’équilibre initial, celui qui correspond au taux de chômage naturel. Le seul

58 Cf., par exemple, LUCAS Robert E. [1981], Studies in Business Cycle Theory, Blackwell.

Les déséquilibres de l’économie : le chômage 127


résultat à court terme de la politique de relance est donc une hausse du niveau général des
prix. Sur le graphique 2.21, l’économie passe directement du point A au point C (taux de
chômage naturel et taux d’inflation supérieur à celui de la situation initiale). La courbe de
Phillips a donc, à court comme à long terme, la forme d’une droite perpendiculaire dont
l’abscisse correspond au taux de chômage naturel (graphique 2.22).
GrAPhIqUE 2.22
La courbe de Phillips de la nouvelle économie classique

Pour R. Lucas, il n’est en fait possible d’influer sur la marche de l’économie réelle qu’en
« surprenant les marchés », c’est-à-dire en fait en trompant les agents économiques par
l’annonce d’un certain type de politique (par exemple, annoncer une politique monétaire
restrictive limitant l’augmentation de la masse monétaire pour lutter contre l’inflation)
suivie de la mise en œuvre en pratique d’une politique opposée ; ici, laisser les banques
accroître la masse monétaire et susciter ainsi une inflation plus élevée que celle que pou-
vaient anticiper rationnellement les agents économiques, compte tenu de l’information
dont ils disposaient. Mais il est difficile, voire impossible, de tromper longtemps des agents
économiques qui savent comment fonctionne l’économie ; d’où l’inutilité finalement d’une
politique conjoncturelle discrétionnaire. Si, en jouant sur l’effet de surprise, il est possible
d’influer momentanément sur le niveau de l’activité (une inflation « surprise » faisant bais-
ser momentanément le taux de chômage effectif en dessous du taux de chômage naturel),
le recours à ce type de pratique est finalement voué à l’échec. Bien plus, de telles tentatives
de surprendre les marchés ne peuvent que conduire à décrédibiliser les pouvoirs publics
et les autorités monétaires. En conséquence, lorsqu’une politique de rigueur monétaire
destinée à lutter contre l’inflation sera annoncée par les autorités monétaires, les agents
économiques, anticipant le reniement prévisible de cette politique de rigueur, adopteront
un comportement destiné à les préserver contre l’accélération attendue de l’inflation, et
augmenteront les prix qu’ils contrôlent, ce qui aura pour effet d’accélérer effectivement
l’inflation et mettra donc en échec la politique annoncée.

128 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


la mondialisation

CHAPITRE 3

L’expression de mondialisation1 est souvent utilisée pour désigner au premier chef l’ouver-
ture respective des différentes économies nationales et l’intensification des flux d’échanges
internationaux, et en particulier commerciaux, qui en est le corollaire. Les données dispo-
nibles montrent ainsi que, depuis les années 1950, le rythme de croissance en volume du
commerce mondial a été systématiquement supérieur à celui de la production mondiale.
Mais si l’ampleur de l’ouverture commerciale des différentes économies nationales ne doit
surtout pas être sous-estimée, la mondialisation ne s’y réduit pas.
Celle-ci désigne en fait une mutation systémique d’une ampleur et d’une portée bien
plus grandes que la simple poursuite au cours des deux dernières décennies du proces-
sus d’intensification des échanges commerciaux internationaux engagé depuis le début
des années 1950. Le concept de mondialisation vise en fait à identifier quelque chose de
réellement nouveau, comme cherchent à l’exprimer nombre de définitions qui en ont été
proposées et dont quelques-unes sont rappelées ici à titre d’illustration.
Le FMI définit ainsi la mondialisation comme « l’interdépendance économique croissante
de l’ensemble des pays du monde, provoquée par l’augmentation du volume et de la va-
riété des transactions transfrontières de biens et services, ainsi que des flux internationaux
de capitaux, en même temps que par la diffusion accélérée et généralisée de la technolo-
gie » (FMI, Perspectives de l’économie mondiale, 1997).
Selon l’ancien commissaire européen et actuel Directeur général de l’OMC, Pascal Lamy
(2002, p. 9), « la globalisation est d’abord un phénomène économique dont le capita-
lisme de marché est le principe dynamique : dans leurs quêtes de nouveaux marchés, de
nouveaux produits, de sources alternatives de matières premières et d’énergie et surtout
de main-d’œuvre meilleur marché, les grandes entreprises multinationales et un essaim
1 Le terme de globalisation qui est souvent utilisé alternativement à celui de mondialisation n’est en fait qu’un anglicisme
synonyme du terme français de mondialisation.
grossissant de PME innovantes, y compris dans des secteurs traditionnels, ont multiplié,
souvent de pair, les innovations technologiques et les changements organisationnels et, ce
faisant, ont fait advenir firmes globales, marchés mondialisés et réseaux planétaires d’in-
formation, de services et de sous-traitance » (cité par Rainelli, 2002, p. 45).
J. Stiglitz, prix Nobel d’économie 2001, définit pour sa part la mondialisation comme
« l’intégration sans cesse plus étroite des pays et des peuples du monde qu’ont réalisée,
d’une part, la baisse continue des coûts du transport et des communications et, d’autre
part, la réduction des barrières douanières et commerciales. Cette intégration est poussée
par les entreprises transnationales qui font circuler par-delà les frontières des capitaux,
des produits et des technologies. Mais elle porte également sur des échanges de savoir et
permet le développement d’une société civile mondiale. La mondialisation n’est donc pas
seulement un phénomène économique. Ses aspects politiques, sociaux et culturels sont
tout aussi importants » (Stiglitz, 2003, p. 20).
Pour L. Batsch (2002, p. 64), « la mondialisation additionne plusieurs effets, elle est le
produit d’une convergence de facteurs, elle émerge en trois tendances. Une tendance
ancienne à l’internationalisation des échanges s’est poursuivie sans interruption, de sorte
que le processus a pu produire des effets d’irréversibilité et avoir un impact fort sur la
perception du monde par les acteurs économiques eux-mêmes. De plus, l’intégration des
groupes multinationaux s’est approfondie, les groupes se sont recentrés sur des métiers
plus étroits et implantés sur des marchés géographiques plus larges ; la dimension géogra-
phique évolue en raison inverse de la diversité des activités. Enfin, la globalisation finan-
cière est la véritable novation de la période, la finance agit directement sur la sphère réelle
par plusieurs canaux : elle « infiltre » les politiques macroéconomiques, les comportements
des épargnants et des investisseurs, ainsi que les décisions des dirigeants ».
Selon C.-A. Michalet (2002, p. 8), pour qui elle « constitue l’autre face du capitalisme » et
un « phénomène ancien », la mondialisation est « un phénomène complexe, multidimen-
sionnel », dont « la dynamique produit dans le même mouvement de nouvelles disparités
pour, aussitôt, les dépasser dans une course jamais achevée » (id., p. 9). Elle « englobe, à
la fois, la dimension des échanges de biens et services, la dimension des investissements
directs à l’étranger et la dimension de la circulation des capitaux financiers » (id., p. 19).
Il se dégage de ces diverses définitions de la mondialisation que celle-ci se caractérise
tout d’abord par l’intensification des échanges internationaux de biens et services, ainsi
que par celle des mouvements de capitaux, de populations, d’informations et de tech-
nologies. Ce, sous l’impulsion des firmes multinationales qui se sont imposées comme les
principaux acteurs de l’économie mondiale, et à la faveur des progrès enregistrés dans
les moyens de transport et le développement des NTIC. Elle se traduit également par la
création de véritables marchés mondiaux (ou à tout le moins une internationalisation de
nombreux marchés), et en particulier pour les capitaux, la constitution de réseaux d’infor-
mation planétaires, une intégration et une interdépendance croissantes des économies
nationales. Elle s’accompagne de l’extension de la sphère marchande à des activités qui lui
étaient demeurées jusque-là largement extérieures, telles que l’éducation, la recherche et
la santé, mais aussi de la diffusion à l’ensemble de la planète de formes d’organisations
économiques et sociales et de certains modèles culturels générés par le capitalisme le plus
puissant, celui des États-Unis. Elle s’accompagne également de la prise de conscience pro-

130 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


gressive par la population mondiale de la globalité de certains problèmes et de l’exigence
de réponses coordonnées, si ce n’est unifiées, à ces problèmes, ce qui est l’un des aspects
du développement d’une société civile mondiale à laquelle fait plus spécifiquement réfé-
rence la définition proposée par J. Stiglitz.
Son affirmation, plus particulièrement depuis les années 1980, a été soutenue par l’ac-
tion des grandes organisations économiques internationales (Organisation mondiale du
commerce, Fonds monétaire international, Banque mondiale…). Les deux premières n’ont
eu cesse, depuis les années 1980, d’imposer aux PED, qui faisaient appel à elles pour so-
lutionner leurs problèmes d’endettement international et financer leur développement,
des politiques (les « ajustements structurels ») de libéralisation, et en particulier de leurs
échanges extérieurs, et de développement de leurs capacités exportatrices. Politiques qui
ont abouti à renforcer l’insertion de ces pays dans les grands courants d’échanges interna-
tionaux et leur intégration dans l’économie mondiale. Parallèlement, l’OMC, qui poursuit
depuis 1995 l’action du GATT auquel elle s’est substituée, œuvre à développer les accords
multilatéraux de libéralisation des échanges commerciaux internationaux, avec, comme
dernière initiative en date, le Cycle de négociations de Doha, lancé en 2001, qui, face aux
contradictions et aux conflits d’intérêt que fait naître la mondialisation, n’a pas encore pu
aboutir2.
Dans sa dimension strictement économique à laquelle on s’intéressera seule ici, cette mon-
dialisation se présente sous deux formes : la mondialisation commerciale et productive,
d’une part (Section 1), la mondialisation financière, d’autre part (Section 2).

Section 1 : La mondialisation commerciale


et productive
Comme déjà souligné, elle s’exprime en premier lieu dans l’ouverture croissante des dif-
férentes économies nationales et la remarquable expansion du commerce mondial qui l’a
accompagnée.
Le commerce mondial en volume progresse nettement plus vite que la production mon-
diale (graphique 3.1). Et il est symptomatique de constater que, si le rythme de croissance
du commerce mondial a sensiblement excédé celui de la production mondiale pendant
les trois décennies de forte croissance de l’après-Seconde Guerre mondiale, il en a été de

2 Il ne faut cependant pas exagérer l’impact des institutions financières internationales et de l’OMC sur le développement
de la mondialisation. Dans le cas de l’OMC, il faut souligner en particulier que, si elle est passée de 128 à 149 pays entre
1995 et 2006 ce qui traduit l’élargissement de son influence, elle peine par ailleurs à réunir les conditions de la signature
d’un nouvel accord multilatéral de libéralisation des échanges internationaux qui porterait, selon l’agenda adopté initia-
lement à Doha, sur : la libéralisation des marchés agricoles (avec en particulier la réduction progressive des subventions
dans l’optique de leur élimination et la réalisation des conditions d’un meilleur accès aux marchés) ; la baisse des droits
de douane sur les produits industriels ; l’ouverture du secteur des services (pour lesquels n’étaient a priori exclus de la
négociation que les services fournis gratuitement par les administrations publiques dans le cadre de l’exercice par l’État
de ses fonctions régaliennes) ; l’investissement et la concurrence, avec l’objectif de garantir la liberté d’implantation aux
firmes multinationales. Les échanges commerciaux internationaux ont néanmoins continué à se libéraliser depuis 1995,
favorisant ainsi le processus de mondialisation, mais c’est pour l’essentiel à travers la signature de nouveaux accords
commerciaux régionaux et bilatéraux qui étaient au nombre de 17 en 1980, 27 en 1990, 102 en 2000 et 193 en 2006, avec
comme conséquence que près de 40 % des échanges internationaux se font désormais dans le cadre d’accords de ce type.

La mondialisation 131
même ensuite, alors que les pays capitalistes développés, qui avaient été la composante la
plus dynamique de l’économie mondiale à l’époque des Trente Glorieuses, s’enfonçaient
les uns après les autres dans une crise économique durable. C’est ainsi que, de 1980 à
1997, les échanges internationaux se sont accrus à un rythme annuel moyen de l’ordre
de 5 à 7 % tandis que le PIB mondial ne progressait que de 2 à 3 %3. Ceci explique que la
moyenne des exportations et des importations mondiales soit passée de 11 % du PIB mon-
dial en 1970 à plus de 25 % au début des années 2000 (Moati, 2004, p. 42). En tendance,
on observe donc, pour la plupart des pays, une augmentation simultanée du coefficient
de dépendance ou rapport des importations au PIB du pays, qui mesure la dépendance de
celui-ci vis-à-vis de ses approvisionnements extérieurs, et du taux d’ouverture sur le reste
du monde ou rapport des exportations du pays au PIB du pays qui exprime la dépendance
de son économie à l’égard des débouchés étrangers.
GrAPhIqUE 3.1
Commerce international et production mondiale : 1830-1940 et 1950-2000

Construit et calculé à partir des sources suivantes : 1830 à 1913, Histoire économique et sociale du monde dirigée par
P. Léon, Colin ; 1913 à 1939, Industrialisation et commerce extérieur, S.D.N. (1945) ; rapports du GATT et de l’OMC.

L’ouverture commerciale des différents pays ne s’effectue cependant pas de manière ré-
gulière (Sachwald, 2004). Elle a été très forte pendant la décennie 1970 (avec un quasi
doublement). La décennie 1980 a, par contre, été caractérisée par une stabilisation d’en-
semble (baisse pendant la première moitié de la décennie puis remontée) qui s’est prolongée
jusqu’en 1992-1993. Depuis, la tendance est à nouveau nettement orientée à la hausse. Il
faut en outre souligner que le taux d’ouverture commerciale (moyenne des importations et

3 De 1970 à 1980, le commerce mondial en volume a augmenté en moyenne de 5 % par an contre un peu moins de 4 %
pour la production mondiale en volume. Les augmentations du commerce mondial en volume et de la production mon-
diale en volume ont été respectivement de 4 % et d’un peu moins de 3 % par an en 1980-1989 et de près de 6,5 % et
près de 3 % par an au cours de la décennie suivante. Le PIB mondial en volume et les exportations mondiales en volume
ont par ailleurs augmenté entre 2000 et 2007 au rythme annuel respectivement de 3,0 % pour le premier et de 5,5 %
pour les secondes (OMC, 2008, site web).

132 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des exportations sur le PIB) est aujourd’hui en moyenne sensiblement plus élevé pour les pays
à revenu faible ou intermédiaire, pour lesquels il s’est fortement accru depuis le début de
la décennie 1990, que pour les pays à haut revenu (Banque Mondiale, World Development
indicators, 2003). L’ouverture commerciale des plus grands pays capitalistes industrialisés
demeure par ailleurs modérée. Elle serait de 10 % pour le Japon, 11 % pour les États-Unis et
14 % pour l’Union européenne (échanges de l’Union européenne avec le reste du monde).
Nombre d’auteurs soulignent cependant que cette ouverture croissante des économies
nationales et la croissance du commerce mondial qui lui est associée ne sont pas des phé-
nomènes réellement nouveaux et ne suffisent donc pas par eux-mêmes à caractériser to-
talement la mondialisation dans sa dimension commerciale. Plus généralement, il existe
un courant de la littérature économique contemporaine qui cherche à montrer que la
mondialisation est, en tant que telle, un processus relativement ancien.
Des auteurs comme P. Bairoch ou Hirst et Thompson, qui ont établi des indicateurs permet-
tant d’appréhender l’ouverture des grands pays aux échanges commerciaux ou aux mouve-
ments de capitaux internationaux, ont montré que ces indicateurs avaient déjà atteint des
niveaux élevés au cours de la période précédant la Première Guerre mondiale (1890-1913).
Pour C. Rainelli (2002, p. 44), « considérée avec le recul nécessaire, la période contempo-
raine efface simplement le repli des nations qui a caractérisé la période de l’entre-deux-
guerres dans l’ouverture du commerce international ». On aurait donc vécu depuis la Se-
conde Guerre mondiale « un processus de rattrapage du niveau d’intégration atteint à
la veille de la Première Guerre mondiale, du moins pour les nations les plus développées
d’alors, lorsque l’on raisonne sur le commerce international » (id., p. 43-44). Ce rattrapage
aurait été rendu possible en particulier par la conjonction des progrès considérables réali-
sés dans les transports et les communications, d’une part, et des « politiques publiques de
libéralisation dans ces différents domaines », d’autre part.
Selon C.-A. Michalet (2004, p.14), « la tendance à la mondialisation est inhérente au capi-
talisme », celui-ci « ne peut pas fonctionner dans un seul pays » et « la tendance à la mon-
dialisation est nécessaire à sa survie ». L’auteur explique ainsi que « le phénomène de la
mondialisation est ancien, mais ses modalités d’existence se sont transformées au cours de
l’histoire. Il y a eu plusieurs configurations de la mondialisation » (id, p. 8). Il distingue en
fait trois configurations différentes successives qui correspondent à trois phases distinctes
de la mondialisation : la configuration « internationale » qui a été « la plus longue », la
configuration « multinationale » qu’il situe « entre le début des années 1960 et le milieu
des années 1980 » (id., p. 10) et la configuration actuelle de la « globalisation », caracté-
risée par une gouvernance mondiale à laquelle est associé un modèle de régulation repo-
sant « sur les oligopoles privés multinationaux industriels et financiers » (id., p. 10).
D. Clerc (2004) explique pour sa part que la mondialisation du capitalisme a pris successi-
vement trois formes différentes depuis le XIXe siècle : celle de la spécialisation (1860-1913),
puis celle de la multinationalisation (1950-1980) et, enfin, celle contemporaine, depuis la
décennie 1980, de l’intégration ou de la « mondialisation au sens propre du terme ».
Ajoutons que cette mondialisation commerciale n’est pas non plus un phénomène univer-
sel. Ce sont les pays riches qui assurent l’essentiel du commerce mondial (près de 70 % du
total) tandis que, par exemple, l’Afrique et le Moyen-Orient n’y contribuent qu’à hauteur
de 5,8 % et l’Afrique sub-saharienne à hauteur de 1 % seulement.

La mondialisation 133
Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que la très vive croissance du commerce mondial et
l’ouverture accrue des différentes économies nationales qui lui est associée sont un aspect
essentiel du processus contemporain de mondialisation commerciale et productive. Mais
celle-ci ne s’y réduit pas. Le développement des firmes multinationales (FMN) et, en corol-
laire, des investissements directs à l’étranger (IDE) que celles-ci réalisent, est un autre aspect,
absolument essentiel, de cette mondialisation commerciale et productive (graphique 3.2).
GrAPhIqUE 3.2
Evolution du PIB mondial, des exportations mondiales et des IDE : 1970-2002
(base 100, 1970)

120
IDE entrants nets
100 Exportations
PIB

80

60

40

20

0
1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002

Sources : Mondialisation et commerce international, Cahiers français, n° 325, p. 14

Ce développement des FMN et des IDE n’est pas non plus un phénomène nouveau, mais il
s’est amplifié au cours des deux dernières décennies en liaison avec la croissance exception-
nelle du mouvement de fusions-acquisitions d’entreprises, avec un impact considérable sur
l’économie mondiale. Les FMN deviennent les agents moteurs de l’évolution de l’économie
mondiale qu’elles cherchent à façonner à leur avantage. Elles sont aujourd’hui à l’origine
d’un tiers des échanges commerciaux et de l’essentiel des investissements directs à l’étranger.
Nombre d’entre elles développent des stratégies productives définies d’emblée à l’échelle
mondiale (on parle de FMN « globales »), avec en corollaire le fait que la concurrence entre
les entreprises se mondialise elle aussi. Pour ces firmes, les différents pays où elles sont sus-
ceptibles de s’implanter deviennent des lieux alternatifs de production, pourvoyeurs de res-
sources (territoire, infrastructures, main-d’œuvre…), qu’elles mettent en concurrence dans le
cadre de leur stratégie de localisation-délocalisation. La pertinence de la notion d’économie
« nationale » en est de ce fait affectée, une part croissante de l’activité économique de
chaque pays étant directement liée à des entreprises fortement internationalisées dont les
stratégies sont de plus en plus mondiales4. Ces FMN sont incontestablement les principaux
agents de la mondialisation (§ 1), tandis que les IDE qu’elles réalisent sont des vecteurs de
cette mondialisation (§ 2).

4 Cela n’est d’ailleurs pas propre aux seules entreprises à capitaux privés. Les grandes entreprises publiques se sont également
engagées dans ce processus d’internationalisation qui est aujourd’hui invoqué pour justifier l’alignement de leur statut
sur celui des autres entreprises, ce qui, l’expérience le montre, ouvre généralement la voie à leur privatisation. On peut
citer à titre d’exemple le cas d’EDF qui est devenu l’un des grands acteurs du marché mondial de l’électricité.

134 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 1 : les firmes multinationales agents moteur de la
mondialisation
Les firmes multinationales sont des entreprises contrôlant des unités de production dans
plusieurs pays différents. Elles sont formées d’une société mère, installée dans le « pays
d’origine » de la firme, et de filiales établies dans les « pays d’accueil ». Le terme de « mul-
tinationales » utilisé pour les qualifier ne signifie pas que ces firmes ont plusieurs nationa-
lités. Aujourd’hui encore, ces firmes ont le plus souvent la nationalité du pays où est im-
plantée la société mère, qui est également dans bien des cas la nationalité des principaux
actionnaires de la firme et de ses principaux dirigeants. Ce qualificatif de multinationales
sert à désigner spécifiquement le fait que ces firmes exercent leur activité simultanément
dans plusieurs pays : celui où est implanté la société mère et tous ceux où elles possèdent
des filiales5. Ceci explique que l’on désigne souvent ces firmes en les qualifiant de firmes
multinationales américaines, françaises, anglaises, etc. On utilise également le terme de
firmes ou sociétés transnationales pour souligner que ces firmes transcendent le décou-
page du monde en nations distinctes et que leur activité qui s’organise à l’échelle interna-
tionale traverse les frontières.
Leur apparition remonte au dernier tiers du XIXe siècle. Dès 1914, une quarantaine d’en-
treprises américaines possédaient déjà des filiales à l’étranger. Mais la période postérieure
à la Seconde Guerre mondiale et, plus spécifiquement encore, les trois dernières décennies
du XXe siècle sont une phase de développement exceptionnel de ces firmes et de crois-
sance très soutenue des investissements directs à l’étranger qu’elles réalisent. Selon les
estimations de la CNUCED (2006), on comptait en 2005 de l’ordre de 77 000 sociétés mères
(contre 7 000 à la fin des années 1960) ayant en tout plus de 770 000 filiales étrangères.
Ces dernières, qui employaient en 2005 62 millions de salariés, ont généré approximative-
ment 4 500 milliards de dollars de valeur ajoutée, soit plus de 10 % du PIB mondial, et ont
exporté des biens et services pour un montant total de plus de 4 000 milliards de dollars. Le
chiffre d’affaires total des filiales étrangères des FMN s’élevait en 2004 à 19 000 milliards
de dollars, soit plus du double des exportations mondiales de la même année.
Ces FMN contrôlent directement ou indirectement les deux tiers du commerce mondial. Le
stock de leurs investissements directs à l’étranger, qui s’élevait en 2002 à 7 000 milliards de
dollars, soit 14 fois plus qu’en 1980, représente désormais plus d’un sixième du PIB mon-
dial. Le chiffre d’affaires cumulé des 200 plus grandes FMN représentait en 2000 approxi-
mativement 30 % du PNB mondial (Andréani, 2001, p. 44).
Ces FMN présentent certaines caractéristiques communes les distinguant globalement
des autres entreprises, mais peuvent se répartir en plusieurs catégories (A). Différentes
raisons expliquent leur création et leur développement, lequel s’est intensifié au cours
des dernières décennies qui ont été marquées par un essor exceptionnel du mouvement
de concentration du capital (fusions-acquisitions) à l’échelle mondiale (B). Elles sont au-
jourd’hui un acteur essentiel du commerce mondial qu’elles contribuent à façonner (C).

5 Comme le souligne P. Drucker, les sociétés transnationales se caractérisent par le fait que « la fabrication des pièces, les
machines, la prévision, la recherche, les finances, le marketing, la fixation des prix et la gestion s’effectuent en fonction
du marché mondial » (1998, p. 21). Ces firmes sont de plus en plus totalement indépendantes des États-nations : « La
société transnationale n’échappe pas totalement au contrôle des gouvernements nationaux. Elle doit s’y adapter. Mais
cette adaptation constitue une exception aux politiques et pratiques décidées en fonction des technologies et des marchés
mondiaux » (id., p. 21).

La mondialisation 135
A - Les caractéristiques des firmes multinationales
Ce sont souvent des entreprises de (très) grande taille ; et ce sont par ailleurs les grandes
entreprises qui sont les plus multinationalisées6. À titre d’exemples, et en se limitant à des
FMN à base française: Carrefour employait en 2002 396 662 personnes pour un chiffre
d’affaires hors taxes de 68,729 milliards d’euros ; Veolia environnement employait 257 177
personnes et réalisait un chiffre d’affaires de 30,079 milliards d’euros ; Michelin employait
126 285 personnes pour un chiffre d’affaires de 15,645 milliards d’euros7. General Electric,
société américaine d’appareillage électrique et électronique, qui figurait en 2004 en tête
du classement mondial des FMN non financières, détenait alors 258,9 milliards de dol-
lars d’actifs à l’étranger, avait 1 068 filiales à l’étranger, employait 150 000 personnes à
l’étranger et y réalisait un chiffre d’affaires de 54,086 milliards de dollars. Wal-Mart Stores,
société américaine de distribution, a réalisé en 2005 un chiffre d’affaires de 246 milliards
d’euros (supérieur au PIB de la Suède) et dégagé 12,2 milliards de dollars de bénéfice. Elle
emploie plus de 1,8 millions de personnes dans le monde (dont 1,3 millions aux États-Unis)
dans 8 000 magasins, dont 4 600 hors des États-Unis. Mais le salaire moyen de ses employés
était en 2005 de 1 310 euros mensuels et la moitié d’entre eux seulement bénéficiait d’une
couverture maladie maison.
Le rythme de développement de ces firmes est en moyenne supérieur à celui des autres
types de firmes ; il résulte de la démultiplication de leurs filiales à l’étranger, par création
de nouvelles entreprises et rachat d’entreprises existantes, et de l’augmentation de la taille
de ces filiales. Leurs performances en matière de productivité du travail sont également en
moyenne sensiblement supérieures à celles des autres firmes8.
Elles sont présentes dans pratiquement toutes les branches d’activité, mais elles se concen-
trent plus particulièrement dans les branches de l’industrie à forte intensité capitalistique
et/ou à niveau technologique et rythme de remplacement des techniques élevés (automo-
bile, chimie, appareillage électrique et électronique, machines-outils et industrie méca-
nique, NTIC). Elles dominent largement tous les secteurs dits de hautes technologies. Mais
elles se développent désormais également à un rythme très soutenu dans le secteur des
services et plus particulièrement dans les services financiers avec des firmes comme Citi-
group (États-Unis), UBS (Suisse) ou Allianz (Allemagne).

6 En atteste par exemple le fait que les sociétés françaises du CAC 40 (dont le bénéfice net total s’est élevé à 84 milliards
d’euros en 2005), selon les estimations disponibles, réalisaient 70 % de leur chiffre d’affaires et 80 % de leurs bénéfices
hors de France (Le Monde, 17-03, 2006, p. 122).
7 En 2004 (CNUCED, 2005), la société Total employait en tout 111 401 personnes (dont plus de la moitié à l’étranger) pour un
chiffre d’affaires de 152 milliards de dollars (dont 123 milliards à l’étranger) ; France Télécom employait 206 524 personnes
pour un chiffre d’affaires de 58,5 milliards de dollars ; Suez employait 160 712 personnes (dont 100 485 à l’étranger) pour
un chiffre d’affaires de 50,5 milliards de dollars (dont 38,8 milliards à l’étranger).
8 « Tous les travaux indiquent la supériorité des multinationales sur les autres firmes, en termes notamment de productivité
et/ou de recherche et développement. Aux États-Unis par exemple, des analyses récentes montrent que la productivité
du travail dans les grandes usines appartenant à des entreprises multinationales est de 11 % supérieure à celle d’usines
comparables d’entreprises non multinationalisées. De même, ces usines utilisent plus de technologies que celles des autres
entreprises. La productivité totale des usines des multinationales croît de 2,5 % à 4 % plus vite par an que celle des usines
des entreprises comparables non multinationales et de 7 % à 11 % plus vite que dans les usines des petites entreprises
non multinationales » (Mucchielli, 2002, p. 17). Par ailleurs, les résultats d’études réalisées par l’OCDE montrent que la
productivité des filiales des FMN dans leurs pays d’accueil est généralement supérieure (de l’ordre de 40 % à 100 %) à
celle des entreprises locales. C’est ainsi, à titre d’exemple, que, lorsque Toyota s’est implantée en Californie en 1987, elle
« assemblait une voiture avec dix-neuf heures de main-d’œuvre alors qu’il fallait trente et une heures à General Motors
pour en faire de même » (id., p. 17).

136 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Elles sont très majoritairement originaires des pays développés (près de 80 % des FMN
recensées dans le monde) avec une prépondérance, quoique en recul, des firmes améri-
caines9. Sur les 100 premières FMN en 2000, 26 étaient américaines contre 49 en 1981. C’est
également dans les pays développés qu’est implantée la majeure partie de leurs filiales10.
Le rapport de la CNUCED pour l’année 2000 souligne cependant la diversité croissante des
FMN, en mettant en évidence le « nombre croissant de PME, de sociétés d’Europe centrale
et orientale qui ne sont engagées que depuis peu de temps dans la production internatio-
nale » (cité par Rainelli, 2002, p. 45). À cet égard, la montée en puissance des firmes mul-
tinationales du Sud doit être soulignée puisque leur part dans le stock des investissements
à l’étranger est passé de 7,5 % en 1990 à 12,4 % en 2002, en précisant que, parmi les 20 %
de FMN qui sont originaires des pays émergents, les trois quarts proviennent d’Asie (et plus
particulièrement Corée du Sud, Taïwan et Hong Kong) (Mucchielli, 2002, p. 16). En 2004,
cinq des cent premières FMN mondiales étaient originaires de PED11. En 2005, les FMN ori-
ginaires de PED, qui employaient près de 6 millions de salariés, réalisaient un chiffre d’af-
faires estimé à 1 900 milliards de dollars12. Selon une étude du Boston Consulting Group
concernant les cent premières FMN originaires de 14 pays émergents (dont 41 de Chine et
20 d’Inde), celles-ci ont réalisé en 2006 un chiffre d’affaires global de 1 200 milliards de
dollars (avec une croissance annuelle moyenne de 24 % entre 2004 et 2006) et dégagé une
rentabilité opérationnelle de 17 % (soit 3 points de plus que celle des 500 sociétés du S&P
500 de Wall Street). Le nombre de fusions-acquisitions à l’étranger réalisées par ces cent
FMN est passé de 21 en 2000 à 72 en 2006 (Le Monde, 5-12, 2007, p. 13).
L’enracinement des FMN dans le pays d’origine de la société mère reste cependant géné-
ralement très fort. Comme le souligne Moereau-Defarges (2001, p. 51), elles « travaillent
et vendent dans leur région, réalisant plus de la moitié de leur chiffre d’affaires sur leur
marché intérieur ». Une étude du ministère de l’Économie portant sur les 750 plus grands
groupes mondiaux et leurs 83 000 filiales montre ainsi que « les multinationales (...) sont
en général les mieux implantées dans leur pays d’origine (...). Dans le cas de la France en
particulier, on peut noter que 77 % des effectifs des groupes multinationaux présents dans
notre pays appartiennent à des groupes français, 12 % à des groupes européens et 11 % à
des groupes d’autres nationalités » (Bourcieu et Benaroya, 2000).

9 En 2004, sur les 100 premières FMN du monde, 85 avaient leur siège dans les pays de la Triade (Union européenne, Japon,
États-Unis) ; 73 provenaient de 5 pays (Allemagne, États-Unis, France, Japon et Royaume-Uni) et 53 de l’Union européenne
(CNUCED, 2007).
10 Pour ce qui est des FMN françaises, elles sont fortement orientées vers les autres pays de l’Union européenne, avec « près
de 40 % des filiales des entreprises françaises se situant dans les pays de l’Union européenne » (Lorenzi, 2002, p. 9).
11 Trois étaient des entreprises publiques ; les cinq étaient originaires d’Asie.
12 Toujours en 2005, sur les 100 premiers FMN de PED, 40 étaient originaires de Hong Kong (Chine) et de Taïwan, 14 de
Singapour et 10 de Chine. En tout, 77 d’entre elles avaient leur siège social en Asie, les autres se répartissant à parts
égales entre l’Amérique Latine et l’Afrique.

La mondialisation 137
TAbLEAU 3.1
Evolution de certains indicateurs de l’IDE et de la production internationale,
1982-2001 (en milliards de dollars et en pourcentage)

Valeurs aux prix


courants Taux annuel de croissance
Indicateur
(en milliards de (en pourcentage)
dollars)
1986- 1991- 1996-
1982 1990 2002 1999 2000 2001 2002
1990 1995 2000
Entrée d’IDE 59 209 651 23,1 21,1 40,2 57,3 29,1 -40,9 -21,0
Sorties d’IDE 28 242 647 25,7 16,5 35,7 60,5 9,5 -40,8 -9,0
Stocks d’investissements
directs en provenance de 802 1 954 7 123 14,7 9,3 17,2 19,4 18,9 7,5 7,8
l’étranger
Stocks d’investissements
595 1 763 6 866 18,0 10,6 16 ,8 18,2 19,8 5,5 8 ,7
directs à l’étranger
Fusions-acquisitions
151 370 25,9 24,0 51,5 44,1 49,3 -48,1 -37,7
internationales
Chiffre d’affaires des 17
2 737 5 675 16,0 10,1 10,9 13,3 19,6 9,2 7,4
filiales à l’étranger 685
Produit brut des filiales à
640 1 458 3 437 17,3 6,7 7,9 12,8 16,2 14,7 6,7
l’étranger
Actif total des filiales à 26
2 091 5 899 18,8 13,9 19,2 20,7 27,4 4,5 8,3
l’étranger 543
Exportations des filiales
722 1 197 2 613 13,5 7,6 9,6 3,3 11,4 -3,3 4,2
à l’étranger
Nombre d’employés des
19 24 53
filiales à l’étranger (en 5,5 2 ,9 14,2 15,4 16,5 -1,5 5,7
375 262 094
milliers)
10 21 32
PIB (au prix courants) 10,8 5,6 1,3 3,5 2,6 -0,5 3,4
805 672 227
Formation brute de capi-
2 286 4 819 6 422 13,4 4,2 1,0 3,5 2,8 -3,9 1,3
tal fixe
Exportation de biens et
2 053 4 300 7 838 15,6 5,4 3,4 3,3 11,4 -3,3 4,2
de services non facteurs

Au-delà de ces caractéristiques qui leur sont communes, les FMN se répartissent en plu-
sieurs catégories distinctes.
Certaines FMN développent encore l’essentiel de leurs activités dans le secteur primaire
(extraction minière, pétrole, production agricole), exerçant une véritable domination sur
les marchés mondiaux de produits primaires. Ces FMN « primaires » étaient prépondé-
rantes pendant l’époque coloniale, leur activité consistant alors principalement à assurer
l’approvisionnement en produits de base des puissances colonisatrices dont elles étaient
issues. Avec la décolonisation, elles ont eu tendance à diversifier leurs activités, adoptant
parfois une structure de type congloméral (en particulier pour les sociétés pétrolières)13.
13 Il est à souligner que certaines des FMN originaires des pays émergents, apparues au cours des deux dernières décennies,
entrent dans cette catégorie de FMN dont l’activité est centrée sur les produits primaires. Le World Investment Report
2005 de la CNUCED souligne ainsi qu’en 2004 « un des principaux moteurs de l’investissement chinois à l’étranger était
la demande croissante de ressources naturelles, ce qui a entraîné la réalisation de grands projets d’investissement en
Amérique Latine. Les sociétés transnationales indiennes ont également procédé à des investissements considérables
dans les ressources naturelles d’autres régions » (CNUCED, 2005, p. 28). De fait, la moitié des IDE chinois en 2004 ont été

138 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Les FMN qui développent leur activité principalement dans l’industrie manufacturière pré-
sentent une configuration déterminée par leur stratégie d’ensemble.
Certaines peuvent être qualifiées de firmes multinationales à stratégie commerciale. Elles
se caractérisent plus spécifiquement par le fait que la création de leurs filiales est com-
mandée principalement par les marchés des pays d’accueil où elles implantent ces filiales.
Celles-ci peuvent être qualifiées de « filiales relais » qui produisent pour le marché du pays
d’accueil et ceux des pays limitrophes une gamme de biens identiques à ceux fabriqués par
la société mère et que celle-ci exportait antérieurement dans ce(s) pays. Elles représentent
donc une forme encore relativement simple d’internationalisation de la production.
D’autres, de plus en plus nombreuses et qui se développent particulièrement depuis les an-
nées 1970, peuvent être qualifiées de firmes multinationales à stratégie productive. Celles-
ci produisent des biens complexes (automobiles, ordinateurs…) en organisant une division
internationale des processus productifs entre différents établissements de la firme.
Les biens complexes qu’elles produisent sont des biens dont le processus de fabrication
correspond à la production de sous-ensembles d’éléments distincts, relevant de technolo-
gies différentes, ainsi qu’à l’assemblage final de ces différents éléments : à l’exemple de
l’automobile qui résulte de l’assemblage d’éléments finis (moteur, boîte de vitesse, car-
rosserie, pneumatiques, vitrage…) issus de branches de production différentes, telles que
construction électrique, électronique, chimie, mécanique... La division internationale des
processus productifs apparaît quand la production de tout ou partie de ces sous-ensembles
d’éléments ou composants se distribue dans des pays différents14. C’est précisément ce que
réalisent ces FMN à stratégie productive. Chacune de leurs filiales, dites « filiales atelier »,
est spécialisée dans la production d’une partie seulement des composants du bien com-
plexe fabriqué par la firme ou dans l’assemblage du bien final, cette spécialisation interna-
tionale des établissements de la firme multinationale permettant en particulier de réaliser
des économies d’échelle et de réduire ainsi le coût global de production.
Le choix des pays d’accueil de ces filiales ateliers est commandé principalement par la
comparaison internationale des coûts des différents facteurs de production. La division
internationale des processus productifs que réalisent ces firmes leur permet ainsi de mettre
à profit les avantages comparatifs de chacun des pays où elles implantent des filiales.
Chaque opération de la chaîne de valeur est effectuée là où elle peut l’être au moindre
coût, du fait d’une meilleure adéquation des conditions locales aux exigences du processus
de production. Ces FMN tendent en particulier à localiser les filiales spécialisées dans les
segments du processus de production les plus consommateurs de travail dans les pays où
le coût de la main-d’œuvre est le plus faible. Le plus souvent, la division internationale des
processus productifs que réalisent ces FMN se double par ailleurs d’une division fonction-
nelle internationale des activités d’entreprise, avec la séparation entre les activités de di-
rection, de recherche, de gestion financière et de production proprement dite et la répar-
tition internationale de ces diverses fonctions entre différents établissements de la firme.

réalisés dans le secteur des matières premières en Amérique latine.


14 Selon M. Rainelli (1998, p. 69), la division internationale des processus productifs « existe dès qu’au moins un stade du
processus de production se déroule dans un autre pays que celui où est assemblé le bien fini », ou encore « lorsque la
totalité des segments d’une filière n’est pas localisée dans le même pays, certains segments faisant l’objet d’échanges
entre les nations ».

La mondialisation 139
Dans l’industrie, c’est cette forme de FMN « à stratégie productive », pratiquant la division
internationale des processus productifs, qui tend à devenir prédominante. Cette évolution
est grandement favorisée et stimulée par le développement des technologies de l’infor-
mation et de la communication qui donnent aux entreprises les moyens de communication
et de traitement de l’information en temps réel souvent nécessaires à l’organisation de la
production à l’échelle mondiale.
Le développement de cette catégorie de FMN se traduit, entre autres conséquences, par
une perte de contrôle des États-nations sur les conditions de leur développement indus-
triel. Il est en effet difficile pour un pays de définir et de mettre en œuvre une politique
industrielle cohérente quand la localisation sur le territoire national de tel ou tel segment
d’activité dépend en fait des décisions que prennent les FMN en matière d’organisation à
l’échelle mondiale de leur production, alors que ces décisions sont dictées par l’impératif
principal de rentabilisation des capitaux engagés dans la firme. Pour décider de ses im-
plantations productives, cette dernière prend en compte différents paramètres tels que :
• les ressources productives disponibles dans le pays (approvisionnements, abondance et
niveau de qualification de la main-d’œuvre, infrastructures, etc.) ;
• le régime fiscal du pays et les éventuels dispositifs d’aide à l’investissement et à l’im-
plantation ;
• l’importance des débouchés offerts par le pays d’accueil pour ses produits et la plus ou
moins grande facilité à alimenter à partir de lui les marchés des pays voisins (infrastruc-
tures de transport, régime douanier) ;
• la réglementation des prix, le droit du travail et le régime de protection sociale, le cli-
mat social du pays, etc.
Le développement de ce type de FMN entraîne également la « dénationalisation » des flux
commerciaux internationaux au sein desquels les échanges intra-firmes pèsent d’un poids
grandissant, en particulier dans les petits pays fortement industrialisés où les FMN occu-
pent une place importante dans le tissu industriel.

B – Les ressorts du développement des FMN


Diverses raisons peuvent conduire des entreprises dont la structure et l’implantation sont
originellement strictement nationales à se transformer en FMN et à persévérer ensuite
dans leur stratégie d’internationalisation, selon l’un ou l’autre des modèles évoqués précé-
demment (a). L’essor exceptionnel du mouvement de fusions–acquisitions qui s’est affirmé
à l’échelle mondiale au cours des deux dernières décennies a été à la fois un déterminant
essentiel et une manifestation du développement contemporain des FMN comme acteurs
centraux du processus de mondialisation (b).

a - Les facteurs de la multinationalisation des entreprises


Les raisons qui ont conduit par le passé et/ou qui conduisent aujourd’hui des firmes à se
transformer en FMN sont de divers ordres :
• la nécessité de réaliser l’approvisionnement du pays d’origine de la firme en certains pro-
duits de base. C’est ce qui explique en particulier la création de FMN spécialisées dans
les productions du secteur primaire, originaires de pays industrialisés, qui contrôlent au-
jourd’hui la production et la commercialisation internationale d’une fraction importante
des produits de base ;

140 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• l’existence de diverses protections commerciales (barrières non tarifaires, droits de
douane) susceptibles de limiter l’accès des produits de la firme au marché de certains
pays. La création de filiales dans ces pays constitue alors pour les firmes un moyen
de contourner ces protections. C’est pour partie la raison qui a expliqué le dévelop-
pement de FMN à stratégie commerciale après la Seconde Guerre mondiale, et en
particulier le développement des FMN américaines en Europe après la création de la
CEE protégée par son tarif douanier commun. C’est également ce qui explique pour
partie l’implantation d’entreprises japonaises (automobile, électronique...) en Eu-
rope et aux États-Unis à partir des années 1970. Ce facteur de multinationalisa-
tion des firmes, qui a pu jouer fortement dans les décennies 1950 et 1960, perd ce-
pendant peu à peu de son importance avec les progrès de la libéralisation des
échanges réalisés sous l’égide du GATT, puis de l’OMC, qui ont abouti, non sans dif-
ficultés, à une très forte réduction des protections douanières à l’échelle mondiale ;

• dans le même ordre d’idée, leur transformation en firmes multinationales peut également
traduire le souci des entreprises de protéger la compétitivité de leur production des ef-
fets de l’instabilité des taux de change, caractéristique du fonctionnement du système
monétaire international depuis 1973. L’implantation de filiales à l’étranger, pour cer-
taines firmes, peut en particulier être conçue comme le moyen de se prémunir des effets
négatifs pour elles (pour leur compétitivité en termes de prix et donc leur capacité de pé-
nétration des marchés de certains pays) de l’affaiblissement des monnaies de ces pays15 ;

• les dimensions trop restreintes du marché intérieur du pays d’origine de la firme, lequel
marché est souvent partagé entre un nombre limité de grandes entreprises dont les parts
de marché respectives ne sont plus susceptibles d’évoluer de manière significative, et/
ou le rythme de développement trop faible de ce marché au regard des capacités et/ou
des objectifs de croissance de l’entreprise. Ils conduisent les entreprises à faire le choix
de l’extraversion et à opter pour une stratégie de croissance par création de filiales à
l’étranger, celle-ci pouvant éventuellement se faire par rachat d’entreprises locales pré-
existantes, comme c’est plus particulièrement le cas dans les pays développés. Ce qui pré-
sente l’avantage d’assurer d’entrée de jeu à la FMN une certaine part du marché du pays
d’accueil. Avec le cas particulier des entreprises de services pour lesquelles, à la différence
des biens, l’exportation proprement dite peut être impossible, ce qui impose aux entre-
prises qui ne se satisfont plus de leur marché national d’internationaliser leurs activités ;

• le désir d’accroître la compétitivité de la firme ou de valoriser les avantages spéci-


fiques qu’elle détient en la matière. La création de filiales de production à l’étran-
ger, prenant le relais des exportations de la société mère, permet souvent de mieux
s’adapter aux particularités du marché local du pays d’accueil et, partant, de mieux
répondre à la demande qui s’exprime sur ce marché : adaptation des produits de
la filiale aux normes spécifiques et aux goûts particuliers des utilisateurs du pays
d’accueil, réduction des coûts et des délais de livraison, amélioration du service

15 Les annonces, à plusieurs reprises déjà, des dirigeants du groupe aéronautique européen EADS (Airbus industrie) de
délocaliser une partie de ses activités hors d’Europe et d’implanter à l’avenir des filiales dans des pays de la zone dollar,
pour se prémunir contre le risque de perte de compétitivité à l’égard de son grand groupe rival Boeing résultant du
renchérissement très marqué de l’euro par rapport au dollar, en sont une illustration récente.

La mondialisation 141
après-vente… La création de filiales peut être également le moyen pour la firme
d’exploiter au mieux un avantage technologique qu’elle détient sur les sociétés
concurrentes du pays d’accueil (la productivité de sa filiale étant supérieure à celle
des entreprises locales), de valoriser à l’échelle internationale certains actifs incor-
porels spécifiques qu’elle possède (brevets, marques, compétences particulières...)16 ;

• le souci de contrer les tentatives d’imitation ou de copie pure et simple du produit par des
firmes locales17, ou encore d’exercer une activité de « veille » technologique et commer-
ciale permettant de saisir plus rapidement les mutations susceptibles d’influer ses marchés ;

• la recherche par l’entreprise d’une rentabilité accrue. Nombre des opportunités qu’ouvre
la multinationalisation de l’activité de la firme évoquées ci-dessus, telles que la possibi-
lité de contourner des protections commerciales nationales (tarifaires ou non tarifaires),
de poursuivre à l’étranger une croissance bridée au niveau national, d’accroître par di-
vers biais la compétitivité de la firme, de spécialiser les filiales et de réaliser ainsi des
économies d’échelle permettant de réduire les coûts de production, de mettre à profit
les différences entre pays des prix des facteurs de production... sont le plus souvent
autant de moyens d’influer positivement sur la rentabilité des firmes. Mais leur trans-
formation en FMN peut encore être un moyen spécifique pour les firmes d’accroître leur
rentabilité en leur permettant en particulier de jouer sur les différences de régime fiscal
entre pays. Les échanges entre filiales et entre la société mère et les filiales peuvent être
organisés, en jouant sur les prix de transfert, de sorte à accroître (diminuer) les bénéfices
imposables dans les pays à fiscalité réduite (forte), ce qui limite le prélèvement fiscal
global supporté par la firme. La multinationalisation permet également de profiter des
multiples avantages que certains pays accordent à l’implantation des firmes étrangères
(subventions, zones franches…). Pour un pays d’accueil, l’implantation de filiales par des
FMN peut être un moyen de renforcer sa capacité exportatrice, les filiales des multina-
tionales étant souvent fortement exportatrices, d’améliorer la situation de l’emploi ou
de bénéficier de transferts de technologies permettant d’élever le niveau de producti-
vité. De telles retombées positives pour l’économie nationale justifieraient l’adoption de
mesures (réglementaires, fiscales) incitant les FMN à s’y implanter.

b – Le mouvement contemporain de fusions-acquisitions et l’essor des FMN


Du milieu de la décennie 1980 au tout début de la décennie 2000 s’est développé à l’échelle
mondiale un mouvement de fusions-acquisitions d’une ampleur exceptionnelle. Le mon-
tant total des fusions-acquisitions a progressé de 430 milliards de dollars en 1986 à 3 540
milliards de dollars en 200018. Parallèlement, le montant moyen par opération est passé
de 22 à 92 millions de dollars entre 1991 et 2000. Après avoir fortement ralenti au début
des années 1990, dans un contexte économique conjoncturel déprimé, le mouvement de
16 Soulignons à ce propos que la création d’une filiale à l’étranger plutôt que la cession de licence est le moyen « d’assurer
le respect des droits de propriété, en particulier lorsque le bien a un fort contenu en technologie, ou bien le maintien du
secret pour un savoir-faire spécifique » (Mucchielli, 2002, p. 18). Par contre, dans le cas de la production de biens banalisés,
les FMN pourront opter pour une stratégie d’accords de sous-traitance avec des producteurs locaux.
17 Préoccupation essentielle pour les FMN de certains secteurs d’activité et en particulier ceux qui touchent aux industries
du luxe.
18 Les fusions-acquisitions ont représenté en 1999 « plus de 11 % du PIB en France, 12 % en Allemagne, et plus de 20 %
au Royaume-Uni » (Sachwald, 2002, p. 36). Les estimations pour l’année 2000 varient selon les sources. Certaines sources
avancent un chiffre légèrement inférieur de 2 950 milliards de dollars.

142 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


fusions-acquisitions a repris de plus belle dès 1993-1994, favorisé par la reprise écono-
mique conjoncturelle qui s’est affirmée dans les pays industrialisés, et en particulier aux
États-Unis, ainsi que par le redressement de la situation financière des entreprises qui a
accompagné la reprise.
Ce mouvement de fusions-acquisitions a cependant été fortement affecté par l’éclatement
de la bulle financière lié à la « nouvelle économie » (graphique 3.3). En 2001, le montant
total des fusions-acquisitions à l’échelle mondiale était ramené à 1 760 milliards de dol-
lars, soit une réduction de près de moitié par rapport à l’année précédente. Le nombre
d’opérations a baissé de 31 % et leur montant moyen est revenu de 92 à 60 millions de
dollars. Ce repli net des fusions-acquisitions est à mettre directement en rapport avec la
crise boursière. La chute des cours des valeurs mobilières a rendu beaucoup plus difficiles
les acquisitions d’entreprises payées en actions, ce qui était de plus en plus le cas depuis le
début de la décennie 1990. Par ailleurs, les entreprises avaient atteint un taux d’endette-
ment tel qu’il leur était difficile de continuer à s’endetter pour solder leurs opérations de
fusions-acquisitions en liquidités (Duval, 2002, p. 69). En 2003, le total mondial des fusions-
acquisitions s’établissait à 1 350 milliards de dollars.
Le mouvement ascendant a repris dès 2004 (graphique 3.4), la reprise des opérations (prio-
ritairement aux États-Unis) étant favorisée par l’évolution de la situation des grandes en-
treprises qui s’étaient fortement désendettées depuis l’éclatement de la bulle financière
de la « nouvelle économie » et avaient réalisé en 2004 des profits records, profits qu’elles
ont utilisés pour verser des dividendes à leurs actionnaires ou racheter leurs propres ac-
tions mais également pour effectuer des opérations de croissance externe par fusions-ac-
quisitions.
GrAPhIqUE 3.3
Evolution du montant des fusions et acquisitions : 1998-2005 (en milliards de
dollars)

Source : Bloomberg, Banque de France.


La nouvelle vague a continué d’enfler en 2005-2007. En 2005, les annonces d’acquisition
s’élevaient en tout à 3 200 milliards de dollars (BRI, 2006, p. 125), près de la moitié des
opérations concernant des sociétés aux États-Unis et un quart des sociétés en Europe (id.,
p. 125). En 2006, les fusions-acquisitions ont atteint un montant total de 3 610 milliards
de dollars, tandis que les opérations annoncées au 1er trimestre 2007 (1 100 milliards de

La mondialisation 143
dollars et 820 milliards d’euros) étaient supérieures de 26 % à celles de la période corres-
pondante de 2006. Cette nouvelle vague de fusions-acquisitions était favorisée par le net
redressement de la rentabilité des entreprises (par exemple, 85 milliards d’euros de béné-
fice global pour les sociétés du CAC 40 en 2005) et des taux d’intérêt historiquement bas,
incitant au recours à l’emprunt nécessaire pour financer certaines opérations.
À la différence de la précédente vague de fusions-acquisitions, seule une minorité de ces
fusions-acquisitions a été financée au moyen d’actions (30 % des opérations aux États-Unis
contre 70 % lors de la vague de fusions-acquisitions des années 1998-2000). Cela explique
en partie que l’impact sur les cours boursiers des entreprises concernées par les opérations
(cibles et acquéreurs) ait été globalement meilleur que cela n’avait été le cas lors de la
précédente vague de fusions-acquisitions (BRI, 2006, p. 15)19. Les opérations réalisées sont
majoritairement destinées à permettre aux entreprises de se renforcer dans leur cœur de
métier (61 % des opérations en 2006, selon le Boston Consulting Group, contre 48,7 %
entre 1999 et 2000) et de bénéficier des économies d’échelle liées à l’augmentation de
leur taille.
Certains aspects du mouvement de fusions-acquisitions qui s’est ainsi développé depuis le
milieu des années 1980 méritent de retenir l’attention.
• Si, jusqu’en 1985, l’initiative des fusions-acquisitions venait essentiellement des entre-
prises américaines et anglaises, les opérations domestiques et internationales réalisées
par ces entreprises représentant jusqu’à cette date plus des deux tiers du total des fu-
sions-acquisitions mondiales (Alcabas, 2002, p. 17), le mouvement a ensuite atteint tous
les autres grands pays industrialisés : Japon, Allemagne, France, Italie, Espagne, Canada.
• Nombre de ces opérations de fusions-acquisitions ont pris la forme d’offres publiques
d’achat (OPA), amicales ou hostiles, dont le nombre a fortement augmenté à la fin des
années 1990. Les rachats d’entreprises peuvent en particulier s’effectuer selon la mo-
dalité de plus en plus fréquente du leverage by out (LBO). Dans ce cas, l’acquisition de
la firme concernée par l’opération se fait par le biais d’une holding qui emprunte à cet
effet une proportion importante des fonds nécessaires. Le remboursement des sommes
empruntées s’effectuera ensuite en faisant remonter vers la holding le cash-flow dégagé
par la société rachetée.
• Une part importante de ces fusions-acquisitions correspond à des opérations transfron-
tières. Celles-ci ont représenté en moyenne le quart des opérations totales au cours de la
décennie 1990 (CNUCED, World Investment Report, 2000), le montant total des fusions-
acquisitions transfrontières passant de 74,5 milliards de dollars en 1987 à 186,6 milliards
en 1995 puis 720,1 milliards en 1999. En liaison avec les stratégies de recentrage des
firmes sur leur cœur de métier (cf. tome 1, chapitre III), elles ont pris assez souvent la
forme d’opérations de concentration horizontale destinées à permettre aux entreprises
de renforcer leur pouvoir de marché à l’échelle internationale.
• Ces opérations de fusions-acquisitions ont affecté en particulier les secteurs d’activité

19 Il est maintenant largement admis que, lors de la vague de fusions-acquisitions des années 1990, en moyenne une
opération sur deux s’est traduite finalement par une destruction de valeur (baisse de la valeur boursière des nouveaux
ensembles mais aussi, bien souvent, baisse du chiffre d’affaires et de la productivité) en raison en particulier de la suré-
valuation des entreprises acquises, de la difficulté à concilier des cultures de management et de gouvernance différentes,
de la prédominance d’une logique financière ou boursière sur la logique industrielle.

144 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


dans lesquels le mouvement de déréglementation amorcé depuis les années 1980 dans
les pays capitalistes développés a été particulièrement net, comme les services finan-
ciers, les télécommunications et les médias20 ainsi que l’armement et le secteur pétrolier
(graphique 3.4), secteurs « où le jeu concurrentiel évolue rapidement et qui connaissent
d’importantes réorganisations des actifs des entreprises » (Sachwald, 2002, p. 37). Elles
ont abouti à la restructuration de nombreuses entreprises et « redessiné les contours de
secteurs entiers » d’activité à l’échelle mondiale (id., p. 35).
• Les fonds d’investissement (cf. infra) jouent un rôle croissant dans la nouvelle vague de
fusions-acquisitions. En 2006, selon une étude du Boston Consulting Group, ils ont re-
présenté 25 % du montant total des transactions contre 6 % en 2001 (Le Monde, 27-06,
2007, p. 12).
GrAPhIqUE 3.4
Répartition des fusions et acquisitions au niveau mondial selon les secteurs (en
milliards de dollars)

Source : Bloomberg, Banque de France.

Cet essor considérable des fusions-acquisitions a été permis et soutenu par une conjonc-
tion de facteurs favorables.
Il est directement en rapport avec l’affirmation du processus de mondialisation et, dans ce
contexte, des progrès de l’intégration économique régionale, marqués par l’affirmation
de ces grands ensembles économiques et financiers régionaux que sont l’Europe (Union
européenne), l’Amérique du Nord (ALENA) et l’Asie (ANSEAN). Cela a pour conséquence
d’accroître la dimension des marchés sur lesquels les firmes peuvent opérer ainsi que le
nombre et la puissance des concurrents qu’elles ont à y affronter, ce qui leur impose d’ac-
croître leur taille de manière à réaliser des économies d’échelle, sources d’efficacité et de
compétitivité accrues (Huart, 2000, p. 32).
Il est également conditionné par les progrès gigantesques réalisés dans le domaine des
technologies de l’information et de la communication qui ont fourni le support matériel
indispensable à l’essor des mouvements internationaux de capitaux, tout en augmentant

20 En 2004, les fusions-acquisitions transfrontières, qui se sont élevées en tout à 381 milliards de dollars, ont concerné le
secteur tertiaire pour 63 % de leur valeur totale.

La mondialisation 145
parallèlement « le degré de liberté des entreprises en termes de choix de localisation de
production et de réseaux de commercialisation » (Albacas, 2002, p. 20).
Mais la taille croissante des marchés et les mutations techniques ne suffisent pas à tout
expliquer. Les fusions-acquisitions sont aussi, pour partie, le résultat de la globalisation
financière qui s’est imposée depuis le début de la décennie 1990. Le mouvement de li-
béralisation des marchés de capitaux qui s’est engagé dans les pays anglo-saxons dès la
fin des années 1970 et le début des années 1980, et les multiples innovations financières
qui l’ont accompagné ont conféré aux entreprises des degrés de liberté accrus, tout en
leur fournissant les moyens financiers nécessaires à la conduite de leurs opérations de fu-
sions-acquisitions ; tandis que disparaissaient, dans la plupart des pays, les obstacles régle-
mentaires aux investissements internationaux subsistant encore. L’intégration financière
internationale et la constitution d’un marché mondialisé des capitaux aboutit, en outre,
à accroître le pouvoir des actionnaires au sein des firmes (Huart, 2000, p. 33). Or, pour les
dirigeants des entreprises, les opérations de concentration sont un moyen de satisfaire les
exigences de profit de ces actionnaires : le plus souvent un taux minimum de rendement
sur les fonds propres de 15 %. Elles permettent de restructurer les firmes en profondeur et
de réduire ainsi les coûts de production (réduction des effectifs employés en supprimant
les « doubles emplois », y compris de cadres, externalisation de certaines activités, etc.).
Elles peuvent également susciter une hausse des cours boursiers des actions des entreprises
concernées par ces opérations et permettre ainsi de réaliser une plus-value immédiate (id.,
p. 33). Même si, comme le soulignent divers travaux, les résultats pour les actionnaires des
grandes opérations de concentration réalisées à la fin de la décennie 1990 n’ont pas tou-
jours été à la hauteur des espérances de ceux qui les avaient engagées21.
L’essor des fusions-acquisitions s’analyse également comme une réponse aux difficultés
récurrentes caractéristiques du contexte de crise durable et comme la recherche par les en-
treprises de solutions à ces difficultés. Ces solutions passent par la constitution de firmes de
plus en plus puissantes, capables d’exercer un réel pouvoir de marché , qui aient les moyens
de réaliser les innovations de procédés, de produits et organisationnelles nécessaires, dans
un contexte d’accélération du changement technique et d’évolution rapide des modes
de consommation, pour préserver les positions acquises dans les branches d’activité déjà
matures et s’ouvrir de nouveaux marchés. Des firmes qui soient également capables de
réagir rapidement et efficacement à toutes les opportunités nouvelles susceptibles de se
présenter, ainsi qu’aux modifications incessantes de leur environnement.
De fait, le formidable mouvement de concentration du capital qui s’est ainsi développé
depuis près de vingt ans à l’échelle internationale avec les multiples fusions-acquisitions
transfrontières s’est traduit par une hausse du « degré de monopole »22. Il a abouti dans
les principaux secteurs d’activité à la constitution d’un nombre limité de très grandes en-
treprises en position d’oligopole, disposant de marges de manœuvre accrues vis-à-vis des

21 E. Leser (2004, p. 18) souligne ainsi que « la plupart des grands mariages des années passées ont laissé des souvenirs
cuisants aux actionnaires ».
22 C’est le constat fait par F. Chesnais (1999, p. 114-115), selon lequel cette hausse du degré de monopole pendant les deux
dernières décennies aurait pris deux formes principales. « La première se situe au niveau des groupes individuels et a
pris la forme d’un accroissement considérable dans le ‘‘résultat brut d’entreprise’’ des groupes, de l’élément ‘‘appropria-
tion de fractions de valeur produites par des firmes plus petites ou plus faibles dans leur capacité de négociation’’. (...)
La seconde forme est celle qui est exercée par les groupes monopolistes collectivement au travers des mécanismes de
‘‘reconnaissance réciproque’’ et de concurrence contrôlée qui caractérisent l’oligopole ».

146 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


États, et capables de contraindre ces derniers à prendre en charge la défense de leurs
intérêts spécifiques, en adoptant des réglementations et des mesures de politique écono-
mique nationale adaptées et en défendant des positions qui leur soient favorables dans les
négociations internationales.

C - Les firmes multinationales et le commerce mondial


De par leur nature même de firmes implantées dans plusieurs pays, les FMN sont en mesure
d’influer sur le montant et la structure des échanges commerciaux internationaux. Leur
développement constitue un facteur essentiel de croissance du commerce mondial. D’une
part, l’activité de ces firmes implique des flux d’échanges importants entre les différentes
unités qui les constituent. D’autre part, leur développement après la Seconde Guerre mon-
diale a constitué un vecteur essentiel de l’approfondissement de la division internationale
du travail. L’essor des FMN à stratégie productive, qui réalisent une division internationale
des processus productifs, explique en particulier le développement du commerce inter-
national « intra-branche » (c’est-à-dire d’échanges commerciaux internationaux portant
sur des produits qui relèvent de la même branche de production) et le fait que ce type
de commerce soit plus intense dans les branches caractérisées par une forte présence des
FMN. Il est significatif de ce point de vue que « les exportations mondiales de pièces et de
composants se sont développées au rythme annuel de 20 % dans les années 1982-2000 »
(Le Masne, 2004, p. 9).
De fait, une part essentielle des échanges commerciaux internationaux est aujourd’hui liée
aux FMN. En pratique, on peut distinguer dans le commerce mondial deux composantes
impliquant les FMN. La première correspond au commerce dit « captif » entre société mère
et filiales ou entre filiales de la même FMN. Il s’agit d’un pseudo commerce dans lequel
les « échanges » restent internes à chaque FMN. Les prix auxquels se font les transactions,
dits prix de transferts, sont des prix internes à la FMN concernée (d’une nature différente,
donc, des prix qui se fixeraient sur un marché par confrontation d’une offre et d’une de-
mande indépendantes) et sont établis de sorte à maximiser le profit global après impôts de
la firme. C’est bien entendu pour les produits qui se prêtent le mieux à une division inter-
nationale des processus productifs que la part du commerce captif dans le commerce mon-
dial total est la plus importante (électronique, automobiles... ). La seconde composante
correspond aux échanges qui s’effectuent entre des FMN différentes ou entre des FMN et
des entreprises indépendantes. Selon les estimations de l’ONU aujourd’hui disponibles, le
commerce intra-firmes représenterait le tiers du commerce mondial et les deux tiers des
échanges mondiaux seraient associés aux FMN. Pour les multinationales américaines, les
plus étudiées, les échanges intra-firmes représentent 25 % du total des exportations et
16 % des importations. Les échanges de multinationales américaines avec les entreprises
tierces à l’étranger représentent quant à eux 38 % des exportations et 21 % des importa-
tions des États-Unis (Mucchielli, 2002, p. 20). On estime par ailleurs qu’aujourd’hui « 48 %
des importations américaines et 32 % des exportations sont en réalité des transactions
entre sociétés appartenant à des groupes transnationaux. Et les pourcentages sont simi-
laires en France » (Duval, 2004, p. 33).

La mondialisation 147
paragraphe 2 : les investissements directs à l’étranger vecteurs
de la mondialisation

Les investissements directs à l’étranger (IDE) ont fortement progressé à l’échelle mondiale
au cours des trois dernières décennies (A). Ils présentent des caractéristiques qui reflètent
certains aspects du processus contemporain de mondialisation (B).
A – Le développement des investissements directs à l’étranger
Les IDE, tels qu’ils ont été définis antérieurement (tome 1, chapitre X)23, sont une réalité
historique très ancienne. Dès la fin du XIXe siècle s’est développée une première grande
vague d’IDE qui s’est prolongée sur les trente premières années du XXe siècle. Selon les
estimations de P. Bairoch, le stock des IDE représentait en 1913 environ 9 % de la produc-
tion mondiale, niveau qui ne sera retrouvé et dépassé que dans le courant de la décennie
1990. Selon les données de A. Maddison (2001), au cours de la période 1870-1913, les
exportations de capitaux représentaient annuellement de l’ordre de 3 à 6 % du PIB de la
France et de l’Allemagne et de 5 à 10 % du PIB de la Grande-Bretagne. Elles atteignaient
de l’ordre d’un quart à un tiers de l’investissement productif des pays neufs (Argentine,
Australie, Canada, Nouvelle Zélande) (Longueville, 2003, p. 3). Cette première grande va-
gue d’IDE fut marquée par la prédominance des investissements dans le secteur primaire
(développement des firmes multinationales spécialisées dans l’exploitation des ressources
naturelles), destinés à permettre l’approvisionnement en produits de base pour les pays
exportateurs de capitaux. Ce qui explique que ces investissements se soient orientés de
manière privilégiée vers les pays non ou peu industrialisés, et la part prépondérante de
l’Europe, fortement contestée par les États-Unis pendant la décennie 1920, dans la réalisa-
tion de ces investissements.
La période postérieure à la Seconde Guerre mondiale correspond à une nouvelle grande
vague d’internationalisation et de développement des IDE. On peut y distinguer deux
phases correspondant respectivement à la forte croissance économique des décennies 1950
et 1960, d’une part, et à la crise économique contemporaine, d’autre part. Si la période
des Trente Glorieuses a été marquée par le développement rapide des FMN, et en premier
lieu des firmes américaines, et l’expansion correspondante des IDE réalisés par ces firmes,
ce mouvement ne s’est pas interrompu avec l’entrée de l’économie occidentale dans la
crise économique durable de la fin du XXe siècle. Le stock mondial d’IDE est ainsi passé de
6,7 % du PIB mondial en 1980 à 22,3 % du PIB mondial en 2002 (graphique 3.5). Mesuré en
dollars courants, il a progressé de 11,5 % par an en moyenne entre 1982 et 2002 et a été
multiplié par 9 (de 802 milliards de dollars en 1982 à 7 123 milliards de dollars en 2002). Il
est passé, toujours de 1980 à 2002, de 6,2 % à 31,4 % du PIB pour l’Europe occidentale, de
4,5 % à 14,1 % du PIB pour l’Amérique du nord et de 12,6 % à 36 % du PIB pour les pays
du sud).

23 Rappelons qu’il y a IDE lorsque les résidents d’un pays donné acquièrent dans un autre pays des actifs qu’ils gèrent
(exploitent) directement. Ils peuvent prendre trois formes l’acquisition d’une partie du capital d’une firme préexistante
suffisante pour exercer un contrôle sur cette firme ; le réinvestissement sur place de tout ou partie des profits réalisés
par une filiale implantée à l’étranger ; les prêts réalisés entre une société mère et ses filiales.

148 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 3.5
Stock mondial d’investissements à l’étranger : 1980-2002

*Non compris la Belgique et le Luxembourg


Sources : Tableaux de l’économie française 2004/2005, p. 141.

La croissance du flux d’IDE à l’échelle mondiale a été particulièrement forte au cours de la


seconde moitié des années 1990. Les IDE sont alors passés d’un peu plus de 300 milliards
de dollars en 1995 (25 milliards de dollars en 1973 et 43 milliards de dollars en moyenne
annuelle en 1981-1985) à 611 milliards en 1998 et 1 409 milliards en 2000 (CNUCED, 2006).
Cette évolution est liée au caractère soutenu de la croissance économique mondiale pen-
dant cette même période. Elle est liée également, et surtout, au développement considé-
rable des fusions-acquisitions transfrontières, caractéristique la plus marquante du puis-
sant mouvement de concentration du capital, sans comparaison dans le passé, qui s’est
affirmé au cours de la décennie 1990, ces fusions-acquisitions transfrontières atteignant
1 100 millions de dollars en 2000 (7 900 opérations).
L’année 2001, dominée par l’éclatement de la bulle financière liée à la « nouvelle écono-
mie », a été marquée par un brutal retournement de tendance avec une baisse très mar-
quée du flux mondial d’IDE qui s’est prolongée en 2002 puis en 2003, année où le montant
total mondial des IDE a été ramené à 557 milliards de dollars24, soit sensiblement moins de
la moitié du niveau atteint en 2000. Cette baisse a été associée à un recul très important
des fusions-acquisitions transfrontières dont le montant total est revenu de 1 100 milliards
de dollars en 2000 à 594 milliards de dollars en 2001, puis 370 milliards de dollars en 2002.
Ce recul des fusions-acquisitions transfrontières ayant été, selon la CNUCED, « accentué
par un ralentissement de la restructuration des sociétés » et « aggravé par une pause dans

24 Il s’agit du flux mondial des entrées d’IDE, c’est-à-dire des flux d’IDE comptabilisés à l’entrée des pays où ils sont réalisés.
Les IDE sont également comptabilisés à la sortie des pays d’où ils proviennent, le montant mondial respectivement des
entrées d’IDE et des sorties d’IDE ne correspondant pas nécessairement de manière précise en raison des différences de
sources à partir desquelles les unes et les autres sont comptabilisées.

La mondialisation 149
le processus de privatisation » (CNUCED, 2003, p. 18). Ce retournement de tendance, « le
plus marqué des trois dernières décennies », résulte non seulement de l’effondrement
des marchés boursiers et de la récession économique du début des années 2000, mais
également de « facteurs microéconomiques (faibles bénéfices des sociétés, restructura-
tions financières et institutionnelles, achèvement du processus de privatisation, perte de
confiance résultant des scandales financiers et de la disparition d’un certain nombre de
sociétés importantes) » (id., p. 14).
L’évolution s’est inversée en 2004, le montant total des entrées d’IDE revenant à 710,8
milliards de dollars25. Le redressement s’est poursuivi en 2005, avec un total mondial d’en-
trées d’IDE de 916 milliards, ce nouvel essor de l’IDE étant dû à « la multiplication des
fusions-acquisitions internationales, notamment parmi les pays développés », ainsi qu’au
« dynamisme économique de bon nombre de PED et de pays en transition » (CNUCED,
2006, p. 21). Les PED ont en effet profité de cette relance de l’IDE. Ils ont reçu à ce titre
396,6 milliards de dollars de capitaux (rachats d’entreprises, d’actions, prêts et investisse-
ments physiques) en 2004 et 490,5 milliards de dollars en 2005. Mais l’essentiel de ces IDE
continue à se concentrer sur un tout petit nombre de pays, 10 pays (Chine, Russie, Brésil,
Mexique, République tchèque, Pologne, Chili, Afrique du Sud, Inde et Malaisie) absorbant
65 % du total des IDE destinés aux PED.

B – Les caractéristiques des investissements directs à l’étranger


Les IDE sont au premier chef l’affaire des pays développés qui occupent une place prépondé-
rante dans la réalisation et dans l’accueil des IDE. Au sein des pays développés, les États-Unis
et le Royaume-Uni se détachent nettement des autres pays, comme en attestent les données
concernant les stocks d’IDE entrants et sortants des principaux pays développés (tableau 3.2).

TAbLEAU N 3.2
Indicateurs d’ouverture des pays aux investissements directs étrangers (IDE)

Stocks d’IDE en
Pays hôtes
% du PIB Japon 0,3 0,3 1,1
1980 1990 2000 Pays en
9,9 12,7 30,6
Monde 6,1 8,7 18,8 développement
Pays développés 5,0 7,9 15,6 Mexique 3,6 8,5 16,9
Etats-unis 3,0 6,9 12,4 Brésil 7,4 8,0 33,1
union européenne 6,1 10,6 30,3 Chine 3,1 7,0 32,3
France 8,2 8,2 19,9 Taiwan 5,8 6,1 9,0
Allemagne 3,9 7,1 24,1 Inde 0,6 0,5 4,1
Grèce 9,3 9,4 11,1 Thaïlande 3,0 9,6 20,0
Irlande 7,9 7,2 68,2 Hongrie - 1,7 43,4
Royaume-uni 11,8 20,6 30,5 Pologne - 0,2 21,3

Les IDE proviennent pour l’essentiel des pays développés où les FMN ont leur siège. Même
si la situation est susceptible de varier d’une année sur l’autre, les États-Unis sont en
moyenne depuis le début des années 1980 le premier pays d’origine des IDE qui se réalisent
dans le monde (graphique 3.6).

25 En 2004, le stock mondial d’IDE était estimé à 9 000 milliards de dollars (CNUCED, 2005, p. 22).

150 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 3.6
Flux d’investissements directs sortants des principaux opérateurs mondiaux en
2003 et 2004

milliards de dollars
229,3
États-Unis 119,4
65,4
Royaume-Uni 66,5
59,0
Luxembourg 101,0
54,2
Espagne 30,8
47,8
France 53,1
30,0
Japon 28,1
26,1
Belgique 36,9
15,1
Suède 2004
21,2
2003
1,5
Pays-Bas 37,8

Source : Tableaux de l’économie française 2006, p. 141

Mais, de même qu’ils proviennent en très grande majorité des pays développés, les IDE
sont principalement réalisés dans les pays développés. Traditionnellement, les flux d’IDE
vers les pays développés prédominent très largement sur ceux qui se dirigent vers les pays
en développement (PED). Selon la CNUCED, en 2000, 80 % des IDE ont ainsi eu pour desti-
nation des pays développés (États-Unis, Union européenne, Japon, autres pays développés)
contre 18,9 % seulement qui se sont dirigés vers les PED. Entre 1994 et 1999, en moyenne
annuelle, ce sont de l’ordre de 68 % du total mondial des IDE qui se sont dirigés vers les
pays développés contre 30 % seulement vers les PED (CNUCED, 2006, p. 22). On estime
que, pendant la décennie 1990, les pays du Sud « n’ont reçu (...) qu’environ 120 milliards
de dollars chaque année au titre des investissements internationaux » (Clerc, 2004. p. 30).
De surcroît, 75 % de ces investissements ont été concentrés sur cinq pays seulement, tandis
que l’Afrique sub-saharienne ne recevait que 0,1 % du total des investissements interna-
tionaux réalisés en 2002 (id., p. 30).
Au cours des premières années de la décennie 2000, la part des IDE se dirigeant vers les
pays développés a cependant baissé, revenant à 55,7 % du total mondial des entrées d’IDE
en 2004 (59,2 % en 2005), tandis que celle des PED augmentait sensiblement pour at-
teindre 38,7 % du total mondial en 2004 (36,5 % en 2005) (CNUCED, 2006, p. 22). La
part des États-Unis dans les entrées mondiales d’IDE a sensiblement diminué. Après avoir
atteint en moyenne 22,3 % du total des entrées mondiales d’IDE entre 1994 et 2000, leur
part est revenue à 19,2 % en 2001 puis à 10,8 % en 2005. Parallèlement, la part de l’Union
européenne qui était en moyenne annuelle de 38,4 % en 1994-1999 est passée à 49,4 %
en 2000 et 46 % en 2005.
Néanmoins, l’intensité de l’ouverture des différentes économies nationales aux investisse-
ments directs étrangers est sensiblement plus forte pour les PED que pour les pays dévelop-

La mondialisation 151
pés. Selon les statistiques de la CNUCED, le stock d’IDE dans les pays développés est passé
de 6,1 % à 18 % du PIB entre 1980 et 2000. Parallèlement, il est passé dans les PED de 9,9 %
à 30,6 % du PIB, la décennie 1990 ayant été marquée par une très forte augmentation de
l’ouverture des PED aux investissements étrangers (tableau 3.3). Cette différence d’ouver-
ture aux IDE des PED et des pays développés est confirmée par les valeurs respectives pour
ces deux groupes de pays des indices d’ouverture aux multinationales des pays d’accueil
calculés par la CNUCED. Pour un pays donné, l’indice d’ouverture correspond à la moyenne
de quatre indices partiels : le montant des flux d’IDE entrant dans le pays en proportion
de sa formation brute de capital fixe (FBCF), le montant du stock d’IDE en proportion
du PNB du pays, la valeur ajoutée créée par les filiales des FMN implantées dans le pays
en pourcentage du PNB du pays, la part de l’emploi représentée par les filiales de FMN
dans l’emploi total du pays. Cet indice, qui est calculé pour 72 pays, s’élevait en 1998, en
moyenne, à 15 % pour les pays développés, 18 % pour les PED et 10 % pour les économies
en transition26.

TAbLEAU 3.3
Stocks des investissements directs* pour différents pays au 31-12-2001

Investissements à l’étranger Inv . en provenance de l’étranger


Mds d’euros % PIb Mds d’euros % PIb
États-unis 1 841,7 16,1 1 700,8 14,9
Royaume-uni 1 027,1 62,9 625,5 38,3
France 555,4 38,0 327,9 22,4
Allemagne 573,4 27,7 514,0 24,8
Pays-Bas 373,7 87,1 323,8 75,5
Japon 343,0 7,8 57,5 1,3
Canada 276,6 35,7 228,0 29,4
Italie 206,9 17,0 122,5 10,0
Espagne 215,4 33,1 186,6 28,6
*Valeur comptable

Il faut souligner par ailleurs que, si les IDE proviennent principalement des pays dévelop-
pés (83 % du total mondial en 2005 et 88 % en moyenne annuelle entre 1994 et 1999),
la part des IDE en provenance des PED tend à augmenter : 11,7 % du total mondial en
moyenne annuelle en 1994-1999 et 15,1 % en 2005 (CNUCED, 2006, p. 22).
Par ailleurs, les flux d’IDE n’ont pas le même contenu selon les pays vers lesquels ils se di-
rigent. Les IDE réalisés dans les pays développés correspondent souvent à des opérations
de fusions-acquisitions transfrontières avec prise de contrôle d’entreprises préexistantes :
processus de croissance externe de la firme qui effectue l’IDE. Par contre, ceux qui sont réa-
lisés dans des PED correspondent plus souvent à l’implantation de nouvelles filiales, avec
création des unités de production correspondantes.
26 À l’intérieur d’un même groupe de pays, la valeur de l’indicateur fluctue cependant fortement, de 2 % à 34 % pour les
pays du Nord, entre 3 % et 54 % (Hong Kong) pour les pays du Sud et entre 2 % et 20 % pour les pays en transition, ce
qui dénote une forte disparité dans l’ouverture des différents pays à l’investissement international (Mucchielli, 2002,
p. 19).

152 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Si les IDE ont traditionnellement concerné principalement le secteur primaire et l’industrie,
une évolution importante s’est produite au cours des deux dernières décennies. La part du
secteur des services est en très nette augmentation et dépasse aujourd’hui celle de l’indus-
trie manufacturière puisque, dès 1999, « 50,3 % de l’IDE mondial se trouvaient dans les
services, 41,6 % dans l’industrie manufacturière et 8,1 % pour les produits primaires » (Le
Masne, 2004, p. 12)27.
Parallèlement à la croissance des IDE, il s’est produit une croissance également très forte
des investissements de portefeuille, ce que certains auteurs analysent comme la mani-
festation de la place croissante qu’occupent les préoccupations financières, au détriment
éventuellement des préoccupations industrielles et productives, dans la définition de la
stratégie des firmes. Quoi qu’il en soit, cette forte croissance des IDE, et en parallèle des
investissements de portefeuille, s’accompagne naturellement, pour les pays exportateurs
de capitaux, de l’augmentation des revenus du capital reçus du reste du monde. Pour les
États-Unis, ces revenus qui représentaient 1,2 % du PIB américain en 1970 sont passés à
2,9 % du PIB en 1980, 3,8 % en 2000, et 2,8 % en 2002. Pour la France, dont les exporta-
tions de capitaux (IDE et investissements de portefeuille) ont très fortement progressé au
cours de la dernière décennie, les revenus de capitaux reçus du reste du monde sont passés
de 1,7 % du PIB en 1978 à 3 % en 1980 et en 1990 et à une moyenne de 5,2 % en 2000-
2003 (id., p. 7).

Pour ce qui est plus spécifiquement de la France, il faut souligner qu’elle tient depuis une
dizaine d’années une place de choix dans les flux mondiaux d’IDE (entrants et sortants)
(graphique 3.7). Elle a reçu successivement 65,2 et 64,6 milliards d’euros d’IDE en 2005
et 2006. Parallèlement, les entreprises françaises ont réalisé 97,3 et 91,7 milliards d’euros
d’investissements directs à l’étranger, respectivement en 2005 et en 2006. En 2006, le stock
des investissements directs français réalisés à l’étranger s’élevait à 800,9 milliards d’euros,
soit 43 % du PIB de la France, tandis que les investissements directs étrangers en France
s’élevaient à 585,5 milliards d’euros (32,4 % du PIB) (tableau 3.4).

27 Les services, services financiers inclus, représentaient en 2004 « l’essentiel du stock mondial d’IDE » (CNUCED, 2005, p. 24).

La mondialisation 153
GrAPhIqUE 3.7
Flux d’investissements directs entre la France et l’étranger : 1990-2007

TAbLEAU 3.4
Investissements directs étrangers en France et français à l’étranger

2006
1993 2000 2001 2002 2003 2004 (r) 2005 (r)
(p)
Investissements étrangers en France (1)
Stocks (2)
(en 121,4 279,2 335,1 367,3 417,8 471,2 532,4 585,8
milliards d’euros)
Entreprises rési-
7 170 9 486 11 779 10 713 11 828 11 788 11 450 12 051
dentes investies
Investisseurs non
8 557 10 629 13 143 12 029 12 601 13 179 12 736 12 039
résidents
Investissements français à l’étranger (1)
Stocks (2)
142,7 478,3 577,4 559,1 573,6 620,7 736,2 800,9
(en milliards d’euros)
Entreprises non
8 460 9 418 9 418 5 866 5 333 4 978 4 687 4 110
résidentes investies
Investisseurs rési-
2 216 1 939 2 020 1 267 1 182 1 119 1 040 949
dents
r : données révisées. p : données provisoires. (1) : au 31 décembre. (2) : stocks en valeur comptable.
Champ : France.
Source : Banque de France. INSEE, Tableaux de l’Economie française 2007, site web de l’INSEE.

*
De nombreux travaux soutiennent que la mondialisation commerciale et productive
serait « un jeu à somme positive » en raison, plus particulièrement et simultanément :
1) de la réalité de la loi des avantages comparatifs ;

154 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


2) de l’existence de rendements croissants, qui sont liés à la concentration productive
qu’elle induit (augmentation de la taille des entreprises qui se recentrent sur leur(s)
métier(s) de base en se tournant parallèlement vers des marchés mondialisés) ou à « la
concentration géographique de plusieurs productions liées » (Andréani, 2001, p. 60) ;
3) de la possibilité pour tous les pays de bénéficier des gains de productivité grâce à leur
diffusion par le biais du commerce international. C’est un fait que même certains pays
du Tiers-monde en ont tiré un réel avantage. C’est le cas en particulier de la Corée du
Sud ou de Taïwan, dont le produit par tête est aujourd’hui comparable à celui de l’Es-
pagne (Clerc, 2004, p. 30). C’est également le cas de la Chine dont le taux de croissance
annuel moyen dépasse les 10 % depuis plus de 15 ans. En soulignant cependant que,
pour ces pays, l’ouverture au commerce mondial ne s’est généralement faite qu’après
une phase de protection préalable leur permettant de se doter des armes de la compé-
titivité.
Mais, si cette mondialisation commerciale et productive peut s’avérer bénéfique, il ne faut
cependant pas en sous-estimer les risques. À l’opposé des pays cités ci-dessus, d’autres
en ont subi des contrecoups sévères, à l’image de l’Argentine victime d’une crise parti-
culièrement grave à la fin des années 1990 et dont le PIB avait diminué de près de 30 %
entre 1999 et 2002 (id., p. 31). Les IDE qui sont le vecteur de la mondialisation productive
peuvent, certes, permettre aux pays d’accueil de bénéficier d’apports de technologie et de
savoir-faire ainsi que de la création d’emplois, mais ils peuvent également faire disparaître
dans ces pays des productions locales et les emplois correspondants. Ils peuvent égale-
ment constituer le moyen par lequel les pays d’accueil se voient contraints de démanteler
des dispositifs de protection (commerciale, sociale) préexistant et de se plier aux règles,
« ou plutôt (à) l’absence de règles, d’un capitalisme sauvage (…), sous la menace d’une
délocalisation vers des pays à salaires et conditions de travail encore plus bas » (Andréani,
2001, p. 62)28. Quant à la mondialisation commerciale, qui aboutit à mettre en concurrence
sur un marché mondial largement dominé par les FMN globalisées des productions issues
d’économies inégalement développées et ayant des niveaux de productivité différents,
elle peut aboutir à la ruine des productions locales, avec toutes les conséquences négatives
qui en résultent. Selon F. Chesnais, c’est, par exemple, ce qui s’est produit pour l’industrie
et l’agriculture mexicaines par suite de la libéralisation qui a accompagné la création de
l’ALENA réunissant les États-Unis, le Canada et le Mexique29. Et il ne fait guère de doute
que la crise alimentaire mondiale actuelle a partie liée avec la régression dans de nom-
breux pays du Tiers-monde des cultures vivrières dont la mondialisation est directement
responsable.
Quoi qu’il en soit, si la mondialisation productive et commerciale peut présenter des as-
pects bénéfiques, cela est beaucoup plus douteux pour ce qui est de la mondialisation
purement financière.

28J . Fayolle souligne pour sa part que « l’intégration des marchés met en cause les modes de socialisation et les droits
collectifs acquis au niveau national. (...) C’est un mode d’articulation des normes sociales et marchandes, encadré par les
institutions de l’État-nation, protégé par les barrières à la concurrence et par l’autonomie monétaire nationale, qui est
mis en cause. La détermination des salaires nationaux devient beaucoup plus directement contrainte par la concurrence
internationale sur les prix et plus sensible aux distorsions et fluctuations des taux de change » (2002-3, p. 19-20).
29 Comme l’explique l’auteur : « Ce modèle, tant célébré par l’OMC, a plongé le Mexique dans une spirale de recul de la
production, de déchirure du tissu productif et du tissu social et de montée vertigineuse du chômage et de la pauvreté »
( Chesnais, 1999, p. 110-111).

La mondialisation 155
Section 2 : La mondialisation financière

Pour nombre d’auteurs, c’est dans la sphère financière que le processus de mondialisation
est aujourd’hui le plus avancé30, la mondialisation/globalisation financière prenant directe-
ment appui sur ce que H. Bourguignat (1995) dénomme les « trois D » : déréglementation,
décloisonnement et désintermédiation.
Selon J.-B. Ferrari (2000, p. 29), cette mondialisation financière correspond au « processus
d’intégration des systèmes monétaires et financiers nationaux » et à « la formation d’un
espace financier mondial ». Celui-ci présente trois caractéristiques majeures :
1) c’est un « ensemble asymétrique » en raison du poids et de la puissance exceptionnelle
du système financier américain ;
2) sa régulation est très problématique par suite de la faiblesse du pouvoir dont disposent
réellement les autorités de tutelle et de contrôle ;
3) son unité, permise techniquement par les possibilités qu’offre l’usage intensif des NTIC,
est assurée par les acteurs financiers eux-mêmes et en particulier les investisseurs insti-
tutionnels « au travers des arbitrages qu’ils peuvent effectuer entre les différents seg-
ments du marché et entre les devises » (id., p.29). Avec cette mondialisation financière
s’est ainsi mis en place ce que l’on peut considérer comme un véritable système financier
mondial échappant au contrôle des États.
Si le caractère réellement nouveau de la mondialisation financière est discuté, il y a ce-
pendant un large consensus des analystes pour y voir la traduction de la puissance retrou-
vée du capital financier en liaison avec un essor considérable des marchés de capitaux
(§ 1). Ces marchés sont de plus en plus dominés par une catégorie particulière d’agents
économiques, les investisseurs institutionnels dont le poids financier considérable permet
d’influer directement sur le cours de la vie des entreprises (§ 2). Les avantages supposés de
cette mondialisation financière ne peuvent en faire oublier les risques et les limites (§ 3).

paragraphe 1 : la montée en puissance du capital financier et


des marchés de capitaux
Certains auteurs relativisent le caractère réellement novateur du mouvement contemporain
de mondialisation/globalisation financière. R. O. Kechane et J. S. Nye Jr. (2000, p. 60-61) sou-
lignent ainsi que « les marchés de capitaux étaient dans une certaine mesure plus intégrés
au début qu’à la fin du XXe siècle. Les sorties nettes de capitaux de Grande-Bretagne sont
montées en moyenne à 5 % du PIB pendant les 40 années qui ont précédé 1914, contre 2
à 3 % au Japon lors des 10 dernières années ». Pour la France, le stock de capitaux placés à
l’étranger représentait en 1913 de l’ordre de 20 % du PIB et les flux annuels nets de place-

30 À titre d’illustrations, Moreau-Defarges (2001, p. 35) explique ainsi que « le domaine financier émerge comme le
premier champ réellement mondialisé », tandis que, selon Batsch (2002, p. 59), « ce sont les mouvements de capitaux
et l’harmonisation des places financières qui sont l’innovation majeure de la fin du XXe siècle » (cf. également Serfati,
1997, Chesnais, 1997, etc.).

156 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


ments à l’étranger (déduction faite des dividendes perçus et des remboursements) approxi-
mativement 3 % du PIB (Berger, 2003). Selon M. Flandreau et C. Rivière (1999), l’intégration
financière s’affirme dès le XIXe siècle. Elle a ensuite été bloquée par la Première Guerre mon-
diale, à partir de laquelle s’ouvre un épisode de désintégration financière qui se prolonge
jusqu’à la disparition du système monétaire international de Bretton Woods. Elle a repris à
partir du début des années 1980 et s’est renforcée essentiellement entre les principaux pays
développés. De même P. Hirst et M. Thompson (1996) considèrent que la mondialisation
contemporaine ne diffère pas réellement de l’internationalisation qui s’était affirmée de la
fin du XIXe siècle à la Première Guerre mondiale (cf. sur ce point Sachwald, 2004, p. 21).
Reste que la réalité de ce mouvement contemporain de mondialisation/globalisation finan-
cière ne peut être contestée. Ce mouvement s’est amorcé dès les années 1960 avec la forma-
tion en Europe du marché des eurodollars, suivi par l’abandon en 1973 des taux de change
fixes instaurés par le système monétaire international de Bretton-Woods, puis le recyclage
des pétrodollars (c’est-à-dire les dollars amassés par les pays exportateurs de pétrole après
les hausses du prix du pétrole de 1973 et 1979), qui a débouché sur la crise d’endettement
des pays du Sud des années 1980 et la « polarisation financière Nord-Nord » (Adda, 1996).
Son accélération à partir des années 1980 tient à plusieurs facteurs :
1) les politiques de déréglementation des marchés nationaux de capitaux qui ont été ini-
tiées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, puis se sont ensuite généralisées à l’en-
semble des pays développés, avant que le FMI ne les impose également aux pays émer-
gents ;
2) le développement d’un puissant mouvement d’innovation financière, associé à la dé-
réglementation des marchés, avec en particulier la création des marchés de produits
dérivés stimulés par la volatilité des taux de change et des taux d’intérêt ;
3) le renforcement de la finance directe (financement par émission de titres sur les marchés
de capitaux), associé au développement du processus général de titrisation, c’est-à-dire
la transformation d’avoirs financiers divers en titres négociables sur des marchés, au dé-
triment de la finance indirecte ou intermédiée (financement par appel au crédit accordé
par les agents financiers) ;
4) le financement de la dette publique des grands pays développés qui se sont lourdement
endettés en recourant de manière croissante au financement sur le marché internatio-
nal des capitaux, soutenant et amplifiant ainsi l’essor de la finance internationale31.
Une véritable industrie financière s’est constituée et développée « autour de l’analyse
financière, des introductions en bourse, des financements complexes et de la gestion d’ac-
tifs » (Batsch, 2002, p. 63).
Cette mondialisation/globalisation financière correspond à une restauration de la puissance
du capital financier32, ce que P. M. Sweezy (1994) appelle le « triomphe du capital financier ».

31 Comme le souligne F. Sachwald (2004, p. 20), l’endettement international des États a fortement augmenté et « dans les
années 80 certains gouvernements ont cherché à avoir un accès aux marchés financiers pour financer leur dette dans de
meilleures conditions, ce qui a pesé en faveur de la libéralisation ». Il faut souligner en particulier le cas de l’endettement
des États-Unis, vers lesquels s’orientent des flux croissants de capitaux en provenance du monde entier, et qui se sont
hissés au premier rang des pays les plus endettés au monde (cf. infra, chapitre VI).
32 Cf. sur ce point en particulier : Duménil et Lévy (1999), Lordon (1999), Serfati (1999).

La mondialisation 157
Dans le contexte de l’après-seconde guerre mondiale, s’était formé dans la plupart des pays
capitalistes développés un « compromis keynésien » qui s’y était traduit en particulier par
la mise en place de systèmes financiers administrés par l’État. Conjugué à l’inflation, rédui-
sant les taux d’intérêt réels, que favorisaient des politiques monétaires accommodantes,
cela avait affaibli le capital financier et abouti à limiter son influence sur l’économie au
profit du capital industriel, lequel avait gagné en autonomie (Le Masne, 2001, p. 62). Ce
fut particulièrement net en France, avec la nationalisation des grandes banques de dépôt
et de la Banque de France, la séparation entre banques de dépôts et banques d’affaires et
le rôle central que joua alors le Trésor public dans les circuits de financement de l’écono-
mie. Mais le processus avait commencé aux États-Unis avec le New Deal et l’ensemble des
mesures aboutissant alors à réglementer fortement les activités bancaires et financières.
Cependant, dès les années 1960, s’amorce aux États-Unis un retournement de la tendance
que l’entrée dans la crise économique durable, à la fin des années 1960 et au début des an-
nées 1970, va accentuer. Le capital financier reprend progressivement le dessus33. Dans un
contexte d’accélération de l’inflation, les politiques économiques changent radicalement
de cap. Les politiques monétaires deviennent restrictives alors que les besoins en finance-
ment des États et des entreprises augmentent. La flambée des taux d’intérêt nominaux
qui en résulte se traduit par une forte hausse des taux d’intérêt réels (le taux d’intérêt réel
à long terme passe ainsi dans les pays du G7 de 0,5 % en moyenne annuelle au cours des
années 1970 à 6 % pendant la décennie 1980), ce qui pèse négativement sur la rentabilité
des entreprises dont le coût du capital se renchérit en proportion de cette hausse des taux
d’intérêt réels34.
Cette remontée en puissance du capital financier s’accompagne d’une croissance quasi
explosive des marchés de capitaux. Dans les 10 pays les plus riches du monde, la capitali-
sation boursière passe ainsi de 44 % de leur PIB en 1985 à 98 % en 1998 (Perspectives éco-
nomiques de l’OCDE, juin 2000) et, dans la zone euro, de 15 % du PIB au début des années
1990 a près de 85 % du PIB au pic de la vague spéculative de la « nouvelle économie ».
C’est le cas en particulier des marchés internationaux de capitaux, c’est-à-dire le marché
des prêts bancaires internationaux, le marché des obligations internationales et le marché
des instruments monétaires. Leur essor résulte principalement de la conjonction de trois
séries de facteurs (Plihon, 2001, p. 71) : 1) la diversification internationale de leur porte-
feuille par les investisseurs institutionnels ; 2) le mouvement considérable de fusions-ac-

33 Comme l’expliquent R. Farnetti et I. Warde (1997, p. 37), en faisant référence aux travaux de E. Helleiner (1994) : « D’une
part, (...) l’alliance entre les managers et les industriels américains qui avait permis lors du New Deal de contrôler le
pouvoir exorbitant des financiers, arriva à son terme au début des années 1960. Le renversement qui s’effectua alors
entre industriels et financiers se fit au profit de ces derniers avec une nouveauté de taille. D’autre part, les financiers
américains jetèrent leur dévolu sur la place financière londonienne pour contourner la tatillonne réglementation fédérale
en matière d’activité bancaire. Le marché monétaire et financier transnational des eurodollars, basé à Londres, donna
ainsi naissance à une communauté d’intérêts transatlantique, unissant capital financier américain et britannique. Cette
alliance forma les premiers linéaments d’un nouveau régime d’accumulation mondial à dominante financière et dont
les prétentions à remplacer le paradigme fordiste en voie d’épuisement se sont imposées de manière croissante à partir
du milieu des années 1970 environ ».
34 Comme le souligne P. Le Masne, cette hausse des taux d’intérêt réels qui, de faibles, voire négatifs, qu’ils étaient jusque
dans les années 1970, redeviennent fortement positifs, « manifeste le changement qui se produit dans les rapports de
force entre créanciers et débiteurs ; en liaison avec la réduction de l’inflation, et sur la base de taux d’intérêt élevés, le
capital financier retrouve toute sa puissance vis-à-vis des emprunteurs et de l’industrie. En Europe, les systèmes financiers
administrés sont progressivement remplacés par de nouveaux systèmes qui facilitent l’expansion du capital financier »
(Le Masne, 2001, p. 63).

158 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


quisitions qui s’est développé à l’échelle mondiale à partir de la seconde moitié des années
1980 et qui a nécessité la mobilisation de très importants moyens de financement ; 3) la
mise en place graduelle de l’Union économique et monétaire qui a agi comme un cataly-
seur dans le développement des opérations transfrontières en Europe.
Parallèlement, sur le marché des changes, le montant des transactions s’accroît de manière
vertigineuse. Selon les données établies par la Banque des règlements internationaux (sep-
tembre 2007), le montant des transactions quotidiennes sur le marché des changes est pas-
sé de 820 milliards de dollars en 1992 à 1 880 milliards en 2004 et 3 200 milliards de dollars
(2 265 milliards d’euros, soit 1,5 fois le PIB de la France) en avril 2007. Ces 3 200 milliards de
transactions quotidiennes sur le marché des changes, qui représentent plusieurs centaines
de fois le montant quotidien des échanges commerciaux internationaux réels, s’expliquent
par le développement des marchés de capitaux et le rôle qu’y jouent certaines catégories
d’opérateurs (comme les hedge funds) ainsi que par la place prise sur ces marchés par les
transactions sur de nouveaux instruments financiers35.
Cette croissance des marchés internationaux de capitaux est stimulée par la forte augmen-
tation sur ces marchés de l’offre de titres :
1) obligations émises par les États pour financer les déficits publics ;
2) actions émises par les entreprises qui cherchent à se procurer des fonds propres et/ou à
se désendetter de crédits bancaires à taux d’intérêt réels très élevés ;
3) actions mises en vente dans le cadre des opérations de privatisations réalisées dans les
pays industrialisés.
Tandis que s’accroît en parallèle la demande de titres émanant des ménages qui accordent
une place croissance aux placements en actifs financiers dans la gestion de leur patrimoine
afin de s’assurer des compléments de revenus lors de la retraite.
En même temps, s’est imposé le processus d’intégration financière par interpénétration
des différents marchés nationaux de capitaux, rendue possible en particulier par la sup-
pression du contrôle des changes qui a permis la mise en réseau et le regroupement des
bourses de valeurs, les émissions d’emprunts obligataires à l’échelle internationale, etc. La
mondialisation se caractérise ainsi par la constitution d’un véritable marché planétaire des
capitaux, connectant les uns aux autres l’ensemble des marchés financiers de différents
types et de différents pays.

paragraphe 2 : les investisseurs institutionnels

Ce marché mondial des capitaux est de plus en plus dominé par les grands investisseurs
institutionnels spécialisés dans la collecte et la gestion de l’épargne et en particulier de
l’épargne salariale : banques, fonds mutuels (SICAV, FCP en France, Mutuals Funds aux
États-Unis), compagnies d’assurances, fonds de pension, fonds d’investissement, hedge
funds et autres fonds souverains (A). Ces grands investisseurs exercent un contrôle de plus
en plus serré sur les entreprises où ils engagent leurs capitaux (B) et leur imposent un ob-
jectif de rentabilité élevée (C).

35 La BRI souligne à ce propos que le montant quotidien des opérations de gré à gré sur les produits dérivés a atteint 2 100
milliards de dollars en 2007 (contre 1 220 milliards de dollars en 2004).

La mondialisation 159
A – Fonds d’investissement, hedge funds et fonds souverains
En dehors des banques, compagnies d’assurances et fonds mutuels dont il a déjà été ques-
tion dans le tome 1 (cf. en particulier les chapitres VIII et IX) et des fonds de pension qui
seront présentés ultérieurement (cf. infra, chapitre VIII), trois catégories d’investisseurs ins-
titutionnels jouent un rôle plus particulièrement actif dans le processus de mondialisation
financière : les fonds d’investissements (a), les fonds spéculatifs ou hedge funds (b) et les
fonds souverains (c).

a - les fonds d’investissement


Les fonds d’investissement sont une nouvelle catégorie d’investisseurs apparue il y a une
trentaine d’années aux États-Unis. Le premier, le fonds Kohlerg, Karvis Roberts (KKR) du
nom de ses trois fondateurs, a été créé en 1976 et aurait réalisé depuis sa création 150
opérations pour un montant total de 280 milliards de dollars.
L’activité des ces fonds consiste à acquérir des entreprises qu’ils restructurent pour en
accroître la rentabilité et qu’ils revendent au bout de quelques années (3 à 5 ans) avec
plus-value. Dans bien des cas, ils empruntent pour financer les acquisitions et rembour-
sent les emprunts avec les revenus de l’entreprise acquise : on parle de leveraged buy-out
(acquisition à effet de levier). Dans ce cas de LBO, une holding est créée qui emprunte
pour acheter l’entreprise visée. Le fonds d’investissement proprement dit n’avance donc
qu’une fraction du coût total d’acquisition de l’entreprise cible (généralement moins d’un
tiers). Le reste est emprunté auprès des banques et sera remboursé en mobilisant les pro-
fits générés par l’entreprise qui remontent vers la holding, un élément attractif de cette
opération étant que les intérêts de la dette contractée et mise à la charge de l’entreprise
acquise sont déductibles de l’assiette fiscale de cette dernière (régime de « l’intégration
fiscale »). Dans certains cas, dans les années 1990, la dette mise à la charge de l’entreprise
achetée par ce procédé a pu représenter jusqu’à 90 % du prix d’acquisition. Les banques
prêtent d’autant plus aisément aux fonds d’investissement les sommes nécessaires aux LBO
que les taux d’intérêt pratiqués sur ces prêts (supposés plus risqués) sont plus élevés que
ceux accordés aux entreprises.
Les fonds d’investissement se comportent comme des actionnaires activistes dans les firmes
qu’ils rachètent, s’impliquant fortement dans la gestion de ces firmes. Leur objectif est la
revente de l’entreprise, restructurée et dynamisée de manière à en accroître fortement
la rentabilité, à un horizon de 3 à 5 ans au double au moins de sa valeur d’acquisition.
Cela passe généralement par des compressions d’effectifs et la réduction des avantages
acquis du personnel en place, même si l’Association française des investisseurs en capital
avance que les effectifs des quelques 4 800 entreprises françaises qui étaient sous LBO en
2004 et 2005 auraient augmenté de 4 % (ce qui laisse par ailleurs ouverte la question de
la nature de ces emplois), tandis que Georges Andus, auteur de Merchant of Debt (1992),
soutient que les fonds d’investissement ont contribué aux États-Unis à « dépouiller la classe
moyenne américaine au profit d’une élite dirigeante alliée à Wall Street ». Cela peut pas-
ser, également, par le changement de l’équipe de direction de l’entreprise achetée. Mais
en fait, le plus souvent, ces cadres dirigeants sont au contraire maintenus en fonction
et associés au capital de l’entreprise à des conditions avantageuses et, ainsi, directement
intéressés à la réussite de l’opération qui peut se solder pour eux par un enrichissement

160 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


rapide. Concrètement, les plus hauts dirigeants de la firme achetée (Président, Directeur
général, Directeur financier…) sont priés d’acheter des actions de la firme ou des bons
de souscription d’actions leur permettant d’acheter des actions à un prix fixé à l’avance
(généralement inférieur à la valeur réelle des actions au moment où la firme est acquise)
pour un montant total équivalent à un ou deux ans de salaire. Lorsque le fonds d’inves-
tissement revend l’entreprise, quelques années plus tard, les dirigeants doivent revendre
également leurs actions et perçoivent ainsi une partie de la plus-value dégagée par le LBO,
ce qui peut se traduire pour certains par un enrichissement considérable et constitue donc
une incitation très forte à faire réussir le LBO. D’autant que, en France, les gains réalisés
par ces dirigeants, qui sont en fait des salaires déguisés, ne sont pas soumis aux cotisations
sociales et sont imposés comme plus-value (soit à un taux de 27 %) et non pas comme sa-
laires (c’est-à-dire, dans ce cas, probablement au taux marginal de l’impôt sur le revenu,
qui est aujourd’hui de 40 %).
La puissance financière de ces fonds d’investissement est considérable. En 2006, ils ont levé
dans le monde plus de 430 milliards de dollars de fonds sur les marchés financiers (auprès
d’autres investisseurs institutionnels comme les fonds de pension, ou auprès de grosses
fortunes), la capacité d’action que leur donne les fonds ainsi levés étant démultipliée par
les emprunts qu’ils réalisent par ailleurs auprès des banques (plusieurs fois ce montant).
En 2006, les fonds d’investissement ont réalisé plus de 17 % des rachats d’entreprises ef-
fectués dans le monde, contre 4 % seulement en 2000. Le montant des opérations qu’ils
réalisent ne cesse d’augmenter. Au cours des toutes dernières années, les fonds qui avaient
longtemps privilégié les PME se sont attaqués à des entreprises de plus en plus grosses,
comme en atteste la taille de certaines opérations réalisées en 2006 et 2007. C’est ainsi que
les cinq plus importants LBO réalisés dans le monde en 2006 s’étageaient entre 26,8 mil-
liards et 32,5 milliards de dollars et, en France, entre 1,33 milliards et 7 milliards de dollars.
Des entreprises de la taille de celles du CAC 40 sont désormais des cibles potentielles de ces
fonds d’investissement.
Si la faiblesse des taux d’intérêt leur a été particulièrement favorable au cours des années
précédentes, la remontée de ces taux en 2006 et 2007 a été au contraire un élément de fra-
gilisation des fonds d’investissement engagés dans les opérations les plus risquées, l’effet
de levier de l’endettement (cf., tome 1, chapitre VIII) pouvant se retourner contre ses utili-
sateurs dès lors que les taux d’intérêt se redressent. D’autant plus que s’est développée la
pratique du LBO « secondaire » qui consiste à revendre l’entreprise au terme de l’opération
de LBO à un autre fonds d’investissement, et non pas à un industriel, ou à l’introduire en
Bourse. Ces LBO secondaires représentent en 2005, selon certaines estimations, de l’ordre
de 40 % du total des LBO. Avec l’éclatement de la crise des subprimes en juillet 2007, la
situation est devenue beaucoup plus difficile pour les fonds d’investissement adeptes du
LBO, les banques étant désormais très réticentes à prêter.

b – Les hedge funds


Les hedge funds (littéralement : fonds de couverture) ou fonds spéculatifs (en France on
parle aussi de « fonds alternatifs » ou « fonds de gestion alternative ») sont apparus aux
États-Unis dans les années 1950 et sont souvent enregistrés dans des paradis fiscaux. Ils sont
autorisés en France depuis 2003, mais encadrés par une réglementation qui distingue en fait

La mondialisation 161
trois grandes catégories de fonds dits « fonds à règles d’investissement allégées » (ARIA) :
ARIA simple, ARIA à effet de levier (pouvant emprunter sur les marchés jusqu’à quatre fois
le montant de leurs encours) et les ARIA 3 qui sont des fonds de fonds alternatifs. Cette
réglementation prévoit qu’ils ne peuvent collecter des fonds auprès des particuliers que si
ces derniers détiennent un portefeuille de titres d’un montant total d’au moins 1 million
d’euros, avec un apport minimum au fonds de 125 000 euros (10 000 euros pour les ARIA 3).
Ils sont à la recherche d’une performance « absolue », c’est-à-dire déconnectée de celle des
indices boursiers. À la différence des gestionnaires de fonds « classiques » dont l’objectif
est souvent de faire « aussi bien » qu’un indice boursier de référence, ils cherchent à faire
mieux que les indices. Il s’agit en fait pour eux de réaliser un rendement positif quel que
soit le sens dans lequel évoluent les marchés, y compris donc quand les marchés sont à la
baisse grâce, par exemple, aux ventes à découvert : ils vendent des titres qu’ils ne pos-
sèdent pas encore36. Leurs techniques de gestion sont donc très différentes de celles des
fonds mutuels classiques : arbitrage entre différentes places financières, arbitrage entre
différentes valeurs sur une même place, spéculation sur de possibles fusions-acquisitions
d’entreprises, vente de titres à découvert, financement de leurs opérations par emprunt…).
Ils utilisent très largement l’effet de levier, pouvant emprunter jusqu’à cinq ou dix fois
leurs fonds propres. Ce faisant, ils sont d’ailleurs potentiellement à l’origine d’un risque
systémique, le défaut d’un hedge fund étant susceptible de mettre en danger les banques
qui lui ont prêté, comme ce fut cas en 1998 avec la faillite du fonds américain LTCM (Long
Term Capital Management) qui a nécessité, pour éviter une crise financière, l’intervention
massive de la Banque de réserve fédérale américaine.
Ils opèrent sur tous les marchés : actions, obligations, dérivés de crédit, marché des changes,
matières premières, immobilier…). Ils ont profité pleinement du développement des pro-
duits dérivés dont ils ont par ailleurs été un vecteur très actif. Selon différentes estimations,
ils assureraient 40 % des transactions quotidiennes des bourses de Londres et de New York.
Leur gestion est généralement très opaque. Ils sont accusés, à juste titre, d’un manque de
transparence dans leur gestion comme dans leurs financements. La moitié d’entre eux ont
leur siège social dans des paradis fiscaux. En l’absence de statistiques officielles, ils sont
estimés à 9 767 dans le monde (600 en 1990), gérant un total de fonds estimé par le Hedge
Funds Research à 1 760 milliards de dollars en 2007 (soit deux fois plus qu’en 2001). Il faut
souligner que les fonds de pension n’hésitent plus aujourd’hui à placer une (petite) partie
de leurs liquidités dans ces hedge funds, tandis que certains investisseurs institutionnels
créent leurs propres fonds spéculatifs.

c – Les fonds souverains


Les fonds souverains sont des fonds d’investissement propriété d’États qui sont alimentés
par les réserves de change de ces derniers. Leur apparition remonte aux années 1950 : le
fonds souverain du KoweÏt a été créé en 1953. La période récente a été caractérisée par la
démultiplication et la montée en puissance très rapide de ces fonds souverains. Selon di-
verses estimations disponibles, ils géraient en 2007 entre 2 830 et 3 355 milliards de dollars

36 Le fonds vend à un certain prix des titres qu’il ne possède pas livrables à une certaine échéance en faisant le pari que les
cours des titres sur le marché au comptant vont baisser dans l’intervalle et qu’il pourra donc les acheter au comptant,
avant de les livrer à son acheteur, à un prix inférieur au prix auquel il les lui aura préalablement vendu.

162 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


(soit approximativement le double de ce que gèrent les hedge funds).
Les principaux fonds souverains sont ceux : des Émirats arabes unis (Abu Dhabi Investment
Authority, 875 milliards de dollars), de Singapour (Government of Singapore Investment
Corporation, créé en 1981, 330 milliards de dollars), de Norvège (Government Pension
Fund Global, créé en 1990, 322 milliards de dollars), d’Arabie Saoudite (divers fonds pour
un montant total de 300 milliards de dollars), du Koweït (KoweÏt Investment Authority,
créé en 1953, 250 milliards de dollars) et de Chine (China Investment Company, créé en
2007, 200 milliards de dollars). Une mention particulière doit par ailleurs être accordée à la
Chine dont le gouvernement avait annoncé en 2007 qu’un fonds souverain allait consacrer
chaque année de l’ordre de 300 milliards de dollars à des acquisitions à l’étranger (soit
chaque année environ l’équivalent de trois fois le plan Marshall évalué en dollars courants
d’aujourd’hui) (Lemaitre, 2007, p. 2).
Ils appliquent encore pour l’essentiel une stratégie de forte diversification de leurs inves-
tissements, plaçant leurs fonds dans un grand nombre d’entreprises dans lesquelles ils se
contentent d’un taux de participation au capital de quelques pour cents seulement. Selon
une enquête réalisée par le cabinet britannique Dealogic pour le compte du journal Le
Monde, leurs acquisitions dans l’économie occidentale au cours de la dernière décennie ont
progressé de manière spectaculaire, passant de 60 millions de dollars en 1995 à 429 millions
de dollars en 2000, 5,1 milliards de dollars en 2004, 18,5 milliards de dollars en 2006 et 54,1
milliards de dollars en 2007. Selon une estimation de la banque américaine State Street (juin
2008), l’ensemble des fonds souverains seraient en mesure de détenir 5,5 % du capital des
8 000 plus grandes entreprises mondiales cotées en Bourse37. Depuis l’éclatement de la crise
des crédits hypothécaires à risques (la crise des subprimes) à la mi-2007, certains d’entre eux
sont entrés dans le capital de très grandes banques sérieusement mises en difficulté par cette
crise. À titre d’exemple, le GIC de Singapour a engagé 6,6 milliards de dollars dans la banque
suisse UBS et devrait détenir à terme 9 % du capital de la banque.
Selon diverses estimations, leur puissance financière qui ne cesse de croître, stimulée jusqu’en
2008 par la hausse des cours mondiaux des matières premières et de la rente pétrolière,
pourrait se situer en 2015 dans une fourchette allant de 12 000 à 15 000 milliards de dollars38.

B – Les investisseurs institutionnels et les entreprises


La puissance des investisseurs institutionnels est considérable ; ils sont devenus les « maîtres
du monde »39. Selon les données dont fait état Batsch (2002, p. 18), le montant total des
actifs financiers détenus par les investisseurs institutionnels des pays de l’OCDE aurait aug-

37 Le Monde, 1er août 2008, p. 11.


38 Les estimations concernant la puissance financière des fonds souverains varient d’une source à l’autre. À titre d’exemple,
dans un rapport du 27 février 2008, la Commission européenne a évalué les actifs détenus par les fonds souverains entre
1 500 et 2 500 milliards de dollars et estime qu’ils pourraient atteindre 12 000 milliards de dollars en 2015 (c’est-à-dire
8 100 milliards d’euros).
39 Selon l’expression d’Andréani (2001, p. 49) qui souligne que les investisseurs institutionnels contrôlaient au début de la
décennie 2000, à l’échelle de la planète, un actif total s’élevant à 23 000 milliards de dollars, « soit plus que le PNB de
tous les pays industrialisés, ou encore l’équivalent de 20 000 francs pour chacun des 6 milliards d’habitants de la planète
(la moitié de cette somme étant détenue par les institutionnels américains) ». Par ailleurs, selon les sources fournies par
Hawley et Williams (2000), aux États-Unis, les investisseurs institutionnels qui détenaient 4 % du total des actions en
1945 et 25 % en 1975 en détenaient 48 % en 1998 (cité par Batsch, 2002, p. 113).

La mondialisation 163
menté en moyenne annuelle de 11 % entre 1991 et 1999. De sorte que, exprimé en pour-
centage du PIB des pays, le montant des actifs financiers détenus par les institutionnels
est passé au cours de cette période de 117 % à 227 % du PIB au Royaume Uni, de 126 % à
207 % du PIB aux États-Unis et de 56 % à 125 % du PIB en France (id., p. 18). Selon les esti-
mations de l’OCDE, les actifs financiers gérés par les investisseurs institutionnels s’élevaient
à 30 000 milliards de dollars dont près de la moitié était détenue par des investisseurs amé-
ricains (Plihon, 2001, p. 73). Moreau-Defarges (2001, p. 36) évaluait pour sa part à 1 000
milliards de dollars, soit près des deux tiers du PIB français, les actifs alors détenus par les
trois plus gros fonds de pension américains. En 2004, alors que 3 ans auparavant avait eu
lieu le krach boursier de la « nouvelle économie », l’actif des investisseurs institutionnels
représentait 150 % du PIB aux États-Unis, 140 % au Royaume-Uni, 100 % en France et en
Allemagne (Le Monde, 30-11, 2005, p. VI).
La crise boursière de 2001-2002 s’est cependant traduite mécaniquement, du fait de la
forte baisse des cours des actions, par une contraction de la richesse accumulée par ces
investisseurs institutionnels. Dans le cas des fonds de pension, leur valeur dans le monde a
baissé de 20 % entre 1999 et 2002, passant de 19 500 milliards de dollars à 15 700 milliards
de dollars. Par ailleurs, la valeur des actifs des 200 premiers fonds de pension américain a
baissé de 24 % entre le 30 septembre 2000 et le 30 septembre 200240
Ces investisseurs institutionnels, et en particulier les fonds de pension gérant la retraite de
leurs affiliés (cf. infra, chapitre VIII) visent le plus souvent la rentabilité financière à court
terme. Ils s’ingèrent de plus en plus dans la gestion des entreprises qu’ils financent en sous-
crivant à leurs émissions de titres et exercent une pression financière sur les dirigeants de
ces entreprises au détriment éventuellement de l’intérêt productif à moyen et long terme
de ces dernières et du pays où elles sont implantées41. Cela se traduit plus spécifiquement
par l’obligation faite aux entreprises que financent les investisseurs institutionnels, et en
particulier les fonds de pension, de se conformer aux règles de la corporate governance
(gouvernement d’entreprise) anglo-saxonne.
Celle-ci peut être définie comme « le cadre juridique et contractuel qui règle la coopération
et la coordination des organes de production, de gestion, de surveillance, ainsi que de tous
ceux qui ont des intérêts dans l’entreprise » (Gabel, 2002, p. 73). Dans les faits, elle concerne
plus spécifiquement l’organisation des relations qui doivent s’établir entre les dirigeants
des entreprises, les managers, et leurs propriétaires, les actionnaires. Elle s’est d’abord im-
posée dans le monde anglo-saxon avant de gagner l’Europe continentale. Elle a été initiée
et imposée par les milieux financiers qui ont analysé les difficultés que connurent les entre-
prises américaines et anglaises dans les années 1970 comme le résultat des « erreurs et négli-
gences » accumulées par les dirigeants d’entreprises disposant d’une trop grande autonomie
à l’égard des actionnaires propriétaires des entreprises (Batsch, 2002, p. 7). Après les décen-
nies de l’après-guerre, marquées par l’affirmation de la toute puissance des managers dans
la direction des entreprises, elle signifie « le grand retour du capital et de l’actionnaire » (id.,
p. 11). C’est à ces derniers qu’il appartient de diriger effectivement les entreprises.
Celles-ci sont désormais soumises à un impératif de transparence de l’information comp-
table, avec l’obligation de fournir des comptes détaillés et des bilans de résultats trimes-
triels ou de mettre en place des comités d’audit et cela, afin de donner aux actionnaires
tous les moyens nécessaires pour apprécier concrètement, quasiment en temps réel, la va-
leur des firmes et la qualité de la gestion pratiquée par les dirigeants d’entreprises. Ce qui

40 Le Monde, Dossiers et documents, n° 332, 06-2004, p. 5.


41 Même si les pratiques effectives peuvent être très différentes selon les catégories d’investisseurs institutionnels.

164 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


n’a, au demeurant, pas empêché jusqu’à présent les pratiques dites de « créativité comp-
table », c’est-à-dire en fait de maquillage des compte dont les affaires Enron et World Com
et quelques autres encore ont donné une illustration particulièrement éclatante. Les diri-
geants des firmes sont soumis à une surveillance des « marchés » beaucoup plus attentive
qu’auparavant et contraints de donner aux actionnaires des gages crédibles d’adhésion à
l’objectif de défense de leurs intérêts dans la définition de la stratégie des firmes42. Parallè-
lement, leurs rémunérations sont fortement augmentées et ils sont directement intéressés
aux performances des entreprises par le biais de l’attribution de stock-options, ce qui les
pousse à privilégier l’objectif d’augmentation de la valeur actionnariale de l’entreprise
dans la définition de la stratégie de la firme43.

Les stock-options
Le système des stock-options consiste à accorder aux dirigeants de l’entreprise des options d’achat d’ac-
tions de la société qu’ils dirigent, c’est-à-dire le droit d’acheter des actions de la société à un prix fixé à
l’avance (en France, celui-ci ne peut être inférieur à 80 % du cours de référence de l’action au moment de
l’attribution) et ce, pendant une période plus ou moins longue. Si le cours des actions de la société s’élève,
le dirigeant peut alors faire jouer son option. Il achète les actions au prix fixé initialement et les revend au
cours du moment en réalisant ainsi une plus-value qui est d’autant plus importante que le cours de l’action
a plus augmenté, ce qui constitue pour lui une très forte incitation à gérer l’entreprise en ayant en pers-
pective la réalisation d’opérations propres à faire progresser le cours boursier de la firme. Le plus souvent,
le droit d’acquérir les actions ne peut s’exercer qu’après une période de blocage (généralement 4 ans) et
pour une durée de 10 à 12 ans. Les titres achetés peuvent être revendus immédiatement ou conservés avec,
alors, le risque de supporter une baisse ultérieure des cours, mais il existe des assurances permettant aux
bénéficiaires de stock-options de se prémunir contre le risque de baisse de leurs actions.

Ces stock-options représentent une part croissante de la rémunération réelle des dirigeants des firmes.
Comme l’explique brian J. hall (2000, p. 37), alors qu’il y a une vingtaine d’années le salaire et les primes
représentaient la part la plus importante de la rémunération d’un dirigeant de société aux États-Unis, ce
sont les stock-options qui forment aujourd’hui « la plus grosse part de la rémunération –et souvent de la
richesse– des dirigeants des sociétés dans tous les États-Unis ». De fait, selon une étude de 2004, la rému-
nération totale des dirigeants des entreprises américaines se répartissait de la manière suivante : salaire de
base 12 %, stock-options 44 %, attribution d’actions gratuites 20 %, bonus (rémunération indexée sur
des mesures de performance de la société) 16 %. Tandis que celle des patrons français serait constituée
pour 25 % du salaire de base, 25 % de bonus et 50 % des stock-options. L’intérêt principal de ce nouveau
système de rémunération est d’aboutir à ce que, « à la différence de ce qui se passait il y a 20 ans, lorsque
la majorité des dirigeants étaient rémunérés en liquides (salaires et primes) et se comportaient en bureau-
crates, ceux d’aujourd’hui visent beaucoup plus à être rémunérés comme des propriétaires et à agir comme
tels » (hall, 2000, p. 37).
42 Comme le souligne M. Aglietta (2001, p. 5), les investisseurs institutionnels ont « un pouvoir de contrôle sur les dirigeants
des entreprises qui n’existait pas dans le régime de croissance précédent ». A. Minc (2001, p. 70) écrit pour sa part que
« le pouvoir, jadis confié aux gestionnaires, est accaparé par les actionnaires » et L. Batsch (2002, p. 12) souligne que
les managers sont « progressivement placés sous surveillance : leur allégeance aux intérêts des actionnaires devient le
critère d’appréciation de leur qualité ».
43 Pour une information plus complète sur la question de la rémunération des dirigeants des sociétés, on pourra se reporter
au numéro 2 936 de Problèmes Économiques « Quelle rémunération pour les dirigeants d’entreprise ? », 5 décembre
2007.

La mondialisation 165
On ne peut cependant ignorer les nombreux problèmes que soulève le système des stock-options et en
particulier leurs « effets pervers ». Comme l’explique E. Matta (2005, p.111), « plus la rémunération
d’un PDG est exposée –en raison de l’importance de la part variable– aux risques qui pèsent sur la per-
formance de l’entreprise, plus sa gestion est atteinte de myopie. Le PDG rémunéré en stock-options n’est
en fait pas dans la même situation que l’actionnaire. Si ce dernier peut détenir un portefeuille diversifié
de titres (qui lui permet de mutualiser les risques), le PDG, lui, voit l’essentiel de sa rémunération passer
par la performance boursière de sa seule entreprise ». Ce qui aurait, selon l’auteur, « eu des effets par-
ticulièrement négatifs dans les secteurs pétroliers ou pharmaceutiques, où les dirigeants ont renoncé,
ces dernières années, à lancer des projets d’investissement dans l’exploration ou la recherche, parce que
trop risqués … pour leur propre rémunération ». De surcroît, les dirigeants de l’entreprise peuvent être
tentés de l’engager dans des opérations d’un intérêt discutable à moyen et long terme mais qui sont
susceptibles de faire monter le cours des actions de la firme au moment précisément où ils entendent
faire jouer leur option. Étant les mieux informés de la situation réelle de la firme, ils peuvent également
décider de faire jouer les options avant que l’annonce de la dégradation de la situation de la firme n’af-
fecte négativement les cours (affaire Enron).

Certains auteurs s’interrogent par ailleurs sur la capacité du système des stock-options à permettre de
mieux rémunérer les dirigeants les plus compétents. P. Maniere (2007, p. 19) souligne ainsi que ce que
gagnent les détenteurs de stock-options (la plus-value en cas de levée de l’option et de revente des ac-
tions à un cours qui a augmenté) « est en effet moins tributaire de la performance relative de l’entreprise
où ils déploient leurs talents que de la performance absolue du marché des actions, elle-même liée à
des causes exogènes. que les taux d’intérêt baissent, que la croissance mondiale soit soutenue et c’est
la quasi-totalité de la bourse qui monte – et des détenteurs de stock-options qui s’enrichissent. (...). Les
stock-options semblent peu récompenser le talent de manager en soi ».

quoi qu’il en soit, ce dispositif aboutit à assurer aux dirigeants des grandes entreprises des rémunérations
vertigineuses. Le consultant américain Peter Drucker expliquait à ce propos en 2000 que, si le salaire le plus
élevé versé dans une entreprise était il y a 30 ans en moyenne 20 fois plus élevé que le salaire moyen versé
dans cette même entreprise, l’écart a été depuis multiplié par 10, le salaire le plus élevé étant désormais
de l’ordre de 200 fois plus élevé que le salaire moyen dans l’entreprise : 400 fois pour le salaire du PDG
de Coca Cola et 800 fois pour celui du PDG de Procter & Gamble (Secondi, 2007, p. 4). Par ailleurs, selon
le Rapport moral sur l’argent dans le monde (Jeanne et Paillaud, 2007, p. 27) : « La rémunération an-
nuelle moyenne des CEO (chief executive officer) des sociétés du Standard & Poor’s (S&P 500) représente
actuellement environ 4 200 fois le salaire minimum légal annuel ; le rapport était de 1 à 40 au début des
années 1970. Le CEO moyen du S&P 500 a été, en moyenne, 411 fois mieux payé qu’un employé américain
non cadre en 2005 », contre « 301 fois en 2004, (...) 107 fois en 1990 et 42 fois en 1982 ».

Selon une étude réalisée par le cabinet Proxinvest, en 2006, en France, la rémunération annuelle
moyenne, stock-options compris, des patrons des entreprises du CAC 40 s’est élevée à 4,4 millions d’eu-
ros, soit 274 fois le SMIC (Le Monde, 28-11, 2007, p. 14), la rémunération totale des cinq PDG les mieux
payés du CAC 40 s’étalant de 8 à 23,4 milliards d’euros. En pratique, les évaluations des rémunérations
des dirigeants d’entreprises varient selon les sources et le mode de calcul des rémunérations. Ces der-
nières peuvent par ailleurs varier sensiblement d’une année sur l’autre, en raison de la part importante
des stock-options dans la rémunération totale et de l’incidence sur ces stock-options de la variation des
cours boursiers. Selon le même cabinet Proxinvest, la rémunération des PDG des sociétés du CAC 40 était
ainsi de : 7,4 millions d’euros en 2001, 554 fois le SMIC ; 6,25 millions d’euros en 2003 ; 5,6 millions
d’euros en 2004 (366 fois le SMIC) ; 4,86 millions d’euros en 2005 (298 fois le SMIC). Par ailleurs, selon

166 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


une estimation réalisée par le mensuel l’Expansion, en juillet 2006, les stock-options des PDG du CAC
40 étaient susceptibles de dégager des gains d’un montant total de 700 millions d’euros (Le Monde, 12-
07, 2006, p. 8). À titre de comparaison, le salaire net moyen des patrons de PME était de 3 973 euros
par mois en 2004, tandis que la moitié de la population française (métropole) vivait alors avec moins de
1 972 euros par mois pour un couple et de 1 350 euros par mois pour une personne seule (Le Monde,
14-12, 2006, p. 14).

En bref, avec les transformations qui viennent d’être évoquées, on peut dire que « la gouver-
nance des entreprises par les actionnaires est devenue une forme déterminante de la régu-
lation » (Aglietta, 2001, p. 5). Les actionnaires sont désormais les maîtres du jeu. M. Aglietta
propose pour caractériser cette mutation l’expression de « capitalisme patrimonial ».

C – L’exigence de rentabilité
Le contrôle accru qu’exercent ainsi les investisseurs institutionnels sur les dirigeants et la
gestion des entreprises dans lesquelles ils prennent des participations vise à faire prévaloir
dans la définition de la stratégie des firmes un objectif fondamental de maximisation de la
rémunération des fonds propres. La maximisation de la valeur actionnariale, c’est-à-dire en
fait la capacité de l’entreprise à dégager une survalorisation des fonds propres comparati-
vement au coût « normal » des fonds empruntés, a désormais « la priorité sur les formules
de partage des gains de productivité qui caractérisaient les compromis entre dirigeants et
salariés (...) de la grande entreprise industrielle de l’époque fordiste » (Aglietta, 2001, p.
5). Les normes de rentabilité imposées aux entreprises à partir du milieu des années 1980
seront ainsi de plus en plus élevées (Le Masne, 2001, p. 63).
P. Artus (2002a, p. 27) souligne à ce propos que les investisseurs institutionnels qui cher-
chent nécessairement à accroître leur part de marché respective dans la collecte de
l’épargne sont de ce fait engagés dans une lutte concurrentielle où il est essentiel de
réaliser « une performance plus élevée que les concurrents », ce qui les conduit « à désirer
un rendement élevé des placements qu’ils réalisent » (id., p. 27). Concrètement, il y a un
accord dans la littérature pour constater que c’est en fait un objectif de rentabilité d’au
moins 15 % sur les fonds propres, c’est-à-dire un return on equities (ROE) de 15 %, qui est
assigné aux entreprises par leurs actionnaires et en particulier par les investisseurs institu-
tionnels qui y effectuent des placements. À quoi s’ajoute, comme autres règles imposées
par les investisseurs institutionnels aux entreprises dans lesquelles ils placent des fonds, un
taux de retour sur les nouveaux investissements d’au moins 20 % et la distribution sous
forme de dividendes de 50 % des profits réalisés par la firme (Le Monde, 2-02, 2005, p. 18).
Cet objectif d’un ROE de 15 % qu’Alain Minc ne juge pas irréaliste même s’il « laisse au
bord de la route un grand nombre d’entreprises » (2001, p. 70) apparaît en fait déraison-
nable, l’économie réelle étant incapable de répondre globalement et durablement à l’exi-
gence de rentabilité actuelle des capitaux imposée par le marché financier44.
44 Si un tel rendement permet d’obtenir un doublement du capital en 5 ans, L. Batsch (2002) montre sur un exemple nu-
mérique, fondé sur des hypothèses réalistes (taux d’intérêt de la dette de 6 %, taux d’imposition sur les bénéfices des
sociétés de 40 %, soit un coût de la dette pour l’entreprise de i = 6 % x (1 - 0,4) = 3,6 %, qu’un taux de rendement sur les
fonds propres de 15 % ne peut être atteint que pour un taux de rentabilité économique de la firme (rapport des profits
dégagés par la firme à l’ensemble des capitaux utilisés : fonds propres et fonds empruntés) particulièrement élevé, et

La mondialisation 167
Pour satisfaire néanmoins cette exigence de rentabilité sur les fonds propres, les entre-
prises peuvent recourir à différents moyens. Elles peuvent agir sur la structure de leur
bilan, à masse de profits dégagés donnée, en réduisant leurs fonds propres par des opé-
rations de rachats d’actions en bourse et/ou en s’endettant dès lors que les taux d’intérêt
sont inférieurs au taux de rentabilité économique des firmes et que celles-ci bénéficient
ainsi d’un effet de levier positif.
La pratique des rachats d’actions, qui permettent de soutenir le cours en bourse des ac-
tions au plus grand profit des actionnaires et de réduire le montant global des fonds
propres de l’entreprise dès lors que les actions rachetées sont annulées, s’est largement
répandue. Pour la France, où la pratique est autorisée (dans la limite de 10 % du capital de
la société) depuis une loi du 2 juillet 1998, l’autorité des marchés financiers (AMF) a ainsi
estimé que les entreprises ont consacré plus de 56 milliards d’euros entre 2000 et 2003 à
des rachats de leurs propres actions. Le record est atteint par la société Total dont les bé-
néfices suivent la hausse du prix du pétrole et qui, limitant ses investissements nouveaux
pour lesquels elle exige un retour sur investissement de l’ordre de 20 à 25 %, ce qui élimine
d’emblée de nombreux projets, a consacré 15 milliards d’euros en 4 ans à des rachats d’ac-
tions (Le Monde, 31-12, 2004, p. 8). Au-delà du seul cas de Total, le secteur pétrolier four-
nit d’ailleurs un exemple particulièrement éclairant de cette stratégie de rachat de leurs
actions par les entreprises, destinée à faire bénéficier les actionnaires des profits réalisés.
Alors que les cinq premiers groupes pétroliers privés mondiaux avaient réalisé en 2004 près
de 85 milliards de dollars (65 milliards d’euros) de bénéfice net cumulé, ils ont consacré
30,2 milliards de dollars à des rachats d’actions. Mais cela se fait au détriment des investis-
sements de ces firmes dans l’exploration et la mise en exploitation de nouveaux gisements
dont la croissance est loin de suivre celle des profits réalisés, avec comme conséquence que
les quantités de pétrole et de gaz extraites du sous-sol par les compagnies excèdent les
nouvelles découvertes. On comprend mieux dans ces conditions la forte augmentation du
prix du pétrole de 2007 et 2008.
Parallèlement, les entreprises s’endettent afin de financer leur politique d’investissement
sans avoir à recourir à des émissions d’actions nouvelles qui feraient inéluctablement bais-
ser le ratio profit net sur fonds propres ; quand elles ne s’endettent pas pour racheter une
partie de leurs actions et revaloriser ainsi, par là-même, ce ratio pour une masse de profits
dégagés donnée. P. Artus (2002a, p. 28) explique ainsi que l’augmentation du ROE des en-
treprises américaines cotées (passé de 12 % en 1992 à plus de 17 % en 2000 alors que leur
rentabilité économique demeurait approximativement stable) a été largement obtenue
par « la hausse du levier d’endettement » (id., p. 28), c’est-à-dire le ratio dette financière
sur fonds propres, avec la conjonction d’une très forte hausse du taux d’endettement total
des entreprises à partir de 1995 (de 48 % en 1995 à 66 % en 2001) et de l’apparition, après
la fin de la récession, d’importants rachats d’actions sur le marché » (id., p. 28).
Pour satisfaire cette exigence de rentabilité, les entreprises cherchent également à peser
le plus possible sur leurs coûts d’exploitation, en commençant par la masse salariale, afin
d’élever leur taux de rentabilité économique et, par la même, le taux de rendement sur
les fonds propres. Certaines entreprises, à l’exemple en France de Michelin ou Danone45,
en règle générale inatteignable, ou par des taux d’endettement financier très élevés, de l’ordre de 2,2 fois le total des
fonds propres, et donc le plus souvent très dangereux.
45 Danone, dont le journal Le Monde (31-12, 2004, p. 8) nous apprenait qu’il « a dépensé depuis 1998 plus d’argent pour

168 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


n’hésitent pas non plus à pratiquer les « licenciements boursiers », c’est-à-dire des suppres-
sions d’emplois destinées à préserver la rentabilité financière de la firme. Cela signifie que
le risque d’entrepreneur, dont veulent s’affranchir les actionnaires en exigeant une rému-
nération garantie à un taux élevé, est en fait reporté sur les salariés, l’emploi et les salaires
devenant une variable d’ajustement. L’étude de P. Artus (2002a) montre ainsi que les en-
treprises américaines soumises à l’exigence d’une rémunération élevée des fonds propres
réagissent au ralentissement de la conjoncture susceptible d’altérer leur rentabilité par des
ajustements rapides de l’emploi qui leur permettent de préserver cette rentabilité46. Mais,
si les réductions rapides et massives d’emplois permettent le « maintien d’une profitabi-
lité raisonnable pendant les récessions » (id., p. 29) et favorisent ainsi une reprise rapide
de l’investissement productif dès que la conjoncture devient plus favorable, elles ont par
ailleurs pour effet d’amplifier le cycle (réduction des revenus des ménages qui pèse négati-
vement sur la consommation), en même temps qu’elles « détruisent les investissements en
capital humain ou en recherche-développement » (id., p. 29). Il résulte finalement de cette
adaptation rapide de l’emploi aux variations de l’activité économique que la « variabilité
de la masse salariale » s’accroît alors que celle des profits diminue (id., p. 29).
Pour satisfaire cette exigence de rentabilité élevée nombre de firmes se sont également
engagées dans une stratégie de recentrage sur le cœur de métier. Cette stratégie permet
en effet d’alléger l’actif des entreprises en réduisant le montant des investissements à
financer ce qui, à revenu donné, permet d’accroître la rentabilité. D’où l’apparition d’un
nouveau type d’entreprises, les entreprises « sans usine », déjà évoquées, qui se limitent
à la conception des produits et à leur commercialisation (afin de s’assurer le contrôle du
marché qui conditionne leur marge bénéficiaire) et qui font réaliser la production propre-
ment dite par une cascade de sous-traitant, éventuellement localisés dans des pays à très
faible coût de la main-d’œuvre.
Une part importante des profits dégagés par les entreprises est bien entendue reversée
aux actionnaires sous forme de dividendes. En 2005, les sociétés du CAC 40 ont ainsi versé
à leurs actionnaires 30,2 milliards d’euros de dividendes (40 % de plus qu’en 2004) sur les
84 milliards d’euros de bénéfice réalisés. Le taux de redistribution (pourcentage du béné-
fice net versé aux actionnaires sous forme de dividendes), qui fluctue par ailleurs d’une
année sur l’autre, est en tendance orienté à la hausse depuis le milieu des années 1990 et
est passé de 33,45 % en 1996 à 39,35 % en 2005. Parallèlement, la part des salaires dans la
valeur ajoutée a, elle, diminué. Elle est passée de 59 % à 52 % entre 2001 et 2004 pour les
sociétés industrielles du CAC 40.
Ajoutons que, pour M. Aglietta et d’autres auteurs, la place qu’occupent les investisseurs
institutionnels et le pouvoir qu’ils exercent sur les marchés financiers et les entreprises sont
destinés à durer. En effet, l’épargne salariale qu’ils collectent et gèrent, et d’où ils tirent
largement leur puissance, devrait continuer à progresser en masse dans les prochaines
décennies, en raison du vieillissement de la population dans les pays développés et de
l’orientation vers un financement de type privé des régimes de retraite que les pouvoirs
publics tentent de plus en plus d’imposer (cf. infra, chapitre VIII).

racheter ses actions (4,2 milliards d’euros) que dans ses investissements industriels (3,9 milliards d’euros) ».
46« En 1990-91, l’emploi a baissé presque aussi rapidement et profondément que la production, ce qui a permis aux profits
(réels) de continuer à augmenter ; la même constatation peut être faite lors du ralentissement de 1995 après la crise
mexicaine » (Artus, 2002a, p. 29).

La mondialisation 169
paragraphe 3 : portée et limites de la mondialisation financière

L’essor des marchés de capitaux et leur intégration mondiale, caractéristiques essentielles de


la globalisation, financière, ont été et sont encore présentés dans nombre de travaux comme
un phénomène éminemment positif pour l’économie mondiale. Ils sont en effet censés per-
mettre un meilleur drainage et une circulation plus aisée des capitaux disponibles à l’échelle
mondiale, ce qui doit en réduire le coût pour les utilisateurs et en assurer une meilleure
allocation par la suppression des obstacles qui pourraient s’opposer à leur affectation aux
emplois les plus efficaces et les plus rentables. L’idée qui sous-tend cette position est que
le marché international des capitaux permettrait de distribuer les capitaux disponibles de
manière optimale. Dans leur recherche des meilleures conditions possibles de rentabilité, ces
capitaux iraient spontanément se placer de manière privilégiée dans les pays où les investis-
sements sont les plus productifs.
Cela devrait d’ailleurs profiter en particulier aux PED. Ces pays sont en effet censés présen-
ter des perspectives de croissance à terme plus favorables que celles des pays développés
anciennement industrialisés à l’économie « mâture », ce qui devrait inciter les capitaux à s’y
investir très largement. En quelque sorte, l’épargne que dégagent les pays très développés
à la population vieillissante de la triade (Amérique du Nord, Europe et Japon) devrait tout
naturellement aller s’investir dans les PED à la population jeune et ayant des besoins d’in-
vestissements productifs importants. La croissance économique soutenue que cela rendrait
possible dans ces pays permettrait d’assurer à l’épargne qui s’y placerait une rémunération
plus attractive que celle qu’elle pourrait obtenir dans les pays développés eux-mêmes.
C’est la thèse de « l’efficience allocationnelle » du marché mondial des capitaux, selon
laquelle la mondialisation doit permettre une allocation optimale des capitaux à l’échelle
mondiale (Ferrari, 2000, p. 31). Mais la pratique est loin de confirmer les prévisions opti-
mistes des défenseurs de la mondialisation financière. Les marchés font preuve d’instabi-
lité (A) dont la crise des crédits hypothécaires à risque ou subprimes est l’illustration la plus
récente (B), tandis que leur efficience prête à discussion (C).

A – L’instabilité des marchés de capitaux


La nature des marchés de capitaux est en fait très différente de celle des marchés de biens
avec une instabilité endogène des premiers que l’on ne retrouve pas dans les seconds
(Rainelli, 2002). Cette instabilité endogène des marchés de capitaux tient pour une part
au comportement mimétique des agents qui opèrent sur ces marchés, comportement qui
favorise l’alternance de phases de hausse spéculative des cours (quand les cours montent
tout le monde achète) et de crise (quand la bulle financière éclate tout le monde se met à
vendre). Ces marchés financiers se révèlent en fait très souvent instables et fort inefficients,
agités qu’ils sont par de puissants mouvements spéculatifs déséquilibrants (Barbe, 2007).
L’essor exceptionnel de ces marchés de capitaux a en effet favorisé le développement de
la spéculation auquel les grands investisseurs institutionnels (fonds de pension et autres)
qui opèrent sur les marchés47 prennent une part importante. En atteste, par exemple, le
47 Comme le soulignent R. Farneti et I Warde (1999, p. 76-77), « le rôle déterminant des fonds de pension dans la spécu-
lation sur les marchés des changes a bien été mis en lumière lors de la crise monétaire de septembre 1992 qui disloqua

170 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


gonflement à la fin des années 1990, puis l’éclatement sur les marchés boursiers de la bulle
financière de la « nouvelle économie ». Les marchés d’actions ont en effet connu une très
forte croissance pendant la seconde moitié des années 1990, laquelle « s’est achevée avec
l’éclatement de ce qui s’est avéré, rétrospectivement, être une bulle spéculative des actifs à
l’échelle mondiale » (BRI, 2001, p. 11). La hausse des cours à partir de 1995 a été générale,
plus ou moins marquée cependant selon les pays. Elle a été particulièrement forte pour les
valeurs technologiques. Entre mars 1995 et mars 2000, la hausse des cours de ces valeurs
technologiques est spectaculaire : + 254 % au Japon, + 509 % aux États-Unis, + 804 % en
France et + 1 217 % en Suède. Cette véritable « envolée des cours » résulte largement
d’une « dynamique propre, nourrie d’optimisme et d’un comportement grégaire des inves-
tisseurs » (id., p. 12). Le retournement, qui était inéluctable, s’est opéré au printemps 2000.
Avec, selon les places financières, une baisse des cours allant de 50 à 70 % pour les valeurs
technologiques entre mars 2000 et mars 2001.
Plus généralement, on a pu parler de « la dimension très nettement spéculative des marchés
financiers contemporains » (Ferrari, 2000, p. 31). C’est en particulier le cas des marchés de
produits dérivés. Anton Brender (2000) explique ainsi que, sur ces marchés de produits dé-
rivés, dont la fonction n’est pas de collecter l’épargne et distribuer des financements « mais
plutôt de redistribuer des risques » (id., p. 41) et permettre aux agents économiques de se
couvrir contre des risques de taux, « la dimension spéculative devient évidente car c’est là
que de plus en plus les paris se font » (id., p. 42). Ces marchés de produits dérivés peuvent
jouer un rôle positif pour la croissance, en ce sens que les banques peuvent s’y débarrasser
du risque de volatilité du taux d’intérêt, ce qui leur permet d’accorder plus de crédit à ceux
de leurs clients (entreprises ou ménages) qui n’ont pas directement accès aux marchés de
capitaux. Mais il n’en reste pas moins que leur existence est susceptible d’accroître le risque
systémique, dans la mesure où « la division des risques attachés à une opération élémen-
taire » peut avoir « pour contrepartie une amplification générale des risques que les agents
économiques sont prêts à prendre » (Fayolle, 2002-3, p. 23), avec le développement d’un phé-
nomène d’aléa moral48. Cette instabilité des marchés de capitaux s’exprime dans des crises.
Les deux dernières décennies ont ainsi été marquées par une succession de crises qui tradui-
sent la fragilité et le caractère intrinsèquement instable des marchés de capitaux et du sys-
tème financier international : crise mexicaine de 1994, crise asiatique de 1997 (Thaïlande,
Indonésie, Corée), crash boursier de 2001-2003 évoqué ci-dessus, crise argentine. Ces crises
ont affecté, selon le cas, principalement des PED ou des pays développés, mais avec comme
caractéristique de tendre le plus souvent à se diffuser dans des ensembles géographiques
et régionaux plus ou moins étendus, voire même dans l’économie mondiale.
quasiment le SME. Rejetant l’analyse journalistique rendant les fonds d’arbitrage (hedge funds) responsables de la
spéculation, une étude du FMI montra que les « gros bataillons de la spéculation étaient constitués par les investisseurs
institutionnels » (FMI, International Capital Markets, 1993, p. 11). Une autre manière de mesurer l’ampleur de l’émergence
d’une véritable économie internationale de spéculation alimentée par les fonds de pension et fondée sur le principe de
la liquidité consiste à mesurer les gains dégagés à partir de cette activité. En 1995 les investisseurs institutionnels basés
à Londres et opérant sur le FOREX (le marché international des changes) ont réalisé un profit de 1,8 milliards de livres,
soit une somme supérieure aux bénéfices de l’ensemble du secteur des compagnies d’assurances anglaises. Ces profits
records ne sont pas sans provoquer d’énormes soubresauts sur les marchés (...) ».
48 Depuis les années 1990, les marchés de produits dérivés se développent à un rythme très rapide. Leur progression a été
en moyenne de 20 % par an entre 1995 et 2007. Selon la Banque des règlements internationaux, entre 2004 et 2007, le
montant total des capitaux investis dans les produits dérivés a augmenté en moyenne de 33 % par an (135 % en 3 ans),
atteignant la somme colossale de 516 000 milliards de dollars à fin juin 2007. En France, le montant de ces capitaux a
doublé entre 2004 et 2007 pour atteindre 65 000 milliards de dollars (Le Monde, 24-11, 2007, p. 16).

La mondialisation 171
Elles ont un caractère largement systémique, en ce sens que leur émergence et leur propa-
gation ont été, à tout le moins, favorisées par la déréglementation et le décloisonnement
des marchés, le développement de nouveaux marchés potentiellement très spéculatifs
(comme les marchés de produits dérivés), la libéralisation des mouvements internationaux
de capitaux. Des études montrent ainsi que, sur la période 1970-2000, la fréquence des
crises a été sensiblement plus élevée dans les PED « ouverts », c’est-à-dire dont le compte
de capital est libéralisé, que dans les PED « fermés » (alors que « cette fréquence a été
faible pour les pays développés, qu’ils soient ouverts ou fermés » (Longueville, 2003, p.
18)49.

Mais les acteurs économiques ne sont pas exempts, loin s’en faut, de responsabilité dans
l’éclatement et la propagation de ces crises. Nombre de travaux soulignent, par exemple,
la responsabilité des banques, et plus spécifiquement celles originaires des grands pays
développés. Se livrant à une concurrence accrue dans un contexte de libéralisation et de
déréglementation des activités financières et bancaires, les banques ont pu s’engager dans
des stratégies de diversification de leurs activités, les conduisant en particulier à accroître
fortement les opérations de financement des PED et à réaliser des placements qui se sont
révélés après coup beaucoup plus risqués qu’il ne pouvait paraître. L’éclatement et la pro-
pagation des crises sont également à mettre en rapport avec le jeu des effets de conta-
gion. L’expérience des crises financières des années 1990 a montré que, lorsqu’une crise
éclate sur un marché financier, la réaction de panique qu’elle suscite chez les opérateurs
des marchés peut entraîner la transmission de la crise non seulement à d’autres marchés
sur lesquels s’échangent le même type de titres mais également « à des marchés financiers
a priori sans rapport avec celui où la crise est apparue » (Chevagneux, 2004, p. 60-61).
Les autorités monétaires et politiques ne sont certes pas totalement désarmées face à ces
crises, comme l’a montré, par exemple, l’efficacité des interventions des banques centrales
injectant des liquidités dans l’économie des grands pays développés après l’éclatement de
la crise boursière de 1987 ou de celle du FMI lors de la crise mexicaine de 1994. Mais ces in-
terventions du FMI peuvent être à l’origine d’un phénomène « d’aléa moral ». L’assurance
donnée aux bailleurs de fonds que le FMI interviendra en cas de crise des pays endettés
pour permettre à ces derniers de surmonter la crise favorise l’octroi de crédits ou la réalisa-
tion de placements qui sans cela seraient jugés trop risqués, ce qui joue objectivement en
faveur de l’éclatement des crises.
La crise des subprimes est une nouvelle illustration de cette instabilité des marchés de
capitaux et des dérives auxquelles peut conduire le capitalisme financiarisé qui s’est pro-
gressivement affirmé au cours des trois dernières décennies.

49 Comme le souligne encore cet auteur : « Au sein des PED, la relation paraît forte entre la liberté donnée aux flux fi-
nanciers de court terme, la dégradation des bilans bancaires et les crises. (...). Ces résultats sur longue période ont été
confirmés au cours des années récentes : graves crises financières de certains grands pays ouverts et, a contrario, stabilité
financière de pays fermés comme l’Inde, la Chine » (Longueville, 2003, p. 18).

172 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B – La crise des crédits hypothécaires à risque ou subprimes50
Cette crise qui a éclaté au grand jour pendant l’été 2007 apparaît comme l’une des plus
graves de l’historie financière mondiale et, pour beaucoup d’analystes, comme la plus
grave crise financière depuis 1929.
Les crédits hypothécaires à risque ou subprimes sont des crédits au logement qui ont été
accordés par les établissements de crédit américains à des ménages présentant des ga-
ranties de solvabilité faibles, voire même très faibles51. Cette pratique bancaire a permis
à ces ménages de dépenser au-delà de leurs possibilités réelles et de devenir proprétaires
de logements que certains d’entre eux n’étaient en réalité objectivement pas en mesure
d’acquérir. Comme l’explique le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz, « les Américains
ont ainsi vécu au-dessus de leurs moyens »52, ce qui a contribué à soutenir la croissance
de l’économie américaine. Les estimations disponibles montrent qu’au début du second
semestre 2007, le marché des subprimes représentait 12,8 % du marché total des prêts
hypothécaires aux États-Unis, soit 1 100 milliards de dollars (780 milliards d’euros), une
grande partie de ces prêts étant à taux variables53.
Comme cela était prévisible, certains des ménages auxquels ces prêts subprimes avaient
été accordés se sont révélés incapables de faire face à la charge des emprunts contractés,
leur logement étant alors saisi et mis en vente par la banque prêteuse pour récupérer le
montant de son prêt. Dans un premier temps, dans un contexte de boom inflationniste
et spéculatif de l’immobilier aux États-Unis54 faisant monter le prix des logements, ces dé-
faillances des débiteurs étaient sans réelles conséquences pour le système financier, dans
la mesure où, du fait de la hausse des prix, les biens immobiliers ainsi mis en vente l’étaient
généralement à un prix supérieur à celui auquel ils avaient été acquis par les emprunteurs
défaillants. L’éclatement (inéluctable) de la bulle immobilière qui gonflait depuis plusieurs
années et le retournement très marqué à la baisse des prix de l’immobilier qui s’en est suivi
ont cependant totalement modifié la situation et ont créé les conditions de l’éclatement
de la crise financière.
Les difficultés du marché de l’immobilier ont débuté dès 2006 avec l’éclatement de la
bulle, ce qui s’est traduit immédiatement par la baisse des constructions neuves et l’aug-

50 Les analyses qui suivent sont limitées à la période allant jusqu’à l’été 2008. Pour l’étude des développements de la crise
financière à partir de septembre 2008 et de la crise économique sur laquelle a débouché cette crise financière, on pourra
se reporter, par exemple, à : Problèmes économiques, Le bilan de l’économie française 2007/2008, n°2958, 15 octobre
2008 et Le bilan de l’économie mondiale 2008, n° 2959, 26 novembre 2008.
51 Anton Brender souligne que, si jusqu’en 2004 les prêts immobiliers accordés aux ménages américains ne posaient pas de
problème particulier (prêts hypothécaires à taux fixe et charge constante accordés à des emprunteurs dont les revenus
étaient en rapport avec la charge du service de la dette), à partir de 2005, alors que les prix de l’immobilier augmentaient
les prêteurs « ont cherché à élargir leur marché en prêtant à des emprunteurs plus risqués mais surtout en leur prêtant
sous des formes plus risquées. Apport personnel inexistant, revenu non vérifié et taux d’appel destiné à monter plus
tard ont été la marque de fabrique des prêts subprimes distribués en 2005 et surtout en 2006 » (Brender, 2007, p. 20).
52 Cité par Le Monde, 6-10, 2007, p. 12.
53 En conséquence, les emprunteurs ont subi de plein fouet la remontée des taux d’intérêt à partir de 2005 ; le taux directeur
de la Banque fédérale passant de 1 % en mars 2004 à 5,25 % en septembre 2007. En septembre 2007, la Bank of America
évaluait à 515 milliards de dollars (dont 400 milliards de dollars de subprimes) le montant des crédits devant être rééva-
lués en 2007 et à 680 milliards de dollars (dont 500 milliards de dollars de subprimes) ceux qui devaient l’être en 2008
54 La formation d’une bulle immobilière n’a pas concerné que les seuls États-Unis. D’autres pays de l’OCDE, et en particulier
européens (Espagne, Grande-Bretagne, France), ont connu également une hausse très forte des prix de l’immobilier.
« Pour sortir de la crise de la nouvelle économie (en 2001) le robinet du crédit a été ouvert à fond, ce qui a grandement
facilité le crédit hypothécaire et lancé la bulle immobilière. On n’est sorti d’une bulle que pour tomber dans l’autre et
parce que l’on est tombé dans l’autre » (Johsua, 2007, p. VI).

La mondialisation 173
mentation du stock des maisons neuves invendues (4 millions en septembre 2006). Du
fait de la baisse des prix de l’immobilier consécutive à l’éclatement de la bulle, pour les
ménages américains qui se sont trouvés en plus grand nombre55 dans l’incapacité de faire
face à la charge des emprunts qu’ils avaient contractés (en partie du fait de la remontée
des taux d’intérêt décidée par la Fed dans le cadre de la mise en œuvre de sa politique
monétaire de lutte contre l’inflation), la vente de leurs biens immobiliers par les banques
s’est désormais faite à perte56, ces mises en vente ayant par ailleurs pour effet de pousser
un peu plus les prix de l’immobilier à la baisse.
Avec cette crise de l’immobilier, la chute des ventes et la baisse des prix des appartements
et maisons, la défaillance des ménages incapables de rembourser leurs emprunts s’est
désormais traduite par une dévalorisation des crédits correspondants, ce qui a entraîné
le déclenchement de la crise financière. Compte tenu des montages financiers auxquels
avaient donné lieu les subprimes, la crise a immédiatement affecté un très grand nombre
d’établissements bancaires et financiers, menaçant ainsi de prendre d’emblée un caractère
systémique.
Les crédits subprimes accordés par les banques ont en effet été à la base d’un vaste proces-
sus de titrisation (cf. tome 1, chapitre IX) permettant aux banques qui les avaient accordés
de les céder au marché et d’en reporter ainsi le risque sur toute une chaîne d’intervenants.
La titrisation consiste pour une banque à transformer les créances correspondant aux cré-
dits qu’elle accorde en titres pouvant être cédés à des tiers sur le marché des capitaux. Dans
le cas de la titrisation cash, la banque hypothécaire vend les actifs qu’elle détient à une
société ad hoc, créée spécialement à cet effet, laquelle finance l’acquisition des créances
en émettant des titres qui sont acquis par des investisseurs (fonds de pension, hedge funds,
ménages fortunés, banques et institutions financières diverses) sur lesquels va désormais
reposer en fait le risque représenté par le crédit hypothécaire accordé initialement par la
banque qui choisit de titriser ses crédits.
L’intérêt pour la banque qui procède à la titrisation de certains de ses crédits est que ces
derniers disparaissent de son bilan. La titrisation des créances est donc un moyen pour les
banques d’augmenter le volume des crédits qu’elles accordent sans avoir à accroître leurs
fonds propres tout en respectant formellement les règles prudentielles qui s’imposent à
elles, conformément en particulier aux accords de Bâle I et de Bâle II (cf. à ce propos,
Suarez, 2007) : une forme d’effet de levier en fait. Mais la titrisation signifie aussi que
les banques s’exemptent de leur fonction traditionnelle essentielle qui est de mesurer la
solvabilité des emprunteurs et d’en suivre l’évolution tout au long du remboursement,
ce qui ouvre la porte à de mauvaises surprises. Dans le cas d’espèce, dès lors qu’elles sa-
vaient pouvoir se débarrasser des créances correspondant aux crédits immobiliers qu’elles
accordaient en les cédant au marché, les banques n‘étaient objectivement plus incitées à
contrôler sérieusement la solvabilité de leurs emprunteurs, l’objectif, dans une optique
de rentabilité à court terme, devenant au contraire de placer le maximum de crédits pour
encaisser le maximum de frais et de commissions. Il s’est ainsi créé une situation « d’aléa
55 Au troisième trimestre 2007, ce sont quelques 63 000 ménages dont le logement a été saisi, soit trois fois plus que deux
ans auparavant.
56 En mars 2008, on estimait que « la valeur de la maison d’environ 8 millions de foyers (américains) est inférieure à celle
de l’emprunt contracté pour la payer. Ce sera le cas d’ici à 2010 pour 21 millions de foyers, tandis que la chute des prix
immobiliers atteindra près de 30 %, avec 6 600 milliards de dollars de valeurs nettes d’hypothèques anéanties » (Roubini,
2008, p. VI).

174 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


moral »57. Les investisseurs qui achètaient les titres adossés aux crédits immobiliers et pren-
naient ainsi de facto en charge les risques cédés par les banques, étant de surcroît soumis à
un contrôle bien plus limité et/ou moindre que celui des banques, le « risque systémique »
auquel est exposé le système financier s’en est trouvé accru d’autant.
Concrètement, ce sont 80 % environ des crédits subprimes qui ont été vendus à des struc-
tures dédiées (special purpose vehicules ou special investment vehicules), créées par les
banques accordant les crédits, lesquelles structures dédiées les ont financés en émettant
des obligations à haut rendement (residential mortgage baked securities), placées auprès
d’investisseurs. Alors que les taux d’intérêt aux États-Unis étaient particulièrement bas (le
taux directeur de la Fed était de 1 % jusqu’à la fin du premier semestre 2004), les obliga-
tions résultant de la titrisation des subprimes ont intéressé des investisseurs à la recherche
de rendements plus élevés, « et ces produits se sont alors trouvés naturellement et très
largement utilisés au sein des portefeuilles des banques, compagnies d’assurances, fonds
de pension, fonds de gestion… » (Jouini, 2008, p. VI). Le risque représenté pour les prê-
teurs par ces subprimes s’est ainsi transmis des banques qui avaient accordé initialement
les crédits immobiliers à une multitude d’opérateurs, sans qu’il soit possible de savoir qui,
au final, détenait effectivement des titres à risque et dans quelle proportion58. Une situa-
tion s’est ainsi créée qui explique que, dès lors que la crise a éclaté au grand jour pendant
l’été 2007, elle s’est présentée comme une crise de liquidités et une crise de solvabilité se
doublant d’une crise boursière.
La crise s’est manifestée dans un premier temps comme une crise de liquidités. Les banques
qui disposaient de liquidités, n’ayant pas d’informations fiables sur les risques représentés
par les subprimes auxquels étaient réellement exposés les emprunteurs de fonds sur le
marché interbancaire (où les banques se refinancent en cas de besoin), ont commencé à
réduire leurs prêts sur ce marché, obligeant ainsi les banques centrales à intervenir mas-
sivement pour assurer la liquidité du marché et permettre aux emprunteurs de fonds de
pouvoir quand même s’y refinancer59.
La Réserve fédérale américaine et les autres grandes banques centrales ont ainsi été
contraintes d’intervenir massivement sur le marché monétaire et d’y injecter des liquidités
en très grande quantité60. La Fed à elle seule a fourni plus de 400 milliards de dollars de
liquidités au système bancaire en même temps qu’elle abaissait fortement et rapidement
son taux d’intérêt directeur, ramené de 5,25 % en septembre 2007 à 2 % en juin 2008 (avec
une première baisse de 5,25 % à 4,75 % le 18 septembre). La BCE a, elle, injecté plus de 250
milliards d’euros en juillet-août 2007. Des interventions conjointes des banques centrales
57 Dans le cas des subprimes, ce problème a encore été aggravé par le fait que les plus critiquables de ces crédits ont en fait
été « distribués (...) par des finance companies non régulées » (Castel et Plihon, 2008, p. 17). Le problème a été aggravé
par le fait que « sous l’égide d’institutions privées, on a titrisé des prêts distribués par des courtiers avides de commissions
et qui n’avaient à satisfaire aucune norme : des prêts faits sans vérifier la solvabilité des débiteurs (sans même s’assurer
de la réalité de leurs revenus), sans exiger d’apport personnel » (Brender, 2008, p. IV).
58 En pratique, les fonds spéculatifs (hedge funds) qui ont acquis les titres adossés à des crédits hypothécaires subprimes émis
sur le marché, sont souvent des filiales de grands établissements bancaires. Les pertes subies par ces fonds retentissent
sur la situation des banques auxquelles ils appartiennent.
59 Il y a eu en fait une véritable « crise de confiance déclenchée par une révision de la croyance collective dans la valori-
sation des actifs de crédit détenus par les banques » (Marteau, 2008, p. VI), crise aggravée par « l’opacité associée aux
mécanismes de titrisation » (id.) qui ont abouti à ce que plus personne ne savait avec certitude qui détenait finalement
les titres issus de ces crédits à risque et dans quelle proportion de son portefeuille d’actifs.
60 Le 9 août, la BCE a ainsi fourni 94,8 milliards d’euros de liquidités au marché et la Fed 24 milliards de dollars.

La mondialisation 175
(BCE, Fed, banque d’Angleterre) destinées à fourni des liquidités au marché ont eu lieu en
décembre 2007 et en mars 2008.
La crise s’est également très vite manifestée comme une crise de solvabilité. Les pertes
subies par de très grands établissements financiers61 menaçant leur existence ont contraint
certains d’entre eux à se renflouer en faisant appel pour se recapitaliser en particulier à des
fonds souverains (cf. supra)62. Pour d’autres, leur sauvetage n’a été rendu possible que par
l’intervention directe des pouvoirs publics comme ce fut le cas avec la nationalisation par le
gouvernement de Gordon Brown de la banque britannique Northern Rock en février 2008
afin d’éviter sa mise en faillite, le sauvetage sous l’égide de la Banque centrale américaine
de Bear Stearns (BSC), cinquième banque d’affaire des États-Unis63, ou la nationalisation
par le gouvernement américain des deux grandes institutions financières spécialisées dans
le crédit hypothécaire que sont Fannie Mae et Freddy Mac64.
Il est par ailleurs très vite apparu que les difficultés ne concernaient pas que les seules
banques américaines mais également de nombreuses banques européennes (Barclays,
Deutsche Bank, Crédit Suisse, UBS), dont de grandes banques françaises (Société générale,
Crédit agricole, Natixis…), qui s’étaient elles aussi engagées à des niveaux plus ou moins
élevés dans le financement des subprimes et allaient également supporter des pertes im-
portantes.
Le montant total des pertes subies par le système bancaire du fait de la crise est considé-
rable. En avril 2008, le FMI estimait, dans son Rapport sur la stabilité financière dans le
monde, le montant total prévisible des pertes à 945 milliards de dollars. Le montant final
réel des pertes demeurait au début du second semestre 2008 indéterminé, d’autant plus
que la crise cantonnée initialement au secteur des crédits hypothécaires à risque s’est en-
suite étendue à d’autres départements du marché des crédits : d’autres catégories de cré-
dits immobiliers que les subprimes, aux prêts aux entreprises, aux prêts accordés aux fonds
d’investissement pour financer le rachat d’entreprises par LBO, aux crédits à la consomma-
tion (FMI, 2008).
Si l’intervention des banques centrales a permis d’assurer la liquidité du marché moné-
61 Ces pertes sont considérables. De très grands établissements sont frappés de plein fouet : aux États-Unis, CitiGroup, Meryll
Lynch, Morgan Stanley, Bear Stearns. Fin juillet 2008, le total des dépréciations d’actifs effectivement enregistrés dans les
bilans des banques au niveau mondial était estimé à 400 milliards de dollars (Le Monde, 22-07, p. 12).
62 CitiGroup a ainsi reçu 7,5 milliards de dollars de Adra, fonds d’Abu Abi, Morgan Stanley 5 milliards de dollars de CIC,
fonds chinois, Merril Lynch 6,2 milliards de dollars de Temasek, fonds de Singapour…
63 Pour sauver BSC de la faillite, la Fed a suscité le rachat de cette dernière par JP. Morgan et accepté de prendre en charge
le risque encouru sur les titres spéculatifs de BSC, c’est-à-dire en fait sur les 30 milliards de dollars d’actifs les plus fragiles
détenus par la banque. JP. Morgan se proposait initialement de racheter BSC pour 236 millions de dollars seulement,
alors qu’en mars 2008 certains analystes estimaient la valeur réelle de BSC à 7,7 milliards de dollars. Finalement, face aux
menaces de recours judiciaires de différents actionnaires de BSC, JP. Morgan a été contraint d’augmenter son offre et a
proposé de racheter les actions de BSC pour 10 dollars, contre 2 dollars dans sa proposition initiale (soit un coût total de
plus de 2 milliards de dollars), sachant cependant que les actions de BSC cotaient 67 dollars au début du mois de mars
2008 et 170 dollars en mars 2007.
64 Fannie Mae, fondée en 1938, et Freddy Mac, créé en 1970, sont des entités privées « sous surpervision de l’État »
(Government sponsored entities. Elles n’accordent pas directement de crédits immobiliers mais rachètent de tels crédits
aux banques ou les garantissent. En juillet 2008 on estimait qu’elles garantissent ou détiennent 5 300 des 12 000 milliards
de dollars de l’encours de crédits immobiliers aux États-Unis. Dès juillet 2008, ces deux établissements se retrouvaient
gravement en difficulté. En juillet 2008, elles avaient perdu globalement de l’ordre de 80 % de leur valeur boursière
respective au 1er janvier 2008. Leur déconfiture boursière s’est poursuivie et amplifiée en août 2008, conduisant fina-
lement le gouvernement fédéral américain a décider leur nationalisation provisoire, le Trésor public étant autorisé à
mobiliser 200 milliards de dollars pour assurer leur sauvetage, ce qui apparaissait comme la condition pour empêcher
ainsi l’écroulement de tout le système financier américain.

176 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


taire, elle n’a pas pu empêcher que la défiance à l’égard des banques et des établissements
financiers se traduise par une chute brutale des cours de leurs actions entraînant dans son
sillage l’ensemble des valeurs boursières. La crise des subprimes s’est ainsi traduite rapide-
ment par une véritable crise boursière affectant les bourses des grands pays industrialisés:
forte baisse de l’indice Dow Jones qui, début juillet 2008, avait perdu 21 % par rapport au
pic atteint le 11 octobre 2007 , baisse du CAC 40 de près de 30 % entre juillet 2007 et juin
2008 (baisse de 21 % au premiers semestre 2008). Affectant également (et plus fortement
encore) les bourses des pays émergents : baisse de 30,91 % de l’indice BSE de Bombay au
1er trimestre 2008, contre une hausse annuelle de 47,15 % en 2007, baisse de 34,06 % de
l’indice CSI en Chine (Shanghaï et Shenzhou) contre une hausse de 161,55 % en 2007.
Cette crise financière et boursière s’est ensuite transmise à l’économie réelle, entraînant
un ralentissement marqué de la croissance économique aux États-Unis qui, jusque-là, était
tirée principalement par l’endettement des ménages et la hausse des prix de l’immobilier.
La hausse des prix de l’immobilier pendant plusieurs années avait en effet créé un effet
de richesse, cette hausse des prix de l’immobilier revalorisant le patrimoine des ménages
américains, propriétaires de leur habitation principale. Ces derniers avaient pu ainsi aug-
menter leur consommation, pour partie à crédit, une fraction des crédits à la consomma-
tion étant gagée sur les biens immobiliers des emprunteurs. Avec le retournement du
marché de l’immobilier, la situation s’est inversée. Les ménages ont vu la valeur de leurs
biens immobiliers baisser ; l’effet richesse a continué à opérer mais cette fois-ci de manière
négative, dans le sens d’une contraction de la consommation des ménages et donc du ra-
lentissement de l’activité. D’autant qu’à l’effet de richesse négatif induit par la baisse des
prix de l’immobilier s’est ajouté celui résultant de la baisse des cours boursiers65. Parallè-
lement, la crise a commencé à entraîné un resserrement général du crédit accordé par les
banques et une augmentation de son coût, pesant directement sur le niveau de l’activité
économique réelle.
La crise de l’économie réelle s’est traduite aux États-Unis, dès le premier trimestre 2008,
par un fléchissement marqué du rythme de croissance du PIB et une remontée du chômage
(5,1 % en mars 2008). Joseph Stiglitz pronostiquait en octobre 2007 que ce ralentissement
« devrait durer au moins 12 à 18 mois » (op. cit.). Alan Greenspan, l’ancien président de la
Fed, a parlé pour sa part de la crise la plus grave et la plus douloureuse depuis 1945, tandis
que Martin Feldstein, le président du NBER, estimait, en mars 2008, que non seulement
la récession avait commencé aux États-Unis mais que, de surcroît, elle serait l’une de plus
sévères depuis la Seconde Guerre mondiale. Tandis que l’OCDE, dans ses prévisions de
mars 2008, tout en estimant « prématuré de parler de récession » à propos de la situation
de l’économie américaine, ramenait ses prévisions de croissance des États-Unis pour 2008
à 1,4 % (contre 2 % prévu en décembre 2007), soit sensiblement moins que la croissance
réalisée en 2007 (2,2 %). Le FMI, dans ses prévisions d’avril 2008, prévoyait un ralentisse-
ment significatif de la croissance économique à l’échelle mondiale (3,7 % contre 4,95 %
en 2007).
L’immobilier joue un rôle très important dans le développement de la crise. À ce propos
J. Stiglitz expliquait ainsi en juillet 2008 qu’il « y a consensus quant aux prévisions : le ralen-
tissement sera général et de longue durée » (2008, p. 10). De fait, depuis l’éclatement de la

65 Tout laisse à penser que l’ajustement à la baisse du marché immobilier est appelé à se prolonger pendant plusieurs
semestres, au moins jusque fin 2009, voire au-delà.

La mondialisation 177
crise, les défaillances de ménages américains emprunteurs se sont accélérées. Alors qu’il y a
eu 1,5 million de défaillances de remboursement de crédit immobiliers en 2007, ce chiffre
devrait passer à 2,5 millions en 2008. Et cette crise de l’immobilier qui a commencé aux États-
Unis s’est depuis étendue à l’Europe (Espagne, Grande-Bretagne, Irlande et… France).
Les risques que la crise financière fait peser sur l’économie réelle sont d’autant plus impor-
tants que, depuis la mi-2007, le développement de la crise financière s’est conjugué avec
d’autres crises et en particulier monétaire (forte dépréciation du dollar), alimentaire et
énergétique (se traduisant, pour ces deux dernières, par la flambée des cours de matières
premières correspondantes jusqu’à l’été 2008). C’est ainsi que le ralentissement de la crois-
sance de la production aux États-Unis au premier semestre 2008 est survenu alors même
que l’inflation s’accélèrait, atteignant 4,2 % en rythme annuel.
La situation résultant de l’éclatement de la crise a été jugée rapidement suffisamment
grave par les pouvoirs publics américains pour que ceux-ci décident d’intervenir. Le 18
janvier 2008, le Président des États-Unis, G. Bush, annonçait un plan de relance de 157
milliards de dollars (consistant en restitutions d’impôts aux ménages et aux entreprises
devant s’étaler jusque la mi-juillet 2008)66, suivi en juillet 2008 d’un plan de sauvetage de
l’immobilier américain67. Un fonds de l’administration fédérale du logement, doté de 300
milliards de dollars, a été créé pour permettre aux particuliers incapables de faire face à
leurs dettes immobilières de se refinancer : les particuliers pourront remplacer leur em-
prunt en cours par un nouveau prêt à taux fixe sur 30 ans pour 90 % de la valeur de leur
logement. Parallèlement, comme on l’a déjà indiqué, Fannie Mae et Freddie Mac ont été
mis sous la tutelle du Trésor public américain, autorisé à acheter leurs actions afin de leur
permettre de se recapitaliser ou à leur prêter des fonds jusqu’en 2009.
Mais le ralentissement n’a épargné ni l’Europe ni le Japon. Au second trimestre 2008, le PIB
a reculé dans les grands pays de la zone euro (-0,3 % en France et en Italie, -0,5 % en Alle-
magne, -0,2 % pour l’ensemble de la zone euro). Parallèlement, la hausse des prix a continué
à s’accélérer dans la plupart des pays de la zone euro. En juillet 2008, l’inflation sur un an
était de 3,3 % en Allemagne, 3,6 % en France, 4,1 % en Italie, 5,3 % en Espagne et 5,9 %
en Belgique, tandis que la Banque d’Angleterre anticipait une hausse des prix de 5 % pour
2008 au Royaume-Uni.
Pour la France, selon les données publiées par l’INSEE à la mi-août, le PIB qui avait pro-
gressé de 2,2 % en 2007 et encore de 0,6 % au premier trimestre 2008 a reculé de 0,3 %
au second trimestre 2008, tandis que la production de biens baissait de 0,5 % et que le
chômage augmentait de 0,3 % en mai et de 0,2 % en juin68 et que le secteur immobilier su-
bissait une baisse des permis de construire de 15 % et une réduction des mises en chantier
de 22 % au deuxième trimestre 2008. Parallèlement, la poussée de l’inflation se confirmait
avec une hausse annuelle de 3,6 % en glissement en juin 2008 (contre une hausse de l’in-
dice des salaires hors fonction publique et hors agriculture de 3,1 % sur la même période).
66 Il s’agit d’un crédit exceptionnel d’impôt pour les ménages (600 dollars sont versés à chaque contribuable, 1 200 dollars
pour un couple plus 300 dollars par enfant) et d’allégement fiscaux pour les entreprises qui investissent (réduction mo-
mentanée de moitié de l’impôt sur les achats de matériels). Mais pour J. Stiglitz, ce plan n’était qu’une « goutte d’eau
dans un seau d’eau » (cité par Le Monde, 29-04, 2008, p. V).
67 Un an après l’éclatement de la crise, la situation de l’immobilier est particulièrement difficile, certains analystes n’hésitant
pas à parler d’une crise immobilière sans précédent depuis la crise de 1929-1933 : baisse du prix des logements de 15,8 %
en un an (juin 2007-juin 2008), tandis que, selon certaines estimations, 2,8 millions d’Américains pourraient perdre leur
maison d’ici à fin 2009 (Le Monde, 01-08, 2008, p. 11).
68 Au second trimestre 2008, après cinq années de hausse, le nombre d’emplois a diminué (- 35 000 selon l’UNEDIC et – 20 000
selon l’INSEE), ce qui traduit une répercussion exceptionnellement rapide du ralentissement de l’activité sur l’emploi.

178 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


C – Une efficience limitée des marchés de capitaux
A la thèse de l’efficience allocationnelle du marché mondial des capitaux défendue par
divers auteurs, on peut opposer un double constat : les marchés d’action ne jouent qu’un
rôle très limité dans le financement des entreprises ; les flux internationaux de capitaux
privilégient les pays les plus riches au détriment des PED.

• À l’instabilité endémique des marchés de capitaux et aux conséquences très domma-


geables pour l’économie réelle qui peuvent en résulter, comme le montre la crise des
subprimes, s’ajoute que, si ces marchés de capitaux ont connu un développement consi-
dérable, et contrairement à une opinion largement reçue, ils n’alimentent que très mo-
destement les entreprises en fonds propres. Si nombre de pays capitalistes développés
sont passés d’une économie d’endettement administrée à une économie de marchés de
capitaux libéralisée, il reste en effet que le flux net des financements que les entreprises
tirent effectivement des marchés par émissions d’actions demeure limité. C’est en réalité
l’autofinancement qui joue le rôle prépondérant dans le financement des entreprises,
cet autofinancement ayant même parfois dépassé les 100 %.

Anton Brender (2000, p. 41) souligne ainsi, à propos des États-Unis, que les sociétés s’y fi-
nancent « assez peu par une émission d’actions. Certaines émettent des actions et d’autres
en retirent ». De sorte que les émissions nettes d’actions sont aux États-Unis relativement
limitées. Ce sont en fait les marchés obligataires qui « drainent le gros des flux d’épargne
vers les entreprises ou vers les États » (id., p. 41). Pour sa part, et toujours pour les États-
Unis, P. Artus (2002a) souligne que la participation nette au financement de l’économie
américaine des émissions d’actions a été négative à la fin des années 1980. Tandis que,
selon le rapport annuel de la BRI, publié en juin 2006, les rachats d’actions effectués en
2005 par les entreprises cotées au S&P 500 se sont élevés à prés de 350 milliards de dollars.

La situation n’est guère différente en Europe. Ainsi, en 2004, selon des statistiques pu-
bliées par la Société générale, alors que les entreprises européennes ont versé 199 milliards
d’euros de dividendes à leurs actionnaires et ont racheté leurs actions pour 30 milliards
d’euros, elles n’ont collecté sur les marchés de capitaux (augmentations de capital, intro-
ductions en bourse, placements) que 110 milliards d’euros.

Pour la France, où les quelques 650 sociétés non financières cotées en bourse ne représen-
tent en fait approximativement que 20 % de la valeur ajoutée créée par le secteur privé et
2 millions d’emplois, dans les années 1990, comme dans les autres pays du G7, c’est l’auto-
financement qui a joué le rôle prépondérant dans le financement total (externe et interne)
des entreprises. Toujours pour la France, où le taux d’autofinancement avait atteint 95 %
en 2004, selon les statistiques de l’Autorité des marchés financiers, les groupes ont versé
18,5 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires, racheté pour 10 milliards d’euros
de leurs actions, tandis que les émissions de capital se limitaient à 10,4 milliards d’euros
seulement (Le Monde, 2-02, 2005, p. 18). Ce qui signifie que le marché des capitaux a reçu
plus d’argent des entreprises qu’il ne leur en a fourni pour financer leur développement.
En 2006, alors que les entreprises cotées sur Euronext Paris ont levé des capitaux pour un
montant total de 37,5 milliards d’euros, les seules entreprises du CAC 40 (sous-ensemble

La mondialisation 179
d’Euronext) reversaient 39 milliards d’euros à leurs actionnaires, soit un déficit net de fi-
nancement de 1,5 milliards d’euros. La situation avait été identique en 2004 et 2005, an-
nées au cours desquelles le montant des rachats d’actions et versement de dividendes
excédait celui des capitaux fournis par le marché aux entreprises (Schmidt, 2007, p. 14).
Mais cette situation ne se limite pas aux seuls cas évoqués ci-dessus ; elle s’observe en fait
dans de nombreux pays développés, ce qui conduit des auteurs comme D. Bourghelle et
P. Hyme (2007, p. VI), à soutenir que, « dans la plupart des pays occidentaux (...) le rôle des
marchés d’actions dans le financement des investissements (...) est aujourd’hui considéré
comme marginal, voire obsolète ».
• L’orientation géographique des flux internationaux de capitaux, déjà évoquée, n’est pas
sans soulever des interrogations légitimes. Force est ainsi de constater que les États-Unis
sont devenus la première destination des flux internationaux de capitaux, ce qui est néces-
saire pour financer l’énorme déficit de leur balance des transactions courantes, alors même
que les PED semblent avoir beaucoup de difficultés pour attirer vers eux les flux nets de ca-
pitaux qui leur seraient utiles pour financer leur développement69. On est donc confronté
à ce paradoxe que c’est la nation la plus riche qui attire massivement les capitaux, lesquels
se détournent relativement des pays à forte croissance démographique où vivent pourtant
« des populations actives, jeunes et nombreuses » encore « sous-équipées, sur les plans
matériel et éducatif » (Fayolle, 2002-3, p. 29).
Ainsi, alors que sur la période 1995-2001 les IDE dans le monde se sont élevés à une
moyenne annuelle de 750 milliards de dollars (avec un pic à 1 300 milliards de dollars
en 2000), 140 milliards de dollars seulement de ces investissements ont été effectués en
moyenne annuelle dans les PED (Longueville, 2003, p. 16)70. En pratique, si les flux nets de
capitaux vers les PED ont fortement progressé à partir de 1989-1990 pour atteindre une
moyenne de 240 milliards de dollars par an entre 1993 et 1996, ils ont ensuite régressé,
passant de 340 milliards de dollars en 1996 à 110 milliards de dollars en 2002, et sont ainsi
revenus à une moyenne annuelle de l’ordre de 130 milliards de dollars par an en 1998-
2002 (id., p. 5), soit un montant global bien faible au regard de l’immensité des besoins de
ces pays en matière de financement de leur développement. A cette faiblesse relative du
montant global des IDE réalisés dans les PED s’ajoute par ailleurs le fait que la plupart des
PED comptabilisent comme IDE les rachats par des firmes étrangères de firmes nationales
privatisées. Or ces rachats d’entreprises privatisées peuvent représenter dans certains PED
une proportion importante des IDE qui y sont réalisés ; comme ce fut le cas, par exemple,
avec l’Argentine pour laquelle environ 50 % des capitaux de long terme qui y ont été pla-
cés au cours des années 1990 ont correspondu à des rachats d’entreprises locales par des
non résidents (id., p. 12).

69 Bien plus, « en 2002 les pays en développement étaient globalement exportateurs nets de capitaux » (Moati, 2004, p.
34). À quoi s’ajoute que « l’instabilité est le fléau majeur de la finance mondialisée » et que « les pays en développement
en sont les premières victimes » (id., p. 34).
70 Outre que, du fait de la forte augmentation du stock d’investissements directs reçus par les PED, passé de moins de
500 milliards de dollars en 1990 à environ 2 400 milliards en 2002, et de la bonne rentabilité des filiales installées par
les firmes multinationales dans ces pays (généralement supérieure à celle des entreprises locales et même de la maison
mère dans son pays d’origine : cf. supra), les profits réalisés par les filiales qui sont rapatriés par les sociétés mères ont
fortement progressé depuis le début des années 1990. C’est ainsi que « depuis 2000, intérêts et dividendes nets versés
représentent à peu près les deux tiers des flux nets de capitaux privés et publics reçus. Le poids relatif des dividendes
comparé à celui des intérêts s’est considérablement accru depuis douze ans » (Longueville, 2003, p. 17). Les intérêts
nets versés par les PED à leurs créanciers (statistiques sur 27 grands PED) sont ainsi passés de 41,7 milliards de dollars à
56,1 milliards entre 1990 et 2002 tandis que les dividendes et revenus de la propriété nets passaient de 10,3 milliards de
dollars à 58,6 milliards (id., p. 17).

180 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Parallèlement, sur cette même période 1995-2001, les flux nets de capitaux privés à des-
tination des États-Unis atteignaient un montant analogue à ceux reçus par l’ensemble
des PED. De 2000 à 2003, le montant des actifs américains détenus par des non-résidents
a augmenté en moyenne annuelle de 833 milliards de dollars, tandis que celui des actifs
étrangers détenus par les résidents américains augmentait de 366 milliards de dollars par
an. Les États-Unis qui étaient créditeurs nets du reste du monde au début des années 1980
sont devenus depuis débiteurs nets pour un total de 2 600 milliards de dollars fin 2002
(approximativement 25 % du PIB américain), avec un total de 9 000 milliards d’actifs amé-
ricains détenus par des non-résidents.
Outre la question du montant des flux nets de capitaux à destination des PED évoquée
ici, est par ailleurs soulevée celle de l’impact sur la croissance de ces pays des flux de capi-
taux privés qui s’y dirigent dans le contexte de la globalisation financière contemporaine.
L’examen synthétique de travaux récents montre que ceux-ci aboutissent à des résultats
nuancés. D’où une interrogation légitime sur la capacité des marchés financiers à accom-
pagner de manière satisfaisante le développement de ces pays. Au-delà, c’est la question
de l’impact de la libéralisation et de la déréglementation financières sur le développement
économique qui est posée, différents auteurs soulignant en effet, que « le boom sans pré-
cédent de l’après-guerre fut, presque partout, réalisé dans un contexte de restriction de la
mobilité du capital, alors que la libéralisation progressive des marchés de capitaux depuis
environ 1973 fut accompagnée par une stagnation, ou pire » (Brenner, 1999, p. 46 ; cf.
également Gerbier, 1999).
*

En conclusion, il faut souligner que cette mondialisation, qualifiée par certains de « mal-
heureuse » (Andreani, 2001) ou de « ségrégative et volatile » (Fayolle, 2002-3), s’accom-
pagne d’un accroissement important des inégalités, avec ce que J-P. Fitoussi et P. Rosanval-
lon (1996) ont appelé « le nouvel âge des inégalités ».
Cet accroissement des inégalités s’observe au niveau international (graphiques 3.8 et 3.9).
GrAPhIqUE 3.8
Evolution du coefficient de mesure des inégalités de revenus : 1980-2000

Sources : J. Williamson à partir de F. Bourguignon et C. Morrisson, La Mondialisation, n° 59, Alternatives Econo-


miques, Hors-série, 1er trim. 2004, p. 8.

La mondialisation 181
GrAPhIqUE 3.9
Evolution de l’indicateur des inégalités internationales : 1960-2004

Source : Cepii, Le Monde, 29-04, 2005, p. 22.

L’accentuation des déséquilibres entre le Nord et le Sud liée à la mondialisation peut se


voir dans le fait que le rythme de croissance d’un nombre important de PED a fortement
ralenti depuis la décennie 1980 et l’engagement de ces pays dans le mouvement de libéra-
lisation et d’ouverture internationale de leurs économies qui caractérise la mondialisation.
C’est ainsi « qu’en Amérique Latine, le revenu national a augmenté de 75 % au cours des
années 60 et 70, lorsque les économies de la région étaient relativement fermées. Mais a
augmenté seulement de 6 % dans les vingt dernières années alors que l’Amérique Latine
s’ouvrait sur l’extérieur » (Engardio et Belton, 2001, p. 8), tandis que « malgré une large
libéralisation, le taux de croissance de l’Afrique subsaharienne était tombé de 3,5 % dans
les années 70 à 2,2 % dans les années 90 » (id., p. 9). Toujours pour l’Amérique latine, selon
les données de A. Maddison (2001), le PIB par tête n’a augmenté en moyenne annuelle
que de 0,99 % entre 1973 et 1997 contre 2,52 % l’an entre 1950 et 1973. Dans le cas du
Mexique qui, sous l’égide du FMI, a opté pour une politique d’ouverture jouant le jeu de
la mondialisation, le PIB par tête, qui avait augmenté en moyenne de 3 % par an de 1960
à 1976, n’a progressé que de 1,2 % par an entre 1976 et 2001. Pour l’Asie en développe-
ment, hors Inde et Chine, les chiffres correspondants sont respectivement de 3,56 % et
2,4 % et, pour l’Afrique, de 2,07 % et 0,01 % (Longueville, 2003, p. 10). Le fait est, comme
le souligne par exemple la CNUCED dans son rapport 2004 sur les PMA, que l’ouverture au
commerce international ne suffit pas à garantir la croissance économique et la réduction
consécutive de la pauvreté.
L’accroissement des inégalités entre le Nord et le Sud ressort par ailleurs clairement des
études réalisées par diverses organisations internationales. C’est ainsi que, selon le rapport
du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) de 1999 sur le développe-
ment humain, 20 % de la population de la planète s’adjugaient alors 86 % du PIB mondial.
Selon les statistiques de la Banque mondiale, en 1998 le revenu dont disposaient pour vivre
près de 2,8 milliards de personnes dans le monde était de moins de deux dollars par jour,

182 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


tandis que le nombre de personnes ne disposant que d’un revenu d’un dollar par jour a
augmenté au cours de la dernière décennie pour atteindre le chiffre de 1,3 milliard. Et,
selon la Banque mondiale et le FMI, il n’y a guère de chance que le nombre de personnes
vivant avec moins d’un dollar par jour soit réduit de moitié d’ici 2015, comme l’objectif
en avait été fixé par l’ONU en 2000. J. Stiglitz, qui a occupé pendant de longues années
des fonctions éminentes au sein de la Banque mondiale, peut ainsi écrire que « ceux qui
critiquent la mondialisation oublient trop souvent de rappeler ses avantages. Mais ceux
qui en chantent les louanges sont, d’une certaine façon, encore plus injustes ! Car le prix à
payer a été lourd. L’écart entre les riches et les pauvres s’est élargi. Il condamne toujours
plus d’habitants du Tiers-monde au dénuement, avec moins d’un dollar par jour. En dépit
des promesses répétées de réduction de la pauvreté, le nombre réel de pauvres s’est accru
de près de cent millions durant les dix dernières années - alors que, dans la même période,
le revenu mondial a augmenté de 2,5 % par an » (2003, p. 21). Dans un rapport de 2006,
l’OCDE rappelle par ailleurs que 47 % à 49 % de la population d’Afrique noire et 11 % de
celle d’Amérique latine vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Les études disponibles montrent en outre que l’écart entre le groupe des pays les plus
pauvres (les pays les moins avancés - PMA - dans la terminologie officielle) et les pays riches
s’est creusé. Le revenu par tête dans les PMA qui, mesuré en parité de pouvoir d’achat, repré-
sentait 10 % de celui des pays les plus développés en 1970 n’en représentait plus que 6 % en
2000. Au cours de ces trois décennies, la croissance du PIB par tête s’est établie, en moyenne
annuelle, à 2,1 % pour tous les pays riches contre seulement 0,2 % pour les PMA.
Par ailleurs, si l’aide publique au développement s’est élevée à 106,5 milliards de dollars en
2005 (en raison en particulier des remises de dettes à l’Irak) et devrait, selon l’OCDE, être
portée à 130 milliards de dollars en 2010, elle demeure très insuffisante et très en deçà des
objectifs que la communauté internationale s’est longtemps fixée en la matière (au moins
0,70 % du PIB des pays donateurs), puisque l’aide accordée en 2005 par les 22 pays les plus
riches, membres du Comité d’aide au développement, a représenté en moyenne 0,30 % seu-
lement de leur revenu national brut. Outre que moins de la moitié de l’aide publique au
développement est effectivement versée aux pays bénéficiaires, le reste étant absorbé par le
coût des études, la gestion des programmes des donateurs et l’allégement des dettes.
En parallèle au creusement des inégalités au niveau international entre le Nord et le Sud,
il y a accroissement des inégalités au sein des pays capitalistes développés eux-mêmes .
Ainsi, aux États-Unis, le salaire réel des 4/5èmes des employés et ouvriers américains a baissé
entre 1973 et 1995, les trois quarts de la population active ayant subi une baisse des sa-
laires bruts de 19 % entre ces mêmes dates. Par contre, les riches sont devenus encore plus
riches puisque «les 5 % des Américains de la catégorie supérieure avaient un revenu trois
fois supérieur au revenu médian de la catégorie moyenne en 1979, mais quatre fois supé-
rieur en 1996 » (Andréani, 2001, p. 25), tandis que les salaires des dirigeants d’entreprises
ont, entre 1983 et 1997, augmenté 10 fois plus vite que celui de l’américain moyen (id., p.
25). Alors que de 1966 à 1980 le revenu moyen avant impôts des 5 % de familles améri-
caines les plus riches avait évolué approximativement comme celui des 20 % de familles les
plus pauvres, sur une base 100 en 1980 le revenu moyen des 5 % de familles les plus riches
dépassait les 190 en 2001 contre approximativement 105 pour les 20 % de familles les plus

La mondialisation 183
pauvres (Le Monde, 30 et 31-10, 2005, p. 26)71. Le salaire moyen d’un PDG aux États-Unis
était 42 fois celui d’un ouvrier moyen en 1980, mais 85 fois en 1990 et 531 fois en 2000.
L’écart se creuse ainsi entre ceux que Robert Reich (1993) appelle les « manipulateurs de
symboles », c’est-à-dire les ingénieurs, informaticiens, financiers, etc, dont les compétences
sont très recherchées et dont les revenus progressent rapidement, et la grande masse des
travailleurs salariés peu qualifiés ou dont la qualification est associée à des technologies
anciennes. Ces salariés subissent de plein fouet l’impact des politiques de compression de
la masse salariale et/ou la délocalisation des entreprises vers les pays à bas salaires. Selon
les données du Census Bureau américain, en 2003, 12,5 % de la population américaine, soit
35,9 millions de personnes, vivaient au-dessous du seuil de pauvreté (fixé à 9 393 dollars
pour une personne seule et 18 810 dollars pour une famille de quatre personnes), contre
11,1 % en 1973, tandis que 45 millions de personnes (15,6 % de la population totale) ne
bénéficiaient pas d’une couverture santé.
De même, en France, les études réalisées par l’INSEE font apparaître que la tendance à
la baisse des inégalités en termes de revenu disponible qui s’était affirmée pendant plu-
sieurs décennies s’est inversée dans le courant de la décennie 1980 (cf. tome 1, chapitre
IV). On observe un creusement des inégalités entre les salariés « bénéficiant, grâce à leur
qualification personnelle et à leur appartenance d’entreprise, des gains de l’ouverture
internationale, et les salariés vulnérables aux changements que cette ouverture impulse,
en raison de la nature ou de la faiblesse de leur qualification, mal adaptée aux mutations
techniques » (Fayolle, 2002-3, p. 20)72. Simultanément, autre aspect du même problème, la
précarité s’est fortement développée et l’on assiste à ce que l’on peut considérer comme
un véritable processus de délitement social.
Parallèlement, les inégalités s’accroissent également à l’intérieur des pays émergents où,
selon les termes même de François Bourguignon, alors chef économiste de la Banque mon-
diale, elles « croissent fortement » (Le Monde, 14-12, 2006, p. 15). Une étude de 2005 réa-
lisée par la Banque mondiale sur l’impact de l’entrée de la Chine dans l’OMC, incluant une
enquête auprès de 84 000 ménages chinois, révèle que 90 % des ménages urbains ont vu
leur revenu et leur consommation croître depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2001,
tandis que le revenu des ménages ruraux (la grande majorité de la population) baissait
en moyenne de 0,7 % et ceux des plus pauvres de ces ménages ruraux de 6 %, ce qui a
conduit la Banque à faire certaines recommandations à la Chine pour lutter contre cette
aggravation des inégalités.

71 Robert Reich, ancien Secrétaire au travail de l’administration Clinton, expliquait récemment que « le salaire moyen aux
États-Unis ajusté à l’inflation est à peine supérieur à ce qu’il était en 1970. La mondialisation a seulement bénéficié aux
nantis. Un pour cent des Américains les plus riches accapare aujourd’hui 20 % du revenu national, quand la moitié de la
population ayant les revenus les plus faibles n’en reçoit que 12,6 % » (Le Monde, 19-01, 2008, p. 14).
72 Une étude de C. Landais (2007), portant sur la période 1998-2005, montre que, pour l’ensemble de cette période, 90 %
des 35 millions de foyers fiscaux français ont vu leur revenu réel augmenter en tout de 4,6 % (soit une augmentation de
l’ordre de 0,5 % par an), tandis que le revenu réel des 3 500 foyers fiscaux les plus riches de France (0,01 % du total des
foyers fiscaux), dont le revenu moyen déclaré en 2005 était de 1,88 million d’euros, progressait en tout de 42,6 % (soit
une augmentation annuelle de près de 5 %). Toujours sur cette même période, alors que les salaires réels n’ont aug-
menté en tout que de 5,3 %, les revenus fonciers ont progressé de 16,2 % et les revenus de capitaux mobiliers de 30,7 %

184 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les politiques économiques

Deuxième partie

À la suite des transformations structurelles de grande ampleur qu’a subies le capitalisme


pendant l’entre-deux-guerres et jusque dans les années qui ont suivi la Seconde Guerre
mondiale, l’intervention de l’État dans la vie économique du pays est devenue l’une des
caractéristiques majeures du fonctionnement de l’économie des grands pays développés
contemporains. La période des Trente Glorieuses est celle de l’affirmation du rôle majeur
de l’État dans la conduite et la régulation de l’activité économique nationale. Dans un
pays comme la France, l’ouverture aux échanges mondiaux et, en conséquence, la pression
de ce que l’on appellera par la suite la « contrainte extérieure » est encore limitée. L’État
s’est doté de divers instruments d’action dont il a la maîtrise exclusive et qui lui permettent
assez aisément d’imposer ses vues aux agents économiques privés. Son intervention dans
la vie économique du pays se traduit par la mise en œuvre d’une politique économique
conjoncturelle et d’une politique économique structurelle.
La politique économique conjoncturelle vise à créer les conditions d’une croissance soute-
nue et régulière de la production et des échanges, gage d’amélioration du bien-être ma-
tériel des populations, et de préserver l’économie nationale des déséquilibres (inflation,
chômage, déficit extérieur) qui peuvent l’affecter et qui sont susceptibles de menacer par
diverses médiations la pérennité du processus de croissance. Compte tenu des risques inhé-
rents à une accélération ou au contraire à une décélération trop marquées de la croissance
économique, elle a pour objectif de régulariser l’évolution à court terme du PIB et d’en
lisser les fluctuations conjoncturelles : ralentir la croissance en phase d’expansion du cycle
lorsque celle-ci se transforme ou risque de se transformer en « surchauffe » et, au contraire,
soutenir l’activité en phase de récession du cycle afin de limiter l’ampleur et la durée de
cette dernière. Il s’agit également de créer les conditions pour que les performances de
l’économie nationale concernant son taux de croissance, le niveau de l’emploi global, le
taux d’inflation et le solde des échanges extérieurs se rapprochent le plus possible de ce
que l’économiste britannique Nicholas Kaldor (1908-1986) a qualifié de « carré magique ».
N. Kaldor a proposé en 1971 une représentation graphique de la situation d’un pays donné
au regard de quatre des objectifs de la politique économique dont l’économiste néerlan-
dais, J. Tinbergen, avait souligné l’importance dès 1961 : le taux de croissance du PIB, le
niveau de l’emploi, le taux d’inflation et le solde des échanges extérieurs. Cette repré-
sentation connue sous le nom de « carré magique » (graphique 1). Les quatre axes du
schéma représentent respectivement le taux de croissance du PIB, le taux de chômage, le
taux d’inflation et le solde des échanges extérieurs exprimé en pourcentage du PIB. Pour
une année donnée, on reporte sur chacun des axes le résultat correspondant obtenu par
l’économie nationale. En joignant les quatre points ainsi déterminés, on obtient une fi-
gure géométrique qui permet de visualiser les performances de l’économie nationale pour
l’année considérée. Celle-ci peut alors être comparée à la figure de référence du « carré
magique » qui correspond à la situation d’une économie ayant simultanément : un taux
de croissance du PIB élevé (de l’ordre de 6 %), un taux de chômage et un taux d’inflation
nuls l’un et l’autre et des échanges extérieurs équilibrés. À titre d’illustration, le graphique
1 représente la situation de la France pour diverses années.

Graphique 1
Le carré magique de kaldor

Source : LONGATTE J., VANHOVE P. (2001), Economie générale,


Dunod, p. 323.

186 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le taux de croissance du PIB, le niveau de l’emploi, le taux d’inflation et le solde des
échanges extérieurs, c’est-à-dire les variables du « carré magique », constituent autant
d’objectifs finals de la politique économique conjoncturelle qui vise en fait, par
l’adoption de mesures appropriées, à rapprocher le plus possible l’économie na-
tionale de la situation de référence que représente le « carré magique »1. La réali-
sation de ces objectifs finals passe par celle d’objectifs intermédiaires qui concer-
nent l’évolution d’autres variables économiques, supposées être reliées de manière
relativement stable aux objectifs finals, comme, par exemple, la masse monétaire
en circulation dont il est admis que l’évolution influe sur celle du taux d’inflation.
Les instruments de la politique économique conjoncturelle sont des grandeurs sur les-
quelles les pouvoirs publics sont en mesure d’agir directement et de manière exclusive
afin d’atteindre les objectifs intermédiaires ou finals assignés à la politique économique
conjoncturelle. C’est le cas, par exemple, du niveau du solde budgétaire de l’État qui influe
sur le montant de la demande globale adressée aux entreprises et, par là-même, sur le taux
de croissance du PIB ou encore celui du (des) taux d’intérêt directeur(s) de la Banque cen-
trale dont les variations conditionnent la création monétaire des banques commerciales
et, en conséquence, l’évolution de la masse monétaire. Ces instruments ne sont normale-
ment utilisés que de manière provisoire, le temps pendant lequel la situation économique
conjoncturelle sur laquelle l’État cherche à agir le justifie. Ils le sont également de manière
réversible ; selon l’état de la conjoncture, le même instrument pourra être utilisé dans des
sens opposés avec, par exemple, une baisse des taux d’intérêt si une conjoncture écono-
mique déprimée nécessite de stimuler l’investissement des entreprises et la consommation
des ménages et, au contraire, une hausse des taux d’intérêt destinée à peser négativement
sur l’investissement et la consommation si une croissante trop forte de la demande globale
suscite une poussée d’inflation.
L’expérience a montré que la réalisation du carré magique ne va pas de soi, ne serait-ce
que parce que les différents objectifs de politique économique qui le définissent peuvent
être contradictoires entre eux, confrontant ainsi les pouvoirs publics à un problème de
conflit d’objectifs. Ainsi, par exemple, si la réalisation d’un taux de croissance élevé paraît
être une condition d’un taux de chômage faible, les deux objectifs pouvant donc être
considérés comme complémentaires, elle peut être par contre contradictoire avec l’objectif
de préservation de l’équilibre des échanges extérieurs. La France en a fait l’expérience à
plusieurs occasions au cours des décennies 1960 et 1970, ce qui l’a conduite à dévaluer sa
monnaie à différentes reprises pour pouvoir rétablir momentanément l’équilibre de ses
échanges extérieurs, compromis par une croissance économique et un taux d’inflation en
moyenne plus élevés que ceux de nombre de ses principaux partenaires économiques et
commerciaux. Et l’on a déjà évoqué, à l’occasion de la présentation de la courbe de Phillips,
la difficulté à concilier faible taux de chômage et faible taux d’inflation.
C’est que la définition et la conduite d’une politique économique conjoncturelle ne vont
pas sans difficultés.
- Une première difficulté concerne le choix des instruments utilisés dans le cadre de la

1 Pour les keynésiens, la situation vers laquelle tend spontanément l’économie n’est pas celle qui correspond au carré
magique, et des politiques économiques conjoncturelles discrétionnaires sont donc nécessaires pour y parvenir. Les au-
teurs néoclassiques récusent cependant l’intérêt de telles politiques, considérant pour leur part que l’économie atteint
spontanément d’elle-même la meilleure situation possible, dès lors que certaines conditions structurelles sont respectées.

Partie 2 - Les politiques économiques 187


politique retenue. Une politique économique conjoncturelle quelconque ne peut en effet
réussir que si les instruments utilisés sont adaptés aux objectifs poursuivis, alors même
que la sélection des instruments en fonction des objectifs poursuivis est susceptible de se
heurter à deux problèmes distincts. Le premier tient à ce que la politique économique mise
en œuvre peut poursuivre simultanément plusieurs objectifs, ce qui soulève la question du
nombre d’instruments à utiliser. L’économiste néerlandais Jan Tinbergen (1961) a formulé
à ce propos le « principe de cohérence » selon lequel, lorsque la politique économique
mise en œuvre poursuit simultanément plusieurs objectifs, il est nécessaire, pour qu’elle
soit efficace, de disposer d’au moins autant d’instruments adaptés indépendants (l’action
de l’un n’interfère pas sur l’action de l’autre) qu’il y a d’objectifs. Le second problème tient
à ce que des instruments différents peuvent être utilisés concurremment pour atteindre
un même objectif, ce qui soulève la question du critère de sélection entre ces différents
instruments. Dans de telles conditions, la « règle de Mundell », ou principe d’efficience for-
mulé par l’économiste canadien Robert Mundell, préconise d’affecter chaque instrument à
l’objectif pour lequel il est a priori le plus efficace. En conséquence, en régime de taux de
change fixes (ou quasi fixes) et de forte mobilité internationale des capitaux, comme dans
l’ancien Système monétaire européen au cours de la décennie 1990, la politique budgé-
taire sera affectée au soutien de l’activité, tandis que la politique monétaire sera affectée
prioritairement à la lutte contre l’inflation.
- Une seconde difficulté tient à ce que la mise en œuvre d’une politique économique
conjoncturelle requiert nécessairement certains délais. Les délais internes correspondent
au temps nécessaire à l’identification du problème pouvant justifier une intervention de
l’État, au choix d’un ou de plusieurs instruments de politique économique et à leur mise
en œuvre. Les délais externes correspondent au temps requis pour que les instruments
sélectionnés fassent sentir leurs effets sur l’objectif retenu ; en distinguant le délai requis
pour que l’utilisation des instruments permettent d’atteindre les objectifs intermédiaires
de la politique économique mise en œuvre, d’une part, et le délai nécessaire pour passer
de la réalisation de ces objectifs intermédiaires à celle des objectifs finals, d’autre part. Or,
dans certains cas, ces différents délais peuvent être relativement longs. Le risque existe
alors qu’entre le moment où une politique économique conjoncturelle est engagée et ce-
lui où elle atteint son objectif final, la situation économique ait suffisamment évolué pour
que cette politique agisse alors à contretemps et produise des effets non désirés. Ce sera
le cas, par exemple, d’une politique de « relance » engagée dans un contexte de récession
et qui ne ferait sentir pleinement ses effets qu’alors que la conjoncture économique s’est
déjà retournée spontanément et que l’économie du pays connaît désormais une expan-
sion soutenue rendant superflue, si ce n’est dangereuse, une action de stimulation de la
croissance2. Pour surmonter ce type de difficultés, il faudrait être en mesure d’apprécier
correctement le délai global de mise en œuvre de la politique économique décidée et de
prévoir correctement l’évolution de la conjoncture à l’horizon de ce délai global, ce qui
ne va pas de soi du fait de la relative brièveté de la période pour laquelle il est possible de
faire des prévisions fiables (généralement pas plus de 18 mois). D’où la préférence donnée,
lorsque le choix est possible, aux instruments de politique économique qui font sentir leurs
effets le plus rapidement.

2 Pour le monétariste M. Friedman, c’est d’ailleurs l’une des raisons qui le conduisent à mettre en cause la possibilité et
l’utilité d’une politique conjoncturelle contra-cyclique.

188 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


- Une troisième difficulté tient à ce que la conduite de la politique économique conjonc-
turelle doit nécessairement tenir compte des anticipations et des réactions des agents éco-
nomiques. En règle générale, ces derniers réagissent en effet aux mesures adoptées par
l’État en application de sa politique économique, compte tenu des anticipations qu’ils
forment quant aux conséquences de cette politique pour eux-mêmes et pour l’ensemble
de l’économie. Or ces anticipations et réactions peuvent favoriser la réussite de la politique
économique conjoncturelle mise en œuvre ou, au contraire, contribuer directement à la
faire échouer.
À partir des années 1980, la poursuite de la crise économique durable qui avait débuté
dans le courant des années 1970, l’affirmation progressive du processus de construction
européenne et le choix fondamental fait en 1983 de donner la priorité à la poursuite de
ce processus en y inscrivant résolument la France, la « révolution libérale » et la mondia-
lisation ont eu de profondes répercussions sur la conduite de la politique économique
conjoncturelle. Les prérogatives de l’État-nation en la matière ont été, et continuent
d’être, progressivement réduites. Depuis la création de la zone euro en 1999, l’État, en
France, a perdu totalement le contrôle de la politique monétaire, devenue l’apanage de
la seule Banque centrale européenne (BCE). Si la maîtrise de l’instrument budgétaire et la
capacité à définir et conduire une politique budgétaire discrétionnaire demeurent formel-
lement de la compétence de l’État-nation, elles sont en réalité fortement contraintes par
l’obligation de respecter les règles édictées par le Pacte de stabilité et de croissance et le
poids de la charge que font peser sur le budget de l’État plus de trois décennies de déficit
budgétaire, avec un service de la dette qui absorbe à lui seul plus des deux tiers du rende-
ment global de l’impôt sur le revenu.

Ce contexte nouveau a également fortement affecté la conduite de la politique écono-


mique structurelle.
Pendant les Trente Glorieuses, l’État, en France, s’était délibérément et fortement engagé
dans une action de longue haleine visant à favoriser et impulser la modernisation des in-
frastructures et du système productif national afin, en particulier, de permettre au pays
de s’aligner sur les standards définis par l’économie américaine dominante, d’affronter les
défis résultant de l’ouverture progressive des frontières et du lancement de la construc-
tion européenne et d’en tirer profit. Dans cette optique, l’État ne s’était pas contenté
d’une fonction d’encadrement, de réglementation et de régulation de l’activité des agents
économiques privés. Il s’était fait producteur de biens et services marchands et non mar-
chands, banquier et financier, investisseur, aménageur du territoire national, planifica-
teur… Il s’était imposé comme le principal agent et opérateur du processus de développe-
ment de l’économie nationale.
Mais les années 1980 marquent un tournant fondamental de ce point de vue. À partir de
1986, l’État a remis en cause son engagement antérieur dans la production de biens et ser-
vices marchands. Il a également impulsé un mouvement de déréglementation de certains
marchés et libéralisé en profondeur le système financier et de crédit. Il a progressivement
renoncé à certains outils d’orientation et d’impulsion du développement économique
comme la planification. Partant de l’idée que « L’État ne peut pas tout », voire que dans
certains cas il « ne peut rien », les gouvernements successifs ont renoncé aux ambitions an-

Partie 2 - Les politiques économiques 189


ciennes en matière de politique industrielle. Dans cette optique nouvelle, le rôle de l’État
se limite désormais à accompagner le développement des entreprises en leur créant des
conditions et un environnement favorables (en matière d’infrastructures, de politique de
la recherche, de fiscalité…). Il se replie sur sa fonction de régulateur.
Ce sont là autant de manifestations, au plan de la politique économique structurelle, du
tournant libéral des années 1980. Ce tournant libéral au plan de la politique structurelle a
été largement justifié par les gouvernants qui l’ont décidé en invoquant les impératifs de
la construction européenne et, plus récemment, en le présentant comme une exigence de
l’adaptation de la France au processus de mondialisation. De fait, la mondialisation, telle
qu’elle est impulsée par les firmes multinationales et les grandes organisations interna-
tionales (OMC, Fonds monétaire international ou Banque mondiale, au sein desquels les
États-Unis jouent un rôle prépondérant), est une mondialisation de nature libérale qui pa-
raît incompatible dans son principe avec la préservation de certaines formes de politique
économique structurelle ayant contribué à ce que l’on avait appelé dans les années 1960
le « miracle français ». Par ailleurs, les orientations nettement libérales de l’Union euro-
péenne vont clairement dans le sens de la prolongation et de l’approfondissement de ce
cours nouveau de la politique économique structurelle.

190 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


le budget de l’État

CHAPITRE 4

Le budget de l’État est l’ensemble des comptes décrivant, pour une année civile, la totalité
des ressources et des charges de l’État. Il est préparé et exécuté par le gouvernement mais
voté par le Parlement. Ce dernier adopte tout d’abord la loi de finances de l’année, ou loi
de finances « initiale », qui prévoit et autorise l’ensemble des ressources et des charges de
l’État pour une année civile donnée, et qui doit être votée avant que celle-ci ne commence,
lors de la session d’automne du Parlement (principe d’antériorité). Le Parlement peut éga-
lement adopter des lois de finances rectificatives au cours de l’année civile d’exécution
du budget1. Enfin, après exécution du budget, il adopte la loi de règlement qui constate
le résultat financier de chaque année civile. L’exécution du budget par les ordonnateurs
(ministres, responsables d’établissements publics, recteurs d’académies… qui décident de
l’utilisation des fonds publics) est soumise au contrôle de la Cour des comptes qui publie
un rapport annuel sur l’exécution des lois de finances.
L’élaboration et l’exécution du budget obéissent à plusieurs grands principes :
• l’annualité budgétaire. Le budget doit être établi et voté pour chaque année civile et
exécuté dans l’année ;
• l’unité. Le budget de l’État est présenté dans un document unique contenant la totalité
des informations utiles et nécessaires pour appréhender l’évolution des ressources et des
charges de l’État. La loi de finances est cependant constituée de trois comptes : le budget
général, les budgets annexes et les comptes spéciaux du Trésor (cf. infra) ;
• l’universalité. L’ensemble des flux budgétaires doit apparaître de manière explicite dans
la loi de finances. En application de ce principe, une recette particulière ne peut être af-
1 La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001, dans son article 50, prévoit que le projet de loi de finances
est obligatoirement accompagné d’un « rapport sur la situation et les perspectives économiques, sociales et financières
de la nation ». Ce rapport détaille les hypothèses des projections économiques sur lesquelles repose le projet de loi de
finances de l’année, et « présente et explicite les perspectives d’évolution, pour au moins les quatre années suivant celle du
dépôt des projets de loi de finances, des recettes, des dépenses et du solde de l’ensemble des administrations publiques »
(id.). Le rapport sur les comptes de la nation doit également lui être adjoint.
fectée directement à la couverture d’une dépense particulière (règle de non-affectation
des recettes) et il ne peut être effectué de contraction entre les recettes et les dépenses,
les recettes et les dépenses devant apparaître dans le budget pour leur montant intégral
(règle de non-contraction ou de non-compensation) ;
• la spécialité. Les crédits ouverts au budget sont affectés à des programmes précisément
identifiés (cf. infra, encart) ;
• la sincérité. Les lois de finances doivent présenter l’ensemble des ressources et des charges
de l’État de façon sincère, compte tenu des informations disponibles lors de l’établisse-
ment du budget et des prévisions raisonnables qu’il est possible d’effectuer.
Il existe cependant certaines exceptions à ces principes. Ainsi, par exemple, les autorisa-
tions de programme par lesquelles le Parlement autorise le gouvernement à réaliser des
investissements étalés sur plusieurs années sont un assouplissement apporté au principe
de l’annualité2. De même, les fonds de concours inscrits au budget général ou les comptes
spéciaux du Trésor et les budgets annexes, qui établissent un lien entre dépenses et re-
cettes, font exception à la règle de non-affectation, tandis que certains comptes spéciaux
du Trésor font également exception à la règle de non-compensation. La LOLF de 2001
prévoit également que la répartition des crédits entre programmes d’un même ministère
peut être modifiée par virements (dérogation au principe de spécialité) mais dans la limite
d’un montant cumulé n’excédant pas 2 % des crédits ouverts pour chaque programme
concerné.
La structure du budget distingue, d’une part, les opérations à caractère définitif et les opé-
rations à caractère temporaire et, d’autre part, le budget général, les comptes spéciaux du
Trésor et les budgets annexes.
Les opérations à caractère définitif, comme leur dénomination le suggère explicitement,
correspondent à des crédits dont l’engagement est définitif. Dans ces opérations à carac-
tère définitif figurent le budget général qui regroupe les budgets des divers ministères et
le budget des charges communes rattaché au ministère de l’Économie et des Finances. Du
côté des ressources du budget général apparaissent les impôts ainsi que diverses recettes
non fiscales. Du côté des charges du budget général figurent les dépenses courantes ou
dépenses ordinaires et les dépenses d’équipement ou dépenses en capital.
À côté du budget général existent une première catégorie de comptes spéciaux du Trésor,
les comptes d’affectation spéciale qui ont la particularité de disposer de ressources spécia-
lement affectées. Les plus importants sont, d’une part, le compte Participations financières
de l’État qui retrace les opérations patrimoniales liées à la gestion des participations finan-
cières de l’État où sont inscrites les recettes provenant des privatisation et, d’autre part, le
compte Pensions utilisé pour le paiement des pensions et alimenté par des versements du
budget général et les cotisations payées par les fonctionnaires.
Les opérations à caractère temporaire sont principalement des prêts et avances destinés à
être remboursés ultérieurement par leurs bénéficiaires. Elles correspondent à une seconde
catégorie de comptes spéciaux du Trésor, les comptes de concours financiers : principale-
ment, des comptes de prêts à des États étranger, pour la consolidation de dettes envers la
2 Avec la LOLF, le système des autorisations de programme est désormais étendu à l’ensemble des dépenses des programmes
(cf. infra, encart) avec la distinction entre « autorisation d’engagement » et « crédits de paiement ».

192 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


France, ou le compte Avances aux collectivités territoriales représentant à lui seul 80 % des
comptes de concours financiers3.
Les emprunts contractés par l’État ainsi que les remboursements de ces emprunts ne figu-
rent pas dans le budget. Seuls apparaissent dans le budget, comme dépenses définitives,
les intérêts des emprunts payés aux prêteurs.
Les budgets annexes sont les budgets de services de l’État qui n’ont pas la personnalité
morale et dont l’activité principale consiste en la production de biens et de services don-
nant lieu à paiement d’un prix. Ils disposent de ressources spécifiques comme les comptes
d’affectation spéciale mais sont gérés par des administrations autonomes. L’ensemble de
leurs ressources (recettes d’exploitation, emprunts, subventions du budget général) doit
être au moins égal au montant total des dépenses. Les Journaux Officiels, les Monnaies et
Médailles et l’Aviation civile figurent dans les budgets annexes 4.
Son budget constitue assurément le principal instrument d’intervention de l’État dans la
vie économique et sociale du pays. Son poids économique est considérable. En 2007, le
total des recettes du budget général atteignait 292,7 milliards d’euros, 15,47 % du PIB,
tandis que les dépenses du budget général s’élevaient à 334,7 milliards d’euros, (17,69 %
du PIB, faisant ainsi apparaître un déficit de 42 milliards d’euros (2,2 % du PIB). L’examen
de son budget permet de prendre un aperçu non seulement du poids économique de
l’État, mais également de la multiplicité de ses formes et points d’intervention dans la vie
économique, sociale, culturelle… du pays et des priorités qui sont les siennes.
Le budget de l’État a sensiblement augmenté au cours du siècle écoulé, au fur et à mesure
que les missions de l’État se diversifiaient et que son rôle dans la vie économique et sociale
du pays grandissait. Le niveau global atteint par le budget de l’État ainsi que sa structure
(structure des ressources, structure des dépenses) traduisent les choix qui ont été effectués
par la société française au cours de son histoire contemporaine. Ces choix ne sont pas né-
cessairement définitifs. Le budget de l’État est aujourd’hui, comme par le passé, l’objet de
débats théoriques et politiques nourris qui ne sont le plus souvent que des déclinaisons
particulières du débat plus général sur le rôle de l’État dans la société contemporaine et
sur les modalités de son action. Ces débats concernent les ressources de l’État (niveau glo-
bal et caractéristiques des impôts prélevés par l’État pour financer ses dépenses) (Section
1) et ses dépenses (niveau global, nature, efficacité économique et sociale de ces dépenses,
etc.) (Section 2). Ils portent également sur le solde des unes et des autres, c’est-à-dire en
fait, depuis plus de trois décennies, sur le niveau et le financement du déficit budgétaire
(Section 3).

3 Les comptes spéciaux du Trésor regroupent, outre les comptes d’affectation spéciale et les comptes de concours financiers
déjà évoqués, les comptes de commerce retraçant des opérations à caractère industriel et commercial effectuées à titre
accessoire par certains services de l’État et les comptes d’opérations monétaires.
4 Le budget annexe des PTT, qui était autrefois le plus important, a disparu depuis 1991 suite à la transformation de La Poste
et de France Télécom en personnes morales de droit public dotées de l’autonomie financière. France Télécom a ensuite,
on le sait, été transformée en société anonyme puis privatisée (cf. infra, chapitre VII). Le budget annexe des prestations
sociales agricoles, quant à lui, a été transformé en établissement public en 2004.

Le budget de l’État 193


La loi organique relative aux lois de finances (LOLF)
Promulguée le 1er août 2001, la LOLF réforme l’ordonnance organique du 2 janvier 1959 et s’applique
depuis le 1er janvier 2006 à tous les services de l’État. Cette loi qui « définit le cadre général dans lequel
s’inscrivent les lois de finances ainsi que les modalités relatives à leur préparation, à leur adoption et à
leur exécution (…) vise à (…) réformer le cadre de la gestion publique pour l’orienter vers le résultat et
la recherche de l’efficacité (…) » (Notes bleues de Bercy, 2001, p. 1). Il s’agit globalement, avec cette loi,
de passer d’une « logique de moyens » à une « logique de résultats » et d’introduire dans la gestion des
finances publiques les principes du contrôle de gestion appliqué dans les entreprises.

L’ancienne présentation des dépenses en 850 chapitres budgétaires est remplacée par une nouvelle
présentation qui regroupe les dépenses par missions et par objectifs de l’État. Le budget général re-
groupe en 2006 34 missions telles que : enseignement scolaire, défense, politique territoriale de l’État,
protection des populations, ville… Chaque budget annexe et compte spécial constitue également à lui
seul une mission.

Chaque mission, qui peut être ministérielle ou interministérielle (9 missions interministérielles sur 34
pour le budget général), correspond à un ensemble de programmes qui participent de la réalisation
d’une politique publique définie (132 programmes en tout pour le budget général, 26 pour les budgets
annexes et comptes spéciaux).

Un programme, placé sous la responsabilité d’un seul ministre, regroupe des crédits affectés à la mise en
œuvre d’une action où un ensemble cohérent d’actions (614 en tout) relevant d’un même ministère et
auquel sont associés des objectifs précis, définis en fonction de finalités d’intérêt général, ainsi que des
résultats attendus faisant l’objet d’une évaluation (art. 7, a.1). Chaque programme a un responsable, un
budget voté par le Parlement et des objectifs annuels de performances (634 en tout) qui sont mesurés
par des indicateurs chiffrés (1 295 en tout). Il appartient au responsable de programme de déterminer où
et comment sont affectés les moyens humains et financiers mis à sa disposition.

Les crédits affectés à un programme sont répartis en sept titres (dotations des pouvoirs publics, dé-
penses de personnel, dépenses de fonctionnement autres que celles de personnel, charges de la dette
de l’État, dépenses d’investissement, dépenses d’interventions, dépenses d’opérations financières). Mais
le gestionnaire d’un programme peut redéployer les crédits entre les titres (fongibilité des crédits), avec
cependant une limite importante, puisque les crédits affectés aux dépenses de personnel sont plafonnés
au montant voté et ne peuvent être augmentés à partir des crédits provenant d’autres titres d’un même
programme ; ils peuvent par contre être utilisés pour alimenter les crédits d’autres titres (fongibilité asy-
métrique).

Le responsable de programme élabore chaque année un rapport annuel de performance par lequel il
rend compte des performances atteintes l’année précédente. La mise en œuvre des programmes doit en
effet donner lieu à évaluation. Pour chaque programme, un « projet annuel de performance » précise
en particulier : « la présentation des actions, des coûts associés, des objectifs poursuivis, des résultats
obtenus et attendus pour les années à venir mesurés au moyen d’indicateurs précis (…) ; la justification
de l’évolution des crédits par rapport aux dépenses effectuées de l’année antérieure (…) ; l’échéancier
des crédits de paiement associés aux autorisations d’engagement ; (…) la répartition prévisionnelle des
emplois rémunérés par l’État … » (art. 51). Les services de l’État sont par ailleurs tenus de mettre en place
une comptabilité permettant de mesurer et d’analyser les coûts. Doit être également adjoint au projet de
loi de règlement « le compte général de l’État, qui comprend la balance générale des comptes, le compte
de résultats, le bilan et ses annexes, et une estimation des engagements hors bilan de l’État » (art. 54).

194 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


La LOLF en chiffres
budget général : 34 missions ; 132 programmes, sous la direction de 85 responsables de programme ;
620 actions.
hors budget général : 2 budgets annexes ; 12 comptes spéciaux.
Au total 48 missions et 168 programmes.
La démarche de performance : 4 à 5 objectifs par programme ; 2 indicateurs par objectif en moyenne.
En tout 634 objectifs et 1 295 indicateurs.
49 % des indicateurs mesurent l’efficacité des politiques publiques vis-à-vis des citoyens.
22 % des indicateurs mesurent la qualité du service auprès des usagers.
29 % mesurent l’efficience des actions (moyens-résultats obtenus) (MEFI, Projet de loi de finances
pour 2007).

Section 1 : Les recettes du budget de l’État : les impôts

Les recettes du budget (tableau 4. 1) proviennent pour près de 90 % des divers impôts préle-
vés par l’État. Les autres recettes sont d’origine non fiscale (produits du domaine de l’État, re-
cettes d’exploitations industrielles et commerciales gérées par l’État, intérêts des avances et
des prêts accordés par l’État à divers organismes, produit des privatisations, retenues pour
pensions des agents de l’État, prélèvements sur le PMU, etc.). Le système fiscal français est
constitué d’une grande diversité d’impôts parmi lesquels les impôts indirects occupent une
place majoritaire (§ 1). Il fait l’objet d’un débat qui, depuis quelques années, s’est focalisé
plus spécifiquement sur deux grandes questions : celle de l’impôt sur le revenu (§ 2), et celle
du niveau global des prélèvements obligatoires constitués des impôts proprement dits et des
cotisations sociales servant au financement de la protection sociale (§ 3).

paragraphe 1 : les caractéristiques du système fiscal français

L’impôt peut se définir comme un prélèvement sous forme monétaire, définitif et sans
contrepartie directe, que l’État ou une collectivité locale effectue par voie d’autorité dans le
but de couvrir ses dépenses générales. En précisant que l’impôt est nécessairement institué
par un vote du Parlement et que ce sont les assemblées élues (Parlement, conseil munici-
pal, conseil général, etc.) qui déterminent les taux d’imposition. Un impôt se caractérise par
deux éléments fondamentaux : son assiette et son taux. L’assiette de l’impôt est la matière
imposable à partir de laquelle est calculé le montant de l’impôt : c’est le revenu du ménage
pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) et le prix hors taxe d’un bien pour
la taxe à la valeur ajoutée (TVA). Le taux de l’impôt est le pourcentage appliqué à l’assiette
pour le calcul du montant de l’impôt prélevé : à titre d’exemple, la TVA à taux normal corres-
pond aujourd’hui en France à un taux de 19,6 % appliqué au prix hors taxe du bien5.

5 Les anciennes taxes parafiscales prélevées antérieurement au bénéfice de certains organismes de droit privé ou de droit
public ont été supprimées par la LOLF et ont disparu du budget depuis 2004 par suppression pure et simple ou transfor-
mation en impôts de droit commun (redevance audiovisuelle).

Le budget de l’État 195


Les impôts se classent en impôts directs et indirects .
Les impôts directs sont assis sur le revenu ou le patrimoine et prélevés à échéance fixe
par l’administration fiscale sur des contribuables nominativement identifiés (personnes
physiques ou personnes morales). Ce sont en France principalement l’impôt sur le revenu
acquitté par les personnes physiques, l’impôt sur les sociétés, l’impôt de solidarité sur la
fortune (ISF), la contribution sociale généralisée (CSG), affectée au financement de la Sécu-
rité sociale tout comme la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS).
Les impôts indirects sont prélevés par l’État lorsque les contribuables effectuent certaines
opérations économiques (essentiellement la consommation) ou certains actes adminis-
tratifs (par exemple, la délivrance d’un passeport supposant le paiement d’un droit de
timbre). Les principaux impôts indirects, par le montant des ressources qu’ils assurent à
l’État, sont la taxe à la valeur ajoutée (TVA) et la taxe intérieure sur les produits pétroliers
(TIPP). La TVA, dont le taux normal est de 19,6 % depuis avril 2000, a représenté, en 2007,
50 % des recettes fiscales nettes du budget général et la TIPP 7 %. S’ajoutent à ces deux im-
pôts indirects, les droits sur les tabacs (désormais affectés pour l’essentiel au financement
du système de protection sociale) la taxe spéciale sur les conventions d’assurance (dont
une partie est également affectée au financement de la protection sociale) et les droits
d’enregistrement et de timbre (droits sur les donations, droits de succession). Les impôts
indirects prélevés lors des achats de biens et de services (TVA, TIPP) sont réglés au fisc par
les entreprises qui vendent le bien mais sont en réalité supportés par le consommateur
final, le montant de l’impôt étant systématiquement et intégralement répercuté dans le
prix de vente (toutes taxes comprises) du bien.
Soulignons immédiatement que le système fiscal français présente une particularité rela-
tivement à ce que l’on observe le plus souvent dans les autres grands pays industrialisés.
Il se caractérise par une structure déséquilibrée des prélèvements fiscaux, marquée par la
faiblesse relative du poids des impôts directs dans le total des impôts perçus par l’État. Les
impôts directs ne représentent en effet en moyenne que de l’ordre de 40 % seulement de
l’ensemble des impôts prélevés par l’État contre 60 % pour les impôts indirects assis sur la
dépense (tableau 4.2).

196 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


TAbLEAU 4.1
Recettes nettes du budget général : 2006 et 2007

2006* 2007**
(en milliards d’euros) (en milliards d’euros)
Impôt sur le revenu 58,2 57,1
Impôt sur les sociétés*** 43,7 46,1
Taxe intérieure sur les produits
19,3 18,8
pétroliers
Taxe sur la valeur ajoutée*** 127,4 133,5
Autres recettes fiscales 14,3 11,7
Recettes fiscales nettes 262,8 267,2
Recettes non fiscales nettes 24,6 26,8
Prélèvements sur recettes -65,9 -68,1
au profit des collectivités -48,1 -49,4
locales
au profit des communautés
-17,8 -18,7
européennes
Recettes totales nettes 221,5 225,9
* : loi de finances révisée pour 2006. ** : projet de loi de finances pour 2007.
*** : produit net des restitutions et des remboursements.
Source : ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie ; site web de l’INSEE.

TAbLEAU 4.2
Structure des recettes fiscales brutes du budget général de l’Etat* (en %) : 1983-
2005
1983 1990 1995 2000 2001 2002 2004 2005
Impôts directs 39,0 38,2 37,8 40,9 42,2 40,7 38,3 38,5
Impôt sur le revenu 20,9 18,9 19,5 18,0 17,5 16,6 16,3 16,5
Autres impôts directs** 1,7 1,6 3,4 2,8 3,0 2,9 1,3 1,2
Impôts sur les sociétés 9,0 11,9 9,9 15 ,2 16,1 15,6 15,3 15,5
Taxe sur les salaires 2,8 2,4 2,9 2,6 2,6 2,8 2,7 2,8
Imp . sur les rev .des
3,1 2,3 1,0 0,6 0,7 0,7 0,5 0,7
capit . mobiliers
Autres impôts directs 1,5 1,1 1,1 1,8 2,3 2,2 2,1 1,7
Impôts indirects 61,0 61,8 62,2 59,1 57,8 59,3 61,7 61,5
Enregistrement, timbre,
5,9 5,6 5,3 4,9 4,3 4,2 5,9 6,0
bourse
Taxe int . sur produits
6,6 8,2 9,4 8,2 7,7 7,9 6,1 5,6
pétroliers
Autres produits des
1,1 0,8 0,8 0,6 0,5 0,5 0,6 0,7
douanes
TVA 44,4 44,8 43,9 45,0 44,7 45,9 47,1 47,6
Droits sur les tabacs*** 1,5 1,4 2,7 0,2 0,0 0,0 0,7 0,4
Autres droits indirects 1,5 1,0 0,2 0,3 0,6 0,6 1,2 1,2
Recettes fiscales brutes
132,4 212,7 232,3 296,2 305,6 301,6 330,1 341,0
en milliards d’euros
* Lois de règlement.
** Perçus par voie de rôles.
*** Depuis 2000, le produit des droits sur les tabacs est transféré au budget des administrations de sécurité sociale.
Sources : Tableaux de l’Economie française 2004/2005 et calculs effectués à partir des données de : INSEE, Annuaire
statistique de la France 2007, p. 304.

Le budget de l’État 197


Les impôts peuvent porter sur les revenus des contribuables (impôt sur le revenu, impôt
sur les sociétés, CSG, CRDS), sur le capital (ISF, impôts sur les plus-value, droits de mutation
dont l’impôt sur les successions) ou sur la dépense (la TVA, les droits de douane prélevés
désormais par l’Union européenne sur les importations en provenance de pays extérieurs à
l’Union, les accises, c’est-à-dire des droits indirects frappant à des taux spécifiques la circu-
lation ou la vente de certains produits - TIPP, taxes sur l’alcool ou les tabacs -, les produits
soumis aux accises supportant également la TVA).

Les impôts peuvent être proportionnels, progressifs ou dégressifs .


L’impôt est proportionnel lorsque le taux appliqué à la matière imposable est le même
quel que soit le montant de cette dernière.
C’est le cas de l’impôt sur les sociétés qui est égal à 33,3 % du bénéfice total de la société
soumise à l’impôt, auxquels s’ajoute une contribution supplémentaire de 1 % (dernière
trace de la « surtaxe Juppé » de 10 % instituée en 1996), tandis qu’un taux réduit de
15,45 % s’applique pour les premiers 38 120 euros de bénéfices des PME. Les sociétés
réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 7,6 millions d’euros acquittent une contribution
sociale sur les bénéfices (CSB) de 1,1 %, ce qui porte le taux global d’imposition pour les
grandes entreprises à 35,43 %.
C’est encore le cas de la CSG, égale à 7 % du revenu formant l’assiette de l’impôt, ou celui
de l’impôt sur les plus-values réalisées lors de la vente d’actifs financiers ou réels (les plus-
values sur les actifs financiers réalisées par les entreprises sont ainsi taxées à 35 % de leur
montant total, tandis que les plus-values sur les actifs physiques le sont à 18 %).
L’impôt est progressif lorsque le taux de l’impôt s’élève avec le montant de la matière
imposable, en pratique le revenu ou le patrimoine imposables, de sorte que le montant
de l’impôt dû augmente plus que proportionnellement au revenu ou au patrimoine du
contribuable.
C’est le cas de l’IRPP pour lequel le taux d’imposition augmente avec les tranches du re-
venu imposable auxquelles il s’applique (les revenus perçus par le foyer fiscal : salaires, divi-
dendes, loyers, pensions, etc., déduction faite de divers abattements). On peut évoquer, à
titre d’exemple, le régime applicable pour l’année civile 2005. Il est distingué sept tranches
d’imposition. La première tranche (taux d’imposition nul) concerne la partie du revenu
inférieure à 4 412 euros ; la septième tranche (taux d’imposition de 48,09 %) correspond à
la partie du revenu supérieure à 49 624 euros. À chaque tranche de revenu correspond un
taux d’imposition qui ne s’applique qu’à la fraction du revenu du contribuable comprise
dans cette tranche. Cela signifie que, pour les ménages les plus fortunés, seule la partie
de leur revenu imposable supérieure à 49 624 euros est imposée au taux de 48,09 %. Leur
première tranche de revenu (inférieure à 4 412 euros) est imposée au taux de 0 %, comme
pour un contribuable moins fortuné dont le revenu imposable total est inférieur à 4 412
euros.
C’est également le cas de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) pour lequel le taux
d’imposition augmente avec les tranches de patrimoine imposable. Celui-ci est constitué
du patrimoine du contribuable dont sont cependant déduits différents éléments qui bé-

198 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


néficient d’une exonération totale ou partielle : exonération totale pour les biens à usage
professionnel, les objets d’art ou de collection, les objet d’antiquité de plus de 100 ans
d’âge, les droits de la propriété industrielle, littéraire et artistique, la valeur de capitalisa-
tion de diverses rentes (rentes viagères, rentes perçues au titre de dommages corporels…),
les stocks options tant que l’option n’est pas levée ; exonération partielle pour les bois et
forêts qui ne sont pas détenus à usage professionnel, la résidence principale (abattement
de 30 %), la valeur des actions nominatives détenues par les salariés et dirigeants d’une en-
treprise dès lors qu’elles sont conservées pendant au moins 6 ans (abattement de 75 %)…6
Pour l’année 2006, l’impôt n’était dû qu’à partir d’un patrimoine imposable de 750 000
euros. Au-delà de cette somme, il y a six tranches distinctes d’imposition : la première pour
la fraction du patrimoine comprise entre 750 000 euro et 1 200 000 euros, avec un taux
d’imposition de 0,55 % ; la dernière pour la part du patrimoine supérieure à 15 530 000
euros, avec un taux d’imposition de 1,80 %. Les modalités de l’imposition sont identiques
à celles évoquées ci-dessus pour l’impôt sur le revenu. Ainsi, seule la partie du patrimoine
imposable d’un contribuable supérieure à 15 489 000 euros est imposée à 1,80 %7.
Dans le cas de l’impôt sur le revenu, qui est le principal impôt progressif du système fiscal
français par son rendement global, il faut distinguer entre le taux marginal et le taux
moyen d’imposition. Le taux marginal est le taux d’imposition appliqué à la tranche de
revenu imposable la plus haute qu’atteint le contribuable. À titre d’exemple, un contri-
buable célibataire qui avait en 2005 un revenu imposable de 20 000 euros atteignait la
tranche de revenus allant de 15 274 euros à 24 731 euros qui, dans le barème de l’impôt
pour 2005 était la tranche imposée à 28,26 %. Il subissait donc un taux d’imposition mar-
ginal de 28,6 % pour la partie de son revenu comprise entre 15 274 euros et 20 000 euros.
Le taux marginal le plus élevé que puisse atteindre un contribuable en 2005 était bien
entendu celui de la septième tranche d’imposition de l’IRPP, soit 48,09 %. Le taux moyen
d’imposition se calcule en rapportant le montant total de l’impôt payé par le contribuable
à son revenu brut total. Il est toujours sensiblement inférieur au taux marginal (cf. infra)8.
La progressivité de l’impôt est inspirée par un principe de justice sociale. Les inégalités de
revenu et de patrimoine n’ont bien souvent que peu à voir avec des différences d’efforts
personnels des individus mais sont très largement liées à l’organisation et au fonctionne-
ment de nos sociétés qui sont loin de garantir à chacun une même égalité des chances au
départ (fortes différences d’héritage économique et culturel) et qui sont encore moins
capables de compenser les inévitables différences naturelles. Il paraît juste dans ces condi-

6 Concernant l’ISF, qui fait l’objet d’un débat récurent à l’initiative principalement des partisans de sa suppression, il faut
souligner qu’en 2004 le nombre de foyers fiscaux assujettis à l’impôt était de l’ordre de 335 000 (contre 150 000 en 1990)
pour un rendement global de 2,646 milliards d’euros, soit approximativement 1 % des recettes fiscales de l’État. Mais il
est souvent admis que le nombre de fraudeurs de l’ISF serait de l’ordre de 130 000. Le « bouclier fiscal » institué en 2006,
qui limitait à 60 % de son revenu le montant total des impôts directs versés par un contribuable a eu pour effet de limiter
sensiblement le montant de l’ISF acquitté par certains contribuables. En 2006, ce sont approximativement 14 000 foyers
fiscaux qui pouvaient bénéficier d’un remboursement d’impôt à ce titre pour un montant total de 250 millions d’euros.
7 En 2007, les recettes procurées par l’ISF se sont élevées à 4,4 milliards d’euros (en hausse de 14 % par rapport à 2006,
après des hausses successives de 19,7 % en 2006 et de 16,2 % en 2005 et 13,3 % en 2004.
8 On calcule par ailleurs un taux moyen d’imposition sur le revenu défini comme la somme des trois impôts sur le revenu
acquittés par le contribuable (IRPP + CGS + CRDS) rapportée au revenu brut déclaré à l’IRPP. Il est à souligner qu’il s’élève
en fait de 0 à 30 % selon les revenus des contribuables, alors que les tranches de l’IRPP allaient en 2005 de 0% à 48,09 %.
Les données disponibles montrent par ailleurs qu’en France ce taux moyen d’imposition des revenus n’est « vraiment
supérieur à ceux de nos voisins européens que pour une faible couche de ménages de revenus très élevés » (Dupont et
alii, 2000, p. 54).

Le budget de l’État 199


tions que les « mieux dotés » contribuent proportionnellement plus à la couverture des
charges de l’État. D’autant que les catégories les plus aisées de la population sont les mieux
à même de profiter de nombre de biens et services collectifs produits par les administra-
tions publiques (éducation, culture, etc.)9.
À l’opposé de l’impôt progressif sur le revenu dont le montant acquitté par le contribuable
augmente plus rapidement que le revenu de ce dernier, d’autres impôts apparaissent comme
des impôts dégressifs en ce sens que le poids qu’ils représentent dans le revenu des contri-
buables évolue en fait en sens inverse de ce revenu. C’est en particulier le cas des impôts
indirects sur la consommation comme, par exemple, la TVA. Celle-ci est formellement un
impôt proportionnel puisque le taux de l’impôt appliqué au prix hors taxe du produit est le
même quelque soit ce prix (la TVA sur l’automobile est de 19,6 % sur une 5 chevaux à 12 000
euros et sur une berline de luxe à 100 000 euros). En précisant cependant que certains pro-
duits dits de consommation courante bénéficient d’un taux inférieur au taux normal actuel
de 19,6 % : taux de 2,1 % pour un très petit nombre de produits (livres, journaux, médica-
ments), taux de 5,5 % pour les produits alimentaires et les transports. La TVA est néanmoins
en réalité un impôt « légèrement dégressif », c’est-à-dire que le pourcentage du revenu glo-
bal du contribuable que représente cet impôt évolue en sens inverse du revenu. Cela résulte
de ce que la part du revenu global qui est dépensée, et par conséquent soumise à l’impôt,
relativement à celle qui est épargnée, et ne supporte donc pas l’impôt, est d’autant plus
élevée que le revenu du ménage est plus faible, la propension moyenne à consommer des
ménages (C / Y) diminuant au fur et à mesure que le revenu s’élève (cf. tome 1, chapitre V).
Il en est de même de la taxe d’habitation (cf. infra encart). Des études montrent en effet
que la pression fiscale exercée par la taxe d’habitation tend à évoluer en sens inverse du
revenu, passant en 1996 de 2,1 % à 1,2 % entre le premier décile (les 10 % de ménages
ayant les revenus les plus faibles) et le dernier décile (les 10 % de ménages ayant les reve-
nus les plus élevés). Cela tient au fait que, dans l’ensemble, la valeur locative du logement
occupé augmente moins que le revenu10.
À côté des impôts prélevés par l’État central pour son propre compte existent par ailleurs
les impôts prélevés au bénéfice des collectivités locales et ceux qui sont prélevés au béné-
fice de l’Union européenne.
Les impôts locaux qui alimentent les budgets des diverses collectivités locales sont consti-
tués par :
1) les deux taxes foncières, sur les propriétés bâties et sur les propriétés non bâties, qui
sont assises sur la valeur locative cadastrale des biens fonciers et sont acquittées par les
propriétaires de ces biens ;
2) la taxe d’habitation qui est assise sur la valeur locative cadastrale de l’habitation et qui
est payée par l’occupant de cette dernière, propriétaire ou locataire ;
9 Pensons par exemple à la différence de dépense publique d’éducation dont bénéficie un enfant d’ouvrier ou d’employé
qui quittera le système scolaire après un bac technologique, sinon après le collège, et l’enfant de cadre supérieur ou de
profession libérale qui, après avoir préparé son baccalauréat dans un grand lycée, fera une école d’ingénieurs ou des
études longues de gestion dans une grande université parisienne.
10 Les cotisations sociales plafonnées sont un autre exemple de prélèvement obligatoire dégressif. Dans ce cas, le taux de
cotisation ne s’applique pas à l’ensemble du revenu mais uniquement à la partie inférieure à un certain plafond. En
conséquence, le taux moyen de cotisation (montant de la cotisation totale sur le revenu total) baisse lorsque les revenus
augmentent. Ce dispositif qui s’appliquait à la totalité des cotisations sociales en France jusqu’en 1967 ne concerne
désormais que les seules cotisations de l’assurance vieillesse (cf. infra, chapitre VIII).

200 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


3) la taxe professionnelle, payée par les entreprises ainsi que par les personnes physiques
exerçant un métier non salarié, qui est calculée à partir de la valeur locative des locaux
de l’entreprise, de la valeur de ses équipements et des rémunérations versées aux sa-
lariés ;
4) divers impôts indirects tels que la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères, la taxe
sur l’électricité, les droits de mutation à titre onéreux ou les taxes de séjour prélevées
sur les nuits d’hôtel (tableau 4.3).

Les impôts « européens » se répartissent en quatre catégories :


1) les droits de douane déjà évoqués ;
2) les « prélèvements » effectués par l’Union européenne sur les importations de produits
agricoles en provenance de pays extérieurs à l’Union ;
3) une fraction de la TVA prélevée dans les différents pays de l’Union européenne ;
4) un prélèvement calculé en proportion du PIB de chaque pays (dénommé la « quatrième
ressource ») (cf. infra, chapitre VI).
Le tableau 4.4 indique, pour l’année 2006, le montant des principaux impôts prélevés et
des cotisations sociales, ainsi que la manière dont ces prélèvements obligatoires se ré-
partissent entre les différentes administrations et institutions au profit desquelles ils sont
effectués (APUC, APUL, ASS…).

TAbLEAU 4.3
Structure de la fiscalité locale en 2006

Communes
Départe-
Nature des impôts et groupe- Régions Total
ments
ments (1)
Taxe d’habitation 9,44 4,53 /// 13,97
Taxe sur le foncier bâti 11,65 5,50 1,59 18,74
Taxe sur le foncier non bâti 0,75 0,05 0,01 0,81
Taxe professionnelle 15,89 8,05 2,76 26,70
Produits votés des 4 taxes 37,73 18,13 4,36 60,22
Droits de mutation à titre onéreux 2,10 7,39 /// 9,49
Taxe intérieure sur les
/// 5,04 1,02 6,06
produits pétroliers
Versement destiné aux transports
5,28 /// /// 5,28
en commun
Taxe d’enlèvement des ordures
4,60 /// /// 4,60
ménagères
Taxe sur les cartes grises /// /// 1,83 1,83
Taxe sur l’électricité 0,94 0,50 /// 1,44
Impôts et taxes d’outre-mer 0,72 0,15 0,48 1,35
Autres taxes 1,28 1,43 0,64 3,34
Autres contributions (2) 14,91 14,51 3,97 33,39
Total taxes 52,64 32,64 8,33 93,61
/// : absence de résultat due à la nature des choses
(1) : y compris syndicats intercommunaux à contributions financières.
(2) : hors taxes liées à l’urbanisme.
Champ : France métropolitaine et DOM.
Source : DGC ; INSEE site webz

Le budget de l’État 201


La taxe d’habitation
La taxe d’habitation varie très fortement d’un endroit à l’autre du territoire national. Pour l’ensemble des
locaux qui y sont soumis, si le montant moyen de l’impôt était de 1 257 francs en 1999, il allait de 605
francs dans le département de la haute-Saône à 2 576 francs dans les Alpes-Maritimes, soit donc un
rapport de 1 à 4. De surcroît, Les valeurs locatives auxquelles se réfère l’administration fiscale pour cal-
culer la taxe d’habitation et les taxes foncières datent de 1970 et n’ont jamais été révisées depuis, alors
que, pendant cet intervalle de temps, la situation du parc immobilier français a sensiblement évolué. Le
principe de la révision voté en 1990 et qui devait s’appliquer à partir de 1997 n’a pas été mis en œuvre.
Or les valeurs locatives déterminées en 1970 sont sources de fortes inégalités sociales. Globalement,
elles avantagent les habitants des centres villes dont les immeubles à cette époque étaient souvent consi-
dérés comme vieillis et peu confortables, d’où des valeurs locatives faibles, au détriment des habitants
des quartiers périphériques et des grands ensembles (aujourd’hui parfois fortement dégradés) dont les
logements étaient considérés à cette époque comme confortables, avec une valeur locative en rapport.
Les estimations réalisées par les services du ministère des Finances sur les conséquences d’une révision
générale des valeurs locatives permettant de les adapter à l’état réel actuel des habitations, montrent
d’ailleurs qu’elle entraînerait de très fortes variations du montant des taxes perçues (forte augmentation
pour certains assujettis et forte baisse pour d’autres). Globalement, la taxe devrait augmenter pour les
occupants des immeubles cossus et rénovés des centres ville et baisser pour ceux des grands ensembles
dégradés de certaines banlieues.

TAbLEAU 4.4
Les prélèvements obligatoires (impôts et cotisations sociales) en 2007 par sous-
secteur et par type d’impôt
Milliards d’euros En % du PIB 2007/2006 en %
État (1) 272,2 14,4 -0,4
Organismes divers d’administration centrale 18,2 1,0 14,1
Administrations publiques locales 107,5 5,7 6,0
Administrations de sécurité sociale (2) 416,1 22,0 4,6
Institutions de l’Union Européenne 4,9 0,3 4,4
Total des prélèvements obligatoires 818,9 43,3 3,3
Principaux prélèvements (3)
Taxe sur la valeur ajoutée 135,7 7,2 3,6
Taxe intérieure sur les produits pétroliers 24,2 1,3 -1,3
Impôt sur le revenu 48,5 2,6 -7,4
Contribution sociale généralisée 80,4 4,3 4,9
Impôt sur les sociétés 49,2 2,6 6,8
Taxe professionnelle 22,0 1,2 5,0
Taxes foncières (propriétés bâties et non bâties) 21,9 1,2 4,5
Taxe d’habitation 12,7 0,7 4,7
Cotisations sociales effectives 307,6 16,3 3,9

1) Déduction faite des transferts fiscaux de l’Etat aux collectivités locales et à la sécurité sociale et des impôts dus
non-recouvrables
(2) Déduction faite des cotisations dues non recouvrables.
(3) Prélèvements sans déduction des prélèvements dus non recouvrables. Source: Insee, Comptes nationaux - bASE
2000.
Source : Comptes nationaux, base 2000, INSEE.

202 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Les recettes du budget 2007
Les recettes nettes totales du budget 2007 s’élevaient à 294,6 milliards d’euros dont 26,7 milliards de
recettes non fiscales et 267,9 milliards d’euros de recettes fiscales. Ces dernières se répartissaient entre
les différents impôts de la manière suivante (en milliards d’euros) : TVA 134,1 ; impôt sur le revenu 56,8 ;
impôt sur les sociétés 51,5 ; taxe intérieure sur les produits pétroliers 17,6 ; autres recettes fiscales 10,9. Il
faut souligner que la TVA et la TIPP représentent à elles deux 55,5 % du total des recettes fiscales nettes
et l’impôt sur le revenu 21,20 % du total.

Sur les 294,6 milliards d’euros de recettes totales nettes ont été prélevés 49,4 milliards d’euros au béné-
fice des collectivités locales, ce qui correspond aux subventions versées par l’État aux collectivités locales
(dont la dotation globale de fonctionnement), à l’affectation de certaines recettes de l’État à ces mêmes
collectivités locales (produit des amendes de police routière) et des versements compensatoires venant
en contrepartie de charges que la loi leur impose. Ont également été prélevés 16,8 milliards d’euros au
bénéfice de l’Union européenne,ce qui correspond à la contribution de la France aux recettes du budget
européen au titre des différentes catégories de recettes de ce budget évoquées précédemment. Les re-
cettes totales nettes de l’État se sont ainsi élevées à un montant de 228,5 milliards d’euros.

paragraphe 2 : le débat à propos de l’impôt sur le revenu

En France, depuis plus d’une décennie déjà, la question de la réduction de l’impôt progressif
sur le revenu est explicitement inscrite à l’agenda des gouvernements successifs, bien que cet
impôt ne représente approximativement qu’un cinquième de l’ensemble des ressources fis-
cales de l’État. Les partisans de la réduction de l’impôt sur le revenu justifient leur position en
soulignant ce qu’ils considèrent comme le caractère désincitatif de cet impôt11. La progressivité
jugée trop forte de l’IRPP aurait en particulier comme conséquence de taxer très lourdement
les hauts et très hauts revenus qui rémunèrent le travail le plus qualifié et le capital. D’où une
désincitation à travailler davantage pour les individus les plus qualifiés et les mieux à même
de créer de nouvelles richesses, ainsi qu’une désincitation à épargner et à investir plus, ce qui,
dans l’un et l’autre cas, se ferait nécessairement au détriment de l’économie nationale. D’où
également une tendance à l’émigration des facteurs de production qui sont les plus mobiles
mais qui seraient aussi les plus utiles au développement économique national, c’est-à-dire à
nouveau le travail très qualifié, entrepreneurs, artistes, chercheurs scientifiques (sans comp-
ter… les footballeurs et autres top models) et le capital. Un régime d’imposition, qualifié par-
fois de « confiscatoire », serait ainsi une « source d’inefficacité économique ». Dans ces condi-
tions, une réduction forte et rapide de l’imposition globale sur le revenu (et sur le patrimoine)
associée à une réduction significative de sa progressivité seraient des moyens efficaces de re-
lancer la croissance, avec l’ensemble des effets bénéfiques que l’on est en droit d’en attendre
pour l’économie nationale et pour les finances de l’État.
Les résultats de différentes études mettent cependant en évidence certains éléments (A) qui
conduisent à s’interroger sur la pertinence de cette argumentation ainsi que sur les consé-
quences réelles des réductions d’impôts déjà effectuées (B).

11 À titre d’exemple, l’ancien ministre libéral de l’Économie et des Finances A. Madelin écrivait de même il y a quelques
années que : « L’impôt sur le revenu est –avec l’impôt sur la fortune– le plus dissuasif et le plus décourageant de tous »
(Le Monde, 24 septembre 2003, p. 20). Argumentation que l’on retrouve dans les diverses justifications avancées par les
promoteurs des réductions de l’impôt sur le revenu déjà effectuées.

Le budget de l’État 203


A – La réalité de l’imposition des revenus en France
Les données statistiques disponibles révèlent deux caractéristiques de l’imposition des re-
venus en France : sa faiblesse relative et sa progressivité limitée.
La faiblesse relative de l’imposition des revenus ressort clairement des comparaisons inter-
nationales. Une étude de l’OCDE de 1997, citée par le 18ème rapport du Conseil national
des impôts, montre ainsi que la France est au 15ème rang des 21 pays de l’OCDE en ce qui
concerne l’imposition des revenus (IRPP, CSG, CRDS). Une comparaison de la structure des
prélèvements obligatoires (impôts + cotisations sociales : cf. infra) dans les pays de l’OCDE
(tableau 4.4) montre par ailleurs que la part des impôts sur le revenu et les bénéfices des
entreprises dans le total des prélèvements obligatoires est en France relativement plus
faible que dans nombre de pays développés. C’est ainsi qu’en 1999 les impôts sur le revenu
des personnes physiques et sur les bénéfices (revenus des personnes morales) représen-
taient 24 % du total des prélèvements obligatoires en France12, contre 34,8 % pour l’en-
semble des 15 pays de l’Union Européenne, 36,3 % pour l’ensemble des pays de l’OCDE,
29,7 % pour le Japon et 49,5 % (chiffres 1998) pour les États-Unis (Les Notes Bleues, sept.
2001). La France se trouvait alors, pour la part des impôts sur le revenu et les bénéfices
dans le total des impôts, au dernier rang d’un ensemble de 13 pays occidentaux déve-
loppés (Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas,
Portugal, Royaume-Uni, Suède, États-Unis, Japon).
La pression fiscale qu’exerce l’impôt sur le revenu est par ailleurs sensiblement plus faible
en France que dans d’autres grands pays industrialisés puisque la part de l’imposition
des revenus dans le revenu total des ménages est de 10,5 % en France contre 16,7 % au
Royaume-Uni, 18,2 % aux États-Unis, 18,8 % en Italie, 21,3 % en Allemagne. Si l’on consi-
dère l’ensemble de l’imposition du revenu (IRPP + CSG + CRDS), il apparaît que seuls 15,5 %
de l’ensemble des ménages français ont un taux d’imposition moyen (rapport du montant
cumulé des trois impôts sur le revenu brut du contribuable) supérieur à 10 %, dont 5,9 %
supérieur à 15 %, 2,3 % supérieur à 20 % et 0,1 % supérieur à 40 %. Si l’on ne prend en
compte que le seul IRPP, 47,7 % des foyers français ne sont pas imposés ; 23,2 % des foyers
ont un taux d’imposition moyen au titre du seul IRPP (IRPP sur revenu brut total) compris
entre 0 % et 5 % des revenus déclarés et 19,9 % un taux d’imposition moyen compris
entre 5 % et 10 % des revenus déclarés. En outre, dans les seuls contribuables réellement
imposés (52,3 % des foyers fiscaux), 82 % ont un taux d’imposition moyen au titre de l’IRPP
inférieur à 10 % et seuls 1,7 % des ménages imposés ont un taux moyen d’imposition au
titre de l’IRPP supérieur à 20 %.
Il faut ajouter que le poids global de l’IRPP dans l’économie nationale est non seulement
relativement faible mais aussi remarquablement stable en longue période puisqu’il repré-
sentait 3 % du PIB en 2007 contre 3,3 % du PIB en 1970. Il en est d’ailleurs de même de l’im-
pôt sur les sociétés représentant de l’ordre de 2,1 % du PIB en 1970 et 2,4 % en 2007. Par
contre, pendant la même période, le produit total des impôts sur le revenu affectés spéci-
fiquement à la Sécurité sociale (CSG et CRDS qui sont, eux, des impôts proportionnels pour
lesquels le taux de l’impôt est le même quelque soit le niveau de revenu du contribuable)
est passé de 0,8 % du PIB en 1990 (1,8 % des prélèvements obligatoires) à 4,6 % du PIB en
2007 (10,5 % des prélèvements obligatoires)13. Cela signifie que, dans l’imposition totale
1236 % pour les cotisations sociales, 2,2 % pour les impôts sur les salaires, 7,3 % pour les impôts sur le patrimoine, 26,6 %
pour les impôts sur les biens et services et 3,8 % pour les autres impôts.
13 Le rendement total de la CSG est aujourd’hui de l’ordre de 80 milliards d’euros contre approximativement 50 milliards

204 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des revenus des personnes physiques (IRPP + CSG + CRDS), la part de l’imposition propor-
tionnelle (CSG + CRDS) est désormais supérieure à celle de l’imposition progressive, ce qui
éclaire d’un jour particulier la question de la progressivité de l’imposition des revenus.

La progressivité réelle de l’imposition du revenu en France est loin d’être aussi accusée
que ne le laisse supposer le barème de l’IRPP. En conformité avec l’esprit de justice sociale
évoqué précédemment, l’IRPP est effectivement progressif. Cette progressivité s’exprime
concrètement dans le fait que, si la moitié des ménages n’est pas imposée, les 25 % de
ménages aux revenus les plus élevés, disposant de 57 % du total des revenus fiscaux, ont
payé en 1999 84 % de cet impôt et que les 5 % de contribuables les plus riches, dispo-
sant de 23,2 % du total des revenus fiscaux, ont payé quant à eux 50 % de l’impôt. La
progressivité effective de l’imposition du revenu que supportent les personnes physiques
est cependant loin d’être aussi forte que ne le prétendent les détracteurs de la progres-
sivité de l’IRPP. D’une part, la politique de réduction de l’IRPP qui a été entreprise depuis
quelques années a déjà abouti à réduire sensiblement la progressivité intrinsèque de cet
impôt. Après que le nombre de tranches de l’impôt sur le revenu ait été ramené de 13 à
7 dans la loi de finances de 1994, le taux de la tranche de l’impôt la plus élevée est passé
de 56,8 % en 1997 à 54 % en 2000, 52,75 % en 2002 et 48,09 % en 2004. D’autre part,
la progressivité de l’IRPP est partiellement compensée par la proportionnalité de la CSG
dont le rendement global excède aujourd’hui celui de l’IRPP, ce qui atténue sensiblement
la progressivité de l’ensemble de l’impôt sur le revenu (IRPP + CSG). Ainsi, les 5 % de mé-
nages ayant les revenus les plus élevés qui perçoivent 23,2 % des revenus et paient 50 % de
l’IRPP, ne supportent en fait que 36,5 % de la somme (IRPP + CSG)14. Les 10 % de ménages
aux revenus les plus élevés qui perçoivent 34,2 % des revenus paient 64,5 % de l’IRPP mais
seulement 49,4 % de la somme (IRPP + CSG). Les 25 % des ménages ayant les revenus les
plus élevés, qui perçoivent 57 % des revenus, paient 84 % de l’IRPP mais 71 % seulement
du total (IRPP + CSG). Le 18ème rapport du Conseil national des impôts précisait par ailleurs
que « la structure même des très hauts revenus permet d’échapper plus facilement au ba-
rème de l’IRPP », dans la mesure où les hauts et très hauts revenus sont surtout constitués
de revenus du capital jouissant encore en France d’un statut fiscal privilégié qui permet de
contourner la progressivité du barème de l’IRPP15. Lequel statut fiscal privilégié des revenus
du capital paraît d’autant moins justifié que, selon le Conseil des impôts, la fraude sur ces
revenus serait de l’ordre de 25 à 33 %.
À quoi s’ajoute que le système fiscal français prévoit nombre de dispositions qui permet-
tent de réduire l’imposition effective des hauts revenus. C’est la cas, par exemple, de la ré-

d’euros pour l’impôt sur le revenu des personnes physiques.


14 Et il faut ajouter que l’imposition sur le revenu qu’ils subissent (IRPP + CSG ) ne les « appauvrit » que très relativement
puisque, après impôts, ces 5 % de ménages les plus fortunés détiennent encore 21 % du revenu total de l’ensemble des
ménages ; la perte de revenu qu’ils subissent au titre de l’imposition sur le revenu s’élève donc en fait à 2,2 points de PIB
et moins de 10 % de leur revenu total avant impôt.
15 C’est ainsi que les revenus de valeurs mobilières (actions et obligations) qui ont bénéficié jusqu’en 2003 de l’avoir fiscal
pour les actions et bénéficient toujours du prélèvement libératoire forfaitaire pour les intérêts des obligations « sont
plus fortement représentés dans la structure des hauts revenus » (Problèmes Économiques, n° 2685, p. 22). Une étude
de l’OCDE montre d’ailleurs que le taux de taxation effectif moyen des revenus du capital en France (passé de 24,3 %
en 1980-1985 à 23,6 % en 1991-1997) est légèrement inférieur à celui de la moyenne de l’Union européenne (passé de
24,2 % en 1980-1985 à 25,1 % en 1991-1997) et de la moyenne de l’OCDE (25,1 % en 1980-85 et 26,6 % en 1991-97). Il
est également sensiblement plus faible que celui des États-Unis (28,3 % en 1980-85 et 31,1 % en 1991-1997), du Japon
(39,1 % et 32,6 %) ainsi que du Royaume-Uni (46,4 % et 38,4 %) (Duval, 2002).

Le budget de l’État 205


duction de l’impôt sur le revenu (crédit d’impôt) pour l’emploi d’une personne à domicile
passée d’un maximum de 3 450 euros en 2002 à 7 500 euro aujourd’hui16. C’est également
le cas de la déduction jusqu’à 10 % du revenu, dans la limite de 25 300 euros, des cotisa-
tions versées au titre du nouveau Plan d’épargne-retraite, ou encore des mesures visant
à favoriser la construction de logements neufs destinés à la location financés par des par-
ticuliers, telles que les dispositifs dits « Périssol » ou « De Robien ». On peut encore citer
le régime fiscal appliqué aux plan d’épargne en actions (PEA) qui prévoie qu’un couple
peut investir sur un PEA un montant de 264 000 euros en franchise totale d’impôt (impôt
sur le revenu et impôt sur les plus-values) ou les multiples « niches fiscales »17 comme, par
exemple, celles qui bénéficient aux investissements dans les DOM-TOM, avec des réduc-
tions d’impôt sur le revenu de 50 %, voire dans certains cas de 70 %, des sommes investies,
aboutissant en 2006 à un gain fiscal total de près de 400 millions d’euros au profit d’envi-
ron 6 400 foyers fiscaux (Mauduit, 2006, p. 2)18.
Par contre certains avantages liés à l’épargne réglementée (celle du plus grand nombre)
ont été supprimés au cours des dernières années. C’est le cas pour les avantages liés au
plan d’épargne logement (PEL) détenu par environ 15,2 millions de français. La prime ver-
sée par l’État (plafonnée à 1 525 euros) a été supprimée en 2002 pour les PEL n’aboutissant
pas à un projet immobilier. Les PEL de plus de 10 ans sont depuis 1996 assujettis aux pré-
lèvements sociaux (CSG et CRDS, soit 11 %), la taxation étant opérée annuellement depuis
2006 et non plus à la clôture du plan comme c’était le cas jusque-là, ce qui revient à faire
payer les prélèvements sociaux au contribuable par anticipation (celui-ci ne peut en effet
percevoir les intérêts de son PEL qu’à la clôture de celui-ci). Par ailleurs, les PEL de plus de
12 ans sont désormais soumis à un prélèvement libératoire de 16 %. Le Plan d’épargne
populaire (PEP) a été supprimé en 2003 et remplacé par le Plan d’épargne-retraite popu-
laire (PERP). Mais, alors que le premier, ouvert à tous les épargnants, n’était soumis qu’aux
prélèvements sociaux (11 %), avec une possibilité de sortie en rente exonérée fiscalement,
le PERP, qui est déductible du revenu global du contribuable, ne présente un avantage
que pour les contribuables effectivement soumis à l’IRPP et il est fiscalement d’autant plus
intéressant pour le contribuable que son taux marginal d’imposition est plus élevé19.

16 Ce dispositif a été créé en 1992 par Martine Aubry. La réduction d’impôt était alors de 1 900 euros. Le ménage qui em-
ploie une personne à domicile peut déduire de son impôt la moitié du montant de la charge totale que représente cet
emploi, dans la limite désormais de 15 000 euros par an, soit un crédit d’impôt de 7 500 euros.
17 On recensait, en 2007, 486 « niches fiscales », contre 418 en 2003. Leur coût total pour les finances publiques s’est élevé
à 73 milliards d’euros contre 50 milliards d’euros cinq ans plus tôt. Pour le seul impôt sur le revenu, le nombre des niches
fiscales est passé de 75 au début de la décennie 1980 à environ 200 en 2008.
18 Ces diverses « niches fiscales » sont un moyen pour les plus gros contribuables d’échapper à l’impôt sur le revenu. Selon
les termes utilisés par le député Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale :
« Du fait de l’utilisation des réductions et crédits d’impôts, plus un très gros contribuable à des revenus élevés, moins il
paie d’impôts en proportion » (cité par Le Monde, 6-06, 2008, p. 10). Pour sa part, le député Charles de Courson, membre
de la commission des finances de l’Assemblée nationale, expliquait récemment que : « Les 1 000 premiers bénéficiaires,
par ordre décroissant, des niches fiscales sont des contribuables qui, par le truchement des investissements outre-mer,
réussissent à faire baisser de plus de moitié leur impôt sur le revenu et obtiennent une réduction moyenne d’impôt de
300 000 euros » (cité par Le Monde, 9-05, 2008, p. 10).
19 À titre d’exemple : comparons la situation de deux foyers fiscaux dont le revenu imposable est de 45 000 euros en 2005.
Le premier, formé d’un couple marié avec deux enfants a un taux marginal d’imposition de 19,14 %. Le second, un céli-
bataire, a un taux marginal d’imposition de 42,62 %. Si chacun de ces deux foyers fiscaux verse 1 000 euros sur un PERP,
le premier réalisera un gain fiscal de 191 euros et le second un gain de 426 euros.

206 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Tout cela peut permettre de comprendre que le nombre de foyers fiscaux réellement
concernés par la tranche d’imposition de l’IRPP la plus élevée soit globalement très faible.
Ainsi, toujours selon le 18ème rapport annuel du Conseil national des impôts (2000, p.21), en
1998, il n’y avait que 228 000 foyers fiscaux, représentant 1,5 % seulement de l’ensemble
des contribuables imposables, qui étaient imposables dans la tranche la plus élevée (taux
de 54 %) pour une fraction de leur revenu, dont 4 000 foyers fiscaux seulement acquittant
un impôt sur le revenu « excédant 50 % du montant de leur revenu net » (id., p. 22). Dans
ces conditions, il n’est pas étonnant que, contrairement à une idée assez complaisamment
répandue dans certains médias, « les statistiques fiscales n’accréditent pas, pour l’heure,
l’idée d’un départ massif des plus hauts revenus de notre pays vers l’étranger » (id., p. 22).
Comme le soulignent Gaël Dupont et alii (2000, p. 54), « il n’y a guère de preuves empi-
riques que les taux de prélèvement actuels décourageraient l’activité ou l’épargne de la
grande masse des ménages ». Si près de 24 000 contribuables avaient transféré leur domi-
cile fiscal hors de France en 1998 (0,08 % des foyers fiscaux) et s’ils étaient « en moyenne
plus fortunés que l’ensemble des contribuables » (id., p. 54), ce n’étaient pas « loin s’en
faut, uniquement de hauts revenus » et « leur motivation paraît avant tout profession-
nelle » (id., p. 54).
Il semble d’ailleurs que l’on puisse faire une observation comparable concernant la ques-
tion de l’incidence supposée de la fiscalité sur la localisation géographique des capitaux. La
comparaison entre l’évolution du taux d’imposition des revenus du capital aux États-Unis
et en Europe au cours des décennies 1980 et 1990 montre ainsi que la question de la loca-
lisation géographique des capitaux ne peut être réduite à celle de l’imposition des revenus
qu’en tirent leurs détenteurs. En effet, le taux d’imposition effectif moyen des revenus
de la propriété et du capital (impôts sur les sociétés, impôts sur la fortune, impôts sur les
successions, impôts sur les plus-values, etc.) a augmenté aux États-Unis, passant de 28,3 %
en 1980-85 à 31,1 % en 1991-1997, tandis qu’il demeurait quasi stable dans l’ensemble de
l’Union européenne (de 24,2 % à 25,1 %) et baissait dans certains pays européens comme
l’Allemagne (de 22,9 % en 1980-1985 à 19,9 % en 1991-1997) ou la France (de 24,3 % à
23,6 %) (Duval, 2002). Or, pendant les deux décennies 1980 et 1990, les capitaux n’ont pas
cessé d’affluer aux États-Unis, ce qui traduit bien que d’autres éléments que la seule im-
position conditionnent les décisions des détenteurs de capitaux et, en l’occurrence, dans le
cas des États-Unis, « leur dynamisme économique en termes de croissance et d’innovation
comme le rôle clé de leur monnaie » (Duval, 2002, p. 4).
Concernant l’impact sur les stratégies d’implantation des FMN des différences de poids de
la fiscalité sur les entreprises et le capital entre pays de l’Union européenne, le 22ème rap-
port du Conseil des impôts au Président de la République (2006, p. 19) souligne d’ailleurs
que « les logiques d’implantation demeurent principalement non fiscales. Le coût du tra-
vail est affecté, dans certains pays mêmes au sein de l’Europe, d’un tel différentiel (1 à 5
entre la Pologne et l’Allemagne) que dans ces conditions le facteur fiscal reste marginal. Ce
facteur ne peut être d’un poids significatif qu’au regard d’un choix entre pays comportant
des caractéristiques proches sur les autres grand déterminants ».
Le même rapport relativise par ailleurs fortement la thèse défendue par de nombreux
commentateurs selon laquelle le poids trop élevé de l’IRPP et de la fiscalité sur le patri-
moine (ISF) serait une incitation forte pour de nombreux contribuables à s’expatrier. Il sou-

Le budget de l’État 207


ligne à ce propos que, si un nombre élevé de salariés partent effectivement à l’étranger,
c’est essentiellement pour des raisons professionnelles, et dans les pays où les entreprises
françaises, dont les plus grandes sont très fortement internationalisées, sont implantées
et où elles « entretiennent des relations d’affaires ». L’IRPP ne paraît pas jouer un rôle
déterminant dans la décision de s’expatrier dans la mesure où « la comparaison avec les
pays voisins ne fait pas apparaître pour les actifs et notamment les salariés de désavantage
notable sauf dans des cas particulier (célibataires à très hauts revenus…) » (id., p. 20). Le
rapport du Conseil rappelle en outre que, selon l’observatoire mis en place par la Direction
générale des impôts, s’il y a environ 350 départs par an de contribuables assujettis à l’ISF
(dont un tiers pour la Belgique et la Suisse), il y a également 130 à 150 retours. Le Conseil
considère par ailleurs que l’évasion fiscale pratiquée par les personnes physiques est « un
enjeu plus significatif que leur expatriation » (id., p. 21)20.
Dans ces conditions, on comprend mal ce qui peut justifier la focalisation de nombreux
théoriciens et responsables politiques sur la question de la baisse de l’IRPP (et de l’impôt
sur le patrimoine). Si baisse des impôts il doit y avoir, ce qui mériterait à tout le moins
d’être sérieusement discuté, on est en droit de se demander si elle ne devrait pas plutôt
concerner les impôts indirects, et en particulier la TVA, qui frappent la totalité de la popu-
lation, sans considération des revenus des individus. Le système fiscal français y gagnerait
en justice, l’impôt indirect que supporte identiquement tout acheteur de biens, quelles
que soient les différences de revenus et de patrimoine, étant injuste par nature (la TVA,
on l’a déjà souligné, est un impôt dégressif), à la différence de l’impôt direct progressif qui
permet de moduler l’effort fiscal des individus en fonction de leur capacité contributive.
Le système y gagnerait également en efficacité, la baisse des impôts indirects profitant au
plus grand nombre et permettant ainsi de stimuler la consommation qui constitue le prin-
cipal moteur de la croissance économique nationale. Cela contribuerait également à amé-
liorer la capacité redistributive du système fiscal, dont les données disponibles montrent
qu’elle est inférieure à ce qui s’observe dans d’autres pays de niveau de développement
comparable.

20 Une étude plus ancienne du ministère des Finances concernant les départs à l’étranger de personnes assujetties à l’ISF
aboutissait déjà à ce chiffre d’approximativement 350 départs, et en chiffrait les conséquences à une perte en capital
pour la France de 13 milliards de francs et une perte en impôt de 140 millions de francs, soit 1,3 % du rendement de
l’ISF (Dupont et alii, 2000, p. 56).

208 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


L’impôt et la redistribution
L’action redistributive de l’État passe par les prélèvements qu’il effectue et par ses dépenses. La redistri-
bution par les prélèvements peut-être positive (ou progressive), c’est-à-dire qu’elle réduit les inégalités ;
c’est le cas avec l’impôt progressif sur le revenu. Mais elle peut être également régressive et accroître les
inégalités, comme, par exemple, l’existence d’un prélèvement libératoire sur les intérêts des obligations :
ce sont les plus hauts revenus qui épargnent le plus, ce qui leur permet d’échapper à l’imposition sur la
dépense, tandis que, grâce à ce prélèvement libératoire, les revenus tirés de leur épargne peuvent échap-
per à la progressivité de l’impôt sur le revenu. La redistribution par les dépenses publiques correspond aux
transferts sociaux et aux consommations collectives financées par le budget de l’État.

La mesure de la redistribution est en pratique très complexe et demeure relativement imprécise pour dif-
férentes raisons dont, entre autres, qu’il est difficile de déterminer quels sont les individus qui bénéficient
réellement de la consommation de nombre de biens collectifs. Il ressort cependant des évaluations de la
redistribution dont on dispose que celle-ci transférerait de l’ordre de 5 % du revenu total des ménages
des tranches supérieures de revenus vers les tranches inférieures (bourguignon, 1998), ce qui est moins
qu’au royaume-Uni (6 %) et en Allemagne (7 %). Cette faiblesse relative de la redistribution en France
résulte de la faible part que représente l’impôt sur les revenus dans le total des recettes fiscales de l’État,
alors même que cet impôt est fortement redistributif (Samson et alii, 2004, p. 420) (cf. infra, chapitre IX).

Le budget de l’État 209


B – L’impact de la politique de réduction des impôts
Il reste qu’en France les gouvernements successifs se sont engagés depuis les années 1980,
et plus particulièrement depuis la seconde moitié des années 1990, dans une politique
de réduction effective des impôts, et en particulier de l’IRPP. C’est ainsi que l’impôt sur
les sociétés a été ramené de 50 % à 33,3 %, le taux majoré de TVA sur certains biens de
consommation (plutôt de catégorie supérieure) a été supprimé, la fiscalité de l’épargne
a été remaniée en profondeur (cf. supra), etc. Depuis le milieu des années 1990, se sont
succédés différents plans de réduction de l’impôt sur les revenus, avec : une baisse globale
de 3 milliards d’euros en 1994 (gouvernement d’Édouard Balladur), une baisse globale
de 3,8 milliards d’euros en 1997 (gouvernement d’Alain Juppé), une baisse globale de 7,3
milliards d’euros entre 2000 et 2002 (gouvernement de Lionel Jospin), une baisse globale
de 2,7 milliards d’euros en 2002 (gouvernement de Jean Pierre Raffarin) correspondant à
la réduction de 5 % de l’IRPP, suivie de deux nouvelles baisses de l’IRPP (de 1 % en 2003
et 3 % en 2004)21. Si, comme le souligne L. Mauduit (2005 p.22), ce mouvement de fond
de réduction des impôts n’a jusqu’à présent « étrangement » fait l’objet d’aucune étude
officielle exhaustive, une estimation approximative aboutit à la conclusion selon laquelle
les réductions successives d’impôts réalisées depuis les années 1980 s’élèveraient à un mon-
tant annuel de l’ordre de 50 milliards d’euros, soit plus en moyenne que le déficit global
du budget de l’État (cf. infra).
Les mesures contenues dans le « paquet fiscal » adopté en juillet 2007, dont le coût total est
de l’ordre de 13 milliards d’euros par an, s’ajoutent aux réductions d’impôts réalisées anté-
rieurement, sachant que dans ce « paquet fiscal » figurent en particulier : l’exonération de
l’impôt sur le revenu et des charges sociales pour les heures supplémentaires ; la réforme
des droits de succession (le conjoint survivant ne sera plus soumis à l’impôt sur les succes-
sions, l’abattement pour les héritiers en ligne directe est porté de 50 000 à 150 000 euros
par héritier, chaque parent pourra désormais transmettre à chacun de ses enfants 150 000
euros libres de droits tous les 6 ans) ; le doublement du crédit d’impôt sur les intérêts de
l’emprunt la première année de l’acquisition d’une résidence principale ; l’abaissement du
« bouclier » fiscal de 60 % à 50 % du revenu du contribuable. Concrètement, le budget
2008 a prévu une baisse des impôts dans le cadre du « paquet fiscal » de 1,5 milliard d’eu-
ros au titre des droits de succession et de donation, de 625 millions d’euros résultant de
l’application du bouclier fiscal et de 660 millions d’euros de réduction de l’ISF (120 millions
d’euros du fait du passage de l’abattement sur la valeur de la résidence principale de 20 %
à 30 %, 380 millions d’euros pour la réduction de l’ISF en cas d’investissement direct dans
le capital des PME et 160 millions au titre des dons à différentes catégories d’organismes :
universités, fondations d’utilité publique… (Le Monde, 4-10, 2007, p. 9).
Mais cette politique de réduction des impôts soulève des interrogations légitimes. Elle pro-
fite principalement, voire presque exclusivement, aux ménages les plus aisés. Son efficacité
en termes de stimulation de la croissance et de soutien de l’emploi est loin d’être avérée.
• Cette politique de réduction des impôts profite aux ménages de manière très inégalitaire.

21 Cette politique de réduction des impôts n’est d’ailleurs pas spécifique à la France. Aux États-Unis, l’administration répu-
blicaine a fait voter en 2002 le principe d’une réduction d’impôts de 1 600 milliards de dollars pour les entreprises et les
ménages étalée sur 10 ans, dont 720 milliards de dollars pour réduire le nombre de tranches de l’impôt sur le revenu de 5 à
4. En Allemagne, le gouvernement a procédé en 2004 à une réduction de l’impôt sur le revenu de 22 milliards d’euros.

210 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Compte tenu de ce qui a été rappelé à propos de l’impôt sur le revenu, il va de soi que la
réduction de l’IRPP ne profite en réalité qu’à une minorité de ménages français, les plus
aisés, et accentue le caractère socialement injuste de notre système fiscal22.
Ainsi, les mesures de réduction des impôts contenues dans le « plan Fabius » présenté en
août 2000 ont abouti à faire bénéficier les ménages d’un gain d’impôt total estimé à 21,4
milliards d’euros en 2003. Les études réalisées concernant l’impact de cette réduction glo-
bale d’impôt pour les différentes catégories de contribuables montrent cependant sans
ambiguïté que les gains d’imposition réalisés par les ménages sont d’autant plus impor-
tants que leurs revenus sont plus élevés. Il ressort en effet d’un calcul de la répartition des
gains d’imposition entre les ménages répartis en 4 quartiles selon le revenu23 que, sur 21,4
milliards de réductions totales d’impôts au bénéfice des ménages en 2003, les trois pre-
miers quartiles obtiennent chacun approximativement 3 milliards d’euros de réductions
d’impôts et le dernier quartile (celui qui correspond aux 25 % de ménages aux revenus les
plus élevés) près de 12 milliards d’euros de réductions d’impôts, soit 56 % du gain total
d’imposition.
De même, la baisse uniforme de 5 % de l’IRPP effectuée en 2002 a représenté un allége-
ment fiscal de 2,7 milliards d’euros qui a bénéficié pour 70 % aux 10 % de contribuables
ayant les revenus les plus élevés et pour 30 % au 1 % des contribuables les plus riches (Le
Monde, 17-06, 2002, p. 7)24. La baisse de 3 % de l’impôt sur le revenu inscrite au budget
2004 a eu les mêmes résultats. Les simulations qui ont été faites concernant l’impact de
cette nouvelle réduction de l’impôt sur le revenu selon la situation des contribuables mon-
trent ainsi que, pour un contribuable marié avec deux enfants gagnant 40 000 euros par
an, le gain est de 49 euros ; il est de 774 euros si le contribuable gagne 100 000 euros et
de 7 025 euros s’il gagne 500 000 euros. En d’autres termes, le plus riche des trois couples
considérés ici qui gagne 12,5 fois plus que le moins riche économisera 143 fois plus d’im-
pôts que lui. Quant aux 50 % de ménages non imposables à l’impôt sur le revenu…
En résumé, force est de constater que, globalement, les mesures de réduction des im-
pôts, et en particulier de l’IRPP, effectivement mises en œuvre profitent très inégalement
aux différentes couches sociales de la population, les principaux bénéficiaires en étant les
couches sociales les plus aisées. Le caractère inégalitaire de l’impôt tend donc à s’aggraver.
De ce point de vue, la réforme de l’IRPP votée avec le budget 2006 et entrée en applica-
tion en 2007 ne devrait pas améliorer la situation. Cette réforme supprime la réfaction de
20 %25 sur les revenus des salariés qui bénéficiaient jusque-là de cette réfaction parce qu’ils
ne peuvent dissimuler leurs revenus au fisc, à la différence d’autres catégories de contri-
buables. En contrepartie, elle réduit le nombre de tranches de l’impôt de 7 à 526.

22 Comme le soulignent Gaël Dupont et alii, d’une part « l’allégement de l’IRPP est forcément anti-redistributif, puisque la
moitié des ménages, ceux qui ont les revenus les plus faibles n’en paient pas et donc ne peuvent bénéficier de sa baisse
(...). D’autre part, la réduction proportionnelle de l’ensemble des taux induit un gain fiscal proportionnel à l’impôt payé,
donc favorable aux plus riches » (2000, p. 57).
23 Un quartile est égal à 25 % des ménages : le 1er quartile représente les 25 % de ménages ayant les revenus les plus
faibles, le 4ème quartile les 25 % de ménages ayant les revenus les plus élevés.
24 L’IRPP a baissé de manière homogène en 2003 de 1 % et en 2004 de 3 %, ces nouvelles baisses homogènes prolongeant
les effets anti-redistributifs de la baisse de 5 % appliquée en 2002.
25 Les salariés et pensionnés pouvaient jusque-là déduire 20 % du montant de leurs traitements, salaires et pensions du total
de leurs revenus bruts pour déterminer le montant de leur revenu imposable, cette disposition concernant également
les bénéfices des adhérents des centres de gestion.
26 Ce qui, si on admet un instant de raison que cette baisse des tranches ne fait que compenser la suppression de la réfaction
de 20 %, revient à en étendre le bénéfice à toutes les catégories de revenus qui en étaient jusque-là exclues (revenus non
salariaux, fonciers et immobiliers en particulier). En tenant compte cependant de ce qu’ont été adoptées, concernant ces
revenus, certaines dispositions qui visent à limiter l’avantage supplémentaire qui leur est ainsi procuré.

Le budget de l’État 211


0 à 5 515 taux d’imposition : 0 %
5 516 à 11 000 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5,5 %
11 001 à 24 432 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 %
24 433 à 65 500 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30 %
> à 65 501 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40 %
Les simulations effectuées font apparaître que, pour les contribuables salariés, à de très
rares exceptions, ce sont systématiquement ceux qui ont les revenus les plus élevés (supé-
rieurs à 150 000 euros par an) qui sont les principaux bénéficiaires de la réforme. Ce que
confirme une étude de l’OFCE selon laquelle 70 % de la baisse de l’impôt sur le revenu
prévue bénéficieront aux 20 % de foyers imposables les plus riches (Morio, 2005, p. 18).
Il en est de même du renforcement du « bouclier fiscal », selon lequel le montant total
des impôts directs payés par un contribuable ne devra plus désormais excéder 50 % de
ses revenus (60 % lors de la création du dispositif), ce qui bénéficiera principalement aux
contribuables assujettis à l’ISF en aboutissant à plafonner de facto le montant de cet impôt
(id.) et à le supprimer purement et simplement pour les plus gros patrimoines. L’imposi-
tion directe dont il est question inclut, outre l’IRPP proprement dit, la CSG, la CRDS, la taxe
foncière et la taxe d’habitation sur l’habitation principale. Les estimations réalisées par le
ministère de l’Économie et des Finances concernant le coût global de cette mesure le chif-
frent à 810 millions d’euros se partageant entre les 234 397 bénéficiaires potentiels, soit en
moyenne une économie d’impôt de 3 455 euros par foyer fiscal concerné. Sur cette somme
globale de 810 millions d’euros, les 12 784 foyers fiscaux dont le patrimoine est supérieur à
3,730 millions d’euros, en récupéreraient à eux seuls 583 millions d’euros, soit en moyenne
45 600 euros par foyer fiscal. Tandis que les quelques 1 081 personnes disposant d’un pa-
trimoine supérieur à 15,550 millions d’euros se verront rembourser en tout 272 millions
d’euros soit en fait 251 619 euros par foyer fiscal.
• L’efficacité économique de ces réductions d’impôts fait par ailleurs problème.
Socialement injustes, ces réductions d’impôt sur le revenu peuvent-elles être cependant
économiquement efficaces ? C’est ce que soutiennent unanimement les théoriciens qui
les préconisent et les responsables politiques qui les décident. Parmi les théoriciens, c’est
l’économiste américain A. Laffer qui s’est fait le plus ardent défenseur de la réduction des
impôts. Selon lui, « les hauts taux tuent les totaux ». En d’autres termes, si, jusqu’à un cer-
tain seuil, la hausse du taux d’imposition permet d’accroître le rendement global de l’im-
pôt, au-delà de ce seuil, la hausse du taux de l’impôt exercerait un tel effet désincitatif sur
les contribuables que la base imposable, c’est-à-dire la richesse créée par l’activité de ces
derniers, diminuerait et que le rendement global de l’impôt déclinerait (graphique 4.1)27.
Dans un tel contexte, la seule solution serait alors la réduction des taux d’imposition ; celle-
ci stimule l’offre de travail, l’épargne et l’investissement des agents économiques privés et,
partant, la création de richesses par ces derniers, ce qui accroît la base imposable et donc,
au bout du compte, le rendement global de l’impôt.

27 Le fond de l’argumentation d’A. Laffer n’est au demeurant pas original. Il reprend la thèse déjà formulée par A. Smith,
écrivant en 1776 : « Des impôts lourds, parfois en diminuant la consommation des produits taxés, parfois en encourageant
la fraude, engendrent souvent des recettes fiscales plus faibles que celles qui auraient pu être obtenues avec des taux
plus modestes » (cité par E. Combe, 1997, p. 77).

212 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 4.1
La courbe de Laffer

Sur le graphique 4.1, le taux d’imposition optimal est t*. La hausse progressive du taux d’imposition de
0 à t* s’accompagne d’une augmentation des rentrées fiscales. Au-delà de t*, la poursuite de la hausse
du taux d’imposition se traduit au contraire par une baisse des recettes fiscales. Le graphique montre
également qu’un même niveau de recettes fiscales globales peut être obtenu avec deux taux d’imposi-
tion différents t1 < t* et t2 > t*.

Ces analyses sont reprises, avec des variantes, par les responsables politiques qui ont fait
des réductions d’impôts l’une des priorités de l’action gouvernementale. À titre d’exemple
on peut citer l’ancien Premier ministre français J.-P. Raffarin qui déclarait le 25 septembre
2003, à propos de la baisse de l’impôt sur le revenu, « je continuerai à baisser l’impôt sur le
revenu pour que ceux qui travaillent puissent d’année en année tirer davantage profit de
leur travail » et pour conduire la France « sur la voie de la croissance durable » (cité dans
Le Monde, 27-9, 2003, p. 8).
Qu’en est-il en fait ? Les auteurs du courant keynésien ont établi qu’une réduction des im-
pôts est a priori susceptible d’exercer un effet de stimulation de l’activité économique avec
l’intervention du jeu du multiplicateur fiscal. En substance, une baisse des impôts accroît
le revenu disponible des ménages, ce qui, pour une propension marginale à consommer
donnée et constante en courte période, se traduit par une augmentation de leur consom-
mation finale. La demande globale adressée aux entreprises augmente donc, ce qui les
conduit à accroître leur production dès lors qu’elles disposent de réserves de capacités de
production inutilisées et qu’elles ont la possibilité d’embaucher des salariés supplémen-
taires. Mais, en accroissant la production, elles augmentent par là même la masse des
revenus qu’elles distribuent aux ménages, ce qui permet à ces derniers d’augmenter à
nouveau leur consommation, et ainsi de suite. Une baisse des impôts doit donc finalement
se traduire par une augmentation de la production qui lui est supérieure en valeur absolue
(c’est le jeu du multiplicateur) et, partant, toutes choses égales par ailleurs, à une élévation
du niveau de l’emploi (cf. infra, chapitre V).
Mais, pour que ce processus vertueux se développe, encore faut-il que la baisse des im-
pôts se traduise bien par une augmentation de la consommation des ménages. Si ce n’est
pas le cas, autrement dit si les ménages affectent l’économie d’impôts dont ils bénéfi-
cient à épargner et non à financer une consommation supplémentaire, l’impact de cette

Le budget de l’État 213


baisse d’impôts sur la production et l’emploi sera nul. La même analyse montre de surcroît
que si l’État accompagne cette baisse d’impôts d’une réduction parallèle des dépenses
publiques, afin de ne pas compromettre l’équilibre budgétaire ou de ne pas aggraver un
déficit préexistant, l’impact sur l’activité et l’emploi sera négatif (cf. infra, chapitre V).
Dans ces conditions, on comprend que l’impact sur l’activité et l’emploi d’une réduction
d’impôts dépende du type de réduction d’impôts auquel procède l’État. En substance,
l’effet de stimulation de l’activité et de l’emploi d’une baisse des impôts sera d’autant plus
important que cette baisse d’impôts profitera aux ménages aux revenus les plus faibles
ceux, précisément, on le sait, dont la propension marginale à consommer est la plus élevée
et qui consacreront probablement l’intégralité du gain d’impôt dont ils bénéficieront à
accroître effectivement leur consommation. Inversement, son impact sur l’activité écono-
mique et l’emploi sera a priori d’autant plus faible qu’elle profitera à des ménages plus ai-
sés qui sont en mesure de transformer le gain d’impôt dont ils bénéficieront en un surcroît
d’épargne (placements financiers divers).
On est donc en droit de s’interroger sur l’efficacité potentielle, en termes de croissance
et de création d’emplois, d’une baisse de l’impôt sur le revenu qui, comme la baisse uni-
forme de 5 % de l’impôt sur le revenu des personnes physiques de 2002, a bénéficié pour
70 % au 10 % de contribuables ayant les revenus les plus élevés et pour 30 % au 1 % de
contribuables les plus riches28. Et que dire de l’incidence sur la consommation globale des
ménages de la mise en œuvre du bouclier fiscal à 50 % ? Qui peut sérieusement croire
que les 272 millions d’euros d’économie d’impôts dont vont bénéficier les 1 081 foyers
fiscaux dont le patrimoine excède 15,50 millions d’euros vont se traduire par un surcroît
de consommation susceptible d’alimenter la croissance économique ? Il se peut, certes,
qu’une fraction de ces économies d’impôt serve à financer des investissements productifs,
ce qui est un autre moyen de stimuler la croissance. Mais il est probable qu’une fraction
importante des gains d’imposition ainsi réalisés se traduise par des placements financiers
supplémentaires dont il n’est pas du tout assuré qu’ils exercent un impact positif sur le ni-
veau de l’activité et de l’emploi. Et n’aurait-il pas mieux valu que l’État investisse lui-même
les fonds en question dans, par exemple, la modernisation de certaines infrastructures du
pays ou le financement de la recherche que chacun s’accorde à reconnaître comme le mo-
teur essentiel du développement d’une économie fondée sur la connaissance ?
En l’état actuel, les réductions de l’impôt sur le revenu au bénéfice principalement des
ménages les plus fortunés n’aboutissent en réalité qu’à alimenter le déficit budgétaire,
contraignant ainsi l’État à s’endetter. Il le fait auprès de ceux qui sont en mesure de lui
prêter, c’est-à-dire précisément les ménages les plus fortunés. Autrement dit, au lieu de
prélever l’impôt sur ces ménages, l’État leur emprunte des sommes qu’il devra ensuite leur
rembourser majorées des intérêts, obligation dont il s’acquittera par un prélèvement fiscal
sur la grande masse des contribuables.

28 On est de même en droit de s’interroger sur l’efficacité en termes de stimulation de la croissance économique et de
création d’emplois de la baisse de 3 % de l’IRPP qui était inscrite au budget 2004. Un ménage qui dispose d’un revenu
imposable de 500 000 euros (3 280 000 francs approximativement) n’attend à l’évidence pas sur une réduction d’impôt
de 7 025 euros (46 084 francs) pour consommer plus. L’hypothèse la plus probable est que ce gain d’impôt se transforme
en épargne supplémentaire et se place sur le marché des capitaux, par exemple pour acheter des obligations émises par
l’État afin de financer le déficit de son budget.

214 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 3 : la question du niveau et de l’évolution des
prélèvements obligatoires

Les impôts prélevés par l’État ne sont qu’une partie des prélèvements obligatoires définis
comme l’ensemble des versements obligatoires effectués sans contrepartie directe au profit
des administrations publiques. Ces prélèvements obligatoires ont atteint en France un ni-
veau qui place le pays dans le groupe de tête des pays développés pour ce qui concerne le
poids de ces prélèvements obligatoires dans le PIB (A). Cette situation constitue l’arrière plan
du débat initié par les partisans d’une limitation de ces prélèvements obligatoires (B).

A – Les prélèvements obligatoires : mesure et évolution


Les prélèvements obligatoires sont constitués des impôts perçus par l’État et les collectivi-
tés locales (TVA, CSG, impôt sur le revenu, impôt sur les sociétés, TIPP, taxe professionnelle
et taxe d’habitation pour les plus importants) et des cotisations sociales versées par les
assurés sociaux et leurs employeurs (tableau 4.5)29.

TAbLEAU 4.5
Principaux prélèvements obligatoires* en France : 2003-2005
(en milliards d’euros et en % du PIB)

2003 2004 2005


Mds d’€ % du PIB Mds d’€ % du PIB Mds d’€ % du PIB
Taxe sur la valeur
109,8 7,0 119,3 7,2 125,8 7,4
ajoutée
Contribution sociale
64,4 4,1 67,1 4,1 72 4,2
généralisée
Impôt sur le revenu 47,3 3,0 46,8 2,8 49,4 2,9
Impôt sur les sociétés** 36,7 2,4 41,2 2,5 40,6 2,4
Taxe intérieure sur les
24,0 1,5 24,7 1,5 24,3 1,4
produits pétroliers
Taxe professionnelle 18,5 1,2 20,0 1,2 20,7 1,2
Taxes foncières
(propriétés bâties et 17,9 1,1 18,8 1,1 20,1 1,2
non bâties)
Taxe d’habitation 10,1 0,7 10,6 0,6 11,3 0,7
Cotisation sociales
258,9 16,6 268 16,2 279,7 16,4
effectives
* Prélèvements nets des dégrèvements sans déduction des prélèvements non recouvrables
** Y compris l’imposition forfaitaires.
Sources : INSEE.

Ils se répartissent en quatre catégories selon l’institution au bénéfice de laquelle ils sont
perçus, État, administrations publiques locales, administrations de sécurité sociale, institu-
tions européennes : soit, en 2007, 33,5 % pour l’État, 2,2 % pour les ODAC, 13,1 % pour les
APUL, 50,7 % pour les ASS et 0,6 % pour les institutions européennes (tableaux 4.6 et 4.7).
29 Depuis 2001, en France, un rapport sur les prélèvements obligatoires est adjoint à la loi de finances.

Le budget de l’État 215


TAbLEAU 4.6
Prélèvements obligatoires des administrations publiques
et des institutions européennes : 2005-2006

2005 2006
en milliards en milliards
en % du PIB en % du PIB
d’euros d’euros
État 277,6 16,2 273,6 15,3
Impôts (1) 271,8 15,8 264,6 14,8
Cotisations sociales 5,8 0,3 8,9 0,5
ODAC 14,7 0,9 16,1 0,9
Administrations
95,1 5,5 101,3 5,7
publiques locales
Administrations de
361,2 21,0 396,8 22,1
sécurité sociale
Impôts (1) 88,1 5,1 113,2 6,3
Cotisations
273,1 15,9 283,7 15,8
sociales (2)
Institutions de
l’union 4,5 0,3 4,7 0,3
européenne
Ensemble 753,1 43,8 792,5 44,2
(1) : après transferts de recettes fiscales et nets des impôts dus non recouvrables.
(2) : nettes des cotisations dues non recouvrables.
Source : INSEE, Comptes nationaux Base 2000.

TAbLEAU 4.7
Répartition des prélèvements obligatoires (en %) : 1999-2007

1994 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
État 38,0 38,8 37,5 36,9 35,9 35,4 37,8 36,9 34,1 33,5
Dont cotisations
/// 0,9 0,8 0,8 0,8 0,8 0,8 0,8 0,8 0,8
sociales
Organismes divers
d’administration 0,9 1,4 1,6 1,6 2,0 2,0 2,0 2,0 2,1 2,2
centrale
Dont CRDS /// 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7 0,7
Administrations
12,5 12,3 11,7 11,3 11,5 11,7 12,2 12,7 12,9 13,1
publiques locales
Administrations de
46,7 46,2 47,8 48,8 49,6 50,2 47,4 47,9 50,4 50,7
sécurité sociale
Dont CSG /// 8,9 9,2 9,4 9,3 9,4 9,3 9,6 9,7 9,7
Dont cotisations
42,4 35,1 35,3 35,6 36,3 36,9 36,3 36,4 36,3 36,6
sociales
Institutions
1,9 1,3 1,4 1,4 1,1 0,8 0,5 0,6 0,6 0,6
européennes
Total des prélève-
100 100 100 100 100 100 100 100 100 100
ments obligatoires
Source : INSEE, Comptes de la Nation base 1995 pour 1994 , base 2000 pour la suite..
Années 2006 et 2007 : Rapport économique, social et financier PLF 2007

216 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Leur structure a sensiblement évolué au cours des dernières décennies. La part des impôts
indirects (TVA et TIPP) dans le total des prélèvements obligatoire est en baisse, passant de
28,5 % en 1970 à 21 % en 1999 (9,4 % du PIB). La part des cotisations sociales est demeurée
globalement stable, passant de 36,2 % en 1970 à 37,6 % en 2007 (16,3 % du PIB). Parallè-
lement, la part des impôts directs prélevés pour le compte de l’État, des collectivités locales
et de la Sécurité sociale (dont la CSG et la CRDS) est passée de 33,6 % des prélèvements
obligatoires en 1970 à 40,8 % en 1999, en raison de la création de la CSG et de la CRDS. Les
cotisations sociales plus les impôts prélevés au bénéfice de la Sécurité Sociale sont passés
de 36,2 % des prélèvements obligatoires (12,7 % du PIB) en 1970 à 50,8 % des prélève-
ments obligatoires (22 % du PIB) en 2007. Les impôts locaux sont passés globalement de
9,7 % des prélèvements obligatoires (3,4 % du PIB) en 1970 à 13,1 % des prélèvements
obligatoires (5,7 % du PIB) en 2007. Parallèlement, la répartition des prélèvements obliga-
toires selon les administrations auxquelles ils sont destinés a également évolué. De 1994
à 2007, la part de l’État a baissé de 38 % à 33,5 %, celle des APUL, après avoir baissé, s’est
redressée revenant en fin de période à un niveau comparable à celui du début de période
(13,1 %). La part des institutions européennes a baissé de moitié, tandis que celle des ASS
augmentait de 46,7 % à 50,8 % (tableau 4.7).
Le taux des prélèvements obligatoires est calculé en rapportant le montant global des
prélèvements obligatoires au PIB. En France, il a nettement augmenté au cours des trois
dernières décennies, passant de 37,9 % du PIB en 1978 à 43,7 % en 2007, cette hausse
étant imputable à l’augmentation des impôts locaux (+ 2,6 points de PIB) et des prélè-
vements obligatoires destinés à financer la Sécurité sociale (+ 6 points de PIB), alors que
les prélèvements directement destinés à l’État ont baissé de 3,1 points de PIB (tableau
4.8). Cette hausse du taux des prélèvements obligatoires au cours des dernières décennies
prolonge une tendance qui s’est affirmée depuis la Première Guerre mondiale puisque le
taux des prélèvements obligatoires est passé de 9,9 % en 1900 à 10,1 % en 1909, 12,5 %
en 1920 et 15,3 % en 1929, pour ensuite s’élever à 29,5 % en 1950 et à 34,9 % en 1972
(Blancheton, 2005, p. 27). Il faut cependant souligner que le mouvement de réduction des
impôts engagé depuis le tournant de la rigueur de 1982-1983 s’est traduit par une baisse
des prélèvements obligatoires imputables à l’État qui sont passés de 19,5 % du PIB en 1984
à 16,5 % du PIB en 2000 et 14,6 % du PIB en 2007.

Le budget de l’État 217


TAbLEAU 4.8
Prélèvements obligatoires des administrations publiques et des institutions
européennes (en % du produit intérieur brut total) : 1978-2007
1978 1995 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
État 17,7 16,5 1,27 17,4 16,5 16,1 15,5 15,2 16,3 16,2 15,0 14,6
Dont : Cotisations
/// 0,3 0,4 0,4 0,4 0,4 0,4 0,4 0,3 0,3 0,4 0,3
sociales
Organismes
divers d’adminis- 0,3 0,4 0,8 0,7 0,7 0,7 0,9 0,9 0,9 0,9 0,9 1,0
tration centrale
dont : CRDS /// /// 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3 0,3
Administrations
3,1 5,5 5,7 5,5 5,2 5,0 4,9 5,0 5,3 5,6 5,7 5,7
publiques locales
Administrations
16,2 20,3 20,5 20,8 21,1 21,4 21,4 21,5 20,5 21,1 22,2 22,2
de sécurité sociale
dont : CSG /// /// 3,9 4,0 4,1 4,1 4,0 4,0 4,0 4,2 4,3 4,2
dont : Cotisations
15,6 18,3 15,7 15,8 15,6 15,6 15,7 15,8 15,7 16 16,0 16,0
sociales
Institutions
0,7 0,8 0,6 0,6 0,6 0,6 0,5 0,3 0,2 0,3 0,3 0,3
européennes
Total 37,9 43,7 44,8 44,9 44,1 43,8 43,1 42,8 43,1 44,0 44,0 43,7
Source : Rapport économique, social et financier 2002 pour l’année 1978 ; INSEE, Comptes de la Nation – base
1995 pour les années 1995 et 1998, base 2000 pour les années suivantes.
Années 2006 et 2007 : Rapport économique, social et financier PLF 2007

Cette augmentation de longue période du taux des prélèvements obligatoires n’est pas
spécifique à la France. C’est en réalité un phénomène général que l’on a observé avec
plus ou moins d’intensité dans l’ensemble des pays de l’OCDE (tableau 4.9). La hausse a
cependant très fortement ralenti depuis le début des années 1990. Pour l’Union euro-
péenne à 15, après avoir augmenté de plus de 6 points de PIB entre 1975 et 1990, le taux
des prélèvements obligatoires n’a augmenté que de 1,2 point de PIB entre 1990 et 2004.
De même, pour l’ensemble de l’OCDE, après avoir été de 4,5 points de PIB entre 1975 et
1990, la hausse du taux des prélèvements obligatoires n’a été que de 1,5 point entre 1990
et 2004. Si pour certains pays de l’OCDE le taux des prélèvements obligatoires a continué
d’augmenter de manière plus ou moins marquée (Autriche, Italie, Danemark, Norvège,
Portugal), dans d’autres il s’est stabilisé (Royaume-Uni, Luxembourg, Finlande) ou a même
fléchi plus ou moins fortement (Suède, Japon, États-Unis, Pays-Bas).

218 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


TAbLEAU 4.9
Les prélèvements obligatoires dans les pays industrialisés : 1989-2004
(en % du PIB)
Pays 1989 1991 1993 1995 1997 1999 2001 2002 2003 2004
France 42,9 43,2 43,3 42,9 44,3 45,2 44,0 43,4 43,4 43,7
Allemagne (1) 38,2 37,1 38,1 37,2 36,2 37,1 36,1 35,4 35,5 34,6
Belgique 45 43,9 44,8 44,8 45,4 45,7 45,8 46,2 45,4 45,6
Danemark 49,3 46,9 48,8 49,5 49,6 50,5 49,1 48,7 48,3 49,6
Espagne 34,6 34,7 34,9 31 ,8 32,5 33,9 34,4 34,8 34,9 35,1
Grèce 27,1 29,9 31,4 32,4 34,0 36,9 36,6 37,1 35,7 35,7*
Irlande 35,2 34,2 34,5 32,8 32,2 31,9 30,0 28,7 29,7 30,2
Italie 37,8 39,3 43,4 41,2 44,2 43,3 43,0 42,5 43,1 42,2
Luxembourg 42,7 43,1 44,7 42,3 41,7 40,7 40,8 41,3 41,3 40,6
Pays-Bas 44,9 47,2 47,5 41,9 41,9 41,4 39,8 39,2 38,8 39,3
Portugal 30,0 31,4 31,9 33,6 34,7 36,0 35,7 36,5 37,1 37,1*
Royaume-uni 36,3 35,9 33,8 35,1 35,3 36,8 37,2 35,6 35,6 36,1
Suède 55,5 53,7 48,6 48,5 51,7 52,4 51,8 50,1 50,6 50,7
États-unis 28,0 27,8 27,9 27,9 28,7 29,4 28,8 26,3 25,6 25,4
Japon 30,7 30,3 28,7 26,7 26,8 25,8 26,8 25,8 25,3 25,3*
Moyenne uE à
40,0 40,5 40,9 40,1 40,9 41,5 41,0 40,6 40,5 40,5*
15 (2)
Ensemble
35,4 36,1 36,8 35,7 36,3 36,8 36,7 36,4 36,3 36,3*
OCDE (2)
(1) Allemagne unifiée à partir de 1991.
(2) Moyenne non pondérée
* Données 2003
Source : Stastiques des recettes publiques des pays membres de l’OCDE 1965-1999 ; INSEE Annuaire statistique de
la France, 2007, p. 303
Les écarts observés entre les différents pays peuvent être importants. Le tableau 4.9
montre que, pour 2004, la fourchette allait de 25,3 % du PIB à 49,6 % du PIB pour les pays
sous revue. La France se situe dans le groupe de pays qui ont les taux de prélèvements
obligatoires les plus élevés. Ainsi, en 2004, parmi les pays de l’OCDE qui avaient un taux
de prélèvements obligatoires plus élevé que la France on trouvait le Danemark (49,6 % du
PIB), la Belgique (45,6 % du PIB) et la Suède (50,7 %). Par contre, les États-Unis (25,4 %)
et le Japon (25 %) avaient des taux de prélèvements obligatoires nettement plus faibles.
C’était également le cas, mais avec un écart sensiblement plus restreint, pour certains pays
européens comme l’Allemagne (34,6 %) ou le Royaume-Uni (36,1 %).
Cette forte dispersion des taux de prélèvements obligatoires entre les différents pays dé-
veloppés, qui fait l’objet de multiples commentaires, doit être interprétée avec une grande
prudence. Pour une part, les écarts observés entre pays quant à leur taux respectif de
prélèvements obligatoires peuvent refléter des différences dans les niveaux de dévelop-
pement de ces pays. En mettant provisoirement à part le cas des États-Unis et du Japon,
on peut observer une certaine corrélation entre le taux des prélèvements obligatoires et
le niveau du PIB par tête. La croissance de la production et l’élévation du niveau de vie
des populations vont de pair avec le développement rapide de certaines dépenses induites
par la production de certains biens et services - infrastructures de toutes sortes, éducation,
santé, culture, besoin de réduire l’incertitude liée aux aléas de la vie, etc. - qui peuvent être

Le budget de l’État 219


traités comme des biens publics assurés par les administrations publiques et financés alors
par des prélèvements obligatoires.
Mais ces écarts traduisent aussi largement des choix de société différents d’un pays à
l’autre. Ainsi, les différences de taux de prélèvements obligatoires entre les pays les plus
riches (en termes de PIB par tête) de l’OCDE (ce qui réintroduit explicitement les États-Unis
et le Japon dans l’analyse) s’expliquent par des préférences institutionnelles différentes.
Certains pays (France, Allemagne, pays d’Europe du nord) ont fait le choix de privilégier
une prise en charge publique et socialisée de certaines dépenses (en particulier les dé-
penses de santé) avec le financement de ces dépenses par l’impôt où les cotisations so-
ciales, ce qui conduit à des taux de prélèvements obligatoires élevés. D’autres pays ont par
contre fait le choix de laisser la prise en charge de ces dépenses aux soins de l’initiative
privée et des choix individuels, ce qui a pour effet d’assurer leur financement par des pro-
cédures différentes des prélèvements obligatoires, et réduit donc mécaniquement le taux
des prélèvements obligatoires de ces pays, bien que la société ait quand même à assurer le
financement de ces dépenses.
Que leur mode de financement soit public (et il y a alors prélèvements obligatoires) ou
privé (et il n’y a pas prélèvements obligatoires mais « primes d’assurances »), le coût de
l’assurance maladie et de l’assurance vieillesse doit bien être pris en charge par l’économie
du pays. En réalité, il semble bien que l’essentiel des différences de taux des prélèvements
obligatoires observables entre les pays développés provienne précisément du mode, public
ou privé, de financement des charges d’assurance retraite et d’assurance maladie (Samson
et alii, 2004, p. 425). Ainsi, si les cotisations sociales représentent en France ou en Alle-
magne de l’ordre de 20 % du PIB, contre moins de 10 % seulement au Royaume-Uni et aux
États-Unis, lorsque l’on « ajoute les contributions des employeurs à des fonds de pension
privés (7 % du PIB aux États-Unis) et celles des employeurs et salariés aux systèmes privés
d’assurance maladie, l’essentiel des écarts avec les autres pays européens disparaît » (id.,
p. 425). Aux États-Unis, le coût total de la protection sociale (privée et publique) s’élève en
fait à 27 % du PIB, soit un ordre de grandeur comparable à ce que l’on observe au Dane-
mark (29 %) et en Allemagne (31 %) » (id., p. 425). Avec cependant une différence notable
qui tient au fait qu’aux États-Unis la proportion des ménages bénéficiant d’une assurance
maladie augmente avec le niveau du revenu et que près de 50 millions d’américains n’ont
pas de couverture maladie.
Même entre des pays aux choix de société globalement très comparables, les modalités
de prise en charge de certaines dépenses peuvent être différentes, avec une répercus-
sion sur les taux de prélèvements obligatoires respectifs. Ainsi, si l’on compare les taux
de prélèvements obligatoires de l’Allemagne et de la France, il faut tenir compte de ce
que, en Allemagne, le risque vieillesse est pour partie financé par des fonds constitués par
les employeurs, qui supportent également la majeure partie des dépenses de formation
professionnelle alors que celles-ci sont financées en France par différentes collectivités
publiques. Au total, divers auteurs soulignent que ces écarts dans les taux de prélèvements
obligatoires entre les pays développés reflètent principalement les différences institution-
nelles existant entre les systèmes de protection sociale de ces pays, lesquelles se traduisent
en particulier par le poids des cotisations sociales dans le total des prélèvements obliga-
toires30.

30 Les prélèvements obligatoires effectués en France correspondent à trois affectations distinctes : le financement des dé-
penses publiques générales, la redistribution des revenus (RMI, minima sociaux, etc.), l’assurance contre les risques sociaux
(maladie, accidents, famille, vieillesse, etc.). L’assurance représente à elle seule la moitié des prélèvements obligatoires.

220 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B – Le débat à propos des prélèvements obligatoires
Quoiqu’il en soit, les prélèvements obligatoires ont atteint aujourd’hui en France un ni-
veau relativement élevé. Celui-ci alimente une controverse qui s’est développée depuis
plusieurs années déjà sur l’opportunité de réduire significativement le taux des prélève-
ments obligatoires.
Pour de nombreux libéraux, un taux élevé de prélèvements obligatoires pénaliserait la
croissance économique en décourageant l’activité ou l’épargne de nombreux agents éco-
nomiques privés, ménages et entreprises (effet désincitatif de prélèvements obligatoires
trop importants). L’argumentation tend d’ailleurs à focaliser sur les prélèvements obliga-
toires que supportent les entreprises : impôts de l’État, impôts des collectivités locales (la
taxe professionnelle) et cotisations sociales patronales. Ces prélèvements obligatoires sur
les entreprises seraient pour elles autant de handicaps. L’imposition des bénéfices, jugée
trop élevée, réduirait les profits susceptibles d’autofinancer l’investissement productif. Les
charges sociales qui élèvent le coût du travail réduiraient d’autant la compétitivité des
firmes nationales par rapport aux entreprises étrangères, avec à la clé des pertes de mar-
chés ayant un effet négatif sur l’emploi.
Pour stimuler la croissance économique et favoriser l’emploi, il serait nécessaire de réduire
ces prélèvements obligatoires. Il faudrait donc inverser la tendance qui s’est affirmée de-
puis la fin de la Seconde Guerre mondiale, afin de stimuler l’incitation des agents éco-
nomiques privés à créer de la richesse et favoriser ainsi la croissance économique. Cette
inversion de tendance serait d’autant plus indispensable que le niveau atteint par les pré-
lèvements obligatoires en France étant plus élevé que dans la plupart des autres pays in-
dustrialisés, cela contribuerait de surcroît à détourner de la France certains capitaux utiles
à la croissance. C’est d’ailleurs en réponse à ces demandes que les pouvoirs publics se sont
engagés dans une politique de réduction des charges sociales liées aux bas salaires (cf.
infra, chapitre IX).
Mais certains analystes objectent aux thèses libérales que la hausse de longue durée du
taux des prélèvements obligatoires en France et le fait qu’il soit aujourd’hui l’un des plus
élevés d’Europe ne suffisent pas par eux-mêmes à justifier la nécessité d’une baisse car « la
vraie question est celle de la quantité et de la qualité des services publics et du niveau de
redistribution obtenu » (Dupont et alii, 2000, p. 54) grâce à ces prélèvements obligatoires.
Pour ces auteurs, les partisans de la réduction des prélèvements obligatoires oublient en
effet que la contrepartie de ces prélèvements obligatoires ce sont des dépenses publiques
et des dépenses sociales qui permettent de répondre à des besoins évidents de la popula-
tion (par la production de biens collectifs et la redistribution de revenus), en sorte que le
problème n’est pas tant le taux des prélèvements obligatoires en soi que l’usage qui est
réellement fait des sommes prélevées31.
Sachant que les dépenses publiques d’éducation, de santé et les autres dépenses de protec-
tion sociale (famille, retraites, chômage, logement) représentent en tout de l’ordre de 37 %
du PIB, la réduction substantielle du taux de prélèvements obligatoires que certains préco-
nisent supposerait donc nécessairement une réduction de tout ou partie de ces dépenses et
31 Comme le souligne le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de mars 2008, les prélèvements obligatoires « ne
peuvent se comparer d’un pays à l’autre sans prendre en considération les dépenses qu’ils financent, c’est-à-dire en tenant
compte de la place des services publics et des transferts sociaux dans l’économie » (cité par Le Monde, 25-03, 2008, p. 9).

Le budget de l’État 221


donc une baisse des dépenses de transfert (réduction des prestations familiales, des alloca-
tions chômage, du RMI, etc.), « le recours progressif aux assurances privées pour la santé et
les retraites », « la mise à charge des familles d’une partie des dépenses d’éducation » (id.,
p. 54). Cela supposerait aussi probablement l’accélération du mouvement de réduction des
investissements publics, alors même que ces derniers sont un élément essentiel de préserva-
tion de l’attractivité du territoire national pour les entreprises qui veulent investir, et un fac-
teur d’élévation de la productivité du travail et donc d’amélioration de la compétitivité des
entreprises nationales. Cela supposerait encore l’altération de la qualité des grands services
publics, alors même que le rôle de ces derniers dans la préservation de l’unité du corps social
et dans l’amélioration de l’efficacité de notre système productif n’est plus à démontrer.
Cela n’est pas inconcevable en soi, puisque cela reviendrait approximativement à transposer
en France le modèle social américain. Mais cela soulève nécessairement plusieurs questions.
Est-il possible de dégager en France un consensus politique et social en ce sens ? On est en
droit d’en douter quand on constate que les dirigeants politiques qui ont été à l’initiative
des réformes récentes du système de protection sociale se sont efforcés de les présenter
comme le seul moyen de préserver ce système. Mais, bien sûr, ce qui ne paraît pas possible
aujourd’hui pourra peut-être le devenir plus tard.
Est-il souhaitable de renoncer au modèle social français, issu pour l’essentiel des grandes
réformes de la Libération inspirées de l’idéal de progrès économique et social exprimé par
le programme du Conseil national de la résistance, au profit du modèle anglo-saxon ? Ré-
pondre positivement à cette question reviendrait à faire l’hypothèse que ce modèle social,
qui fût l’un des ressorts essentiels du « miracle français » des Trente Glorieuses, serait de-
venu aujourd’hui un handicap au développement économique du pays et à la préservation
de son dynamisme. On ne peut à l’évidence fonder une telle hypothèse sur des pétitions de
principe. Elle ne peut être retenue qu’à la condition d’être soigneusement étayée par des
analyses théoriques et des vérifications empiriques incontestables. On est loin du compte.
En cette matière il semble donc urgent de se hâter... lentement. Et les fortes résistances qui
s’expriment dans la société française à l’égard des volontés réformatrices libérales de nom-
breux hommes politiques et des milieux d’affaires, doivent être analysées moins comme les
réactions égoïstes et corporatistes que certains dénoncent, que comme l’expression d’une
certaine sagesse populaire : on sait ce que l’on perd et, avant de changer, il faut savoir
également ce que l’on gagne (si c’est bien le cas).

Section 2 : Les dépenses du budget de l’État

Les dépenses inscrites au budget sont la traduction financière de l’exercice par l’État de
ses différentes fonctions. Leur diversité reflète celles des interventions de l’État dans la vie
économique, sociale, culturelle… du pays. Pour en prendre un aperçu d’ensemble, il est
nécessaire de procéder à des classifications qui permettent de les appréhender sous divers
angles (§ 1). Les données disponibles montrent que leur poids global dans l’économie na-
tionale est aujourd’hui très important. C’est le résultat d’une évolution historique dont on
évoquera brièvement les modalités et les déterminants (§ 2).

222 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 1 : les classifications des dépenses de l’État

Les dépenses de l’État peuvent être classées de différentes manières : classification admi-
nistrative, classification fonctionnelle ou classification par nature, chacune de ces classi-
fications permettant d’appréhender la structure des dépenses sous un angle et dans une
optique différents.
1) La classification administrative répartit les dépenses de l’État par ministères d’affecta-
tion. En 2005, les budgets les plus importants étaient ceux du ministère de l’Éducation
nationale (65,96 milliards d’euros), du ministère du Travail, de la Santé et de la Cohésion
sociale (49,96 milliards d’euros) et du ministère de la Défense (42,42 milliards d’euros).

2) La classification fonctionnelle répartit les dépenses selon les fonctions assumées par
l’État auxquelles ces dépenses sont affectées. Cette seconde classification est distincte
de la précédente dans la mesure où un même ministère peut assumer des fonctions
différentes et qu’une même fonction (comme, par exemple, l’éducation) peut être prise
en charge par différents ministères. On distingue traditionnellement neuf fonctions
principales : les pouvoirs publics et l’administration générale ; l’éducation et la culture ;
le secteur social, la santé et l’emploi ; l’agriculture et l’espace rural ; l’urbanisme et le
logement ; les transports et communications ; l’industrie et les services ; l’extérieur ; la
défense. À ces neuf rubriques s’en ajoute une dixième jouant le rôle de rubrique rési-
duelle qui regroupe les dépenses ne pouvant être réparties fonctionnellement selon
la classification indiquée, et en particulier le service de la dette publique ainsi que des
provisions à destinations multiples.

3) La classification par nature répartit traditionnellement les dépenses publiques en dé-


penses ordinaires (256,34 milliards d’euros en 2005) et en dépenses en capital (32,12 mil-
liards d’euros), respectivement 88,9 % et 11,1 % du total, d’une part, et en dépenses des
services civils (246 milliards d’euros en 2005) et en dépenses militaires (42,42 milliards
d’euros), respectivement 85,3 % et 14,7 % du total, d’autre part.

4) Dans une perspective plus strictement économique, destinée à permettre de mieux ap-
préhender l’impact des dépenses publiques sur le fonctionnement d’ensemble de l’éco-
nomie, les dépenses publiques peuvent être classées en fonction de la nature de l’opé-
ration économique à laquelle elles correspondent, ce qui aboutit à les répartir en quatre
grandes catégories : les dépenses de fonctionnement, les dépenses d’interventions, le
service de la dette et les investissements publics (tableau 4.10).

Le budget de l’État 223


TAbLEAU 4.10
Structure des dépenses du budget général* 1985-2005 (en pourcentage du total des
dépenses)
1985 1990 1995 2000 2002 2004 2005
Dette publique brute 9,3 11,8 15,5 15,0 14,7 14,1 14 ,1
Pouvoirs publics 0 ,2 0,3 0,2 0,3 0,3 0,3 0,3
Rémunérations et charges
25,9 26,5 26,6 27,9 27,8 25,9 20,5
sociales
dont : civiles 21,9 21,6 21,7 22,9 22,8 21,0 15,9
Pensions 9,1 9,6 9,9 11,2 11,4 12,1 12,4
Subventions de fonctionne-
2.9 2,7 3,1 3,3 3,3 2,9 2,7
ment
Matériel, entretien et charges
4,7 5,3 4,6 4,2 4,3 6,3 12,3
diverses de fonctionnement
Interventions économiques 11,7 8,7 10,6 8,5 7,0 11,6 10 ,5
Interventions sociales 15,5 12,9 11,2 11,7 11,8 9,3 8,8
Autres interventions 6,3 7,5 7,2 7,9 9,3 6,6 6,3
Dépenses ordinaires 85,7 85,3 89,0 89,9 90,0 89,3 87,9
Investissements civils directs 2,93 2,8 1,6 1,3 1,4 1,4 1,9
Subventions d’investissements
5,0 4,5 4,8 4,7 4,6 5,0 5,4
civils
Équipement militaire 6,27 7,4 4,7 4,1 4,0 4,3 4,8
Total des Dépenses en capital 14,3 14,7 11,0 10,1 10,0 10,7 12,1
Total du budget général 100 100 100 100 100 100 100
* Lois de règlement
• Les dépenses de fonctionnement (civil et militaire) peuvent elles-mêmes être ventilées
en deux catégories distinctes : 1) les dépenses de personnel (salaires, pensions et charges
sociales) qui s’élevaient à 118,6 milliards d’euros pour la loi de finances initiale 2007, soit
44,4 % des dépenses du budget général de l’État ; 2) les autres dépenses de fonctionnement,
d’un montant total de 33,2 milliards d’euros (12,4 %) qui se décomposent en achats publics
(de biens et services) réalisés par les administrations pour assurer le fonctionnement des
services, en subventions de fonctionnement versées par les ministères à des établissements
publics (CNRS, CEA…) et en dépenses diverses. Ces dépenses de fonctionnement représen-
tent à elles seules plus de la moitié du total des dépenses du budget général et sont en
augmentation, étant passées de 44,1 % du budget total en 1993 à 56,8 % en 2007 (loi de
finances initiale). Les dépenses de personnel, qui constituent le principal poste des dépenses
de fonctionnement, correspondaient en 2005 à l’emploi de 2 302 697 agents dont 51,8 %
affectés à l’Éducation nationale, 19 % à la Défense, 8,4 % au ministère de l’Économie, des
Finances et de l’Industrie, 7,7 % à l’Intérieur, 5 % à l’Équipement et 3,3 % à la Justice32. Ces
dépenses de fonctionnement, ainsi d’ailleurs que les dépenses de transfert, ont une forte
inertie pour des raisons à la fois sociales, économiques et institutionnelles. Elles sont géné-
ralement reconduites d’une année sur l’autre en tenant compte des éventuelles modifica-
32 Les effectifs de la fonction publique d’État ont sensiblement augmenté au cours des dernières décennies en liaison avec
la croissance des besoins en services publics de la population française (en matière d’éducation par exemple) et pour
partie également sous l’effet des politiques de lutte contre le chômage (cf. infra, chapitre IX), passant de 2 146 456 en
1984 à 2 302 697 en 2005, soit une augmentation globale de 7,7 %. La majorité politique issue des élections de 2002 et
de 2007 tente d’inverser la tendance avec la volonté affirmée de réduire les effectifs de la fonction publique d’ici 2010
en ne remplaçant pas l’ensemble des départs à la retraite. C’est ainsi que, pour 2008, le gouvernement Fillon a décidé de
supprimer 22 899 postes, dont 11 000 dans l’éducation nationale, en ne remplaçant pas un départ à la retraite sur trois,
avec l’objectif à terme de ne pas remplacer un départ à la retraite sur deux.

224 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


tions du cadre législatif et réglementaire. C’est à leur propos que s’appliquait auparavant la
notion de « services votés » qui consistait à reconduire d’une année sur l’autre les crédits cor-
respondant à l’exercice de différentes fonctions que l’État se doit de continuer à assumer en
toutes circonstances. Avec la mise en œuvre de la LOLF, la pratique budgétaire en la matière
devrait progressivement fortement évoluer, l’utilisation des crédits devant désormais être
justifiée « au premier euro » (cf. supra).
• Les dépenses d’interventions (interventions économiques, sociales, culturelles, etc.) pren-
nent principalement la forme de transferts. Elles se sont élevées en 2007 à 61,2 milliards
d’euros. Ces dépenses d’interventions de l’État sont d’une très grande diversité et couvrent
un champ très large. Les interventions économiques incluent, par exemple, les aides à la
construction de logements, les bonifications d’intérêts pour l’agriculture, les diverses aides
à l’emploi, les primes versées au bénéfice de certaines formes d’épargne… Les interven-
tions sociales correspondent, par exemple, à la prise en charge de la couverture maladie
universelle (CMU), au financement du RMI, à des concours que l’État accorde à divers ré-
gimes de sécurité sociale, aux œuvres sociales en faveur des étudiants, à l’allocation de
parent isolé… Les autres interventions recouvrent, par exemple, les diverses dotations de
l’État aux collectivités territoriales, les aides à la formation professionnelle et en alter-
nance, les subventions à l’enseignement privé, la coopération et l’aide au développement,
le soutien aux activités artistiques…
• Les dépenses induites par le service de la dette publique, c’est-à-dire le paiement des
intérêts dus sur la dette contractée par l’État, auxquelles s’ajoutent des remboursements
sur taxes indirectes, des dégrèvements d’impôts (contributions directes et taxes assimi-
lées) et diverses garanties accordés par l’État, ont fortement progressé depuis les années
1970, en liaison avec la forte augmentation parallèle de l’endettement global de l’État
(cf. infra). En 2007, la charge de la dette proprement dite (paiement des intérêts) s’est
élevée à 39,2 milliards d’euros soit 14,7 % du total des dépenses du budget général et
17,45 % des recettes nettes totales du budget.
• Les investissements publics ou dépenses en capital (12,1 % du total des dépenses en 2005)
sont répartis en investissements civils directs (1,9 %) et en subventions d’investissements
civils (5,4 %), d’une part, et en achats d’équipements militaires (4,8 %), d’autre part. Les
dépenses d’investissements civils et de subventions d’investissements civils ont fortement
diminué entre le milieu des années 1970 et le milieu des années 1980, passant de 18 % du
budget en 1975 à 7,9 % en 1985. Elles se sont ensuite approximativement stabilisées dans
une fourchette comprise entre 6 % et 7 % du total des dépenses du budget général (6,4 %
en 1995 et 7,3 % en 2005). La majeure partie des investissements civils publics est désormais
réalisée par les collectivités locales (qui assurent 75 % de la FBCF des administrations pu-
bliques). Les dépenses d’équipement militaire sont par contre relativement stables (5,8 %
du budget général en 1993 et 5,2 % en 2004).
5) La classification par missions, en conformité avec la LOLF, répartit les dépenses par
grandes catégories de missions assumées par l’État. Selon cette classification, les 334,7 mil-
liards d’euros de dépenses totales inscrites au budget 2007 se répartissaient de la manière
suivante (en milliards d’euros) : enseignement et recherche 80,3 ; collectivités territoriales
49,5 ; dettes et engagements financiers 40,9 ; défense 36,2 ; travail, emploi et solidarité 24,3 ;
sécurité et justice 22,0 ; Union européenne 18,7 ; transports, ville et logement 15,9 ; autres
missions 46,9 (tableau 4.11).

Le budget de l’État 225


TAbLEAU 4.11
Répartition par missions des crédits du budget général et des emplois : 2007

Autorisations Crédits Autorisations


d’engagement de paiement d’emplois*
Action extérieure de l’Etat 2 566 2 264 13 480
Administration générale et territoriale
2 720 2 498 35 113
de l’Etat
Agriculture, pêche, forêt et affaires
2 976 2 954 12 400
rurales
Aide publique au développement 3 973 3 121 2 983
Anciens combattants 3 752 3 750 4 986
Conseil et contrôle de l’Etat 470 468 4 911
Culture 2 766 2 694 11 542
Défense 38 870 36 285 329 907
Développement et régulation
3 955 3 943 28 900
économique
Direction de l’action du gouvernement 559 532 2 531
Ecologie et développement durable 698 637 3 775
Engagements financiers de l’Etat 40 883 40 863 -
Enseignement scolaire 59 867 59 560 1 087 520
Gestion et contrôle des finances
9 097 8 912 134 276
publiques
Justice 7 102 6 271 72 023
Medias 504 504 -
Outre-Mer 2 031 1 963 4 895
Politique des territoires 643 613 728
Pouvoirs publics 919 919 -
Provisions 80 80 -
Recherche et enseignement supérieur 21 232 21 314 150 913
Régimes sociaux et de retraite 4 981 4 981 -
Relations avec collectivités territoriales 3 179 3 070 173
Santé 427 431 -
Sécurité 16 292 15 883 252 066
Sécurité civile 566 429 2 598
Sécurité sanitaire 608 661 5 136
Solidarité et intégration 12 241 12 204 15 134
Sport, jeunesse et vie associative 759 780 7 292
Stratégie économiq . et pilotage des
816 860 7 801
finan . publi .
Transports 8 883 8 809 90 717
Travail et emploi 12 451 12 637 0 457
Ville et logement 7 306 7 158 3 088
Total 271 155 267 847 2 295 345
* Répartition indicative (en équivalent temps plein travaillé)
Source : Projet de loi de finances pour 2007.

226 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 2 : l’évolution des dépenses publiques

Les dépenses publiques dans leur globalité ont fortement augmenté depuis le XIXe siècle
(A). Cette augmentation a suscité des interprétations théoriques diverses (B).

A – L’augmentation séculaire des dépenses publiques de l’État


Les dépenses figurant au budget de l’État ne représentent qu’une partie du total des
dépenses des administrations publiques (APU). Il faut tenir compte également des dé-
penses des collectivités locales et de celles des administrations de Sécurité sociale. À titre
d’exemple, en 1998, les dépenses de l’État proprement dites ne représentaient que 37,5 %
du total des dépenses publiques (20,3 %du PIB), contre 18 % pour les dépenses des collec-
tivités locales (9,8 % du PIB) et 44,5 % pour les dépenses de la Sécurité sociale (24,1 % du
PIB), avec un total de dépenses publiques égal à 54,2 % du PIB.
Les dépenses propres de l’État central (APUC), exprimées en pourcentage du PIB, sont sécu-
lairement orientées à la hausse ; elles sont passées de 10 % du PIB en 1789 à 20,3 % du PIB
en 1998. Leur augmentation n’est cependant pas régulière. Elle s’est faite par paliers avec
des périodes intermédiaires de reflux. Les dépenses de l’État s’élevaient ainsi à 11,7 % du
PIB en 1815, mais étaient revenues à 8,8 % du PIB en 191233. Elles font un bond en avant à
l’occasion de la Première Guerre mondiale et atteignent 27,8 % du PIB en 1920. Mais elles
reviennent à 20,1 % du PIB en 1938. Elles connaissent une nouvelle phase de hausse avec la
Seconde Guerre mondiale et la Libération et atteignent 29 % du PIB en 1947. Elles se sont
à peu près stabilisées pendant les « Trente glorieuses » (26,4 % du PIB en 1974) puis ont
régressé pendant la phase de crise économique durable contemporaine (18,8 % en 2007).
Il importe donc de souligner que, contrairement à une opinion fort répandue, le poids des
dépenses de l’État central dans le PIB est depuis un certain temps orienté à la baisse.
Si la part des dépenses de l’ensemble des APU dans le PIB a continué d’augmenter au
cours des trois dernières décennies, c’est en raison de l’évolution respective des dépenses
de sécurité sociale (ASS) et de celles des collectivités locales (APUL). À l’échelle séculaire
les dépenses des collectivités locales et des administrations de sécurité sociale ont en effet
fortement progressé. Les dépenses des collectivités locales ont connu une croissance sou-
tenue depuis le XIXe siècle passant de 2,8 % du PIB en 1872 à 5 % en 1920 puis 9,1 % en
1974 et 11,2 % en 2007. La croissance des dépenses de la Sécurité sociale est plus récente
mais c’est également la plus forte, ces dépenses passant de 0,9 % du PIB en 1938 à 8,1 %
en 1947, 15,2 % en 1974 et 24,3 % en 2007. Globalement, les dépenses publiques sont ainsi
passées de 11 % du PIB en 1872 à 43,7 % en 1970 et 52,4 % en 2007 (tableau 4.12). Aug-
mentation qui traduirait, selon divers théoriciens, une « préférence de la société française
pour la dépense publique », avec les « choix collectifs » qui ont été effectués « en matière
de développement des services publics et de protection sociale » (Rapport Pébereau sur la
dette publique, 2005).

33 Précisons que tout au long du XIXe siècle, jusqu’à la Première Guerre mondiale, en moyenne plus de la moitié des dépenses
du budget est consacrée à la défense et aux charges de la dette publique.

Le budget de l’État 227


TAbLEAU 4.12
Evolution des dépenses publiques par rapport au PIB (en %)

1789 1815 1872 1912 1920 1938 1947 1974 1998


Etat 10 11,7 8,2 8,8 27,8 20,1 29,0 26,4 20,3
Collectivités
- - 2,8 3,8 5,0 5,5 3,7 9,1 9,8
locales
Sécurité sociale 0 0 0 0 0 0,9 8,1 15,2 24,1
Total - - 11,0 12,6 32,8 26,5 40,8 50,7 54,2
1789 à 1974 : Cahiers français, n° 261, p. 19.

La période récente (1994-2006) est cependant caractérisée par une relative stabilisa-
tion de la part des dépenses des APU dans le PIB ; elles tournent autour d’une valeur
moyenne de l’ordre de 54 % du PIB et leur niveau en 2006 (53,7 %) était très proche de
celui atteint en 1994 (54,9 %)34. Parallèlement, la répartition par grandes catégories des
dépenses des APU est également très stable : entre 6 et 7 % du total pour les intérêts de
la dette, de l’ordre de 36 % du total pour les dépenses de fonctionnement, de l’ordre de
51 % pour les dépenses de transfert, et de l’ordre de 6 % pour les acquisitions d’actifs
non financiers (FBCF pour l’essentiel) (Blancheton, 2005, p. 27).
La forte croissance séculaire des dépenses de l’ensemble des administrations publiques
s’est accompagnée d’une modification importante de leur structure. Jusqu’à la Seconde
Guerre mondiale, les deux tiers des dépenses publiques étaient consacrées à l’armée et
au service de la dette. Mais, depuis 1945, la part représentée par les dépenses civiles n’a
cessé de croître et dépasse aujourd’hui les 80 % sous l’effet en particulier de la très forte
croissance des dépenses de transfert qui caractérise la montée en puissance de l’État-pro-
vidence.
Cette croissance séculaire des dépenses publiques n’est cependant pas spécifique à la
France. Elle concerne l’ensemble des grands pays développés (tableau 4.13 et graphique
4.2).

TAbLEAU 4.13
La progression des dépenses publiques, en % du P.N.B. jusqu’en 1959, du P.I.B.
depuis 1960, du revenu national pour la France, de 1872 à 1950

France Etats-unis Royaume-uni Allemagne


1872 : 11,6 1890 : 7,1 1890 : 8,9 1891 : 13,2
1920 : 26,5 1922 : 12,6 1923 : 24,2 1925 : 25,0
1927 : 11,7 1929 : 23,9 1929 : 30,6
1932 : 21,3 1932 : 28,6 1932 : 36,6
1940 : 22,2 1938 : 30,0
1948 : 23,0 1950 : 39,0 1950 : 40,8
1950 : 49,4 1957 : 28,5 1955 : 36,6 1958 : 44,1
1960 : 34,6 1960 : 26,8 1960 : 32,2 1960 : 32,4
1968 : 40,3 1968 : 30,3 1968 : 39,3 1968 : 39,1
1974 : 39,3 1974 : 31,7 1974 : 44,8 1974 : 44,6
1990 : 49,9 1990 : 36,2 1990 : 42,3 1990 : 45,7
2002 : 52,7 2002 : 34,8 2002 : 41,0 2002 : 48,6
Sources : R. Musgrave, Fiscal Systems, 1969 ;

34 Il en est d’ailleurs de même des prélèvements obligatoires, le taux des prélèvements obligatoires étant en moyenne de
44,5 % (43,4 % en 1994 et 44,2 % en 2006), soit approximativement son niveau de 1985.

228 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


INSEE et OCDE.

GrAPhIqUE 4.2
L’évolution des dépenses publiques en longue période (en % du PIB)

Sources : N. Crafts, OCDE, La Mondialisation, n° 59, Alternatives Economiques, Hors-série, 1er trim. 2004, p. 8.

Au cours des 40 dernières années, les dépenses publiques ont en moyenne fortement pro-
gressé dans les pays de l’OCDE. Elles sont ainsi passées de 28 % du PIB des pays de l’OCDE
en 1960, à 39,4 % en 1990. La décennie 1990 s’est par contre traduite en moyenne par un
coup d’arrêt à cette croissance des dépenses publiques, celles-ci étant égales à 39,5 % du
PIB en 2000 pour l’ensemble de l’OCDE. Dans certains pays, la croissance à même laissé la
place à un mouvement de baisse plus ou moins sensible (graphique 4.3). Cependant, les an-
nées 2001-2005 ont été marquées par une nouvelle augmentation des dépenses publiques
dans l’Union européenne (graphique 4.3 et tableau 4.14).

GrAPhIqUE 4.3
L’évolution des dépenses publiques dans différents pays de l’Union euro-
péenne : 1995-2006
70 % du PIB

65

60

Suède : 57,1%
55
France : 53,6%
Danemark : 53%
50
Belgique : 49%
Italie : 48,5 %
Allemagne : 45,7 Source :
45
Royaume-Uni: 45,4 OCDE, Le
Pologne : 43% Monde,
2006
40
Espagne : 38,6%
35
1995 96 97 98 99 2000 01 02 03 04 05 06
Le budget de l’État 229
TAbLEAU 4.14
Les dépenses des administration,s publiques dans les pays de l’Union euro-
péenne (en pourcentage du PIB)

2004 2005
Allemagne 46,9 46,7 Lettonie 35,9 36,2
Autriche 50,0 49,6 Lituanie 33,4 33,7
Belgique 49,5 50,1 Luxembourg 43,2 44,3
Chypre 43,8 44,7 Malte 48,5 47,5
Danemark 55,1 53,3 Pays-Bas 46,6 45,7
Espagne 38,8 38,2 Pologne 42,5 43,3
Estonie 36,4 35,9 Portugal 46,4 47,8
Finlande 50,3 50,7 République tchèque 44,6 44,1
France 53,6 54,2 Royaume-uni 43,9 45,5
Grèce 48,8 46,2 Slovaquie 38,9 37,7
Hongrie 49,5 50,7 Slovénie 47,6 47,3
Irlande 33,7 34,5 Suède 56,7 56,4
Italie 47,8 48,2 uE à 25 47,2 47,4

Source : Eurostat ; site web de l’INSEE

Cela étant, le poids des dépenses publiques dans le PIB est parvenu en France à un niveau
significativement supérieur à ce qu’il est dans d’autres grands pays développés. En Alle-
magne, le poids des dépenses publiques est en moyenne inférieur de 5 points de PIB à ce
qu’il est en France. Au Royaume-Uni, il lui est inférieur en moyenne de près de 9 points
de PIB et aux États-Unis approximativement de 18 points de PIB. Le poids des dépenses
publiques dont le PIB atteint aujourd’hui en France n’implique pas pour autant qu’il faille
absolument les réduire. Il y a en effet en Europe quelques pays pour lesquels le poids des
dépenses publiques dans le PIB est comparable à celui de la France, voire parfois un peu
supérieur, et dont les performances économiques globales sont par ailleurs très satisfai-
santes (Suède, Danemark, Norvège). Mais on comprend intuitivement qu’il est difficile de
laisser les dépenses publiques continuer à croître au même rythme indéfiniment. Ce qui
soulève la question d’un arbitrage entre les dépenses à effectuer et donc d’une éventuelle
redéfinition des priorités de l’État.

B – Les interprétations théoriques de l’augmentation séculaire des dépenses


publiques
Cette croissance séculaire des dépenses publiques a fait l’objet de différentes interpréta-
tions théoriques.
Selon l’économiste allemand de la fin du XIXe siècle Adolph Wagner (1835-1917), elle tra-
duirait le jeu de ce que l’on a appelé depuis la « loi de Wagner » ou « loi de l’extension
croissante de l’activité publique ». Selon cette loi, la part des dépenses publiques dans la
production nationale ne peut qu’augmenter du fait de l’élévation du niveau de vie des
populations et de la croissance des dépenses liées à l’industrialisation. D’une part, l’aug-

230 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


mentation du niveau de vie liée au développement économique s’accompagne inélucta-
blement d’une demande croissante de biens et de services collectifs tels que les services ur-
bains (éclairage public, eau potable, assainissement…), les transports, les communications,
la santé, l’éducation, la culture et les loisirs, etc. dont la production, pour différentes rai-
sons, est confiée à l’État et aux collectivités locales. D’autre part, l’industrialisation requiert
la réalisation de grands investissements d’infrastructures que seul l’État est en mesure de
réaliser correctement, en raison de leur coût initial considérable et de la longueur de leur
période d’amortissement35.
Cependant, on l’a vu, les données statistiques concernant l’évolution en longue période
des dépenses publiques en France (c’est vrai également dans d’autres pays développés)
montrent que la croissance de ces dépenses n’est pas régulière. À certaines périodes, (les
années 1920, au début des années 1960), leur poids dans le PIB a même baissé. Globa-
lement, la croissance des dépenses publiques s’est donc faite par paliers avec, à certains
moments, des retours en arrière. Selon A. T. Peacock et J. Wiseman (1961), cela tient à ce
que le développement économique ne suffit pas à lui seul à expliquer la croissance des
dépenses publiques, dans la mesure où celle-ci implique en contrepartie une augmenta-
tion de la charge fiscale pesant sur les contribuables. Selon ces auteurs, en temps normal,
le montant et le rythme de croissance des dépenses publiques serait contraint par ce que
les contribuables considèrent comme « la charge fiscale tolérable ». Par contre, en période
de guerre ou de crise économique grave, les contribuables accepteraient plus facilement
l’alourdissement des impôts afin de donner à l’État des moyens accrus pour faire face à
une situation difficile. Celle-ci résolue, les dépenses publiques reculeraient mais sans pour
autant revenir à leur niveau antérieur. Ainsi s’expliquerait qu’elles aient augmenté histo-
riquement, non pas de manière régulière et continue, mais par paliers. Les auteurs parlent
à ce propos « d’effet de déplacement ».
Une autre explication de l’augmentation séculaire des dépenses publiques est fournie par
l’école du public choice (James Buchanan, prix Nobel d’économie en 1986, Gordon Tul-
lock, 1978). Celle-ci applique à l’analyse de l’État les instruments et les raisonnements de
la théorie économique néoclassique et a développé la théorie du marché politique. Selon
cette théorie, l’État est l’enjeu d’une lutte concurrentielle entre les partis politiques qui se
partagent un marché constitué des votes des électeurs. Le « marché politique » est le lieu
où se confrontent une demande de politique formulée par les citoyens (demandeurs de
mesures publiques) et une offre de politique et de programmes électoraux des politiciens
professionnels. Ces derniers sont supposés être motivés par leur intérêt personnel et pré-
occupés avant tout, voire exclusivement, de leur élection ou réélection. Ils cherchent en
conséquence a maximiser le nombre de leurs électeurs, étant entendu que ceux qui ne se
comporteraient pas ainsi seraient nécessairement condamnés à être éliminés de la scène
politique36. Leurs décisions de politique économique seraient donc déterminées par leur

35 Pour sa part, l’économiste américain W. Baumol insiste sur la faiblesse des gains de productivité dans les activités de service
public, relativement aux activités industrielles, cette faiblesse contribuant selon lui à la croissance en longue période des
dépenses publiques relativement au PIB.
36 Les auteurs expliquent en particulier que les offreurs de politiques, c’est-à-dire les partis qui cherchent à capter des
voix d’électeurs pour conquérir le pouvoir ou le conserver, sont rationnellement conduits à proposer le programme
qui correspond le mieux possible aux attentes de « l’électeur médian » qui partage l’ensemble des électeurs en deux
groupes égaux. Selon l’école du public choice, c’est en ajustant son programme aux préférences de cet électeur médian
que l’homme politique a le plus de chance d’être élu ou réélu.

Le budget de l’État 231


souci de maximiser le nombre d’électeurs susceptibles de voter pour eux et non par la prise
en considération du seul intérêt général37.
Cela aurait pour conséquence l’existence d’un véritable « cycle politico-économique », calé
sur le calendrier électoral et caractérisé par la succession d’une phase d’expansion de l’ac-
tivité, avec poussée de l’inflation et réduction du chômage, avant les élections et d’une
phase de récession, accompagnée d’un freinage de l’inflation et d’une poussée du chô-
mage, après les élections38. Avant les élections, les hommes politiques au pouvoir cher-
chent à fidéliser leurs électeurs et à en accroître le nombre en adoptant des mesures qui
répondent aux demandes de certaines catégories de la population et qui sont autant de
facteurs d’augmentation des dépenses publiques. Après les élections, la nécessité de réta-
blir l’équilibre économique et financier du pays peut conduire à l’adoption d’une politique
restrictive, avec pression sur les dépenses publiques, influant négativement sur l’évolution
du niveau de l’activité et de l’emploi39.
De manière plus précise, selon W. Nordhaus (1975), l’objectif essentiel du gouvernement
en place étant de maximiser le nombre de ses électeurs afin d’assurer sa réélection, il
recourt en fin de mandat à des politiques de relance (supposées populaires) destinées à
stimuler l’expansion économique et faire baisser le chômage. Il accroît donc les dépenses
publiques, avec pour résultat une baisse provisoire du chômage en dessous du taux de
chômage « naturel » associée à une poussée d’inflation, conformément à ce que fait appa-
raître la courbe de Philips de court terme (cf. supra, chapitre II). Après les élections, pour
résorber l’inflation, les gouvernants recourent alors à une politique restrictive qui pèse
négativement sur l’évolution de l’activité, la mise en œuvre d’une telle politique étant
rendue possible par l’éloignement dans le temps de la prochaine échéance électorale (les
électeurs auront le temps d’oublier). Mais les dépenses publiques ne retrouvent habituel-
lement pas le niveau qu’elles avaient atteint avant leur poussée préélectorale, et chaque
nouvelle échéance électorale les tire un peu plus vers le haut. Elles augmentent donc pro-
gressivement en longue période.
En France, l’une des écoles théoriques qui développent une approche en termes de régu-
lation, l’école dite de la régulation systémique (P. Boccara, L. Fontivieille en particulier),
propose une interprétation théorique de cette croissance en longue période des dépenses
publiques radicalement différente de celle qui vient d’être évoquée. Selon cette école,
l’augmentation en longue période des dépenses publiques, qui est la traduction de l’inter-
vention croissante de l’État dans la vie économique et sociale du pays, s’explique par le rôle
que joue cette intervention dans la résolution des contradictions de l’économie capitaliste,
telles que celles qui s’expriment dans le jeu de la loi de baisse tendancielle du taux de
profit. La pérennisation du capitalisme et la poursuite de son processus de développement
historique, malgré ces contradictions, ne sont possibles que parce que le capitalisme se
transforme régulièrement lors des longues phases de difficultés économiques récurrentes

37 Plus généralement l’école du public choice conteste vigoureusement l’idée selon laquelle l’État serait l’expression et la
garantie de l’intérêt général.
38 Pour Frey et Schneider (1978), si le gouvernement a comme principal objectif de mettre en œuvre son programme (la
préférence partisane des hommes au pouvoir est donc explicitement prise en compte dans l’analyse), il est en même temps
préoccupé d’assurer sa réélection. En conséquence, lorsque l’échéance électorale se rapproche, si sa réélection paraît
assurée, il poursuit l’application de son programme. Si, par contre, sa réélection est menacée, et qu’elles que soient ses
préférences partisanes, il met en œuvre une politique de relance supposée faciliter la réélection.
39 D’où l’existence, déjà évoquée antérieurement, d’un cycle politico-économique conditionné par le calendrier électoral.

232 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


associées aux mouvements de longue durée Kondratieff40 : émergence et développement
de nouvelles forces productives, transformation des structures caractéristiques du capita-
lisme : transformations concernant le rapport capital-travail ou rapport salarial, les formes
de la concurrence, le rapport marchand et la gestion de la monnaie, l’insertion internatio-
nale de l’économie nationale, le rôle de l’État.
Le développement historique du capitalisme dans les pays où il est apparu, puis s’est
épanoui à partir de la Révolution industrielle de la fin du XVIIIe siècle (Grande-Bretagne,
France), a ainsi été marqué par la succession de différents « stades » et de différentes
« phases » à l’intérieur de ces stades. La période historique qui va de la fin du XVIIIe siècle à
la fin du XIXe siècle est approximativement celle du « stade concurrentiel » du capitalisme.
Au cours de la longue phase de difficultés du dernier quart du XIXe siècle (phase B du Kon-
dratieff allant de 1871/1873 à 1896, qualifiée par de nombreux historiens comme la phase
de la « Grande dépression »), ce capitalisme concurrentiel laisse la place au « capitalisme
monopoliste », avec le passage à ce que les auteurs appellent la phase du « capitalisme mo-
nopoliste simple ». Cette dernière phase est marquée en particulier par le développement
des nouvelles forces productives liées à la seconde révolution industrielle, l’apparition des
premières grandes entreprises capables d’exercer un véritable pouvoir de monopole et
la formation du capital financier par association/fusion du capital industriel et du capi-
tal bancaire. Avec la longue phase de difficultés 1914-1945 s’amorce, dès l’entre-deux-
guerres, le passage (au sein du stade monopoliste de développement du capitalisme) de
la phase du capitalisme monopoliste simple à celle du « capitalisme monopoliste d’État »
dont l’épanouissement correspond à la longue phase d’essor des Trente Glorieuses.
Avec le passage du stade concurrentiel au stade monopoliste du développement histo-
rique du capitalisme, l’État va jouer progressivement un rôle de plus en plus important
dans le fonctionnement d’ensemble du système capitaliste et la résolution, à chaque fois
provisoire, des contradictions qui lui sont inhérentes. Ce rôle se renforce encore et devient
prépondérant avec le passage au capitalisme monopoliste d’État (CME) et son épanouis-
sement et « l’interdépendance croissante entre les monopoles et l’État41 » qui, selon les
auteurs, caractérise le CME. L’intervention de l’État dans la vie économique du pays, qui
prend alors en particulier la forme de la constitution d’un secteur public de production et
de distribution et du développement de la consommation d’État, correspond pour l’essen-
tiel à un « financement public de la grande production monopoliste en vue d’assurer le
profit de monopole » (id., p. 18).
Selon cette analyse, le secteur public joue un double rôle. En premier lieu, il assure la
permanence de la production nécessaire à la société dans des branches d’activité où la
rentabilité des capitaux qui pourraient y être engagés ne serait pas garantie, et où le
capital privé répugne par conséquent à s’investir. En second lieu, il contribue à relever le
taux de profit du capital monopoliste (le capital détenu par les grandes firmes en position
de monopole ou d’oligopole sur les marchés des biens et services qu’elles produisent) par
différentes médiations. Le capital public, semi-public ou parapublic fonctionne en effet

40 Il s’agit plus précisément des phases B du Kondratieff qui, jusqu’à la fin du XIXe siècle, étaient non seulement des phases
de difficultés économiques récurrentes mais également des longues phases de baisse des prix (cf. supra, chapitre I) : soit
pour la période allant de la seconde moitié du XIXe à aujourd’hui, la longue phase de difficultés 1873-1896, celle de
1914-1945 et celle qui a débuté à la fin des années 1960 et se prolongerait encore dans certains pays.
41 BOCCARA P. et alii [1971], Traité sur le Capitalisme monopoliste d’État, Éditions sociales, Paris, tome 1, p. 9.

Le budget de l’État 233


comme capital qui se satisfait d’une rentabilité (un taux de profit) réduite, nulle, voire
même négative quand les entreprises publiques travaillent à perte (les auteurs parlent
d’un capital « structurellement dévalorisé »), et laisse ainsi au capital privé monopoliste la
majeur partie des profits réalisés à l’échelle sociale.
Les modalités concrètes par lesquelles s’effectue le soutien public au profit du capital mo-
nopoliste sont très diverses (Le Pors, 1977). En réduisant leurs exigences de rentabilité,
les entreprises publiques transfèrent aux capitaux privés engagés dans les grandes entre-
prises, principalement par la vente de leur production à des prix minorés et/ou l’achats de
leurs équipements et fournitures à des prix éventuellement majorés, une partie des profits
qui leur auraient échu si elles avaient été gérées selon les critères des entreprises privées.
Les procédures selon lesquelles sont passés les marchés publics, les conditions qui sont
imposées par l’État aux fournisseurs (normes techniques, garanties financières, délais de
règlement, etc.) ont pour conséquence que ces marchés ne s’adressent en fait qu’aux plus
grandes entreprises industrielles auxquelles ils garantissant ainsi des débouchés stables
et rémunérateurs. Par les crédits publics à des conditions préférentielles, les garanties
d’emprunt, les subventions diverses à l’exploitation ou à l’investissement, l’État participe
directement au financement de la production capitaliste et de la formation du capital
privé monopoliste. L’État assure en outre le financement d’une part prépondérante des
dépenses de recherche scientifique et technique, soit sous la forme du financement direct,
soit en subventionnant des recherches réalisées dans les laboratoires des grands groupes
industriels.
Parallèlement, l’État prend en charge une part croissante des coûts de reproduction et de
reconstitution de la force de travail (santé, éducation, action sociale, équipements collec-
tifs, etc.) dont la progression est rendue nécessaire par le progrès technique et le déve-
loppement des forces productives matérielles (P. Grevet, 1975, C. Mills, 1986). La mise en
place progressive en France (depuis la fin du XIXe siècle, et plus particulièrement après la
Seconde Guerre mondiale avec la création de la Sécurité sociale) d’un système de protec-
tion sociale permettant de protéger les individus contre certains risques sociaux (maladie,
vieillesse, accidents du travail et maladies professionnelles, maternité et charges de fa-
mille…), le développement d’un système généralisé d’éducation publique allant du pri-
maire au supérieur, le développement d’infrastructure sportives, culturelles et de loisirs…
répondent certes à une aspiration grandissante des populations à une vie meilleure et plus
sûre. Ces réalisations ont d’ailleur été souvent l’aboutissement de luttes sociales et poli-
tiques de la classe ouvrière et des couches sociales auxquelles elle s’est alliée dans telles ou
telles circonstances historiques. Mais elles répondent également à la nécessité de garantir
aux entreprises capitalistes la disposition d’une force de travail correctement entretenue
et régulièrement renouvelée, condition essentielle de la pérennité du système. Le finance-
ment public de ces dépenses permet de les rationaliser et d’en limiter le coût à ce qui paraît
indispensable au bon fonctionnement du système. En outre, la couverture de ces dépenses
par un « capital variable public dévalorisé »42, ne réclamant pas de profit, permet au capital

42 Rappelons que, dans la terminologie utilisée par Marx, le « capital variable » désigne la partie du capital engagé dans
une entreprise qui sert à acquérir la force de travail, c’est-à-dire à payer les salaires, et qui est donc finalement affecté
à couvrir les dépenses consacrées à l’entretien et au renouvellement de la force de travail. Par analogie, les auteurs
appellent « capital variable public » les dépenses effectuées par l’État pour satisfaire, par le biais de consommations
collectives (éducation, santé) ou de prestations sociales en espèces (retraites, allocations familiales…), certains besoins
des salariés, dépenses qui participent, avec les salaires que ceux-ci perçoivent de leurs employeurs, à l’entretien et au

234 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


privé, et en particulier au capital monopoliste, de s’approprier sous forme de profits une
part accrue de la valeur nouvelle créée dans le système productif par les travailleurs qui y
sont employés, ce qui contribue à relever son taux de profit.
Ces dépenses publiques de couverture de certains besoins des salariés sont financées par
un prélèvement sur la valeur ajoutée nette créée dans le système productif et réduisent
d’autant la masse de profits que peuvent finalement s’approprier les détenteurs de capi-
taux. La masse des profits susceptible de rémunérer les capitaux à l’échelle macroécono-
mique peut en effet se définir comme la différence entre la valeur ajoutée nette créée et
la somme de la masse salariale directe (le capital variable, c’est-à-dire la fraction du capital
engagé dans les entreprises qui sert à rémunérer les travailleurs) et des prélèvements fi-
nançant les dépenses publiques de couverture des besoins sociaux des salariés, qui jouent
en pratique le rôle de salaire indirect et forment le « capital variable public ». Ce dernier
fonctionne comme un capital « dévalorisé » en ce sens que, à la différence du capital va-
riable engagé dans les entreprises privées, il ne réclame pas de rémunération sous forme
de profit, ce qui limite d’autant le prélèvement effectué par l’État sur la valeur ajoutée
nette créée dans les entreprises pour financer les dépenses collectives et socialisées de cou-
verture des besoins des salariés. Il permet donc de majorer la fraction de la valeur ajoutée
nette qui, au niveau macroéconomique, se transforme en profits appropriés par l’ensemble
des capitaux privés, et en premier lieu par les capitaux engagés dans les plus grandes firmes.
Récemment, différents auteurs ont avancé la thèse selon laquelle la mondialisation contri-
buerait à expliquer la croissance contemporaine des dépenses publiques. Statistiquement,
la thèse s’appuie sur les travaux de l’américain Dan Rodrik qui a établi l’existence d’une
corrélation statistique très nette entre le degré d’ouverture d’une économie sur l’exté-
rieur, mesuré par la part des échanges extérieurs dans le PIB, et le niveau des prélèvements
obligatoires, ainsi que le poids des dépenses sociales dans le PIB.
Selon les auteurs, différentes raisons se conjuguent pour expliquer cette corrélation. D’une
part, la mondialisation entraîne une mise en concurrence accrue des économies nationales
et des territoires, chaque pays cherchant à attirer vers lui les firmes multinationales et les
investissements étrangers. Cela se traduit par des politiques publiques destinées à créer
un environnement satisfaisant pour les firmes : infrastructures, dépenses de formation
des hommes, recherche, etc. car, comme le souligne S. Moati (2004, p. 43), « les politiques
publiques sont un facteur déterminant de la concurrence entre les économies nationales,
dont elles façonnent l’attractivité et la compétitivité ». D’autre part, la mondialisation ag-
grave les inégalités à l’intérieur même des pays, y compris dans les pays capitalistes déve-
loppés, ce qui rend nécessaire des politiques de protection sociale bénéficiant aux exclus et
victimes de la mondialisation (aides à des secteurs condamnés, politique de redistribution
vers les victimes des délocalisations, etc.).

renouvellement de la force de travail.

Le budget de l’État 235


Section 3 : Le solde budgétaire
Le solde budgétaire correspond à la différence entre les ressources permanentes de l’État
et ses dépenses définitives, soit : SB = T - G - i . D, avec T les impôts et autres ressources
définitives, G les dépenses publiques hors intérêts de la dette et i . D les intérêts de la dette
(produit du taux d’intérêt i par le montant de la dette D : le « service de la dette »). Le bud-
get est en équilibre, excédentaire ou déficitaire selon que le solde budgétaire ainsi défini
est nul, positif ou négatif. Du solde budgétaire ainsi défini ou solde budgétaire effectif, on
distingue le solde budgétaire primaire obtenu en faisant abstraction des intérêts payés par
l’État au titre du service de la dette, soit : SBp = T – G ou encore SBp = SB + i . D. Dès lors que
l’État est endetté et doit supporter la charge des intérêts de la dette, le budget ne peut
être exécuté en équilibre (SB = 0) qu’à la condition que le solde primaire soit positif, autre-
ment dit que (T – G) > 0, et permette de couvrir le service de la dette, soit : T - G = i . D43.
Pour 2007, le déficit budgétaire prévu par la loi de finances initiale, c’est-à-dire l’excédent
des charges sur les ressources pour le budget général et les comptes spéciaux du Trésor,
s’élevait à 41,65 milliards d’euros, soit la différence entre les recettes nettes totales de
225,99 milliards d’euros et les dépenses de 267,85 milliards d’euros (en tenant compte du
solde de 0,309 milliard d’euros des comptes spéciaux du Trésor).
La question du solde budgétaire fait depuis longtemps l‘objet d’un débat théorique qui
demeure d’une grande actualité (§ 1). Mais force est par ailleurs de constater qu’en France,
depuis la Seconde Guerre mondiale, le budget fut le plus souvent exécuté en déficit, et en
particulier au cours des trois dernières décennies, avec certaines conséquences (§ 2).

paragraphe 1 : le débat théorique à propos du solde budgétaire

Ce débat oppose plus spécifiquement les partisans d’une utilisation du solde budgétaire
à des fins de régulation économique conjoncturelle et les défenseurs, longtemps prédo-
minants, de la règle de l’équilibre budgétaire (B). Pour mieux en saisir la portée, il est né-
cessaire de préciser préalablement la distinction entre solde budgétaire structurel et solde
budgétaire conjoncturel (A).

A – Le solde budgétaire structurel et le solde budgétaire conjoncturel


Le solde budgétaire et son évolution sont bien entendu conditionnés par les décisions
de l’État. Toutes choses égales par ailleurs, une modification de la législation sociale ou
fiscale modifie les dépenses et les recettes de l’État et influe en conséquence sur le solde
budgétaire. Mais le solde budgétaire et son évolution sont également conditionnés pour
partie par la conjoncture économique. À législation fiscale et sociale donnée, le budget
tend spontanément à l’excédent en phase d’expansion économique et au déficit en phase
43 Il en résulte qu’un déficit budgétaire global peut masquer un excédent primaire, ce qui est le cas lorsque le montant
des intérêts dus au titre du service de la dette est supérieur à l’excédent primaire. À titre d’exemple : en 2001, le déficit
budgétaire global s’élevait à 32,04 milliards d’euros pour un excédent du solde budgétaire primaire de 4,65 milliards
d’euros (Cour des comptes [2002], Rapport sur l’exécution des lois de finances en vue du règlement du budget de l’exer-
cice 2001, juin).

236 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


de récession. En effet, en phase d’expansion, certaines dépenses publiques, et plus spécifi-
quement des dépenses de transfert, tendent à se réduire automatiquement (réduction par
exemple des dépenses liées au chômage qui doit normalement régresser ou des aides aux
entreprises en difficulté, etc.), tandis que, parallèlement, les rentrées fiscales (TVA, impôts
sur le revenu) augmentent en raison de la croissance réelle et nominale de la production et
des revenus. Inversement, en phase de récession, certaines dépenses de transfert augmen-
tent mécaniquement alors même que la conjoncture influe négativement sur les rentrées
fiscales. Cet effet des fluctuations économiques conjoncturelles sur le solde budgétaire est,
en moyenne, relativement important. Il est généralement admis que dans les grands pays
de la zone euro (Allemagne, France, Italie…) une baisse du PIB d’un point par rapport à sa
tendance de long terme augmente le déficit budgétaire d’environ ½ point de PIB (Bénassy-
Queret et Penot, 2004).
Pour distinguer les variations du solde budgétaire induites mécaniquement par l’évolution
de la conjoncture économique globale de celles qui résulteraient de la mise en œuvre par
l’État d’une politique budgétaire active, le solde budgétaire total est décomposé en un
solde budgétaire conjoncturel et un solde budgétaire structurel, soit : SB = SBconj + SBs-
truc.
Le solde structurel, qui est indépendant de la conjoncture, se détermine en calculant ce
que serait le budget de l’État à législation fiscale et sociale donnée si le taux de croissance
effectif du PIB était égal au taux de croissance potentiel, c’est-à-dire le taux de croissance
du PIB qu’il est possible d’obtenir en assurant le plein-emploi des facteurs de production
disponibles, et sans que s’exercent des tensions sur la demande assez fortes pour aboutir à
accentuer l’inflation44. Si le solde structurel ainsi défini est nul, cela signifie que la politique
budgétaire est neutre. S’il est positif la politique budgétaire est restrictive et s’il est négatif
elle est expansive.
Le solde budgétaire conjoncturel résulte quant à lui de la minoration des rentrées fiscales
due à ce que la croissance effective du PIB est inférieure à la croissance potentielle. On
peut en donner une formulation algébrique simplifiée.
Soient : Y le PIB effectif (nominal), Y* le PIB potentiel, et T le montant total des impôts,
avec T = To + t . Y, la fonction fiscale, expression dans laquelle To désigne les impôts « au-
tonomes », c’est-à-dire les impôts dont le montant ne dépend pas du niveau de l’activité
et t le taux de taxation du produit ou revenu global (Y). Le solde budgétaire structurel
(SBstruc) est égal à la différence entre les impôts qui seraient perçus pour un PIB effectif
égal au PIB potentiel et les dépenses publiques, soit :
SBstruc = To + t . Y* – (G + i . D) = To + t . Y* – G – i . D
Soit encore, puisque T = To + t . Y et To = T – t . Y :
SBstruc = T – t . Y + t . Y* – G – i . D
SBstruc = T – G – i . D – t (Y – Y*)
Le solde budgétaire conjoncturel (SBconj) correspond à la différence entre le solde budgé-

44 On peut encore définir le taux de croissance potentiel comme le taux de croissance du produit potentiel, c’est-à-dire
« le produit global pouvant être réalisé dans la durée sans génération de déséquilibres » (Llau, 2000, p. 21). La mesure
du taux de croissance potentiel du PIB n’est pas sans soulever des difficultés et fait l’objet de débats. En France, selon
les estimations effectuées par l’INSEE, le taux de croissance potentiel du PIB a été de l’ordre de 2,25 % par an au cours
de la décennie 1990.

Le budget de l’État 237


taire effectif et le solde budgétaire structurel, soit :
SBconj = T – G – i . D – [T – G – i . D – t (Y – Y*)]
SBconj = T – G – i . D – T + G + i . D + t (Y – Y*)
SBconj = t (Y – Y*)45.
Dans cette formulation simplifiée, le solde budgétaire conjoncturel correspond donc bien
à la minoration des impôts due à ce que le PIB effectif est inférieur au PIB potentiel.
L’OCDE a estimé la composante conjoncturelle et la composante structurelle du solde bud-
gétaire pour les grands pays industrialisés au cours des décennies 1980 et 1990. Pour la
France il en ressort que : pour la période 1980–1990 la composante conjoncturelle du solde
est en moyenne de – 1,6 % du PIB et la composante structurelle de – 2,2 %, ce qui signifie
que la France a alors renforcé le jeu des « stabilisateurs automatiques par une politique vo-
lontairement anticyclique (les deux soldes sont négatifs) » (Baslé, 2004, p. 87) ; par contre
pour la période 1990–1999, la composante conjoncturelle et la composante structurelle
sont l’une et l’autre positives (respectivement + 0,8 % du PIB et + 0,3 % du PIB), ce qui si-
gnifie que la France a alors « joué la double restriction » (id., p. 88). Dans l’un et l’autre cas,
le solde budgétaire a donc été utilisé par les pouvoirs publics comme moyen d’action sur
la conjoncture économique du pays, action que légitiment certains théoriciens mais dont
d’autres contestent l’utilité et l’efficacité.

B – Équilibre macroéconomique versus équilibre budgétaire


Au centre du débat théorique à propos du solde budgétaire se trouve la question du rap-
port entre équilibre macroéconomique et équilibre budgétaire.
Pour certains auteurs, le budget doit pouvoir jouer un rôle de régulateur de l’activité
économique, l’essentiel pour l’économie nationale n’étant pas tant l’équilibre budgétaire
en soi que l’équilibre macroéconomique, c’est-à-dire l’égalité de l’offre et de la demande
globales de biens et services. En conséquence, le solde budgétaire doit pouvoir varier en
fonction de la conjoncture économique.
La thèse du budget cyclique développée par l’école suédoise avec G. Myrdal et B. Ohlin, et
appliquée en Suède dès 1933, propose de laisser mettre le budget en déficit en augmen-
tant la demande globale en cas de récession afin de stimuler l’activité, les déficits étant
financés par des excédents réalisés en phase d’expansion du cycle, lorsque les rentrées
fiscales augmentent naturellement et qu’il est possible de freiner l’augmentation de cer-
taines dépenses sans préjudice pour la croissance.
Allant encore plus loin, la thèse de la finance fonctionnelle de Lerner abandonne toute
référence à l’équilibre budgétaire. L’important pour les tenants de la finance fonction-
nelle est que l’équilibre macroéconomique soit un équilibre de plein-emploi, ce qui n’est
pas nécessairement spontanément le cas. Le solde budgétaire doit donc être soumis à la
réalisation de cet objectif. Le budget peut être mis en déficit dès lors que cela apparaît

45 On constate que dans la définition du solde conjoncturel a disparu toute référence à la charge de la dette. C’est pourquoi
dans certaines formalisations, on laisse de côté la charge de la dette pour définir le solde structurel et le solde conjonc-
turel ; c’est-à-dire que c’est le solde primaire que l’on décompose en solde structurel et en solde conjoncturel. On définit
ainsi le solde structurel primaire (SBp struc) comme la partie du solde budgétaire qui n’est liée ni aux intérêts dus sur la
dette ni à la conjoncture : SBp struc = SBstruc + i x D.

238 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


comme la condition de réalisation du plein-emploi. Le choix du mode de financement de
ce déficit par l’emprunt ou par la création monétaire sera conditionné par le niveau de
taux d’intérêt souhaité, sachant que le financement par emprunt est en soi un facteur de
hausse des taux d’intérêt.
Pour sa part, J. M. Keynes légitime le recours au déficit budgétaire pour financer des dé-
penses publiques nécessaires à la relance de l’activité et à la réalisation du plein-emploi. Il
distingue cependant dans le budget entre les dépenses de fonctionnement et les dépenses
en capital. Selon lui, le budget de fonctionnement doit normalement être en équilibre. Le
budget peut par contre être temporairement déficitaire en raison des dépenses en capital,
l’État devant pouvoir s’endetter pour financer des investissements publics (générateurs de
richesse), comme le fait une entreprise privée qui emprunte pour financer ses investisse-
ments productifs. Les investissements publics ainsi financés par endettement susciteront
un effet multiplicateur (cf. infra, chapitre V), ce qui se traduira par une hausse du revenu
global supérieure à l’investissement public effectué et donc au déficit budgétaire consenti
pour financer cet investissement public. Cette hausse du revenu global se traduira à terme
par une croissance des recettes fiscales du l’État permettant de combler le déficit et de
rembourser les emprunts.
À l’opposé, la théorie « classique » des finances publiques, défendue à l’origine par l’école
classique (A. Smith, D. Ricardo, J.-B. Say…) stipule que le budget doit rester « neutre » et
ne pas être utilisé dans le but d’influer sur la marche de l’économie nationale. Le dogme
qui prévaut est celui du strict équilibre des ressources et des dépenses. L’État doit gérer son
budget comme un bon « père de famille ». Il ne peut recourir à l’emprunt pour financer
ses dépenses publiques que dans des situations exceptionnelles telles que la guerre. Hors
de ces circonstances, le recours à l’emprunt est à proscrire et ce, pour deux raisons essen-
tielles : il reporte la charge des dépenses présentes sur les générations futures ; il stérilise
des capitaux qui pourraient être utilisés productivement.
Pour la plupart des théoriciens néoclassiques contemporains qui s’inscrivent dans la lignée
de la finance classique, l’utilisation du budget à des fins de stabilisation conjoncturelle,
avec pour conséquence un solde budgétaire selon le cas positif ou négatif, est considérée
comme inutile, inefficace et dangereuse.
• Inutile en ce sens qu’une économie pleinement concurrentielle livrée à elle-même ten-
drait naturellement vers un équilibre de plein-emploi sans qu’il soit nécessaire pour cela de
mettre le budget de l’État en déficit (cf. supra, chapitre II).
• Inefficace parce que le supplément de demande publique résultant du déficit budgétaire
sera, d’une manière ou d’une autre, compensé par une réduction équivalente de la de-
mande privée. D’une part, un déficit budgétaire financé par endettement est susceptible
de se traduire par une hausse des taux d’intérêt, laquelle influera négativement sur l’inves-
tissement des entreprises et l’investissement en logement des ménages, suscitant ainsi un
effet d’éviction (cf. infra). D’autre part, le déficit peut susciter « une réaction négative des
comportements de consommation » en application du théorème de Ricardo-Barro. Selon
ce théorème, les ménages, confrontés à un déficit budgétaire et un endettement accru de
l’État, anticipent rationnellement une hausse ultérieure des impôts destinée à permettre à
l’État de dégager les ressources nécessaire pour rembourser ses dettes, et sont conduits en
conséquence à accroître leur épargne au détriment de la consommation.

Le budget de l’État 239


• Dangereuse, parce que, en cherchant à influer sur la conjoncture économique par son
budget, l’État fait obstacle aux ajustements spontanés des agents économiques privés et
des marchés conduisant naturellement, dans une économie concurrentielle, au retour à
l’équilibre de plein-emploi en cas de choc subi par l’économie qui l’aurait écartée momen-
tanément de l’équilibre. Le courant de la Fiscal Theory of Price Level (FTPL) (Leeper, 1991)
défend par ailleurs la thèse selon laquelle le déficit budgétaire et l’endettement non an-
ticipé par les agents économiques qui lui est lié se traduiraient par une augmentation du
niveau général des prix46.
Si la pratique effective des finances publiques après la Seconde Guerre mondiale a très
longtemps pris clairement le contre-pied des préceptes classiques, la référence à une
« norme d’équilibre » a de nouveau été mise en avant à partir des années 1990. C’est elle
qui inspire l’adoption dans le cadre du traité de Maastricht des normes de plafonnement
du déficit public, qui doit être inférieur à 3 % du PIB, et de l’endettement public total
qui doit être inférieur à 60 % du PIB. Orientation reprise dans le Pacte de stabilité et de
croissance adopté par le Conseil européen d’Amsterdam de 1997 puisque celui-ci stipule
l’interdiction de laisser dériver le déficit budgétaire au delà de 3 % du PIB et oblige les
pays membres à prendre des mesures leur permettant de retrouver à moyen terme l’équi-
libre budgétaire47. Dans le cadre de l’Union européenne, et plus spécifiquement de la zone
euro, l’équilibre budgétaire prend ainsi la forme d’une contrainte institutionnelle … que
plusieurs pays membres, dont la France, ont bien des difficultés à respecter (cf. infra).

paragraphe 2 : le déficit budgétaire contemporain et ses


conséquences

En France, sur la période postérieure à la Seconde Guerre mondiale, l’équilibre budgétaire


ne fut réalisé qu’à de rares occasions. Partant en 1950 d’un déficit de l’ordre de 4 % du
PIB, la situation a commencé à se redresser à partir de la seconde moitié des années 1950.
L’équilibre fut retrouvé tout à la fin des années 1960 et tout au début des années 1970.
Mais le déficit réapparut dès 1974 pour s’aggraver progressivement jusque dans la pre-
mière moitié des années 1990, et de nouveau au début des années 2000 (A), avec comme
conséquences l’augmentation de l’endettement global de l’État et l’alourdissement du
service de la dette (B).

A – Un déficit budgétaire récurrent


Depuis plus précisément la fin des années 1980, le solde budgétaire a évolué en trois phases.
Au cours de la première moitié des années 1990, la situation des finances publiques fran-
çaises s’est nettement détériorée avec un déficit total de 6 % du PIB en 1993 puis respec-
tivement de 5,5 % en 1994 et en 1996 (Blancheton, 2005, p. 28). Cette détérioration a
résulté de la conjonction de trois facteurs :
1) une dégradation du solde conjoncturel dans un contexte marqué par la récession écono-
46 Mais, comme le souligne Blancheton (2005, p. 29), « la version forte de la FTPL n’a toujours par reçu de validation
empirique ».
47 L’équilibre devait être atteint initialement en 2004, échéance repoussée par la Commission européenne à 2006.

240 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


mique conjoncturelle de 1990-1992 et le freinage de la croissance jusqu’en 199648 ;
2) la mise en œuvre par l’État d’une politique budgétaire contracyclique de soutien à
la demande intérieure entre 1990 et 1994, alors que les conditions danslesquelles s’est
effectuée la réunification allemande suscitaient un durcissement de la politique monétaire
européenne. Le solde structurel s’est ainsi dégradé de manière régulière de 1988 (-1,5 %
du PIB) à 1994 (-4,5 % du PIB) ;
3) l’alourdissement de la dette publique (cf. infra).
La situation s’est redressée dans la seconde moitié des années 1990, le déficit d’exécution
du budget étant ramené progressivement de 5,5 % en 1995 à 1,4 % du PIB en 2000 (et en-
core 1,5 %, en 2001). Les raisons de ce redressement sont largement symétriques de celles
qui furent à l’origine des difficultés rencontrées pendant la première moitié de la décennie.
La relance de la croissance économique (avec un taux de croissance annuel moyen du PIB
en volume de 3 % de 1997 à 2000) a sensiblement réduit le déficit conjoncturel (hausse des
rentrées fiscales liées à l’augmentation des revenus, stabilisation des dépenses de trans-
fert liées au chômage). Dans la logique du traité de Maastricht, la politique budgétaire
s’est infléchie dans le sens de la rigueur. Des augmentations importantes d’impôts ont été
réalisées en 1995-1996 : hausse du taux de la TVA de 18,6 % à 20,6 % (ramené depuis à
19,6 %), instauration de la CRDS, hausses successives de la CSG, surtaxe exceptionnelle sur
les bénéfices des entreprises. Parallèlement, l’État a fortement limité la progression de ses
dépenses. Toujours selon les données de l’OCDE, le solde budgétaire structurel s’est par
conséquent redressé, revenant de -4,5 % du PIB en 1994 à un peu moins de -2 % du PIB en
1997, repassant cependant un peu au-dessus de la barre des - 2 % du PIB en 1998 et 1999.
Au vu des engagements pris par la France dans son programme pluriannuel des finances
publiques pour les années 2001-2003 présenté à la Commission européenne en application
du Pacte de stabilité et de croissance, le redressement des finances publiques obtenu du-
rant la seconde moitié de la décennie 1990 aurait dû se poursuivre durant les premières
années de la décennie 2000-2010. Ce programme prévoyait en effet une norme intangible
de croissance de 4 % en volume des dépenses publiques pour l‘ensemble des années 2001-
2003 (+ 1,3 % par an), avec une hausse des dépenses de l’État au sens strict de 1 % en
volume sur l’ensemble des trois années, la norme devant être intégrée chaque année dans
les lois de finances pour l’État et dans les lois de financement de la Sécurité sociale. Il était
par ailleurs prévu de ramener le déficit des APU à 0,5 % ou 0,3 % du PIB en 2003 « selon
le scénario de croissance ».
En pratique, l’évolution réelle a cependant été sensiblement différente et la situation des
finances publiques s’est à nouveau nettement dégradée (tableau 4.15). Le déficit qui s’éle-
vait à 1,3 % du PIB en 2000 et 1,5 % en 2001 (avec une dette publique égale respective-
ment à 57,6 % et 56,2 % du PIB) est passé à 3,2 % du PIB en 2002, année marquée par un
net ralentissement de la croissance (avec un taux de croissance annuel du PIB en volume de
1,2 % seulement) (tableau 4.15). Pour 2003, la perspective de croissance du PIB de + 2,5%,
sur laquelle tablait initialement le gouvernement, s’est vite avérée très irréaliste, la crois-
sance effective du PIB s’étant établie en fait à 1,1 %, de sorte que le déficit prévisionnel
égal à 2,8 % du PIB s’est transformé en un déficit réel égal à 4,1 % du PIB. En 2004, une

48 Selon des données de l’OCDE, le solde conjoncturel qui était légèrement positif en 1989 et en 1990 (années de croissance
économique soutenue) et nul en 1991 est devenu négatif en 1992 et a continué à se détériorer en 1993 (pour atteindre
de l’ordre de -2 % du PIB en 1993), demeurant au delà -1 % du PIB jusqu’en 1996.

Le budget de l’État 241


croissance du PIB (+ 2,3 %) plus forte que celle qui avait été retenue comme hypothèse
pour l’établissement du budget a permis de ramener le déficit à 3,6 % du PIB. En 2005,
année au cours de laquelle le taux de croissance du PIB n’a été que de 1,2 %, le déficit est
revenu à 2,9 % du PIB, soit pratiquement la limite de 3 % du PIB posée par le Pacte de sta-
bilité et de croissance. Il est légèrement descendu en dessous de cette limite en 2006 (2,4 %
du PIB) et en 2007 (2,7 % du PIB). En 2007, il s’élevait en valeur absolue à 38,9 milliards
d’euros, pour un déficit de l’ensemble des APU de 50,3 milliards d’euros (tableau 4.16).
Avec le déclenchement de la nouvelle crise économique engendrée par la crise financière
des subprimes et l’adoption par l’Etat de mesures de soutien du système bancaire et de re-
lance de l’économie, le déficit s’est de nouveau fortement creusé en 2008 et devrait encore
s’aggraver en 2009 (pour atteindre de l’ordre de 7% du PIB).

TAbLEAU 4.15
Ratios de finances publiques : 2001-2007
2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
Déficit public* - 1,5 - 3,2 - 4,1 - 3,6 - 2,9 - 2,4 - 2,7
Dette publique* 56,2 58,2 62,4 64,9 66,4 63,6 63,9
Dépenses publiques 51,7 52,6 53,4 53,2 53,4 52,7 52,4
Recettes publiques 49,5 49,2 49,6 50,4 50,3 49,7
Prélèvements obliga . 43,8 43,1 42,9 43,2 43,8 44,2 43,3
Déficit (-) / Excédent
- 3,0 - 2,9 - 2,5 - 1,3 - 0,6
(+) de la zone euro*
* au sens du traité de Maastricht
Sources : INSEE, INSEE Première, n° 1 135, mai 2007 ; site web de l’INSEE.

TAbLEAU 4.16
Principales dépenses et recettes des administrations publiques en 2007
Etat ODAC APuL ASS APu
Total des dépenses dont : 377,3 69,6 212,2 459,7 991,0
Consommations intermédiaires 20,8 9,5 43,1 22,3 95,8
Rémunérations nettes des salariés 116,8 11,8 60,6 54,1 243,3
Intérêts 42,1 4,5 4,5 1,9 51,8
Prestations sociales en espèces et
56,9 17,3 17,6 345,1 436,9
en nature
FBCF 6,7 3,6 45,1 6,3 61,8
Total des recettes dont : 338,1 67,0 205,0 458,1 940,4
Impôts et cotisations sociales 303,8 18,4 108,0 417,1 847,3
Recettes de production 6,0 6,7 33,4 17,3 63,4
Revenus de la propriété 9,2 2,5 2,3 2,1 14,8
Besoin de financement - 39,2 - 2,6 - 7,2 - 1,6 - 50,6
Déficit notifié -38,9 - 2,6 - 7,2 - 1,6 - 50,3
Source : H.-O. Duong, J.-P. Perret, P. Vial, D. Lefeuvre, L. Brière [2008], Les comptes des administrations publiques en
2007, site web de l’INSEE.

242 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Cette persistance du déficit budgétaire, et au delà du déficit des APU, depuis le milieu des
années 1970 est la manifestation en France d’une véritable crise des finances publiques qui
a frappé à des degrés divers l’ensemble des grands pays développés et s’est traduite par une
dégradation tendancielle du solde budgétaire (en % du PIB) dans les principaux pays de
l’OCDE à partir de 1972-1973. Cette crise des finances publiques n’est elle-même que l’une
des traductions de la crise économique durable contemporaine qui affecte ces pays. En fait,
à partir du premier choc pétrolier, alors que la croissance économique ralentissait et avec
elle la progression des recettes publiques, les dépenses publiques ont continué à augmenter
à un rythme soutenu. Il en est résulté un déficit qui a eu tendance à s’auto-entretenir du
fait de l’augmentation de la charge des intérêts dus sur la dette, laquelle s’est gonflée pro-
gressivement en raison même de la persistance du déficit (cf. infra). Mais, simultanément et
contradictoirement, il est probable que ce déficit budgétaire persistant a joué un rôle majeur
de soutien de l’activité contribuant ainsi à limiter l’ampleur de la crise.
Ce déficit persistant et son corollaire l’endettement croissant des administrations publiques
ne sont cependant pas sans conséquences.

B - Les conséquences du déficit


Le déficit persistant des finances publiques observé depuis le début de la crise économique
durable contemporaine s’est traduit par une augmentation forte et régulière de l’endet-
tement public et, en corollaire, du poids du service de la dette.
La dette de l’État représente la fraction la plus importante de la dette globale des APU,
appelée généralement dette publique, qui comprend en outre la dette des collectivités
locales et celle des administrations de Sécurité sociale. En 2007 elle s’élevait en valeur
absolue à 930 milliards d’euros et représentait 76,9 % de la dette publique totale (1 209,5
milliards d’euros) (tableaux 4.16 et 4.17).

TAbLEAU 4.17
La dette publique française

au 31/12/2002 au 31/12/2003 au 31/12/2004 au 31/1 2/2005


milliards % du milliards % du milliards % du milliards % du
d’euros PIB d’euros PIB d’euros PIB d’euros PIB
État 735,0 47,5 798 ,0 50,0 840 ,4 50,7 889,2 52,0
Organismes
divers d’admin . 43,9 2,8 55,3 3,5 90 ,5 5,5 95,2 5,6
centrale
Administrations
105,8 6,8 109,8 6,9 113,3 6,8 118,7 6,9
locales
Administrations
de sécurité 16,8 1,1 31,5 3 ,0 25,0 1 ,5 35,4 2,1
sociale
Total
administrations 901,4 58,2 994,5 62,4 10695 64,4 1138,4 66,6
publiques
Source : Comptes nationaux, base 2000, Insee Première

Le budget de l’État 243


Elle a fortement augmenté depuis les années 1970. Le montant total de la dette de l’État
qui s’élevait à 163 milliards d’euros en 1983 a atteint 496 milliards d’euros en 1995 et 930
milliards d’euros en 2007 (auxquels il faudrait ajouter les 97,4 milliards de dettes des ODAC),
soit approximativement 15 000 euros par habitant. Parallèlement, le rapport de la dette de
l’État au PIB est passé de 9,7 % en 1970 à 14,3 % en 1980, 24,8 % en 1990 et 49,2 % en 2007
(tableau 4.18).

TAbLEAU 4.18
La dette de l’État

1985 1995 2002 2007


Montant total
En milliards
163 496 773 930
d’euros
En euros par
2 880 8 347 12 623
habitant
en % du PIB* 22,4 42,0 50,8 49,2
* Lois de règlement.
Source : INSEE, site web.

C’est cette forte augmentation de la dette de l’État central qui explique la hausse parallèle
de la dette totale des APu atteignant 1 209,5 milliards d’euros à la fin de 2007, plus de
18 000 euros par Français49, et du rapport de cette dernière au PIB, passé de 30,9 % en 1980
à 40,2 % en 1990, 60,3 % en 1998, 56,2 % en 2001, 62,4 % en 2003, 66 % en 2005 et 63,9%
en 2007 .
La gestion de cette dette implique un recours permanent de l’État au marché des capi-
taux, le lancement de nouveaux emprunts permettant non seulement de financer chaque
année le nouveau déficit budgétaire mais aussi d’emprunter les sommes nécessaires au
remboursement des emprunts venant à échéance. À titre d’exemple, en 2004 l’État a ainsi
émis 77 milliards d’euros d’emprunts à long terme sous forme d’obligations assimilables du
Trésor (OAT)50 et 55,4 milliards d’euros d’emprunts à moyen terme sous forme de bons du
Trésor en compte courant à taux fixe et intérêts annuels (BTAN)51. Cette dette est détenue
directement ou indirectement par trois catégories d’agents économiques : les ménages, les
institutions financières hors OPCVM et le reste du monde (un peu plus de 12 % de la dette
négociable étant détenus par les non-résidents).
Cette croissance de la dette globale des APU au cours des trois dernières décennies n’est pas
spécifique à la France. C’est un phénomène qui affecte l’ensemble des pays de l’OCDE à des
degrés divers. La dette a ainsi augmenté de près de 80 points de PIB en Italie et au Japon
entre 1970 et 1999 et plus modérément en Allemagne et aux États-Unis. En 2006, la dette
publique de l’ensemble de la zone euro représentait 70,8 % du PIB de la zone. La dette pu-

49 La dette totale des APU est passée de 91 milliards d’euros en 1980 à 365 milliards d’euros en 1990, 812 milliards d’euros
en 2000 et 1 138,4 milliards d’euros en 2005.
50 Les OAT sont libellées en euros. La technique de l’assimilation permet de rattacher une nouvelle émission d’obligations
à une tranche d’emprunt préexistante dont elle reprend les caractéristiques spécifiques. L’émission se fait par voie
d’adjudications (mensuelles) à la Hollandaise ; le Trésor retient parmi les réponses à l’adjudication celles qui lui sont les
plus favorables. Depuis 1996 la gamme des OAT a été élargie avec la création d’OAT à taux variable, d’OAT indexées sur
l’inflation française ou l’évolution des prix de la zone euro.
51 Parallèlement, l’État a émis pour 237,8 milliards d’euros de bons du Trésor à taux fixe (BTF) qui sont des emprunts à court
terme (d’une durée allant de 4 à 52 semaines) qui permettent à l’État de faire face au décalage existant en cours d’année
entre la perception de ses recettes et la réalisation de ses dépenses.

244 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


blique de l’Allemagne s’élevait à 69,5 % de son PIB et celle de l’Italie à 107,4 % du PIB. Une
étude de l’agence de notation Standard & Poors évaluait par ailleurs le stock des emprunts
de l’État à moyen et long terme de 41 pays européens à un montant total de 6 105 milliards
d’euros en 2006 et prévoyait qu’il atteindrait 6 800 milliards d’euros en 201052.
Contrairement à certaines déclarations hâtives, le niveau atteint aujourd’hui par la dette
publique en France ne fait pas courir un risque de faillite à l’État français. Mais il soulève par
contre le problème de la charge de la dette, l’argent utilisée à payer les intérêts de la dette
ne pouvant servir à d’autres emplois. Or, avec l’augmentation de la dette, s’est accru le poids
pour les finances publiques du service de la dette (les intérêts dus sur la dette) (tableau 4.19
et graphique 4.4). Celui-ci représente aujourd’hui le deuxième poste de dépenses du budget
de l’État après celui de l’Éducation nationale. En 2006, il s’etait élevé à 39,7 milliards d’euros,
soit 14,7 % des dépenses nettes du budget général de l’État. Sa forte progression, en pa-
rallèle à celle de l’endettement, depuis le début des années 1970, ne traduit pas seulement
l’augmentation de l’endettement total de l’État mais également la forte hausse des taux
d’intérêt qui s’est produite depuis le milieu des années 1970. Les taux d’intérêt réels sont
ainsi passés en France de 0,4 % en 1976 à 4,1 % en 1981 et 6,1 % en 1986 et sont demeurés
à un niveau historiquement élevé jusqu’au milieu des années 1990. Ils sont revenus depuis à
un niveau beaucoup plus faible.

TAbLEAU 4.19
La charge budgétaire de la dette de l’État : dette publique nette des lois de
finances initiales
en % des dépenses du
en milliards d’euros
budget général
1990 18,3 9,9
1991 20,4 10,5
1992 22,5 11,2
1993 24,7 11,9
1994 29,2 13,4
1995 30,3 13,5
1996 34,5 14,7
1997 35,5 14,9
1998 35,8 14,8
1999 36,2 14,2
2000 35,8 14,1
2001 36,5 14,0
2002 36,8 13,8
2003 38,3 14,0
2004 38,6 13,6
2005 39,8 13,8
2006 39,0 14,7
2007 39,2 14,7
2008 40,8 15,0
Source : site web de l’INSEE

52 Le Monde, 28-01, 2006, p. 14. Pour aussi élevés que puissent paraître ces taux d’endettement, ils ne doivent cependant
pas faire oublier que, dans le passé, les grands pays capitalistes développés contemporains ont pu connaître des taux
d’endettement public encore plus élevés (rôle des guerres). La dette publique de la France a, par exemple, avoisiné ou
dépassé les 100 % du PIB des années 1880 à la fin des années 1930. Reste cependant que la dette n’avait jamais connu
en temps de paix une hausse analogue à celle du dernier quart du XXe siècle (Benassy-Quéré et alii, 2006, p. 150).

Le budget de l’État 245


GrAPhIqUE 4.4
La charge budgétaire de la dette de l’État*, France : 1990-2006

* dette publique nette des lois de finances initiales


Source : Tableaux de l’économie française, 2006, p. 125

A priori, l’endettement public résultant du déficit ne constitue cependant pas pour autant
un mal en soi, dès lors que deux conditions sont réunies :
• l’endettement sert à financer des investissements publics utiles qui stimulent la crois-
sance de l’économie nationale et permettront ainsi d’augmenter à terme les recettes
fiscales de l’État. On peut en effet faire à propos de l’État un raisonnement similaire à
celui que l’on fait pour les entreprises ou un ménage. On admet qu’une entreprise dé-
pense plus qu’elle ne gagne et s’endette (de même pour un ménage) si l’endettement
sert à financer un investissement qui va permettre à l’entreprise d’accroître sa capacité
à produire des richesses, le taux de rendement de cet investissement étant supérieur au
taux d’intérêt qui rémunère les fonds empruntés pour financer cet investissement. Il en
va bien entendu différemment si elle s’endette pour couvrir des dépenses de fonction-
nement. Il en est de même pour l’État dont on peut aisément admettre que ses dépenses
excèdent ses ressources et qu’il s’endette, si cela sert à financer des investissements pu-
blics dont le rendement est positif et qui augmentent la capacité du pays à créer ulté-
rieurement des richesses53 ;
• l’endettement demeure maîtrisé et se maintient à un niveau inférieur au seuil à partir
duquel il deviendrait un processus autoentretenu avec jeu de « l’effet boule de neige ».

53 Dans cette optique, le Royaume-Uni, qui a décidé de limiter son taux d’endettement public à moins de 40 % du PIB, a
également décidé d’adopter la « règle d’or » selon laquelle le déficit budgétaire, mesuré sur l’ensemble du cycle écono-
mique conjoncturel, doit demeurer dans les limites de l’investissement public, ce qui veut dire que le solde budgétaire
cumulé sur la totalité du cycle peut être négatif, dès lors que ce déficit correspond à la réalisation d’investissements et
non au financement de dépenses courantes (Vergnaud, 2005, p. 37). De nombreux auteurs soulignent qu’un endettement

public nul n’est pas une situation optimale et qu’il paraît souhaitable que l’investissement public, dès lors que sont rende-
ment est positif, soit financé par endettement. Cette préconisation n’est d’ailleurs pas sans conséquence. On peut en effet
démontrer que, dans une économie où le taux de croissance du PIB serait de 5 % par an (3 % de croissance en volume et
2 % de hausse des prix), la réalisation d’investissements publics pour un montant total de 3 % du PIB, financés par endette-
ment public, aboutit en équilibre stationnaire à un endettement public égal à 60 % du PIB (Van Waterschoot, 2001, p. 24).

246 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Mais, dans la période passée, ces deux conditions n’ont précisément pas été respectées.
D’une part, alors même que les grandes théories économiques reconnaissent toutes, avec
des spécificités, l’importance de l’investissement comme facteur de la croissance écono-
mique, et que des travaux économétriques soulignent la corrélation existant entre le
rythme de l’investissement public et celui de la croissance, on observe dans tous les grands
pays capitalistes développés un déclin relatif plus ou moins prononcé de l’investissement
public. La part des dépenses d’investissement dans le total des dépenses publiques, tous
niveaux administratifs confondus, a fortement diminué au cours des trois dernières dé-
cennies. En France, elle a pratiquement été divisée par deux, passant de 9,5 % en 1970 à
5,1 % en 199754. Mais la tendance est générale, comme cela ressort des données du tableau
4.20. Et l’on peut ajouter que la charge du service de la dette est telle aujourd’hui qu’elle
dépasse nettement le montant des dépenses en capital de l’État. A titre d’exemple, le
service de la dette représentait, en 2005, 14,1 % des dépenses du budget général contre
6,3 % seulement pour les investissements publics : investissements civils proprement dits et
subventions aux investissements civils. Et la réduction de la part de l’investissement public
dans le budget doit être mise en rapport avec l’augmentation parallèle de la charge du
service de la dette. En effet, il n’est pas douteux que la croissance de la charge des intérêts
de la dette a sensiblement réduit la marge de manœuvre de l’État en matière budgétaire
et lui a imposé de faire pression sur d’autres dépenses. Comme les dépenses de fonction-
nement courant sont difficilement compressibles, dès lors que la continuité des services pu-
blics doit être assurée et que le contexte de crise suscite l’augmentation quasi mécanique
de certaines dépenses, c’est finalement au détriment de l’investissement public que se fait
l’ajustement. L’endettement ne sert donc pas à financer l’investissement public mais se fait
au contraire au détriment de ce dernier55.

TAbLEAU 4.20
Les dépenses publiques d’investissement (en % du total des dépenses publiques)

1970 1980 1990 1997


France 9,5 6,9 6,9 6,1
Allemagne 11,4 7,0 4,8 4,1
Japon 23,4 19,1 15,7 18,4
Etats-unis 7,4 5,6 4,9 4,9
Royaume-uni 12,0 5,5 5,5 3,2
Source : OCDE, Comptes nationaux ; STRASSEL C., Dépenses publiques et politique économique, La Documentation
française, p. 88.

D’autre part, à partir des années 1980, l’endettement est devenu un processus autoentre-
tenu avec un « effet boule de neige ». À partir de 1983, le taux de croissance réel du PIB à
fléchi sous l’effet de la crise durable et de la politique de désinflation compétitive et il est
devenu inférieur au taux d’intérêt réel payé sur la dette. Or, dans une telle configuration,
la dette s’accroît d’une année sur l’autre du seul fait de la charge d’intérêt qui lui est liée.

54 En 2007, la FBCF de l’ensemble des APU représentait 3,26% du PIB et les subventions et aides à l’investissement versées
par les APU 3,04% du PIB.
55D ans L’ordre budgétaire, Alexandre Sine montre qu’après avoir renoncé à partir de 1983 au « réglage fin de la conjonc-
ture », les gouvernements successifs se sont engagés dans une politique de « maîtrise des dépenses » qui a alors pris le
pas sur le soutien à la croissance. Mais cette maîtrise des dépenses s’effectue au détriment de l’investissement public.

Le budget de l’État 247


Dans de telles conditions, pour stabiliser la dette au niveau alors atteint, il faudrait que le
solde budgétaire primaire (T – G) soit excédentaire, l’excédent devant être d’autant plus
élevé que l’écart entre le taux d’intérêt réel de la dette et le taux de croissance du PIB
réel est important. Or, au cours de cette période, l’État a généralement été incapable de
dégager un solde primaire excédentaire, le solde primaire s’étant au contraire dégradé
pendant la première moitié de la décennie 1990. On comprend donc que la dette n’ait
cessé d’augmenter.
Si le déficit budgétaire et l’endettement public qui en résulte ne sont pas nécessairement
un mal en soi, leur persistance constitue donc bien pour le pays une source de difficultés.
D’autant plus que la persistance du déficit et l’augmentation consécutive de l’endette-
ment sont susceptibles de générer un cercle vicieux. En substance : la persistance d’un
déficit primaire à financer par emprunt ne peut que contribuer à maintenir des taux d’in-
térêt élevés, avec à la clé un risque de spirale récessionniste. La hausse des taux d’intérêt
peut en effet être à l’origine d’un effet d’éviction à l’encontre de l’investissement et de la
consommation privés pesant négativement sur la croissance, ce qui contribue à maintenir
l’écart entre le taux d’intérêt réel de la dette et le taux de croissance réel de l’économie et,
en conséquence, l’accroissement de l’endettement public.

La persistance du déficit budgétaire et le niveau atteint aujourd’hui par l’endettement


public expliquent que les gouvernements qui se sont succédés depuis la fin des années
1990 se soient fixés comme objectifs de résorber le déficit public et de réduire l’endette-
ment, afin de pouvoir reconquérir à terme des marges de manœuvre budgétaire, tout en
se révélant jusqu’à présent incapables de parvenir à l’un comme à l’autre. Compte tenu
de la charge du service de la dette, qui représente de l’ordre de 2,5 % du PIB, le retour à
l’équilibre du budget de l’État et, en corollaire, la réduction de l’endettement supposent
que l’État se donne désormais les moyens de dégager un excédent primaire56, ce qui passe
par l’argumentation des impôts et/ou la réduction des dépenses.
La première voie, l’augmentation des impôts, est aujourd’hui récusée par la plupart des
gouvernements des pays européens qui se sont au contraire engagés dans une politique de
réduction des impôts s’assimilant par certains aspects à une forme de concurrence, voire de
dumping fiscal pur et simple. C’est également, comme on l’a vu, le cas en France57. L’idée
56 Pour avoir une idée de ce que cela veut dire prenons un exemple. Pour une dette représentant 50 % du PIB et un taux
d’intérêt nominal de 5 %, le service de la dette est égal à 2,5 % du PIB. Pour stabiliser le montant global de la dette, il
faut donc que l’État réalise un excédent budgétaire primaire (T – G) égal à 2,5 % du PIB. Si le pays connaît au départ
un déficit budgétaire primaire égal à 3 % du PIB, la stabilisation de l’endettement suppose alors que l’État passe de
ce déficit primaire de 3 % du PIB à un excédent primaire égal à 2,5 % du PIB, soit un effort global de rééquilibrage
des comptes publics égal à 5,5 % du PIB, ce qui passe nécessairement par une augmentation des ressources et/ou une
réduction des dépenses.
57 Il faut cependant souligner qu’en pratique, si la fiscalité que supportent les revenus des facteurs de production « les plus
mobiles » est sensiblement allégée (cf. supra), la charge fiscale globale pesant sur l’ensemble des contribuables n’est,
elle, pas nécessairement réduite. En atteste le bilan global des mesures fiscales nouvelles qui avaient été inscrites au
budget 2004. Au total, les réductions d’impôts prévues s’établissaient à 4,1 milliards d’euros dont 1,76 milliard d’euros de
baisse de l’impôt sur le revenu, 1,2 milliard de réduction des charges sociales et 0,48 milliard de majoration de la prime
pour l’emploi. Mais, parallèlement, l’État adoptait les dispositions suivantes : + 0,8 milliard de taxe sur le tabac ; + 1,2
milliard correspondant au relèvement de la fiscalité pétrolière (effet TVA compris) ; + 0,15 milliard de taxe sur l’industrie

248 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


prévaut qu’une hausse des impôts ne peut que peser négativement sur la consommation
et l’investissement et donc freiner la croissance, de sorte que la réduction du déficit ne
serait acquise que temporairement, le freinage de la croissance jouant dans le sens de la
réapparition à terme du déficit. De surcroît, le niveau atteint par le taux des prélèvements
obligatoires serait tel (44 % du PIB en France contre 39,5 % pour la zone euro et 35 % pour
le G7 selon le rapport Péberau) qu’il ne paraîtrait pas politiquement souhaitable d’aller
au delà.
La seconde voie, la réduction des dépenses, est assurément celle qui a la préférence des
autorités européennes et des forces politiques majoritaires dans la plupart des pays euro-
péens. C’est, là encore, également le cas en France. C’est ainsi que les dépenses du budget
général en volume n’ont augmenté que de 0,2 % en 2003 et ont été stabilisées successive-
ment en 2004, 2005 et 2006 (les dépenses nominales augmentant alors au même rythme
que l’inflation). Dans la lignée des orientations définies dans le programme de stabilité
2007-2009 (cf. infra) présenté en janvier 2006 par le gouvernement français à la Commis-
sion européenne, le budget 2007 prévoyait une baisse de 1 % des dépenses de l’État en
volume, la dépense brute n’augmentant que de 2,1 milliards d’euros58. Tandis qu’en juillet
2007, le ministre du budget E. Woerth annonçait que la hausse des dépenses en 2008 se-
rait légèrement supérieure à 1 % contre une hausse moyenne de 2,5 % au cours des 10
dernières années, ce coup de frein à la croissance des dépenses étant présenté comme la
condition pour ramener la dette publique en dessous de 60 % du PIB à l’horizon 2012, en
supposant que la croissance annuelle du PIB en volume soit en moyenne de 2,5 % jusqu’à
cette date.

Le programme de stabilité 2007-2009 de la France


Ce programme de stabilité 2007-2009 qui a été présenté à la Commission européenne en janvier 2006
vise globalement à mettre les finances publiques sur « une trajectoire de désendettement crédible »
(Notes Bleues de Bercy, n° 304, mars 2006, p. 1), grâce en particulier à « un effort accru de rationali-
sation de la dépense publique ». Ce programme prévoyait le retour à l’équilibre des comptes publics à
l’horizon 2010. Sur la base d’une prévision de croissance de 2,25 % par an (soit approximativement la
croissance potentielle), et compte tenu des gains d’efficacité que devrait permettre d’obtenir la mise en
œuvre de la LOLF, l’objectif fixé était de parvenir à un taux de croissance nul des dépenses publiques en
valeur, soit en fait une baisse des dépenses de l’État en volume de 1,25 % en 2008 et de 1,5 % en 2009,
ceci devant permettre de ramener le déficit de l’État à 1,8 % du PIb en 2009. Parallèlement, la dépense
sociale (tous organismes sociaux confondus) serait ramenée à un taux de croissance annuel moyen en
volume de + 1 % sur la période 2007-2009. Les dépenses des collectivités locales devraient croître en
volume de 0,5 % par an sur la période pour cependant parvenir au « 0 volume » à partir de 2009 (id.,
p. 6). Dans ces conditions, le déficit public baisserait dès 2007, passant de 2,7 % du PIb en 2006 à 1 %
du PIb en 2009 et l’équilibre serait atteint en 2010. Cette réduction du déficit public devrait se traduire
par une réduction de l’endettement. Le ratio d’endettement public qui s’est établi à 66,6 % du PIb en
pharmaceutique ; + 0,2 milliard pour le relèvement du forfait hospitalier ; + 1,2 milliard de hausse prévisible de la fiscalité
locale ; + 0,3 milliard de hausse des cotisations UNEDIC ; + 0,35 milliard de majoration des cotisations Organic payées
par les cadres pour leurs retraites. À quoi s’ajoutait encore : 0,67 milliard d’euros de réduction de remboursement de
Sécurité sociale ; 0,15 milliard d’euros de réduction de l’allocation versée aux chômeurs en fin de droits (Le Monde, 29-
09, 2003, p. 14). Faites le compte.
58 Mais, selon le député Charles Amédée de Courson, ce chiffre ne refléterait pas la réalité et l’augmentation des dépenses
serait en fait de l’ordre de 7,4 à 7,5 milliards d’euros.

Le budget de l’État 249


2005 devrait décroître à partir de 2007 pour retrouver en 2009 le niveau de 62,4 % du PIb atteint en
2003. Il tomberait légèrement en dessous de 60 % en 2010. Il était par ailleurs prévu de continuer à cé-
der certains actifs publics dits « non stratégiques » et d’affecter les recettes correspondantes (comprises
annuellement dans une fourchette allant de 5 à 19 milliards d’euros) au désendettement. Comme on l’a
déjà évoqué, depuis l’envoi de ce programme de stabilité 2007-2009 à la Commission européenne, le
gouvernement français a fait savoir qu’il ne serait pas en mesure d’en tenir l’ensemble des engagements
et que le retour à l’équilibre financier prévu en 2010 ne s’effectuerait qu’en 2012.

Pour certains, cette réduction des dépenses publiques est nécessaire non seulement à court
terme pour résorber le déficit, mais également à moyen et long terme pour permettre
une réforme fiscale d’envergure aboutissant à réduire substantiellement la pression fis-
cale. On a déjà évoqué le fait que cette orientation pèse négativement sur l’investisse-
ment public. Mais le gouvernement français cherche également à réduire les dépenses
de fonctionnement. Cette option n’est cependant pas sans danger. D’une part, le risque
existe de brider l’un des moteurs de la croissance dans la mesure où les dépenses publiques
d’infrastructures, de formation initiale et continue, de recherche, d’amélioration de l’état
sanitaire de la population, etc., sont indispensables à la croissance comme l’ont encore
montré récemment les travaux de l’école de la croissance endogène. D’autre part, le risque
existe également de compromettre un élément essentiel du pacte social qui, dans un pays
comme la France, repose en particulier sur l’existence de services publics et d’un système de
protection sociale garantissant la satisfaction de certains besoins élémentaires de la popu-
lation. Il faut enfin tenir compte des risques de spirale déflationniste résultant de la mise
en œuvre d’une politique de rigueur budgétaire. Celle-ci peut susciter un ralentissement
de l’activité économique entraînant un fléchissement des recettes fiscales et une hausse du
déficit primaire. L’État est ainsi contraint d’accroître son recours aux marchés financiers, ce
qui favorise la hausse des taux d’intérêt qui est par elle-même un facteur d’augmentation
de l’endettement public contraignant à prolonger la rigueur budgétaire, et pesant négati-
vement sur la croissance économique ; l’économie nationale peut ainsi s’engluer dans une
situation caractérisée par une croissance ralentie et des taux d’intérêt élevés.
Pour certains théoriciens ou responsables politiques, il serait cependant possible de réduire
de manière significative les dépenses de l’État sans tomber dans les difficultés évoquées
ci-dessus. Il suffirait pour cela de réduire les « gaspillages » d’un État, présenté comme
incapable par nature d’utiliser ses ressources de manière aussi rationnelle et économe
que les agents économiques privés (Marseille, 2002). Il suffirait également de dégonfler
la masse salariale de la fonction publique en réduisant l’emploi public global à l’occasion
d’une rationalisation substantielle des services de l’État, et de faire ainsi disparaître les
« sureffectifs » selon les termes employés dans le rapport Pébereau59. C’est probablement
s’illusionner beaucoup sur l’ampleur des gaspillages de l’État60. C’est également se cacher
le fait que l’emploi public constitue le support indispensable à la réalisation par l’État d’un
59 L’État a effectivement commencé à s’engager dans cette voie puisqu’il a décidé de ne plus remplacer intégralement les
emplois publics libérés par le départ en retraite de leurs titulaires. À ces réductions du nombre d’emplois publics s’ajoute
par ailleurs la pression exercée sur les rémunérations de la fonction publique, puisque de 2000 à 2003 le retard cumulé
des salaires des fonctionnaires sur l’inflation s’est élevé à 3,6 %.
60 En présentant le rapport annuel sur les finances publiques de la Cour des comptes, le 20 juin 2007, le président de la
Cour, Philippe. Seguin expliquait d’ailleurs que le train de vie de l’État est « loin d’être le principal problème » (cité par
Le Monde, 21-06, 2007, p. 9).

250 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


certain nombre de missions à propos desquelles s’était réalisé un consensus social qui est
loin d’être remis en cause, l’opinion publique réclamant aujourd’hui, à l’évidence, non pas
moins mais plus de juges, de policiers, de gendarmes, d’infirmières, d’enseignants, etc.61.
Ajoutons que, dans un rapport au Premier Ministre, le Commissariat au plan paraissait très
circonspect sur la possibilité de réduire sensiblement les dépenses de l’État dans un avenir
prévisible. D’une part, « la diminution des dépenses régaliennes n’est pas nécessairement
aussi aisée que pourraient le laisser penser certains détracteurs de la gestion publique »
(id., 10). D’autre part, « au delà des discours, et quels que soient les progrès de la concur-
rence et de la dérégulation, il sera difficile d’envisager une diminution massive des inter-
ventions économiques de l’État, lorsque l’on sait qu’elles concernent essentiellement les
entreprises publiques (SNCF notamment), les grands organismes de recherche, le soutien
de l’innovation, les aides agricoles (en diminution au niveau européen), les aides au loge-
ment (au fort contenu en emplois) et les aides au développement, notamment en Afrique
et au Maghreb » (id., p. 11). Il est vrai que, depuis, le Commissariat général au Plan a été
supprimé.
Reste cependant que l’État a, bien entendu, tout intérêt à mettre au cœur de l’action pu-
blique une « logique de l’efficacité », comme le réclame le rapport Pébereau.

61 Un sondage Ipsos, réalisé pour Le Monde et La Gazette des communes en février 2006 faisait apparaître qu’une majorité
des Français rejette l’idée selon laquelle il y aurait trop de fonctionnaires dans les ministères (54 %), dans les collectivités
locales (66 %) ou dans les hôpitaux publics (96%). Ce sondage révèle en fait que, globalement, les Français sont « déci-
dément opposés au « moins d’État » mais partisans du « mieux d’État » » (Le Monde, 07-03, 2006, p. VII).

Le budget de l’État 251


la politique budgétaire

CHAPITRE 5

L’État a la possibilité d’utiliser son budget (dépenses, recettes et soldes) en vue d’influer
sur l’activité économique du pays.
Cette action de l’État peut s’inscrire dans le cadre d’une politique structurelle visant à in-
fluer sur l’organisation et le mode de fonctionnement de l’économie nationale, ainsi que
sur les conditions de son développement à moyen et long terme.
La fiscalité peut ainsi être aménagée de manière à influer durablement sur les caractéris-
tiques du système productif. Ce sera le cas avec, par exemple, l’instauration de droits de
douane protégeant les producteurs nationaux de la concurrence étrangère, la taxation de
certaines activités polluantes de manière à en augmenter les coûts et inciter les entreprises
à développer des techniques de production plus respectueuses de l’environnement, ou en-
core la modulation des taxes sur les carburants dans un sens favorisant le développement
du transport routier. Elle peut également être utilisée pour influer sur la structure de la
consommation des ménages avec, par exemple, une taxation accrue de certains produits
jugés nocifs pour la santé comme le tabac et les alcools, ou, à l’opposé, l’instauration d’une
TVA à taux réduit sur des produits de première nécessité (produits alimentaires, médica-
ments…), ou encore l’octroi d’avantages fiscaux divers associés à la réalisation de travaux
de grosses réparations et d’amélioration de la résidence principale. Elle peut encore être
utilisée pour orienter l’épargne vers certains types de placements (au détriment d’autres)
avec, par exemple, un régime fiscal favorable pour les placements en actions ou l’exonéra-
tion des droits de succession sur les placements en assurance-vie.
Les dépenses publiques peuvent être mises au service de politiques d’aménagement du
territoire (subventions versées aux entreprises s’installant dans certaines zones géogra-
phiques, aides publiques à l’agriculture de montagne, création de zones franches, etc.).
Quant aux dépenses publiques d’infrastructures, de financement de la recherche fonda-
mentale et appliquée, de développement du système éducatif… qui sont susceptibles
d’avoir des effets à court terme sur l’activité économique et l’emploi, elles sont princi-
palement destinées à favoriser le développement à moyen et long terme de l’économie
nationale.
Mais l’action économique de l’État utilisant le budget peut prendre également la forme
d’une intervention destinée à influer sur la conjoncture économique du pays, la politique
budgétaire étant l’une des composantes de la politique économique conjoncturelle de
l’État1. C’est à cette politique budgétaire conjoncturelle que l’on se référera ici. Celle-ci
consiste principalement en l’utilisation par l’État de son budget (dépenses, recettes et
solde) afin d’agir sur la demande globale et, par ce biais, d’influer sur l’évolution à court
terme de certaines variables macroéconomiques (taux de croissance en volume du PIB,
niveau de l’emploi, taux d’inflation, solde extérieur), autrement dit, d’influer sur le niveau
et l’évolution de l’activité économique et de l’emploi ainsi que sur les grands équilibres
économiques et financiers du pays.
Il faut cependant souligner que, même en l’absence d’une politique budgétaire conjonc-
turelle, le budget de l’État influe sur la conjoncture économique en exerçant un effet
contra-cyclique d’atténuation des fluctuations économiques grâce au jeu des stabilisateurs
automatiques, ainsi dénommés parce qu’ils contribuent spontanément à régulariser l’évo-
lution à court terme de l’activité économique, autrement dit à stabiliser la conjoncture
économique.
C’est ainsi, par exemple, que, dans une conjoncture d’expansion économique très soute-
nue associée éventuellement à une poussée de l’inflation (en phase de « boom inflation-
niste » ou de « surchauffe » du cycle économique conjoncturel), le budget de l’État exerce
spontanément une influence restrictive stabilisatrice sur l’évolution de l’activité écono-
mique du pays, se traduisant par un freinage de la croissance et de l’inflation. En effet,
dans un tel contexte, certaines dépenses publiques, et plus spécifiquement des dépenses
de transfert (allocations de chômage, certains minima sociaux, certaines subventions aux
entreprises…), tendent à se contracter mécaniquement en raison de l’amélioration de la
situation économique du pays (moins de chômage, moins d’entreprises en difficulté…). Pa-
rallèlement, les recettes fiscales augmentent en raison de la croissance réelle et nominale
de la production et des revenus qui élève le rendement global de la plupart des impôts
(TVA et autres impôts sur la consommation, impôts sur le revenu). Ces deux évolutions
concourent (directement pour la première, indirectement pour la seconde) à freiner l’aug-
mentation de la demande globale qui se produit spontanément en phase d’expansion
du cycle conjonctuel et, partant, à ralentir la croissance de la production et celle des prix.
Pour un budget de l’État qui serait en équilibre au début de la phase d’expansion du cycle
conjoncturel, ces deux évolutions concourent à faire apparaître un excédent budgétaire,
lequel exerce mécaniquement un effet de ralentissement du rythme de l‘expansion éco-
nomique. En d’autres termes, l’expansion économique suscite l’apparition d’un excédent
budgétaire qui ralentit l’expansion.
Inversement, dans une conjoncture de récession ou de crise économiques, le budget joue
spontanément un rôle de relance. À législation sociale et fiscale inchangée, certaines dé-

1 Et, lorsque l’on évoque la politique budgétaire sans autre précision, c’est généralement à la politique budgétaire comme
composante de la politique conjoncturelle qu’il est fait allusion.

254 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


penses budgétaires, principalement des dépenses de transfert, augmentent en effet au-
tomatiquement (indemnisation du chômage, minima sociaux attribués sous conditions de
ressources…), tandis que l’évolution des recettes fiscales se ressent du ralentissement de
la croissance du PIB et des revenus qui en forment l’assiette. Pour un budget qui serait en
équilibre à la veille de la phase de récession du cycle conjoncturel, la conjonction de la
croissance de certaines dépenses et du freinage de celle de certaines recettes induit méca-
niquement un déficit budgétaire. Il est ainsi généralement admis que, dans les grands pays
de la zone euro, si le PIB baisse d’un point par rapport à son sentier de long terme, cela se
traduit par un déficit budgétaire de l’ordre de ½ point de PIB. Ce déficit budgétaire a, par
lui même, un effet positif de soutien de l’activité économique du pays, ce qui limite par
conséquent l’ampleur de la récession. En d’autres termes, la récession économique suscite
un déficit budgétaire qui limite l’ampleur de la récession.
L’impact sur la conjoncture économique du jeu de ces stabilisateurs automatiques est loin
d’être négligeable. Des études disponibles font apparaître que, dans de bonnes condi-
tions, l’amplitude des fluctuations conjoncturelles peut être réduite de 1/5ème à 1/3 du fait
du jeu de ces stabilisateurs automatiques. On estime ainsi que, dans les grands pays de la
zone euro, une baisse de l’activité d’un point de PIB a priori est ramenée a posteriori à 0,75
point de PIB seulement par suite du jeu des stabilisateurs automatiques. Il est d’autant plus
marqué que le poids du budget dans l’économie est plus important et que le rendement
global du système fiscal est plus sensible à la conjoncture (assiette de l’impôt évoluant
directement avec le PIB nominal, comme c’est le cas avec la TVA, forte progressivité de l’im-
position sur le revenu) (Cabannes, 1998, p. 21). Il faut en outre souligner que, l’impact des
stabilisateurs automatiques variant en fonction en particulier du poids des prélèvements
obligatoires et de la dépense publique dans le PIB, il diffère donc d’un pays de la zone euro
à l’autre. Selon Van de Noord (2000), pour des pays comme la Finlande ou le Danemark,
l’impact des stabilisateurs automatiques atteint 50 %.
Il résulte d’ailleurs de ce qui précède que le respect strict de la règle de l’équilibre bud-
gétaire préconisé par la finance « classique » (cf. supra, chapitre IV) aurait toute chance
d’aboutir à amplifier les fluctuations économiques conjoncturelles. Le respect strict de
cette règle d’équilibre budgétaire impliquerait en effet de recourir à une politique budgé-
taire restrictive (baisse des dépenses publiques et hausse des impôts) en phase de récession
économique conjoncturelle afin de juguler le déficit budgétaire qu’induit mécaniquement
une telle récession, ce qui ne pourrait qu’aggraver cette dernière. Inversement, le respect
de cette règle en phase d’expansion (de boom inflationniste) impliquerait en fait de recou-
rir à une politique budgétaire expansive (hausse des dépenses publiques et/ou baisse des
impôts) afin de résorber l’excédent budgétaire conjoncturel, ce qui stimulerait l’expansion.
L’État peut cependant ne pas se satisfaire de l’impact stabilisateur automatique du budget
sur la conjoncture et chercher à influer délibérément sur certaines variables macroécono-
miques en agissant sur la demande globale à l’aide de son budget. Cette politique budgé-
taire active pourra être, selon le cas, expansive ou restrictive. Le premier type de politique
est généralement mis en œuvre dans un contexte de ralentissement de la croissance éco-
nomique et de montée du chômage. L’objectif affiché est alors, normalement, la stimula-
tion de la croissance économique et l’élévation du niveau de l’emploi. Le second type de
politique est au contraire généralement mis en œuvre dans un contexte d’accélération de

La politique budgétaire 255


la croissance et de poussée de l’inflation, associées éventuellement à une dégradation du
solde des échanges extérieurs. L’objectif poursuivi est alors, symétriquement, le ralentisse-
ment de la croissance économique et le freinage de l’inflation ainsi que, éventuellement,
le redressement du solde des échanges extérieurs. On examinera plus particulièrement
dans le suite le cas de la politique budgétaire expansive, les analyses pouvant être trans-
posées, en inversant les raisonnements, au cas d’une politique budgétaire restrictive.
La conduite par l’État d’une politique budgétaire conjoncturelle fait depuis longtemps
l’objet de débats qui tournent autour de différentes questions, deux plus particulièrement.

1) L’État dispose-t-il réellement avec son budget d’instruments lui permettant d’influer à
court terme de manière significative sur le niveau de l’activité et de l’emploi ?

2) Cette action peut-elle être réellement efficace et permettre à l’État d’obtenir les résul-
tats qu’il escompte quant il recourt à ce type de politique ?

Globalement la théorie néoclassique contemporaine répond par la négative à ces deux


questions. La théorie keynésienne a par contre cherché à établir, non seulement la légiti-
mité du recours à la politique budgétaire, mais également l’utilité et l’efficacité d’une telle
politique. Elle a montré en particulier que l’action exercée par la politique budgétaire sur
la demande globale se répercute sur le niveau du produit global (de la production natio-
nale) et, de là, sur celui de l’emploi global par le biais de multiplicateurs spécifiques, les
multiplicateurs budgétaires. Le jeu de ces multiplicateurs a pour conséquence que la réac-
tion du niveau de la production aux mesures budgétaires adoptées est potentiellement
plus que proportionnelle à ces mesures (Section 1).
Cette validation de la politique budgétaire par la théorie keynésienne a incontestable-
ment favorisé son utilisation dans les pays capitalistes développés. Celle-ci est devenue
quasi systématique après la Seconde Guerre mondiale. L’expérience de la politique budgé-
taire conjoncturelle ainsi acquise au cours de la seconde moitié du XXe siècle a cependant
montré que, si la capacité de l’État à influer sur le niveau de l’activité économique et de
l’emploi au moyen de la politique budgétaire est incontestable, l’efficacité de cette der-
nière n’en est pas moins conditionnelle (Section 2).
L’expérience de la construction européenne depuis en particulier les années 1990 a par
ailleurs également montré que celle-ci n’est pas sans conséquences quant à la capacité du
gouvernement français à conduire une politique budgétaire conjoncturelle autonome et
quant aux orientations d’une telle politique (Section 3).

256 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Section 1 : Les modalités d’action de la politique
budgétaire
Une politique budgétaire conjoncturelle expansive consiste à accroître la demande globale
intérieure (consommation et/ou investissements publics et/ou privés) selon deux modali-
tés complémentaires. Dans un cas, l’État accroît directement ses dépenses en achats de
biens et services, par exemple en augmentant les investissements publics d’infrastructures.
Dans l’autre cas, il accroît le revenu disponible des agents économiques privés par le biais
d’une augmentation des transferts (subventions aux entreprises, revenus sociaux versés
aux ménages...) et/ou d’une réduction des impôts, cette hausse du revenu disponible in-
duisant une augmentation de la consommation des ménages et/ou de l’investissement
des entreprises. Dans l’un et l’autre cas, il doit en résulter une augmentation en volume
de la production et du revenu global plus importante que la (les) mesure(s) budgétaire(s)
adoptée(s) en raison du jeu des multiplicateurs budgétaires.
On sait que Keynes a mis en évidence l’existence d’un effet multiplicateur de l’investissement
(cf. tome 1, chapitre VI) qui se manifeste en cas d’accroissement autonome de l’investisse-
ment des entreprises. Mais le jeu du multiplicateur ne se limite pas uniquement au cas d’un
accroissement autonome de l’investissement productif des entreprises. Tout accroissement
autonome de dépense est susceptible d’avoir un effet multiplicateur comparable à celui
de l’investissement. On peut ainsi distinguer, à côté du multiplicateur d’investissement, les
multiplicateurs budgétaires. Ces derniers opèrent lorsqu’il se produit une augmentation au-
tonome de la demande globale par suite d’une modification des grandeurs budgétaires
décidée par l’État dans le cadre de sa politique budgétaire.
On distingue quatre multiplicateurs budgétaires différents :
1) le multiplicateur des achats publics qui opère lorsque l’État accroît ses achats de biens de
consommation ou d’équipement (consommation ou investissements publics)2 ;
2) le multiplicateur fiscal qui opère lorsque l’État réduit les impôts prélevés sur les agents
économiques privés ;
3) le multiplicateur des transferts qui opère lorsque l’État accroît les transferts qu’il effec-
tue au bénéfice des agents économiques privés ;
4) le multiplicateur du budget équilibré qui opère lorsque l’État accroît simultanément, et
d’un même montant, ses achats de biens et services et les impôts.

Pour les trois premiers multiplicateurs budgétaires, le processus économique qui correspond
à chacun d’eux est formellement le même que dans le cas du multiplicateur d’investissement
(§ 1). Dans chacun de ces trois cas, l’ampleur de l’effet multiplicateur est déterminée par
la valeur algébrique des multiplicateurs, laquelle dépend elle-même du comportement de
certaines variables macroéconomiques (§ 2). Le processus qui correspond au multiplicateur
du budget équilibré combine ceux du multiplicateur des achats publics et du multiplicateur
fiscal (§ 3).

2 Les multiplicateurs budgétaires sont présentés ci-dessous dans l’optique d’une politique budgétaire expansive visant à
élever le niveau d’activité. Dans une optique plus générale, il faudrait dire que le multiplicateur des achats publics opère
lorsque l’État fait varier ses achats publics (en hausse ou en baisse, car les multiplicateurs opèrent dans les deux sens et
peuvent jouer positivement ou négativement, selon le cas). La même observation vaut bien entendu pour les autres
multiplicateurs budgétaires. Le multiplicateur fiscal opère lorsque l’État fait varier le niveau des impôts à la hausse ou à
la baisse, le multiplicateur des transferts publics lorsqu’il fait varier ces transferts à la hausse ou à la baisse.

La politique budgétaire 257


paragraphe 1 : le jeu des multiplicateurs budgétaires dans le
cas de variations des achats publics, des impôts
ou des transferts publics
Keynes a montré que, sous certaines conditions, un accroissement autonome de l’investis-
sement des entreprises se traduit par une hausse plus que proportionnelle de la produc-
tion globale. Considérons le cas le plus simple d’une économie fermée, constituée de deux
grandes catégories d’agents économiques privés, les entreprises et les ménages, pour la-
quelle l’équation de l’équilibre macroéconomique (offre globale = demande globale) est :
Y = C + I. En supposant que la fonction de consommation est du type C = Co + c . Y, avec c
la propension marginale à consommer une constante positive et inférieure à 1 (0 < c < 1)
et Co la consommation « autonome », et que l’investissement est une grandeur autonome,
soit I = Io, l’équation de l’équilibre macroéconomique devient : Y = Co + c . Y + Io.
Soit encore :
1
Y = -------- (Co + Io) [1]
1–c
S’il se produit un accroissement de l’investissement ∆Io, il en résulte une augmentation du
produit global ∆Y. L’équation de l’équilibre macroéconomique deviendra :
1
Y + ∆Y = -------- (Co + Io + ∆Io) [2]
1–c
Le côté droit de l’équation de l’équilibre macroéconomique augmentant de ∆Io, par rap-
port à la situation d’équilibre initiale, l’équilibre macroéconomique ne peut être maintenu
que si le côté gauche de l’équation augmente lui-même d’une quantité ∆Y, de sorte que
l’égalité de l’équation [2] soit vérifiée. Le montant de cet accroissement du revenu ∆Y s’ob-
tient en soustrayant termes à termes l’équation [1] de l’équation [2], soit :
1
Y + ∆ Y – Y = -------- (Co + Io + ∆Io – Co – Io)
1–c
Soit encore :
1
∆Y = -------- ∆Io ; avec 1 / (1 – c) le multiplicateur d’investissement.
1–c
Le processus de multiplication qui induit cette augmentation du produit/revenu global fait
intervenir l’évolution de la consommation des ménages. Il en est de même dans le cas du
jeu des multiplicateurs budgétaires dont le processus sera analysé en considérant ici le cas
d’une économie fermée dans laquelle opèrent trois catégories d’agents économiques, les
deux cités ci-dessus et l’État.
Pour cette économie, l’équation de l’équilibre macroéconomique devient : Y = C + I + G,
avec C la consommation globale privée, I l’investissement global privé et G les achats pu-
blics, c’est-à-dire la somme de la consommation et de l’investissement publics. La fonction
de consommation est désormais du type C = Co + c . Yd, avec Yd le revenu disponible qui est

258 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


égal à Y le revenu global, minoré des impôts prélevés par l’État sur les agents économiques
privés (T) et majoré des transferts qu’il effectue à leur bénéfice (TR) : Yd = Y – T + TR.
On examinera successivement le cas du multiplicateur des achats publics (A) et conjointe-
ment ceux du multiplicateur fiscal et du multiplicateur des transferts (B) en supposant à
chaque fois que l’économie est initialement en situation d’équilibre macroéconomique de
sous-emploi (cf. supra, chapitre 2) et le budjet de l’Etat en équilibre.

A - Le multiplicateur des achats publics


Supposons que, partant d’une situation initiale donnée de l’économie (en to) au cours de
laquelle l’équilibre macroéconomique Y = C + I + G est réalisé, l’État décide, au cours d’une
première période (t1), d’accroître ses dépenses publiques en achats de biens de consomma-
tion ou d’équipement d’un montant ∆G1, les transferts publics (TR) et les impôts (T) demeu-
rant inchangés. Si le budget était initialement en équilibre, il devient donc par là-même
déficitaire. Il est supposé que ce déficit est financé par recours à l’emprunt.
On supposera dans un premier temps que cette augmentation des achats publics ∆G1 est
ponctuelle, autrement dit qu’à la période suivante (t2) les achats publics reviennent à leur
niveau initial en to et l’on examinera les conséquences de cette augmentation ponctuelle
des achats publics.
Cette décision de l’État d’augmenter ses achats publics de biens et services en t1 se tra-
duit par une augmentation au cours de cette même période de la demande globale qui
s’adresse aux entreprises du pays. Confrontées à cette augmentation de demande, celles-
ci, que l’on suppose disposer de capacités productives inemployées et être en mesure d’em-
baucher un surcroît de main-d’œuvre (ou de pouvoir recourir aux heures supplémentaires),
accroissent leur production en proportion et, par conséquent, le revenu global qu’elles
distribuent aux ménages en contrepartie des facteurs de production que ces derniers leur
fournissent. L’accroissement autonome des achats publics en t1 (∆G1) se traduit donc fi-
nalement, au cours de cette même période t1, par une augmentation de la production et
du revenu global ∆Y1 d’un montant identique à celle des achats publics, soit : ∆Y1 = ∆G1.
Cette augmentation du revenu global (∆Y1) induit celle du revenu disponible des ménages
(∆Yd1), avec ∆Yd1 = ∆Y1 – ∆T13. À la période suivante (t2), les ménages dont le revenu dispo-
nible s’est élevé augmentent leur consommation finale par rapport à son niveau initial en
to d’un montant égal à ∆C2 = c . ∆Yd1. Cela signifie pour les entreprises, relativement à la
situation initiale de l’économie en to, une nouvelle augmentation de la demande globale
à laquelle elles répondent par un nouvel accroissement de leur production ∆Y2 = ∆C2. D’où
une nouvelle hausse du revenu disponible des ménages ∆Yd2 = ∆Y2 - ∆T2, induisant à la pé-
riode suivante (t3) une nouvelle augmentation de la consommation globale des ménages
(∆C3 = c . ∆Yd2) . Et ainsi de suite.
Comme dans le cas du multiplicateur d’investissement, les augmentations successives du
revenu global Y relativement à la période initiale (∆Y1, ∆Y2, …, ∆Yn) sont cependant de plus
3 Le revenu disponible étant égal à Yd = Y – T + TR, avec T les impôts prélevés par l’État sur les ménages (à titre de simplifica-
tion, il est supposé que les impôts prélevés par l’État pèsent finalement en totalité sur les personnes physiques, c’est-à-dire
les ménages) et TR les transferts effectués par l’État au bénéfice de ces mêmes ménages (même hypothèse que pour les
impôts). Dès lors que le revenu global Y augmente, les impôts prélevés par l’État sur les ménages augmentent également.
Autrement dit, ∆Y => ∆T, de sorte que ∆Yd = ∆Y – ∆T.

La politique budgétaire 259


en plus faibles d’une période sur l’autre du fait que la propension marginale à consommer
des ménages (c) est inférieure à 1. Le processus de multiplication s’épuise donc progres-
sivement et finit par s’arrêter. Au terme du processus, le produit global s’est cependant
accru d’un montant total qui est la somme des accroissements successifs évoqués ci-dessus
(∆Y1, ∆Y2, …, ∆Yn) et qui est supérieur à l’augmentation initiale des achats publics décidée
par l’État (∆G1).
Si l’on suppose maintenant que l’accroissement des achats publics par rapport à la période
initiale to est permanent, c’est-à-dire répété de période en période (le montant des achats
publics passe donc définitivement de G à G + ∆G), le jeu du multiplicateur aboutit à ce
que, au terme du processus, le revenu global d’équilibre Yn s’établit à un niveau supérieur
à celui du revenu global d’équilibre initial Yo, avec Yn = Yo + ∆Y, l’accroissement du revenu
global ∆Y étant supérieur à l’augmentation des achats publics ∆G4.

B - Le multiplicateur fiscal et le multiplicateur des transferts


Les deux cas peuvent être traités simultanément dans la mesure où une hausse des trans-
ferts publics et une baisse des impôts d’un montant donné suscitent l’une et l’autre le
même processus. On suppose que, partant d’une situation initiale donnée de l’économie
(en to) au cours de laquelle l’équilibre macroéconomique est réalisé, l’État décide, selon
le cas, de baisser les impôts d’un certain montant (- ∆T1) ou d’augmenter les transferts
publics (∆TR1) du même montant. De manière plus précise, on suppose que, s’il augmente
les transferts, il laisse les achats publics de biens et services et les impôts inchangés et que,
s’il réduit les impôts, il laisse les transferts et les achats publics inchangés. Dans chacun des
deux cas, si le budget est initialement en équilibre, il devient donc déficitaire, le déficit
étant supposé à nouveau être financé par recours à l’emprunt.
On considère, là encore, dans un premier temps, le cas où la réduction initiale des impôts ou
l’augmentation initiale des transferts sont ponctuels et on en examine les conséquences.
Il résulte de l’une ou l’autre mesure budgétaire adoptée par l’État une augmentation im-
médiate du revenu disponible des ménages (∆Yd1) d’un montant égal, en valeur absolue,
à celui de la mesure adoptée (l’augmentation du revenu disponible est égale, selon le
cas, à l’accroissement des transferts ou à la réduction des impôts). Cette augmentation
du revenu disponible se traduit au cours de cette même période t1 par une hausse de la
consommation globale des ménages (∆C1 = c . ∆Yd1) d’un montant qui lui est cependant
inférieur puisqu’elle dépend également de la propension marginale à consommer (c), la-
quelle est inférieure à 1. Pour les entreprises, cette hausse de la consommation globale des
ménages signifie une augmentation équivalente en valeur absolue de la demande globale
qui s’adresse à elles relativement à la période initiale t0. Elles y répondent en augmentant
la production, et donc le revenu global qu’elles distribuent aux ménages, d’un montant
identique ∆Y1 = ∆C1.
La mesure budgétaire adoptée par l’État se traduit ainsi en t1, comme dans le cas précédent
de l’accroissement des achats publics de biens et services, par une première augmentation

4 Le lecteur pourra se reporter, si besoin, au passage du chapitre VI du tome 1 concernant le multiplicateur d’investissement.
Le raisonnement suivi ici est absolument identique, l’accroissement des achats publics ∆G se substituant à l’accroissement
de l’investissement ∆I.

260 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


du revenu global (∆Y1) qui, à la différence de ce qui se produit en cas d’accroissement
des achats publics, est cependant d’un montant inférieur en valeur absolue à celui de la
mesure budgétaire adoptée. À cette première augmentation du revenu global va corres-
pondre une nouvelle hausse du revenu disponible des ménages, à laquelle correspondra à
la période suivante (t2) une nouvelle hausse de la consommation globale des ménages par
rapport à la situation initiale en to, et donc une nouvelle hausse du produit et du revenu
global. Et ainsi de suite.
Comme pour le multiplicateur des achats publics, les hausses successives du revenu glo-
bal relativement à la période initiale t0 (∆Y1, ∆Y2, …, ∆Yn) sont cependant de plus en plus
faibles du fait que la propension marginale à consommer est inférieure à 1. Le processus
de multiplication s’épuise donc progressivement. Au terme du processus, le produit global
s’est accru en valeur absolue d’un montant total (∆Y1 + ∆Y2 +… + ∆Yn) supérieur à celui en
valeur absolue de la réduction d’impôt ou de l’augmentation des transferts publics du fait
du jeu, selon le cas, du multiplicateur fiscal ou du multiplicateur des transferts.
Si l’on suppose maintenant que la réduction d’impôts ou l’augmentation des transferts
sont permanentes, au terme du processus le revenu global d’équilibre Yn s’établira à un
niveau supérieur à celui du produit global d’équilibre en to, avec Yn = Yo + ∆Y, l’accroisse-
ment du revenu ∆Y étant, en valeur absolue, supérieur à la réduction initiale d’impôts ou
à l’augmentation initiale des transferts par suite du jeu du multiplicateur concerné.

*
Dans les trois cas examinés ci-dessus (multiplicateur des achats publics, multiplicateur fis-
cal, multiplicateur des transferts), le jeu du multiplicateur repose sur le fait qu’il se produit
de période en période une augmentation de la consommation globale des ménages, et
donc de la demande globale qui s’adresse aux entreprises justifiant un accroissement cor-
respondant de la production et du revenu global. Le jeu du multiplicateur des achats pu-
blics diffère cependant de celui des impôts et des transferts publics sur un point important.
Dans le cas du multiplicateur des achats publics, la première augmentation de la demande
globale (en t1) correspond au montant de l’accroissement des achats publics décidé par
l’État, et donc de la mesure budgétaire adoptée par l’État, cette augmentation initiale de
la demande globale suscitant ensuite une hausse de la consommation des ménages qui
se reproduit de période en période tout en s’affaiblissant progressivement. Dans le cas
du multiplicateur fiscal et du multiplicateur des transferts, la croissance de la demande
globale commence lorsque se produit la première augmentation de la consommation des
ménages. Celle-ci est normalement d’un montant inférieur à celui de la mesure budgé-
taire (hausse des transferts ou baisse des impôts) décidée par l’État puisque elle est égale
au produit du montant en valeur absolue de cette mesure par la propension marginale à
consommer, inférieure à 1. L’impulsion initiale, en termes d’augmentation de la demande
globale, est donc plus faible que dans le cas de l’augmentation des achats publics pour une
mesure budgétaire d’un montant identique.
Dans chacun des cas examinés, l’ampleur du phénomène de multiplication dépend de la
valeur algébrique du multiplicateur considéré.

La politique budgétaire 261


paragraphe 2 : la valeur algébrique des multiplicateurs des
achats publics, des impôts et des transferts

La valeur algébrique des multiplicateurs budgétaires dépend bien entendu des hypothèses
retenues pour construire le modèle de représentation du fonctionnement d’ensemble de
l’économie. Comme indiqué précédemment, on s’en tient ici au cas simple d’une économie
fermée pour laquelle l’équation de l’équilibre macroéconomique est Y = C + I + G, avec C la
consommation finale privée globale, I l’investissement privé global et G les achats publics
(consommation et investissements publics).
On suppose que :
la fonction de consommation globale des ménages est C = Co + c . Yd ;
• Yd = Y – T + TR, c’est-à-dire que le revenu disponible est égal au revenu global dont sont
déduits les impôts (T) et auquel s’ajoutent les transferts (TR) ;
• le montant global des impôts est : T = To + t . Y, avec To désignant les impôts « auto-
nomes », c’est-à-dire les impôts dont le montant global ne dépend pas du niveau du
produit global Y, et t le taux de taxation du produit/revenu global créé dans l’économie
qui est une constante positive et inférieure à 1 (0 < t < 1) ;
• TR = TRo et G = Go . Les transferts publics ainsi que les achats publics de biens et services
sont supposés être autonomes et ne dépendre en fait que des seules décisions politiques
de l’État ;
• I = Io. L’investissement des entreprises est, à titre de simplification à ce stade de l’exposé,
supposé être également une grandeur autonome.
Sous ces hypothèses, l’équation de l’équilibre macroéconomique Y = C + I + G devient, en
remplaçant C, I et G par leur valeur algébrique respective :
Y = Co + c (Y – To – t . Y + TRo) + Io + Go
Y = Co + c . Y – c.To – c . t . Y + c . TRo + Io + Go
Y – c . Y + c . t .Y = Co – c . To + c . TRo + Io + Go
Y (1 – c + c . t) = Co – c . To + c . TRo + Io + Go
1
Y = ------------------- (Co – c . To + c . TRo + Io + Go)
1–c+c.t
Il ressort explicitement de cette formulation de l’équation de l’équilibre macroéconomique
que le niveau du produit global d’équilibre Y dépend en particulier du niveau respectif de
la consommation et de l’investissement publics (Go), des transferts publics (TRo) et des im-
pôts autonomes (To). En faisant varier ces grandeurs autonomes, l’État est donc en mesure
d’influer sur le niveau du produit global d’équilibre. En s’en tenant à une politique budgé-
taire expansive, il peut selon le cas : accroître la consommation et l’investissement publics
sans modifier les impôts ; augmenter les transferts sans modifier les impôts ; réduire les
impôts sans modifier ses dépenses (achats publics et transferts), suscitant à chaque fois le

262 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


jeu d’un multiplicateur budgétaire particulier selon les modalités déjà indiquées. Dans ces
conditions, on montre que le multiplicateur des achats publics, le multiplicateur fiscal et le
multiplicateur des transferts ont les valeurs algébriques respectives suivantes :
• multiplicateur des achats publics :
∆Y 1
------- = ------------------- ;
∆Go 1–c+c.t
• multiplicateur des impôts
∆Y -c
------- = ------------------- ;
∆To 1–c+c.t
• multiplicateur des transferts
∆Y c
------- = ------------------- ;
∆Go 1–c+c.t
Considérons, à titre d’exemple, le cas d’un accroissement des achats publics ∆Go. En to
l’équation de l’équilibre macroéconomique est :
1
Y = ------------------- (Co – c . To + c . TRo + Io + Go) [1].
1–c+c.t
Si Go augmente de ∆Go, il en résulte un accroissement de Y tel que, en tn, lorsque le proces-
sus de multiplication est achevé, l’équation de l’équilibre macroéconomique est devenue :
1
Y + ∆Y = ------------------- (Co – c . To + c . TRo + Io + Go + ∆Go) [2].
1–c+c.t
En soustrayant membre à membre l’égalité [1] de l’égalité [2] il vient :
1
∆Y = ------------------- ∆Go, avec 1 / (1 - c + c . t) le multiplicateur.
1–c+c.t
Soit encore :
∆Y 1
------- = ------------------- ce multiplicateur.
∆Go 1–c+c.t
La valeur algébrique du multiplicateur fiscal et du multiplicateur des transferts se déduit
de l’équation [1] de la même manière en remplaçant ∆Go selon le cas par ∆To ou par ∆TRo.
Avant d’aller plus loin, il faut souligner que les multiplicateurs peuvent jouer positivement
ou négativement. Par exemple, si l’État réduit les achats publics de ∆Go il en résultera une
baisse du produit global de : - ∆Y = - [1 / (1 – c + c . t)] ∆Go.

*
La comparaison de ces trois multiplicateurs permet de dégager plusieurs résultats.

La politique budgétaire 263


1) La politique budgétaire est potentiellement efficace puisque, en augmentant ses achats
publics ou ses transferts et en réduisant les impôts, l’État peut accroître la production dans
une proportion supérieure à la mesure budgétaire adoptée. Cette efficacité potentielle
de la politique budgétaire est conditionnée par le niveau de la propension marginale à
consommer (c). La politique budgétaire est a priori d’autant plus efficace que la propen-
sion marginale à consommer est plus élevée, la valeur algébrique des multiplicateurs étant
alors une fonction croissante de celle de c. Elle est également conditionnée par la valeur
du taux d’imposition (t). La hausse de t est en soi un facteur de baisse de la valeur des
multiplicateurs et donc de l’efficacité potentielle d’une politique budgétaire de relance.
2) En valeur absolue, le multiplicateur des achats publics est supérieur au multiplicateur
des transferts et au multiplicateur fiscal. Cela signifie que, toutes choses égales par
ailleurs, l’impact sur le niveau du produit global d’une augmentation des achats publics
est plus important que celui d’une augmentation d’un même montant des transferts ou
d’une réduction d’un même montant des impôts. La raison en est, comme déjà indiqué,
que le processus suscité par un accroissement des achats publics n’est pas exactement
le même que celui qui est lié à une baisse des impôts ou à une hausse des transferts.
Dans le premier cas, l’augmentation initiale de la demande globale correspond en effet
à celle des achats publics ∆G décidée par l’État. Dans les deuxième et troisième cas, elle
correspond à l’accroissement initial de la consommation des ménages (∆C) qui est d’un
montant inférieur en valeur absolue à la baisse des impôts ou à la hausse des transferts.
En termes d’impact sur le produit global, l’augmentation des dépenses de consomma-
tion et d’investissements publics est donc a priori plus efficace que l’augmentation des
transferts au bénéfice des agents économiques privés ou que la réduction des impôts.
Cela ne serait cependant plus vrai dans le cas de transferts au bénéfice de ménages à faibles
revenus qui consacreraient l’intégralité de l’augmentation de leur revenu disponible à des
dépenses de consommation finale. À l’opposé, l’impact mécanique sur le niveau d’activité
d’une politique de réduction des impôts bénéficiant aux hauts et très hauts revenus dont
la propension marginale à consommer est relativement modérée sera a priori réduit.
3) En valeur absolue, le multiplicateur des transferts est égal à celui des impôts. Cela signi-
fie qu’une augmentation des transferts d’un montant donné aura a priori un impact po-
sitif sur le produit global identique à celui d’une baisse des impôts d’un même montant5.

5 Ce résultat suppose cependant que la hausse des transferts et la baisse des impôts bénéficient de manière proportionnelle
à l’ensemble des agents économiques privés. Si ce n’est pas le cas, le résultat sera différent. À titre d’exemple, une hausse
des transferts bénéficiant à des ménages à faibles revenus et forte propension marginale à consommer aura, toutes choses
égales par ailleurs, un impact positif sur le niveau d’activité supérieur à celui d’une réduction des impôts d’un montant
global identique bénéficiant aux ménages à hauts revenus et à propension marginale à consommer relativement plus
faible. En fait, dans chacun de ces deux cas, la mesure budgétaire adoptée par l’État modifie la valeur de la propension
marginale à consommer de l’ensemble des ménages (la propension marginale à consommer globale) qui conditionne
celle du multiplicateur considéré. La propension marginale à consommer de l’ensemble des ménages de la fonction de
consommation globale (C = Co + c . Yd) augmente en cas de transferts bénéficiant aux ménages à faibles revenus, dont
la part dans le revenu disponible de l’ensemble des ménages s’accroît du fait de ces transferts, et elle baisse en cas de
réduction des impôts bénéficiant aux ménages à hauts revenus (cf. infra), ce qui explique la différence d’impact sur le
niveau d’activité de chacune des deux mesures.

264 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 3 : le multiplicateur du budget équilibré

Le multiplicateur du budget équilibré opère lorsque l’État procède à une augmentation


identique et simultanée des achats publics et des impôts, ce qui permet a priori de pré-
server l’équilibre budgétaire. Plus généralement, c’est le multiplicateur qui opère lorsque
l’État procède à une variation identique, simultanée et de même sens des achats publics
et des impôts. Cette augmentation suscite une variation du produit global dont on déter-
mine la valeur en additionnant l’effet sur le produit global de l’augmentation des achats
publics, d’une part, et de celle des impôts, d’autre part.
1 -c
Soit ∆Y = --------------- ∆G + (--------------) ∆T
1–c+c.t 1–c+c.t
Comme l’augmentation des achats publics est égale en valeur absolue à celle des impôts,
c’est-à-dire que ∆G = ∆T, il vient :
1 -c
∆Y = ---------------- ∆G + (-----------------) ∆G.
1–c+c.t 1–c+c.t
c 1-c
∆Y = ∆G (-------------- – ----------------) = --------------- ∆G
1–c+c.t 1–c+c.t 1–c+c.t
avec (1 – c) / (1 – c + c . t) le multiplicateur du budget équilibré.
Celui-ci est positif mais inférieur à 1. Cela signifie que la croissance simultanée et identique
des achats publics et des impôts permet d’influer positivement sur le niveau de l’activité
tout en préservant l’équilibre budgétaire. Ce résultat est connu sous le nom de théorème
d’Haavelmo, du nom de l’économiste qui l’a formulé. Inversement, une réduction simulta-
née et d’un même montant des dépenses de consommation et d’investissements publics,
et des impôts qui permet de préserver l’équilibre budgétaire se traduit par une baisse du
niveau d’activité d’un montant déterminé par le multiplicateur du budget équilibré.
Mais, toutes choses égales par ailleurs, le multiplicateur du budget équilibré est, en valeur
absolue, inférieur aux autres multiplicateurs budgétaires, ce qui signifie que l’efficacité en
termes d’augmentation du revenu global d’une politique respectueuse de l’équilibre bud-
gétaire est a priori plus limitée que celle d’une politique qui admet le déficit budgétaire.
Par contre, en cas d’augmentation égale et simultanée des impôts et des transferts, le re-
venu global n’augmente pas. La variation du revenu global induite par une augmentation
égale et simultanée des transferts et des impôts est en effet :
c -c
∆Y = -------------- ∆TR + (-----------------) ∆T.
1–c+c.t 1–c+c.t
Soit encore, puisque l’augmentation des transferts est égale à celle des impôts (∆TR = ∆T) :
c -c
∆Y = -------------- ∆TR + (---------------) ∆TR
1-c+c.t 1-c+c.t

La politique budgétaire 265


c-c 0
∆Y = ---------------- ∆TR = ------------------ ∆TR = 0
1-c+c.t 1–c+c.t
Concrètement, l’accroissement des transferts se traduit par une augmentation du revenu dis-
ponible qui est immédiatement annulée par la hausse des impôts. Soit : ∆Yd = ∆TR – ∆T = 0.
Il ne peut donc pas se produire d’augmentation de la consommation globale des ménages
et donc de la production.
Ceci ne vaut cependant, au niveau macroéconomique, que si la hausse des impôts et celle
des transferts affectent de manière proportionnelle l’ensemble des agents économiques
privés. Ce n’est plus vrai si la hausse des impôts et celle des transferts concernent des
groupes d’agents différents ayant des comportements de consommation distincts. L’im-
pact sur le niveau d’activité d’une politique de redistribution qui aboutit à augmenter les
transferts au bénéfice des ménages à faibles revenus et à forte propension à consommer
ne sera pas le même que celui d’une politique de baisse des impôts bénéficiant principa-
lement aux revenus les plus élevés. A priori, une politique de redistribution qui aboutit à
augmenter les impôts des ménages à hauts revenus (propension marginale à consommer
relativement faible) et à accroître les transferts au bénéfice des ménages à bas revenus
(propension marginale à consommer relativement élevée) aura pour effet de stimuler la
consommation globale des ménages et donc de favoriser l’élévation du niveau de l’acti-
vité. Une telle politique aboutit en effet, en pratique, à élever la valeur de la propension
marginale à consommer globale (la propension marginale à consommer de l’ensemble des
ménages) qui entre dans la fonction de consommation globale C = Co + c . Yd.
En supposant, pour simplifier, que l’ensemble des ménages se répartit en deux catégories
seulement en fonction des revenus qu’ils perçoivent respectivement, les riches dont les re-
venus sont élevés et les pauvres dont les revenus sont faibles, la fonction de consommation
globale peut être considérée comme le résultat de l’agrégation des fonctions de consom-
mation respective de chacun de ces deux groupes de ménages.
Soient :
Cr = Cor + cr . Ydr, la fonction de consommation des ménages riches
Cp = Cop + cp . Ydp, la fonction de consommation des ménages pauvres
Le revenu disponible de l’ensemble des ménages (Yd) est la somme du revenu disponible
de chacune des deux catégories, Ydp et Ydr, soit :
Yd = Ydr + Ydp
La propension marginale à consommer globale de l’ensemble des ménages est égale à la
moyenne des propensions marginales à consommer respectives des deux groupes d’agents
économiques pondérée par la part de leur revenu disponible respectif dans le revenu dis-
ponible de l’ensemble des ménages.
Ydr Ydp
Soit : c = cr . ------ + cp . ----------
Yd Yd
Si le partage du revenu disponible entre les riches et les pauvres se modifie du fait de la
politique de redistribution mise en œuvre par l’État (augmentation des transferts bénéfi-

266 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


ciant aux ménages pauvres et augmentation des impôts prélevés sur les ménages riches),
le rapport Ydp / Yd augmente tandis que Ydr / Yd baisse. De ce fait, avec cr < cp, la propen-
sion marginale à consommer globale de l’ensemble des ménages (c) augmente. De sorte
que l’on passe de t1 à t2 d’une fonction de consommation C = Co + c1. Yd à une fonction
de consommation C = Co + c2. Yd avec c2 > c1. En conséquence, toutes choses égales par
ailleurs, la consommation globale s’accroît.

Section 2 : Portée et limites de la politique budgétaire

L’État paraît donc disposer, avec son budget, d’un moyen d’action sur l’évolution de la
conjoncture économique efficace. Il faut cependant se garder de surestimer l’efficacité
potentielle de la politique budgétaire. D’une part, le succès de la politique budgétaire
requiert que certaines conditions soient vérifiées (§ 1). D’autre part, si les variations des
grandeurs budgétaires sont effectivement susceptibles d’influer sur l’évolution de l’activité
économique globale dans le sens souhaité, l’élévation du taux d’ouverture des économies
nationales, caractéristique du processus contemporain de mondialisation, joue dans le sens
de l’affaiblissement des multiplicateurs et, par conséquent, de l’efficacité potentielle de
la politique budgétaire (§ 2). Enfin, du fait même de son impact positif sur le niveau de
l’activité, une politique budgétaire expansive est à l’origine de processus dérivés qui en
affaiblissent la portée. Une politique budgétaire expansive est en particulier un facteur
de hausse des taux d’intérêt, ce qui se traduit par le jeu du « frein financier » et, dans
certaines conditions, par un « effet d’éviction » susceptible de limiter, voire d’annuler,
l’impact positif sur l’évolution du niveau de la production et de l’emploi de cette politique
budgétaire expansive (§ 3). Le modèle de Mundell et Flemming montre par ailleurs que
l’efficacité de la politique budgétaire est conditionnée par le degré de mobilité des capi-
taux à l’échelle internationale et le régime de changes qui prévaut (§ 4).

paragraphe 1 : les conditions d’efficacité d’une politique


budgétaire expansive
L’analyse des multiplicateurs budgétaires conduit donc à conclure que l’État est potentiel-
lement capable d’influer positivement sur le niveau de l’activité et, partant, sur celui de
l’emploi grâce à une manipulation adéquate des grandeurs budgétaires. Elle montre éga-
lement qu’il n’est pas absolument indispensable pour cela que le budget soit mis en déficit,
le théorème d’Haavelmo établissant qu’une certaine relance budgétaire est possible tout
en préservant l’équilibre budgétaire.
L’efficacité de la politique budgétaire comme moyen d’influer sur le niveau de l’activité, et
par ce biais sur celui de l’emploi, est néanmoins soumise à certaines conditions qui doivent
être vérifiées pour que les multiplicateurs budgétaires puissent opérer.
1) Les entreprises ne doivent pas disposer préalablement de stocks excédentaires de pro-
duits finis. En effet, si les entreprises ont à supporter la charge de tels stocks et que la
demande globale augmente par suite d’une politique budgétaire expansive, elles com-

La politique budgétaire 267


menceront tout naturellement par écouler ces stocks et n’accroîtront donc pas immédia-
tement la production. Dans ce cas, la stimulation de la demande globale par les mesures
budgétaires ne sera efficace que si elle est suffisamment forte et durable pour permettre
l’écoulement des stocks excédentaires et justifier ensuite l’augmentation de la production,
celle-ci suscitant alors la hausse du revenu global et de la consommation globale des mé-
nages, ce qui déclenche le jeu du multiplicateur.
2) Par contre, les entreprises doivent disposer de réserves de capacités de production inu-
tilisées et être en mesure d’embaucher en nombre suffisant les travailleurs qualifiés dont
elles peuvent avoir besoin pour accroître la production. L’offre globale des entreprises doit
donc être « élastique ». Si ce n’est pas le cas, autrement dit si cette offre est « rigide », la re-
lance budgétaire se traduira en réalité par une hausse des prix et non par l’augmentation
de la production en volume souhaitée. Une hausse des prix est d’ailleurs susceptible de se
produire en cas de relance budgétaire, même s’il existe des réserves de facteurs de pro-
duction disponibles dans l’économie considérée, en raison de l’apparition dans certaines
branches d’activité de « goulots d’étranglement » : manque de main-d’œuvre spécialisée,
délais importants nécessaires à la création de nouvelles capacités de production… Dans les
branches d’activité où apparaissent ainsi des goulots d’étranglement, la pression qu’exerce
l’augmentation de la demande peut susciter une hausse des prix se répercutant ensuite
dans d’autres branches par le biais des relations interindustrielles.
3) Pour que les multiplicateurs budgétaires opèrent selon les modalités évoquées pré-
cédemment, il faut en outre que l’hypothèse keynésienne d’une liaison fonctionnelle
stable entre le revenu courant et la consommation globale des ménages, ce que traduit la
constance de la propension marginale à consommer, soit réellement vérifiée6. Cette hypo-
thèse est précisément rejetée par les théoriciens néoclassiques qui, par ce biais, contestent
l’efficacité et donc l’utilité du recours à une politique budgétaire discrétionnaire.
• C’est le cas de M . Friedman et des monétaristes qui opposent à l’analyse keynésienne la
théorie du revenu permanent (cf. tome 1, chapitre V). Rappelons que, selon cette théorie,
le revenu permanent est le revenu moyen que l’individu s’attend à percevoir sur toute sa
durée de vie, compte tenu du patrimoine dont il dispose, ce patrimoine incluant sa capa-
cité de travail. Le revenu permanent se distingue du revenu courant qui est la somme du
revenu permanent et du revenu transitoire, ce dernier étant la fraction du revenu courant
qui est perçue par les individus par suite de circonstances qu’ils ne peuvent raisonnable-
ment prévoir (gain à la loterie par exemple). Selon Friedman, la consommation globale
des ménages entretiendrait une relation stable non pas avec le revenu courant, somme
du revenu permanent et du revenu transitoire, comme le supposent les keynésiens, mais
avec le seul revenu permanent. De ce fait, en cas de hausse du revenu courant suscitée
par une politique budgétaire de relance associée à un déficit budgétaire, les ménages
n’accroîtront leur consommation que s’ils assimilent cette hausse du revenu courant à une
augmentation du revenu permanent, autrement dit s’ils commettent en fait une erreur
d’appréciation. Cela est envisageable, ce qui explique que la politique budgétaire puisse
6 On comprend en effet aisément que, si à la suite de la mise en œuvre par l’État d’une politique budgétaire expansive des-
tinée à stimuler la croissance, la propension marginale à consommer globale des ménages diminue, l’effet multiplicateur
de la mesure budgétaire adoptée par l’État s’en trouvera limité, voire à la limite annulé, puisque l’intensité du processus
de multiplication dépend directement de la valeur de la propension marginale à consommer. Dans l’hypothèse où la
propension marginale à consommer s’annulerait, c’est-à-dire que le supplément de revenu global induit par la mesure
budgétaire de l’État serait épargné par les ménages, l’effet multiplicateur disparaîtrait totalement.

268 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


avoir momentanement une certaine efficacité. Mais, à supposer que ce soit le cas, les mé-
nages finiront néanmoins par comprendre que l’augmentation de leur revenu courant
n’est que transitoire, liée à la relance budgétaire, et que leur revenu permanent, lui, n’a
pas été modifié. Ils devraient en effet comprendre que le déficit budgétaire résultant de la
politique de relance qui a suscité l’augmentation de leur revenu courant nécessitera une
hausse ultérieure des impôts (réduisant leur revenu courant) afin de permettre à l’État
de rembourser sa dette, ce qui signifie que leur revenu permanent n’est en réalité pas
modifié bien que, momentanément, leur revenu courant ait augmenté. Dès lors, le supplé-
ment de revenu perçu momentanément par les agents économiques privés devra norma-
lement être épargné afin de leur permettre de faire face à la hausse ultérieure prévisible
des impôts. Pour M. Friedman, cela signifie que la propension marginale à consommer est
instable à court terme et non pas stable comme le suppose la théorie keynésienne des mul-
tiplicateurs. Si le revenu courant s’élève par suite d’une politique budgétaire expansive,
mais que les ménages interprètent cette hausse du revenu courant comme transitoire, ils
ne modifient pas leur consommation, la propension marginale à consommer baisse donc
à court terme (la consommation reste stable alors que le revenu courant a augmenté),
tandis qu’en contrepartie la propension marginale à épargner augmente ; les ménages
épargnent le surcroît de revenu perçu.
En résumé, pour les monétaristes, la politique budgétaire n’est donc susceptible de sti-
muler l’activité économique qu’à court terme, à la condition que les agents économiques
privés confondent momentanément hausse du revenu courant et hausse du revenu perma-
nent, et le temps où cette confusion opère.
• C’est également le cas de la Nouvelle Économie Classique et de la théorie des anticipa-
tions rationnelles (R. Lucas, R. Barro…). Selon la théorie des anticipations rationnelles,
les agents économiques privés sont supposés savoir comment fonctionne l’économie ; ils
connaissent le bon modèle, c’est-à-dire le modèle néoclassique, de représentation du fonc-
tionnement d’ensemble de l’économie. Partant, ils sont supposés être correctement infor-
més des conséquences à attendre d’une politique budgétaire expansive. Ils savent donc
d’emblée, sans retard, qu’en cas de politique budgétaire de relance avec déficit budgé-
taire, la hausse momentanée de leur revenu courant résultant de cette politique sera sui-
vie ultérieurement d’un alourdissement du prélèvement fiscal sur leurs revenus nécessaire
pour rembourser la dette que l’État a contractée pour financer sa relance budgétaire. En
conséquence, ils épargnent immédiatement l’intégralité du supplément de revenu perçu
par suite de la politique budgétaire expansive pour faire face à leurs charges fiscales ac-
crues futures. Ils sont au demeurant d’autant plus enclins à le faire que la politique bud-
gétaire suscite une hausse des taux d’intérêt (cf. infra) et améliore en conséquence le ren-
dement de leur épargne placée, ce qui la rend plus attractive. La consommation globale
des ménages n’augmente donc à aucun moment à la suite d’une politique budgétaire
expansive, de sorte que cette dernière ne peut être efficace, même à très court terme.
Cette analyse débouche sur le « théorème d’équivalence » de Ricardo, repris par Ro-
bert J. Barro (1974). À la base du théorème, il y a la question de savoir si, en cas d’aug-
mentation des dépenses publiques décidée par l’État, il est préférable que celle-ci soit
financée par une hausse des impôts ou par un endettement de l’État, compte tenu de
l’impact sur l’économie de chacune de ces deux solutions. La réponse apportée à cette

La politique budgétaire 269


question par le théorème est que le choix entre ces deux modalités serait indifférent. En
effet, dans les deux cas, selon le théorème, le surcroît de dépenses de l’État est compensé
par une réduction des dépenses des agents économiques privés, de sorte que la demande
globale n’augmente finalement pas et que la production globale n’est pas stimulée. C’est
évident dans le cas où l’augmentation des dépenses publiques est financée par une hausse
des impôts prélevés sur les agents économiques privés dont le revenu disponible, et avec
lui la consommation, diminue du fait de cette hausse des impôts. Mais c’est également
vrai si le financement de l’augmentation des dépenses publiques s’effectue par l’endette-
ment de l’État. Dans ce second cas, en effet, les ménages qui anticipent que l’endettement
public donnera lieu dans l’avenir à une hausse des impôts nécessaire pour permettre à
l’État de rembourser ses emprunts, en concluent qu’ils doivent accroître immédiatement
leur épargne afin de pouvoir faire face, le moment venu, à cette hausse des impôts. Leur
consommation n’augmente par conséquent pas et l’accroissement des dépenses publiques
n’a finalement aucun effet sur la demande globale et, partant, sur le niveau d’activité. Le
multiplicateur n’opère pas, contrairement à ce qu’explique l’analyse keynésienne.
Le débat théorique auquel a donné lieu jusqu’à présent le théorème d’équivalence a ce-
pendant permis de montrer que celui-ci prête pour le moins à discussion. Ce théorème
repose en fait sur des hypothèses très fortes et peu vraisemblables, et en particulier : 1)
celle d’un horizon d’anticipation infini des agents économiques qui seraient capables d’an-
ticiper le comportement fiscal futur de l’État à très longue échéance, et 2) celle d’un com-
portement fondé sur un altruisme intergénérationnel, ces mêmes agents refusant de faire
supporter aux générations futures le poids de la gestion « laxiste » présente des finances
publiques, ce qui les conduit à épargner de manière à pouvoir léguer à leurs descendants
de quoi faire face à l’augmentation ultérieur des impôts. De surcroît, ce théorème n’est
pas vérifié empiriquement. La plupart des tentatives de vérification empirique qui ont été
effectuées, conduisent à des résultats plutôt négatifs, les tests économétriques qui ont été
effectués n’établissant pas réellement le bien fondé du principe d’équivalence (Samson
et alii, 2004, p. 428). En réalité, en cas de politique budgétaire expansive, l’augmentation
de l’épargne privée ne compense généralement pas celle du déficit public, ce qui préserve
l’efficacité potentielle d’une telle politique. Nombre d’études ont ainsi montré qu’il y a
une réelle sensibilité des dépenses de consommation des ménages aux variations de leur
revenu courant et qu’une augmentation de ce dernier résultant d’une relance budgétaire
est généralement suivie d’un accroissement des dépenses.

*
Pour conclure, il faut par ailleurs préciser que, dans la mesure où la relance budgétaire se
traduit bien par une augmentation de la production et du revenu réels, cela n’implique
pas nécessairement pour autant une réduction proportionnelle du chômage. D’une part,
l’intensité de la création de nouveaux emplois dépend du « contenu en emplois » de la
croissance du PIB que suscite la relance budgétaire, lequel est susceptible de varier dans le
temps7. D’autre part, la création d’emplois permise par la relance budgétaire peut susciter
en parallèle l’entrée sur le marché du travail de nouveaux offreurs de travail : chômeurs de

7 Le contenu en emplois de la croissance tend à diminuer lorsque le rythme de croissance de la productivité du travail s’accé-
lère. Si en to le rythme de croissance du PIB est de 4 % et celui de la productivité du travail de 2 % seulement, la croissance
du PIB implique a priori la création d’emplois. Si en tn le taux de croissance de la productivité du travail est passé à 4 %,
le même taux de croissance du PIB de 4 % n’induit plus a priori la création d’emplois supplémentaires.

270 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


longue durée découragés qui s’étaient retirés du marché mais qui reprennent confiance,
femmes au foyer qui décident d’entrer sur le marché du travail, etc., de sorte que le nombre
de chômeurs peut ne pas diminuer alors même que l’emploi total augmente. C’est le phé-
nomène de « flexion du taux d’activité » ; il faudra de ce fait, par exemple, que soient créés
15 emplois nouveaux pour réduire de 10 le nombre de chômeurs.

paragraphe 2 : l’internationalisation croissante des économies


dans un contexte de mondialisation et les limites
à l’efficacité de la politique budgétaire

On a vu que l’internationalisation croissante des économies des pays capitalistes dévelop-


pés est un phénomène déjà ancien qui s’est fortement amplifié au cours des deux der-
nières décennies dominées par l’affirmation du processus de mondialisation. On a vu éga-
lement qu’elle se traduit par l’intensification des échanges commerciaux internationaux et
par l’augmentation du taux d’ouverture des différentes économies nationales. Ce faisant,
elle influe sur la politique budgétaire dont elle aboutit à limiter l’efficacité potentielle en
réduisant la valeur des multiplicateurs budgétaires. En règle générale, le processus d’inter-
nationalisation aboutit en effet à accroître la propension marginale à importer du pays, en
liaison avec l’élévation du taux d’ouverture de l’économie nationale. Or, dans une écono-
mie ouverte qui effectue des échanges commerciaux avec le reste du monde, la valeur des
multiplicateurs est en partie déterminée par celle de la propension marginale à importer
du pays considéré, de sorte que la hausse de cette dernière est un facteur de baisse de la
valeur des multiplicateurs.
En économie ouverte, l’équation de l’équilibre macroéconomique devient :
Y = C + I + G + X – M, expression dans laquelle X et M désignent respectivement les ex-
portations et les importations du pays et (X – M) la demande étrangère nette de produits
nationaux.
Il est possible de donner une formulation développée de cette équation d’équilibre en
faisant certaines hypothèses à propos des différentes composantes de la demande globale
(le coté droit de l’équation). On reprend les mêmes hypothèses que précédemment pour
C, I et G, soit :
• C = Co + c . Y – c . To – c . t . Y + c . TRo (cf supra) ;
• I = Io ;
• G = Go ;
On suppose en outre que :
• X = Xo, c’est-à-dire que les exportations du pays sont une grandeur autonome qui ne
dépend que du niveau d’activité des pays étrangers. Celui-ci conditionne les achats qu’ils
effectuent dans le pays considéré et donc les exportations de ce dernier ;
• M = Mo + m . Y, expression dans laquelle Mo désigne les importations « autonomes »,
c’est-à-dire les importations du pays qui ne dépendent pas de son propre niveau d’ac-
tivité représenté par le produit global Y, et m . Y les importations du pays qui sont au

La politique budgétaire 271


contraire directement conditionnées par son niveau d’activité. Dans cette expression m
représente la propension marginale à importer, définie comme le rapport de la variation
des importations globales du pays sur celle de son produit global, soit m = ∆M/∆Y. Elle in-
dique de combien varient les importations globales de ce pays lorsque son produit global
varie d’un montant donné ; si, par exemple, m = 0,3 cela signifie que lorsque le produit
global augmente de 100 les importations augmentent de 30. Elle est supposée constante
en courte période, positive et inférieure à 1 : 0 < m < 1.
Compte tenu de ces hypothèses concernant les différentes composantes de la demande
globale, l’équation de l’équilibre macroéconomique devient :
Y = Co + c . Y – c . To + c . TRo – c . t . Y + Io + Go + Xo – Mo – m . Y
Y - c . Y + c . t . Y + m . Y = Co – c . To + c . TRo + Io + Go + Xo – Mo
Y (1 - c + c . t + m) = Co – c . To + c . TRo + Io + Go + Xo – Mo
1
Y = ----------------------- (Co – c . To + c . TRo + Io + Go + Xo – Mo)
1-c+c.t+m
Le produit global d’équilibre dépend donc du montant respectif des exportations et des
importations autonomes (Xo et Mo). Une variation de ces grandeurs, comme celle de la
consommation autonome (Co), de l’investissement autonome (Io), des impôts autonomes
(To), des transferts (TRo) ou des dépenses publiques en achats de biens et services (Go) se
traduira donc par une variation du niveau du produit global d’équilibre.
Dans ces conditions, les multiplicateurs budgétaires deviennent respectivement :
∆Y 1
------- = ----------------------- pour le multiplicateur des achats publics ;
∆Go 1-c+c.t+m
∆Y -c
------- = ----------------------- pour le multiplicateur fiscal ;
∆To 1-c+c.t+m
∆Y c
------- = ----------------------- pour le multiplicateur des transferts8.
∆TRo 1 - c + c . t + m
Il ressort de l’expression algébrique de chacun des multiplicateurs budgétaires que leur va-
leur algébrique respective est plus faible en économie ouverte que ce n’est le cas en écono-
mie fermée, du fait de la présence au dénominateur de chacun de ces multiplicateurs de la
propension marginale à importer du pays (m), positive. Cette réduction de la valeur algé-
brique des multiplicateurs traduit l’impact sur ces derniers de la « fuite en importations »
qui limite l’accroissement de la consommation de produits nationaux par les ménages sur

8 Il faut en outre souligner que l’équation de l’équilibre macroéconomique ainsi reformulée permet également de déter-
miner la valeur algébrique des multiplicateurs liés au commerce international : le multiplicateur des exportations et le
multiplicateur des importations (cf. tome 1, chapitre X). Soit :
∆Y 1
------- = ----------------------- pour le multiplicateur des exportations,
∆Xo 1-c+c.t+m
∆Y -1
------- = ----------------------- pour le multiplicateur des importations.
∆Mo 1-c+c.t+m

272 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


laquelle repose le jeu des différents multiplicateurs. En économie ouverte, une partie de
l’accroissement du revenu disponible des ménages suscité par une politique budgétaire ex-
pansive (augmentation des achats publics, augmentation des transferts publics, baisse des
impôts) sert en effet à acquérir des produits importés de l’étranger, ce qui limite d’autant
l’accroissement de la consommation de produits nationaux qui est seule à la base du jeu
des multiplicateurs. Et, plus la propension marginale à importer est élevée, plus la fuite en
importations est importante, et moins les multiplicateurs sont puissants. Concrètement,
les mesures statistiques des multiplicateurs nationaux qui ont pu être effectuées montrent
que leur valeur est voisine de 1 ou même inférieure à 1 en économie ouverte (Samson et
alii, 2004, p. 488), ce qui implique en soi une perte significative d’efficacité potentielle
de la politique budgétaire en tant qu’instrument de régulation de la conjoncture écono-
mique dans le contexte de mondialisation.
Cela étant, l’internationalisation croissante des économies nationales, caractéristique de
la mondialisation contemporaine, contraint la politique budgétaire, non seulement parce
qu’elle en réduit l’efficacité potentielle en abaissant la valeur des multiplicateurs bud-
gétaires, mais également parce qu’elle peut favoriser l’apparition d’un déséquilibre des
échanges extérieurs qui est l’un des effets dérivés possibles de la mise en œuvre d’une
politique budgétaire expansive. Dans le cas d’une économie ouverte comme celle de la
France, pour laquelle les importations de biens et services représentent une proportion
relativement stable à court terme du PIB, toute stimulation de la croissance économique
se traduit en effet quasi mécaniquement par une hausse des importations sans qu’il ne se
produise a priori d’augmentation parallèle des exportations dont les déterminants sont
différents de ceux des importations9. Une politique budgétaire expansive est donc suscep-
tible, du fait de son impact sur les importations, de se traduire par un déficit de la balance
des transactions courantes, avec les effets négatifs pour la valeur de la monnaie nationale
qui peuvent en résulter (cf. infra).
Il est vrai cependant que le déficit de la balance des transactions courantes n’implique
pas nécessairement un déficit de la balance globale, celui-ci étant obtenu par addition du
solde des transactions courantes, des transferts en capital et des mouvements de capitaux
hors ceux imputables au secteur bancaire et au secteur officiel (cf. tome 1, chapitre X). La
hausse des taux d’intérêt que suscite une politique budgétaire (cf. infra) est en effet sus-
ceptible, sous certaines conditions, d’entraîner un afflux de capitaux étrangers dans le pays
et d’induire en conséquence un solde excédentaire des mouvements de capitaux pouvant
compenser en tout ou partie, voire surcompenser, le déficit de la balance des transactions
courantes10.
9 L’ampleur de cette hausse des importations dépend de l’élasticité des importations par rapport au PIB. Celle-ci se définit
comme le rapport du taux de variation des importations sur celui du PIB, soit : EM/PIB = (dM / M) / (dPIB / PIB) = (dM / dPI
B) . (PIB / M), ce qui signifie que l’élasticité des importations est égale au produit de la propension marginale à importer
par l’inverse de la propension moyenne à importer. Une élasticité inférieure à 1 signifie qu’une augmentation du PIB
d’un pourcentage donné se traduit par un accroissement moins que proportionnel des importations : par exemple, les
importations augmentent de 3 % pour une hausse du PIB de 5 %. Cette élasticité tend à s’élever avec l’ouverture inter-
nationale et la spécialisation accrue de l’économie nationale qui vont de pair avec la construction de l’Union européenne
et le processus de mondialisation.
10 Ce résultat n’est cependant pas assuré et requiert que certaines conditions soient vérifiées. En effet, il ne suffit pas que les
taux d’intérêt s’élèvent dans un pays pour que les capitaux y affluent, dans la mesure où le taux d’intérêt nominal n’est
que l’un des déterminants du rendement d’un placement financier. Pour déterminer ce rendement, il faut également
tenir compte des répercussions sur le montant du placement d’une éventuelle variation du taux de change. Une politique
budgétaire expansive, en favorisant éventuellement l’inflation et en suscitant un déficit de la balance des transactions

La politique budgétaire 273


paragraphe 3 : les effets dérivés d’une politique budgétaire
de relance : la hausse des taux d’intérêt et ses
conséquences
En supposant réunies les conditions requises pour que les multiplicateurs puissent opérer,
une politique budgétaire expansive ne peut être efficace que si l’augmentation autonome
de l’une des composantes de la demande globale suscitée par cette politique n’est pas
compensée par la réduction d’une autre composante de cette demande globale. En ef-
fet, si une telle compensation avait lieu, la demande globale demeurerait inchangée par
rapport à la situation prévalant avant que l’État ne mette en œuvre sa politique, et il n’y
aurait par conséquent aucune raison pour que les entreprises accroissent leur production.
Or une politique budgétaire expansive est un facteur de hausse des taux d’intérêt suscep-
tible d’aboutir à la réduction d’une ou plusieurs composantes de la demande globale. Ce
qui suscite une double interrogation : comment s’explique cette hausse des taux d’intérêt
(A) et pourquoi et comment celle-ci doit-elle se traduire par une baisse de certaines com-
posantes de la demande globale (B) ?

A – Les interprétations keynésienne et néoclassique de la hausse des taux d’intérêt


Considérons le cas standard d’une politique budgétaire de relance prenant la forme d’un
accroissement des achats publics (de la consommation et/ou de l’investissement publics),
avec mise en déficit du budget et financement de ce déficit par emprunt auprès des agents
non financiers. Les auteurs du courant néoclassique et ceux du courant keynésien s’accor-
dent pour reconnaître qu’une telle politique doit susciter une hausse du taux d’intérêt,
bien que l’explication qu’ils en donnent respectivement soit différente.
On sait que, selon les néoclassiques, le fonctionnement d’ensemble de l’économie de mar-
ché capitaliste peut-être représenté par celui de quatre grands marchés concurentiels : les
marchés des biens, du travail, des capitaux et de la monnaie. Sur le marché des capitaux
se confrontent l’offre et la demande globales de capitaux. L’offre globale de capitaux est
égale à l’épargne globale (des ménages), et la demande globale de capitaux est la somme
de la demande de capitaux des entreprises qui empruntent pour investir et de l’État qui
emprunte pour financer un éventuel déficit de son budget. Ce marché est supposé être
concurrentiel et s’équilibrer de lui-même par suite de la flexibilité, à la hausse comme à la
baisse, du taux d’intérêt réel qui se détermine sur ce marché comme résultat de la confron-
tation de l’offre et de la demande globales de capitaux.
Ce taux d’intérêt qui rémunère les capitaux prêtés est défini par les néoclassiques comme
le prix du renoncement à une consommation présente au profit d’une consommation fu-
ture ou encore, selon la formule d’Alfred Marshall, comme le « prix de l’attente », c’est-
à-dire comme le prix qu’il faut payer aux individus pour que ceux-ci renoncent à consom-
mer immédiatement l’intégralité de leur revenu et mettent l’épargne ainsi constituée à la
disposition des emprunteurs sur le marché des capitaux. Le taux d’intérêt d’équilibre est
celui pour lequel se réalise l’égalité de l’offre et de la demande globales de capitaux sur le
courantes, pourrait conduire les détenteurs de capitaux à former des anticipations pessimistes sur l’évolution ultérieure
de la valeur de la monnaie du pays et les dissuader par conséquent d’y effectuer des placements malgré la hausse des
taux d’intérêt.

274 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


marché. Partant d’une situation initiale d’équilibre du marché des capitaux, si l’État décide
d’accroître la consommation et/ou l’investissement publics en empruntant pour financer
ce surcroît de dépenses, il déséquilibre le marché. La demande globale de capitaux sur le
marché augmente et devient supérieure à l’offre (graphique 5.1). Mais, sous l’effet de la
concurrence entre les demandeurs de capitaux présents sur le marché, celui-ci se rééquili-
brera spontanément par le biais d’une hausse du taux d’intérêt réel d’équilibre. L’augmen-
tation de la demande de capitaux sur le marché due à l’État se traduit formellement par
un déplacement de la courbe de demande globale des capitaux vers la droite. La courbe de
demande globale des capitaux se déplace de D1 en D2 sur le graphique 5.1. À l’ancien taux
d’intérêt d’équilibre, la demande globale des capitaux est désormais supérieure à l’offre
(segment E1A). Les demandeurs de capitaux dans leur globalité se trouvent de ce fait ra-
tionnés. Certains, disposés à payer un taux d’intérêt plus élevé que l’ancien taux d’intérêt
d’équilibre pour pouvoir se procurer les capitaux dont ils ont besoin, vont proposer aux
prêteurs de fonds un taux d’intérêt plus élevé que cet ancien taux d’intérêt d’équilibre,
contraignant les autres demandeurs de capitaux à en faire de même pour pouvoir se fi-
nancer sur le marché. Le taux d’intérêt effectif va ainsi s’élever jusqu’à ce qu’il atteigne
sa nouvelle valeur d’équilibre i 2 pour laquelle il y a, à nouveau, égalité de l’offre et de la
demande globales de capitaux.
GrAPhIqUE 5.1
La réalisation de l’équilibre sur le marché des capitaux en cas d’augmentation
de la demande de capitaux par l’État

Une politique budgétaire de relance financée par endettement est donc bien un facteur
de hausse du taux d’intérêt. Simultanément, ajoutent les néoclassiques, l’État prive de
financements les agents économiques privés avec lesquels il entre en concurrence pour
l’obtention des capitaux disponibles ; c’est l’effet d’éviction.
Selon les keynésiens, en augmentant les dépenses publiques, l’État stimule l’activité selon
les modalités déjà examinées qui font intervenir le jeu des multiplicateurs. Il doit en ré-
sulter une augmentation de la demande globale de monnaie qui, à politique monétaire
et donc à offre globale de monnaie données, se traduit par une hausse du taux d’intérêt.

La politique budgétaire 275


Celui-ci est défini par Keynes comme « le prix du renoncement à la liquidité », c’est-à-
dire le prix qu’il faut payer à un agent économique privé ayant épargné une fraction de
son revenu pour qu’il ne conserve pas cette épargne sous forme liquide, c’est-à-dire sous
forme d’encaisses de monnaie, mais l’immobilise pendant un certain temps en effectuant
un placement financier sur le marché des capitaux. Le taux d’intérêt ainsi défini résulte de
la confrontation de l’offre et de la demande globales de monnaie.
La demande globale de monnaie (L) est la somme de la demande de monnaie pour motifs
de transactions et de précaution (L1) et de la demande de monnaie pour motif de spécu-
lation (L2) (cf. supra, chapitre I).
La demande de monnaie pour motif de transactions et de précaution L1 correspond à une
encaisse de monnaie détenue par les agents économiques privés qui est destinée à être
finalement utilisée dans des transactions sur biens et services. Cette demande de monnaie
pour motifs de transactions et de précaution, autrement dit l’encaisse monétaire corres-
pondante de transactions et de précaution, est, selon Keynes, une fonction croissante du
revenu, ce qui se comprend de soi-même, soit : L1 = L1 (Y), avec L1’ (Y) > 0.
La demande de monnaie pour motif de spéculation L2 correspond à une encaisse de mon-
naie (encaisse de spéculation) détenue par les agents économiques privés dans l’attente de
placements à effectuer sur le marché financier. Elle correspond à une épargne réalisée par
les agents économiques qui la conservent sous forme liquide (la monnaie étant l’actif liquide
par excellence) en attendant le moment qu’ils estimeront opportun pour effectuer un pla-
cement sur le marché financier par l’achat de titres. Ce sont le taux d’intérêt auquel sont
rémunérés les titres et les anticipations que les agents économiques forment à propos de
son évolution future11 qui sont censés conditionner la décision de placement financier des
épargnants. Plus le taux d’intérêt courant est élevé et plus les épargnants anticipent sa baisse
ultérieure, plus les placements financiers sont attractifs et moins les encaisses monétaires
de spéculation sont importantes, et réciproquement12. La demande de monnaie pour motif
de spéculation est donc une fonction décroissante du taux d’intérêt, soit : L2 = L2 (i), avec
L’2 (i) < 0.
À court terme, les demandes de monnaie pour motif de transactions et de précaution, d’une
part, et de spéculation, d’autre part, sont supposées être une fonction linéaire respective-
ment du revenu global et du taux d’intérêt, soit : L = l1 . Y + Lo - l2 . i. Dans cette expression
Lo représente la composante autonome de la demande de monnaie, l1 qui est une constante
positive mesure la sensibilité avec laquelle la demande de monnaie L1 réagit aux variations
du revenu global, tandis que l2, qui est également une constante positive, mesure la sensibi-
lité avec laquelle la demande de monnaie L2 réagit aux variations du taux intérêt.
L’offre globale de monnaie est quant à elle déterminée par les choix de politique moné-
11 D’où le vocable de demande de monnaie pour motif de spéculation : l’épargnant qui fait un placement financier spé-
cule sur la manière dont évoluera ultérieurement le taux d’intérêt des placements, et donc la valeur en bourse de ses
titres, laquelle, pour les obligations à taux d’intérêt fixe, évolue en sens inverse du taux d’intérêt courant du marché ; si
celui-ci baisse, le cours en bourse des obligations anciennement émises sur le marché financier primaire augmente (cf.
tome 1, chapitre IX).
12 Si le taux d’intérêt courant est élevé, c’est en soi une raison d’effectuer un placement rémunéré à ce taux d’intérêt. De
surcroît, la probabilité que les taux d’intérêt baissent dans le futur est d’autant plus forte que le taux d’intérêt courant
est plus élevé. Or une baisse des taux d’intérêt est un facteur de hausse des cours des obligations à taux d’intérêt fixe
sur le marché boursier, ce qui permet aux possesseurs de ces titres de réaliser une plus-value en cas de revente avant le
terme normal du placement.

276 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


taire des pouvoirs publics. Pour un état donné de la politique monétaire l’offre globale de
monnaie est une constante : M, cette offre globale de monnaie, est égale à Mo.
L’augmentation du produit/revenu global suscitée par la politique budgétaire expansive
se traduit par un accroissement en volume des transactions sur biens et services, ce qui im-
plique une augmentation de la demande globale de monnaie pour motif de transactions,
autrement dit des encaisses monétaires de transactions correspondantes qui sont détenues
par les agents non financiers. À politique monétaire donnée, et donc à offre globale de
monnaie constante, cette augmentation des encaisses monétaires de transactions ne peut
être obtenue que par une réduction parallèle des encaisses de spéculation13, ce qui im-
plique une hausse du taux d’intérêt puisque, dans l’optique keynésienne, la demande de
monnaie pour motif de spéculation est une fonction décroissante du taux d’intérêt.
Le processus par lequel s’effectue cette reventilation des encaisses monétaires totales entre
encaisses de spéculation et encaisses de transactions peut être schématiquement décrit de
la façon suivante. L’augmentation du produit global induite par la politique budgétaire
expansive accroît la quantité de monnaie dont les entreprises ont besoin pour effectuer
leurs transactions habituelles (augmentation du fonds de roulement...). Pour une quantité
totale de monnaie donnée créée par les banques, les entreprises ne peuvent se procurer ce
surcroît de monnaie dont elles ont besoin qu’en empruntant auprès des agents non finan-
ciers qui détiennent des encaisses monétaires de spéculation. Il faut pour cela qu’elles aug-
mentent les taux d’intérêt, afin de décider les détenteurs de ces encaisses de spéculation à
les leur prêter. Les fonds qu’elles se procurent ainsi, au prix de la hausse des taux d’intérêt,
seront utilisés comme encaisses monétaires de transactions. Au niveau macroéconomique,
les encaisses monétaires de transactions détenues par l’ensemble des agents non financiers
auront augmenté au détriment des encaisses monétaires de spéculation.
En résumé, pour les néoclassiques comme pour les keynésiens, une politique budgétaire de
relance qui réussit à stimuler la croissance de la production doit donc bien se traduire par
une hausse des taux d’intérêt.

B – La hausse des taux d’intérêt, le jeu du frein financier et la baisse de la


demande globale
Mais cette hausse des taux d’intérêt influe négativement sur la demande globale car elle est
en soi un facteur de contraction de l’investissement des entreprises et des dépenses de biens
de consommation durables et d’investissement en logement des ménages. Elle opère donc
comme un frein limitant plus ou moins fortement la croissance de la production que l’État
cherche à susciter en mettant en œuvre une politique budgétaire expansive ; ce que traduit
l’expression de « frein financier ».
En ce qui concerne plus spécifiquement l’investissement des entreprises, la hausse des taux
d’intérêt le déprime, en éliminant les investissements dont le taux de rendement interne
(cf. tome 1, chapitre V) devient inférieur au taux d’intérêt en hausse et en incitant les en-
13 Si la quantité totale de monnaie que détiennent les agents non financiers (la demande globale de monnaie dans la termi-
nologie keynésienne), qui se partage en encaisses monétaires de transactions (correspondant à la demande de monnaie
pour motif de transactions et pour motif de précaution) et en encaisses monétaires de spéculation, est donnée, il va de
soi que le montant des encaisses monétaires de transactions ne peut augmenter que si celui des encaisses monétaires
de spéculation diminue d’autant.

La politique budgétaire 277


treprises à privilégier les placements financiers mieux rémunérés et éventuellement moins
risqués que l’investissement productif. Cette baisse de l’investissement productif influe dé-
favorablement sur l’évolution du produit/revenu global, le multiplicateur d’investissement
jouant alors négativement.
En ce qui concerne les dépenses des ménages, la hausse des taux d’intérêt est susceptible
de peser négativement sur les achats de biens de consommation durables effectués à cré-
dit ainsi que sur les investissements en logement. Auquel cas, cela se traduit par un effet
multiplicateur négatif, à l’image de ce qui se produit pour l’investissement productif des
entreprises. Outre que, en affectant défavorablement les débouchés des entreprises et
leurs perspectives de rentabilité, une telle évolution doit influer négativement sur leur
incitation à investir.
Cette hausse du taux d’intérêt opère à la façon d’un « frein financier » qui, en influant né-
gativement sur l’investissement productif des entreprises et sur la consommation et l’inves-
tissement des ménages, limite l’effet initial de stimulation de la demande globale, et par
ce biais de l’activité économique, de la politique budgétaire. Le jeu de ce frein financier
se traduit formellement par un affaiblissement de la valeur algébrique des multiplicateurs
budgétaires et donc par une réduction de l’efficacité potentielle d’une politique budgé-
taire de relance (cf. encart).
Pour les théoriciens néoclassiques, la contraction de l’investissement productif des entre-
prises et de la consommation de biens durables et de l’investissement en logement des
ménages, résultant du jeu de ce frein financier, est la manifestation concrète de ce qu’ils
dénomment « l’effet d’éviction » associé à la mise en œuvre d’une politique budgétaire ex-
pansive et en particulier quand celle-ci prend la forme d’une augmentation de la dépense
publique. Cette expression est utilisée pour traduire le fait que, si la politique budgétaire
de relance se traduit par une augmentation de la dépense publique, elle induit parallèle-
ment, du fait de la hausse des taux d’intérêt qu’elle suscite, une baisse de la dépense privée
(consommation et investissement privés), ce qui signifie qu’au bout du compte la dépense
publique se substitue totalement ou partiellement à la dépense privée, laquelle est donc
bien évincée par la dépense publique. Cette éviction de la dépense privée influe négative-
ment sur l’activité économique et peut donc contrecarrer plus ou moins puissamment l’ef-
fet de stimulation de l’activité suscité par la politique budgétaire de relance. Dans le cas où
l’effet d’éviction est total, la baisse de la demande privée due à la hausse des taux d’intérêt
est égale à l’augmentation de la demande publique qui correspond à la relance budgé-
taire. En conséquence, la demande globale ne varie finalement pas et, dans ces conditions,
la politique budgétaire échoue complètement à stimuler l’activité économique.
La thèse selon laquelle une politique budgétaire expansive serait à l’origine d’un effet
d’éviction fait cependant débat. Certains auteurs soulignent ainsi que, dans une économie
ouverte, la hausse des taux d’intérêt suscitée par ce type de politique est susceptible d’in-
duire des entrées de capitaux étrangers dans le pays (cf. infra). Si c’est le cas, l’accroisse-
ment de l’offre globale de capitaux dans le pays qui en résulte pourrait contrecarrer, voire
même annuler, l’augmentation des taux d’intérêt que susciterait a priori une politique
budgétaire expansive. Il n’y aurait alors pas de raison que l’efficacité potentielle de la poli-
tique budgétaire soit limitée par un éventuel effet d’éviction. De surcroît, la globalisation
financière et la formation d’un marché mondial des capitaux évoquée antérieurement ont

278 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


pour conséquence que les taux d’intérêt se fixent de plus en plus au niveau mondial. Cela
tend à limiter l’impact sur ces taux d’intérêt des emprunts que peuvent réaliser les admi-
nistrations publiques d’une puissance économique moyenne comme la France, de sorte
que l’effet d’éviction ne se manifesterait au mieux que de manière diffuse. Les tests écono-
métriques portant sur cet effet d’éviction n’ont d’ailleurs pas permis jusqu’à présent d’en
établir la réalité avec certitude14.

Le frein financier et les multiplicateurs budgétaires


On peut montrer que le jeu du frein financier se traduit par un affaiblissement des multiplicateurs budgé-
taires en redéfinissant la valeur algébrique que prennent ces derniers sous la double hypothèse que l’in-
vestissement privé est une fonction du taux d’intérêt (et non une variable autonome comme supposé
précédemment) et que, dans une optique keynésienne, le taux d’intérêt se détermine par confrontation
de l’offre globale (M) et de la demande globale (L) de monnaie.

À titre de simplification de l’exposé, l’analyse est conduite en considérant le cas d’une économie fermée.

Dans une telle économie fermée, l’équation de l’équilibre macroéconomique est : Y = C + I + G [1].

Il est supposé que :


• la fonction de consommation globale est C = Co + c . Yd, avec Yd = Y – T + TRo ;
• les impôts sont une fonction croissante du revenu global : T = To + t . Y ;
• les transferts sont autonomes, soit TR = TRo.

D’où il vient que : Yd = Y – To – t . Y + Tro

C = Co + c . Y – c . To – c . t . Y + c . Tro,

Il est supposé également que :

• la fonction d’investissement est I = Io – g . i, avec Io l’investissement autonome et g une constante


positive qui indique avec quelle intensité l’investissement global (I) réagit à une variation du taux d’intérêt
(i). L’investissement global est donc une fonction décroissante du taux d’intérêt ;

• G = Go, les achats publics (consommation et investissement publics) sont une grandeur autonome.

Sous ces hypothèses l’équation de l’équilibre macroéconomique [1] devient :

Y = Co + c . Y – c . To – c . t . Y + c . Tro + Io – g . i + Go [2].

Le taux d’intérêt est déterminé par confrontation de l’offre et de la demande globales de monnaie. Il est
supposé que l’offre globale de monnaie (M) est déterminée par la politique monétaire de sorte que, pour
un état donné de cette dernière, elle est d’un montant M = Mo connu. quant à la demande globale de
monnaie (L) elle est supposée être égale à : L = l1 . Y + Lo + l2 . i (cf. supra).

Soit : L = Mo l’équation d’équilibre de courte période du marché de la monnaie, ou encore :


l1 . Y + Lo - l2 . i = Mo [3].

De l’égalité [3] il vient : - l2 . i = - l1 . Y - Lo + Mo.

14 Les travaux de l’école de la croissance endogène concernant l’effet d’éviction aboutissent ainsi « à relativiser son impact
notamment lorsque les dépense couvertes par le déficit (infrastructures, recherche-développement, capital humain) sont
de nature à favoriser la productivité globale dans une économie » (d’Arvisenet, 2003, p. 2).

La politique budgétaire 279


Soit, en multipliant les deux membres de l’égalité par (-1) : l2 . i = l1 . Y + Lo – Mo.

Soit encore :
l1 Mo – Lo
i = ---- . Y - ---------------.
l2 l2

En remplaçant dans l’équation [2] le taux d’intérêt i par sa valeur algébrique telle que définie ci-dessus,
il vient :

l1 Mo - Lo
Y = Co + c . Y – c . To – c . t . Y + c . Tro + Io – g (-------- Y - -------------) + Go
l2 l2

l1 Mo - Lo
Y = Co + c . Y – c . To – c . t . Y + c . Tro + Io – g (------) Y + g (------------) + Go
l2 l2

l1 g
Y – c . Y + c . t . Y + g (----) Y = Co – c . To + c . Tro + Io + Go + ---- (Mo - Lo)
l2 l2

l1 g
Y [1 - c + c . t + g (----)] = Co – c . To + c . Tro + Io + Go + ---- (Mo - Lo)
l2 l2
1 g
Y = ------------------------------ [Co – c . To + c . Tro + Io + Go + ---- (Mo - Lo)]
l1 l2
1 - c + c . t + g (----)
l2
La valeur algébrique des multiplicateurs budgétaires se déduit directement de cette nouvelle formulation
de l’équation d’équilibre macroéconomique. Soit :
∆Y 1
------- = -------------------------- pour le multiplicateur des achats publics ;
∆Go l1
1 - c + c . t + ---- . g
l2
∆Y -c
-------- = -------------------------- pour le multiplicateur fiscal ;
∆To l1
1 - c + c . t + ---- . g
l2
∆Y c
-------- = --------------------------- pour le multiplicateur des transferts.
∆Tro l1
1 - c + c . t + ---- . g
l2
La présence au dénominateur des différents multiplicateurs de l’expression g (l1 / l2) traduit le jeu du
frein financier. Cette expression est positive puisque tous les termes qui la constituent sont eux-mêmes
positifs. En valeur absolue, les multiplicateurs budgétaires sont donc plus faibles que ceux qui avaient été
définis en faisant l’hypothèse d’un investissement global autonome, I = Io, indépendant des variations
du taux d’intérêt et ce, en raison précisément du jeu du frein financier.

La valeur algébrique des multiplicateurs est d’autant plus faible que l’expression g (l1 / l2) est plus élevée,
ce qui traduit que l’efficacité potentielle de la politique budgétaire est d’autant plus réduite que le frein

280 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


financier est plus important. Or celui-ci est d’autant plus intense, et l’effet d’éviction d’autant plus mar-
qué, que la hausse du taux d’intérêt suscitée par la politique budgétaire de relance est plus forte, et que
la sensibilité de l’investissement productif des entreprises aux variations du taux d’intérêt est plus grande,
c’est-à-dire que g est plus élevé.

paragraphe 4 : mobilité des capitaux, régime de changes et


efficacité d’une politique budgétaire de relance

Si la mise en œuvre d’une politique budgétaire expansive est susceptible, sous les réserves
évoquées précédemment, de stimuler l’activité économique et d’améliorer la situation
de l’emploi, elle peut également susciter l’apparition d’un déséquilibre de la balance des
paiements en raison de l’impact de cette politique, sur le solde de la balance des tran-
sactions courantes du pays et, sur le solde de sa balance des mouvements de capitaux.
Ceci conditionne l’efficacité de la politique budgétaire et sa capacité à permettre à l’État
d’agir sur le niveau de l’activité et de l’emploi. Le modèle élaboré par R.A. Mundell (1962)
et J.M Fleming (1962), deux auteurs qui se rattachent au courant du keynésianisme de la
synthèse, montre que le résultat pour la balance des paiements d’une relance budgétaire
dépend en fait du degré de mobilité internationale des capitaux, en distinguant les deux
cas opposés de faible (A) et de forte (B) mobilité internationale des capitaux. Ce modèle
montre également que, pour un degré de mobilité internationale des capitaux donné, le
résultat final de la politique budgétaire dépend alors du régime de taux de change en
vigueur, en distinguant entre un régime de taux de change fixes et un régime de taux de
change flottants ou flexibles.

A – Le cas de faible mobilité internationale des capitaux


En cas de faible mobilité internationale des capitaux, ce qui a correspondu à la situation
du monde occidental jusqu’à la fin des années 1950 et au début des années 1960, l’afflux
de capitaux étrangers dans le pays dont les taux d’intérêt ont augmenté du fait d’une
politique budgétaire expansive sera nécessairement limité. En conséquence, le solde excé-
dentaire des mouvements de capitaux ne suffira normalement pas à compenser le déficit
des transactions courantes résultant de l’augmentation des importations qui accompagne
la croissance du produit global (cf. supra). La politique budgétaire de relance se traduira
donc par l’apparition d’un déficit de la balance globale. Son résultat final sur le niveau de
l’activité économique nationale (la production et l’emploi) dépendra alors du régime de
taux de change, en distinguant entre le régime de taux de changes fixes et le régime de
taux de changes flexibles.
1 - En régime de taux de change fixes, le modèle de Mundell et Fleming montre que la
politique budgétaire de relance est a priori globalement inefficace ou faiblement effi-
cace ; son impact positif sur le niveau de la production et de l’emploi est nul ou faible. La
politique budgétaire est en fait d’autant moins efficace que la mobilité est plus faible. Le
déficit de la balance globale induit par la relance budgétaire suscite une tendance à la dé-

La politique budgétaire 281


préciation de la monnaie nationale sur le marché des changes. La Banque centrale, qui a,
en régime de taux de changes fixes, la mission de préserver la stabilité du taux de change
au niveau défini par les pouvoirs publics, est donc contrainte d’intervenir sur le marché
pour empêcher cette dépréciation en achetant la monnaie nationale contre des devises. Il
en résulte une réduction de ses réserves de change qui s’accompagne d’une contraction de
la masse monétaire nationale dont les réserves de change de la Banque centrale forment
précisément la contrepartie extérieure (cf. tome 1, chapitre VIII). Cette réduction méca-
nique de la masse monétaire nationale a le même effet sur l’activité économique interne
qu’une politique monétaire restrictive (cf. infra, chapitre VI) et contrecarre l’effet positif
sur le niveau de l’activité de la politique budgétaire de relance. Elle induit en effet par
elle-même une hausse des taux d’intérêt, qui ont déjà augmenté du fait de la politique
budgétaire expansive, ce qui influe négativement sur l’investissement et la consomma-
tion privés et contrecarre donc l’augmentation de la demande globale suscitée par cette
politique budgétaire. À la limite, la hausse des taux d’intérêt qui accompagne la contrac-
tion de la masse monétaire nationale (c’est-à-dire de l’offre globale de monnaie) sera
suffisante pour induire une baisse de la demande globale de biens et services identique à
l’augmentation initiale de cette demande globale suscitée par la politique budgétaire de
relance. L’impact de cette dernière sur la demande globale est donc finalement nul, et le
produit global, après s’être élevé dans un premier temps sous l’effet direct de la politique
budgétaire, revient à son niveau initial.
2 - À l’opposé, en régime de taux de change flexibles, la politique budgétaire est a priori
potentiellement efficace. Le déficit de la balance globale induit par la relance budgétaire
se traduit dans ce cas par une dépréciation effective de la monnaie nationale sur le marché
des changes dans un tel régime de change, la Banque centrale est en effet censée laisser
le taux de change s’établir librement sur le marché des changes en fonction du rapport
offre-demande de monnaie nationale contre devises et, en théorie du moins (régime de
flottement pur), ne s’oppose donc pas à cette dépréciationde la monnaie. Celle-ci améliore
mécaniquement la compétitivité en termes de prix de l’économie nationale, en suscitant
une baisse des prix exprimés en monnaie étrangère des produits exportés par le pays ainsi
qu’une hausse des prix exprimés en monnaie nationale des produits importés de l’étranger
par le pays. C’est donc un facteur de hausse des exportations en volume et de baisse des
importations en volume, autrement dit d’augmentation de la demande extérieure nette
de produits nationaux (X – M). L’augmentation de la demande globale suscitée initiale-
ment par la politique budgétaire de relance se double par conséquent d’une augmenta-
tion de la demande extérieure nette de produits nationaux qui relaie en quelque sorte la
première et en amplifie les effets positifs sur la production et l’emploi. L’économie natio-
nale bénéficie ainsi d’une « impulsion par le change ».

B – Le cas de forte mobilité internationale des capitaux


À l’opposé, en cas de forte mobilité internationale des capitaux, ce qui correspond à la
situation contemporaine, il est prévisible, selon le modèle de Mundell et Flemming, que
l’afflux de capitaux étrangers dans le pays dont les taux d’intérêt ont augmenté par suite
de la politique budgétaire de relance soit important et que le solde excédentaire des mou-
vements de capitaux surcompense alors le déficit des transactions courantes. La politique

282 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


budgétaire de relance se traduira ainsi par l’apparition d’un excédent de la balance glo-
bale. Dans une telle configuration, l’efficacité de la politique budgétaire dépend comme
précédemment du régime de taux de change en vigueur.
1 - En régime de taux de change fixes, la politique budgétaire de relance, selon le modèle
de Mundell et Flemming, serait potentiellement efficace. L’excédent de la balance globale
suscité par cette politique doit induire sur le marché des changes une tendance à l’appré-
ciation de la monnaie nationale par rapport aux devises menaçant le respect de la règle de
stabilité du taux de change. La Banque centrale est de ce fait contrainte d’intervenir sur
le marché pour s’opposer à cette appréciation en vendant de la monnaie nationale contre
des devises. Cela accroît ses réserves de change qui forment la contrepartie extérieure de
la masse monétaire. À cet accroissement des réserves de change correspond donc, toutes
choses égales par ailleurs, une augmentation mécanique de la masse monétaire nationale
(de l’offre globale de monnaie), ce qui a le même effet stimulant sur le niveau de l’activité
économique (de la production et de l’emploi) que la mise en œuvre d’une politique mo-
nétaire expansive venant relayer et compléter la politique budgétaire de relance. L’aug-
mentation de la masse monétaire interne (de l’offre globale de monnaie) est un facteur de
baisse du taux d’intérêt, laquelle baisse doit normalement susciter une augmentation de
l’investissement et de la consommation des agents économiques privés. La demande glo-
bale, qui s’est accrue initialement par suite de la mise en œuvre de la politique budgétaire
de relance, progresse donc à nouveau du fait des effets induits de la relance budgétaire
sur le solde de la balance globale.
2 - Le résultat est différent en régime de taux de change flexibles. Dans un tel régime de
change, l’excédent de la balance globale induit une appréciation effective de la monnaie
nationale sur le marché des changes à laquelle la Banque centrale ne s’oppose normale-
ment pas. Cette appréciation de la monnaie nationale détériore mécaniquement la com-
pétitivité en termes de prix du pays par l’augmentation des prix exprimés en monnaie
étrangère des produits exportés par le pays et la baisse des prix exprimés en monnaie
nationale des produits importés par le pays. Cette détérioration de la compétitivité en
termes de prix du pays est en soi un facteur de baisse des exportations en volume et d’aug-
mentation des importations en volume du pays, et donc de contraction de la demande
extérieure nette de produits nationaux (X – M) qui s’adresse à lui, ce qui contrecarre l’effet
de stimulation de la demande globale de la politique budgétaire de relance. La demande
globale qui a commencé par augmenter du fait de la relance budgétaire diminue donc
dans un second temps du fait de la contraction de la demande extérieure nette de produits
nationaux (X – M). Il y a en fait « éviction par le taux de change » dont sont directement
victimes les entreprises exportatrices ainsi que celles qui subissent la concurrence accrue
des produits importés.

Il se déduit de cette analyse que le contexte contemporain de forte mobilité internationale


des capitaux et de taux de changes flexibles (en particulier entre les États-Unis, la zone
euro et le Japon) contribue à limiter l’efficacité potentielle d’une politique budgétaire de
relance qui serait engagée de manière autonome par tel ou tel pays ou ensemble de pays
(zone euro). Dans un tel contexte, seule une relance budgétaire concertée d’un groupe
de pays entretenant entre eux des relations commerciales importantes pourrait permettre

La politique budgétaire 283


d’échapper au risque de déséquilibre de la balance globale dont est porteuse la relance
budgétaire. À la suite d’une relance budgétaire concertée, les exportations et les importa-
tions de biens et services de tous les pays concernés augmentent en effet simultanément,
puisque les importations de chaque pays en provenance des autres pays du groupe sont en
même temps des exportations de ces autres pays. La relance budgétaire est donc a priori
compatible avec la préservation de l’équilibre de la balance des transactions courantes
pour les différents pays concernés. Elle est de même a priori compatible avec la préserva-
tion de l’équilibre de la balance des mouvements de capitaux puisque les taux d’intérêt
doivent normalement augmenter en parallèle dans les différents pays engagés dans la
relance budgétaire15.
Mais l’expérience montre que la coordination des politiques économiques à l’échelle inter-
nationale est à l’évidence très difficile à réaliser en raison, en particulier, des différences
(conjoncturelles et structurelles) de situation entre les pays ou blocs de pays et de leurs
réelles divergences d’intérêt. Les États-Unis ont en particulier amplement démontré depuis
le milieu des années 1970 leur forte réticence à coopérer franchement avec les autres na-
tions, alors même que leur poids dans l’économie mondiale voue d’emblée à l’échec toute
tentative de coopération à laquelle ils n’apportent pas leur concours. Les rares tentatives
qui ont eu lieu depuis les années 1970 ont généralement été un échec. On pourrait cepen-
dant imaginer que cette coordination s’effectue au niveau européen.

Section 3 : La construction européenne et la politique


budgétaire

En l’état actuel de la construction européenne, la politique budgétaire demeure de la


responsabilité des État-membres de l’Union européenne. Chaque pays reste donc a priori
libre de ses choix quant aux objectifs assignés à sa politique budgétaire et aux instruments
mis en œuvre dans le cadre de cette politique. Mais, en réalité, la construction européenne
aboutit d’ores et déjà à réduire la marge de manœuvre budgétaire et la capacité des pays
membres de l’Union européenne, et plus spécifiquement ceux de la zone euro, à conduire
de manière autonome une politique budgétaire discrétionnaire. La liberté d’action des
États des pays membres de la zone euro en matière de politique budgétaire est en effet
restreinte par l’obligation qui leur est faite de respecter les règles définies par le Pacte de
stabilité et de croissance (§ 1). Cependant, la nature même de ces règles et les difficultés
de certains à les respecter expliquent que le pacte ait donné lieu à un débat à l’occasion
duquel se sont exprimées diverses critiques, débat qui a abouti en 2005 à l’adoption d’une
réforme consistant en diverses mesures d’assouplissement du pacte (§ 2).

15 Une politique budgétaire concertée peut donc permettre de régler le problème du déficit de la balance des paiements
(de la balance globale) mais ne règle cependant pas le problème de la hausse des taux d’intérêt et du jeu du frein fi-
nancier qui lui est lié.

284 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 1 : le pacte de stabilité et de croissance

Le Pacte de stabilité et de croissance a été adopté, sur proposition initiale de l’Allemagne,


par le Conseil européen d’Amsterdam en juin 1997 (Traité d’Amsterdam de juin 1997).
Il contraint les pays membres de la zone euro à respecter certaines règles en matière de
gestion des finances publiques (A). Le respect de ces règles a été présenté par les promo-
teurs du pacte comme le moyen d’imposer à chacun des pays membres de la zone euro un
comportement vertueux en matière de gestion des finances publiques considéré comme
bénéfique à l’ensemble de la zone (B). Son adoption correspond cependant également
au choix des instances dirigeantes de l’Union européenne et des différents pays membres
de substituer, en matière de politique budgétaire, une politique de règles aux anciennes
politiques discrétionnaires (C).

A - Les principales dispositions du pacte dans sa version initiale


Le Pacte de stabilité et de croissance, tel qu’il a été conçu dans sa version originelle, pro-
longe en matière de gestion des finances publiques les contraintes imposées aux pays
membres par les « critères de convergence » définis dans le traité de Maastricht du 7 fé-
vrier 1992 (cf. infra, chapitre VI).
1) Le déficit public, c’est-à-dire le déficit cumulé de l’ensemble des administrations pu-
bliques (APUC, APUL et ASS), ne peut excéder 3 % du PIB du pays concerné et celui-ci ne
dispose que d’un an pour revenir au respect de la règle en cas de dépassement de cette
limite. En cas de non respect de la règle par un pays membre, la Commission européenne a
charge d’engager contre lui une « procédure pour déficit excessif » susceptible de débou-
cher sur des sanctions16. Si le déficit persiste, le pacte prévoie en effet des sanctions sous la
forme du versement d’un dépôt pouvant aller jusqu’à 0,5 % du PIB du pays, ce versement
étant converti en amende si le déficit persiste plus de 2 ans17. En application de la clause
des « circonstances exceptionnelles », il est cependant prévu que les sanctions ne s’appli-
quent pas si le dépassement du seuil des 3 % est dû à une récession se traduisant par une
baisse du PIB du pays de plus de 2 % sur au moins un an. Dans ce cas, la procédure pour
déficit excessif est automatiquement arrêtée. Si la baisse du PIB est comprise entre 0,75 et
2 % il est possible de faire jouer la clause des « circonstances exceptionnelles, sous réserve
de démonter le caractère soudain de la récession.
Il est en outre fait obligations aux pays membres qui ont un déficit du budget de leurs
administrations publiques (APUC, APUL et ASS) de prendre les mesures nécessaires pour
retrouver l’équilibre budgétaire (une situation « proche de l’équilibre ») à moyen terme.
2) L’endettement public total du pays (ensemble des administrations publiques : APUC,
APUL et ASS) ne doit pas excéder 60 % du PIB.
3) Outre le respect de ces normes budgétaires, les gouvernements des pays de l’Union euro-
péenne doivent présenter chaque année au Conseil Ecofin et à la Commission européenne

16 Cette procédure est normalement précédée par une « alerte rapide » contre le pays en défaut.
17 L’amende comprend une partie fixe égale à 0,2 % du PIB et une partie variable égale à 1/10ème de l’écart observé par
rapport à la norme de référence de 3 %.

La politique budgétaire 285


un programme pluriannuel de finances publiques, dénommé « programme de stabilité »
pour les pays de la zone euro et « programme de convergence » pour les autres pays de
l’UE, dans lequel ils explicitent les stratégies budgétaires qu’ils entendent suivre pour at-
teindre et préserver des situations budgétaires « proches de l’équilibre ou en excédent ».
À titre d’illustration, le programme de stabilité 2005-2007, remis par la France à la Commis-
sion européenne en décembre 2003, retenait en matière de gestion des finances publiques
un objectif de réduction du déficit public qui devait être obtenu en privilégiant la maîtrise
des dépenses sur l’augmentation des prélèvements18. Cela devait se traduire par une stabi-
lisation en volume des dépenses de l’État sur la période 2005-2007, soit en fait une baisse
en volume de certaines dépenses, compte tenu de l’évolution de diverses dépenses inéluc-
tables (charge de la dette, pensions, masse salariale). Ce contrôle de l’évolution de la dé-
pense publique devait permettre de réduire le déficit public. En tablant sur une hypothèse
de croissance effective du PIB en volume de 2,25 % par an sur la période, il était prévu que
le déficit public total, égal à 3,6 % du PIB en 2004, soit ramené progressivement à 1,5 % du
PIB en 2007, et que le déficit structurel soit ramené de 2 % du PIB en 2004 à 0,2 % du PIB
en 2007. Le programme prévoyait parallèlement de commencer à faire baisser le ratio de
la dette publique sur le PIB à partir de 2006. Celui-ci devait revenir à 61,8 % en 2007 après
être monté à 66,6 % en 2005. Le programme soulignait enfin que « les économies struc-
turelles que pourra dégager une plus grande maîtrise des dépenses seront recyclées (...)
en baisses supplémentaires des prélèvements ». Et il était prévu que, si au cours de cette
période une conjoncture économique meilleure que celle qui était anticipée se traduisait
par un surcroît de recettes, celui-ci serait utilisé à réduire le déficit.

B – Le pacte comme instrument de discipline budgétaire


Pour les concepteurs du pacte et pour la Commission européenne chargée de le faire res-
pecter, l’obligation ainsi faite aux pays de la zone euro de contenir leur déficit et leur
endettement publics dans des limites strictement définies et de se donner les moyens de
revenir progressivement à l’équilibre budgétaire se justifie d’un double point de vue.
1) Elle est le moyen de préserver les pays membres de la zone euro des conséquences né-
gatives (externalités négatives, cf. infra, chapitre VII) pour l’ensemble de la zone du com-
portement « laxiste » en matière budgétaire de l’un ou l’autre d’entre eux. La persistance,
dans certains pays membres de la zone euro, de déficits publics financés par emprunt sur le
marché européen des capitaux et d’endettements publics importants, serait en effet éco-
nomiquement préjudiciable non seulement au(x) pays considéré(s) mais, au-delà, à l’en-
semble de la zone euro en favorisant l’apparition d’un déficit de la balance commerciale
de la zone, la dépréciation de l’euro, la hausse des taux d’intérêt et l’inflation.
- Déficit de la balance commerciale. Dans une économie ouverte comme celle de la zone
euro, l’équation de l’équilibre macroéconomique peut s’écrire (T – G) + (S – I) = (X – M), en
faisant abstraction, pour simplifier, des mouvements de revenus entre résidents du pays

18 Notes Bleues de Bercy, n° 264, janvier 2004, p. 1.

286 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


et non résidents19. Le déficit des finances publiques, (T – G) < 0, est donc en soi un facteur
de déficit des échanges extérieurs : (X – M) < 0. C’est d’ailleurs ce que traduit l’expression
de « déficits jumeaux » habituellement utilisée pour désigner la situation d’un pays qui
cumule un déficit de ses finances publiques et un déficit de sa balance des transactions
courantes.
- Dépréciation de la monnaie européenne. Un tel déficit des échanges extérieurs est par
ailleurs en lui-même un facteur de dépréciation de la monnaie du pays puisqu’il suppose
que, sur le marché des changes, l’offre de monnaie nationale (ici l’euro) contre devises
excède la demande de monnaie nationale contre devises. En supposant, pour simplifier,
que les échanges internationaux se règlent dans la monnaie du créancier, si la balance des
transactions courantes de la zone euro est déficitaire, cela signifie que la quantité d’euros
que la zone euro reçoit en règlement de ses exportations de biens et services est inférieure
à la quantité de devises qu’elle doit fournir en règlement de ses importations de biens et
services. En conséquence, sur le marché des changes, l’offre d’euros contre devises des rési-
dents europèens qui doivent se procurer les devises permettant de régler les importations
de la zone est supérieure à la demande d’euros contre devise des non résidents qui doivent
acquérir des euros pour régler les biens et services qu’exporte la zone euro. Ce déséquilibre
du marché des changes de l’euro contre devises se traduit par une dépréciation de l’euro.
- Hausse des taux d’intérêt. Il est certes a priori possible de s’opposer à cette dépréciation
en attirant des capitaux dans le pays (ici à l’intérieur de la zone euro) par une hausse des
taux d’intérêt, laquelle est a priori de toute façon déjà induite mécaniquement par le
déficit budgétaire et le recours à l’emprunt pour le financer (cf. supra). Mais l’on ne peut
ignorer l’impact négatif potentiel d’une telle hausse des taux d’intérêt sur le niveau de
l’activité et de l’emploi (cf. supra).
- Accentuation de l’inflation. À quoi s’ajoute que la hausse des taux d’intérêt et la dé-
préciation de la monnaie sont l’une et l’autre des facteurs d’inflation. La hausse des taux
d’intérêt alourdit les charges financières que supportent les entreprises qui sont tentées de
les répercuter sur leurs prix. La dépréciation de la monnaie relève mécaniquement les prix
en euro des importations, la hausse des prix des produits importés pouvant se répercuter
sur les autres prix par le biais des échanges interindustriels et du fait des hausses de salaires
destinées à préserver le pouvoir d’achat des salariés (effet de second tour), puisqu’une part
importante des importations correspond à des biens de consommation.
Tout cela signifie que, si un ou plusieurs pays membres de la zone euro entretiennent un
déficit public important associé à un taux d’endettement élevé cela se fait en réalité au dé-
19 Dans cette expression, T désigne les impôts nets des transferts, G la consommation et l’investissement publics, C la
consommation privée, I l’investissement privé, X et M les exportations et les importations de biens et services.

Rappel : On a Y = C + I + G + X – M
R = Y + RNrdm
R=C+S+T
Soit encore : C + S + T = Y + RNrdm
C + S + T = C + I + G + X – M + RNrdm
( T – G) + (S – I) = X – M + RNrdm
Soit encore : (T – G) + (S – I) = X – M si l’on fait abstraction, comme indiqué ci-dessus, des échanges de reve-
nus entre résidents et non résidents et si l’on fait donc disparaître les revenus reste du monde de l’égalité ci-dessus.
Dans les expressions ci-dessus : S désigne l’épargne globale, le RNrdm les revenus nets reçus du reste du monde et R le
revenu global.

La politique budgétaire 287


triment de la situation économique globale de l’ensemble de la zone. Les pays en déficit ne
supportent plus seuls les conséquences de leur déficit, mais les font supporter également
par les autres pays membres de la zone (externalités négatives).
Le Pacte de stabilité et de croissance a donc été conçu comme un instrument de discipline
budgétaire des pays-membres, prémunissant l’ensemble de la zone contre les risques de
« dérapage budgétaire » des uns et des autres20. Les sanctions appliquées aux pays qui
ne respectent pas la règle de limitation du déficit budgétaire peuvent être considérées
comme une internalisation des externalités négatives qui en résultent pour les autres pays
membres de la zone.
2) L’obligation ainsi faite aux États-membres de faire preuve de discipline budgétaire a paru
d’autant plus légitime aux promoteurs du pacte que, selon une opinion qui prévaut dans
les instances de la Commission européenne, les pays membres de la zone euro seraient par
ailleurs en droit d’attendre certains bénéfices de la rigueur budgétaire que leur impose le
respect des règles du pacte21. D’une part, des finances publiques assainies favoriseraient la
stabilisation des prix en modérant les anticipations inflationnistes des agents économiques
privés et, partant, favoriseraient également la baisse des taux d’intérêt, ce qui ne pourrait
qu’influer positivement sur l’investissement productif ainsi que sur la compétitivité de l’éco-
nomie européenne et, en conséquence, sur la croissance économique et l’emploi. D’autre
part, la limitation de la dette publique allège le service de la dette, ce qui permettrait de
dégager une marge de manœuvre utilisable pour réduire les impôts et/ou augmenter cer-
taines dépenses publiques « productives » : réalisation d’infrastructures, dépenses d’édu-
cation et de formation, de recherche et développement. Enfin, le rééquilibrage de leurs
finances publiques devrait permettre aux pays-membres d’assumer plus aisément l’alour-
dissement prévisible à long terme des charges budgétaires résultant du vieillissement de
leur population. Du sucroît, et globalement, le respect de la règle selon laquelle les soldes
budgétaires doivent être « proches de l’équilibre ou excédentaires » ne peut que conférer
une certaine marge de manœuvre aux pays en cas de chocs asymétriques, et en particulier
si les pays parviennent à ramener leur solde structurel à proximité de l’équilibre.

C – Le pacte et l’option pour les politiques de règles


Au-delà de sa fonction de discipline budgétaire des États-membres, il faut comprendre
que le Pacte de stabilité et de croissance s’inscrit dans l’orientation contemporaine d’inspi-
ration libérale qui tend à délaisser les politiques économiques conjoncturelles discrétion-
naires, dont les politiques budgétaires, au profit des politiques de règles.
Une politique discrétionnaire consiste pour l’État à mettre en œuvre la politique qui lui
paraît souhaitable sur le moment, en fonction des circonstances, et d’en changer au besoin
quand il l’estime souhaitable. Par contre, une politique de règles signifie que les pouvoirs
20 Sans s’engager ici dans une discussion critique approfondie de cette argumentation, soulignons cependant que celle-ci
prête néanmoins à discussion. Il faut rappeler en particulier que l’impact sur le solde extérieur de la zone euro du déficit
public d’un ou même de plusieurs pays membres est limité a priori par le fait que ces derniers commercent principalement
entre eux. Ce qui réduit a priori l’impact négatif possible du déficit public d’un ou plusieurs pays de la zone euro sur le
taux de change de l’euro, les taux d’intérêt et l’inflation.
21 Deux économistes de la Commission européenne, que nous suivons ici, expliquent ainsi que les « finances publiques
faibles », érigées en objectif par le pacte, sont en fait le moyen de « renforcer les conditions propices à la stabilisation
des prix et à une croissance forte et durable, génératrice d’emplois » (Giudice et Montanino, 2003, p. 23).

288 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


publiques s’imposent durablement le respect de règles prédéfinies comme, par exemple,
pour la politique budgétaire, la limitation d’un éventuel déficit budgétaire à un seuil pré-
déterminé, la définition d’objectifs de dépenses, ou la pré-affectation d’éventuels excé-
dents de recettes.
Selon certains auteurs, les politiques de règles, qu’il s’agisse de la politique budgétaire ou
de la politique monétaire, présenteraient divers avantages qui en justifient l’adoption.
D’une part, elles prémuniraient contre le risque d’utilisation de la politique économique à
des fins électorales par les gouvernants (référence à la théorie du public choice) et seraient
donc un moyen de soustraire l’économie au « cycle politico-économique » que serait cen-
sée induire une telle utilisation. D’autre part, elles constitueraient une réponse adaptée
au problème de l’incohérence temporelle des politiques économiques soulevé par Kydland
et Prescott (1977).
Il y a incohérence temporelle si, après que les pouvoirs publics se soient engagés à appli-
quer une certaine politique, ils n’ont plus intérêt à le faire, dans la mesure où les agents
économiques ont entre-temps adapté leurs comportements, rendant ainsi inutile la pour-
suite de cette politique, et qu’il devient par conséquent possible pour le gouvernement
de s’engager dans une politique totalement différente de celle qui avait été annoncée
initialement. À titre d’exemple : le gouvernement annonce une politique de lutte contre
l’inflation fondée sur la rigueur budgétaire puis, constatant qu’à la suite de cette annonce
les agents ont spontanément renoncé à leurs comportements inflationnistes, ce qui était
l’objectif recherché, il abandonne alors cette politique de lutte contre l’inflation et s’en-
gage dans une politique de soutien de l’activité, elle-même génératrice d’inflation. Mais,
si les agents économiques sont rationnels (au sens des anticipations rationnelles), ils vont
anticiper ce reniement par le gouvernement de la politique dans laquelle il s’est engagé
initialement et les conséquences à attendre pour eux de ce reniement, c’est-à-dire finale-
ment, dans l’exemple ci-dessus, la poursuite de l’inflation. En conséquence, ils ne modifient
pas leurs comportements suite à l’annonce par le gouvernement de sa politique de lutte
contre l’inflation et continuent à augmenter les prix qu’ils contrôlent, ce qui a pour effet
de faire échouer la politique annoncée. Dans l’exemple, les agents économiques privés
doivent s’attendre à être les victimes du rebond d’inflation qui suivra inéluctablement le
renoncement du gouvernement à sa politique de lutte contre l’inflation. Ils maintiendront
donc leurs comportements inflationnistes afin de se prémunir contre les conséquences dé-
favorables pour leur pouvoir d’achat de ce rebond ultérieur de l’inflation qu’ils anticipent
devoir se produire suite au reniement par l’État de la politique de rigueur budgétaire de
lutte contre l’inflation. Et, dès lors qu’ils persistent, rationnellement, dans leurs comporte-
ments inflationnistes, la politique initiale de lutte contre l’inflation lancée par le gouver-
nement ne peut qu’échouer.
En conséquence, l’action de l’État ne peut être efficace que si elle est crédible pour les
agents économiques privés, ce que vise précisément à assurer le fait que la politique éco-
nomique soit soumise à des règles strictes auxquelles l’État ne saurait déroger. En énon-
çant publiquement les règles auxquelles il se soumettra quoiqu’il arrive, le gouvernement
indique explicitement qu’il renonce à changer de politique au gré de la conjoncture et
des circonstances, et se donnerait ainsi le moyen de crédibiliser sa politique, condition du

La politique budgétaire 289


succès de cette dernière22.
Ce renoncement à une politique discrétionnaire au profit d’une politique de règles que
sous-entend l’adoption du Pacte de stabilité et de croissance a clairement les faveurs de
la Commission européenne qui fait preuve d’une grande réserve à l’égard des politiques
budgétaires conjoncturelles discrétionnaires. Cette réserve, pour ne pas dire plus, a été
très clairement exprimée dans le Rapport annuel de la Commission sur les perspectives
économiques de la zone euro publié en novembre 2001. Dans ce rapport, la Commission
évoquait le « scepticisme grandissant vis-à-vis de tout activisme budgétaire » qu’elle rete-
nait de la littérature économique récente. Elle précisait que les mesures budgétaires les
plus « efficaces » pour relancer la demande sont aussi celles qui sont les « plus néfastes à
la croissance à moyen terme », les mesures mises en œuvre pour soutenir conjoncturelle-
ment la demande étant ensuite, de surcroît, très difficiles à remettre en cause. Le rapport
soulignait en outre que « la plupart des études (…) montrent que les mesures prises met-
tent plus de temps à agir qu’escompté et qu’elles risquent de donner leurs effets lorsque
l’économie n’en a plus besoin »23.
Les partisans du pacte font cependant valoir que celui-ci n’implique pas pour autant le re-
noncement à toute régulation économique conjoncturelle au moyen du budget. Une telle
régulation peut s’effectuer par le biais des stabilisateurs automatiques (cf. supra)24. Selon
eux, le pacte est en effet parfaitement compatible avec un solde budgétaire évoluant de
manière cyclique autour de l’équilibre en fonction des phases du cycle conjoncturel sous
l’effet du jeu des stabilisateurs automatiques : en déficit en phase de récession ou de
crise conjoncturelle, mais en respectant la limite des 3 % du PIB, et en excédent en phase
d’expansion du cycle. Or une telle évolution cyclique du solde budgétaire, traduction du
jeu des stabilisateurs automatiques, doit contribuer à limiter l’intensité des fluctuations
économiques conjoncturelles.
Étant admis qu’il est d’autant plus aisé de laisser jouer les stabilisateurs automatiques (et
d’avoir par conséquent un solde budgétaire fluctuant librement autour de l’équilibre au
cours du cycle économique conjoncturel) que les finances publiques auront préalablement
été assainies, conformément à l’objectif fixé par le pacte. À titre d’exemple, admettons,
comme indiqué antérieurement, que dans les grands pays de la zone euro une baisse du
PIB d’un point se traduit par un déficit budgétaire d’un demi-point de PIB, mais que ce
déficit ramène la baisse d’activité d’un point de PIB à 0,75 point de PIB. Il en résulte qu’un
pays qui est initialement en équilibre budgétaire peut a priori subir une baisse de PIB de

22 Dans l’exemple précédent, si l’État s’impose la rigueur budgétaire comme règle et rend ainsi cette politique crédible aux
yeux des agents économiques privés, ceux-ci finiront par adapter durablement leur comportement dans le sens recherché
par les pouvoirs publics, assurant ainsi le succès de cette politique.
23 Cité par Le Monde Dossiers et Documents, n° 305, janvier 2002.
24 C’est par exemple l’opinion défendue par Jürgen Starck, alors vice-président de la Bundesbanck, selon lequel : « les
règles budgétaires sont suffisamment souples pour permettre aux stabilisateurs automatiques de lisser les fluctuations
conjoncturelles » et « le pacte ne contraint aucun pays à mener une politique pro-cyclique ». Il suffit en fait que les pays
mettent à profit les périodes de basse conjoncture afin de « dégager une marge de manœuvre budgétaire suffisante pour
pouvoir amortir les chocs en temps de crise ». Par ailleurs, toujours selon lui, le meilleur moyen de garantir et favoriser
la croissance est de s’assurer des finances publiques « saines », tandis que « vouloir agir sur la conjoncture par le biais de
la politique budgétaire » est « une approche très hasardeuse » (Le Monde, 6 et 7-03, 2005, p. 12). L’un des avantages du
recours aux stabilisateurs automatiques plutôt qu’à une politique discrétionnaire étant que la mise en œuvre de cette
dernière requiert des délais, ce qui peut aboutir à ce qu’elle agisse à contretemps et prenne de ce fait un caractère pro-
cyclique et non contra-cyclique, alors que le jeu des stabilisateurs automatiques « ne comporte pas de délais ».

290 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


près de 6 points qui induira un déficit budgétaire mécanique de près de 3 points de PIB,
ce déficit ramenant cependant a posteriori la contraction de l’activité de 6 points de PIB
à 4,75 points de PIB seulement. Par contre, si ce pays a au départ un déficit budgétaire de
près de 3 % du PIB et qu’il subit une contraction de son activité (par exemple de 3 points
de PIB), il ne peut plus laisser jouer les stabilisateurs automatiques car, ce faisant, il dépas-
serait nécessairement le seuil des 3 % du PIB pour le déficit public fixé par le pacte. Il est
par conséquent contraint pour respecter le pacte de pratiquer une politique budgétaire
restrictive pro-cyclique, alors même qu’il aurait besoin pour limiter l’ampleur de la réces-
sion de mettre en œuvre une politique contra-cyclique.
Cette option pour une politique de règles qui sous-tend le Pacte de stabilité et de crois-
sance soulève cependant des interrogations. Ce qu’a mis en évidence le débat très nourri
qui s’est développé à propos du pacte.

paragraphe 2 : la contestation et la réforme du pacte de


stabilité et de croissance

Le débat à propos du pacte remonte aux origines même de celui-ci. Il a pris un tour plus
aigu et public à partir de 2002. Diverses critiques ont été formulées à l’encontre du pacte
(A) qui ont été confortées par la difficulté accrue de plusieurs pays de la zone euro d’en
respecter les règles (B) et qui ont ouvert la voie à une réforme du pacte en 2005 (C). Cette
réforme laisse cependant en suspens certaines questions que soulève la mise en œuvre
de la politique budgétaire au sein de la zone euro et, au-delà, de l’ensemble de l’Union
européenne (D).

A – Les critiques formulées à l’encontre du pacte


Le débat, initialement affaire de spécialistes, est devenu public en 2002 à la suite des dé-
clarations du Président de la Commission européenne de l’époque, Romano Prodi. Dans
une interview au journal Le Monde (18 octobre 2002, p. 5), celui-ci expliquait en effet que
« je sais très bien que le Pacte de stabilité est stupide, comme toutes les décisions qui sont
rigides », tout en soutenant cependant dans la même interview que « mais s’il n’y a pas de
limite de 3 % des déficits publics, on ne pourra éviter les grands dérapages ». Propos ra-
pidement relayés par différentes personnalités25. Ces déclarations ne faisaient que mettre
sur la place publique le débat auquel le pacte donnait lieu entre spécialistes depuis plu-
sieurs années déjà. Dans ce débat, aux arguments justifiant le principe du pacte évoqués
précédemment se sont opposées les critiques formulées à l’encontre du pacte par divers
analystes ou responsables politiques.
1) Différents auteurs ont ainsi souligné que le pacte, en se focalisant sur le niveau du dé-
ficit et de la dette publique consécutive, laisse de coté la question cruciale de la nature
25 Entre autres, par ceux de Pascal Lamy, alors membre de la Commission européenne, voyant dans le pacte « une manière
d’encadrer les finances publiques qui est primaire », tout en ajoutant cependant que « mais aussi longtemps qu’on
n’a pas changé les règles on applique les 3 % » (Le Monde, 21-10, 2002, p. 3). Tandis que le ministre de l’économie et
des finances français d’alors, Francis Mer, évoquait la possibilité « d’affiner » le pacte de stabilité et de croissance en y
intégrant cinq paramètres de base : le déficit, l’inflation, l’emploi, la dette et « la qualité de la préparation du futur »
(Le Monde, 6-11, 2002, p. 7).

La politique budgétaire 291


des dépenses effectuées qui sont à l’origine du déficit. Or un déficit budgétaire (et l’en-
dettement qui en résulte) n’a pas les mêmes implications s’il provient d’un gonflement des
dépenses courantes de fonctionnement de l’État associé à une moindre croissance de ses
ressources que s’il résulte d’un choix délibéré des pouvoirs publics d’accroître l’investisse-
ment public et certaines dépenses essentielles au développement économique et social du
pays, comme les dépenses d’infrastructures, de recherche, d’éducation et de santé. Il y a
donc déficit et déficit, et la question est par conséquent a priori moins celle de l’ampleur
du déficit que celles du contenu et des déterminants de ce déficit. À quelles dépenses
correspond-il exactement ? Dans quelle stratégie de développement s’inscrit-il éventuel-
lement ? C’est de fait l’analyse qui a été développée par divers auteurs et défendue par
les gouvernements de plusieurs pays de l’Union européenne qui ont proposé que soient
pris en compte certains « facteurs pertinents » pouvant justifier une plus grande souplesse
dans la mise en œuvre de la règle selon laquelle le déficit public d’un pays membre ne doit
pas excéder 3 % de son PIB.
• Dans cette optique, il a été proposé, par exemple, d’exclure les investissements du calcul
du déficit pris en compte pour contrôler le respect du pacte par les pays membres26, ce qui
aurait un effet bénéfique a priori sur la réalisation de l’agenda de Lisbonne, adopté en
2000 par les chefs d’État et de gouvernement, visant à faire en 2010 de l’économie euro-
péenne la plus compétitive au monde. L’argument généralement avancé à l’appui de ce
type de proposition est que le bénéfice des retombées positives des investissements publics
réalisés aujourd’hui sera intergénérationnel ; il ira également aux générations futures. Il
n’y aurait par conséquent pas de raison de faire supporter aux seuls contribuables d’au-
jourd’hui la charge du financement d’investissements publics (le plus souvent à longue
et même très longue durée de vie) qui permettront la production de services utiles aux
générations à venir. Proposition a ainsi été faite d’appliquer dans la zone euro la « règle
d’or » utilisée par le Royaume-Uni, selon laquelle la règle de l’équilibre budgétaire ne
devrait s’appliquer qu’au seul solde structurel courant, c’est-à-dire le solde structurel hors
investissement public net, l’équilibre devant être réalisé non pas annuellement mais sur la
durée totale du cycle conjoncturel.
• Il a également été proposé de tenir compte de la situation du pays considéré au regard
du budget de l’Union européenne, la limitation de son déficit public à 3 % du PIB étant a
priori plus difficile à réaliser pour un pays qui est contributeur net au budget de l’Union
que pour un pays dont la contribution nette au budget européen est négative27.
• Il a encore été proposé que soient prises en compte les charges spécifiques qu’assument
certains pays relativement à d’autres membres de la zone euro en matière, par exemple,
de défense nationale ou d’aide au développement28.
Il faut souligner que l’attention portée à la question du contenu des dépenses à l’origine
26 Dans le même ordre d’idées, J-P. Fitoussi, dans La règle et le choix (Seuil, Paris, 2002) a proposé de retenir un objectif de
déficit structurel correspondant à l’investissement public.
27 C. Saint-Étienne (2003) faisait ainsi remarquer que si, en 2002, on avait déduit du déficit public de la France sa contribution
nette au budget européen (2,2 milliards d’euros) ce déficit aurait été inférieur à 3 % du PIB.
28 L’Allemagne a ainsi souhaité que soient prises en compte, pour déterminer le déficit entraînant le déclenchement d’une
procédure pour déficit excessif, les charges spécifiques qu’elle doit assumer du fait de la réunification et de sa situation
de contributeur net au budget européen. Tandis que la France demandait pour sa part que soient prises en compte
pour la mesure du déficit certaines dépenses telles que celles d’investissement, de recherche, de défense, d’aide au
développement.

292 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


du déficit paraît d’autant plus légitime que l’obligation de contenir le déficit public dans
la limite de 3 % du PIB, dans un contexte de ralentissement de la croissance générant
mécaniquement un déficit public conjoncturel, aboutit souvent en pratique à comprimer
certaines « dépenses d’avenir » (investissements publics d’infrastructures, dépenses de re-
cherche et de formation des hommes), ce qui limite la capacité d’adaptation des économies
européennes aux mutations en cours (révolution informationnelle, montée en puissance
des « pays émergents », mondialisation)29. Certains participants au débat incriminent ainsi
la responsabilité des règles que le pacte impose aux pays-membres dans la persistance des
difficultés économiques et du chômage de masse que continuaient à connaître plusieurs
grands pays de l’Union européenne (Allemagne, France, Italie…) avant même le déclen-
chement de la crise des subprimes. Ils font valoir à ce propos que les États-Unis, qui se sont
bien gardés de s’imposer une règle comparable à celle de la limitation du déficit public
à 3 % du PIB, avaient depuis plusieurs années un déficit considérable de leurs finances
publiques et connaissaient une croissance économique plus soutenue que la moyenne des
pays européens ainsi qu’un taux de chômage sensiblement plus faible.
2) Dans une optique différente, certains auteurs ont par ailleurs souligné le caractère asy-
métrique du pacte.
Celui-ci ne présente en effet un aspect contraignant pour les pays auxquels il s’applique
qu’en phase de récession ou de crise économique conjoncturelle, lorsque le jeu des stabili-
sateurs automatiques induit mécaniquement un déficit du budget. Alors même qu’une lo-
gique de régulation conjoncturelle contra-cyclique voudrait que l’État, dans un tel contexte,
puisse délibérément accroître son déficit pour relancer l’activité, la limitation du déficit pu-
blic à 3 % du PIB s’y oppose. Le pacte n’introduit par contre aucune contrainte pour les
États-membres en phase d’expansion du cycle lorsque le jeu de ces mêmes stabilisateurs
automatiques conduit à la réalisation d’un excédent budgétaire. Les États-membres sont
ainsi libres d’utiliser comme ils l’entendent les « cagnottes fiscales » que génèrent les phases
d’expansion économique conjoncturelle soutenue. Ils peuvent en particulier les utiliser à
réduire les impôts, et donc les ressources ultérieures de l’État (sans nécessairement réduire
les dépenses), au lieu de résorber l’endettement, quitte à se mettre de ce fait en situation
encore plus difficile lors d’une nouvelle phase ultérieure de ralentissement économique
conjoncturel. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait la France et l’Allemagne à la fin des années 1990.
Alors que la croissance en volume du PIB français excédait les 3 % en 1999 et en 2000, la
France a maintenu un déficit structurel de 2,2 % du PIB en 1999 et de 2,3 % en 2000.
C’est pourquoi certains auteurs ont préconisé de rééquilibrer le pacte et de le compléter
par des dispositions s’appliquant en cas d’excédents budgétaires conjoncturels. C’est par
exemple la position défendue par Charles Wyplosz qui a proposé de confier à un « Comité
de politique budgétaire », formé d’experts indépendants et construit sur le modèle de la
Banque centrale européenne, le soin de « définir l’équilibre budgétaire afin de gérer les
cycles de fluctuation ». Ce comité prendrait les décisions concernant les surplus et déficits
budgétaires des différents pays membres, avec comme objectif, à long terme, « la stabili-
sation (ou la réduction pour certains pays) de la dette publique ».

29 On a déjà souligné à ce propos (chapitre IV) l’évolution inquiétante de l’investissement public dans les grands pays dé-
veloppés, dont la France, au cours des deux dernières décennies, alors même que les théories de la croissance endogène
insistent fortement sur le rôle essentiel dans le processus de croissance économique des dépenses publiques d’infrastruc-
tures, d’éducation, de formation et de recherche.

La politique budgétaire 293


Mais C. Mathieu et H. Sterdyniack (2003), qui voient dans cette proposition « le prolon-
gement de l’indépendance de la BCE, la technocratisation complète de la politique éco-
nomique », estiment que cela reviendrait à « soustraire le choix de la stratégie macroé-
conomique du débat démocratique », ce qui ne leur paraît pas souhaitable. De fait, après
la politique monétaire confiée à la BCE, soustraite par ses statuts à l’influence du pouvoir
politique, ce serait également la conduite de la politique budgétaire, ou à tout le moins
d’aspects essentiels de celle-ci, qui serait confiée à un organisme « indépendant » du
pouvoir politique. Le processus de confinement de l’État à un nombre très limité de
fonctions strictement régaliennes que beaucoup de libéraux appellent de leurs vœux, et
qui est déjà bien engagé, franchirait ainsi une étape supplémentaire. Un nouveau pan
entier de l’action publique échapperait en effet au contrôle des dépositaires du pouvoir
politique issus du suffrage universel pour être confié à des personnalités certes quali-
fiées mais dont la supposée indépendance (par rapport à quelles forces économiques et
sociales constituées, à quelles idées et représentations du monde ? ) ne peut que prêter
à interrogation.
3) D’autres travaux ont également fait valoir le caractère arbitraire de la règle limitant
le déficit budgétaire à 3 % du PIB. Ce plafond n’a en réalité pas de véritable justification
théorique explicite. À quoi s’ajoute que l’impact d’un déficit peut être différent selon le ni-
veau atteint par ailleurs par la dette publique, ce qui n’est pas pris en compte alors même
que les pays membres de la zone euro sont dans des situations très différentes du point de
vue du montant de leur dette publique respective.
Par ailleurs, l’objectif d’équilibre du budget sur la du cycle économique signifie implicite-
ment un objectif de réduction à terme de la dette publique à zéro. Or rien n’assure qu’une
situation où la dette publique serait nulle soit optimale. On peut au contraire penser
qu’une situation où existerait un stock d’investissements publics financé par endettement
serait socialement préférable.

B – Le pacte à l’épreuve des faits : les difficultés de certains pays à en respecter


les règles
Le débat à propos du Pacte de stabilité et de croissance mis sur la place publique par les
déclarations de R. Prodi a pris d’autant plus d’ampleur que différents pays membres de
la zone euro se sont avérés incapables de respecter les règles du pacte, à commencer par
les deux plus puissants d’entre eux, l’Allemagne et la France.
De 2002 à 2004, la France a été incapable de respecter les règles qu’impose le pacte. Le
déficit des APU a dépassé les 3 % du PIB en 2002 (3,2 %), puis en 2003 (4,2 %), et encore
en 2004 (3,7 %). Parallèlement, l’endettement public est passé de 59 % du PIB en 2002
à 65,6 % en 2004. Dans ces conditions, la France aurait normalement dû tomber sous le
coût des sanctions prévues par le pacte30. Mais la mise en œuvre effective de sanctions à
l’encontre de la France supposait qu’une majorité politique se dégage au sein du Conseil

30 Et, concrètement, dès juin 2003, la Commission européenne avait demandé à la France de prendre, avant le 3 octobre 2003,
les dispositions nécessaires pour ramener son déficit au-dessous de 3 % en 2004, tout en réduisant son déficit structurel
d’au moins 0,5 point de PIB. Le projet de budget pour 2004 ne satisfaisant pas ces demandes, la Commission européenne
devait soumettre à l’Ecofin du 4 novembre 2003 de nouvelles recommandations concernant la France, avec l’obligation
pour cette dernière de s’y conformer pour la fin de l’année, faute de quoi elle pourrait être sanctionnée.

294 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


européen pour en décider. Tel ne fut cependant pas le cas, d’autres pays dont le déficit
public avait déjà franchi le seuil des 3 % du PIB ou qui risquaient de le faire ne souhaitant
pas créer à propos de la France un précédent qui n’aurait pas manqué de s’appliquer
également à eux par la suite.
La France n’était en effet pas seule dans ce cas. Plusieurs autres pays membres de la zone
euro enregistraient ainsi en 2004 un déficit atteignant ou excédant les 3 % du PIB : Alle-
magne, 3,7 % ; Italie, 3 % et Grèce, 6,1 % ; cette dernière qui était dans cette situation
depuis son entrée dans la zone euro avait réussi à masquer cette situation par des manipu-
lations comptables. Pour l’ensemble de la zone euro, le déficit public s’élevait à 2,7 % du
PIB (contre 2,8 % en 2003). Par ailleurs, outre la France, 6 pays avaient en 2004 une dette
publique totale excédant les 60 % du PIB, dont la Grèce (110,5 % du PIB), l’Italie (105,8 %)
et l’Allemagne (66 %). L’endettement atteignait globalement une moyenne de 71,3 % du
PIB pour l’ensemble des 12 pays de la zone euro.
Ceci explique que la Conseil européen du 25 novembre 2003 décida finalement de sus-
pendre la procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France, ainsi que celle engagée
parallèlement à l’encontre de l’Allemagne, elle aussi en situation délicate. Cette décision
du Conseil, qui fut au demeurant jugée illégale par la Cour de justice des communautés
européennes dans un arrêt du 13 juillet31, rendait inéluctable une réforme du Pacte.

C - La réforme du pacte
Le débat auquel a donné lieu le Pacte de stabilité et de croissance a permis de mettre en
évidence la nécessité et l’urgence d’une adaptation. Ceci a conduit la Commission euro-
péenne à avancer en septembre 2004 des propositions qui ont débouché sur un accord au
Conseil européen des 22 et 23 mars 2005.
Selon les termes de cet accord, la double limitation du déficit public à 3 % du PIB et de la
dette publique à 60 % du PIB est confirmée. Mais les conditions de mise en œuvre de la
procédure pour déficit excessif par la Commission européenne sont modifiées.
Les « circonstances exceptionnelles » qui justifient que la Commission européenne renonce
d’emblée à engager une procédure à l’encontre d’un pays dont le déficit public atteint
3 % du PIB sont redéfinies. Alors que ces circonstances exceptionnelles ne pouvaient être
invoquées jusqu’à présent qu’à la condition que le pays subisse une récession d’au moins
2 % du PIB (cas qui ne s’était pas encore présenté), elles pourront désormais l’être si la
croissance du pays considéré est nulle ou très faible (de l’ordre de 0,2 à 0,3 % de croissance
du PIB), ce qui était, par exemple, le cas de la France en 2002.
La définition des « facteurs pertinents », que la Commission européenne et le Conseil des
ministres doivent prendre en compte pour décider d’engager ou non une procédure pour
déficit excessif à l’encontre d’un pays dont le déficit public dépasse 3 % du PIB et pour
déterminer le délai accordé à ce pays pour revenir au respect de la règle du pacte, est
précisée dans le sens souhaité par des pays comme l’Allemagne et la France. Ces facteurs
pertinents comprennent désormais le niveau des investissements effectués par le pays,
31 La Cour avait été saisie par la Commission en janvier 2004 et elle a estimé que « le Conseil ne peut s’écarter des règles
établies par le traité ni de celles qu’il s’est lui-même imposées » et qui sont répertoriées dans le règlement détaillant les
procédures du pacte.

La politique budgétaire 295


l’importance des efforts qu’il consent en matière de recherche et de développement, ainsi
que les réformes structurelles majeures susceptibles d’exercer une influence positive à long
terme sur les finances publiques qu’il engage, telles que les réformes de la Sécurité sociale
et des systèmes de retraite. Sont adjointes à ce premier ensemble de facteurs pertinents les
contributions du pays à la « solidarité internationale », ce qui recouvre en fait l’aide au dé-
veloppement, à la « réalisation des objectifs européens » (et en particulier l’apport du pays
considéré au budget européen), et à « l’unification européenne » (réunification allemande).
La prise en compte de ces facteurs pertinents ne sera cependant possible que lorsque le dé-
ficit ne sera que « temporaire » et « proche » des 3 % et n’excédera donc les 3 % que dans
des proportions limitées (a priori moins de 4 % du PIB du pays). Aucune dépense ne sera par
contre exclue du calcul du déficit, contrairement au souhait exprimé par certains pays.
Le délai accordé à un pays en déficit pour ramener son déficit dans la limite des 3 % du PIB
est prolongé de fait. Si l’objectif d’un retour du déficit sous la barre des 3 % dans l’année qui
suit la constatation d’un déficit excessif est réaffirmé, le pays pourra obtenir un délai sup-
plémentaire d’une année en cas de circonstances particulières constatées par la Commission
européenne et le Conseil des ministres. De surcroît, avant de pousser plus avant la procédure
des sanctions à l’encontre du pays en déficit excessif, la Commission pourra établir un nou-
veau rapport aboutissant à lui accorder un délai supplémentaire d’un an. Ce qui signifie que,
dans ce cas, le pays contre lequel aura été engagée la procédure pour déficit excessif aura eu
3 ans pour ramener son déficit public dans la limite prévue par le pacte. Par ailleurs, le délai
dont dispose un pays qui a fait l’objet d’un diagnostic de déficit excessif par la Commission
et le Conseil pour présenter ses mesures de redressement est porté de 4 à 6 mois.
La réforme du pacte prévoit également que les pays membres s’engagent à profiter des
périodes d’expansion conjoncturelle au cours desquelles la croissance économique effective
est supérieure à la croissance potentielle pour dégager des excédents budgétaires. Ils s’en-
gagent également à faire des efforts en matière de désendettement sans être obligés pour
autant de dégager un excédent primaire c’est-à-dire un excédent calculé hors paiement des
intérêts dus sur la dette. L’objectif à moyen terme fixé à chaque pays-membre est fonction
de sa situation présente. Pour les pays fortement endettés et dont le potentiel de croissance
paraît limité, l’objectif à moyen terme, comme c’était le cas avant la réforme pour l’ensemble
des pays, est d’évoluer vers un budget très proche de l’équilibre ou en excédent. Par contre,
pour les pays faiblement endettés et dont la croissance économique est forte, l’objectif à
moyen terme pourra être un déficit égal à 1 % du PIB. En outre, les pays qui restent en deçà
de leur objectif à moyen terme doivent réduire leur déficit structurel de 0,5 point de PIB par
an, cet engagement étant susceptible d’aménagement en fonction de la conjoncture.

Depuis la réforme du Pacte de stabilité et de croissance, on a pu observer que la situation


budgétaire globale des pays de la zone euro s’est d’abord légèrement dégradée en 2005,
avec un déficit moyen de 2,9 % du PIB contre 2,7 % en 2004. L’Allemagne (3,3 %), l’Italie
(4,1 %), le Portugal (6,0 %) et la Grèce (4,4 %) ont conservé un déficit supérieur à 3 %
du PIB ou très proche de 3 % : 2,9 % pour la France, mais ceci en raison de la perception
par l’État de ressources exceptionnelles32 sans lesquelles, selon le président de la Cour des

32 Versement par EDF à la CNAV d’une soulte de 9 milliards d’euros en contrepartie de la prise en charge du régime des
retraites des employés d’EDF, ce qui a augmenté d’autant les recettes des APU pour 2005.

296 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


comptes, le déficit eut été égal à 3,5 % du PIB33. Parallèlement, la dette publique de plu-
sieurs pays excédait les 60 % : Autriche 68 %, Portugal 64 %, France 66,6 %, Allemagne
68 %, Belgique 93 %, Italie 106 %, Grèce 108 %.
La situation financière de la zone euro a commencé à s’améliorer en 2006. Le déficit public
moyen de la zone euro s’est établi à 2,3 % de PIB, tandis que l’Allemagne (3,1 %), l’Italie
(4,2 %), le Portugal (4,8 %) conservaient un déficit allant au-delà du seuil des 3 % du PIB
et que le déficit public de la France se maintenait juste en dessous de la limite prévue par
le pacte (2,9 % du PIB). La dette publique moyenne de la zone euro était de 70,8 % du
PIB en 2006 : 107,4 % pour l’Italie, 69,5 % pour l’Allemagne et 66,8 % pour la France. Le
redressement s’est confirmé en 2007, la Commission européenne estimant le déficit moyen
de la zone euro à 1 % pour 2007 et 0,8 % pour 2008. L’Allemagne a pour sa part fortement
réduit son déficit public ramené de 3,3 % du PIB en 2005 à 0,6 % en 2007 grâce en parti-
culier à la hausse de 3 points de la TVA.
Pour sa part, la France est parvenue à stabiliser son déficit public en 2006 par rapport à
2005 (2,88 %), et sa dette publique (66,8 %). Mais la prévision de baisse du déficit annon-
cée initialement pour 2007 (il devait être ramené à 2,4 %) n’a pu être tenue, le déficit
s’établissant finalement à 2,7 %, tandis que la dette se maintenait à 63,9 %. En 2007, le
gouvernement français a ainsi indiqué que la France ne réduirait pas son déficit public
de 0,5 % en 2008 comme prévu initialement et que le retour à l’équilibre financier était
reporté de 2010 à 2012 (cf. supra, chapitre IV). En 2008, le déficit public s’est élevé à 3,4%
du PIB et la dette publique à 68% du PIB. Suite à l’éclatement de la crise financière des
subprimes et de la crise économique internationale qui s’en est suivie, les pays-membres
ont connu une nouvelle dégradation de leurs finances publiques en 2008, et plus encore
en 2009.
Suite à l’éclatement de la crise financière des subprimes et de la crise économique interna-
tionale qui s’en est suivie, les pays-membres ont connu une nouvelle dégradation de leurs
finances publiques en 2008, et plus encore en 2009.

D - Des questions en suspens


La réforme du Pacte de stabilité et de croissance de 2005 permet sans conteste d’apporter
des éléments de réponse à certaines des objections soulevées par le pacte dans sa forme
originelle. Mais, et ce n’était pas son objet, elle ne résout pas certaines autres questions
auxquelles est confrontée la conduite de la politique budgétaire par les pays membres de
la zone euro et au-delà de l’ensemble de l’Union européenne. Reste ainsi en suspens la
question de la coordination des politiques budgétaires des pays membres de la zone euro
et au-delà de l’ensemble de l’Union européenne et, en liaison avec cette première ques-
tion, celle de la faisabilité d’une politique budgétaire active de relance en Europe.

Pour certains analystes et certains responsables européens, la nécessité et l’utilité d’une


coordination des politiques budgétaires des pays membres de la zone euro, et plus large-
ment encore de l’ensemble de l’Union européenne, ne seraient guère discutables. À dif-
33 Dès janvier 2005, le commissaire européen aux affaires économiques, Joaquim Almunia prévenait que, si le déficit public
français demeurait au-dessus de 3 % du PIB, la Commission pourrait « très bien prendre une nouvelle décision, et ceci à
n’importe quel moment » (cité par Le Monde, 8-01, 2005, p. 11).

La politique budgétaire 297


férentes reprises des voix se sont en particulier élevées pour défendre l’idée d’une relance
budgétaire concertée par les différents pays européens susceptible de donner l’impulsion
nécessaire pour sortir du régime de relative faible croissance économique auxquels nombre
de ces pays semblent condamnés depuis de longues années. Selon ses partisans, une telle
relance budgétaire concertée serait susceptible d’avoir une efficacité réelle. Le taux d’ou-
verture sur le reste du monde de l’Union européenne en tant que telle, est en effet rela-
tivement faible, de l’ordre de 14 %, si bien que les multiplicateurs budgétaires à l’échelle
de l’ensemble de l’Union européenne sont plus élevés que pour chaque pays considéré
individuellement. En outre, la coordination des politiques de relance permettrait d’éviter
que celles-ci ne se traduisent pour certains pays par un déficit de leurs échanges extérieurs.
Les pays de l’Union européenne commercent en effet principalement entre eux de sorte
que, pour chacun d’eux, en cas de mise en œuvre d’une relance budgétaire concertée,
la croissance de ses importations en provenance des autres pays de l’Union, stimulée par
l’accélération de sa croissance économique interne, irait de pair avec la croissance de ses
exportations vers les autres pays de l’Union. La simultanéité de la relance budgétaire dans
les différents pays de la zone devrait donc assurer la croissance de flux croisés d’échange
entre tous les pays membres, permettant à chacun d’eux de préserver l’équilibre de ses
échanges extérieurs.
En pratique, le traité de Maastricht (art. 99) prévoit bien une certaine coordination des
politiques économiques des États-membres relevant de la compétence du Conseil des
ministres. Chaque année doivent ainsi être définies des grandes orientations de politique
économique (GOPE) comportant des objectifs tant pour l’Union européenne que pour
chaque pays-membre. Mais il est clair que l’on est encore très loin de la réalisation d’une
véritable coordination des politiques économiques des pays-membres. Jusqu’à présent,
c’est plutôt le « chacun pour soi » qui a prévalu ; et il est à craindre que cet état de chose
perdure pendant encore un certain temps. En septembre 1997 a certes été décidée la
création de l’Euro-groupe, formé des ministres des finances de la zone euro. Mais il ne
s’agit cependant que d’une instance informelle (ce qui avait été exigé par l’Allemagne)
qui se distingue de l’Ecofin réunissant de manière formelle les ministres des finances
des 15 (aujourd’hui des 27). L’Euro-groupe se réunit désormais la veille des réunions
officielles de l’Ecofin. Mais, si certains veulent voir en lui « l’embryon » d’un futur mais
encore hypothétique « gouvernement économique » de l’Europe, il reste que la coordi-
nation économique demeure pour l’instant très lâche. En atteste, par exemple, le fait
que les baisses d’impôts qui furent décidées par les pays européens en 2000, en profitant
de la croissance économique relativement soutenue du moment, aient été réalisées sans
concertation. En atteste également la véritable concurrence fiscale dans laquelle ont
commencé à s’engager les pays formant l’Union européenne et qui s’est encore inten-
sifiée avec l’élargissement aux 10 nouveaux pays qui l’ont rejoint en 2004 et aux deux
autres intégrés en 2007.
Certains auteurs soulignent d’ailleurs que la création de la monnaie unique a plutôt fa-
vorisé cette intensification de la concurrence fiscale entre les pays membres de la zone
euro. En particulier, la monnaie unique, en faisant disparaître le risque de change, ac-
croît la mobilité du capital et du travail qualifié, de sorte que les pays européens peuvent
être tentés de pratiquer un dumping fiscal leur permettant d’attirer des capitaux et des
talents sur leur territoire. Mais, si un tel dumping fiscal devait se généraliser, cela ne

298 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


serait pas sans conséquences car, comme le souligne P. Artus (1998, p. 8), « si les facteurs
mobiles de production (capital productif ou financier, travail qualifié) ne peuvent plus
être taxés en raison de la présence de pays qui ne les taxent pas, seule la consommation
(par la TVA) et le travail non qualifié, qui ne sont pas délocalisables, pourraient être as-
sujettis à l’impôt, ce qui n’est ni efficace, ni juste ».

À quoi s’ajoute que le budget communautaire européen ne permet pas de mobiliser les
ressources nécessaires à la mise en œuvre d’une politique budgétaire européenne active
réellement efficace. Tel qu’il est, ce budget ne peut être utilisé à des politiques conjonc-
turelles de relance d’une envergure suffisante. Il est en effet consacré pour l’essentiel à
couvrir les dépenses de la politique agricole commune (PAC) ainsi que celles des fonds
structurels et du Fonds de cohésion sociale qui représentent en tout de l’ordre de 80 %
de la totalité des dépenses inscrites au budget (cf. infra). Sans compter que les gouver-
nements de plusieurs pays-membres, dont celui de la France, ont exigé que les ressources
du budget de l’Union européenne soient limitées à 1 % seulement du PIB de l’ensemble
de l’Union sur la période 2007-2013, ce qui revient d’emblée à enfermer l’Union euro-
péenne dans un carcan financier qui paraît en totale contradiction avec les ambitions af-
fichées dans la déclaration de Lisbonne (cf. infra, chapitre VIII) et avec l’attachement pro-
clamé de ces mêmes gouvernements à la constitution d’une Union européenne plus forte
et plus prospère capable de jouer un rôle de premier plan dans les affaires du monde.

Le budget européen
Le budget européen s’élève globalement à 1 % du PIb européen, ce qui est donc sans commune me-
sure avec les budgets publics des États-membres. En 2009, le total des ressources du budget européen
s’éleverait à 116 milliards d’euros, soit 0,89 % du revenu national brut de l’Union européenne34.

Les ressources du budget européen se répartissent en quatre ensembles :

• les cotisations (production et stockage) prélevées dans le cadre de l’organisation commune des
marchés du sucre ainsi que les cotisations pour la production d’isoglucose (1,7% des ressources
en 2007) ;
• les droits de douane prélevés en application du tarif extérieur commun sur les produits importés du
reste du monde. Cette recette est en baisse du fait des accords de réduction des droits de douane
signés par la Communauté (13,2% des ressources en 2007) ;
• le reversement par les pays-membres à l’Union européenne d’une partie du produit de la TVA. Un
taux uniforme est appliqué à l’assiette de la TVA dans chaque pays-membre. Le taux a été ramené
de 1,4 % en 1994 à 0,5 % en 2004. La part de cette ressource dans le total des ressources (16,5 %
en 2007) tend par conséquent à baisser ;
• un pourcentage du revenu national brut du pays (identique pour tous les pays-membres) : dis-
positif adopté en 1988. Le montant de cette « quatrième ressource » est fixé chaque année en
fonction du rendement des autres ressources du budget. Elle joue en fait le rôle de ressource
d’équilibre. Elle représentait 62,9 % du total des ressources en 2007.

Les dépenses du budget européen, quant à elles, se ventilent entre différents postes (graphique
5.2).
34 Il s’agit du montant des paiements. Les engagements s’élèvent, eux, à 133,8 milliards d’euros, soit 1,03% du RNB de
l’Union européenne.

La politique budgétaire 299


GrAPhIqUE 5.2
Répartition du budget 2005 de l’Union européenne, en %

Agriculture Aides régionales


36,4
42,6

7,8
Politiques internes
Réserves 0,4 (recherche, transport,
sécurité intérieure, culture...)
Compensation 1,1 5,4 Administration
Stratégie de préadhésion 1,8 4,5 Actions extérieures

Source : Commission européenne.

• La politique agricole commune (FEOGA), représentant 47 % du total des dépenses en 2004.


Les dépenses de la PAC sont réalisées par le FEOGA qui, dans sa « section garantie », finance les
dépenses liées à la régularisation des marchés agricoles :
- soutien des prix à la production en référence aux prix d’orientation ou d’intervention fixés dans le
cadre des organisations communes de marché (OCM),
- soutien à l’exportation des produits agricoles européens sur les marchés extérieurs à l’Union euro-
péenne (restitutions).

Dans le cadre des perspectives financières pour 2000-2006 adoptées par le sommet européen de berlin
en mars 199935, ces dépenses avaient été limitées à une moyenne annuelle de 40,5 milliards d’euros.
Alors que ces dépenses du FEOGA, dans sa « section garantie », représentaient 86,9 % du total des dé-
penses communautaires en 1970, elles ont vu leur part diminuer progressivement pour s’établir à 45 %
en 2002.

• L’action structurelle (FEDEr, FSE, Fonds de cohésion) (31 %). Ces dépenses structurelles sont
destinées à permettre un développement équilibré de l’ensemble de la communauté et la cohé-
sion économique et sociale. Elles constituent le deuxième poste par ordre d’importance des dé-
penses communautaires : dépenses du Fonds social européen, du FEOGA « section orientation »,
du Fonds européen de développement régional (FEDEr). Depuis la réforme de 1999, les objectifs
assignés aux fonds structurels sont : 1) la promotion du développement et « l’ajustement structu-
rel » des régions en retard de développement par rapport à la moyenne de l’Union européenne
(c’est-à-dire les régions dont le PIb moyen par habitat est inférieur à 75 % du PIb moyen de
l’Union européenne) ; 2) l’aide à la reconversion économique et sociale des régions, autres que
celles concernées par le premier objectif, qui sont confrontées à des difficultés structurelles ; 3)
le développement des ressources humaines (aide à l’insertion professionnelle des jeunes et des
35 Les « perspectives financières » sont une norme pluriannuelle d’évolution des dépenses et des recettes du budget com-
munautaire qui est adoptée pour une certaine période par la Commission, le Conseil et le Parlement. Elles fixent des
plafonds annuels de crédits par catégorie de dépense pour l’ensemble de la période à laquelle elles correspondent. Ces
plafonds annuels de dépense s’imposent aux trois institutions européennes pour l’élaboration de chaque budget annuel.
Cette procédure des perspectives financières a été mise en œuvre pour la première fois pour la période 1988-1992, puis
reconduite pour la période 1993-1999 et la période 2000-2006.

300 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


personnes exclues du marché du travail, lutte contre le chômage de longue durée) ; 4) l’adapta-
tion des travailleurs aux mutations industrielles… Le Fonds de cohésion qui a été créé en 1993
est par ailleurs destiné à aider à la réalisation de projets mis en œuvre dans des pays dont le PIb
est inférieur à 90 % de la moyenne de l’Union européenne et qui s’inscrivent dans la politique de
l’environnement ou des réseaux transeuropéens. Globalement, les perspectives financières pour
2000-2006 prévoyaient une dépense globale annuelle moyenne de 27,9 milliards d’euros pour
les fonds structurels (29,4 milliards d’euros en 2000) ramenée progressivement à 26,6 milliards
d’euros en 2006 et un budget annuel moyen de 2,6 milliards d’euros pour le Fonds de cohésion.
Ces dépenses ont la propriété de permettre une redistribution de ressources au sein de l’Union
européenne des pays les plus riches vers les moins riches. De 1994 à 1999 ce sont, dans l’ordre,
l’Irlande, le Portugal, la Grèce et l’Espagne qui ont le plus bénéficié des fonds distribués au titre de
ces dépenses d’action structurelle. La part de ces dépenses liées aux actions structurelles dans le
total des dépenses n’a cessé de progresser, passant de 2,7 % en 1970 à 35 % en 2000.
• Les politiques internes (r&D, éducation, environnement, réseaux transeuropéens de transports, de
télécommunications et d’énergie), soit 7 % du total des dépenses.
• Les actions extérieures de l’Union européenne (aide aux pays en voie de développement, aux pays de
l’est, aide alimentaire), soit 5 % du total des dépenses.
• Le fonctionnement de l’administration communautaire (5 %).
• Les stratégies d’adhésion aidant certains pays candidats à l’adhésion à l’Union européenne à se
moderniser (3 %).

L’accord sur les perspectives financières pour la période 2007-2013, conclu en décembre 2005, se traduit
par un engagement de dépenses d’un montant total de 862,36 milliards d’euros, ce qui correspond à
1,045 % du rNb européen. Sur ce montant total, 157 milliards d’euros sont affectés aux aides apportées
aux nouveaux États-membres de l’Est. Le rabais britannique, arraché aux autres membres de l’Union
européenne en son temps par M. Thatcher est pérennisé, mais en réduction. La Commission a par
ailleurs été chargée de faire un rapport en 2008-2009 afin d’« entreprendre une révision exhaustive et
large de toutes les dépenses, y compris la politique agricole, et de toutes les ressources, dont le rabais
britannique ».

Les pays membres de l’Union européenne qui, d’un coté, alimentent ses ressources et, de l’autre, béné-
ficient de certaines de ses dépenses, peuvent être de ce fait contributeurs nets au budget européen ou
bénéficiaires nets. À titre d’exemple, en 2002, les principaux contributeurs nets au budget européen, en
proportion de leur revenu national, étaient la Suède, l’Allemagne, les Pays-bas et le Luxembourg et les
principaux bénéficiaires nets la Grèce, le Portugal et l’Irlande.

La politique budgétaire 301


la politique monétaire
et la politique de change

CHAPITRE 6

Dans l’acception la plus générale, la politique monétaire consiste en une action sur les va-
riables monétaires (quantité de monnaie en circulation, taux d’intérêt) destinée à influer,
selon le cas, sur le taux d’inflation, le rythme de croissance de la production et le niveau de
l’emploi, le taux de change, ou le solde de la balance des paiements. Elle se fonde sur l’hy-
pothèse selon laquelle existent des liens étroits et relativement stables entre les variables
monétaires et d’autres variables économiques, de sorte qu’en agissant sur les premières
ont peut influer sur les secondes.
La politique monétaire ainsi définie peut se caractériser par ses objectifs finals, intermé-
diaires et opérationnels et par ses instruments.
- Les objectifs finals sont les variables macroéconomiques sur lesquelles les autorités moné-
taires cherchent à agir par la politique monétaire mise en œuvre. Ils peuvent varier d’un
pays ou ensemble de pays à l’autre. Il est possible de distinguer deux grandes conceptions
opposées de la politique monétaire en fonction des objectifs finals qui lui sont assignés.
La première conception, d’inspiration keynésienne, fait de la politique monétaire un outil
de régulation conjoncturelle destiné à agir prioritairement sur le niveau de l’activité et de
l’emploi. Dans cette optique, il est supposé que la monnaie n’est pas neutre, et qu’une va-
riation de la quantité de monnaie en circulation est susceptible d’influer sur l’évolution des
grandeurs économiques réelles, et en particulier sur le niveau du produit global et sur celui
de l’emploi. La politique monétaire, en agissant sur la quantité de monnaie en circulation,
est donc en mesure d’influer sur l’évolution du niveau de l’activité et de l’emploi. Selon la
conjoncture économique du moment, la politique monétaire peut être utilisée, en cas de
récession, pour stimuler la croissance et élever le niveau de l’emploi ou, au contraire, en cas
de « surchauffe » et de « dérapage inflationniste », pour freiner la croissance et peser ainsi
sur l’évolution des prix. La politique monétaire peut être discrétionnaire, les mesures adop-
tées étant conditionnées par les objectifs que lui assignent les autorités monétaires sur le
moment, en fonction de la conjoncture économique sur laquelle elle est destinée à influer.
La seconde conception, d’inspiration néoclassique, assigne à la politique monétaire l’ob-
jectif prioritaire, voire exclusif, d’assurer durablement la stabilité des prix. Il est supposé
que la monnaie est « neutre » et qu’elle n’a donc a priori aucune influence sur les gran-
deurs économiques réelles (production, consommation, investissement... en volume) : une
variation de la quantité de monnaie en circulation ne modifie pas les prix relatifs et, de ce
fait, n’a pas d’incidence sur les décisions des agents économiques qui commandent l’évo-
lution des grandeurs réelles. Elle est par contre déterminante pour l’évolution des prix
absolus, les agents économiques privés étant supposés ne pas être victimes de l’illusion
monétaire et ne pas confondre les évolutions nominales et les évolutions en volume. En
application de la théorie quantitative de la monnaie, l’inflation est caractérisée comme un
phénomène purement monétaire. Il y a inflation dès lors que la quantité de monnaie en
circulation progresse à un rythme supérieur à celui du produit global en volume, en tenant
compte de l’éventuelle variation de la vitesse de circulation de la monnaie. La politique
monétaire a donc pour finalité d’assurer une croissance de la masse monétaire compatible
avec la stabilité des prix. Dans cette seconde conception, la politique monétaire doit être
prévisible pour les agents économiques et fondée sur le respect par les autorités moné-
taires de règles concernant l’évolution de la masse monétaire.
En France, pendant les Trente Glorieuses, c’est la première conception qui avait prévalu. La
politique monétaire était alors conçue, parallèlement à la politique budgétaire, principa-
lement comme un moyen de stimuler la croissance économique et de réaliser le plein-em-
ploi. Elle avait donc pour finalité de fournir à l’économie française la quantité de monnaie
nécessaire à une croissance économique soutenue permettant de réaliser le plein-emploi,
tout en se prémunissant contre des risques de dérapages inflationnistes trop marqués.
À partir de 1983 et du tournant de la « rigueur », la politique monétaire a par contre
été progressivement mise au service exclusif de la lutte contre l’inflation, dans le cadre
de la mise en œuvre de la politique de « désinflation compétitive ». Il en est de même
aujourd’hui pour la politique monétaire mise en œuvre pour l’ensemble de la zone euro
par la Banque centrale européenne à laquelle ses statuts assignent comme objectif final
prioritaire la maîtrise de l’inflation. Les traités consolidés de l’Union européenne affirment
ainsi que « l’objectif principal du Système européen des banques centrales est de maintenir
la stabilité des prix » (article 105, alinéa 1)1.
- Les objectifs intermédiaires de la politique monétaire concernent des variables (moné-
taires) sur lesquelles la Banque centrale peut exercer une action et dont l’évolution est
censée conditionner la réalisation de(s) l’objectif(s) final(s). Le choix des objectifs intermé-
diaires est donc directement conditionné par celui de (des) l’objectif(s) final(s). C’est ainsi,
par exemple, qu’un certain rythme de croissance de la masse monétaire en circulation
pourra constituer un objectif intermédiaire d’une politique monétaire dont les objectifs fi-
nals seraient l’élévation du niveau de l’activité et l’amélioration de l’emploi2. Les liens exis-
tant entre les variables monétaires auxquelles s’appliquent les objectifs intermédiaires et
1 Il y a là une différence importante avec la Banque centrale des États-Unis, la Réserve fédérale ou FED, dont les objectifs
finals sont le plein-emploi, la stabilité des prix et la modération des taux d’intérêt à long terme. La politique monétaire des
États-Unis depuis les années 1980 a ainsi pour objectif final l’obtention d’une combinaison jugée satisfaisante en matière
de taux d’inflation et de taux de croissance.
2 Avec l’idée que les agents économiques non financiers (ANF) utilisent au bout du compte la monnaie à leur disposition
pour acquérir des biens et services, de sorte que, en augmentant (par le crédit) la quantité de monnaie mise à leur dispo-
sition, on peut accroître par cela même la demande globale sur les marchés de biens et services et, par ce biais, stimuler
la croissance et améliorer la situation de l’emploi.

304 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


celles auxquelles s’appliquent les objectifs finals sont caractérisés comme autant de canaux
de transmission de la politique monétaire par lesquels celle-ci influe sur différents aspects
de l’activité économique du pays.
Les variables monétaires qui constituent les objectifs intermédiaires de la politique moné-
taire doivent présenter trois propriétés : 1) pouvoir faire l’objet d’un suivi statistique de la
part des autorités monétaires, afin que celles-ci puissent mesurer les résultats de la politique
mise en œuvre et la faire évoluer en cas de besoin, et être compréhensibles par tous les
agents économiques ; 2) être en relation stable avec la ou les variables économiques aux-
quelles s’appliquent les objectifs finals de la politique monétaire ; 3) pouvoir être contrôlées,
directement ou indirectement, par les autorités monétaires à l’aide des instruments dont
celles-ci disposent.
Dans de nombreux pays, c’est l’évolution de la masse monétaire en circulation, mesurée gé-
néralement par un agrégat monétaire large (du type de l’agrégat M3 calculé pour la zone
euro), qui constitue le principal objectif intermédiaire de la politique monétaire suivie par
la Banque centrale. Mais les taux d’intérêt ou des agrégats de crédit peuvent également
constituer des objectifs intermédiaires d’une politique monétaire. Il en est de même du taux
de change si la politique monétaire est conçue comme intégrant la politique de change3.

- Les objectifs opérationnels de la politique monétaire concernent des variables sur les-
quelles les autorités monétaires ont une prise directe, dont l’évolution conditionne celle
des objectifs intermédiaires, et dont la manipulation par la Banque centrale est susceptible
de donner des indications claires aux agents économiques concernant l’orientation de la
politique monétaire mise en œuvre. Aujourd’hui, ce sont le plus souvent les taux d’inté-
rêt du marché interbancaire qui jouent le rôle d’objectifs opérationnels4. La quantité de
monnaie centrale que la Banque centrale met à la disposition du secteur bancaire (la base
monétaire) peut également jouer ce rôle. Ceci sous réserve, d’une part, qu’il y ait un rap-
port stable entre l’offre de monnaie centrale par la Banque centrale et la masse monétaire
en circulation mesurée par M3 et, d’autre part, que la Banque centrale ait réellement la
maîtrise de son offre de monnaie centrale, autrement dit qu’elle ne soit pas en réalité
contrainte de refinancer le système bancaire pour le montant dont celui-ci a réellement
besoin pour solder ses comptes.

- Les instruments de la politique monétaire sont les éléments dont la Banque centrale a la maî-

3 L’évolution de la masse monétaire fut ainsi un objectif intermédiaire de la politique monétaire française à partir de 1977.
Les autorités monétaires affichaient chaque année un objectif de croissance de l’agrégat monétaire retenu comme agrégat
de référence (successivement M2 puis M3), la réalisation de cet objectif intermédiaire étant censée garantir la croissance
de la masse monétaire compatible avec l’objectif final de maîtrise de l’inflation, compte tenu des prévisions concernant
la croissance du PIB en volume. Parallèlement, à partir des années 1980, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique
de désinflation compétitive, la stabilisation du taux de change du franc par rapport au mark a également été érigée en
objectif intermédiaire de la politique de change.
4 On rappelle que le marché interbancaire est le compartiment du marché monétaire sur lequel les banques commerciales
s’échangent de la monnaie centrale (émise exclusivement par la Banque centrale et utilisée comme moyen de paiement
entre banques commerciales). La baisse (hausse) des taux d’intérêt du marché interbancaire diminue (augmente) le coût
des ressources nécessaires aux banques commerciales pour exercer leurs activités. Les banques répercutent la baisse (hausse)
sur les taux d’intérêt débiteurs qu’elles appliquent à leurs clients agents non financiers, ce qui influe sur la quantité de
crédits que leurs clients demandent aux banques commerciales et, partant, sur le rythme de croissance de la masse mo-
nétaire en circulation détenue par les ANF.

La politique monétaire et la politique de change 305


trise directe et exclusive et qu’elle peut manipuler de manière à atteindre les objectifs opéra-
tionnels et, de là, les objectifs intermédiaires et les objectifs finals assigné(s) à la politique mo-
nétaire. Les instruments de la politique monétaire peuvent être répartis en trois catégories :
1) le(s) taux d’intérêt directeur(s) fixé(s) par la Banque centrale qui lui permettent d’orienter
l’ensemble des taux d’intérêt ; 2) les opérations d’open market qui consistent en l’achat ou
la vente (directs et fermes) de titres publics par la Banque centrale sur le marché monétaire ;
3) les réserves obligatoires contraignant les banques commerciales à conserver une certaine
réserve de monnaie centrale en dépôt sur leur compte ouvert à la Banque centrale5. Alors
que la Banque de France pouvait, à une certaine époque, utiliser divers instruments (taux
directeurs, plafonds de réescompte, réserves obligatoires, normes d’encadrement du crédit),
la BCE n’a aujourd’hui à sa disposition que la détermination de ses taux d’intérêt directeurs
complétée par les réserves obligatoires, tout en étant contrainte, pour fixer ses taux direc-
teurs, de tenir compte de ceux de la Banque centrale des États-Unis.
La politique monétaire proprement dite peut être associée à une politique de change, les
instruments utilisés dans le cadre de la première pouvant également être utilisés dans le cadre
de la seconde. Dans ce chapitre, la politique de change sera donc étudiée en parallèle à la po-
litique monétaire proprement dite.
Comme pour la politique budgétaire, la théorie keynésienne à légitimé le recours à une po-
litique monétaire discrétionnaire en explicitant les processus par lesquels une telle politique,
associée éventuellement à une politique de change, est susceptible de faire sentir ses effets sur
l’économie nationale, et elle en a défini les conditions d’efficacité (Section 1). Tout au long des
décennies 1950 et 1960, la politique monétaire a ainsi été utilisée dans les grands pays capita-
listes développés, parallèlement à la politique budgétaire, pour réguler l’activité économique,
avec généralement l’objectif de permettre à l’économie de ces pays de se maintenir sur un
sentier de croissance soutenue, indispensable à la réalisation du plein-emploi, tout en contrô-
lant l’inflation et en préservant l’équilibre des échanges extérieurs. Ces diverses expériences
ont permis de vérifier que l’efficacité de la politique monétaire, comme celle de la politique
budgétaire, est conditionnelle, et de mettre en évidence la portée et les limites d’une telle
politique (Section 2).
Jusqu’en 1999, la politique monétaire était en France une prérogative de l’État. C’est le gou-
vernement qui en déterminait les objectifs, tandis que la Banque de France, contrôlée par
l’État, était chargée de la mettre en œuvre. Mais, depuis 1999 et la création de la zone euro
dont la France est partie prenante, l’État, en France comme dans les autres pays-membres de
la zone euro, a perdu le contrôle de la politique monétaire. Pour l’ensemble de la zone euro,
la politique monétaire est en effet désormais la prérogative exclusive de la Banque centrale
européenne (BCE) qui est totalement indépendante des pouvoirs publics des pays-membres,
ainsi que des institutions de l’Union européenne et n’a pas de comptes à leur rendre6. La
5 Quoique cet instrument, qui permet d’agir sur la liquidité bancaire et, en théorie, par ce biais, sur la quantité de crédits
que les banques commerciales peuvent accorder à leurs clients (cf. tome 1, chapitre VIII), ne soit pratiquement plus utilisé
aujourd’hui pour « piloter la politique monétaire » à proprement parler, dans la mesure où il n’assure pas un contrôle
suffisamment fin de l’évolution de la liquidité bancaire (Benassy et alii, 2006, p. 249).
6 Jusqu’au début des années 1990, en France, la Banque centrale était de fait soumise à l’autorité de l’État et exécutait la
politique monétaire définie par le gouvernement. En Allemagne, la Banque centrale disposait par contre d’une réelle au-
tonomie à l’égard du pouvoir politique, et était en mesure de mettre en œuvre la politique monétaire lui paraissant la plus
appropriée pour atteindre les objectifs qui lui étaient assignés en tant que Banque centrale, c’est-à-dire en fait la maîtrise de
l’inflation et la préservation de la valeur du mark. Depuis lors, les pays qui se sont engagés dans la construction de l’Union
économique et monétaire (UEM) ont amorcé une évolution qui les a conduits, dans un premier temps, à réformer les statuts
de leur Banque centrale respective afin d’assurer son indépendance à l’égard du pouvoir politique national et, dans un
second temps, à créer la Banque centrale européenne.

306 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Banque de France n’a pas disparu pour autant. Élément constitutif du Système européen
des banques centrales (SEBC), elle met en œuvre sur le territoire national la politique déci-
dée par la BCE pour l’ensemble de la zone euro (Section 3).

Section 1 : Les modalités d’action de la politique


monétaire et de la politique de change
La politique monétaire peut constituer un moyen pour l’État d’agir sur le niveau et l’évo-
lution de la demande globale et, par ce biais, sur le rythme de la croissance économique
et le niveau de l’emploi ainsi que sur le taux d’inflation7. Elle peut également être utilisée,
en conjonction éventuellement avec la politique de change, comme moyen d’influer sur le
solde des échanges extérieurs. La politique monétaire peut donc être utilisée pour influer
sur la situation économique interne du pays (§ 1) et sur l’équilibre de ses échanges exté-
rieurs (§ 2).

paragraphe 1 : l’action de la politique monétaire sur la


situation économique interne du pays : les
canaux de transmission de la politique monétaire
Selon la conjoncture économique (récession et poussée du chômage, ou expansion avec
tensions inflationnistes) et selon les objectifs finals poursuivis, la politique monétaire pour-
ra être une politique expansive de stimulation de l’activité et d’élévation du niveau de
l’emploi ou, à l’opposé, une politique restrictive de freinage de l’activité et de désinflation.
Comme on l’a fait pour la politique budgétaire, on considérera ici plus spécifiquement le
cas d’une politique monétaire expansive, dite encore politique de soutien, l’analyse pré-
sentée pouvant être transposée pour l’essentiel au cas d’une politique monétaire restric-
tive en inversant les raisonnements.
Son action sur le niveau de l’activité et de l’emploi, par la manipulation des divers instru-
ments dont dispose la Banque centrale, est susceptible de transiter par différents canaux
de transmission8 dont l’importance respective est fonction de divers paramètres caractéris-
tiques du pays considéré (structure du système financier, degré d’ouverture de l’économie
nationale…) : le canal des taux d’intérêt, le canal du crédit, le canal des prix d’actifs et le
canal du taux de change. On examinera successivement le canal des taux d’intérêt (A) puis
7 À la différence de la politique budgétaire qui agit directement sur la demande globale, la politique monétaire n’agit
qu’indirectement sur cette demande globale en modifiant les conditions de financement des agents économiques.
8 Selon la définition qu’en donne la BCE, « le mécanisme de transmission de la politique monétaire est le terme qui est utilisé
pour désigner l’action conjuguée des différents canaux par lesquels la politique monétaire agit sur la production et les
prix, souvent au terme de délais qui sont à la fois longs et variables et qui ne peuvent pas être entièrement anticipés. Le
mécanisme de transmission comporte essentiellement deux grandes phases. Dans la première, les modifications du taux
directeur ou de la base monétaire induisent des changements dans les conditions prévalant sur les marchés de capitaux, en
l’occurrence les taux d’intérêt de marché, les prix des actifs, les taux de change et les conditions générales de la liquidité et
du crédit dans l’économie. Dans la seconde phase, ces changements entraînent, à leur tour, des modifications de la dépense
nominale des ménages et des entreprises en biens et services. » (cité par Jacoud, 1997, p. 155). Les canaux de transmission
de la politique monétaire permettent donc de comprendre comment le maniement des divers instruments qui sont à leur
disposition permet aux autorités monétaires d’atteindre le (les) objectif(s) final(s) assignés à la politique monétaire.

La politique monétaire et la politique de change 307


les autres canaux de transmission de la politique monétaire (B).
Bien que la politique monétaire soit aujourd’hui dans les grands pays développés mise au
service principalement de la lutte contre l’inflation, il faut souligner, avant d’entrer dans
le détail de l’étude des différents canaux de transmission de la politique monétaire, que
ces derniers n’impliquent pas d’action directe de la politique monétaire sur les prix. L’ac-
tion de la politique monétaire sur les prix passe en réalité par l’impact qu’elle exerce sur la
demande globale et, par ce biais, sur les marchés de biens et services et du travail, ou sur
les prix des importations par l’intermédiaire de son impact éventuel sur le taux de change9.

A – Le canal des taux d’intérêt


Une politique monétaire expansive prendra la forme d’une baisse du (des) taux directeur(s)
de la Banque centrale, associée éventuellement à une baisse du taux des réserves obliga-
toires. Cette baisse du (des) taux directeur(s) de la Banque centrale est destinée à susciter
plus particulièrement une baisse des taux d’intérêt à court terme du marché interbancaire
et, par ce biais, de la gamme des taux d’intérêt débiteurs que les banques appliquent
à leurs clients ANF, dans la mesure où le taux d’intérêt du marché interbancaire influe
sur les autres taux d’intérêt. Si le niveau général des prix ne se modifie pas à la suite de
cette baisse des taux d’intérêt nominaux, celle-ci correspond à une baisse des taux d’in-
térêt réels, c’est-à-dire les taux d’intérêt que prennent en compte dans leurs calculs des
agents économiques qui ne sont pas victimes de l’illusion monétaire10. Cette baisse des
taux d’intérêt réels est par elle-même un facteur d’augmentation de la demande de crédits
destinés à financer l’investissement des entreprises ainsi que la consommation de biens
durables et l’investissement en logements des ménages. Parallèlement, le desserrement de
la contrainte exercée sur la liquidité bancaire par la baisse du taux des réserves obligatoires
est susceptible de favoriser la croissance de l’offre de crédit par les banques.
Du fait de cette politique monétaire expansive, il doit donc se produire dans l’économie
une augmentation de la demande globale de biens et services associée à une hausse de la
masse monétaire en circulation. Dans l’hypothèse où elles disposent de capacités de pro-
duction inemployées et ont la possibilité de trouver sur le marché du travail le surcroît de
main-d’œuvre dont elles peuvent avoir besoin, ce qui signifie que leur offre est élastique,
les entreprises répondront à cette augmentation de la demande en élevant le niveau de la
production en termes réels et, éventuellement, celui de l’emploi.
L’accroissement de la production qui sera finalement obtenu sera normalement supérieur
à l’augmentation initiale de la demande globale en raison du jeu des multiplicateurs de
dépense.
Considérons plus particulièrement le cas de l’investissement productif des entreprises.
Toutes choses égales par ailleurs, la baisse des taux d’intérêt débiteurs des banques accroît

9 La politique monétaire peut cependant influer sur les anticipations de prix des agents, ces anticipations amplifiant les
processus qui transitent par les canaux de transmission.
10 L’efficacité de la politique monétaire dépend donc de la rigidité des prix à court terme qui est la condition pour que la
baisse des taux d’intérêt nominaux se traduise effectivement par une baisse des taux d’intérêt réels. On a évoqué dans
le tome 1 les diverses raisons qui peuvent expliquer cette rigidité à court terme des prix nominaux, telles que la rigidité
des salaires nominaux à court terme, fondée sur l’existence de contrats salariaux qui ne sont renégociés qu’à intervalles
plus ou moins éloignés (généralement pas plus d’une fois par an), ou l’existence de « coûts de menus » qui conduisent
les entreprises à ne modifier leurs prix généralement qu’une ou deux fois par an.

308 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


a priori le nombre et donc le montant global des projets d’investissement des entreprises
dont le taux de rendement interne anticipé est supérieur au taux d’intérêt. Elle constitue
donc un facteur d’augmentation de l’investissement global des entreprises. Si les condi-
tions requises évoquées ci-dessus sont réunies, cette augmentation de l’investissement dé-
clenche le processus du multiplicateur d’investissement (cf. tome 1, chapitre VI). Sous des
hypothèses concernant le modèle de représentation du fonctionnement d’ensemble de
l’économie identiques à celles retenues au chapitre précédent pour l’étude de la politique
budgétaire, la valeur algébrique de ce multiplicateur d’investissement sera égale à11 :
∆Y 1
----- = -----------------------------
∆I 1 – c + c . t + g (l1 / l2)
Cette formulation algébrique du multiplicateur d’investissement fait apparaître, au dé-
nominateur, l’expression algébrique du « frein financier » [g (l1 / l2)], ce qui traduit que
le frein financier, évoqué lors de l’examen de la politique budgétaire de relance, opère
également en cas de politique monétaire expansive.
Dans une optique keynésienne, l’explication est la suivante. L’augmentation de la pro-
duction globale suscitée par la politique monétaire expansive est en soi un facteur de
hausse du taux d’intérêt12. Après avoir baissé du fait de la mise en œuvre de la politique
monétaire expansive, le taux d’intérêt doit par conséquent se redresser plus ou moins
fortement sous l’effet de la stimulation de l’activité économique et de l’augmentation du
produit/revenu global induites par cette politique monétaire expansive. Mais, en influant
négativement sur la dépense des ANF (investissement productif des entreprises, achat de
biens de consommation durables et investissement en logement des ménages) ce redresse-
ment du taux d’intérêt limite l’ampleur de la relance de l’activité que les pouvoirs publics
cherchaient à obtenir en recourant à la politique monétaire expansive. Dit autrement, en
cas de politique monétaire expansive, le jeu du frein financier se manifeste sous la forme
d’une limitation de la baisse du taux d’intérêt suscitée par la mise en œuvre de cette poli-
tique. D’où une moindre croissance de l’investissement, et partant du produit global, que
ce ne serait le cas si la politique monétaire ne suscitait pas le jeu du frein financier.
Les théoriciens néoclassiques, et plus spécifiquement ceux qui forment le courant de la
Nouvelle économie classique, contestent cependant cette analyse de l’impact positif d’une
politique monétaire expansive sur la production et l’emploi. Ils postulent en effet qu’en
cas d’augmentation de l’offre de monnaie, les agents économiques privés anticiperont
11 On rappelle que le multiplicateur d’investissement se détermine à partir de l’équation d’équilibre macroéconomique qui
définit le niveau du produit/revenu global d’équilibre dans le modèle de représentation du fonctionnement de l’économie
retenu, soit, avec des hypothèses identiques à celles retenues lors de l’étude de la politique budgétaire :
1 g
Y = ------------------------------- . [Co - c . To + c . Tro + Io + Go + ---- (Mo – Lo)]
1 - c + c . t + g (l1 / l2) l2
On déduit de cette équation d’équilibre que, s’il se produit un accroissement de l’investissement ∆I, le revenu global d’équi-
libre Y s’élève finalement de ∆Y avec :
1
∆Y = -------------------------------- . ∆ I
1 – c + c . t + g (l1 / l2)
12 L’augmentation de la production se traduit par un accroissement de la demande de monnaie pour motif de transactions.
Ce dernier est un facteur de hausse du taux d’intérêt. En effet, à offre globale de monnaie donnée, celle qui correspond
au nouvel état de la politique monétaire (autrement dit pour un montant total des encaisses monétaires des agents non
financiers donné par ce nouvel état de la politique monétaire), la demande de monnaie pour motif de transactions et de
précaution ne peut augmenter que si la demande de monnaie pour motif de spéculation diminue (en d’autres termes, les
encaisses de transactions et de précaution ne peuvent augmenter que si les encaisses de spéculation diminuent), laquelle
est supposée être une fonction décroissante du taux d’intérêt.

La politique monétaire et la politique de change 309


immédiatement l’inflation qui, selon la théorie quantitative de la monnaie, doit inélucta-
blement résulter de cette augmentation de l’offre globale de monnaie13. En conséquence,
le taux d’intérêt nominal, qui est pour eux égal au taux d’intérêt réel majoré du taux
d’inflation anticipé par les agents économiques, augmente à court terme de la hausse du
taux d’inflation anticipé, et le taux d’intérêt réel ne baisse pas : c’est « l’effet Fisher ». Dans
ces conditions, la politique monétaire n’est pas susceptible de stimuler la croissance de
l’investissement et, partant, celle de la production, mais se traduira exclusivement par une
poussée de l’inflation (Villieu, 2002, p. 66).
Quoi qu’il en soit, une politique monétaire expansive n’est susceptible d’influer positi-
vement sur le niveau de l’activité et de l’emploi par le canal des taux d’intérêt que si la
baisse des taux d’intérêt nominaux à court terme initiée par la Banque centrale se traduit
effectivement par une augmentation de l’investissement productif des entreprises et/ou
de la consommation et de l’investissement en logement des ménages. Cela suppose que
certaines conditions soient réunies.

- Cela suppose en premier lieu que la variation du taux d’intérêt nominal du marché inter-
bancaire suscitée par la politique monétaire expansive de la Banque centrale se traduise
finalement par une variation de l’ensemble de la gamme des taux d’intérêt débiteurs des
banques commerciales, et en particulier des taux d’intérêt réels à long terme puisque
ce sont en fait ces taux d’intérêt réels à long terme qui conditionnent les décisions que
prennent les agents économiques privés concernant l’investissement productif des entre-
prises, l’investissement en logement et la consommation de biens durables des ménages.
Or cela n’est pas toujours vérifié. La variation des taux d’intérêt à long terme ne dépend
en effet pas seulement de la variation actuelle des taux d’intérêt à court terme mais
également des anticipations des agents économiques. D’une part, les anticipations des
agents économiques concernant l’évolution future des taux d’intérêt à court terme : si
les taux d’intérêt à court terme baissent aujourd’hui mais que les agents économiques
anticipent leur hausse ultérieure, cette anticipation est un facteur qui s’oppose à la baisse
des taux d’intérêt à long terme14. D’autre part, les anticipations des agents économiques
concernant l’inflation : l’anticipation d’une accélération ultérieure de l’inflation incite les
prêteurs de fonds à long terme à augmenter les taux d’intérêt nominaux à long terme
pour se préserver des effets négatifs pour eux de cette accélération de l’inflation.

- Cela suppose en second lieu que l’investissement productif des entreprises ainsi que la

13 Sous l’hypothèse admise par les néoclassiques que l’économie est naturellement et spontanément en équilibre de plein-
emploi et que, par conséquent, la production ne peut croître à court terme au-delà du niveau déjà atteint (cf. supra,
chapitre II).
14 Les taux d’intérêt à long terme qui s’établissent à un moment donné dépendent des anticipations que forment alors
les agents économiques concernant la valeur future des taux d’intérêt à court terme. Les épargnants qui envisagent de
prêter leur épargne sur une période relativement longue arbitrent entre des placements à long terme ou une série de
placements à court terme renouvelés tout au long de la période considérée. Le taux d’intérêt à long terme doit donc
assurer à l’épargnant une rémunération au moins égale à celle de la moyenne pondérée des taux d’intérêt correspondant
à la séquence des placements à court terme qui peuvent lui être substitués, majorée d’une prime de risque positive en
raison des risques plus grands inhérents à un placement à long terme relativement à une série de placements successifs
à court terme. Cette prime est d’autant plus élevée que le terme du placement est plus éloigné. En conséquence, si les
agents économiques anticipent une hausse à venir des taux d’intérêt à court terme, c’est en fait un facteur d’augmen-
tation des taux d’intérêt à long terme.

310 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


consommation de biens durables et l’investissement en logement des ménages soient
réellement sensibles aux variations des taux d’intérêt réels. La politique monétaire sera a
priori d’autant plus efficace que la sensibilité de l’investissement privé au taux d’intérêt
est plus grande et, en conséquence, que l’augmentation de l’investissement privé suscitée
par une baisse donnée du taux d’intérêt est plus forte. Or la théorie keynésienne montre
en particulier à ce propos que, si l’investissement des entreprises dépend des taux d’in-
térêt, il dépend également des anticipations des entreprises sur l’évolution ultérieure de
l’activité économique, tandis que la consommation des ménages dépend fondamenta-
lement du revenu. De sorte que, par exemple, en phase de récession économique, alors
que l’évolution des revenus pour de nombreux ménages est défavorable et que les an-
ticipations des entreprises sont plutôt pessimistes, une baisse des taux d’intérêt, même
significative, peut n’avoir aucun effet positif sur le niveau de l’investissement et de la
consommation15 ou n’avoir qu’un un effet très limité.
Qu’en est-il alors en réalité de l’effet d’une variation du taux d’intérêt sur l’investissement
productif des entreprises et sur l’investissement en logement et la consommation globale
des ménages ? Les résultats des études disponibles suggèrent que, pour ce qui concerne
l’investissement (investissement productif des entreprises et investissement en logement
des ménages), l’impact réel d’une variation des taux d’intérêt est assez net : « il semble
qu’aujourd’hui il y ait un consensus pour accepter l’idée d’un effet, sensible mais assez long
à venir, du taux d’intérêt réel sur l’investissement » productif des entreprises, tandis que
« l’effet est fort et rapide pour (…) l’investissement en logement » (Artus, 1991, p. 16). Par
contre, pour ce qui est de la consommation des ménages, l’effet d’une variation « ne paraît
pas très puissant » (id., p. 16), ce qui peut s’expliquer par la complexité du processus (asso-
ciant un effet de substitution, un effet de revenu et un effet de patrimoine) par lequel une
variation du taux d’intérêt influe sur la consommation des ménages (cf. tome 1, chapitre V).

*
À l’opposé de ce qui se produit en cas de politique monétaire expansive, une politique
monétaire restrictive se traduira par une hausse du (des) taux directeur(s) de la Banque
centrale, et le relèvement du taux des réserves obligatoires, destinés à contraindre les
banques commerciales à relever leurs taux d’intérêt débiteurs et à peser négativement sur
la liquidité bancaire. On attend d’une telle politique monétaire restrictive qu’elle freine la
demande de crédits des ANF et donc la demande de biens et services (consommation et in-
vestissement) et la croissance de l’activité ainsi que l’inflation. La hausse des taux d’intérêt
est un facteur de contraction de la consommation et de l’investissement, ce qui contribue
à ralentir le rythme de la croissance économique et celui de l’inflation. La hausse des taux
d’intérêt rend par ailleurs les placements financiers dans le pays plus attractifs, ce qui favo-
rise les entrées de capitaux étrangers, lesquelles sont un facteur d’appréciation de la mon-
naie nationale. Cette appréciation réduit le prix des produits importés et donc l’inflation.
Elle est un facteur d’augmentation des importations en volume et influe négativement sur
les exportations en volume, d’où une contraction de la demande étrangère nette (X – M)
qui pèse à son tour négativement sur l’activité. Ultérieurement, le ralentissement de l’ac-

15 À l’opposé, en phase de « boom inflationniste », la hausse des taux d’intérêt peut ne pas suffire à freiner l’investissement
et la consommation, les entreprises et les ménages ayant tout avantage à s’endetter pour investir et consommer dans la
mesure où l’inflation réduit la charge réelle du remboursement de la dette et du paiement des intérêts.

La politique monétaire et la politique de change 311


tivité et la désinflation doivent influer favorablement sur le solde du commerce extérieur
(freinage des importations en volume lié au ralentissement de l’activité, amélioration de
la compétitivité en termes de prix).
B – Les autres canaux de transmission de la politique monétaire
Outre le canal des taux d’intérêt, la politique monétaire est susceptible de faire sentir ses
effets par le moyen de trois autres canaux de transmission : le canal du crédit (a), le canal
des prix d’actifs (b) et le canal du taux de change (c).

a - Le canal du crédit
La politique monétaire peut également influer sur l’activité économique globale par le
canal du crédit, en distinguant le canal étroit du crédit et le canal large du crédit.
Le canal étroit du crédit correspond au fait que la politique monétaire influe sur le com-
portement d’investissement et de consommation des ANF, et partant sur l’activité écono-
mique globale, par son effet sur la quantité de crédit que les banques mettent à la dispo-
sition de leurs clients (l’offre globale de crédit des banques) plus que par son effet sur les
taux d’intérêt. En accroissant la liquidité bancaire, une politique monétaire expansive crée
un contexte qui favorise l’augmentation de l’offre de crédit par les banques, lesquelles
acceptent plus aisément de prêter, y compris aux ménages et aux PME, c’est-à-dire à des
agents économiques qui, habituellement, ne peuvent accéder à d’autres sources de finan-
cement externe que le crédit bancaire (ils ne peuvent émettre des titres sur les marchés
de capitaux) et qui, dès lors qu’il devient plus aisé d’obtenir des crédits bancaires, sont
incités à accroître leur endettement auprès des banques pour financer leur consommation
et leurs investissements. Ce canal étroit du crédit est censé jouer d’autant plus fortement
que la dépendance des agents économiques à l’égard du crédit bancaire pour obtenir un
financement externe est plus élevée. Son importance tend par conséquent à se réduire en
liaison avec le processus de désintermédiation (cf. tome 1, chapitre IX).
Le canal large du crédit prend en compte l’incidence de la variation des taux d’intérêt sus-
citée par la politique monétaire sur la richesse nette des entreprises (et plus généralement
des ANF) et, partant, leur capacité à emprunter. En cas de politique monétaire expansive,
cela correspond au fait que la baisse des taux d’intérêt accroît la valeur actualisée de la ri-
chesse nette des entreprises (cf. tome 1, chapitre IX) et donc les garanties que celles-ci peu-
vent apporter pour obtenir des crédits. Ceci leur permet d’obtenir plus aisément ces crédits
et, également, d’obtenir une réduction, voire une suppression, de la prime de risque que
les prêteurs ajoutent au taux d’intérêt en contrepartie du risque de non-recouvrement de
leurs créances : prime de risque qui est d’autant plus élevée que les actifs de l’emprunteur
pouvant servir de garantie au prêt sont plus faibles. Cette baisse de la prime de risque se
combinant à la baisse du taux d’intérêt incite les entreprises à s’endetter pour investir. Par
ailleurs, en stimulant la demande des consommateurs, une baisse des taux d’intérêt est un
facteur d’amélioration de la rentabilité des entreprises (hausse des recettes et des profits)
et, partant, accroît leur capacité d’emprunt.

312 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


b – Le canal des prix d’actifs
Les variations des taux d’intérêt influent sur les prix des actifs détenus par les agents éco-
nomiques et, par ce bais, sur leur comportement de consommation et d’investissement.
Une baisse des taux d’intérêt, par exemple, fait monter les prix des actifs (actions, obli-
gations, actifs immobiliers) détenus par les ménages, augmentant ainsi la valeur de leur
patrimoine. Cet effet de richesse dont bénéficient les ménages leur permet d’accroître
leur consommation comme ce fut le cas, par exemple, aux États-Unis pendant les années
1990 ou encore au cours des dernières années, jusqu’en 2006, en liaison avec la hausse
rapide des prix de l’immobilier.
Parallèlement, la hausse des prix des actions incite les entreprises à investir. Cette hausse
se traduit en effet par une augmentation du ratio « q » de Tobin (rapport de la valeur de
marché des entreprises déterminée par le cours des actions, autrement dit la valeur du
capital ancien telle qu’elle est déterminée actuellement par le marché boursier, au coût
de remplacement du capital de l’entreprise, cf. tome1, chapitre V), ce qui est un facteur
de hausse de l’investissement des entreprises. Si le ratio « q » augmente et devient supé-
rieur à 1, c’est-à-dire que la valeur de marché des entreprises s’élève par rapport au coût
de remplacement du capital, cela signifie que le marché valorise le capital ancien détenu
par l’entreprise à un niveau supérieur à celui du coût de remplacement de ce capital, ce
qui rend l’investissement plus attractif16.
Cependant, si la réalité des effets de richesse semble relativement bien établie pour les
États-Unis et le Royaume-Uni, cela est nettement moins sûr pour les pays de la zone euro,
quoique, selon J.-C. Trichet (2002), l’influence exercée par la hausse des prix des actifs sur
la dépense privée devrait s’être accrue au cours des dernières années.

c – Le canal du taux de change


L’action de la politique monétaire sur l’activité économique peut encore passer par le
canal du taux de change en régime de taux de change flexibles. Toutes choses égales
par ailleurs, une baisse des taux d’intérêt rend les placements de capitaux dans le pays
moins attractifs, ce qui favorise les sorties de capitaux pesant négativement sur le taux
de change. Mais cette dépréciation de la monnaie nationale accroît la compétitivité en
termes de prix de l’économie nationale et stimule la croissance des exportations de biens
et services, ce qui influe positivement sur le rythme de croissance de la production. En
contrepartie, cette dépréciation de la monnaie nationale est un facteur d’inflation du
fait de la hausse des prix des produits importés qu’elle induit mécaniquement. Ce canal
du taux de change n’opère cependant que si les taux de change sont flexibles. L’intensité
avec laquelle il agit dépend du taux d’ouverture de l’économie nationale. Il vaut particu-
lièrement pour les petites économies nationales très largement ouvertes sur l’extérieur.
Quoi qu’il en soit, il est admis que l’impact d’une variation des taux d’intérêt sur le taux
de change ne s’exerce qu’à court terme.

16 S’ajoute à cela que « les variations des prix des actifs pourraient également faire jouer d’autres canaux mobilisant la
confiance, ou les anticipations influençant les décisions de dépenses de ménages ou des entreprises » (Trichet, 2002, p.
17).

La politique monétaire et la politique de change 313


*
En conclusion, il faut souligner que, dans l’hypothèse où la baisse des taux d’intérêt in-
duite par une politique monétaire de relance se traduit bien par une augmentation de la
demande globale sur le marché des biens et services, il n’en résultera pas nécessairement
une hausse immédiate et significative de la production et ce, pour des raisons identiques
à celles qui ont déjà été évoquées à propos de la politique budgétaire. D’une part, si
l’augmentation de la demande globale survient alors que les entreprises ont accumulé des
stocks excédentaires de produits finis, ce n’est que lorsque ces stocks auront été écoulés
que les entreprises se préoccuperont d’accroître leur production. D’autre part, la produc-
tion n’augmentera que si les entreprises disposent de réserves de capacité de production
inemployées et s’il leur est possible de trouver sur le marché du travail la main-d’œuvre
qualifiée dont elles pourraient éventuellement avoir besoin pour accroître leur produc-
tion. Dans le cas contraire, autrement dit si l’offre des entreprises est rigide, l’augmenta-
tion de la demande globale se traduira par une hausse des prix17. On a par ailleurs déjà
souligné que l’augmentation de la production n’implique pas mécaniquement une réduc-
tion proportionnelle du chômage (cf. supra, chapitre II).

paragraphe 2 : l’action de la politique monétaire et de la


politique de change sur l’équilibre des échanges
extérieurs du pays
La politique monétaire, éventuellement associée à une politique de change, peut être
également utilisée pour agir sur l’équilibre des échanges extérieurs du pays, c’est-à-dire en
fait pour éliminer un déficit ou un excédent de la balance des paiements. Dans le cas de
la France, le problème qui s’est posé le plus souvent depuis la Seconde Guerre mondiale
fut celui de la résorption d’un déficit des échanges, et c’est à ce type de situation que l’on
s’intéressera ici.
En cas de déficit de la balance des paiements, les pouvoirs publics du pays peuvent agir sur
le taux de change ou sur le taux d’intérêt. L’action sur le taux de change est destinée prio-
ritairement à influer sur le solde des transactions courantes18 (A), tandis que l’action sur le
taux d’intérêt permet d’agir sur le solde des mouvements de capitaux (B).

A – L’action sur le taux de change


Le niveau auquel s’établit le taux de change conditionne la compétitivité en termes de
prix de l’économie nationale vis-à-vis de ses concurrents. L’appréciation de la monnaie
nationale affaiblit cette compétitivité, tandis que sa dépréciation l’améliore. L’action sur
le taux de change peut donc constituer un moyen d’action sur le solde de la balance des
transactions courantes dont l’évolution est directement conditionnée par la compétitivité
en termes de prix de l’économie nationale.

17 En pratique, l’augmentation de la demande globale suscite toujours simultanément une certaine augmentation de la
production en volume et une certaine hausse des prix, le partage entre ces deux effets dépendant du degré d’élasticité
à court terme de l’offre des entreprises (cf. supra, chapitre I).
18 Bien qu’elle puisse également influer sur les mouvements de capitaux (cf. infra).

314 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Dans la mesure où l’objectif visé est de résorber un déficit de la balance des paiements,
l’action sur le taux de change va consister à dévaluer la monnaie (en régime de taux de
change fixes) ou à la laisser se déprécier sur le marché des changes (en régime de taux de
change flottants)19. Cette dépréciation de la monnaie nationale se traduit mécaniquement
par une baisse des prix exprimés en monnaie étrangère des produits exportés par le pays,
ce qui est un facteur d’augmentation des exportations en volume du pays. Elle se traduit
parallèlement par une augmentation des prix exprimés en monnaie nationale des pro-
duits importés, ce qui est un facteur de contraction de ses importations en volume20. C’est
« l’effet volume » de la dépréciation de la monnaie nationale qui joue dans le sens d’une
amélioration du solde de la balance des transactions courantes.
Cette amélioration du solde des transactions courantes ne sera cependant réellement ac-
quise qu’à certaines conditions.
En premier lieu, il est nécessaire que les entreprises « jouent le jeu » et ne mettent pas cette
dépréciation à profit pour augmenter les prix en monnaie nationale des produits qu’elles
exportent, annulant ou réduisant ainsi l’impact de cette dépréciation sur les prix exprimés
en monnaie étrangère des exportations du pays. Or les entreprises exportatrices peuvent
être tentées de profiter d’une dépréciation de la monnaie nationale pour accroître leurs
marges en relevant leurs prix en monnaie nationale, réduisant ainsi l’ampleur de la baisse
des prix en monnaie étrangère des produits exportés et, en conséquence, l’effet positif
potentiel sur les exportations en volume du pays.
En second lieu, à supposer que la première condition soit vérifiée, l’élasticité des expor-
tations et des importations du pays doit être telle que cela permette effectivement le
redressement de la balance des transactions courantes. Il faut en effet tenir compte de ce
que l’impact sur le solde de la balance des transactions courantes d’une dépréciation de
la monnaie nationale ne se limite pas au seul effet volume évoqué ci-dessus. La déprécia-
tion a également un « effet prix » puisqu’elle se traduit par la hausse des prix exprimés
en monnaie nationale des produits importés. Or cet effet prix, à la différence de l’effet
volume, influe négativement sur le solde des transactions courantes. La hausse des prix
exprimée en monnaie nationale des produits importés gonfle en effet mécaniquement les
importations en valeur (volume x prix) qui sont prises en compte pour calculer le solde de
la balance, lequel est égal à la différence entre les exportations en valeur (volume x prix

19 On rappelle que la dévaluation consiste à modifier la parité officielle de la monnaie nationale dans le sens d’une réduc-
tion de la valeur de cette monnaie telle qu’elle s’exprime en termes d’un étalon international : par exemple, en régime
monétaire d’étalon or, la réduction du poids d’or servant à définir officiellement la valeur de la monnaie nationale
considérée. Cette baisse de la parité implique une modification parallèle du taux de change. La monnaie nationale doit se
déprécier sur le marché des changes. La décision de dévaluer la monnaie nationale est prise par les autorités politiques du
pays. En régime de taux de change flexibles où le taux de change est censé se fixer librement sur le marché des changes,
la Banque centrale laisse la monnaie nationale se déprécier par rapport aux devises sur le marché des changes. C’est
pourquoi on parle alors de dépréciation de la monnaie nationale par rapport aux devises. Dans la suite, et pour faire
court, on parlera de dépréciation de la monnaie nationale pour traduire le fait que celle-ci s’échange désormais contre
une quantité moindre de devises et ce, quelque soit le régime de change en vigueur.
20 Supposons par exemple qu’en to 1 € s’échange contre 1 $. Une marchandise européenne facturée 1€ coûte donc 1 $ à un
importateur américain. Réciproquement une marchandise américaine facturée 1 $ coûte 1 € à un importateur européen.
Si en tn le taux de change du dollar contre l’euro est passé à 2 € = 1 $, ce qui signifie que l’euro s’est déprécié par rapport
au dollar, une marchandise européenne toujours facturée 1 € coûte désormais ½ $ à un importateur américain, tandis
qu’une marchandise produite aux États Unis facturée 1 $ coûte désormais 2 € à l’importateur européen. Il en résulte que
la dépréciation de l’euro par rapport au dollar est, pour les pays membres de la zone euro, un facteur d’augmentation
de leurs exportations en volume et un facteur de contraction de leurs importations en volume.

La politique monétaire et la politique de change 315


exprimés en monnaie nationale) et les importations en valeur21. En conséquence, pour que
la dépréciation de la monnaie nationale permette de résorber effectivement le déficit de
la balance des transactions courantes, il faut que son effet volume, qui agit dans le sens du
redressement du solde de la balance, surcompense son effet prix, qui influe négativement
sur le solde de la balance (cf. infra).
Les travaux de différents auteurs ont montré que ce résultat n’est obtenu que si les exporta-
tions et les importations en volume réagissent avec suffisamment d’intensité (augmentation
pour les exportations en volume et baisse pour les importations en volume) à la variation
des prix induite par la dépréciation, autrement dit, que si l’élasticité par rapport aux prix
des exportations et des importations en volume est suffisante. Cette condition est connue
sous le nom de « théorème des élasticités critiques » ou « condition de Marshall-Lerner », du
nom des deux auteurs qui l’ont formulée : une balance des transactions courantes déficitaire
ne se redresse, à la suite d’une dépréciation de la monnaie nationale, que si la somme des
élasticités par rapport aux prix, respectivement des exportations et des importations, est su-
périeure à 1 autrement dit si, pour le pays considéré : EM / pM + EX / pX > 122. Cette condition
est cependant généralement vérifiée pour les grandes nations commerçantes.
*
En conclusion, il faut souligner que la dépréciation de la monnaie nationale destinée à
résorber un déficit de la balance des transactions courantes est par ailleurs susceptible
d’avoir un certain impact sur l’équilibre macroéconomique interne évoqué précédem-
ment. Elle signifie en effet une augmentation de la demande extérieure nette de produits
nationaux (X - M) puisque les exportations en volume augmentent tandis que les importa-
tions en volume se contractent, ce qui influe positivement sur le niveau de la production et
de l’emploi dans le pays. Ce résultat positif est cependant obtenu au détriment des parte-
naires commerciaux du pays, ce qui explique qu’un pays qui laisse sa monnaie se déprécier
puisse être accusé « d’exporter son chômage ». En contrepartie, elle accentue les tensions
inflationnistes dans le pays, la hausse des prix des produits importés se répercutant en cas-
cade sur les coûts de production et les prix nationaux.

B – L’action sur les taux d’intérêt


En considérant toujours le cas d’un pays confronté à un déficit de sa balance des tran-
sactions courantes, cette action consiste à élever le taux d’intérêt, à supposer bien en-
tendu que le pays soit réellement en mesure de le faire (cf. infra), afin d’attirer des capi-
taux étrangers et de dégager un excédent des mouvements de capitaux compensant le
déficit des transactions courantes. Mais, pour que ce résultat soit obtenu, encore faut-il
21 Les flux recensés dans la balance des paiements d’un pays sont évalués en monnaie de ce pays. Pour calculer le solde de
la balance des transactions courantes, on compare donc les exportations en valeur (volume x prix exprimés en monnaie
nationale) et les importations en valeur (idem). Si la monnaie nationale se déprécie et si les entreprises nationales expor-
tatrices « jouent le jeu », les prix en monnaie nationale des produits exportés ne changent pas, tandis que, parallèlement,
les prix exprimés en monnaie nationale des produits importés augmentent, ce qui accroît en proportion les importations
en valeur. L’effet prix de la dépréciation, tel qu’il s’exprime aussitôt après la dépréciation de la monnaie nationale a donc
pour effet de dégrader mécaniquement la balance des transactions courantes.
22 On rappelle que l’élasticité des importations par rapport aux prix des produits importés (EM / pm) se définit comme le
rapport de la variation en pourcentage des importations en volume sur la variation en pourcentage des prix des produits
importés, et l’élasticité des exportations par rapport aux prix (EX / pX) comme le rapport de la variation en pourcentage
des exportations en volume sur la variation en pourcentage des prix des produits exportés.

316 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


que l’effet d’attraction sur les capitaux de la hausse des taux d’intérêt nationaux ne soit
pas compensé par des anticipations défavorables des opérateurs du marché des changes
concernant l’évolution du taux de change de la monnaie nationale. Les placements fi-
nanciers internationaux à court terme sont en effet conditionnés par la rentabilité des
placements qui dépend non seulement des taux d’intérêt mais aussi de l’évolution du taux
de change de la monnaie dans laquelle est effectué le placement. Un placement financier
dans un pays donné qui paraît attractif au vu des taux d’intérêt pratiqués peut se révéler
finalement peu rentable, voire pire, si la monnaie dans laquelle il est effectué se déprécie
pendant la durée de ce placement.
En supposant que la hausse des taux d’intérêt aboutisse effectivement à attirer des capi-
taux étrangers dans le pays et permette ainsi de dégager un excédent des mouvements de
capitaux compensant un déficit des transactions courantes, la question posée est de savoir
si cette hausse des taux d’intérêt est susceptible de rétablir durablement l’équilibre de
la balance globale, un excédent de la balance des mouvements de capitaux compensant
durablement un déficit de la balance des transactions courantes. De ce point de vue, l’ex-
périence historique a montré que, pour un pays dont la monnaie n’est pas une monnaie
internationale (différence avec les États-Unis) et ne jouit pas d’un degré élevé de confiance
(différence avec l’Allemagne jusqu’à la création de la zone euro), l’effet positif sur le solde
de la balance globale d’une augmentation des taux d’intérêt ne peut être durable. Il est
impossible, dans une telle configuration, de compenser très longtemps un déficit des tran-
sactions courantes par un excédent des mouvements de capitaux. Un déficit persistant de
la balance des transactions courantes doit en effet conduire les détenteurs de capitaux à
s’interroger sur la solidité de la monnaie du pays considéré et à anticiper sa dépréciation
ultérieure, avec à la clé une réduction des placements financiers effectués dans ce pays. Et
ce, d’autant plus que l’endettement international du pays implique un service de la dette
(paiement des intérêts) qui influe négativement sur le solde de la balance des transactions
courantes, cet endettement international du pays supposant en outre que celui-ci soit ca-
pable de se désendetter à terme.
L’action des autorités monétaires sur le taux d’intérêt destinée à rétablir l’équilibre ex-
térieur peut par ailleurs avoir des effets non souhaitables du point de vue de la situation
économique interne du pays. D’une part, la hausse des taux d’intérêt peut contribuer à
dégrader la situation économique intérieure en exerçant une influence négative sur les
investissements et la consommation23. D’autre part, dans la mesure où la hausse des taux
d’intérêt suscitée par les autorités monétaires du pays y attire effectivement des quantités
importantes de capitaux étrangers, cela se traduit par une augmentation de la masse mo-
nétaire en circulation susceptible d’alimenter l’inflation. Il faut en outre tenir compte des
éventuels effets non désirés d’une variation des taux d’intérêt sur le fonctionnement des
marchés de capitaux. Les cours en bourse des valeurs mobilières (obligations mais égale-
ment actions) évoluant habituellement en sens inverse des taux d’intérêt, une augmenta-
tion des taux d’intérêt destinée à améliorer le solde de la balance des paiements et confor-
ter la monnaie nationale peut en contrepartie exercer une influence perturbatrice sur le
marché boursier, avec des répercussions négatives pour l’ensemble de l’économie, compte
tenu du rôle central de ce marché dans le fonctionnement des économies contemporaines.

23 En tenant compte cependant de ce que l’entrée de capitaux étrangers dans le pays qui est suscitée par cette hausse des taux
d’intérêt est a priori un facteur de limitation de la hausse des taux d’intérêt et de ses éventuels effets récessifs consécutifs.

La politique monétaire et la politique de change 317


*
En conclusion, il apparaît donc que, si l’État peut, à l’aide de la politique monétaire et de
la politique de change, influer sur la situation économique intérieure du pays et sur l’équi-
libre des ses échanges extérieurs, c’est à chaque fois sous réserve que certaines conditions
soient réunies. Celles-ci sont par elles-mêmes autant de limites à la capacité pour l’État
d’atteindre les objectifs économiques qu’il se fixe en recourant à la politique monétaire et
à la politique de change. Ce ne sont cependant pas les seules.

Section 2 : Portée et limites de la politique monétaire


et de la politique de change

Le recours à la politique monétaire, éventuellement couplée à la politique de change, se-


lon les modalités définies précédemment, suppose que les autorités monétaires aient une
maîtrise satisfaisante de l’évolution des taux d’intérêt et du taux de change. Mais certaines
évolutions qui caractérisent l’économie mondiale contemporaine rendent cette maîtrise
plus difficile pour certains pays (§ 1). En outre, la politique monétaire et la politique de
change, comme déjà la politique budgétaire, sont susceptibles de produire des effets dé-
rivés qui entrent en contradiction avec la réalisation de certains objectifs poursuivis par la
politique monétaire mise en œuvre (§ 2). Enfin, compte tenu de ses modalités d’action, la
mise en œuvre de la politique monétaire requiert certains délais, ce qui peut en limiter la
portée et l’efficacité (§ 3).

paragraphe 1 : l’absence de maîtrise des taux d’intérêt et du


taux de change pour certains pays
Dans le contexte contemporain de mondialisation, nombre de pays n’ont plus une maîtrise
réelle des taux d’intérêt (A) et du taux de change (B), ce qui restreint leur capacité à mettre
en œuvre une politique monétaire autonome et à agir sur le taux de change dans le sens
qui paraît souhaitable aux pouvoirs publics et aux antériorités monétaires.

A – Le cas des taux d’intérêt


La politique monétaire se réduit aujourd’hui pour l’essentiel à une action de la Banque cen-
trale sur les taux d’intérêt. La conduite d’une telle politique requiert par conséquent que la
Banque centrale ait réellement la capacité de faire varier les taux d’intérêt dans le sens et avec
l’intensité souhaités, autrement dit qu’elle ait la maîtrise de l’évolution des taux d’intérêt.
Ce qui n’est pas nécessairement le cas. C’est précisément le problème auquel les autorités
monétaires françaises furent confrontées du milieu des années 1980 à la création de la zone
euro en 1999. Au cours de cette période, il leur a en effet été pratiquement impossible de
fixer les taux d’intérêt nationaux de manière autonome. C’était le résultat de deux évolutions
essentielles qui ont marqué l’économie mondiale au cours des trois dernières décennies :
1) la libéralisation des mouvements internationaux de capitaux qui s’est engagée dès les an-

318 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


nées 1970 puis s’est imposée dans l’ensemble des pays industrialisés au début des années 1990 ;
2) la « financiarisation » des économies de grands pays capitalistes développés qui s’est tra-
duite par la croissance explosive des marchés de capitaux et par l’accumulation de masses
considérables de capitaux placés à court terme et capables de migrer très rapidement d’une
place financière à l’autre, en fonction des opportunités de placement.
Ces évolutions, qui sont deux caractéristiques essentielles du processus contemporain de
mondialisation, ont eu pour effet de confronter les autorités monétaires au problème du
« triangle des incompatibilités » soulevé par le prix Nobel d’économie R. Mundell (graphique
6.1). Ce dernier a en effet montré qu’il n’est pas possible d’assurer simultanément la stabilité
des taux de change, une mobilité internationale parfaite des capitaux, associée à leur libéra-
lisation, et l’autonomie des politiques monétaires nationales, c’est-à-dire en fait la capacité
pour les autorités monétaires de chaque pays de fixer librement le niveau des taux d’intérêt
nationaux et, par conséquent, d’avoir des taux d’intérêt nationaux différents de ceux des
autres pays. Seules deux de ces trois conditions peuvent être vérifiées simultanément. S’il y
a liberté de mouvement des capitaux et mobilité internationale, comme c’est le cas de nos
jours, la stabilité du taux de change de la monnaie nationale ne peut être obtenue qu’à la
condition d’aligner les taux d’intérêt nationaux sur les taux d’intérêt internationaux, ce qui
implique de renoncer à une politique monétaire nationale autonome. En effet, si ce n’est
pas le cas, autrement dit si le pays applique une politique monétaire autonome se traduisant
par une évolution de ses taux d’intérêt différente de celle des autres pays et l’apparition
d’un différentiel de taux d’intérêt avec le reste du monde, il crée par là même les conditions
de mouvements internationaux de capitaux qui font varier son taux de change.
GrAPhIqUE 6.1
Le triangle d’incompatibilités de Mundell
Changes stables
A

Contrôles Absences d’autonomie de


des changes la politique nationale

Politique monétaire Mobilité parfaite des


autonomie C b capitaux
Instabilité des changes

En cas de politique monétaire restrictive crédible faisant monter les taux d’intérêt dans le
pays, les capitaux y sont attirés, ce qui apprécie la monnaie nationale. Inversement, en cas
de politique monétaire expansive faisant baisser les taux d’intérêt, les capitaux sont incités
à quitter le pays (du moins ceux qui privilégient les placements à court terme), ce qui affai-
blit la monnaie du pays sur le marché des changes. Un pays qui s’impose de maintenir la
stabilité de son taux de change est donc en fait contraint d’aligner ses taux d’intérêt sur les
taux internationaux, afin de se prémunir contre des mouvements de capitaux à court terme
qui déstabiliseraient sa monnaie nationale, ce qui signifie le renoncement à une politique
monétaire autonome.

La politique monétaire et la politique de change 319


La libéralisation des mouvements internationaux de capitaux et l’accroissement considé-
rable à l’échelle mondiale de la masse des capitaux flottants qui caractérisent la globalisa-
tion financière ont donc introduit une contrainte supplémentaire très forte sur la conduite
de la politique économique conjoncturelle des États. Ce qui contraint nombre de pays à
choisir entre la possibilité de mettre en œuvre une politique monétaire autonome et celle
de préserver la stabilité de leur taux de change.
C’est précisément l’un des problèmes auxquels ont été confrontés les pays participant au
système monétaire européen (SME) au cours de la décennie 1990. Le marché unique des
capitaux ayant été institué officiellement le 1er juillet 1990 au sein de l’Union européenne,
le respect par les États participant au SME de la contrainte de stabilité des taux de change
impliquait nécessairement la convergence de leurs taux d’intérêt respectifs, condition né-
cessaire (mais, les faits l’ont montré, pas toujours suffisante) pour éviter les mouvements
internationaux de capitaux et l’instabilité des taux de change qui en serait résultée. En pra-
tique, cette convergence des taux d’intérêt a consisté en un alignement des taux d’intérêt
des différents pays du SME sur les taux d’intérêt allemands et donc au renoncement de
ces pays à une politique monétaire indépendante de celle de l’Allemagne. Cela traduisait
le rapport des forces économiques entre les pays européens, avec le poids important de
l’économie allemande dans l’économie européenne et l’excédent durable des échanges
extérieurs de ce pays. Cela tenait compte également des legs de l’histoire économique de
l’Europe depuis le début de la crise durable contemporaine, avec l’affirmation progressive
depuis les années 1970 du mark comme la plus forte des monnaies européennes et la crédi-
bilité de la Banque centrale allemande dans sa capacité à contenir durablement l’inflation.
Le prix de cet alignement a d’ailleurs été très élevé en raison de l’orientation nettement
restrictive prise par la politique monétaire allemande dès le début de la décennie 1990. À
la suite de la réunification de l’Allemagne réalisée en juillet 1990, les autorités de Bonn
ont décidé de fixer la parité du mark est-allemand à un mark ouest-allemand24. Pour faire
face aux tensions inflationnistes résultant de cette décision et attirer en Allemagne les
capitaux nécessaires au financement de la réunification25, la Banque centrale allemande
releva fortement ses taux d’intérêt (jusqu’à 10 %), contraignant les autres pays européens
à en faire autant. Ce fut en particulier le cas de la France, engagée dans sa politique de
désinflation compétitive, dite encore politique du « franc fort », impliquant « l’arrimage »
du franc au mark. Alors que son taux d’inflation n’était plus que de 1,3 % en 1990 et donc
sensiblement inférieur à celui de l’Allemagne, elle fut contrainte de supporter des taux
d’intérêt à court terme d’un niveau moyen de 6 % entre 1990 et 1995, et donc des taux
d’intérêt réels historiquement très élevés, bridant fortement sa croissance. Plus générale-
ment, cette hausse des taux d’intérêt, pesant négativement sur la demande globale, a am-
plifié les pressions récessives s’exerçant sur les économies européennes, dans un contexte
mondial de ralentissement de la croissance et de montée du chômage. Ce qui a contraint
la plupart des gouvernements européens à accepter une aggravation des déficits publics
et de l’endettement consécutif de l’État afin de tenter de limiter l’impact négatif sur leurs
économies de cette hausse des taux d’intérêt.
24 Avec comme conséquence « une très forte réévaluation de la monnaie de la partie est de l’Allemagne, ce qui contribua
largement à l’écroulement de l’appareil industriel est-allemand, la population active employée passa de 9,4 millions de
personnes en 1989 à 6,1 en 1995 » (Redor, 1999, p. 101).
25 Le coût de la réunification pour le budget allemand, sur la période 1990-1994, a été de l’ordre de 600 milliards de marks
qui ont été empruntés sur le marché des capitaux.

320 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Parallèlement, la spéculation s’est déchaînée contre certaines devises européennes (dont
certaines quittèrent le SME – livre sterling et lire italienne – tandis que d’autres furent
dévaluées : peseta, escudo, livre irlandaise); ce qui a suscité la série de crises monétaires
des années 1992-1993 au sein du SME, les spéculateurs anticipant l’incapacité des pays
européens à tenir très longtemps cette politique de taux d’intérêt élevés et prévoyant
donc leur baisse future ainsi qu’une dépréciation corrélative des monnaies concernées par
rapport au mark. Dans ce contexte, les pays du SME furent conduits à élargir les marges
de fluctuations du système monétaire européen à + ou - 15 % par rapport aux cours pivot.
En résumé, en régime de taux de change fixes assorti d’une parfaite mobilité internatio-
nale des capitaux, les autorités monétaires de la plupart des pays ne peuvent plus maîtriser
leurs taux d’intérêt en raison des relations existant objectivement entre le solde de la ba-
lance des paiements, le taux de change et les taux d’intérêt. La politique monétaire perd
donc son autonomie26.
Dans un contexte de mobilité internationale des capitaux, le pays ne peut en fait conserver
la maîtrise des taux d’intérêt et donc une politique monétaire autonome que s’il se donne
un degré de liberté. Soit en supprimant la libre circulation des capitaux par l’institution du
contrôle des changes, ce qui reviendrait pour le pays à se situer sur le côté 1 du « triangle
d’incompatibilités », permettant de conjuguer taux de change stable et politique moné-
taire autonome. Soit en levant la contrainte de fixité du taux de change, c’est-à-dire en
laissant flotter sa monnaie, ce qui reviendrait pour le pays à choisir de se situer sur le côté
2 du « triangle d’incompatibilités », l’instabilité de son taux de change étant le prix à payer
pour préserver l’autonomie de sa politique monétaire dans le contexte de mobilité inter-
nationale des capitaux.
On a déjà évoqué la quasi-impossibilité pour les grands pays industrialisés de recourir au-
jourd’hui au contrôle des changes, on n’y reviendra donc pas. Le flottement de la monnaie
sur le marché des changes reste par contre dans le champ des possibles. Mais il peut être
contradictoire avec les engagements internationaux du pays, comme c’était précisément
le cas pour les pays participant au SME. De surcroît, s’il n’y a pas d’obstacle institutionnel
au flottement, le prix qu’il faut payer pour retrouver la maîtrise des taux d’intérêt et une
certaine autonomie de la politique monétaire (c’est à dire le flottement de la monnaie
et donc la perte de contrôle de sa valeur externe) peut être très lourd pour l’économie,
compte tenu des conséquences que peuvent avoir par ailleurs les variations du taux de
change sur l’économie du pays (cf. infra).

B – Le cas du taux de change


Pour la plupart des pays, la maîtrise par l’État du taux de change et sa capacité à l’utiliser
à des fins de politique économique est, comme pour les taux d’intérêt, contenue dans des
limites qui peuvent être de nature institutionnelle et de nature économique.
• Les limites de nature institutionnelle résultent d’accords internationaux auxquels a sous-
crit le pays considéré.
De la fin des années 1940 à 1973, les pays capitalistes développés se sont ainsi volontai-

26 La création de la zone euro, qui a abouti à substituer aux politiques monétaires des pays membres la politique monétaire
unique de la BCE pour l’ensemble de la zone, a pu être considérée comme la conclusion « logique » d’une telle situation.

La politique monétaire et la politique de change 321


rement soumis au régime de taux de change fixes du système monétaire international
de Bretton-Woods. Selon les termes des accords de Bretton-Woods27 de 1944, les taux de
change des pays participant au système monétaire international ne pouvaient s’écarter
des parités des monnaies déclarées au FMI que dans la limite de plus ou moins 1 % (plus
ou moins 2,25 % entre 1971 et 1973). En cas de besoin, les banques centrales des pays
membres étaient tenues d’intervenir sur le marché des changes de manière à maintenir le
taux de change de leur monnaie à l’intérieur des marges de fluctuations tolérées. En ad-
hérant au système de Bretton Woods, les pays membres faisaient le choix d’assurer la sta-
bilité de leur taux de change, ce choix étant justifié par les avantages qu’ils étaient censés
retirer d’une stabilité générale des taux de change, et en particulier un essor du commerce
international stimulant la croissance économique mondiale. Par là même, ils renonçaient
à utiliser le taux de change comme instrument de politique économique et, plus spécifi-
quement, à recourir aux « dévaluations compétitives » comme moyen d’assurer l’équilibre
de leurs échanges extérieurs et de stimuler la croissance économique28. Dans la pratique,
certains pays se sont néanmoins permis d’utiliser le taux de change comme instrument de
politique économique. Ce fut le cas de la France. Pendant les Trente Glorieuses, sa forte
croissance économique, fondée en partie sur des taux d’intérêt faibles et accompagnée
d’une inflation permanente plus ou moins marquée selon les périodes, s’est accompagnée
d’une tendance au déficit des échanges extérieurs conduisant régulièrement à des déva-
luations du franc qui permettaient de restaurer, pour un certain temps, la compétitivité
internationale des produits français (cf. tome 1, chapitre X).
• Les limites de nature économique renvoient au rôle que jouent les « fondamentaux »
de l’économie nationale et la spéculation dans la détermination du taux de change.
L’expérience du système de Bretton Woods a montré que la stabilité recherchée du taux
de change ne peut être décrétée et ne peut être assurée durablement par les seules
interventions des banques centrales sur le marché des changes. En cas de déséquilibre
relativement limité et momentané des échanges extérieurs, ces interventions pouvaient
suffire pour préserver la stabilité du taux de change. Mais, en cas de déséquilibre marqué
et persistant des échanges, les pays étaient finalement contraints à changer de parité. Il
est ainsi apparu que la stabilité des taux de change ne peut être préservée durablement
qu’à la condition que les balances des paiements soient tendanciellement équilibrées, ce
qui suppose que les « fondamentaux » évoluent de manière relativement comparable
dans les différents pays.
En 1973, l’effondrement du système de Bretton Woods devait aboutir au passage à un
système de taux de change flottants auquel se rallièrent la plupart des pays29. Par hy-
27 Les accords de Bretton-Woods ont été signés par la quarantaine de pays qui avaient participé à la Conférence monétaire
de Bretton-Woods (du nom d’une station balnéaire de New Hampshire aux États-Unis). Ils ont défini les caractéristiques
du système monétaire international qui allait se mettre en place en Occident après la Seconde Guerre mondiale, dit
« système monétaire international de Bretton Woods ». Ils ont également créé le Fonds Monétaire International (FMI),
auquel fut initialement confiée la mission de gardien du système de Bretton-Woods, chargé de veiller au respect par les
États-membres des règles indispensables au bon fonctionnement du système.
28 Un pays participant au système de Bretton Woods ne pouvait recourir à la dévaluation de sa monnaie que pour résorber
un « déficit structurel » de sa balance des paiements.
29 Firent cependant exception les pays engagés dans la construction européenne qui mirent en place le Serpent monétaire
européen puis, à partir de 1979, le Système monétaire européen (SME). Dans le cas du SME, il était prévu que les « réa-
lignements de parité », terme alors utilisé pour désigner les dévaluations ou réévaluations, devaient être « négociés et
conditionnels », conférant ainsi aux partenaires du pays qui souhaitait modifier la parité de sa monnaie la possibilité
d’exercer une certaine pression sur la politique économique mise en œuvre par ce pays.

322 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


pothèse, dans un tel système de taux de change flottants, l’État n’a plus la maîtrise di-
recte du taux de change, puisque celui-ci fluctue librement sur le marché des changes
en relation avec l’évolution du solde des échanges extérieurs du pays. Mais en réalité
la plupart des pays n’ont pas pratiqué un système de taux de change flottants pur, les
banques centrales continuant d’intervenir sur les marchés des changes dans certaines cir-
constances et dans certaines limites. L’expérience de trois décennies de taux de change
flottants « impurs » a confirmé ce qui était déjà apparu à l’époque du régime de taux
de change fixes, à savoir qu’il est en général quasiment impossible à un pays de conser-
ver durablement un taux de change différent de celui qui découlerait de ses « fonda-
mentaux ». Elle a également permis de vérifier le rôle extrêmement déstabilisateur de
la spéculation qui limite considérablement et, dans bien des cas, annule purement
et simplement la maîtrise que les autorités monétaires peuvent exercer sur le taux de
change, la spéculation aboutissant le plus souvent à faire surréagir le taux de change
au regard de ce que serait son évolution naturelle compte tenu des fondamentaux.

paragraphe 2 : les effets dérivés de la politique monétaire et de


la politique de change

L’expérience concrète des politiques effectivement mises en œuvre depuis la Seconde


Guerre mondiale a montré que la politique monétaire et la politique de change sont sus-
ceptibles d’induire des effets dérivés allant éventuellement à l’encontre des objectifs pour-
suivis par les politiques mises en œuvre, tant pour les politiques qui cherchent à influer sur
la situation économique intérieure du pays (A) que pour celles qui privilégient la réalisa-
tion de l’équilibre de ses échanges extérieurs (B).

A – La politique monétaire de soutien de l’activité et le déséquilibre de la balance


des paiements
Une politique monétaire expansive visant à améliorer la situation économique intérieure
du pays (soutien de l’activité et élévation du niveau de l’emploi) est susceptible de générer
un déséquilibre de la balance des paiements qui, compte tenu de ses conséquences, est
susceptible de faire obstacle à la réalisation de l’objectif de croissance de la production et
de l’emploi assigné à cette politique. D’une part, une politique monétaire expansive est un
facteur de déficit de la balance des transactions courantes. La stimulation de la croissance
économique dans le pays se traduit en effet normalement par une hausse des importa-
tions de biens et services, sans augmentation parallèle des exportations qui dépendent de
facteurs indépendants de la conjoncture économique nationale (conjoncture économique
internationale, évolution du taux de change, etc.). D’autre part, cette politique est aussi
un facteur de déficit des mouvements de capitaux. La baisse des taux d’intérêt suscitée par
une politique monétaire expansive réduit en effet la rentabilité des placements financiers
effectués dans le pays, ce qui pousse à des sorties de capitaux hors du pays jouant dans le
sens d’un déficit des mouvements de capitaux30. L’ampleur de ce déficit des mouvements

30 D’autant qu’une politique monétaire expansive peut conduire les opérateurs du marché des changes à anticiper une
accélération de l’inflation et une dépréciation ultérieure de la monnaie réduisant l’attractivité des placements financiers
dans le pays qui met en œuvre cette politique.

La politique monétaire et la politique de change 323


de capitaux sera fonction du degré de mobilité international des capitaux. Le déficit est
nul si la mobilité est elle-même nulle. Il est a priori d’autant plus élevé que la mobilité est
plus forte. En supposant que la balance globale du pays soit équilibrée avant que l’État ne
recoure à une politique monétaire expansive, celle-ci doit donc susciter finalement un défi-
cit de la balance globale qui correspond au déficit simultané des transactions courantes et
des mouvements de capitaux. Ce déficit de la balance globale doit logiquement se traduire
par une tendance à l’affaiblissement de la monnaie nationale sur le marché des changes.
Le modèle de Mundell et Flemming, déjà évoqué à propos de la politique budgétaire,
montre que, compte tenu de ce déficit de la balance globale des paiements et de cette
évolution défavorable du taux de change, l’impact final sur l’activité économique natio-
nale d’une politique monétaire expansive (autrement dit l’efficacité de cette politique)
sera fonction du régime de changes en vigueur.
• En régime de taux de change fixes, une politique monétaire expansive serait toujours
inefficace, quel que soit par ailleurs le degré de mobilité internationale des capitaux.
Confrontée à l’évolution défavorable du taux de change de la monnaie nationale évoquée
ci-dessus, la Banque centrale se doit d’intervenir sur le marché des changes pour préserver
la valeur de la monnaie nationale en l’achetant contre des devises. Les réserves de change
du pays détenues par la Banque centrale (contrepartie extérieure de la masse monétaire
nationale) diminuent donc progressivement. Il en résulte une baisse de la masse monétaire
nationale qui est en contradiction directe avec la politique monétaire expansive (laquelle
se traduit par une augmentation de la masse monétaire) et doit en annuler finalement les
effets positifs sur le niveau d’activité.
Concrètement, après une phase initiale de croissance de la masse monétaire suscitée par
la politique monétaire expansive, avec la baisse des taux d’intérêt qui lui est associée et
la stimulation de l’activité économique qui en résulte, l’économie subit dans un deuxième
temps une contraction de sa masse monétaire, traduisant la baisse des réserves de change
de la Banque centrale, qui produit des effets symétriques à ceux suscités initialement par la
politique monétaire expansive. L’économie est ainsi normalement ramenée à sa situation
de départ. La contraction de la masse monétaire due à la baisse des réserves de change
de la Banque centrale fait en effet remonter les taux d’intérêt, ce qui influe négativement
sur l’investissement et la production globale qui revient ainsi vers son niveau antérieur à la
mise en œuvre de la politique monétaire expansive.
De ce fait, les importations qui avaient augmenté suite à la mise en œuvre de la politique
monétaire expansive se contractent et la balance des paiements se rééquilibre. Lorsque
l’équilibre de la balance est rétabli et que, en conséquence, la tendance à l’affaiblissement
de la monnaie nationale qui justifiait les interventions de la Banque centrale sur le marché
des changes disparaît, la Banque centrale cesse ses interventions. Les réserves de change
se stabilisent ainsi que la masse monétaire interne. Mais l’économie est alors revenue à la
situation initiale qui était la sienne avant que ne soit mise en œuvre la politique monétaire
expansive. L’impact positif sur l’équilibre économique interne de cette dernière a donc
purement et simplement été annulé31.

31 En tout état de cause, la Banque centrale ne pourrait s’opposer indéfiniment à la dépréciation de la monnaie nationale
en raison de la limite représentée par ses réserves de change (qui ne sont pas infinies). Dans l’incapacité de préserver
durablement le taux de change de la monnaie nationale, les autorités monétaires et politiques du pays devraient alors
se résoudre à dévaluer la monnaie en accompagnant probablement cette dévaluation d’une politique de rigueur, comme

324 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• En régime de taux de change flexibles, la politique monétaire expansive peut être effi-
cace. Dans ce cas, le déficit de la balance des paiements qu’induit cette politique se tra-
duit par une dépréciation effective de la monnaie nationale sur le marché des changes, à
laquelle la Banque centrale ne cherche normalement pas à s’opposer32. Il doit en résulter
une amélioration de la compétitivité en termes de prix de l’économie nationale qui est un
facteur d’augmentation de la demande étrangère nette de produits nationaux (X – M),
avec une augmentation des exportations en volume et une réduction des importations
en volume (cf. supra). Après avoir augmenté sous l’effet direct de la politique monétaire
expansive, la demande globale s’accroît donc à nouveau par suite de cette amélioration
de la compétitivité de l’économie nationale. Il se produit ainsi une « impulsion par le
change » qui vient relayer et compléter l’impact positif sur l’activité économique natio-
nale du soutien monétaire initial.
La dépréciation effective de la monnaie nationale qui se produit ainsi peut cependant
avoir d’autres conséquences moins favorables pour l’économie nationale considérée.

B – Les effets dérivés d’une politique de change de résorption d’un déséquilibre


des échanges extérieurs
La politique de dépréciation de la monnaie nationale destinée à résorber un déficit de la
balance des paiements, qui a été évoquée antérieurement, peut aboutir à des résultats
différents de (voire opposé à) ceux qui étaient visés.
D’une part, pour les pays qui vérifient le théorème des élasticités critiques (c’est le cas
des pays développés à économie diversifiée comme la France) et pour lesquels une dépré-
ciation de la monnaie nationale est donc susceptible de permettre la résorption à terme
du déficit de la balance des transactions courantes, cette dépréciation constitue par elle-
même, à court terme, un facteur de dégradation du solde des échanges extérieurs. Il faut
en effet un délai plus ou moins long pour que se concrétise l’effet volume de la déprécia-
tion : augmentation des exportations en volume et contraction des importations en vo-
lume. Par contre l’effet prix de la dépréciation (hausse des prix en monnaie nationale des
produits importés et augmentation consécutive des importations en valeur) se manifeste
immédiatement. En conséquence, à la suite d’une dépréciation de la monnaie nationale,
le solde de la balance des transactions courantes commence dans un premier temps par
se dégrader. Ce n’est que dans un second temps, lorsque la variation des prix des produits
exportés et importés induite par la dépréciation se traduit effectivement par une augmen-
tation en volume des exportations et une baisse en volume des importations, que peut se
produire le redressement du solde de la balance des transactions courantes, l’effet volume
de la dépréciation, qui agit positivement sur le solde de la balance, l’emportant alors sur
l’effet prix, qui agit négativement sur le solde de la balance. Ce phénomène est connu
sous le nom de « théorème de la courbe en J » car la forme de la courbe qui représente
l’évolution dans le temps du solde de la balance des transactions courantes à la suite d’une
dépréciation de la monnaie nationale rappelle la lettre J (graphique 6.2).

c’est habituellement le cas lorsqu’un pays dévalue sa monnaie en régime de taux de change fixes : politique de rigueur qui
va directement à l’encontre de la réalisation de l’objectif d’amélioration de la situation économique intérieure du pays
(augmentation de la production et amélioration de la situation de l’emploi) visé par la politique monétaire expansive.
32 Il n’y a donc dans ce cas a priori ni réduction des réserves de change de la Banque centrale ni contraction consécutive de
la masse monétaire interne, à la différence de ce qui se produit en régime de taux de change fixes.

La politique monétaire et la politique de change 325


GrAPhIqUE 6.2
La courbe en J

D’autre part, dans la mesure où la dépréciation commence par aggraver le déficit initial
de la balance des transactions courantes, le risque existe que cela déclenche une vague
de spéculation à l’encontre de la monnaie nationale. Certains opérateurs du marché des
changes, constatant que le déficit de la balance s’aggrave, peuvent en effet anticiper une
poursuite de l’affaiblissement de la monnaie sur le marché des changes et spéculer contre
celle-ci, ce qui crée les conditions d’une nouvelle dépréciation (anticipations auto-réali-
satrices). Une telle réaction des spéculateurs a une probabilité d’autant plus grande de
se produire que l’affaiblissement de la monnaie nationale stimule l’inflation interne. La
hausse des prix des produits importés se répercute en effet sur les prix intérieurs, rédui-
sant en partie le gain de compétitivité en termes de prix induit par la dépréciation, ce qui
peut retarder un peu plus encore le redressement attendu de la balance et alimenter par
là même des anticipations pessimistes sur l’évolution de la valeur future de la monnaie
nationale, incitant les spéculateurs à continuer d’opérer contre celle-ci.
L’économie nationale peut de ce fait s’enfermer dans un cercle vicieux : déficit extérieur –>
dépréciation de la monnaie –> déficit extérieur –> inflation + spéculation –> dépréciation
–> déficit extérieur… (graphique 6.3). Pour en sortir, les autorités monétaires et politiques
seront alors probablement amenées à mettre en œuvre une politique de rigueur sévère
et durable, seule susceptible de « rassurer les marchés » et de calmer la spéculation. Une
telle politique consiste à peser sur la demande intérieure, et en particulier la consomma-
tion globale, afin de limiter les importations, et à tenter de maîtriser l’inflation, de sorte
à aligner les fondamentaux de l’économie nationale (rythme de croissance, taux d’infla-
tion) sur ceux de ses principaux partenaires économiques. Le prix à payer pour certaines
catégories sociales risque d’être particulièrement élevé : réduction du pouvoir d’achat des
salaires, chômage accru, etc. Le taux de change ne pouvant constituer la variable d’ajuste-
ment susceptible de rétablir l’équilibre extérieur, c’est en fait le niveau de vie de la popu-
lation, et en particulier des salariés, qui joue alors ce rôle de variable d’ajustement.

326 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 6.3
Le cercle vicieux des dépréciations monétaires

paragraphe 3 : les délais de mise en œuvre de la politique


monétaire
Aux limites évoquées ci-dessus s’ajoutent encore celles qui sont liées aux délais de mise en
œuvre et d’action de la politique monétaire et celles qui tiennent à la capacité d’anticipa-
tion des banques centrales.
Si l’on peut admettre qu’une politique monétaire est un moyen d’action sur l’activité écono-
mique et l’emploi potentiellement efficace, ce n’est cependant qu’au terme d’un délai global
qui peut être relativement long, résultant de l’addition des délais respectifs des différentes
phases du processus par lequel agit la politique monétaire. D’une part, il faut un certain
temps aux autorités monétaires pour prendre la mesure exacte de la situation économique
nouvelle créée par l’évolution de la conjoncture, effectuer des projections et déterminer le
sens et l’ampleur de la variation des taux d’intérêt qui paraît la plus adaptée pour atteindre
les objectifs assignés à la politique monétaire. D’autre part, il faut également un certain
temps pour que les banques répercutent sur leurs taux d’intérêt débiteurs les variations des
taux d’intérêt directeurs initiées par la Banque centrale et que la variation des taux d’intérêt
à court terme se répercute sur les taux d’intérêt à moyen-long terme. Enfin, il faut égale-
ment un délai plus ou moins long pour que les entreprises et les ménages modifient leurs
plans d’investissement et de consommation afin de les adapter aux nouvelles conditions du
crédit, et pour que les entreprises, confrontées à une variation de la demande globale, réa-
gissent en adaptant le niveau de leur production et, au-delà, de l’emploi.
Ceci explique que, selon diverses études empiriques, le délai requis pour qu’une politique
monétaire expansive fasse pleinement sentir ses effets sur le PIB varie de un à deux ans, voire
plus33.

33 Selon Samson et alii (2004, p. 508), « la politique monétaire ne se transmet à l’économie réelle qu’au terme d’un délai
relativement long, d’un an à un an et demi ». Pour P. Artus (2003, p. 5), les délais d’action de la politique monétaire,
tant aux États-Unis que dans la zone euro, sont de l’ordre de 18 mois à 2 ans, sachant que, dans le cas de la BCE, s’ajoute
à ces délais d’action le délai de réaction de la BCE aux évolutions conjoncturelles constatées. Selon l’auteur, « la BCE
réagit (…) avec retard (6 mois environ) aux indications conjoncturelles concordantes » (id., p. 6), cette « lenteur » étant
cependant « comparable, voire inférieure à celle des autres banques centrales» (id., p. 6).

La politique monétaire et la politique de change 327


Cette variabilité de ses délais d’action obère l’efficacité potentielle de la politique moné-
taire. À la limite, cela peut aboutir à ce que la politique monétaire agisse à contretemps et
produise ainsi des résultats différents de ceux attendus. L’idéal, dans ces conditions, serait
que les banques centrales soient capables d’anticiper correctement l’évolution conjonctu-
relle de l’économie nationale, de manière à prendre les bonnes décisions d’intervention
le plus tôt possible, autrement dit soient capables d’anticiper sur les événements. Mais
l’expérience montre que, si l’horizon des banques centrales est censé être celui du moyen
et du long terme, leur capacité réelle d’anticiper sur les événements est limitée. Dans les
économies globalisées contemporaines fréquemment affectées par de fortes fluctuations
de certaines variables économiques stratégiques (prix du pétrole et d’autres matières pre-
mières, taux de change des grandes monnaies, cours boursiers, etc.), les banques centrales
ont de réelles difficultés à établir des prévisions fiables concernant les principales grandeurs
économiques (prix, production, emplois, soldes extérieurs) dont l’évolution conditionne et
justifie leur intervention. Ceci explique qu’elles n’interviennent souvent qu’après-coup,
en réagissant aux évolutions observées au lieu de pouvoir anticiper ces évolutions pour
éventuellement les prévenir.
C’est assurément l’un des problèmes auxquels est confrontée la BCE.

*
En conclusion, il faut évoquer l’analyse développée par divers auteurs (Artus, 2004 ; Agliet-
ta, 2007) qui conduit à avancer l’hypothèse qu’une limite majeure à l’efficacité de la po-
litique monétaire mise en œuvre aujourd’hui dans les grands pays développés tient à la
définition même de l’objectif final qui lui est assigné.
Dans la plupart des cas, cet objectif se limite à la maîtrise de l’inflation. Mais le taux d’in-
flation auquel se réfère alors la Banque centrale est défini de manière restrictive, comme
le taux de hausse des prix des biens et services. Comme on l’a déjà souligné, l’évolution
des prix des actifs (financiers, immobilier) n’est globalement pas prise en compte (cf. su-
pra, chapitre I). Or cela n’est pas sans conséquences. Comme le souligne P. Artus (2005),
pour lutter contre les crises, comme celle de la nouvelle économie du début de la décennie
2000 ou les menaces de crise, les banques centrales des grands pays développés (Réserve
fédérale américaine, Banque d’Angleterre, BCE..) ont créé massivement des liquidités au
cours des dernières années. Mais, dans une économie mondialisée où les prix de nombreux
biens sont rigides, les liquidités monétaires abondantes ainsi créées servent en fait prin-
cipalement à alimenter le développement de bulles spéculatives sur les marchés d’actifs,
bulles spéculatives qui finissent nécessairement par éclater. Pour surmonter une crise, les
banques centrales, en alimentant massivement le marché monétaire en liquidités, créent
par là même les conditions à terme de l’éclatement d’une nouvelle crise. De sorte qu’il « va
donc falloir s’habituer à vivre avec ces bulles, en sachant qu’on court le risque, à la pre-
mière hausse des taux, d’une crise épouvantable » (idem). Deux ans et demi après que ce
diagnostic ait été formulé, l’éclatement de la crise des subprimes venait malheureusement
en confirmer la justesse.

328 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Section 3 : L’euro, la Banque centrale européenne et la
politique monétaire unique de la zone euro

La création de la zone euro le 1er janvier 1999 est l’aboutissement d’un projet ancien dont
la réalisation, qui s’est réellement amorcée en 1979 avec la création du Système monétaire
européen34, est passée depuis par trois grandes étapes.
1) La première étape correspond à l’adoption de l’Acte unique européen, signé en février
1986. Constitué de divers amendements et compléments au traité de Rome, il fixait
pour objectif l’achèvement, avant le 31 décembre 1992, du marché intérieur unique, le
« grand marché européen », assurant la libre circulation des biens, des services, des capi-
taux et des personnes. Il prévoyait en particulier la libération totale des mouvements de
capitaux entre les pays de la Communauté économique européenne au 1er juillet 199035.
2) La seconde étape correspond à la signature le 7 février 1992 par les pays membres de
la Communauté économique européenne du Traité de Maastricht ou Traité sur l’union
européenne36 (UE) qui est entré en application le 1er novembre 1993 après sa ratification
par les pays-membres. Le traité a prévu la réalisation de l’unification monétaire en trois
phases.
• La phase 1, allant du 1er juillet 1990 au 31 décembre 1993, était en réalité déjà pratique-
ment franchie lors de la mise en application du Traité de Maastricht. Elle s’est traduite
par l’achèvement du marché unique, la libération des mouvements de capitaux entre les
pays-membres (intervenue le 1er juillet 1990 avec la mise en place du marché unique des
capitaux), l’indépendance des banques centrales des pays-membres (loi organique du 4
août 1993 réformant les statuts de la Banque de France en ce sens) et l’interdiction du fi-
nancement du déficit budgétaire par les banques centrales des pays-membres, tandis que
les États-membres s’engageaient dans un processus de coordination de leurs politiques
économiques et en particulier de leurs politiques monétaires.
• La phase 2, allant du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1998, s’est traduite par : 1) le ren-
forcement de la coordination des politiques économiques des États-membres ; 2) la créa-
tion à Francfort de l’Institut monétaire européen qui a succédé au FECOM à partir du 1er
janvier 1994 et a été chargé de préparer la création de la future BCE, intervenue le 1er juin
1998, afin que l’infrastructure nécessaire au fonctionnement de l’Union monétaire soit en
place au 1er janvier 1999 ; 3) l’obligation pour chaque pays candidat à la monnaie unique
de respecter les critères de convergence pour pouvoir passer à la phase 3 ; 4) l’interdic-
tion du financement monétaire du déficit budgétaire37 ; 5) la mise en place d’un dispositif
34 Décidée par le Conseil européen de Paris du 12 mars 1979.
35 À l’abolition de tous les contrôles des mouvements de capitaux s’ajoute la liberté d’établissement pour les banques de
tous les pays-membres. Comme le souligne D. Redor (1999, p. 48) cette réforme, « en autorisant la mobilité des capitaux
à court terme (…) fragilise le système des changes fixes et incite à créer une monnaie unique ». Au-delà, l’accentuation
des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux entre pays-membres, que rend possible la création du marché
unique, paraît contradictoire avec l’objectif de préservation de la stabilité des taux de change qui est celui du SME, et
pousse par conséquent à la recherche d’une intégration monétaire accrue.
36 Le traité de Maastricht est largement issu du rapport présenté en juin 1989 (Conseil européen de Madrid des 26 et 27 juin)
par le comité présidé par Jacques Delors à qui le Conseil européen de Hanovre du 28 juin 1988 avait demandé « d’étudier
et de proposer les étapes concrètes devant mener à l’union économique et monétaire ».
37 Selon ses nouveaux statuts adoptés par la loi du 4 août 1993, la Banque de France ne peut autoriser des découverts ou
accorder tout autre type de crédit au Trésor public. Elle ne peut également acquérir directement des titres de la dette
publique.

La politique monétaire et la politique de change 329


d’aide aux pays dont le PNB par habitant est égal ou inférieur à 90 % du PNB par habitant
moyen de la Communauté européenne.
• La phase 3, allant du 1er janvier 1999 à 2002, a correspondu à l’instauration de l’Union
monétaire et au passage proprement dit à la monnaie unique. Cela qui signifie : 1) la
disparition des monnaies qualifiées au terme de la seconde étape (celles des pays censés
respecter les critères de convergence) et la conversion de ces monnaies en euros selon les
taux de conversion irrévocables adoptés préalablement le 3 mai 1998 et confirmés le 31
décembre 1998 par le Conseil européen (1 euro = 6,55957 francs pour le franc) ; 2) la mise
en circulation de l’euro sous forme de monnaie scripturale à partir du 1er janvier 1999, puis,
à partir du 1er janvier 2002, sous forme de pièces et de billets libellés en euros qui ont seuls
cours à partir du 30 juin 2002 ; 3) la définition et la mise en œuvre de la politique moné-
taire unique de la zone euro.
3) La troisième étape correspond à l’adoption du Pacte de stabilité et de croissance par
le Conseil européen d’Amsterdam des 16 et 17 juin 199738, la signature finale du traité
d’Amsterdam intervenant le 2 octobre 1997 et son entrée en vigueur le 1er mai 1999.
Le 3 mai 1998, 11 pays sur les 15 que comptait alors l’Union européenne ont été « quali-
fiés » pour passer à l’euro, c’est-à-dire les 15 pays constituant alors l’Union Européenne
moins la Grande-Bretagne (qui avait fait savoir dès le 27 octobre 1997 par la voix de son
Premier ministre Tony Blair qu’elle ne participerait pas à l’Union monétaire le 1er janvier
1999), la Suède, le Danemark et la Grèce, cette dernière rejoignant cependant la zone euro
le 1er janvier 2001.
Pour les pays de la zone euro39, au nombre de 15 depuis le 1er janvier 2008, avec l’intégra-
tion à la zone de la Slovénie, de Malte et de Chypre, la mise en place de la monnaie unique
s’est traduite par un bouleversement des modalités de la politique monétaire. Celle-ci n’est
plus du ressort des États mais est désormais confiée en exclusivité à la BCE (§ 1). C’est à
cette dernière qu’il revient de déterminer la manière dont elle utilise les instruments qui
sont à sa disposition pour atteindre l’objectif que lui assignent ses statuts (§ 2). L’examen
de l’action de la BCE depuis 1999 permet d’appréhender concrètement la manière dont
elle s’acquitte de ses missions (§ 3).

Les critères de convergence


Le traité sur l’Union européenne a prévu qu’un pays ne pourrait être intégré dans la zone euro qu’à la
condition de respecter cinq « critères de convergence ». Les trois premiers concernent les variables mo-
nétaires du pays, les deux derniers l’état de ses finances publiques.

• L’inflation du pays ne doit pas être supérieure à la moyenne, majorée de 1,5 %, des taux d’inflation des
trois pays ayant l’inflation la plus faible.

• Le taux d’intérêt nominal à long terme du pays ne doit pas excéder sur un an la moyenne, majorée de
2 %, des taux d’intérêt des trois pays dont l’inflation est la plus faible.
38 Après l’adoption par le Conseil européen de Dublin (13-14 décembre 1996) d’un projet de résolution sur le Pacte de
stabilité et de croissance.
39 L’Eurosystème est constitué de la BCE et des banques centrales nationales des pays membres de la zone euro. Il ne doit pas
être confondu avec le Système européen de banques centrales (SEBC) qui désigne, dans le traité sur l’Union européenne,
l’ensemble formé par la BCE et les banques centrales nationales des pays membres de l’Union (les 27 pays membres actuels).

330 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• Au cours des deux années précédant l’entrée dans l’Union monétaire, le pays doit avoir maintenu son
taux de change dans les marges de fluctuation prévues par le SME40 et ce, sans dévaluation.

• Le déficit public (déficit de l’ensemble des administrations publiques) ne doit pas excéder 3 % du PIB
du pays.

• La dette de l’ensemble des administrations publiques ne doit pas excéder 60 % du PIB du pays.

Ces critères de convergence sont censés s’articuler de sorte que leur respect engage le pays dans une
sorte de cercle vertueux. La limitation de la hausse des prix (premier critère) favorise la baisse des taux
d’intérêt (second critère). Celle-ci permet de limiter le déficit public (en réduisant les intérêts dus sur la
dette publique) et la dette publique (alimentée en partie par le déficit public imputable au service de la
dette) (quatrième et cinquième critères). L’ensemble de ces évolutions favorise la stabilisation du taux de
change de la monnaie et permet d’éviter les dévaluations (troisième critère). Ce qui, à son tour, permet
d’écarter les risques d’inflation importée résultant de la hausse des prix des biens et services importés en
cas de dépréciation de la monnaie sur le marché des changes.

Mais il faut souligner qu’il s’agit de critères de convergence nominale et non pas de convergence
réelle des économies aspirant à faire partie de l’Union monétaire. Or le fait d’imposer des critères de
convergence nominale à des pays dont les économies étaient (et demeurent) très hétérogènes (cf. infra)
a contraint ces pays à mettre en œuvre de manière uniforme des politiques économiques à dominante
restrictive, lesquelles n’étaient pas nécessairement adaptées au contexte international ni au contexte
propre à chaque pays et ont contribué à la faiblesse de la croissance européenne des années 1990.

paragraphe 1 : la banque centrale européenne

Le traité sur l’Union européenne confie à la BCE l’essentiel des missions habituellement
dévolues à une Banque centrale (A). Il lui confère par ailleurs un statut d’indépendance qui
n’est pas sans soulever certaines interrogations (B).

A – L’organisation et les missions de la BCE


L’organisation de la BCE est déterminée par ses statuts qui sont définis par le Traité sur
l’Union européenne et ne pourraient être modifiés qu’à l’unanimité des États-membres,
ce qui les rend de fait pratiquement intangibles en l’état actuel de la construction euro-
péenne.
La BCE est dirigée par un Conseil des gouverneurs. Celui-ci est constitué des six membres
du Directoire, dont le Président et le Vice-président de la BCE, et des gouverneurs des
banques centrales nationales des pays participant à l’union monétaire (les 15 pays actuelle-
ment membres de la zone euro). Il se réunit habituellement deux jeudis par mois. Le com-

40 Depuis le 1er janvier 1999, le SME a été remplacé par le nouveau mécanisme de change européen (un SME II en quelque
sorte). Celui-ci régit les rapports entre l’euro et les monnaies des pays de l’Union européenne non-membres de la zone
euro ayant souhaité participer à ce nouveau mécanisme de change. N’y participaient initialement (en 1999) que la Grèce
et le Danemark, le Royaume-Uni et la Suède ayant refusé de s’y associer. Un cours pivot par rapport à l’euro de la monnaie
de chacun de ces deux pays avait été défini avec une marge de fluctuations (de plus ou moins 2,25 % pour la couronne
danoise et de plus ou moins 15 % pour la drachme grecque). La Grèce a depuis rejoint la zone euro.

La politique monétaire et la politique de change 331


missaire européen chargé des affaires économiques et le ministre des finances qui préside
l’Eurogroupe peuvent assister aux réunions du Conseil. C’est lui qui fixe les orientations
fondamentales et prend les décisions stratégiques concernant l’exercice par la BCE de ses
différentes missions. Il détermine, à la majorité simple (chaque membre du conseil ayant
une voix), la politique monétaire unique de la zone euro. C’est donc lui qui détermine la
stratégie générale sur laquelle repose la politique monétaire de la zone euro. Il fixe les
taux d’intérêt auxquels les banques commerciales peuvent obtenir de la monnaie centrale
auprès de la BCE, taux qui ont pris une importance considérable dans la conjoncture éco-
nomique.
Le Directoire de la BCE est constitué du Président et du Vice-président de la Banque ainsi
que de quatre directeurs. Tous sont désignés par concertation (unanimité) entre les chefs
d’État ou de gouvernement des pays membres de l’Eurosystème. La durée de leur man-
dat, non renouvelable, est de 8 ans et ils ne peuvent être révoqués que pour incapacité
ou faute grave par décision de la Cour de justice européenne, ces règles étant destinées
à assurer leur indépendance effective vis-à-vis du Conseil européen, c’est-à-dire du pou-
voir politique. Les décisions au sein du Directoire sont prises à la majorité simple, chaque
membre du Directoire disposant d’une voix. Le Directoire est chargé de mettre en œuvre la
politique monétaire selon les orientations définies par le Conseil des gouverneurs. C’est lui
qui donne aux banques centrales nationales les instructions nécessaires à cet effet.
Le Président de la BCE, qui préside le Conseil des gouverneurs et le Directoire, préside
également le Conseil général de la BCE. Celui-ci est constitué des gouverneurs des banques
centrales nationales de tous les pays membres de l’Union européenne (et pas seulement
de la zone euro) ainsi que du Président et du Vice-président de la BCE. Il a pour fonction
principale de préparer la fixation des taux de change des monnaies des pays de l’Union
Européenne qui s’apprêtent à rejoindre la zone euro, étant entendu que dans la logique
du Traité sur l’Union européenne, l’ensemble des pays membres de l’Union européenne
ont vocation à rejoindre un jour la zone euro.

Les missions confiées à la BCE sont celles qui sont habituellement dévolues à une Banque
centrale.
• Elle est chargée de promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement au
sein de la zone euro. À ce titre elle assure et contrôle l’émission de la monnaie fiduciaire.
L’émission des billets est assurée par la BCE et les banques centrales nationales, la produc-
tion des billets étant en fait réalisée par les différentes banques centrales nationales en
fonction des besoins en billets de chaque pays, lesquels varient sensiblement d’un pays à
l’autre en raison des différences nationales dans les habitudes de paiement des ANF. Les
billets émis (5, 10, 20, 50, 100, 200 et 500 euros) sont identiques pour tous les pays. Les
pièces, par contre, sont émises par les États membres de la zone euro, sous le contrôle de
la BCE qui approuve le volume des émissions. Les pièces émises (1, 2, 5, 10, 20, 50 centimes,
1 et 2 euros) comprennent une face européenne identique pour tous les pays et une face
nationale différente selon les pays.
• Elle détient et gère les réserves officielles de change des pays de la zone euro et elle est
chargée de « conduire les opérations de change » (art 105, a. 2), c’est-à-dire de réaliser
les interventions sur les marchés des changes destinées à influer sur le taux de change de

332 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


l’euro par rapport aux autres monnaies. En matière de politique de change, le traité de
Maastricht institue cependant une responsabilité partagée entre le Conseil de l’Union eu-
ropéenne (Conseil ECOFIN), auquel il revient de formuler les orientations générales de la
politique de change, et la BCE qui met en œuvre cette politique de change (conduite des
opérations de change). Selon l’article 109.2 du traité de Maastricht, le Conseil « statuant
à la majorité qualifiée, soit sur recommandation de la Commission et après consultation
de la BCE, soit sur recommandation de la BCE, peut formuler les orientations générales de
la politique de change ». Étant entendu que « ces orientations générales n’affectent pas
l’objectif général du SEBC, à savoir le maintien de la stabilité des prix ». Mais en réalité,
depuis 1999, la BCE exerce seule le pouvoir sur le taux de change, comme cela ressort de
diverses déclarations du premier Président de la BCE, Win Duisenberg. Celui-ci affirmait
ainsi, dès l’été 1999, « Monsieur euro, c’est moi ». Formulation reprise récemment par
l’actuel Président de la BCE, Jean-Claude Trichet, qui lui a succédé en 2003, proclamant en
septembre 2004 « en ce qui concerne la monnaie, je suis à l’évidence Monsieur euro »41. La
BCE ne semble cependant pas avoir de véritable objectif de taux de change, ce dont atteste
le caractère limité de ses interventions sur le marché des changes, alors même que le taux
de change de l’euro par rapport au dollar a connu depuis le 1er janvier 1999 de très fortes
fluctuations (cf. infra).
• Elle a également pour fonction, à partir des données statistiques que lui fournissent
les pays membres, d’établir une balance des paiements de la zone euro qui retrace les
échanges entre la zone et l’extérieur.
• Enfin, et surtout, c’est elle qui définit et met en œuvre la politique monétaire unique
de la zone euro, avec l’objectif de maintenir la stabilité des prix et donc de préserver le
pouvoir d’achat interne de l’euro.
Ces diverses missions sont typiquement celles d’une Banque centrale. Mais certains auteurs
soulignent cependant qu’il n’a pas été confié à la BCE l’intégralité des missions habituel-
lement confiées à une Banque centrale. Ch. De Boissieu (1998, p. 36) rappelle ainsi qu’une
Banque centrale doit normalement se préoccuper de « l’intégrité du système bancaire
et financier ». Cela correspond à une « mission de prévention » visant à prévenir d’éven-
tuelles crises bancaires en imposant aux banques le respect d’une réglementation pruden-
tielle (détention d’un capital minimum, respect de divers ratios : de solvabilité, de liquidité,
de division des risques...) et, pour le cas où une crise éclaterait néanmoins, un rôle « de
prêteur en dernier ressort » afin de limiter l’ampleur et les conséquences négatives pour
l’économie nationale d’une telle crise. Or le traité de Maastricht laisse ces missions aux
autorités nationales des pays membres42. De fait, c’est aux banques centrales nationales,
qui sont cependant désormais placées sous l’autorité de la BCE, que revient le contrôle
de la gestion des banques commerciales opérant sur leur territoire respectif. Le partage
des compétences entre la BCE et les banques centrales nationales prévoit ainsi que la BCE
détermine la politique monétaire de la zone euro, tandis qu’il appartient aux banques
centrales nationales d’appliquer dans leur pays respectif les décisions prises et d’y assurer
le contrôle prudentiel des établissements de crédit.

41 À l’opposé, aux États-Unis, la politique de change est du ressort exclusif de l’exécutif américain, le secrétaire d’État au
trésor étant seul habilité à commenter la politique de change des États-Unis.
42 Par contre, aux États-Unis, ces missions font explicitement partie des attributions de la Réserve fédérale qui est chargée
de veiller au bon fonctionnement du système bancaire américain.

La politique monétaire et la politique de change 333


La BCE forme avec les banques centrales nationales des quinze pays membres de la zone
euro l’Eurosystème. Celui-ci ne doit pas être confondu avec le Système européen de
banques centrales (SEBC) qui désigne, dans le traité sur l’Union Européenne, l’ensemble
formé par la BCE et les banques centrales nationales des pays membres de l’Union (les 27
pays-membres actuels).

B – Le statut d’indépendance de la BCE


La BCE dont les missions sont ainsi définies jouit d’un statut d’indépendance vis-à-vis du
pouvoir politique. L’article 108 stipule que la BCE et les banques centrales nationales ainsi
que les membres de leurs organes de décision ne peuvent demander ou recevoir des ins-
tructions d’institutions ou d’organismes communautaires, des gouvernements des États-
membres ou de tout autre organisme43. Parallèlement, les gouvernements ou les institu-
tions communautaires ne doivent pas « chercher à influencer les membres des instances de
décision de la BCE » (art. 107). En relation avec ce statut d’indépendance, la BCE ne peut
accorder de concours financiers (crédits, prêts) aux institutions européennes ni aux États
membres de l’Union européenne.
Ce statut d’indépendance de la BCE est le résultat d’un choix délibéré des instances poli-
tiques dirigeantes de l’Union européenne et des pays-membres qui ont négocié le traité
de Maastricht. Il a été présenté comme une condition incontournable de la crédibilité de la
Banque et donc de l’efficacité de son action. Il n’est cependant pas sans soulever différents
problèmes : un problème de nature politique et un problème de nature économique.
• un problème de nature politique. Le statut d’indépendance de la BCE représente, qu’on
le veuille ou non, un réel « déficit démocratique », puisque la gestion de la monnaie, dont
le rôle dans le fonctionnement de l’économie nationale est essentiel, et dont les avatars
peuvent avoir des conséquences économiques et sociales considérables, échappe ainsi au
pouvoir politique issu du suffrage universel. Bien plus, ce statut d’indépendance traduit
en réalité une défiance à l’égard du pouvoir politique. L’idée qui le sous-tend est en effet
que la monnaie ne doit plus être utilisée par les gouvernants pour chercher à agir discré-
tionnairement sur l’économie réelle, comme ce fut le cas jusque dans les années 1970.
La politique monétaire ne doit avoir pour objectif que la seule maîtrise de l’inflation,
conformément à la conception d’inspiration néoclassique évoquée antérieurement. Pour
ce faire, elle doit consister à définir et imposer durablement le respect de règles claires et
intangibles. À l’opposé de la politique monétaire discrétionnaire pratiquée pendant les
décennies 1950 et 1960, ce doit donc être une politique de règles. On retrouve par consé-
quent, à propos de la politique monétaire, la même inspiration que celle qui s’exprime à
propos de la politique budgétaire dans le Pacte de stabilité et de croissance. Mais, comme
le soutiennent les adeptes de la thèse du marché politique (théorie du public choice qui
a, à l’évidence, inspiré les rédacteurs des statuts de la BCE), il n’est a priori pas possible
de faire confiance aux hommes politiques pour appliquer une telle politique de règles,

43 Le degré d’indépendance dont bénéficie la BCE vis-à-vis du pouvoir politique est plus grand que celui dont bénéficient
aujourd’hui la Banque du Japon, la FED ou la Banque d’Angleterre ou celui dont bénéficiait autrefois la Banque centrale
allemande. Aux États-Unis, en particulier, il existe une réelle collaboration entre les instances dirigeantes de la FED et
le Trésor américain qui permet de coordonner la politique monétaire et la politique budgétaire, ce qui n’existe pas en
Europe.

334 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


puisque cela les prive en fait de tout pouvoir d’action discrétionnaire et leur interdit en
particulier d’utiliser la politique monétaire à des fins électorales (dans le but de stimuler
la croissance et d’élever le niveau de l’emploi à l’approche d’échéances électorales). Pour
s’assurer de ce que la politique monétaire mise en œuvre sera bien une politique de règles
tournant le dos à une telle utilisation discrétionnaire de l’instrument monétaire, il est donc
nécessaire de la soustraire à l’influence du pouvoir politique et d’en confier la conduite à
une Banque centrale indépendante.
Cette vision des choses soulève cependant la question de la nature des forces économiques
et sociales et de celle des idées susceptibles d’influencer les personnalités « indépen-
dantes » qui dirigent la Banque centrale. Question qui mérite d’autant plus d’être posée
que certains défenseurs de la thèse de l’indépendance des banques centrales à l’égard du
pouvoir politique proposent non seulement que la BCE soit indépendante mais que, de
surcroît, elle soit dirigée par « une personnalité conservatrice » (Rogoff, 1985) susceptible
d’accorder spontanément plus d’importance à l’objectif de stabilité des prix qu’à celui de
croissance et de plein-emploi.
Il n’est certes pas question de mettre en doute les compétences professionnelles des per-
sonnalités siégeant au Conseil des gouverneurs de la BCE. Mais force est par ailleurs de
constater que celles-ci, sauf exception, sont issues des milieux économiques et sociaux fa-
vorisés ou très favorisés44, au sein desquels se recrutent souvent les élites qui exercent des
fonctions dirigeantes (économique et/ou politique) dans les pays européens. Elles sont
nommées à la direction de la BCE après avoir déjà exercé des fonctions de direction presti-
gieuses qui les ont inscrites dans un réseau de relations sociales les mettant régulièrement
en rapport avec les véritables détenteurs du pouvoir économique et politique au sein des
pays-membres (actionnaires et dirigeants des plus grandes entreprises privées, ministres,
chefs de gouvernement, chefs de partis, dirigeants des institutions européennes, etc.). Elles
ont travaillé et continuent nécessairement à entretenir des relations de travail suivies avec
les appareils de direction des institutions financières internationales (FMI, BRI, etc.) dont
les convictions libérales sont bien ancrées. Elles participent donc en fait d’une commu-
nauté de dirigeants de haut niveau qui entretiennent des liens plus ou moins étroits avec
les puissances économiques prédominant dans les sociétés européennes et qui s’accordent
sur les mérites du libéralisme. Il paraît donc illusoire dans ces conditions d’imaginer que ce
collectif de personnalités puisse être capable de définir sans biais ce qu’est l’intérêt général
de l’ensemble des populations des pays formant la zone euro (en présupposant, ce qui ne
va pas de soi, qu’un tel intérêt général existe) et de déterminer la seule et unique politique
monétaire qui soit la meilleurs contribution possible à la réalisation de cet intérêt général.
• L’indépendance de la BCE soulève également un problème économique crucial, celui de
la coordination de la politique monétaire unique de la zone euro et des différentes poli-
tiques budgétaires nationales des États-membres de la zone et, partant, celui de l’effica-
cité de la politique économique mise en œuvre à l’intérieur de la zone euro.
Une telle coordination paraît a priori indispensable en raison des interactions qui existent
entre la politique monétaire et la politique budgétaire. Alors que la première influe sur
les conditions de financement des déficits publics (taux d’intérêt), la seconde agit sur la
demande globale et influe de ce fait sur l’inflation, les échanges extérieurs et, au bout

44 Ce dont attestent les biographies des actuels membres du Conseil.

La politique monétaire et la politique de change 335


du compte, sur le taux de change. Dans ces conditions, il est nécessaire de veiller à ce que
les effets de l’une de ces deux politiques ne contrecarrent pas involontairement les effets
de l’autre. Mais, si l’intérêt d’une coordination des politiques budgétaires nationales des
différents pays membres de la zone euro et de la politique monétaire unique de la Banque
centrale européenne ne semble pas a priori faire de doute, il reste que celle-ci demeure
encore aujourd’hui pratiquement inexistante. L’indépendance de la Banque centrale eu-
ropéenne a pour conséquence qu’il n’existe aucun dispositif institutionnel permettant un
dialogue constructif entre la BCE et les États membres de la zone euro qui sont respon-
sables de leur politique budgétaire respective45. Or, dès lors qu’il n’y a qu’une seule poli-
tique monétaire pour l’ensemble de la zone mais qu’il peut y avoir des politiques budgé-
taires différentes dans les pays membres de la zone et que la BCE agit indépendamment de
ces derniers, il y a un risque évident d’incohérence dans la politique économique globale
mise en œuvre.
Comme le reconnaissent et parfois le déplorent nombre de travaux, il n’y a pas aujourd’hui
d’instances ayant la vocation et la capacité de définir et de mettre en œuvre ce qui pourrait
être considéré comme un bon policy mix, c’est-à-dire une combinaison satisfaisante entre
politique monétaire et politique budgétaire, pour les populations de la zone euro. Les
choix de la BCE en matière de politique monétaire peuvent entrer en contradiction avec
ceux qu’effectuent au même moment tout ou partie des pays membres de la zone quant
à la conduite de leur politique budgétaire. Le parti de rigueur monétaire, qui domine les
décisions prises par la Banque, peut par ailleurs contraindre certains États membres de la
zone euro à tenter de contrebalancer par leur politique budgétaire les effets restrictifs sur
l’activité économique nationale de cette rigueur monétaire, au prix de la persistance des
déficits et de l’endettement publics et de leurs effets potentiellement négatifs à terme ;
quitte à ce que les gouvernements de ces pays soient ensuite taxés de laxisme budgétaire
par la BCE. Outre les questions que soulève par elle-même la mise en œuvre d’une poli-
tique monétaire unique pour un ensemble de pays relativement hétérogènes, il ne fait
guère de doute que la construction institutionnelle qui conduit à dissocier la définition et
la conduite de la politique monétaire de celles de la politique budgétaire soit potentielle-
ment source d’incohérence et de dysfonctionnements.

paragraphe 2 : les objectifs et les instruments de la politique


monétaire de la banque centrale européenne

Les traités assignent comme objectif final principal à la politique monétaire que la BCE est
chargée de conduire le maintien de la stabilité des prix ; et c’est au regard de cet objectif
que se comprend la stratégie de la BCE (A). Pour atteindre cet objectif, la BCE dispose
d’une gamme d’instruments très semblables à ceux dont disposaient jusqu’en 1999 les
banques centrales des principaux pays formant aujourd’hui la zone euro (B).

45 Selon Herner Flassbeck, ancien Ministre fédéral de l’économie de la RFA, économiste en chef à la CNUCED, « il n’y a pas
de policy mix dans la zone euro », ce qui « est précisément un des problèmes principaux de l’Union économique et moné-
taire, depuis le lancement de l’euro », car « la BCE refuse explicitement toute coordination entre la politique monétaire
qu’elle conduit et les politiques budgétaires des États-membres » (Le Monde, 11 et 12 janvier 2005 p. 3).

336 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A – L’objectif final et la stratégie de la BCE
On a déjà souligné que l’article 105, alinéa 1 du traité de Maastricht stipule que « l’objectif
principal du Système européen des banques centrales (SEBC) est de maintenir la stabilité
des prix » (a). Pour atteindre cet objectif, la BCE développe une stratégie fondée sur deux
piliers (b).

a – L’objectif de maintien de la stabilité des prix


Selon la définition adoptée par le Conseil des gouverneurs de la BCE le 8 mai 2003, l’objectif
final de maintien de la stabilité des prix assigné à la Banque centrale implique une augmen-
tation annuelle de l’indice des prix à la consommation harmonisée (IPCH) au sein de la zone
euro « inférieure à 2 % mais proche de 2 % »46. Ajoutons que si, selon Jean-Claude Trichet, la
définition de l’objectif d’inflation dans sa forme initiale47 « laissait entendre que la véritable
inflation visée était de 1 % et que la BCE restait complaisante avec une inflation proche de
0 % » (Le Monde, 28-10, 2003, p. 2), ce n’est plus le cas, l’objectif est en réalité aujourd’hui
de s’approcher au plus près des 2 %48. Ce qui devrait permettre en particulier d’éviter que
certains pays de la zone euro connaissent une déflation, avec les risques potentiels de défla-
tion autoentretenue qui pourraient en résulter. Il s’agit donc en fait, pour la BCE, d’éviter à
la fois une hausse excessive des prix et la déflation (ni trop ni trop peu, en quelque sorte).
Cet objectif final de stabilité des prix est cependant conçu comme un objectif de moyen
terme, ce qui signifie qu’une faible volatilité de très court terme de l’indice est tolérée. La
BCE n’est pas tenue de réagir immédiatement à tout écart du taux d’inflation par rapport à
l’objectif fixé. Comme le souligne un communiqué de la BCE du 13 octobre 1998, « stipuler
que ‘‘la stabilité des prix doit être maintenue à moyen terme’’ montre bien que la politique
monétaire doit adopter une orientation prospective axée sur le moyen terme. Elle tient éga-
lement compte de l’existence d’une instabilité à court terme des prix que la politique moné-
taire ne peut contrôler ».
Il est par ailleurs précisé dans le Traité de Maastricht que, dès lors que la stabilité des prix
est assurée, la BCE apporte son soutien aux politiques économiques des pays de l’UE49. Cela
peut s’interpréter (Goux, 2007, p. 17), même si ce n’est à l’évidence pas l’interprétation que
retient la BCE elle-même, comme l’expression de ce que, à l’objectif principal de maintien
de la stabilité des prix, s’ajoute un objectif « secondaire » consistant dans « le soutien aux
politiques économiques générales de l’Union européenne et, par définition, (art. 2) la crois-
sance, l’emploi et la protection sociale » (id., p. 17). Cela ne signifie cependant pas que la BCE
puisse être assimilée à la Réserve fédérale américaine dont les objectifs sont explicitement le

46 On rappelle que l’IPCH est calculé pour la zone euro par Eurostat et fait l’objet d’une publication mensuelle.
47 L’objectif de stabilité des prix avait été défini initialement de la manière suivante par le Conseil des gouverneurs le 13
octobre 1998 : « La stabilité des prix est définie comme une progression sur un an de l’indice des prix à la consommation
harmonisé (IPCFH) inférieure à 2 % dans la zone euro ».
48 Cette référence explicite à une augmentation de l’IPCH indique que « la déflation, c’est-à-dire une baisse de l’indice IPCH,
ne serait pas compatible avec la définition de la stabilité des prix » (Moutot et Jung, 2002, p. 13).
49 Le Traité stipule que : « Sans préjudice à l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques écono-
miques générales dans la Communauté, en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de la Communauté, tels que
définis à l’article 2 », c’est-à-dire en fait « un développement harmonieux et équilibré de l’ensemble de la Communauté,
une croissance durable et non inflationniste respectant l’environnement (...) un niveau d’emploi et de protection sociale
élevés » (art. 2).

La politique monétaire et la politique de change 337


plein-emploi, la stabilité des prix et la modération des taux d’intérêt50. La BCE ne peut en
effet se préoccuper de soutenir la croissance et l’emploi que si la stabilité des prix est assu-
rée, et elle ne peut par conséquent, à la différence de la Réserve fédérale, arbitrer entre
la stabilité des prix et la croissance économique. La possibilité d’un tel arbitrage est écartée
a priori, partant de l’idée selon laquelle, en garantissant la stabilité des prix, la BCE apporte
en fait une contribution essentielle à la réalisation d’une croissance économique soutenue
et d’un niveau d’emploi élevé, lesquels ne peuvent être obtenus et durablement préservés
que si l’inflation est maîtrisée51. De surcroît, si une éventuelle contribution de la BCE à la
stabilisation conjoncturelle des économies de la zone euro n’est pas exclue, ses modalités
n’en sont pas précisées.
Certains auteurs considèrent cependant que le reproche souvent fait à la BCE de ne pas se
préoccuper de la croissance et de l’emploi pour se focaliser uniquement sur l’évolution des
prix n’est pas réellement justifié, et que certaines de ses décisions attesteraient de l’atten-
tion qu’elle apporte également à la croissance économique et à la situation de l’emploi à
l’intérieur de la zone euro52. Selon certains analystes, les décisions prises par la BCE à diverses
reprises traduiraient en réalité le fait qu’elle suit, au moins implicitement, la règle formu-
lée par Taylor (1993). Selon cette règle, la détermination du taux d’intérêt nominal à court
terme doit permettre de combiner un objectif d’inflation et un objectif de croissance, définis
l’un et l’autre par la Banque centrale. Le taux d’intérêt doit être ajusté de manière à minimi-
ser simultanément, d’une part, l’écart entre le taux d’inflation courant et le taux d’inflation
cible fixé comme objectif final de la politique monétaire et, d’autre part, l’écart entre le PIB
effectif en volume et le PIB potentiel53. L’efficacité de la politique monétaire mise en œuvre
se juge alors à l’amplitude de ces deux écarts. Elle est censée être d’autant plus grande qu’ils
sont plus faibles.
L’équation de Taylor est du type i = r + p + 0,5 (p - p*) + 0,5 (y - y*), expression dans laquelle :
i est le taux d’intérêt nominal de court terme (3 mois), r est le taux d’intérêt réel neutre de
court terme54 supposé constant, p le taux d’inflation anticipé estimé par le taux d’inflation
courant, p* le taux d’inflation cible de la politique monétaire, y le produit global effectif réel
et y* le produit global potentiel (y – y* est l’output gap). Selon cette équation, si p > p*, la
Banque centrale doit augmenter son taux d’intérêt (politique monétaire restrictive) ; il en est
de même si y > y*. Réciproquement, si p < p* et y < y* elle doit abaisser son taux d’intérêt
(politique monétaire expansive). La formule signifie en fait que, si l’inflation excède l’objec-
tif de hausse des prix retenu, le taux d’intérêt réel doit être relevé de la moitié de l’écart
constaté entre le taux d’inflation effectif et le taux d’inflation visé. Si, par contre, le taux
de croissance effectif du PIB est inférieur au taux de croissance potentiel, le taux d’intérêt

50 La Réserve fédérale a pour objectif « de maintenir la croissance à long terme des agrégats de crédit et de monnaie en
proportion du potentiel de croissance à long terme de l’économie, afin d’accroître la production et ainsi de promouvoir
efficacement les objectifs d’emploi maximum, de stabilité des prix et de taux d’intérêt à long terme modérés ».
51 C’est ce qu’expliquait le premier président de la BCE, Wim Duisenberg (2005, p. VI), selon lequel : « Maintenir un taux
d’inflation bas et constant est la meilleure contribution possible de la politique monétaire à la santé de l’économie, à
une croissance durable et à la création d’emplois ». Conviction partagée par J.-C. Trichet, second et actuel président de
la BCE, affirmant en mai 2008 que : « La stabilité des prix est une condition nécessaire à une croissance économique
durable, à la création d’emplois et à la cohésion sociale » (cité par Le Monde, 18/19-05, 2006, p. 11).
52 Selon P. Artus, il semblerait que la BCE « intègre dans ses préoccupations le besoin de stabilisation conjoncturelle auquel
les agents économiques accordent légitimement du poids » (Artus, 2003, p. 4-5). Ce qui paraît contradictoire avec le fait
que « la BCE maintient dans ses discours que le seul objectif final est la stabilité des prix » (id.,p 5).
53« On part ainsi de la moyenne des écarts prévus vis-à-vis de ces deux objectifs, la Banque centrale pouvant, selon le cas,
leur accorder le même poids ou privilégier l’un des deux » (Lafay, 2001, p. 24).
54 Selon certaines estimations, il serait de 2 % aux États-Unis et de 3,5 % pour le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne
(Chote, 1998, p. 42).

338 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


réel est réduit de la moitié de l’écart constaté. On passe du taux d’intérêt réel au taux no-
minal en ajoutant le taux d’inflation au taux d’intérêt réel.

b – une stratégie basée sur deux piliers


Pour atteindre son objectif de maîtrise de l’inflation dans les limites indiquées, la BCE dé-
veloppe une stratégie dont il est dit dans la terminologie de la Banque qu’elle est « basée
sur deux piliers », ce que J.-C. Trichet justifie en expliquant qu’il s’agit ainsi pour la BCE
de « promouvoir la conduite d’une politique monétaire judicieuse tout en faisant face à
la complexité de l’ensemble des déterminants de l’inflation » (2002, p. 18), celle-ci étant
considérée « à la fois comme un phénomène monétaire (...) et (...) comme le résultat des
évolutions à court et moyen terme d’un vaste ensemble de facteurs (déséquilibre entre
demande et offre, coûts…) » (id., p. 18).
L’explication de cette formulation est la suivante. L’objectif principal de la politique mo-
nétaire étant la stabilité des prix à moyen terme, l’instrument dont dispose la BCE pour
atteindre cet objectif est la variation des taux d’intérêt sur lesquels elle agit par le moyen
de la fixation de ses taux directeurs. Pour prendre ses décisions concernant le niveau et
l’évolution souhaitables des taux d’intérêt, la BCE se réfère à deux ensembles d’éléments
d’information qui lui permettent d’appréhender l’évolution future des prix et qui consti-
tuent les « deux piliers » sur lesquels repose sa stratégie55. Elle fixe donc ses taux directeurs
compte tenu de l’évolution de ces deux piliers, et avec l’objectif central de préserver la
stabilité des prix (Créel et Fayolle, 2002, p. 27) (Schéma 6.1).
SChÉMA 6.1
La stratégie de politique monétaire de la BCE axée sur la stabilité

Objectif principal de stabilité des prix

Pour prendre ses décisions de


politique monétaire, le Conseil des gouverneurs combine
systématiquement totes les informations
disponibles.

PREMIER PILIER SECOND PILIER


Analyse assignant un rôle de premier
Analyse fondée sur une large gamme
plan à la monnaie (signalé par l’annonce
d’autres indicateurs économiques et
de la valeur de référence
financiers
pour la croissance de M3)

Informations économiques

Source : BCE, Bulletin mensuel, novembre 2000, Moutot et Jung, 2004

55« Les deux piliers de la stratégie doivent être considérés comme des moyens de procéder à l’analyse nécessaire pour
orienter les décisions de politique monétaire » en vue d’atteindre l’objectif fondamental de la BCE de maintien de la
stabilité des prix (BCE, 2001, p. 6).

La politique monétaire et la politique de change 339


1 – Le premier pilier
Le premier pilier correspond à l’analyse de l’évolution effective de l’agrégat monétaire
M356, de ses composantes et de ses contreparties (et plus particulièrement le crédit), cette
analyse devant permettre « à la fois de mieux comprendre le comportement de M3 par
rapport à la valeur de référence, et d’avoir une vue d’ensemble des conditions de la liqui-
dité dans l’économie et de leurs conséquences en termes de risques pour la stabilité des
prix » (BCE, 2001, p. 6). L’évolution effective de M3 est comparée à une valeur de référence
pour cet agrégat dont la BCE précise qu’elle « n’est pas un objectif intermédiaire moné-
taire » (id., p. 6). Il ne s’agit en effet pas pour la BCE de contrôler réellement la croissance
effective de M3 de manière à ce qu’elle atteigne la valeur de référence « à un moment
précis ». Cette valeur de référence sert en réalité « d’outil d’analyse et de présentation,
et constitue un important repère pour l’évaluation des risques pesant sur la stabilité des
prix » (id., p. 6).
La BCE justifie la référence à ce premier pilier en invoquant le fondement essentiellement
monétaire de l’inflation57. Il est admis que l’inflation ne peut augmenter ou diminuer de
façon durable sans que ce processus soit déclenché ou favorisé par des modifications du
rythme de croissance de la masse monétaire. Dans cet esprit, M3 est conçu comme un in-
dicateur avancé fiable des tendances inflationnistes. Un écart significatif et durable de M3
avec sa valeur de référence révèle « des risques d’inflation future ».
Depuis 1999, la valeur de référence retenue pour la croissance annuelle de l’agrégat M3
est + 4,5 %. Le calcul de cette valeur de référence se fonde sur l’équation quantitative de la
monnaie : M . V = P . Y, avec V la vitesse (vitesse-revenu) de circulation de la monnaie déte-
nue par les agents non IFM, P le niveau général des prix, Y le PIB en volume et M la masse
monétaire en circulation représentée en fait par l’agrégat M3, soit encore M3 . V = P . Y58.
Ce qui donne en variations :
∆M3 ∆V ∆P ∆Y
------- + --------- = -------- + ---------
M3 V P Y

Cette valeur de référence de + 4,5 % se déduit de la définition de la stabilité des prix


adoptée par la BCE (une hausse de l’IPCH n’excédant pas 2 % par an à moyen terme) ainsi
que des estimations concernant respectivement la croissance de la production potentielle
à moyen terme (comprise entre 2 et 2,5 % par an) et la vitesse de circulation de M3 (sup-
posée diminuer progressivement dans une fourchette allant de - 0,5 % à - 1 % par an)59.

56 Celui-ci est suffisamment large pour contenir tous les actifs qui sont des substituts proches de la monnaie et pour permettre
par conséquent d’évaluer l’évolution du potentiel de dépense en achats de biens et services des agents économiques.
57 Le Bulletin mensuel de le BCE (2001) évoque ainsi « l’origine essentiellement monétaire de l’inflation à moyen et plus long
termes » (id., p. 5) ainsi que le « consensus selon lequel généralement, en dernière analyse, l’inflation est un phénomène
monétaire » (id., p. 8), ou encore « la nature fondamentalement monétaire de l’inflation » (id. p. 9).
58 « La relation entre monnaie, niveau des prix et production apparaît clairement au travers de ce que l’on appelle l’équation
quantitative. Celle-ci rattache la quantité de monnaie aux prix, à la production et à la vitesse de circulation de la monnaie
(définie par le rapport du revenu nominal à la masse monétaire). À long terme, les évolutions de la vitesse de circulation
de la monnaie et de la production sont indépendantes du rythme de croissance de la masse monétaire. En conséquence,
une croissance monétaire excessive présentant un caractère durable tend à s’accompagner d’une inflation persistante. La
relation quantitative constitue la base de calcul de la valeur de référence pour la croissance de M3 » (BCE, Bulletin mensuel).
59 Pour un taux de croissance annuel du PIB potentiel en volume de 2 %, un taux d’inflation de 2 % et une vitesse de
circulation de la monnaie qui serait stable, la masse monétaire en circulation devrait augmenter de 4 % pour permettre
que les transactions en valeur (volume x prix) s’effectuent correctement. Avec une baisse de la vitesse de circulation de
la monnaie de l’ordre de 0,5 % il faut, pour atteindre le même résultat, que la masse monétaire en circulation augmente
non pas de 4 % mais de 4,5 %.

340 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Une croissance de la masse monétaire significativement et durablement supérieure à la
valeur de référence est censée révéler une menace potentielle pour la stabilité des prix,
ce qui doit conduire la BCE à intervenir afin de ramener la croissance effective de la masse
monétaire vers sa valeur de référence. L’équation précédente (∆M3 / M3) + (∆V / V) = (∆Y
/ Y) + (∆P / P) indique en effet que pour des valeurs de (∆V / V) et de (∆Y / Y) connues, il y a
une relation directe entre (∆M3 / M3) et (∆P / P). Étant admis, sur la base de cette équation,
qu’un taux d’inflation (∆P / P) de l’ordre de 2 % est normalement associé à une augmen-
tation de la masse monétaire de l’ordre de 4,5 %, si la croissance effective de M3 est supé-
rieure à cette valeur de référence, cela implique que le rythme de l’inflation soit supérieur
à 2 % par an, ce qu’il s’agit précisément d’éviter. La valeur de référence pour la croissance
de M3 déterminée par la BCE est cependant « une orientation de moyen terme », ce qui
signifie que la BCE ne réagira pas nécessairement immédiatement à toute déviation de la
croissance effective de M3 par rapport à sa valeur de référence.
Ce premier pilier a cependant perdu de son importance dans la stratégie de la BCE. Il est
en fait passé au second plan au profit du deuxième pilier constitué d’indicateurs d’ordre
économique et financier60. Il apparaît clairement, au vu de la manière dont a réellement
évolué M3 depuis la création de la zone euro, que la BCE n’a pas pu ou n’a pas voulu
s’opposer à une augmentation de M3 très nettement supérieure à sa valeur de référence ;
entre le 1er janvier 2000 et le 1er janvier 2007, l’agrégat M3 de la zone euro est en effet
passé de 4 709 milliards d’euros à 7 782 milliards d’euros, et a donc augmenté en moyenne
annuelle de 9,4 %, soit le double du taux de croissance choisi comme référence par la BCE
(graphique 6.4 et tableau 6.1).
GrAPhIqUE 6.4
Evolution de l’agrégat monétaire M3 de la zone euro : 1999-2008
(glissement annuel en pourcentage)

Sources : INSEE, site web.

60 Ce changement d’orientation de la BCE date de 2003, la BCE ayant constaté que le taux de croissance de la masse monétaire
est en fait régulièrement supérieur à 4,5 %, bien que le rythme de l’inflation se maintienne autour de l’objectif fixé. Par
ailleurs il est apparu que l’évolution de M3 n’était que faiblement influencée par celle du principal taux directeur de la
BCE. Le 8 mai 2003, le Conseil des gouverneurs a annoncé qu’il ne réexaminerait plus la valeur de référence fixée pour
M3 tous les ans comme c’était le cas jusque-là.

La politique monétaire et la politique de change 341


TAbLEAU 6.1
L’évolution des agrégats monétaires dans la zone euro (1) : 1999-2006

1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 (r) 2006


Billets et pièces
350,8 348,4 239,7 341,2 397,9 468,4 532,8 592,2
en circulation
Dépôts à vue 1 621,3 1 736,2 2 039,3 2 158,3 2 329,2 2 480,5 2 946,8 3 164,3
Total M1 1 972,0 2 084,6 2 279,0 2 499,4 2 727,1 2 948,9 3 479,6 3 756,5
Dépôts à terme
882,8 991,7 1 088,8 1 075,7 1 039,2 1 040,5 1 123,6 1 414,8
de 2 ans ou moins
Dépôts avec
préavis terme à 3 1 287,5 1 223,4 1 316,6 1 406,3 1 529,6 1 642,9 1 549,6 1 557,1
mois ou moins
Total M2 4 142,3 4 299,6 4 684,4 4 981,4 5 295,8 5 632,3 6 152,9 6 728,4
Pensions 144,1 174,9 218,5 226,9 208,7 228,8 221,9 248,0
Titres d’OPCVM
280,0 300,0 398,0 471,0 581,5 604,9 615,8 614,1
monétaires
Titres de créances
émis à 2 ans ou 142,5 135,7 145,9 128,5 92,7 102,3 126,2 198,7
moins
Total M3 4 709,0 4 910,3 5 446,8 5 807,8 6 178,7 6 568,2 7 116,8 7 789,3
r : données révisées.
(1) : opérations des institutions financières monétaires (IFM) de la zone euro avec les autres résidents de la zone euro.
Sources : Banque Centrale Européenne ; Banque de France.

2 – Le second pilier
Le second pilier correspond à l’évolution d’une large gamme d’indicateurs économiques et
financiers « précurseurs des tensions inflationnistes », qui permettent d’évaluer les « pers-
pectives d’évolution des prix » ainsi que « les risques pour la stabilité des prix de la zone
euro » (communiqué de la BCE du 13 octobre 1998). L’existence de ce second pilier renvoie
au fait que nombre de facteurs sont susceptibles d’exercer une certaine influence (à la
hausse ou à la baisse) sur les prix et que, partant, l’origine de l’inflation peut ne pas être
exclusivement monétaire.
Dans cette perspective, il s’agit de suivre l’évolution de facteurs qui conditionnent les va-
riations de la demande et de l’offre globales de biens et services, et qui, partant, sont
susceptibles d’influer sur le niveau général des prix tel que l’appréhende l’IPCH : 1) les
variations des salaires et traitements, celles des prix des actifs financiers61 et celles des dé-
penses publiques pour la demande globale ; 2) le taux d’utilisation des capacités produc-
tives, l’écart entre la production effective et la production potentielle pour l’offre globale.
Entrent également dans cette gamme d’indicateurs d’autres déterminants de l’évolution
de l’IPCH comme l‘évolution du taux de change62, celle des prix des matières premières ou
des prix des produits industriels, et des indicateurs de confiance de différentes catégories
d’agents économiques : tous ces indicateurs étant susceptibles, chacun à sa manière, de
fournir des renseignements concernant l’évolution à venir de l’indice des prix.
61 Les variations des prix d’actifs sont susceptibles d’influer sur la demande globale et, partant, sur le niveau général des
prix par les effets de revenu et de richesse qu’elles peuvent engendrer (cf. supra).
62 Celle-ci influe directement sur les prix de la zone euro par l’intermédiaire de son incidence sur les prix des importations.
Elle conditionne par ailleurs la compétitivité internationale des produits de la zone euro, ce qui est susceptible d’influer
sur la demande globale et, partant, sur les prix.

342 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B - Les instruments à la disposition de la BCE
Les instruments de la BCE lui permettent d’agir directement sur la liquidité bancaire et le
taux d’intérêt du marché interbancaire, autrement dit sur la quantité de monnaie centrale
dont peuvent disposer les établissements de crédit et sur le coût auquel ils peuvent se la pro-
curer. La Banque a à sa disposition trois sortes d’instruments : les opérations d’open market
effectuées aux conditions du marché (a), les facilités permanentes auxquelles les établisse-
ments de crédit peuvent accéder à leur initiative (b) et les réserves obligatoires (c).

a - Les opérations d’open market


Les opérations d’open market sont des opérations par lesquelles la BCE intervient sur le
marché monétaire pour, selon le cas, y acquérir ou y céder des titres contre de la monnaie
centrale63. Elles permettent d’accroître ou de réduire la quantité de liquidités disponibles
sur le marché interbancaire où les banques s’échangent entre elles de la monnaie cen-
trale. La Banque centrale peut, selon l’orientation qu’elle donne à sa politique monétaire,
accroître ou au contraire réduire la quantité de monnaie centrale disponible sur le mar-
ché interbancaire. Dans le premier cas, elle acquiert des titres sur le marché et fournit en
contrepartie de la monnaie centrale aux établissements qui lui cèdent les titres. Dans le se-
cond cas, elle cède des titres sur le marché que les acquéreurs règlent en monnaie centrale,
ce qui réduit ainsi la quantité de monnaie centrale disponible sur le marché.
Dans chacun de ces deux cas, cette action de la Banque centrale sur la quantité de mon-
naie centrale disponible sur le marché se traduit finalement par une variation du taux
d’intérêt du marché interbancaire qui baisse dans le premier cas et qui augmente dans le
second. Si la Banque centrale par ses interventions sur le marché interbancaire, réduit la
quantité totale de monnaie centrale dont dispose le système bancaire, elle contraint les
banques commerciales qui ont besoin de se procurer de la monnaie centrale pour solder
leurs comptes à payer un taux d’intérêt plus élevé aux banques disposant de réserves en
monnaie centrale pour que celles-ci acceptent de les leur prêter. Inversement, si elle aug-
mente par ses interventions la quantité totale de monnaie centrale mise à la disposition
du système bancaire, elle force les banques commerciales ayant des réserves de monnaie
centrale oisives, à accepter de les prêter à un taux d’intérêt plus faible aux banques qui en
ont besoin pour solder leurs comptes. Par sa politique d’open market, la BCE modifie donc
les conditions de refinancement des banques, qu’elle assouplit ou durcit selon le cas, et
fait varier le taux d’intérêt du marché interbancaire, ce qui affecte la distribution de cré-
dits aux agents économiques non IFM par les banques et, partant, la création de monnaie
scripturale et l’évolution de la masse monétaire en circulation. Les opérations d’open mar-
ket auxquelles elle procède doivent permettre le « pilotage des taux d’intérêt » et fournir
un signal concernant l’orientation de sa politique monétaire.
Ces opérations s’effectuent selon quatre modalités : les opérations principales de refinan-
cement, les opérations de refinancement de plus long terme, les opérations de réglage fin
et les opérations structurelles.
• Les opérations principales de refinancement sont la modalité essentielle de refinance-
63 Dans une acception stricte, les opérations d’open market correspondent à des achats ou ventes fermes de titres publics
par la Banque centrale sur le marché interbancaire. La définition des opérations d’open market retenue par l’Eurosystème
est cependant plus extensive puisque les acquisitions/cessions réalisées par la BCE peuvent être fermes ou temporaires
(les pensions) et porter sur des titres publics ou privés.

La politique monétaire et la politique de change 343


ment des établissements de crédit par la BCE ; elles représentent en moyenne 73,5 % du
besoin de refinancement des établissements de crédit. Elles consistent en appels d’offres
normaux et réguliers (hebdomadaires), portant sur des opérations de cession temporaire
de titres (principalement des titres de la dette publique des État-membres) par les banques
commerciales à la Banque centrale dont la durée est habituellement de 2 semaines. Elles
sont comparables aux anciens appels d’offres de la Banque de France, la technique d’en-
chères utilisée étant cependant plus variée.
Le taux d’intérêt appliqué par la BCE, dit taux de l’opération principale de refinancement
ou « Refi », est le principal taux directeur de la BCE. Son évolution traduit directement
l’orientation donnée par la BCE à sa politique monétaire. Il a été fixé à 3 % le 1er janvier
1999, et a depuis varié à de multiples reprises en fonction de la politique monétaire mise
en œuvre par la BCE (tableau 6.2 et graphique 6.5).
TAbLEAU 6.2
Taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale européenne
(en % par an)
Opérations principales de refinancement
Taux de Facilité de
Avec effet à compter Facilité de Taux
soumission prêt mar-
du (1) dépôt fixe
minimal ginal
nd : résultat non disponible
1999
(1) : du 1er janvier 1999 au 9 mars 2004,
1er janvier 2,00 3,00 nd 4,50 la date fait référence aux facilités de dépôt
4 janvier (2) 2,75 3,00 nd 3,25 et de prêt marginal. Pour les opérations
22 janvier 2,00 3,00 nd 4,50 principales de refinancement, les modifi-
09 avril 1,50 2,50 nd 3,50 cations du taux sont effectives à compter
05 novembre 2,00 3,00 nd 4,00 de la première opération qui suit la date
2000 indiquée. La modification du 18 septembre
2001 a pris effet à cette date.
04 février 2,25 3,25 nd 4,25
À compter du 10 mars 2004, la date fait
17 mars 2,50 3,50 nd 4,50
référence aux facilités de dépôt et de prêt
28 avril 2,75 3,75 nd 4,75 marginal et aux opérations principales de
09 juin 3,25 4,25 nd 5,25 refinancement (modifications effectives à
28 juin (3) 3,25 nd 4,25 5,25 compter de la première opération principale
1er septembre 3,50 nd 4,50 5,50 de refinancement qui suit les délibérations
06 octobre 3,75 nd 4,75 5,75 du Conseil des gouverneurs), sauf indica-
2001 tion contraire.
11 mai 3,50 nd 4,50 5,50 (2) : le 22 décembre 1998, la BCE a annon-
31 août 3,25 nd 4,25 5,25 cé que, à titre de mesure exceptionnelle, un
18 septembre 2,75 nd 3,75 4,75 corridor étroit de 50 points serait appliqué
entre le taux de la facilité de prêt marginal
09 novembre 2,25 nd 3,25 4,25
et celui de la facilité de dépôt pour la pé-
2002
riode du 4 au 21 janvier 1999, pour faciliter
06 décembre 1,75 nd 2,75 3,75 la transition des opérateurs de marché vers
2003 le nouveau régime.
07 mars 1,50 nd 2,50 3,50
(3) : le 8 juin 2000, la BCE a annoncé que,
06 juin 1,00 nd 2,00 3,00 à compter de l’opération devant être réglée
2005 le 28 juin, les opérations principales de
06 décembre 1,25 nd 2,25 3,25 refinancement de l’Eurosystème seraient
2006 effectuées par voie d’appels d’offres à taux
08 mars 1,50 nd 2,50 3,50 variable. Le taux de soumission minimal
est le taux d’intérêt le plus bas auquel les
15 juin 1,75 nd 2,75 3,75
contreparties peuvent soumissionner.
09 août 2,00 nd 3,00 4,00
11 octobre 2,25 nd 3,25 4,25 Source : Banque centrale européenne ;
INSEE, site web.
13 décembre 2,50 nd 3,50 4,50

344 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 6.5 Opérations principales de refinancement

Le graphique indique l’évolution du principal taux de refinancement de la BCE ainsi que le montant des refinance-
ments accordés aux banques dans le cadre des opérations principales de refinancement.
Source : Banque de France
En pratique, le taux des opérations au jour le jour du marché interbancaire fluctue autour
de ce taux principal de refinancement et évolue donc comme lui (graphique 6.6).

GrAPhIqUE 6.6
Evolution de l’Euribor 3 mois : 1999-2008 (moyenne mensuelle, en %)

Source : INSEE, site web.

La politique monétaire et la politique de change 345


• Les opérations de refinancement de plus long terme sont effectuées avec une fréquence
mensuelle pour une échéance de trois mois (cession temporaire de titres). Elles représentent
approximativement un quart du besoin de refinancement des établissements de crédit et
n’ont pas pour objet de donner d’indication au marché concernant l’orientation de la poli-
tique monétaire suivie par la BCE. Elles sont, comme les opérations principales de refinan-
cement, effectuées matériellement par les banques centrales nationales pour le compte de
la BCE.
• Les opérations de réglage fin ont principalement pour objet d’atténuer les éventuels
« chocs » sur la liquidité bancaire et leurs répercussions sur les taux d’intérêt (variations de
court terme indésirables des taux d’intérêt) et ne suivent donc pas un calendrier déterminé
à l’avance. Elles peuvent prendre la forme de cession temporaire de titres mais peuvent
également correspondre à des achats ou ventes fermes de titres.
• Les opérations à des fins structurelles sont destinées à influencer durablement le besoin
de refinancement des institutions financières vis-à-vis du SEBC sans chercher à influer sur
les taux d’intérêt. Elles peuvent, comme les opérations de réglage fin, prendre la forme
de cession temporaire de titres. Elles peuvent également correspondre à l’émission par
la BCE de certificats de dettes d’une échéance inférieure à un an et dont le prix d’émis-
sion est inférieur à leur valeur nominale, la différence représentant la rémunération de
l’établissement de crédit qui acquiert ces certificats et réduit ainsi sa liquidité en monnaie
centrale ; ces certificats sont ensuite négociables sur le marché monétaire. Elles peuvent
encore prendre la forme de reprises de liquidité en blanc par lesquelles la BCE invite les
établissements de crédit à effectuer auprès d’elle des dépôts à terme de liquidités rému-
nérés ou des opérations d’échange de devises. Dans ce dernier cas, selon que la BCE veut
fournir de la monnaie centrale au marché ou lui en retirer, elle vend de l’euro au comptant
contre une devise et le rachète immédiatement à un terme défini ou, au contraire, achète
de l’euro au comptant contre une devise et le revend immédiatement à terme.

La technique des opérations d’open market


Les opérations d’open market s’effectuent principalement par appels d’offres : appels d’offres normaux,
avec un délai de 24 heures entre le lancement de l’appel d’offres et la publication des résultats, pour
les opérations principales de refinancement, les opérations de refinancement à plus long terme et les
opérations structurelles ; appels d’offres rapides, avec un délai ramené à une heure, pour les opérations
de réglage fin.

Ces appels d’offres étaient initialement à taux fixe. Dans ce cas, lorsqu’elle lance l’appel d’offres, la bCE
annonce un taux d’intérêt, qui est un indicateur de l’orientation de sa politique monétaire, et les établis-
sements de crédit indiquent les quantités de monnaie centrale qu’ils souhaitent obtenir à ce taux. Au vu
des réponses, la banque centrale détermine alors la quantité totale de monnaie centrale qu’elle met en
circulation et, si celle-ci est inférieure à la quantité totale demandée par les établissements de crédit, ces
derniers sont servis au prorata de leur demande respective.

Depuis l’été 2000, la bCE a opté pour des appels d’offres à taux variable. Elle demande aux banques la
quantité de monnaie centrale que celles-ci désirent obtenir respectivement et à quel taux d’intérêt, en
fixant cependant éventuellement un taux d’intérêt minimal en dessous duquel elle n’accepte aucune
proposition. Les établissements de crédit répondent en indiquant pour chaque taux d’intérêt la quantité

346 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


de monnaie centrale qu’ils désirent acquérir. La bCE détermine alors la quantité totale de monnaie cen-
trale qu’elle accepte de mettre à la disposition des établissements de crédit. Elle sert en premier lieu les
demandes assorties du taux d’intérêt le plus élevé, puis les autres demandes dans l’ordre décroissant des
taux d’intérêt proposés par les établissements de crédit jusqu’au taux d’intérêt le plus bas qui peut-être
servi (le taux d’intérêt marginal), compte tenu de la quantité totale de monnaie centrale qu’elle a décidé
de fournir. Le taux d’intérêt que la bCE fait finalement payer aux établissements de crédit retenus pour
l’adjudication peut être le même pour tous (adjudication à taux unique ou à la hollandaise) ; il s’agit alors
du taux marginal évoqué ci-dessus. Il peut être également différent selon les établissements de crédit,
le taux d’intérêt appliqué à chaque établissement de crédit retenu pour l’adjudication étant celui qu’il
a lui-même proposé dans sa réponse à l’appel d’offres (adjudication à taux multiple ou à l’américaine).

Les appels d’offres à taux variable sont également utilisés par la bCE pour l’émission de ses certificats de
dette et pour les opérations de reprise de liquidité en blanc, et servent donc dans ce cas à retirer de la
monnaie centrale au marché. La banque centrale accepte les offres des établissements de crédit, dans
la limite du montant total de liquidité qu’elle désire reprendre au marché, en commençant par celles qui
sont assorties du taux d’intérêt le plus faible (c’est elle qui paie le taux d’intérêt), et par ordre croissant de
taux d’intérêt demandé par les établissements de crédit lui fournissant de la monnaie centrale.

En dehors des appels d’offres, la bCE peut également réaliser des transactions bilatérales avec un ou plu-
sieurs établissements de crédit, dans le cadre des opérations de réglage fin et d’opérations structurelles
avec achats et ventes fermes de titres.

b - Les facilités permanentes


Elles sont destinées à réguler « au jour le jour » les liquidités en monnaie centrale des
banques (commerciales). Elles servent également, comme les opérations d’open market, à
fournir un signal concernant l’orientation de la politique monétaire de la BCE. Concrète-
ment, ces facilités permanentes sont destinées à permettre aux établissements de crédit,
à leur initiative, d’obtenir de la BCE ou de placer auprès de celle-ci des liquidités pour une
durée de 24 heures, ce qui permet à la BCE d’encadrer le taux d’intérêt au jour le jour du
marché interbancaire. On distingue « la facilité de prêt marginal » et la « facilité de dépôt »
dont l’utilisation respective est à la discrétion des établissements de crédit et dont l’échéance
est de 24 heures.
• La facilité de prêt marginal permet aux établissements de crédit d’obtenir, à leur initiative
et sans limitation de quantité, de la liquidité auprès de la BCE (en fait des banques centrales
nationales agissant pour le compte de la BCE) par des mises en pension et des emprunts ga-
rantis et ce, à un taux d’intérêt défini à l’avance qui est toujours plus élevé que le principal
taux de refinancement. Ce taux d’intérêt constitue un plafond pour le taux d’intérêt au jour
le jour du marché interbancaire, dans la mesure où aucune banque ayant besoin de monnaie
centrale n’acceptera de payer un taux d’intérêt au jour le jour supérieur au taux de la facilité
de prêt marginal de la BCE.
• La facilité de dépôt permet aux établissements de crédit, à leur initiative, de placer des li-
quidités sous forme de dépôts effectués auprès de la BCE (des banques centrales nationales),
sans limitation de montant et à un taux d’intérêt lui aussi spécifié à l’avance. Celui-ci consti-
tue un plancher pour le taux d’intérêt au jour le jour du marché interbancaire car aucune
banque ayant des liquidités en monnaie centrale disponibles n’acceptera de les prêter à un
taux au jour le jour inférieur au taux auquel elle peut les déposer à la BCE.

La politique monétaire et la politique de change 347


Les deux taux (de la facilité de crédit et de la facilité de dépôt) sont également des taux di-
recteurs de la BCE. Ils délimitent respectivement un plafond et un plancher de variation du
taux d’intérêt au jour le jour du marché interbancaire64, de part et d’autre du taux de l’opé-
ration principale de refinancement de la BCE. Au 1er janvier 1999 ils furent fixés respective-
ment à 2 % et 4,5 % et ont ensuite évolué en liaison avec le principal taux de refinancement
(tableau 6.2).
En moyenne, les apports de liquidité dont bénéficient les établissements de crédit au titre
de la facilité de prêt marginal sont compensés par les reprises de liquidité par le jeu de la
facilité de dépôt, de sorte que le jeu combiné de ces deux modalités aboutit finalement à
un apport net de liquidité au système bancaire qui est nul.

c - Les réserves obligatoires


Elles sont essentiellement un moyen d’agir sur le besoin structurel de liquidité des banques.
Un élargissement de l’assiette des réserves et/ou une augmentation du taux des réserves
obligatoires contraignent les établissements de crédit à accroître leur refinancement, ce qui
se traduit par une hausse du taux d’intérêt sur le marché interbancaire, et influe négative-
ment sur le crédit bancaire et la création de monnaie des banques. Inversement, une réduc-
tion de l’assiette des réserves et/ou une baisse du taux des réserves obligatoires allègent la
charge de refinancement que supportent les banques en leur permettant de réduire leur
refinancement, ce qui favorise une baisse du taux d’intérêt sur le marché interbancaire et
influe positivement sur le crédit bancaire et la création monétaire des banques.
L’assiette des réserves est constituée par les exigibilités inscrites au passif du bilan des éta-
blissements de crédit : dépôts à vue, dépôts à terme d’une durée inférieure ou égale à deux
ans… Leur taux est déterminé par la BCE, mais dans les limites fixées par le Conseil Ecofin.
Il a été fixé à 2 %. La période de constitution des réserves est d’un mois, ce qui signifie que
le montant exigible de réserves doit être détenu en moyenne sur un mois par la banque as-
sujettie. Ces réserves sont rémunérées par la BCE à un taux d’intérêt qui correspond au taux
moyen des opérations principales de refinancement (appels d’offres hebdomadaires).
En conclusion, il faut préciser que l’utilisation de ces divers instruments est décidée de ma-
nière centralisée au niveau de la BCE mais que leur mise en œuvre concrète et effective est
assurée de manière décentralisée par les banques centrales nationales. Celles-ci continuent
d’être en rapport direct avec les établissements de crédit qui relèvent de leur compétence
territoriale, et ce sont elles qui, en application des décisions prises par la BCE, gèrent les
réserves obligatoires et effectuent concrètement les différentes opérations d’open market,
ainsi que celles qui correspondent aux facilités permanentes.

paragraphe 3 : l’action de la bce depuis 1999


Conformément à la mission qui lui est assignée par ses statuts, l’action de la BCE depuis la
création de la zone euro a été commandée par l’objectif de maîtrise de l’inflation (A). Elle
a parallèlement fait preuve d’une sorte de « douce négligence » concernant l’évolution du
taux de change de l’euro (B).
64 Il s’agit d’un marché interbancaire unifié pour les pays de la zone euro. Le taux d’intérêt au jour le jour du marché mo-
nétaire est mesuré par l’EONIA (Euro Over Night Index Average) qui est une moyenne pondérée des taux d’intérêt des
prêts à 24 heures déclarés par une cinquantaine de grands établissements de crédit de la zone euro.

348 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A – La politique de maîtrise de l’inflation
Au sein de la zone euro, sous l’effet en particulier des politiques de désinflation mises en
œuvre dans différents pays afin d’être en mesure de respecter les critères de convergence
définis par le traité de Maastricht dans la perspective du passage à la monnaie unique,
le taux d’inflation avait diminué de 1996 à 1998. Il s’est ensuite redressé à partir de 1999
jusqu’au premier semestre 2001, la zone euro subissant le contrecoup de la forte hausse
du prix du pétrole qui s’est produite au début de la décennie 2000, puis une augmentation
marquée des prix des produits alimentaires dont l’impact fut à son maximum au printemps
2001. Il est demeuré supérieur à 2 % au premier semestre 2002. Cela a pu être imputé pour
partie au passage à l’euro, avec les hausses de prix qui ont accompagné dans certains cas
le remplacement des monnaies fiduciaires nationales par l’euro, mais s’expliquerait égale-
ment par l’évolution des rémunérations, lesquelles ont progressé en dépit de la remontée
du chômage, ce qui s’est traduit par une hausse sensible des coûts de production unitaires
des entreprises. En 2003, le taux d’inflation est demeuré de l’ordre de 2 %. Il est passé au-
dessus de l’objectif des 2 % en 2004 pour revenir aux alentours de 1,9 % en 2005. La hausse
des prix s’est à nouveau accélérée à partir du second semestre 2007 pour atteindre 3,5 %
en glissement à la fin du premier trimestre 2008. En précisant cependant que l’évolution
des prix est différente selon les pays. L’inflation a été globalement limitée sur l’ensemble
de la période 1999-2007 dans les grands pays (France, Italie, Allemagne), mais elle est de-
meurée relativement élevée dans d’autres pays (Irlande, Pays-Bas et Espagne notamment).
La poussée de l’inflation qui s’est produite du second semestre 2007 au second semestre
2008 a cependant affecté l’ensemble de la zone euro.
Il est possible de distinguer plusieurs phases dans la mise en œuvre par la BCE de sa poli-
tique de maîtrise de l’inflation depuis 1999 qui se traduisent par ses décisions concernant
l’évolution de ses taux directeurs.
• Avant l’automne 1999.
La zone euro a subi un ralentissement économique faisant craindre momentanément un
risque de déflation. C’est pourquoi le principal taux de refinancement, fixé initialement
à 3 %, a été ramené à 2,5 % en avril 1999, bien que la moyenne sur trois mois des taux
annuels de croissance de M3 ait alors légèrement dépassé la valeur de référence. Mais l’été
1999 fut marqué par une accélération significative de la croissance de l’agrégat M3 qui
s’est établie à un niveau sensiblement supérieur à la valeur de référence. Parallèlement, les
prévisions concernant l’évolution de l’activité dans la zone euro s’amélioraient, tandis que
la dépréciation de l’euro (cf. infra) et la hausse du prix du pétrole pouvaient représenter
des menaces pour la stabilité des prix. Dans ces conditions, la BCE a décidé de relever son
principal taux de refinancement qui fut porté à 3 % au début de mois de novembre 1999.
• Du quatrième trimestre 1999 au troisième trimestre 2000.
Au début de l’année 2000, la moyenne sur trois mois des taux annuels de croissance de
M3 continuait à être supérieure à la valeur de référence, tandis que différents indicateurs
du second pilier de la stratégie de la BCE confirmaient le redressement de la conjoncture
économique au sein de la zone euro. Parallèlement, la forte hausse des prix du pétrole
frappant la zone euro laissait présager une accentuation des tensions inflationnistes au
sein de la zone, ce à quoi devait également contribuer la dépréciation sensible de l’euro
par rapport au dollar au premier semestre 2000, dépréciation entraînant en particulier une

La politique monétaire et la politique de change 349


nouvelle hausse des prix libellés en euro des produits énergétiques importés. Ce contexte
conduisit la BCE à réagir par quatre hausses successives de son taux principal de refinance-
ment au cours du premier semestre 2000, puis à nouveau à la fin du mois d’août et encore
en octobre, amenant le taux de refinancement à 4,75 % à la fin 2000.
• Du quatrième trimestre 2000 au troisième trimestre 2002.
En partie sous l’effet de ces mesures, les risques qui pesaient sur la stabilité des prix se
sont réduits à l’automne 2000. Après la hausse d’octobre, la BCE laissa donc ses taux d’in-
térêt inchangés jusqu’au premier trimestre 2001. Au cours du premier semestre 2001, la
tendance à la décélération de la croissance de la masse monétaire s’est confirmée, indi-
quant une atténuation des risques inflationnistes. La BCE a pu ainsi réduire son principal
taux de refinancement à 4,5 % en mai 2001, puis de nouveau à la fin août (4,25 %). Le 27
septembre, agissant de concert avec la Fed, elle réduisit son principal taux directeur de 50
points de base le ramenant à 3,75 %. Au cours de l’hiver 2001, l’atténuation des tensions
inflationnistes au sein de la zone euro s’est confirmée tandis que les anticipations sur l’évo-
lution de la croissance devenaient plus pessimistes, ce qui a conduit la BCE à procéder en
novembre 2001 à une nouvelle baisse de son principal taux directeur le ramenant à 3,25 %.
Ce taux de 3,25 % a ensuite été maintenu jusqu’au troisième trimestre 2002, cet « atten-
tisme » de la BCE étant justifié par la persistance en 2002 de la stabilité des prix à moyen
terme et par l’évolution respective de chacun des deux piliers de sa stratégie de politique
monétaire, avec un léger fléchissement du taux de croissance de M3 et la faiblesse de la
croissance du PIB, de la consommation et de l’investissement.
• De la fin 2002 au troisième trimestre 2005.
À fin 2002, la BCE s’est engagé dans un nouveau mouvement de réduction progressive
de son principal taux directeur qu’elle a ramené, en trois baisses successives, à 2 % dans
le courant du second trimestre 2003, niveau auquel elle l’a ensuite maintenu jusqu’à fin
novembre 2005, l’inflation étant de l’ordre de 2 % en 2003 dans un contexte de freinage
marqué de la croissance du PIB de l’ensemble de la zone euro, puis s’accélérant quelque
peu en 2004 en parallèle à un petit rebond de la croissance du PIB avoisinant les 2 % en
moyenne annuelle. En 2005, l’inflation s’est établie à 1,9 % pour l’ensemble de la zone
euro mais la croissance de la masse monétaire M3 a eu tendance à s’accélérer, atteignant
un niveau sensiblement supérieur à la valeur de référence de 4,5 %. La BCE a néanmoins
maintenu son taux d’intérêt directeur inchangé, tout en estimant en début d’année 2005
qu’un excès de liquidité était susceptible de générer « des risques de tensions inflation-
nistes à moyen et long terme » (Le Monde, 18-04, 2005, p. VII).
• Du 1er décembre 2005 au troisième trimestre 2008.
Dans un contexte marqué en particulier par la remontée des taux directeurs de la Banque
fédérale des États-Unis65, la BCE a recommencé à augmenter son principal taux le 1er dé-
65 Suite à l’éclatement de la crise boursière de la « nouvelle économie », la Réserve fédérale américaine avait fortement
baissé sont taux directeur de janvier 2001 (6,5 %) à juin 2003 (1 %) puis l’avait maintenu à ce niveau très faible de 1 %
jusqu’en 2004. Elle a recommencé à augmenter ses taux le 30 juin 2004, en faisant passer son principal taux directeur de
1 % à 1,25 %, alors que la croissance du PIB se rapprochait d’un rythme annuel de 4 % et que l’inflation avait atteint, lors
des 3 mois précédents, un rythme annuel de 5,5 % (du fait principalement de la hausse du prix du pétrole). La hausse s’est
ensuite poursuivie de manière très régulière (17 hausses successives jusqu’en juin 2006). En juin 2006, le taux directeur de
la Fed était porté à 5,25 %, alors que l’inflation en glissement annuel avait atteint 4,2 % en mai 2006. La Banque centrale
expliquait alors que « le niveau élevé des prix de l’énergie et des matières premières a le potentiel pour rendre durables
les pressions inflationnistes » mais que, simultanément, « la modération de la croissance de la demande devrait aider
à limiter les pressions inflationnistes », de sorte que « l’ampleur et le calendrier de tout durcissement supplémentaire

350 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


cembre 2005, en le faisant passer à 2,25 % en raison des risques pesant, selon elle, sur la
stabilité des prix, l’inflation dans la zone euro se situant en moyenne au-dessus de 2,2 % de
hausse annuelle au second semestre 2005, tandis que la croissance de la masse monétaire
M3 excédait nettement la valeur de référence (en taux annualisé respectivement 7,3 % en
décembre 2006 et 7,6 % en janvier 2007).
Cette hausse des ses taux d’intérêt par la Banque a suscité un débat. Dès le 7 novembre
2005, le président de l’Eurogroupe, J.-P. Junker, mettait la Banque centrale en garde contre
une hausse des taux en déclarant : « J’espère que la Banque centrale aura à l’esprit l’impact
d’une hausse des taux sur la croissance » (cité par Le Monde, 10-11, 2005, p. 17), tandis que
l’économiste Patrick Artus expliquait dans une note de recherche du 8 novembre 2005,
que « la hausse des taux courts » dans la zone euro « ferait disparaître la croissance »
(id., p. 17). La hausse s’est néanmoins poursuivie en 2006 à plusieurs reprises, le Conseil
des gouverneurs ayant clairement annoncé son intention de faire preuve d’une « forte
vigilance » face aux risques inflationnistes associés à la poursuite de la hausse du pétrole
(dépassant alors les 70 dollars le baril) et les conséquences qui pourraient en résulter sur
l’évolution des salaires, ainsi qu’aux décisions prises dans certains pays concernant l’évo-
lution des impôts indirects, dont la hausse de trois points de la TVA à laquelle devait pro-
céder l’Allemagne en 2007. Le principal taux directeur de la Banque a été porté à 3,75 %
au premier trimestre 2007. Alors que le taux n’était encore que de 3,5 %, J.-C. Trichet, le
président en exercice de la BCE, affirmait sa détermination à poursuivre le resserrement
monétaire en 2007, en expliquant qu’avec ce taux de 3,5 %, la politique monétaire conti-
nuait « d’être accommodante » et qu’il convenait d’être vigilant à l’égard des risques de
dérapage inflationniste et de la croissance marquée du crédit.
En juin 2007, au terme d’une 8ème hausse, la BCE portait son principal taux directeur à
4 % afin de contenir les tensions inflationnistes au sein de la zone euro. Elle l’a ensuite
maintenu à ce niveau jusqu’au second trimestre 2008, malgré l’éclatement de la crise des
subprimes pendant l’été 2007 et les risques de ralentissement économique en résultant (la
poursuite de la hausse de l’euro par rapport au dollar jouant objectivement pour l’écono-
mie de la zone euro le même rôle qu’une hausse des taux d’intérêt66), ignorant ainsi, les
appels réitérés de divers responsables politiques à une baisse de ses taux directeurs.
Alors que la Réserve fédérale, pour tenter de contenir la crise des subprimes en venant
en aide aux établissements de crédit hypothécaires menacés de faillite baissait ses taux à
plusieurs reprises, la BCE a justifié son attentisme par la relance de l’inflation qui a atteint
en glissement annuel 3,5 % pour l’ensemble de la zone euro en mars 2008, soit le taux le
plus élevé atteint depuis la création de l’euro. Le 3 juillet 2008, alors que l’inflation avait
atteint en juin 4 % en rythme annuel dans la zone euro, et que le taux directeur de la Fed
avait été ramené à 2 %, la BCE décidait de relever son principal taux directeur à 4,25 %.

dépendront de l’évolution des perspectives à la fois de l’inflation et de la croissance économique » (cité par Le Monde,
1er juillet, 2006, p. 11). En novembre 2006, Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, justifiait la reconduction
de ce taux directeur de 5,25 % en expliquant que l’inflation sous-jacente (hors énergie et produits alimentaires) demeu-
rait à des niveaux « inconfortablement élevés » (cité par Le Monde, 30-11, 2006, p. 13). La Réserve fédérale a maintenu
son taux directeur à ce niveau de 5,25 % jusqu’en juillet 2007 et l’éclatement de la crise des subprimes (cf. infra), pour
l’abaisser alors à plusieurs reprises.
66 Début août 2007, J.-C. Trichet laissait entendre que la BCE augmenterait son taux directeur en septembre 2007, alors
même que l’inflation de la zone euro demeurait inférieure à 2 %. Il a cependant dû y renoncer en raison des conséquences
liées à l’aggravation, dans le courant du mois d’août de la crise financière des subprimes.

La politique monétaire et la politique de change 351


Selon les explications fournies à cette occasion, il s’agissait, pour la BCE, par cette nouvelle
hausse, d’empêcher que ne se mettent en place des « effets de second tour », autrement
dit que ne s’enclenche une spirale inflationniste, avec des hausse de salaires destinées
à préserver le pouvoir d’achat des salariés malmené par la hausse des prix des biens de
consommation. Ce qui n’a pas manqué de relancer les critiques contre la BCE, alors que
se manifestaient par ailleurs les signes d’un ralentissement de la croissance consécutif à la
crise des subprimes, et qu’en pratique les effets de second tour ne semblaient pas encore
avoir commencé à se manifester dans les pays de la zone euro.
• De juillet 2008 à janvier 2009.
À partir du mois de juillet 2007, comme on l’a déjà souligné, la BCE, comme les autres
banques centrales des grands pays développés, a par ailleurs dû faire face à la l’éclatement
de la crise des subprimes aux États-Unis. Après une ultime hausse de son principal taux
directeur en juillet 2008, elle a dû finalement se résoudre à emboîter le pas de la FED (et
de la banque d’Angleterre) qui s’était engagé depuis le second semestre 2007 dans un
mouvement de baisse de son principal taux directeur. En trois baisses successives, en fin
d’année 2008, elle a ainsi ramené son principal taux de refinancement de 4,25% à 2,5%
début janvier 2009.
Face au risque de contagion de la crise financière, et pour assurer la liquidité des banques,
la BCE est par ailleurs intervenue massivement à différentes reprises pour alimenter le
marché interbancaire en liquidités, injectant dans un premier temps plus de 250 milliards
de liquidités dans le système bancaire européen.
Ces injections massives, destinées à conjurer une crise de liquidité susceptible de faire dispa-
raître de nombreux établissements bancaires, pour aussi nécessaires qu’elles aient été dans
un contexte paroxystique de crise, ne sont cependant pas sans poser des problèmes. Il y a,
avec ces interventions massives des banques centrales en cas de crise, « un cercle vicieux ». En
créant massivement des liquidités pour permettre aux établissements financiers en difficulté
de surmonter la crise, les banques centrales créent par là-même les conditions de l’apparition
ultérieure de nouvelles crises, les bulles spéculatives, qui finissent nécessairement en crise, se
développant d’autant plus aisément que les liquidités sont abondantes67. Les bulles spécula-
tives et les crises qui en résultent ont d’autant plus de probabilité de se développer que les
opérateurs des marchés financiers sont ainsi assurés de l’intervention salvatrice des banques
centrales en cas de crise grave, ce qui ne peut que les inciter à prendre plus de risques (avec
la perspective de plus de profits) et à spéculer, créant par la même les conditions de l’appa-
rition de nouvelles crises ; c’est tout le problème de l’aléa moral.
À quoi s’ajoute, dans le cas en particulier de la BCE, qu’en injectant massivement des liqui-
dités, elle augmente de ce fait mécaniquement la masse monétaire, en contradiction donc
non seulement avec son objectif central de contrôle de l’inflation mais également avec sa
stratégie fondée sur deux piliers qui suppose qu’elle surveille la progression de la masse
monétaire.

B - La politique de change de la BCE


Le régime de change de l’euro par rapport aux autre monnaies (dollar, yen, livre ster-
ling…) est un régime de taux de change flexibles, exception faite des monnaies de pays

67 Comme le souligne fort justement P. Artus, « l’excès de liquidités conduit à des crises (par exemple avec l’explosion des
bulles spéculatives) et en réaction aux crises, les banques centrales recommencent à créer des liquidités, d’où le retour
des crises » (Le Monde, 14-08, 2007, p. 8).

352 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


non-membres de la zone euro mais membres de l’Union européenne qui participent au
mécanisme de change II (le SME II) auxquelles s’applique un régime de taux de change
fixes. Par ailleurs la BCE a décidé de ne fixer aucun objectif quantitatif explicite de taux
de change à sa politique monétaire. C’est donc le marché des changes, où se confrontent
l’offre et la demande d’euros contre devises, qui détermine le taux de change de l’euro. Il
appartient à la BCE, secondée par les banques centrales nationales, d’effectuer sur le mar-
ché des changes les opérations de change destinées à influer éventuellement sur le cours
de l’euro par rapport aux autres monnaies.
Mais, jusqu’à présent du moins, la BCE ne semble pas avoir fait de la défense de l’euro
une priorité. En atteste qu’elle n’a pas réellement cherché à s’opposer à la dépréciation de
l’euro qui lui avait fait perdre en deux ans d’existence (1999 et 2000) près d’un tiers de sa
valeur initiale par rapport au dollar. Symétriquement, elle ne s’est pas non plus opposée
au fort redressement observé à partir de mars 2002 qui a porté l’euro au niveau historique
de 1,60 dollar en avril 2008. La BCE ne semble donc pas faire du taux de change de l’euro
un objectif intermédiaire de sa politique monétaire68. Cela étant, depuis le 1er janvier 1999,
le cours de l’euro vis-à-vis du dollar a évolué en deux phases (graphique 6.7). Après une
baisse très marquée jusqu’au dernier trimestre 2000, il a connu une phase de redressement
très marqué (avec des fluctuations accusées) qui a amené la monnaie européenne à un
niveau bien supérieur à sa parité initiale, jugée alors réaliste, avec le dollar69.
GrAPhIqUE 6.7
Taux de change de l’euro par rapport au dollar et au yen (moyenne mensuelle)

Source : INSEE, site web

68 Le taux de change du franc avait par contre été un objectif intermédiaire de la politique monétaire française à partir
de 1983 ainsi que l’option pour la politique dite du « franc fort », accroché au mark, qui fut conservée jusqu’à la mise
en place de l’euro en 1999.
69 Ces variations du taux de change de l’euro par rapport au dollar sont importantes. Mais elles ne sont pas un phénomène
nouveau. L’Ecu (European Currency Unit), créée en 1980 et ancêtre de l’euro, a également connu tout au long de son
existence de fortes fluctuations par rapport au dollar, bien plus amples en réalité que celles de l’euro par rapport au
dollar (cf. sur ce point B. Majnoni D’intignano, 2000).

La politique monétaire et la politique de change 353


a – La phase de baisse initiale de l’euro
Au cours de ses deux premières années d’existence l’euro a perdu 30 % de sa valeur initiale
par rapport au dollar. Cette évolution a pu paraître paradoxale dans la mesure où l’écono-
mie américaine enregistrait un déficit de sa balance des transactions courantes de l’ordre
de 3,6 % du PIB sur la période 1999-2001, avec un maximum à 4,5 % du PIB en 2000, et une
dette extérieure de l’ordre de 40 % du PNB, tandis que l’économie européenne avait une
balance commerciale en équilibre et pratiquement pas d’endettement extérieur.
Selon différentes explications qui ont été avancées, cette baisse initiale de l’euro tiendrait
au décalage conjoncturel qui a existé en 1999 et en 2000 entre l’économie américaine et
les économies de la zone euro, le rythme de croissance de la première étant alors sensible-
ment supérieur à celui des secondes. Elle tiendrait également à certains handicaps struc-
turels des économies européennes vis-à-vis de l’économie des États-Unis, et en particulier :
1) l’avance de ces derniers en matière de nouvelles technologies (TIC) assurant à l’éco-
nomie américaine des gains de productivité importants, qui sont passés de 1,5 %
par an en 1990-1995 à 2,5 % par an en 1995-2000, alors même que la croissance de
la productivité ralentissait dans l’Union européenne, passant de 2 % par an en 1995
à 1,3 % en 2001 ;
2) l’excédent budgétaire des États-Unis, jusqu’en 2001, contrastant avec les difficultés
des finances publiques de nombreux pays européens ;
3) une adaptabilité du marché du travail américain plus grande que celle du marché
du travail européen.
De manière directe, ce sont cependant en fait les mouvements internationaux de capi-
taux qui expliquent la faiblesse de l’euro par rapport au dollar au cours de cette pre-
mière période. L’important déficit des paiements courants des États-Unis est en effet alors
compensé par des entrées de capitaux, sous forme de prêts (bancaires ou obligataires) et
d’acquisitions de titres de propriété (investissements directs étrangers, achats d’actions en
portefeuille), qui proviennent pour une part importante d’Europe, les entreprises euro-
péennes ayant considérablement développé leurs investissements directs aux États-Unis70.
Concrètement, les investissements directs étrangers aux États-Unis, nets des investissements
américains à l’étranger, se sont élevés à 147 milliards de dollars en 1999 et 135 milliards
en 2000, tandis que les achats d’obligations américaines par des étrangers, calculés eux
aussi nets, se sont élevés en moyenne à 250 milliards de dollars en 1999 et en 2000. Le
déficit extérieur américain a ainsi été automatiquement non seulement financé mais sur-
financé, avec comme conséquence un dollar fort réduisant les coûts des importations, ce
qui a contribué, avec les progrès soutenus de la productivité du travail enregistrés par
l’économie américaine, à écarter les risques de dérapage inflationniste71.
Or, alors que les États-Unis sont très fortement importateurs nets de capitaux et captent
70 Ces entreprises qui avaient renforcé leur bilan grâce à la modération salariale des années 1990 étaient en mesure de
participer à « la course à la taille critique nécessaire pour opérer dans le contexte plus compétitif du marché unique
européen, voire devenir des acteurs de rang mondial. Elles y étaient incitées particulièrement par les perspectives de
croissance à long terme et de rentabilité aux États-Unis » (Vergnaud, 2005, p.31).
71 En soulignant cependant que les importantes émissions nettes d’obligations et de titres de propriété, qui permettent
de financer le déficit de la balance des transactions courantes des États-Unis, jouent dans le sens d’une accentuation
ultérieure de ce déficit par le biais de la rémunération de ces capitaux. Ainsi, les revenus nets reçus du reste du monde
qui représentaient approximativement un gain d’un point de PIB américain jusqu’au milieu des années 1980 se sont
transformés en sortie nette à partir de 1997.

354 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


ainsi à leur profit une partie de l’épargne mondiale (soit 7,75 % de l’épargne mondiale
en 2000 selon le FMI), la zone euro est au contraire fortement exportatrice de capitaux,
puisque les exportations de capitaux de l’Europe, sous forme d’investissements directs à
l’étranger et d’achats d’actions, se sont élevées en 1999 et en 2000 à un montant net de
plus de 470 milliards d’euros auxquels s’ajoutaient, en 2000, 116 milliards d’achats nets
d’obligations (Salin, 2001, p. 13).
Quelles que soient ses causes, cette dépréciation de l’euro par rapport au dollar n’était
pas sans conséquences pour l’économie des pays de la zone euro. Elle a incité la BCE à
maintenir un différentiel de taux d’intérêt positif par rapport aux États-Unis pour limiter
les sorties de capitaux, alors même que, selon différents auteurs, les résultats obtenus
dans l’ensemble des pays de la zone euro en matière de lutte contre l’inflation auraient
justifié un assouplissement des taux d’intérêt favorable à la relance de l’activité écono-
mique et de l’emploi. Elle impliquait par ailleurs, comme déjà évoqué, une hausse des
prix des importations de la zone euro en provenance du reste du monde et constituait
donc un facteur d’inflation. Parallèlement, cette dépréciation de l’euro par rapport au
dollar était cependant un facteur de hausse des exportations en volume et donc, par ce
biais, de stimulation de la croissance européenne. Mais, si l’affaiblissement de l’euro par
rapport au dollar entre 1999 et 2001 a effectivement constitué un facteur de stimulation
des exportations européennes et, par ce biais, de soutien à l’activité économique à l’inté-
rieur de la zone, il n’était pas souhaitable que cet affaiblissement se prolongeât.
Certains organismes internationaux, comme le FMI, ont d’ailleurs estimé que le niveau
atteint par l’euro au cours de l’été 2000 traduisait une dépréciation excessive et que la
monnaie européenne était sous-évaluée par rapport au dollar. Cette situation conduisit
à des interventions sur les marchés des changes, destinées à susciter le redressement de
l’euro. Une intervention concertée eut lieu dès septembre 2000, suivie ultérieurement,
en fin d’année, par des interventions de la seule BCE destinées à préserver la zone euro
des conséquences négatives d’une dépréciation excessive de la monnaie européenne
pour la stabilité des prix. Ces interventions ont contribué à stopper la baisse continue
de l’euro qui avait atteint son niveau le plus bas de 0,8230 dollar en septembre 2000. La
monnaie européenne s’est ensuite globalement stabilisée autour de 0,9 dollar jusqu’au
début de l’année 2002, au travers d’assez fortes fluctuations de court terme par rapport
au dollar : une hausse au cours du quatrième trimestre 2000, une baisse pendant le pre-
mier semestre 2001, suivie d’une petite remontée au troisième trimestre 2001, elle-même
suivie d’une nouvelle baisse jusqu’en février 2002.

b – La phase de remontée de l’euro


En février 2002, l’euro a amorcé une remontée sensible par rapport au dollar qui s’est
poursuivie au travers de fluctuations de courte période jusqu’au quatrième trimestre 2004,
avec une dépréciation globale du dollar par rapport à l’euro de 38 % en 3 ans, l’euro attei-
gnant le niveau record de 1,3666 dollars le 30 décembre 2004.
Ce redressement de l’euro reflète en réalité un affaiblissement général du dollar par rap-
port aux grandes devises avec, par exemple, une dépréciation de 23 % par rapport au yen
entre le premier trimestre 2002 et le premier trimestre 2005. Cet affaiblissement du dollar
(avec en corollaire le renforcement de l’euro) a pu être lié à une succession de différents

La politique monétaire et la politique de change 355


éléments, tels que les interrogations des opérateurs des marchés à propos de la qualité de
la reprise économique américaine qui a succédé à la crise de 2001-2002, et une certaine
désaffection des investisseurs à l’égard des placements en dollars due à la baisse de la
rémunération de ces placements, voire aux inquiétudes quant à la possibilité d’une rému-
nération suite aux nombreuses affaires de « créativité comptable » des entreprises (affaires
Enron, Worldcom, etc.).
Mais il est surtout à mettre en rapport avec les importants déséquilibres de l’économie
américaine. À commencer par la persistance d’un déficit gigantesque de la balance des
transactions courantes des États-Unis qui s’est élevé à 417 milliards de dollars en 2001, soit
4,1 % du PIB américain, pour atteindre ensuite 4,8 % du PIB en 2003 et 5,7 % du PIB en
2004. À partir de 2001, le déficit commercial américain n’a cessé de croître, passant de 363
milliards de dollars en 2001 à 618 milliards de dollars en 2004. Cela reflète la perte de com-
pétitivité de l’industrie américaine (hors les TIC), ce qui se traduit par une poussée considé-
rable des importations dans des secteurs comme l’automobile, les biens d’équipement, la
sidérurgie, le meuble, le textile… alors que la baisse du dollar qui accroît mécaniquement
les prix des produits importés et réduit ceux des produits exportés par les États-Unis devrait
favoriser les entreprises américaines face à leurs concurrents étrangers.
Ce déficit commercial se combine avec d’autres déséquilibres importants de l’économie
américaine : le déficit budgétaire qui a atteint 513 milliards de dollars en 2004, sous l’effet
des réductions d’impôts décidées par l’administration Bush, combinées avec l’augmenta-
tion des dépenses résultant des opérations militaires en Irak et en Afghanistan (qui se sont
élevées à 65 milliards de dollars en 2004) ; la forte baisse de l’épargne privée des ménages
américains, avec un taux d’épargne qui s’est établi à 1,5 % seulement de leur revenu dis-
ponible.
L’ampleur du déficit des transactions courantes des États-Unis au cours de cette période
a suscité des interrogations sur la capacité des mouvements internationaux de capitaux
d’en assurer durablement le financement. Après avoir atteint des niveaux très élevés en
1999-2000, les entrées de capitaux étrangers aux États-Unis sous forme d’investissements
directs et d’achats d’actions par des non-résidents sont en effet revenues à des niveaux
moyens beaucoup plus faibles en 2001-2004. Au second semestre 2001 et au début de
2002, le déficit des transactions courantes n’était ainsi plus financé que pour moitié par
les flux de capitaux privés, les investisseurs non-résidents ayant sensiblement réduits leurs
achats d’actions américaines. D’autant que les capitaux qui entrent aujourd’hui aux États-
Unis sont très majoritairement des capitaux très liquides, susceptibles par conséquent de
se désengager rapidement en cas de dépréciation du dollar menaçant leur rentabilité,
désengagement qui ne pourrait au demeurant qu’amplifier une telle dépréciation.
À quoi s’ajoute que l’administration américaine, qui n’a pas été et n’est pas économe de
déclarations en faveur d’un « dollar fort »72, s’est cependant gardée de prendre les ini-
tiatives qui auraient pu contribuer à inverser la tendance à la dépréciation du dollar. Ce
qui laisse supposer, c’est l’opinion de nombreux analystes, qu’elle s’est satisfaite de cette
dépréciation dans laquelle elle a pu voir un moyen de stimuler les exportations améri-
caines tout en freinant les délocalisations qui réduisent l’emploi industriel aux États-Unis

72 Telle cette déclaration du secrétaire d’État au Trésor, Henry Paulson, le 23 juillet 2007 : « un dollar fort est dans l’intérêt
de notre nation » (cité par Le Monde, 25-07, 2007, p. 9).

356 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


et, au-delà, de rééquilibrer le commerce extérieur sans susciter une récession : un autre
moyen de résorber le déficit commercial américain serait en effet de réduire de manière
drastique les importations par une contraction du PIB américain, c’est-à-dire une récession
économique73.
Au cours de cette même période 2002-2004, alors que la situation extérieure des États-Unis
se fragilisait, celle de la zone euro se renforçait, avec en particulier le fait que les flux nets
d’investissements de portefeuilles qui étaient jusque-là négatifs sont devenus positifs.
En 2005, le cours de l’euro contre le dollar s’est momentanément réorienté à la baisse,
l’euro revenant en octobre à 1,1882 dollars. Ce redressement momentané du dollar par
rapport à l’euro a été dû à des mouvements de capitaux, favorisés par un différentiel des
taux d’intérêt, profitant aux États-Unis. Alors que le déficit de la balance des transactions
courantes américaine demeurait abyssal (6,4 % du PIB contre 5,7 % en 2004 et 4,8 % en
2003, avec une prévision de 6,7 % pour 2006), les capitaux étrangers ont été attirés aux
États-Unis par le niveau des taux d’intérêt sensiblement plus élevés qu’en Europe74 et au Ja-
pon. Et ce, d’autant plus que l’économie américaine affichait des performances meilleures
que celles des autres zones monétaires. En 2005, la croissance du PIB américain était ainsi
de 3,6 % contre 1,4 % pour la zone euro, et le taux de chômage de 5,1 % contre 8,7 %.
La situation s’est à nouveau inversée à partir du début 2006, l’euro se réappréciant par
rapport au dollar. Le 16 avril 2007, il atteignait 1,3550 $, revenant ainsi à proximité du
pic atteint fin 2004. La hausse de la monnaie européenne s’est poursuivie ensuite. En avril
2008, dans le contexte du développement de la crise des subprimes et alors que la Fed
avait déjà sensiblement réduit son taux d’intérêt directeur, tandis que la BCE maintenait
le sien à 4 % et laissait présager une hausse ultérieure, l’euro atteignait la cote de 1 euro
pour 1,6 dollar.
La monnaie européenne a cependant amorcé ensuite un mouvement de repli lié à la per-
ception par les opérateurs des marchés de l’ampleur du ralentissement économique en
Europe (déjà en cours et à venir), faisant suite à la crise des subprimes, et aux déclarations
en juillet du président de la BCE confirmant, suite au relèvement du taux d’intérêt direc-
teur de la Banque à 4,25 %, que la BCE continuerait à l’avenir à faire de la lutte contre
l’inflation sont objectif principal. Début septembre 2008, la cote de l’euro était revenue à
approximativement 1,43 dollar.
De nombreux auteurs estiment que le redressement de l’euro par rapport au dollar amorcé
en 2002 a abouti finalement à une surévaluation manifeste de la monnaie européenne75.
Les conséquences d’une telle surévaluation sont a priori loin d’être toutes positives pour la
zone euro76. Si l’appréciation de l’euro peut avoir à court terme un impact positif sur l’éco-
nomie européenne, dans la mesure où elle implique une baisse des prix des importations
73 La baisse du dollar est également un moyen d’accroître la rentabilité des entreprises américaines quand elles rapatrient
les bénéfices réalisés à l’étranger.
74 La Réserve fédérale avait recommencé à augmenter son taux directeur dès juin 2004, avant la BCE, de sorte que, en 2005,
les taux d’intérêt américains étaient supérieurs à ceux de la zone euro.
75 Selon P. Artus (2008, p. 17), compte tenu du cours atteint par l’euro en avril 2008, on pouvait estimer que celui-ci était
« surévalué de 30 % environ par rapport à la parité de pouvoir d’achat, c’est-à-dire par rapport au niveau qui donnerait
un niveau de compétitivité normal à l’industrie européenne ».
76 D’autant que la hausse très marquée de l’euro à l’égard du dollar s’est accompagnée d’une appréciation également très
forte vis-à-vis de l’ensemble des monnaies d’Asie, ce qui est l’un des éléments d’explication de la poussée des importations
européennes en provenance de ces pays.

La politique monétaire et la politique de change 357


ou limite l’impact de la hausse des prix de certains produits importés comme le pétrole
(dont les prix sont libellés en dollars), ce qui permet de ralentir l’inflation, il en va diffé-
remment à plus long terme. L’appréciation de l’euro renchérit en effet mécaniquement
les prix des produits exportés, ce qui influe négativement sur la compétitivité et donc sur
les exportations en volume et, par là même, sur la croissance de la zone euro, alors même
que la conjoncture économique européenne dépend pour partie des exportations. L’im-
pact négatif sur la croissance de cette appréciation de l’euro ne pourrait être compensé
que par la baisse des taux d’intérêt. Mais encore faudrait-il pour cela que cette baisse des
taux d’intéret puisse être d’une ampleur suffisante. Certains travaux conduisent en effet
à la conclusion selon laquelle, pour contrecarrer la perte de croissance économique de la
zone euro due à une appréciation du dollar de l’ordre de 10 % (perte chiffrée à environ
0,8 point de PIB), il faudrait une baisse des taux d’intérêt de l’ordre de deux points de taux,
alors même que le principal taux d’intérêt directeur de la BCE était précisément de 2 %
entre juin 2003 et novembre 200577.
Quoi qu’il en soit, jusqu’au début de l’année 2008, cette forte revalorisation de l’euro par
rapport au dollar ne semblait pas inquiéter outre mesure les responsables européens78.
Les dirigeants politiques français ont par contre dénoncé à différentes reprises les consé-
quences dommageables d’un euro jugé trop fort et ont souhaité publiquement que des
initiatives soient prises pour enrayer l’ascension de la monnaie européenne. Longtemps
isolés sur la scène européenne, ils semblent l’être un peu moins depuis le début de l’année
2008. Début mars 2008, le président de l’Eurogroupe, Jean-Claude Junker, exprimait ainsi
la « préoccupation » des dirigeants européens face aux mouvements des taux de change.

*
En conclusion, il faut souligner que l’euro occupe une place croissante dans les relations
financières et monétaires internationales. Il s’est imposé depuis 1999 comme la première
monnaie de référence sur le marché obligataire international. Entre 1999 et 2004 les émis-
sions nettes de titres de dette internationaux libellées en euros ont représenté en moyenne
49 % du total des émissions contre 41 % seulement pour les émissions libellées en dollar
américain (Vergnaud, 2005, p. 33), alors qu’en 1998 les parts étaient respectivement de
31,7 % et 60,3 %. Par ailleurs, si 15 % seulement du commerce mondial est facturé en eu-
ros, contre 60 % pour le dollar, la part de l’euro dans les réserves de change des banques

77 Selon Philippe Brossard, afin de pouvoir compenser la hausse de 20 % de l’euro qui s’est produite en 2002-2003, il aurait
fallu que la BCE abaisse son taux directeur de 4 points et le ramène par conséquent à 0,5 % au troisième trimestre 2003.
En pratique, elle s’est limitée à une baisse de 2,5 points, ramenant son taux directeur à 2 %.
78 En mai 2006, alors que l’euro avait atteint 1,2957 dollar (le 11 mai), le commissaire européen aux affaires économiques
et monétaires expliquait : « Il faut bien sûr être vigilant au sujet de la hausse du taux de change, mais en ce moment
précis, je ne pense pas que cela crée de problèmes graves pour l’économie européenne » (cité par Le Monde, 15-5, 2006,
p. 12). Quelques mois plus tard, en novembre 2006, alors que plusieurs responsables gouvernementaux français (dont
le Premier ministre Dominique de Villepin) s’inquiétaient du niveau atteint par l’euro, le président de l’Eurogroupe, le
luxembourgeois Jean-Claude Juncker, expliquait au terme de la réunion du 27 novembre que : « Nous pensons que le
taux de change actuel n’entraîne pour le moment aucune conséquence fâcheuse » (Le Monde, 3 et 4-12, 2006, p. 12). Lors
du Conseil financier franco-allemand du 5 décembre 2006, le ministre allemand des finances, Peer Steinbrück, estimait
qu’il ne fallait pas « être trop inquiet de la situation », que « les parités sont déterminées par les marchés » et qu’il faut
se garder de toute « intervention politique » (Le Monde, 7-12, 2006, p. 16). Par la suite, alors que l’euro avait atteint le
cours de 1,3530 dollar (le 13 avril 2007), le directeur du département Europe du FMI, Michael Deppler, expliquait pour
sa part que « la valorisation de l’euro est toujours juste » et que « l’euro est au bon niveau pour une croissance durable
dans la zone euro » (Le Monde, 17-04, 2007, p. 15).

358 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


centrales est passée de 14 % en 2002 à 27 % début 2008 (Artus, 2008, p. 17)79. Reste cepen-
dant que, si diverses banques centrales, et en particulier asiatiques, ont fait savoir leur in-
tention d’augmenter quelque peu la part de l’euro dans leurs réserves de change, elles ne
peuvent envisager sérieusement de se désengager du dollar. Ce n’est en particulier pas le
cas des banques centrales asiatiques qui détiennent 2 500 milliards de dollars de réserve de
change, soit 70 % des réserves de change mondiales. Un tel désengagement conduirait en
effet nécessairement à un krach de la monnaie américaine, entraînant une récession éco-
nomique grave aux États-Unis qui priverait de nombreux pays (dont les pays d’Asie : Chine,
Corée…) du principal débouché de leurs exportations. L’euro ne semble donc pas réelle-
ment en mesure, en l’état actuel des choses, de contester le leadership monétaire interna-
tional du dollar. On peut d’ailleurs penser qu’il n’est pas nécessairement dans l’intérêt des
européens que l’euro devienne monnaie de réserve internationale, avec en contrepartie
le fait que la BCE perde en partie le contrôle du processus de création monétaire en euros.

79 Parallèlement, comme le souligne P. Artus, l’euro devient également une monnaie de réserve pour les investisseurs privés.
Depuis 2002, les achats nets par des non-résidents d’actifs libellés en euros (actions, obligations) sont de l’ordre de 600
milliards d’euros par an. Pour P. Artus, c’est d’ailleurs ce rôle croissant de monnaie de réserve (des banques centrales et
des investisseurs privés) qui serait la principale cause de l’appréciation de l’euro par rapport au dollar depuis 2002. Selon
lui, face à la forte demande d’actifs financiers libellés en euros, il n’y a pas d’offre, la zone euro n’ayant pas de déficit
commercial ni de dette extérieure (à la différence des États-Unis). En conséquence, « le rééquilibrage du marché des
actifs en euros, à partir de cette situation initiale d’excès de demande, implique donc une appréciation de l’euro. L’euro
fort vient donc du rôle croissant de monnaie internationale de réserve de l’euro » (2008, p. 17).

La politique monétaire et la politique de change 359


la politique économique
structurelle

CHAPITRE 7

La politique structurelle par laquelle l’État cherche à agir sur les structures de l’économie
nationale et à infléchir durablement ses conditions de développement est, en France, une
tradition ancienne. Le Colbertisme peut, à bien des égards, être considéré comme une
première expérience historique de politique « industrielle » destinée à susciter l’apparition
et/ou à favoriser l’essor d’activités que l’État juge essentielles. Par la suite, au XIXe siècle,
l’État a joué un rôle central en matière de développement des grandes infrastructures,
et en particulier des infrastructures de transport tels que les chemins de fer1. Mais c’est
également lui qui crée, à cette époque, les grandes écoles d’ingénieurs, les établissements
d’enseignement secondaire, les universités destinés à former les élites nécessaires au fonc-
tionnement de son appareil administratif ainsi qu’aux entreprises, et en particulier à l’in-
dustrie qui s’impose progressivement au cours de ce siècle comme l’activité économique
prédominante. Soucieux de préserver un certain équilibre politique et social que paraît
menacer la montée du mouvement ouvrier et les explosions politiques et sociales qui se
produisent à intervalles réguliers (révolutions de 1830 et de 1848, Commune de Paris), il or-
ganise la préservation de la petite et moyenne paysannerie par l’adoption de protections
douanières (tarif Méline) et favorise sa modernisation (création de la Caisse nationale du
crédit agricole). Dès 1936, dans le contexte politique du Front populaire, il procède aux
premières nationalisations, ce qui signifie que, désormais, il ne se contente plus seulement
d’impulser et d’orienter le développement économique du pays, mais qu’il prend directe-
ment le contrôle de la production de certains biens et services.

1 Le maillage du territoire national par le réseau ferré portant clairement la marque de la volonté centralisatrice de l’État,
qui a fait de ce nouveau moyen de communication un instrument d’unification économique du territoire national.
C’est cependant après la Seconde Guerre mondiale que la mise en œuvre par l’État de
diverses politiques structurelles va prendre toute son importance. L’État confirme son nou-
veau rôle de producteur de biens et services avec la création (le plus souvent par nationa-
lisations) et l’essor de ses « grandes entreprises nationales » et des services publics (Char-
bonnage de France, EDF-GDF, SNCF, Air France, Commissariat à l’énergie atomique…). Il se
fait également planificateur, avec la création du Commissariat au plan, et aménageur avec
la mise en place progressive des divers éléments d’une politique d’aménagement du terri-
toire. Il construit des autoroutes par le biais des sociétés d’autoroutes qu’il contrôle. Il or-
ganise et finance la recherche scientifique (création des grands organismes de recherche :
CNRS, INSERM, INRA…).
Le choix qu’il effectue au cours des années 1950 d’engager la France dans le processus de
création de la Communauté économique européenne, et le rôle pilote qu’il a joué sans
discontinuer dans ce processus, sont stratégiques et conditionnent en profondeur toute
l’évolution ultérieure de l’économie nationale. Avec la création de la CEE, la France, long-
temps liée à (et dépendante de) l’Empire, va progressivement dénouer ou relâcher les
liens qui l’unissaient aux colonies et se tourner de plus en plus résolument vers les autres
pays engagés avec elle dans la réalisation de l’unification économique (puis monétaire)
de l’Europe. Ce faisant, elle s’ouvre de plus en plus nettement à la concurrence des autres
économies européennes, puis à la concurrence mondiale au fur et à mesure que la CEE ré-
duit ses protections dans le cadre des négociations commerciales multilatérales organisées
sous l’égide du GATT.
Les mutations structurelles, que suscitent ou qu’amplifient le processus de construction
européenne et l’ouverture à la concurrence qui l’accompagne, sont gigantesques. La phy-
sionomie économique et sociale du pays en est profondément transformée. L’agriculture
qui se modernise à marche forcée dans le cadre de la politique agricole commune eu-
ropéenne devient très compétitive et libère des millions de travailleurs qui se reclasse-
ront dans l’industrie ou dans le secteur tertiaire, où s’expriment d’importants besoins de
main-d’œuvre. L’industrie dont les effectifs progressent jusque dans le milieu des années
1960 avant d’entamer un long déclin va être profondément restructurée. Certains secteurs
d’activités connaissent un développement considérable (l’automobile, l’aviation, l’espace),
leur essor étant rendu possible dans certains cas par le soutien massif et multiforme que
l’État leur accorde. Parallèlement, l’économie française se tertiairise avec en particulier le
développement de l’ensemble des services publics non marchands qui va de pair avec l’ex-
tension de l’emploi public.
Le tournant libéral pris par les politiques publiques dès 1983 marque une rupture par
rapport aux évolutions antérieures et va avoir un impact considérable sur la conduite de
la politique structurelle. Celle-ci change d’orientation et de nature. Accusé d’inefficacité,
de lourdeurs et de lenteurs administratives, voire de gaspillages et de gabegie, l’État est
sommé par les libéraux de cesser de faire par lui-même pour faire faire, et/ou laisser faire.
Il lui est en particulier enjoint de redonner aux marchés le rôle central, pour ne pas dire
exclusif, dans l’allocation des ressources. Convaincus que les entreprises privées sont mieux
gérées et plus efficaces que les entreprises publiques, les gouvernements qui se succè-
deront à partir de 1986 vont mettre en œuvre un vaste programme de privatisation des
entreprises publiques. Dès les années 1980, comme partout ailleurs dans les grands pays

362 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


capitalistes développés, les marchés de capitaux et les activités bancaires et financières,
que des expériences historiques parfois douloureuses (krachs bancaires et financiers par
exemple) avaient conduit à réglementer et à fortement encadrer par la loi, sont libéralisés
et déréglementés, au prix de leur instabilité accrue (krachs boursiers d’octobre 1987 et de
2001-2002). Mais de nombreux autres marchés et secteurs d’activité vont suivre.
Le rôle de l’Europe en la matière est considérable. C’est des institutions européennes que
proviennent les principales impulsions pour l’ouverture des marchés à la concurrence, le
démantèlement des grands monopoles publics, la flexibilisation du marché du travail…
Les experts de la Commission européenne, comme ceux de l’OCDE, ont pour fonction
principale de démontrer les bienfaits et l’urgence de la libéralisation. Les directives de
la Commission européenne l’organise concrètement et l’impose aux pays membres de la
Communauté.
Dans ce contexte nouveau, les politiques structurelles persistent cependant mais devien-
nent plus indirectes. Dans bien des domaines d’activité, l’État se replie sur sa fonction de
régulateur et abandonne celle d’opérateur. Et encore faut-il ajouter que, dans certains cas,
il laisse à des organismes « indépendants » le soin d’assurer pleinement cette fonction de
régulation avec la création de diverses « autorités administratives indépendantes » char-
gées d’exercer cette fonction de régulation dans divers secteurs d’activité. Les nouvelles
politiques structurelles visent à élever le niveau de la « croissance potentielle » par le
développement de politiques transversales d’éducation, de formation et de recherche-dé-
veloppement destinées à élever le niveau de qualification des populations et à accroître
la capacité d’innovation du pays, ainsi que par la modernisation et le renforcement des
infrastructures de transport et de communication de plus en plus indispensables à la bonne
marche des entreprises, ou encore par une meilleure couverture des besoins sanitaires de
la population. Il s’agit globalement d’accroître la flexibilité des marchés et de stimuler la
capacité d’ajustement de différents secteurs d’activité aux changements qu’imposent la
construction européenne et la mondialisation.
Cette réorientation en profondeur des politiques économiques structurelles ne va cepen-
dant pas sans soulever de multiples interrogations concernant l’efficacité respective de
l’intervention de l’État et du jeu des mécanismes de marché dans la régulation d’ensemble
et la promotion du développement de l’économie nationale.
L’existence de limites à l’efficacité de l’action de l’État et d’imperfections de l’action pu-
blique ne fait guère de doute. Encore faut-il s’accorder sur l’identification de ces limites
et imperfections. Celles que pointent les critiques « progressistes » des politiques pu-
bliques sont très différentes de celles qu’invoquent les critiques libérales pour justifier les
orientations mises en œuvre depuis plus d’une vingtaine d’années. Alors que les secondes
concluent à la nécessité de réduire drastiquement le périmètre d’intervention de l’État
dans l’activité économique nationale, les premières visent à faire non pas moins d’État
mais mieux d’État, ce qui signifie, par exemple, ne pas privatiser les services publics, mais
les moderniser et leur donner les moyens d’un développement les mettant à même de
répondre pleinement aux attentes des citoyens-usagers.
Ces limites et imperfections de l’action publique ne sauraient par ailleurs faire oublier les
nombreuses imperfections du marché mises en évidence depuis longtemps par la théo-
rie économique. Le principe du « tout marché » que certains préconisent, et qui semble

La politique économique structurelle 363


inspirer largement les décisions de la Commission européenne, ne paraît pas, de ce fait,
plus satisfaisant que le principe du « tout État ». Les besoins des populations ne peuvent
être satisfaits uniquement par des biens et services marchands. La production de biens et
services non marchands, de biens publics, est indispensable à la satisfaction de ces besoins
et à la réalisation d’un certain équilibre économique et social dans des sociétés aussi com-
plexes que la société française ou celle de nos partenaires européens. La théorie écono-
mique, y compris la théorie néoclassique dont se réclament les libéraux, a d’ailleurs déjà
démontré que le marché ne sait pas organiser correctement la production des biens pu-
blics. Or la gamme de ces biens publics aurait plutôt tendance à s’élargir. Que l’on songe,
par exemple, au caractère de plus en plus crucial, pour le fonctionnement des économies
développées contemporaines, de l’organisation des transports (toutes les formes de trans-
port), et en particulier de l’organisation de services efficaces de transports collectifs. De
sorte que le retrait imposé de l’État de divers secteurs d’activité dans lesquels il était un
opérateur central, voire exclusif, suscite ou aggrave des déséquilibres et des inégalités éco-
nomiques qui sont sources de tensions déchirant petit à petit le tissu social et déstabilisant
des populations entières.
Dans ce contexte, la question des services publics devient centrale. C’est en fait l’existence
même de ces services publics qui est désormais en jeu. Au nom de la supposée supériorité
de la concurrence sur toute autre forme d’organisation de l’activité économique, les mono-
poles publics qui correspondent à ces services publics sont systématiquement démantelés
par les directives de la Commission européenne concernant l’organisation des différents
marchés de l’Union européenne. Et, à travers la remise en cause de ces grands services
publics, c’est l’action de l’État comme vecteur principal de la solidarité sociale, agent d’ho-
mogénéisation et garant du droit de tous les individus à une certaine égalité dans l’accès à
certains biens et au respect de certains droits fondamentaux qui sont en cause.
La large audience dont bénéficient les idées libérales ne sauraient cependant faire oublier
les enseignements de l’histoire longue.
Le court-termisme qui affecte souvent les décisions des agents économiques privés, et
qu’accentue de nos jours le rôle déterminant des actionnaires dans la définition de la stra-
tégie des firmes, caractéristique de la corporate governance, est difficilement conciliable,
voire incompatible, avec la définition et la conduite de véritables politiques de développe-
ment pour un pays comme le nôtre, politiques qui requièrent des choix éclairés et la mobi-
lisation durable de ressources importantes, sans perspective immédiate de valorisation2. La
France disposerait-elle aujourd’hui de ces remarquables outils industriels que sont Airbus
et Ariane-espace si l’État français ne s’était pas durablement engagé, seul au départ puis
avec ses partenaires européens, dans la voie de la construction d’une industrie puissante
de l’aéronautique et de l’espace ? Aurait-elle la position mondiale qui est la sienne dans
le secteur du matériel roulant ferroviaire si le projet de TGV n’avait pas été porté pendant
plusieurs décennies par une grande entreprise nationale appuyée directement par l’État ?
Poser ces questions c’est déjà y répondre.
Dans cette optique, alors que certains développements récents de la théorie économique
(théorie de la croissance endogène) insistent sur les externalités positives de certaines dé-

2 Et surtout pas à des taux de retour sur investissement de l’ordre de 20 %, voire 25 %, comme l’exigent généralement
aujourd’hui les fonds d’investissements (cf. supra, chapitre III).

364 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


penses publiques, et que se pose la question de l’avènement d’une économie fondée sur
la connaissance requérant des investissements considérables dans la recherche scientifique
et dans la formation des hommes, le quasi renoncement de l’État français à une véritable
politique industrielle, parallèlement au rejet de ce type de politique par les instances eu-
ropéennes, ne peuvent que susciter des interrogations légitimes quant à la capacité de
l’économie française à relever les défis des mutations en cours.
La réorientation libérale des politiques structurelles de l’État, engagée depuis le milieu des
années 1980, se manifeste dans la reconfiguration du rôle de l’État comme producteur de
biens et services marchands et non marchands, puis de services publics qui s’est imposée
depuis lors (Section 1). Elle se manifeste également dans l’affirmation depuis les années
1980 d’un mouvement de déréglementation de certains marchés qui transforme les condi-
tions dans lesquelles l’État exerce sa fonction de réglementation de l’activité des agents
économiques (Section 2). Elle se manifeste encore dans l’évolution des interventions de
l’État par lesquelles celui-ci cherche à encadrer et orienter l’activité et le développement
économiques du pays (Section 3).

Section 1 : L’organisation directe par l’État de


la production et des échanges : l’État
producteur de biens et services

Par l’exercice de son pouvoir législatif et réglementaire, l’État est en mesure de définir
et de modifier les conditions juridiques d’exercice de leurs activités par les agents écono-
miques privés. Mais l’État peut également aller bien au-delà du seul exercice de sa fonction
de réglementation de l’activité des agents économiques privés, et se substituer purement
et simplement à ces derniers en organisant lui-même directement la production de cer-
tains biens et services. C’est le cas en France depuis l’Ancien régime (manufactures royales,
monopole des poudres, des allumettes, organisation du service postal). Ce fut de plus en
plus le cas dans tous les grands pays capitalistes développés au XXe siècle à partir de l’entre-
deux-guerres. L’État est ainsi devenu dans tous ces pays un État producteur, transformant
par là même fortement la structure du système productif de ces pays.
Les fondements et justifications de cette intervention directe de l’État dans la production
de certains biens et services peuvent être de nature diverse (§ 1). Quels qu’en soient les
fondements et justifications, en France, le rôle de l’État comme producteur de biens et
services s’est affirmé avec force après la Seconde Guerre mondiale et a atteint son apogée
au début des années 1980. L’évolution s’est cependant inversée à partir de 1986, date à
laquelle s’amorce la politique de privatisations qui a été poursuivie depuis par tous les
gouvernements successifs et s’est traduite par un recul très net du rôle de l’État comme
producteur de biens et services (§ 2). En liaison avec ce recul, et dans son prolongement, est
aujourd’hui soulevée la question de la pérennité du mode d’organisation et de l’existence
même des services publics dans un pays dont ils ont été pendant toute la seconde moitié
du XXe siècle un élément constitutif d’une certaine « exception » (§ 3).

La politique économique structurelle 365


paragraphe 1 : les fondements et justifications de l’organisation
directe par l’État de la production de biens et
services

Selon la théorie néoclassique standard, en régime de concurrence pure et parfaite, les


agents économiques privés étant supposés adopter naturellement un comportement d’op-
timisation3, « les choix non coordonnés » de ces agents, guidés par les « signaux des prix »,
conduisent spontanément à la réalisation d’un équilibre général qui correspond en même
temps à un optimum4. Mais ce sont cependant des auteurs néoclassiques, et plus spécifi-
quement ceux formant l’école de l’économie du bien-être, qui ont mis en évidence, avec
d’autres, l’existence de « défaillances du marché », sources d’inefficience rendant néces-
saire une intervention de l’État dans l’activité économique du pays5. Ces « défaillances du
marché » désignent le fait que, dans certaines circonstances, le marché n’assume pas de
manière satisfaisante l’allocation des ressources et la régulation des activités, et ne permet
par conséquent pas d’atteindre le niveau de production socialement optimal. C’est plus
spécifiquement le cas (Stiglitz, 1988) lorsque les biens et services produits sont des « biens
collectifs (ou publics) purs » (A), lorsque la production se traduit par des « externalités »
(B) et lorsque des « monopoles naturels » se constituent dans certains secteurs d’activité6
(C).
Mais la référence à ces défaillances du marché (qui sont réelles) ne suffit pas à elle seule
pour rendre compte de l’extension qu’a pris en France, jusqu’au début des années 1980,
l’intervention directe de l’État dans la production de biens et services. Cette intervention
s’est faite pour une part en référence aux « droits fondamentaux de la personne » et à la
responsabilité conférée à l’État pour le respect effectif de ces droits (D).

3 Maximisation de l’utilité, compte tenu des prix des biens et services qu’il peut se procurer sur les marchés et de son revenu
nominal, pour le consommateur, maximisation du profit, compte tenu des prix des biens et services qu’elle produit et de
ceux des facteurs de production qu’elle utilise, pour l’entreprise.
4 Il s’agit, comme on l’a vu antérieurement (tome 1, chapitre III), d’un optimum parétien (l’équilibre est dit Pareto-optimal) :
la situation d’aucun agent ne peut plus alors être améliorée sans que cela ne détériore la situation d’au moins un autre
agent.
5 Les auteurs regroupés dans l’école de l’économie du bien-être voient dans l’État un agent économique rationnel, ayant,
comme les autres agents économiques, une fonction de préférence ; il s’agit en fait d’une fonction de « bien-être collectif »
qu’il a charge de maximiser. L’État est supposé avoir pour finalité d’améliorer le bien-être de la collectivité nationale qu’il
représente et administre et, dans cette optique, de faire prévaloir une allocation efficiente des ressources (principe de
l’allocation optimale des ressources, rares par hypothèse, entre les différents usages possibles). Comme Kenneth Arrow
l’a établi en formulant le théorème d’impossibilité, il n’y a pas de procédure démocratique pour permettre de définir ce
qui serait la fonction de préférence collective de la population dont l’État à la charge. C’est donc ce dernier qui doit dé-
terminer lui-même ce qu’il estime être cette fonction de préférence collective. La politique de l’État qui aboutit à modifier
l’allocation des ressources disponibles résultant spontanément du jeu des mécanismes de marché, doit par ailleurs respecter
le critère de l’optimum parétien : elle ne doit pas porter préjudice à certains sous prétexte de bénéficier à d’autres ou du
moins, selon la proposition de Hicks et Kaldor, les gains résultant de cette politique pour certains doivent être suffisamment
importants pour qu’ils leur permettent de dédommager ceux pour lesquels cette politique est source de désutilité, tout en
bénéficiant cependant d’un gain net par rapport à l’absence de politique. Soulignons que ces analyses ne font en réalité
que prolonger et affiner celles d’Adam Smith qui avait déjà montré que, dans certains cas, la recherche par les individus
de leur intérêt personnel échoue à réaliser l’intérêt général (en contradiction donc avec l’image de la « main invisible »),
ce qui justifie alors l’intervention de l’État.
6 Aux trois cas évoqués Joseph Stiglitz en ajoute deux autres qui ne seront pas traités ici ayant déjà été évoqués antérieu-
rement : lorsque l’information est imparfaite (cf. tome 1, chapitre VII) et lorsque l’économie est confronté à un chômage
persistant (cf. supra, chapitre II).

366 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A - Les biens collectifs ou publics purs
Ils se distinguent des biens privés purs. Ces derniers se caractérisent par le fait qu’ils ne
peuvent être utilisés que par un seul agent économique (si le bien X est consommé par le
consommateur A, il ne peut l’être par le consommateur B : les biens privés purs sont rivaux)
et à la condition que celui-ci en acquitte le prix, ce qui lui permet de se l’approprier
(principe d’exclusion : celui qui ne paye pas ne peut pas consommer). À l’opposé des biens
privés purs, les biens collectifs/publics purs sont des biens et services qui présentent deux
caractéristiques fondamentales (Samuelson, 1954) :
- l’indivisibilité ou la non-rivalité dans la consommation (le bien est dit non rival). La
consommation d’un bien collectif pur par un individu n’en diminue pas la quantité dis-
ponible pour la consommation d’autres individus ; elle n’est donc pas antinomique de
sa consommation par d’autres individus. Autrement dit, dès lors que le bien est produit,
il peut être utilisé par un nombre très variable de personnes et ce nombre peut être
accru sans qu’il y ait à supporter pour cela de coût supplémentaire. Le coût marginal de
ce bien collectif est donc nul7. L’information est l’exemple type du « bien » collectif pur
présentant ce caractère de non-rivalité,
- la non-exclusivité (le bien est dit non excluable). La nature même du bien et la manière
dont il est produit font que, matériellement, l’usage ne peut en être limité aux seuls
agents économiques qui auraient accepté d’en acquitter le prix (le cas du phare mari-
time déjà évoqué par A. Smith).
L’éclairage public, l’entretien de la voirie, la défense nationale ou la sécurité publique
assurée par les forces de police sont autant d’exemples de biens collectifs présentant ces
deux caractéristiques fondamentales. L’usage de l’un de ces biens collectifs par un individu
ne l’interdit pas aux autres et ne peut être réservé uniquement à ceux qui auraient préala-
blement accepté d’en payer le prix8.
L’indivisibilité ou non-rivalité dans la consommation n’interdit pas que le bien soit produit
par un agent économique privé. Ainsi en est-il des manifestations culturelles produites par
les entreprises privées de spectacle. Mais la non-exclusivité fait, elle, obstacle à la produc-
tion de ces biens par des entreprises privées. La vente de ces biens collectifs purs sur un
marché, selon les modalités habituelles supposant que l’utilisateur potentiel d’un bien ne
peut se l’approprier pour son usage personnel que s’il en acquitte le prix au producteur,
est en effet impossible puisque les utilisateurs potentiels du bien ou du service sont tous in-
cités à se comporter en passager clandestin ou free rider (Samuelson, 1954), c’est-à-dire à
l’utiliser sans payer. Est de ce fait également impossible leur production par des entreprises
privées soumises à un impératif de rentabilisation de leurs capitaux, la production de ces
biens ne pouvant que se faire à perte pour l’entreprise qui supporterait les coûts de pro-
duction sans être en mesure de faire payer le bien produit aux utilisateurs. L’économie de
marché livrée à elle-même est donc incapable d’assurer la production de ces biens, qu’elle
qu’en soit par ailleurs l’utilité pour la société9.
7 Il peut cependant apparaître pour certains biens collectifs un coût d’encombrement (pour une route, par exemple).
8 Certains auteurs estiment que, pour pouvoir être réellement considéré comme un bien collectif/public pur, le bien doit
également répondre à deux autres conditions : l’obligation d’usage, c’est-à-dire en fait l’impossibilité pour un individu de
choisir de consommer ou non le bien, à l’exemple du service de sécurité assuré par les forces de police dont bénéficient obli-
gatoirement tous les citoyens ; l’absence d’effet d’encombrement, c’est-à-dire le fait qu’il n’y pas de limite physique à l’uti-
lisation du bien, quel que soit le nombre d’utilisateurs (des routes sur lesquelles il n’y aurait jamais d’embouteillage).
9 On est en fait dans une configuration du type de celle que la théorie des jeux qualifie de dilemme du prisonnier où un

La politique économique structurelle 367


La production de ces biens collectifs ou publics purs suppose par conséquent l’intervention
de l’État. Celui-ci peut prélever par l’impôt les ressources nécessaires au financement de
leur production, les usagers potentiels du bien collectif étant en fait contraints de payer
par le biais du prélèvement fiscal, et mettre les biens produits à la disposition du public.
Une solution dérivée, lorsque cela est possible, est de faire perdre au bien public son carac-
tère de non-exclusivité. C’est le cas, par exemple, pour les autoroutes dont l’État a concédé
la construction et l’exploitation à des sociétés d’économie mixte (où il était initialement
largement majoritaire) auxquelles il a conféré le droit d’instituer un système de péage, la
privatisation de ses sociétés ayant été engagée en 2006.

B – Les externalités
-Les « externalités » ou « effets externes », analysés pour la première fois par le grand éco-
nomiste néoclassique Alfred Marshall, apparaissent lorsque les opérations effectuées par
un agent économique font varier l’utilité (la satisfaction) d’un autre agent économique
ou le profit que celui-ci réalise, sans que cela ne donne lieu entre eux à une transaction
marchande sanctionnée par l’établissement d’un prix10. Ces variations d’utilité « externes
au marché » ou « hors marché » (d’où le vocable « externalités » ou « effets externes »)
peuvent être positives ou négatives selon que l’utilité ou le profit des agents est accru ou
réduit du fait de ces externalités. Elles peuvent être liées aux opérations de production
(externalités de production) ou à la consommation (externalités de consommation). Ainsi
la pollution générée par une entreprise au détriment de son environnement est une ex-
ternalité de production négative. Les dépenses d’éducation ou de protection de la santé
qu’engage un individu (vaccination par exemple) produisent par contre des externalités de
consommation positives, car elles ont des effets bénéfiques non seulement pour l’individu
qui en profite directement, mais également pour l’ensemble de la collectivité : en favori-
sant les gains de productivité et en stimulant la croissance économique pour les premières
(l’élévation du niveau moyen de formation des individus favorise la mise en œuvre du pro-
grès technique et l’innovation, facteurs de croissance) et en améliorant l’état sanitaire de
la population pour les secondes (plus il y a d’individus vaccinés moins il y a d’épidémies)11.
L’existence de ces externalités, qu’elles soient positives ou négatives, peut justifier l’inter-
vention de l’État.
Considérons plus spécifiquement les externalités de production sous l’hypothèse que les
marchés sont de concurrence pure et parfaite et que, par conséquent, dans l’optique néo-
classique, la réalisation de l’équilibre sur les marchés correspond à un optimum.
En cas d’externalités de production négatives, dont les entreprises responsables n’ont pas
comportement rationnel pour chacun des individus concernés (ici le comportement de passager clandestin est rationnel)
aboutit finalement à une situation qui est désavantageuse pour l’ensemble des différents participants au jeu. Le bien n’est
pas produit ; le besoin d’aucun joueur n’est satisfait.
10 Meade donne l’exemple du producteur de pommes possédant un verger situé à proximité des ruches d’un apiculteur.
S’il plante de nouveaux pommiers qui fleuriront au printemps, il accroît la floraison que les abeilles mettront à profit
pour produire du miel et il accroît ainsi l’utilité de l’apiculteur, sans que celui-ci n’ait rien à débourser. Il y a externalité
positive pour l’apiculteur.
11 Un autre exemple d’externalités positives est celui des externalités de réseaux (ou effets de club). Dans ce cas, l’utilité de
l’usager du réseau augmente au fur et à mesure que le nombre d’usagers s’accroît, et donc que de nouveaux consomma-
teurs acceptent d’effectuer la dépense leur permettant d’accéder au réseau. C’est le cas, par exemple, avec le téléphone
ou l’internet et le courrier électronique dont l’utilité respective s’accroît pour chaque usager au fur et à mesure que le
nombre de personnes avec lesquelles il peut communiquer par l’un de ces deux moyens augmente.

368 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


à supporter le coût, le jeu des mécanismes de marché aboutit spontanément à un équi-
libre de marché auquel correspond un volume de production supérieur à celui qui serait
conforme à l’optimum social.
L’équilibre du marché d’un bien, en régime de concurrence pure et parfaite, est déter-
miné par l’intersection de la courbe d’offre globale de l’industrie qui le produit, c’est-à-
dire en fait la courbe de coût marginal privé de cette industrie (résultant de l’agrégation
des courbes de coût marginal des différentes entreprises qui forment l’industrie), et de la
courbe de demande globale adressée à l’industrie12 (graphique 7.1).
GrAPhIqUE 7.1
L’équilibre du marché concurrentiel

La courbe d’offre totale de l’industrie Ox correspond à l’agrégation des courbes de coût marginal des entreprises qui
forment cette industrie.

Pour une industrie polluante, la courbe de coût marginal privé de l’industrie ne tient pas
compte des effets négatifs pour les autres agents économiques de la pollution engendrée
par l’activité de cette industrie. La courbe de coût marginal social de l’industrie les prend
par contre explicitement en compte. Pour chaque niveau de production possible, le coût
marginal social de l’industrie est donc supérieur au coût marginal privé. Il additionne en
effet le coût de production privé de l’industrie (le coût des facteurs de production acquis
par les entreprises de l’industrie considérée pour produire) et le coût pour la collectivité
sociale de la pollution qu’engendre l’industrie et des nuisances qui en résultent pour les
autres agents. Sur le graphique 7.2 qui représente le fonctionnement du marché, la courbe
de coût marginal social est donc plus haute que la courbe du coût marginal privé de l’in-
dustrie considérée.

12 On rappelle que, selon la théorie néoclassique de l’entreprise, la courbe d’offre individuelle d’un bien par l’entreprise qui
le produit correspond à la partie de la courbe de coût marginal de cette entreprise située au-dessus de sa courbe de coût
moyen. La courbe d’offre totale d’une industrie (ensemble des entreprises qui produisent le même bien) est obtenue en
additionnant, pour chaque niveau de prix du bien, les offres individuelles des différentes entreprises regroupées dans
cette industrie. Elle correspond donc à la courbe de coût marginal de l’industrie obtenue par l’agrégation des courbes
de coût marginal des différentes entreprises formant l’industrie (cf. tome 1, chapitre III).

La politique économique structurelle 369


GrAPhIqUE 7.2
L’externalité de production négative

La production qui correspondrait à la réalisation de l’optimum social est celle qui prend
en compte l’impact sur la population environnante de la pollution générée par l’industrie.
Elle est donc déterminée par l’intersection de la courbe de coût marginal social de l’indus-
trie et de la courbe de demande globale du bien (le point Es sur le graphique 7.2). Cette
production est inférieure à celle qui correspond à la réalisation de l’équilibre du marché,
déterminé par l’intersection de la courbe de coût marginal privé de l’industrie et de la
courbe de demande globale du bien (le point Ep sur le graphique 7.2). Corrélativement,
le prix qui correspondrait à l’optimum social (Ps sur le graphique 7.2) est supérieur au prix
d’équilibre du marché (Pp sur le graphique 7.2). L’écart entre la production qui correspond
à l’équilibre du marché et celle qui correspondrait à la réalisation de l’optimum social
constitue un « échec du marché ».
Dans le cas où existent de telles externalités négatives, l’État peut intervenir, soit en
contraignant par voie réglementaire les entreprises de la branche à s’équiper en dispositifs
antipollution, soit en taxant les pollueurs selon le principe pollueur–payeur (C. A. Pigou).
Dans le premier cas, l’obligation faite aux entreprises de recourir à des dispositifs tech-
niques antipollution se traduit pour elles par un coût supplémentaire pour tout niveau
de production réalisé. Graphiquement, cela se traduit par le fait que la courbe de coût
marginal privé de l’industrie glisse vers le haut en direction de la courbe de coût marginal
social, de sorte que le volume de production effectif de l’industrie, qui correspond à la
réalisation de l’équilibre du marché, tend à se rapprocher de celui qui correspondrait à
l’optimum social. Dans le second cas, en instituant une taxe sur l’activité polluante, l’État
élève mécaniquement le coût marginal privé de l’industrie considérée du montant de cette
taxe pour tout niveau de production réalisé. Il déplace ainsi la courbe de coût marginal
privé de l’industrie vers le haut en direction de la courbe de coût marginal social, de sorte
que, comme ci-dessus, le niveau de la production d’équilibre de la branche se rapproche
de celui qui correspondrait à l’optimum social. Le système de la taxation est appliqué par
l’Union européenne. La Commission européenne détermine des normes de pollution as-
sorties du paiement de taxes par les entreprises qui ne respectent pas ces normes.

370 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le cas d’externalités de production positives est symétrique du précédent. Dans ce cas,
les entreprises privées ne pouvant tirer une rémunération des externalités de production
qu’elles génèrent, l’équilibre de marché (intersection de la courbe de coût marginal privé
de l’industrie et de la courbe de demande globale qui s’adresse au marché du bien) cor-
respond à un volume de production inférieur à celui que supposerait la réalisation de
l’optimum social (Graphique 7.3). Du fait de l’externalité positive générée par l’industrie
considérée, la courbe de coût marginal social qui prend en compte cette externalité po-
sitive (le supplément d’utilité que procure gratuitement à d’autres agents économiques
l’activité de production de cette industrie) est plus basse que la courbe de coût marginal
privé de l’industrie.
GrAPhIqUE 7.3
L’externalité de production positive

Mais c’est l’intersection de la courbe de coût marginal privé de l’industrie et de la courbe


de demande globale du bien qui détermine le prix et le niveau de production assurant
l’équilibre du marché (le point Ep sur le graphique 7.3). Le niveau de production d’équi-
libre du marché ainsi déterminé est nécessairement inférieur à celui qui correspondrait à
l’optimum social résultant de l’intersection de la courbe de demande globale du bien et
de la courbe du coût marginal social de l’industrie (le point Es sur le graphique 7.3), le prix
d’équilibre du marché (Pp) étant corrélativement supérieur à celui qui correspondrait à
l’optimum social (Ps).
Dans ces conditions, l’État peut être amené à prendre en charge les productions qui sont
à l’origine d’effets externes positifs importants (enseignement, recherche fondamentale,
recherche appliquée et recherche-développement, système national de soins, etc.), soit
qu’il organise lui même directement les activités correspondantes (le service public d’en-
seignement, les grands instituts publics de recherche en France), soit qu’il finance tout ou
partie du coût de ces activités (financement public de l’enseignement privé).
L’État peut également « internaliser » les économies externes en subventionnant les entre-
prises qui les génèrent de manière à réduire les coûts de production de ces entreprises pour
tout niveau donné de production. En réduisant les coûts de production finalement suppor-
tés par les entreprises, la subvention aboutit à faire glisser leurs courbes de coût marginal

La politique économique structurelle 371


privé vers le bas. Elle déplace donc la courbe d’offre globale de l’industrie (courbe de coût
marginal privé de l’industrie) vers la courbe de coût marginal social et, en conséquence,
le point d’équilibre du marché vers celui auquel est associé un volume de production qui
correspondrait à la réalisation de l’optimum social.

Formation professionnelle des salariés,


recherche-développement et économies externes
On peut considérer, à titre d’illustration, l’exemple de la formation professionnelle des salariés. On pour-
rait imaginer que celle-ci soit intégralement prise en charge par les entreprises, chaque entreprise assu-
rant la formation professionnelle de ses propres salariés et en supportant directement le coût. Mais, dans
ce cas, il faut s’attendre à ce que chaque entreprise limite cette formation au strict minimum, ou à ce qui
pourra être considéré comme tel. Il est en effet rationnel pour une entreprise de refuser de prendre en
charge le coût plus élevé d’une formation de meilleure qualité allant au-delà de ce strict minimum, alors
que rien n’interdirait au salarié, une fois formé, de quitter l’entreprise qui l’a formé pour une autre dispo-
sée à lui verser un salaire plus élevé, et qui pourrait d’autant plus aisément le faire qu’elle n’aurait pas eu
à supporter le coût de cette formation : stratégie opportuniste de « braconnage » des salariés formés par
d’autres entreprises. En d’autres termes, alors que les entreprises ont, dans leur globalité, objectivement
intérêt à ce que soit formé un nombre suffisant de salariés ayant l’ensemble des qualifications requises
pour être capables d’exercer des tâches productives complexes, aucune, considérée individuellement et
dans une logique de stricte maximisation de son profit individuel, n’a intérêt à supporter les dépenses
nécessaires pour que ce résultat soit atteint. La collectivité ne pourra donc pas bénéficier des externalités
positives liées à une formation adaptée et satisfaisante de l’ensemble des salariés. L’intervention de l’État,
officialisant éventuellement un « compromis institutionnalisé », comme c’est le cas en France, permet de
résoudre le problème en organisant un système général de formation professionnelle, adapté aux besoin,
et financé par le biais de l’impôt ou de taxes spécifiques prélevées sur les entreprises.

Un autre exemple, auquel la théorie de la croissance endogène accorde une grande importance, est celui
de la recherche-développement (r&D). Les efforts de r&D que réalise une firme sont susceptibles de
profiter, par des médiations diverses, à d’autres firmes sans que celles-ci n’aient à en supporter le coût
financier. Dans ces conditions, la régulation des activités de r&D par les seuls mécanismes du marché
doit aboutir à un sous-investissement en r&D, les entreprises étant tentées d’adopter un comportement
de passager clandestin et de se contenter de profiter des effets externes positifs des résultats de la r&D
financée par les autres firmes. Cela justifie une intervention de l’État qui peut prendre la forme d’une pro-
tection renforcée des droits de propriété des entreprises innovatrices sur leurs innovations (législation sur
les brevets), réduisant par là même les avantages que des entreprises non innovatrices peuvent espérer
tirer de la r&D réalisée par les autres. Il peut parallèlement inciter les entreprises à coopérer en matière
de r&D, ce qui explique que, dans le cas de l’Union européenne, la réglementation destinée à préserver
le caractère concurrentiel des marchés contre les tentatives d’ententes entre entreprises prévoie une ex-
ception conditionnelle au bénéfice des accords de r&D entre firmes, dans la mesure où de tels accords
permettent de promouvoir le progrès technique (cf. infra). L’État peut également, comme cela a déjà été
indiqué, financer lui-même les efforts de r&D par des subventions ou déductions fiscales au bénéfice des
entreprises réalisant des investissements en r&D, de sorte à s’assurer que ces investissements atteindront
le niveau jugé optimum.

372 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


L’existence des externalités (positives ou négatives) légitime donc un certain type d’inter-
vention de l’État dans la vie économique, alors même que la théorie néoclassique standard
vise à démontrer la nécessité de limiter cette intervention. Nombre d’auteurs néoclassiques
objectent cependant que le problème des externalités négatives peut être réglé en leur
étendant la logique de l’échange marchand, avec comme exemple les marchés de droit à
polluer. Dans ce cas précis d’externalités négatives, des « droits à polluer » sont déterminés
par la puissance publique et répartis entre les entreprises. Celles qui prennent des mesures
pour réduire leur pollution n’utilisent pas l’intégralité de leurs droits et peuvent les vendre,
ce qui finance leur effort de réduction de la pollution, à celles dont les pollutions excèdent
les droits à polluer qui leur sont accordés. Pour ces dernières, leurs coûts de production
augmentent par conséquent du montant des droits à polluer qu’elles doivent acquérir, ce
qui doit les inciter à adopter à leur tour des mesures de réduction des pollutions qu’elles
génèrent. Un dispositif de ce type existe aux États-Unis depuis 1990 et la réforme de la loi sur
l’air (Clean Air Act) de 1970 qui a abouti à la création d’un système de permis négociables.

C – Le monopole naturel
Les situations de monopole naturel se rencontrent dans les branches d’activité où le coût
de production unitaire le plus faible qu’il soit possible d’obtenir n’est effectivement atteint
que lorsque la totalité de la production de la branche est réalisée par une seule entreprise.
C’est le cas dans les activités où les rendements d’échelle sont croissants13.
Cela concerne en particulier les activités de réseaux : transport ferroviaire, distribution de
l’eau, du gaz, de l’électricité, télécommunications, autoroutes, transport aérien, etc. Pour
ces activités, les coûts fixes d’infrastructures (coûts de mise en place du réseau) sont consi-
dérables comparativement aux coûts variables d’exploitation du réseau, de sorte que les
rendements d’échelle sont croissants. À titre d’exemple, lorsqu’un réseau ferroviaire est en
place, le doublement du trafic ne requiert, au pire, que de doubler le nombre de trains en
circulation, ce qui représente un coût supplémentaire (l’acquisition des rames de train et
l’emploi des personnels nécessaires pour les faire rouler) relativement faible au regard de
celui que représente la création puis l’entretien du réseau (construction des voies ferrées,
gares…). Il est donc a priori possible d’augmenter fortement le trafic, c’est-à-dire le vo-
lume de production, en n’augmentant que faiblement les quantités respectives de capital
et de travail utilisées par l’entreprise propriétaire du réseau. L’augmentation du coût de
production total résultant de ce doublement de trafic est donc très nettement inférieure à
celle du volume de production. De sorte que le coût de production moyen, rapport du coût
total (coûts fixes + coûts variables) sur le volume de production, baisse au fur et à mesure
que la production réalisée par l’entreprise augmente. Il en est de même du coût marginal,
c’est-à-dire le coût supplémentaire qu’il faut supporter pour produire une unité addition-
nelle de bien, qui est sans cesse décroissant et inférieur au coût moyen. En conséquence, la
taille des firmes et le volume de production qu’elles réalisent (la production augmentant

13 Les rendements d’échelle indiquent comment évolue le volume de production lorsque les quantités de chacun des facteurs
de production utilisés varient simultanément dans une même proportion. Les rendements d’échelle sont croissants lorsque
la production augmente plus que proportionnellement à la quantité de facteurs de production utilisés : par exemple, si
le capital et le travail sont les deux seuls facteurs de production et qu’ils augmentent l’un et l’autre de 50 %, alors que
le volume de production s’accroît, lui, de 80 %. Des rendements d’échelle croissants signifient que le coût de production
moyen baisse au fur et à mesure que le volume de production augmente (cf. tome 1, chapitre III).

La politique économique structurelle 373


avec la taille de l’entreprise) sont une arme décisive dans la concurrence. Les grandes en-
treprises ont nécessairement des coûts de production (coût marginal et coût moyen) infé-
rieurs à ceux des petites qui sont de ce fait condamnées à être absorbées par les premières
ou à disparaître. D’où, inévitablement, des processus de fusion et d’absorption aboutissant
progressivement dans chaque branche, si rien n’y fait obstacle, à la constitution d’une
seule entreprise qui se retrouve ainsi en situation de monopole.
L’existence d’une seule entreprise assurant la totalité de la production de la branche est
au demeurant la situation la plus rationnelle du point de vue social. On comprend intuiti-
vement que, dans une activité de réseau, si plusieurs entreprises indépendantes étaient en
concurrence sur un même territoire en exploitant chacune leur propre réseau, un même
volume global de production de la branche (celui qui correspond à la demande globale du
service correspondant à cette activité de réseau) serait obtenu en consommant une quan-
tité de ressources productives beaucoup plus élevée que si une seule entreprise, exploitant
un réseau unique pour le territoire considéré, assurait la production totale de la branche.
Dans une logique de maximisation du profit, cette entreprise en situation de monopole
naturel ne peut pas appliquer la règle de la tarification au coût marginal14 car, dans ce cas,
elle produirait à perte, le coût moyen étant nécessairement supérieur au coût marginal en
cas de rendements croissants15. Elle peut par ailleurs être tentée d’abuser de sa position
dominante pour majorer ses profits au détriment de la collectivité. La comparaison de
l’équilibre sur un marché de monopole et sur un marché de concurrence pure et parfaite
(cf. tome 1, chapitre VII) montre en effet que le prix et la quantité d’équilibre qui s’établis-
sent sur un marché de monopole sont respectivement supérieur (prix) et inférieure (quan-
tité) au prix et à la quantité d’équilibre sur un marché de concurrence pure et parfaite16.
Dans ces conditions, l’intervention de l’État paraît souhaitable et ce, d’autant plus que le
monopole naturel peut concerner la production de biens et services de première néces-
sité dont la demande est faiblement élastique par rapport au prix (électricité, eau, train,
métro, téléphone, etc.) et dont l’accès doit pouvoir être garanti à l’ensemble de la popu-
lation. L’État peut ainsi réglementer les conditions d’activité de l’entreprise en position
de monopole naturel afin qu’elle ne puisse tirer parti de sa situation au détriment de la
collectivité17 : contrôle de la tarification, obligation d’assurer la fourniture du bien ou ser-
vice produit sur l’ensemble du territoire national à un prix uniforme... Il peut également
prendre directement le contrôle de cette entreprise par la nationalisation.
Dans l’un et l’autre cas, il peut choisir d’imposer à l’entreprise une gestion qui vise à « maxi-
miser le bien-être collectif » en l’obligeant à produire, et donc à mettre à la disposition de

14 Prix de vente = coût marginal, règle censée s’imposer naturellement en régime de concurrence pure et parfaite, et la
plus favorable pour les consommateurs et la collectivité : cf. tome 1, chapitre VII.
15 Comme déjà indiqué, le coût marginal ne prend en compte que les coûts variables tandis que le coût moyen prend en
compte les coûts variables et les coûts fixes.
16 On rappelle que, selon l’analyse néoclassique du fonctionnement du marché de monopole, le monopole qui veut maximiser
son profit doit produire la quantité de biens ou services pour laquelle le coût marginal est égal à la recette marginale,
soit la quantité Q1 sur le graphique 7.4 et vendre cette quantité au prix unitaire que détermine la courbe de demande
globale adressée au marché, soit le prix P1 sur le graphique 7.4. Il réalise, pour cette quantité et ce prix, un profit intégrant
une rente de monopole et ce, au détriment de la collectivité.
17 En tenant compte cependant de la difficulté qu’il peut y avoir pour l’État à réglementer l’activité du monopole naturel,
du fait de l’asymétrie d’information existant entre lui et l’entreprise. Celle-ci est en effet seule à connaître réellement
ses coûts de production et elle est naturellement conduite à jouer sur cette asymétrie d’information pour négocier avec
l’État les conditions d’exercice de son activité qui lui soient les plus favorables.

374 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


la collectivité, la même quantité de biens que celle qui serait spontanément produite en
régime de concurrence pure et parfaite. Cela suppose d‘imposer au monopole naturel une
tarification au coût marginal. Le monopole naturel produit alors la quantité de bien ou
service pour laquelle le prix déterminé par la demande totale du bien qui s’exprime sur le
marché est égal à son coût marginal, avec cependant en contrepartie un déficit d’exploita-
tion (le coût marginal étant inférieur au coût moyen en cas de rendements croissants) qui
est couvert par une subvention d’exploitation versée par l’État (graphique 7.4). Mais l’État
peut également opter pour une gestion visant à équilibrer les comptes de l’entreprise afin
de ne pas avoir à la subventionner. Dans ce cas, il impose au monopole naturel de vendre
sa production à un prix égal au coût moyen (tarification au coût moyen), avec en contre-
partie une réduction du bien-être collectif par rapport à la solution précédente puisque
le volume de production réalisé par le monopole naturel sera alors plus faible et le prix
auquel il vendra plus élevé qu’en cas de tarification au coût marginal18 (graphique 7.4). Il
est également possible d’imposer au monopole le respect d’un prix plafond, à charge, pour
l’entreprise, si elle veut réaliser une rente, d’accroître la productivité afin de réduire ses
coûts de production.
GrAPhIqUE 7.4
Les différentes tarifications possibles pour le monopole naturel

Le monopole naturel produit dans la zone des coûts décroissants .


S’il est laissé libre d’agir, le monopole produit la quantité q1 pour laquelle le coût marginal est égal à
la recette marginale et vend au prix P1 déterminé par la droite de demande pour cette quantité q1. Il

18 La théorie des marchés contestables montre cependant que la concurrence peut être préservée, même en cas de monopole
ou d’oligopole, dès lors que ces marchés sont contestables. Un marché est contestable si une ou plusieurs entreprises
peuvent y pénétrer et entrer par conséquent en concurrence avec la ou les entreprises préexistant dans la branche,
ou même simplement s’il existe la menace crédible qu’une entreprise puisse entrer dans la branche. Auquel cas, les
entreprises présentes dans la branche seront contraintes de pratiquer une politique de prix destinée à dissuader des
concurrents potentiels de pénétrer sur le marché et il ne leur sera donc plus possible de capter une rente. Cela suppose
qu’il n’y ait pas de barrières réglementaires à l’entrée sur le marché, que les nouvelles entreprises susceptibles d’entrer
sur le marché puissent y opérer avec des coûts de production similaires à ceux des entreprises déjà établies dans la bran-
che, et que la sortie du marché soit également libre, c’est-à-dire qu’elle n’implique pas de coûts trop élevés (absence de
coûts « irrécouvrables » (Stigler, 1982). Certains auteurs en déduisent que, dans ces conditions, plutôt que de prendre
le contrôle des monopoles naturels, l’État devrait s’efforcer d’assurer la contestabilité du marché correspondant. Mais
cette contestabilité du marché n’est pas simplement une affaire de réglementation (cf. infra).

La politique économique structurelle 375


dégage une rente de monopole. S’il est astreint à vendre à un prix égal au coût marginal, il produit la
quantité q3 et vend au prix P3 (qui est précisément égal au coût marginal pour la quantité produite).
S’il est astreint à vendre à un prix égal au coût moyen, il produit la quantité q2 et vend au prix P2. La
seconde solution pour laquelle la production est la plus élevée et le prix de vente le plus faible suppose
que le monopole soit subventionné pour un montant unitaire égal à la différence entre le coût moyen
et le coût marginal.

D - La préservation des droits fondamentaux de la personne et l’État producteur


En France, comme dans d’autres pays industrialisés, la référence aux seules défaillances du
marché ne suffit cependant pas pour rendre compte de l’extension réelle qu’a prise his-
toriquement l’intervention de l’État comme producteur de biens et services. L’étendue de
cette intervention a résulté également d’un choix politique et d’un choix de société dont
on mesure mieux, avec le recul, qu’il a été influencé par le contexte socio-économique et
politique national ainsi que par le contexte géopolitique mondial qui prévalaient lorsque
les réformes, aboutissant à étendre le rôle de l’État comme producteur de biens et services,
ont été entreprises.
L’État a ainsi étendu son rôle de producteur de biens et services bien au-delà des limites
définies par les seules défaillances du marché et des circonstances où l’entreprise privée
et le marché ne paraissaient pas être les formes les mieux adaptées d’organisation de la
production, et avec l’objectif principal d’impulser et d’orienter plus directement la produc-
tion et les échanges dans un sens conforme à sa représentation de l’intérêt général19. Les
services publics qu’il a mis en place et développés n’ont pas été conçus comme « un simple
complément utilitariste du marché » mais comme le moyen de garantir aux citoyens le
respect effectif des « droits fondamentaux de la personne ».
Ces droits fondamentaux de la personne sont énoncés en particulier dans le préambule de
la Constitution de 1946 qui attribue expressément à l’État la responsabilité de les garantir
en organisant lui-même, si besoin est, la production des biens et services nécessaires pour
cela dans des domaines comme la santé ou l’éducation. Ce même préambule précise en
outre dans son article 9 que « tout bien, toute entreprise dont l’exploitation a (ou ac-
quiert) le caractère d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la
propriété de la collectivité ». Le développement particulièrement soutenu de ces droits,
qui leur permet de jouer un rôle essentiel dans la préservation du contrat social et en font
un élément constitutif de ce qu’il est convenu de nommer « l’exception française », s’est
effectué « au service d’une ambition politique, une « vision » de l’intérêt général de la
France » (Hugounenq et Ventelou, 2002, p. 40).
Par choix politique délibéré de la société française, l’État français a été conduit à s’impli-
quer dans la production de biens et services autrefois assurée par des entreprises privées
en se dotant d’un secteur d’entreprises publiques dont l’extension a varié au cours du
temps. La constitution de ce secteur d’entreprises publiques s’est fait par la nationalisation
d’entreprises privées préexistantes et le développement ultérieur de ces firmes nationa-
lisées, mais également par la création pure et simple d’entreprises sous contrôle public
19 Sans omettre les raisons conjoncturelles qui ont pu conduire aux mêmes résultats. C’est ainsi, par exemple, que, la natio-
nalisation de Renault et Berliet à la Libération a été justifiée par le fait que les propriétaires de ces entreprises avaient
collaboré avec l’occupant.

376 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


destinées à prendre en charge la production de nouveaux biens et services (sociétés d’au-
toroutes, Ariane espace…).

paragraphe 2 : l’affirmation puis le déclin du rôle de l’État


producteur
La production par l’État français, ou sous son contrôle, de certains biens et services qui
remonte, comme on l’a déjà souligné, à l’Ancien Régime, a pris une importance crois-
sante après la crise de 1929-1933, et encore plus après la Seconde Guerre mondiale, dans
le cadre de ce qui peut être caractérisé comme un processus de montée en puissance de
l’État producteur (A). Depuis la seconde moitié des années 1980, ce rôle de producteur de
biens et services conféré à l’État est cependant remis en cause. La légitimité et l’efficacité
de la production par l’État de biens et services marchands sont vivement contestées par les
tenants du libéralisme qui préconisent un désengagement massif de l’État de ces activités.
Dans un contexte économique, social et politique très différent de celui de l’après-guerre
et des décennies de forte croissance des Trente Glorieuses, ces critiques ont porté, et le
désengagement de l’État de ces activités de production de biens et services marchands est
aujourd’hui très avancé (B).

A – La montée en puissance de l’État producteur après la Seconde Guerre mondiale


L’engagement de l’État dans la production de certains biens et services s’affirme nette-
ment dès les années 1930 avec les premières nationalisations réalisées par le Front popu-
laire : Banque de France, compagnies de chemins de fer, Comptoir national d’escompte de
Paris, entreprises d’armement. Cette montée en puissance s’amplifie considérablement à
la suite des nationalisations de l’après-guerre et de la volonté politique de l’État de doter
la France d’un outil industriel puissant dans les années 1960 (politique des grands pro-
grammes : Concorde, plan calcul, filière nucléaire…). Elle atteint son apogée au début des
années 1980 à la suite des nouvelles nationalisations réalisées en 1982.
Elle s’effectue pour l’essentiel en deux temps qui correspondent aux deux grandes vagues
de nationalisations de l’immédiat après-guerre et de 1981-1982.
• Les nationalisations de l’après-guerre (1944-1946) étaient destinées à favoriser la recons-
truction rapide de l’économie nationale, et en particulier de certains secteurs stratégiques
alors soumis à de graves pénuries (mines, énergie, transports…), et à doter le pays des
infrastructures productives nécessaires à sa modernisation, alors même que la réalisation
d’un tel programme paraissait hors de portée des acteurs économiques privés en raison
en particulier de l’ampleur des investissements à réaliser. Elles ont concerné essentielle-
ment l’énergie (Charbonnages de France, EDF-GDF) et les transports maritimes et aériens
(création en1948 de la compagnie nationale Air France par le regroupement de plusieurs
compagnies nationalisées en 1945). Parallèlement l’État nationalise la Banque de France et
les quatre plus grandes banques de dépôts de l’époque (Crédit Lyonnais, Société générale,
BNCI, CNEP, les deux dernières fusionnant en 1966 pour former la Banque nationale de
Paris) ainsi que la Caisse des Dépôts et Consignations, le Crédit Foncier, le Crédit National
et 34 sociétés d’assurance, avec l’objectif d’orienter le crédit vers le financement de l’in-

La politique économique structurelle 377


vestissement productif, et en particulier celui des nouvelles entreprises du secteur public.
Quelques entreprises industrielles furent également nationalisées en raison du comporte-
ment de leurs propriétaires pendant l’occupation (Renault, Berliet). Parallèlement fut créé
en 1946 le Commissariat général au plan, avec en particulier une mission d’orientation et
de coordination des activités du secteur public.
Cet ensemble de nationalisations, s’ajoutant à celles déjà réalisées dans les années 1930,
a abouti à la création d’un important « secteur public d’entreprises »20 pesant d’un poids
significatif dans l’économie nationale. En 1947 le secteur public d’entreprises occupe 1,15
million de salariés (dont 48 % dans les transports et 36 % dans l’énergie). En 1955, il em-
ploie toujours 1,1 million de salariés (8,5 % de l’emploi salarié total), produit 11 % de la
valeur ajoutée nationale (hors agriculture) et réalise 34 % des investissements du système
productif (hors agriculture). Ultérieurement, jusqu’en 1981, le secteur public a continué
à se développer par la création de nouvelles entreprises publiques destinées à permettre
à l’État de jouer un rôle direct dans certains secteurs tels que l’énergie et les transports
(Commissariat à l’énergie atomique, sociétés d’autoroutes...).
• Les nationalisations décidées par la loi du 11 févier 1982 étaient essentiellement des-
tinées à donner à l’État les moyens d’une intervention renforcée dans la vie économique
nationale et à lui permettre de développer une politique industrielle plus ambitieuse, dans
le but de « maîtriser et de relancer » le développement économique du pays et de sortir
la France de la situation de crise économique qu’elle subissait depuis le premier choc pé-
trolier de 1973. Elles s’inscrivaient dans une démarche de transformation des structures
économiques du pays devant lui donner la capacité de retrouver la voie d’un progrès éco-
nomique et social soutenus. Ce que souligne l’exposé des motifs de la loi de 1982 : « Il
appartient à notre pays, quelles qu’en soient les difficultés, de maîtriser et de relancer son
développement économique. Le moment est donc venu d’étendre sensiblement la part du
secteur public dans l’économie nationale. (...) Aujourd’hui comme hier, il est donc indis-
pensable que l’État dispose des moyens nécessaires à une intervention efficace et à une
orientation planifiée du développement du pays. Au premier rang de ces moyens figure
l’extension d’un secteur public fort, composé d’entreprises autonomes, vivantes et compé-
titives, susceptibles de favoriser un nouveau dynamisme industriel. Elles s’appuieront sur
un système bancaire renforcé et réorienté, après sa nationalisation, vers ces objectifs de
progrès » (cité par Vaté, 1999, p. 282-283).
Ces nouvelles nationalisations concernent directement cinq grands groupes industriels
(Compagnie Générale d’Électricité, Péchiney, Rhône-Poulenc, Saint-Gobain et Thomson-
Brandt) ainsi que deux compagnies financières (Paribas et Suez) et 39 banques commer-
ciales. Dès 1981 l’État a également pris le contrôle, selon diverses modalités, d’entreprises
comme Usinor et Sacilor dans la sidérurgie (nationalisation) ou Matra et Dassault (prise de
contrôle majoritaire) et Bull dans les industries de pointe. Le secteur public d’entreprises
est ainsi nettement renforcé. Son champ d’intervention s’étend désormais bien au-delà de
ses secteurs d’activité d’origine, et son poids relatif dans l’économie nationale est accru. En
1985, il emploie désormais 1,9 million de salariés, représentant 10,5 % de l’emploi salarié
total. Il produit près de 20 % de la valeur ajoutée nationale (hors agriculture) et assure
20 Le « secteur public d’entreprises » est constitué de l’ensemble des entreprises dans lesquelles l’État dispose à lui seul (hors
collectivités locales) de la majorité du capital ou de la majorité des voix attachées aux parts émises. Il fait l’objet d’un
recensement régulier dans le Répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l’État.

378 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


près de 25 % de l’ensemble de l’investissement productif (hors agriculture). En pourcen-
tage du PIB et de la population active, le secteur public d’entreprises est alors beaucoup
plus important en France qu’il ne l’est dans d’autres grands pays capitalistes industrialisés
(trois fois plus qu’en Suède, deux fois plus qu’en Allemagne, une fois et demi plus qu’au
Royaume-Uni et en Italie).
Le mouvement de privatisations qui s’amorce en 1986 va cependant le ramener progressi-
vement à des proportions bien plus modestes.

B - La contestation et le déclin de l’État producteur : les privatisations


L’une des principales traductions du tournant libéral des années 1980 est la contestation
de plus en plus vigoureuse du rôle de l’État comme producteur de biens et services mar-
chands faisant concurrence aux entreprises privées. Les choix politiques effectués en la
matière par plusieurs gouvernements successifs vont ainsi conduire l’État à se désengager
progressivement de sa fonction de producteur de biens et services marchands. Divers élé-
ments sont à l’origine de ce véritable renversement de perspective (a) qui se concrétise
dans un processus de privatisations qui s’est développé en plusieurs étapes (b).

a – Les déterminants du mouvement de privatisations


Alors que les entreprises privées étaient parées de nombreuses vertus, les entreprises pu-
bliques du secteur concurrentiel ont fait l’objet de diverses critiques : deux plus particu-
lièrement. D’une part, ces entreprises seraient globalement moins efficaces que les entre-
prises privées du fait, en particulier, que leurs directions ne disposent pas du droit de céder
des actifs en cas de besoin (dans le cadre par exemple d’opérations de restructuration)
ni, le plus souvent, de licencier du personnel, et par ailleurs ne sont pas significativement
intéressées aux résultats de l’entreprise. Cela se traduirait par des performances écono-
miques de ces entreprises le plus souvent médiocres, en particulier en termes de renta-
bilité. D’autre part, ces entreprises représenteraient un coût pour les finances publiques
prenant la forme de subventions d’exploitation ou de dotations pour le financement de
l’investissement, cette seconde caractéristique découlant directement de la précédente.
Dans l’esprit de ceux qui les formulaient, ces critiques à l’encontre des entreprises pu-
bliques étaient autant de raisons pour l’État de s’en dégager en les privatisant.
Mais, ce faisant, l’État, et au-delà la collectivité nationale, pourraient également bénéficier
des gains que les privatisations étaient supposées pouvoir procurer. D’une part, dans le
contexte de création du marché unique européen et de mondialisation, ces privatisations
seraient une condition nécessaire à la constitution de puissantes firmes multinationales
européennes à base française, seules susceptibles de « tirer leur épingle du jeu » dans un
environnement de lutte concurrentielle mondiale aggravée, la constitution de telles firmes
requérant en effet le plus souvent la réalisation d’alliances entre les entreprises françaises
et des firmes étrangères, ce à quoi pouvait faire obstacle leur statut pour les entreprises
nationalisées. D’autre part, les privatisations présenteraient un intérêt financier pour
l’État, en permettant de dégager des ressources importantes, alors même que les finances
des APU (et en particulier celles de l’État central) sont structurellement déficitaires depuis
le milieu des années 1970. Selon les estimations disponibles, les privatisations réalisées en
France entre 1986 et le premier trimestre 2002 auraient ainsi rapporté 70 milliards d’euros

La politique économique structurelle 379


(Le Monde, 9-04, 2002). Elles ont pu être présentées comme un moyen de réduire le déficit
budgétaire, grâce à l’affectation des recettes de certaines privatisations à la couverture
du déficit, ou d’alimenter le Fonds de couverture des retraites auquel ont été affectées les
recettes de certaines privatisations et donc, dans les deux cas, de préserver l’avenir.
Différents travaux ont par ailleurs souligné le rôle qu’a pu jouer le progrès technique dans
le processus de privatisations, en rendant matériellement possible la disparition des mono-
poles naturels. Le progrès technique qui modifie les conditions de production de certains
biens ou services peut en effet aboutir à transformer des activités à rendements d’échelle
croissants en activités « normales », justifiant ainsi la disparition des monopoles naturels
et, en conséquence, le démantèlement des entreprises publiques correspondantes, rempla-
cées par plusieurs entreprises privées en concurrence les unes avec les autres. Un exemple
souvent évoqué est celui des télécommunications, avec la technique du téléphone mobile
dont l’exploitation repose sur l’utilisation d’un réseau hertzien. Les coûts initiaux d’im-
plantation d’un tel réseau sont moindres que pour le téléphone filaire, tout en demeurant
cependant importants, ce qui rend possible la coexistence de plusieurs entreprises exploi-
tant chacune son propre réseau. Dans ces conditions, le monopole naturel peut disparaître
et avec lui la justification du statut public accordé à l’entreprise jusque-là en situation de
monopole, la mise en concurrence de plusieurs opérateurs privés devenant possible.
Le progrès technique ne suffit cependant pas à tout expliquer, loin s’en faut. Dans les sec-
teurs où le progrès technique n’ouvre pas de lui-même l’opportunité de faire disparaître
le monopole naturel, la définition et la réglementation des droits de propriété (expression
d’un choix politique) peuvent en effet être aménagées de manière à aboutir au même ré-
sultat. C’est le cas lorsque dans les activités de réseaux, l’opérateur historique propriétaire
du réseau installé se voit légalement contraint, au nom du respect de la concurrence, de
mettre ce réseau à la disposition de ses concurrents dans des conditions définies par une
« Autorité de régulation ». Il s’agit là d’une application de la théorie de la segmentation,
issue de la théorie des marchés contestables développée par W. J. Baumol, J. C. Panzer et
R. O. Willing, selon laquelle une activité de service public intégrée peut être décomposée
en segments distincts dont certains pourraient être exploités sous un régime de concur-
rence. Dans le cadre d’une activité de réseau, la construction et l’entretien du réseau pro-
prement dits peuvent demeurer un monopole public, tandis que l’exploitation du réseau
peut être assurée, dans des conditions définies dans un cahier des charges, par différentes
entreprises privées en concurrence les unes avec les autres.
On en a des exemples en France avec France Télécom pour le réseau de téléphone filaire et
EDF pour le réseau de distribution de l’électricité. La création de Réseau Ferré de France,
devenue propriétaire du réseau ferroviaire national et chargée de son aménagement et de
son entretien, et, partant, la disjonction ainsi établie entre l’aménagement et l’entretien
du réseau ferré, d’une part, et son exploitation, d’autre part, a ouvert la voie à la mise en
concurrence de la SNCF avec d’autres entreprises pour l’exploitation du réseau, processus
qui est concrètement déjà engagé pour le fret. L’expérience française contemporaine fait
par ailleurs de plus en plus clairement apparaître que le démantèlement du monopole
naturel et l’ouverture du marché à la concurrence ont jusqu’à présent préfiguré la privati-
sation de l’opérateur historique.
Cela étant, on ne peut cependant comprendre le mouvement de privatisations si l’on ne

380 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


prend pas en compte au moins deux autres éléments essentiels qui ont fortement contri-
bué à sa réalisation :
1) l’acceptation de « l’économie de marché » par la très grande majorité des responsables
politiques du pays qui peut permettre de comprendre que, de tous les gouvernements
qui se sont succédés depuis 1986, ce soit le gouvernement dirigé par Lionel Jospin qui
a réalisé, entre 1997 et 2002, le plus de privatisations (cf. infra)21 depuis le vote de la
première loi de privatisations en 1986 ;
2) le mouvement de privatisations a ouvert un champ d’action considérable aux capitaux
privés et donné à de grandes entreprises privées préexistantes, françaises ou étrangères,
la possibilité d’intensifier leur développement. Il a donc été souhaité, soutenu et accom-
pagné par des intérêts économiques très puissants et par leurs représentants institution-
nels comme le MEDEF ainsi que par la plupart des grands médias, pour lesquels il s’est
traduit d’ailleurs par une manne publicitaire considérable22.

b – Les étapes du processus de privatisations


Le mouvement de privatisations débute en 1986 avec l’adoption de la loi du 6 août qui
établit une première liste des entreprises privatisables. La loi prévoyait par ailleurs l’appli-
cation aux entreprises publiques de règles de gestion et de rentabilité identiques à celles
des entreprises privées, ainsi que la possibilité de vendre des filiales ou des sous-filiales
d’entreprises publiques par décret ou par une simple déclaration préalable de manière
à assurer la « respiration » du secteur public. Une première série d’entreprises fut effec-
tivement privatisées : Saint Gobain en 1986, Compagnie générale de construction télé-
phoniques, CGE, Havas, TF1, Paribas, Suez, Société Générale, Crédit commercial de France
(CCF), etc. en 1987, Matra en 1988. Mais la réalisation du programme de privatisations ins-
crit dans la loi de 1986 fut interrompue par la crise boursière internationale de l’automne
1987. En tout, les ventes d’entreprises publiques réalisées par le gouvernement dirigé par
J. Chirac (1986-1988) s’élevèrent à 13 milliards d’euros. Elles ont fait diminuer le nombre
d’entreprises publiques d’environ 1 000 unités, et 500 000 salariés ont rejoint le secteur
privé. À la suite de ces premières privatisations, les effectifs du secteur public d’entreprises
furent ramenés en 1988 à 1,35 million de salariés (7,2 % de l’emploi salarié total) le secteur
public d’entreprises créant encore 16 % de la valeur ajoutée (hors agriculture) et réalisant
toujours 25 % de l’investissement (hors agriculture). En 1991, la scission des PTT en deux
entreprises publiques (La Poste et France Télécom), prélude à la privatisation ultérieure de
France Télécom, fit passer 430 000 salariés de l’État vers le secteur public d’entreprises dont
la part dans l’emploi salarié total est alors remontée à 9 %. Le changement de majorité
politique en 1988 inaugure la période de la politique officielle du « Ni-Ni » (ni nationali-
sations, ni privatisations). Cependant, s’il ne procède pas aux privatisations prévues par la
loi de 1986 qui n’avaient pas encore étaient effectuées, l’État pratique des privatisations
partielles par vente de filiales ou par cession au secteur privé d’une partie du capital de cer-
21 Il paraît incontestable que l’un des ressorts profonds de cette politique de privatisations est la croyance, à laquelle se
sont ralliées les élites dirigeantes du pays, en la supériorité intrinsèque de l’entreprise privée, cherchant à maximiser son
profit, et des mécanismes de marché, stimulant la concurrence et censés remettre perpétuellement en cause les situations
acquises, sur toute autre forme d’organisation de la production et des échanges.
22 C’est ce que suggère à sa manière Joseph Stiglitz en élargissant le propos au mouvement de libéralisation qui affecte l’éco-
nomie mondiale quand il écrit : « Les idéologies et les intérêts particuliers ont partie liée. La libéralisation à marche forcée
prônée par le FMI présente le grand avantage d’ouvrir de nouvelles opportunités pour Wall Street » (2003, p. 23).

La politique économique structurelle 381


taines entreprises publiques : Elf Aquitaine, Rhône-Poulenc, Crédit local de France. Entre
1988 et 1991, le secteur public d’entreprises va ainsi perdre encore près de 30 000 salariés.
En 1993, la nouvelle majorité politique libérale relance le processus de privatisations avec
l’adoption de la loi de juillet 1993 qui prévoit de privatiser 21 groupes publics, y compris des
entreprises nationalisées en 1945 par le gouvernement du général De Gaulle. C’est alors le
programme de privatisations le plus important de l’ensemble des pays industrialisés. Seront
successivement privatisés : la BNP, Rhône-Poulenc (en 1993) Elf, l’UAP (en 1994), la Seita,
Usinor-Sacilor, Péchiney (en 1995), les AGF en 1996. Les sociétés Bull en 1995 puis Renault
en 1996 font l’objet d’une privatisation partielle. Ce sont ainsi à nouveau un millier d’entre-
prises (sociétés mères et filiales) et près de 400 000 salariés qui rejoignent le secteur privé.
Entre 1993 et 1997, les gouvernements dirigés successivement par Édouard Balladur et Alain
Juppé réalisent en tout pour 26,4 milliards d’euros de privatisations. À la fin de l’année 1996,
le secteur public d’entreprises n’occupe plus que 6,6 % de l’emploi salarié total.
Ce nouveau programme ambitieux de privatisations sera poursuivi par le gouvernement
de Lionel Jospin. Entre 1997 et 2002 celui-ci réalise en effet la privatisation totale ou par-
tielle de nombreuses entreprises pour un montant total de 31 milliards d’euros : France
Télécom (ouverture du capital à hauteur de 23,2 %) en 1997 ; Thomson CSF, CIC, GAN, CNP
Assurances, Société Marseillaise de Crédits, RMC en 1987 ; Crédit Lyonnais, Aérospatial-
Matra, Air France (ouverture de capital) en 199923 ; Thomson multimédia, EADS (cession de
titres) en 2000 ; SFP, Banque Hervé en 2001 ; ouverture du capital de TDF et d’Autoroutes
du sud de la France, cession de titres de Renault et de Thomson multimédia en 2002. En
2002, l’État ne contrôle plus que 1 600 entreprises qui emploient 1,124 million de salariés
représentant 5,2 % de l’emploi salarié total du pays.
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin qui succède en 2002 au gouvernement Jospin a
d’emblée clairement indiqué son intention de poursuivre dans la même voie. En novembre
2002, l’État vend ainsi aux enchères la participation dans le capital du Crédit Lyonnais qu’il
détenait encore. En 2004, il cède une nouvelle part du capital de France Télécom (faisant
ainsi passer sa participation dans l’entreprises au-dessous du seuil des 50 %) et d’Air France
et procède à l’ouverture du capital de la SNECMA et des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône,
l’ensemble de ces cessions s’étant élevé à 5,6 milliards d’euros. En juillet 2004, il fait adop-
ter par le Parlement la loi qui transforme EDF et GDF en sociétés anonymes et qui autorise
la cession au secteur privé de 30 % du capital de chacune des deux entreprises.
En continuité avec le précédent, le gouvernement de Dominique De Villepin a engagé
concrètement l’ouverture du capital d’EDF dont 15 % du capital ont été mis en vente, la
privatisation de GDF et des sociétés d’autoroutes ainsi que celle d’Aéroports de Paris dont
la loi a autorisé l’État à céder 49 % du capital. Le gouvernement de François Fillon poursuit
dans la même direction avec la fusion GDF-Suez qui a ramené la participation de l’État
dans le capital de GDF très en dessous de la barre des 50 %, tandis que la direction de la
Poste prépare un projet de transformation de l’entreprise publique en société anonyme
avec ouverture d’une partie du capital au secteur privé.
Après les entreprises publiques productrices de biens et services marchands du secteur

23 Selon l’INSEE, pour les deux seules années 1998 et 1999, ce sont ainsi 900 entreprises représentant 145 000 emplois qui
passent au privé et, à la fin de l’année 2000, l’emploi dans le secteur public ne représente plus que 5,3 % de l’emploi
salarié total.

382 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


concurrentiel, ce sont donc désormais les grandes entreprises de service public qui sont
concernées par le mouvement de privatisations, ce qui marque incontestablement un saut
qualitatif dans ce processus (cf. infra). Depuis 1986, le total des cessions d’actifs réalisées
par l’État dans le cadre des opérations de privatisations s’est élevé à 82 milliards d’euros
courants.
Le mouvement de privatisations n’est bien entendu pas spécifique à la France. Il s’est dé-
veloppé simultanément dans tous les pays industrialisés qui disposaient à la fin des années
1970 d’un secteur public d’entreprises plus ou moins important. Selon les statistiques de
l’OCDE, les privatisations réalisées dans l’Europe des 15 entre 1984 et 2000 se sont élevées
à 563 milliards d’euros (soit approximativement l’équivalent de deux fois le budget de
l’État français), tandis que les privatisations réalisées entre 1990 et 2000 pour l’ensemble
des pays de l’OCDE atteignaient 744 milliards d’euros. C’est donc une transformation en
profondeur de la structure des économies considérées qui a été réalisée, avec entre autres
conséquences un poids fortement croissant des investisseurs étrangers et en particulier des
fonds de pension anglo-saxons dans le capital des grandes firmes européennes. En France,
approximativement la moitié du capital des entreprises du CAC 40 est désormais détenu
par des actionnaires étrangers.

*
En même temps que l’État privatisait ainsi une grande partie de ses entreprises, s’est déve-
loppée une réflexion sur les modifications à apporter aux méthodes de gestion des entre-
prises publiques. Un rapport d’un groupe de travail du Commissariat au plan présidé par
Jean Bergougnoux (ancien directeur général d’EDF et ancien président de la SNCF) a ainsi
préconisé de modifier le fonctionnement des conseils d’administration des entreprises
publiques en mettant en place des comités spécialisés semblables à ceux des entreprises
privées (comités d’audit, de rémunération, de stratégie), et en modifiant les modalités de
nomination des personnalités qualifiées appelées à siéger au sein des conseils afin « d’ac-
croître leur indépendance ». En novembre 2002, était par ailleurs annoncée la création par
le ministère des Finances d’un groupe de travail ayant pour mission de réaliser un audit des
modalités de fonctionnement de l’État actionnaire et de faire des propositions.

Les entreprises publiques


Selon le répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l’État, à la fin de l’année 2003 l’État
contrôlait directement ou indirectement 1 491 entreprises (contre 3 058 en 1985) dont il détenait la
majorité du capital. Ces entreprises employaient en tout 1 133 000 salariés représentant 5,2 % de l’em-
ploi salarié total (10,5 % en 1985). À ces 1 491 entreprises s’ajoutent environ 1 200 entreprises dans
lesquelles l’État possède des participations minoritaires (tableau 7.1).

La politique économique structurelle 383


TAbLEAU 7.1
Entreprises contrôlées majoritairement par l’Etat (au 31 décembre)

Entreprises françaises Effectif salarié en France


contrôlées par l’État (en milliers)
(en nombre)
1985 3 275 2 354
1986 3 518 2 276
1987 2 201 1 914
1988 2 184 1 830
1989 2 481 1 749
1990 2 779 1 748
1991 2 876 1 765
1992 2 974 1 733
1993 2 986 1 656
1994 2 780 1 543
1995 2 691 1 455
1996 2 528 1 311
1997 2 549 1 268
1998 1 856 1 181
1999 1 657 1 110
2000 1 594 1 124
2001 (r) 1 570 1 137
2002 1 623 1 126
2003 1 491 1 133
2004 1 307 917
2005 (r) 1 144 866
2006 (p) 845 834

p : données provisoires. r : données révisées.


Source : INSEE, Répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l’État, site web de l’INSEE.

Les dix premières de l’ensemble des entreprises contrôlées majoritairement par l’État représentent à elles
seules près de 80 % de l’effectif salarié total. Par ailleurs 90 % des entreprises publiques relevaient du
secteur tertiaire, et 10 % seulement de l’industrie.

Le 25 mai 2007, le portefeuille d’actions de sociétés cotées détenu par l’État était évalué à 177,3 milliards
d’euros contre environ 70 milliards seulement en juillet 2005, en raison de la forte augmentation des
cours boursiers survenue au cours de ces deux dernières années. Il était constitué des actions détenues
par l’État dans EDF (87,32 % du capital total), GDF (79,78 %), France Télécom (32,45 %), AEP (68,39 %),
renault (15,01 %), EADS (15,04 %), Safran (30,85 %), Thales (27,30 %), Air France-KLM (18,57 %) ;
l’État détient par ailleurs 84,19 % du capital d’Areva et 10,9 % de celui de ST Microelectronics.

384 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Tableau 7.2

Les entreprises publiques selon leur secteur d’activité économique : fin 2006
(p)

Activité économique (NES) Nombre Effectifs Principaux groupes présents


d’entreprises salariés dans le secteur
(en milliers)
Agriculture ns 10,3 Office national des forêts
Industrie 135 166,9
Industries agroalimentaires ns ns
Industries de biens de consommation 4 0,7 Imprimerie Nationale
Industries de biens d’équipement 28 8,9 Giat-industries, CEA
Industries de biens intermédiaires 31 10,5 Sté. Nationale des Poudres et
Explosifs, CEA
Énergie 71 146,8 CEA, EDF, GDF
Construction 25 8,0
Tertiaire 657 648,3
Commerce 19 1,3
Transports 143 241,6 SNCF, rATP, Aéroports de Paris,
Ports autonomes…
Activités financières 63 19,0 banque de France
Activités immobilières 89 2,7
Services aux entreprises 278 345,5 La Poste, CEA, CNES, ONErA
Services aux particuliers 44 25,3 France Télévision, SNr, Opéra
de Paris
Éducation, santé, action sociale 5 8,2 Établissement français du sang
Administration 16 4,7
Total 845 833,5

p : données provisoires. ns : résultat non significatif ;


Source : INSEE, Répertoire des entreprises contrôlées majoritairement par l’État, site web de l’INSEE.

paragraphe 3 : le déclin de l’État producteur et la question des


services publics

Après la cession au secteur privé de la quasi totalité des banques et institutions financières
contrôlées par l’État, ainsi que des sociétés non financières productrices de biens et services
marchands du secteur concurrentiel, le processus de privatisation concerne désormais des
entreprises publiques auxquelles avait été confiée une mission de service public. La ques-
tion des services publics, l’une des composantes de « l’exception française », est de ce fait
aujourd’hui au centre d’un débat aux conséquences très importantes pour l’avenir du pays.

La politique économique structurelle 385


Dans ce débat s’opposent deux conceptions différentes du service public et de la relation
entre secteur public et service public (A). Ce débat s’alimente en particulier des interroga-
tions que soulèvent les conditions dans lesquelles a déjà été engagée la privatisation de
certaines entreprises de service public (B).

A – Deux conceptions du service public


À strictement parler, on ne peut pas assimiler secteur public et service public.
Le secteur public, dans l’acception la plus large, regroupe la fonction publique (nationale,
territoriale et hospitalière) et le secteur public productif constitué de toutes les entreprises
possédées ou contrôlées majoritairement par l’État. Dans une acception plus restreinte,
il peut être défini comme « l’ensemble des organismes d’État chargés d’une mission éco-
nomique » (Hugounenq et Ventelou, 2002, p. 9). Dans cette acception plus restreinte, il
occupe encore une place essentielle dans la vie économique du pays.
Le service public, quant à lui, désigne la mission d’intérêt général en matière de produc-
tion de services marchands ou non marchands que l’État concède à une entreprise privée,
ou qu’il assure lui-même par l’intermédiaire d’une entreprise publique. Une mission de
service public est définie traditionnellement par le respect de trois principes : l’égalité, la
continuité et l’adaptabilité-mutabilité. D’une part, l’accès de tous les usagers au service pu-
blic doit être garanti et il ne peut y avoir de discrimination, ce qui se traduit en particulier
par la mise en place d’un dispositif de péréquation tarifaire. D’autre part, le service doit
être assuré sans interruptions autres que celles prévues par la réglementation (ou le cas de
force majeure). Enfin, le service public doit être capable de se transformer afin de pouvoir
s’adapter aux expressions évolutives de l’intérêt général.
La distinction, nécessaire au plan conceptuel, entre le secteur public et le service public ne
préjuge cependant pas de la nature de la relation qui s’établit dans les faits entre l’un et
l’autre. En particulier, elle n’implique pas par elle-même un découplage du secteur public
et du service public, celui-ci étant alors assuré par un organisme extérieur au secteur pu-
blic. On peut cependant distinguer aujourd’hui deux conceptions du service public et du
rôle de l’État aux conséquences différentes quant à la relation qui peut être établie entre
le secteur public et le service public24.
• La première conception prévaut plutôt dans les pays anglo-saxons et représente éga-
lement ce que l’on peut considérer comme le modèle de référence de la Commission eu-
ropéenne. Elle aboutit à dissocier de fait le service public et le secteur public. Selon cette
conception, le bien ou service collectif à produire est distingué de ses modalités de pro-
duction. On commence donc par identifier un besoin qu’il est jugé nécessaire de satisfaire
et l’on définit ensuite les moyens, qui peuvent être variés, de produire le(s) bien(s) et
service(s) qui répond(ent) à ce besoin. L’État intervient dans le processus comme régula-
teur. C’est lui qui identifie le besoin et détermine les conditions dans lesquelles celui-ci
doit être satisfait, et donc les conditions selon lesquelles est (sont) produit(s) le(s) bien(s)
ou service(s) qui répond(ent) à ce besoin. Il se distingue clairement de l’opérateur, c’est-
à-dire de l’organisme (entreprise privée, éventuellement entreprise publique) chargé de
24 Pour de plus amples détails, on se reportera à l’étude de Hugounenq et Ventelou (2002) dont nous suivons ici les
analyses.

386 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


produire ce(s) bien(s) ou service(s) dans le cadre réglementaire qu’il a défini. Les modali-
tés de production du bien collectif peuvent donc être diverses. La production directe du
bien ou service collectif par le secteur public n’est plus que l’une des éventualités. Cette
production peut également être assurée par des entreprises privées dans le cadre d’une
régulation des marchés assurée par la puissance publique, celle-ci définissant les caractéris-
tiques du service qui doit être rendu à la population et mettant les entreprises privées en
concurrence de manière à s’assurer que ce service est rendu au meilleur prix. C’est a priori
un parti pris d’efficience qui conduit à choisir parmi les différentes solutions possibles celle
qui est finalement retenue.
En dépit des apparences, cette conception du service public peut ne pas être neutre en ce
qui concerne plus spécifiquement la définition du champ effectif de la prestation de ser-
vice public confiée à un opérateur. Elle suppose en effet que la mission confiée par l’État
à l’entreprise soit définie de manière très précise, avec, d’un côté, les avantages d’une
telle clarification mais aussi, de l’autre côté, « le risque d’une ‘‘réduction rationaliste’’ de
ladite mission de service public » (Hugounenq et Ventelou, 2002, p. 56). À titre d’exemple,
les travaux de Gadrey et alii sur La Poste ont montré, entre autre, que les services effecti-
vement rendus au public par cette composante du secteur public, vont bien au delà de la
mission qui lui est généralement reconnue, c’est-à-dire le service postal proprement dit et
les services financiers associés aux CCP.
• La seconde conception est celle qui est sous-jacente aux services publics à la française tels
qu’ils se sont constitués depuis la Seconde Guerre mondiale. Elle aboutit à affirmer la com-
plémentarité du secteur public et du service public, dans le cadre d’une représentation de
l’État républicain qui en fait le garant des droits fondamentaux des citoyens et lui confère
un rôle moteur essentiel en matière de progrès économique et social. Dans cette concep-
tion le secteur public est « une force (« sociale ») de proposition qui organise des services,
plutôt qu’il ne répond à une demande préalable ». Il « commence dès qu’une " vision na-
tionale " est en jeu » (id., p. 49).
Dans ces conditions il est très difficile, voire impossible, de définir a priori le périmètre du
secteur public à partir d’une analyse théorique du mode de fonctionnement de l’économie
comme c’est le cas lorsqu’il est fait référence aux défaillances du marché, et c’est finale-
ment le « politique » qui détermine concrètement ce que sont les limites de l’intervention
de l’État.
Cependant, bien que cette conception du service public qui affirme la complémentarité du
secteur public et du service public soit sous-jacente aux services publics à la française, le sec-
teur public est aujourd’hui en France loin de couvrir l’ensemble du champ des activités qui,
dans l’esprit des habitants de ce pays, relèvent le plus souvent du service public. En pratique,
le champ du service public déborde largement celui du seul secteur public et a fortiori celui
des seules entreprises publiques, du fait de la démultiplication des délégations de service
public au profit d’entreprises privées ou de structures de l’économie sociale (coopératives,
mutuelles, associations)25. On assiste en particulier, depuis les années 1980, à un recours ac-
cru des collectivités locales, dont les lois de décentralisation ont étendu les prérogatives, à
la délégation « de mission de service public » qui aboutit en fait à confier à des entreprises

25 Parallèlement, en même temps que les privatisations réduisent l’aire d’influence des entreprises publiques, se développent
des « formes diverses de métissage et de contractualisation entre activités publiques et privées » (Quin, 1997, p. 114).

La politique économique structurelle 387


privées le soin d’assurer les activités de service public sous le contrôle, pas toujours aisé à
exercer, de la puissance publique. Ainsi, selon une enquête réalisée au début des années
2000, 75 % de la distribution d’eau, 80 % du traitement des ordures ménagères, 90 % des
transports urbains et interurbains, 85 % du chauffage urbain, 70 % des pompes funèbres,
68 % de l’enlèvement des ordures ménagères et 60 % des parcs de stationnement étaient
assurés par des entreprises du secteur privé (Rachline, 2002). On observe donc ce que l’on
pourrait considérer comme une sorte de privatisation rampante de nombre de services pu-
blics. Ce qui conduit à s’interroger sur les conditions selon lesquelles se sont faites ou se font
encore la libéralisation et la privatisation de certains services publics.

B – La libéralisation et la privatisation des services publics : du monopole à la


concurrence
S’il est nécessaire de distinguer d’un point de vue analytique entre secteur public et service
public et si, dans les faits, certains services publics sont déjà assurés en France par des entre-
prises du secteur privé, il reste que, dans divers cas, la pérennité du secteur public et celle
du service public paraissent étroitement liées. De sorte que, même s’il n’en est pas toujours
ainsi, il est des circonstances ou le recul du secteur public s’accompagne de facto d’une
remise en cause du service public26. Ce qui peut n’être pas sans conséquences, compte tenu
en particulier de la contribution de ces services publics à l’aménagement du territoire et
du rôle positif qu’ils jouent dans la préservation du lien social et dans la réalisation d’une
certaine égalité entre les individus, indispensables à l’expression de la citoyenneté. Par
ailleurs, la manière dont s’est déjà effectuée la privatisation de certains services publics et
les résultats auxquels elle a abouti soulèvent des interrogations légitimes et peuvent susci-
ter des inquiétudes concernant le devenir des services publics dans ce pays.
Sans prétendre à l’exhaustivité, il est possible de faire à ce propos plusieurs observations.
1) Contrairement à une certaine argumentation qui justifie la libéralisation et la privatisa-
tion des services publics en invoquant les vertus de la concurrence, la libéralisation et la
privatisation des services publics ne se sont pas toujours accompagnées d’une véritable
mise en concurrence des opérateurs. Ainsi en est-il, par exemple, dans le secteur de
l’eau. De nombreuses municipalités en France ont concédé la gestion de l’eau au secteur
privé, avec comme résultat tangible qu’un petit nombre de très grandes entreprises
(deux principalement) se partagent aujourd’hui en fait l’essentiel du marché national de
l’eau. Et de nombreuses études montrent que cela s’est accompagné d’une forte hausse
des tarifs contribuant à donner à ces entreprises « les moyens de leurs ambitions … in-
ternationales » (Frémeaux, 2002, p. 33).
2) Plus généralement, il semble que, pour les usagers, le bilan (forcément provisoire) de la
libéralisation des services publics déjà effectuée soit aujourd’hui pour le moins très mitigé.
En particulier, et contrairement à ce qui était annoncé comme devant résulter immanqua-
blement de la fin des monopoles publics et du passage à un régime de concurrence, les
prix de ces services n’ont généralement pas baissé, ou du moins pas ceux des services pu-
blics qui profitent principalement aux ménages. En pratique, la rente que les entreprises
publiques en situation de monopole naturel étaient accusées de prélever sur les usagers
n’a pas disparu. Elle persiste en tout ou partie sous la forme de la rente que s’approprient

26 La dénationalisation des chemins de fer britanniques en a apporté, si besoin était, une preuve explicite.

388 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les entreprises privées bénéficiant de délégations de service public ou qui se sont subs-
tituées à l’ancien monopole public (Gatty, 1998). Les baisses de prix, quand il y en a eu,
n’ont pas nécessairement profité de manière identique à tous les usagers. L’ouverture
de ces secteurs d’activité à la concurrence et au jeu des « lois du marché » s’y traduit en
réalité par la substitution au régime de péréquation tarifaire de politique tarifaires discri-
minant entre les « gros clients », capables de faire jouer la concurrence entre les différents
opérateurs, et les « usagers de base » qui n’en peuvent mais (Frémeaux, 2002, p. 33). Le
plus souvent ce sont les entreprises qui ont globalement bénéficié des aménagements
tarifaires auxquels a conduit la mise en concurrence des opérateurs et ce, au détriment
des ménages. Dans certains cas, tout semble même se passer comme si était organisé un
transfert de ressources entre les ménages et les entreprises utilisateurs des services publics,
au détriment des premiers et au bénéfice des secondes. Les ménages subissent au bout du
compte une hausse des prélèvements. Celle-ci permet de rentabiliser les capitaux investis
dans les entreprises privées qui se partagent désormais les marchés des anciens services
publics, malgré la baisse des prix que ces entreprises privées appliquent à leurs plus gros
utilisateurs sous l’effet de la concurrence qu’elles se font mutuellement (cas du téléphone
et des télécommunications en France).
3) Dans l’immédiat, au niveau de l’Union européenne est développée depuis quelques an-
nées la notion de « service universel ». Selon la Commission européenne, ce « service uni-
versel » doit garantir l’accès des usagers à certains services essentiels et de bonne qualité
pour un prix raisonnable. Cette mission de service universel est reconnue dans les diffé-
rentes directives de libéralisation adoptées par la Commission européenne concernant
des secteurs tels que les télécommunications, l’électricité, la Poste, etc. Certains analystes
craignent cependant que cette mission de service universel se réduise finalement à un
service public minimal dont l’existence devrait en outre ne pas faire obstacle au jeu de la
concurrence dans les secteurs d’activité considérés (cf. infra). Concernant ce dernier point,
la réglementation OSP (obligations de service public) adoptée par le Conseil des ministres
des transports le 9 juin 2006 semblerait cependant traduire une évolution favorable aux
services publics (Andréani, 2006)27.

Section 2 : La réglementation de l’activité économique


par l’État

La réglementation de l’activité économique à laquelle il est fait référence ici peut être
définie comme le dispositif juridique par lequel l’État encadre et organise l’activité des
agents économiques. C’est l’ensemble des lois, des règlements, des arrêtés administratifs
et des circulaires qui, selon le cas, peuvent avoir une portée générale, comme le code du
27 Ce règlement qui vaut pour les transports locaux par route et par rail prévoit une ouverture limitée à la concurrence,
mais sans que les collectivités locales soient systématiquement contraintes de faire appel au marché. Pour les transports
urbains, le règlement reconnaît l’existence des OSP et admet que celles-ci donnent lieu à compensation financière au
bénéfice des opérateurs, sans que ces dernières soient assimilées à des subventions qui devraient être autorisées par la
Commission européenne. Il prévoit en outre que les collectivités locales disposeront de la liberté de choix pour organiser
le service de transport : soit appel au marché avec mise en concurrence d’opérateurs privés, soit gestion directe assurée
par un opérateur public comme une régie. Pour les transports régionaux, les collectivités conservent la possibilité de faire
appel à un opérateur privé qu’elles pourront choisir directement sans passer par une mise en concurrence.

La politique économique structurelle 389


commerce, ou qui concernent plus spécifiquement tel marché ou secteur d’activité (régle-
mentation de la construction, de l’audiovisuel, etc.) ou telle profession (réglementation
de l’exercice de la fonction d’infirmière ou de la fonction d’avocat, etc.) ou tel produit (ré-
glementation du prix du tabac, autorisation de vendre un médicament, etc.)28. Aux règles
qu’il édicte s’ajoutent par ailleurs, pour un pays comme la France membre de l’Union eu-
ropéenne, celles définies par les institutions européennes.
En modifiant ces règles, l’État et les institutions européennes ont la capacité de faire évo-
luer en profondeur les conditions structurelles de l’activité économique, comme l’illustre
tout particulièrement l’impact de la réglementation édictée par la Commission européenne
concernant l’organisation et le fonctionnement d’activités telles que les télécommunica-
tions, l’énergie (gaz et électricité), le service postal, le transport ferroviaire et routier, les
activités financières. C’est en particulier le cas avec la réglementation de la concurrence
qui occupe une place de plus en plus importante dans l’exercice par l’État de sa fonction
de réglementation et tend, dans l’Union européenne du moins, à faire office de politique
industrielle (§ 1). L’exercice par l’État de cette fonction de réglementation de l’activité
économique a nettement évolué depuis les années 1980 avec la mise en œuvre, en France
comme dans les autres grands pays capitalistes développés, d’un mouvement de dérégle-
mentation et de libéralisation de nombreux marchés (§ 2).

paragraphe 1 : l’exercice par l’État de sa fonction de


réglementation de l’activité économique : le cas
de la réglementation de la concurrence

La réglementation de la concurrence consiste dans l’adoption par l’État de dispositions


juridiques destinées à organiser et préserver la possibilité d’un fonctionnement concurren-
tiel des marchés. Cette réglementation est destinée à limiter les atteintes au fonctionne-
ment concurrentiel des marchés (A). À la réglementation édictée par l’État proprement dit
(B) s’ajoute celle qui émane des institutions de l’Union européenne (C).

A – Les déterminants de la réglementation de la concurrence


La réglementation de la concurrence vise plus spécifiquement, selon le cas à :
1) interdire les pratiques « anticoncurrentielles » ou « déloyales » telles que le refus de vente,
les contrats d’exclusivité, les discriminations de prix qui ne seraient pas justifiées par des
différences de coûts de production, la vente à perte ;
2) s’opposer à certaines pratiques susceptibles de réduire le degré de la concurrence sur les
marchés, telles que les collusions entre entreprises ou les concentrations et fusions abou-
tissant à permettre à une entreprise de contrôler une fraction jugée excessive du marché ;

28 Selon une estimation déjà ancienne, la réglementation était constituée en France de 8 000 lois et de 80 000 dispositions
réglementaires (hors arrêtés et circulaires), 68,4 % du total des lois correspondant à des dispositions économiques, sociales
et financières (Chantepie et alii, 1997, p. 87).

390 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


3) sanctionner les abus de position dominante permettant aux entreprises de bénéficier de
rente de monopole, ou les mettant en mesure d’imposer des contraintes spécifiques aux
autres intervenants sur le marché29.

L’indice de concentration de Hirschman-Herfindhal


Pour pouvoir intervenir efficacement en application de cette réglementation de la concurrence, l’État doit
être en mesure d’évaluer le « pouvoir de marché des firmes », c’est-à-dire en fait la capacité d’une firme
(ou d’un petit nombre de firmes) d’influer sur les décisions en matière de prix et de production dans une
branche d’activité donnée. On peut l’estimer à partir d’un indice de concentration tel que l’indice de
hirschman-herfindhal. Cet indice mesure le degré de concentration d’un marché. Il est égal à la somme
des carrés des parts de marché des différentes firmes présentes sur le marché considéré.

Soit h = ∑s2i avec si la part de marché de l’entreprise i. Il varie de 0 (faible concentration) à 1 (forte
concentration).

Supposons, à titre d’exemple, un marché où sont présentes 3 firmes :

Cas 1 : l’entreprise 1 représente à elle seule 90 % du marché et les entreprises 2 et 3 respectivement 5 %


du marché ; dans ce cas h = 0,92 + 0,052 + 0,052 = 0,813.

Cas 2 : chacune des 3 entreprises représente 33,33 % du marché ;


dans ce cas h = 0,332 + 0,332 + 0,332 = 0,326.

L’indice indique clairement que le premier cas correspond à une concentration du marché bien plus forte
que le second.

La théorie néoclassique justifie l’existence d’une réglementation de la concurrence par la


supériorité de cette dernière sur le monopole en termes d’efficacité sociale. Le monopole
se distingue en effet de la concurrence en ce qu’il aboutit naturellement à la détermination
d’un équilibre de marché auquel correspond un volume de production plus faible et un ni-
veau de prix plus élevé que ceux de la concurrence pure et parfaite (Haberger, 1954). Divers
travaux ont également mis en évidence certains effet négatifs du monopole : gaspillage de
ressources lié au développement des stratégies de recherche de rente (rent seeking) (Tullock,
1965)30, limitation de l’effort de R&D par les entreprises en situation de monopole relative-
ment à celles qui sont en situation de concurrence (Dasgupta et Stiglitz). En creux de cette
critique du monopole se dessinent les avantages reconnus à la concurrence que Guillaume
Cerruti (2005), Directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression
des fraudes, résume comme suit : « Les entreprises qui se font concurrence ont tendance à
réduire leur prix, à améliorer la qualité et la variété de leur offre et, globalement, à cher-

29 Un exemple récent est celui de l’entreprise Microsoft. Celle-ci est accusée par la Commission européenne de tirer parti
de son quasi monopole en matière de système d’exploitation (Windows) pour imposer à ses clients l’acquisition d’autres
logiciels (système Media Player vendu avec le système d’exploitation Windows permettant la lecture des fichiers audio
et vidéo sur Internet), et empêcher par là même les autres entreprises de pouvoir se développer sur ces marchés en
proposant des solutions alternatives. Elle a été condamnée par la Commission, le 24 mars 2004, à une amende de 497
millions d’euros pour abus de position dominante.
30 La théorie de la recherche de rente (Buchanan, Tollison et Tullock, 1980) souligne que l’État a le pouvoir de mettre cer-
taines entreprises en mesure d’acquérir une situation de monopole et de s’assurer par conséquent la perception de la
rente liée à cette situation. Dans ces conditions, les entreprises sont logiquement conduites à développer une stratégie
destinée à leur permettre d’obtenir de l’État les décisions ou mesures leur conférant cette position de monopole. Les
ressources qu’elles mobilisent à cet effet sont détournées d’une utilisation productive et représentent donc un gaspillage
préjudiciable à la société.

La politique économique structurelle 391


cher à mieux répondre aux attentes des consommateurs domestiques par l’innovation ; la
concurrence incite également les entreprises à réduire leurs coûts et à accroître ainsi leur
efficacité, ce qui permet de réduire les prix au bénéfice des consommateurs mais aussi
d’une meilleure croissance de la productivité et de l’innovation de l’économie dans son
ensemble, c’est-à-dire une meilleure compétitivité ».
Or, à supposer que le fonctionnement des marchés soit initialement concurrentiel, rien ne
garantit qu’il le demeure. Les entreprises sont naturellement incitées à tenter de se pré-
server de la concurrence et à rechercher les voies et moyens leur permettant de s’assurer,
dans toute la mesure du possible, un certain pouvoir de contrôle du marché. Par ailleurs, et
c’est là le paradoxe de la concurrence, si rien n’y fait obstacle, le jeu de la concurrence, qui
aboutit à l’élimination des entreprises les plus faibles et à leur absorption par les plus effi-
cientes et les plus puissantes, stimule le processus de concentration, ce qui débouche sur la
formation d’entreprises de taille et de puissance économique de plus en plus grandes. La
concurrence conduit ainsi naturellement à son antithèse, le monopole. Sans aller jusque-là,
elle peut aboutir à la formation dans un secteur d’activité donné d’un oligopole constitué
d’un nombre limité de grandes entreprises susceptibles de conclure entre elles des accords
faussant le jeu concurrentiel31.
À titre d’illustration, en novembre 2005, le Conseil de la concurrence a ainsi condamné les
trois opérateurs français de téléphonie mobile (Orange, SFR et Bouygues Télécoms) à une
amende totale de 534 millions d’euros pour « entente ayant restreint le jeu de la concur-
rence sur le marché ». Les trois opérateurs sont en particulier accusés d’avoir conclu un
accord leur permettant de stabiliser leurs parts de marché respectives entre 2000 et 2002 et
de s’être entendus sur certains tarifs, le Conseil de la concurrence ayant jugé que la concer-
tation à laquelle ont procédé les trois opérateurs « a facilité la mise en place de mesures
défavorables aux consommateurs » (Le Monde, 2-12, 2005, p. 16). Soulignons cependant
que, si cette amende est la plus importante jamais décidée par le Conseil et représente 3 %
du chiffre d’affaires d’Orange France et de SFR et 1,6 % de celui de Bouygues Télécoms,
elle reste sensiblement inférieure à la sanction maximum que peut appliquer le Conseil qui
a le pouvoir d’imposer des sanctions financières allant jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires
mondial de la maison mère. En juin 2005, le Conseil a par ailleurs infligé une amende de 12
millions d’euros, représentant 5 % de leur chiffre d’affaires respectif, aux trois entreprises
de transports Connex, Transdev et Keolis accusées d’entente dans les transports urbains.
La pérennité du fonctionnement concurrentiel des marchés ne va donc pas de soi. D’où
l’édiction par l’État d’une réglementation spécifique visant à préserver la possibilité d’un
fonctionnement concurrentiel des marchés. S’y ajoute celle dont le principe est inscrit dans
les traités européens, et que la Commission européenne se charge de faire respecter par
les pays membres de l’Union européenne.

31La théorie des « marchés contestables » (W. J. Baumol, J. C. Panzar et R. D. Willing) montre certes que la formation d’un
marché d’oligopole n’implique pas nécessairement la disparition de la concurrence dès lors que subsiste la possibilité
que de nouvelles entreprises entrent sur le marché. Mais, pour qu’un marché soit contestable, il faut cependant que
différentes conditions soient réunies, et en particulier l’absence de barrières à l’entrée sur le marché et l’absence de
coûts fixes irréversibles, c’est-à-dire de coûts interdisant à une entreprise une fois installée dans la branche de pouvoir
la quitter sans subir des pertes importantes.

392 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B – La réglementation nationale de la concurrence et sa mise en œuvre
Une réglementation de la concurrence existe depuis longtemps dans les pays anglo-saxons.
Aux États-Unis, le Sherman Act, législation sur les positions dominantes, interdisant les
monopoles et les coalitions, fut adopté il y a plus d’un siècle, en 1890. Il fut complété en
1914 par le Clayton Act, concernant les concentrations. Mais, globalement, cette législa-
tion ne fut réellement appliquée qu’après 1950, avec en particulier le démantèlement en
1984 du géant American Telegraph and Telephon (ATT), qui disposait d’un monopole sur
les communications téléphoniques à longue distance aux États-Unis, et la contestation de
plus de 500 opérations de fusions entre 1950 et 1985 (Combes, 2003, p. 211). La législation
américaine a cependant évolué. La Federal Trade Commission, pour déterminer son atti-
tude à l’égard des alliances entre firmes, prend en compte non seulement leur impact sur
le fonctionnement des marchés concernés mais également les gains d’efficience pouvant
éventuellement en résulter (synergie entre firmes, économies d’échelle...) dont le consom-
mateur est susceptible de profiter. Par ailleurs, le National Cooperative Act de 1984 auto-
rise, à certaines conditions, les entreprises à constituer des joint ventures de R&D.
L’introduction en France de ce type de réglementation est beaucoup plus récente. Ce n’est
qu’en 1986 qu’a été créé le Conseil de la concurrence, succédant à la Commission de la
concurrence, qui est chargé de veiller au fonctionnement concurrentiel des marchés et à
la libre détermination des prix par la concurrence et qui a le pouvoir de sanctionner les
pratiques anti-concurrentielles (ententes et abus de positions dominantes).
La réglementation de la concurrence telle qu’elle se présente aujourd’hui en France s’arti-
cule en plusieurs points.
• Le contrôle des ententes (horizontales et verticales). Le code de commerce, dans sa rédac-
tion actuelle, interdit « les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites
ou coalitions, lorsqu’elles ont pour objet et peuvent avoir pour effet d’empêcher, de res-
treindre ou de fausser le jeu de la concurrence » (art. L. 420-1) ; avec cependant des excep-
tions au principe d’interdiction lorsque « le bilan concurrentiel est positif » (Cerutti, 2005).
• La prohibition des abus de position dominante (refus de vente ou ventes liées, tarifs dis-
criminatoires...) d’entreprises en position de force sur leur marché.
• Le contrôle des concentrations d’entreprises. La loi sur les nouvelles régulations écono-
miques du 15 mai 2000 a réformé le dispositif de contrôle des concentrations d’entreprises
instauré par la loi du 19 juillet 1977. Le contrôle est de la compétence du ministre chargé
de l’économie, le Conseil de la concurrence ayant un rôle consultatif. Le contrôle effectué
permet de prendre en considération toutes les formes d’atteintes à la concurrence, le Conseil
ayant la charge de vérifier si la concentration considérée « est de nature à porter atteinte à
la concurrence, notamment par création ou renforcement d’une position dominante, ou par
création ou renforcement d’une puissance d’achat qui place le fournisseur en situation de
dépendance économique ». Le test de concurrence permet en particulier de traiter le cas des
oligopoles non collusifs puisqu’il est admis que constitue une atteinte à la concurrence la dis-
parition d’une entreprise susceptible d’exercer une pression concurrentielle sur un oligopole
(Notes Bleues de Bercy, 2004). Un bilan concurrentiel doit être établi, permettant de mettre
en balance, d’une part, l’accroissement du pouvoir de marché et l’atteinte à la concurrence
et, d’autre part, la contribution au progrès économique que pourrait représenter les éven-
tuels gains en efficacité résultant d’une opération de concentration.

La politique économique structurelle 393


Aux réglementations visant à préserver le caractère concurrentiel des marchés, ce qui est
censé être bénéfique pour les consommateurs, s’ajoutent par ailleurs les réglementations
dont l’objet explicite est la protection des droits des consommateurs selon trois modalités
complémentaires :
1) l’édiction de règles coercitives visant à assurer la protection de l’ensemble des consom-
mateurs contre des pratiques nuisibles ou susceptibles de l’être ;
2) l’amélioration de la législation concernant les contrats commerciaux afin de renforcer la
protection du consommateur en tant que contractant individuel ;
3) la reconnaissance de certains droits collectifs aux consommateurs regroupés en organi-
sations de défense de leurs intérêts spécifiques.

C – La réglementation européenne de la concurrence


Une réglementation de la concurrence a été mise en place par les traités organisant l’Union
européenne. Ceux-ci prévoient en effet que le marché unique européen soit pleinement
concurrentiel et ils contiennent un certain nombre de dispositions destinées à atteindre cet
objectif.
La Commission européenne, qui est chargée de veiller au respect des traités, contrôle à ce
titre les aides publiques que les États sont susceptibles d’accorder à leurs entreprises natio-
nales (articles 92 et 93 du traité sur l’Union européenne), les accords qui sont conclus entre
des entreprises et les abus de position dominante susceptibles d’en résulter (articles 85 et
86 du traité) ainsi que les concentrations (règlement européen du 21 décembre 1989). Elle
a ainsi la possibilité de s’opposer à des accords de fusion entre entreprises, dès lors qu’elle
peut démontrer que cela aboutirait à fausser la concurrence sur les marchés des entre-
prises concernées et à conférer à la nouvelle entité une position dominante, ou a créer une
situation de position dominante collective dans laquelle un nombre limité d’entreprises se-
raient en mesure de contrôler le marché par entente tacite. Sa Direction de la concurrence
a examiné 1 900 fusions au cours de la décennie 1990 et infligé des amendes à hauteur de
2 milliards d’euros mais n’a interdit que 18 fusions. Il faut cependant souligner que, dans la
dernière période, la Cour européenne de justice a cassé à différentes reprises les décisions
prises par la Commission en la matière. Sur 6 veto à des opérations de concentration émis
par la Commission, 3 ont ainsi été annulés par la Cour européenne de justice.
C’est en application des dispositions des traités concernant la concurrence que la Commission
européenne développe une politique visant en particulier à la disparition des monopoles pu-
blics nationaux là où il en existe, notamment en France. A priori, selon la Commission, ce n’est
pas le statut public des entreprises en tant que tel qui serait en cause. Les traités régissant
l’Union européenne n’impliquent pas, en effet, la privatisation des entreprises publiques
existant dans les différents pays européens, puisque la règle européenne « ne préjuge en
rien le régime de la propriété dans les États membres ». Ce qui poserait problème, c’est en
réalité le fait que certaines de ces entreprises publiques, les « opérateurs historiques », sont
en situation de monopole, comme c’était le cas en France il y a encore très peu de temps
et comme ça l’est encore pour certaines d’entre elles, de grandes entreprises publiques de
réseaux en situation de monopole naturel, dont la nationalisation avait de ce fait paru légi-
time à un certain moment de notre histoire (SNCF, EDF, GDF, France Télécom, la Poste, etc.).
Cette nationalisation apparaissant d’autant plus légitime que ces entreprises se sont souvent

394 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


vu confier une mission de service public, avec obligation de fournir un service satisfaisant à
l’ensemble de la population pour un prix comparable, indépendamment des contraintes de
localisation géographique et des conséquences en termes de coût de production du service
en résultant pour l’entreprise.
Mais cette mise en cause des monopoles publics par la Commission européenne n’est pas
elle-même sans soulever des interrogations dans la mesure où, concernant le statut de
monopole conféré à certaines entreprises de service public, le texte du traité de Rome
est ambigu et n’induit pas de lui-même clairement la condamnation des monopoles de
service public. D’une part, il énonce clairement que les dispositions adoptées par les
États-membres concernant les entreprises publiques et celles « auxquelles ils accordent
des droits spéciaux exclusifs » ne peuvent contrevenir aux règles définies par le traité qui
garantissent le jeu de la concurrence. Ces entreprises ne peuvent donc pas être soustraites
aux règles de la concurrence. D’autre part, il affirme que les services publics, c’est-à-dire
dans le langage du traité les entreprises « chargées de la gestion de services d’intérêt éco-
nomique général » ne sont soumises « aux règles de concurrence » que « dans les limites
où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la
mission particulière qui leur a été impartie ». En ajoutant cependant aussitôt après que « le
développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l’intérêt
de la Communauté » (article 86). L’article 16 du traité d’Amsterdam souligne par ailleurs
le rôle que jouent les services d’intérêt économique général « dans la promotion de la
cohésion sociale et territoriale de l’Union ». Ce qui justifie que « la Communauté et ses
État-membres, chacun dans les limites de leurs compétences respectives et dans les limites
du champ d’application du présent traité, veillent à ce que ces services fonctionnent sur la
base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions ».
C’est à la Commission de veiller à l’application de ces dispositions et d’adresser aux État-
membres « en tant que de besoin, les directives ou décisions appropriées ». La Commission
a ainsi adressé aux États-membres différentes directives concernant plusieurs secteurs d’acti-
vité : une directive télécommunication (90/388/CEE) modifiée (98/1/ CEE), une directive trans-
port de marchandises (92/106/CEE), une directive transport aérien (96/67/CEE), une directive
électricité (96/92/CEE), une directive gaz (98/30/CEE). Ces directives sont clairement des direc-
tives de libéralisation, ce que certains auteurs interprètent comme le signe que « l’ambiguïté
des principes du Traité a été tranchée en faveur d’un champ relativement étroit du secteur
public » (Hugounenq et Ventelou, 2002, p. 52). Pour les secteurs d’activité concernés par ces
diverses directives de la Commission européenne, « l’exception de la ‘‘mission particulière’’
prévue à l’article 90-2 n’a pas été retenue comme un fondement de la non-concurrence »
(id., p. 52). Il est exigé qu’une fraction au moins de la demande correspondant à ces secteurs
d’activité soit progressivement, selon des calendriers définis, ouverte à la concurrence. Cela
signifie concrètement que, faisant en quelque sorte fi des raisons objectives qui peuvent
expliquer l’existence de monopoles publics et/ou des choix de société dont leur existence est
l’aboutissement, la Commission européenne œuvre concrètement au démantèlement des
monopoles publics existants. Comme le soulignaient J.-P. Fitoussi et alii dans le Rapport sur
l’état de l’Union européenne 2000, « (...) depuis la signature en 1987 de l’Acte unique euro-
péen, au nom du respect de la concurrence, les services publics en Europe font l’objet d’une
politique systématique de libéralisation, de privatisation et d’ouverture à la concurrence,
télécommunications, transports aériens, transports ferroviaires, électricité, etc., conduite par
la Commission avec l’aval des gouvernements ».

La politique économique structurelle 395


Les raisons invoquées à l’appui de cette orientation sont diverses, mais on y retrouve fon-
damentalement le leitmotiv de la supériorité supposée de la concurrence sur toute autre
forme d’organisation de l’activité économique, quelles que soient en fait les circonstances ;
avec l’idée que, par conséquent, le démantèlement des monopoles publics et l’ouverture
à la concurrence des secteurs concernés doivent permettre de gagner en efficacité. Jean
Syrota, alors président de la Commission de régulation de l’électricité, traduit bien cette
conviction quand il déclarait que l’objectif des directives européennes de 1996 et de 1998
sur les marchés de l’électricité et du gaz est de « construire un marché européen de l’éner-
gie (...) plus efficace par la suppression des monopoles historiques ». Sachant que, selon
lui, « l’ère du monopole n’était pas (...) celle de la réglementation, mais celle du pouvoir
discrétionnaire et de la confusion entre service public et monopole, entre intérêt général
et intérêt du monopole, entre coût du service et prix à payer pour le monopole, vache à
lait, d’ailleurs souvent complaisante, du pouvoir public » (Le Monde, 28-05, 2002).
Pour la France, ces orientations se sont déjà traduites par la mise en œuvre de diverses
dispositions.
• En application de la directive européenne du 19 décembre 1996 sur l’ouverture du mar-
ché européen de l’électricité à la concurrence, le marché français de l’électricité a été ou-
vert à la concurrence successivement en 2000 pour les grandes entreprises, puis en juillet
2004 pour l’ensemble des professionnels. En juillet 2007 c’est le marché des particuliers
qui, à son tour, était ouvert à la concurrence. En octobre 2002, la Commission européenne
a par ailleurs mis en cause le statut d’établissement public industriel et commercial d’EDF.
Selon la Commission, ce statut permettait à EDF d’emprunter des capitaux avec la garan-
tie de l’État, puisque un EPIC, qui ne peut faire faillite, jouit par hypothèse de la garantie
de l’État. Il lui donnait ainsi la possibilité de s’endetter à de meilleures conditions que ses
concurrents, la caution accordée par l’État à EDF étant censée améliorer sa notation par
les agences financières et réduire de ce fait les taux d’intérêt qu’elle doit supporter sur ses
emprunts. Toujours selon la Commission, les aides financières indirectes dont EDF aurait
ainsi bénéficié ont contribué à financer son expansion qui s’est traduite en particulier par
des prises de participations dans des entreprises étrangères. La Commission a donc exigé
qu’EDF ne puisse plus bénéficier de la garantie de l’État pour ses emprunts, ce qui revenait
en fait à demander qu’elle perde son statut d’EPIC et passe donc à terme sous un statut de
droit privé. C’est ce qui s’est effectivement produit avec la transformation d’EDF en société
anonyme par le Parlement en juillet 2004. La Commission, qui a procédé à une estimation
chiffrée des avantages financiers dont EDF est supposée avoir bénéficié du fait de la ga-
rantie de l’État, a en outre demandé qu’EDF reverse la somme correspondante à l’État. Le
processus de privatisation de l’opérateur historique a par ailleurs été entrepris avec l’adop-
tion de la loi du 9 août 2004 autorisant l’État à céder 30 % du capital d’EDF et l’ouverture
effective du capital de l’entreprise à hauteur de près de 20 % en 2005.
• Le secteur des télécommunications est également ouvert à la concurrence depuis le 1er
janvier 1998 (et France Télécom est désormais privatisée). L’ouverture est totale pour la té-
léphonie mobile ainsi que pour l’accès au réseau internet. L’opérateur historique conserve
encore le monopole de fait du réseau local de téléphonie filaire. Mais ce monopole est
appelé à disparaître.

396 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• La Poste a perdu successivement son monopole sur la distribution des plis d’un poids
supérieur à 350 grammes, puis celui des plis supérieurs à 100 grammes (à partir du 1er
janvier 2003) et sur celui des plis supérieurs à 50 grammes depuis le 1er janvier 2006 et ne
conserve donc plus depuis cette date un monopole que pour les plis d’un poids inférieur
à 50 grammes, qu’elle est également appelée à perdre. Le statut de La Poste est en outre
appelé à se modifier. La direction de l’établissement public projette de le transformer en
société anonyme, puis d’ouvrir le capital à d’autres opérateurs (privés ou publics) à hauteur
de 20 % du capital total par une augmentation de capital, selon le modèle déjà testé avec
France Télécom, EDF et GDF32. Parallèlement a été signé en juillet 2008 le contrat de service
public entre La Poste et l’État, précisant pour la période 2008-2012 les missions d’intérêt
général confiées par l’État à La Poste et en estimant le coût global33.
• Le transport ferroviaire est également concerné par ce processus de libéralisation. La
réforme de la SNCF de 1997, inspirée par les directives européennes, ouvre la voie à une
réorganisation en profondeur permettant la mise en concurrence de la SNCF avec d’autres
compagnies ferroviaires. Cette réforme, comme déjà évoqué, a consisté à dissocier la pro-
priété du réseau et son exploitation. La propriété du réseau ferré et la responsabilité de
son entretien et de son extension éventuelle (réseau TGV) ont été transférées à une nou-
velle entité dénommée « Réseau Ferré de France » qui a pris en charge l’endettement
contracté antérieurement par la SNCF pour la construction et l’extension du réseau ferro-
viaire. La SNCF qui est ainsi déchargée de l’entretien et de l’extension du réseau paie en
contrepartie à RFF un droit d’utilisation du réseau. Ce repartage formel des droits de pro-
priété (en l’état actuel des choses c’est l’État qui est intégralement propriétaire du capital
de RFF et de la SNCF, mais les deux entités sont juridiquement distinctes et indépendantes)
qui aboutit à dissocier le réseau ferroviaire et son exploitation ouvre la voie à la mise en
concurrence de la SNCF (ultérieurement privatisée ?) avec d’autres exploitants nationaux
ou étrangers, les uns et les autres pouvant utiliser le réseau contre redevance versée à RFF.
Cette concurrence est désormais effective pour le fret.

*
En conclusion, il faut cependant souligner que la mise en œuvre de réglementations visant
à préserver la concurrence paraît bien incapable de contenir la tendance lourde du capita-
lisme à la concentration du capital et des entreprises. Comme on l’a déjà souligné, celle-ci
s’est affirmée avec particulièrement de force au cours des deux dernières décennies du XXe
siècle qui furent marquées, dans les pays capitalistes industrialisés et à l’échelle mondiale,
par un mouvement de fusions-acquisitions d’une puissance exceptionnelle. Si la crise des
marchés financiers de 2001-2002 l’a sensiblement freiné, le mouvement a repris à partir de
2005 avec une vigueur renouvelée avant de subir le contre-coups de la crise des subprimes.
Dans bien des secteurs d’activités ce mouvement de concentration n’a laissé subsister qu’un
petit nombre de très grandes entreprises. Il a également abouti à l’élimination d’une multi-
32 La Commission européenne a par ailleurs annoncé son intention de réaliser une étude sur les avantages financiers que
La Poste tirerait de son statut actuel d’établissement public et de l’avantage de concurrence que cela lui conférerait sur
les autres opérateurs du secteur postal (comme elle l’avait déjà fait pour EDF).
33 Ce contrat prévoie que « la question du financement du surcoût des obligations de service universel et, le cas échéant,
l’étendue des obligations de service universel de La Poste, sera posée pendant la période » (cité par Le Monde, 26-07,
2008, p. 11), ce qui, selon certains commentateurs, ouvrirait la possibilité d’une réduction ultérieure du périmètre de ces
obligations de service universel.

La politique économique structurelle 397


tude de PME/PMI de par le monde, et à l’augmentation du taux de salarisation34 ; en totale
contradiction donc avec le discours libéral ventant les vertus de l’esprit d’entreprise et appe-
lant à la création d’entreprises35. L’explosion, éphémère, du phénomène des « start up » de
feu la « nouvelle économie » a pu laisser penser, au cours de la seconde moitié des années
1990, que le renouveau libéral favorisait la création de nouvelles entreprises innovantes.
Mais nombre de ces entreprises n’ont pu résister à l’éclatement de la bulle spéculative de la
« nouvelle économie », et beaucoup de celles qui ont survécu ont été intégrées de fait à des
groupes plus puissants, rattachés le plus souvent à « l’ancienne économie ».
Il faut d’ailleurs observer que, dans les différents secteurs qui sont liés aux nouvelles techno-
logies apparues au cours des deux dernières décennies, les nouveaux marchés se constituent
d’emblée sur une base oligopolistique avec domination mondiale d’un très petit nombre de
très grandes entreprises. Pour se convaincre de cette mutation, il suffit de comparer le mar-
ché mondial des logiciels, sur lequel Microsoft a mis moins de 20 ans pour acquérir une po-
sition mondiale dominante, et le marché de l’automobile, qui a déjà plus d’un siècle, où les
produits, malgré une réelle tendance à l’uniformisation, présentent encore des différences
significatives d’un continent à l’autre, et où le processus de concentration est encore bien
loin d’avoir atteint l’intensité qui caractérise le marché des logiciels informatiques.

paragraphe 2 : la politique contemporaine de déréglementation


et de libéralisation des marchés

En dépit de son ancienneté, de la très grande variété de ses champs d’application et de


ses fondements, l’exercice par l’État de sa fonction de réglementation de l’activité écono-
mique nationale ne fait pas l’unanimité. Il fait en particulier l’objet de vives critiques de la
part de certains libéraux qui dénoncent traditionnellement ce qu’ils considèrent comme
le caractère « archaïque, sclérosant et paralysant » des réglementations que l’État impose
aux agents économiques privés (A). Ces critiques ont favorisé le mouvement de dérégle-
mentation et de libéralisation des marchés engagé depuis les années 1980, lequel n’est pas
sans soulever certaines interrogations (B).

A – Les critiques libérales de la réglementation


Différents théoriciens contemporains du courant libéral contestent, à des degrés divers, le
bien fondé de l’exercice par l’État de sa fonction de réglementation de l’activité écono-
mique nationale.
C’est le cas de certains auteurs de l’école de Chicago (Demetz), constituée dans les années
1980, qui discutent en particulier la légitimité des réglementations antitrust visant à pré-
34 Dans les pays en développement, ce sont des millions et des millions de petits paysans indépendants et d’artisans qui ont
été contraints, et continuent à l’être, de céder leurs exploitations et leurs outils de travail, de renoncer à leur statut de
travailleur indépendant pour, au mieux, compte tenu du chômage endémique que connaissent ces pays, devenir salariés,
éventuellement de la filiale locale d’une grande firme multinationale.
35 Tous les pays développés se sont cependant dotés de dispositifs de soutien des PME et d’aide à la création d’entreprises.
Les structures sont nombreuses : ministères spécialisés, agences gouvernementales, banques spécialisées (comme la banque
du développement des PME, créée en France en 1997), administrations centrales et collectivités locales. Elles constituent
un dispositif d’appui important dont l’efficacité tient souvent à la bonne coordination d’ensemble.

398 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


server le caractère concurrentiel du fonctionnement des marchés. Selon ces auteurs, si la
lutte concurrentielle sur un marché finit par déboucher sur la constitution d’un monopole,
c’est que cette entreprise est la plus efficace. Il serait donc irrationnel de la sanctionner en
la contraignant au démantèlement. De surcroît, selon ces auteurs, les profits plus élevés de
l’entreprise monopoliste seraient le résultat logique de son efficacité plus grande, et non
de sa domination du marché. Ils reconnaissent cependant l’effet stimulant de la concur-
rence, même lorsqu’elle celle-ci n’est que virtuelle.
Certains des auteurs qui appartiennent à cette école de Chicago défendent la théorie des
marchés contestables, déjà évoquée, selon laquelle l’existence sur un marché d’un nombre
limité de grandes entreprises, voire d’une seule entreprise, n’est pas contradictoire avec
un fonctionnement concurrentiel de ce marché dés lors que celui-ci présente les caractéris-
tiques déjà évoquées (absence de barrières à l’entrée et de coûts fixes irrécouvrables) qui
en font un marché contestable. Globalement, pour l’école de Chicago, l’économie ne peut
que gagner à une déréglementation permettant en particulier de supprimer l’ensemble
des obstacles réglementaires à l’entrée des firmes sur les marchés, ce qui ne peut que favo-
riser la disparition des rentes de situation.
La théorie de « la capture de la réglementation » explique que les hommes de l’appareil
d’État qui édictent la réglementation sont soumis aux pressions de multiples intérêts privés
et que, de ce fait, cette réglementation répond le plus souvent à des intérêts particuliers
et non à l’intérêt général. Selon l’école du public choice, déjà évoquée, l’activité politique
est comparable à un marché où se confrontent une offre politique, représentée par les
différents partis politiques et leur programmes respectifs en compétition pour la conquête
et/ou la conservation du pouvoir, et la demande politique des électeurs, soucieux que les
choix effectués par les pouvoirs publiques soient conformes à ce qu’ils estiment être leurs
intérêts. Le gouvernement élu dans ces conditions met nécessairement en œuvre une po-
litique qui répond aux intérêts de ses électeurs et non à l’intérêt général, en faisant sup-
porter le coût du financement de cette politique à l’ensemble des contribuables. Dans ces
conditions, il serait préférable de confier l’exercice de la fonction de réglementation à des
organismes indépendants, du type de la « Haute autorité de l’audiovisuel » ou de l’« Au-
torité de régulation des télécommunications », dirigés par des personnalités compétentes
et « indépendantes », désignées dans ces fonctions pour une durée nécessairement limitée
dans le temps36.
D’autres auteurs avancent encore l’idée que, même lorsque l’exercice par l’État de sa
fonction de réglementation paraît légitime, voire indispensable, il peut néanmoins être
préférable que celui-ci s’abstienne de réglementer et fasse confiance aux mécanismes de

36 On peut cependant faire à propos de ces « autorités indépendantes » les mêmes observations que celles qui ont déjà
été formulées lorsque l’on a évoqué la question de l’indépendance de la BCE à l’égard du pouvoir politique. Ajoutons
qu’il y a quelque part une incohérence dans l’analyse des auteurs qui préconisent ce type de dispositif. D’un côté, ils
adhèrent à une conception libérale qui voit dans chaque individu un calculateur égoïste motivé exclusivement par la
recherche de ce qu’il considère comme étant son intérêt propre, et ils appliquent cette grille de lecture à l’analyse du
comportement supposé des « bureaucrates ». De l’autre, ils postulent implicitement que les personnalités nommées au
comité de direction d’une haute autorité quelconque n’auraient d’autre préoccupation une fois nommées que l’intérêt
général que cette haute autorité serait chargée de définir et de faire prévaloir, sans se soucier de leur intérêt propre (par
exemple, quelle carrière après le passage à la haute autorité ?) et en demeurant imperméables aux pressions multiformes
des nombreux intérêts privés sur lesquels influent les décisions de la haute autorité. Par quel mystère les autorités de
régulation « indépendantes » pourraient-elles échapper durablement aux travers supposés des bureaucraties et résoudre
ainsi durablement le problème de la capture de la réglementation ?

La politique économique structurelle 399


marchés pour apporter une solution satisfaisante aux problèmes qui motivent l’existence
de sa réglementation. Ainsi, comme on l’a déjà évoqué, dans le cas d’externalités négatives
qui paraissent justifier l’adoption par l’État d’une réglementation contraignante, limitant
ou annulant la possibilité pour certains agents économiques privés de nuire à l’activité des
autres (réglementation antipollution par exemple), R. Coase37 (1960) soutient que, dès lors
que les droits de propriété sont clairement définis, les externalités peuvent être corrigées
en faisant jouer des mécanismes de marché. Dans le cas précis, la bonne solution consis-
terait en la mise en place d’un marché des droits à polluer, avec allocation aux entreprises
polluantes, par l’État ou une autorité indépendante, de droits à polluer susceptibles d’être
échangés sur ce marché. D’une part, les entreprises auxquelles sont attribués ces droits à
polluer qui ne les consomment pas intégralement, car elles recourent à des procédés de
production peu polluants, ont la possibilité de vendre les droits inutilisés sur le marché,
ce qui améliore leur rentabilité. D’autre part, les entreprises qui utilisent des procédés de
production très polluants, et génèrent de ce fait une pollution plus importante que celle
qui correspond aux droits à polluer dont elles bénéficient, sont contraintes d’acquérir des
droits à polluer supplémentaires sur le marché, ce qui pèse négativement sur leur rentabi-
lité et doit donc les inciter à réaliser des adaptations techniques de leur système produc-
tif permettant de réduire les pollutions. Le protocole de Kyoto concernant la lutte contre
l’effet de serre se réfère précisément à un tel dispositif de marché des droits à polluer.
Il faut cependant souligner que, si la mise en place de tels marchés va incontestablement
dans le sens d’une logique de l’extension de l’économie de marché comme modalité d’orga-
nisation de l’activité économique, elle requiert nécessairement l’intervention de l’État pour
organiser le marché, contrôler et réguler son fonctionnement (définition et attribution des
droits à polluer aux diverses entreprises, mise en place du système d’échange des droits entre
les entreprises, contrôle du niveau de pollution générée par les différentes entreprises).

B – La mise en œuvre de la politique de déréglementation et les interrogations


qu’elle soulève
Ces diverses contestations théoriques de l’exercice par l’État de sa fonction de réglemen-
tation ont alimenté le courant libéral qui s’est affirmé à partir de la fin des années 1970 et
prône la déréglementation des marchés et la libéralisation des économies des grands pays
développés. Aux États-Unis, c’est dès la fin de la décennie 1970 que le gouvernement a initié
le mouvement de déréglementation qui a d’abord concerné les transports (transport aérien,
chemins de fer, camionnage) avant de s’étendre à d’autres marchés.
Avec un certain décalage dans le temps par rapport aux États-Unis et à l’Angleterre, la France
s’est engagée à son tour, dès 1983, dans la voie d’une politique que l’on peut qualifier glo-
balement de politique de déréglementation et de libéralisation de certains marchés : mar-
chés des capitaux et de l’intermédiation financière, marché du travail, marchés de certains
biens et services… En ce qui concerne le système financier et de crédit, cela s’est traduit en
particulier par : 1) un ensemble de mesures aboutissant à décloisonner et déréglementer les
différents marchés de capitaux existants jusque-là, dans le but de créer un grand marché uni-
fié des capitaux accessible à l’ensemble des agents économiques ; 2) la refonte du statut des

37 Pour R. Coase, les externalités ne sont pas un échec du marché mais le résultat d’une définition insuffisante des droits
de propriété.

400 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


établissements de crédit par la loi bancaire de 1984 ; 3) l’abandon de l’encadrement du crédit
en 1987. Concernant le marché du travail, cela s’est traduit plus spécifiquement par la sup-
pression de l’autorisation administrative de licenciement ainsi que par divers aménagements
au Code du travail ayant abouti à instituer des formes de contrat de travail dérogatoires du
CDI (interim, CCD, CNE).
S’inscrivent également dans cette perspective de déréglementation et de libéralisation des
marchés :
1) le passage progressif à un régime de liberté totale des prix (cf. infra) ;
2) l’abandon du contrôle des changes puis la libération totale des mouvements de capitaux
avec la création du marché unique européen des capitaux ;
3) l’ensemble des mesures de déréglementation et de libéralisation de marchés tels que ceux
des télécommunications, du trafic postal, de l’énergie, etc., prises en application de direc-
tives européennes (cf. supra).
Cette politique de déréglementation et de libéralisation, comme celles qui ont été conduites
dans d’autres pays capitalistes développés, soulève diverses interrogations.
Les résultats de cette politique de déréglementation sont loin d’être unilatéralement posi-
tifs. Ainsi, par exemple, la déréglementation et la libéralisation des marchés de capitaux, qui
avait été présentées comme le moyen d’améliorer l’allocation des capitaux en permettant
de mieux ajuster les besoins et les capacités de financement et de faire baisser les taux d’in-
térêt, favorisant ainsi la croissance économique, se sont révélées être un facteur d’instabilité
de ces marchés. Les risques de crises systémiques se sont accrus (cf. supra, chapitre III), ce qui
favorise en soi la hausse des taux d’intérêt, dans la mesure où les détenteurs de capitaux sont
incités à exiger le paiement d’une prime de risque pour accepter de les prêter. De fait, la li-
béralisation des marchés de capitaux s’est accompagnée au cours des décennies 1980 et 1990
d’une forte hausse des taux d’intérêt réels qui ont alors atteint des niveaux historiques re-
cord. Une étude de Jean-François Vidal (2002, p. 363) montre ainsi que le taux d’intérêt réel,
au cours des années 1979-1999, a été sensiblement plus élevé que « ses valeurs habituelles au
cours du XXe siècle ». En moyenne annuelle, avant la Seconde Guerre mondiale, la période
au cours de laquelle le taux d’intérêt réel avait été le plus élevé est la période 1929-1937
(2,6 %). Après la Seconde Guerre mondiale, le taux d’intérêt réel était demeuré en moyenne
à un niveau très faible (inférieur à 2 %) et à certains moments négatif (1957-1964, - 0,7 % ;
1973-1979, - 1,2 %). En 1979-1989 il est passé à 3,2 % et en 1989-1999 à 5,4 %.
Il n’est par ailleurs pas acquis que la déréglementation et la libéralisation des marchés se
traduisent à moyen et long terme par de réels progrès dans le caractère concurrentiel des
marchés. Dans le transport aérien, par exemple, l’expérience montre qu’après une première
phase, relativement brève, au cours de laquelle la déréglementation et l’ouverture à la
concurrence se traduisent par l’apparition de nouvelles entreprises, le processus de concen-
tration reprend le dessus, les grandes compagnies aériennes internationales étant mieux
armées que les nouveaux arrivants pour rationaliser leurs activités et remplir leurs avions.
L’échec en France de la tentative de constituer un second pôle aérien (privé) à côté d’Air
France en est une illustration ; les avatars de plusieurs compagnies aériennes américaines en
sont une autre.

La politique économique structurelle 401


Dans diverses branches d’activité, autrefois sous le contrôle de monopoles publics natio-
naux, les concentrations et fusions affectant les entreprises privées qui se sont partagé le
marché des anciens monopoles publics sont en train d’aboutir à la constitution de quelques
grandes entreprises géantes en situation d’oligopole régional (l’Europe par exemple) ou
mondial. À l’échelle mondiale, le mouvement de fusions-acquisitions dans le secteur des
utilities (c’est-à-dire les services collectifs) est en plein essor. Elles avaient atteint 172 milliards
d’euros en 2005.
En Europe, les transformations qui se produisent dans le secteur du gaz et de l’électricité
sont particulièrement illustratrices de cette évolution. C’est ainsi qu’au sein de l’Union eu-
ropéenne, depuis les directives de la Commission européenne de 1996 et de 1998 libérali-
sant les marchés respectivement de l’électricité et du gaz, les fusions et OPA se multiplient :
création de E.ON en 2000 par la fusion des opérateurs allemands Veba et Viorg (38 milliards
d’euros) ; absorption de VEW par RWE. En 2001, EDF rachète 45 % du troisième électricien
allemand En BW, tandis que E.ON acquiert le deuxième électricien en Grande-Bretagne,
Powergen. En 2003, le même E.ON achète Ruhrgas, ce qui lui permet de devenir le premier
électro-gazier européen. En 2004, l’espagnol Endessa rachète 65 % de la SNET troisième
producteur d’électricité en France. En 2005, EDF acquiert 50 % d’Edison et devient ainsi le
deuxième producteur d’électricité en Italie. La même année, Gaz de France et Centrica, pre-
mier distributeur de gaz en Grande-Bretagne, acquièrent respectivement 25,5 % de SPE, le
deuxième électricien belge, tandis que Suez rachète les 49,9 % du capital qu’il ne détenait
pas encore du belge Electrabel. En 2004 toujours, l’espagnol Gas Natural lance un OPA (22,5
milliards d’euros) sur Endessa, tandis qu’EDF acquiert 25 % du suisse Atel. En février 2006,
E.ON surenchérit de 30 % (29,1 milliards d’euros) sur l’OPA de Gas Natural sur Endessa ; et le
gouvernement français annonce la fusion de GDF et de Suez (Le Monde, 15-06, 2006, p. 22).
Le projet de fusion de GDF et de Suez illustre particulièrement l’évolution vers la constitution
de firmes géantes à capitaux privés se substituant à l’ancien monopole public. Ce projet re-
vient en effet, en pratique, à substituer à l’ancien monopole public pour le marché français
du gaz qu’était GDF (jusqu’à la mise en œuvre par la Commission européenne de sa directive
de libéralisation du marché du gaz), un quasi-monopole privé pour les marchés français et
belge. La nouvelle entreprise issue de la fusion devrait être la première firme européenne
du secteur de l’énergie par son chiffre d’affaires (devançant l’allemand E.ON) et la seconde
par la capitalisation (derrière EDF), ce qui devrait la mettre en meilleurs position vis-à-vis des
pouvoirs publics français pour obtenir ce que réclamait dès 2005 le PDG de Suez, c’est-à-dire
la suppression des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité.
Une telle évolution n’a, au demeurant, rien de réellement surprenant en soi. Comme on l’a
déjà souligné, la théorie économique a clairement explicité les raisons pour lesquelles, dans
les activités de réseaux auxquelles correspondent en fait la quasi totalité des activités de
services publics, le jeu de la concurrence conduit naturellement au monopole. Les grandes
entreprises publiques en situation de monopole, qui ont été chargées en France d’assurer le
service public, sont historiquement l’aboutissement du processus conduisant dans les activi-
tés de réseaux à la constitution de monopoles naturels. La « libéralisation » de ces activités
qu’impose la Commission européenne et la réintroduction de la concurrence sur les marchés
correspondants ne peut qu’aboutir dans un premier temps à la privatisation des capitaux
engagés dans ces activités de services publics et, dans un deuxième temps, à la formation

402 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


d’un oligopole constitué d’un nombre limité de très grandes entreprises susceptibles de (et
incitées à) développer des pratiques de collusion, voire à la reconstitution d’un monopole
mais, cette fois ci, à capitaux privés.
Le processus d’intégration européenne pour les pays de l’Union européenne, et au-delà le
processus de mondialisation, ont pour conséquence que les « marchés » de ces anciens ser-
vices publics s’internationalisent. Ce qui explique que la déréglementation et la libéralisation
de ces marchés aboutissent en fait à la constitution de grandes firmes à capitaux privés opé-
rant non plus à l’échelle nationale mais à l’échelle internationale (échelle régionale avec les
pays de l’Union européenne ou mondiale) et, en conséquence, à la formation d’oligopoles
internationaux constitués, dans chaque secteur d’activité, d’un petit nombre de grandes so-
ciétés multinationales privées.
Ce processus, engagé depuis les années 1980, se poursuit de nos jours et paraît encore loin
de son terme. D’où la nécessité affirmée par certains auteurs d’une re-réglementation de ces
secteurs d’activité au niveau régional (l’Union européenne par exemple) ou même au niveau
mondial.
Certains auteurs soulignent par ailleurs le caractère « ambigu » des politiques de dérégle-
mentation. Dans certains cas, ce qui se produit est moins une déréglementation au sens strict
du terme (c’est-à-dire la suppression de réglementations préexistantes conférant aux agents
économiques privés des marges de manœuvre et des capacités d’initiatives plus grandes)
qu’une transformation de l’exercice du pouvoir de réglementation, liée à la création des
autorités administratives de régulation indépendantes, évoquées précédemment38. On serait
ainsi passé en réalité d’une forme ancienne à une forme nouvelle d’exercice du pouvoir de
réglementation.
Dans la forme ancienne, le pouvoir de réglementation était exercé par l’État lui-même, avec
cependant cette particularité, en France, que, dans certains cas, l’administration chargée
de concevoir la réglementation d’une activité donnée, de contrôler son application et de
sanctionner les éventuels manquements aux règles, était étroitement liée aux organismes
chargés de cette activité. Dans la forme nouvelle, ce n’est plus directement l’État en tant que
tel qui exerce la fonction de réglementation et de régulation mais ces « autorités administra-
tives indépendantes » qui, de par leurs statuts et l’origine des ressources qui leur permettent
d’exercer leur activité, sont « liées à l’État », tout en étant formellement indépendantes
des gouvernements en place (Duval, 2002). L’intérêt d’un tel dispositif est de permettre de
réaliser un gain potentiel d’efficacité fondé sur, d’une part, une identification précise des
diverses fonctions à assumer et, d’autre part, la distinction entre ceux qui exercent une ac-
tivité donnée et ceux qui la réglementent et la contrôlent, la spécialisation des tâches étant
de nature à éviter les dérives auxquelles ne manque pas de conduire la confusion des rôles39.
Mais la contrepartie de ce gain potentiel d’efficacité est un déficit démocratique, dans la
mesure où ces agences indépendantes finissent par échapper peu ou prou au contrôle poli-
tique des élus.
38 Le rapport de l’office parlementaire d’évaluation de la législation (OPEL) de juin 2006 recense 39 autorités administrati-
ves indépendantes qui vont de l’Autorité des marchés financiers au Conseil de la concurrence, en passant par le Conseil
supérieur de l’audiovisuel ou la Haute autorité de santé. Ces autorités administratives indépendantes ont comme carac-
téristiques communes que leurs membres qui sont élus par les hautes juridictions (Conseil d’État, Cour de cassation, Cour
des comptes) ou désignés en raison de leurs compétences disposent d’un mandat irrévocable et non renouvelable.
39 Comme l’ont amplement démontré dans un autre domaine l’affaire Enron-Andersen et la confusion réalisée au sein des
grands cabinets d’audit entre la fonction d’audit proprement dit et la fonction de conseil. Lorsque le même cabinet est
chargé de conseiller l’entreprise et de l’auditer dans l’intérêt de la collectivité, il existe un risque de conflit d’intérêts se
résolvant au détriment de l’intérêt général.

La politique économique structurelle 403


un exemple de mise en œuvre de la politique de déréglementation : la politique des
prix . Du blocage à la déréglementation/libéralisation des prix
La politique des prix appliquée en France depuis la Seconde Guerre mondiale a fait passer l’économie
française progressivement du blocage des prix à la déréglementation/libéralisation.

Les ordonnances de 1945 donnaient au ministère de l’Économie et des Finances le droit de prendre
« toutes décisions relatives aux prix et aux services », ce qui, dans le contexte de pénurie de l’après-
guerre, n’empêcha pas que les prix augmentèrent en moyenne de 42,5 % par an entre 1945 et 1949.
La situation se normalisa ensuite rapidement, et la décennie 1950 fut caractérisée dans l’ensemble par
une inflation modérée (+ 5,9 % par an entre 1950 et 1961). De 1950 à 1957 différentes mesures furent
adoptées : blocage des prix, baisses imposées des prix de certains produits, fixation de prix plafonds ou
de prix minima, limitation des taux de marge brute, tandis que la TVA était instituée en 1954 et que le
SMIG (salaire minimum interprofessionnel garanti), créé en 1950, était indexé sur les prix, contraignant
ainsi les pouvoirs publics à prêter une attention toute particulière à l’évolution de l’indice des prix à la
consommation.

À partir de 1958, année marquée par une forte poussée de l’inflation (+ 15 %) malgré des mesures
de blocage des prix (prévoyant néanmoins des dérogations), les pouvoirs publics s’engagèrent dans un
processus de libéralisation des prix qui fut cependant momentanément stoppé en 1963 (plan Giscard
D’Estaing de stabilisation), avec à nouveau le recours au blocage des prix des produits industriels, de
certains produits alimentaires et de certains services.

Dès 1964, dans un contexte de recul de l’inflation, les pouvoirs publics engagèrent une politique de « ré-
gulation contractuelle des prix » (contrat de stabilité en 1965, contrat de programme en 1966 et contrat
anti-hausse en 1971) dont la philosophie générale était d’obtenir une stabilisation globale des prix en
laissant aux entreprises une certaine latitude pour répartir les hausses et les baisses de leurs coûts de
production. Cette politique de régulation contractuelle reposait sur des engagements réciproques entre
l’État et les entreprises. Ces dernières pouvaient ainsi procéder à certaines hausses des prix en contrepar-
tie d’engagements sur leur politique de formation professionnelle ou d’investissement. L’État pouvait de
même faire bénéficier les entreprises qui limitaient les hausses de prix d’allégements de charges ou de
réductions d’impôts. Le blocage des prix fut cependant rétabli après la hausse de 6,4 % enregistrée en
1969 (accords de Grenelle de 1968, généralisation de la TVA au commerce en 1968 et relèvement des
taux, dévaluation du franc en 1969) dans le cadre du second plan Giscard D’Estaing.

Le début de la décennie 1970 est marquée par une montée de l’inflation qui s’accélère ensuite fortement
sous l’effet en particulier des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, avec une hausse du niveau général
des prix de 11,1 % en moyenne annuelle entre 1974 et 1980. Les pouvoirs publics réagissent (plan Four-
cade de refroidissement de 1974) en recourant au contrôle des prix industriels, puis au gel temporaire
des prix de tous les produits et services, et en instituant « un seuil limite d’augmentation des salaires »
(plan barre de lutte contre l’inflation), tandis que le taux normal de la TVA est réduit de 20 à 17,6 % en
1977. Mais, dès juin 1978, dans le cadre de l’orientation libérale de la politique économique de l’État
défendue par r. barre, est initiée une politique de libération des prix qui sera poursuivie jusqu’en 1981 ;
les prix des produits industriels et alimentaires sont libérés les premiers, cette libération étant ensuite
étendue progressivement aux prix des services.

Ce processus fut momentanément contrarié en 1982 avec le blocage temporaire des prix et des salaires,
sous la forme d’un blocage partiel des prix à la suite de la dévaluation du franc d’octobre 1881, puis d’un
blocage général après celle de juin 1982. À partir d’octobre 1982, et jusqu’à la troisième dévaluation du

404 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


franc en mars 1983, l’État cherche à sortir progressivement du blocage en associant au renforcement
de la réglementation dans des secteurs comme le commerce et les services, une politique contractuelle
dans l’industrie. Parallèlement, il engage une politique de hausse soutenue du prix du tabac qui s’est
poursuivie depuis.

La désindexation des salaires sur les prix qu’initia le gouvernement socialiste fut présentée comme un élé-
ment de la politique de désinflation qui allait devenir une orientation pérenne de la politique économique
gouvernementale. La désinflation s’amorça dès 1982 ramenant la hausse des prix de près de 13,5 % en
1981 à 2,5 % en 1986 (année du contre-choc pétrolier qui a fait baisser le prix du pétrole brut de 50 %).
Après un très léger rebond de l’inflation de 1986 à 1989, le mouvement de désinflation reprit. La TVA fut à
nouveau réduite à quatre reprises entre 1988 et 1992, mais le taux normal fut relevé de 18,6 % à 20,6 %
en 1995 (plan Juppé). L’ordonnance de 1945 a été abrogée en 1986. À partir de cette date les prix se fixent
librement sur les marchés sans intervention de l’État. Seuls quelques prix demeurent soumis à contrôle
comme les prix de médicaments, des livres, de l’électricité, du gaz, etc. Le caractère libéral de la politique
des prix est donc affirmé avec éclat, et sera confirmé sans exception par les gouvernements ultérieurs.

La politique économique structurelle 405


Section 3 : L’orientation par l’État de l’activité et du
développement économiques

Outre son engagement direct dans la production de biens et services et son action de ré-
glementation de l’activité des agents économiques, l’État a cherché et cherche encore de
nos jours, sous des formes éventuellement renouvelées, à impulser et orienter l’activité
des différents acteurs de la vie économique. Ce faisant, il cherche à favoriser une évolu-
tion à long terme de l’économie nationale en cohérence avec ses objectifs fondamentaux.
Entrent (ou sont entrés) dans ce champ, plus spécifiquement, le recours de l’État à la pla-
nification de l’activité économique nationale et la politique d’aménagement du territoire
(§ 1). Y entrent encore toutes les politiques sectorielles par lesquelles l’État, soit par des
interventions directes, soit par des mesures incitatives, cherche à garantir un développe-
ment plus satisfaisant d’activités (la recherche scientifique et technique, par exemple), de
secteurs (les transports, l’agriculture, l’industrie, les services marchands...) jugés essentiels
pour la préservation du potentiel de croissance ou l’indépendance du pays. Parmi ces dif-
férentes politiques sectorielles, la politique industrielle a longtemps occupé en France une
place prééminente (§ 2).

paragraphe 1 : la maîtrise et l’orientation du développement :


la planification et la politique d’aménagement
du territoire

Après la Seconde Guerre mondiale, pour peser sur l’évolution de l’activité économique et
l’orienter conformément à ses objectifs, l’État ne s’est pas contenté de jeter les bases d’un
secteur public puissant. Il s’est également doté d’instruments d’action diversifiés, d’inspi-
ration relativement dirigiste, tels que la planification indicative ou la politique d’aména-
gement du territoire, destinés à lui permettre d’influer sur les décisions des agents écono-
miques privés et de les orienter dans le sens souhaité. L’utilisation de ces instruments n’a
guère soulevé d’objections jusque dans les années 1970, c’est-à-dire pendant toute une
période où l’intervention de l’État était très largement jugée légitime et gage non seule-
ment du respect de l’intérêt général mais également, le plus souvent, d’efficacité face aux
défaillances du marché et de l’initiative privée.
Mais, depuis les années 1980, l’utilisation de certains de ces instruments a progressivement
été remise en cause. Cela ne signifie pas que l’État ait nécessairement renoncé à exercer
les fonctions qu’il assumait autrefois à l’aide de ces instruments, mais les procédures uti-
lisées sont différentes ; celles-ci, désormais, font le plus souvent jouer un rôle essentiel à
la contractualisation (contrats de plan, contrats de plans État-régions, contrats de villes,
etc.)40. Si l’État a finalement abandonné l’outil de la planification (A), il a maintenu, tout
en l’adaptant, sa politique d’aménagement du territoire (B).

40 Cette évolution s’inscrit dans le mouvement plus général engagé depuis la fin de la décennie 1970, de « redéploiement
de l’action publique qui adopte davantage une fonction d’allocation que de direction, de régulation que d’intervention
directe » (Chantepie et alii, 1997, p 79).

406 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A - La planification « à la française »
La planification française est née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale en appli-
cation du programme du Conseil national de la Résistance, et c’est en 1946 que fut créé le
Commissariat général au plan. Sa conception a évolué dans le temps. Très directive dans le
premier plan, avec des objectifs sectoriels précis, elle fut par la suite de plus en plus indica-
tive avant de tomber progressivement en désuétude.
Le plan fut initialement conçu comme un instrument essentiel d’orientation de l’activité
économique nationale ; on a pu parler de « l’ardente obligation » du plan. Ce fut une pièce
essentielle dans le dispositif de conduite de la politique économique de l’État jusqu’au
début des années 1970. Élaboré par l’État en concertation avec les partenaires sociaux,
le plan est alors un moyen d’information et un document qui récapitule les principales
orientations de l’action économique et sociale de l’État pour la période concernée. C’est
aussi un instrument d’incitation. La planification française est indicative. Le plan vise en
fait à coordonner, orienter et impulser l’action des différents acteurs économiques. La
préparation du plan donne lieu à une concertation entre les « partenaires sociaux » dans
des commissions qui travaillent par branches ou par thèmes, et auxquelles participent éga-
lement des représentants de l’État ainsi que des personnalités qualifiées. La réalisation du
plan n’implique aucune contrainte pour les entreprises, mais repose sur la mise en œuvre
par l’État d’incitations financières diverses.
Son rôle a été très important dans les années 1950 puis 1960. Les Trente Glorieuses ont ain-
si correspondu à « l’âge d’or » de la planification41. Les trois premiers plans ont couvert la
période 1947-1961. Le premier plan ou « Plan de Modernisation et d’Équipement » (1947-
1953), dit encore « plan de reconstruction », a été consacré, comme son nom l’indique,
à la reconstruction d’après-guerre. Il a permis de répartir l’aide du plan Marshall tout
en concentrant les moyens du pays sur les secteurs de base (électricité, charbon, ciment,
acier, transports, équipement et machinisme agricole) dont le redressement rapide était
indispensable au développement de l’économie nationale. Avec le deuxième plan (1954-
1957) l’accent fut mis sur la recherche des gains de productivité, tandis que le troisième
plan (1958-1961) se donnait pour objectif de préparer l’économie française à affronter la
concurrence européenne résultant de l’entrée dans le Marché commun.
Au cours des années 1960, le plan est destiné à stimuler et à organiser la croissance éco-
nomique qui s’effectue alors à un rythme très soutenu. Le quatrième plan (1962-1965)
met l’accent sur la réalisation d’investissements collectifs (éducation, santé, aménagement
urbain) et sur la recherche d’une répartition plus équitable des fruits de la croissance, à tra-
vers la mise en œuvre d’une politique des revenus. Le cinquième plan (1966-1970) donne la
priorité à la restructuration du tissu productif, avec la création dans les différents secteurs,
et en particulier dans les « activités de pointe », de grands groupes industriels nationaux
capables d’affronter la concurrence étrangère (subventions et mesures fiscales favorisant
les fusions et absorptions).
Le déclin de la planification s’amorce au début des années 1970 et coïncide donc avec l’en-
trée de l’économie française dans la longue phase de crise du dernier quart du XXe siècle.
Le sixième plan (1971-1975) donnait la priorité aux investissements industriels et visait à
41 Gaulle (de) L. [1994], L’avenir du plan et la place de la planification dans la société française, Rapport au Premier Ministre,
La Documentation française, Paris.

La politique économique structurelle 407


améliorer « l’environnement des entreprises ». Mais il sera mis à mal par les perturbations
monétaires internationales du début des années 1970, le premier choc pétrolier et l’en-
trée de l’économie française dans la crise économique durable. Aucun de ses objectifs en
matière de croissance, d’emploi et d’inflation ne sera atteint. L’utilité de la planification
commence alors à être mise en doute. Une planification d’ensemble paraît désormais irréa-
liste à beaucoup en raison de l’impact croissant de la contrainte extérieure sur la marche
de l’économie française. L’État renonce en fait à prévoir l’évolution à moyen terme de
l’économie nationale et à l’orienter globalement. « L’ardente obligation » est de moins
en moins d’actualité depuis cette période qui ouvre en fait une phase de « crise de la pla-
nification » (de Gaulle, 1994). Le septième plan (1976-1980) opte pour une « planification
partielle ou sélective », avec la définition de « programmes d’actions prioritaires » (PAP)
qui correspondent à des objectifs bien délimités, les seuls pour lesquels sont dégagés des
moyens adéquats. Le huitième plan, prévu pour la période 1981-1985, n’est pas appliqué,
suite au changement politique de 1981, mais remplacé par le plan intérimaire de 1982-
1983 qui s’inscrit dans la logique de la politique économique appliquée entre 1981 et 1982.
La réforme de la planification contenue dans la loi du 29 juillet 1982 vise à conforter le
rôle de la planification dans le dispositif global de l’action publique. Le plan doit être ap-
prouvé par la représentation nationale sous forme de deux lois de plan qui déterminent
respectivement les objectifs du plan et les moyens, et en particulier financiers, mobilisés
pour les atteindre. Les régions sont associées à l’élaboration du plan avec la mise en œuvre
de la procédure des contrats de plan État-région. Malgré cette réforme, dans un contexte
marqué par l’affirmation du mouvement de libéralisation de l’économie nationale et de
mondialisation déjà évoqué, la crise de la planification va se poursuivre. Seul le neuvième
plan sera élaboré conformément à la réforme de 1982. Après les déconvenues de la « po-
litique des créneaux », ce neuvième plan (1984-1988) est axé sur le développement de l’in-
dustrie française en filières cohérentes (cf. infra). Des contrats sont signés entre l’État et les
régions (en particulier pour favoriser la réalisation d’infrastructures) ainsi qu’entre l’État
et les entreprises publiques (contrats de plans). Le plan définit 12 programmes prioritaires
d’exécution (PPE), tels que l’utilisation plus rationnelle de l’énergie ou la modernisation
du système de santé et la maîtrise de sa gestion. La planification demeure indicative en
privilégiant cependant nettement sa dimension incitative. Le dixième plan (1989-1992),
conçu sur le même modèle que le neuvième, peut s’analyser après coup comme la dernière
tentative de promouvoir la fonction planificatrice de l’État. Il donne la priorité à la lutte
contre le chômage et l’exclusion. il définit cinq objectifs prioritaires de l’action de l’État :
l’éducation et la formation, la recherche et la compétitivité, la solidarité, l’aménagement
du territoire et la rénovation du service public (Chantepie, 1997, p. 81). Il n’y a plus d’ob-
jectifs chiffrés. Le plan se borne à récapituler les actions qui paraissent souhaitables et à
énoncer des préceptes censés pouvoir être utiles aux agents économiques nationaux. Le
onzième plan, élaboré en 1993 ne sera pas adopté par le Parlement.
En fait, à partir des années 1990, le plan se réduit à des études de marchés et à l’énoncé
de préceptes sans objectifs, ni moyens, ni échéancier ; la planification à la française des
années 1950 et 1960 n’est plus qu’un souvenir. L’intérêt de la planification est ouverte-
ment contesté. Pour certains analystes, le maintien d’une démarche planificatrice dans une
économie de plus en plus ouverte sur le monde et soumise par conséquent à des influences
extérieures puissantes et souvent imprévisibles deviendrait de plus en plus difficile, voir ri-

408 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


goureusement impossible, d’autant que les excès de l’interventionnisme étatique auraient
conduit aujourd’hui à la quasi disparition des capacités d’adaptation et de réaction de
l’État à un environnement évolutif (le syndrome du mammouth). Ils seront entendus par
le pouvoir politique ; le rôle du plan sera de plus en plus restreint jusqu’à la décision finale
de sa suppression et de la dissolution du Commissariat général au plan en 2005, remplacé
en 2006 par le Centre d’analyse stratégique. Le processus de construction européenne qui
a abouti à dessaisir l’État de certains de ses moyens traditionnels d’action tels que les aides
et subventions aux entreprises ou la sélectivité du crédit ne pouvait que contribuer à cette
mise en désuétude de la planification42.

B - La politique d’aménagement du territoire


Cette composante de la politique structurelle de l‘État a normalement pour objectif prin-
cipal de contribuer à assurer un développement équilibré du territoire national (notion
d’équilibre territorial) dont la nécessité avait été mise en évidence dès 1947 par le célèbre
ouvrage de Jean-François Gravier Paris et le désert français. L’État en est le maître d’œuvre
mais agit en collaboration avec une pluralité d’acteurs, et en particulier les différentes
collectivités locales. C’est très largement une politique incitative. Les moyens mis en œuvre
sont de deux types :
1) des réglementations permettant aux pouvoirs publics de contrôler les implantations
d’activités, comme « la procédure d’agrément préalable aux constructions et extensions
de bâtiments industriels en région parisienne », instituée par le gouvernement dirigé
par Pierre Mendès-France, ainsi que des mesures financières incitatives (primes, avan-
tages fiscaux) dont peuvent bénéficier les entreprises investissant dans des zones géo-
graphiques délimitées par l’État ;
2) l’engagement direct de l’État dans l’aménagement de ce qui peut constituer des pôles
de développement (construction de ports autonomes, création de villes nouvelles, amé-
nagement des grandes métropoles régionales) ainsi que la réalisation de grands équipe-
ments et en particulier des infrastructures de transport et de communication structurant
le territoire national.
En France, les débuts de la politique d’aménagement du territoire datent du milieu des
années 1950. Jusqu’au début des années 1970, cette politique, dans une économie en forte
croissance, a pour objet de limiter la tendance naturelle à la polarisation des activités et
des hommes et à un développement déséquilibré du territoire national, avec les consé-
quences qui en résultent : d’un côté, une surdensification urbaine avec son cortège de
déséquilibres tels que pollution, urbanisation anarchique, difficultés de circulation, hausse
du prix du foncier, etc. et, de l’autre, la désertification de certains territoires. Il s’agit donc
en fait, pour l’essentiel, de tenter de contrôler le développement de l’Île-de-France, béné-
ficiaire de ce phénomène de polarisation, au profit du reste du territoire métropolitain,
mais également de favoriser un rééquilibrage entre l’Ouest et l’Est du pays, et de contri-
buer au développement des zones rurales.

42 Il ne subsiste plus aujourd’hui de la démarche planificatrice que diverses lois d’orientation pluriannuelles, et les contrats
de Plan État-régions

La politique économique structurelle 409


Le gouvernement de Pierre Mendès-France lance à la fin de l’année 1954 un plan national
d’aménagement du territoire qui se traduit en particulier par des incitations en faveur des
entreprises industrielles et la création de comités régionaux d’expansion économique. En
1955 sont créées les sociétés de développement régional chargées d’orienter l’épargne ré-
gionale vers le financement d’investissements réalisés dans les régions. En 1956 sont créés
les 22 « régions de programmes » qui seront transformées en établissements publics en
1972, avant de devenir des collectivités locales à part entière avec la loi de décentralisation
de mars 1982. En 1960 est créé le Comité interministériel d’aménagement du territoire
(CIAT) puis, en 1963, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale
(DATAR) qui reçoit pour mission « de préparer et de coordonner les décisions gouverne-
mentales en matière d’aménagement du territoire et d’action régionale ». Le sixième plan
(1966-70) définit huit « métropoles d’équilibre », c’est-à-dire des villes ou agglomérations
de province susceptibles de constituer des pôles de développement régional, tandis que
l’État se lance dans la création de villes nouvelles.
À partir des années 1970, alors que le développement de la crise durable se traduit par
des difficultés massives dans certains secteurs d’activité (sidérurgie, mines, chantiers na-
vals, etc.) et les régions où ils sont concentrés, et que s’accroît le chômage, les objectifs de
la politique d’aménagement du territoire évoluent. Il ne s’agit plus tant de favoriser un
développement équilibré du territoire et dans ce cadre de réduire le déséquilibre entre
la région parisienne et la province, que de permettre à certaines régions bien définies où
les conséquences de la crise se font plus particulièrement sentir de se reconvertir vers de
nouvelles activités et d’accueillir de nouvelles entreprises, ce qui se traduira par la création
des pôles de conversion et d’adaptation.
À partir de la loi du 2 mars 1982, les lois de décentralisation transfèrent aux collectivités
locales certaines compétences de l’État central (formation professionnelle, construction
et entretien des lycées pour les régions, collèges et action sociale pour les départements,
écoles primaires, réseaux de transport et urbanisme pour les communes), ce qui leur per-
mettra de jouer un rôle plus actif dans la mise en œuvre de la politique d’aménagement
du territoire pour ce qui relève de leur domaine de compétence respectif43. En 1984 sont
institués 14 pôles de conversion (bassin sidérurgique lorrain, Caen, le Nord et la vallée de la
Meuse, certains ports méditerranéens, les bassins miniers du Massif Central, etc.) sur lesquels
doivent être concentrées des aides diverses (aux entreprises, à l’habitat). La politique anté-
rieure de préservation de l’équilibre entre la région parisienne et la province n’est pas aban-
donnée pour autant. En 1991, le gouvernement adopte ainsi un plan, dont la réalisation est
étalée jusqu’en 2000, de délocalisation de 30 000 emplois publics de Paris vers la province44.
43 Dans le cas de la France, il est incontestable que le rôle des collectivités locales en matière d’action économique s’est
sensiblement renforcé. Elles jouent un rôle prépondérant en matière d’investissements publics, puisque le total de leurs
investissements représente le double des investissements civils de l’État. Elles ne disposent cependant pas d’une compé-
tence économique générale mais seulement de facultés d’intervention délimitées, complétées par le rôle accru qui est
le leur dans les politiques transversales de formation, d’action sociale, d’urbanisme, d’aménagement, etc. Elles ont la
faculté de créer des sociétés d’économie mixte pour gérer des services publics d’intérêt local ou conduire leur politique
d’aménagement. Elles peuvent accorder des aides financières aux entreprises : primes régionales à la création d’entreprises
et primes régionales à l’emploi qui sont versées par les régions avec des compléments éventuels des communes et des
départements. Elle peuvent également adopter des mesures diverses destinées à améliorer l’environnement des entreprises
(infrastructures de transport, aménagement de zones d’activité, construction et location de bâtiments industriels), accor-
der des garanties d’emprunts et bonifications d’intérêts et financer le développement de la formation professionnelle.
44 Un bilan officiel établi au 30 juin 2001 faisait apparaître que 22 214 emplois avaient été effectivement transférés en pro-
vince et 5 750 étaient en cours de transfert. L’objectif fixé était donc pratiquement atteint. Cependant, durant la même

410 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le 4 février 1995 est adoptée la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement
du territoire, dite loi Pasqua, qui vise à relancer la politique d’aménagement du territoire en
précisant/redéfinissant ses objectifs dans le contexte des années 1990. Elle sera suivie en 1999
de la loi d’aménagement et de développement durable du territoire, dite loi Voynet, puis de
la loi Chevènement de juillet 1999. La loi de 1995 institue une nouvelle entité, le pays, tandis
que la loi Voynet de 1999 introduit à côté de la notion de pays, celle d’agglomération qui
concerne les villes et les régions urbaines. Compte tenu de la persistance de l’accentuation
des inégalités régionales de développement (cf. infra) dont la réalité est indéniable, l’objec-
tif assigné à la politique d’aménagement du territoire par la réforme de 1995 est désormais
principalement « de renforcer la cohésion des différentes parties constitutives du territoire
national en mettant l’accent sur le développement des régions défavorisées ».
Les nouvelles lois de décentralisation adoptées par le Parlement en juillet 2004, ont transféré
de nouvelles compétences aux collectivités locales. Elles leur confèrent ainsi un rôle accru
dans la responsabilité de la définition de la conduite de la politique d’aménagement du
territoire, rôle qui s’appuie plus particulièrement sur le fait que les investissements réalisés
par les administrations publiques locales sont, en valeur absolue, deux fois plus élevés en
moyenne que ceux de l’État proprement dit.
Les résultats obtenus par la politique d’aménagement du territoire ne sont pas négligeables,
puisque l’on estime, par exemple, à un million le nombre d’emplois qui auraient été créés
en province avec des primes d’aménagement du territoire depuis le milieu des années 1950.
Mais le bilan global de la décentralisation et de la politique d’aménagement du territoire
est néanmoins contrasté.
D’une part, comme l’ont montré les résultats du recensement de 1999, si le pays continue
à s’urbaniser (77 % de la population vit en zone urbaine), il se produit parallèlement un
rééquilibrage entre la région parisienne et les grandes métropoles régionales. Paris et sa
petite couronne perdent des habitants. L’Île-de-France a progressé deux fois moins vite
durant la décennie 1990 que durant la décennie 1980. Parallèlement, la population des
métropoles régionales augmente (phénomène de métropolisation). Celles-ci ont enclen-
ché un cercle vertueux du développement. Parallèlement, le poids démographique des
villes ayant de 50 000 à 150 000 habitants s’est légèrement accru, tandis que « leur emploi
a crû plus vite que la moyenne » (Davezies et Vetz, 2006, p. 24). Le phénomène récent le
plus marquant est cependant celui de la poursuite de l’amplification du mouvement de
périurbanisation qui continue à représenter la contribution la plus forte à la croissance de
la population. La moitié de la population française vit aujourd’hui dans des villes de moins
de 10 000 habitants dont le taux de croissance annuel moyen est passé de 0,5 % entre
1990 et 1999 à 0,9 % entre 1999 et 2004-2005 (Insee, 2006). La formule « Paris et le désert
français » paraît donc aujourd’hui largement dépassée.
Mais, d’autre part, les écarts de richesse entre régions se sont amplifiés. La différence de
capacité contributive des citoyens entre le département le plus riche et le plus pauvre a
été multipliée par trois en 20 ans. La charge que représentent les impôts locaux pour les
ménages varie de plus en plus d’une région à l’autre. Aux inégalités sociales s’ajoutent
ainsi des inégalités géographiques, de sorte que se superposerait à la « fracture sociale »
une « fracture géographique ». Les écarts de revenus sont cependant plus faibles que les

période, ont été créés à Paris un nombre d’emplois publics identiques à celui des emplois transférés hors de la capitale.

La politique économique structurelle 411


écarts de richesse en raison de l’impact des mécanismes de redistribution. C’est ainsi que la
région Île-de-France qui produit 29 % du PIB ne représente que 22 % du revenu disponible
brut de l’ensemble des ménages français. En fait, selon Daveziez et Vetz (2006, p. 24), les
inégalités en termes de revenu par habitant entre les régions et les départements ont
tendance à se réduire. Mais, par contre, ces inégalités « qui diminuent à l’échelle du pays
s’accroissent au contraire aux échelles locales, en raison, soit des problèmes d’exclusion
urbaine, soit des crises d’emploi localisées dans de petits bassins d’emploi » (id., p. 24). Ces
inégalités s’accroissent au sein même des agglomérations « entre les communes riches (de
plus en plus riches) et les communes pauvres (de plus en plus pauvres). Le potentiel fiscal
varie de 1 à 5 de Drancy à Neuilly sur Seine » (id., p. 24).
Le territoire national apparaît aujourd’hui très déséquilibré, avec 80 % des Français qui
vivent sur 20 % du territoire à la fin des années 1990 contre 60 % des Français vivant sur
40 % du territoire un siècle plus tôt. En 2000, le tiers des régions françaises représentait
les deux tiers du PIB total de la France. L’Île-de-France qui regroupe 19 % de la population
française sur 2,2 % du territoire représente de l’ordre de 29 % du PIB national (28,6 %
en 2000 et 29 % en 2003), après être passée de près de 27 % en 1975 à près de 30 % en
1993. Selon les comptes régionaux de l’INSEE, le PIB par habitant variait en 2000 du simple
au double entre la région la moins bien classée (Languedoc-Roussillon, 17 827 euros par
habitant) et la mieux classée (Île-de-France, 35 946 euros par habitant). Ainsi se dessinerait
« une France duale », avec « d’un côté les grands pôles urbains très insérés dans l’économie
internationale et qui en subissent les chocs de conjoncture ; de l’autre des territoires qui
vivent principalement de la redistribution » (id, p. 25).

412 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 2 : la politique industrielle

Au sens le plus strict, celui qui sera retenu ici, la politique industrielle correspond à l’en-
semble des interventions publiques qui sont explicitement et intentionnellement destinées
à influer sur l’évolution de l’industrie nationale. Elle peut-être globale et viser l’ensemble
de l’industrie, ou sectorielle et ne concerner alors que certains secteurs d’activité. Dans
certains cas, l’État intervient directement sur l’appareil industriel avec des moyens qui lui
sont spécifiques (création d’entreprises publiques prenant en charge la production de cer-
tains biens, lancement de grands projets industriels…). Dans d’autres cas, il intervient in-
directement. Il cherche alors à influer sur l’activité et les structures de l’industrie par les
commandes publiques, avec, par exemple, le rôle joué par les achats de matériels militaires
dans le développement de certaines branches d’activité (électronique, aéronautique, ma-
tériaux composites…), et en agissant sur « l’environnement des firmes » par des aides spé-
cifiques à l’investissement productif des entreprises, une politique commerciale destinée à
protéger certains secteurs de la concurrence étrangère, le développement de l’appareil de
formation professionnelle, le financement de la R&D…).
En France, comme dans la plupart des grands pays développés, la politique industrielle
a évolué depuis les années 1970, tant dans les objectifs qui lui sont assignés que dans
les moyens qui peuvent être utilisés pour les atteindre (A). Pour la politique industrielle,
comme dans d’autres domaines, la construction européenne aboutit à limiter la capacité
d’action indépendante de l’État. Celui-ci est contraint de se soumettre aux directives de la
Commission européenne pour laquelle la politique industrielle se confond largement avec
une politique de défense de la concurrence (B).

A – L’évolution de la politique industrielle de la France


Si la création de manufactures royales par Colbert au XVIIe siècle peut être considérée
comme l’ancêtre de la politique industrielle française, ce n’est cependant qu’après la Se-
conde Guerre mondiale que celle-ci devient réellement une composante permanente et
importante de l’action de l’État. De la fin de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début
des années 1980, l’État français a ainsi développé une politique industrielle active qui vi-
sait, dans un premier temps, jusqu’à la fin des années 1960, à stimuler le développement
industriel et à l’orienter en favorisant la constitution d’un appareil productif performant
dans des secteurs stratégiques et en développement rapide à l’échelle mondiale (aéronau-
tique, télécommunications, filière énergétique, électronique et informatique, transports
terrestres, etc.) puis, dans un deuxième temps, à adapter le système productif français aux
évolutions imposées par l’internationalisation puis la mondialisation.
Dans l’immédiat après-guerre, la priorité est donnée à la reconstruction. À cet effet l’État
se dote, comme on l’a vu, d’un important secteur public (cf. supra). En 1948 est créé le
Fonds de modernisation et d’équipement qui contribue au financement des investisse-
ments, et dont les ressources financières proviennent pour moitié de l’aide obtenue par la
France au titre du plan Marschall. L’État joue alors un rôle essentiel dans le financement

La politique économique structurelle 413


de l’investissement, 50 % à 60 % des investissements étant financés sur fonds publics entre
1947 et 1949.
La période de reconstruction proprement dite s’achève en 1949 et s’ouvre alors la phase de
modernisation. En 1955 est créé le Fonds de développement économique et social (FDES)
qui se substitue au Fonds de modernisation et d’équipement. Il s’agit d’un compte spécial
du Trésor chargé de favoriser l’investissement en accordant des prêts aux entreprises pu-
bliques ainsi que des aides diverses à l’investissement des entreprises privées et en partici-
pant au financement de programmes d’aménagement urbain réalisés par les collectivités
locales.
Pendant les années 1960 la politique industrielle s’adapte au contexte nouveau créé par
la mise en place du Marché commun. Elle vise à favoriser l’ouverture de l’économie fran-
çaise sur l’Europe et à l’adapter à une concurrence accrue. Cette période est marquée
par le lancement de grands programmes (en particulier dans les domaines touchant à la
défense nationale - aéronautique, informatique, etc. - en liaison avec le choix politique
de doter la France d’une force de frappe nucléaire totalement indépendante) qui stimu-
lent le développement et la modernisation des entreprises privées45. Parallèlement, l’État
appuie les opérations de concentration permettant de créer dans des secteurs essentiels
des entreprises performantes de grande taille : (les « champions nationaux », capables de
développer une stratégie internationale et de préserver leur part de marché à l’échelle
mondiale. Il soutient les exportations en faisant bénéficier les entreprises exportatrices de
crédits à taux privilégiés et d’assurances gérées par la COFACE qui les prémunissent contre
le risque économique. La consommation et l’investissement publics (entreprises publiques
et administrations publiques) qui représentent approximativement 18 % du PIB en 1974
connaissent alors une forte croissance. L’attribution des marchés publics devient ainsi un
élément essentiel de la politique industrielle. Parallèlement, les entreprises publiques sont
modernisées et leur mode de fonctionnement adapté afin de se rapprocher de celui des
firmes privées.
Après le premier choc pétrolier, la politique industrielle prend la forme de ce qui a été dé-
nommé la politique des créneaux. Celle-ci a consisté à favoriser la spécialisation de l’indus-
trie française et le « redéploiement industriel » sur les « créneaux porteurs » bénéficiant
d’une croissance rapide de la demande mondiale. En contrepartie, l’État cesse d’apporter
son soutien aux secteurs en difficulté « condamnés par la concurrence internationale » et
aux « canards boiteux ». L’innovation est encouragée et l’aide aux PME qui occupent une
place très importante dans le tissu productif français est développée. Des moyens impor-
tants sont mobilisés pour la défense de secteurs jugés stratégiques comme l’électronique
ou l’informatique, ou pour accompagner la restructuration en profondeur et les réduc-
tions massives d’effectifs dans certains secteurs traditionnels comme la sidérurgie. Dans ce
dernier secteur, l’État engagera ainsi entre 1975 et 1995 (date de la privatisation d’Usinor-
Sacilor qui rapporte à l’État une dizaine de milliards de francs) approximativement 100
milliards de francs d’aides publiques. Parallèlement, suite au premier choc pétrolier, le
gouvernement engage la France dans une politique énergétique très volontariste avec le
lancement d’un programme électronucléaire de très grande ampleur, largement financé
45 C’est le cas du premier « plan calcul » lancé en 1966 (1966-1970) qui se traduit par la création de la Compagnie internatio-
nale pour l’informatique (CII), laquelle va produire les gros ordinateurs nécessaires pour faire face aux besoins en matière
de défense, et sera suivi par le deuxième plan calcul en 1971-1979, puis par le troisième plan calcul en 1979-1981.

414 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


par appel à l’emprunt international, et la diversification des sources d’approvisionnement
en énergie (gaz naturel), complétée par des mesures (symboliques) d’incitation aux éco-
nomies d’énergie. Cette politique se traduira par un doublement en une douzaine d’an-
nées du taux d’indépendance énergétique (rapport de la production sur la consommation
d’énergie) de la France.
Cette politique des créneaux a eu pour effet un début de désarticulation et d’affaiblis-
sement du système industriel en faisant coexister des branches d’activité de plus en plus
tournées vers les exportations, mais entretenant de moins en moins de relations entre
elles, privant ainsi l’industrie française de synergies susceptibles de favoriser les gains de
productivité. La « politique des filières » qui lui a succédé a cherché à remédier à ces dif-
ficultés. Plutôt que de continuer à se spécialiser sur des créneaux étroits, on a cherché à
développer de manière cohérente des filières entières de production en reconstituant ou
en confortant éventuellement les maillons manquants ou faibles, de manière à pouvoir
gagner en compétitivité en faisant jouer les synergies au sein d’une filière entre ses diffé-
rentes composantes. Outre que son coût financier s’est révélé très élevé, les résultats de
cette politique furent cependant très mitigés.
Avec les nationalisations de 1982 la politique industrielle reprend de manière prédomi-
nante la forme d’interventions directes. En étendant son contrôle sur le système productif,
l’État cherche alors à se donner des moyens accrus pour relancer la croissance et améliorer
la situation de l’emploi. Les thèmes de la « reconquête du marché intérieur » et du « pro-
duire français » connaissent une faveur passagère. En prolongement des nationalisations,
l’État s’engage momentanément dans une politique de réorganisation des entreprises (le
« mécano industriel ») destinée à en améliorer l’efficacité tout en renforçant la cohérence
du système industriel.
Mais, à partir de la seconde moitié des années 1980, l’inflexion libérale s’est faite sentir, là
encore, par une réorientation de la politique industrielle. On passe d’un interventionnisme
actif de l’État dans la marche de l’industrie, s’inscrivant dans une logique sectorielle et
verticale, à une fonction moins ambitieuse « d’encadrement des mécanismes de marché »,
correspondant à des « politiques horizontales d’entreprises et indirectes » (Samson et alii,
2004, p. 437). La politique industrielle se concentre de plus en plus sur le développement
de la recherche, de la formation et des infrastructures devant permettre aux entreprises
de bénéficier des innovations, des travailleurs qualifiés et des infrastructures (voies de
communication, télécommunications…) dont dépendent aujourd’hui très largement leur
productivité et leur compétitivité.
Les moyens auxquels l’État peut recourir aujourd’hui pour mettre en œuvre sa politique
industrielle sont ainsi très différents de ceux dans il disposait à l’époque des Trente Glo-
rieuses, c’est-à-dire :

La politique économique structurelle 415


1) le plan qui lui permettait de définir (après concertation avec les principaux acteurs éco-
nomiques et sociaux du pays) des objectifs de développement à moyen terme, et de
veiller à ce que l’allocation des ressources soit cohérente avec les objectifs retenus ;
2) le système bancaire, très largement nationalisé, dont les financements pouvaient être
orientés vers les activités jugées prioritaires ;
3) le contrôle direct de certains secteurs clés de l’économie (énergie, transports publics,
communication et partiellement automobile) ;
4) l’existence de grands services publics qui pouvaient apporter une contribution active à la
conduite de la politique d’équipement du pays et de préservation de la cohésion sociale.
Dans le contexte contemporain de mondialisation productive et commerciale et de globa-
lisation financière qui, on l’a vu, limite la souveraineté des États et leur capacité d’action,
les principaux instruments susceptibles d’être utilisés pour la conduite de la politique in-
dustrielle sont très différents. Si les services publics marchands, de plus en plus soumis à
la logique du marché, « peuvent encore être influencés par des considérations d’intérêt
général » (Durieu, 2000, p. 13), leur mise sous tension concurrentielle et, pour certains
d’entre eux, leur dénationalisation ne peuvent qu’affaiblir, voire supprimer, la capacité de
l’État à les utiliser dans ce sens. Si les pouvoirs publics nationaux ou transnationaux (Com-
mission européenne) conservent encore un certain pouvoir de contrôle sur les opérations
de restructuration des firmes multinationales, de nombreux exemples récents illustrent
cependant les limites auxquelles se heurtent aujourd’hui l’action publique en la matière
(absorption d’Arcelor par Mittal en 2006, ou, plus significatif encore car ne concernant que
des entreprises à base française, l’incapacité de l’État français à faire prévaloir son point
de vue à propos de la bataille qui opposa en 1999 la Société générale et la BNP au sujet du
contrôle de Paribas). Si l’État et les autres collectivités peuvent moduler la fiscalité à des
fins de préservation de l’environnement (création d’éco-taxes) ou d’aménagement du ter-
ritoire (avantages fiscaux accordés aux entreprises s’implantant dans des zones délimitées),
ils doivent par ailleurs faire face à une concurrence fiscale (en particulier au sein de l’Union
européenne) qui restreint a priori la portée opérationnelle de certaines mesures et limite
la possibilité de recourir à certaines autres. Par contre, l’État peut jouer, et joue effective-
ment, un rôle important de stimulation et de développement de la recherche, en matière
de formation de la main-d’œuvre et en stimulant la création de nouvelles entreprises et en
particulier des PME innovantes.
Les plus récentes traductions de ces nouvelles orientations de la politique industrielle ont
été, selon Thierry Breton, alors ministre de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, la
création de 67 pôles de compétitivité, la mise en place de l’Agence de l’innovation indus-
trielle chargée de cofinancer des grands projets innovants des entreprises industrielles,
ou celle d’OSEO (par regroupement de l’Agence nationale pour la valorisation de la re-
cherche, la Banque de développement des PME et l’Agence des PME) destinée à favoriser
le développement des PME innovantes.

B - La construction européenne et la politique industrielle


Pour la politique industrielle, comme pour d’autres domaines d’intervention, la construc-
tion européenne aboutit à limiter peu à peu la capacité d’action autonome et discrétion-
naire de l’État. En s’appuyant sur les traités, la Commission européenne développe en effet

416 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


une « politique industrielle » qui se réduit pour l’essentiel à une politique de la concur-
rence consistant, en particulier, en un contrôle des concentrations et fusions d’entreprises
et des aides accordées par les États aux firmes46.
Dans l’esprit des rédacteurs du traité de Rome, jetant les bases du Marché commun, la
liberté des échanges et le développement de la concurrence sont conçus comme le moyen
de réaliser l’intégration des économies européennes et d’améliorer la compétitivité de
leur industrie, ce qui peut permettre de comprendre que la politique industrielle en tant
que telle ne soit pas évoquée dans le traité, à la différence de la politique agricole. Néan-
moins, dès la fin des années 1960, s’est manifesté une certaine volonté de définir ce qui
pourrait être considéré comme une véritable politique industrielle européenne « censée
à la fois coordonner les politiques communautaires sectorielles et régionales, organiser
les politiques nationales, et compléter les politiques communautaires de la concurrence
et commerciales » (Samson et alii, 2004, p. 492). Il s’agissait en particulier de renforcer les
entreprises européennes afin de leur permettre de s’imposer sur les marchés extérieurs à
la Communauté. Les moyens mobilisés ne furent cependant pas à la hauteur de l’objectif
visé, et la Communauté européenne échoua par conséquent à concrétiser cette volonté.
Au cours des deux décennies qui suivent, au lieu de la politique industrielle globale et
active dont la nécessité est cependant réaffirmée sans plus de succès, c’est une logique
strictement concurrentielle qui va s’imposer au niveau communautaire. Si l’idée d’une po-
litique industrielle européenne resurgit à nouveau au début de la décennie 1990, c’est
principalement dans l’optique d’une « approche horizontale » visant à agir sur l’environ-
nement des entreprises. En sorte que, si le traité de l’Union européenne institutionnalise
en quelque sorte la politique industrielle, celle-ci est dans les faits largement « vidée de
sa substance » en étant expressément subordonnée à la politique de la concurrence (id.,
p. 497)47 ; ce que traduit explicitement le rapport du Conseil d’analyse économique (2001)
lorsqu’il présente le traité de la manière suivante : « Maastricht ou la reconnaissance - éli-
mination des politiques industrielles ».
Si les États-membres restent formellement libres de recourir à la politique industrielle,
celle-ci doit cependant respecter les règles et principes énoncés par les traités et dont la
Commission veille à l’application48.
Les concentrations industrielles, réalisées à l’initiative des seuls agents économiques privés
ou impulsées par les pouvoirs publics, ne doivent pas porter atteinte au fonctionnement

46 Comme le souligne Durieu (2000, p. 15), « l’Union européenne, en accordant une priorité absolue à la concurrence, au
détriment de la coopération interentreprises, du service public, qui devient une exception à la règle du marché, et des
aides d’État, ne laisse-t-elle qu’une marge de manœuvre limitée pour l’action des dits États. Certes ceux-ci ont encore
la disposition de leur budget qui doit cependant satisfaire aux critères édictés à Maastricht. Ils sont encore maîtres de
leur politique de formation et de recherche, ils peuvent encore décider du choix de leurs infrastructures, mais ils sont
dépossédés du mode de gestion du service qui les utilise, ils peuvent encore disposer d’entreprises publiques, mais ils
subissent des pressions énormes pour les privatiser, ils peuvent encore œuvrer pour orienter les fusions d’entreprises (…)
mais ces alliances peuvent être désavouées sans recours par la Commission européenne ».
47 L’article 157 du traité de l’UE (article unique formant le titre « Industrie ») précise que : « La Communauté et les États
membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l’industrie de la Communauté soient assurées »,
en précisant cependant que « le présent titre ne constitue pas une base pour l’introduction, par la Communauté, de
quelque mesure que ce soit pouvant entraîner des distorsions de concurrence ».
48« Pour ce qui concerne la politique de la concurrence et donc la politique industrielle, la Commission européenne cumule
les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires au terme des différents traités européens. Comme de surcroît les traités
ne contiennent aucune orientation précise en la matière, c’est donc la Commission elle-même qui détermine la doctrine
en vigueur » (Fitoussi, Rapport sur l’état de l’Union européenne, 2000).

La politique économique structurelle 417


concurrentiel des marchés et assurer à l’entité issue du regroupement le bénéfice d’une
position dominante. Comme le soulignent de nombreux travaux, ce critère ne prend pas
en compte les gains de productivité qui peuvent être induits par la concentration et se
traduire par d’éventuelles baisses de prix bénéficiant aux utilisateurs. La législation améri-
caine, on l’a vu, prévoit au contraire de prendre en compte tous ces gains de productivité
potentiels pour déterminer si une concentration est finalement acceptable ou non, dans la
mesure où ces gains sont susceptibles de compenser les effets négatifs pour les consomma-
teurs de la réduction de la concurrence résultant de l’opération de concentration.
Les aides nationales qui faussent la concurrence entre les entreprises et aboutissent à des
distorsions de prix sont proscrites. Dans ce cadre, les aides accordées par l’État aux entre-
prises publiques font l’objet d’un suivi très minutieux et sont soumises à condition. Ainsi,
l’État français n’a pu recapitaliser Air France en 1994 pour un montant de 20 milliards de
francs qu’en acceptant en contrepartie que les lignes aériennes françaises soient ouvertes
à la concurrence. Plus récemment, il n’a pu contribuer au redressement du groupe Alsthom
qu’en respectant certaines conditions définies par la Commission. De même, les marchés
publics qui, jusque dans les années 1980, n’étaient ouverts en fait qu’aux seules entreprises
nationales et constituaient pour les États un levier d’action important leur permettant de
protéger et de soutenir le développement de secteurs d’activité jugés essentiels, sont désor-
mais soumis à des règles communautaires garantissant l’exercice effectif de la concurrence.
L’idée prévaut en fait que les adaptations structurelles de l’industrie doivent avant tout
être réalisées à l’initiative des agents économiques eux-mêmes, et qu’il n’appartient pas à
la Commission européenne de se substituer aux entreprises et autres acteurs économiques.
Cela ne signifie cependant pas pour autant une absence totale d’intervention. L’Europe s’est
au contraire directement et fortement impliquée dans la restructuration, rendue nécessaire
par la crise économique durable qui a affecté les économies européennes à partir des années
de 1970, de certains secteurs d’activité, avec en particulier, par exemple, la mise en œuvre
du plan Davignon (du nom du commissaire européen qui en fut responsable) pour la sidé-
rurgie49. Elle est par ailleurs à l’origine d’un certain nombre de grands programmes techno-
logiques (Race, Euréka…). Il faut cependant souligner que les grands succès technologiques
et industriels « européens », tels Airbus ou Ariane, sont le produit d’une coopération inter-
étatique et non pas d’une politique communautaire.
Cette politique, dont l’inspiration libérale n’est plus à souligner, fait depuis quelques an-
nées l’objet de critiques de la part de responsables gouvernementaux de différents pays
de l’Union européenne qui accusent en particulier la Commission de s’opposer à la mise en
œuvre d’une véritable politique industrielle en Europe. Ainsi, à l’occasion de son veto à la
fusion de Legrand et Schneider (deux entreprises françaises de l’appareillage électrique), le
Ministre des finances de l’époque, Laurent Fabius, expliquait que « l’approche de la Com-
mission ne doit pas freiner la constitution de groupes européens à égalité d’armes avec leurs
concurrents sur le marché mondial » (Le Monde, 23-10, 2002, p. 23) ; tandis que l’ancien
chancelier de l’Allemagne, G. Schröder, et d’autres responsables politiques se sont pronon-
cés en leur temps pour « une véritable politique industrielle menée à l’échelle européenne ».
49 Moyennant quoi, Arcelor, « fruit des restructurations sidérurgiques européennes des vingt-cinq dernières années » et
« premier groupe sidérurgiste mondial par le chiffre d’affaires », dont l’Europe s’était doté « au prix de considérables
injections de fonds publics (supérieurs pour la France à la valorisation actuelle d’Arcelor), d’incessantes rationalisations,
de traumatismes locaux » est passée sous le contrôle du groupe familial Mittal au terme d’une OPA aboutissant, entre
autres choses, à ce que la France « perde un grand centre de décision industrielle » (Cohen, 2006, p. 18).

418 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Ce qui a été reproché en particulier à la Commission c’est donc non seulement de faire obs-
tacle à la création de groupes industriels européens de grande taille, capables de s’imposer
sur les marchés mondiaux dans un contexte caractérisé par le processus de mondialisation et
une concurrence internationale accrue, mais également, et au-delà, de s’opposer en fait à la
mise en œuvre d’une véritable politique industrielle communautaire50. De fait, les limites de
cette orientation apparaissent aujourd’hui de plus en plus clairement.
L’importance pour l’Union européenne de la question du devenir de son industrie ne sau-
rait être sous-estimée. En effet, comme le souligne Lionel Fantagné, directeur du CEPII, de
manière générale, l’industrie « continue à jouer un rôle clef dans les économies avancées »
(2005, p. 20). Les gains de productivité qu’elle dégage « font qu’une industrie prospère
est garante de croissance et de pouvoir d’achat ». Elle « reste le creuset de l’innovation et
joue un rôle en matière d’indépendance ». Elle est la base sur laquelle reposent de nom-
breuses activités de services et elle est « à même d’offrir des emplois peu qualifiés mieux
rémunérés que dans les services » (id., p. 20). Appréciations partagées par l’ancien ministre
de l’Économie et des Finances, Thierry Breton, soulignant que l’industrie « est le moteur
de l’innovation et le support indispensable d’activités tertiaires très diversifiées (recherche,
design, publicité, conseil, marketing, droit, finances, etc.), elles-mêmes indispensables à
notre dynamisme économique général » (2006, p. 19). Le sort de son industrie est d’autant
plus important pour l’Union européenne que celle-ci « reste spécialisée sur l’industrie »
(Fontagné, 2005, p. 20), et plus spécifiquement dans le « haut de gamme » qui représente
la moitié de ses exportations mais un tiers seulement du commerce mondial (id., p. 20-21).
En 2000, l’industrie représentait ainsi pour l’Union européenne 19,8 % de la valeur ajoutée
totale (30 % en 1970) contre 16,2 % pour les États-Unis et 20,8 % pour le Japon, et les ef-
fectifs industriels 20,1 % de l’emploi total contre 15,1 % aux États-Unis et 20,6 % au Japon
(Levet, 2003, p. 12).
L’effort d’innovation est à l’évidence indispensable pour permettre à l’Europe de main-
tenir ce positionnement sur les produits à haute valeur ajoutée garant de la préservation
de son industrie. Or l’aide à la recherche est notoirement insuffisante et met l’Europe à la
traîne des États-Unis et du Japon51. En 2000, l’investissement dans la connaissance (R&D,
enseignement supérieur et logiciels) représentait 6,8 % du PIB aux États-Unis contre 4 %
pour l’Union européenne. L’investissement dans la seule R&D représentait 1,9 % du PIB
pour l’Union européenne contre 2,7 % pour les États-Unis (et 3 % pour le Japon). Ce retard
se manifeste dans l’évolution respective de la productivité aux États-Unis et en Europe. Le
taux de croissance annuel moyen de la productivité est passé en Europe de 2,3 % entre
1990 et 1995 à 1,7 % entre 1995 et 2001, tandis que celui des États-Unis passait parallèle-
ment de 1,1 % à 2,25 %.
Dans ces conditions, le retard considérable déjà pris par l’Union européenne dans la mise
en œuvre de l’agenda de Lisbonne n’en est que plus inquiétant. Alors que l’aide à la re-
cherche est notoirement insuffisante en Europe et, en tout état de cause, nettement plus
faible qu’aux États-Unis et au Japon, on voit mal comment l’Europe pourrait réellement
atteindre l’objectif qu’elle s’est fixée au sommet de Lisbonne 2000 (Déclaration du Conseil
50 Comme le souligne H. Sterdyniack (2004,p. 20), la Commission européenne estime en fait que la politique industrielle
« est nuisible et doit être remplacée par une politique de la concurrence toujours plus active. Ce n’est pourtant pas
l’exemple que donnent les États-Unis, où les dépenses militaires contribuent fortement à l’effort de recherche des
grandes entreprises ».
51 L’aide publique que les pays européens consacrent aux technologies industrielles est sans conteste inférieure à celle des
États-Unis, ce qui explique largement le retard pris par l’Europe vis-à-vis des États-Unis depuis les années 1990.

La politique économique structurelle 419


européen) de devenir, à l’horizon 2010, « l’économie de la connaissance la plus compé-
titive et la plus dynamique du monde, capable de soutenir une croissance économique
durable, accompagnée d’une amélioration qualitative et quantitative de l’emploi et d’une
meilleure cohésion sociale ».

L’union européenne, la stratégie de Lisbonne et la politique de la recherche


Le sommet européen de Lisbonne de mars 2000, qui avait adopté l’agenda de Lisbonne, avait affirmé
l’ambition de l’Union européenne de faire en 2010 de son économie « l’économie de la connaissance
la plus compétitive et la plus dynamique du monde » et d’atteindre le plein-emploi. Cela supposait une
croissance très forte des moyens consacrés au développement de la r&D et de l’innovation, avec l’objec-
tif de consacrer 3 % du PIb de l’Union européenne en 2010 aux dépenses de r&D. En 2000, le montant
de ces dépenses ne s’élevait qu’à 1,9 % du PIb, tandis qu’elles représentaient 2,8 % du PIb aux États-
Unis en 2002. Corrélativement, l’Union européenne représentait en 2001 28,1 % du total des dépenses
de r&D de l’OCDE contre 43,7 % pour les États-Unis.

On est aujourd’hui encore très loin du compte. Selon le rapport de la Commission européenne sur les
progrès de l’UE dans le domaine de la r&D et de l’innovation de 2008, les dépenses de r&D de l’UE
stagnent depuis 2005 à 1,84% du PIb de l’Union, contre 2,6% aux Etats-Unis, avec de surcroît de très
grandes inégalités entre les pays.

420 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les politiques sociales

TROISIèME PARTIE

Les politiques sociales correspondent à diverses interventions complémentaires de l’État :


1) l’organisation de la protection des individus contre divers risques sociaux (maladie, acci-
dents du travail et maladies professionnelles, chômage, vieillesse) et événements de la vie
(maternité et charges de famille consécutives…) en mutualisant la charge des dépenses et
des pertes éventuelles de revenus qu’ils entraînent pour les individus qui y sont confron-
tés ;
2) la redistribution de revenus à certains membres de la collectivité nationale selon différents
critères et l’organisation de la solidarité nationale (des actifs vers les inactifs, des céliba-
taires vers les familles…) ;
3) la mise en œuvre de mesures favorisant l’accès de certaines populations à certains biens et
services jugés indispensables aux individus : éducation (attribution de bourses sur critères
sociaux), santé (CMU, PMI…), logement (crédits pour la construction de logements HLM,
aides financières au logement au bénéfice des familles), loisirs, sports, culture (construc-
tion et subventionnement d’équipements permettant leur accès aux usagers à des prix
très inférieurs au coût réel).
Ces politiques qui avaient commencé à s’affirmer principalement à partir des dernières dé-
cennies du XIXe siècle (très timidement encore à cette époque), puis pendant l’entre-deux-
guerres, sont devenues une composante essentielle de l’action de l’État après la Second
Guerre mondiale. Elles se sont imposées historiquement, parfois au terme de conflits sociaux
et/ou politiques aigus, en réponse aux déséquilibres et aux inégalités sociales que suscite
spontanément ou auxquels est incapable de répondre correctement le fonctionnement de
l’économie de marché capitaliste. L’expérience historique enseigne en effet que le système
capitaliste peut être à l’origine de nombreux déséquilibres économiques et sociaux tels que
chômage, pauvreté, exclusion, urbanisation incontrôlée, ségrégation sociale et spatiale, at-
teintes diverses à l’environnement, etc., qui affectent plus spécifiquement certains groupes
de population et qui sont potentiellement des ferments de désagrégation sociale. La stricte
logique des choix individuels dans un environnement concurrentiel paraît de surcroît inca-
pable d’assurer correctement la satisfaction de certains besoins dont l’expression au niveau
de la nation est susceptible d’être différente de ce qu’elle est au niveau des individus qui
la constituent, comme c’est le cas, par exemple, de la nécessité pour un pays d’assurer de
génération en génération le renouvellement satisfaisant de sa population comme condition-
même de sa pérennité. En outre, les mécanismes de marché sont incapables de prendre cor-
rectement en compte certaines différences entre les individus, subies (handicap) ou volon-
taires (taille de la famille), qui sont potentiellement sources d’inégalités dans les conditions
de vie des individus, moralement et socialement inacceptables.
Ces différents constats légitiment, chacun de manière spécifique, une action de l’État, in-
vesti par la société d’une mission de défense de l’intérêt général et de garant des droits
fondamentaux de la personne, qui s’est traduite par la mise en œuvre de politiques sociales.
En France, ces politiques ont abouti à la contitution progressive d’un système développé
de protection sociale qui figure parmi les meilleurs au monde, malgré certaines limites et
insuffisances.
Ce système de protection sociale comprend l’ensemble des dispositifs de prévoyance collec-
tive et/ou de solidarité sociale, publics ou privés, qui permettent aux individus et aux mé-
nages de faire face aux charges résultant de l’existence de certains risques sociaux identifiés :
santé, vieillesse-survie, maternité-famille, emploi, logement, pauvreté-exclusion sociale, se-
lon la typologie retenue dans les comptes de la protection sociale. Il assure aux individus et
aux ménages qui en bénéficient le versement de diverses prestations destinées à compen-
ser le surcroît de charges et/ou la réduction de ressources résultant de la réalisation de ces
risques.
Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la protection sociale se répartit entre la Sécurité so-
ciale, l’aide sociale et l’action sociale. On peut, pour distinguer les trois, reprendre la formule
d’Amédée Thévenet (1999) qui explique que « les assurés acquièrent des droits, c’est la Sé-
curité sociale, les habitants ont des droits, c’est l’aide sociale, les collectivités publiques et les
institutions se donnent des devoirs, c’est l’action sociale » (cité par Aubin, 2006, p. 35).
• La Sécurité sociale forme la « clé de voûte » ou le « noyau dur » (Kessler, 2000) de la protec-
tion sociale. Elle est constituée de différents organismes qui sont dotés du pouvoir de préle-
ver des cotisations sociales et qui versent aux assurés ou à leurs ayants droit certaines pres-
tations « déterminées objectivement ». Elle est financée par des cotisations, payées par les
employeurs et les salariés, mais également par des ressources qui lui sont fournies par l’État
(impôts et taxes affectés). Les bénéficiaires en sont les assurés (principalement les salariés) et
leurs ayants droit. Elle correspond de manière prédominante à un système « bismarckien »
de protection sociale1. Elle repose sur des principes d’assurance et de solidarité.
Un principe d’assurance tout d’abord. La raison d’être de la Sécurité sociale est d’assurer les
individus qui y sont affiliés et leurs ayants droit contre différents risques sociaux. C’est un
mécanisme de partage des risques entre tous ceux qui y sont exposés. Elle verse des presta-
tions en espèces qui correspondent à la couverture de ces risques.

1 Les grandes lignes d’un tel système ont été exposées par le Chancelier prussien Otto Bismarck dans le discours du 17
novembre 1881. Soulignons que ce système bismarckien s’oppose dans son principe au système beveridgien de protec-
tion sociale issu du rapport Beveridge de 1942. Ce second système se caractérise par le fait qu’il finance par l’impôt des
prestations qui sont destinées à l’ensemble de la population du pays.

422 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Un principe de solidarité ensuite, en ce sens que la contribution de chacun des assurés au
financement du dispositif d’assurance n’est pas proportionnelle à l’importance de son expo-
sition personnelle au risque couvert. Ainsi, dans le cas de l’assurance maladie, représentant
à elle seule près de 40 % du total des dépenses de protection sociale, la participation des
assurés au financement est globalement proportionnelle à leur revenu, mais ils sont pris en
charge par le système de soins en fonction des besoins dictés par leur état de santé. Cela
étant, elle répond initialement à une logique de solidarité professionnelle, l’assurance étant
intimement liée à l’emploi.
• L’aide sociale « légale et obligatoire » relève, elle, du principe d’assistance. Elle se définit
comme « l’ensemble des prestations constituant une obligation mise à la charge des collecti-
vités publiques par la loi et destinées à faire face à un état de besoin pour des bénéficiaires
dans l’impossibilité d’y pourvoir »2. Elle est destinée à certaines catégories d’individus qui, en
raison de leur situation particulière, doivent pouvoir bénéficier d’une assistance sociale : en-
fants, personnes âgées en perte d’autonomie, handicapés. Elle correspond à des prestations
sociales, monétaires ou en nature, dont les conditions d’attribution sont déterminées par la
loi et qui sont versées à des personnes confrontées à des difficultés particulières, en appli-
cation de décisions prises par des commissions spécialisées chargées d’apprécier la situation
spécifique du bénéficiaire potentiel de la prestation3. L’accès aux prestations de l’aide sociale
n’est pas conditionné au versement préalable de cotisations par ses bénéficiaires (comme
c’est, par contre, le cas pour les assurances sociales). L’aide sociale est financée par l’impôt.
Suite aux lois de décentralisation de 1982 et 1983, et plus précisément depuis le 1er janvier
1984, elle est dans sa quasi-totalité du ressort du département (ce que certains auteurs ont
traduit en introduisant, par analogie à la notion d’État-providence, celle de « département
-providence »), l’État central ne demeurant compétent que pour certaines prestations4. En
conséquence, le financement des prestations d’aide sociale est obligatoirement inscrit dans
le budget du département. Si elle est obligatoire pour le département chargé de la mettre
en œuvre, elle peut se doubler d’une aide sociale facultative.
Il faut par ailleurs souligner qu’existent, à côté de l’aide sociale proprement dite, des dispo-
sitifs de protection sociale qui, comme l’aide sociale, ne supposent pas que les bénéficiaires
aient préalablement cotisé mais qui sont gérés en fait par les organismes de Sécurité so-
ciale. Ce sont les prestations « non contributives » de la Sécurité sociale comme le minimum
vieillesse ou l’allocation adulte handicapé qui sont financées par l’État.
• L’action sociale peut se définir comme l’ensemble des moyens et actions mis en œuvre par
une collectivité pour « aider les personnes ou les groupes les plus fragiles à mieux vivre, à
acquérir ou à préserver leur autonomie et à s’adapter au milieu social environnant » (Aubin,
2006, p. 20). Elle ne correspond pas à une obligation pour l’institution, la personne morale
2 DREES, Études et résultats, n° 537, nov. 2006, p. 2)
3 L’aide sociale correspond principalement aux rubriques suivantes :
1) l’aide sociale à l’enfance : prise en charge des pupilles, des enfants retirés à leurs parents par décision judiciaire ;
secours aux familles en difficultés (aide éducative en milieu ouvert, club de prévention…) ;
2) l’aide sociale aux adultes handicapés : hébergement en foyers, gestion des établissements spécialisés d’aide par le
travail (anciens CAT devenus ESAT), des ateliers protégés, aide ménagère, allocation compensatrice… ;
3) l’aide sociale aux personnes âgées : frais d’hébergement, prestations d’aide à domicile… ;
4) l’aide à la réadaptation sociale : gestion de foyers ou appartements destinés à accueillir des personnes marginalisées… ;
5) le revenu mwinimum d’insertion (RMI).
4 Comme l’aide médicale de l’État (AME) destinée aux personnes de nationalité étrangère qui sont en situation irrégulière
au regard de la législation concernant le séjour des étrangers en France.

Partie 3 - Les politiques sociales 423


publique ou privée qui la pratique. C’est volontairement que celle-ci prend des initiatives
qui lui permettent de répondre à certains besoins de populations ciblées en comblant en
particulier les « éventuelles carences de l’aide sociale » (id., p. 20). À la différence de l’aide
sociale qui donne habituellement lieu au versement de « prestations individualisées », elle
se traduit généralement par des initiatives et actions de nature collective concernant tout un
groupe social identifié. Son champ peut aller sensiblement au-delà de celui de l’aide sociale.
Le fonctionnement du système de protection sociale, tel qu’il se présente aujourd’hui dans
sa diversité, repose donc principalement sur un dispositif assurantiel et secondairement sur
un dispositif assistantiel. Son financement est assuré par des prélèvements sociaux obliga-
toires prenant majoritairement la forme de cotisations sociales (salariales ou patronales) as-
sises sur les salaires ou d’impôts affectés (CSG) qui, pour la plupart, sont approximativement
proportionnels aux revenus perçus par les assurés (pour l’essentiel les salaires) sur lesquels ils
sont calculés. Les prestations dont bénéficient les assurés en fonction du risque social auquel
ils sont exposés sont, elles, pour partie, proportionnelles aux revenus soumis à prélèvement
(comme, par exemple, les retraites du régime général et des régimes complémentaires obli-
gatoires ou les indemnités de chômage) et, pour partie, indépendantes des revenus (rem-
boursement des frais médicaux, allocations familiales, etc.).

La protection sociale, dans sa globalité, n’est cependant pas réductible à une simple forme
collective d’assurance. D’une part, les cotisations sociales qu’acquittent les assurés sociaux,
à la différence des primes d’assurance dans un système classique d’assurance, ne sont pas
proportionnées au risque spécifique que représente l’assuré (âge, situation de santé au mo-
ment où est souscrite l’assurance…). D’autre part, la protection sociale va de pair avec un
certain niveau de redistribution, ce que traduit en particulier l’existence dans l’ensemble
des prestations sociales de prestations qualifiées précisément de redistributives, et plus spé-
cifiquement les prestations versées au titre de la solidarité nationale pour lesquelles les bé-
néficiaires n’ont pas préalablement cotisé et qui sont financées par l’impôt. Si la Sécurité
sociale est la composante centrale de la protection sociale, l’aide et l’action sociales semblent
cependant appelées à continuer d’occuper une place significative dans notre système de
protection sociale5.
Les différents dispositifs qui forment le système de protection sociale ont globalement, et
en premier lieu, pour objectif de promouvoir la solidarité entre les individus formant la
collectivité nationale. Solidarité sous diverses formes : 1) entre les actifs (qui cotisent pour la
retraite) et les retraités dont les pensions sont versées grâce aux cotisations des actifs dans
les régimes de retraite par répartition ; 2) entre les bien portants qui cotisent au régime
d’assurance maladie et les malades qui cotisent également mais peuvent bénéficier de pres-
tations dont le montant n’est pas limité par celui des cotisations qu’ils ont versées ; 3) entre
les adultes célibataires ou couples ayant peu ou pas d’enfants et les familles qui en ont beau-
coup ; 4) entre les titulaires d’un emploi et les chômeurs…
Il s’agit d’une solidarité institutionnelle, codifiée dans une multitude de textes législatifs
et réglementaires, dont la gestion est prise en charge matériellement par des institutions
5 M. Borgetto et R. Lafore (2006, p. 26) estiment d’ailleurs, pour leur part, que l’aide et l’action sociales « semblent appelées
à l’avenir à jouer un rôle d’autant plus important que la protection assurancielle mise en place à la Libération -protection
qui reposait principalement sur l’exercice d’une activité professionnelle- se révèle impuissante à répondre aux problèmes
posés par une société comprenant une fraction importante de ses membres durablement et structurellement installée
dans le chômage et la précarité ».

424 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


créées à cet effet et dont c’est la raison d’être. Sa mise en œuvre relève pour l’essentiel de
l’intervention des pouvoirs publics avec cependant quelques exceptions comme l’UNEDIC,
prenant en charge la couverture du risque chômage, dont la création en 1958 a été le résul-
tat d’une convention entre les représentants des salariés et ceux des employeurs et qui est
gérée paritairement.
Cette solidarité institutionnelle est pour l’essentiel obligatoire, ce qui est la condition pour
que l’ensemble de la population puisse être effectivement protégé contre les différents
risques sociaux. En raison des inégalités de revenus et de patrimoines, la capacité objec-
tive des individus à se constituer une épargne leur permettant de se prémunir eux-mêmes
contre les risques sociaux varie nécessairement très fortement de l’un à l’autre. De ce fait,
un système de protection sociale qui reposerait exclusivement sur des choix individuels (sous
la forme de la souscription facultative à des assurances privées) aboutirait inéluctablement
à ce que nombre de membres de la collectivité sociale ne soient finalement pas couverts
contre les risques sociaux. L’urgence des besoins courants à satisfaire conduirait en effet
nécessairement certains individus à arbitrer dans l’affectation de leur revenu en faveur de la
couverture des dépenses de la vie quotidienne au détriment de l’assurance6.
La protection sociale résulte néanmoins, pour une certaine part, de choix individuels. Ainsi,
si l’affiliation au régime général de la Sécurité sociale est obligatoire pour tous les salariés,
l’adhésion à une mutuelle complémentaire qui prend en charge tout ou partie des dépenses
de santé non couvertes par le régime général de la Sécurité sociale relève d’un choix indivi-
duel. C’est au demeurant un des enjeux majeurs des débats auxquels donne lieu, depuis près
de deux décennies, le système français de protection sociale, que de déterminer ce qui de-
vrait être à l’avenir le périmètre du dispositif obligatoire de la protection sociale, autrement
dit de déterminer où devrait se situer à l’avenir la ligne de partage entre ce qui, dans la pro-
tection sociale, continuerait à relever de dispositifs publics obligatoires et ce qui relèverait
désormais de choix privés, individuels ou collectifs (entreprises).
L’organisation par l’État de cette solidarité institutionnelle et obligatoire trouve ses fon-
dements dans les caractéristiques de la société salariale (capitaliste), du mode d’existence
des individus qu’elle implique et du type de relations sociales qu’elle instaure. Cette société
suppose la liberté individuelle des producteurs puisque le salarié doit disposer librement
de sa force de travail pour pouvoir en vendre l’usage à un employeur de son choix. Les li-
mites de cette liberté individuelle n’en sont pas moins très réelles. L’accident, la maladie, la
perte d’emploi peuvent s’accompagner pour le salarié, libre et plus ou moins coupé de ses
racines7, de la perte totale de ses moyens d’existence. Mais, avec la liberté et l’autonomie
des individus que réalise la société salariale et la montée des individualismes que génère la
société capitaliste, les liens de réciprocité entre les personnes s’atténuent et les « solidarités
de proximité » qui s’expriment dans le cadre de la famille, du voisinage, du quartier, du vil-

6 Ainsi, aux États-Unis où prévaut une conception individualiste de l’assurance « sociale », près de 48 millions d’individus
n’ont pas de couverture maladie. Rappelons par ailleurs que c’est ce genre de considération qui a conduit l’État à rendre
obligatoire, à partir d’un certain moment, la souscription d’une assurance automobile .
7 Le travailleur qui est formellement libre de s’installer où bon lui semble est souvent contraint pour vivre d’aller chercher
un emploi là où il peut en trouver un, c’est-à-dire le plus souvent dans les villes, où se concentrent l’industrie, et plus
encore aujourd’hui les activités tertiaires. L’histoire de l’industrialisation puis celle de la tertiarisation des économies
capitalistes développées a ainsi été également celle du déracinement et de la migration de générations successives de
salariés contraints de quitter leur milieu familial d’origine et son environnement social pour aller chercher ailleurs les
emplois qu’ils ne pouvaient plus trouver dans la société rurale traditionnelle.

Partie 3 - Les politiques sociales 425


lage et de la communauté de travail ou de groupes unis par une certaine cohésion culturelle
se désagrègent. Est ainsi posée avec une particulière acuité la question de la subsistance des
personnes qui se trouvent dans l’impossibilité morale, physique ou sociale d’exercer une acti-
vité professionnelle et d’obtenir un salaire et qui ne peuvent plus compter sur les solidarités
de proximité défaillantes. C’est dans le vide laissé par la désagrégation progressive de ces so-
lidarités de proximité que s’installe la solidarité institutionnalisée produite par les politiques
sociales. Celles-ci visent donc à institutionnaliser les solidarités afin de protéger les individus
contre différents risques de l’existence et suppléer par là même aux anciennes solidarités qui
se sont atténuées et qui, de toute façon, n’ont jamais été suffisantes.
Dans le cadre de cet objectif général de solidarité, le système de protection sociale vise
en particulier à donner à tous les membres de la collectivité nationale la possibilité de
satisfaire certains besoins réputés élémentaires ou fondamentaux. On retrouve ici la réfé-
rence aux droits fondamentaux de la personne dont la Déclaration universelle des droits
de l’homme des Nations unies, adoptée en 1948, donne une formulation en reconnaissant
certains droits à tout individu vivant en société : « Toute personne a droit à un niveau de
vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour
l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services
sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité,
de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par
suite de circonstances indépendantes de sa volonté (…) ; la maternité et l’enfance ont droit
à une aide et à une assistance spéciales ».
C’est le rôle des politiques sociales de garantir le respect effectif de ces droits en mettant
en place les dispositifs nécessaires pour permettre aux individus d’accéder aux ressources
nécessaires à l’exercice effectif de ces droits. En France, cela s’est traduit plus spécifique-
ment par la création de ces dispositifs particuliers de protection contre certains risques de
l’existence que sont les minima sociaux, lesquels visent à garantir aux individus un mini-
mum de moyens de subsistance lorsqu’ils sont confrontés à certains aléas et événements
qui mettent en cause leur capacité à se les procurer eux-mêmes : minimum vieillesse, al-
location de solidarité spécifique (ASS), allocation de parent isolé (API), revenu minimum
d’insertion (RMI), allocation adulte handicapé (AAH), etc.
Les politiques sociales, dont le système de protection sociale est la concrétisation, peuvent
être regroupées en plusieurs grandes catégories : les politiques de protection sociale de la
vieillesse et les politiques de la santé, les politiques de l’emploi, les politiques familiales et les
politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion à l’examen desquelles seront consacrés
les développements de cette troisième partie. Le système de protection sociale est cepen-
dant soumis à des tensions de plus en plus fortes. Il fait l’objet d’un débat concernant non
seulement sa portée et ses limites mais également les réformes dont il a déjà fait l’objet de-
puis une quinzaine d’années et les réformes nouvelles que certains appellent de leurs vœux.

426 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les différentes politiques
sociales de l’État :
retraites et santé
CHAPITRE 8

Tel qu’il se présente aujourd’hui, le système de protection sociale est l’aboutissement


d’une évolution qui remonte principalement au XIXe siècle et à la IIIe République, laquelle
héritait cependant d’une tradition d’assistance remontant au Moyen Âge. Il s’est construit
historiquement comme le produit de la confluence du développement des luttes ouvrières
et des préoccupations patronales et étatiques1.
Les politiques sociales furent initialement, au XIXe siècle et au début du XXe, pour une
part, l’œuvre de certains industriels en direction des ouvriers et de leurs familles (Hatzfeld,
1971). Ces patrons paternalistes qui offraient un emploi fournissaient simultanément à
leurs salariés un logement (les corons du Nord, les cités ouvrières) ; ils ouvraient parfois des
magasins d’alimentation (économats) réservés à leur personnel ou encore des bains, des
nurseries. Ils complétaient ainsi les salaires versés à leurs employés par divers services en
nature, ce qui leur permettait d’attacher plus fermement les travailleurs à leur entreprise
(licencié, le salarié perdait non seulement son salaire mais aussi son logement et certains
services de proximité), tout en limitant les salaires versés. C’est E. Romanet, industriel de la
métallurgie, qui institua les premières allocations familiales sous la forme d’un sursalaire
familial versé aux salariés ayant des enfants, ce sursalaire étant conçu comme un moyen
d’éviter que les augmentations de rémunération réclamées par les chefs de familles nom-
breuses bénéficient à l’ensemble des salariés (Pouchol et Severs, 1983).
Parallèlement, l’État s’est progressivement (très timidement au début) impliqué dans le
processus de protection sociale des individus en imposant des premières mesures qui vi-
saient à assurer une protection, au demeurant encore très faible, de certains salariés et de

1« La naissance des assurances sociales procède d’un double mouvement. Elle n’est pas en effet la seule résultante des
revendications ouvrières pour acquérir des droits en complément de la contrepartie salariale de leur travail. Elle est
également le fruit d’une préoccupation des employeurs, à la charnière des XIXe et XXe siècles, désireux de s’assurer une
main-d’œuvre en bon « état », stable et en quantité suffisante » (Hirsch, 1994, p. 30).
certaines populations particulièrement fragiles contre certains risques sociaux2 : création
des sociétés de secours mutuelles ; loi de 1898 sur les accidents du travail instituant une
indemnisation de la victime en cas d’accident du travail ; loi de 1905 sur l’assistance obliga-
toire pour les vieillards ; loi de 1910 sur les retraites ouvrières, laquelle ne sera cependant
pratiquement pas appliquée ; lois de 1928 et de 1930 qui généralisaient les assurances
sociales couvrant les risques maladie, invalidité, maternité et vieillesse, et rendaient les
cotisations sociales (part salariale et part patronale) obligatoires ; loi de 1932 généralisant
les allocations familiales. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, le dispositif public de
protection sociale des individus demeurait cependant encore largement symbolique. Les
dépenses correspondantes ne représentaient alors en France que 1 % du PIB, et les assu-
rances sociales, dont les ressources étaient très limitées (avec un taux de cotisation de 8 %
seulement partagé en deux entre salariés et employeurs), ne couvraient encore qu’un tiers
de la population.
La situation change radicalement après la Seconde Guerre mondiale avec la mise en œuvre
à la Libération des réformes sociales prévues dans le programme du Conseil national de
la résistance et la création, par les ordonnances de 1945 et de 1946, de la Sécurité sociale3
« destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toutes natures sus-
ceptibles de réduire ou supprimer la capacité de gain et de couvrir les charges de maternité
et les charges de famille » (article 1 de l’ordonnance de 1945). La création de la Sécurité
sociale sera ensuite complétée par la refonte du système d’assistance dont la constitution
est antérieure à celle du système des assurances sociales et qui va se pérenniser à côté de
la Sécurité sociale.
Dès 1947, le montant des dépenses de Sécurité sociale représente ainsi 8 % du PIB. Le
système monte en puissance tout au long des années 1950 et 1960. Les politiques sociales
qui s’organisent alors à l’échelon national connaissent désormais un développement sans
précédent, que traduit la forte croissance des dépenses sociales totales de l’État. Celles-ci
(protection sociale proprement dite + dépenses de fonctionnement) passent de 12 % du
PIB en 1949 à 17,5 % en 1967 et 19 % en 1974.
Si les dépenses consacrées à la famille occupent initialement la première place dans l’en-
semble des dépenses de protection sociale, leur importance relative va cependant régres-
ser rapidement. À l’opposé, certaines dépenses progressent fortement, tant en valeur ab-
solue qu’en valeur relative :
• d’une part, les dépenses consacrées à la couverture du risque vieillesse-survie, avec la
montée en puissance du système de retraites par répartition du régime de base de la
Sécurité sociale et la mise en place des régimes de retraites complémentaires ;
• d’autre part, les dépenses de santé, avec en particulier l’engagement d’un programme
considérable de développement de l’équipement sanitaire du pays et la mise en place
d’un système de soins organisé autour de l’hôpital.

2 Parallèlement, en Allemagne, le Chancelier Otto von Bismarck met en place dans les années 1880 un système d’assurances
sociales financées par des cotisations sociales assises sur les salaires (assurance maladie en 1883, assurance accidents du
travail en 1884, assurance invalidité et vieillesse en 1889).
3 Rédigé par le grand serviteur de l’État que fut Pierre Laroque, le plan de Sécurité sociale fut mis en œuvre par le ministre
communiste Ambroise Croizat.

428 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


À elles seules, ces deux grandes catégories de dépenses représentent 80 % du total des
dépenses de protection sociale. Le fait que ces deux grandes catégories de dépenses occu-
pent ainsi une place prépondérante dans le total des dépenses de protection sociale n’est
d’ailleurs pas spécifique à la France. Une analyse comparative montre qu’il en est approxi-
mativement de même dans l’ensemble des pays de l’Union européenne, à un degré plus
ou moins marqué. En 2005, le risque vieillesse-survie représentait en effet, en moyenne,
45,9 % du total des prestations de protection sociale dans l’ensemble de l’Union euro-
péenne et le risque santé 28,6 % du total des prestations.
Le niveau élevé atteint par les dépenses de protection sociale en France explique très lar-
gement l’acuité du débat qui se développe, particulièrement depuis les années 1990, à pro-
pos de l’adaptation de notre système public de protection sociale (que certains présentent
comme absolument indispensable) et des réformes à mettre par conséquent en œuvre à cet
effet. Compte tenu du poids prépondérant de la vieillesse-survie et de la santé dans le dis-
positif d’ensemble de la protection sociale c’est bien entendu sur ces deux composantes de
la protection sociale que s’est focalisé jusqu’à présent l’essentiel des débats et controverses.
Ces deux grandes composantes du système public de protection sociale, dont la réglemen-
tation n’avait au demeurant jamais cessé de s’adapter depuis la création en 1945 de la
Sécurité sociale, ont déjà fait l’objet depuis les années 1990 de diverses réformes. Certaines
ont été dictées par le souci d’améliorer l’efficience de la couverture des besoins auxquels
le système de protection sociale est destiné à répondre, comme ce fut le cas, par exemple,
avec la création de la CMU. Mais nombre de ces réformes visent cependant à tenter de
contenir, dans toute la mesure du possible, la croissance des dépenses de protection sociale
dans des limites jugées compatibles avec l’objectif d’inversion de l’évolution en longue
période des prélèvements obligatoires dans notre pays auquel se sont ralliées les élites
dirigeantes du pays depuis la fin des années 1980.
Dans l’un et l’autre cas, la mise en œuvre des réformes déjà réalisées ou engagées a été
ou est justifiée, par les gouvernements qui en ont été ou en sont aujourd’hui à l’origine,
par la nécessité d’adapter le système public de protection sociale français aux conditions
économiques, sociales et démographiques nouvelles qui sont celles de la France contem-
poraine, afin de pouvoir le préserver dans ses dimensions fondamentales. Reste cependant
que, pour les retraites et la protection sociale de la vieillesse (Section 1) comme pour la
protection sociale de la santé (Section 2), les réformes déjà réalisées engagent les unes
et les autres dans des voies nouvelles qui éloignent notre système de protection sociale
de son ancien mode d’organisation et de régulation d’ensemble, ainsi que des visées qui
étaient les siennes lorsque la Sécurité sociale fut créée en 1945.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 429


Section 1 : Les politiques concernant les retraites et la
protection sociale de la vieillesse

La mise en place d’un véritable système généralisé de retraite est assurément l’une des
avancées sociales les plus importantes de la période postérieure à la Seconde Guerre mon-
diale. Elle est le symptôme d’une modification profonde de la société. L’importance de
cette avancée sociale se mesure concrètement au poids que représentent aujourd’hui les
pensions de retraite et, au-delà, l’ensemble des dépenses qui correspondent à la couver-
ture du risque vieillesse-survie dans le total des dépenses sociales et dans le PIB. Avec un
montant total de 246,9 milliards d’euros (44,9 % du total des prestations de protection
sociale en 2007), dont 146,3 milliards pour la retraite du régime de base obligatoire, 49,8
milliards pour les retraites des régimes complémentaires (également obligatoires), 2,2 mil-
liards d’euros pour le minimum vieillesse, 4,6 milliards pour l’allocation personnalisée à
l’autonomie et 32,1 milliards pour les pensions de réversion, les dépenses consacrées au
risque « vieillesse-survie » constituent en effet le poste le plus important des dépenses so-
ciales. Ces dépenses représentaient en tout, en 2007, 13,1 % du PIB.
Cela étant, le système de protection sociale de la vieillesse qui, en pratique, s’est progres-
sivement mis en place en France à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle est relative-
ment complexe (§ 1). Il est aujourd’hui au centre d’un important débat, auquel participent
en particulier les représentants de forces économiques et sociales puissantes qui soutien-
nent la nécessité de sa réforme dans un contexte de crise économique et de crise démogra-
phique. Ce débat tourne pour l’essentiel autour de l’opposition entre régimes de retraite
par répartition et régimes de retraite par capitalisation dont sont discutés les avantages
et inconvénients respectifs (§ 2). Les réformes mises en œuvre, particulièrement depuis les
années 1990, bien que présentées comme indispensables pour assurer la pérennité du sys-
tème de retraite par répartition, ouvrent néanmoins la voie à la capitalisation (§ 3).

paragraphe 1 : le système français de protection sociale de la


vieillesse

Il a pour objectif d’assurer aux personnes ayant atteint un certain âge des revenus a priori
suffisants pour vivre. Ce système de garantie de ressources est complexe à double titre.
D’une part, il répond à une double logique d’assurance et d’assistance, ce qui se traduit
par la coexistence de deux types de retraites : les retraites contributives pour lesquelles les
individus ont cotisé pendant leur vie active (A), et les retraites non contributives destinées
aux personnes qui, pour des raisons diverses, n’ont pas suffisamment cotisé pour pou-
voir bénéficier d’une retraite contributive suffisante ou qui n’ont pas cotisé du tout (B).
D’autre part, il se compose d’une multitude de régimes (régime général, régimes spéciaux
et régimes autonomes) de tailles très inégales et offrant des droits hétérogènes. Depuis
l’instauration par Colbert en 1681 du premier régime de retraite, celui des marins, de nom-
breux régimes professionnels se sont créés jusqu’à la constitution de la Sécurité sociale.
Le nombre de régimes reste aujourd’hui élevé, même si certains ont disparu ou fusionné.
Ces différents régimes ne sont pas concurrents mais juxtaposés. L’affiliation à un régime
dépend de la nature de l’activité professionnelle exercée.

430 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A - L’assurance vieillesse
Le système français de retraite (comme celui de tous les pays de l’Union européenne) com-
porte trois étages : un premier étage auquel correspond la retraite de base du régime gé-
néral ; un second étage constitué de la (ou des) retraite(s) complémentaire(s) dont l’assise
est l’entreprise ou le secteur professionnel ; un troisième étage auquel correspond ce que
l’on peut appeler la « retraite privée » qui fait appel à des mécanismes traditionnels d’as-
surance et d’épargne individuelle.
• La retraite de base est celle qui est versée aux salariés dans le cadre, par exemple, du
régime général de la Sécurité sociale4. Elle repose sur les principes de la solidarité pro-
fessionnelle et de l’assurance. Les ressources proviennent de cotisations obligatoires des
assurés et des employeurs qui sont assises sur les salaires5. Elle repose sur le principe de la
répartition. Les cotisations des actifs financent directement les pensions des retraités. Elle
fonctionne en annuités : un nombre minimal d’années de cotisations est requis pour ob-
tenir une pension de retraite à taux plein. Le montant effectif de la retraite dépend de la
durée effective de cotisation et de l’assiette de cotisation. Il peut donc être très différent
selon les individus6.
Pour obtenir une pension complète, il fallait cotiser 37,5 années jusqu’en 1993, date à
laquelle la réforme du régime de base mise en œuvre par le gouvernement d’Édouard Bal-
ladur a repoussé la durée requise de cotisations à 40 ans pour les salariés du secteur privé,
mesure qui a ensuite été étendue aux fonctionnaires par le gouvernement de Jean-Pierre
Raffarin (réforme de 2003) puis aux bénéficiaires des régimes spéciaux par le gouverne-
ment de François Fillon (réforme de 2008). Pour les salariés du secteur privé, la retraite de
base à taux plein atteint 50 % du salaire plafond de la Sécurité sociale, lorsque celui-ci a
été perçu par le salarié pendant les 25 meilleures années de sa carrière professionnelle7.
• En France, l’assurance vieillesse comprend non seulement les retraites de base, mais aussi
les retraites complémentaires des salariés. Celles-ci sont organisées par les conventions col-
lectives dans le cadre de caisses gérées paritairement par les représentants des salariés et
des employeurs. On distingue deux régimes complémentaires obligatoires, qui sont finan-
cés l’un et l’autre par une cotisation portant sur la partie du salaire supérieure au plafond :
l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l’Association des
régimes de retraite complémentaire (ARRCO). Ce deuxième étage, qui repose également
sur le principe de la répartition, fonctionne selon un système de points. Les cotisations
sociales versées servent à acquérir des points à un certain prix d’achat (dit aussi salaire de
référence). Ces points donnent droit au versement d’une pension d’un certain montant
que définit la valeur du point. Le rapport entre la valeur du point et son prix d’achat
détermine le rendement du système. La diversité des régimes complémentaires est impor-
tante et se traduit par des différences significatives dans la protection des salariés contre
4 On rappelle qu’il existe en fait trois grands types de régimes : les régimes de salariés du privé, soit 68 % des actifs, les
régimes spéciaux (entreprises publiques, fonctionnaires, marins, mineurs…), soit 21 % des actifs, et les régimes de non-
salariés (commerçants, artisans, professions libérales, agriculteurs), soit 11 % des actifs (cf. tome 1, chapitre IV).
5 D’une part, cotisations sur le salaire plafond (égal au 1er janvier 2006 à 2 589 euros) : salarié 6,65 % ; employeur 8,30 %.
D’autre part, cotisations sur la totalité du salaire : salarié 0,10 % ; employeur 1,60 %.
6 Le système français de retraite peut donc être qualifié de commutatif (Andréani, 1986). On distingue la justice commutative
et la justice distributive. Dans le premier cas, il y a équivalence des obligations et des charges.
7 Le montant de la retraite est calculé sur la base du salaire moyen soumis à cotisation qui à été perçu par le salarié pendant
les 25 meilleures années de sa carrière professionnelle (les 10 meilleures années avant la réforme de 1993).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 431


le risque vieillesse. Cela étant, il faut souligner que, à la suite de la réforme des retraites
qui a prévu que le prix d’achat du point évolue en fonction du salaire alors que la valeur
du point évolue en fonction de l’indice des prix, le taux de rendement a baissé de 13,2 %
en 1995 à 8,32 % en 2008 (Cornilleau et Sterdyniak, 2008, p. 9).
• La protection facultative (retraites supplémentaires ou sur-complémentaires), à la diffé-
rence de la protection obligatoire, fait largement appel aux techniques de capitalisation :
le produit des cotisations donne lieu à des placements financiers, le capital et les intérêts
produits étant destinés à assurer le versement des pensions pendant la retraite. À côté
de formules collectives, du type des régimes supplémentaires ou complémentaires mis en
place par des compagnies d’assurances ou directement par des entreprises, se sont déve-
loppées des formules individuelles relevant en fait de l’emploi de l’épargne personnelle :
placements immobiliers et mobiliers, assurance-vie, contrat d’assurance retraite, plan
d’épargne-retraite. Alors que la part des plus de 60 ans dans la population totale s’accroît
(phénomène de vieillissement de la population), avec les conséquences économiques et
financières qui en résultent, les pouvoirs publics ont multiplié les incitations fiscales pour
favoriser le développement de ces régimes privés d’assurance et de capitalisation.
Au 31 décembre 2005, le nombre total de retraités de droit direct était estimé à 13 530 000
percevant un avantage principal de droit direct d’un montant moyen de 1 044 euros par
mois (tous régimes confondus).

B - L’assistance vieillesse
Le régime d’assurance vieillesse mis en place en 1946 n’était pas en mesure, à ses débuts,
de garantir un niveau minimum de ressources à toutes les personnes ayant dépassé l’âge
légal de la retraite. C’est pourquoi l’assistance a pris le relais de l’assurance vieillesse au
bénéfice des « laissés-pour-compte » des divers régimes de retraite évoqués ci-dessus. Cela
s’est traduit par la création en 1956 du minimum vieillesse qui fut le premier en date des
minima sociaux et qui est devenu en 2007 l’allocation de solidarité aux personnes âgées
(ASPA). Il s’agit d’une pension non contributive, versée sous conditions de ressources aux
personnes d’au moins 65 ans (au moins 60 ans en cas d’inaptitude au travail) qui, pour
diverses raisons, n’ont pas eu d’activité rémunérée ou ont travaillé relativement peu de
temps (mères de famille au foyer, handicapés, chômeurs de longue durée…) et qui est
financée par l’impôt. Elle est versée par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), créé en 1993,
qui prend en charge le financement « des avantages vieillesse à caractère non contributif
relevant de la solidarité nationale » et qui est alimenté par la CSG. L’ASPA s’élevait au 1er
janvier 2008 à 618,10 euros pour une personne seule. Ce montant est inférieur au seuil de
pauvreté mais supérieur au plafond de ressources permettant d’obtenir la complémentaire
santé de la CMU.
Le nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse n’a cessé de diminuer ces dernières an-
nées ; il est passé de 1,3 million de personnes en 1989 à 609 000 fin 20058. Cette baisse de
longue période du nombre de bénéficiaires du minimum vieillesse est due à la maturation
des régimes de retraite, les nouveaux retraités ayant le plus souvent effectué des carrières
professionnelles complètes qui leur ont permis d’acquérir des droits à une retraite à taux
plein. Le pouvoir d’achat du minimum vieillesse a stagné depuis 10 ans. Alors qu’il repré-
8 Sur les 609 000 bénéficiaires en 2005, plus de 60 % étaient des femmes seules d’une moyenne d’âge de 76,3 ans.

432 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


sentait 52 % du revenu médian des ménages en 1984, il n’en représentait plus que 42,5 %
en 2007 (Cornilleau et Sterdyniak, 2008, p. 8).
La mise en place du minimum vieillesse, qui s’inscrit dans la volonté des pouvoirs publics
de distinguer ce qui relève de l’assurance de ce qui relève de l’assistance, au nom d’une
plus grande transparence dans les comptes et les responsabilités, constituerait pour cer-
tains analystes un prélude à une protection à deux vitesses des retraités (Volovitch, 1995).
Le principe de dissociation conduirait en effet inévitablement à déstabiliser le système
tel qu’il avait été conçu après la Libération et qui se donnait comme objectif de concilier
l’assurance comme technique de socialisation des risques sociaux et la solidarité comme
facteur de cohésion sociale. Poussé à l’extrême, cet isolement de la partie purement assu-
rantielle ne justifierait plus l’existence d’un service public à vocation universelle et ouvri-
rait la porte aux assureurs privés.

*
La mise en place puis la montée en puissance de ce système généralisé de retraite ont été
à l’origine d’une très nette amélioration des conditions de vie pour la très grande majorité
des salariés. Grâce à ce système, la vieillesse a cessé d’être synonyme de pauvreté, comme
ce fut longtemps le cas. Selon les données fournies par l’INSEE, alors qu’en 1970 27 % des
ménages de retraités disposaient d’un revenu les situant en dessous du seuil de pauvreté,
ce taux était tombé à moins de 5 % en 1997. Au 1er janvier 2004, le groupe des 60 ans et
plus, représentant 20,7 % de la population française totale (près de 12,5 millions de per-
sonnes), constituait ainsi le groupe social dont le niveau de vie avait progressé le plus vite
au cours des dernières décennies et dont le niveau de revenu est le plus stable9. Une étude
de l’INSEE sur le niveau de vie moyen des individus selon l’âge et le statut professionnel de
la personne de référence du ménage montre que le niveau de vie10 moyen d’individus ap-
partenant à un ménage dont la personne de référence est retraitée était en 2004 de 17 294
euros, contre 18 030 euros pour l’ensemble de la population (respectivement 16 664 euros
et 17 141 euros en 2000). Une étude de Pascal Chevallier et alii (2006), réalisée à partir des
enquêtes « Revenus fiscaux » de 1970, 1975, 1979, 1984, 1990, 1996 à 2002, montre par
ailleurs que « les personnes vivant dans des ménages dont la personne de référence est
retraitée ont été les principaux bénéficiaires de l’amélioration des niveaux de vie depuis
1970 » (id., p. 16). En 2002, le niveau de vie mensuel moyen de ces personnes n’était infé-
rieur que de 5 % à celui de l’ensemble de la population (1 350 euros mensuels contre 1 430
euros) (id., p. 16).
L’impact positif du système de retraite sur l’activité économique et la cohésion sociale
du pays n’est pas moins important que l’amélioration des conditions de vie des individus
qu’il a rendue possible. En permettant aux travailleurs de cesser leur activité profession-
nelle à partir d’un certain âge, le système de retraite favorise par là-même l’accès à la vie
active d’une nouvelle génération de jeunes travailleurs dans des conditions (redéfinition
des postes de travail et des profils de qualification, localisation géographique des em-
plois…) susceptibles de favoriser l’adaptation et la modernisation des systèmes productifs

9 Même si les années 1990 ont été marquées par une baisse du pouvoir d’achat des retraites nettes de cotisations sociales
pour l’ensemble des retraités, sauf les bénéficiaires du minimum vieillesse et les non imposables sur le revenu (INSEE,
Tableaux de l’Économie Française, 2004-2005, p. 102).
10 Revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation de ce ménage.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 433


et l’accroissement de la productivité. Les dépenses de couverture du risque vieillesse-survie
assurent par ailleurs des débouchés stables et importants aux entreprises, en soutenant de
fait la consommation et la demande financées par les pensions versées aux retraités et en
créant de nouvelles catégories de consommateurs (« marché des têtes grises » et « marché
des têtes blanches »). Elles favorisent ainsi la croissance économique. Elles contribuent
parallèlement au renforcement du lien social par l’affirmation de la solidarité intergénéra-
tionnelle dans les systèmes de retraite par répartition où les retraites sont financées par les
cotisations que paient les actifs et produisent de la paix sociale en neutralisant les possibles
conflits entre actifs et inactifs11.

L’allocation personnalisée d’autonomie (APA)


L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) est entrée en vigueur le 1er janvier 2002. Elle a remplacé la
prestation spécifique dépendance (PSD) instituée en 1997. Elle est destinée aux personnes âgées de 60
ans ou plus qui sont en perte d’autonomie (elles doivent être aidées pour accomplir les actes essentiels
de la vie ou requièrent une surveillance particulière) et que leur niveau de dépendance situe dans les
« groupes iso-ressources » (GIr) 1 à 4 de la grille AGGIr (autonomie gérontologique, groupe iso-res-
sources), laquelle classe les personnes âgées en 6 niveaux de perte d’autonomie (du plus élevé au plus
faible). Elle peut être versée aux personnes continuant à résider à leur domicile familial (60 % des béné-
ficiaires en 2006) ou à celles qui sont accueillies dans des établissements d’hébergement pour personnes
âgées (40 % des bénéficiaires). Pour les personnes résidant à domicile, le besoin d’aide pour le maintien
de la personne âgée à son domicile est évalué par une équipe médico-sociale. Un barème national déter-
mine le montant maximum du plan d’aide en fonction du GIr.

L’APA est versée par le conseil général. L’attribution de l’APA n’est pas soumise à condition de ressources
mais, lorsque les ressources du bénéficiaire de l’APA dépassent un certain plafond, une participation fi-
nancière reste à sa charge. Concrètement, l’APA que verse le conseil général correspond au montant du
plan d’aide qui est réellement utilisé par le bénéficiaire, diminué de l’éventuelle participation financière
de ce dernier. Au 1er janvier 2005, le plan d’aide était limité à 1 148,10 euros en GIr 1 et à 492,04 euros
en GIr 4. Dans la pratique, les barèmes dépassent cependant rarement 80 % de ces plafonds. La contri-
bution financière du bénéficiaire de l’APA dépend de ses revenus. Si le revenu mensuel du bénéficiaire
est inférieur à 646,40 euros, ce dernier est exonéré de toute participation au financement du plan d’aide.
Pour un revenu compris entre 646,40 et 2 575,90 euros, la participation du bénéficiaire est fixée par un
barème prenant en compte différents éléments.

Le financement de l’APA est assuré par le département et par l’État (pour ce dernier, par l’intermédiaire
du Fonds de l’allocation personnalisée d’autonomie qui est alimenté par la CSG).

La montée en puissance de l’APA depuis sa mise en place est très rapide. Au 31 décembre 2006,
1 080 000 personnes bénéficiaient de l’APA. Le montant moyen de l’APA pour l’ensemble des bénéfi-
ciaires était alors de 490 euros par mois, dont 410 à la charge des conseils généraux et 80 de participa-
tion financière à la charge des bénéficiaires. Pour les personnes âgées accueillies en établissement, l’APA
aide les bénéficiaires à payer le tarif dépendance.

11 La mise en place d’un système généralisé de retraite par répartition a transformé en profondeur les conditions d’exercice
de la solidarité intergénérationnelle. Elle traduit en effet le passage de solidarités intergénérationnelles purement fami-
liales, qui permettaient aux individus ne participant plus à la vie active de survivre, à des solidarités socioprofessionnelles
ou nationales qui donnent aux actifs le moyen d’acquérir durant leur vie professionnelle des droits à disposer d’un revenu
lorsqu’ils cessent leur activité en raison de leur âge, revenu qui leur est versé grâce aux cotisations que paient les actifs.

434 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 2 : les débats sur la réforme des retraites :
répartition versus capitalisation

En France, les dépenses de couverture du risque vieillesse-survie ont progressé de manière


spectaculaire depuis les années 1950 (A). Cette forte augmentation des dépenses liées à la
couverture du risque vieillesse-survie et les difficultés croissantes depuis les années 1990
pour équilibrer les comptes des régimes de retraite, ainsi que les prévisions pessimistes
quant à l’évolution de leur financement, expliquent que le fonctionnement des régimes
de retraite soit, en France comme dans d’autres pays développés, au cœur d’un débat qui
a émergé dès la fin des années 1980. Ce débat s’est rapidement cristallisé autour de l’idée
selon laquelle le système de retraites par répartition, tel qu’il avait été institué après la
Seconde Guerre mondiale, serait condamné à entrer en crise à une échéance relativement
proche (les années 2005-2010), avec l’accession à la retraite des générations nombreuses
du baby boom de l’après-guerre. Dans ce débat, l’accent est mis sur certaines évolutions
susceptibles d’influer sur le fonctionnement du système de retraite. Il s’agit en fait de dé-
terminer la (les) cause(s) de la crise prévue du système de retraite (B). Ce débat tourne éga-
lement autour de la question des avantages et inconvénients respectifs de chacun des deux
grands systèmes de financement des retraites : par répartition et par capitalisation (C).

A – La croissance de longue période des dépenses de protection de la vieillesse


La part des dépenses de protection contre le risque vieillesse-survie dans le PIB est passée
de 5,9 % en 1955 à 10 % en 1980, puis à 12,7 % en 1999 et 13 % en 2005, soit une aug-
mentation de 7 points de PIB en un demi-siècle. Divers rapports officiels sur le devenir du
système de retraite prévoient par ailleurs que cet accroissement devrait se poursuivre si le
système demeurait en l’état. Passée de 5,9 % en 1955 à 13 % en 2005, la part des retraites
dans le PIB devrait se situer, selon le rapport Charpin (1999), dans une fourchette allant
de 15,1 % à 16,7 % du PIB en 2040 en fonction du taux de chômage et, selon le rapport
Teulade (2000), entre 17,8 % et 22,7 % du PIB, toujours en fonction du taux de chômage.
Cette forte augmentation passée des dépenses liées au risque vieillesse-survie et sa pour-
suite prévisible dans les décennies à venir conduisent à s’interroger sur les déterminants de
cette évolution. Deux facteurs principaux sont à prendre en considération.
Cette forte augmentation en longue période des dépenses liées au risque vieillesse-survie
traduit en premier lieu l’augmentation parallèle en longue période du nombre des retrai-
tés. Les retraités de droit direct sont ainsi passés de 9,5 millions en 1990 à 13,5 millions
en 2005. Entre 1981 et 1999, leur nombre avait progressé de 50 % alors que la popula-
tion de plus de 60 ans n’augmentait que de 27 %. Ce différentiel résulte lui-même de la
conjonction de différents facteurs : 1) l’abaissement à 60 ans de l’âge légal de la retraite12 ;
2) l’augmentation progressive de l’espérance de vie ; 3) l’augmentation du nombre de
femmes exerçant une activité professionnelle.

12 En sachant cependant que la réforme des régimes de retraite de 2003 a, en quelque sorte, vidé de tout contenu cette
avancée de l’âge légal de la retraite à 60 ans pour les futures générations de salariés, en programmant l’augmentation
progressive du nombre d’annuités de cotisation nécessaire pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein et ce, dans
un contexte où l’âge légal de la retraite a tendance à s’élever dans la plupart des pays de l’Union européenne.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 435


Mais cette augmentation des dépenses liées au risque vieillesse-survie s’explique égale-
ment par la revalorisation progressive des pensions versées aux retraités. Le niveau des
pensions a augmenté régulièrement. Les régimes de retraite sont arrivés à maturité, ce
qui signifie que les personnes prenant leur retraite aujourd’hui ont suffisamment cotisé
pour bénéficier de pensions à taux plein. À quoi s’ajoute que les retraites d’aujourd’hui
sont le fruit de carrières professionnelles plus longues, au cours desquelles les salariés ont
pu bénéficier de promotions et d’une élévation de leur qualification se traduisant par de
meilleures rémunérations pendant les 10 ou 25 meilleures années de cette carrière et, par
conséquent, par des droits à retraite plus importants.
Comme on l’a déjà évoqué, cette augmentation de 7 points de PIB des dépenses a per-
mis de faire reculer massivement la pauvreté chez les retraités. Elle a également permis
d’abaisser l’âge légal de la retraite de 5 années alors que l’espérance de vie à 60 ans aug-
mentait. J.-P. Piriou (2003) souligne par ailleurs qu’elle n’a pas eu d’incidence négative sur
la part des profits des entreprises dans la valeur ajoutée puisque cette part, qui s’établissait
en moyenne à 33 % pendant l’entre-deux-guerres, s’est établie en moyenne à 35 % après
la Seconde Guerre mondiale et était dans les années 1990 supérieure à ce qu’elle avait été
pendant les Trente Glorieuses.
Mais cette forte croissance des dépenses a cependant été sanctionnée par l’apparition d’un
déficit récurrent de l’assurance vieillesse depuis 1976, malgré différents ajustements et ré-
formes : déficit dont divers rapports officiels soulignaient, dès la fin des années 1990, qu’il
était destiné à se perpétuer et à s’aggraver progressivement. Ainsi, par exemple, selon le
rapport Charpin, « sur la base de fondamentaux économiques considérés comme immuables
durant la période 1999-2040, comme le seraient aussi les dispositifs de financement des re-
traites, le déficit de la CNAV atteindrait 114 milliards d’euros en 2015 et 400 milliards en
2040 ». Alors que certaines caisses de retraite, comme celles des régimes de la SNCF, de la
RATP, ou de la MSA, ont dès aujourd’hui un solde négatif, la différence entre cotisations et
prestations (hors compensations, subventions, impôts et taxes affectés et transferts divers)
pourrait atteindre en 2040, selon certaines estimations, 39,7 milliards d’euros pour la Caisse
nationale d’assurance vieillesse du régime général et 36,8 milliards d’euros pour la fonction
publique.

B – Les évolutions susceptibles d’influer sur le fonctionnement du système de


retraite : les fondements de la crise du système de retraite
À la question posée : « quels sont les fondements de la crise attendue du système de re-
traite ? », nombre de responsables politiques et sociaux et d’analystes répondent que ces
fondements sont démographiques. C’est l’argument du « choc démographique » (a). Mais,
si la contrainte démographique doit réellement être prise au sérieux, elle ne suffit pas à
rendre compte à elle seule des difficultés auxquelles est d’ores et déjà confronté le système
de retraite. La crise économique durable et le chômage de masse qui l’accompagne, ainsi
que le ralentissement tendanciel marqué de la hausse des salaires, jouent également un
rôle très important (b).

a – La contrainte démographique
Le vieillissement de la population est l’élément le plus fréquemment mis en avant pour
expliquer la crise de financement du système de retraite dans la mesure où, toutes choses

436 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


égales par ailleurs, il implique mécaniquement l’augmentation du nombre de retraités
auxquels est versée une pension rapporté au nombre total d’actifs cotisants. Ainsi, selon
les projections démographiques réalisées par l’INSEE au tout début des années 2000, le
vieillissement progressif de la population française observé depuis un certain temps déjà
devrait se poursuivre dans les décennies à venir. Selon ces projections, le nombre de per-
sonnes âgées de 60 ans ou plus, passé de 6,7 millions en 1950 à 13,1 millions en 2006, soit
20,9 % de la population totale (tableau 8.1), devrait se situer en 2050 dans une fourchette
allant de 22,3 à 24 millions (approximativement 30 % de la population totale), soit une
hausse de 80 % en 45 ans13.
TAbLEAU 8.1
La population française par groupes d’âge: 1945-2008

Âge moyen Âge médian Moins de 20 20 ans à 59 dont 75 ans


60 ou plus
(en années) (en années) ans ans ou plus
France métropolitaine
1945 35,7 35 30,8 52,S 16,7 3,6
1950 35,3 34 30,2 53,6 16,2 3,8
1960 34,9 32 32,3 51,0 16,7 4,3
1970 34,8 32 33,2 48,8 18,0 4,7
1980 35,7 32 30,6 52,4 17,0 5,7
1990 36,9 34 27,8 53,2 19,0 6,8
1995 37,8 36 26,1 53,8 20,1 6,1
2000 38,7 37 25,6 53,8 20,6 7,2
2001 38,9 37 25,4 54,0 20,6 7,4
2002 39,0 38 25,2 54,2 20,6 7,6
2003 39,2 38 25,1 54,3 20,6 7,7
2004 39,3 38 25,0 54,3 20,7 7,9
2005 39,5 38 24,9 54,3 20,8 8,0
2006 39,6 38 24,8 54,3 20,9 8,2
2007 39,8 39 24,7 53,9 21,3 8,4
2008(p) 39,9 39 24,6 53,6 21,8 8,6
France métropolitaine et DOM
1995 37,6 35 26,4 53,8 19,8 6,0
2000 38,5 37 25,8 53,8 20,4 7,1
2005 39,3 38 25,2 54,2 20,6 7,9
2006 39,4 38 25,1 54,2 20,7 8, 1
2007 39,6 38 25,0 53,9 21,1 8,3
2008(p) 39,7 39 24,9 53,6 21,6 8,5

(1) p : données provisoires.


Champ: population au 1er janvier.
* en pourcentage du total de la population.
Source: INSEE, Bilan démographique.

Ce vieillissement tient pour partie à l’augmentation de l’espérance de vie qui a été par-
ticulièrement marquée en France au cours des dernières décennies. L’espérance de vie
à la naissance a en effet fortement progressé depuis 1950, et plus encore au cours de la

13 L’augmentation du nombre des personnes âgées de 60 ans et plus est sensible depuis 2006, année qui a marqué l’arrivée
à l’âge de 60 ans de la première génération du baby boom de l’après-guerre et se poursuivra jusqu’en 2035, avec l’arrivée
progressive à l’âge de la retraite des générations nombreuses qui se sont succédées jusqu’au début de années 1970. À
partir de cette date, la France devra faire face à l’arrivée à l’âge de la grande dépendance (90 ans) des premières généra-
tions du baby boom de l’après-guerre. À cette même date (2050), près de 5 millions de personnes auront plus de 85 ans.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 437


dernière période, passant de 63 ans en 1950 à 70 ans en 1980 et 77 ans en 2004 pour les
hommes et de 69 ans à 78 ans et près de 84 ans pour les femmes. Elle devrait encore s’al-
longer dans les décennies à venir, pour atteindre 81 ans pour les hommes et 89 ans pour
les femmes en 2040. Toutes choses égales par ailleurs, la durée moyenne de la retraite,
passée de 10 ans pour un individu né en 1910 à 20 ans pour un individu né en 1940,
continuera donc à augmenter, l’espérance de vie des hommes à 60 ans passant de 20 ans
aujourd’hui à 23 ans en 2040 et celle des femmes de 26 à 30 ans14. De sorte qu’en 2040,
selon les projections effectuées, la durée moyenne de la retraite pour ceux qui la pren-
dront alors, toutes choses égales par ailleurs, serait de 27 ans pour les femmes et de 23
ans pour les hommes. Le nombre total de retraités pourrait donc s’accroître de 8 millions
d’ici 2040, passant de 12 à 20 millions15.
Ce vieillissement de la population n’est cependant pas spécifique à la France. C’est une
évolution que les démographes s’accordent tous aujourd’hui à reconnaître comme inéluc-
table. Selon les projections actuelles, qu’il faut prendre avec prudence, mais qui donnent
une indication des ordres de grandeur, à l’échelle mondiale, les plus de 60 ans passeraient
de 600 millions en 2000 (10 % de la population mondiale) à 2 milliards en 2050 (21 % de la
population mondiale). Pour l’Union européenne, la part des personnes âgées de 65 ans et
plus passerait de 16 % à 29 % de la population totale, par suite de la faiblesse des taux de
fécondité et de natalité16 et de l’allongement de l’espérance de vie. Selon la Commission
européenne, en 2020, on devrait compter 32 personnes ayant plus de 65 ans pour 100 per-
sonnes en âge de travailler, contre 23 aujourd’hui.
Les conséquences économiques et sociales du vieillissement sont multiples et importantes.
Elles concernent le financement des dépenses de santé, les statistiques disponibles faisant
ainsi apparaître que les dépenses de santé des personnes de plus de 65 ans sont aujourd’hui
2,5 fois plus élevées que celles de la moyenne de la population (4,5 fois plus élevées pour les
personnes de plus de 85 ans). Elles concernent également et directement le financement des
régimes de retraite. Le vieillissement de la population et l’augmentation consécutive de la
part des retraités dans la population totale met en effet le fonctionnement du système de
retraites sous tension et menace l’équilibre financier des régimes de retraite par répartition.
Il se traduit par la dégradation de différents ratios qui permettent d’appréhender l’in-
cidence du facteur démographique sur le financement du système de retraite (Mills et
Caudron, 2007, p. 124-126), dégradation qui a commencé au cours des deux dernières
décennies et qui va se poursuivre dans les décennies à venir.
• Le ratio cotisants/retraités indique le nombre de cotisants pour un retraité. Il est en baisse
sensible depuis 1960 (graphique 8.1). Pour le régime général de la Sécurité sociale, il est
passé de 3,98 en 1960 (il y avait donc alors 3,98 cotisants pour un retraité) à 3,15 en 1975,
1,99 en 1987 et 1,55 en 2005, avec 16,6 millions de cotisants pour 10,7 millions de retrai-
tés (1,51 en 2006). Il faut cependant souligner que, si cette baisse traduit sans nul doute
l’incidence du facteur démographique, elle résulte également de la conjonction d’autres
facteurs, et en particulier du chômage et de l’éviction prématurée du marché du travail

14 Économie santé – OCDE, 2006, cité par Mills et Caudron, 2007, p. 125.
15 Parallèlement, entre 2000 et 2050, le nombre des personnes de plus de 75 ans triplerait (passant de 3 à 8,6 millions) et
celui des plus de 85 ans quadruplerait (de 1,2 à 4,8 millions). Par ailleurs, le nombre de personnes dépendantes, c’est-à-dire
de personnes ayant perdu totalement ou partiellement leur autonomie (estimé aujourd’hui entre 800 000 et 1,2 millions)
pourrait progresser de 80 % d’ici une quarantaine d’années. Le Monde, Dossiers et documents, n° 332, juin 2004, p. 6.
16 L’indice conjoncturel de fécondité de l’Union européenne à 15 est passé de 2,59 en 1960 à 1,47 en 2001.

438 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des travailleurs vieillissants (mise au chômage ou préretraites) ce qui, à la fois, réduit le
nombre de cotisants (chômage) et augmente celui des retraités (préretraites), alors même
que, du fait de l’augmentation des salaires avec l’ancienneté, ces travailleurs auraient ver-
sé des cotisations élevées s’ils avaient été maintenus en activité. Cette baisse est destinée à
se poursuivre, le ratio s’établissant à 1,1 en 2040 selon les projections réalisées par le COR
(2001).
GrAPhIqUE 8.1
Cotisants, retraités et rapport démographique du régime général*

* Effectifs au 31 décembre jusqu’en 1981, au 1er juillet à partir de 1982, en France métropolitaine
** Nombre de cotisants/nombre de retraités
Source : Tableaux de l’économie française, 2006, p. 105

• Le rapport du nombre de retraités sur le nombre d’actifs (chômeurs inclus) ou coefficient


de charge démographique indique combien il y a de retraités par actif. Il a augmenté de
0,34 en 1985 à 0,37 en 2005. Selon certaines estimations, dans l’hypothèse d’un indice
conjoncturel de fécondité de 1,8 (et en ne tenant pas compte du chômage) il devrait se si-
tuer à 0,5 en 2020 et 0,6 en 2040, sa forte augmentation à partir de 2005-2010 résultant de
l’arrivée à l’âge de la retraite des générations issues du baby boom, conjuguée à la baisse
prévue de la population active.
• Le ratio de dépendance démographique pur correspond au rapport du nombre de per-
sonnes de 60 ans et plus (ou alternativement de 65 ans, âge légal de la retraite qui tend à
s’imposer comme norme en Europe, et plus) sur le nombre de personnes ayant entre 20 et
59 (20 et 64) ans (population en âge de travailler : actifs, chômeurs et inactifs). C’est le ratio
auquel il est le plus souvent fait référence dans le débat sur les retraites. Le ratio des plus
de 65 ans sur les 20-65 ans qui était de 0,38 en 2000 pourrait, selon ces mêmes projections,
s’élever à 0,73 en 2040 (+ 90 %), la population d’âge actif étant censée baisser à partir de
2010, alors que le nombre des personnes de 65 ans et plus continuera, lui, d’augmenter.
Globalement, on observe donc une dégradation de ces différents ratios. Celle-ci a cepen-
dant nettement précédé l’arrivée des baby-boomers à l’âge de la retraite, ce qui suggère
que le « choc démographique », régulièrement évoqué, n’est pas le seul élément d’ex-
plication des difficultés de financement des régimes de retraite. En atteste le fait que les

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 439


difficultés de financement du système de retraite ont débuté avant même que l’impact
du vieillissement ne se fasse sentir. L’historique des déficits de la CNAV montre ainsi qu’il
y a eu 21 années de déficit entre 1976 et 2001. La Caisse nationale d’assurance vieillesse
enregistre un premier déficit important en 1978, qu’elle retrouve approximativement à
nouveau en 1983 puis en 1985, avant qu’il ne se creuse (15,6 milliards de francs en 1986,
16,6 milliards de francs en 1988, plus de 18 milliards de francs en moyenne en 1991 et
1992, 39,45 milliards de francs en 1993). Les comptes redeviennent excédentaires en 1999
jusqu’en 2004 puis retrouvent le déficit entre 2005 et 2006.

b – Les autres facteurs d’explication de la crise du système de retraite


D’autres éléments sont donc à prendre en considération. Parmi ces autres facteurs, on re-
tiendra en particulier les suivants.
• Les politiques de gestion des ressources humaines pratiquées dans les entreprises, qui
rejettent de plus en plus systématiquement, et de plus en plus tôt, les salariés « vieillis-
sants ». Avec pour conséquence qu’aujourd’hui 38 % seulement des hommes de la
tranche d’âge 55-64 ans demeurent en activité, soit le taux le plus bas de l’Union euro-
péenne à 15 (après la Belgique), contre 73 % en 197117. On a assisté en fait au cours des
dernières décennies à un phénomène « d’éviction massive des travailleurs vieillissants »,
ce qui aboutit à éliminer des cotisants à salaires élevés (fin de carrière) au détriment de
l’équilibre financier du système de retraite.
• Le chômage de masse qui est, on l’a vu, l’une des caractéristiques majeures de la crise
économique durable contemporaine en France et qui, par lui-même, altère fortement
l’équilibre financier du système de retraite. Le niveau élevé du chômage correspond à
une perte considérable de cotisations.
• Les politiques salariales de rigueur liées à la politique de « désinflation compétitive » ont
pesé et pèsent encore sur la croissance des salaires et, partant, sur celle des cotisations,
tandis que l’extension du travail à temps partiel réduit l’assiette sur laquelle celles-ci sont
calculées. La part des salaires dans la valeur ajoutée a reculé, alors même que la masse
salariale est la base du financement de la protection sociale.
• L’accroissement du taux d’activité des femmes à partir des années 1960, ce qui s’est
traduit depuis 2005 par l’augmentation du nombre des femmes accédant à la retraite
selon un régime de droits directs18. La poursuite dans le futur de l’augmentation du taux
d’activité des femmes serait cependant susceptible de contribuer à améliorer la situation
financière des régimes de retraite en augmentant le nombre de cotisants. D’autant que
l’augmentation du nombre de femmes pensionnées de droits directs devrait se traduire
par une baisse du nombre des pensions de réversion qui sont versées sous conditions de
ressources.
Les conséquences défavorables pour le financement du système de retraite résultant de
l’évolution démographique ne peuvent donc pas être considérées comme la seule expli-
17 Concrètement, l’âge moyen de cessation d’activité se situe aujourd’hui un peu en dessous de 59 ans, soit plus précoce-
ment que l’âge légal de départ à la retraite. L’âge moyen de retrait du marché du travail sur la période 2000-2001 était
de 58,1 ans en France, contre une moyenne de 59,9 ans pour l’UE à 25. 60,7 ans en Allemagne, 61,9 ans au Danemark,
62,1 ans au Royaume-Uni, 64,6 ans aux États-Unis et 67,5 ans au Japon.
18 Sachant que, désormais, 70 % des femmes appartenant aux tranches d’âge entre 15 et 60 ans sont actives.

440 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


cation de la crise financière à laquelle celui-ci est déjà confronté depuis un certain temps.
Mais elles vont venir s’ajouter aux effets déséquilibrants, préexistants, du chômage et de
l’évolution défavorable des salaires.
C’est dans ce contexte, et alors que se succèdent depuis près de deux décennies des rap-
ports alarmistes mettant en exergue l’impact de ce que certains appellent la crise démo-
graphique, que se développe un débat nourri à propos de la réforme des systèmes de
retraite (Concialdi, 1997). Ce débat oppose plus particulièrement les partisans des systèmes
de retraite par répartition à ceux qui défendent les systèmes de retraite par capitalisation,
ce qui conduit à s’interroger sur les avantages et les inconvénients respectifs de chacun de
ces deux systèmes.

B – Répartition versus capitalisation : les avantages et inconvénients respectifs


de la répartition et de la capitalisation
Il existe actuellement, de par le monde, deux grands modes de financement des retraites
qui répondent à des logiques très différentes : le régime de retraite par répartition et le
régime de retraite par capitalisation.
1) Dans le cas de la retraite par répartition, chaque actif cotise pendant sa vie active pour
acquérir des droits à pension à faire valoir lors de sa retraite. Mais les pensions versées
aux retraités sont financées par les cotisations que versent parallèlement les actifs. Le
système repose donc sur la solidarité intergénérationnelle en même temps qu’il l’orga-
nise et la produit.
Ce régime de retraite par répartition présente certains avantages expliquant qu’il ait été
retenu, de préférence au système de retraite par capitalisation, lors de la mise en place de
la Sécurité sociale en 1945.
• Il est immédiatement opérationnel, la masse des cotisations acquittées par les salariés et
les entreprises qui les emploient permettant de verser dès sa mise en place une pension
aux personnes habilitées à faire valoir leur droit à la retraite ; c’est d’ailleurs en partie pour
cette raison qu’il a été adopté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale19. Il se dis-
tingue ainsi nettement de ce point de vue du système de retraite par capitalisation, dans
lequel les actifs doivent normalement commencer par épargner pendant la durée de leur
vie active pour se constituer le capital à partir duquel leur retraite pourra être payée et qui
ne devient donc réellement opérationnel qu’au bout d’une génération.
• En France, le rendement de ce système de retraite par répartition est élevé. Le taux de
remplacement du revenu d’activité qu’il assure, soit le rapport entre la retraite globale
versée (retraite de base et retraite complémentaire) et le salaire qui était perçu juste avant
le départ en retraite, s’élève en moyenne à 70 %.
• Il offre par ailleurs une protection efficace contre l’inflation dans la mesure où, comme
c’était du moins le cas jusqu’en 1993 pour les salariés du secteur privé et jusqu’en 2004 pour
ceux du secteur public, les retraites sont indexées sur les salaires, ce qui permet aux retraités
de bénéficier des gains de pouvoir d’achat obtenus parallèlement par les actifs.

19 En partie seulement, car les concepteurs du nouveau régime de retraite gardaient en mémoire l’échec des systèmes de
retraite par capitalisation démantelés par la crise de 1929-1933.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 441


• Ses frais de gestion sont globalement très faibles, car ils se réduisent aux seuls frais admi-
nistratifs de gestion de la collecte des cotisations, de calcul des droits à pension des retraités
et de versement des pensions avec, dans tous les cas, des économies d’échelle considérables
compte tenu du nombre d’affiliés au régime de base ou aux différents régimes de retraite
complémentaire.
En revanche, selon certains auteurs qui développent une argumentation critique à l’en-
contre de ce régime de retraite par répartition, celui-ci présenterait deux défauts principaux.
• D’une part, il ne favorise pas la constitution par les ménages d’une épargne privée à long
terme, alors même que, pour ces auteurs, une telle épargne serait essentielle pour garantir
aux entreprises un financement stable et abondant, leur permettant d’investir et de déve-
lopper leurs activités, ce qui est a priori le meilleur moyen de créer les richesses permettant
de supporter la charge du financement des retraites.
• D’autre part, il est sensible aux déséquilibres sociodémographiques (rapport actifs/retrai-
tés). Le vieillissement de la population soulève nécessairement, pour un régime de retraite
par répartition dans lequel les actifs du moment cotisent pour les retraités du moment, un
problème de financement qui n’est a priori susceptible de se résoudre que de trois manières
différentes : augmentation des cotisations sociales de l’assurance vieillesse ou des impôts
servant à financer les pensions ; baisse du taux de remplacement, autrement dit du mon-
tant moyen des pensions ; recul de l’âge d’ouverture du droit à percevoir une pension de
retraite20.

2) Dans le cas de la retraite par capitalisation, chaque actif cotise pendant sa vie profession-
nelle pour se constituer un capital, qui est placé sur les marchés de capitaux pour être
rentabilisé et qui servira le moment venu au financement de la retraite. Celle-ci dépendra
donc de l’effort d’épargne qui aura été consenti par le retraité pendant sa vie active et
de la manière dont les marchés financiers rémunèrent les actifs accumulés par le retraité.
La capitalisation peut prendre concrètement différentes formes : adhésion à un fonds de
pension (forme de placement collectif), souscription par l’individu d’une assurance-vie, d’un
plan d’épargne en actions, d’un plan d’épargne-retraite (formes de capitalisation privée).
Concernant la forme la plus fréquente de la retraite par capitalisation, celle qui est gérée par
des fonds de pension, elle peut correspondre à deux dispositifs différents, selon qu’il s’agit
de fonds à prestations définies ou de fonds à cotisations définies. Dans le premier cas, le
montant de la retraite est calculable à l’avance ; l’entreprise qui met elle-même en place ou
qui adhère à un tel dispositif au bénéfice de ses salariés s’engage sur le montant des pensions
qui leur seront versées lorsqu’ils pourront faire valoir leurs droits à la retraite. Par contre,
dans le second cas, le montant de la retraite dépend directement de la gestion du fonds qui
perçoit les cotisations versées par les salariés et les entreprises. Aucun engagement n’est pris
concernant le montant de la future pension qui sera versée au retraité. Ce montant sera
directement conditionné par les performances réalisées par le fonds concernant la gestion

20 Dans ce troisième cas, si le vieillissement tient uniquement à l’allongement de l’espérance de vie sans modification de la
fécondité, il suffit en fait que l’âge de la retraite recule en proportion de l’allongement de la durée moyenne de vie, de
sorte que le rapport entre la durée de vie active et la durée de la retraite demeure inchangé. Si, par exemple, le rapport
entre vie active et retraite est au départ de 40 ans / 20 ans et que la durée moyenne de vie augmente de 3 ans, il faut
que le rapport passe à 42 ans / 21 ans.

442 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


des capitaux qui lui ont été confiés. La première forme, moins risquée globalement pour les
salariés, tend cependant à disparaître au profit de la seconde.
On peut dire de ce système de retraite par capitalisation que c’est un système individualiste
s’inscrivant parfaitement dans le processus d’individualisation qui caractérise les sociétés
industrielles capitalistes contemporaines. Il a par ailleurs incontestablement la faveur des
dirigeants politiques de nombreux pays développés, de grandes institutions internationales
telles que la Banque mondiale, le Fonds monétaire international ou la Commission euro-
péenne, ainsi que de puissants intérêts privés (banques, compagnies d’assurances…). Il ren-
contre en outre un écho favorable croissant dans certaines couches de salariés. Cela étant, la
capitalisation n’en soulève pas moins certaines interrogations.
• Elle repose sur le pari d’un rendement réel positif de l’épargne investie et donc du maintien
durablement de taux d’intérêt supérieurs au taux d’inflation. Cette condition étant suppo-
sée vérifiée, le fonctionnement des régimes de retraite par capitalisation n’en repose cepen-
dant pas moins sur une sorte de contradiction. En effet, leur rendement est a priori d’autant
plus élevé que les taux d’intérêt réels sont eux-mêmes plus élevés, alors même que des taux
d’intérêt réels élevés influent négativement sur la croissance économique réelle et donc sur
la création de richesses réelles à partir desquelles s’effectue en définitive le paiement des
pensions.
• S’agissant d’une épargne à long terme (on épargne pendant 40 ans en moyenne pour
bénéficier ensuite d’une retraite pendant 20 ans), il est difficile de prévoir avec certitude
l’évolution de son rendement. Les fonds de pension qui gèrent cette forme de retraite sont
nécessairement soumis aux aléas des marchés financiers. À titre d’exemple, à la suite de la
crise boursière mondiale du début des années 2000, la valeur estimée des fonds de pension
dans le monde est passée de 13 500 milliards de dollars en 1999 à 10 700 milliards en 2002,
soit une perte de 20 %. En Grande-Bretagne, où un régime complémentaire de retraite
par capitalisation destiné à relayer la retraite de base fut mis en place dès les années 1970,
l’étude Pension Map of Britain de Simon Grinage prévoit que plus de la moitié des salariés
britanniques n’auront droit qu’à une retraite représentant moins de 40 % de leur salaire
final, tandis que, selon Mills et Caudron (2007, p. 133), « la situation des fonds de pension
britanniques est telle en 2006 que l’âge de liquidation de la retraite devra être repoussé à 68
ans, peut-être même à 70 ans ».
• Diverses études ont montré que les frais de gestion d’un système par capitalisation sont
nettement plus élevés que ceux d’un système par répartition, ce dernier réalisant des éco-
nomies d’échelle liées au grand nombre d’affiliés. Aux États-Unis, les frais de gestion des
systèmes de retraite par capitalisation pourraient aller dans certains cas jusqu’à 40 % des
sommes versées par les salariés, contre des frais de gestion de l’ordre de 5 % du total des
cotisations pour le système français public et obligatoire de retraite par répartition.
• Rien ne garantit a priori une bonne gestion des fonds accumulés par les actifs en vue
de leur retraite. Certains fonds de pension peuvent réaliser de mauvais placements et en-
traîner un effondrement des pensions futures estimées. L’affaire Enron aux États-Unis, et
d’autres encore, ont montré que les malversations dans la gestion des entreprises peuvent
aboutir dans certains cas à spolier totalement ou quasi totalement les salariés de leurs
droits à retraite.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 443


• Pour les partisans de l’introduction en France d’un système de retraite par capitalisation,
avec création de fonds de pension « à la française », un tel système présenterait l’avantage
de stimuler l’épargne des ménages et, en particulier, l’épargne longue, favorisant ainsi
l’investissement productif des entreprises et la croissance économique. Cela laisse supposer
qu’il serait nécessaire de stimuler l’épargne des ménages français et que l’investissement
productif des entreprises et la croissance économique sont dépendants du développement
préalable de l’épargne des ménages. Or de nombreux analystes font valoir que le taux
d’épargne est déjà très élevé en France et en tout cas nettement supérieur à celui observé
dans beaucoup de pays développés21. Dans ces conditions, il n’est pas assuré que la stimu-
lation d’une épargne longue des ménages soit un préalable indispensable à la relance de
la croissance. Ça l’est d’autant moins que la contribution du marché des actions au finan-
cement des entreprises est traditionnellement relativement limitée en France, en raison
du taux moyen élevé d’autofinancement des firmes, et qu’elle tend de surcroît à devenir
aujourd’hui négative pour certaines grandes entreprises qui utilisent une partie de leurs
bénéfices à racheter leurs actions sur le marché boursier (cf. supra, chapitre III). Par ailleurs,
on peut observer que les États-Unis et la Grande-Bretagne, où le taux d’épargne est très
faible et l’endettement des ménages très élevé (en moyenne deux fois plus élevé dans ces
deux pays qu’en France), ont connu au cours de la dernière décennie une croissance éco-
nomique sensiblement plus soutenue que celle de la France.
• Enfin, contrairement aux idées reçues, la retraite par capitalisation est en fait aussi sensible
aux variables démographiques que le système par répartition. Comme le souligne A. Tur-
ner (2007, p.16), « Face aux changements démographiques, les systèmes par capitalisation
comme les systèmes par répartition sont confrontés aux mêmes risques » ; et « le seul avan-
tage propre à la capitalisation est qu’elle donne aux individus la possibilité d’exprimer leurs
préférences entre différents schémas de risques et de rendements ».
Néanmoins, force est de constater que l’objectif des dispositifs qui ont été mis en place
en France depuis les années 1980, comme ailleurs dans la plupart des grands pays déve-
loppés, est de permettre aux individus, au prix d’un effort d’épargne privée pendant leur
vie active, d’élever individuellement le taux de remplacement de leur revenu d’activité en
ajoutant à la retraite par répartition des revenus supplémentaires liés à la capitalisation22.
La mise en place de ces nouveaux dispositifs s’inscrit dans un processus plus large de ré-
forme du système de retraite.

paragraphe 3 : l’ambiguïté des réformes des régimes de retraite

Depuis le milieu des années 1980, de nombreux rapports officiels ont été consacrés à la
question des retraites23. Citons en particulier le Livre blanc sur les retraites, préfacé par
21 L’incertitude sur le devenir des régimes de retraite étant d’ailleurs souvent évoquée pour expliquer ce niveau élevé
actuel du taux d’épargne.
22 Sachant que ces dispositifs sont basés sur des incitations fiscales, il est intéressant de souligner qu’une étude de l’OCDE
(2005), Going for Growth, Economic Policy Reform, montre que les diverses aides fiscales mises en place dans les différents
pays pour inciter les salariés à épargner, afin de se constituer une retraite complémentaire personnelle, ne bénéficient
en réalité en moyenne qu’aux salariés les plus aisés et s’avèrent très onéreuses pour les finances publiques.
23 1985, Rapport TABAH (Commissariat général au plan) ; 1986-1987, Rapport SCHÖPFLIN (Commissariat général au plan) ;
1988, Rapport CHOTARD (Conseil économique et social) ; 1991, Livre Blanc sur les retraites ; 1998, Rapport DAVANNE ;
1999, Rapport CHARPIN (Commissariat général au plan) ; 2000, Rapport TEULADE (Conseil économique et social).

444 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Michel Rocard, qui a inspiré la réforme Veil-Balladur de 1993, le rapport de 1999 de la
commission Charpin au Premier ministre Lionel Jospin, L’avenir de nos retraites, et le rap-
port Teulade, L’avenir des systèmes de retraite (2000), présenté au Conseil économique et
social. Il faudrait évoquer également le numéro spécial d’Économie et statistiques dirigé
par Denis Kessler, L’avenir de nos retraites (1990), qui mit en avant la question du « choc
démographique » et a fortement orienté le débat ultérieur à propos de la réforme des
régimes de retraite.
Trois grandes réformes inspirées de ces rapports ont été conçues et mises en œuvre, la
réforme Veil-Balladur de 1993 et la réforme Fillon-Raffarin de 2003 prolongée par celle
de 2008. Elles ont été présentées comme les seules solutions possibles au « problème des
régimes de retraite » (A), mais laissent en réalité planer beaucoup d’incertitudes (B).

A – Les réformes de 1993, 2003 et 2008 : aperçu d’ensemble


Ces réformes visent officiellement à aménager, pour le préserver, le système de retraite
par répartition pour lequel la France a opté au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
Mais, sous des formes diverses, elles ouvrent la porte au développement d’un système
de retraite par capitalisation venant s’adjoindre au système de retraite par répartition :
système de retraite par capitalisation qui est présenté par ses défenseurs (en particulier
les sociétés d’assurances privées…) comme étant plus apte à répondre au « choc démo-
graphique » attendu pour la période 2005-2040 et comme pouvant favoriser la croissance
économique en stimulant le développement d’une épargne de longue durée, susceptible
d’alimenter les entreprises en capitaux (cf. supra).
Ces réformes reposent globalement sur les mêmes principes :
1) blocage des taux de cotisation limitant de manière stricte l’évolution des ressources des
régimes de retraite alors que, pour les raisons indiquées précédemment, le nombre de
bénéficiaires doit progressivement augmenter et avec lui la charge financière des re-
traites à dispositions inchangées ;
2) allongement de la durée de cotisation et baisse du taux de remplacement via l’aug-
mentation du nombre d’années servant de base au calcul de la retraite et l’indexa-
tion des retraites sur les prix et non plus sur les salaires bruts (Rémond, 2007, p. 602).

• La réforme Veil-Balladur de 1993, qui concerne exclusivement le secteur privé, se décline


en trois mesures. La durée de cotisations nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein est
prolongée et passe par étapes de 37,5 ans à 40 ans. Le mode de calcul des pensions est modi-
fié ; il prend désormais en compte les 25 meilleures années de la carrière professionnelle de
l’assuré au lieu des 10 meilleures années auparavant24. Le mode de revalorisation des pen-
sions versées aux retraités est modifié ; elles ne sont désormais plus indexées sur les salaires
des actifs comme c’était le cas jusque-là mais sur les prix. Il est par ailleurs institué une décote
de 10 % par année manquante en cas de liquidation de la retraite avant que l’intéressé ait
cotisé le nombre total d’annuités nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein.
• La réforme Fillon-Raffarin de 2003 ne fait pour l’essentiel que généraliser aux salariés du
secteur public certaines dispositions de la réforme Veil-Balladur, en faisant comme s’il n’y
24 Lesquelles 25 meilleures années peuvent désormais représenter pour certains salariés, dans un contexte de chômage de
masse et d’emploi précaire, la totalité ou la quasi-totalité de leur carrière professionnelle.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 445


avait aucune alternative. La durée de cotisation donnant droit à une retraite à taux plein
pour les fonctionnaires est prolongée, à raison de 2 trimestres par an, de manière à ce que
cette durée de cotisation soit désormais de 40 ans pour tous les salariés (secteur public et
secteur privé) à partir de 2008. Mais il est prévu qu’elle passe ensuite à 41 ans entre 2008
et 2012, puis à 42 ans entre 2013 et 2016. La réforme Fillon-Raffarin a également mis en
place un dispositif de retraite anticipée permettant aux salariés âgés de 56 à 59 ans, et
ayant cotisé 40 années pleines, de prendre leur retraite à taux plein avant 60 ans. Pour
le régime général, il est prévu que la décote de 10 % instituée en 1993, s’appliquant par
année manquante en cas de liquidation de la retraite avant le nombre total d’annuités
requises, revienne de 10 % à 5 % en 2013. Dans le secteur public, la réforme de 2003 in-
troduit une décote de 3 % par annuité manquante en 2008, qui passera à 5 % en 2013.
Parallèlement, un bonus est institué pour les années cotisées au-delà de 60 ans et de 40 ans
de cotisations : 3 % pour la première année, 4 % pour les années suivantes et 5 % au-delà
de 65 ans. Le droit pour une entreprise de mettre un salarié en retraite est reporté à 65 ans.
• La réforme des régimes spéciaux de 2008 prolonge pour les régimes de retraite de cer-
tains salariés (EDF, GDF, SNCF, RATP…) celle de 2003 : allongement de la durée de cotisa-
tion portée de 37,5 ans à 40 ans d’ici 2012, à raison de deux semestres supplémentaires
par an, la durée de cotisation évoluant ensuite comme celle des fonctionnaires ; calcul du
montant de la pension sur la base des six derniers mois comme dans la fonction publique ;
indexation des pensions sur les prix et non plus sur les salaires ; mise en place d’un dispo-
sitif de bonus et de décote.
Les conséquences de ces réformes sur le fonctionnement des régimes de retraite apparais-
sent de plus en plus clairement.
L’allongement de la durée de cotisation va aboutir à une véritable mise en situation de
non-maturité des régimes de retraite. Nombre de salariés du secteur privé, où les licencie-
ments économiques frappent généralement en premier lieu les travailleurs les plus âgés,
risquent de se retrouver à l’avenir dans l’impossibilité de percevoir une retraite à taux
plein. En effet, l’insertion professionnelle est de plus en plus tardive (allongement de la
durée des études, mais également importance du chômage frappant les 18-24 ans) et deux
tiers des cessations d’activité ont lieu avant 60 ans.
Le calcul des pensions sur la base du salaire perçu pendant les 25 meilleures années pour les
salariés du secteur privé s’inscrit dans une volonté d’avoir un salaire de référence moindre
et de condamner ainsi les ayant droits à une pension moins avantageuse.
Quant à l’indexation des retraites sur les prix et non plus sur les salaires, elle signifie l’évic-
tion des retraités du partage des gains de productivité. Un strict partage des gains de
productivité entre les revenus du travail et ceux du capital et de la propriété suppose que
le pouvoir d’achat des revenus du travail augmente au même rythme que la productivité.
Or, avec cette nouvelle disposition, et en supposant que l’évolution de l’indice des prix à la
consommation reflète fidèlement l’évolution des prix, le pouvoir d’achat des retraités sera
automatiquement plafonné pendant toute la durée de leur retraite au niveau atteint au
tout début de cette dernière. Les retraités seront donc exclus de fait du partage des gains
de productivité. Cette mesure prépare une évolution du partage de la valeur ajoutée entre
les revenus du travail (incluant les pensions versées aux retraités) et ceux du capital et de
la propriété défavorable aux premiers.

446 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


De fait, selon certaines estimations, pour un retraité qui a liquidé sa retraite en 1993, la
perte de pouvoir d’achat qu’il a subie en 2006, relativement à ce qu’aurait été sa retraite
cette même année si l’ancien système d’indexation des retraites sur les salaires avait été
préservé, serait de l’ordre de 30 %25. Le passage de l’indexation des retraites sur les salaires
à l’indexation sur les prix a pour conséquence que, par exemple, un nouveau retraité, dont
l’espérance de vie comme retraité est de 25 ans, qui percevrait au début de sa retraite une
pension égale à 85 % du SMIC du moment, se retrouvera au terme de sa retraite avec une
pension égale à environ 40 % seulement du SMIC perçu par les actifs de l’époque et ce, sur
la base des taux de hausse annuels moyens respectivement des prix et des salaires26.
Les réformes successives des retraites ne peuvent en fait qu’aboutir à une réduction du
taux de remplacement (rapport de la pension au dernier salaire perçu). Selon les estima-
tions du COR (2002), les mesures contenues dans la réforme Fillon-Balladur devraient faire
baisser « le taux de remplacement du régime général d’une douzaine de points à l’horizon
2010 et les modifications de paramètres dans les régimes complémentaires de l’ordre de 6
à 8 points entre 1995 et 2030 » (Rémond, 2007, p. 614). Le taux de remplacement passerait
en fait de 78 % au début des années 2000 (tous régimes confondus) à 64 % seulement en
204027.
Soulignons en outre que ces mesures pénalisent plus particulièrement les femmes dont
les itinéraires professionnels sont plus poreux et plus chaotiques (maternité) et les salaires
moins élevés que les hommes et qu’elles accroissent par conséquent les inégalités entre
les sexes. L’inégalité entre les hommes et les femmes au regard de la retraite préexistait
aux réformes. Elle tient au moins grand nombre d’années de cotisations des premières
par rapport aux seconds (arrêt de carrière pour éduquer les enfants) et du niveau moyen
des salaires sensiblement plus faible tout au long de la carrière professionnelle (cf. tome
1, chapitre IV). Les pensions perçues par les femmes sont en moyenne 40 % inférieures à
celles des hommes : en 2004, pour les retraites de droit direct, 850 euros par mois pour les
femmes contre 1 434 euros par mois pour les hommes. En outre, seules 39 % des femmes
retraitées sont parvenues à valider 37,5 annuités, contre 85 % pour les hommes.
Mais les réformes, par la prolongation de la durée de cotisation pour percevoir une re-
traite à taux plein, l’introduction de la décote dans le public et le calcul de la pension sur
la base des 25 meilleures années (et non des 10 comme antérieurement) dans le privé
vont aggraver cette inégalité. Ces dispositions pèseront en effet davantage sur les femmes
25 Comme le soulignent G. Cornilleau et H. Sterdyniak (2008, p. 7), la réforme des retraites de 1993, sous l’effet des deux
mesures que sont la substitution des 25 aux 10 meilleures années pour le calcul de la pension et de l’indexation de cette
dernière sur les prix et non sur les salaires, « provoque à terme une baisse de l’ordre de 36 % du niveau des retraites du
régime général » et cela, alors même que les « besoins de services (aides domestiques) » des retraités augmentent du
fait de l’allongement de la durée de vie moyenne.
26 Par ailleurs, selon une estimation du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale, la réforme de 1993 pour
le secteur privé s’est traduite par une baisse du pouvoir d’achat des retraites du régime général de 0,3 % par an et de
0,6 % par an pour la retraite complémentaire (Harribey et Khalfa, 2007, p. 22).
27 Selon Cornilleau et Sterdyniak (2008, p. 9), « les taux de remplacement nets, mesurés au moment du départ à la retraite,
ont déjà fortement diminué de 1990 à 2006, passant de 85 % à 73 % pour les non-cadres et de 79 à 58 % pour les cadres
sous l’effet de la réforme Balladur, des accords dans les régimes complémentaires, enfin de la montée en puissance de
la CSG » . L’évolution ultérieure du taux de remplacement devrait dépendre largement des négociations futures sur les
retraites complémentaires. En 2050, le taux de remplacement pourrait être de 67 %, si le taux de rendement des régimes
complémentaires est stabilisé, et de 58 % si la baisse de ce taux se poursuit. Pour les cadres, le taux de remplacement
selon l’hypothèse considérée se situerait entre 51 % et 58 %. Il y aurait donc dans tous les cas baisse, laquelle « serait
évidemment pain bénit pour les fonds de retraite par capitalisation » (id., p. 9).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 447


que sur les hommes, compte tenu des différences de leurs carrières professionnelles res-
pectives. Les inégalités dont les femmes sont victimes durant leur vie active vont ainsi se
trouver amplifiées au moment de la retraite.
Or d’autres voies que l’augmentation de la durée de cotisations et la réduction du mon-
tant des pensions seraient envisageables. Ainsi en est-il de l’augmentation des cotisations.
J.-P. Piriou (2003) souligne à ce propos que « pour assurer le financement des retraites à
l’horizon 2040, tout en abrogeant la réforme Veil-Balladur de 1993 et son extension en
2003 (il suffirait) d’augmenter de quelques 14 points le taux de cotisation pour la retraite,
soit une variation annuelle de 0,34 point », représentant 6 points du PIB en tout. De ma-
nière plus précise, l’auteur explique qu’il suffirait que la hausse des cotisations nécessaires
soit telle que « le pouvoir d’achat du salaire net moyen augmente chaque année de 0,5 %
de moins que la productivité », soit une hausse de 1,9 % au lieu de 2,4 % si la productivité
continuait à progresser jusqu’en 2040 au rythme moyen observé de 1973 à 2000 (soit une
hausse de 112 % en 40 ans au lieu de 158 %) et une hausse annuelle de 2,2 % au lieu de
2,7 % si la productivité conservait jusqu’en 2040 le rythme annuel moyen de croissance qui
fut le sien depuis 1880 (soit une hausse de 139 % en 40 ans au lieu de 190 %).
Force est cependant de constater qu’un aspect essentiel des réformes mises en œuvre est
le refus explicite d’augmenter les cotisations de l’assurance vieillesse. Ce refus peut se
comprendre dès lors que l’un des objectifs de ces réformes est de permettre l’émergence
d’un système de retraite par capitalisation. En effet, le refus d’augmenter le taux des co-
tisations, commun aux réformes de 1993 et 2003, revient à limiter délibérément le finan-
cement des retraites par répartition et inciter les futurs retraités à tenter de compléter les
pensions acquises au titre du régime par répartition par des revenus issus de l’adhésion à
un régime complémentaire de capitalisation.

*
La France n’a pas le monopole de ce type de réforme des régimes de retraite. Alors que,
pour un grand nombre de pays de l’Union européenne, la charge des pensions de retraite
dépasse 10 % du PIB (graphique 8.2), certains de ces pays se sont également engagés dans
la voie de la réforme de leurs systèmes de retraite. En règle générale, cela aboutit à ré-
duire les prestations versées par les régimes de base, à durcir les conditions requises pour
bénéficier des prestations complètes de ces régimes de base et à favoriser le recours à des
systèmes complémentaires de financement privé des retraites.

448 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 8.2
Dépenses de pensions dans quelques pays européens en 2004

Italie(p) 14,7
Autriche 14,3
Allemagne(p) 13,3
Pologne(p) 13,3
France(p) 13,1
Grèce 12,9
Pays-Bas(p) 12,9
Suède(p) 12,6
Portugal(P) 12,4
Finlande 11,2
Belgique 11,1
Danemark 11,0
Slovénie(p) 10,9
Royaume-Uni) 10,7
Luxembourg(P) 10,1
Hongrie 9,3
Malte 9,3
Espagne(P) 9,2
République tchèque(P) 8,4
SlovaquIe(P) 7,3
Lettonie(P) 6,8
Chypre 6,7
Lituanie(P) 6,7
Estonie 6,2
Irlande 4,1

p: données provisoires.
e: estimations.
Source: Eurostat.

En vertu du principe de subsidiarité, ayant pour conséquence que les questions de protec-
tion sociale sont de la compétence des États-membres, les instances communautaires n’ont
théoriquement pas à se préoccuper de la question des régimes de retraite appliqués dans
les différents pays de l’Union européenne. En pratique, il en va cependant tout autrement
et la Commission européenne appelle les États-membres à développer la retraite par ca-
pitalisation, à reculer l’âge de départ à la retraite et à ne pas augmenter les cotisations.
Elle est entendue. Les réformes mises en œuvre dans d’autres pays européens ont eu pour
effet : de reculer l’âge de la retraite (65 ans en Allemagne, 67 ans au Royaume-Uni et au
Danemark) ; d’accroître la durée de cotisations requise pour bénéficier d’une retraite à
taux plein (44 ans en Grande-Bretagne, 45 ans en Belgique) ; d’indexer les retraites sur les
prix et non plus sur les salaires (la quasi-totalité des pays de l’Union européenne).
En Allemagne, la réforme de 2001 a prévu que le taux de remplacement, désormais calculé
en référence à la totalité du salaire perçu, passerait de 69 % à 64 % pour une retraite à
taux plein acquise au terme de 45 années de cotisations. Il a en outre été institué un sys-
tème de retraites privées facultatives financées par capitalisation, sytème très fortement
aidé par l’État (les aides de l’État représenteraient de l’ordre de 40 % des cotisations ver-
sées par les salariés), qui repose sur des cotisations individuelles pouvant aller jusqu’à 4 %
du revenu de l’épargnant.
En Suède, la réforme entrée en vigueur en 1999 s’est traduite par la création d’un système
de retraite à deux étages, un étage fonctionnant en répartition et un étage fonctionnant
en capitalisation. L’ensemble est alimenté par une cotisation sociale de 18,5 %, partagée

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 449


à parité entre les salariés et les employeurs. Seize points de cotisation vont au système par
répartition et le reste au système par capitalisation. L’âge minimum pour faire valoir le
droit à la retraite à été fixé à 61 ans. Pour le système par répartition, chaque salarié dispose
d’un compte personnel qui recense l’ensemble des cotisations qu’il a versées depuis son en-
trée en activité. Sa pension est calculée en fonction des droits à la retraite qu’il a acquis du-
rant sa vie active, sans référence à une durée de cotisation minimale, et en tenant compte
également de l’espérance de vie de la cohorte de population à laquelle il appartient, sans
distinction entre les femmes et les hommes.
En Finlande, la réforme des retraites entrée en vigueur en 2005 s’est traduite par la sup-
pression de la retraite anticipée pour invalidité. Le montant des pensions versées aug-
mente en fonction du nombre d’années travaillées au-delà de 63 ans. À l’opposé, il baisse
au cas où la retraite est prise avant 62 ans.
Au sommet de Barcelone, la France, représentée conjointement par Jacques Chirac et Lio-
nel Jospin, a accepté « d’augmenter progressivement d’ici 2010 d’environ cinq ans l’âge
moyen effectif de cessation de l’activité professionnelle », c’est-à-dire en fait de le faire
remonter à 62,5 ans, objectif au demeurant fort loin d’être atteint pour le moment.

B - Des réformes qui laissent planer beaucoup d’incertitudes


Précisons qu’en l’état actuel des choses, la réforme des retraites de 2003 n’en garantit pas
réellement le financement à terme. Plus généralement, selon G. Cornilleau et H. Sterdy-
niack (2004 a, p. 34), « ni la fiabilité du système de retraite par répartition ni sa capacité à
assurer une retraite décente ne sont garanties par les réformes engagées ».
Cette réforme qui tente de résoudre le problème des retraites par un allongement de la
durée de cotisation repose sur deux hypothèses. La première concerne l’allongement de la
durée de vie active effective des salariés. Elle suppose une remise en cause complète de la
politique de gestion des ressources humaines qui s’est progressivement imposée dans les
entreprises depuis les années 1980. La seconde concerne le retour à un taux de chômage
de l’ordre de 4,5 à 6 % dès 2010. À supposer que ces deux hypothèses soient vérifiées, la
réforme ne permettra cependant de couvrir que 42 % des besoins de financement du sys-
tème par répartition, que le Conseil d’orientation des retraites évalue à 43 milliards d’euro
en 2020.
Outre que ces deux hypothèses sont loin d’être assurées.
• D’une part, comme le soulignent G. Cornilleau et H. Sterdyniack, cette réforme suppose
non seulement que la France retrouvera le plein-emploi ou le quasi plein-emploi d’ici
2010 mais qu’elle sera de surcroît « capable de trouver des emplois pour les 57-62 ans
d’ici à 2020 et pour les 62-65 ans d’ici à 2040 » (id. p. 36). En effet, la génération née en
1980 ayant commencé à travailler à 21 ans en moyenne (2001), elle devra travailler 42
ans pour acquérir des droits complets, c’est-à-dire travailler jusqu’à 63 ans pour prendre
sa retraite en moyenne en 2043. Or les normes de gestion des ressources humaines
qui se sont imposées progressivement dans les entreprises depuis les années 1980 ont
abouti à une réduction significative de l’âge moyen de cessation d’activité, qui n’est
plus aujourd’hui en moyenne que de 57,5 ans (recours massif aux préretraites, licen-
ciements économiques affectant en premier lieu les salariés les plus âgés…). Selon une

450 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


étude de la Caisse des dépôts et consignations, la carrière moyenne des hommes n’était
plus en 2002 que de 38 ans. Le taux d’activité des 55-60 ans n’est déjà plus aujourd’hui
que de 61 % et celui des 60-65 ans de 16 %. Si le chômage de masse n’est pas résorbé
et si la politique des entreprises ne se modifie pas radicalement, la réforme des retraites
conduit en fait à l’augmentation du nombre de chômeurs âgés contraints de liquider
leur retraite (nécessairement minorée de ce fait) avant les 42 années requises.
• D’autre part, compte tenu du taux de croissance économique requis pour créer des em-
plois et faire reculer le chômage en France, pour pouvoir revenir à un taux de chômage
de 6 % en 2010, il aurait fallu que la croissance se maintienne à un niveau annuel moyen
de 3 % jusqu’à cette date (idem). Or, si ce rythme de croissance a été atteint entre 1997
et 2001, la France créant alors deux millions d’emplois, ce n’est plus le cas depuis.
Ajoutons qu’à court terme, la réforme Fillon-Balladur, avec le dispositif de retraite antici-
pée qu’elle a mis en place, a par ailleurs accéléré le départ en retraite de certains salariés
et, ce faisant, aggravé les problèmes de financement des régimes de retraite. C’est ainsi
qu’en 2004 et 2005, 230 000 personnes en tout ont bénéficié de ce dispositif de retraite
anticipée qui permet aux salariés âgés de 56 à 59 ans et ayant cotisé 40 années pleines (160
trimestres) de prendre leur retraite à taux plein avant 60 ans.

*
En l’état actuel des choses, il paraît impossible de substituer purement et simplement au
système de retraite par répartition un système de retraite par capitalisation. Cela suppo-
serait en effet de faire payer deux fois une même génération, puisque cette substitution
nécessiterait que, pendant la phase de transition (une génération), les actifs cotisent si-
multanément pour payer les pensions des retraités du moment et pour se constituer le
capital nécessaire au financement ultérieur de leur propre retraite. Cependant, si les deux
dernières réformes Veil-Balladur et Fillon-Raffarin ont maintenu le système de retraites
par répartition, l’idée d’ouvrir la voie à la capitalisation pour « sauver la répartition et faire
face à la crise démographique » progresse.
Telle a été l’option prise par le gouvernement Jospin en 1998 avec la création, dans le
cadre de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 1999, du Fonds de réserve pour
les retraites destiné à subvenir aux besoins de financement des régimes de retraite dans les
années démographiquement difficiles à venir. Ce Fonds (établissement public administra-
tif) a été créé en 1999 avec l’objectif de constituer d’ici 2020 une réserve de l’ordre de 150
milliards d’euros, destinée à être utilisée pour abonder progressivement le régime général
de retraite du secteur privé (régime général des salariés du secteur privé, régime des sala-
riés agricoles et régime des artisans et commerçants)28. Il est alimenté par un prélèvement
social de 2 % sur les revenus du patrimoine (65 % du produit de ce prélèvement), auquel
se sont ajoutés les excédents de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV), des re-
cettes de privatisations et des cessions de parts de la Caisse d’Épargne et de Prévoyance.
Au 31 décembre 2007, ses actifs atteignaient 34,5 milliards d’euros. Ces fonds sont destinés
à des placements sur le marché financier (30 % en obligations, 60 % en actions et 10 % en
actifs de diversification) avec un taux de rendement en rythme annuel moyen de 6,3 % de
2004 à 2007. Le principe de ce Fonds consiste par conséquent à accumuler des réserves au
28 L’objectif initial était que le Fonds de réserve des retraites puisse couvrir, à partir de 2020, 50 % du besoin supplémentaire
de financement de ces régimes de retraite.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 451


sein d’un fonds qui effectue des placements financiers. Il s’agit donc bien d’introduire de la
capitalisation publique, même si celle-ci se distingue de la capitalisation privée que sont les
fonds de pension. Le risque est que l’appel à la capitalisation publique ouvre la porte à la
capitalisation privée. Cela étant, avec un actif total de 34,5 milliards d’euros à fin 2007, le FRR
qui, contrairement à ce qui était prévu, n’a en fait pratiquement pas bénéficié des recettes
des privatisations (500 millions d’euros seulement sur un total de 40 milliards depuis 2002)
paraît en l’état actuel des choses très loin de pouvoir atteindre l’objectif d’un actif total de
150 milliards d’euros en 2020. D’autant qu’il a eu à subir récemment les conséquences de la
crise financière internationale et que la baisse des cours boursiers s’est traduite pour lui par
une réduction de la valorisation d’une partie de ses actifs.
Dans ce contexte, où le principe d’une combinaison de la répartition et de la capitalisation
semble s’imposer29, est soulevée la question des modes de régulation des fonds de pension.
S’il ne sont gouvernés que par la seule logique de marché, il faut s’attendre à ce que, au
nom de la rentabilité, de l’efficacité et de la rationalité, les inégalités en matière de retraite
s’accroissent entre les hommes et les femmes (avec, par exemple, des cotisations plus élevées
pour les femmes dont l’espérance de vie est plus élevée) ou entre travailleurs « stables » bien
rémunérés et les travailleurs précaires mal rémunérés (les frais de gestion d’un compte-re-
traite, étant plus élevés que dans un système par répartition, pèseront de ce fait davantage
sur les bas revenus et les personnes ayant subi des interruptions de carrière importantes).
Par ailleurs, et surtout, comme déjà souligné, l’incertitude des placements sur les marchés fi-
nanciers remet en cause le principe de la garantie de ressources auquel était censé répondre
l’institution du système de retraite, les pensions étant désormais soumises aux aléas des mar-
chés de capitaux et aux crises à répétition de la globalisation financière.

Section 2 : Les politiques de santé

Les Comptes nationaux de la santé30 comptabilisent l’ensemble des dépenses de santé ef-
fectuées par les Français. Ils distinguent quatre agrégats : la « consommation de soins et de
biens médicaux » (CSBM), la « consommation médicale totale », la « dépense courante de
santé » et la « dépense totale de santé ».
• La consommation de soins et de biens médicaux comprend les soins hospitaliers publics
et privés, les soins ambulatoires, le transport sanitaire, les médicaments et les autres biens
médicaux (prothèses, optique, pansements…).
• La consommation médicale totale s’obtient en ajoutant à la CSBM les dépenses de préven-
tion individuelle (vaccination…).
• La dépense courante de santé prend en compte, outre la consommation médicale totale,
29 Plans de réforme et dispositions de loi vont dans ce sens, tandis que se développe l’épargne-retraite, les ménages anti-
cipant une réduction des retraites par répartition. Une enquête de l’INSEE sur l’épargne-retraite des Français, publiée
en 1999, précise à ce propos que 9,4 % des ménages se sont constitués une épargne-retraite. Si l’on tient compte des
plans d’épargne populaire, de l’ensemble des contrats d’assurance-vie, près d’un ménage sur deux épargne en fait pour
la retraite.
30 Ce sont des comptes satellites de la comptabilité nationale établis désormais en « base 2000 ».

452 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


les soins aux personnes agées en établissements, les indemnités journalières, les subven-
tions reçues par le système de santé, les dépenses de prévention collective (éducation à la
santé, sécurité sanitaire des aliments…), les dépenses de recherche et de formation médi-
cales et les dépenses de gestion de l’administration sanitaire31. Elle représente en fait le
montant total des dépenses courantes (c’est-à-dire hors dépenses en capital) engagées par
l’ensemble des financeurs du système de santé : Sécurité sociale, État, collectivités locales,
mutuelles et autres organismes de protection complémentaire, ménages eux-mêmes.
• La dépense totale de santé est un agrégat utilisé en commun par l’OCDE, Eurostat et l’OMS
pour effectuer des comparaisons internationales. Pour la France, elle est calculée en dédui-
sant de la dépense courante de santé les indemnités journalières, une partie des dépenses
de prévention, ainsi que les dépenses de recherche et de formation médicales et en lui
ajoutant les dépenses en FBCF de l’ensemble du secteur de la santé et les dépenses liées à
la dépendance et au handicap. Les comparaisons internationales concernent la part, pour
chaque pays, de sa dépense totale de santé dans le PIB.
La dépense courante de santé représentait en 2006 un peu plus de 11 % du PIB (10,9% en
2007). Ce niveau actuel élevé des dépenses de santé est l’aboutissement d’un mouvement de
hausse de longue durée engagé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et la création
de la Sécurité sociale (§ 1). Les problèmes récurrents de financement de ces dépenses expli-
quent que les pouvoirs publics aient développé depuis près de trois décennies des politiques
visant à tenter d’en limiter la croissance. Les dépenses de santé pouvant s’analyser comme
le résultat de la rencontre d’une demande et d’une offre de soins, ont été mises en œuvre
dans cette perspective des politiques visant soit à restreindre la demande de soins (§ 2) soit
à limiter la croissance de l’offre de soins (§ 3). Depuis quelques années, alors que sont mises
en œuvres de nouvelles réformes du système de santé, est par ailleurs soulevée la question
d’une transformation en profondeur du régime de l’Assurance-maladie (§ 4)

paragraphe 1 : l’évolution de longue période des dépenses de


santé
Comme pour celles qui sont liées au risque vieillesse-survie, les dépenses de santé ont forte-
ment progressé depuis la création de la Sécurité sociale en 1945 (A). Bien que les résultats
obtenus soient à la hauteur des efforts consentis, même si subsistent des causes d’insatisfac-
tion (B), cette forte progression des dépenses de santé soulève une interrogation concernant
leur évolution future (C).
A – Une croissance continue des dépenses de santé depuis 1945
Il ressort en effet de la rétropolation des comptes de la santé en base 2000 pour la période
1950-2005, à laquelle ont procédé les chercheurs de la DREES (Fenina, 2007), que la consom-
mation de soins et de biens médicaux (CSBM) est passée au cours de cette période de 2,5 %
à 8,8 % du PIB, la CSBM en volume progressant sur l’ensemble de cette période en moyenne
annuelle de 6,2 % (11,2 % pour la CSBM en valeur), alors que le PIB en volume progressait
de 3,6 % (8,7 % pour le PIB en valeur). L’écart entre le taux de croissance annuel moyen
de la CSBM et celui du PIB en volume a été particulièrement accusé entre 1950 et 1985,
puis s’est sensiblement réduit sous l’effet des diverses réformes de la Sécurité sociale et des
31 DREES, Études et résultats, n° 593, septembre 2007.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 453


plans successifs de maîtrise des dépenses (tableau 8.2). La part de la CSBM dans le PIB s’est
stabilisée provisoirement autour de 8 % entre 1993 et le début de la décennie 2000, puis a
recommencé à augmenter pour atteindre 8,7 % du PIB en 200632
TAbLEAU 8.2
Taux de croissance annuels moyens de la CSBM et du PIB

Taux de croissance annuels moyens En %


CSBM en volume PIB en volume Prix relatif de la
santé1
1950-1955 9,4 5,7 1,9
1955-1960 6,3 5,8 0,3
1960-1965 10,8 5,9 - 0,2
1965-1970 8,5 5,4 - 0,1
1970-1975 8,8 3,5 - 1,5
1975-1980 5,8 3,3 - 0,7
1980-1985 5,5 1,5 - 1,4
1985-1990 4,7 3,3 - 0,6
1990-1995 3 1,2 0,4
1995-2000 2,3 2,8 0
2000-2005 3,6 1,5 - 0,1
1950-2005 6,2 3,6 - 0,2

1. Rapport entre les indices de prix de la CSBM et du PIB.


Sources : DRESS, Rétropolation des comptes de santé, Etudes et résultats, n° 572, mai 2007.

GrAPhIqUE 8.3
Part de la CSBM dans le PIB (en valeur) : 1950-2005

Sources : DRESS, Rétro-


polation des comptes
de santé, Etudes et
résultats, n° 572, mai.
2007

32 Cette augmentation de longue période des dépenses de santé n’est bien entendu pas spécifique à la France. Elle s’observe,
avec plus ou moins d’ampleur, dans tous les pays développés. Au cours des dernières décennies, les dépenses de santé
dans l’OCDE sont ainsi passées d’une moyenne de 5,3 % du PIB en 1970 à 8,4 % en 2001. À titre d’exemples, la part des
dépenses de santé dans le PIB est passée au Royaume-Uni de 4,5 % en 1970 à 7,3 % en 2000, en Suède de 6,7 % à 8,4 %
et en Espagne de 3,6 % à 7,5 %.

454 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Parallèlement, la santé, en ajoutant aux dépenses effectivement supportées par les indivi-
dus celles qui sont financées par la collectivité, est devenue le deuxième poste de consom-
mation des ménages (INSEE, 2002). En 2006, la part de la consommation nationale de
soins et de biens médicaux (156,6 milliards d’euros) dans la consommation effective des
ménages s’est élevée à 12,1 % (Graphique 8.4).
GrAPhIqUE 8.4
Part de la CSBM dans la consommation effective des ménages : 1995-2005
12,2
12,1

12,0
11,9

11,8
11,7
11,6

11,5
11,4
11,3
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006

Source : DRESS, Comptes de la santé, INSEE, Comptes nationaux, Etudes et résultats, n° 593, septembre 2007.

Cette forte croissance de l’ensemble des dépenses s’est accompagnée d’une relative sta-
bilité de la part respective des différents postes de dépenses constituant la CSBM. La part
des dépenses de soins hospitaliers est passée de 43,1 % en 1950 à 44,5 % en 2005, celle
des dépenses de médecine ambulatoire s’est maintenue à 27 % et celle des médicaments a
baissé de 25,1 % à 20,8 %. Mais cette relative stabilité d’ensemble entre le début et la fin
de la période masque des variations importantes des parts respectives des différentes ca-
tégorise de dépenses au cours de la période, l’évolution de la part des médicaments ayant
été particulièrement « heurtée » (Fenina, 2007, p. 5).
Cette forte croissance des dépenses de santé en longue période a été permise par la géné-
ralisation progressive de la couverture sociale à l’ensemble de la population et la prise en
charge consécutive d’une grande partie de ces dépenses par la collectivité, ce qui a permis
de garantir à l’ensemble des individus l’accès au système de soins, chargé de leur fournir la
possibilité de satisfaire le besoin de santé reconnu désormais comme élément fondamental
du bien-être33. De fait, depuis sa création en 1945, le rôle de la Sécurité sociale dans le finan-
cement des dépenses de santé a fortement progressé. Si sa part dans le financement total de
la CSBM est demeurée relativement stable (autour de 50 %) pendant la décennie 1950, elle
a fortement augmenté au cours des deux décennies suivantes, en liaison avec l’extension de

33 Annie Fenina (2005, p. 6) estime pour sa part que : « même si le lien entre CSBM, niveau et mode d’organisation de la
couverture maladie est controversé dans la littérature économique, celle-ci a certainement constitué un facteur décisif
de la croissance de la CSBMG.R.H sur l’ensemble de la période (1950-2005) ».

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 455


la couverture maladie au sein des salariés puis aux non-salariés et aux inactifs, pour atteindre
80 % en 1980, avant de légèrement régressé pour revenir à un taux moyen de 77 % entre
1995 et 2005. La contrepartie de cette hausse de la part de la Sécurité sociale dans le finance-
ment de la CSBM a été la réduction de la part de l‘État (de 12 % en 1950 à 1 % dès 1990) et
de celle des ménages, sociétés d’assurances et institutions de prévoyance (passée d’environ
30 % entre 1950 et 1959 à une moyenne de 15 % entre 1990 et 2005) (graphique 8.5).
GrAPhIqUE 8.5
Structure du financement de la CSBM : 1950-2005

Sources : DRESS, Rétropolation des comptes de santé, Etudes et résultats, n° 572, mai, 2007.

Cette forte croissance des dépenses globales de santé est due pour l’essentiel à la conjonc-
tion de plusieurs facteurs :
• la croissance en valeur absolue de la population et l’augmentation de l’espérance de
vie. Toutes choses égales par ailleurs, la dépense globale de santé s’élève en effet né-
cessairement avec la population totale du pays, qui s’est accrue de plus de 50 % au
cours de la période considérée, passant de 39,848 millions d’habitants en 1946 à 63,195
millions en 2006 (63,573 millions en 2007 en données provisoires). Elle augmente éga-
lement avec l’espérance de vie et le vieillissement consécutif de la population dans la
mesure où, comme le montrent de multiples études, les dépenses individuelles de santé
augmentent en moyenne avec l’âge des personnes considérées34 ;
• le progrès technique qui a été particulièrement marqué dans le domaine de la santé
au cours de la seconde moitié du XXe siècle et qui s’est traduit par la mise au point de
nouveaux protocoles de soins plus efficaces mais aussi le plus souvent plus coûteux ;

34 Dans son rapport pour l’année 2003, la Cour des comptes soulignait que les personnes âgées de 65 ans et plus repré-
sentent 16 % de la population totale mais 36,5 % des dépenses remboursées par l’assurance-maladie et 39 % de la
consommation de médicaments, avec une dépense annuelle moyenne de produits pharmaceutiques de 850 euros, contre
230 euros seulement en moyenne pour les personnes âgées de moins de 65 ans. Cela étant, si les dépenses de santé les
plus importantes ont lieu dans les dernières années de vie d’un individu, quel que soit par ailleurs son âge de décès, on
observe que la consommation médicale totale pendant l’année précédant le décès baisse quand l’âge du décès s’élève ;
elle est de 18 000 euros quand le décès survient entre 40 et 49 ans et de 12 000 euros quand il survient après 80 ans, ce
qui a pour effet de « minorer l’impact du vieillissement de la population sur les dépenses de santé » (Bac, 2004, p. 10).

456 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• l’émergence du besoin de santé comme besoin culturel, ce qui signifie qu’il est fondé
non seulement sur le physiologique et le biologique mais également sur des références,
des représentations, des valeurs propres à un groupe social, à une catégorie sociopro-
fessionnelle, dans la mesure où le rapport au corps, à la santé et à la maladie, la percep-
tion qu’ont les individus du système de soins varient en fonction de leur appartenance
sociale ;
• la médicalisation de la société, avec l’extension au cours du temps du champ d’interven-
tion de la médecine à des domaines qui, traditionnellement, n’en relevaient pas comme
le travail, l’hygiène, la sexualité, l’éducation des enfants, l’esthétique, l’échec scolaire,
les difficultés psychologiques…35
Cette croissance de longue période des dépenses de santé traduit le fait que la santé est
un bien « supérieur », c’est-à-dire un bien dont la part dans la consommation totale est
d’autant plus importante que les revenus augmentent. Sa demande est potentiellement
illimitée dans la mesure où elle doit améliorer la qualité de la vie et le bien-être, notions
dont le contenu et les contours évoluent en fonction des transformations de la société et
des modes de vie qui les accompagnent36. Mais il se peut que la croissance des dépenses de
santé ait également à voir avec le mode d’organisation de notre système de soins. Il semble
en effet que la tendance à l’augmentation des dépenses de santé soit moins forte dans les
pays qui pratiquent la rémunération des médecins selon le système de la capitation que
dans ceux où la rémunération des médecins se fait selon le système du paiement à l’acte
(Bac, 2004, p. 7), ce qui est le cas en France.

*
En 2007, les comptes de la santé font apparaître que la « dépense courante de santé » s’est
élevée à 206,5 milliards d’euros, soit 10,9 % du PIB (11 % en 2006). Elle a plus que doublé
depuis 1990 (82 milliards d’euros). La consommation médicale totale s’est élevée à 167,1
milliards d’euros. Au sein de cet ensemble, la consommation de soins et de biens médicaux
(CSBM) s’est élevée à 163,8 milliards d’euros. Cette dernière se répartit elle-même de la ma-
nière suivante entre ses différents postes : les soins hospitaliers et en sections médicalisées
pour 72,7 milliards d’euros (44,4 % du total) dont 56,4 milliards pour les hôpitaux publics
et 16,3 milliards pour les hôpitaux privés ; les soins ambulatoires pour un montant de 45,1
milliards d’euros (27,5 % du total)37 ; les médicaments et autres biens médicaux pour 42,9
milliards d’euros (26,2 % du total)38 ; les transports de malades pour 3,2 milliards d’euros

35 Dès les années 1970, divers travaux ont mis l’accent sur cette question. On peut évoquer en particulier : ILLICH Y. [1975],
Némésis médicale, Éditions du Seuil, Paris ; DUPUY J.-P. et KARSENTY S. [1974], L’invasion pharmaceutique, Éditions du
Seuil, Paris ; HERZLICH C. [1970], Médecine, maladies et sociétés, Mouton, Paris.
36 La définition qu’en donne l’Organisation mondiale de la santé (OMS) selon laquelle la santé est « un état de bien-être
complet, physique, mental et social », a le mérite de montrer, grâce à une approche globale, que l’on ne peut réduire les
politiques de santé à des politiques de lutte contre la maladie et la mort. Elles se doivent aussi d’amener la population
à un état de bien-être complet. Par exemple, la maîtrise des naissances étant aujourd’hui un facteur de bien-être des
femmes et des hommes, les politiques de santé incorporent dans leurs préoccupations la régulation des naissances. On
se trouverait ainsi face à une « demande infinie » (Bono, 1983, cité par Murard, 2001, p. 97).
37 On dit aussi « soins de ville ». Sont inclus dans ce poste les soins des médecins (généralistes et spécialistes), des auxi-
liaires médicaux, des dentistes, les analyses dans les laboratoires médicaux et les soins dans les établissements de cures
thermales.
38 Ce sont les médicaments proprement dits (31,3 milliards d’euros) qui constituent l’essentiel de ce poste (près de 80 %).
S’y ajoutent les prothèses, la lunetterie...

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 457


(en 2006) ; la prévention individuelle39 pour 3,1 milliards d’euros (1,9 %). La part des soins
hospitaliers dans le total de la consommation de soins et de biens médicaux tend à baisser
(52 % en 1983 et 44,4 % en 2007), ainsi que celle des dépenses en soins ambulatoires (29 %
en 1990 et 27,5 % en 2007), tandis qu’à l’opposé celle des médicaments et autres biens mé-
dicaux augmente40.
L’essentiel de la dépense courante de santé correspond aux prestations de protection so-
ciale perçues par les ménages au titre de la couverture du risque santé (assurance maladie,
assurance invalidité, accidents du travail et maladies professionnelles). Celles-ci constituent
le deuxième poste par importance des prestations de protection sociale perçues par les
ménages. Elles se sont élevées en 2007 à 195,3 milliards d’euros, et 35,5 % du total des
prestations de protection sociales : 158,1 milliards d’euros pour la maladie (28,7 % du
total des dépenses de protection sociale), 28,4 milliards d’euros pour l’invalidité (5,2 %)
et 8,7 milliards d’euros pour les accidents du travail et maladies professionnelles (1,6 %).
L’assurance maladie a représenté près de 81 % des prestations liées à la fonction santé,
l’invalidité 14,6 % et les accidents du travail et maladies professionnelles 4,5 %.
En 2006, dernière année pour laquelle les comparaisons sont disponibles, la « dépense
totale de santé » représentait 199 milliards d’euros et 11 % du PIB, ce qui mettait la France
en 3ème position derrière les États-Unis (15,3 %), la Suisse (11,3 %) et devant l’Allemagne
(10,9 %) (tableau 8.3).
Tableau 8 .3
Part de la dépense nationale de santé dans le PIB de quelques pays de l’OCDE
1990 1995 2000 2004 2005
Allemagne 8,3 10,1 10,3 10,6 10,7
Autriche 7,0 * 9,8 10,0 10,3 10,2
Belgique 7,2 8,2 8,6 (e) 10,2 (e) 10,3
Danemark 8,3 8,1 8,3 (e) 9,2 (e) 9,1
Espagne 6,5 7,4 7,2 (e) 8,1 (e) 8,2
États-Unis 11,9 13,3 13,2 15,2 15,3
Finlande 7,7 7,5 6,6 7,4 7,5
France 8,4 * 9,9 9,6 11,0 11,1
Grèce 5,8 7,5 9,3 9,6 10,1
Hongrie nd 7,3 6,9 (e) 8,1 (e) 8,4
Irlande * 6,1 6,7 6,3 7,5 7,5
Italie 7,7 7,3 8,1 8,7 8,9
Japon 6,0 * 6,9 7,7 (e) 8,0 (e) 8,0
Luxembourg 5,4 * 5,6 5,8 (e) 8,3 (e) 7,3
Pays-Bas 8,0 8,3 8,0 (e) 9,2 (e) 9,2
Pologne 4,8 5,5 5,5 6,2 (e) 6,2
Portugal 5,9 * 7,8 *8,8 (e) 9,8 (e) 10,2
République tchèque 4,7 7,0 *6,5 7,3 7,2
Royaume-Uni 6,0 7,0 7,3 (1) 8,1 (1) 8,3
Slovaquie nd nd 5,5 * 7,2 7,1
Suède 8,3 8,1 8,4 9,1 9,1
Suisse 8,3 9,7 10,4 11,5 11,6
( 1) : différence de méthodologie. *rupture de série
nd : résultat non disponible e : estimations Champ : France métropolitaine et DOM.
Source : INSEE, Tableaux de l’économie française 2007, mise à jour 01/2008.
39 Il s’agit de la médecine du travail, de la médecine scolaire, de la protection maternelle et infantile (PMI), des dépistages
et vaccins et des programmes spécifiques de santé publique.
40 Le financement de la consommation de soins et de biens médicaux a été assuré à 77,7 % par la Sécurité sociale (77,1 %
en 1995), 1,4 % par l’État et les collectivités territoriales (1,1 %), 7,4 % par les mutuelles (7,3 %), 8,6 % par les ménages
(9,6 %), 5,6 % par les sociétés d’assurances et les institutions de prévoyance (4,9 %).

458 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B – L’impact sanitaire et économique de la croissance des dépenses de santé
L’effort croissant ainsi consenti par le pays pour la couverture du besoin de santé de sa
population se traduit par les résultats très satisfaisants que la France obtient concernant
certains indicateurs de santé comme, par exemple :
- une espérance de vie à la naissance en 2007 de 77 ans pour les hommes et de 84 ans
pour les femmes (France métropolitaine), ce qui situe la France dans les premiers rangs de
l’OCDE41, contre respectivement 65,3 ans et 70,2 ans en 1960 ;
- une espérance de vie à 60 ans en 2005 de 21,4 ans pour les hommes et de 26,4 ans pour
les femmes42 ;
- un taux de mortalité infantile (le nombre d’enfants décédés entre sept jours et 1 an) de
4°/°° (5ème rang de l’OCDE) en 2007 (graphique 8.6).

GrAPhIqUE 8.6
Espérance de vie à la naissance et taux de mortalité infantile en France (1950-
2003)

Sources : INSEE, Tableaux de l’économie française 2004-2005, p. 33

Le rapport sur la santé dans le monde 2000 publié par l’Organisation mondiale de la santé
(OMS), qui établit un classement des pays membres de l’organisation en fonction de la
performance de leur système de santé respectif, mettait par ailleurs la France au premier
rang mondial pour la « performance globale du système de santé » mesurée en rapportant
les résultats d’ensemble du système de santé à ses dépenses43.

41 Huitième rang pour les hommes et deuxième rang pour les femmes (derrière le Japon). En précisant que l’espérance de
vie moyenne, en 2007, était en Europe de 71 ans pour les hommes et 79 ans pour les femmes ; respectivement 75 ans
et 81 ans en Amérique du Nord et 75 ans et 80 ans aux États-Unis) (Insee, Tableaux de l’Économie Française 2007, mise
à jour du 11-2007 : www.insee.fr).
42 Si l’augmentation de l’espérance de vie est habituellement considérée comme un indicateur majeur de l’amélioration
de l’état de santé de la population, il faut cependant souligner que des recherches récentes montrent que cette aug-
mentation de l’espérance de vie dépendrait « principalement de facteurs socio-environnementaux (conditions de vie,
hygiène, nutrition, protection sociale, environnement… et que, en définitive, la médecine n’interviendrait que de façon
marginale (15 à 20 %) » (Ulman, 2007, p. 17).
43 Problèmes économiques, n° 2 679, 13 septembre 2000, p. 8.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 459


On peut en outre considérer, comme le faisait un rapport du Haut conseil pour l’avenir
de l’assurance maladie, que le système de santé français qui assure fondamentalement
une fonction de mutualisation des risques organise correctement la solidarité entre ses
bénéficiaires puisque, en moyenne annuelle, les 12 % d’assurés sociaux qui sont en ALD
(affections longue durée), prises en charge à 100 % par l’assurance-maladie, représentent
60 % des dépenses totales remboursées par l’assurance-maladie (soit un coût total de 47
milliards d’euros pour 7,4 millions des patients âgés en moyenne de 61 ans)44.
À cet impact positif de l’augmentation des dépenses de santé sur l’état sanitaire de la popu-
lation française, s’ajoute par ailleurs le fait que cette augmentation des dépenses de santé
a été et demeure un facteur important de stimulation de l’activité économique nationale.
Les soins accordés aux individus en cas de maladie ou d’accident et la prévention de ces ma-
ladies et accidents permettent non seulement de garantir l’un des droits fondamentaux de
la personne, mais ils sont également, et simultanément, la condition d’un entretien et d’un
renouvellement satisfaisants de la force de travail sociale et donc de la capacité productive
du pays. Ils sont incontestablement un facteur de productivité et de compétitivité. L’allon-
gement de l’espérance de vie, autorisé en partie par l’augmentation des dépenses de santé,
incite à développer les investissements en capital humain (éducation, formation) et donc à
élever la qualité de la population active, ce qui est un facteur d’accroissement de la produc-
tivité (Bergheim, 2007)45. Dans le contexte contemporain de mondialisation, le fait pour un
pays de disposer d’un système performant de couverture du besoin de santé lui confère ainsi
un avantage compétitif. Les dépenses de santé autorisent aussi le développement d’un vaste
secteur d’activités innovantes, créatrices d’emplois et de richesses : ensemble des profes-
sions médicales, hôpitaux, production et distribution de produits pharmaceutiques46. Ainsi,
en solvabilisant la demande de soins du plus grand nombre par un financement socialisé et
en offrant des débouchés aux professionnels et entreprises du secteur, les dépenses de santé
ont alimenté le développement économique et social47.

Pour aussi bons que soient les résultats obtenus par la France en matière de couverture
des besoins de santé de sa population, ils ne doivent cependant pas faire oublier que sub-
sistent certaines causes d’insatisfaction. D’une part, certains éléments du bilan de santé
de la population française ne sont guère satisfaisants. C’est ainsi, par exemple, que si l’es-
pérance de vie des Français est bien l’une des meilleures du monde, la France connaît par
ailleurs une surmortalité avant 65 ans (mortalité dite « prématurée ») anormalement éle-
vée48. D’autre part, subsistent des inégalités marquées de santé et d’accès aux soins entre

44 Selon un rapport de la Haute autorité de santé (HAS) de décembre 2007, en 2015, le nombre d’assurés sociaux en ALD
s’établirait à 12 millions, ce qui représenterait alors 70 % du total des remboursements de l’assurance-maladie (augmen-
tation du diabète, de l’obésité et vieillissement de la population).
45 Bergheim (2007) souligne ainsi que, dans les pays les plus riches, 45 % des gains en termes d’espérance de vie obtenus
au cours des 40 dernières années ont en fait été consacrés à la réalisation d’études plus longues.
46 Le secteur d’activité de la santé représente ainsi près de 10 % du PIB et plus de 9 % des emplois du pays (Mills et
Caudron, 2001, p. 175).
47 Il faut souligner à ce propos le rôle important de l’hôpital dans le développement local. Il fait partie des plus gros em-
ployeurs, si bien que les effets de la fermeture d’un établissement sont souvent très durement ressentis par l’économie
locale.
48 Laquelle paraît largement imputable à des facteurs intervenant en amont du système de soins, tels qu’une consommation
excessive d’alcool, le tabagisme, la pandémie du sida, les suicides, les accidents de la circulation…, ce qui soulève cepen-
dant, pour la plupart de ces facteurs, la question de la faiblesse des politiques de prévention qui est une caractéristique
dommageable du système de soins français, centré essentiellement sur le curatif au détriment du préventif.

460 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


catégories sociales ou entre régions, alors même que le système d’assurance-maladie a
pour objet de réduire ces inégalités (Leclerc, Fassin et alii., 2002).
Les inégalités sociales et socioprofessionnelles en matière de santé et d’accès aux soins
ressortent clairement des résultats de l’enquête « Santé et protection sociale » menée
en 2004 par l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES,
successeur du CREDES), auprès de 800 ménages. Il en ressort que, si 22,3 % des Français
estiment leur état de santé « moyen », 3,5 % « mauvais » et 0,5 % « très mauvais », la
probabilité d’un état de santé moyen, mauvais et très mauvais varie fortement avec la
catégorie socioprofessionnelle à laquelle appartient l’individu concerné. Elle est en pra-
tique 1,4 fois supérieure à la moyenne dans le cas des ouvriers non qualifiés et, à l’opposé,
1,61 fois inférieure à la moyenne pour les cadres et professions intellectuelles. Si 13 % des
personnes interrogées ont déclaré avoir renoncé à des soins pour des raisons financières
au cours de l’année écoulée, « ces chiffres sont 1,51 fois supérieurs à la moyenne pour
les employés de commerce et 1,63 fois inférieurs pour les cadres et professions intellec-
tuelles » (Le Monde, 13-06, 2007, p. II). La même enquête, en 2000, faisait apparaître que la
proportion des cadres supérieurs allant chez le dentiste était presque deux fois plus forte
que celle des ouvriers non qualifiés, les premiers disposant en moyenne d’une meilleure
couverture complémentaire que les seconds49. Le rapport du Haut Comité de la santé pu-
blique de 2003, qui souligne « l’existence de fortes inégalités sociales de santé dans notre
pays » (2003, p. 22), indique par ailleurs qu’à 35 ans un ouvrier à 6,5 années d’espérance
de vie de moins qu’un cadre50, tandis que « le score de risque d’invalidité d’un ouvrier non
qualifié est de 113 quand celui du cadre supérieur est de 89 (moyenne française 100) » (id.,
p. 22-23)51. L’enquête sur la santé et les soins médicaux réalisée par l’INSEE montre que les
personnes les plus pauvres (c’est-à-dire celles dont le niveau de vie, soit le revenu net annuel
du ménage rapporté au nombre d’unités de consommation, est inférieur à 60 % du niveau
de vie médian) sont plus nombreuses à souffrir de certaines pathologies que le reste de la
population, qu’elles consultent moins souvent les médecins et en particulier les spécialistes
et qu’elles bénéficient sensiblement moins que le reste de la population des procédures de
dépistage et de prévention, ce qui « contribue à creuser encore l’écart entre les individus les
plus pauvres et le reste de la population » (Saint Pol, 2007, p. 4).
La création de la couverture maladie universelle (CMU) en 1999 peut d’ailleurs s’analyser
comme une réponse partielle à cette inégalité de caractère social dans l’accès aux soins et
la santé, en faisant bénéficier de l’assurance-maladie des populations qui en étaient exclues
jusque-là. Si 13 % des Français sont aujourd’hui contraints de renoncer à certains soins pour
49 Alors que la possession d’une couverture maladie complémentaire joue un rôle important dans l’accès aux soins, une
enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (IRDES) fait apparaître que 7 % des
Français ne disposaient pas de couverture maladie complémentaire en 2006 et que ce taux est de 15 % pour ceux qui
disposent de moins de 840 euros de revenu par mois.
50 À 60 ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est de 17 ans, celle d’un employé de 19 ans et celle d’un cadre de 22 ans.
51 Les enquêtes réalisées sur les dépenses individuelles de soins montrent cependant que les ouvriers ont des dépenses totales
de santé plus élevées que celles des autres catégories socioprofessionnelles. Cela tient à l’importance de leurs dépenses
d’hospitalisation : les dépenses d’hospitalisation des ouvriers non qualifiés sont supérieures à celles de la moyenne des
Français de 31 %, tandis que celles des cadres sont inférieures à la moyenne de 42 %. Cela peut s’expliquer par le fait que
« les situations et comportements à risque sont (...) plus fréquemment observés chez les catégories les plus modestes » et
qu’ils « induisent également, compte tenu par ailleurs d’un moindre recours à la prévention, des pathologies plus graves
ayant pour conséquence des dépenses hospitalières plus élevées ». En outre, « la disparité de risques professionnels ou de
l’environnement peut également induire des pathologies spécifiques, des accidents plus nombreux ou une détérioration
générale de l’état de santé pour ces catégories socioprofessionnelles » (Raynaud, 2002, p. 4).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 461


des raisons financières, c’était, selon le CREDES, le cas d’un quart de la population avant
la création de la CMU. Celle-ci remplace les aides médicales légales auparavant gérées par
les conseils généraux des départements. Elle assure l’affiliation de toute personne résidant
depuis au moins trois ans sur le territoire national dont les ressources sont inférieures à un
certain plafond. Elle permet en outre l’accès automatique à la CMU complémentaire pour
les personnes dont les revenus ne dépassent pas, là encore, un certain plafond52. En 2006,
6 538 000 personnes bénéficiaient de la CMU, y compris la CMU complémentaire.
Mais les inégalités en matière de santé sont également de nature géographique. Le même
rapport du Haut Comité de la santé publique de 2003 indique ainsi que « l’espérance de
vie à la naissance varie de plus de dix ans en France entre les zones d’emploi du Nord et du
Sud de la France » (id., p. 22). L’Atlas de la santé en France, volume 2, Comportements et
maladies, montre par ailleurs que des régions comme le Nord-Pas-de-Calais ou une partie
de la Champagne « ne vont pas bien », tandis qu’à l’opposé le Centre où le Sud-ouest « se
portent plutôt bien » (cité par Le Monde, 26-05, 2006, p. 18).

C – Les perspectives d’évolution des dépenses de santé


Après être passées de 4,7 % du PIB en 1959 à 6,6 % en 1970 et près de 10 % en 1983,
les dépenses de santé se sont approximativement stabilisées au cours des vingt dernières
années autour de 10-11 %. Cette stabilisation est le résultat des politiques de « maîtrise
des dépenses » qui visent explicitement à contenir la croissance des dépenses de santé dans
une optique essentiellement comptable. Ces politiques partent de l’idée que les dépenses
de santé pourraient être contenues globalement par un encadrement réglementaire des
pratiques des professionnels et des patients. Leur mise en œuvre a été justifiée par la
difficulté récurrente d’équilibrer les comptes de l’assurance-maladie. L’impact des mesures
de réduction des dépenses demeure cependant relativement limité.
Ce sont en fait les mesures destinées à augmenter les ressources qui, jusqu’au début des
années 2000, ont joué le rôle essentiel dans l’équilibrage des comptes de l’assurance-ma-
ladie. La Caisse nationale d’assurance-maladie estimait ainsi en 200453 que les différents
« plans de redressement » des comptes du régime général mis en œuvre entre 1991 et 2002
lui permettent aujourd’hui d’économiser annuellement 3,2 milliards d’euros de dépenses
et de majorer ses ressources de 10,3 milliards d’euros par an (hors CSG, laquelle permet
parallèlement de dégager 8,3 milliards d’euros par an). De sorte que « le déficit annuel se
trouve allégé aujourd’hui de 20 milliards d’euros environ, du fait de toutes les mesures de
financement intervenues depuis le début des années 1990 ».
Mais, pour importantes que soient les mesures adoptées, elles n’ont pu empêcher que le
déficit de l’assurance-maladie devienne chronique depuis le début des années 1990, tout
en évoluant de manière cyclique avec une tendance à l’aggravation (graphique 8.7). Il est
passé de 1 milliard d’euros en 1992 à 5,5 milliards en 1995 (faible croissance économique,
forte progression du chômage), puis est revenu à un peu plus d’un milliard en 1999 (ac-
52 Celui-ci est fixé en 2008 à 606 euros pour une personne seule. Si l’institution de la CMU complémentaire pour les per-
sonnes dont le revenu nominal est inférieur à 606 euros a permis, a priori, de résoudre le problème de l’accès aux soins
pour cette catégorie de population, le problème subsiste pour ceux dont le revenu les situe un peu au-dessus du plafond
de la CMU-C. À cet effet a été créé en 2005 une aide à l’acquisition de la complémentaire santé qui a été remplacée en
2008 par un dispositif de « chèque santé » destiné aux personnes dont le revenu mensuel est compris entre 606 et 727,25
euros et qui doit couvrir 50 % du coût d’une assurance complémentaire.
53 Points de conjoncture, n° 22, février.

462 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


célération de la croissance, baisse sensible du chômage). Il s’est ensuite creusé à nouveau
profondément, dépassant les 11 milliards d’euros en 2003 (11,1 milliards) et 2004 (11,6 mil-
liards). S’il s’est réduit successivement en 2005 et en 2006, il excédait encore les 7 milliards
en 2006, soit très loin de l’objectif de retour à l’équilibre qui avait été fixé initialement
pour 2007.
GrAPhIqUE 8.7
Les déficits de l’assurance maladie : 1992-2006 (en milliards d’euros)

Source : Mills et Caudron, 2007, p. 187.

Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que les pouvoirs publics continuent à rechercher
les moyens de contrôler et de limiter la croissance des dépenses de santé. La question est
cependant posée de savoir s’il est souhaitable et même simplement possible de limiter la
croissance dans le temps des dépenses de santé. Certains chercheurs en doutent explicite-
ment. R. Hall et C. Jones soutiennent ainsi que la limitation durable de la croissance des
dépenses de santé n’est en réalité pas possible, précisément parce que la santé est consi-
dérée par les individus comme un bien supérieur dont la demande augmente nécessaire-
ment plus rapidement que le revenu54. Ces mêmes auteurs prévoient par ailleurs que les
dépenses de santé aux États-Unis, passées de 5 % du PIB en 1960 à 15 % du PIB en 2004,
devraient représenter 30 % du PIB américain en 2050 (avec une espérance de vie de 86
ans). Stephan Bergheim (2007) prévoit qu’elles atteindront 20 % du PIB américain en 2020,
tandis que les projections réalisées par le Congrès américain prévoient que le coût des pro-
grammes Medicare et Medicade pourrait s’élever de 4 % du PIB en 2003 à 11,5 % en 2050
(OCDE, 2004). Pour la France, un rapport du Haut conseil pour l’avenir de l’assurance-ma-
ladie estime que les dépenses de santé pourraient augmenter de 4 points de PIB d’ici 2025.
Reste que les pouvoirs publics, à travers leur action sur la demande et sur l’offre de soins,
continuent de chercher à limiter la progression des dépenses de santé prises en charge par
l’assurance-maladie.

54 Cette caractérisation de la santé comme bien supérieur est largement admise mais ne fait cependant pas l’unanimité des
chercheurs. Certains travaux « réalisés sur données individuelles » obtiennent ainsi « une élasticité faible des dépenses
de chaque individu à son revenu » (Bac, 2004, p. 6).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 463


paragraphe 2 : les actions sur la demande de soins

Face à l’augmentation ininterrompue des dépenses de santé, et en invoquant une certaine


« surconsommation de médicaments »55 ainsi que les « gaspillages » générés par les patients
qui consultent plusieurs médecins pour une même pathologie56, les pouvoirs publics ont mis
en place des mesures visant à réduire la demande de soins émanant de la population ou, à
tout le moins, d’en freiner la croissance.
La rationalisation de la demande, qui a été une constante des politiques de santé depuis
198057, a consisté pour l’essentiel à tenter de déconnecter l’évolution des dépenses de l’assu-
rance-maladie de celle de la consommation médicale, en limitant la contribution financière
de la Sécurité sociale, ce qui revient à faire payer aux malades une partie des dépenses qu’ils
engagent pour se soigner (Batifoulier et Touze, 2000). L’idée qui sous-tend les dispositions
arrêtées en ce sens est qu’il est nécessaire de responsabiliser les patients et de leur faire
comprendre que, si la santé n’a pas de prix, elle a un coût, en les contraignant à prendre en
charge directement une fraction de ce coût.
Depuis l’instauration du ticket modérateur en 196758 et son augmentation progressive au
cours du temps, d’autres dispositifs ont été mis en place visant également à augmenter la
part des dépenses à la charge de l’assuré. C’est le cas des mesures destinées à réduire les taux
de remboursement, voire à le supprimer purement et simplement, comme, par exemple,
le plan Séguin de novembre 1986 qui a supprimé la prise en charge à 100 % pour les soins
non directement liés à la longue maladie ou l’élaboration de listes de médicaments jugés
de « confort » non soumis à remboursement. L’instauration du forfait hospitalier en 1983
s’inscrit également dans cette logique, tout comme ses augmentations successives : fixé à 3
euros par jour lors de sa création, le forfait hospitalier a atteint 16 euros en 2007, soit une
multiplication par plus de 3 en euros constants.
Cependant, si cette politique de pression sur la demande de soins a eu quelques effets im-
médiats, ceux-ci sont restés à chaque fois de courte durée et n’ont pas affecté la tendance,
lourde et soutenue, à la croissance des dépenses de santé. Elle a par contre renforcé les iné-
galités sociales en matière d’accès aux soins, notamment pour les ménages les plus démunis,
touchés par la précarité et l’exclusion, qui renoncent à certains soins, comme les prothèses
dentaires et la lunetterie dont les taux de prise en charge sont particulièrement bas, ou
qui retardent le recours aux services médicaux (médecine de ville)59 avec pour corollaire des
prises en charges plus lourdes (les hospitalisations) quand leur état de santé s’est particuliè-
rement dégradé. Selon le CREDES, avant la création de la couverture maladie universelle en
2000, c’est ainsi un quart de la population qui déclarait être contraint de renoncer à certains
soins (notamment soins dentaires et opticiens) pour des raisons financières. 11 % à 14 % des
55 La France est en tête des pays de l’OCDE pour la consommation de médicaments et notamment des anxiolytiques,
antidépresseurs et neuroleptiques, traduisant une « médicalisation de l’existence », selon l’expression du professeur
E. Zarifian (Le Monde, 10-06, 2006, p. 19).
56 Phénomène dit de « nomadisme médical » dont on a au demeurant souvent exagéré l’ampleur.
57 Réaffirmée dans les années 1990 par les plans Veil (1993), Juppé (1995) et Aubry (1997-1998).
58 Le ticket modérateur correspond au pourcentage des dépenses de santé engagées par l’assuré qui restent à sa charge
et ne donnent donc pas lieu à remboursement. Il s’agissait à l’époque d’un ticket modérateur « d’ordre public » que les
mutuelles n’avaient pas le droit de rembourser.
59 Ce sont donc les plus démunis, ceux qui n’avaient déjà pas accès à tous les soins, qui sont contraints de restreindre encore
plus leur consommation.

464 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Français seraient encore aujourd’hui dans cette situation. Par ailleurs 30 % des chômeurs
déclaraient renoncer à des soins pour des raisons financières.
Quoi qu’il en soit, la réforme de l’assurance-maladie d’août 2004 a poursuivi dans cette voie
avec la création d’une franchise médicale prenant la forme d’un forfait non remboursable
d’un euro par consultation ou acte réalisé par un médecin et par analyse de biologie médi-
cale (franchise cependant limitée globalement à 50 euros par personne et par an) et d’une
franchise de 18 euros sur les actes médicaux atteignant ou dépassant 91 euros (IRM, radiolo-
gie et biologie exceptés). À quoi s’ajoute, depuis le début de l’année 2008, la création d’une
nouvelle franchise qui prend la forme d’un forfait restant à la charge de l’assuré d’un demi
euro par boîte de médicament et par acte paramédical et de 2 euros pour les transports en
ambulance (dans la limite également d’un montant total de 50 euros par assuré et par an
pour cette nouvelle franchise)60.
L’instauration de ces franchises, inspirée de la pratique des compagnies d’assurances61, sou-
lève diverses interrogations. Jean de Kervasdoué (2007 p. 24) estime ainsi que l’instauration
de la nouvelle franchise ne serait susceptible de contribuer à réduire la croissance des dé-
penses de santé qu’à la condition de prendre la forme d’un ticket modérateur d’ordre public
non remboursable par les assureurs privés et mutuelles complémentaires. Mais, dans ce cas,
elle aboutira nécessairement à « accroît(re) les inégalités dans l’accès aux soins »62. D’autres
intervenants dans le débat suscité par les franchises médicales soulignent par ailleurs le
risque que celles-ci conduisent les patients atteints d’affections de longue durée à espacer
les examens de contrôle par soucis d’économie et à prendre ainsi le risque d’une aggravation
finale de leur état de santé, requérant alors des soins lourds plus coûteux. Comme l’explique
à ce propos André Grimaldi (2007, p. 17) : « il est clair que, si les patients diabétiques doivent
payer de plus en plus cher leurs examens et consultations, ils les espaceront de plus en plus
et la société récupérera davantage d’aveugles, de dialysés et d’amputés ».
La pertinence d’une politique de maîtrise des dépenses de santé consistant à vouloir en faire
supporter une fraction croissante aux malades soulève d’autant plus d’interrogations que les
pouvoirs publics continuent à délaisser la prévention, alors que celle-ci peut être finalement
une source importante d’économies.
La prévention porte sur les facteurs de risque et le dépistage de façon, d’une part, à évi-
60 Alors que la franchise qui correspond au forfait d’un euro sur les consultations médicales instituée en 2004 rapporte
450 millions d’euros à la Sécurité sociale par an, la nouvelle franchise (0,5 euro sur chaque boîte de médicament et sur
chaque acte paramédical, 2 euros sur les transports en ambulance) devrait permettre une économie de 850 millions d’euros
par an provenant principalement des achats de médicaments. Officiellement, selon les déclarations faites à ce propos
par le Président de la République, le produit de cette nouvelle franchise médicale devrait être affecté au financement
des nouveaux plans de lutte contre la maladie d’Alzheimer et le cancer, ainsi qu’au développement des soins palliatifs
à l’hôpital, ce qui revient à faire financer par les malades les soins accordés à d’autres patients et remet donc en cause
le principe fondamental de solidarité entre les bien portants et les malades sur lequel repose l’assurance-maladie telle
qu’elle a été instituée à la Libération.
61 La pratique de la « franchise » à laquelle recourent tous les assureurs vise à limiter le « risque moral » qu’ils encourent,
celui-ci tenant au fait que les assurés, dès lors qu’ils se savent couverts contre les conséquences financières de la survenue
du risque, pourraient moins se protéger contre cette dernière (je ne prends pas de mesures spécifiques de protection
de mon habitation contre le vol si je suis assuré contre le vol). Dans cette optique, la franchise médicale vise donc à
« responsabiliser » les malades en espérant que, de ce fait, leur consommation médicale diminuera.
62 Idée reprise dans une note récente adressée au ministre de la Santé et au Premier ministre par Martin Hirsh, haut
commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. Celui-ci explique que les franchises ont « un effet clairement
anti-redistributif » et qu’elles « pourraient accroître de façon substantielle les restes à charge des ménages pauvres »
(Le Monde, 28-06, 2007, p. 12).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 465


ter l’accident et, d’autre part, à traiter les premiers symptômes de la maladie et échapper
ainsi à des pathologies lourdes et coûteuses. Les politiques de prévention interviennent
en amont de la consommation de soins et s’attaquent aux facteurs qui conduisent les in-
dividus à recourir au système de soins. Elles peuvent permettre d’obtenir des résultats très
intéressants en matière d’état sanitaire global de la population pour un coût raisonnable.
Or l’examen de la structure de la consommation médicale totale des ménages français fait
apparaître la faiblesse du poste prévention qui s’élève à seulement 2,8 % de la dépense
courante de santé.
Les dépenses de préventions, telles qu’elles sont recensées par les comptes de la santé,
s’élevaient en 2006 à 5,8 milliards d’euros. Il est vrai que cette rubrique des comptes ne
parvient pas à saisir la totalité des dépenses de prévention car elle laisse de côté la préven-
tion effectuée par les médecins à l’occasion de consultations comptabilisées dans la CSBM,
ce qui explique que, selon une étude de l’IRDES et de la DREES, les dépenses de prévention
s’élevaient en tout, en 2002, à 10,5 milliards d’euros (contre 4,7 milliards mesurés dans les
comptes), représentant 6,4 % de la dépense courante de santé (Fenina et Geoffroy, 2007,
p. 7). Cela reste cependant bien insuffisant. Le système de santé français, comme on l’a
déjà souligné, est en fait centré quasi exclusivement sur le curatif, le préventif demeurant
marginal. On peut pourtant penser que le développement d’une véritable politiques de
prévention permettrait de diminuer les dépenses de soins tout en contribuant, dans un
esprit de justice sociale, à promouvoir le respect du droit à la santé pour tous. Cette poli-
tique de prévention pourrait prendre en particulier la forme de campagnes d’information
(alcoolisme63, sécurité routière, maladies sexuellement transmissibles, moyens de contra-
ception…), de campagnes de dépistages systématiques et gratuits (cancers, maladies gé-
nétiques…). Elle pourrait se traduire également par des dotations supplémentaires en
moyens financiers et en effectifs aux médecines scolaire et du travail afin qu’elles puissent
véritablement exercer une action préventive, gage de leur reconnaissance. Une attention
toute particulière devrait en particulier être portée à l’amélioration de la prévention en
matière d’accidents du travail et des maladies professionnelles. De nombreuses études
font en effet apparaître que la tendance à l’amélioration des conditions de travail qui
avait caractérisé le XXe siècle s’est inversée depuis le début des années 1990, avec en par-
ticulier une augmentation de « l’exposition des salariés à la plupart des risques et (de) la
pénibilité du travail » (Askénazy, 2006, p. 19)64.

63 L’alcoolisme demeure en France un problème préoccupant de santé publique, avec une consommation moyenne d’alcool
pur en 2001 d’un peu plus de 15 litres par Français de plus de 15 ans et plus de 40 000 décès par an attribuables à l’alcool
(Le Monde, 5-12, 2006, p. 26).
64 Les formes nouvelles de pénibilité au travail, qui sont le plus souvent liées à l’introduction des NTIC dans les proces-
sus de production et à la réorganisation consécutive des procès de travail, ainsi qu’aux changements organisationnels
(équipes autonomes, rotation des postes, juste-à-temps, sous-traitance, normes de qualité…), ne se substituent pas aux
formes anciennes de pénibilité, comme on aurait pu le penser, mais s’y ajoutent, ce qui « peut se traduire par des pa-
thologies d’hyper sollicitation, en particulier les troubles musculo-squelettiques » affectant « 11 % des hommes et 15 %
des femmes » (Askénazy, 2006, p. 19). Cette évolution défavorable est particulièrement accusée en France : « l’écart de
fréquence d’accidents entre la France et la moyenne européenne se creuse (...). Le nombre de cas de troubles musculo-
squelettiques déclarés à la Sécurité sociale progresse toujours annuellement de 20 %. Depuis 2000, elle est même le seul
grand pays à voir progresser nettement les accidents du travail impliquant un handicap permanent (...) (+ 15 % contre,
par exemple, une baisse de 10 % en Allemagne) (id., p. 19).

466 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 3 : les actions sur l’offre de soins
L’offre de soins est assurée par trois grandes catégories d’opérateurs : les producteurs de
soins ambulatoires (médecins généralistes et spécialistes), les établissements hospitaliers,
l’industrie et la distribution pharmaceutiques. L’offre reste marchande mais son
financement, c’est-à-dire la rémunération et les gains des offreurs, est assuré en grande
partie par la Sécurité sociale et les mutuelles mais aussi, secondairement, par les ménages
eux-mêmes et, éventuellement, les assurances privées. La singularité du système de santé
français réside par ailleurs dans l’association dans l’offre de soins d’opérateurs publics (les
hôpitaux) et privés (médecine libérale et cliniques privées), ce qui n’est pas sans poser des
problèmes de coordination ni créer des difficultés pour la mise en œuvre de politiques
générales et cohérentes d’action sur l’offre.
Au 1er janvier 2007, les effectifs des personnels de santé se répartissaient comme suit65 :
• 208 191 médecins en activité (contre 59 000 en 1967) dont 48,7 % de généralistes et
51,3 % de spécialistes. Les médecins libéraux représentent 58,6 % du total. Plus d’un
tiers des médecins sont des femmes (38 %) et, selon les prévisions, elles pourraient de-
venir majoritaires en 2020. Il y a en tout 338 médecins pour 100 000 habitants contre
254 en 1988 ;
• 632 585 auxiliaires médicaux dont 483 380 infirmiers et infirmières (76,4 % du total).
Au 1er janvier 2006, la France comptait par ailleurs 2 856 établissements de santé ayant des
capacités d’hospitalisation, dont 34,5 % dans le public et 75,5 % dans le privé, soit 443 767
lits en hospitalisation complète (65 % dans le secteur public et 35 % dans le privé). On
recensait en outre, au 1er janvier 2005, 22 610 pharmacies et 4 026 laboratoires d’analyses
médicales.
Cela représente en tout une offre totale des soins important, et c’est précisement l’impor-
tance de cette offre qui ferait problème. La thèse défendue par de nombreux analystes
et responsables politiques est en effet que, à la suite des mutations qui ont affecté le
système de soins au cours des dernières décennies (progrès techniques, nouvelles décou-
vertes scientifiques, développement de la biologie moléculaire, expansion des professions
de santé), et en conformité avec l’énoncé de la théorie économique selon lequel «l’offre
crée sa propre demande» (idée que la demande serait induite par l’offre), ce serait l’ac-
croissement de l’offre de soins qui expliquerait l’augmentation des dépenses de santé. Si
la consommation médicale croît régulièrement, ce serait parce qu’il y a de plus en plus de
médecins, de laboratoires d’analyses, de médicaments, de lits d’hôpitaux… et une diversi-
fication des actes médicaux66. Dans ce contexte, les politiques visant à comprimer le déve-
loppement de l’offre de soins concernent les trois grands types de producteurs de soins en
s’attachant à limiter leurs capacités de production ainsi que le volume et le coût unitaire
des actes réalisés.

65 INSEE, Tableaux de l’Économie Française, 2007, mise à jour 03-2008 sur www.insee.fr.
66 On peut aujourd’hui parler d’une véritable chaîne médicale qui ne cesse de se complexifier, multipliant les diagnostics,
les thérapeutiques, les traitements mais aussi les examens de contrôle et de suivi.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 467


A - Les politiques de restriction des soins ambulatoires
Elles sont motivées par la place et le rôle joué par les médecins de ville dans le système
de soins. Non seulement ces derniers, qui sont rémunérés à l’acte, produisent des services
médicaux, mais ils donnent aussi aux patients l’autorisation de consommer : la plus grande
partie des médicaments et les examens médicaux ne sont accessibles que sur ordonnance
rédigée par un médecin. Le nombre de médecins en exercice, et la manière dont ces der-
niers exercent leur activité (leur comportement professionnel), influenceraient par consé-
quent directement le niveau et l’évolution de la demande de soins de la population. En
conséquence, pour réduire la consommation de biens et services médicaux par la popula-
tion, il faudrait agir sur les effectifs des personnels médicaux, le nombre d’actes effectués
par chacun d’eux et le coût de ces actes.
• Action sur les effectifs de practiciens.
L’instauration d’un « numerus clausus » fixant directement par arrêté le flux d’entrée des
étudiant(e)s en deuxième année de formation dans chaque profession médicale (méde-
cine, odontologie et pharmacie) a été conçue comme un moyen d’encadrer l’offre en fonc-
tion des besoins de la population et, par voie de conséquence, de freiner les effets des mé-
canismes de la demande induite. Cette mesure a fortement ralenti la croissance du nombre
de médecins. Le numerus clausus les concernant qui était de 8 500 à la rentrée universitaire
de 1979, n’était plus que de 4 724 en 1985 et 3 500 en 1993, date à partir de laquelle il a
progressivement été relevé (4 700 en 2002) pour faire face à la vague importante de dé-
parts en retraite de médecins dans les prochaines années. Si le nombre de médecins est en
France relativement important (342 médecins pour 100 000 habitants, plaçant la France en
sixième position des pays de l’OCDE), il reste que, d’ores et déjà, le nombre de praticiens
dans certaines spécialités (ophtalmologie, gynécologie, pédiatrie) est jugé insuffisant. À
quoi s’ajoute que la répartition des médecins sur le territoire national est fort inégale.
Pour faire face à la pénurie à venir de médecins, le numerus clausus a été porté à 6 200
places en 2005 puis 7 000 en 2006 et devrait rester à ce niveau au moins jusqu’en 2010
selon les déclarations du ministre Xavier Bertrand en janvier 2006 (Le Monde, 26-01, 2006,
p. 9). Mais les projections de démographie médicale pour les années à venir, réalisées par
la DREES, font par ailleurs apparaître que, sur la base d’un numerus clausus relevé à 7 000
places dès 2006, le nombre de médecins en exercice reviendrait néanmoins à 186 000 en
2025. Parallèlement, compte tenu de l’augmentation prévisible de la population totale,
la densité médicale (nombre de médecins pour 100 000 habitants) serait ramenée à 283
médecins pour 100 000 habitants en 202567.
• Action sur les prescriptions
Le contrôle de l’accès à la profession médicale par le numerus clausus s’est doublé de ten-
tatives de contrôle des prescriptions effectuées par les médecins en exercice. La mise en
place en 1971 des tableaux statistiques d’activité des praticiens (TSAP)68, qui permettent
aux caisses primaires d’assurance-maladie de repérer et de sanctionner les comportements

67 Le rapport du Haut Comité de la santé publique de 2003 souligne qu’en « baissant trop longtemps le numerus clausus,
on a laissé se créer une situation telle que la densité médicale va diminuer jusqu’en 2020 pour se retrouver à son niveau
d’il y a vingt ans, avec des situations de pénurie dans certaines régions et pour certaines spécialités » (op. cit., p. 24).
68 Devenus aujourd’hui les relevés individuels d’activité des praticiens (RIAP), relevés informatiques qui permettent de
connaître avec précision les remboursements correspondants à chaque praticien libéral et de vérifier ainsi son activité
et son coût pour l’assurance-maladie.

468 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


dispendieux des médecins, s’inscrit dans la volonté des pouvoirs publics de limiter le vo-
lume de l’activité médicale de ville. Cette mesure a suscité de vives réactions des praticiens
qui y ont vu une atteinte à la liberté de prescrire et au secret médical. Elle n’est deve-
nue réellement efficace qu’en 1994 avec la création des références médicales opposables
(RMO). Il s’agit de règles de « bonne pratique médicale » définissant des normes de traite-
ment par pathologie et, en conséquence, un coût de traitement standard qui permet une
maîtrise des dépenses de santé. Ces références sont dites opposables dans la mesure où
leur non-respect peut faire l’objet de sanctions financières, bien que leur opposabilité aux
praticiens demeure pour le moment plutôt formelle.
• Action sur le coût des actes
La régulation de l’offre de soins de ville passe aussi par une action sur le montant des
honoraires médicaux (donc, une action sur les prix) par l’intermédiaire de l’élaboration
de la nomenclature des actes professionnels et sur la base des conventions médicales né-
gociées et signées entre la Caisse nationale d’assurance-maladie et les syndicats de méde-
cins. La première convention signée en 1960 a introduit le principe du conventionnement,
c’est-à-dire le remboursement des frais médicaux à l’assuré sur la base de tarifs fixés par
les pouvoirs publics. Le décret du 12 mai 1960 a permis aux médecins d’adhérer indivi-
duellement aux conventions et a institué un droit à dépassement pouvant être accordé à
certains médecins en fonction de « leurs titres et travaux ». En 1970, 80 % des médecins
étaient conventionnés. La convention de 1971 a introduit une nomenclature des activités.
La convention de 1980 a créé le secteur 2 à honoraires libres, pour lequel les médecins
peuvent opter librement et dans lequel le praticien fixe lui-même sa rémunération, le
malade étant remboursé sur la base du tarif conventionné du secteur 1. La convention de
1993 a institué les références médicales opposables (RMO) évoquées ci-dessus et le dos-
sier médical. La convention de 1998 a créé le médecin référent, rémunéré 23 euros par an
et par patient abonné au parcours de soins : système auquel ont adhéré 6 000 médecins.
La convention du 12 janvier 2005 a prévu diverses majorations des tarifs de base, tandis
que les années 2005 et 2006 ont donné lieu à la mise en place de la rémunération méde-
cin traitant (RMT) de 40 euros par patient atteint d’une maladie de longue durée et au
remplacement de la nomenclature générale des activités professionnelles (NGAP) par la
classification commune des actes médicaux (CCAM).
Toutefois, le développement d’un secteur à honoraires libres, regroupant les réfractaires
au conventionnement, a largement contribué à l’expansion des dépenses de santé, d’au-
tant plus que les dépassements d’honoraires, remboursés en grande partie par les caisses
complémentaires, étaient de ce fait plus aisément acceptés par les patients. En sorte que
l’encadrement des prix tel qu’il a été effectivement pratiqué n’a pas réellement pesé sur la
croissance des dépenses, tout en laissant se développer une médecine ambulatoire à deux
vitesses69.

69 Les pratiques de dépassement d’honoraires sont en forte progression depuis les années 1980. Un rapport de l’Inspection
générale des affaires sociales d’avril 2007 les évalue, pour les seuls médecins, à 2 milliards d’euros sur un total d’hono-
raires de 18 milliards d’euros, les montants des dépassements dans le secteur 2 ayant par ailleurs doublé entre 1990 et
2005 (Tabuteau, 2007, p. 16).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 469


*
Depuis les années 1990, la succession de dispositifs, comme le carnet de santé qui n’eut guère
de succès et qui fut rapidement remplacé par la carte vitale70, traduit le souci constant des
pouvoirs publics de contrôler l’activité des praticiens et de lutter contre les gaspillages. Mais
elle témoigne aussi des difficultés à mettre en place des politiques efficaces en la matière et,
plus généralement, de réguler le système des soins ambulatoires. La réforme de l’assurance-
maladie d’août 2004 met en œuvre de nouvelles dispositions allant dans le même sens :
1) personnalisation de la carte vitale qui comportera à terme une photo de son titulaire (of-
ficiellement pour éviter les fraudes à l’utilisation de la carte) ;
2) création (prévue initialement pour 2007) du dossier médical personnel informatisé, des-
tiné à permettre un meilleur suivi du patient par le corps médical et éviter la démultiplica-
tion d’actes redondants (analyses, radiographies…) ;
3) renforcement du contrôle sur la prescription des arrêts maladie et accidents du travail71 ;
4) création du « parcours de soins coordonnés » avec obligation pour l’assuré de choisir un
médecin traitant qui sera désormais le passage obligé pour pouvoir consulter un spécia-
liste72.
Les tentatives d’imposer aux médecins des mesures de maintien des dépenses se sont ce-
pendant révélées jusqu’à présent globalement infructueuses. Les relèvements du prix de la
consultation des généralistes, portée successivement à 20 euros puis à 21 euros en 2006 et 22
euros au 1er juillet 2007, ont été présentés comme un moyen de limiter la démultiplication
des actes que pratiquent certains médecins sans qu’il soit possible de mesurer aujourd’hui
l’incidence éventuelle de ces mesures. La question est par ailleurs soulevée de mettre en
œuvre des modes de rémunération des médecins différents du paiement à l’acte, lequel peut
être considéré comme « inflationniste » en incitant objectivement les médecins à accroître le
nombre de consultations quitte, éventuellement, à les écourter au détriment d’un suivi satis-
faisant de leurs patients. Le Royaume-Uni pratique la capitation, c’est-à-dire la rémunération
forfaitaire par patient inscrit auprès du médecin. Les pays scandinaves mixent la capitation
et le paiement à l’acte.
Par ailleurs, pour faire face à l’inégale répartition des praticiens sur le territoire national et
les problèmes d’accès aux soins pour un nombre croissant de patients qui en résultent, un
plan de démographie médicale a été rendu public en janvier 2006. Ce plan systématise les
exonérations de charges sociales ainsi que d’impôts nationaux et locaux pour les médecins
qui s’installent dans les zones « sous-médicalisées », c’est-à-dire les zones géographiques
dans lesquelles la densité médicale est inférieure de 30 % à la moyenne nationale (4 % de la
population totale française et 4 422 communes). En outre, l’assurance-maladie, depuis 2005,
fait bénéficier ces mêmes médecins de majorations d’honoraires, en particulier lorsqu’ils se
regroupent en cabinets collectifs ou en « maisons de santé ».

70 Carte magnétique permettant l’identification du patient, le stockage et la télétransmission aux caisses de renseignements
le concernant ainsi que les prescriptions médicales qui lui sont délivrées dans le système du tiers-payant.
71 En 2006, les indemnités journalières versées par la Sécurité sociale se sont élevées à 10,3 milliards d’euros et 5,2 % de la
dépense courante de santé, en baisse depuis 2004, ce qui pourrait s’expliquer en partie par la mise en place à partir du
1er janvier 2004 de la retraite anticipée pour carrières longues, dont 370 000 personnes ont bénéficié entre 2004 et 2006,
sachant que la fréquence des arrêts maladie ou accidents du travail augmente avec l’âge des salariés.
72 Le non-respect de ce dispositif par le patient est sanctionné par une baisse du taux de remboursement. Celui-ci est
ramené de 70 % dans le cadre du parcours de soins à 60 % pour les consultations effectuées hors parcours ou pour les
assurés qui n’ont pas désigné de médecin traitant.

470 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B - L’action sur le secteur hospitalier
Le secteur hospitalier est composé de trois catégories d’établissements : les hôpitaux pu-
blics, les hôpitaux privés à but non lucratif et les hôpitaux privés à but lucratif. Les établis-
sements publics appartiennent obligatoirement au service public hospitalier ; les établisse-
ments privés peuvent en faire partie par décret ou par convention.
L’action sur le secteur hospitalier a revêtu un intérêt tout particulier au début des années
1980, lorsque le poste des soins hospitaliers et des soins en sections médicalisées (soins
aux personnes âgées notamment) représentait plus de 50 % de la consommation de soins
et de biens médicaux (53,2 % en 1980). L’hôpital a alors été accusé d’être responsable de
l’envolée des dépenses de santé, le programme d’humanisation des hôpitaux, mis en place
dans les années 1970, étant en contradiction avec une politique de freinage des dépenses.
La politique hospitalière mise en œuvre depuis a principalement porté sur l’investissement
et le mode de financement des structures de soins.
• Le contrôle de l’investissement
Il s’est exercé dans le cadre d’une politique d’aménagement du territoire d’un point de
vue sanitaire et dans le cadre d’une politique de rationalisation des équipements. La carte
sanitaire, élaborée en 1970, définit, par zone géographique (la France étant découpée en
256 secteurs sanitaires) et par grandes disciplines médicales, les besoins en capacités d’hos-
pitalisation à partir d’un indicateur, le nombre de lits pour 1 000 habitants. Elle a ensuite
été complétée par la mise en place de quotas d’équipements lourds (scanner, résonance
magnétique nucléaire…) pour 1 000 habitants. La mise en œuvre de cette politique se
heurte souvent à des enjeux locaux considérables : le conseil d’administration de l’hôpital,
souvent premier employeur d’une ville, est alors présidé de droit par le maire qui peut
privilégier la bonne santé de l’économie locale au détriment d’une politique nationale de
rigueur budgétaire.
À partir de 1994, l’intervention des pouvoirs publics a pris une dimension régionale. Il s’est
agi de rendre plus effective et efficiente la politique de rationalisation des équipements
en se dotant d’outils de proximité, garants d’un meilleur contrôle et suivi de l’applica-
tion des directives nationales. C’est ainsi qu’ont été créés, en 1994, les schémas régionaux
d’organisation sanitaire (SROS) et, en 1996, les agences régionales de l’hospitalisation
(ARH). Ces dernières sont chargées d’affecter les enveloppes budgétaires définies par ré-
gions aux hôpitaux publics et privés dans le cadre des SROS. Leur mission, dans un contexte
de restriction budgétaire, est de réorganiser l’offre hospitalière (ouvertures, fermetures,
fusions, mise en réseau des établissements…). Elles sont également chargées de négocier
des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les structures hospitalières, ce qui
constitue un véritable contrôle de leur activité.
Mais cette dernière réforme, qui a vu le jour dans le cadre du plan Juppé de 1995-1996,
s’est accompagnée d’une modification de la composition des conseils d’administration des
hôpitaux publics : les maires ne sont plus désormais présidents de droit et les directeurs des
grands hôpitaux sont nommés par le gouvernement en Conseil des ministres. Les obstacles
à la mise en œuvre d’une politique de contrainte budgétaire, cités plus haut, sont ainsi
levés. Cette politique s’est traduite par une diminution du nombre de lits (- 17 % entre
1987 et 2001, soit la suppression de 98 119 lits installés en hospitalisation complète) et la
fermeture de structures de proximité, notamment les maternités n’assurant pas au moins
300 accouchements par an, et de certains services d’urgence.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 471


• Les réformes du mode de financement des hôpitaux publics
Elles ont permis de maîtriser les dépenses hospitalières qui sont passées de 53,2 % de la
consommation de soins et de biens médicaux en 1980 à 44,5 % en 2005. Après l’instau-
ration en 1979 d’un taux directeur de progression des budgets hospitaliers, a été intro-
duit en 1984 un système de financement par budget global qui s’est substitué, pour les
hôpitaux publics, au système du financement par prix de journée jugé à juste titre infla-
tionniste, les cliniques privées conservant cependant le système du prix de journée. Avec
le budjet global, les ressources de chaque établissement public ne sont plus directement
engendrées par son activité (système du prix de journée) sur la base des dépenses qu’il
avait lui-même effectuées l’année écoulée mais sont fixées a priori. Chaque hôpital reçoit
une enveloppe globale annuelle définie en fonction de la dotation régionale, de l’activité
de l’année précédente et de ses résultats en termes de coût73. C’est à lui de définir les
politiques d’utilisation de cette dotation. L’hôpital n’est plus seulement un distributeur
de soins, il doit gérer des fonds en minimisant les coûts74. Cette réforme, qui vise à maîtri-
ser l’activité hospitalière et donc à limiter les dépenses, rompt avec le système antérieur
du prix de journée qui incitait objectivement les hôpitaux à multiplier les séjours et à en
prolonger la durée pour disposer de moyens plus importants. La nécessité pour les établis-
sements de négocier des contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens avec les agences
régionales de l’hospitalisation, le développement d’outils de gestion et d’évaluation de la
performance parachèvent cette grande réforme du mode de financement.
Si le budget global et ses prolongements ont incontestablement freiné la progression des
dépenses hospitalières, ils ne sont pas dépourvus d’effets pervers. Ces dispositifs se sont
accompagnés d’une baisse de moitié de la durée moyenne des séjours, d’une restriction
progressive et régulière du nombre de lits, de la fermeture d’établissements de proximité
(le plus souvent au nom de la sécurité), d’une insuffisance en nombre des personnels, d’un
recours massif aux travailleurs précaires, peu qualifiés (notamment les contrats emploi so-
lidarité)… autant d’éléments préjudiciables à une prise en charge équitable et de qualité
de tous les malades quelles que soient leur situation sociale, leur pathologie, leur origine
géographique75.
Dans la mesure où cette réforme des modes de financement de l’hôpital n’a concerné que
les hôpitaux publics, elle a pu engendrer des effets de report de la demande de soins sur
l’hospitalisation privée et la médecine de ville, annihilant ainsi pour partie son impact en
termes de limitation de la croissance de la dépense globale de santé. Elle a introduit une
certaine dose de concurrence entre les offreurs de soins, renforcé les inégalités existantes
et ouvert la voie à une sélection des patients aboutissant à réserver les clients les plus
rentables au privé et à laisser les autres à la charge du secteur public. Le principe d’une
médecine à deux vitesses, qui a commencé à s’affirmer dans les soins ambulatoires, tend
ainsi à se propager aux soins hospitaliers.

73 Ses résultats sont évalués à partir des indices synthétiques d’activité (les fameux points ISA) et font référence au répertoire
des coûts moyens de traitement des pathologies établi par le Programme de médicalisation des systèmes d’information
(PMSI). Chaque traitement d’une pathologie correspond à un certain nombre de points ISA. Le total des traitements réa-
lisés en une année par l’établissement, convertis en points ISA, sert à calculer sa dotation globale pour l’année suivante.
74 C’est sur cette réforme que se sont appuyés les discours qui assimilent l’hôpital à une entreprise et qui ont fait entrer
les notions de rentabilité et de productivité dans le fonctionnement des hôpitaux.
75 La logique entrepreneuriale ne fait pas forcément bon ménage avec l’universalité de l’accès aux soins. Elle conduit
inévitablement à des questionnements du type : à partir de quel moment un traitement ou un examen est-il superflu ?
Faut-il hiérarchiser le niveau d’effort thérapeutique en fonction de l’âge, de l’espérance de vie ?

472 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


En 2004 a été voté le principe d’une tarification à l’activité (dite T2A) des hôpitaux publics
et privés. Elle est progressivement mise en œuvre dans l’ensemble du secteur hospitalier
et se substitue au système de la dotation globale dans le cadre du Plan hôpital 2012 qui
succède au Plan hôpital 2007. Avec ce nouveau dispositif, la dotation globale annuelle
perçue par les hôpitaux dans le cadre du système du budget global doit disparaître, pour
être remplacée par une rémunération ex post des hôpitaux sur la base de leur activité
réelle, ce qui devrait permettre « une utilisation plus efficace des moyens des établisse-
ments de santé », mais « peut aussi entraîner une stimulation de l’activité par des prix plus
rémunérateurs pour certaines activités » (Fenina, 2007, p. 5). Parallèlement, le nouveau
dispositif institue une incitation des établissements à l’excellence sous la forme de primes à
la performance, avec le risque que « les services jugés performants soient spécifiquement
des établissements privés, qui se spécialisent dans les actes rentables auprès de clientèles
privilégiées » (Domin, 2006)76.
C - L’action sur la production et la distribution des biens médicaux
Les pouvoirs publics interviennent aussi dans la production et la distribution des biens mé-
dicaux en contrôlant les prix, les quantités et la qualité des produits. Alors que, depuis le
milieu des années 1990, ce sont les médicaments et autres biens médicaux qui ont contribué
le plus à la croissance de la consommation de soins et de biens médicaux, l’objectif pour-
suivi par les pouvoirs publics est la maîtrise de la progression des dépenses consacrées aux
médicaments dans une logique qui n’est pas seulement une logique comptable, mais éga-
lement une logique de santé publique dans un pays où la consommation de médicaments
est particulièrement élevée77.
Dans cette perspective, une politique très stricte d’encadrement de la filière a été mise en
œuvre : tout médicament est soumis à une autorisation de mise sur le marché, le nombre
des pharmacies est contrôlé. En 1998 a été créée l’Agence française de sécurité sanitaire
des produits de santé, chargée d’évaluer et de contrôler l’efficacité des produits. En 1999
elle publiait une première liste de médicaments jugés inopérants. L’introduction en 1999
du critère « amélioration du service médical rendu » dans la détermination du niveau de
remboursement d’un nouveau médicament confirme la volonté des pouvoirs publics de
restreindre la consommation de médicaments en réglementant la diffusion des produits. En
2003, 82 médicaments dont le service médical rendu était jugé insuffisant ont été supprimés
de la liste des médicaments remboursables par la Sécurité sociale. En 2006, une deuxième
liste de 156 médicaments a subi le même sort à partir du 1er mars. La publicité faite ces der-

76 Selon le professeur André Grimaldi, ce système de tarification T2A est inflationniste. Il « conduit chaque service à gonfler
artificiellement son activité en multipliant les actes et les activités ’’rentables’’ indépendamment de leur utilité » (2007,
p. 11).
77 Le fait est que les Français sont les plus gros consommateurs de médicaments en Europe et que différents indices laissent
supposer qu’il y a une certaine surconsommation de médicaments. Ainsi, selon la Commission des comptes de la Sécurité
sociale, la consommation moyenne de statines (anticholestérol), qui a représenté en 2005 un total de remboursement de
plus d’un milliard d’euros, est en France de 50 % supérieure à celle de l’Allemagne « sans que cet écart puisse s’expliquer
par des différences d’état de santé de la population » (cité par Le Monde, 10-06, 2006, p. 19). De même, les médecins
français prescrivent en moyenne 4,5 médicaments par consultation contre 0,8 pour les médecins des pays du Nord de
l’Europe. En France, la consultation d’un médecin est suivie de la prescription d’un médicament ou d’un examen dans
90 % des cas, contre 40 % des cas seulement aux Pays-Bas. À titre de comparaison, la consommation de médicaments par
habitant serait au Danemark 6 fois moins importante qu’en France, alors que ce pays a des résultats globaux en matière
de politique de santé plutôt satisfaisants.

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 473


nières années aux médicaments génériques moins onéreux que les médicaments princeps78
et l’autorisation donnée en 1999 au pharmacien de substituer un médicament générique
au médicament prescrit sont autant de mesures qui réaffirment l’objectif premier des poli-
tiques de santé menées depuis plus de 20 ans : la maîtrise des dépenses79.
Soulignons cependant que l’action des pouvoirs publics sur les prix des médicaments est
limitée par la pression qu’exercent les lobbies de l’industrie pharmaceutique pour préserver
des marges bénéficiaires suffisantes, en arguant en particulier de l’importance de ce secteur
d’activité pour l’emploi, puisque la production et la distribution de médicaments représen-
tent en France 370 000 emplois. L’augmentation en 1988 de la taxe sur la publicité pharma-
ceutique n’a par ailleurs pas contribué à comprimer les budgets publicitaires des industriels
du secteur : ils continuent à représenter le double des dépenses de recherche du secteur.

paragraphe 4 : Vers une refonte du régime de l’assurance-


maladie

Dans le but de contrôler l’évolution à long terme des dépenses de santé, un certain nombre
de nouvelles réformes institutionnelles ont été mises en œuvre au cours de la dernière dé-
cennie.
Depuis 1996, une loi dite de financement de la Sécurité sociale, votée chaque année par le
Parlement, fixe un taux directeur de l’évolution des dépenses de santé, l’Objectif national
des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), fixé à 144,8 milliards d’euros en 2007, qui est
ensuite décliné en objectifs nationaux par secteurs (hospitalisation, médecine de ville…) et
par régions. Ce nouveau dispositif a été complété par la création d’un comité d’alerte sur
les dépenses, constitué de trois personnalités. Ce comité est chargé de jouer le « gendarme
financier » en cas de progression jugée trop forte des dépenses, c’est-à-dire en fait en cas de
dérapage financier supérieur à 0,75 % de l’ONDAM voté par le Parlement.
La réforme de l’assurance-maladie, dite réforme Douste-Blazy du 13 août 2004, a par ailleurs
défini un ensemble de mesures (participation directe accrue des usagers, hausse de la CSG,
économies de diverses natures) devant aboutir à dégager en 2007 5,2 milliards d’euros de
ressources supplémentaires et à réduire les dépenses globales de 6,5 milliards d’euros, ce qui
était censé devoir permettre le retour à l’équilibre des comptes de l’assurance-maladie dès
cette date. Lequel équilibre ne fut cependant pas réalisé. Pour 2007, le déficit global de la
Sécurité sociale était estimé à 12 milliards d’euros et, selon J. de Kervasdoué, devrait en fait
s’établir à 14 milliards si l’on tient compte de ce que le régime de la MSA est déficitaire et
que les hôpitaux n’équilibreront pas leurs comptes. Compte tenu de la poursuite du déficit
en 2008 et du déficit enregistré en 2006, les 3 années 2006, 2007 et 2008 se traduiraient ainsi
par un déficit cumulé de 45 milliards d’euros. Début juillet 2007, la Commission des comptes
de la Sécurité sociale annonçait un déficit prévisionnel du régime général de la Sécurité
sociale de 12 milliards d’euros pour 2008, dont 6,4 milliards pour l’assurance-maladie et 4,7
milliards pour la branche vieillesse, du même ordre de grandeur que les déficits enregistrés
en 2004 (11,9 milliards) et en 2005 (11,6 milliards).
D’autres réformes mises en œuvre au cours de la dernière période concernent la gouver-
nance du système de soins :
78 Le médicament princeps est le médicament original dont le générique est la copie.
79 Selon les statistiques publiées par la DREES, les génériques représenteraient aujourd’hui 31 % des ventes totales de
médicaments, pour un prix qui serait en moyenne inférieur de 13,5 % à celui des médicaments princeps.

474 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• création de l’union des caisses d’assurance-maladie (UNCAM) composée de représen-
tants de la Caisse nationale d’assurance-maladie (12), de la Mutualité sociale agricole (3)
et de la Caisse des artisans et commerçants (3) collaborant pour la gestion de l’assurance-
maladie avec l’union des organismes de protection sociale complémentaire en santé
(UNOCAM) où siègent les représentants des mutuelles, des institutions de prévoyance et
des compagnies d’assurances privées ;
• création du poste de directeur de l’UNCAM, nommé par l’État et disposant de pouvoirs
étendus ;
• création par la loi du 13 août 2004 d’une Haute autorité de la santé, chargée de détermi-
ner les soins et biens médicaux susceptibles d’être remboursés par le régime de base ou
les assurances complémentaires et d’élaborer les référentiels de bonnes pratiques pour
les professionnels de santé. Compte tenu des missions confiées à cette Haute autorité,
ne peut être écartée la perspective d’une extension de la sphère de soins qui ne seraient
plus pris en charge par la couverture obligatoire mais renvoyés à la charge des assurances
complémentaires, offrant ainsi des opportunités de développement de leurs activités aux
assurances privées.
Le principe de nouvelles réformes a été annoncé en janvier 2008 par le Chef de l’État, ré-
formes dont il n’était cependant pas possible, au moment où ces lignes étaient écrites, de
préciser les grandes orientations et le contenu.
Reste que certains spécialistes de l’économie de la santé et les représentants de certaines
forces sociales organisées, et en particulier le MEDEF, dans le cadre de son projet de Refon-
dation sociale, appellent de leurs vœux la poursuite des réformes de l’assurance-maladie
ainsi que de l’organisation et des règles de fonctionnement de notre système de santé qui
iraient dans le sens d’une marchandisation accrue de la santé. Dans cette optique, deux ré-
formes différentes sont proposées par les partisans de cette orientation80.
• La première consiste dans la privatisation de l’assurance-maladie et la mise en concurrence
des assureurs.
Dans l’absolu, cela aboutirait à ce que l’assuré s’assure directement sur un marché privé de
l’assurance-maladie en choisissant lui-même son niveau souhaité de couverture, la prime
d’assurance qu’il aurait alors à acquitter étant nécessairement fonction du risque qu’il repré-
sente pour l’assureur. Comme le soulignent A. Bocognano et alii (1999, p. 4), un tel dispositif
« est la négation de deux principes fondateurs de nos systèmes de protection sociale que
sont la solidarité entre bien portants et malades, et la solidarité entre riches et pauvres ».
L’examen des expériences déjà tentées en ce sens dans le monde montre par ailleurs les dif-
ficultés diverses auxquelles se heurte la mise en place d’un tel dispositif avec, en particulier,
le fait que « la tarification au risque, qui est une condition du fonctionnement d’un marché
efficace de l’assurance, est particulièrement difficile pour le risque maladie » (id., p. 5) et
que, finalement, ce dispositif se heurte à « des problèmes d’équité et d’exclusion insolubles,
pour une efficacité non garantie compte tenu de la nature particulière du bien santé » (id.,
p. 5). Les expériences étrangères montrent en outre que les attentes en termes de gains
d’efficacité placées dans ce type de dispositif sont loin d’être vérifiées. Les coûts de gestion
des assurances privées peuvent en particulier être très élevés. L’exemple américain montre
ainsi que « le coût de gestion des assurances privées est cinq à six fois plus élevé que celui
du programme fédéral (c’est-à-dire le programme Medicare mis en place en 1960, G.R.) »
(Marmor, 2004, p. 15)81.

80 Pour une analyse plus détaillée on pourra se reporter à A. Bocagnano et alii (1999) que nous suivons ici.
81 En 2006, les coûts de gestion de la santé, c’est-à-dire les coûts de gestion de la Sécurité sociale, des organismes

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 475


• La seconde consiste dans la création d’une concurrence entre « acheteurs/entrepreneurs
de soins ».
Dans ce cas, l’assureur a pour fonction d’organiser un réseau d’offreurs de soins (établisse-
ments de soins, médecins…) ; il assume une fonction d’entrepreneur de soins, prenant en
charge les patients abonnés auprès de lui. Il perçoit pour chaque assuré abonné auprès de
lui une rémunération forfaitaire que lui verse le financeur public du système, lequel prélève
à cet effet sur l’ensemble des assujettis des contributions publiques assises sur les revenus
des assurés, de sorte que la contribution de ces derniers à la couverture de leurs besoins de
soins n’est plus fonction du risque qu’ils représentent mais de leurs revenus, ce qui résout
les problèmes d’équité auxquels est confronté le dispositif précédent. La mise en place de
ce type de dispositif est justifié par ses promoteurs en invoquant le fait que le mode d’or-
ganisation des systèmes publics d’assurance-maladie et d’organisation de l’offre de soins
existants (d’une grande complexité et laissant une grande liberté d’initiative aux patients
comme aux producteurs des services de soins) ne permettrait pas d’optimiser les processus
de soins afin d’atteindre le meilleur rapport qualité/coût des soins possible. Par contre, des
assureurs/entrepreneurs de soins mis en situation de concurrence seraient conduits, de ce
fait, à se donner les moyens de réduire les coûts tout en répondant aux impératifs de qua-
lité des soins fournis aux assurés.
La principale expérience de ce type de dispositif est celle des Health Maintenance Orga-
nisations (HMO) aux États-Unis. Il en ressort que « les assureurs opérant avec des réseaux
de soins – et surtout des réseaux fermés de type HMO – ont indéniablement obtenu des
résultats en termes de réduction des coûts (...) grâce à l’organisation de filières de soins, à
l’utilisation de référentiels de pratique, à la sélection des médecins (...), à l’ajustement des
capacités d’offres aux besoins » (Bocognano et alii, 1999, p. 7). Les résultats en matière de
qualité des soins sont cependant « mitigés », les populations les plus vulnérables recevant
« souvent des soins de qualité dégradée » (id., p. 7). Par ailleurs, outre que la concurrence
est à l’origine de coûts élevés de transaction, d’échelle et de régulation (cf. supra), la mise
en concurrence des assureurs ouvre de surcroît la porte à un risque majeur de sélection des
risques et donc d’iniquité. En toute logique, les assureurs doivent s’efforcer de n’attirer à
eux que les assurés représentant les risques les plus faibles et qui seront par conséquent
pour eux les plus rentables dans un système où leur rémunération pour la prise en charge
d’un assuré est forfaitaire82. Ce qui conduit finalement « à s’interroger sérieusement sur le
rapport bénéfice/risque d’une mise en concurrence des assureurs » (id., p. 7).

complémentaires, du ministère de la Santé, etc. se sont élevés à 14 milliards d’euros, soit 7,1 % de la dépense courante
de santé. J.-P. Fitoussi souligne pour sa part que la privatisation de l’assurance-maladie ne peut qu’aboutir à l’augmen-
tation de son coût global pour les assurés. Évoquant plus spécifiquement le cas de l’assurance-maladie aux États-Unis,
il explique que : « l’assurance-maladie est privée et les Américains y accèdent par la médiation de leur emploi. Or cette
organisation du financement du système de soins apparaît très peu efficace, quel que soit le critère utilisé. (...). La cause
la plus souvent invoquée pour justifier cet état de fait est l’organisation essentiellement privée du financement de l’as-
surance-maladie. On peut en effet penser que c’est le libre fonctionnement du marché (c’est un paradoxe) qui conduit
à l’élévation du coût des assurances, comparativement à un système où il n’y aurait qu’un seul payeur, qui serait la
collectivité. A priori, la concurrence entre une pluralité de compagnies d’assurances devrait pourtant induire une baisse
des primes, chaque compagnie souhaitant accroître sa part du marché en proposant des tarifs plus attractifs. Mais pour
que cela soit possible, chacune d’entre elles est conduite à consacrer une part importante de son activité à l’analyse des
risques inhérents à la signature de chaque police d’assurance. De ce seul fait, un système privé d’assurances a des frais
généraux beaucoup plus élevés que ne l’aurait une agence publique, puisqu’en ce cas la mutualisation des risques à
l’échelle de la nation rendrait inutile l’analyse des cas individuels. Il est des situations, logiques de surcroît, où le marché
génère davantage de bureaucratie que l’État ! » (Fitoussi, 2004, p. 22).
82 Et Bocognano et alii (1999, p. 7) soulignent à ce propos qu’il « est totalement illusoire de croire, comme il arrive souvent
en France, qu’une pondération des forfaits sur un ou deux critères simples, comme l’âge et le sexe, suffit à éliminer ce
problème ».

476 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Au-delà, certains auteurs (cf. par exemple Mills et Caudron, 2007) voient dans les réformes
déjà mises en œuvre le risque d’une stratification du système de protection contre la mala-
die : la première strate, celle de la couverture d’assistance minimale, s’adresserait aux plus
démunis, aux bénéficiaires de la CMU ; la seconde strate, celle de la couverture assurantielle,
offrirait une protection minimale supérieure mais limitée à ceux qui cotisent ; la troisième
strate serait celle de l’assurance complémentaire privée accessible aux personnes ayant les
moyens financiers suffisants pour la financer. Selon les auteurs, l’instauration de ce type de
couverture maladie à trois vitesses serait confirmée par certains projets de réforme en cours
de discussion, avec en particulier l’idée d’introduire une dose de privatisation dans l’as-
surance-maladie, notamment à travers le développement des complémentaires-santé. Les
réflexions actuelles sur le « panier de soins » qui seraient remboursés par la couverture de
base, les soins « hors panier » nécessitant un recours accru aux complémentaires-santé, ou-
vriraient une nouvelle étape dans la politique de restriction des dépenses de santé, condui-
sant inévitablement à une privatisation de la prise en charge de la maladie, dont la partie
socialisée se réduirait à la portion congrue. Alors même que, comme le montre l’exemple
des États-Unis, « plus la part de l’assurance privée est importante, plus les inégalités sont
profondes et vont de pair avec de piètres indicateurs de santé » (Mills, Caudron et Domin,
2002).

Les différentes politiques sociales de l’État : retraites et santé 477


les différentes politiques
sociales de l’État : emploi,
famille, pauvreté
CHAPITRE 9

En France, le basculement dans la crise économique durable contemporaine à partir du dé-


but des années 1970 s’est traduit, comme on l’a vu antérieurement, par une dégradation
considérable de la situation de l’emploi. Au quasi plein-emploi des années 1960 a succédé,
en quelques années, une phase de montée rapide du chômage au cours des années 1970,
débouchant, dès la fin de cette décennie, sur une situation de chômage de masse qui, au-
delà de fluctuations conjonctuelles du taux de chômage, s’est perpétuée jusqu’à présent,
même si la situation actuelle paraît de ce point de vue moins difficile que ce ne fut le cas
dans le courant de la première moitié des années 1990.
Ce chômage de masse a fragilisé les salariés dans leur ensemble. La très nette inflexion
du rythme de croissance des salaires réels à partir de la fin des années 1970, ainsi que la
réduction marquée de la part des salaires dans la valeur ajoutée à partir du début des an-
nées 1980, ont directement à voir avec cette montée irrésistible du chômage dès les années
1970. D’autant que, comme on l’a vu, la dégradation de la situation de l’emploi ne s’est pas
limitée à la seule augmentation du nombre de chômeurs. Avec le chômage de masse sont
également apparus les emplois atypiques, le plus souvent précaires, le travail à temps par-
tiel contraint… auxquels sont aujourd’hui encore réduits des millions de salariés, hommes
et femmes, contraints de vivre ainsi dans la précarité et l’incertitude du lendemain.
Face à la montée du chômage au cours des années 1970, les pouvoirs publics ont été
contraints de réagir. Dans un premier temps, de 1974 à 1982-1983, alors que la montée du
chômage était considérée comme de nature essentiellement conjoncturelle, résultant des
deux crises de 1974-1975 et de 1980-1982, elles-mêmes imputées principalement aux chocs
pétroliers, ils ont tenté d’enrayer cette montée du chômage principalement par des in-
terventions traditionnelles, qui relevaient du champ de la politique économique conjonc-
turelle et qui ont pris pour l’essentiel la forme de politiques de relance inspirées des pré-
ceptes keynésiens. Devant ce qui a pu être analysé comme l’échec global de ces politiques,
et dès le tournant de la rigueur de 1982-1983 déjà évoqué, à partir duquel la priorité
fut expressément donnée à la lutte contre l’inflation, la politique de l’emploi prend une
orientation très différente. Elle s’autonomise de la politique économique conjoncturelle à
laquelle elle était jusque-là fortement liée. Elle s’inscrit désormais de plus en plus dans une
perspective structurelle et devient en fait, pour une très large part, une composante des
politiques sociales, avec la priorité désormais donnée en matière de politique de l’emploi
au « traitement social du chômage ». Il s’agit, par des mesures de caractère « social », non
seulement de rendre le chômage supportable pour ceux qui en sont directement victimes,
mais également d’intervenir dans le fonctionnement du marché du travail, en favorisant
tout à la fois la création de certains emplois (financés en tout ou partie sur crédits publics)
et le retrait du marché du travail de certaines catégories de personnes. Mais cette nouvelle
orientation de la politique de l’emploi se heurtera très vite aux contraintes de son finan-
cement. Ce qui se traduira par des à-coups dans la mise en œuvre de cette politique et
l’adoption de mesures aux visées contradictoires avec, par exemple, d’un côté, des mesures
nouvelles d’aide à certaines catégories de population victimes du chômage et de l’exclu-
sion qui en est généralement le corollaire (création du RMI) et, de l’autre, des mesures
durcissant les conditions d’attribution de certaines aides aux chômeurs.
En même temps, le débat sur la nature et la (les) cause(s) du chômage et, partant, sur
l’orientation générale des mesures à mettre en œuvre pour le combattre, n’a cessé de
s’amplifier. Dès les années 1980, dans le contexte du tournant libéral déjà évoqué, com-
mence à s’imposer l’idée, portée par les théoriciens libéraux et les représentants du monde
des affaires, que le chômage résulterait largement des « rigidités du marché du travail »,
c’est-à-dire en fait de l’existence d’un trop grand nombre de dispositifs de protection de
l’emploi dont bénéficient les salariés en poste : thèse dont on trouve une formulation dans
la théorie insiders-outsiders. En conséquence, la baisse du chômage, dont la dimension
structurelle est désormais mise en avant, passerait par des mesures audacieuses de refonte
du code du travail. Au nom de la lutte contre le chômage et la précarité qui en découle
seront ainsi adoptées diverses mesures réformant par touches successives la législation du
travail et qui peuvent s’analyser comme un lent détricotage de certains des droits et avan-
tages acquis antérieurement par les salariés. Les résultats de ces politiques sont contrastés
et controversés. Les mesures d’assouplissement de la réglementation du travail et de flexi-
bilisation du marché du travail qui ont déjà été adoptées n’ont généralement pas produit
les résultats en matière de création nette d’emplois nouveaux qui en étaient attendus par
les partisans de leur adoption. Par contre, nombre d’entre elles ont eu pour effet d’ajouter
à la menace du chômage celle de la précarité de l’emploi, condamnant de fait des millions
de salariés à l’intérim, aux CDD, aux emplois aidés précaires, au temps partiel contraint.
Parallèlement à la montée du chômage et de la précarité, la pauvreté, que la longue crois-
sance des Trente Glorieuses avait progressivement et fortement réduite, a cessé de reculer
en même temps que changeaient les populations qui y sont exposées. Alors que dans les
décennies 1950 et 1960 elle affectait en premier lieu les personnes âgés, elle s’est repor-
tée de plus en plus sur les personnes d’âge actif (et, au cours des dernières années, plus
spécifiquement sur les jeunes), victimes directement du chômage et de la précarité, avec
en particulier l’apparition des travailleurs pauvres, ainsi que sur certaines familles (familles
monoparentales plus particulièrement). Bon grès, mal grès, la réalité de la pauvreté et de
l’exclusion produites par la crise a fini par être reconnue et admise et la lutte contre la

480 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


pauvreté et l’exclusion est devenue explicitement l’un des axes de la protection sociale.
D’où la création de nouveaux minima sociaux, ciblant des populations spécifiques particu-
lièrement exposées au risque de pauvreté et d’exclusion, et l’évolution de certains dispo-
sitifs anciens de protection sociale, tels que ceux de l’aide au logement, dans le sens d’un
ciblage accru sur les populations les plus fragiles.
Cette prise en compte de la pauvreté et de l’exclusion comme axe de la protection sociale
n’a pas été sans conséquence pour la politique familiale qui avait été jusque dans les an-
nées 1950 l’une des composantes majeures des politiques sociales. Conçue prioritairement
après la Seconde Guerre mondiale comme un moyen de stimulation de la démographie
(après la grave crise démographique de l’entre-deux-guerres), la politique familiale qui
avait accompagné efficacement le long baby boom d’après la Seconde Guerre mondiale
s’est progressivement infléchie vers une politique ciblée de manière privilégiée sur les
familles défavorisées, bien que des résistances sociales fortes aient limité cette nouvelle
orientation. Cette inflexion ne semble cependant pas, du moins jusqu’à présent, et fort
heureusement, avoir compromis le dynamisme démographique de la France, qui la distin-
gue nettement des autres nations européennes (Irlande exceptée) et qui permet d’envisa-
ger avec un certain optimisme l’avenir des politiques sociales pour lesquelles il procure des
degrés de liberté dont ne bénéficient pas les autres nations européennes à la démographie
déclinante.
Dans ce chapitre, on donnera un aperçu d’ensemble des politiques de l’emploi qui ont été
mises en œuvre en France depuis les années 1970 (Section 1). On évoquera ensuite ces deux
autres composantes des politiques sociales que sont la politique familiale et la politique de
lutte contre la pauvreté et l’exclusion (Section 2).

Section 1 : Les politiques de l’emploi

Les conséquences négatives du chômage pour les individus qui le subissent et pour la so-
ciété dans son ensemble sont bien connues. Son coût économique et son coût social ont
fortement progressé au fur et à mesure que s’affirmait le chômage de masse caractéris-
tique des trois dernières décennies. Ceci justifie l’attention que lui ont portée les pouvoirs
publics et la diversité des politiques qui ont été mises en œuvre dans les pays occidentaux
développés pour tenter de le contenir, à défaut de le résorber.
Depuis les années 1970 et l’entrée de la France dans la crise économique durable contem-
poraine marquée par le développement d’un chômage de masse, la politique de l’emploi
est ainsi devenue une composante importante de l’action de l’État. Les dépenses qui lui
sont consacrées se sont élevées en 2006 à 3,15 % du PIB, se répartissant en dépenses pas-
sives (indemnisation du chômage, soit 27,78 milliards d’euros, et incitation au retrait d’ac-
tivité, soit 1,32 milliard d’euros) et en dépenses actives (formation professionnelle pour
14,36 milliards d’euros, promotion de l’emploi pour 9,55 milliards d’euros, et les autres
mesures en faveur de l’emploi pour un montant total de 3,93 milliards d’euros). Et, si l’on
ajoute à ces dépenses celles qu’induisent les allégements généraux de charges sociales
dont bénéficient les entreprises (baisses des cotisations sociales sur les bas salaires ainsi

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 481


que pour la réduction du temps de travail), soit un total de 19,49 milliards d’euros, l’effort
national pour lutter contre le chômage s’élevait en 2006 à 76,44 milliards d’euros, repré-
sentant 4,23 % du PIB, contre 0,9 % en 1973 (tableau 9.1).
Les politiques de lutte contre le chômage proprement dites forment un ensemble com-
plexe de mesures qui se sont diversifiées à partir de la fin des années 1970, en réponse à
la montée du chômage et aux phénomènes qui l’ont accompagnée (augmentation des li-
cenciements économiques, allongement de la durée moyenne du chômage, accroissement
des difficultés d’insertion des jeunes dans la vie active…). La caractérisation du chômage
comme résultant d’un déséquilibre du marché du travail (excès de l’offre de travail sur la
demande) permet de dresser une typologie des politiques mises en œuvre en termes d’in-
terventions des pouvoirs publics visant à lutter contre ce déséquilibre. Ces interventions
portent sur l’offre de travail des individus par des actions ciblées sur des populations par-
ticulières : jeunes, femmes, chômeurs de longue durée, étrangers, chômeurs âgés… Elles
portent également sur la demande de travail des entreprises par des mesures visant en
particulier à faire baisser les coûts salariaux.
Elles se traduisent par deux types principaux de politiques. Les politiques passives agissent
principalement sur les conséquences sociales du chômage en aidant financièrement les
chômeurs ou en cherchant à résorber le déséquilibre du marché du travail par l’incitation
au retrait du marché du travail de certaines populations (§ 2). Les politiques actives cher-
chent à réduire le déséquilibre en élevant le niveau de l’emploi global (incitations finan-
cières à la création d’emplois par les entreprises…) et en cherchant à réaliser une meilleure
adéquation entre les emplois effectivement offerts par les entreprises et les autres em-
ployeurs et les offres de travail des individus à la recherche d’un emploi (ensemble des
dispositifs de formation, d’insertion ou de réinsertion…) (§ 3). L’intervention de l’État en
matière d’emploi ne se réduit cependant pas seulement à ces politiques de lutte contre le
chômage. Elle englobe également l’ensemble de la réglementation qui organise le marché
du travail et assure aux salariés la protection de certains droits, réglementation dont on
donnera un apreçu avant de s’interesser plus spécifiquement aux politiques de lutte contre
le chômage proprement dites (§ 1).

482 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Tableau 9.1
Dépenses pour l’emploi : 2000-2006

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006


Dépenses «passives»
Indemnisation du chômage 20 660 21 838 26 124 29 243 30 442 29 817 27 779
Incitation au retrait d’activité 3 860 3 510 2 672 2 121 1 877 1 517 1 324
Dépenses «actives»
Formation professionnelle 12 698 13 083 12 777 13 012 13 318 13 569 14 363
Promotion de l’emploi 11 179 11 471 11 560 10 319 9 150 8 885 9 558
et exonérations
non compensées
Autres (1) 2 651 2 809 3 440 3 528 3 731 3 913 3 928
Total de la dépense 51 046 52 711 56 573 58 223 58 518 57 701 56 952
pour l’emploi
En % du PIB 3,542 3,521 3,653 3,651 3,525 3,343 3,151
réductions dégressives bas sa- 5 275 5 116 4 333 2 087 9 0 0
laires (entreprises à 39 heures)
ArTT (Loi robien 554 506 539 565 388 17 8
du 11 juin 1996)
Loi Aubry 1 (13 juin 1998) 2 073 2 423 2 362 1 949 846 258 30
Loi Aubry 2 (19 janvier 2000) 3 674 6 371 8 191 4 260 /// /// ///
Allègements Fillon /// /// /// 7 230 15 033 16 918 19 453
(Loi du 17 janvier 2003)
Total des allégements 11 576 14 416 15 425 16 090 16 275 17 193 19 490
généraux (2)
En % du PIB 0,80 0,96 1,00 1,01 0,98 1,00 1,08
Total dépense pour l’emploi 62 622 67 127 71 998 74 313 74 793 74 894 76 442
+ allègements généraux
En % du PIB 4,35 4,48 4,65 4,66 4,51 4,34 4,23
(1) : maintien de l’emploi, incitation à l’activité, fonctionnement du marché du travail.
(2) : rupture de série pour les allègements généraux : les dépenses sont présentées en «encaissements/décaisse-
ments» (dépenses au cours de l’année) jusqu’en 2000 ainsi qu’en 2004-2005.
Source : INSEE

Le coût économique et le coût social du chômage


Des travaux d’économistes et de sociologues consacrés au chômage ont permis de mettre en évidence
ce que l’on pourrait appeler son coût économique et son coût social.

Le coût économique du chômage a fortement progressé au fur et à mesure que s’affirmait le chô-
mage de masse caractéristique des trois dernières décennies. Le coût économique direct du chômage
correspond au montant total des dépenses publiques engagées pour soutenir l’emploi et indemniser les
chômeurs, en distinguant entre :
• d’une part, les dépenses « actives », destinées principalement à favoriser la création d’emplois et
l’employabilité des chômeurs (aides directes de divers ordres à la création d’emplois, dépenses de for-

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 483


mation professionnelle des adultes destinées en particulier à favoriser la réinsertion professionnelle des
chômeurs, dépenses diverses destinées à favoriser l’insertion professionnelle des jeunes) ;
• d’autre part, les dépenses « passives » qui correspondent à l’indemnisation des chômeurs et au finan-
cement des dispositifs de retrait de certains salariés de la population active (préretraites).

Le coût économique indirect du chômage correspond au supplément de PIb qui aurait pu être créé si les
chômeurs recensés avaient été employés productivement1, le chômage représentant en fait, comme le
souligne J.-M. Albertini (1996, p. 210) « un gaspillage du potentiel économique ».

Le coût social du chômage s’exprime et se mesure en termes de pauvreté, d’exclusion et de désocialisa-


tion de franges importantes de la population, le risque d’exclusion et de désocialisation augmentant avec
la durée du chômage. Ce qui justifie l’attention particulière portée à la lutte contre le chômage de longue
durée. Il se mesure également en termes de délitement du lien social avec toutes les conséquences né-
fastes qui en résultent, au premier chef pour les chômeurs eux-mêmes et leurs familles, mais également
pour le reste de la société. Conséquences démultipliées lorsque l’exclusion sociale résultant du chômage
se double d’une ghettoïsation de populations qui non seulement subissent un taux de chômage particu-
lièrement élevé mais sont de surcroît confinées dans des quartiers urbains périphériques, sous-équipés en
services publics, aux immeubles dégradés ou mal entretenus, mal reliés au centre ville…

Certains travaux théoriques d’économistes n’hésitent cependant pas à mettre en avant ce qu’ils ana-
lysent comme les conséquences positives du chômage. Il est vrai que celui-ci crée une situation plutôt
favorable pour les entreprises. La menace du licenciement incite les salariés à travailler plus, à changer
moins souvent d’entreprise et diminue la force des revendications salariales, ce qui influe positivement
sur la rentabilité à court terme des firmes. De surcroît, celles-ci utilisent les licenciements pour cause
économique comme un instrument de gestion de la main-d’œuvre facilitant les restructurations dans
un contexte de mondialisation, d’accentuation notable du processus de concentration des capitaux et
d’intensification du progrès technique accélérant ces restructurations.

D’autres travaux encore ont voulu voir dans le chômage une « solution » au problème du partage du
travail et des revenus qui serait inconsciemment acceptée par la collectivité : thèse avancée initialement
par Denis Olivennes (1994) et reprise ensuite dans nombre de travaux (cf. à ce propos Clerc, 1999, p.
139 et suivantes). En substance, en France, les salariés en place (les insiders) seraient parvenus depuis les
années 1970 à imposer des hausses de salaires réelles que les entreprises ont compensées par des gains
de productivité qui, dans un contexte de croissance « molle », aboutissent à rejeter du marché du travail
les outsiders, une fraction croissante de la population active, elle-même en forte augmentation comme
on l’a déjà souligné. Ce que résume b. Majnoni d’Intigano (1998, p. 120-121) : « Les travailleurs en
place, les insiders, bénéficient d’une position de monopole relatif grâce au code du travail qui les protège
contre les licenciements (…). Ils ont donc vu leur position renforcée dans les négociations salariales, au
détriment des chômeurs et des jeunes, les outsiders, sans cesse repoussés dans la file d’attente de l’accès
à l’emploi ».

1 Ou du moins les chômeurs venant en surcroît de ce qui pourrait être considéré comme le chômage « frictionnel » observé
en situation qualifiée de plein-emploi.

484 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 1 : la réglementation du marché du travail

Le marché du travail est un marché réglementé. Son organisation et son fonctionnement


sont, on le sait, régis par une branche spécifique du droit, le droit du travail, qui est le
résultat d’une construction historique et qui vise en particulier à garantir aux salariés le
respect de certains droits essentiels. Mais divers aspects de cette réglementation du mar-
ché du travail font débat, certains n’hésitant pas à lui imputer, au moins pour partie, la res-
ponsabilité du chômage et à affirmer la nécessité d’une refonte de cette réglementation
qui viserait à assurer une plus grande flexibilité du marché du travail.

La protection des salariés assurée par la réglementation du marché du travail s’est organi-
sée autour de trois axes :
• la garantie d’un minimum de sécurité de l’emploi avec les conventions collectives et
la législation qui réglementent les licenciements et attribuent aux travailleurs certains
droits (procédures de licenciement à respecter, périodes de préavis, indemnités de licen-
ciement et pénalités en cas de licenciement abusif) ;
• la fixation d’un salaire minimum, c’est-à-dire d’un niveau de rémunération en dessous
duquel un travailleur ne peut légalement être employé. Cela s’est traduit par la créa-
tion en 1950 du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) et du salaire mini-
mum agricole garanti (SMAG), évoluant l’un et l’autre en fonction de la hausse des prix.
Ces deux salaires minima ont ensuite été remplacés en 1970 par le salaire minimum
interprofessionnel de croissance (SMIC) qui, lui, évolue en fonction de la hausse des prix
et de la croissance économique ;
• la réglementation des relations sociales sur le lieu de travail qui a connu plusieurs
étapes importantes avec, en 1936, les « Accords Matignon » qui ont prévu l’élection de
délégués du personnel, la création des comités d’entreprises en 1946, les « Accords de
Grenelle » de 1968 qui ont reconnu les sections syndicales d’entreprises et, en 1982, les
lois Auroux qui ont conféré aux salariés le statut de « citoyens dans l’entreprise ».

Certains des dispositifs relevant des deux premiers axes évoqués ci-dessus, qui ont été pro-
gressivement mis en place depuis en particulier la Seconde Guerre mondiale, font cepen-
dant aujourd’hui l’objet d’un débat et certaines orientations de la politique de l’emploi
actuelle visent à les remettre en cause en tout ou partie.
• Ainsi en est-il de la législation de protection de l’emploi.
La rigueur de cette législation est en France relativement forte, comme cela ressort d’une
étude de l’OCDE (2004) qui compare l’indice synthétique de rigueur globale de la légis-
lation de protection de l’emploi dans les principaux pays développés2. Il apparaît que le
degré de protection de l’emploi, très variable selon les pays membres de l’organisation,
est, pour la France, parmi les plus élevés3. Ce « constat » est souvent invoqué par les par-

2 En gardant cependant à l’esprit les réserves méthodologiques que suscite cet indicateur.
3 Il importe cependant de souligner que cela tiendrait plus spécifiquement à « la forte réglementation, en termes compa-
ratifs, des emplois temporaires » (Gautié, 2005, p. 12), tandis que la réglementation des emplois réguliers en termes de
licenciements individuels et collectifs « ne serait pas en France plus forte que dans la moyenne des autres pays de l’OCDE
(...) et serait même plus faible que dans des pays comme la Norvège, la Suède ou l’Allemagne » (id., p. 12), ce qui bat en
brèche une idée reçue.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 485


tisans avoués d’un assouplissement de la législation du travail et de la flexibilisation du
marché du travail (économistes professionnels mais également responsables politiques et
dirigeants patronaux) pour expliquer le taux de chômage élevé que connaît la France de-
puis les années 1980. Selon une thèse largement relayée dans les médias, un niveau élevé
de protection de l’emploi nuirait en réalité à la croissance économique et à l’emploi4.
Les nombreuses études réalisées à ce propos sont cependant loin de confirmer le bien-fon-
dé de cette thèse. Il en ressort au contraire « une quasi-absence de corrélation entre la pro-
tection de l’emploi et le taux de chômage » (Parmentier, 2007, p. 12)5. La mise en rapport
du degré de protection de l’emploi des différents pays avec leur taux de chômage ne per-
met pas de dégager de relation « claire » entre ces deux éléments, tandis que, par ailleurs,
certains travaux ont mis en évidence un impact positif sur la productivité du travail de la
protection de l’emploi (Gautié, 2005, p. 12). Globalement, en comparaison internationale,
le taux de chômage ne paraît donc pas dans l’ensemble significativement plus élevé dans
les pays où la protection de l’emploi est importante (id. p. 12). Cela ne signifie cependant
pas que la protection de l’emploi n’ait aucun effet sur le chômage, mais il semblerait
qu’elle « joue plus sur la structure et la durée du chômage que sur son niveau » (id, p. 13)6.
Les résultats limités en termes de création d’emplois auxquels ont abouti les mesures déjà
adoptées d’assouplissement de la réglementation du travail visant à réduire la rigueur de
la protection de l’emploi sembleraient par ailleurs plutôt confirmer l’absence de corréla-
tion nette entre le degré de protection de l’emploi et le taux de chômage. C’est en particu-
lier le cas avec la création du contrat nouvelle embauche (CNE) prolongeant jusqu’à deux
ans la période d’essai au cours de laquelle l’entreprise peut licencier le salarié à l’essai sans
avoir à motiver le licenciement. Selon une enquête de la DARES (2006), la mise en place
du CNE n’aurait en effet abouti qu’à la création nette de 40 000 emplois entre août 2005
et mars 2006 (Parmentier, 2007, p. 14), tandis que P. Cahuc et S. Carvillio (2005) aboutis-
saient à la conclusion selon laquelle la mise en place de ce nouveau dispositif n’aboutirait
qu’à 70 000 créations nettes d’emplois à l’horizon de fin 2008, ce qui, au regard du niveau
auquel s’établit le chômage, « n’apparaît pas à la hauteur des enjeux », avec de surcroît,
comme contrepartie, « une détérioration des conditions de vie des demandeurs d’emploi
équivalente à une diminution de 0,47 % du revenu »7. C’est d’ailleurs probablement l’une
des raisons qui expliquent qu’un accord se soit dégagé entre les partenaires sociaux pour

4 Thèse que formulent à leur manière les rédacteurs du mensuel d’information économique et sociale de l’UIMM, en ex-
pliquant que si la France a un taux de chômage supérieur à celui de ses partenaires européens « ce n’est pas parce qu’elle
consacre moins de moyens à sa politique de l’emploi. C’est parce que les entreprises, seules créatrices d’emplois, sont
pénalisées par de lourdes contraintes réglementaires autant pesantes pour leur gestion qu’inefficaces pour les salariés »
Actualités, n° 235, février 2004, p. 31).
5 Les études concernant l’impact de la réglementation du travail sur le taux de chômage et le taux d’emploi livrent des
résultats contradictoires. Mais, comme le soulignait O. Passet, ancien chef du service économique, financier et international
au Commissariat général au plan, « un certain consensus s’est dégagé pour reconnaître le peu d’impact de la réglementa-
tion sur le niveau absolu du chômage et de l’emploi » (cité par Le Monde, 22-06, 2004, p. II). Par ailleurs, il faut souligner
que, si des pays à faible réglementation (États-Unis, Royaume-Uni) ont atteint un taux de chômage relativement faible,
c’est également le cas de pays comme le Danemark, la Suède ou la Norvège où les salariés bénéficient d’une protection
sociale étendue.
6 Il semblerait par ailleurs que le taux d’emploi soit un peu plus faible dans les pays où la protection de l’emploi est forte
qu’il ne l’est dans les autres. Concrètement, si « une législation sur la protection de l’emploi rigoureuse ne semble pas, en
soi, accroître le chômage », il semblerait par contre qu’elle « accentue (...) la difficulté d’accès à l’emploi des catégories
pour lesquelles elle est déjà importante (jeunes, femmes, chômeurs de longue durée) » (Kaiser, 2006).
7 Cité dans Le Monde, 25-02, 2006, p. 12. Un premier bilan de la mise en œuvre de ce contrat nouvelle embauche faisait par
ailleurs apparaître que moins de 10 % des contrats signés depuis la mise en place de ce nouveau dispositif correspondent
à des créations nettes réelles d’emplois.

486 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


faire disparaître ce dispositif.
Dans la dernière période, plusieurs rapports officiels ont avancé diverses propositions des-
tinées, selon leurs auteurs, à pallier l’impact négatif supposé sur l’emploi d’un degré de
protection de l’emploi jugé trop élevé. Le rapport de Michel de Virville a ainsi proposé de
créer « le contrat de mission », d’une durée de trois à cinq ans, destiné à des personnes
ou cadres qualifiés qui seraient recrutés par une entreprise pour la mise en œuvre d’un
projet déterminé. Le rapport de Jean de Marimbert, qui souligne ce qu’il analyse comme
la faiblesse du contrôle exercé par l’administration sur les chômeurs, a proposé de réfléchir
à la mise en œuvre d’un dispositif globalement plus contraignant et pénalisant. Dans leur
rapport commun, P. Cahuc et Karmaz (2004) ont préconisé : 1) de substituer à la pluralité
des contrats de travail existants un contrat de travail unique se traduisant, pour le salarié,
par l’acquisition de droits croissants avec son ancienneté dans l’emploi et, en conséquence,
pour l’entreprise, par des coûts de licenciement qui augmenteraient avec cette ancien-
neté ; 2) d’obliger les entreprises à participer au coût social de réinsertion des travailleurs
licenciés par le paiement de taxes finançant le service public de l’emploi chargé d’aider les
chômeurs à retrouver un emploi. En contrepartie, les règles du licenciement économique
qui s’imposent aux entreprises seraient sensiblement assouplies.
Sur injonction du gouvernement de F. Fillon, les partenaires sociaux ont d’ailleurs dû enga-
ger des négociations portant sur la « modernisation du marché du travail ». Divers auteurs
libéraux spécialistes d’économie du travail et divers responsables politiques de la majorité
présidentielle avaient exprimé le souhait que cette négociation débouche sur une refonte
du contrat de travail, permettant de substituer à la pluralité actuelle des contrats de tra-
vail un contrat unique, qui serait certes à durée indéterminée comme l’actuel CDI mais à
droits progressifs (un contrat de travail « à points ») et qui prévoirait un allongement très
sensible de la période d’essai relativement à la situation actuelle. En pratique, l’accord in-
tervenu le 11 janvier 2008 entre le MEDEF et quatre des cinq confédérations syndicales, et
transcrit ensuite dans la loi sur la modernisation du marché du travail, prolonge le proces-
sus de libéralisation du marché du travail avec : l’allongement de la période d’essai (dou-
blée en moyenne), la possibilité d’une « rupture conventionnelle » du contrat de travail
par accord réciproque entre le salarié et son employeur et la création du CDD de mission
(contrat « à objet défini ») d’une durée allant de 18 à 36 mois, destiné aux ingénieurs et
cadres. En contrepartie les salariés obtiennent un doublement des indemnités légales de
licenciement et la transférabilité de certains droits sociaux, et en particulier le droit indivi-
duel à la formation.
En parallèle est entreprise une réforme du service public de l’emploi présentée comme
le moyen d’en accroître l’efficacité, mais qui paraît également destinée à renforcer le
contrôle exercé sur les chômeurs.
Un débat se développe depuis plusieurs années en France à propos plus particulièrement
du service public de l’emploi, de son mode d’organisation et de ses missions. La séparation
de l’ANPE, dont la mission est d’aider les chômeurs à retrouver un emploi, et de l’UNEDIC,
chargée de l’indemnisation des chômeurs, est critiquée par certains qui font valoir que

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 487


cette séparation s’oppose à une bonne prise en charge des chômeurs8. Le regroupement
des deux institutions dans un service public unifié de l’emploi avait déjà été envisagé, mais
leurs différences de statuts avaient jusqu’à présent fait obstacle à ce regroupement. La
convention de 2005 entre l’État, l’ANPE et l’UNEDIC marquait cependant une avancée dans
la voie du rapprochement des deux institutions, avec en particulier la création d’un dossier
unique du demandeur d’emploi, alors que jusqu’à présent l’ANPE était chargée des dos-
siers d’inscription et l’UNEDIC des dossiers d’indemnisation. Parallèlement, pour favoriser
un meilleur suivi des chômeurs par le secteur public de l’emploi et réduire le nombre de
guichets auxquels ces derniers doivent s’adresser, la loi de cohésion sociale du 12 janvier
2005 avait prévu la création de « 300 maisons de l’emploi ». Mais le gouvernement de Fran-
çois Fillon semble cependant avoir renoncé à ce projet au profit de la relance du projet de
fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC en faveur duquel s’était prononcé explicitement le prési-
dent N. Sarkozy en septembre 2007 et qui a donné lieu dans la foulée au dépôt d’un projet
de loi devant l’Assemblée nationale. La fusion entre l’ANPE et l’UNEDIC a été réalisée dans
son principe par la loi « pour une réforme du service public de l’emploi » qui prévoit que
le nouvel établissement issu de la fusion dénommé « Pôle emploi », regroupant les 1 600
sites actuellement ouverts au public et gérés selon le cas par l’ANPE ou par les ASSEDIC, soit
mis en place juridiquement au 1er janvier 2009.
D’autres partisans d’une réforme du marché du travail préconisent de s’inspirer du modèle
danois de « flexicurité ». Celui-ci se caractérise par la conjonction de trois éléments (le
« triangle d’or de la flexicurité ») :
1) un marché du travail très « fluide » ;
2) un système d’indemnisation du chômage performant. La majorité des chômeurs perçoi-
vent des indemnités égales à 90 % du salaire antérieur pour une durée d’indemnisation
de 4 ans maximum ;
3) des politiques actives du marché du travail. Les chômeurs sont tenus, dans le cadre d’un
plan d’action individualisé, de participer à temps plein (au bout de 12 mois pour un
adulte et de 6 mois pour un jeune de moins de 25 ans) à des programmes d’activation
(formation à la recherche d’emploi, formation professionnelle, emplois subventionnés
dans le secteur public ou privé), le refus de participer pouvant entraîner la suppression
de l’indemnisation.
Mais nombre d’auteurs s’accordent à reconnaître que, si les résultats obtenus par le mo-
dèle danois en matière de lutte contre le chômage semblent probants, il n’en reste pas
moins que « le miracle danois » bénéficie de conditions très spécifiques : « petit pays – ce
qui facilite la mobilité et la cohésion - les inégalités et la pauvreté y sont très faibles - ce
qui est une condition permissive autant qu’une conséquence de la flexicurité – et le niveau
de formation initial de la population active y est très élevé – ce qui facilite l’adaptabilité
par la formation tout au long de la vie » (Gautié, 2005, p. 19). Ce qui conduit à s’interroger
sur la possibilité de le transplanter en France, où « chômage de longue durée et exclusion

8 À titre d’exemple, J.-P. Cotis, chef économiste à l’OCDE, déclarait récemment que : « la France partage avec l’Europe du
Nord un niveau d’indemnisation (du chômage G. R.) important mais son service public de l’emploi est loin d’avoir l’effica-
cité de ceux des pays nordiques. Un système où l’on indemnise les chômeurs de façon substantielle ne peut fonctionner
qu’accompagné d’incitations adéquates et d’une capacité de reclassement importante. En France, ce service public est
lourd et fragmenté, avec la séparation entre l’ANPE gestionnaire et l’UNEDIC payeur. Dans de plus en plus de pays, les deux
entités sont fusionnées. Le gestionnaire a ainsi des moyens d’incitation, de motivation mais aussi de sanction financière »
(cité par Le Monde, 31-03, 2006, p. 12).

488 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


se sont enkystés après plus de vingt ans de ’’crise’’, et où une part encore importante de la
population active n’a pas de qualification transférable – et notamment dans l’industrie, où
le taylorisme a longtemps dominé » (id., p. 19).
• Ainsi en est-il également du niveau du SMIC et de son évolution.
L’existence proprement dite du SMIC n’est aujourd’hui pas remise en cause, ce qui irait au
demeurant à l’encontre de la tendance observée dans les pays de l’OCDE, et en particulier
au sein de l’Union européenne, à mettre en place un tel dispositif là où il n’existe pas en-
core9. Son niveau et son mode d’évolution retiennent cependant l’attention des pouvoirs
publics. Selon les données disponibles, ce sont aujourd’hui 17 % des salariés qui sont rému-
nérés au SMIC10. Cette proportion est en augmentation du fait des revalorisations significa-
tives du SMIC qui sont intervenues au cours des dernières années, en liaison en particulier
avec la mise en place des 35 heures (graphique 9.1).
GrAPhIqUE 9.1
Pouvoir d’achat du salaire moyen et du salaire minimum annuels nets (1)
indices (1951 = 100) en euros constants
400

360

Salaire moyen
300

250
Salaire minimum

200

150

100
1951 1956 1961 1966 1971 1976 1981 1986 1991 1996 2004

(1) : salaires nets de prélèvements (cotisations sociales, CSG et CRDS) des salariés à temps complet (y compris les
apprentis et les stagiaires).
Champ : salariés du secteur privé et semi-public (y compris les apprentis et stagiaires).
Source : INSEE, DADS de 1950 à 2004 ; INSEE, Tableaux de l’économie française 2006.

Les experts de l’OCDE dénoncent régulièrement le niveau qu’ils jugent trop élevé du SMIC,
ce qui serait selon eux l’une des causes de l’importance du chômage structurel en France11.

9 Au 1er janvier 2007, 20 des 27 pays de l’Union européenne avaient un dispositif de salaire minimum légal, lequel allait de
92 euros par mois en Bulgarie à 1 570 euros au Luxembourg et concernait de 1 % des salariés en Espagne à 17 % en France.
10 La proportion des salariés payés au SMIC varie par ailleurs très fortement selon les branches d’activité : 0,5 % du total
dans l’énergie au 1er juillet 2006, mais 20,9 % dans le commerce, 22,1 % dans les IAA et 36,2 % dans les services aux
particuliers. Par ailleurs, 34,5 % des salariés à temps partiel sont rémunérés sur la base du SMIC (Tableaux de l’Économie
Française 2007, mise à jour 06-2007).
11 L’édition 2007 de l’étude annuelle que l’OCDE consacre à la France souligne ainsi que le SMIC « rapporté au salaire
médian, est le plus élevé des pays de l’OCDE ». Et J.-P. Cotis, déjà cité, expliquait récemment que « parmi les vingt pays

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 489


Les différentes mesures d’allégement des charges sociales sur les emplois rémunérés au
SMIC ont cependant pour objectif de réduire de manière significative le coût du travail
peu ou pas qualifié pour les entreprises. Les charges sociales au niveau du SMIC ont en
effet été fortement réduites depuis 1993. Le taux des cotisations de Sécurité sociale sur
le salaire minimum a diminué globalement de 26 points et se réduit aujourd’hui à 2,1 %
du salaire brut (19 % en tenant compte de l’ensemble des autres cotisations : assurances
chômage, régimes complémentaires de retraite). La situation paraît par contre moins favo-
rable pour les salariés. En effet, dans la mesure où les exonérations de cotisations sociales
disparaissant au-delà de 1,6 fois le SMIC, les entreprises sont fortement incitées à freiner la
progression des salaires qui sont en deçà de ce seuil afin de pouvoir continuer à bénéficier
de ces exonérations.
Il est à souligner par ailleurs que, pour les trois dernières actualisations en date du SMIC, le
gouvernement s’en est tenu à la stricte application des règles de revalorisation du SMIC et
que celui-ci n’a bénéficié à cette occasion d’aucun « coup de pouce ». Le chef de l’État avait
par ailleurs indiqué clairement à la mi-septembre 2007 son souhait que soit définie une
nouvelle procédure pour la détermination des revalorisations ultérieures du SMIC qui n’en
fasse plus le résultat d’une décision gouvernementale, sur le modèle du dispositif qui a été
mis en place il y a quelques années pour la détermination du taux d’intérêt du Livret A.

paragraphe 2 : les politiques passives de lutte


contre le chômage
Considérant le niveau de l’emploi global comme une donnée, les politiques passives de
lutte contre le chômage cherchent à gérer le déséquilibre observé sur le marché du travail
en le rendant socialement supportable grâce à l’indemnisation des chômeurs (A) et/ou en
réduisant son importance par l’incitation au retrait d’activité de certaines populations (B).

A - L’indemnisation du chômage
Elle consiste à assurer aux salariés privés d’emploi un revenu de remplacement leur ga-
rantissant le maintien d’un certain pouvoir d’achat. Ce n’est qu’en 1958 que fut créée
l’assurance chômage, dernière pièce de l’édifice que constituent les assurances sociales.
Toutefois, dès cette époque, le système d’indemnisation comporte deux volets : un volet
assurantiel et un volet assistanciel.

• Le volet assurantiel correspond au régime conventionnel de l’assurance chômage obli-


gatoire mis en place par la convention du 31 décembre 1958 créant l’Union nationale
interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC)12. À la diffé-
rence des prestations familiales, vieillesse ou de santé, l’assurance chômage obligatoire
de l’OCDE, la France est celui où le coût du travail peu qualifié reste le plus élevé en proportion du salaire médian. Il a
même progressé plus vite que le salaire médian depuis 1998, en dépit des baisses de charges patronales » (cité par Le
Monde, 21-03, 2006, p. 12).
12 Auparavant, la protection des salariés contre le chômage était assurée pour l’essentiel, selon le cas, par des caisses d’as-
sistance alimentées par des fonds publics et par des caisses privées collectant les cotisations de leurs adhérents (Barroux
et Guélaud, 2005, p. 24).

490 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


n’est en effet pas gérée par la Sécurité sociale mais par l’UNEDIC, qui est un organisme
indépendant des pouvoirs publics réunissant le patronat et les syndicats de salariés. Cet
organisme fédère les associations pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (ASSEDIC).
Il est financé par des cotisations patronales et salariales assises sur le travail et géré par les
partenaires sociaux.
Initialement, les « prestations d’assurance » étaient versées pendant une période pou-
vant aller jusqu’à 5 ans (dépendant de la durée de cotisations : au minimum 4 mois) et
diminuaient au cours du temps, la dégressivité jouant le rôle d’incitation à la recherche
d’un nouvel emploi. À la suite de la réforme de 1992, ces prestations d’assurance ont pris
la forme du versement de l’allocation unique dégressive (AUD)13, à laquelle s’est ensuite
substituée l’allocation d’aide au retour à l’emploi (ARE). Cette dernière est versée par les
ASSEDIC lorsque les assurés totalisent une durée minimale d’affiliation et de cotisation
au régime d’assurance chômage avant la perte de leur emploi. Elle est attribuée aux per-
sonnes involontairement privées d’emploi ayant exercé une activité salariée pendant au
moins 6 mois au cours des 22 mois précédant le chômage, inscrites comme demandeuses
d’emploi ou effectuant une formation prévue dans le « projet personnalisé d’accès à l’em-
ploi » (PPAE), qui recherchent un emploi de manière effective et permanente (à défaut de
quoi, l’allocation peut être réduite ou même supprimée) et qui sont âgées de moins de 60
ans. Le montant brut journalier de l’allocation est, selon le mode de calcul le plus avanta-
geux pour le chômeur, égal à 40 % du salaire journalier de référence plus un fixe (qui était
égal à 10,46 euros au 1er juillet 2006) ou à 57,4 % du salaire journalier de référence, qui est
calculé à partir des rémunérations versées pendant les 12 mois civils précédant le dernier
jour du travail payé. Sa durée varie en fonction de l’âge du bénéficiaire, de la durée de
son affiliation à l’assurance chômage et de la date de fin de contrat de travail : 7 mois si le
chômeur a été affilié pendant 6 mois à l’assurance chômage durant les 22 mois précédant
le chômage, 23 mois s’il a été affilié pendant 14 mois au cours des 24 mois précédant le
chômage, 36 mois s’il a été affilié pendant 27 mois au cours des 36 mois précédant le chô-
mage et s’il a de 50 ans à moins de 57 ans et 42 mois s’il a 57 ans et plus14.

• Le volet assistanciel de l’indemnisation du chômage correspond au « régime de solida-


rité ».
Marginal au moment de l’accord interprofessionnel de 1958, il a pris ensuite de l’importance
avec l’apparition, puis la persistance, d’un taux de chômage élevé. En 1979, le gouvernement
de Raymond Barre avait opté pour un système unique d’indemnisation du chômage, géré
par l’UNEDIC et faisant disparaître l’aide publique. Mais la distinction entre régime assuran-
tiel, financé par les cotisations sociales, et régime de « solidarité », financé par l’État, a été
réintroduite dès 1984 avec la création de l’allocation de solidarité spécifique (ASS).
Financées par le budget de l’État, les « prestations de solidarité » s’adressent aux per-
sonnes qui n’ont pas, ou qui n’ont plus, droit aux indemnités assurantielles et correspon-
dent aujourd’hui à trois allocations distinctes : l’allocation de solidarité spécifique (ASS),
l’allocation d’insertion (AI) et l’allocation équivalent retraite (AER). L’allocation de solida-
rité spécifique (ASS) est une prestation de fin de droits versée aux chômeurs qui ont épuisé

13 Lorsque le chômeur suit une formation, il perçoit une allocation formation-reclassement ou une allocation spécifique
de conversion.
14 Source : Ministère du Travail, des Relations sociales et de la Solidarité, 16 avril 2007, http://www.travail.gouv.fr

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 491


leurs droits aux indemnités de chômage du régime de l’assurance chômage. L’allocation
d’insertion est versée aux personnes qui n’ont pas droit au régime assurantiel pour diverses
raisons15. L’allocation équivalent retraite est destinée aux chômeurs âgés de moins de 60
ans qui ont cotisé 40 ans au moins au régime de l’assurance vieillesse. Son montant est
plus élevé que celui de l’ASS. L’UNEDIC, qui gère l’assurance chômage, verse également les
prestations de solidarité, l’ensemble du dispositif d’indemnisation bénéficiant ainsi d’un
guichet unique.
En mars 2007, 59 % seulement des demandeurs d’emploi (catégories 1 à 3 et 6 à 8 auxquel
sont ajoutés les dispensés de recherche d’emploi qui sont indemnisés) étaient indemnisés
au titre de l’assurance chômage (46,9 %) ou du régime de solidarité (12,1 %) (ASS, AI,
AER)16. Les autres sont bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI) ; qui de ce fait
s’est transformé en pratique en un troisième régime d’indemnisation, ou ne reçoivent au-
cune allocation s’ils sont des primo-demandeurs d’emploi de moins de 25 ans17.
Conçue initialement pour des situations temporaires de chômage, n’affectant qu’un
nombre limité de salariés, l’indemnisation a été, avec la montée du chômage de masse,
génératrice de problèmes organisationnels et financiers. Les pouvoirs publics, pour tenter
de freiner la montée des coûts, ont été conduits à réaménager le dispositif par une série de
réformes qui ont durci les conditions exigibles pour l’indemnisation. Les taux et les durées
maximales d’indemnisation ont été réduits, tandis que la recherche d’emploi est contrôlée
plus sévèrement. Ces réformes ont abouti à un système qui est aujourd’hui moins géné-
reux qu’il ne le fut. L’allocation supplémentaire d’attente (90 % du salaire brut), créée en
1975 pour les licenciements économiques, a été supprimée en 1979. La réforme de 1982 a
proportionné la durée d’indemnisation à la durée antérieure de cotisation. En 1992, la dé-
gressivité est introduite dans le régime d’assurance avec la création de l’allocation unique
dégressive (AUD) aboutissant à une réduction progressive du montant de l’indemnisation
au fur et à mesure de la prolongation de la durée du chômage.
En 2001, sur proposition initialement du MEDEF (dans le cadre de son projet plus généra-
lement de « Refondation sociale ») est créé un dispositif de suivi individualisé pour tous
les chômeurs du régime d’assurance : le plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) qui est un
véritable outil de contrôle de la recherche active d’emploi. C’est la signature du PARE par
le chômeur qui déclenche le versement de l’indemnisation du chômage, laquelle, dénom-
mée allocation de retour à l’emploi (ARE), n’est plus dégressive. Ce PARE contractualise
les rapports entre le chômeur, d’une part, et l’ANPE et les ASSEDIC, d’autre part18. Cela
se traduit par la signature par le chômeur d’un projet d’action personnalisé (PAP), trans-
formé depuis en projet personnalisé d’accès à l’emploi (PPAE), définissant ses « capacités
professionnelles »19, à partir duquel il est possible d’apprécier les compléments de forma-
15 Chômeurs n’ayant pu acquérir leurs droits à bénéficier du régime assurantiel pour cause de maladie professionnelle,
accident du travail, etc.
16 En mars 2007 (données brutes), les demandeurs d’emploi des catégories 1 à 3 et 6 à 8 étaient au nombre de 3 298 400,
auxquels s’ajoutaient 412 300 dispensés de recherche d’emploi. 2 188 900 personnes percevaient une indemnisation au
titre du régime d’assurance-chômage (1 740 300) ou au titre du régime de solidarité (448 600) (Dares-ANPE, Premières
informations, n° 23.1, juin 2007).
17 Si les prestations liées à l’assurance chômage demeurent majoritaires, on ne peut qu’être frappé par l’augmentation du
nombre de bénéficiaires de l’allocation de solidarité spécifique.
18 Selon les termes mêmes utilisés par le MEDEF, le PARE substitue « la logique de la responsabilisation à celle de l’assu-
rance » (cité par Le Monde, 9-11, 2005, p. 25).
19 Ce terme de « capacités professionnelles » remplace celui de « qualification » auquel il était fait référence jusque-là.

492 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


tion professionnelle utiles au chômeur et le type d’emploi qui peut lui être proposé. Le
refus par le chômeur de l’emploi ou de la formation proposés donne lieu à sanctions. Dans
cette optique, une circulaire du 5 septembre 2005 a listé les sanctions qui doivent être
appliquées aux chômeurs si ceux-ci manquent à leurs engagements. La nouvelle loi sur les
droits et les devoirs des chômeurs adoptée en juillet 2008 stipule à ce propos qu’un chô-
meur sera sanctionné (suspension des allocations pour une durée qui doit être fixée dans
les décrets d’application) dès lors qu’il refusera successivement deux « offres raisonnables
d’emploi »20. En contrepartie de ces contraintes nouvelles imposées aux chômeurs, leur
suivi individuel par l’ANPE sera en principe renforcé, ce qui suppose cependant que celle-ci
soit dotée des moyens nécessaires à cet effet21.

En dépit de ces politiques restrictives menées depuis le début des années 1980, le coût de
l’indemnisation n’a cessé de croître face à un chômage massif et persistant. Si les « presta-
tions chômage » représentent la part la plus faible dans le total des prestations de protec-
tion sociale reçues par les ménages (5,9 % seulement du total en 2007), ce sont cependant
celles qui ont connu la plus forte progression depuis les années 1970, suivant en cela la dé-
térioration de la situation de l’emploi. Leur part dans le PIB, qui était demeurée très faible
jusqu’au milieu des années 1970, passant de 0,3 % en 1959 à 1 % en 1975, a ensuite sen-
siblement progressé en parallèle à la montée du chômage, tout en demeurant cependant
nettement contenue. Elle s’est élevée à 2,4 % en 1993, puis est revenue à 2,2 % en 1999, et,
à la suite du durcissement des conditions d’indemnisation des chômeurs, à 1,7 % en 200922.
Dans ce contexte, et face à la perspective d’une crise de financement de l’assurance chô-
mage en raison de la persistance d’un chômage de masse, l’UNEDIC a été conduite à di-
verses reprises à augmenter le taux des cotisations de l’assurance chômage, afin de dé-
gager des ressources supplémentaires, tandis que l’État faisait appel à la solidarité des
fonctionnaires avec l’institution d’une cotisation solidarité de 1 % sur les salaires de la
fonction publique. Alors que le déficit cumulé de l’UNEDIC atteignait 10 milliards d’euros
fin 2002, la convention UNEDIC du 31 décembre 2002 s’est traduite par un relèvement des
cotisations de l’assurance chômage (passage de 3,7 % à 4 % du salaire brut de la cotisa-
tion patronale et de 2,1 % à 2, 4 % de la cotisation des salariés) et par le durcissement des
conditions d’indemnisation des chômeurs (réduction de la durée d’indemnisation et du

Certains analystes considèrent que cette substitution n’est pas anodine, la notion de « capacités professionnelles » étant
plus floue que celle de qualification, ce qui pourrait permettre de contraindre les chômeurs à accepter des emplois qui
ne correspondent plus à leur qualification acquise.
20 Lorsqu’un chômeur est inscrit au chômage depuis plus de trois mois, est raisonnable « l’offre d’un emploi compatible
avec ses qualifications et compétences professionnelles et rémunéré à au moins 95 % du salaire antérieurement perçu ».
Après six mois d’inscription au chômage, ce taux est ramené à 85 %. Après un an d’inscription au chômage, est consi-
dérée comme raisonnable une offre compatible avec les qualifications et compétences professionnelles du chômeur et
payée « au moins à la hauteur du revenu de remplacement » qu’il perçoit. Le texte de loi ne faisant pas de distinction
entre CDD et CDI, cela signifie a priori qu’un chômeur pourra se voir contraint d’accepter un CDD. De surcroît, au-delà
de six mois d’inscription au chômage, est raisonnable l’offre entraînant « à l’aller un temps de trajet, en transport en
commun, entre le domicile et le lieu de travail, d’une durée maximale d’une heure ou d’une distance à parcourir d’au
plus trente kilomètres ».
21 Il vaut d’être noté que, dans une interview au journal Le Monde du 28 août 2008, Christian Charpy, chargé de diriger
Pôle emploi, le nouvel organisme devant résulter de la fusion de l’ANPE et de l’UNEDIC, affirmait que le nombre de
chômeurs qui fraudent est « infime », ajoutant que : « le chômage est un drame et ceux qui sont touchés souhaitent
vraiment en sortir » (Le Monde, 28-08, 2008, p. 9).
22 Parallèlement, selon les estimations de l’INSEE, entre 1973 et 2005, le nombre de bénéficiaires de l’un des dispositifs
existants a été multiplié par 27, passant de 103 500 à 2,8 millions de personnes (INSEE, 2004-2005, p. 82).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 493


nombre de filières d’indemnisation ramenées de 8 à 4). Les déficits n’ont pas été résorbés
pour autant, les déficits cumulés enregistrés entre 2002 et 2005 s’élevant à 14 milliards
d’euros. La convention UNEDIC de décembre 2005 a donc procédé à une nouvelle, mais
très faible, augmentation des cotisations (respectivement 0,04 % pour les employeurs et
les salariés), associée à un nouveau durcissement des conditions d’indemnisation (révision
des filières d’indemnisation et nouvelle baisse du taux et de la durée d’indemnisation). À
fin 2008, alors qu’étaient engagées les négociations entre partenaires sociaux concernant
la nouvelle convention devant entrer en application en 2009, le régime de l’assurance chô-
mage qui était excédentaire depuis trois ans devait cependant encore supporter un déficit
cumulé de 5 milliards d’euros.

B - Les incitations au retrait du marché du travail


Le chômage peut être interprété formellement comme le résultat de l’évolution diver-
gente de la population active du pays et du nombre d’emplois disponibles. Si la popula-
tion active progresse à un rythme supérieur à celui du nombre d’emplois disponibles, cela
se traduit par l’apparition et/ou l’augmentation du chômage23. Nombre de travaux souli-
gnent ainsi que le chômage s’est accru en France après 1968 (alors que commençaient à
arriver sur le marché du travail les premières générations nombreuses issues du baby boom
de l’après-guerre) et anticipent qu’il diminuera avec le départ progressif en retraite de ces
mêmes générations et grâce au creux démographique des années 1970. Le retour au plein-
emploi, dans ces conditions, ne serait qu’une affaire de temps. C’est d’ailleurs l’hypothèse
sur laquelle tablent nombre de rapports qui ont été consacrés depuis le début des années
1990 à la question du financement des retraites24.
Dans le cas de la France, il semble effectivement que l’on ne puisse faire abstraction de la
manière dont a évolué la population active depuis les années 1970 pour rendre compte
de l’apparition et du maintien d’un chômage important. La population active y a en effet
fortement augmenté à partir de 1962, passant de 21,462 millions de personnes en 1968 à
21,750 millions en 1973, 23,924 millions en 1985, 25,617 millions en 1998, 27,096 millions
en 2002 et 27,637 millions en 2005 (dont 46,7 % de femmes) et 27,938 millions en 2007
(estimation). Cette augmentation est la plus forte observée en un quart de siècle depuis le
23 Cela n’autorise cependant pas à faire de la croissance démographique la cause du chômage, comme il en est parfois fait
l’hypothèse. D’une part, la croissance de la population totale n’est que l’un des déterminants de l’évolution de la popu-
lation active. Celle-ci dépend également de l’évolution des taux d’activité féminin et masculin, de la durée moyenne des
études qui détermine l’âge moyen d’entrée dans la vie active, de la fixation de l’âge légal de la retraite, de la politique
d’immigration suivie. Il est donc possible que la population active d’un pays évolue différemment de sa population totale,
pendant une période plus ou moins longue. D’autre part, si la croissance démographique ne garantit nullement par
elle-même une augmentation parallèle des emplois, cela n’exclut pas qu’une liaison positive puisse s’établir entre crois-
sance démographique et emplois. Si les conditions d’une croissance économique soutenue créatrice d’emplois (capacité
de financement des investissements permettant l’extension de l’appareil de production, maîtrise des technologies…)
sont réunies, la croissance démographique peut en effet agir comme un stimulant de la croissance économique et de la
création d’emplois qui l’accompagne : il faut construire des logements pour loger les jeunes couples, équiper les villes en
expansion ; les enfants réclament des crèches, des écoles, puis des collèges et des universités, des équipements sportifs et
de loisirs, etc. Le « miracle français » des années 1950 et 1960 a ainsi associé croissance économique et croissance démo-
graphique, avec un excédent naturel annuel de la population française qui oscillait autour de 300 000 individus durant
les années 1960. Cette période fut également, on le sait, celle de la réalisation d’un quasi plein-emploi.
24 Mais, alors que les projections démographiques effectuées au début de la décennie 2000, sur lesquelles s’appuyaient ces
rapports, concluaient à la possibilité d’un retour au plein-emploi pour le début de la décennie 2010 (le taux de chômage
étant alors ramené au taux de chômage structurel, que ces estimations situent entre 5 % et 7 %), les nouvelles projections
démographiques publiées par l’INSEE en juin 2006 conduisent à repousser cette perspective à l’année 2015 au mieux.

494 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


début du XIXe siècle. Elle résulte dans un premier temps de la poursuite du baby boom de
l’après-guerre, qui s’est prolongé en France jusqu’en 1965, puis de la forte hausse du taux
d’activité féminin à partir de 1968.
Pendant cette même période, le nombre de personnes ayant un emploi ne progressait
cependant que de 21,158 millions en 1973 à 22,640 millions en 1998 et 25,036 millions
en 2006, soit donc un décalage très net entre la croissance de la population active totale
et celle de l’emploi depuis le début des années 197025. Mais, si l’on peut admettre que le
caractère exceptionnel de cette augmentation de la population active était par lui-même
potentiellement source de difficultés pour l’emploi, il faut par ailleurs rappeler que ce-
lui-ci a progressé en France en moyenne près de deux fois moins vite entre 1978 et 1998
qu’entre 1949 et 1973.
La forte augmentation de la population active observée depuis les années 1970 n’est au
demeurant pas spécifique à la France. Un phénomène comparable s’observe dans la plu-
part des autres pays industrialisés au cours de la même période. Or ces pays n’ont pas tous
un taux de chômage aussi élevé que la France dans la mesure où, dans certains d’entre eux,
le rythme de création de nouveaux emplois au cours de cette période a été sensiblement
supérieur à celui observé en France. Ce qui devrait logiquement conduire à s’interroger sur
les raisons de cette moindre création d’emplois en France.

Quoi qu’il en soit, il reste que, dès le milieu des années 1970, pour faire face à la montée
irrésistible du chômage, les pouvoirs publics ont mis en œuvre des mesures (réglementaires
et financières) visant, directement ou indirectement, à peser sur la croissance de la popu-
lation active en tentant de dissuader certaines personnes de se présenter sur le marché du
travail ou en les incitant à s’en retirer, mettant ainsi « hors circuit » une partie des deman-
deurs d’emplois.
On peut citer, à titre d’exemple de ces mesures, la création de l’allocation parentale d’édu-
cation (APE) qui, en pratique, a fonctionné comme une incitation au retrait d’activité, au
moins temporairement, notamment des femmes peu qualifiées et/ou percevant des bas
salaires26 : ce dispositif n’ayant cependant pas remis en cause la tendance lourde à l’accrois-
sement du taux d’activité des femmes, qui sont de plus en plus présentes sur le marché du
travail et dont le taux d’activité atteint 80 % pour celles qui ont entre 25 et 54 ans27. Paral-
lèlement, l’allongement de la scolarité obligatoire, qui répond à des objectifs qui lui sont
spécifiques, et la démocratisation de l’enseignement supérieur, permettant à une fraction
accrue de chaque génération d’entreprendre des études supérieures (répondant elle aussi
à des objectifs spécifiques), ont eu pour résultat dérivé de faire baisser sensiblement le
taux d’activité des 15-24 ans qui est passé de 50,6 % en 1975 à 33,7 % en 2005.

25 D. Clerc (1999, p. 49), qui en souligne l’ampleur, avance pour sa part que : « la progression de la population active
française depuis le début des années 1960 a été ignorée, sous-estimée ou écartée, et (que) nous n’avons pas su relever
ce défit collectif ».
26 Selon les données disponibles, 570 000 parents ont bénéficié de ce dispositif en 2006. Celui-ci concerne, en pratique,
presque exclusivement les femmes qui représentaient 98 % du total en 2005. Dans un rapport au Premier ministre D. de
Villepin, V. Pécresse soulignait à ce propos que « ce sont les mères qui étaient le moins insérées dans l’emploi qui ont
davantage eu tendance à quitter le marché du travail » (cité par Le Monde, 26-12, 2007, p. 7).
27 En 2005, 78 % de 25 à 29 ans et 81,2 % de 30 à 54 ans. Le taux d’activité de l’ensemble des femmes de 15 à 64 ans était
par ailleurs en 2005 de 63,8 % (France, Portrait social, éd. 2006, p. 201). Cela étant, si, en 2005, 86 % des femmes âgées de
25 à 49 ans et sans enfants étaient actives, ce taux tombait à 54 % pour les mères de trois enfants âgés de moins de 15 ans.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 495


Se sont également inscrites dans cette logique d’incitation au retrait du marché du travail
de certaines catégories de population les actions en direction des travailleurs étrangers
installés en France et le changement net d’orientation de la politique d’immigration28. Les
dispositifs institués en 1977 (aide au retour) et en 1984 (aide à la réinsertion), la limitation
de l’accès puis la fermeture des frontières aux immigrés en provenance de pays extérieurs
à la Communauté européenne (1973), la multiplication des obstacles à l’obtention des per-
mis de séjour (1993), la démultiplication des mesures de reconduite à la frontière pour les
immigrés clandestins… ont participé à la réduction de l’offre potentielle de travail. Entrent
également dans ce dispositif les lois récentes durcissant les conditions du regroupement
familial.
L’impact de cette politique de limitation de l’immigration a été très sensible. Si la France
fut un pays d’immigration importante dans les décennies 1950 et 1960 (immigration ou-
vrière principalement), la part des étrangers dans la population active étant alors passée
de 5 % en 1954 à 7,4 % en 1975 (graphique 9.2), ce n’est plus le cas depuis. Le solde migra-
toire net du milieu des années 1970 à la fin des années 1990 a été en moyenne de l’ordre
de 50 000 personnes par an seulement et la part des étrangers dans la population active et
retombée en dessous de 6 %. Ceci explique d’ailleurs que les régularisations « massives »
de sans-papiers, effectuées en 1982 et en 1997-1998, n’aient concerné respectivement que
130 000 et 90 000 personnes : la durée de séjour non déclarée de ces régularisés étant en
moyenne de près de 10 ans. Le solde migratoire net s’est cependant redressé depuis le
début des années 2000, avec une moyenne annuelle de 92 000 personnes entre 2000 et
200629.
GrAPhIqUE 9.2
Part des étrangers dans la population active depuis un siècle
%
8

3
Sources : INSEE, Tableaux de l’économie
française 2003.
2
91

01

06
11

19 1
19 6
31
36

46

54

62
68
75

82

90
96

03
2
2
18

19

19
19

19

19

19

19

19
19
19

19

19
19

20

28 Ces mesures partent de l’hypothèse, implicite pour certains, explicite pour d’autres, que l’immigration serait en tout ou
partie responsable du chômage contemporain, dans la mesure où les immigrés « occuperaient » des emplois qui, sans
cela, pourraient l’être par des « nationaux ». Limiter l’arrivée de nouveaux immigrants et/ou organiser le retour d’une
partie des immigrés dans leur pays d’origine permettrait alors de libérer des emplois et de réduire le chômage. Diverses
expériences historiques contredisent cependant cette hypothèse. C’est ainsi qu’aux États-Unis une immigration importante
n’a pas empêché le recul du chômage pendant les années 1990. De même, l’immigration importante de main-d’œuvre
étrangère en France durant les Trente Glorieuses (de 1954 à 1975 principalement), loin d’être un facteur de chômage, a
au contraire contribué à la croissance de l’économie française, en fournissant à certaines branches d’activité (BTP, auto-
mobile, etc.) la main-d’œuvre indispensable, tandis que la poussée du chômage qui a suivi le rapatriement des Français
d’Algérie en 1962 a vite été résorbée dans un contexte de forte croissance économique, elle-même stimulée par cette
arrivée en métropole de plus d’un million de rapatriés d’Algérie.
29 Tableaux de l’Économie Française 2007, mise à jour 01-2008)

496 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Pour autant, les politiques mises en œuvre n’ont jamais visé à un arrêt total de l’immigra-
tion ni à un retour massif des immigrés dans leur pays d’origine. L’apport de la force de
travail des immigrés apparaît en effet indispensable à la bonne marche de divers secteurs
d’activité en France où les immigrés occupent souvent des emplois pour lesquels l’offre
de travail des nationaux est insuffisante. Cela, au demeurant, ne concerne pas seulement
des emplois peu qualifiés comme on l’évoque souvent, mais vaut également pour certains
emplois très qualifiés (personnel soignant, informaticiens…). Dès lors, certains préconi-
sent la mise en œuvre d’une politique d’immigration sélective supposant la fixation de
quotas d’immigration par types d’activité et de qualification. Une telle politique d’immi-
gration repose sur l’idée que la croissance économique est freinée par une insuffisance
de force de travail dans certains secteurs d’activité et pour certaines qualifications et que
l’immigration peut de ce fait créer des emplois : ceux qu’occuperont directement les
immigrés et ceux qui seront induits par l’accroissement d’activité que suscitera l’augmen-
tation de la demande financée par les salaires de ces travailleurs immigrés.
Tout en continuant à durcir les conditions du regroupement familial, le gouvernement
de F. Fillon s’oriente vers la mise en œuvre d’une telle politique des quotas d’immigration
définis sur une base professionnelle30. Une telle politique de quotas risque cependant de
se révéler contre-productive au regard de l’objectif poursuivi. Comme le souligne P. Weil :
« si l’on veut ouvrir la France à plus d’immigration économique, l’expérience prouve que
la méthode des quotas est la plus mauvaise qui soit, car elle provoque les effets inverses à
ceux qui sont recherchés. Les quotas de non-qualifiés sont toujours dépassés et les quotas
de qualifiés jamais atteints » (cité par Le Monde, 13-06, 2005, p. 8)31.
C’est cependant principalement en direction des actifs âgés, et avec une plus grande effi-
cacité, qu’ont été mises en œuvre des politiques d’incitation au retrait du marché du travail
et de réduction de l’offre de travail au cours des deux dernières décennies. L’objectif est
d’inciter les travailleurs âgés à se retirer du marché du travail pour l’ouvrir davantage aux
plus jeunes. La mesure phare de l’abaissement de l’âge de la retraite de 65 ans à 60 ans en
avril 1983, outre qu’elle répondait à une aspiration au mieux-vivre d’une grande majorité
de salariés, s’inscrivait directement dans cette perspective. Elle a également donné un coup
d’accélérateur aux effets des politiques de cessation anticipée d’activité qui avaient été
engagées dès le début des années 1970 avec la mise en place du dispositif de préretraite.
En 1972, a en effet été créé le premier dispositif de préretraite, la préretraite licenciement,
étendu en 1977 aux salariés démissionnaires avec la préretraite démission. En 1982, c’est
l’avènement de la préretraite embauche32 qui est cependant abandonnée dès 1983, car
trop coûteuse, mais qui revoit le jour en 1996 pour les personnes âgées de plus de 57 ans et
demi. Le préretraité perçoit, en attendant de faire valoir ses droits à la retraite, une alloca-
tion de remplacement pour l’emploi (ARPE), gérée et financée par les partenaires sociaux
30 Dès juin 2005, le gouvernement de Dominique de Villepin avait déjà engagé une réflexion sur la mise en place d’un
système de quotas professionnels, même si le terme en tant que tel n’était pas utilisé, le Premier ministre souhaitant que
lui soient faites des propositions concernant « l’adaptation de notre pratique en matière d’immigration aux besoins de
l’économie » (cité par Le Monde, 13-06, 2005, p. 8).
31 Ajoutons par ailleurs que l’immigration à la fois soulève et peut permettre de résoudre des problèmes autres que celui
de l’emploi, et que ce n’est donc que le débat politique qui peut permettre à la société de décider dans quel sens elle
doit orienter sa politique d’immigration, laquelle ne peut être réduite uniquement à une composante de la politique
de l’emploi.
32 Dispositif accessible à tout salarié démissionnaire âgé d’au moins 50 ans, dès lors que l’employeur s’engageait à le
remplacer.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 497


dans le cadre de l’UNEDIC. Ce système des préretraites a été un dispositif privilégié pour
freiner la montée du chômage lors des plans de restructuration des entreprises. Mais ses
conséquences économiques et sociales à moyen-long terme, semblent très dommageables.
Il a largement participé à la dévalorisation du travail des plus de 50 ans et a favorisé le rejet
par les entreprises des travailleurs âgés, considérés comme moins productifs, au profit de
jeunes diplômés plus qualifiés. On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de ce
gâchis d’expériences alors même que, depuis la loi de modernisation sociale de 2000, la vali-
dation des acquis de l’expérience (VAE) permet désormais aux actifs de faire valider leur ex-
périence professionnelle par l’obtention d’un diplôme. La cessation anticipée d’activité, dans
la mesure où elle a pu être utilisée par l’entreprise pour ajuster la qualification et l’effectif
de son personnel aux nécessités de la production, constitue un instrument de flexibilisation
de la gestion des effectifs. Elle participe indirectement à la politique de déréglementation
du marché du travail qui s’est développée depuis les années 1980 dans la plupart des pays
européens.
L’action des pouvoirs publics vis-à-vis des actifs âgés n’a par ailleurs pas seulement visé ceux
qui avaient un emploi mais elle a concerné également les chômeurs âgés. La dispense de
recherche d’emploi (DRE), instituée en 1984, leur permet de basculer dans la catégorie des
inactifs d’un point de vue statistique tout en conservant l’accès au système d’indemnisation.
En 2007, 418 000 personnes en tout bénéficiaient des différents dispositifs de retrait d’ac-
tivité dont 35 000 au titre des préretraites et 383 000 au titre des dispenses de recherche
d’emploi. Cette politique a eu pour conséquence que le taux d’emploi des personnes de 55 à
64 ans est, en France, l’un des plus faibles de l’ensemble des pays industrialisés (36,8 % contre
41, 8 % pour l’Union européenne à 15 et 50,3 % pour l’OCDE en 2003) (graphique 9.3).
GrAPhIqUE 9.3
Taux d’emploi des personnes de 55 à 64 ans en 2003 dans différents pays

Source : OCDE, Le Monde, 11-02, 2005, p. 7.

paragraphe 3 : les politiques actives de lutte contre le chômage

Les politiques actives visent à créer des emplois ou à maintenir des emplois existants et à
favoriser l’insertion professionnelle des personnes en recherche d’emploi. Elles se décli-
nent en quatre grandes catégories d’intervention : les politiques d’insertion et de réin-
sertion professionnelles, la création d’emplois publics (A), les incitations financières à la
préservation ou à la création d’emplois (B) et le partage du travail (C).

498 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


A - Les politiques d’insertion et de réinsertion professionnelles et la création
d’emplois publics
Les politiques d’insertion et de réinsertion professionnelles ont pour objectif d’accroître le
niveau de formation de la main-d’œuvre par le financement de stages de formation profes-
sionnelle. La logique sous-jacente est d’accroître l’employabilité des actifs en leur permettant
d’acquérir les qualifications exigées par les entreprises. En direction des jeunes, elles passent
par l’apprentissage, la formation en alternance (contrat d’orientation, contrat de qualifica-
tion, contrat d’adaptation) et par différentes formules de stages de formation, regroupées
depuis 1989 dans le crédit de formation individualisé (CFI)33. En direction des chômeurs de
longue durée, ces politiques passent par le stage d’insertion et de formation à l’emploi orga-
nisé par l’ANPE. Enfin, en direction des salariés licenciés, ont été créés des dispositifs de for-
mation-reconversion afin de permettre leur retour à l’emploi. Il s’agit d’intervenir en amont
d’une situation de chômage et d’éviter l’installation dans cette situation.
En 2007, les différents dispositifs de formation destinés aux demandeurs d’emploi -stage
d’accès à l’emploi (ANPE), stages conventionnés et formations AFPE (UNEDIC), stages de
l’AFPA, stages organisés par les régions, etc.– ont bénéficié à près de 550 000 personnes
(tableau 9.2).
TAbLEAU 9.2
Principaux dispositifs spécifiques de politique d’emploi (effectifs en milliers)
Entrées en dispositif Stocks de bénéficiaires en fin d’année
2006 (r) 2007 2006 (r) 2007
Emploi marchand aidé 738 790 1 111 1 139
dont :
exonérations et primes à l’embauche de jeunes 78 93 119 136
exonérations et primes à l’embauche de CLD (1) 102 67 174 95
aide à la création d’entreprises 81 111 84 114
contrats en alternance 412 444 576 620
accompagnement des restructurations 5 4 29 19
Emploi non marchand aidé 374 364 291 249
dont :
Contrat Emploi Consolidé 19 1 20 2
Contrat Emploi Jeunes 4 2 28 9
Contrat d’Avenir 94 113 75 88
Contrat d’Accompagnement dans l’Emploi 257 247 166 150
Formation des demandeurs d’emploi 541 555 238 240
dont :
stages de formation 487 509 224 228
prévention du chômage de longue durée 54 46 14 11
Retraits d’activité 108 101 454 418
Préretraites totales 6 4 48 35
Dispenses de recherche d’emploi 101 97 406 383
Total 1 760 1 811 2 093 2 046
r : données révisées. (1) : chômeurs de longue durée.
Champ : France métropolitaine
.Source : INSEE, Tableaux de l’Economie française, 2007, mis à jour 28-08, 2008.
33 Certains auteurs estiment que les contrats d’apprentissage et les contrats de qualification, alliant l’emploi et la formation
pour une durée déterminée, sont en fin de compte des formes d’emplois précaires déguisés qui ont de succroît remis
en cause le principe du salaire minimum, puisque la rémunération est entre 25 % et 93 % du SMIC suivant l’âge et l’an-
cienneté pour le contrat d’apprentissage et entre 30 % et 75 % du SMIC pour le contrat de qualification. Sous couvert
d’accroître la qualification et de favoriser l’insertion professionnelle, ces dispositifs participeraient ainsi également d’une
politique de flexibilisation salariale.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 499


La création d’emplois publics, qui était une priorité du plan de relance de 1981-1982, avait
alors concerné 140 000 individus mais a été abandonnée dès juin 1982 car elle creusait
le déficit du budget de l’État et des comptes d’exploitation des entreprises nationales.
Reste que les effectifs de la fonction publique ont ensuite continué à croître pour faire
face aux besoins grandissants de certains secteurs d’activité (hôpitaux, enseignement, sé-
curité…) (graphique 9.4). Les effectifs de la fonction publique d’État, en équivalent temps
plein (effectifs des établissements publics administratifs34 -EPA- inclus), sont ainsi passés de
2 186 502 en 1984 (dont 112 407 pour les EPA) à 2 417 398 en 2005 (dont 209 840 pour les
EPA), soit une hausse de 10, 56 %.

Graphique 9.4
Evolution de l’emploi public (indice base 100 en 1980)

Sources : FMI, INSEE ;


Le Monde, 20 octobre
2004.

Les dernières années marquent une rupture avec cette politique de création d’emplois
publics. L’heure est désormais au non-remplacement d’une partie des fonctionnaires qui
partent à la retraite, dans un souci de réduction du déficit budgétaire, pour satisfaire les
obligations imposées par le Pacte de stabilité et de croissance et compenser le coût pour
les finances publiques des réductions d’impôts au bénéfice de certaines catégories de po-
pulation (cf. supra, chapitre IV). Mais la mise en œuvre de cette politique de réduction des
effectifs de la fonction publique ne s’est pas faite jusqu’à présent sans difficultés. Alors que
les lois de finances prévoyaient la suppression respectivement de 4 500 emplois en 2004,
7 300 en 2005, 5 400 en 2006 et 15 000 en 2007, il semble que les effectifs globaux de la
fonction publique d’État (EPA inclus) soient en réalité demeurés pratiquement stables en
raison des créations d’emplois dans les EPA (11 000 en 2007). Le gouvernement de F. Fillon
s’est cependant fixé comme objectif pour les années à venir de ne pas remplacer le départ
en retraite d’un fonctionnaire sur deux, ce qui devrait se traduire concrètement par la sup-
pression de 22 932 postes dès 2008 (soit une économie de l’ordre de 400 millions d’euros)
et 35 000 à partir de 2009 (pour une économie totale en années pleines de l’ordre de 700
à 800 millions d’euros selon les estimations du ministère des Finances35.

34 Il s’agit d’établissements qui exercent une mission de service public sous la tutelle de l’État et qui sont financés par l’État
ou par des ressources fiscales.
35 La fonction publique représente en France 21 % de l’emploi salarié. Fin 2004, on recensait 5 108 000 fonctionnaires
répartis en 2 553 000 dans l’administration d’État, 1 573 000 dans les collectivités locales et 992 000 dans les hôpitaux.
S’ajoutaient en tout 58 000 personnes bénéficiant de contrats aidés.

500 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


B - Les incitations financières à la préservation ou à la création d’emploi
Elles s’adressent surtout aux entreprises privées (secteur marchand), que les pouvoirs pu-
blics encouragent à s’implanter dans des régions où le taux de chômage est très important,
et s’intègrent souvent dans la politique d’aménagement du territoire. Elles peuvent ce-
pendant bénéficier également à des structures du secteur non marchand. Elles se donnent
comme objectifs d’éviter la disparition d’emplois existants (embauche à temps partiel), de
créer des emplois (primes, exonérations fiscales et conditions d’emprunt privilégiées) ou
d’inciter à l’embauche (exonérations de charges sociales pour des embauches de jeunes,
d’apprentis ou de chômeurs de longue durée).
Cette politique d’aide financière publique à la création d’emplois a donné naissance à une
nouvelle catégorie d’emplois : les emplois aidés.

• Les incitations financières à la création d’emplois dans le secteur marchand recouvrent,


d’une part, les aides à l’embauche de populations ciblées (jeunes non qualifiés, chômeurs
de longue durée) et, d’autre part, les exonérations de charges sociales partielles ou totales,
dégressives sur des durées plus ou moins importantes.
Concernant le premier point, on retrouve ici les contrats d’emplois spécifiques, cités pré-
cédemment : contrats d’apprentissage, de qualification, d’adaptation, d’orientation, de
professionnalisation. Il faut leur ajouter les contrats retour à l’emploi (CRE) permettant à
l’entreprise de bénéficier non seulement d’une exonération de cotisations patronales mais
aussi d’une subvention, tout comme les contrats initiative emploi (CIE) créés en 1995 sur
le même principe. S’il est incontestable que les entreprises ont largement utilisé ces dis-
positifs, comme en témoigne l’importance des emplois aidés marchands dans l’ensemble
des emplois occupés en 2000 (6,5 %), on peut toutefois s’interroger sur leurs retombées
économiques et sociales réelles. Certains auteurs soulignent que la multiplication des dis-
positifs en direction de populations de plus en plus ciblées a produit une population inem-
ployable, les laissés-pour-compte des dispositifs, c’est-à-dire ceux qui ne répondent pas
aux critères requis pour pouvoir en bénéficier. Il y a eu par ailleurs incontestablement un
comportement opportuniste de certaines entreprises dans le recours à ces dispositifs, ce
qui s’est traduit par des effets d’aubaine (sans ces mesures, les embauches auraient tout
de même eu lieu36) et des effets de substitution, les employeurs remplaçant des salariés en
poste par des bénéficiaires de contrats aidés. Les effets nets en termes de création d’em-
plois ne sont donc pas certains. En revanche, ces dispositifs ont multiplié les emplois pré-
caires et les bas salaires. Ils ont été un moyen pour les entreprises de bénéficier des aides
publiques et, ainsi, d’alimenter leur trésorerie. Ils sont par ailleurs un frein à la promotion
des salariés payés au SMIC.
Des observations comparables peuvent être faites à propos des diverses exonérations de
charges sociales dont bénéficient les entreprises. En 2007, les exonérations de cotisations so-
ciales patronales devraient approcher les 26 milliards d’euros, soit près de 1,5 % du PIB. Elles
correspondent à une grande variété de mesures (46 au 1er septembre 2005 selon le recense-
ment effectué par la Cour des comptes), de portée générale (plus de 20 milliards d’euros) ou
ciblées sur certains publics et certaines zones géographiques (5,9 milliards d’euros).

36 Selon une étude de l’OFCE, cet « effet d’aubaine aurait joué pour 80 % des contrats jeunes en entreprises » (Le Monde,
7-06, 2005, p. VI).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 501


Elles sont destinées à réduire le coût du travail, et plus spécifiquement du travail non qua-
lifié. Si le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) évalue à environ 300 000 le nombre
d’emplois créés par les réductions de charges décidées au début des années 1990 et mises
en œuvre avant la réduction du temps de travail37, il reste que, dans bien des cas, ces
mesures, là encore, ont été ou ont pu être à l’origine d’un effet d’aubaine pour les en-
treprises : des emplois bénéficiant des réductions de charges ont été créés, qui l’auraient
été même sans ces dispositifs, comme cela semble être en particulier le cas dans la grande
distribution. Ne concernant que les cotisations sociales sur les salaires inférieurs à 1,6 fois
le SMIC, ces réductions de charges, dégressives, suscitent par ailleurs un effet de « trappe
à bas salaire », les entreprises privilégiant les emplois pour lesquels les salaires correspon-
dants donnent droit aux allégements (processus de « smicardisation de la société »). Quoi
qu’il en soit, différents auteurs s’accordent pour reconnaître qu’il serait aujourd’hui « dif-
ficile d’aller plus loin dans la voie de la baisse des charges sans provoquer de sévères effets
indésirables »38.

• Les incitations financières à la création d’emplois dans le secteur non marchand prennent
deux formes distinctes : les allégements de charges sociales et les réductions d’impôts pour
les emplois familiaux ou les services à domicile (emplois dits de service à la personne),
d’une part, divers types d’emploi aidés, d’autre part.
Concernant les emplois familiaux, un décret du 29 décembre 2005 en a fixé la liste : femme
de ménage, baby-sitter, jardinier, aide à domicile des personnes âgées, préparation des
repas, bricolage, maintenance informatique… Le recours des particuliers aux services cor-
respondants peut être rémunéré à l’aide du chèque emploi-service universel (CESU) qui
ouvre droit à un crédit d’impôt de 50 % du montant total des paiements effectués, dans la
limite de 15 000 euros par foyer fiscal et par an. Il s’agit donc de pousser les particuliers à
recourir à ce type de services par une incitation fiscale forte et une simplification des pro-
cédures administratives liées à l’emploi des personnes assurant ces services. Parallèlement,
des entreprises spécialisées dans la fourniture de ces services, et donc dans la création
d’emplois correspondants, sont incitées à se créer ou à développer leurs activités puisque,
une fois homologuées, ces sociétés de services bénéficieront d’une exonération de charges
patronales.
Divers types d’emplois aidés, conçus comme un sas entre le chômage et l’emploi, ont été
créés :
• les contrats emploi-solidarité (CES), institués en 1990, qui devaient porter sur une activité
d’intérêt collectif, et qui ont été renforcés par les contrats emploi consolidé (CEC), créés
en 1992 pour les titulaires de CES n’ayant pas trouvé d’emploi à l’issue de leur contrat ;
• les contrats emploi-ville (CEV), créés en 1996, d’une durée de cinq ans, et destinés aux
jeunes en difficulté résidant dans des grands ensembles et des quartiers d’habitat dé-
gradé ;

37 Les résultats des études destinées à mesurer l’impact réel, sur la création d’emplois, des réductions de charges sociales
sur les bas salaires sont en fait plutôt contrastés. Il faut dire que cet impact est difficile à mesurer avec précision. Selon
une étude de B. Crépon et R. Desplatz (2002), les dispositifs d’allégement de charges sur les bas salaires auraient permis
de créer ou de sauvegarder 460 000 emplois dans l’économie entre 1994 et 1997. La moitié de ces emplois serait des
emplois non qualifiés. Selon d’autres estimations, la politique de réduction des charges sociales sur les bas salaires aurait
abouti « à des créations nettes de l’ordre de 300 000 emplois au cours des 10 dernières années. Un peu moins que les
trente-cinq heures (350 000 emplois nets) (…) » (Clerc, 2004, p. 15).
38 P. Askenazy, cité par Le Monde, 7-06, 2007, p. VI.

502 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• les contrats emploi-jeune (CEJ), créés en 1997, destinés aux jeunes de moins de 26 ans et
à ceux de 26 à 30 ans non indemnisables par l’UNEDIC. Ils pouvaient être signés par les
établissements scolaires, la police nationale, les collectivités territoriales, les établisse-
ments publics et les associations. Les contrats de travail étaient de droit privé.
Les anciens contrats aidés (CES, CEC) ont disparu, tout comme les emplois-jeunes ; en 2007
ne subsistaient que 2 000 CES et 9 000 contrats emploi-jeune. Ils ont été remplacés dans le
secteur non marchand par le « contrat d’avenir » et le « contrat d’accompagnement à l’em-
ploi ». Le contrat d’avenir est un contrat prévoyant une durée moyenne de travail hebdoma-
daire de 26 heures payées au SMIC horaire, complétée par une formation, le tout ne pouvant
excéder 35 heures hebdomadaires. Les contrats sont accessibles aux titulaires des minima
sociaux (ASS, RMI, API), d’une durée de six mois et renouvelables six fois. Le contrat d’ac-
compagnement dans l’emploi est un CDI s’adressant aux collectivités locales, associations,
etc. ayant préalablement signé une convention avec une institution agissant pour le compte
de l’Etat. Il est destiné à favoriser l’insertion professionnelle des chômeurs confrontés à des
difficultés sociales et professionnelles spécifiques pour accéder à un emploi.
En 2000, 2 061 900 personnes occupaient de tels emplois aidés, se répartissant entre 75 %
dans le secteur marchand et 25 % dans le secteur non marchand (collectivités territoriales,
établissements publics et associations). Le nombre total d’emplois aidés a cependant dimi-
nué depuis. En 2007, il s’élevait à 1 398 000 emplois dont 82 % dans le secteur marchand
et 18 % dans le secteur non marchand (tableau 9.2).

Les dispositifs d’aide à l’emploi des jeunes


De 1977 à 2005, ce sont en tout plus d’une trentaine de dispositifs spécifiques qui ont été mis en œuvre
pour soutenir l’emploi des jeunes, et plus particulièrement des moins qualifiés.
1977 : pacte pour l’emploi des jeunes (r. barre) : stages en entreprises pour les jeunes bénéficiant d’exo-
nérations de cotisations patronales.
1983 : accord interprofessionnel réformant les formations en alternance et créant les stages d’insertion
dans la vie professionnelle (SIVP) et les contrats de qualification.
1984 : création des travaux d’utilité collective (TUC), emplois à temps partiel pour les jeunes de moins de 25
ans dans les collectivités locales et associations pour lesquelles l’État financait les charges sociales.
1986 : plan d’urgence pour l’emploi des jeunes : allégement des charges sociales pour les entreprises.
1990 : les contrats emploi-solidarité (CES) se substituent aux TUC.
1997 : création des « emplois-jeunes », ce qui se traduit par l’embauche de 350 000 jeunes pendant 5 ans
(collectivités locales, associations, Éducation nationale, police).
2002 : création du contrat « soutien à l’emploi des jeunes en entreprises » (SEJE) accordant des exonéra-
tions de charges sociales aux entreprises, suivie en 2004 par la création des contrats d’insertion dans la vie
sociale (CIVS).
2005 : la loi de cohésion sociale du 18 janvier 2005 crée les « contrats d’avenir » et le « contrat d’ac-
compagnement dans l’emploi » (CAE), destinés en particulier aux jeunes sortant du système scolaire sans
qualification.

Le plan borloo, précédant l’adoption de la loi de cohésion sociale, donne une impulsion nouvelle à l’appren-
tissage et prévoit que le nombre annuel de contrats d’apprentissage passera de 350 000 en 2004 à 500 000
en 2009 ainsi que le développement des « contrats de professionnalisation » (formations en alternance
pour des diplômés de niveau bac + 2) avec « 160 000 entrées d’ici 2009 » (tableau 9.3 et graphique 9.5).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 503


TAbLEAU 9.3
Les jeunes de moins de 26 ans dans les différents dispositifs de politique de l’emploi
1974 1980 1990 1995 2000 2005 2006 2007
(p)
Alternance 157 231 442 463 579 519 556 590
Apprentissage 157 231 225 287 359 379 402 417
Contrats de qualification, 0 0 216 176 220 64 4 0
d’orientation et d’adaptation
Contrat de professionnalisation 0 0 0 0 77 150 173
Emploi marchand hors alter- 0 204 74 171 77 142 137 143
nance
Contrat initiative emploi (CIE 0 0 0 29 36 25 18 6
ancien et nouveau)
Soutien à l’emploi des jeunes 0 0 0 0 0 116 119 136
en entreprise (SEJE)
Autres mesures 0 204 74 143 41 0 0 0
Emploi non marchand 0 0 120 123 163 66 65 52
Contrats emploi-solidarité 0 0 120 116 36 3 0 0
Emplois jeunes 0 0 0 0 118 16 6 1
Contrats emploi-consolidé 0 0 0 7 10 3 1 0
Contrat d’accompagnement 0 0 0 0 0 42 54 47
vers l’emploi
Contrat d’avenir 0 0 0 0 0 1 4 4
Total 157 436 636 758 820 726 758 784
Part des emplois aidés parmi 3,3 10,6 20,3 31,0 30,0 25,8 27,5 27,2
les emplois occupés par des
jeunes (en %)
r : données révisées. p : données provisoires. P : données provisoires
Source : INSEE, Tableaux de l’Economie française 2007, mis à jour 28-08-2008.
GrAPhIqUE 9.5
Part des emplois aidés dans l’emploi des jeunes de moins de 26 ans

504 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


D - La réduction de la durée du travail et le partage du travail
Les politiques de réduction du temps de travail et de partage du travail s’inscrivent explici-
tement dans les politiques de lutte contre le chômage. Il s’agit non seulement de répondre
à l’aspiration des salariés à une réduction du temps de travail contraint au profit d’un
temps libre accru, mais aussi, et surtout, de combattre le chômage par la création d’em-
plois devant mécaniquement résulter d’une réduction du temps de travail. Ainsi en est-il
de mesures incitatives comme, en 1992, l’abattement de 30 % des cotisations sociales pa-
tronales sur les embauches à temps partiel39, ou la « loi de Robien » de 1996 qui proposait
une incitation financière élevée pour réduire le temps de travail et embaucher ou éviter
des licenciements dans le cadre d’un plan social, ou encore des lois sur les 39 heures puis
sur les 35 heures.
La réduction du temps de travail comme solution au chômage fait cependant débat. Aux
calculs de certains de ses partisans laissant supposer qu’une telle mesure pourrait engen-
drer mécaniquement un certain nombre d’emplois, s’opposent les dénégations de certains
de ses adversaires qui lui nient toute efficacité potentielle comme instrument de résorp-
tion du chômage et y voient au contraire un facteur d’augmentation du chômage en rai-
son de son impact négatif sur la croissance économique.
Les choses sont cependant moins simples et tranchées que les uns et les autres ne le sup-
posent. Pour que la réduction du temps de travail permette d’accroître l’emploi global, sa-
chant qu’une augmentation de l’emploi n’implique pas une baisse proportionnelle du chô-
mage en raison du phénomène de flexion du taux d’activité40, il est nécessaire qu’à court
et moyen terme la dépense globale de travail au niveau de l’ensemble de l’économie ne
diminue pas à la suite de cette réduction du temps de travail, ou du moins ne diminue pas
dans une proportion telle que cela annulerait purement et simplement l’impact positif po-
tentiel sur l’emploi global de cette réduction du temps de travail. Cela suppose à son tour,
en premier lieu, que la compétitivité de l’économie nationale ne soit pas compromise et
que les entreprises ne perdent donc pas de parts de marché en interne et à l’exportation,
faute de quoi leur production globale baisserait et, avec elle, nécessairement, la quantité
totale du travail dont elles ont besoin pour fonctionner41. Cela suppose également, en se-
39 Le développement du travail à temps partiel, qui a surtout concerné les femmes, s’il a constitué un frein au développe-
ment du chômage, a eu des effets pervers. S’il ne correspond pas à des aspirations individuelles au temps libre et qu’il est
subi, ce qui est très souvent le cas, il s’apparente alors à une forme de chômage partiel et peut conduire à des situations
de « pauvreté laborieuse » dans le cas où la rémunération perçue se révèle inférieure au seuil de pauvreté (cf. infra).
40 On appelle flexion du taux d’activité le rapport entre la création nette d’emplois et la réduction induite du nombre de
chômeurs. Elle serait de l’ordre de 1,3 à 1,5, ce qui signifie qu’il faut créer de 13 à 15 emplois nouveaux pour réduire le
nombre de chômeurs de 10. Cela s’explique par le fait que la création de nouveaux emplois incite des inactifs à entrer
sur le marché du travail pour tenter d’y trouver un emploi et à se transformer en chômeurs s’ils ne parviennent pas à être
embauchés. Cela tient en particulier à l’existence, à la frontière de la population active proprement dite, de personnes
classées dans les inactifs (chômeurs découragés non inscrits à l’agence pour l’emploi, femmes au foyer...) qui seraient
cependant disposées à prendre un emploi si l’opportunité s’en présentait et qui se mettent à chercher un emploi, et
s’intègrent ainsi à la population active, dès lors que les conditions pour accéder à l’emploi leur paraissent plus favorables.
41 Si la baisse de la durée du travail s’accompagne du maintien intégral des salaires, cela influe contradictoirement sur les
entreprises. D’une part, la consommation globale des salariés, qui conditionne les débouchés et donc le niveau d’activité des
entreprises, n’est a priori pas affectée. Mais, d’autre part, et simultanément, cette réduction du temps de travail sans baisse
des salaires accroît les coûts de production des entreprises, ce qui est un facteur de hausse des prix et donc de réduction
de la compétitivité-prix susceptible de leur faire perdre des parts de marchés. L’impact final sur la compétitivité des firmes
dépendra alors de l’importance relative de la compétitivité-prix et de la compétitivité hors prix (cf. tome 1, chapitre X).
L’accroissement de la productivité consécutif à la baisse du temps de travail et à la réorganisation des processus de travail à
laquelle elle donne lieu peut par ailleurs permettre de limiter la hausse du coût salarial unitaire. Mais il réduit simultanément
et mécaniquement le nombre de créations d’emplois suscitées par la réduction du temps de travail.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 505


cond lieu, que les éventuels gains de productivité réalisés à la suite de cette réduction du
temps de travail ne compensent pas l’effet en termes d’emplois (à volume de production
globale inchangé) de la mesure de réduction du temps de travail adoptée.
Cela étant, les mesures de réduction du temps de travail qui correspondent au passage
aux 39 heures en 1982 puis aux 35 heures (loi Aubry I de 1998 et loi Aubry II de 2000) sem-
blent s’être traduites par des créations nettes d’emplois non négligeables. Concernant le
passage aux 39 heures en 1982, une étude de O. Marchand, D. Rault et E. Turpin (1983),
concernant l’impact immédiat de cette mesure, estime que celle-ci a permis de créer ou
préserver en tout 70 000 emplois, tandis que G. Cette et D. Tadei (1998), qui ont mesuré
les effets sur trois ans de cette mesure de réduction du temps de travail, estiment qu’elle
a permis de créer ou de préserver 145 000 emplois et de réduire le nombre de chômeurs
de 60 000. Concernant le passage aux 35 heures, une étude de P. Artus et L.Maillard (2005)
montre que celui-ci s’est traduit par une baisse de la durée effective du travail de 7,5 %
entre le début de 1999 et la fin de 2001, avec une réduction consécutive de la production
par tête de 2,5 % seulement, les deux tiers approximativement de la baisse de la durée du
travail ayant été compensés par des gains de productivité horaire du travail (graphique
9.6). Il s’est également traduit par la création de 310 000 à 400 000 emplois (selon la mé-
thode d’estimation utilisée). Mais, comme le soulignent les auteurs, le coût de la création
de ces emplois a en fait été supporté par le budget de l’État. Les entreprises pour lesquelles
les 35 heures ont entraîné une hausse du salaire horaire (le passage aux 35 heures s’étant
fait normalement à salaire mensuel constant) ont en effet bénéficié en contrepartie de
réductions des charges sociales financées par le budget pour un coût total de l’ordre de
10 milliards d’euros par an en 2001, 2002 et 2003, ce qui, sur une base de 400 000 emplois
créés, représente un coût moyen de 25 000 euros par emploi créé, soit une somme « qui
est de l’ordre de grandeur du salaire annuel par tête y compris les charges » (id., p. 50).
GrAPhIqUE 9.6
Productivité et durée de travail en France (base 100 en 1994)

Sources : INSEE, CDC Ixis, Le Monde, 14 septembre 2004, p. II

Ajoutons que, si le passage aux 35 heures semble donc bien avoir été à l’origine de la
création d’un nombre relativement important d’emplois, la majeur partie des créations
d’emplois qui ont eu lieu en France à la fin des années 1990 (1,8 million d’emplois créés
en 4 ans) était due à la relance de la croissance économique et non à cette réduction du
temps de travail42.

42 Au-delà de l’incertitude concernant l’impact exact sur l’emploi du passage aux 35 heures, il ne fait cependant pas de
doute que l’on reste relativement en deçà des 700 000 emplois créés sur 5 ans, qui avaient été prévus dans une étude
réalisée par la Banque de France et la DARES (ministère de l’Emploi). D’une part, la réduction du temps de travail n’a
touché que 9 millions de salariés et non 12 millions comme prévu. D’autre part, les gains de productivité apparente du
travail, liés pour une part à l’intensification progressive du travail, qui ont accompagné cette réduction du temps de
travail, ont été plus élevés que prévu. En 2004, la durée annuelle moyenne du travail des salariés à temps complet (hors
enseignement) est de 1 600 heures (durée légale 1 607 heures) mais peut varier selon les métiers de 1 340 heures à 2 190
heures (Tableaux de l’Économie Française, 2006, p. 84).

506 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Reste que la tendance séculaire qui s’est affirmée en France, comme dans les autres pays
capitalistes développés, depuis la fin de la première moitié du XIXe siècle, est celle d’une
réduction progressive de la durée du travail, accompagnant la tendance, elle aussi séculaire,
à l’accroissement de la productivité du travail (cf. tome 1, chapitre III) et permettant aux sa-
lariés de bénéficier par ce biais d’une partie des gains de productivité ainsi réalisés. Dès lors
que la productivité continue de progresser, il n’y a pas de raison a priori de supposer que le
mouvement de réduction du temps de travail doive s’interrompre et il n’y a pas de doute
que, à tout le moins sur la longue période, cette réduction du temps de travail soit créatrice
d’emplois. C’est du moins l’enseignement que l’on est en droit de tirer de plus d’un siècle
et demi de réduction progressive du temps de travail. On touche là un point essentiel. Il est
incontestable que, sur la longue période, en France, le nombre total d’heures travaillées a
régressé passant, selon les estimations de O. Marchand et C. Thélot (1997) d’environ 54 mil-
liards d’heures de travail rémunérées en 1911 à 41 milliards en 1973 et 36,8 milliards en 1995,
pour une production qui a parallèlement été multipliée par 8. Or, pendant la même période,
le nombre d’emplois a augmenté. Il est clair que c’est la réduction parallèle du temps de
travail qui a rendu possible cette double évolution.
Cela ne signifie pas pour autant que l’on puisse attendre de la seule réduction du temps de
travail la résorption du chômage de masse et du sous-emploi qui affecte l’économie française
depuis les années 1970. Si l’on peut estimer à 5 millions environ le nombre de personnes qui
sont d’une manière ou d’une autre actuellement victimes du chômage ou du sous-emploi
(les chômeurs proprement dits, mais aussi les salariés qui occupent un emploi à temps par-
tiel contraint, les chômeurs découragés, les personnes contraintes à se retirer du marché du
travail et qui souhaiteraient continuer à travailler… cf. supra, chapitre II) il ne peut faire de
doute que, compte tenu de l’expérience des précédentes mesures de réduction du temps de
travail évoquées ci-dessus, on ne peut attendre de cette seule disposition le retour au plein-
emploi. Une relance durable de la croissance économique paraît, sans discussion possible,
indispensable à une amélioration substantielle et durable de la situation de l’emploi43. La
réduction du temps de travail, dès lors que seraient créées les conditions d’une telle crois-
sance, pourrait cependant être un moyen d’accélérer le rythme de retour au plein-emploi.

*
Aux différentes mesures évoquées ci-dessus s’ajoutent par ailleurs des mesures d’incitation
au retour à l’emploi en direction des sans-emploi. Comme on l’a déjà évoqué, l’idée selon
laquelle les prestations sociales sont susceptibles de désinciter à la reprise d’une activité sa-
lariée (thèse de la trappe à inactivité) bénéficie d’un large écho. Catherine Vautrin, ancien
ministre du gouvernement, expliquait ainsi que : « Si le titulaire d’un RMI prend un emploi
à temps partiel avec un petit salaire, il risque de perdre les exonérations liées à son statut,
par exemple, les allocations pour le logement, pour les transports, les cantines gratuites
dans certaines villes, et donc d’être dans une situation financière moins intéressante, c’est
une situation que l’on rencontre souvent » (cité par Le Monde, 10-11, 2005, p. 14)44.

43 Mais il ne peut plus faire de doute aujourd’hui qu’une telle croissance devrait cependant répondre aux impératifs d’un
développement durable, respectueux de notre environnement et économe en matières premières et en énergie.
44 La référence à cette notion de trappe à inactivité et l’idée conjointe (défendue par certains) selon laquelle l’existence
du dispositif de protection sociale, et en particulier du RMI, pourrait désinciter à la reprise d’un emploi, ne laissent
cependant pas d’interroger. D. Clerc (1999, p. 234) souligne à ce propos, en se référant à différentes études, que, pour
la grande majorité des allocataires du RMI, la reprise d’un emploi payé au SMIC mais à temps plein se traduit par une
amélioration significative de leur situation. S’il y a un problème, c’est en fait que l’emploi que retrouvent les allocataires
du RMI est souvent un emploi à temps partiel. Ce qui signifie que c’est moins l’existence et le niveau du RMI que les
difficultés à accéder à un emploi à temps plein, autrement dit l’existence d’un chômage de masse, qui désincite à la
reprise d’une activité salariée.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 507


C’est pour répondre à cette préoccupation qu’a été créée la prime pour l’emploi (cf. infra,
encart) et qu’a été adoptée, plus récemment, la loi « relative au retour à l’emploi et au dé-
veloppement de l’emploi » qui contient diverses dispositions destinées à inciter le retour à
l’emploi des bénéficiaires des minima sociaux. Les allocataires des minima sociaux (RMI, ASS,
API) prenant un emploi peuvent cumuler leur allocation et leur salaire pendant 3 mois. S’ils
travaillent plus de 78 heures par mois, ils percevront pendant les 9 mois suivants une prime
de 150 euros mensuels (majorée de 75 euros pour les familles) ainsi qu’une prime unique et
forfaitaire de 1 000 euros qui leur sera attribuée lors du 4ème mois et ils percevront la prime
pour l’emploi (qui est de l’ordre de 66 euros mensuels). S’ils travaillent moins de 78 heures
par mois, ils pourront percevoir en plus de leur salaire une allocation partielle égale au mon-
tant de leur allocation déduction faite de la moitié de leur salaire. Ils percevront également
la prime pour l’emploi. Parallèlement, il est prévu que toute tentative de frauder le RMI sera
« passible d’une amende de 4 500 euros, doublée en cas de récidive ».
La création du revenu de solidarité active (RSA) par la loi en faveur du travail, de l’em-
ploi et du pouvoir d’achat de juillet 2007 répond à la même préoccupation. Le RSA est
destiné aux titulaires du RMI et de l’API. Il est formellement destiné à lutter contre le
phénomène des travailleurs pauvres (cf. infra) et, plus globalement, contre la pauvreté et
l’effet de trappe à inactivité, lié à l’effet de seuil qui aboutit à ce que le bénéficiaire d’un
RMI prenant un emploi à temps partiel peut voir son revenu global diminuer de ce fait. Il
doit se traduire par le versement d’un complément de salaire aux personnes acceptant de
reprendre un emploi faiblement rémunéré (temps partiel), avec cependant, selon certains
analystes, le risque de voir se multiplier les emplois dégradés (à temps partiel contraint,
faiblement rémunérés). Expérimenté dans quelques dizaines de départements, il a ensuite
été étendu à l’ensemble du territoire national en 2009.

La prime pour l’emploi


La prime pour l’emploi (instituée par la loi du 30 mai 2001) est un crédit d’impôt remboursable (un impôt
négatif) qui est destiné à accroître le revenu des personnes percevant un salaire compris entre 0,3 et 1,4
fois le SMIC et dont la finalité affichée est de « constituer une aide au retour à l’emploi et au maintien dans
l’emploi ». L’objectif visé est d’inciter les bénéficiaires de minima sociaux à reprendre une activité rémunérée
en compensant pour partie la diminution des ressources qui peut être associée à la perte de certaines aides
sociales en cas de reprise d’un emploi. Elle est accordée sous conditions de ressources « en fonction des
revenus du foyer fiscal et du montant total des revenus professionnels de chacun des membres du foyer
fiscal » (Problèmes économiques, n° 2890, 4 janvier 2006, p. 7). Les ressources prises en compte ne com-
prennent ni les minima sociaux ni les allocations diverses. Les personnes bénéficiaires du rMI, de l’allocation
d’insertion, de l’allocation de solidarité spécifique, de l’allocation de veuvage ou de l’allocation de parent
isolé peuvent cumuler cette allocation avec les revenus tirés d’une activité professionnelle occasionnelle ou
réduite, salariée ou non salariée (Loi 98-657 du 29 juillet 1998). La réforme de la PPE, votée dans le cadre de
l’adoption de la loi de finances pour 2006, a prévu de mensualiser son versement (jusque-là effectué en une
fois sur la base de la déclaration des revenus, soit avec un retard en fait d’au moins 12 mois par rapport à
la reprise d’activité) et de porter son montant maximal, fixé initialement à 538 euros, à 809 euros en 2007.

508 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Même si leur poids dans le PIB national est plus faible que dans celui d’autres pays déve-
loppés, quoiqu’en forte hausse au cours des trois dernières décennies, les dépenses pour
l’emploi font débat. La question de leur impact économique et social est en particulier loin
de faire consensus.
Nombre d’auteurs libéraux contemporains, s’inscrivant dans une tradition qui remonte au
moins à l’entre-deux-guerres, n’hésitent pas à imputer la responsabilité du chômage, au
moins pour partie, à certaines de ces dépenses (les dépenses passives d’indemnisation du
chômage). Celles-ci désinciteraient les chômeurs à rechercher effectivement un emploi,
tout en faisant supporter des charges indues et inutiles aux entreprises sous forme de co-
tisations finançant le régime d’indemnisation du chômage.
Ce à quoi d’autres auteurs répondent en soulignant l’intérêt économique et social de ces
dépenses.
Dans le cas des dépenses passives : 1) soutien de la demande globale en assurant un cer-
tain pouvoir d’achat aux travailleurs privés d’emploi, ce qui est une condition indispen-
sable pour maintenir en état leur force de travail et leur employabilité et leur permettre
ainsi de reprendre une activité productive dès lors que l’opportunité s’en présente ; 2)
préservation de la cohésion sociale en faisant bénéficier de la solidarité sociale les indi-
vidus qui sont victimes de ce véritable risque de système qu’est le chômage, alors que le
fonctionnement du système économique capitaliste s’avère incapable d’assurer un emploi
à l’ensemble des individus en âge de travailler (à défaut d’un emploi intéressant, stable et
correctement rémunéré).
Quant aux dépenses actives, il serait difficile d’en contester l’utilité économique et sociale.
En finançant, par exemple, des emplois utiles dans le secteur public ou semi-public, elles
permettent de satisfaire certains besoins des populations, avec les effets diffus d’accrois-
sement de la productivité du travail pour le système productif national d’une meilleure
couverture de ces besoins. Celles de ces dépenses actives qui sont plus spécifiquement
consacrées à la formation des demandeurs d’emploi sont par ailleurs susceptibles de fa-
voriser les restructurations du système productif. Elles peuvent en effet permettre aux
salariés d’acquérir les nouvelles qualifications requises pour occuper les nouveaux emplois
qui se créent à côté de ceux que les mutations technologiques et les restructurations et
éventuelles délocalisations des entreprises font disparaître.
Il faut souligner en outre que le caractère contracyclique de l’ensemble de ces dépenses
(actives et passives) leur fait jouer spontanément un rôle de stabilisateur du cycle écono-
mique. Elles augmentent sensiblement en phase de récession ou de crise économique, ce
qui, en contribuant à préserver le niveau de la demande globale, limite l’intensité de la ré-
cession ou de la crise. À l’opposé, elles diminuent en phase d’expansion du cycle, ce qui, en
limitant la croissance de la demande globale, réduit les risques de dérapage inflationniste
ou l’ampleur des pressions inflationnistes liées aux épisodes de forte expansion.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 509


Section 2 : Les politiques familiales et les politiques
de lutte contre la pauvreté et l’exclusion

On regroupe ici les politiques familiales, auxquelles on associe les politiques d’aide à l’ac-
cès des personnes au logement, et les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion.
Les premières (§ 1), qui plongent leurs racines dans les mesures paternalistes mises en
œuvre par une partie du patronat dès la fin du XIXe siècle (création de cités ouvrières,
création de crèches d’entreprises, institution d’un sursalaire au bénéfice des salariés pères
de famille), ont pris en France une grande importance après la Seconde Guerre mondiale.
Les secondes (§ 2) sont beaucoup plus récentes et ont été mises en œuvre sous l’impact
de la crise contemporaine et du chômage de masse qui ont généré de nouvelles formes
de pauvreté et d’exclusion sociale auxquelles ces politiques tentent d’apporter certains
éléments de réponse. Le regroupement de ces différentes politiques tient compte de ce
que les dépenses liées au logement se partagent entre les politiques familiales proprement
dites et les politiques de lutte contre l’exclusion, tandis que, par ailleurs, la dimension spé-
cifique de lutte contre la pauvreté et l’exclusion s’affirme de plus en plus dans les politique
familiales. En 2007, l’ensemble des prestations de protection sociale liées conjointement à
la maternité-famille, au logement et à la pauvreté-exclusion s’élevaient à 72,982 milliards
d’euros, soient 13,27 % du total des prestations de protection sociale.

paragraphe 1 : les politiques familiales


Les dépenses de protection sociale liées à la famille, comprises dans une acception large
incluant les dépenses liées au logement45, se sont élevées en 2006 à 61,80 milliards d’euros.
Elles peuvent être réparties en trois catégories :
1) les dépenses relatives à la maternité (indemnités journalières, dépenses de soins liées à
l’accouchement et aux visites médicales obligatoires…) qui s’élevaient à 6,38 milliards
d’euros en 2006, représentant 10,3 % du total des dépenses ;
2) les dépenses relatives à la famille (41,47 milliards d’euros et 67 % du total des dé-
penses), c’est-à-dire les allocations familiales, qui ne sont versées qu’à partir du deu-
xième enfant et qui sont les seules prestations familiales à être versées sans conditions
de ressources, et les autres prestations familiales ainsi que les dépenses d’aide sociale
et d’action sociale (allocation de rentrée scolaire, aide pour l’emploi d’une assistante
maternelle agréée, aide pour la garde à domicile, allocation pour jeunes enfants, allo-
cation de parent isolé -API- , allocation parentale d’éducation…) ;
3) les prestations liées au logement (aide personnalisée au logement -APL- et allocations
logement social -ALS-) qui ne bénéficient pas seulement aux familles avec enfants mais
également aux couples sans enfant, aux célibataires à bas revenus, aux handicapés, aux
jeunes travailleurs et aux étudiants, et qui se sont élevées en 2006 à 13,97 milliards d’eu-
ros, représentant 22,6 % du total des dépenses.

45 Les prestations logement ne relèvent véritablement des politiques familiales que lorsque le ménage bénéficiaire com-
prend des enfants. Pour les ménages sans enfant, elles sont versées dans le cadre des politiques de lutte contre l’exclusion
(cf. infra).

510 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


La diversité de ces dépenses reflète celle des objectifs qui sont ou ont été assignés aux
politiques familiales (A). Celles-ci ont sensiblement évolué dans le temps. Elles ont accom-
pagné l’évolution des structures familiales tout en intégrant l’impact de la crise durable
contemporaine sur les familles et en particulier les plus fragiles (B).

A – Les fonctions et objectifs des politiques familiales


La manière dont s’est développée jusqu’à présent l’action publique en direction des fa-
milles permet de repérer trois fonctions complémentaires reconnues aux politiques fami-
liales, qui commandent les objectifs qui leur sont assignés.
• Une fonction démographique reposant pour partie sur l’hypothèse selon laquelle il y aurait
une corrélation entre croissance démographique et croissance économique (Sauvy, 1963).
Dans cette optique, et selon l’approche développée par Gary S. Becker, la famille peut être
perçue comme « une institution efficace comme lieu d’accumulation du capital humain et
social », justifiant à ce titre une attention particulière et une aide matérielle spécifique. Cer-
taines dépenses de la politique familiale visent ainsi explicitement à favoriser la natalité en
allégeant la charge financière que représentent les enfants pour le budget familial (alloca-
tions familiales, allocation pour jeunes enfants, allocation de rentrée scolaire…), mais éga-
lement en permettant aux femmes de concilier la maternité et une activité professionnelle
(aide pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée, aide pour la garde à domicile…). Il
s’agit, par ces mesures, d’assurer le renouvellement des générations, de préserver un équi-
libre démographique satisfaisant (structure par âge de la population totale) et de se prému-
nir contre les conséquences d’un vieillissement trop accusé de la population. En gardant par
ailleurs à l’esprit que le dynamisme démographique du pays est un élément essentiel de la
pérennisation du financement du système de protection sociale ; ce sont les enfants d’au-
jourd’hui qui, devenus des adultes actifs, paieront les retraites de leurs parents46.
Concernant cette première fonction, des exemples historiques montrent au demeurant
qu’une politique familiale adéquate peut contribuer positivement à la relance de la na-
talité et de la croissance démographique. Ce fut le cas après la Seconde Guerre mondiale
avec le baby boom au cours duquel l’indice conjoncturel de fécondité s’est nettement re-
dressé pour s’établir durablement entre 2,5 et 3, même s’il est impossible d’imputer cette
relance marquée de la natalité au seul impact des mesures de politique familiale mises en
œuvre après la guerre47.
• Une fonction économique, au service des entreprises, qui revêt deux dimensions.
En premier lieu, en favorisant le renouvellement des générations, les politiques familiales
contribuent à assurer la reproduction dans le temps de la force de travail sociale en quan-
tité suffisante ainsi que l’élévation de sa qualification moyenne, en faisant bénéficier les
familles de dispositifs qui leur permettent de donner aux enfants une instruction satisfai-

46 De ce point de vue, la France qui a, avec l’Irlande, l’indice conjoncturel de fécondité le plus élevé des pays européens
devrait être moins confrontée que les autres pays européens au problème du vieillissement de la population et aux
conséquences qui en résultent quant au financement des régimes de retraite.
47 Dans leur rapport au Conseil d’analyse économique, M. Godet et E. Sullerot (2005) estiment cependant, à propos de la
France, que « son modèle de politique familiale mise en œuvre à la Libération, en dépit de ses insuffisances, a incontes-
tablement soutenu la démographie » (Analyses économiques, n° 5, 2005, p. 2).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 511


sante et dont le niveau moyen s’élève progressivement. Ce faisant, les politiques familiales
participent à l’accroissement de la productivité et à l’amélioration de l’efficacité du sys-
tème productif et, partant, au développement économique.
En second lieu, les dépenses effectuées au titre des politiques familiales, dans leur di-
versité, en relevant le revenu disponible des familles, contribuent à soutenir la demande
globale et à offrir des débouchés aux entreprises, avec les effets positifs qui en résultent
sur l’incitation à investir, le niveau de l’activité et celui de l’emploi. Cette contribution des
politiques familiales au dynamisme du système productif explique pourquoi, dès la fin de
la Seconde Guerre mondiale, elles ont été intégralement financées par des cotisations liées
à l’activité des entreprises.
• Une fonction sociale, en ce sens que les politiques familiales sont un instrument de main-
tien de la cohésion sociale en traduisant une solidarité sociale qui s’exprime à travers une
redistribution horizontale (des célibataires ou couples sans enfant vers les familles) et ver-
ticale (des plus aisés vers les familles nombreuses et à bas revenus).
En distribuant des suppléments de revenus aux ménages ayant des enfants à charge (allo-
cations familiales) afin de compenser une partie du coût de l’enfant, les politiques fami-
liales ont d’abord répondu à une logique de l’équité horizontale. Elles ont ensuite déve-
loppé une solidarité verticale en faveur des familles les plus démunies à travers la création
d’allocations sous conditions de ressources : complément familial, allocation parent isolé…
L’objectif est alors d’assurer un niveau de vie minimum à tous les enfants, la politique fa-
miliale s’intégrant en fait à la politique de lutte contre la pauvreté (cf. infra).
Cette politique tient compte de ce que le coût que représentent les enfants pour les fa-
milles est élevé. Selon le rapport au Conseil d’Analyse Économique de M. Godet et E. Sul-
lerot (2005), la venue des enfants se traduit pour les familles par une baisse de niveau de
vie qui est en moyenne de 10 % avec le premier enfant, de 10 % de plus avec le second
et de 5 à 10 % de plus par enfant supplémentaire à partir du troisième (id., p. 3). C’est
ainsi que « le niveau de vie d’une famille de référence « ouvriers » avec 3 et 4 enfants est
respectivement inférieur de 29 % et 39 % à celui d’un couple de même catégorie sociale
sans enfants » (id., p. 3). La politique familiale doit donc avoir pour objectif de compenser
le coût que supportent les familles du fait de leurs enfants, le coût de l’enfant étant défini
comme le supplément de revenu dont devrait pouvoir disposer une famille pour conserver
le niveau de vie qui était le sien avant l’arrivée de cet enfant. En pratique, c’est loin d’être
le cas. En moyenne, le surplus de revenu versé aux familles (allocations diverses et quotient
familial) est de 2 400 euros par an et de 5 000 euros pour les enfants de moins de 3 ans,
alors que les familles d’accueil prenant en charge des enfants que leur confie l’administra-
tion reçoivent à cet effet une somme de 15 000 euros par an.
Selon les études disponibles, le taux de compensation du coût de l’enfant varierait avec le
niveau de revenu des familles, sous l’hypothèse que le coût de l’enfant est proportionnel
au revenu primaire des ménages et qu’il évolue donc en parallèle à celui-ci. Pour une fa-
mille monoparentale, au RMI, avec deux enfants, la compensation atteindrait 95 %. Elle
diminue ensuite avec la hausse du revenu et notamment à partir d’un revenu égal à 2,5
fois le SMIC (Mills et Caudron, 2007, p. 109). Mais elle demeure relativement élevée pour
les familles nombreuses ayant de hauts revenus du fait de l’impact du quotient familial.
Pour les familles de trois enfants gagnant 15 fois le SMIC, elle serait encore de 64 % (idem).

512 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


L’étude de P. Chevalier et alii (2006, p. 18) déjà évoquée montre par ailleurs que « les
couples avec enfants ont en général un niveau de vie plus faible que celui des couples sans
enfant. Les prestations familiales ne compensent donc pas en général la perte de niveau de
vie liée à la présence d’enfants ». Le niveau de vie des ménages tend par ailleurs à décroître
au fur et à mesure que l’âge des enfants s’élève.

Pour importantes que soient les différentes fonctions reconnues aux politiques familiales,
il faut cependant souligner que la part des dépenses auxquelles elles donnent lieu dans
le PIB, à la différence des autres dépenses de protection sociale, est en régression ; elle
est passée de 4,9 % en 1959 à 4 % en 1999 et à 3,4 % en 2007. L’évolution des dépenses
liées aux politiques familiales depuis la Seconde Guerre mondiale fait ainsi apparaître un
renversement de certaines priorités. Alors qu’elles représentaient près de 50 % du total
des dépenses sociales en 1950 et encore un tiers de ces dépenses en 1960, elles sont tom-
bées à 11,8 % du total des prestations de protection sociale en 2006 (aides monétaires au
logement comprises).
Il faut cependant tenir compte de ce que la politique familiale, en France, passe également
par une mesure fiscale importante, le quotient familial qui, pour le calcul de l’impôt sur le
revenu des personnes physiques, décompose le ménage imposable en parts fiscales avec
attribution d’une part pour chaque adulte, une demi-part pour le premier et le second
enfant et une part à partir du troisième enfant. Ce dispositif joue un rôle important dans
la mise en œuvre du principe d’équité horizontale, puisqu’il aboutit à alléger fortement la
charge fiscale qui pèse sur les familles relativement à celle que supportent les personnes
sans enfant à charge. À titre d’exemple, avec ce dispositif, une famille ayant trois enfants,
ce qui représente 4 parts fiscales, paiera le même impôt sur le revenu qu’un célibataire
sans enfant dont le revenu imposable est quatre fois plus faible que celui de la famille
considérée. Ce dispositif particulier est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent que la
moitié des ménages français ne soit pas assujettie à l’IRPP. Il avantage cependant plus par-
ticulièrement les revenus élevés, ce que certains analystes justifient en faisant valoir que
le coût d’un enfant augmente avec les revenus familiaux (sa formation, ses loisirs sont plus
coûteux, l’équipement de sa chambre est plus onéreux…).
Outre l’impact de la dynamique spécifique de développement des autres composantes
des dépenses sociales (santé, vieillesse…), cette diminution du poids des dépenses liées
aux politiques familiales dans l’ensemble des dépenses sociales est due à la disparition des
familles nombreuses : le nombre de familles de 3 enfants et plus a diminué de 21 % entre
1962 et 1999, celui des familles de 4 enfants ou plus de 56,5 %. On ne peut cependant en
déduire que les politiques familiales seraient devenues un élément marginal des politiques
sociales et seraient condamnées à disparaître à plus ou moins long terme. Malgré leur
incontestable mais relatif recul, les politiques familiales demeurent néanmoins une com-
posante importante des politiques sociales. Les flux financiers en jeu sont loin d’être né-
gligeables : 61,8 milliards d’euros en 2006 (en incluant les aides monétaires au logement)
auxquels il faudrait ajouter les effets du quotient familial et des autres mesures fiscales.
Leur part dans le PIB national demeure sensiblement plus élevée que dans la plupart des
autres pays de l’Union européenne. Selon Eurostat, en 2002, la France se classait ainsi au
4ème rang de l’Union européenne à 25 pour le poids des dépenses consacrées aux politiques
familiales (prestations familiales + logement) dans le PIB (4,25 %), derrière le Danemark

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 513


(5,79 %), le Luxembourg (4,35 %) et la Suède (4,55 %) (Mills et Caudron, 2007, p. 104).
Le champ des politiques familiales ne peut par ailleurs être réduit aux seules prestations
sociales évoquées précédemment. Il s’étend également à la réalisation d’équipements pu-
blics, à la construction de logements et à la production de services collectifs liés de manière
évidente aux autres domaines de la vie sociale : politique du logement, politique de santé,
politique de prise en charge de la petite enfance, politique d’éducation et de formation.
Il intègre également les réformes législatives concernant le code de la famille qui entéri-
nent, généralisent et finissent par faciliter les mutations familiales et les transformations
profondes des comportements familiaux qui se font jour. Ainsi, depuis les années 1960, un
certain nombre de lois ont confirmé et accéléré le processus d’individualisation croissante
des relations conjugales, fondé sur l’autonomie des époux, le respect et la valorisation de la
personnalité de chacun : la loi du 13 juillet 1965 a mis fin à l’incapacité de la femme mariée,
celle du 4 juin 1970 a substitué l’autorité parentale à la puissance paternelle. La maîtrise de
la fécondité a été favorisée par l’adoption, en 1967, de la loi Neuwirth qui autorise la contra-
ception et, en 1975, de la loi Veil légalisant l’interruption volontaire de grossesse. La loi du
11 juillet 1975 qui autorise le divorce par consentement mutuel ainsi que les dispositifs qui
participent à la reconnaissance du concubinage en matière d’autorité parentale (1987) et
de fiscalité (1995) s’inscrivent dans la tendance à la diversification des modèles familiaux et
à l’assouplissement des liens matrimoniaux. Les politiques familiales ont ainsi globalement
accompagné les mutations des structures familiales : familles monoparentales, familles re-
composées, union libre… et, de ce fait, ont participé à la reconnaissance sociale de nouveaux
modèles familiaux.
Parmi les principales évolutions qu’a subies la famille en France au cours des dernières décen-
nies, soulignons en particulier :
1) la diminution du nombre de mariages, passé de 394 000 en 1970 à 266 000 en 2004
(parallèlement, le taux de nuptialité mesurant le nombre de mariages pour 1 000 ha-
bitants a fortement baissé, passant de 7,0 en 1960 à 4,3 en 2004) ;
2) l’augmentation de l’âge moyen au premier mariage (30,9 ans pour les hommes et 28,8
ans pour les femmes en 2004 contre respectivement 24,7 ans et 22,6 ans en 1970) :
3) l’augmentation du nombre de divorces (40 000 en 1970 et 125 000 en 2003, soit en fait 42
divorces pour 100 mariages en 2003 contre 12 divorces pour 100 mariages en 1970), tandis
que, par ailleurs, plus de 130 000 pactes civils de solidarité (PACS) ont déjà été signés dans
les tribunaux d’instance ;
4) l’augmentation très forte du nombre de naissances hors mariage (48,3 % du total des
naissances en 2005 contre 7 % du total des naissances en 1970, tandis que près de 60 %
des aînés sont nés hors mariage en 2005) ;
5) l’élévation de l’âge moyen des femmes à la naissance du premier enfant (29,7 ans en 2005
contre 26,5 ans en 1970) ;
6) l’augmentation de la part des familles monoparentales dans le total des familles (18,6 %
des familles en 1999 contre 9,4 % en 1970) ;
7) la très forte augmentation du taux d’activité des femmes puisque plus de 80 % des femmes
âgées de 25 à 49 ans ont une activité professionnelle.

514 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


La définition et la mise en œuvre des politiques familiales ne va cependant pas sans heurts
ni conflits. Les politiques familiales sont un enjeu à la fois économique, social et politique
comme en atteste l’histoire récente avec, par exemple, les débats à propos de la mise sous
conditions de ressources des allocations familiales, décidée en juin 1997 par le gouverne-
ment de Lionel Jospin mais abandonnée sous la pression des mouvements familiaux et de
certains acteurs sociaux48, ou encore les polémiques autour du pacte civil de solidarité qui
autorise depuis 1999 deux personnes vivant en couple à conclure un contrat pour organi-
ser leur vie commune49.

B - L’évolution des politiques familiales vers des politiques de lutte contre la


pauvreté et l’exclusion
Les trois dernières décennies ont été marquées par une évolution significative des poli-
tiques familiales vers des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, évolution qui
s’est reflétée dans celle de la structure des dépenses correspondantes et qui est allée de
pair avec l’augmentation de la part du financement provenant de la fiscalité : réduction
des cotisations patronales d’allocations familiales, remplacées par la CSG50.
Alors que l’indice conjoncturel de fécondité baissait, ce qui aurait justifié de renforcer la
politique familiale comme moyen de soutenir la croissance démographique et partant la
croissance économique, l’objectif démographique privilégiant la fonction reproductrice
de la famille a été délaissé depuis le milieu des années 1990. Les deux dernières mesures
d’inspiration nataliste furent l’attribution en 1986 d’une part entière au troisième enfant
dans le calcul de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (cf. supra) et l’institution
en 1993 de l’allocation parentale d’éducation pour celui des parents qui cesse de travailler
pour élever le deuxième enfant. Il est difficile de mesurer l’impact réel qu’elles ont eu sur
la fécondité dont on sait qu’elle s’est sensiblement redressée dans la dernière période,
puisque l’indicateur conjoncturel de fécondité qui était tombé à 1,68 en 1994 est remonté
à 1,94 enfant par femme en 2005 et 2 en 200651. En revanche, il semble bien que l’institu-
tion de l’allocation parentale d’éducation (APE), remplacée depuis par le complément de
libre choix d’activité (CLCA) de la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE), qui concerne

48 L’échec de cette mesure a cependant été contrebalancé par un abaissement du plafond de l’avantage fiscal par enfant
procuré par le quotient familial, ramené, en 1999, suivant en cela la proposition du rapport Thélot-Villac, de 16 380
francs à 11 000 francs par enfant et par an. Il s’agit, ce faisant, de rendre moins anti-redistributif le quotient familial dont
la logique aboutit à une réduction d’impôt d’autant plus forte à nombre égal d’enfants que le revenu est plus élevé.
49 Au cours des débats qui ont précédé l’adoption de ce nouveau dispositif, certains n’ont pas hésité à affirmer qu’il signifiait
la mort de la famille (traditionnelle), cellule de base de la société.
50 Comme le souligne C. Mills, les objectifs initiaux de la politique familiale, c’est-à-dire principalement le soutien à la
natalité, en particulier par la réduction du coût de l’enfant et la préservation d’une possibilité d’activité professionnelle
pour les femmes, ont « progressivement glissé vers des objectifs sociaux de lutte contre la pauvreté et l’exclusion » (2001,
p. 31). Cela se reflète dans l’augmentation de la part des prestations sous conditions de ressources à la charge de la CNAF
dans le total des prestations familiales qui est passée de 12 % en 1970 à 60 % à la fin des années 1990.
51 Rappelons que l’indicateur conjoncturel de fécondité est obtenu en faisant la somme de la totalité des taux de fécondité
par âge pour une année donnée. Il indique le nombre d’enfants qu’aurait en moyenne chaque femme d’une génération
fictive, avec les taux de fécondité par âge observés au cours de l’année considérée pendant la totalité de sa période de vie
féconde (15-49 ans). Il faut souligner par ailleurs que la descendance finale des femmes nées en 1960 est de 2,09 enfants,
soit en fait pratiquement le chiffre qui correspond au seuil de renouvellement des générations (2,1 enfants par femme).
Mais il semble par ailleurs que cette descendance finale soit inférieure au nombre moyen d’enfants effectivement souhaité
qui serait de l’ordre de 2,3 - 2,4 enfants (Lefèvre et Filhon, 2005). Cela laisse supposer qu’une politique familiale plus
active pourrait avoir des résultats significatifs en termes de taux de fécondité et de descendance finale des Françaises.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 515


essentiellement les femmes (dans 99 % des cas actuellement en France), a eu des réper-
cussions sur leur comportement d’activité. Pour les femmes peu qualifiées et/ou percevant
de faibles rémunérations, cette allocation a pu en effet fonctionner comme une incitation
au retrait d’activité, préparant ainsi ces femmes à venir grossir la catégorie des pauvres au
moment de la retraite52. S’ajoute à cela l’incidence de la « familialisation » de certaines
prestations sociales, et en particulier des minima sociaux, c’est-à-dire le fait que leur ver-
sement soit conditionné par le revenu familial et non par celui du seul bénéficiaire direct
de la prestation, à la différence de ce qui se produit dans un système d’individualisation
des prestations sociales. Cette familialisation des prestations peut en effet aboutir dans
certains cas à désinciter certaines personnes à reprendre un emploi, dans la mesure où
cette reprise d’activité a pour conséquence de faire perdre à un autre membre de la cellule
familiale le bénéfice de certaines prestations sous conditions de ressources.
On assiste en fait à un recentrage progressif des politiques familiales sur une redistribution
verticale fournissant une aide aux familles les plus démunies au détriment d’une redistri-
bution horizontale (des adultes sans enfants vers les chargés de famille), laquelle allait de
pair avec le principe d’universalité (impliquant que les allocations familiales soient versées
aux familles quel que soit le niveau de revenus) sur lequel avait été fondée initialement la
politique familiale en France. L’orientation vers cette fonction d’assistance s’est affirmée
progressivement à partir des années 1975 avec la création de prestations sous conditions
de ressources (l’allocation parent isolé en 1976). Elle a été confirmée par le plan Juppé
(1995-1996), qui a soumis l’ensemble du dispositif de l’allocation pour jeune enfant53 à un
plafond de ressources (de l’ordre de 14 000 francs de revenus mensuels)54, et par le plan
Aubry (1997-1998) qui proposait de mettre sous conditions de ressources les allocations fa-
miliales et leur faire ainsi perdre leur caractère universel55. Même si cette dernière mesure
a finalement été abandonnée en raison des fortes résistances sociales qu’elle a suscitées,
elle atteste bien de l’évolution progressive de la politique familiale vers une politique d’as-
sistance aux plus démunis.
Cette réorientation des politiques familiales et leur inscription dans les politiques de lutte
contre la pauvreté et la précarité s’est accompagnée de la fiscalisation croissante de leur
financement. Dès le début des années 1980 a commencé à être avancée l’idée selon la-
quelle les politiques familiales ne concerneraient pas les entreprises en tant que telles et
que leur financement devrait par conséquent être pris intégralement en charge par la
fiscalité (rapport de Guy Lescure et D. Strauss-Kahn de 1981). En 1992-1993 le projet Scha-
mard-Balladur proposait la suppression pure et simple de la cotisation des employeurs aux
allocations familiales : idée reprise plus récemment dans le projet de refondation sociale
du MEDEF (2001). Cette nouvelle orientation en matière de financement des politiques
familiales a été favorisée par l’existence d’excédents structurels de la CNAF jusqu’en 199356
(sauf 1981 et 1982 à la suite de la forte revalorisation des prestations familiales décidée

52 Le taux d’activité des mères de deux enfants a diminué. On perçoit ici les liens qui peuvent exister entre politiques
familiales et politiques de l’emploi, les effets des premières pouvant s’inscrire dans la logique d’une politique de lutte
contre le chômage (politique de retrait d’activité).
53 Devenue la prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE) avec la prime à la naissance ou à l’adoption et l’allocation de
base qui sont l’une et l’autre sous conditions de ressources.
54 Jusqu’à cette date, seule l’APSE « longue » (c’est-à-dire de 6 mois à 3 ans) était soumise à conditions de ressources ; l’APSE
« courte » du 4ème mois de grossesse jusqu’aux 6 mois de l’enfant était versée sans conditions de ressources.
55 Le plafond de ressources au-dessus duquel le ménage ne pouvait plus percevoir les allocations familiales avait été fixé
initialement à 25 000 francs par mois.
56 Les excédents de la CNAF servant à équilibrer les comptes du régime général de la Sécurité sociale.

516 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


par le gouvernement de Pierre Mauroy). De fait, les cotisations des employeurs pour les
allocations familiales n’ont cessé de diminuer. Elles sont passées de 16 % du salaire brut en
1946 à 9 % en 1970 pour atteindre 5,4 % en 1991 (et encore aujourd’hui), le basculement
s’étant opéré sur la contribution sociale généralisée (CSG), créée en 1991, qui pèse sur les
revenus des ménages et dont la première tranche de 1,1 % fut affectée au financement
des prestations familiales.
Ainsi l’originalité française qui, pour des raisons historiques57, impliquait fortement les
entreprises dans le financement des politiques familiales s’estompe progressivement avec
une intervention croissante de l’État dans la gestion des familles destinée à compenser,
d’une part, l’impact de la taille des familles qui peut être à l’origine d’une baisse du niveau
de vie dans les familles modestes et, d’autre part, les effets d’exclusion qui accompagnent
les mutations des structures familiales aujourd’hui plus instables et plus diversifiées. Les
politiques familiales s’adressent de plus en plus aux citoyennes et aux citoyens, de moins
en moins aux travailleuses et aux travailleurs. Elles concernent de moins en moins les en-
treprises et témoignent de l’intervention accrue de l’État dans des modes de vie de plus en
plus individualistes. Cette évolution est une manifestation de l’éloignement progressif du
système français de protection sociale du modèle bismarckien et du rapprochement avec
le modèle beveridgien.
Cette modification du mode de financement des politiques familiales n’a pas été sans effet
sur la situation financière de la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). La baisse
des cotisations familiales patronales et la montée massive des exonérations des charges
patronales sur les bas salaires auxquelles se sont ajoutées la loi sur la famille de 1994 (qui a
entraîné 15 milliards de francs de dépenses non financées) ainsi que la montée du coût de
l’AGED, particulièrement favorable aux familles aisées58, ont abouti à une véritable mise en
déficit de la CNAF au cours de la décennie 1990. Excédentaire de 10,66 milliards de francs
en 1993, la CNAF devient déficitaire et le reste jusqu’en 1998 (avec un déficit record de
38,90 milliards de francs en 1995). Elle redevient excédentaire en 1999 et le reste jusqu’en
2003, pour retrouver le déficit à partir de 2004.

La prestation d’accueil du jeune enfant (PAJE)


Ce nouveau dispositif s’est substitué à l’allocation pour jeune enfant (APJE), l’allocation parentale d’édu-
cation (APE), l’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle agréée (AFEAMA) et l’aide à la
garde d’enfant à domicile (AGED). Il se décompose en trois éléments :
• la prime à la naissance (889,72 euros en 2008), versée en une seule fois lors du septième mois de gros-
sesse et sous conditions de ressources, ;
• l’allocation de base (177,95 euros par mois), versée, sous conditions de ressources, de la naissance de
l’enfant à son troisième anniversaire ;
• le complément de libre choix qui permet à l’un des parents de cesser son activité professionnelle
jusqu’aux trois ans de l’enfant ou de rester en activité en percevant le complément de libre choix

57 La création des sursalaires familiaux par les patrons du XIXe siècle évoquée antérieurement.
58 L’AGED, créée en 1986, aboutissait à reporter sur la CNAF et l’État l’essentiel du coût représenté par la garde d’enfant.
Sur un coût total d’approximativement 9 800 francs par mois, 7 500 francs étaient en moyenne à la charge de la CNAF
et de l’État, la famille ne participant que pour les 2 300 francs restants. Après une première réforme en 1999, destinée à
en alléger le coût pour les finances de l’État, le dispositif a été supprimé en 2004 à la suite de la création de la prestation
d’accueil du jeune enfant (PAJE) en 2003.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 517


du mode de garde qui peut être perçu jusqu’aux six ans de l’enfant. Ce complément de libre choix
d’activité ne peut être perçu que si au moins l’un des deux parents exerce une activité professionnelle
rémunérée.

paragraphe 2 : les politiques de lutte contre la pauvreté et


l’exclusion

La lutte contre la pauvreté et l’exclusion correspond à l’ensemble des interventions sociales


ayant pour objet d’aider les individus à faire face à des situations de précarité et à la pau-
vreté59. Elle s’est traduite plus spécifiquement par la mise en place progressive de divers
minima sociaux (A). Comme leur dénomination le suggère explicitement, l’objet de ces mi-
nima sociaux est d’assurer un minimum de ressources aux personnes qui, pour des raisons
diverses liées aux aléas de la vie, se trouvent en fait dépourvues des revenus procurés par
le travail ou le patrimoine. L’archétype en est le RMI. Leur montant respectif est tel qu’ils
ne peuvent cependant garantir par eux-mêmes aux personnes qui les perçoivent des condi-
tions de vie réellement décentes. Cela explique pour partie60 qu’un nombre important de
Français vivent encore aujourd’hui avec un revenu inférieur à celui qui correspond au seuil
de pauvreté (B), malgré l’impact redistributif du système de protection sociale (C).

A - Les minima sociaux


Ils sont destinés à des personnes en difficulté afin de leur permettre de subsister en leur
assurant un revenu minimal. Ce sont des prestations non contributives (leur versement
n’est pas la contrepartie de cotisations sociales liées à l’activité du bénéficiaire) qui sont
versées sous conditions de ressources et qui prennent la forme d’une allocation différen-
tielle. Dans les comptes de la protection sociale, à l’exception notable du RMI, ils ne sont
pas classés dans les dépenses de protection contre le risque « pauvreté-exclusion » mais
dans la catégorie de prestations sociales auxquelles ils sont assimilés (par exemple, l’alloca-
tion adulte handicapé dans les prestations du risque santé, le minimum vieillesse dans les
prestations du risque vieillesse...).
Ils sont actuellement au nombre de neuf et ont été créés pour la plupart depuis les années
1970, à l’exception du minimum vieillesse créé dès 1956.
• L’allocation supplémentaire vieillesse : instituée en 1956, elle est destinée aux personnes
âgées de plus de 65 ans dont les droits à l’assurance vieillesse sont très faibles ou nuls et
59 Il faut cependant souligner d’emblée que la définition et la mesure de la pauvreté se heurtent à des difficultés. Comme
le soulignent Sarah Bouquerez et Pierre-Alain de Mallerez, la pauvreté « est un phénomène multiforme, difficile à
cerner avec exactitude ». On peut l’appréhender et la mesurer objectivement en termes de revenu dont disposent les
individus, mais elle a également une dimension subjective conditionnée par des représentations sociales qui « varient
selon les contextes et les pays » (idem). Ce qui explique la définition de la pauvreté retenue par un Conseil européen de
1984 : « Des personnes vivent dans des situations de pauvreté si leur revenu et leurs ressources matérielles, culturelles
et sociales sont à ce point insuffisants qu’ils les empêchent d’avoir des conditions acceptables dans le pays-membre où
elles vivent » (cité par Le Monde, 10-05, 2006, p. 15).
60 Mais pour partie seulement car il faut également tenir compte de l’impact de la détérioration de l’emploi sur la situa-
tion de nombreux salariés condamnés aux CDD, au travail à temps partiel et à l’enchaînement de petits boulots qui, en
pratique, bien que généralement rémunérés au SMIC, ne permettent pas aux intéressés de percevoir un revenu mensuel
égal au SMIC en raison de l’insuffisance du nombre d’heures travaillées en moyenne.

518 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


vise à leur assurer un niveau de revenu égal au minimum vieillesse fixé à 7194 euros par
an pour une personne seule au 1er janvier 2008. Elle est remplacée depuis le 1er janvier
2007 par l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)
• L’allocation supplémentaire d’invalidité : instituée en 1957, elle est destinée aux per-
sonnes attributaires d’une pension d’invalidité versée par le régime de Sécurité sociale
pour incapacité permanente.
• L’allocation adulte handicapé (AAH) : créée en 1975, elle est destinée aux handicapés
ne bénéficiant pas d’un avantage vieillesse ou d’une rente d’accident du travail.
• L’allocation de parent isolé (API) : instituée en 1976, elle est destinée aux personnes
élevant seules un ou plusieurs enfants (enfants de moins de trois ans ou, dans certains
cas, de trois ans ou plus, enfants à naître également)61.
• L’allocation veuvage : créée en 1980, elle est destinée aux conjoints survivants d’assurés
sociaux décédés qui sont trop jeunes pour percevoir une pension de réversion (52 ans
actuellement).
• L’allocation d’insertion devenue allocation temporaire d’attente (ATA) : créée en 1984,
c’est une allocation chômage d’une durée maximale d’un an destinée aux demandeurs
d’asile (70 % des allocataires), rapatriés, réfugiés, victimes d’accidents du travail ou de
maladies professionnelles et détenus libérés.
• L’allocation de solidarité spécifique (ASS) : créée en 1984, elle est destinée aux anciens
chômeurs parvenus en fin de droits et qui ont travaillé au moins 5 ans au cours des 10
années précédant le chômage. Son montant, identique à celui du RMI, est de 14,25
euros par jour (433 euros par mois). Elle est attribuée sous conditions de ressources ; le
bénéficiaire ne doit pas dépasser un plafond de revenus de 949 euros par mois pour une
personne seule et 1 491 euros pour un couple. La réforme de l’ASS de 2004, qui visait à
limiter à 2 ans la durée du bénéfice de l’allocation, a été suspendue sur intervention du
Président de la République de l’époque, J. Chirac. Pour les personnes de 55 ans ayant eu
au moins 20 années d’activité salariée et pour celles de 57,5 ans ayant au moins 10 ans
d’activité salariée, l’ASS est majorée (20,46 euros par jour). Le droit à l’ASS cesse à 60
ans, le bénéficiaire devant alors liquider sa retraite62.
• Le revenu minimum d’insertion (RMI) et le revenu minimum d’activité (RMA). Le RMI,
créé en 1988, est destiné aux personnes âgées d’au moins 25 ans ou ayant en charge un
ou plusieurs enfants qui répondent à certaines conditions de ressources. Il est de 433 eu-
ros par mois pour une personne seule. Le RMA a été créé en arguant du relatif échec du
RMI à réaliser l’insertion effective de ses bénéficiaires (un allocataire sur deux n’ayant
pas de contrat d’insertion), afin de favoriser l’insertion professionnelle de RMIstes ne
pouvant accéder à l’emploi dans les conditions ordinaires du marché du travail et pour
lesquels un temps d’adaptation est nécessaire. Il s’agit d’un contrat d’insertion (l’inti-
tulé complet du nouveau dispositif est en fait « contrat d’insertion-revenu minimum
61 L’API est versée dans 10 % des cas à une femme enceinte sans conjoint et dans 70 % des cas à un parent seul pour élever
un enfant de moins de trois ans. Dans ces deux cas, l’API est versée jusqu’aux trois ans de l’enfant (API « longue »). Dans
20 % des cas, elle est versée, pendant un an (API « courte »), à des parents ayant des enfants âgés de plus de trois ans.
62 À fin 2003, 420 000 personnes percevaient l’ASS dont un tiers depuis plus de 5 ans et un dixième depuis plus de 10 ans.
L’application stricte de la réforme de 2004 aurait conduit à exclure de l’ASS environ 130 000 personnes qui n’auraient eu
d’autre recours que le RMI. Mais les conditions pour obtenir ce dernier sont beaucoup plus restrictives que pour l’ASS : le
plafond de ressources conditionnant l’attribution du RMI est en effet de 649 euros pour un couple sans enfant (contre 1 491
euros pour l’ASS). Alors que dans un couple sans enfant, si l’un des deux est salarié au SMIC (à temps plein), le second peut
percevoir l’ASS, ce n’est pas le cas avec le RMI. Parmi les allocataires de l’ASS à fin décembre 2005, 89 % étaient inscrits
au chômage depuis au moins 2 ans et 68 % depuis au moins 3 ans (DREES, Études et résultats, n° 539, novembre 2006).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 519


d’activité » (CI-RMA) par lequel une personne allocataire du RMI depuis au moins un
an peut bénéficier d’un contrat aidé dans le secteur marchand. Sa durée ne peut ex-
céder 18 mois (6 mois renouvelables éventuellement 2 fois). Il correspond à une durée
de travail hebdomadaire d’au moins 20 heures avec rémunération sur la base du SMIC
horaire, au prorata du nombre d’heures effectuées. L’employeur, privé ou public hors
État, qui doit avoir passé une convention avec le département, perçoit une aide égale
au montant du RMI et est exonéré des cotisations sociales sur le montant du salaire qu’il
verse au RMAste. Selon les estimations réalisées en 2004 au moment de la mise en place
du dispositif, le coût réel pour l’employeur de l’emploi d’un RMAste était de l’ordre de
184 euros par mois. Ce nouveau dispositif n’a cependant suscité jusqu’à présent qu’un
intérêt très limité et, en mars 2007, on recensait 11 000 CI-RMA, pour approximative-
ment 1 200 000 RMI, auxquels s’ajoutaient 62 000 personnes ayant un droit ouvert au
RMI qui bénéficiaient d’un contrat d’avenir.
• Le revenu de solidarité (RSO) : créé en 2001, c’est un minimum social spécifique aux
DOM. Il est destiné aux personnes qui bénéficient du RMI depuis au moins deux ans,
âgées de plus de 50 ans et n’exerçant pas d’activité professionnelle.
• L’allocation équivalent-retraite : créée en 2002, elle est destinée aux chômeurs âgés de
moins de 60 ans mais qui ont déjà cotisé 160 trimestres à l’assurance-vieillesse. Elle est
plus avantageuse que l’ASS.

Tableau 9.4

Evolution du nombre des allocataires de minima sociaux entre 2004 et 2006


(France entière)
2004 2005 2006
Ensemble des minima sociaux 3 425 000 3 512 900 3 503 000
revenu minimum d’insertion 1 238 500 1 289 500 1 278 800
Allocation aux adultes handicapés 786 100 801 000 804 000
Allocation supplémentaire vieillesse 621 600 609 400 598 500
Allocation de solidarité spécifique 369 900 401 600 393 200
Allocation de parent isolé (API) 196 800 206 100 217 500
Allocation supplémentaire.. 111 500 112 600 111 400
d’invalidité
Allocation d’insertion et allocation 48 100 34600 22 500
temporaire d’attente
Allocation équivalent retraite – 32 300 41 500 60 100
remplacement (AEr)
Allocation veuvage 11 400 6 000 6 100
revenu de solidarité (rSO) 9 100 10 000 11 000

Allocation veuvage : estimation DREES pour 2005 et 2006 ; Allocation supplémentaire de vieillesse : estimations
DREES pour 2006.
ASS, AER, AI, ATA : données provisoires 2006.
Sources : CNAF, MSA, Unédic (FNA), CNAMTS, CNAV ; Etudes et résultats, n° 617, décembre 2007.
Les dépenses correspondant à ces divers minima sociaux relèvent de l’expression de la soli-
darité nationale à l’égard des plus faibles et des plus démunis et sont financées par l’impôt.
Elles ont connu une forte augmentation à partir de 1988 avec la création du RMI dont le
nombre d’allocataires est en moyenne supérieur à 900 000 depuis 1996. Au 31 décembre
2005, 3,5 millions de personnes percevaient l’un des minima sociaux ou le revenu de solida-
rité, ces minima sociaux bénéficiant en réalité à environ 6 millions de personnes en tenant

520 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


compte des ayants droit (conjoints et enfants) (tableau 9.4). Le nombre de bénéficiaires
respectivement du RMI et du minimum vieillesse a sensiblement évolué depuis le début des
années 1990 : le premier a fortement augmenté (il a été presque multiplié par 3), tandis
que le second diminuait régulièrement (il a été réduit de moitié du fait de l’amélioration
progressive des droits à pension des personnes atteignant l’âge de la retraite). Le nombre
d’allocataires de l’AAH a également augmenté de manière significative.

B – La persistance de la pauvreté
Les données disponibles montrent qu’un nombre relativement important de ménages
français vivent encore aujourd’hui en dessous du seuil de pauvreté (a) et que l’exercice
régulier d’une activité professionnelle ne protège pas nécessairement contre la pauvreté
dont peuvent être également victimes les travailleurs pauvres (b).

a - Le seuil de pauvreté
Le seuil de pauvreté est fixé officiellement en France à 50 % du revenu médian (c’est-à-dire
du revenu pour lequel la moitié des titulaires de revenus perçoit plus et l’autre moitié moins),
ce revenu étant calculé par unité de consommation et avant impôts et transferts sociaux. Le
calcul qui permet de déterminer si un ménage vit ou non en dessous du seuil de pauvreté
s’effectue en tenant compte de la composition du ménage considéré. On détermine en fait
le niveau de vie ou le pouvoir d’achat de chacune des personnes qui constituent le ménage
en se référant au nombre d’unités de consommation qui correspond à ce ménage, selon
l’échelle suivante retenue par l’OCDE : le premier adulte compte pour 1, les autres adultes
et enfants de plus de 14 ans pour 0,5 chacun et les enfants de moins de 14 ans pour 0,3. Une
famille constituée d’un couple et de trois enfants de moins de 14 ans représente ainsi 2,4
unités de consommation. On divise le revenu global du ménage par le nombre d’unités de
consommation auquel il correspond pour déterminer le revenu par unité de consommation.
Celui-ci est ensuite comparé au revenu médian. Soulignons par ailleurs que, si en France le
seuil de pauvreté et fixé à 50 % du revenu médian par unité de consommation, Eurostat, au
sein de l’Union européenne, fixe le seuil de pauvreté à 60 % du revenu médian. En 2005, le
seuil de pauvreté à 50 % du revenu médian correspondait à un revenu de 681 euros par mois
pour une personne seule (817 euros par mois pour un seuil à 60 %) (tableau 9.5).

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 521


Tableau 9.5
Seuils de pauvreté

1970 1975 1979 1984 1990 1996 2000 2002 2002 2003 2004 2005
rétro
Euros Seuil à 439 551 636 660 705 720 764 799 805 805 803 817
constants 60%
2005
Seuil à 365 460 530 550 587 600 637 666 671 671 669 681
50%
Euros Seuil à 73 140 234 412 542 628 695 752 758 774 788 817
courants 60%
Seuil à 61 117 195 343 452 524 579 627 632 645 657 681
50%
Note : L’ERF 2002 rétropolée correspond, avec les enquêtes suivantes, au début d’une nouvelle série de statistiques
sur les revenus, s’appuyant sur les résultats annuels du recensement de la population. Cette nouvelle série prend par
ailleurs en compte les revenus soumis à prélèvement libératoires.
Champ : individus des ménages dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence n’est
pas étudiante.
Source : enquêtes revenus fiscaux 1970, 1975, 1979, 1984, 1990 et de 1996 à 2005 INSEE-DGI.

En 1970, selon l’enquête sur les revenus fiscaux réalisée par l’INSEE, 2,491 millions de mé-
nages sur un total de 16,2 millions (soient 15,7 % du total) vivaient en dessous du seuil de
pauvreté (seuil à 50 % du revenu médian : 439 euros constants de 2005 par mois et par unité
de consommation). Ce chiffre a diminué jusque dans les années 1980 (1,486 million en 1990),
en raison principalement de la hausse progressive du minimum vieillesse qui a abouti à ce
qu’un grand nombre de ménages dont la personne de référence était une personne âgée
a pu franchir (de peu) le seuil de pauvreté. Il a ensuite remonté légèrement, pour s’établir
à 1,582 million en 2000 et 1,682 million en 2005 (tableau 9.6). En 2005, 3,733 millions d’in-
dividus (6,7 % de la population totale) étaient en situation de pauvreté pour un seuil de
pauvreté à 50 % du revenu médian (7,136 millions pour un seuil à 60 %)63 (tableau 9.6 et
graphique 9.8).

63 Pour l’Union européenne, et pour un seuil de pauvreté fixé à 60 % du revenu médian du pays européen considéré (lequel
varie donc très fortement d’un pays à l’autre), ce sont 72 millions de personnes, soient 16 % de la population européenne
totale, qui vivaient en 2003 en dessous du seuil de pauvreté, avec des écarts importants entre pays : 21 % de la popula-
tion totale pour la Grèce et l’Irlande, 19 % pour l’Italie, le Portugal et l’Espagne, 18 % pour le Royaume-Uni, 13 % pour
l’Autriche, 12 % pour les Pays-Bas et la France, 11 % pour le Danemark, la Suède et la Finlande, 8 % pour le Luxembourg.

522 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


TAbLEAU 9.6
Indicateurs de pauvreté : évolution de 1970 à 2005

Nombre de ménages Nombre de personnes Taux de pauvreté (en %)


pauvres (en milliers) pauvres (en milliers)
Seuil à Seuil à Seuil Seuil à Seuil à Seuil à
60 % 50 % à 60 % 50 % 60 % 50 %
1970 3 435 2 491 8 649 5 785 17,9 12,0
1975 3 391 2 170 8 491 5 194 16,6 10,2
1979 2 787 1 660 7 454 4 359 14,2 8,3
1984 2 587 1 501 7 235 4 154 13,5 7,7
1990 2 960 1 486 7 848 3 751 13,8 6,6
1996 2 926 1 508 7 628 4 089 13,5 7,2
1997 2 957 1 483 7 611 3 925 13,4 6,9
1998 2 913 1 548 7 275 3 806 12,8 6,7
1999 2 899 1 510 7 065 3 641 12,3 6,4
2000 3 001 1 582 7 328 3 742 12,7 6,5
2001 2 934 1 514 7 167 3 557 12,4 6,1
2002 3 097 1 626 7 147 3 493 12,2 6,0
2002 2 971 1 563 6 976 3 431 12,0 5,9
rétropolée*
2003 2 922 1 570 7 015 3 694 12,0 6,3
2004 2 893 1 608 6 867 3 635 11,7 6,2
2005 3 058 1 682 7 136 3 733 12,1 6,3
Note : L’ERF 2002 rétropolée correspond, avec les enquêtes suivantes, au début d’une nouvelle série de statistiques
sur les revenus, s’appuyant sur les résultats annuels du recensement de la population. Cette nouvelle série prend par
ailleurs en compte les revenus soumis à prélèvements libératoires.
Champ : individus des ménages dont le revenu déclaré au fisc est positif ou nul et dont la personne de référence
n’est pas étudiante.
Sources : INSEE : enquêtes revenus fiscaux 1970, 1975, 1979, 1984, 1990 et de 1996 à 2005, INSEE-DGI.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 523


TAbLEAU 9.7
Montant moyen et poids des prélèvements et des prestations
Montant en euros, part dans le revenu net en %

quintile de niveau de vie avant redistribution Ensemble


de la
1er 2e 3e 4e 5e population
Revenu avant,redistribution
Montant par équivalent adulte 6500 13040 17690 24040 44420 21 190
Part dans le revenu net 108,0 108,7 110,8 112,2 113,6 111,2
Cotisations redistributives (famille, logement)
Montant par équivalent adulte -360 -760 -1270 -1950 -4030 -1670
Part dans le revenu net -6,0 -6,3 -7,8 -9,1 -10,3 -8,8
Contributions sociales (CSG hors maladie, CRDS)
Montant par équivalent adulte -120 -280 -480 -670 1290 -570
Part dans le revenu net -2,0 -2,3 -3,0 -3,1 -3,3 -3,0
Revenu net
Montant par équivalent adulte 6020 12 000 16210 21 420 39100 18950
Part dans le revenu net 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0
Impôt sur le revenu (avant PPE)
Montant par équivalent adulte 0 -60 -340 -950 -4790 -1230
Part dans le revenu net 0,0 -0,5 -2,1 -4,4 -12,3 -6,5
Prime pour l’emploi (PPE)
Montant par équivalent adulte 90 110 90 50 10 70
Part dans le revenu net 1,5 0,9 0,6 0,2 0,0 0,4
Taxe d’habitation
Montant par équivalent adulte -40 -140 -240 -320 -470 -240
Part dans le revenu net -0,7 -1,2 -1,5 -1,5 -1,2 -1,3
Prestations familiales sous condition de ressources (1)
Montant par équivalent adulte 1060 590 530 490 470 630
Part dans le revenu net 17,6 4,9 3,3 2,3 1,2 3,3
Prestations familiales sous conditions de ressources et aides à la scolarité (2)
Montant par équivalent adulte 490 240 160 90 20 200
Part dans le revenu net 8,1 2,0 1,0 0,4 0,1 1,1
Aides au logement (location)
Montant par équivalent adulte 990 180 20 0 0 240
Part dans le revenu net 16,4 1,5 0,1 0,0 0,0 1,3
Minima sociaux (3)
Montant par équivalent adulte 850 150 70 30 20 220
Part dans le revenu net 14,1 1,3 0,4 0,1 0,1 1,2
Revenu disponible
Montant par équivalent adulte 9460 13070 16500 20810 34360 18840
Part dans le revenu net 157,1 108,9 101,8 97,2 87,9 99,4
Source: INSEE-DGI. Enquête Revenus fiscaux 2003 (actualisée 2005), modèle Ines. calculs OREES et INSEE; France,
portrait social, édition 2006, p. 72
(1) AllocationS familiales, allocation de soutien familiale, allocation d’éducation spéciale, allocation parentale
d’éducation et complément de libre choix d’activité, d’aide à la famille pour l’emploi d’une assistante maternelle
agréée et son complément, allocation de garde d’enfant à domicile, complément de libre choix de mode de garde
et subventions publiques pour la garde d’enfants en crèches collectives et familiales.
(2) Complément familial, allocation pour jeune enfant ou socle de la prestation d’accueil du jeune enfant, allocation
pour parent isolée, allocation de rentrée scolaire, bourses du secondaire.
(3) Revenu minimum d’insertion, minimum vieillesse, allocation supplémentaire d’invalidité, allocation pour adulte
handicapé et son complément.

524 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


GrAPhIqUE 9.7
Evolution du taux de pauvreté entre 1970 et 2004

Source : INSEE-DGI, Enquêtes Revenus fiscaux de 1970 à 2004 ; repris de France, portrait social, édition 2006, p. 227

Le taux de pauvreté de 6,3 % (seuil à 50 %) et de 12,1 % (seuil à 60 %) atteint en 2005


masque par ailleurs des écarts importants. Il apparaît ainsi que les familles monoparentales
sont quatre fois plus exposées au risque de pauvreté que la moyenne des individus et que
les familles nombreuses le sont deux fois plus. Pour près de 40 % des ménages pauvres le
chef de famille est chômeur. On assiste par ailleurs, depuis une quinzaine d’années, au
développement d’une « pauvreté laborieuse » avec l’augmentation de la part des emplois
payés uniquement au SMIC et l’extension en parallèle des formes d’emplois dérogatoires
du droit commun (emploi à temps partiel contraint, CDD, « stages » qui consistent en fait à
occuper des emplois réels dans l’entreprise mais qui sont faiblement indemnisés…).

b - Les travailleurs pauvres


La situation actuelle de l’emploi est en effet caractérisée par l’instabilité de l’emploi pour
un grand nombre de salariés. Les CDI à temps plein ne concernent plus que 56 % des créa-
tions d’emplois. Les stages, emplois aidés et à temps partiel, CDD, intérim, temps partiel
subi… représentent à peu près un quart de la population active occupée. Il en résulte l’ap-
parition de travailleurs pauvres : les travailleurs à bas salaires, c’est-à-dire dont le salaire est
égal à moins de 60 % du salaire médian64 (990 euros nets par mois en 2005), représentant
15,1 % de l’ensemble des salariés, ou les travailleurs à très bas salaires dont le salaire cor-
respond à moins de la moitié du salaire médian (742 euros nets par mois en 2005), ce qui
représente 10 % de l’ensemble des salariés (Mills et Caudron, 2007, p. 186).
Il faut ajouter que, selon le rapport de l’Observatoire national de la pauvreté publié en
2004, le taux de pauvreté des salariés s’est accru de 38 % entre 1970 et 2001, ce que traduit
le rapport en expliquant que « le mouvement long de réduction de la pauvreté s’est donc
accompagné du développement d’une nouvelle forme de pauvreté : celle des actifs ». Les
travailleurs pauvres, définis par l’INSEE comme les personnes actives pendant au moins 6
mois dans l’année qui ont occupé effectivement un emploi pendant au moins 1 mois et

64 Le salaire médian était égal à 1 484 euros nets par mois en 2005.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 525


qui vivent dans un ménage en dessous du seuil de pauvreté, étaient estimés à 1 million en
2001, dont plus de 60 % avaient exercé une activité tout au long de l’année (Bissuel, 2004,
p. 11). À quoi s’ajoute, pour certains travailleurs, l’impact des recompositions familiales
qui aboutissent à confier à la femme divorcée la charge effective des enfants issus du ma-
riage, ce qui explique la proportion particulièrement élevée des femmes chefs de famille
(célibataires, divorcées ou veuves) dans les travailleurs pauvres. En 2006, avec un seuil de
pauvreté fixé à 60 % du revenu médian, et selon diverses estimations, le nombre de tra-
vailleurs pauvres, c’est-à-dire de personnes travaillant à temps partiel ou complet, tout ou
partie de l’année, et qui demeurent néanmoins en dessous du seuil de pauvreté, serait de
l’ordre de 1,3 à 1,6 million de personnes.

c - L’impact redistributif de la protection sociale


La situation des ménages au regard de la pauvreté est conditionnée par l’impact redistri-
butif de la protection sociale. Le taux de pauvreté évoqué précédemment est directement
influencé par la politique sociale et la redistribution des revenus qui lui est liée. Ainsi, si
en 2001 il y avait 6,2 % de ménages pauvres après prise en compte des prestations sociales
dans les ressources, ils étaient 13,1 %, le double, avant cette prise en compte. Les chiffres
correspondants étaient respectivement de 15,3 % et de 19,9 % en 1970, ce qui semble tra-
duire l’efficacité accrue du système de protection sociale dans la lutte contre la pauvreté
au cours de la période 1970-2001.
Le Panel communautaire des ménages d’Eurostat permet de comparer dans les différents
pays de l’Union européenne à 15 le taux de pauvreté (au seuil de 60 %) avant et après
transferts. Les transferts sociaux retenus sont « les prestations sociales redistributives »
(allocations chômage d’assurance ou d’assistance, indemnités journalières de maladie,
pensions d’invalidité, prestations familiales, allocations logement, minima sociaux65). Pour
l’année 1997, dernière étude disponible, 60 % de la population française bénéficie des
transferts sociaux retenus dans l’étude. Ceux-ci représentent 40 % du revenu disponible
brut des ménages à bas revenus et ont pour résultat que le taux de pauvreté qui est de
25 % avant transferts sociaux n’est plus que de 14 % après transferts : respectivement
28 % et 10 % pour la Suède, 23 % et 6 % pour le Danemark, 39 % et 9 % pour la Finlande.
Pour la France, une étude portant sur l’année 200566 permet de mesurer le rôle du système
fiscal et des prestations sociales dans la réduction des inégalités de revenus entre les indi-
vidus. L’étude concerne l’impact sur la redistribution des revenus des prélèvements sociaux
et fiscaux directs, d’une part, et des prestations sociales monétaires versées aux ménages,
d’autre part. On compare pour cela les revenus des ménages avant redistribution, c’est-à-
dire avant de supporter les prélèvements sociaux et fiscaux et de percevoir les prestations
sociales, et après redistribution. Le revenu avant redistribution est le revenu net effecti-
vement perçu par les individus (somme des revenus d’activité, des revenus de remplace-
ment – pensions de retraite ou d’invalidité, allocations chômage, indemnités maladie et
maternité –, des revenus du patrimoine -figurant sur la déclaration fiscale- et les pensions
alimentaires), auquel sont ajoutées les cotisations et contributions sociales redistributives
65 Les minima sociaux existent maintenant dans la totalité des pays de l’Union européenne à 15 (Grèce exceptée). Leur
montant varie très fortement d’un pays à l’autre. La fourchette des montants des minima garantis pour une personne
seule va de 125 euros par mois au Portugal à 960 euros par mois au Danemark, le montant moyen du revenu garanti
s’établissant à 525 euros.
66 France. Portrait social [2006], « Réduction des inégalités de revenus : le rôle des prélèvements et prestations », p. 65-78.

526 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


qui ont été prélevées à la source (« transferts prélevés au titre de la famille, du logement
ou encore de la pauvreté et de l’exclusion » id., p. 68). Le revenu après redistribution est le
revenu net dont on déduit des prélèvements fiscaux (impôts sur le revenu et taxe d’habi-
tation) et auquel s’ajoutent les prestations sociales redistributives (prestations familiales,
aides au logement, primes pour l’emploi, minima sociaux). En 2005, le revenu moyen an-
nuel avant redistribution par ménage est de 39 680 euros et de 21 190 euros par équivalent
adulte, tandis que le revenu après redistribution est de 30 680 euros par ménage et de
18 840 euros par équivalent adulte (1 570 euros par mois)67.
Les ménages sont classés en 5 quintiles de revenus par équivalent adulte avant redistri-
bution, le premier quintile est formé des 20 % de ménages ayant les revenus avant redis-
tribution les plus faibles et le cinquième quintile des 20 % de ménages ayant les revenus
avant redistribution les plus élevés. On constate que la redistribution aboutit à un double
résultat. D’une part, elle accroît sensiblement le revenu après redistribution par rapport
au revenu avant redistribution pour le premier quintile, le revenu annuel passant de 6 500
euros par équivalent adulte avant redistribution à 9 460 euros par adulte après redistribu-
tion. D’autre part, elle réduit le revenu après redistribution relativement au revenu avant
redistribution pour le cinquième quintile, le revenu annuel passant de 44 420 euros avant
redistribution à 34 360 euros après redistribution par équivalent adulte. Cela signifie donc
que la redistribution aboutit à réduire le niveau de vie des 20 % de Français les plus aisés
d’une moyenne de 12 % et, inversement, à relever le niveau de vie des 20 % les moins aisés
et de 57 %, le rapport du niveau de vie moyen du cinquième quintile sur celui du premier
quintile passant de 6,83 avant redistribution à 1,99 après redistribution (tableau 9.7 et
graphique 9.9).
L’étude montre également qu’au sein de l’ensemble des prélèvements et des transferts,
« ce sont les impôts sur le revenu et les prestations familiales qui contribuent le plus à la
réduction des inégalités de niveau de vie, devant les aides au logement, les minima sociaux
et surtout, les cotisations et contributions sociales » (id., p. 76). L’impôt sur le revenu est
l’instrument le plus redistributif du système socio-fiscal ; il contribuait en 2005 pour 29 %
à la réduction des inégalités de niveau de vie, tandis que les prestations familiales sans
conditions de ressources y contribuaient pour 19 %.

67 On rappelle qu’un couple avec deux enfants de moins de 14 ans représente 2,1 unités de consommation ou équivalent
adulte. Pour 50 % de la population, le revenu moyen après redistribution par équivalent adulte est inférieur à 1 365
euros par mois tandis que, pour les 10 % d’individus les plus pauvres, il est inférieur à 780 euros par mois et que, pour
les 10 % les plus aisés, il est supérieur à 2 450 euros par mois.

Les différentes politiques sociales de l’État : emploi, famille, pauvreté 527


GrAPhIqUE 9.8
Inégalités de niveau de vie avant et après redistribution

Source : France, portrait social, édition 2006, p. 73

528 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


la protection sociale
sous tension

CHAPITRE 10

Pendant la période des Trente Glorieuses, le progrès social, qu’impulsent et que matériali-
sent les politiques sociales alors mises en œuvre par l’État, et la croissance économique ap-
paraissent comme étroitement complémentaires. Il est largement admis que la croissance
économique, qui permet, grâce au surcroît de richesse créée, de distribuer des revenus
sociaux par le biais du système de redistribution et de faire reculer progressivement la pau-
vreté, est une condition nécessaire du progrès social. Réciproquement, les retombées éco-
nomiques positives de celui-ci en termes d’amélioration et de stabilisation des débouchés
offerts aux entreprises, de qualité et de disponibilité de la main-d’œuvre, facteurs d’ac-
croissement de la productivité du travail, contribuent fortement à entretenir le processus
de croissance et font du progrès social un moteur du progrès économique. L’augmentation
régulière des dépenses consacrées à la protection sociale participe alors du cercle vertueux
caractéristique, selon les théoriciens de l’école de la régulation, du fordisme1.
La fin de la forte croissance des décennies de l’après-guerre et l’entrée de l’économie fran-
çaise, comme celle des autres grands pays industrialisés, dans une nouvelle longue phase
de difficultés économiques récurrentes au début des années 1970, marquent un tournant.
Dans un contexte caractérisé initialement par la dégradation de la rentabilité des capitaux
et la recherche par les entreprises d’une compression des coûts salariaux, la crise écono-
mique durable remet progressivement en cause l’articulation vertueuse de l’économique
et du social qui prévalait pendant les Trente Glorieuses, et fait redécouvrir la pauvreté.
Autrefois composantes et moteurs du développement économique, les politiques sociales
peuvent devenir une cause de déséquilibre dans la mesure où l’évolution des dépenses
qu’elles induisent diverge de celle des richesses produites. Les facteurs qui commandent
l’évolution de certaines dépenses sociales (prestations de santé et de retraite), comme
les besoins en matière de santé ou la démographie, sont largement, voire totalement,

1 Cf. tome 1, chapitre III.


indépendants du rythme de la croissance économique. Ces dépenses continuent ainsi de
progresser sur leur lancée antérieure alors que les gains de productivité et le rythme de la
croissance économique fléchissent. Elles semblent alors pouvoir entraver et non plus stimu-
ler la croissance économique, comme l’affirmeront de plus en plus fréquemment nombre
des théoriciens libéraux.
Dans ce contexte nouveau de crise économique durable, les politiques sociales ont évolué.
Elles se sont diversifiées pour tenir compte, plus ou moins bien, des nouvelles difficultés
et des nouveaux déséquilibres sociaux résultant de la crise (chômage de masse, exclusion),
en même temps que s’imposait objectivement l’exigence de mieux prendre en compte la
situation particulière et les besoins spécifiques de certaines catégories de population (han-
dicapés, personnes âgées dépendantes). Le périmètre d’intervention de l’État-providence
s’est de ce fait élargi, avec en particulier la création de nouvelles prestations, souvent de
caractère non contributif mais dont l’attribution est soumise à conditions de ressources
(allocation aux adultes handicapés, allocation parent isolé, allocation spécifique de solida-
rité pour les chômeurs de longue durée, RMI, création de la CMU…), tandis que le nombre
de bénéficiaires de certaines prestations (allocation chômage en particulier) augmentait
fortement.
Les dépenses de protection sociale ont de ce fait continué de croître, malgré les tentatives
réitérées des pouvoirs publics de freiner cette croissance et de l’ajuster dans toute la me-
sure du possible à celle du PIB. De 19 % du PIB en 1974, elles passent à 25,3 % du PIB en
1981, pour représenter finalement près de 30 % du PIB à la fin des années 1990 et au début
des années 2000. La question du coût global de la protection sociale est ainsi devenue un
sujet majeur de préoccupation des pouvoirs publics. Sa prise en compte est indispensable
pour comprendre nombre des réformes de la protection sociale mises en œuvre depuis
les années 1990 qui ont été évoquées dans les chapitres précédents. Si elles répondent
à chaque fois à des problèmes spécifiques, ces réformes se sont en effet le plus souvent
inscrites simultanément dans une optique de maîtrise comptable des dépenses de la pro-
tection sociale visant à en limiter la progression et à contenir le déficit des comptes de la
protection sociale devenu désormais quasi chronique.
Les résultats des ces réformes au regard de l’objectif d’équilibre des comptes de la protec-
tion sociale, sans être négligeables, sont cependant loin d’être probants. Les réformes en-
treprises n’ont en effet pas réellement prise sur certaines causes essentielles des difficultés
de financement de la protection sociale telles que le chômage de masse et le freinage du-
rable de la croissance des salaires. De sorte que, malgré ces réformes, le déficit des comptes
de la protection sociale s’est sensiblement aggravé au cours des toutes dernières années,
atteignant de l’ordre de 12 milliards d’euros en 2007 pour le régime général de la Sécurité
sociale. Le système public de protection sociale est ainsi confronté à ce qui peut s’analyser
comme une véritable cirse de financement, étant pris en tenaille entre des dépenses qui
restent tendanciellement orientées à la hausse, même si leur croissance s’est quelque peu
ralentie au cours des deux dernières décennies, et des ressources dont la progression est
freinée au regard de ce qui avait pu être observé tout au long des Trente Glorieuses.
Cette crise de financement sert de toile de fond au débat qui se développe depuis les an-
nées 1980 à propos du système public de protection sociale, et qu’alimentent des prises de
position et des propositions de réformes, non seulement d’analystes (économistes, juristes,

530 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


sociologues…) spécialistes des politiques sociales, mais aussi des représentants de groupes
sociaux constitués (syndicats de salariés et organisations d’employeurs, associations de ma-
lades…) et d’intérêts économiques divers.
Dans les développements qui suivent, après avoir dressé un état des lieux des comptes
de la protection sociale (Section 1), on caractérisera la crise de financement à laquelle est
confronté le système public de protection sociale et les réponses qui lui ont été apportées
jusqu’à présent par les pouvoirs publics (Section 2). On évoquera ensuite certaines des
controverses auxquelles donne lieu aujourd’hui le système public de protection sociale en
France (Section 3).

Section 1 : Les comptes de la protection sociale : état


des lieux
Les comptes de la protection sociale établis par l’INSEE mesurent annuellement l’ensemble
des dépenses et l’ensemble des ressources de la protection sociale, en intégrant non seu-
lement les divers régimes d’assurances sociales obligatoires (régime général de la Sécurité
sociale, régime d’indemnisation du chômage, retraites complémentaires), mais également
les dépenses et ressources qui correspondent aux régimes complémentaires non obliga-
toires et aux mutuelles ; les assurances privées sont cependant exclues. Les données corres-
pondantes sont issues du Compte satellite de la protection sociale établi par la Compta-
bilité nationale2. Le champ couvert par ces comptes de la protection sociale est plus large
que celui couvert par les comptes de la seule Sécurité sociale, car il englobe l’ensemble des
régimes de protection sociale, les interventions des administrations publiques centrales et
des administrations publiques locales, les régimes complémentaires facultatifs, la protec-
tion sociale extra-légale fournie par les employeurs, et celle qui est fournie par les institu-
tions sans but lucratif au service des ménages.
Ces comptes mesurent annuellement les dépenses réalisées par le pays au titre de la pro-
tection sociale (§ 1) et les ressources affectées au financement de ces dépenses3 (§ 2). Ces
données et celles établies par Eurostat permettent de faire des comparaisons avec les
autres pays de l’Union européenne (§ 3).

paragraphe 1 : les dépenses de la protection sociale


La protection sociale telle qu’elle a été définie, avec les objectifs qui lui sont assignés et
les principes auxquels elle répond, fait intervenir une pluralité d’acteurs (Sécurité sociale,
régimes de retraite complémentaire, mutuelles, caisses de prévoyance, collectivités pu-
bliques…). Ceux-ci assurent concrètement leur mission par le versement aux individus et aux
ménages confrontés à certains risques sociaux de prestations qui représentent en fait l’es-
sentiel des dépenses totales occasionnées par l’existence du système de protection sociale.
2 Depuis 2005, ce compte satellite est établi en « base 2000 » des comptes nationaux.
3 L’effort social de la nation qui est calculé en ajoutant aux comptes de la Sécurité sociale proprement dits ceux de l’assu-
rance-chômage, ainsi que l’aide sociale des administrations publiques et l’impact du quotient familial, fournit une autre
mesure de la protection sociale.

La protection sociale sous tension 531


Ces prestations de protection sociale se répartissent très inégalement entre les différents
risques sociaux et bénéficient à un nombre globalement très important d’individus et de
ménages (A). Les différents régimes concourent de manière inégale à leur prise en charge
(B). Les collectivités locales, et en particulier le département auquel les lois de décentralisa-
tion ont conféré la primauté en matière d’aide sociale, jouent par ailleurs un rôle croissant
dans la mise en œuvre de la protection sociale (C).

A - La répartition des prestations de protection sociale


En 2007, les dépenses totales de protection sociale (en dehors des transferts entre régimes4)
se sont élevées à 578,3 milliards d’euros (en augmentation de 3,9 % en valeur par rapport
à 2006) et à 30,6 % du PIB. Elles se sont réparties en : 549,6 milliards de « prestations de
protection sociale », soit 95 % du total ; 23,6 milliards de frais de gestion, soit 4 % du to-
tal5, et 5 milliards de frais financiers et « autres dépenses », soit 0,08 % du total (TABLEAU
10.1).

Tableau 10.1
Evolution des emplois du compte de la protection sociale : 1990-2006
(en valeur)
Montants en millions d’euros
EMPLOIS 1990 1995 2000 2003 2006
Prestations de 267 937 342 878 399 127 463 008 529,2
protection sociale
Prestations sociales 239 609 305 146 349 413 403 511 458,6
Prestations en espèces 179 526 227 307 264 965 304 294 344,2
Prestations en nature 60 084 77 838 84 448 99 217 114,4
Prestations de services 28 328 37 732 49 713 59 497 70,6
sociaux
Frais de gestion 11 411 14 365 18 061 20 115 23,1
Transferts 34 904 60 767 78 406 93 133 113,0
Frais financiers 280 2 503 316 545 -
Autres dépenses 2 039 2 720 2 060 3 560 4,1
Total des emplois 316 571 423 234 497 969 580 362 688 403
Total des emplois hors 281 667 362 466 419 563 487 229 553 659
transferts

(1) évolution en moyenne annuelle


* Les chiffres de 2006 et 2007 sont en milliards d’euros.
(2) Le chiffre des autres dépenses comprend les frais financiers
Sources : DRESS, Comptes de la protection sociale ; Etudes et résultats, n° 526, octobre 2006, p. 2 ; Etudes et résul-
tats, n° 609, novembre 2007, p. 3 ; Études et résultats, n° 667, octobre 2008.

4 La protection sociale recouvre concrètement une diversité de régimes (cf. infra). Les transferts entre régimes sont des flux
financiers internes au dispositif de protection sociale qui s’annulent au niveau de l’ensemble des régimes et sont donc
sans incidence sur le financement de l’ensemble de la protection sociale. Ces flux se sont notamment développés avec
la mise en place de la compensation démographique instituée par la loi de 1974 qui, en matière d’assurance-maladie et
d’assurance-vieillesse, impose aux régimes dont le rapport cotisants sur bénéficiaires est élevé, de participer au finance-
ment des régimes en difficulté.
5 Il est à souligner que le coût de fonctionnement du système de protection sociale français est donc particulièrement
modéré, contrairement à ce que soutiennent le plus souvent les partisans de sa privatisation totale ou partielle.

532 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Les « prestations de protection sociale » se répartissaient en « prestations sociales » et en
« prestations de services sociaux » bénéficiant aux ménages. Les premières correspondent
aux transferts effectifs dont bénéficient les ménages à titre individuel « sans contrepartie
équivalente ou simultanée ». Les secondes « retracent l’accès à des services, en relation
avec un risque de la protection sociale, fournis à prix réduit ou gratuitement par une admi-
nistration ou une institution sans but lucratif » (Bechtel et Duée, 2006, p. 1). La prestation
de services sociaux la plus importante est constituée par la dotation versée aux hôpitaux.
Le poids relatif dans le PIB des dépenses de protection sociale est mesuré par le taux de
redistribution sociale qui se définit comme le rapport du montant total des prestations de
protection sociale au PIB. Il était égal à 29 % du PIB en 2007 (29,36 % en 2006), soit prati-
quement le plus haut niveau jamais atteint (26,5 % en 1990, 27,7 % en 2000).

Le montant total des dépenses correspondant aux prestations de protection sociale se ré-
partit très inégalement entre les différents risques. En 2007, les prestations de protection
sociale se répartissaient entre les différents risques couverts par la protection sociale de la
manière suivante (tableau 10.2 et graphique 10.1).
• Vieillesse-survie : 246,95 milliards d’euros, représentant 44,9 % des dépenses totales
(13,1 % du PIB), dont respectivement 146,36 milliards d’euros pour les pensions du ré-
gime de base, 49,81 milliards pour les pensions complémentaires, 32,15 milliards pour
les pensions de réversion, 2,26 milliards pour le minimum vieillesse, 4,61 milliards pour
l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).
• Santé : 195,34 milliards d’euros et 35,5 % des dépenses sociales totales (10,4 % du PIB),
dont respectivement 158,11 milliards pour la maladie, 28,48 milliards pour l’invalidité et
8,75 milliards pour les accidents du travail et les maladies professionnelles.
• Maternité-famille : 50,30 milliards d’euros représentant 9,1 % des dépenses totales
(2,7 % du PIB), dont respectivement 6,67 milliards pour la maternité et 43,63 milliards
d’euros pour la famille.
• Emploi : 34,33 milliards d’euros et 6,3 % des dépenses totales (1,8 % du PIB), dont res-
pectivement 23,69 milliards pour l’indemnisation du chômage (au titre du « régime d’as-
surance », avec l’Allocation de retour à l’emploi, et au titre du « régime de solidarité »
avec l’Allocation de solidarité spécifique, l’Allocation équivalent retraite et l’Allocation
d’insertion), 2,20 milliards pour les préretraitaires et 2,3 milliards pour l’insertion et la
réinsertion professionnelles.
• Logement : 14,23 milliards d’euros, soit 2,7 % des dépenses totales (0,8 % du PIB).
• Pauvreté-exclusion : 8,44 milliards d’euros, soit 1,5 % des dépenses totales (0,4 % du
PIB), dont 6, 35 milliards d’euros pour le RMI. Il faut souligner qu’à l’exception du RMI les
différents minima sociaux ne sont pas classés dans ce poste de dépenses mais dans celui
qui, pour chacun d’eux, correspond à leur contenu spécifique (minimum vieillesse dans le
risque vieillesse-survie, ASS dans le risque emploi, etc.).

La protection sociale sous tension 533


Tableau 10.2
Les prestations de protection sociale (en millions d’euros)
2005 2006
Santé 178 403 185 216
Maladie 144 811 150 155
Invalidité 25 335 26 598
Accidents du travail 8 257 8 462
Vieillesse-survie 22 678 235 199
Vieillesse 189 300 200 113
dont : pensions de base 130 187 137 720
pensions complémentaires 46 366 48 952
APA 3 913 4 243
minimum vieillesse 2 251 2 322
Survie 33 378 35 086
dont : pensions de réversion 28 615 28 615
Maternité-famille 45 439 47 833
Maternité 5 856 6 365
Famille 39 583 41 468
dont : allocations familiales 11 952 12 122
autres prestations familiales 19 685 20 686
Emploi 37 327 35 851
Insertion et réinsertion professionnelle 2 452 2 219
Chômage 34 875 33 632
dont : indemnités de chômage 26 919 24 782
préretraites 2 813 2 453
Logement 13 877 13 972
Pauvreté-Exclusion 7 752 8 094
dont : revenu minimum d’insertion 6 083 6 201
(RMI)
Total des prestations 505 476 526 165

Sources : DREES.

534 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Graphique 10.1
Répartition par risque des prestations de protection sociale en 2005

logement
chomage 2,7% en structure
pauvreté-exclusion
0,5% en structure (0,8% du PIB)
(2% du PIB) 1,5% en structure (0,5 du PIB)

insertion et réinsertion professionnelle


0,5% en structure (0,1% du PIB)

famille
7,8% en structure (2,3% du PIB)
maladie
maternité 28,6% en structure
1,2% en structure (0,3% du PIB) (8,5% du PIB)

survie
6,6% en structure (2% du PIB)

invalidité
vieillesse 5% en structure (1,5% du PIB)
37,4% en structure
(11,1% du PIB)
accidents du travail
1,6% en structure (0,5% du PIB)

Sources : Comptes de la protection sociale 2005, DRESS, Etudes et résultats, n° 523, septembre 2006.

Ces prestations de protection sociale se répartissent entre leurs bénéficiaires en fonction


des droits que ces derniers ont acquis en cotisant, des risques effectivement encourus et
de leur situation personnelle. Le nombre de bénéficiaires varie très fortement selon la
nature de la prestation de protection sociale considérée. Les effectifs des bénéficiaires de
certaines prestations se répartissaient ainsi de la manière suivante au 31 décembre 2005 :
• retraités de droit direct, 10,211 millions ;
• bénéficiaires des pensions de réversion, 0,938 million ;
• bénéficiaires du minimum vieillesse, 0,610 million ;
• familles bénéficiaires des prestations familiales, 6,178 millions ;
• bénéficiaires de l’allocation adulte handicapé, 0,711 million ;
• bénéficiaires du RMI, 1,113 million ;
• bénéficiaires de l’APA, 0,938 million ;
• bénéficiaires de la PAJE, 1,435 million ;
• nombre total d’allocataires de minima sociaux, 3,514 millions ;
• bénéficiaires de la CMU et de la CMU complémentaires, 6,538 millions (chiffre 2006).

B – La contribution des différents régimes aux prestations de protection sociale


Compte tenu de la diversité des organisations et institutions qui interviennent dans sa mise
en œuvre, la protection sociale recouvre une diversité de régimes.
• Les régimes d’assurances sociales sont obligatoires et contrôlés par les pouvoirs publics.
Le plus important est le régime général de la Sécurité sociale avec ses branches et caisses :
maladie et accidents du travail gérés par la Caisse nationale d’assurance maladie des tra-
vailleurs salariés (CNAMTS), vieillesse gérée par la Caisse nationale d’assurance vieillesse

La protection sociale sous tension 535


(CNAV), famille gérée par la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF). S’y ajou-
tent les autres régimes de base obligatoires (régimes spéciaux, régime agricole géré par
la Mutualité sociale agricole -MSA-, régime des professions indépendantes), ainsi que
les régimes de retraites complémentaires également obligatoires gérés par l’Association
générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et l’Association des régimes de
retraite complémentaire (ARRCO) ainsi que l’assurance-chômage que gère l’Union natio-
nale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (UNEDIC) mais
qui ne fait pas formellement partie de la Sécurité sociale. Ces divers régimes d’assurances
sociales interviennent dans la couverture de tous les risques sociaux, à l’exception de
l’exclusion sociale.
• Les régimes d’employeurs qui sont mis en place par les employeurs sans obligation lé-
gale. Les prestations correspondantes (compléments d’indemnités journalières, primes
de licenciements, suppléments familiaux de traitement) sont versées directement par
l’employeur. Elles sont liées au contrat de travail et résultent des conventions collectives
ou des accords d’entreprises.
• Les régimes de la mutualité, de la retraite supplémentaire et de la prévoyance versent
des prestations venant en complément de celles des régimes d’assurances sociales. Les
mutuelles, régies par le code de la mutualité, interviennent principalement dans la prise
en charge du risque santé. Elles versent des prestations venant en complément des rem-
boursements assurés par le régime général de Sécurité sociale (prise en charge du ticket
modérateur, du forfait journalier d’hospitalisation, de certains dépassements d’hono-
raires). L’adhésion aux mutuelles résulte d’un choix volontaire de l’assuré. Les régimes
de retraite supplémentaire correspondent à des régimes d’entreprises ne résultant pas
d’une obligation légale. Ils sont créés par les entreprises qui leur fournissent la majo-
rité de leurs ressources, mais l’adhésion des salariés de l’entreprise qui a créé un tel ré-
gime est généralement obligatoire. Les institutions de prévoyance sont des organismes
à but non lucratif, financés par des cotisations contractuelles (versées simultanément
par les employeurs et les salariés), gérés paritairement et qui effectuent des opérations
non obligatoires de prévoyance en matière principalement de risque santé et de risque
vieillesse-survie.
• Les régimes d’intervention sociale des pouvoirs publics versent, au nom de la solidarité
sociale nationale, des prestations sous conditions de ressources bénéficiant à des popula-
tions ciblées (handicapés, personnes âgées, familles, personnes victimes de l’exclusion ou
de la pauvreté …). Ces actions peuvent également concerner certains domaines tels que
la formation ou le logement. Elles sont généralement financées par l’impôt.
• Les régimes d’intervention sociale des institutions sans but lucratif au service des mé-
nages correspondent aux interventions effectuées par des organismes privés à but non
lucratif (Croix rouge, Secours catholique, Secours populaire, Armée du salut…) bénéfi-
ciant généralement à des personnes ou des ménages en situation de grande pauvreté ou
d’exclusion. Ces organismes sont financés par des subventions, dons et autres contribu-
tions volontaires qui leur sont adressés. Ils interviennent principalement en matière de
risque invalidité et de risque pauvreté-exclusion.

536 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Les prestations de protection sociale sont versées à leurs bénéficiaires par ces différents
régimes de protection sociale. Mais la contribution respective de ces derniers varie très
fortement de l’un à l’autre (tableau 10.3).

TAbLEAU 10.3
Les prestations de protection sociale en 2007 :
contribution des régimes aux différents risques en %
Vieillesse Maternité Exclusion Total des
Santé Emploi Logement
Survie Famille sociale prestations
Assurance sociales 27,7 41,6 6,2 4,1 0,7 - 80,3
Régimes de la sécurité sociale 22,6 15,2 6,2 - 0,7 - 44,6
Autres régimes 5,1 26,4 0,1 0,2 - - 31,8
Indemnisation du chômage 3,9
- 0,0 - - - 4,0
régime d’employeurs 0,5 0,0 0,7 1,2 - - 2,4
régime de la mutualité* 3,5 1,2 0,0 - - - 4,8
régime d’intervention des
pou. pub.
2,6 2,1 2,1 0,9 1,9 1,2 10,9
régime d’intervention des
ISbLSM
1,3 - - - - 0,4 1,6
Total 35,5 44,9 9,2 6,2 2,6 1,5 100

* Régimes de la mutualité, de la retraite supplémentaire et de la prévoyance.


NB : Les « Autres régimes » de la Sécurité sociale comprennent les fonds spéciaux, les régimes particuliers de salariés,
les régimes complémentaires de salariés.
Sources : DRESS, Comptes de la protection sociale ; Études et résultats, n° 667, octobre 2008.

Les régimes d’assurances sociales ont à eux seuls versés en 2007 80,3 % du total des pres-
tations de protection sociale, le régime général de la Sécurité sociale représentant pour
sa part 44,6 % de l’ensemble des prestations de protection sociale versées, et le régime
d’indemnisation du chômage 4,0 % du total des prestations.
Les différents régimes d’intervention sociale des pouvoirs publics (APUC et APUL) ont versé
en tout 10,9 % du total des prestations. Cela concerne pour l’essentiel des prestations de
solidarité : CMU, AAH, allocation compensatrice versée aux personnes handicapées, APA,
ASS et autres allocations de chômage versées dans le cadre du « régime de solidarité »,
allocations de logement, aide sociale à l’enfance, bourses d’études, RMI…
Les régimes non obligatoires de la mutualité, de la retraite supplémentaire et de la pré-
voyance ont versé en tout 4,8 % du total des prestations de protection sociale: 72,9 % de
leurs prestations correspondent à la couverture du risque santé et 26,1 % à celle du risque
vieillesse-survie.
Le reste des prestations a été versé par les régimes d’employeurs (2,5 % du total des pres-
tations) et par les régimes d’intervention des ISBLSM (1,6 % du total des prestations).

La protection sociale sous tension 537


C - Le rôle des APUL en matière de protection sociale : les départements et l’aide
sociale
Depuis l’entrée en vigueur des lois de décentralisation, le 1er janvier 1984, les départements
ont désormais une compétence exclusive en matière d’aide sociale légale et obligatoire,
l’État n’ayant conservé une compétence d’exception que pour certaines prestations bien
particulières (sans domicile fixe), qui s’est cependant élargie depuis le 1er janvier 2000 avec la
mise en place de la Couverture maladie universelle (CMU) créée par la loi du 27 juillet 1999.
La loi de décentralisation du 13 août 2004 a encore étendu les compétences des dépar-
tements en la matière. Par ailleurs, la création en 2002 de l’APA, destinée aux personnes
dépendantes et qui a connu un développement très rapide (1 060 000 bénéficiaires à fin
2007) a également accru leur engagement financier. Ils gèrent intégralement le RMI de-
puis le 1er janvier 2004 (loi du 18 décembre 2003) et versent donc désormais les allocations
correspondantes à la place de l’État. Depuis 1998, ils avaient en charge le volet insertion
du RMI, sachant qu’en moyenne la moitié seulement des allocataires du RMI bénéficient
d’un contrat d’insertion.
Cette compétence des départements en matière d’aide sociale est pour eux très impor-
tante puisque les dépenses engagées à ce titre ont représenté en 2005 de l’ordre de 65 %
du total de leurs dépenses de fonctionnement. Cette même année 2005, alors que les dé-
penses globales de la protection sociale s’élevaient à 536,9 milliards d’euros, les dépenses
nettes de l’aide sociale se sont élevées à 23,1 milliards d’euros et les départements ont
consacré 25 milliards d’euros de dépenses brutes à l’aide sociale légale et obligatoire.
Les dépenses des départements au titre de l’aide sociale se ventilent en 5 grandes catégo-
ries :
• l’aide sociale aux personnes âgées qui se répartit entre les dépenses liées à l’aide à do-
micile (aides ménagères, APA et allocation compensatrice pour tierce personne pour les
personnes âgées de 60 ans ou plus) et celles qui sont liées à l’hébergement (accueil en
établissements ou chez des particulier) ;
• l’aide sociale à l’enfance qui comprend les dépenses induites par le placement des en-
fants ainsi que les dépenses d’aide éducative (actions éducatives en milieu ouvert et
actions éducatives à domicile) ;
• l’aide sociale aux personnes handicapées comprenant les dépenses d’aide à domicile
(ACTP pour les personnes âgées de moins de 60 ans, aides ménagères, auxiliaires de
vie) et les dépenses d’aide à l’hébergement (accueil en établissement, accueil familial,
accueil de jour) ;
• le financement du RMI qui comprend le versement des allocations et les dépenses pour
la réinsertion des bénéficiaires du dispositif ;
• les autres dépenses (personnel, services communs, autres interventions sociales).
Pour la France métropolitaine, les dépenses brutes correspondant aux quatre premiers
postes se sont élevées à 21,2 milliards d’euros en 2005 (tableau 10.4). Les dépenses nettes,
c’est-à-dire les dépenses brutes moins les récupérations effectuées par les départements
auprès des bénéficiaires des aides ou leurs héritiers, les recouvrements effectués auprès
d’autres collectivités locales et les remboursements de prestations et de participations (en
tout 1,8 milliards d’euros en 2005), se sont élevées à 19,4 milliards d’euros. En précisant

538 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


cependant qu’une part de ce montant total correspond à des dépenses partiellement cou-
vertes par l’État qui affecte aux départements une partie de la TIPP pour le financement du
RMI et leur verse une contribution par le biais du Fonds de financement de l’APA (FFAPA).
Les 19,4 milliards de dépenses totales nettes se sont réparties entre les quatre premiers
grands postes de dépenses dans la proportion suivante :
• dépenses nettes liées au RMI, 5,8 milliards d’euros et 30 % du total (5 milliards pour le
versement des allocations et 0,787 milliard pour les charges nettes d’insertion) ;
• aide sociale à l’enfance, 5 milliards d’euros et 26,5 % du total, près de 75 % des dé-
penses de l’aide à l’enfance étant affectées à l’accueil en établissements et en familles
d’accueil ;
• aide sociale aux personnes âgées, prés de 5 milliards d’euros et 25,5 % du total, la
majeure partie de la dépense correspondante étant due à l’APA (3,9 milliards d’euros de
dépenses brutes en 2005) ;
• aide sociale aux handicapés, 3,5 milliards d’euros et 18 % du total, la majeure partie
de ces dépenses correspondant à l’accueil (aide sociale à l’hébergement, accueil familial).
Le cinquième poste de dépenses (2,4 milliards d’euros en net) correspond aux autres in-
terventions sociales, aux dépenses des services communs à l’aide sociale, et aux frais de
personnel (près de 80 % du total).

La protection sociale sous tension 539


Tableau 10.4
Evolution des dépenses d’aide sociale des départements par catégories d’aide
sociale* (2001-2007) en millions d’euros courants

2001 2003 2004 2005 2006 2007(p)


Aide sociale aux personnes âgées
Dépenses brutes 2 683 5 296 5 741 6 037 6 432 6 887
Dépenses nettes 1 695 4 301 4 638 4 944 5 368 5 762
Aide sociale aux personnes handicapées
Dépenses brutes 2 895 3 384 3 740 3 956 4 386 4 728
Dépenses nettes 2 557 3 039 3 351 3 497 4 000 4 363
Aide sociale à l’enfance
Dépenses brutes 4 458 5 017 5 118 5 282 5 552 5 678
Dépenses nettes 4 377 4 944 4 999 5 173 5 453 5 642
Dépenses totales liées au RMI**
Dépenses brutes 681 767 5 482 5 924 6 334 6 471
Dépenses nettes 644 748 5 435 5 840 6 238 6 316
dont dépenses nettes d’allocation du RMI - - 4 677 5 038 5 233 5 178
Total
Dépenses brutes 10 676 14 464 20 081 21 199 22 704 23 764
Dépenses nettes 9 273 13 032 18 423 19 454 21 059 22 084

* Hors aide médicale, service social départemental, frais commun, aide sociale facultative et services sociaux sans
comptabilité distincte pour 2001 à 2003, hors services communs et autres interventions sociales à partir de 2004.
** Dépenses d’allocation et d’insertion liées au RMI, aux CI-RMA et aux contrats d’avenir.
Note : les dépenses d’ACTP et de PCH pour les personnes de 60 ans ou plus sont intégrées aux dépenses à destina-
tion des personnes âgées.
(p) Provisoire
Champ : France métropolitaine.
Source : DREES – Enquête Aide sociale ; Études et résultats, n° 682, mars 2009.

Au cours des toutes dernières années deux postes de dépenses ont vu leur part dans l’en-
semble croître fortement : les dépenses liées au RMI depuis que la responsabilité du paie-
ment de l’allocation de RMI a été transférée aux départements, d’une part, et les dépenses
de l’aide sociale aux personnes âgées avec la montée en charge de l’APA, d’autre part
(graphique 10.2).

540 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Graphique 10.2
Evolution de la part des différentes catégories de dépenses nettes
d’aide sociale des départements (2001-2005)

Note : les dépenses d’ACTP pour les personnes de 60 ans ou plus sont intégrées aux dépenses en direction des
personnes pagées.
Source : DREES – enquête Aide sociale ; Etudes et résultats, n° 543, décembre 2006, p. 3.

Soulignons par ailleurs que les départements peuvent compléter l’aide sociale légale et
obligatoire par des dispositions de nature extralégale et facultative prenant la forme :
1) d’une aide sociale extralégale, c’est-à-dire de prestations versées au bénéfice des per-
sonnes âgées, des handicapés, de l’enfance ou des personnes en difficultés sociales dans
des conditions ou pour des montants plus favorables aux bénéficiaires que ce que pré-
voit la réglementation concernant l’aide sociale légale ;
2) de diverses autres formes d’action sociale de caractère facultatif (prestations financières
et actions ciblées sur des groupes de la population fragiles qui ne correspondent pas
directement au champ de compétences du département (comme la santé) ou qui sont
au contraire dans son champ de compétences (action sociale scolaire, restauration et
transport scolaires, par exemple). Cette action sociale facultative a une dimension inno-
vatrice et doit permettre « d’apporter des solutions substitutives ou complémentaires
aux dispositifs ou structures d’accueil existants » (Aubree et alii, 2006, p. 4).

paragraphe 2 : les ressources de la protection sociale


Le financement de l’ensemble des dépenses correspondant aux diverses prestations so-
ciales est assuré aujourd’hui pour l’essentiel par deux grandes catégories de ressources :
les cotisations sociales, d’une part, et le financement public, c’est-à-dire les impôts et taxes
affectés directement au financement de la protection sociale et diverses contributions
publiques, d’autre part. Les prélèvements obligatoires sociaux, c’est-à-dire l’ensemble
constitué par les cotisations sociales effectives reçues par les APU et les impôts et taxes
affectés au financement de la protection sociale, ont représenté en 2007 87,3 % du total
des ressources (hors transferts) de l’ensemble des régimes de protection sociale (82,1 % en

La protection sociale sous tension 541


1995). Ils ont par ailleurs constitué en 2007 50,6 % du total des prélèvements obligatoires
qui se sont eux-mêmes élevés à 44,8 % du PIB. Les contributions publiques, c’est-à-dire en
fait les dotations budgétaires directes de l’État et des collectivités locales au financement de
diverses prestations sociales (RMI, aide sociale des départements - participation des dépar-
tements au fonctionnement de APA -, AAH, API…) ont représenté pour leur part 9,9 % du
total des ressources en 2007 (13,56 % du total en 2005).
La contribution des seules collectivités locales au financement des prestations de protection
sociale a représenté 6,3 % du total des ressources de la protection sociale en 2005, en forte
augmentation au cours des toutes dernières années du fait du transfert aux départements
de la gestion et du financement du RMI et de la montée en puissance de l’APA.
De manière plus précise, les ressources de la protection sociale se répartissaient en 2007 de
la manière suivante.
• Les cotisations sociales totales s’élevaient à 379,3 milliards d’euros et 65,45 % du total des
ressources, dont 334,1 milliards de cotisations effectives et 45,2 milliards de cotisations
imputées (cotisations « fictives »)6.
• Les cotisations effectives (334,1 milliards d’euros) se répartissaient entre les cotisations
d’employeurs pour un montant de 211,9 milliards (36,6 % du total des ressources), les co-
tisations de salariés pour 97,6 milliards (16,8 % du total), et les cotisations des travailleurs
indépendants pour 21,3 milliards (3,67 % du total des ressources).
• Le financement public s’élevait en tout à 181,7 milliards d’euros qui se répartissaient entre
impôts et taxes affectées pour 124,2 milliards d’euros (21,4 % du total des ressources) et
les contributions publiques pour 57,5 milliards d’euros (9,9 % du total des ressources dont
2,6 milliards d’euros pour les contributions publiques des collectivités locales).
• Les autres recettes7 représentaient globalement 18,5 milliards d’euros et 2,7 % du total
des ressources.
Le tableau 10.5 montre comment ont évolué les différentes ressources de la protection so-
ciale entre 2000 et 2007.
Tableau 10.5
Évolution des recettes du Compte de la protection sociale : 2000-2007
Montant en milliards d’euros
2000 2004 2005 2006 2007
Cotisation totales 284,9 335,7 350,3 366,6 379,3
Cotisations effectives 246,6 291,6 305,0 321,7 334,1
Cotisations d’employeurs 160,5 185,9 193,9 204,2 211,9
Cotisations de salariés 70,1 85,2 89,2 93,8 97,6
Cotisations des travailleurs indépendants 14,8 18,1 19,3 20,4 21,3
Autres cotisations effectives 1,2 2,5 2,6 3,2 3,2 Source : ministère de
Cotisations imputées 38,4 44,1 45,3 44,9 45,2 la Santé et des solida-
Impôts et taxes affectés 82,8 83,1 91,5 116,9 124,2 rités, Drees, compte
de la protection
Contributions publiques 48,4 70,8 71,0 54,9 57,5 sociale (base 2000) ;
Autres recettes 11,2 11,9 13,1 16,6 18,5 Études et résultats, n°
Total des ressources (hors transfert) 427,3 501,5 525,9 555 579,5 667, octobre 2008..

6 Les cotisations « imputées » ou « fictives » représentent la participation des employeurs, privés ou publics, au financement
d’un régime d’assurance sociale dont ils assurent eux-mêmes la gestion au bénéfice de leurs propres salariés et de leurs
ayants droit, et qui sont la contrepartie des prestations sociales que l’employeur verse directement à ses salariés comme,
par exemple, la retraite des fonctionnaires.
7 Ce poste comprend aussi bien des dons et legs que des revenus immobiliers et des revenus financiers.

542 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Le poids dans le PIB des ressources prélevées pour financer les dépenses de la protection
sociale est mesuré par deux agrégats (tableau 10.6).
• Le taux de pression sociale se définit comme le rapport de l’ensemble des cotisations so-
ciales (effectives et imputées) et des impôts et taxes directement affectés au financement
de la protection sociale sur le PIB. Il était de 26,6 % en 2007 (25,5 % en 2000)8.
• Le taux de prélèvements obligatoires sociaux est un agrégat un peu plus restreint que
le précédent. Il se définit comme le rapport au PIB de la somme des cotisations effectives
reçues par les administrations publiques, des impôts et des taxes affectés au financement
de la protection sociale. Il s’élevait en 2007 à 22,6 % du PIB (21,7 % en 2000).
TAbLEAU 10.6
Les agrégats de la protection sociale

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007


Taux de redistribution sociale (presta-
27,7 27 ,8 28,5 29,0 29,4 29,5 29,3 29,0
tions de protection sociale / PIb)
Taux de pression sociale(cotisations
sociales + impôts et taxes affectés / PIb) 25,5 26,0 26,1 26,2 25,2 25,6 26,6 26,6
Taux des prélèvements obligatoires
sociaux (cotisations sociales effectives + 21,7 22,0 22,0 22,1 21,1 21,5 22,6 22,6
impôts et taxes affectés / PIb)

Sources : DREES, Comptes de la protection sociale ; INSEE, Comptes nationaux.


*
La comparaison des dépenses et des ressources totales de la protection sociale pour l’an-
née 2005 faisait apparaître un déficit de 3,8 milliards d’euros (15,9 milliards d’euros en
2004) (tableau 10.7).

Tableau 10.7
Capacité (+) ou besoin (-) de financement des administrations de sécurité
sociale (en milliards d’euros)

2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007


Ensemble des
régimes d’assurance 6,4 5,8 - 3,7 - 8,6 - 14,5 - 1,4 - 1,5 0,3
sociale*
hôpitaux publics 0,4 0,4 0,0 - 0,4 - 0,1 - 1,4 - 1,8 - 2,0
Ensemble des
administrations 6,8 6,0 - 3,7 - 9,0 - 14,6 -2,8 - 3,3 - 1,6
de sécurité sociale

* Régime général, régimes d’indemnisation du chômage, fonds spéciaux, régimes complémentaires, autres régimes.
Sources : INSEE, Comptes nationaux ; DRESS, Etudes et résultats, n° 667, octobre 2008.

8 Le numérateur du taux de pression sociale additionne de véritables prélèvements obligatoires (cotisations sociales effectives
et taxes et impôts affectés), des cotisations imputées et des versements volontaires à des organismes privés (cotisations
aux mutuelles, par exemple).

La protection sociale sous tension 543


Cette situation n’est pas nouvelle. La tendance au déficit des comptes de la protection
sociale a commencé à se manifester dès les années 1970 en liaison principalement avec le
ralentissement du rythme de croissance du PIB et des salaires et, partant, de l’assiette des
ressources de la protection sociale, qui est l’une des caractéristiques majeures de la longue
phase de crise économique durable dans laquelle la France s’est engagée à partir de 1973-
1974 et dont elle n’est pas encore sortie. En 2006 et en 2007, le besoin de financement de
l’ensemble des administrations de sécurité sociale s’établissait respectivement à 3,3 et 1,6
milliards d’euros.

paragraphe 3 : comparaisons européennes


Comme on l’a déjà souligné, les pays formant l’Union européenne disposent tous d’un
système de protection sociale plus ou moins perfectionné9, avec cependant des différences
sensibles de ce point de vue entre les pays de l’UE à 15 (et plus encore entre ceux de l’UE
à 27), quant au degré global de protection sociale des populations des pays considérés et
quant à la structure et à la configuration du système de protection sociale des différents
pays. Il est ainsi possible de dresser une typologie des systèmes de protection sociale euro-
péens en fonction de quatre critères :
• le mode de financement de la protection sociale, selon que celui-ci privilégie le recours
aux cotisations sociales ou aux impôts. En Europe, on peut ainsi distinguer deux grands
groupes de pays. D’une part, ceux où, suivant le modèle bismarckien, le financement
par les cotisations sociales est majoritaire (France, Allemagne, Belgique, Pays-Bas, Italie,
Espagne, Autriche, Grèce). D’autre part, ceux où, suivant le modèle beveridgien, la part
du financement par l’impôt est plus élevée (Luxembourg, Finlande, Portugal, Royaume-
Uni, Irlande, Danemark) ;
• le mode de calcul des prestations, selon que celles-ci sont forfaitaires (d’un montant
identique pour les différents bénéficiaires), ou que leur montant dépend plus ou moins
du revenu qu’elles sont destinées à remplacer ;
• les bénéficiaires des prestations, selon que celles-ci sont destinées à l’ensemble de la
population (prestations universelles) ou à une partie seulement de cette population
(prestations sous conditions de ressources) ;
• la forme des prestations qui peuvent être en espèces (retraite, allocations chômage...)
ou en nature (soins médicaux, crèches...).

Eurostat publie des statistiques (avec pour certaines un délai important) concernant la pro-
tection sociale dans les différents pays de l’Union européenne, qui sont harmonisées selon
le système européen de statistiques intégrées de protection sociale (SESPOS). Il en ressort
que le poids des prestations de protection sociale dans le PIB varie sensiblement d’un pays
à l’autre. En 2005, il était en moyenne de 26,3 % pour l’UE à 25, en hausse par rapport à
1990, avec une fourchette allant de 17 % en Irlande à 30,9 % en Suède pour les pays de
l’UE à 15 et de 11,9 % en Lettonie à 22,9 % en Slovaquie pour les dix nouveaux pays entrés
dans l’UE en 2004 (Graphique 10.3).
9 En l’état actuel des choses, la définition et la conduite des politiques sociales demeurent en Europe pour l’essentiel de
la responsabilité des États-membres. Cela ne signifie pas que la construction européenne ait totalement laissé de coté le
domaine de la protection sociale et des politiques sociales. Plusieurs textes, conventions, chartes ou traités ont été suc-
cessivement adoptés par un nombre plus ou moins grand de pays européens depuis les années 1960 ; mais on est encore
très loin de l’Europe « sociale » que certains appellent de leurs vœux.

544 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Graphique 10.3
Les dépenses de protection sociale en Europe en 1990 et 2003

Sources : Eurostat, Sespros ; Etudes et résultats, n° 526, octobre 2006.

Les taux les plus élevés s’observent plutôt dans les pays les plus riches et/ou ceux du Nord
de l’Europe. Les pays du Sud de l’Europe (Italie, Espagne, Grèce, Portugal) se situent plutôt
en dessous de la moyenne de l‘UE, tandis que les pays du Nord de l’Europe (à l’exception de
la Finlande, du Luxembourg et de l’Irlande) se situent plutôt au niveau ou au-dessus de la
moyenne.
Les différences tiennent à divers facteurs :
• le niveau du PIB par tête, les pays les plus développés étant le plus souvent ceux qui, en
moyenne, ont le taux de redistribution le plus élevé ;
• la structure de la population du pays (une population vieillissante consomme propor-
tionnellement plus de prestations d’assurance vieillesse et de prestations d’assurance ma-
ladie qu’une population jeune) ;
• la configuration des système nationaux de protection sociale (qui sont plus ou moins
« généreux » et couvrent de manière plus ou moins extensive les différents risques so-
ciaux) ;
• les traditions en matière de solidarités familiales…
Il existe également des différences significatives ente les pays de l’UE concernant la réparti-
tion de ces dépenses entre les différents risques sociaux auxquels elles répondent (tableau
10.8). Cela étant, le risque vieillesse-survie représentait en moyenne en 2005 45,9 % du
total des prestations de protection sociale dans l’ensemble de l’UE en 2005 (mais 26,6 % en
Irlande et 60,7 % en Italie)10, et le risque santé 28,6 % du total des prestations.

10 Comme la France, mais bien plus encore pour la quasi-totalité d’entre eux, les pays de l’Union européenne sont confrontés
au problème posé par la dégradation de leur ratio de dépendance démographique (rapport de la population âgée de
plus de 65 ans sur celle comprise entre 20 et 65ans). Égal à 39,5 % en 2000, pour l’Union européenne à 15, il passerait,

La protection sociale sous tension 545


TAbLEAU 10.8
Prestations sociales dans les pays de l’Union européenne
par groupe de fonctions en 2003 En % du total des prestations

Vieillesse, survie Maladie, soins Invalidité Famille, Logement,


Chômage exclusion
de santé enfants sociale
Allemagne 42,9 27,7 7,8 10,5 8,6 2,5
Autriche 48,3 24,8 8,6 10,8 6,0 2,0
belgique 44,5 27,0 6,6 7,8 12,4 1,7
Danemark 37,2 20,5 13,5 13,2 9,8 5,7
Espagne 43,8 30,7 7,4 3,0 13,3 1,7
Finlande 37,0 25,1 13,3 11,5 9,9 3,2
France 43,3 30,5 4,8 9,0 7,9 4,5
Grèce 50,7 26,5 5,1 7,3 5,7 4,6
Irlande 23,2 41,8 5,1 16,0 8,4 5,6
Italie 61,8 25,7 6,4 4,1 1,8 0,3
Luxembourg 37,2 24,8 13,4 17,7 4,2 2,9
Pays-bas 40,3 31,4 11,1 4,9 6,2 6,2
Portugal 46,2 28,8 11,5 6,5 5,5 4,6
royaume-Uni 44,9 29,6 9,4 6,9 2,7 6,5
Suède 40,2 26,3 14,2 9,5 5,9 4,0
Union européenne 45,5 28,4 8,0 8,0 6,6 3,5
Source : Eurostat-SESPROS ; France, portrait social, édition 2006, p. 267

Les ressources de la protection sociale se répartissent dans l’ensemble de l’UE entre les
cotisations sociales pour 60 % du total (59,5 % en 2005 pour l’UE à 15), les contributions
publiques et impôts et taxes affectés pour 36,9 % et les autres ressources pour 3,1 %.
La part respective des cotisations sociales, d’une part, et de la somme des contributions
publiques et impôts et taxes affectés, d’autre part, varie cependant sensiblement d’un pays
à l’autre (graphique 10.4).
GrAPhIqUE 10.4
Le financement de la protection sociale dans l’Union européenne par catégorie
de financements en 2003

Sources : Eurostat, Sespros ; Etudes et


résultats, n° 526, octobre 2006.

selon les estimations réalisées (OCDE, 2006 et COR 2004), à 79,5 % en 2050.

546 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Du point de vue des ressources du système de protection sociale, il est encore possible de
distinguer aujourd’hui deux groupes de pays. D’une part, les pays de tradition bismarc-
kienne, où la protection sociale prend la forme d’assurances sociales dans lesquelles la cou-
verture des assurés contre les risques sociaux est conditionnée à leur contribution au finan-
cement des dépenses correspondantes par le versement préalable de cotisations sociales.
D’autre part, les pays de tradition beveridgienne où la protection sociale assure une cou-
verture universelle de toute la population du pays, sans préalable contributif des intéres-
sés, le financement des dépenses étant assuré par l’impôt11. Dans les premiers (Allemagne,
France, Autriche, Belgique…), le financement par les cotisations était traditionnellement
prédominant, la protection sociale y reposant principalement sur un système assurantiel
à base professionnelle. La protection sociale y est relativement forte (niveau élevé d’État-
providence). Dans les seconds (Grande-Bretagne, Irlande, et pays d’Europe du Nord), les
financements publics sont traditionnellement plus importants. Il faut alors distinguer, dans
ce deuxième groupe de pays, entre ceux où la protection sociale est globalement relative-
ment faible (État-providence résiduel) et ceux qui, au contraire des précédents, assurent
à leur population un niveau de protection sociale très élevé (Suède, Danemark, Norvège,
Finlande).
Mais les différences entre ces deux grands groupes de pays s’atténuent progressivement
du fait que la part des financements publics dans le financement total tend à augmenter
dans les pays du premier groupe, les rapprochant ainsi quelque peu de ceux du second
groupe, tandis que, parallèlement, certains pays du second groupe ont vu la part du finan-
cement public diminuer au profit de celle des cotisations sociales : à titre d’exemple, au Da-
nemark, la part des financements publics est passée de 80,1 % en 1990 à 63,2 % en 2005.
La part des cotisations patronales dans l’ensemble des ressources de la protection sociale
était en moyenne de 38,5 % pour l’UE à 15 en 2002. Elle demeure donc importante mais
elle est en baisse sensible, dans une optique de réduction des charges sociales sur les entre-
prises qui sont accusées de réduire leur compétitivité. Celle des personnes protégées (sala-
riés, travailleurs indépendants, retraités) était de 21,7 %, orientée à la hausse à l’opposé
de celle des cotisations patronales. Pour l’ensemble de l’UE à 15, la part des cotisations
dans l’ensemble des ressources de la protection sociale a baissé de 4 points entre 1992 et
2001. Parallèlement la part des contributions publiques est des impôts et taxes affectés a
augmenté, passant de moins de 30 % des recettes totales de la protection sociale en 1990
à 36 % en 2001.

11 Concernant plus spécifiquement l’assurance-maladie, dans un système bismarckien l’assurance-maladie et l’organisation


des soins correspondent à deux dispositifs distincts : l’assurance-maladie prélève les cotisations sociales qui financent
les dépenses et effectue les remboursements au profit des assurés, tandis que les offreurs de soins fournissent le service
de soins. Par contre, dans le système beveridgien l’assurance-maladie et l’organisation des soins sont réunis au sein de
« systèmes nationaux de santé » dont le National Health Service de Grande-Bretagne est l’archétype ; les frais de fonction-
nement des offreurs de soins sont directement pris en charge par le système national de santé dont les médecins sont en
général salariés, les patients n’ayant généralement pas à faire l’avance des dépenses et n’étant pas non plus remboursés.

La protection sociale sous tension 547


Section 2 : La crise de financement du système de
protection sociale
La crise économique durable contemporaine s’est accompagnée d’une crise du finance-
ment du système de protection sociale. Cette dernière résulte de la conjonction de la pour-
suite de l’augmentation des dépenses sociales (dont les dépenses liées au chômage) et de
la moindre croissance des ressources12, induites simultanément par la crise. Celle-ci s’ac-
compagne, comme on l’a déjà souligné, de la montée du chômage et d’un ralentissement
de la croissance de la productivité du travail, l’une et l’autre influant négativement sur
l’évolution des ressources de la protection sociale, tout comme d’ailleurs le ralentissement
marqué de la croissance des salaires qui s’impose dès la fin des années 1970 et se confirme
ensuite tout au long des deux décennies suivantes. Parallèlement, l’intensification du tra-
vail et la dégradation des conditions de travail, ainsi que le chômage, augmentent les
charges qui pèsent sur le système de protection sociale (augmentation des accidents du
travail et des maladies professionnelles, indemnisation du chômage…). D’où un « effet de
ciseaux » produit par la crise économique qui menace l’équilibre financier du système de
protection sociale (§ 1). Les réponses apportées jusqu’à présent par les pouvoirs publics à
cette crise du financement ont pris la forme de plans successifs d’équilibre des comptes mis
en œuvre depuis le milieu des années 1970 et associant le plus souvent, selon un dosage
variable, des mesures de limitation de la croissance des dépenses et d’augmentation des
ressources (hausse des cotisations, création de nouveaux impôts puis relèvement de leur
taux, réaffectation d’impôts préexistants au financement de la protection sociale…) (§ 2).
Elles n’ont eu cependant à chaque fois qu’une efficacité limitée dans le temps, ouvrant
ainsi la voie à des propositions de reformes des modalités de financement de la protection
sociale (§ 3).

paragraphe 1 : les causes de la crise de financement du système de


protection sociale
La crise économique durable qui s’est amorcée dés le début des années 1970 a favorisé la
poursuite de l’augmentation de longue durée des dépenses de protection sociale engagée
depuis la Second Guerre mondiale (A), tandis qu’elle suscitait des phénomènes se tradui-
sant par un freinage de la hausse des ressources (B). Il en est résulté des difficultés récur-
rentes d’équilibrage des comptes de la protection sociale et l’apparition d’une tendance
quasi structurelle au déficit du système de protection sociale.

A – La poursuite de l’augmentation de longue durée des dépenses de protection


sociale
En France, depuis la Seconde Guerre mondiale, la croissance des dépenses de protection
sociale est très soutenue. Leur part dans le PIB a fortement progressé. Après être passées
de 17,5 % du PIB en 1967 à 19 % en 1974, les dépenses totales (protection sociale pro-
prement dite plus dépenses de fonctionnement) ont ensuite continué d’augmenter (gra-
phique 10.5) pour atteindre approximativement 31 % du PIB en 2005 sous l’effet conjugué
12 Progression plus lente des salaires et des revenus sur lesquels sont assis les cotisations et les impôts affectés, réduction
du nombre d’actifs cotisants par suite de la forte croissance du chômage.

548 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


de l’augmentation des dépenses sociales, engendrées pour partie par la crise elle même,
et du ralentissement marqué du rythme de croissance de longue période du PIB en volume
qui en est l’une des manifestations principales.
GrAPhIqUE 10.5
Rapport des prestations sociales au PIB
et au revenu disponible des ménages de 1981 à 2003 (en %)

Sources : DREES, INSEE

Dans le cadre de cette tendance de longue période à l’augmentation, la part des dépenses
de la protection sociale dans le PIB connaît par ailleurs, à court et moyen terme, une évolu-
tion de caractère contracyclique. Sa hausse s’accélère en phase de ralentissement conjonctu-
rel de la croissance économique, alors que le rythme de croissance du PIB fléchit tandis que
celui des prestations sociales augmente, la hausse du chômage et l’évolution défavorable
des revenus se traduisant alors par l’augmentation des dépenses d’indemnisation du chô-
mage et par l’accroissement des prestations soumises à condition de ressources. Pour des
raisons symétriques, la hausse de la part des dépenses globales de protection sociale dans le
PIB ralentit en phase d’accélération conjoncturelle de la croissance économique.
Le taux de redistribution sociale (rapport des prestations de protection sociale sur le PIB) a
progressé par paliers successifs depuis le début des années 1980, passant de 24,5 % en 1981
à 29,6 % en 2005 et 29 % en 2007, soit une hausse de 4,5 points de PIB en moins de trois
décennies : hausse de 1981 à 1985, suive d’un léger reflux jusqu’en 1989 ; nouvelle augmen-
tation jusqu’en 1993, suive d’une quasi-stabilisation jusqu’en 2001 ; nouvelle hausse à partir
de 2002.
Alors qu’il s’établissait à 27,68 % en 2000 (calculé en base 2000 de la comptabilité nationale),
il a repris son mouvement de hausse jusqu’en 2005 (29,6 %), en raison du ralentissement
en tendance du rythme de croissance du PIB observé au cours de cette période, tandis que
les dépenses de protection sociale continuaient d’augmenter. Il a légèrement fléchi depuis

La protection sociale sous tension 549


(29,36 % en 2006 et 29 % en 2007), alors que la croissance de PIB en valeur était plus soute-
nue (4,7 % respectivement en 2006 et en 2007 contre une moyenne annuelle de 3,7 % entre
2000 et 2005) et que la croissance des dépenses de protection sociale ralentissait (approxima-
tivement 4 % en 2006 et en 2007 contre une moyenne de 5 % entre 2000 et 2005). Parallè-
lement à cette croissance de la part des dépenses de protection sociale dans le PIB, leur part
dans le revenu disponible brut des ménages s’est élevée de 30 % en 1981 à 36 % en 2003, ce
qui traduit un processus de socialisation des revenus (graphique 10.5).

Les causes de cette croissance de longue période de l’ensemble des dépenses de protection
sociale depuis le début des années 1970 et, corrélativement de leur part dans le PIB, sont
relativement bien identifiées. On les a déjà évoquées dans les deux chapitres précédents
en examinant tout à tour les différentes composantes de la protection sociale. Ce sont plus
particulièrement les cinq causes suivantes.
• L’évolution démographique, avec ces deux facteurs majeurs d’accroissement des dépenses
de protection sociale que sont l’augmentation de la population totale et le vieillissement
de la population, mesuré conventionnellement par l’augmentation de la part des plus de
65 ans dans la population totale. Cette dernière est passée de 56,600 millions en 1985 à
60,751 millions en 2000 et 63,573 millions en 2007, avec un solde naturel atteignant alors
290 000, 816 500 naissances (830 300 en 2006) et un solde migratoire net évalué à + 71 000
personnes (+ 90 000 en 2006). Parallèlement à cette augmentation sensible de la popu-
lation totale (+ 11,6 % en 21 ans), la part des plus de 65 ans dans la population totale a
augmentée passant de 10 % en 1960 à 16,2 % en 2007.
• Le progrès technique, particulièrement rapide dans le domaine de la santé au cours des
dernières décennies, qui, s’il permet d’un côté de réduire le coût de traitement de certaines
affections, se traduit par ailleurs et surtout par la mise au point de nouveaux traitements
et de nouveaux modes opératoires (imagerie médicale…) plus efficaces mais également le
plus souvent plus, voire beaucoup plus coûteux.
• L’aspiration grandissante des populations à une meilleure couverture de leurs besoins en
matière de santé, celle-ci étant considérée comme un bien supérieur dont la consomma-
tion, comme celle de tous les biens supérieurs, progresse plus vite que le revenu.
• L’élévation générale du niveau de vie moyen de la population et, dans ce contexte, l’aspi-
ration du plus grand nombre à pouvoir bénéficier tout au long de sa vie de conditions de
vie « décentes ». Cela s’est traduit en particulier par la hausse du coût de la prise en charge
de la vieillesse, la revalorisation progressive des pensions de retraite se conjuguant avec la
maturation progressive du régime général de retraite par répartition mis en place après
la Seconde Guerre mondiale13. Cela s’est traduit également par l’obligation d’améliorer
significativement la prise en charge de certaines populations particulièrement défavori-
sées (handicapés, invalides) : création de l’AAH, renforcement de l’aide sociale, création
de l’APA.
• Des changements dans les rapports sociaux avec en particulier la hausse régulière et très
marquée du taux d’activité des femmes qui a été permis par le (et qui à contraint au) dé-
veloppement des dispositifs de prise en charge de la petite enfance, d’aide à la garde des
enfants en bas âge, création de l’API, etc.
13 Cela s’est manifesté par l’augmentation des droits à pension des nouvelles générations de retraités constituées de
salariés ayant accompli des carrières professionnelles complètes, et bénéficiant par conséquent de retraites à taux plein.

550 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


À ces différentes causes qui opéraient déjà pendant les Trente Glorieuses se sont ajoutées
dans les trois dernières décennies des causes nouvelles : la montée du chômage de masse
qui conduit à mettre en œuvre des politiques coûteuses de traitement social du chômage
et de soutien à l’emploi, tandis qu’augmente le coût global des allocations chômage à la
charge du système de protection sociale ; la réapparition et le développement des phéno-
mènes d’exclusion et de grande pauvreté qui contraignent les pouvoirs publics à mettre en
œuvre des politiques spécifiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion et à développer
de nouveaux dispositifs d’aide à des populations particulièrement fragilisées par la crise
(création du RMI, Samu social…).

B – Le ralentissement de la croissance des ressources et l’évolution de leur


structure
Si, jusqu’au début des années 1970, la croissance des ressources de la protection sociale
avait suivi sans trop de difficultés particulières celle des dépenses, il n’en a plus été de
même par la suite. Dès les années 1980, la croissance des ressources tend régulièrement
à retarder sur celle des dépenses. La crise économique durable tend en effet à ralentir la
croissance des ressources alors que celle des dépenses se poursuit.
Cette crise s’est traduite par un ralentissement marqué de la croissance de la masse sala-
riale sur laquelle sont assises les cotisations sociales. La masse salariale a en effet subi l’im-
pact négatif de la forte hausse du chômage en même temps que le rythme de croissance
du salaire moyen fléchissait sensiblement (cf. supra chapitre IX). Le chômage de masse qui
s’installe durablement à partir de la fin des années 1970, et qui accroît les dépenses à la
charge du système de protection sociale, se traduit parallèlement par une perte considé-
rable de ressources : 100 000 chômeurs représentent approximativement 1,3 milliard d’eu-
ros de perte pour les ressources de la Sécurité sociale, soit un manque à gagner de l’ordre
de 26 milliards d’euros pour 2 millions de chômeurs. À cela s’ajoute que, avec le « mal
emploi » qui accompagne le chômage de masse, nombre de salariés n’occupent désormais
que des emplois précaires à temps partiel, avec des salaires faibles, ce qui contribue égale-
ment à limiter la croissance des ressources de la protection sociale.
Globalement, la croissance des ressources a néanmoins dû suivre approximativement celle
des dépenses de protection sociale, même si les déficits ont tendance à se creuser depuis
les années 1990. En conséquence, le taux de pression sociale, c’est-à-dire la somme des
cotisations sociales (effectives et imputées) et des impôts et taxes affectés au financement
de la protection sociale rapportée au PIB, est passé de 21,9 % en 1981 à une moyenne su-
périeure à 25 % depuis 1993 (23,4 % en 1990, 25,5 % en 2000, 26,2 % en 2003 et 26,6 %
en 2007).
Mais cette croissance globale des ressources s’est accompagnée d’une évolution impor-
tante dans la contribution respective des différentes catégories de financement. La struc-
ture des ressources affectées au financement de la protection sociale s’est ainsi modifiée
sensiblement, la part des cotisations sociales diminuant progressivement au profit de celle
du financement public (impôts et taxes affectés en particulier) (graphique 10.6).

La protection sociale sous tension 551


GrAPhIqUE 10.6
Structure du financement de la protection sociale

Sources : DREES, 2005 ; Le Monde, 15 janvier 2006.

La part des cotisations sociales (et plus spécifiquement des cotisations patronales) dans
le total des ressources de la protection sociale régresse : proche de 80 % du total des
ressources pendant les années 1980, elle est passée de 79,5 % en 1990 à 65,45 % en 2007
(graphique 10.7). C’est la part des cotisations d’employeurs qui a le plus baissé, la part des
cotisations sociales effectives patronales dans le financement total de la protection sociale
passant de 47 % en 1990 à 36,6 % en 2007.

GrAPhIqUE 10.7
Répartition des ressources hors transferts du compte de la protection sociale :
Comparaison 1990 et 2005

Source : ministère de la Santé et des solidarités, Drees, compte de la protection sociale (base 2000)

Cette baisse de la part des cotisations sociales dans le financement total de la protection
sociale résulte de la conjonction de deux facteurs :

552 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


• la faible croissance de la masse salariale (+ 1,5 % par an de 1980 à 1990 et + 1,1 % de
1990 à 1997) sur laquelle sont assises les cotisations sociales qui s’est traduite mécani-
quement dans l’évolution des cotisations sociales ;
• les politiques mises en œuvre depuis les années 1990 par les gouvernements successifs
qui se sont traduites par le transfert d’une partie des cotisations sociales sur la CSG et
par les diverses mesures d’exonération de cotisations sociales sur les bas salaires enga-
gées depuis 1993.
Ces exonérations ont atteint près de 28,2 milliards d’euros en 2007 (soit une somme très
nettement supérieure au déficit global de la Sécurité sociale), dont 20,8 milliards d’euros
correspondent aux mesures sur les bas salaires et 0,6 milliard d’euros aux exonérations pour
heures supplémentaires (loi TEPA de juillet 2007). Ces allègements de charges sociales sont
compensés par l’Etat sous forme d’affectation de recettes fiscales ou de dotation. En 2007,
cette compensation s’est élevée à 92% du total des exonérations. Selon les estimations de
la Cour des comptes, les exonérations de cotisations sociales devraient attendre en 2008
32,3 milliards d’euros du fait de l’impact de la loi TEPA sur les heures supplémentaires.
Ces exonérations de cotisations sociales ont été justifiées par les gouvernements qui les ont
instituées en mettant en avant la thèse selon laquelle le coût relatif du travail serait trop
élevé en France, du moins pour les travaux sans qualification particulière14, et que ce serait
là une des causes principales du chômage en pesant sur la compétitivité des entreprises.
Cette thèse est cependant contestée par des auteurs qui font valoir en particulier deux
arguments. D’une part, les résultats des travaux du CERC (organisme dissout depuis par
le gouvernement) concernant le coût du travail ont montré que celui-ci ne handicape pas
spécifiquement la France par rapport à ses partenaires et concurrents de l’Europe et de
l’OCDE. Si l’on compare le coût horaire du travail, toutes charges comprises, dans l’UE à 15,
pour l’ensemble de la main-d’œuvre (ouvriers et encadrement), la France est en position
médiane. Si l’on s’en tient aux seuls ouvriers, une étude du Bureau du travail des États-Unis
(2004) montre que la France est 12ème sur 15 en 2004, avec un coût horaire du travail ou-
vrier de 23,89 dollars (tableau 10.9). D’autre part, comme cela a déjà été souligné, considé-
rer les prélèvements sociaux uniquement comme un coût c’est oublier que les prestations
sociales qui en sont la contrepartie régularisent et soutiennent la croissance de la demande
qui s’adresse aux entreprises et contribuent à accroître la qualité moyenne de la force de
travail sociale, favorisant ainsi l’accroissement de la productivité. On sait par ailleurs que
la compétitivité des entreprises sur le marché national et sur les marchés étrangers ne dé-
pend pas que des prix, mais aussi de la compétitivité hors prix15.

14 Pour le travail très qualifié des dirigeants d’entreprise c’est une toute autre affaire si l’on en juge par les augmentations
de salaire et autres avantages divers qu’ils s’attribuent généreusement (cf. chapitre III).
15 L’efficacité des réductions ou suppressions de charges sociales en termes de création ou de préservation d’emplois est
de surcroît sujette à caution, le coût pour la collectivité des emplois créés ou préservés étant en outre très élevé (cf.
supra, chapitre IX).

La protection sociale sous tension 553


TAbLEAU 10.9
Coût horaire en dollars du travail ouvrier
toutes charges comprises dans différentes pays

Pays Coût Pays Coût


Norvège 34,64 Luxembourg 26,57
Allemagne, Länder Ouest 34,05 royaume-Uni 24,71
Danemark 33,75 France 23,89
Allemagne, Länder Est 32,53 Irlande 21,94
Pays-bas 30,76 Italie 20,48
Finlande 30,67 Espagne 17,10
Suisse 30,26 Portugal 7,02
belgique 29,98 hongrie 5,72
Suède 28,42 république tchèque 5,43
Autriche 28,29
Source : Board of Labour Statistics, 2004.

À l’opposé de celle des cotisations sociales, dont on vient de voir qu’elle a diminué globale-
ment, la part du financement public (impôts et taxes affectés aux dépenses sociales et contri-
butions publiques, c’est-à-dire les dotations aux régimes sociaux de l’État et des collectivités
locales) dans le financement total de la protection sociale a augmenté de 17,6 % en 1981
à 30,35 % en 2000 et 31,35 % en 2007. Mais, alors que la part des contributions publiques
a plutôt régressé, passant de 15,3 % en 1981 à 11,2 % en 2000 et 9,9 % en 2006 et en 2007
(13,55 % en 2005), celle des impôts et taxes affectés a fortement augmenté, passant de
2,3 % en 1981 à 19,15 % en 2000 et 21,43 % en 200716. Cette forte hausse de la part du finan-
cement fiscal est l’effet en particulier de la création de la CSG en 1991 et de ses hausses suc-
cessive (1,1 % à sa création en 1991, 2,4 % en 1993, 3,4 % en 1997 et 7,5 % en 1998, la CSG
se substituant à l’essentiel des cotisations sociales salariales d’assurance-maladie ; en 2005, le
taux de la CSG sur les revenus du patrimoine et les revenus de remplacement a de nouveau
été relevé, et son assiette sur les salaires a été élargie, tandis qu’en 2006 les plans d’épargne
logement de plus de 10 ans ont été soumis aux prélèvements sociaux17. À quoi s’est ajoutée
la création en 1995 de la Contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS) au
taux de 0,5 %. En 2005, la CSG et la CRDS ont rapporté à elles deux 72 milliards d’euros, soit
sensiblement plus que l’impôt sur le revenu (un peu moins de 50 milliards d’euros) ; 89 %
du total correspond à un prélèvement sur les salaires et les ressources de remplacement
(retraites, indemnités journalières de maternité et de maladie, indemnités de chômage) et
10,5 % seulement sur les revenus du capital. Les revenus financiers des entreprises, soit ap-
proximativement 80 milliards d’euros par an pour les sociétés non financières, n’y sont pas
soumis. Il faut souligner par ailleurs que, à la différence de l’impôt sur le revenu qui est
progressif, la CSG est un impôt proportionnel. Les contributions publiques des APUL sont en
augmentation. Leur part dans les prestations de protection sociale atteignait 5 % en 2006.
16 17,37 % en 2005. La forte augmentation enregistrée entre 2005 et 2006, alors que la part des contributions publiques
baissait (de 13,5 % du total des ressources de la protection sociale à 9,9 % en 2006) s’explique par le fait que les allége-
ments de charges sociales accordés aux entreprises qui, en 2004 et 2005, étaient compensés par des transferts du budget
de l’État aux régimes de Sécurité sociale (traités par conséquent en contributions publiques dans les comptes de la pro-
tection sociale) ont été compensés en 2006 par des affectations d’impôts, avec en particulier l’augmentation des droits
sur les tabacs et les alcools (traités en impôts et taxes affectés dans les comptes de la protection sociale).
17 En dehors de la CSG et de la CRDS, on décompte 23 impôts et taxes affectés au financement de la protection sociale, dont
la plupart ont été instaurés dans les années 1990.

554 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Cette évolution d’ensemble de la structure des ressources de la protection sociale traduit en
fait la volonté de distinguer plus nettement entre la protection sociale relevant de la solida-
rité professionnelle (dispositifs assurantiels : cotisations sociales assises sur les salaires) et la
protection sociale relevant de la solidarité nationale (financement des prestations familiales,
financement du minimum vieillesse, avec la création du FSV en 1994, par le recours à l’impôt
et aux contributions publiques), et de limiter la première au profit de la seconde.
En conclusion, l’effet de ciseaux que la crise économique exerce sur le système de protection
sociale (forte croissance des dépenses et frein à l’augmentation des ressources) se traduit par
une tendance au déficit qui affecte clairement le régime général de la Sécurité sociale, avec
en particulier l’apparition d’un déficit important à partir de 1986 qui a perduré jusqu’en
1998 puis, après quelques années de léger excédent, est réapparu en 2002 jusqu’en 2007. De
1974 à 2007 on compte 9 années d’excédent ou de quasi équilibre du régime général de la
Sécurité sociale et 25 années de déficit. Sur les dernières années (2003 à 2006), le déficit du
régime général a chaque année dépassé les 10 milliards d’euros et le besoin de financement
des ASS a atteint un montant cumulé de 35,5 milliards d’euros18.

paragraphe 2 : les réponses des pouvoirs publics à la crise de


financement

Face à cette dégradation de la situation financière du système de protection sociale, la re-


cherche de solutions pouvait a priori s’effectuer dans deux directions : la réduction des dé-
penses (ou du moins la limitation de leur hausse) ou l’augmentation des prélèvements affec-
tés au financement des dépenses. Pendant les années 1980 les gouvernements successifs ont
plutôt opté pour l’augmentation des ressources, principalement par des hausses de cotisa-
tions (Palier, 2003, p. 8). Mais c’est finalement la première voie qui a été privilégiée dans le
cadre d’une stratégie générale des pouvoirs publics de « repli de l’État-providence » (Pierson,
1994). Les gouvernements successifs ont tenté de résorber les déficits récurrents de la Sécu-
rité sociale en mettant en œuvre une succession de « plans de redressement », au rythme
de pratiquement un plan par an, à l’exception des années électorales, du milieu des années
1970 à 1996, date de la réforme introduisant le vote annuel de la loi de financement de la
Sécurité sociale par le Parlement : plan Durafour (décembre 1975), plan Barre (septembre
1976), plans Veil (avril 1977 et décembre 1978), plan Barrot (juillet 1979), plan Questiaux (no-
vembre 1981), plans Beregovoy (novembre 1982 et mars 1983), plan Dufoix (juin 1985), plans
Séguin (juillet 1986, décembre 1986 et mai 1987), plans Évin (septembre 1988 et décembre
1990), plan Bianco (juin 1991), plan Veil (août 1993), plan Jupé (novembre 1995).
Ces différents plans, au-delà des particularités propres à chacun d’eux, avaient en commun
d’associer l’augmentation des prélèvements sociaux et l’adoption de mesures d’écono-
mie destinées à réduire les dépenses. Ils ont permis à chaque fois de limiter de manière plus
ou moins nette et pour une période plus ou moins longue l’augmentation des dépenses
sociales19. Mais ils ne sont cependant pas parvenus à enrayer la tendance de long terme à la
hausse de ces dépenses passées, comme on l’a vu, de 19,4 % du PIB en 1974 à 29 % en 1993,
niveau auquel elles se sont depuis approximativement stabilisées.
18 DREES, Études et résultats, n° 609, novembre 2007.
19 Les mesures de réduction des dépenses les plus importantes, jusque 1992, concernaient les dépenses de santé, le taux
de remboursement des soins de santé par le régime général de la Sécurité sociale qui s’était élevé de 44 % en 1966 à
76,5 % en 1980 revenant à 74 % en 1990 et 73,9 % en 1995.

La protection sociale sous tension 555


Jusqu’au tout début des années 1990, ces plans visaient d’ailleurs principalement à ac-
croître les recettes : augmentation des prélèvements sociaux existants, création de nou-
veaux prélèvements. À titre d’exemple, le plan Questiaux (novembre 1981) rapporte 35,95
milliards de francs de recettes nouvelles en 1982, tandis que les réductions de dépenses
prévues par le plan Bérégovoy de mars 1983 ne sont que de 3,5 milliards de francs (Pa-
lier, 2003, p. 9). Cette stratégie de rééquilibrage des comptes, axée principalement sur
l’augmentation des recettes, allait d’ailleurs dans le sens de ce que souhaitaient alors les
Français, dont les sondages d’opinion réalisés à ce propos montraient, jusqu’à une période
relativement récente, qu’ils préfèrent l’augmentation des cotisations à la réduction des
prestations pour résoudre les problèmes de financement de la Sécurité sociale.
Jusqu’au début des années 1990, ces différents plans successifs de redressement des
comptes aboutissant principalement à accroître les ressources n’ont pas transformé en
profondeur le système de protection sociale. Les années 1990 marquent de ce point de
vue une évolution importante. C’est en effet à partir des années 1990 que vont être mises
en œuvre des réformes destinées prioritairement à contenir l’augmentation des dépenses
sociales.
La construction européenne joue un rôle central dans ce changement d’orientation. Ces
nouvelles réformes sont en effet présentées comme étant rendues nécessaires par la réali-
sation du marché unique européen. Celui-ci fait de la compétitivité des entreprises, que les
prélèvements sociaux sont accusés de réduire en accroissant le coût du travail une question
centrale. Ces réformes sont aussi imposées par la signature du traité de Maastricht et la
décision de créer la monnaie unique, ce qui contraint la France à respecter les critères de
convergence, puis les règles énoncées par le Pacte de stabilité et de croissance, déjà exami-
nés. Dans ce contexte nouveau, il convient donc de limiter la progression des dépenses de
la protection sociale afin de pouvoir contenir les déficits publics dans la limite prévue de
3 % du PIB, et de maintenir la dette publique en dessous de 60 % du PIB.
À cet effet, vont être engagées diverses réformes, préparées en fait depuis les années 1980
par une série de rapports d’étude commandés par les gouvernements successifs : réforme
de l’assurance-chômage en 1992 ; réforme des retraites des salariés du secteur privé en
1993 ; réforme de l’assurance-maladie en 199520. À la différence des divers plans de re-
dressement qui s’étaient succédé jusqu’à la fin des années 1980, laissant pour l’essentiel le
système de protection sociale intact, ces réformes vont amorcer un processus de transfor-
mation en profondeur et d’altération du système de protection sociale existant.

Selon leurs promoteurs, ces réformes étaient fondamentalement destinées à préserver le


système de protection sociale en l’adaptant aux exigences et contraintes nouvelles. Mais,
en pratique, ces réformes et celles qui leur ont succédé depuis, ont engagé le système sur
une voie sensiblement différente de celle de son développement initial, et qui ne laisse pas
d’être préoccupante.
Elles visent, entre autres choses, à établir une distinction nette entre la protection sociale
relevant de l’assurance sociale et celle qui relève de la solidarité nationale. À ce titre, les
prestations non contributives doivent être prises en charge par l’impôt, comme c’est le

20 On observe d’ailleurs une même inflexion des politiques de santé vers des tentatives de limiter la croissance des dépenses
dans d’autres pays de l’UE au même moment (réforme Seehofer en Allemagne en 1992, plan Simons en 1994 aux Pays Bas).

556 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


cas avec l’allocation de solidarité spécifique (ASS) depuis la réforme de l’assurance-chô-
mage de 1984 ou avec le minimum vieillesse et la création en 1993 du Fonds de solidarité
vieillesse (FSV), destiné à financer les retraites non contributives et auquel sont affectées
à cet effet diverses ressources fiscales, ou, plus récemment encore, avec la création de la
CMU en 1999.
Parallèlement, le lien entre cotisations et prestations sociales est renforcé, c’est-à-dire que le
niveau des prestations doit être beaucoup plus conditionné par celui des cotisations versées.
Autrement dit, la « contributivité des prestations », entendue dans le sens particulier d’une
proportionnalité entre les cotisations sociales versées et les prestations sociales reçues, est
renforcée. Au nom d’une certaine conception de l’équité, remplaçant de plus en plus sou-
vent la référence à l’égalité, ces réformes reposent sur l’idée selon laquelle il est juste que
les prestations reçues par les assurés correspondent plus étroitement aux cotisations qu’ils
acquittent. Mais elles aboutissent en fait par là-même à réduire globalement le montant
des prestations d’assurance versées. C’est le cas avec la réforme des allocations chômage
de 1992 et avec la réforme des retraites de 1993. Cette dernière, par exemple, on le sait,
aboutit ainsi à ce que le montant des pensions est désormais calculé en référence non plus
aux dix mais aux vingt cinq meilleures années de la carrière professionnelle du retraité,
ce qui renforce le lien entre le montant des cotisations effectivement versées et celui des
prestations reçues. Elle prolonge parallèlement le nombre d’annuités de cotisation néces-
saires pour bénéficier d’une retraite à taux plein de 37,5 à 40, ce qui va dans le même sens.
Les pensions sont en outre désormais indexées sur les prix et non plus sur les salaires. Il
s’agit donc de garantir le maintien dans le temps du pouvoir d’achat des pensions acquises
par les retraités, tout en supprimant la possibilité pour ces derniers de bénéficier des gains
de pouvoir d’achat obtenus par les actifs : les droits des retraités en matière de pouvoir
d’achat de leur pension sont donc désormais ceux qu’ils ont acquis quand ils étaient actifs
et cotisaient et uniquement ceux là21.
En liaison avec la mise en œuvre de ces réformes, on observe une augmentation progres-
sive dans le total des prestations sociales de la part des prestations dites de « solidarité »,
généralement soumises à des conditions de ressources, au détriment des prestations d’as-
surance. Dans son principe, cette évolution traduit une tendance à la réorientation des
dépenses vers les plus démunis (au nom de l’équité) associée à la recherche des moyens
de réduire le montant global des dépenses et, par conséquent, celui des prélèvements
obligatoires. Le risque est cependant qu’une telle évolution et la logique de la sélectivité
qui l’inspire conduisent à un système de protection sociale à plusieurs vitesses : ceux qui
en ont les moyens pouvant recourir aux mutuelles et assurances privées pour couvrir leurs
dépenses de santé et se constituer une épargne personnelle pour compléter leur retraite le
moment venu, les autres devant se contenter des dispositifs de protection obligatoire dont
les prestations sont de moins en moins généreuses, tandis qu’un nombre croissant d’indivi-
dus et de ménages ne peut plus compter que sur les prestations de solidarité (d’assistance)
sous conditions de ressources22.

21 Certains auteurs s’inquiètent de cette évolution de la protection sociale aboutissant à renforcer le lien entre le montant
des cotisations et celui des prestations. P. Concialdi y voit le risque de « déboucher sur une déstabilisation total des prin-
cipes de solidarité qui fondent l’organisation des systèmes de protection sociale » (1999, p. 7). Selon lui, la contributivité
ainsi entendue ouvre en effet la voie à une « individualisation totale de la protection sociale qui peut ouvrir la porte
à diverses formes de privatisation où les normes de protection sociale seront alors dictées par le marché » (Id., p. 7).
22 Selon P. Concialdi (1999), ces diverses réformes de la protection sociale ont eu pour conséquence de modifier le rôle

La protection sociale sous tension 557


D’autres modalités de financement de la protection sociale susceptibles d’apporter des ré-
ponses à la crise de financement de la protection sociale seraient cependant envisageables,
comme cela ressort de diverses contributions au débat qui se développe depuis plusieurs
années en France à ce propos.

paragraphe 3 : diverses propositions pour le financement de la


protection sociale
Face à la récurrence du déficit des comptes de la protection sociale, ont été avancées dif-
férentes propositions de réformes des modalités de financement de la protection sociale
répondant à des orientations très différentes de l’une à l’autre. Sans nier la nécessité de
se préoccuper de la manière dont évoluent les dépenses sociales et l’intérêt de certaines
réformes structurelles qui permettraient de dépenser non pas moins mais mieux, divers au-
teurs estiment cependant que la réponse aux difficultés récurrentes d’équilibre des comptes
de la protection sociale passe en premier lieu par une refonte de son financement.
Dans cette optique, certains auteurs ont proposé en particulier de modifier l’assiette des co-
tisations sociales et de les faire reposer désormais non plus sur la seule masse salariale mais
sur la valeur ajoutée des entreprises. Cette proposition de substituer la valeur ajoutée aux
salaires comme assiette des cotisations sociales n’est au demeurant pas réellement nouvelle.
L’idée avait déjà été examinée, dès les années 1970, dans différents rapports du Conseil éco-
nomique et social et du Commissariat au plan (Boutbien, 1974 ; Granger, 1975 ; Ripert, 1977),
tandis que J. Lesourne (1981, p. 7) proposait, pour lutter contre le chômage « classique »,
comme « première priorité » de « changer l’assiette d’une fraction des charges sociales en
la transformant à la fois en un supplément d’impôts sur le revenu et une cotisation sur la
valeur ajoutée ». L’idée était reprise en 1997 dans le rapport Chadelat qui proposait que la
part patronale de la cotisation maladie soit remplacée progressivement par une cotisation
assise sur la valeur ajoutée, ou que le taux de cotisation soit modulé en tenant compte du
rapport pour une entreprise entre sa masse salariale et sa valeur ajoutée : augmentation
(baisse) du taux de cotisation pour les entreprises dont le rapport de la masse salariale sur
la valeur ajoutée serait inférieur (supérieur) à un plafond de référence. Elle a été reprise en
janvier 2006 par l’ancien président de la République, Jacques Chirac, proposant « qu’une
fraction des cotisations patronales bascule vers une cotisation assise sur la valeur ajoutée ».
Cette proposition de réforme du financement de la protection sociale fait cependant débat.
Elle présenterait selon ses partisans différents avantages importants :
1) elle serait le moyen de prendre en compte dans la base de calcul du financement de la
protection sociale non seulement la partie de la valeur ajoutée nouvelle créée qui rému-
nère le travail, mais également celle qui correspond à la rémunération de la propriété et
du capital ;
respectif des différents facteurs d’explication de l’augmentation des dépenses de protection sociale depuis les années 1970.
Selon lui, ces politiques de maîtrise des dépenses sociales se sont traduites en particulier par la modification du mode de
revalorisation des barèmes des prestations, laquelle s’effectue désormais le plus souvent en fonction de l’évolution des
prix et non plus du rythme de croissance de la richesse nationale, ainsi que par le durcissement des conditions d’attribu-
tion des prestations aboutissant à ce que « de moins en moins de salariés ont désormais accès à un droit commun de la
protection sociale » (Concialdi, 1999, p. 3). La conséquence a été que le rôle de ces deux facteurs (relèvement des barèmes
et conditions d’accès aux prestations) dans l’explication de la hausse des dépenses de protection sociale a sensiblement
diminué depuis le début des années 1980, tandis qu’à l’opposé le rôle des facteurs économiques et démographiques
augmentait sensiblement : de 1982 à la fin des années 1990, ces deux facteurs ont expliqué 60 % environ de la hausse
des prestations, « contre moins de la moitié entre 1968 et 1982 et un peut plus de 20 % entre 1960 et 1968 » (Id., p.3).

558 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


2) elle garantirait une croissance des ressources de la Sécurité sociale au moins identique à
celle du PIB, alors que ce n’est pas nécessairement le cas avec des ressources assises prin-
cipalement sur la masse salariale dès lors que la part de la masse salariale dans la valeur
ajoutée est susceptible de baisser comme ce fut le cas à partir de 1982 ;
3) elle serait plus juste économiquement parlant que le système actuel qui fait reposer les
cotisations sociales sur les salaires et pénalise ainsi les industries de main-d’œuvre au bé-
néfice des activités à haute intensité capitalistique ;
4) dans un premier temps au moins, elle pourrait être favorable à l’emploi en réduisant
l’incitation à substituer du capital au travail, incitation que renforce au contraire le ren-
chérissement relatif du coût du travail induit par le système actuel de cotisations assises
sur le salaire.
Les opposants à cette réforme du financement de la protection sociale font valoir par contre
que ce nouveau dispositif pénaliserait les secteurs les plus dynamiques de l’économie, à
haute intensité capitalistique (secteurs de hautes technologies, télécommunications, éner-
gie, etc.), ainsi que les entreprises les plus innovantes (Conseil pour l’emploi, 2006), les plus
mondialisées et potentiellement les plus aisément « délocalisables », au détriment par consé-
quent de la croissance et de l’emploi. Le rapport Malinvaud (1998) attirait en outre l’atten-
tion sur la complexité de ce mode de financement de la protection sociale, la valeur ajoutée
effectivement créée par les entreprises étant plus difficile à contrôler que la masse salariale,
et d’importantes possibilités d’évasion fiscale existant.
Plus récemment, et compte tenu des difficultés que pourrait susciter une substitution pure
et simple de la valeur ajoutée à la masse salariale, et des problèmes que laisserait en suspend
cette substitution, C. Mills et J. Caudron (2007), qui se prononcent pour le maintien des
cotisations patronales, proposent d’en réformer le mode de calcul en reprenant l’idée avan-
cée dans le rapport Chadelat (1997) d’une modulation de ces cotisations patronales à partir
du ratio masse salariale sur valeur ajoutée ; les entreprises où ce taux est bas se verraient
appliquer un taux de cotisation plus élevé et, à l’opposé, celles « qui contribuent à la crois-
sance réelle par l’emploi, les salaires et la formation bénéficieraient de taux de cotisation
relativement moindres » (2007, p. 548). Le taux de cotisation varierait donc en fonction de
la politique d’emploi et d’investissement des entreprises. Il serait relevé pour les entreprises
qui suppriment des emplois et limitent leurs investissements productifs.

Avec les propositions concernant la valeur ajoutée, il s’agit en fait d’élargir la base de calcul
des cotisations. Toujours dans cette optique d’élargissement de la base de calcul des prélè-
vements destinés au financement de la protection sociale, divers auteurs, qui ne reprennent
pas nécessairement à leur compte les propositions visant à substituer la valeur ajoutée aux
salaires comme assiette pour le calcul des cotisations sociales, soulignent que la contribution
des revenus du patrimoine et des placements au financement de la protection sociale est
faible ; à l’image des ressources procurées à la protection sociale par la CSG dont 10,5 %
seulement proviennent de la CSG prélevée sur les revenus du patrimoine et les placements
contre 88,9 % qui proviennent des revenus d’activité et des revenus de remplacement en
2004. Ils préconisent par conséquent d’accroître sensiblement le prélèvement effectué sur
ces revenus. C. Mills et J. Caudron (2007) soulignent ainsi que l’application d’une cotisation
de 10 % aux revenus financiers des entreprises et aux revenus financiers nets des institu-
tions financières, qui en sont exonérés, permettrait de dégager annuellement des ressources

La protection sociale sous tension 559


supplémentaires importantes pour la protection sociale (estimées à 17 milliards d’euros en-
viron pour l’année 2002). Proposition défendue également par Dominique Sicot (2004), qui
souligne la réduction de la part des « versements patronaux » dans les recettes totales de
la protection sociale et précise en outre que, les revenus financiers des entreprises évoqués
ci-dessus s’élevant en 2002 à 165 milliards d’euros, une contribution des ces revenus au fi-
nancement de la Sécurité sociale « au même niveau que les salaires » fournirait plus de 20
milliards d’euros par an au régime général de la Sécurité sociale. D. Sicot propose par ailleurs
de soumettre également l’épargne salariale à cotisations, ce qui rapporterait à la Sécurité
sociale 1 milliard d’euros par an. Pour sa part, la Cour des comptes, dans un rapport récent,
a dénoncé l’exonération totale de contribution des stocks options rémunérant les dirigeants
d’entreprises et a calculé que l’assujettissement de ces stocks options à un taux de cotisation
identique à celui des salaires rapporterait de l’ordre de 3 milliards d’euros de recettes an-
nuelles supplémentaires au financement de la protection sociale. Tandis que G. Cornilleau et
H. Sterdyniak (2008) ont calculé que la suppression de différentes « niches sociales », c’est-à-
dire des revenus exempts de cotisations sociales, pourrait fournir des ressources importantes
au financement de la Sécurité sociale. Ainsi, selon eux, « faire payer des cotisations retraites
à l’ensemble des dispositifs d’épargne entreprise, de participation, d’intéressement, de pré-
voyance rapporterait 7,8 milliards d’euros aux caisses de retraites » (2008, p. 12), alors même
que le déficit de la CNAV en 2007 était de 4,6 milliards d’euros23.
Compte tenu de la place significative qu’a prise la CSG dans le financement de la protec-
tion sociale, divers auteurs avancent des propositions qui la concernent plus spécifiquement.
Liem Hoang-Ngoc (2004, p. 17) propose ainsi de remplacer l’ensemble des prélèvements
existants par une double CSG : une CSG « ménages » rendue progressive, alors que l’actuelle
est proportionnelle au revenu ; une CSG « entreprise » assise sur la valeur ajoutée des entre-
prises, « intégrant les profits et donc la source même des dividendes ».

Une autre proposition de réforme du financement de la protection sociale serait d’instituer


une « TVA sociale » qui se substituerait aux cotisations sociales patronales. Le taux actuel de
la TVA serait relevé d’un certain nombre de points (le chiffre de 5 points étant fréquemment
avancé), ce qui fournirait des recettes permettant de compenser intégralement une baisse
des cotisations sociales patronales d’un même montant global. Dans l’absolu, cette mesure
devrait aboutir à un transfert, euro pour euro, des cotisations sociales que payent les entre-
prises sur la TVA. Cette proposition n’est pas sans soulever elle aussi certaines interrogations.
Dans son livre Ensemble (XO Éditions, 2007), l’actuel Président de la République, Nicolas
Sarkozy, voit deux avantages principaux à l’adoption de ce système. D’une part, celui-ci
« permet d’exonérer les exportations du financement de la protection sociale et de taxer
les importations ». D’autre part, « en diminuant le coût du travail, il favorise les entreprises
qui emploient relativement plus de main-d’œuvre » et ce serait donc « un moyen pour lutter

23 Le fait est que divers revenus demeurent hors du champ des cotisations sociales. Pour l’année 2005, estimation la plus
récente, selon le rapport de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, les exemptions d’assiette de Sécurité sociale
s’appliquant aux revenus d’activités salariées (actionnariat salarié et participation financière, aides directes consenties par
les employeurs aux salariés telles que tickets restaurants, chèques vacances, etc., retraite supplémentaire et prévoyance
complémentaire, indemnités liées à la rupture du contrat de travail) se sont élevées en tout à 41 milliards d’euros. Dans
le cadre des mesures à l’étude pour la préparation du projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2009 figure
cependant l’institution d’un « forfait social » sur les revenus distribués par les entreprises au titre de l’intéressement et
de la participation.

560 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


contre les délocalisations, pour créer de l’emploi, pour faire augmenter le pouvoir d’achat »,
les prix n’étant pas censés augmenter suite à l’introduction de cette TVA sociale « puisque
la baisse des cotisations compensera dans les prix de revient la hausse de la TVA » (cité par
Peyrelevade, 2007, p. 22). Dans un premier temps, les prix intérieurs, toutes taxes comprises,
ne devraient pas augmenter, la baisse des charges sociales supportées par les entreprises
compensant intégralement l’effet sur les prix intérieurs de la hausse de la TVA. Les salaires
nets versés par les entreprises n’étant normalement pas affectés par la mesure, le pouvoir
d’achat des salariés ne serait pas non plus modifié. Par contre, les prix à l’exportation des
entreprises françaises baisseraient mécaniquement du fait de la baisse des cotisations24, tan-
dis que les prix des produits importés augmenteraient mécaniquement du fait de la hausse
de la TVA. L’effet de la mesure serait donc le même que celui d’une dévaluation de la mon-
naie nationale d’un pourcentage égal à celui de la hausse de la TVA : elle procurerait aux
entreprises françaises un avantage de compétitivité identique à celui que leur confère une
dévaluation réussie de la monnaie nationale, avec à la clé une stimulation de la croissance et
une amélioration de la situation de l’emploi. Avantage qui, comme celui d’une dévaluation
n’opère cependant qu’une seule fois.
Le recours à ce dispositif se heurte néanmoins à diverses objections.
Si le rendement d’une hausse de la TVA est potentiellement important puisque le point de
TVA représente près de 7 milliards d’euros de ressources, il faut rappeler que l’institution de
la TVA sociale n’augmenterait pas les ressources publiques, et ne permettrait donc pas de
résorber le déficit de financement de la protection sociale, puisque le supplément de res-
sources procuré par la TVA devrait être intégralement compensé par la baisse des cotisations
sociales versées par les entreprises. Par ailleurs, comme le souligne J. Peyrelevade (2007), la
hausse des prix des produits importés qu’elle suscitera sera nécessairement supportée par les
consommateurs français. Or les importations de la France représentent un quart de son PIB,
ce qui signifie finalement que les ménages devraient perdre mécaniquement 0,25 point de
pouvoir d’achat par point de hausse de prix des produits importés (donc par point de majo-
ration de TVA) et ce, avant même que s’enclenche la spirale prix-salaires.
Or le risque de déclenchement d’une telle spirale prix-salaires ne peut être ignoré dans la
mesure où, comme la hausse des prix des produits importés due à une dévaluation de la
monnaie nationale, la hausse des prix des produits importés suscitée par l’augmentation de
la TVA se diffusera nécessairement dans l’économie, poussant ainsi à la hausse du niveau
général des prix, ce qui peut créer un climat favorable au développement des revendications
salariales. Le rapport Malinvaud de 1998 soulignait d’ailleurs que cette mesure présente,
« au moins dans un premier temps », un risque inflationniste, tandis qu’une étude de la
DRESS de 2006 estime « qu’au bout de 5 ans les effets (positifs) sur la croissance et sur l’em-
ploi seraient négligeables » (cité par Le Monde, 17-01, 2006, p. III), la hausse des salaires des-
tinée à compenser la hausse des prix devant aboutir à réduire l’avantage compétitif procuré
aux entreprises par la réduction des coûts salariaux due à la baisse des cotisations sociales.
S’ajoute à cela que, la TVA étant déjà relativement élevée en France (19,6 %), une nouvelle
hausse de 5 points, comme cela a été envisagé officiellement, risquerait d’inciter au dévelop-
pement du travail au noir, faisant ainsi perdre à l’État certaines ressources fiscales25.
24 En rappelant que les exportations se font hors TVA.
25 L’ancien ministre Pierre Méhaignerie (2007, p. 19), opposé à cette TVA sociale, rappelle par ailleurs qu’une baisse massive
des cotisations sociales patronales a déjà été effectuée, de sorte que « au niveau du SMIC, les entreprises ne paient plus

La protection sociale sous tension 561


Section 3 : La protection sociale : un sujet de
controverses
Le poids considérable des dépenses sociales dans le PIB et le rôle que joue la protection
sociale dans la vie économique et sociale de notre pays, le fait qu’elle soit devenue un
élément constitutif essentiel du pacte républicain, expliquent la multiplication des travaux
de recherche qui lui sont consacrés, ainsi que l’attention toute particulière que lui portent
les pouvoirs publics ainsi que les représentants de groupes sociaux constitués (syndicats de
salariés, confédérations patronales, associations multiples…) et de très puissants intérêts
économiques (établissements financiers, compagnies d’assurances…). Il explique égale-
ment la réactivité de l’opinion publique, dont de multiples enquêtes permettent de suivre
régulièrement l’évolution, aux questions qui ont trait à la protection sociale26.
Pendant longtemps, l’existence du système public de protection sociale a fait l’objet en
France d’une sorte de consensus. Les débats auxquels il pouvait donner lieu concernaient
principalement le point de savoir comment l’améliorer en tenant compte de diverses
contraintes. Depuis les années 1980 et plus encore les années 1990, ces débats ont pris
un tour nouveau. L’organisation et le fonctionnement du système public de protection
sociale font désormais l’objet de critiques d’inspiration libérale de plus en plus vives, qui
nourrissent des propositions de réforme d’ensemble de la protection sociale dans le sens
de sa libéralisation et d’une privatisation au moins partielle de certains de ses dispositifs
(assurance maladie, régime de retraite en particulier) (§ 1). Ces critiques, et les propositions
de réforme libérale qu’elles inspirent, sont rejetées par ceux des auteurs qui s’attachent
au contraire à souligner les résultats très importants obtenus par le système public de pro-
tection sociale en matière sociale et son impact positif sur l’activité du pays, tout en recon-
naissant cependant que cela ne doit pas masquer ses limites et insuffisances et, en consé-
quence, la nécessité de le perfectionner (§ 2). Pour les partisans d’une refonte d’inspiration
libérale du système de protection sociale, celle-ci n’en serait pas moins une nécessité quasi
inéluctable en raison des contraintes que l’évolution démographique exerce et exercera
de plus en plus à l’avenir sur le financement de la protection sociale dans son ensemble.
Ce qui conduit à s’interroger sur l’impact que l’évolution démographique est susceptible
d’exercer réellement sur le système de protection sociale (§ 3).

46 % de charges sociales, mais 20 %, 26 % au niveau de 1,1 SMIC et 30 % pour 1,2 SMIC », ce qui conduit à s’interroger
sur l’opportunité et l’intérêt d’une nouvelle baisse de ces cotisations sociales financée par la création de la TVA sociale.
26 Il ressort de l’enquête réalisée par la DREES en 2005 que « au total, 83 % des personnes interrogées (+ 10 points en cinq
ans) pensent que les systèmes d’assurance-maladie ou de retraite doivent rester essentiellement publics » (Boisselot,
2006, p. 6).

562 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


paragraphe 1 : la contestation libérale du système public
de protection sociale existant
La fonction de protection des individus contre certains risques sociaux, comme c’est le cas
d’autres fonctions assurées par l’État, est aujourd’hui de plus en plus contestée par nombre
d’auteurs libéraux ainsi que par les représentants de puissantes forces économiques organi-
sées (compagnies d’assurances, institutions financières, fonds de pension…) qui voient dans
la mise en cause du système public de protection sociale existant l’opportunité de s’ouvrir de
nouveaux champs d’activités rentables. Les uns et les autres développent diverses critiques
à l’encontre du système public de protection sociale (A) et proposent de le restructurer en
profondeur, afin de le faire évoluer vers un système accordant une large place à l’interven-
tion d’acteurs du secteur privé et au jeu de la concurrence et des mécanismes de marché (B).

A – Les critiques d’inspiration libérale du système public de protection sociale


Elles se développent selon plusieurs axes.
1) Le coût du financement de la protection sociale, compte tenu du niveau atteint au-
jourd’hui, exercerait un impact négatif sur des aspects essentiels de l’activité économique
du pays.
Nombre de ces critiques soutiennent que la protection sociale et son financement (public)
seraient en fait un handicap pour la compétitivité des entreprises, et donc pour la croissance
économique et l’équilibre des échanges extérieurs. Pour les théoriciens qui se rattachent à
l’école de l’économie de l’offre, par exemple, l’augmentation des prélèvements obligatoires,
nécessaire pour financer les dépenses croissantes du système de protection sociale, exercerait
globalement un effet de désincitation des individus à travailler et des entreprises à investir
et à innover, pesant ainsi négativement sur la croissance économique et, partant, sur l’em-
ploi. Le niveau élevé atteint par les dépenses de protection sociale serait par ailleurs l’un des
ressorts de la difficulté récurrente de la France à respecter les normes fixées par le Pacte de
stabilité et de croissance en matière de gestion des finances publiques (un déficit public glo-
bal inférieur à 3 % du PIB et un endettement public total inférieur à 60 % du PIB).
Les cotisations sociales assises sur la masse salariale, en augmentant le coût du travail, péna-
liseraient également l’emploi en poussant les entreprises à substituer les machines au tra-
vail et en les incitant à délocaliser certaines de leurs activités productives vers des pays à la
législation sociale moins contraignante et aux charges correspondantes moins lourdes. En
augmentant les coûts de production des entreprises nationales et de ce fait en réduisant
leur compétitivité en termes de prix, elles influeraient également de manière négative sur
l’évolution du solde des échanges extérieurs du pays.

2) La protection sociale favoriserait une certaine déresponsabilisation des individus, contri-


buant finalement à augmenter le coût global de la protection de la population contre cer-
tains risques sociaux.
L’existence du système de protection sociale aboutirait à (ou contribuerait à) déresponsabi-
liser les individus qui seraient dissuadés de faire les efforts nécessaires pour se prémunir par
eux mêmes contre certains risques et s’adapter aux évolutions indispensables de la société.

La protection sociale sous tension 563


C’est, par exemple, l’argument selon lequel l’indemnisation du chômage et les éventuels
avantages matériels et financiers liés au statut de chômeur n’inciteraient pas à rechercher
un emploi avec toute l’énergie requise, aboutissant ainsi à prolonger la durée de la période
de chômage ainsi que le coût correspondant de l’indemnisation des chômeurs par la collec-
tivité. Des allocations chômage trop généreuses et l’existence de minima sociaux tel le RMI
auraient pour effet d’élever mécaniquement le salaire de réservation des chômeurs, c’est-
à-dire le niveau de salaire à partir duquel un chômeur accepte de reprendre un emploi, et
favoriseraient ainsi le chômage volontaire et, en particulier, le chômage de longue durée,
tout en créant des trappes à inactivité. C’est de même l’argument selon lequel l’existence des
indemnités journalières inciterait à recourir plus fréquemment aux congés maladie que ce ne
serait le cas autrement. C’est encore l’argument selon lequel la couverture du risque santé
par les assurances sociales favoriserait le nomadisme médical (consultation par un malade
de plusieurs praticiens différents pour une même affection), ou n’inciterait pas les assurés
à renoncer d’eux mêmes à certains comportements à risque potentiellement préjudiciables
à leur santé (tabagisme, consommation d’alcool, pratiques susceptibles d’entraîner des ac-
cidents…).

3) Plus récemment, dans le prolongement des critiques précédentes, a en outre été avan-
cée l’idée selon laquelle le système de protection sociale, en raison de ses caractéristiques
propres, pourrait être à l’origine de (ou contribuer à) la pérennisation non seulement de
certaines des difficultés économiques du pays, mais également de certaines difficultés so-
ciales. Fondée sur un système assurantiel, la protection sociale en France ne protégerait en
effet réellement que ceux qui ont la capacité de cotiser, excluant de facto ceux qui ne le
peuvent pas en raison de leur incapacité d’exercer une activité professionnelle rémunérée,
alors même que ce sont eux qui en auraient le plus besoin, aggravant par là-même les phé-
nomènes d’exclusion sociale (Palier, 2003, p. 12).

B - Les propositions de réforme libérale de la protection sociale


Alors que les difficultés de financement de la protection sociale persistent et s’accentuent,
ces critiques d’inspiration libérale du système public de protection sociale se prolongent par
des propositions de réforme de la protection sociale dans le sens d’une libéralisation et d’une
privatisation progressives plus ou moins accusées.
Ces diverses propositions visent globalement à restructurer en profondeur le système fran-
çais de protection sociale en un dispositif à trois niveaux distincts, dans lequel les assurances
privées pourraient jouer un rôle important. Le principe d’une telle restructuration selon une
architecture en trois niveaux est préconisé depuis près de deux décennies par les experts de
la Banque mondiale et du FMI relayés aujourd’hui en Europe par ceux de la Commission
européenne. Il est défendu en France par le MEDEF et les groupements professionnels (assu-
rances, institutions financières…) les plus directement intéressés à une telle réorganisation
du système de protection sociale. Il a été repris dans différents rapports officiels destinés à
alimenter la réflexion sur l’adaptation du système de protection sociale (rapport Maarek,
1994 ; rapport de Foucauld, 1995).
Le premier niveau serait celui d’une protection sociale minimale, reprenant tout ce qui cor-
respond déjà aujourd’hui au non contributif. Seraient concernés par ce premier niveau les

564 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


minima sociaux, les prestations chômage de solidarité, tout ce qui relève aujourd’hui de la
politique familiale mais également une part significative, voire la totalité des dépenses liées
au risque santé, étant posé que les prestations correspondantes ont un caractère universel et
ne devraient donc pas être financées au niveau de l’entreprise. Cette protection sociale mi-
nimale relèverait de « la solidarité nationale » et non plus des solidarités professionnelles et
serait donc financée en totalité par l’impôt et, plus précisément, les impôts sur les ménages
et en premier lieu la CSG.
Le second niveau serait celui d’une protection sociale fondée sur le principe de solidarité
professionnelle, obligatoire et financée par des cotisations sur les salaires, mais qu’il faudrait
s’efforcer de limiter. Son champ serait celui des pensions de retraite financées par cotisations
et de l’assurance-chômage, mais en poursuivant les réformes comme celles des retraites de
1993 et 2003 visant à réduire progressivement l’étendue et la qualité de la protection garan-
tie aux assurés, le montant des prestations devant être lié plus directement que ce n’est le
cas actuellement à celui des cotisations (cf. supra).
Le troisième niveau correspondrait à une protection sociale facultative venant en complé-
ment de la précédente et résultant de choix individuels privés. Elle reposerait sur les dis-
positifs d’assurances privées pour la santé et de fonds de pension pour la retraite auxquels
pourraient souscrire les individus (en ayant les moyens) qui s’estimeraient insuffisamment
couverts par le dispositif assurantiel du second niveau.
L’une des questions que soulèvent ces propositions est celle de l’éventuelle marchandisation
ou quasi-marchandisation de la protection sociale et, en particulier, de l’assurance-maladie.
Le MEDEF a ainsi proposé que l’assurance-maladie ne soit plus le monopole des actuelles
caisses de Sécurité sociale mais puisse être ouverte également à des opérateurs privés et
mutualistes. Ces différents opérateurs seraient rémunérés forfaitairement pour chaque as-
suré pris en charge et contraints de leur garantir un « panier de soins », sans possibilité par
ailleurs de sélectionner les risques. Ils passeraient des accords avec des prestataires de soins
auxquels ils confieraient leurs assurés.
On introduirait ainsi une logique de quasi-marché dans la relation assureurs-assurés et dans
la relation entre assureurs et prestataires de services de soins. La conséquence serait un dis-
positif qui permettrait aux assurés de choisir l’étendue de leur protection compte tenu de
leurs besoins et de leurs moyens (individualisation accrue de la protection) et aux organismes
gestionnaires de se faire concurrence dans un cadre défini par l’État, lequel se recentrerait
sur une fonction de régulation. Ce type de restructuration de la protection sociale, s’il voyait
le jour, conduirait nécessairement à introduire une distinction dans la protection sociale
entre ce qui est susceptible d’être rentable et ce qui ne peut l’être : le premier étant pris en
charge par le secteur privé et le second laissé nécessairement à la charge de l’État (selon le
principe de privatisation de bénéfices et de socialisation des pertes). Ainsi la définition du
contenu du panier de soins pourrait aboutir à en exclure certains risques lourds (dépen-
dance, soins de longue durée…), leur prise en charge étant reportée sur l’État et le finance-
ment par la solidarité nationale.
À ces critiques et propositions de réforme d’inspiration libérale s’opposent des analyses
d’inspiration hétérodoxe qui insistent au contraire sur l’importance des résultats obtenus sur
divers points par le système public de protection sociale ainsi que sur l’impact positif que la
protection sociale exerce sur la croissance économique, l’emploi et la productivité du travail.

La protection sociale sous tension 565


paragraphe 2 : les réponses à la contestation libérale
du système public de protection sociale
Si les critiques d’inspiration libérales évoquées ci-dessus ne peuvent être ignorées, il n’en
reste pas moins que, comme le soulignent d’autres auteurs, le système public français de
protection sociale mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale a dans l’ensemble,
jusqu’à présent, largement démontré son efficacité.
Ses bienfaits pour l’ensemble de la société française ne sont guère discutables. Comme on
l’a déjà évoqué (cf. supra, chapitre VIII), la création de la Sécurité sociale et la générali-
sation progressive de l’assurance-maladie à l’ensemble de la population, conjuguée à un
effort considérable de développement et de modernisation de l’équipement sanitaire et
hospitalier du pays, ont été pour beaucoup dans les progrès remarquables enregistrés par
la France depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale concernant les principaux indica-
teurs retenus habituellement pour mesurer l’évolution de l’état de santé de la population
d’un pays donné, tels que l’espérance de vie moyenne des individus et le taux de mortalité
infantile. De même, l’institution de l’assurance-vieillesse, conjuguant le régime de base
de la Sécurité sociale et les régimes de retraites complémentaires, s’est traduite par une
amélioration considérable des conditions de vie des travailleurs vieillissants en leur per-
mettant d’échapper en fin de vie à la pauvreté qui avait été pendant des générations le
lot de la grande majorité des salariés. De même encore, la généralisation à la Libération,
puis le renforcement, du dispositif de protection sociale de la famille, de la maternité et de
l’enfance ne sont probablement pas étrangers au dynamisme démographique que connaît
aujourd’hui la France27, et qui la distingue nettement des autres pays européens (exception
faite de l’Irlande), avec tous less bienfait qui en résultent pour les individus comme pour le
pays. Au-delà, l’existence de ce système de protection sociale a permis le renforcement du
lien social par l’expression de la solidarité entre les actifs et les inactifs, la prise en charge
des plus fragiles (handicapés, enfance, familles monoparentales, etc.) et des plus dému-
nis (personnes sans ressources, chômeurs, etc.), contribuant ainsi à donner du sens et un
contenu concret à la devise républicaine : liberté, égalité, fraternité.
L’impact de la protection sociale sur l’économie nationale ne saurait par ailleurs être ré-
duit à la vision purement négative qu’en donnent les critiques libérales du système public
de protection sociale, qui y voient unilatéralement un coût, une charge pour l’économie
nationale qu’il conviendrait par conséquent de limiter dans toute la mesure du possible.
Selon ces auteurs.
S’il ne fait effectivement aucun doute que le financement de la protection sociale mobilise
d’importantes ressources, ce qui explique pour partie le poids important des prélèvements
obligatoires dans le PIB français, cela ne doit cependant pas faire oublier que la protection
sociale a également un impact positif important sur le fonctionnement d’ensemble de
l’économie nationale. Plus généralement, on peut dire que le fonctionnement du système
public de protection sociale et les politiques sociales qui lui sont associées sont suscep-
tibles d’influer positivement de manière importante sur l’activité économique du pays,
et qu’elles sont également un instrument de régulation et de pilotage du système écono-
mique et ce, à un double titre.

27 Où se poursuit la remontée de l’indice conjoncturel de fécondité qui s’est établi à 2 en 2006.

566 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


1) D’une part, ces politiques favorisent et stimulent la croissance économique par leur
impact positif sur la demande globale et les facteurs de production, et par leur rôle
d’atténuation des tensions sociales.
Elles contribuent au soutien de la demande globale en augmentant le revenu disponible
des ménages (graphique 10.8), et en particulier des ménages à faibles revenus dont la
propension marginale à consommer28 est forte, et en assurant ainsi des débouchés accrus
aux entreprises. Elles ont joué un rôle déterminant dans l’avènement de la « société de
consommation » en créant de nouvelles couches de consommateurs dont la demande po-
tentielle a été solvabilisée par les prestations sociales dont les ménages ont bénéficié. Elles
sont à l’origine de consommations collectives importantes (construction des hôpitaux...)
qui représentent autant de débouchés stabilisés pour différents secteurs d’activité.
Elles influent positivement sur la quantité et la qualité de la force de travail disponible. Les
prestations sociales participent, à côté et en complément du salaire direct, à l’entretien et
au renouvellement de la force de travail dont l’économie a besoin. Les services collectifs
gratuits ou quasi gratuits, comme le système de santé, fournissent au système productif
une main-d’œuvre de qualité dont la capacité de création de valeur ajoutée est accrue,
sans que cela pèse excessivement sur les coûts des entreprises. L’existence d’un système
développé de protection sociale est ainsi en réalité un facteur d’accroissement de la pro-
ductivité du travail et, partant, d’amélioration de la compétitivité des entreprises et de
l’économie nationale29.
Résultats d’un compromis social, elles participent à la création et à l’entretien d’un climat
social favorisant la croissance économique. Dans la mesure où elles distribuent des revenus
qui complètent les revenus primaires des ménages et permettent aux individus de parer à
certains risques, elles assurent aux citoyens une certaine sécurité. Ce faisant, elles jouent
à certains égards le rôle de « lubrifiant social » : elles contribuent à maintenir la « paix
sociale » en période de chômage et de réduction ou de stagnation du pouvoir d’achat,
et elles atténuent les inégalités de revenus génératrices de conflits qui perturbent, voire
paralysent l’activité économique.

28 Rappel : la propension moyenne à consommer est le rapport entre la consommation d’un ménage et son revenu (C / Y),
tandis que la propension marginale à consommer est le rapport entre la variation de la consommation et la variation
du revenu (∆C / ∆Y).
29 Une étude de P. de Grauwe (2003) qui met en rapport les dépenses de Sécurité sociale et le niveau de compétitivité
dans les pays de l’OCDE montre ainsi que, à l’exception des États-Unis, « les pays ayant une compétitivité élevée, en
moyenne, dépensent plus pour la Sécurité sociale que les pays se trouvant avec un classement inférieur » (id, p. 68). Selon
l’auteur, cela peut s’expliquer par le fait que la compétitivité est directement conditionnée par la qualité du « capital
humain » : « Une main-d’œuvre bien éduquée a plus de chance d’être créative, de découvrir de nouvelles technologies,
de nouveaux produits et de nouvelles techniques. Et la capacité d’innovation est cruciale dans le maintien et l’amélio-
ration de la compétitivité. Il est possible de soutenir que le capital humain d’une nation est aussi amélioré par un bon
fonctionnement des systèmes sociaux. Un tel système permet aux travailleurs de se sentir moins à risque et leur donne
l’impression d’appartenir au système. Un tel sentiment d’appartenance conduit à des sociétés stables avec un sens de
cohésion fort. De plus, un système de Sécurité sociale performant peut conduire les personnes à prendre plus de risques
pour initier une nouvelle activité ou un nouveau travail, sachant que l’échec éventuel ne les conduira pas à la pauvreté.
En bref, un tel système performant de Sécurité sociale crée un « capital social » qui, in fine, est source d’amélioration de
la productivité d’une nation » (id, p. 69).

La protection sociale sous tension 567


GrAPhIqUE 10.8
Part des prestations sociales dans le revenu des ménages*

* revenu disponible brut. Comptes nationaux base 2000


Source : Tableaux de l’économie française 2006, p. 101

2) D’autre part, le système de protection sociale joue un rôle de stabilisateur automatique


de la conjoncture économique.
L’économie capitaliste livrée à elle-même, on l’a déjà souligné, évolue dans le temps selon
un mode cyclique. Le cycle économique conjoncturel, d’une durée moyenne de 6-8 ans,
fait alterner phase d’expansion au cours de la quelle la croissance économique s’accélère,
avec d’éventuelle poussées d’inflation, et phase de ralentissement, voire de récession ou
de crise au cours de laquelle la croissance économique ralentit sensiblement, voire cesse
momentanément, ou même laisse la place à une contraction de l’activité tandis que le chô-
mage augmente. Cette évolution cyclique de l’économie est préjudiciable aux entreprises
comme à l’économie nationale dans son ensemble.
La politique économique conjoncturelle que met en œuvre l’État (politique budgétaire
et/ou politique monétaire), on l’a vu, a précisément pour objet, en agissant de manière
contracyclique sur la demande globale de biens et services, de tenter de limiter l’ampleur
des fluctuations conjoncturelles de l’activité économique et d’en régulariser le cours : l’État
s’efforce de limiter l’augmentation de la demande globale de biens et services en phase
d’expansion économique pour freiner la croissance et, au contraire, de soutenir la de-
mande globale en phase de ralentissement du cycle conjoncturel pour stimuler l’activité
économique.
C’est précisément ce à quoi contribue spontanément l’existence du système de protection
sociale à travers le jeu de stabilisateurs automatiques de l’activité économique nationale.
Toutes choses égales par ailleurs, certaines dépenses sociales (indemnisation du chômage,
prestations soumises à des conditions de ressources) augmentent en effet mécaniquement
en phase de ralentissement conjoncturel, par suite de la dégradation de la situation de l’em-
ploi et de l’évolution défavorable des revenus. Cette augmentation mécanique de certaines
dépenses sociales se traduit par un accroissement correspondant de la demande globale de
biens et services qui compense partiellement l’évolution spontanément défavorable de la de-
mande globale caractéristique des phases de ralentissement du cycle économique conjonctu-
rel. La dégradation des débouchés ouverts aux entreprises et le ralentissement consécutif de

568 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


leur activité sont de ce fait moindres que ce ne serait le cas sans cette augmentation méca-
nique de certaines dépenses sociales, ce qui limite l’ampleur du ralentissement économique.
Inversement, en phase d’expansion du cycle économique conjoncturel, alors que l’augmen-
tation de la demande globale et le rythme de l’activité tendent naturellement à s’accélérer,
certaines dépenses sociales progressent moins rapidement, voire se contractent. Cela a pour
effet de limiter mécaniquement l’augmentation de la demande globale de biens et services
et, partant, la croissance de l’activité économique, ce qui peut contribuer à contenir d’éven-
tuelles tensions inflationnistes. Le jeu de ces stabilisateurs automatiques liés à l’existence du
système de protection sociale aboutit ainsi au bout du compte à limiter l’intensité, tant des
phases d’expansion que des phases de ralentissement du cycle économique conjoncturel, et
contribue ainsi à régulariser la marche de l’économie nationale.
La protection sociale ne peut donc être considérée simplement comme un coût et une
charge pour l’économie, selon l’optique habituellement retenue par les critiques libérales.
C’est une composante essentielle du dispositif de régulation de l’économie nationale par
le rôle qu’elle joue en matière d’entretien et de reproduction de la force de travail, de
soutien à la croissance des débouchés des entreprises, de stabilisation de la conjoncture
économique et d’harmonisation sociale. Et le contexte de mondialisation invoqué par les
critiques libérales ne saurait justifier unilatéralement l’adoption de mesures visant à limi-
ter le coût global du financement du système de protection sociale au niveau déjà atteint,
voire de le faire baisser, afin d’attirer ou de retenir les firmes multinationales sur le terri-
toire national. L’existence d’un système de protection sociale peut en effet entrer en ligne
de compte pour le choix d’une localisation par ces firmes non seulement en raison de son
coût de financement, reposant au moins pour partie sur les entreprises, qu’il induit, mais
également du fait de l’utilité sociale qu’il produit : l’existence d’un système de protection
sociale qui fonctionne convenablement étant en même temps un facteur incontestable
d’élévation de la productivité de la population active et de préservation d’un climat social
satisfaisant, qui sont l’une et l’autre des facteurs améliorant la compétitivité des firmes et
l’attractivité du territoire national (de Grauwe, 2003).
Parallèlement, on est en droit de s’interroger sur les résultats auxquels pourrait aboutir
une réforme libérale du système public de protection sociale du type de celle qui a été
évoquée précédemment en ce qui concerne l’assurance-maladie.
Les partisans de ce type de réforme font valoir que l’évolution vers l’introduction de mé-
canismes de marché dans la protection sociale et le passage à un système instituant une
certaine concurrence entre les assureurs publics et privés est déjà observable dans des pays
comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse dont les système de protection sociale sont de
type bismarckien, les expériences engagées par ces pays montrant ainsi en quelque sorte
la voie à suivre. Un examen détaillé de ces expériences révèle cependant que leur mise en
œuvre n’est pas aussi aisée que leurs promoteurs le souhaiteraient. Une étude compara-
tive (Cohu et alii, 2005) montre ainsi que l’évolution de la fonction des assureurs vers celle
« d’entrepreneurs de soins », pouvant offrir aux assurés une offre de soins différenciée tant
en termes de coûts que de qualité, n’en est encore qu’aux premiers balbutiements. En Suisse,
certains assureurs ont déjà commencé à passer des contrats avec des réseaux de soins gérant
et organisant les soins de leurs affiliés ou avec des réseaux de médecins de ville, mais « cette
pratique reste très peu répandue aux Pays Bas, tandis qu’en Allemagne des expériences sont

La protection sociale sous tension 569


en cours de réflexion mais n’ont pas encore abouti » (id., p. 9). Globalement il ressort de cette
étude comparative que, dans ces trois pays, « la distance (y) est aujourd’hui importante entre
la volonté de principe des pouvoirs publics de faire jouer des mécanismes de concurrence et
son application sur le terrain » (id., p. 12). Par ailleurs, une étude comparative des dispositifs
d’assurance-maladie privée dans les pays de l’OCDE aboutit à la conclusion selon laquelle
l’assurance maladie privée n’a eu dans « la plupart des pays de l’OCDE qu’un impact minime
sur la qualité des soins » (OCDE, 2004, p. 4), tout en aboutissant cependant à « accroître la
dépense totale de santé » (id., p. 4). De sorte que, « bien qu’elle soit considérée comme un
outil pour améliorer l’efficience des système de santé, l’apport de l’assurance-maladie privée
dans ce domaine est jusqu’ici faible » (id., p. 5).
L’exemple du système de santé américain paraît globalement corroborer ces conclusions.
Une étude récente (Lucas, 2007) montre en effet qu’aux États-Unis les dépenses de santé
représentaient en 2004 16 % du PIB (15,3 % selon les données harmonisées de l’OCDE)
contre un peu moins de 6 % en 196530, mais que les résultats en termes de performances
sanitaires sont « relativement médiocres ». Autrement dit, le système de santé américain
« ne semble donc pas très efficient : il coûte plus cher que d’autres et ne donne pas de
résultats véritablement meilleurs » (id., p. 8). Si le développement des réseaux de soins
intégrés (managed care) dans les années 1990 a permis dans un premier temps un ralentis-
sement sensible de la croissance des dépenses de santé qui s’est alignée sur celle du PIB de
1993 à 2000, les contraintes imposées aux patients et aux médecins par ces dispositifs ont
été de plus en plus mal acceptées, ce qui a obligé les compagnies d’assurances à proposer
des « formules de couverture moins contraignantes », et la part des dépenses de santé
dans le PIB a recommencé à augmenter passant de 13,8 % en 2000 à 16 % en 2004. En
2002, alors que les dépenses de santé représentaient de l’ordre de 16 % du PNB des États-
Unis, 47 millions d’Américains, soient 15,9 % de la population ne disposaient pas d’une
assurance santé.
Dans ces conditions, il n’est pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé et l’opportunité
des propositions de réforme libérale de notre système de protection sociale. Ne vaudrait-
il pas mieux préserver ce système, avec son architecture d’ensemble et les principes qui
régissent son fonctionnement, tout en le perfectionnant pour remédier à certaines de
ses limites et insuffisances ? Son efficacité, qui fonde l’attachement que lui portent les
Français (comme en attestent régulièrement les sondages d’opinion réalisés à ce propos),
ne saurait en effet faire oublier que notre système public de protection sociale n’est pas
exempt de défauts et de limites qui ont déjà été évoqués implicitement dans les dévelop-
pements antérieurs.
Son financement repose fondamentalement sur les revenus du travail, exonérant pour
l’essentiel ceux de la propriété et du capital31, et certains analystes, on l’a vu, estiment que
c’est là précisément l’une des raisons majeures des difficultés financières récurrentes plus
ou moins aiguës auxquelles il est confronté depuis près de trois décennies.
Il maintient des inégalités entre les bénéficiaires des prestations et en particulier les pres-
tations maladie et vieillesse (cf. supra, chapitre VIII) : inégalités marquées de santé et d’ac-
30 Le secteur public, principalement Medicare et Medicaid, représentant 45,1 % du coût total en 2004 et 7,2 % du PIB.
31 Encore faut-il préciser qu’une partie des revenus des cadres dirigeants échappe au financement de la protection sociale.
Ainsi en était-il jusqu’en 2007 de l’exonération de cotisations sociales des revenus perçus sur leurs stocks options par les
cadres dirigeants des plus grandes sociétés françaises.

570 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


cès aux soins entre catégories sociales ou entre régions, alors même que le système d’as-
surance-maladie a pour objet de réduire ces inégalités ; persistance d’écarts importants
quant à l’espérance de vie et donc quant à la durée pendant laquelle un individu bénéficie
de sa retraite en fonction de la catégorie socioprofessionnelle à laquelle il appartient et de
ses conditions de vie (logement, environnement, etc.).
Par ailleurs, s’il assume de fait une fonction de redistribution, il n’est pas sûr que celle-ci
soit à la mesure des exigences d’un pays qui a fait de l’égalité et de la fraternité deux des
trois éléments clés d’expression de son identité. On a vu en effet qu’un nombre relative-
ment important de ménages français vivent encore aujourd’hui en dessous du seuil de
pauvreté et que l’exercice régulier d’une activité professionnelle ne protège pas nécessai-
rement contre la pauvreté dont peuvent être également victimes certains salariés.
Il importerait donc que notre système public de protection sociale se perfectionne dans le
sens d’une couverture de la population plus complète et mieux adaptée aux conditions de
vie réelles ainsi que d’un financement plus conforme aux conditions dans lesquelles s’ef-
fectue aujourd’hui la création de la richesse.

paragraphe 3 : la démographie et la question du financement


de la protection sociale
Pour les partisans d’une réforme d’ensemble du système public de protection sociale d’inspi-
ration libérale, celle-ci serait plus particulièrement rendue nécessaire par l’impact du « choc
démographique » sur le fonctionnement du système de protection sociale et sur son finance-
ment. Mais, s’il ne fait pas de doute que l’évolution démographique conditionne directement
le fonctionnement du système de protection sociale et les conditions de son financement,
il n’est cependant pas sûr que les prévisions pessimistes de certains concernant l’évolution
de la démographie française et ses répercussions sur le système de protection sociale soient
vérifiées. Les nouvelles projections démographiques de l’INSEE concernant l’évolution de la
population française à l’horizon 2050 laissent en effet penser que le pays conservera pro-
bablement à cet égard certaines marges de manœuvre que n’auront pas d’autres pays de
l’Union européenne.

En pratique, les prévisions concernant l’évolution future des dépenses de protection sociale
sont fortement conditionnées par celles qui sont faites à propos de l’évolution de la popula-
tion du pays. Les prévisions des différents rapports officiels qui se sont succédés depuis une
vingtaine d’années, concernant en particulier l’évolution des dépenses liées aux régimes de
retraite ou celle des dépenses de santé à l’horizon 2040 ou 205032, reposaient ainsi généra-
lement sur les hypothèses formulées par l’INSEE concernant des variables démographiques
telles que l’indice conjoncturel de fécondité, le solde migratoire annuel, l’augmentation
de l’espérance de vie des individus… Or, dans des travaux récents (juillet 2006), et compte
tenu des observations faites au cours des dernières années sur l’évolution de la population
française, l’INSEE a été conduit à modifier fortement ses hypothèses antérieures concernant
l’évolution future de la population française, ce qui n’est pas sans conséquences.
Les projections démographiques effectuées par l’INSEE au tout début de l’actuelle décennie
32 En rappelant que ces deux catégories de dépenses sociales représentent à elles seules environ 80 % du total des dépenses
de protection sociale.

La protection sociale sous tension 571


se fondaient encore sur l’hypothèse d’une poursuite dans le futur des tendances observées
entre 1975 et 1999 concernant l’indice conjoncturel de fécondité (qui devait se maintenir à
1,8 en moyenne jusqu’en 2050) et le solde migratoire net (50 000 personnes en moyenne par
an jusqu’en 2050). Or les observations faites pour la période 2000-2005 ne correspondent
plus à ces hypothèses anciennes. À titre d’exemple, l’indice conjoncturel de fécondité est
sensiblement plus élevé et a atteint 2 en 2006, soit un niveau qui n’avait plus été observé de-
puis le milieu des années 1970. L’INSEE a donc revu ses projections démographiques pour la
période courant jusqu’en 2050 en prenant comme nouvelles hypothèses : un indice conjonc-
turel de fécondité de 1,9 en moyenne sur l’ensemble de la période et un solde migratoire
net annuel moyen de 100 000 personnes. Il est par ailleurs supposé que l’espérance de vie
augmenterait un peu moins d’ici 2050 que ce qui était envisagé antérieurement : l’espérance
de vie des hommes serait de 83,8 ans en 2050, contre 84,3 ans prévus précédemment, et celle
des femmes de 89 ans, contre 91 ans prévus précédemment.
Sur la base de ces nouvelles hypothèses, la France métropolitaine compterait en 2050 70 mil-
lions d’habitants (contre 64 millions selon les anciennes projections). La population en âge
de travailler (15-64 ans) serait de 40,4 millions de personnes, ce qui représenterait près de 4,4
millions de plus que ce qui avait été prévu antérieurement. Le nombre d’actifs (environ 26,7
millions en 2000) qui, dans les projections antérieures, devait progresser jusqu’en 2006, puis
amorcer un mouvement de baisse continue le ramenant à 24 millions en 2050, progresserait
désormais jusqu’en 2015. Il serait alors de l’ordre de 28,5 millions d’individus et se stabilise-
rait ensuite approximativement pour atteindre un peu plus de 28,5 millions en 2050, soit 4,5
millions de personnes de plus que ce qui était prévu antérieurement. Parallèlement, l’INSEE,
qui intègre dans ses projections l’effet attendu sur les taux d’activité des réformes des re-
traites de 1993 et de 2003, prévoit un relèvement des taux d’activité par sexe et par âge, et
en particulier pour les 60-64 ans dont les taux d’activité augmenteraient entre 2005 et 2050
de 27 points pour les hommes et de 18 points pour les femmes, sachant qu’il ressort des re-
censements et des enquêtes-emploi effectués entre 2000 et 2006 une évolution du nombre
d’actifs en France plus favorable que celle que prévoyaient les projections de population
active antérieures.
Les conséquences pour l’économie du pays et pour l’évolution prévisible des dépenses de
protection sociale de ces nouvelles projections démographiques sont considérables.
Le retour au plein-emploi (sous l’hypothèse d’un taux de chômage d’équilibre de 4,5 %) per-
mis par le départ en retraite à partir de 2006 des générations nombreuses du baby-boom de
l’après-guerre ne s’effectuerait qu’en 2015 et non en 2010 comme prévu antérieurement33.
33 Le départ en retraite des baby-boomers est souvent présenté comme devant permettre de résorber durablement
le chômage, dans la mesure où les générations de retraités qui vont se succéder à partir de 2006 sont plus nom-
breuses que celles des 20-24 ans arrivant sur le marché du travail. Alors que de 1995 à 2005 il y avait en France en
moyenne un peu moins de 150 jeunes qui atteignaient chaque année la tranche d’âge de 20-24 ans pour 100 per-
sonnes atteignant celle de 60-64 ans, ce chiffre devrait tomber à un peu moins de 100 en 2015 puis se maintenir à
ce niveau jusqu’en 2030. Cette évolution devrait contribuer à réduire le chômage (ce qui explique que les nou-
velles projections effectuées par l’INSEE tablent sur un retour au plein-emploi (taux de chômage de 4,5 %) en 2015.
L’impact positif du départ à la retraite des baby-boomers sur la situation de l’emploi ne doit cependant pas être surestimé.
D’une part, après 2015, l’effectif des générations des 20-24 ans ne sera que très peu inférieur à celui des générations
des 60-64 ans (en raison d’un taux de fécondité plus élevé depuis les années 1980 que dans la moyenne des pays euro-
péens). D’autre part, les stratégies de gestion de la main-d’œuvre d’entreprises du secteur privé, comme celles de l’État
concernant l’évolution des effectifs de la fonction publique, conduisent à ne pas remplacer intégralement les départs en
retraite. S’ajoute à cela qu’il « n’y a pas nécessairement adéquation entre les caractéristiques des emplois laissés vacants
par les départs (secteur d’activité, niveau de qualification, localisation géographique) et celle des demandeurs d’emploi »
(Monnier, 2007, p. 2).

572 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Mais, au-delà, le fait que sur l’ensemble de la période considérée la population active aug-
mente en moyenne annuelle de 0,32 % par rapport aux anciennes projections signifie que
la croissance potentielle de l’économie pourra être relevée d’autant, sous l’hypothèse que la
productivité du travail progresse au rythme initialement prévu.
Les dépenses liées au fonctionnement des régimes de retraite devraient croître moins for-
tement que prévu. En raison en particulier d’une croissance de la population active plus
importante que prévue antérieurement, le rapport des inactifs de plus de 60 ans sur les actifs
s’établirait désormais à 71 % en 2050 contre 90 % prévus antérieurement. Or cette baisse
de 19 points par rapport aux anciennes projections signifie une économie importante pour
les régimes de retraite relativement aux projections antérieures. La part des dépenses de re-
traite (ensemble des régimes obligatoires, pensions de préretraite et pensions de réversion)
dans le PIB qui s’élevait à 12,8 % en 2004, passerait en 2050 à 14,9 % contre 16,9 % selon les
anciennes projections. Soit en fait une économie de 2 points de PIB en 2050 par rapport aux
prévisions antérieures et ce, sous l’hypothèse retenue dans le 3ème rapport du COR (2006), se-
lon laquelle le taux de remplacement macroéconomique (pension nette moyenne sur salaire
net moyen) baisserait de 18 % entre 2004 et 2050 en raison des réformes des retraites déjà
mises en œuvre.
Les nouvelles projections signifient par ailleurs un vieillissement moins marqué de la popu-
lation, de sorte que la part des personnes âgées de plus de 85 ans dans la population totale
(2,1 % en 2000) passerait à 6 % en 2050 contre 7,5 % selon les anciennes projections. Sachant
que la consommation médicale des personnes augmente avec l’âge (on estime que les dé-
penses de santé d’une personne âgée de 85 ans et plus sont 9 fois plus importantes que celles
d’une personne de 20-24 ans), ce moindre vieillissement de la population devrait se traduire
par une croissance des dépenses de santé plus faible que prévu antérieurement. Celles-ci
passeraient de 10,5 % du PIB en 2004 à 13,3 % en 2050 contre 14,1 % prévu antérieurement.
À l’opposé le maintien durable d’un taux de fécondité plus élevé se traduirait par une hausse
relative des dépenses de la politique familiale. Alors que dans les anciennes projections ces
dépenses diminuaient de 0,6 point de PIB entre 2004 et 2050 pour s’établir à 1,9 % du PIB
en 2050, la baisse selon les nouvelles projections démographiques serait plus faible et se
limiterait à 0,4 point de PIB.
Le retour au plein-emploi prévu pour 2015 devrait par ailleurs permettre une réduction des
dépenses liées au chômage de 1,2 point de PIB en 2050 relativement à la situation actuelle
(anciennes et nouvelles projections).
Au total, les nouvelles projections démographiques de l’INSEE aboutissent à la conclusion
selon laquelle, toutes choses égales par ailleurs, la part des dépenses de la protection sociale
dans le PIB ne devrait augmenter que de 3,3 points de PIB entre 2004 et 2050, contre une
hausse de 5,9 points de PIB selon les anciennes projections. Et, dans ces conditions, « si l’on
suppose que la masse des recettes affectées au financement de la protection sociale reste
constante dans le PIB, le déficit de l’ensemble de la protection sociale (...) serait réduit de
2,6 points de PIB en 2050, soit une diminution de plus de 40 % du besoin de financement
initial » (Plane, 2007, p. 17).

La protection sociale sous tension 573


En conclusion, il faut souligner qu’en même temps que se développe le débat à propos du
système public de protection sociale évoqué ci-dessus et que se mettent en place les réformes
qui ont été évoquées précédemment, se font jour certaines tendances nouvelles en matière
de protection sociale (outre celles qui ont déjà été évoquées précédemment), qui ne sont pas
sans soulever de nouvelles interrogations sur le devenir de notre système public de protec-
tion sociale. C’est en particulier le cas de la poussée du workfare et de la contractualisation.

Le principe du workfare consiste à contraindre le bénéficiaire d’une aide sociale à four-


nir en contrepartie une prestation pouvant prendre différentes formes (travaux d’utilité
collective ou autre). Cette orientation est souvent présentée par ses défenseurs comme
inspirée par le désir de favoriser la réinsertion sociale des personnes bénéficiant de l’aide
accordée. Il s’agirait de lutter contre une dérive assistancielle conduisant à ce que certains
bénéficiaires de cette aide sociale la considèrent comme un dû, et s’en satisfassent en re-
nonçant à rechercher à se procurer par eux-mêmes tout ou partie des moyens nécessaires
pour s’assurer des conditions d’existence décentes. On peut également y voir la réminis-
cence de la distinction qui a longtemps prédominé dans la représentation de la pauvreté
entre les « bons » et les « mauvais » pauvres et de la nécessité, en corollaire, de ne porter
secours et assistance qu’aux seuls « bons » pauvres, c’est-à-dire ceux qui feraient explicite-
ment les efforts jugés souhaitables et nécessaires pour se sortir de leur état de pauvreté.
Cette évolution vers le workfare s’est amorcée initialement dans le monde anglo-saxon34,
mais elle commence à s’observer également dans certains pays de l’Europe continentale.
En France, la création du RMA a pu être interprétée par certains analystes comme partici-
pant de cette orientation vers le workfare. Le conseiller d’État J.-E. Schoetti a pu parler à
ce propos de « soft-workfare » (cité par Aubin, 2006).

En liaison avec la poussée du workfare, il y a introduction de pratiques contractuelles dans


la mise en œuvre de la protection sociale. Un contrat est passé explicitement entre l’orga-
nisme qui gère le dispositif de protection sociale et l’individu qui en bénéficie, ce contrat
précisant les droits et obligations respectives des deux parties. Cette pratique contractuelle
peut être conçue dans une optique de protection des intérêts de l’usager des dispositifs
de protection sociale. C’est le cas lorsque la contractualisation prend la forme des contrats
conclus lors de l’accueil d’une personne handicapée, d’une personne âgée ou d’un mineur
dans des établissements spécialisés avec, par exemple, la loi du 23 mars 2006 créant des
contrats d’engagement éducatif, ou l’institution du contrat de séjour prévu dans le cas
de l’accueil des personnes âgées dépendantes dans des établissements ou services sociaux
et médico-sociaux. Dans cette même perspective, cette contractualisation s’accompagne
également du renforcement de la participation des bénéficiaires des prestations sociales
à la définition et à la mise en œuvre des politiques qui les concernent. C’est le cas par
exemple avec la loi de modernisation sociale du 17 février 2002 qui a créé un conseil na-
tional consultatif des personnes handicapées chargé d’assurer leur participation à l’élabo-
ration et la mise en œuvre des politiques ayant trait au handicap, ou encore le décret de
mars 2004, instituant un Conseil de la vie sociale, qui réglemente les diverses formes de

34 En Californie, la réforme de 1995 a abouti à ce que les adultes ne peuvent désormais percevoir une aide sociale qu’à la
condition de participer à des travaux d’utilité collective pour 100 heures par mois. La réforme de l’aide sociale américaine
de 1996 a instauré la conditionnalité de l’aide ; celle-ci ne peut par ailleurs être accordée plus de deux ans de suite et au
maximum cinq ans sur la durée totale de vie du bénéficiaire.

574 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


participation énumérées par l’article L. 311-6 du Code de l’action sociale et des familles.
Mais cette contractualisation peut également être perçue dans certaines autres de ses ma-
nifestations comme le moyen d’impliquer ou de contraindre à s’impliquer activement les
bénéficiaires de certains dispositifs de protection sociale dans le processus visant à leur per-
mettre de se réinsérer socialement. On peut citer à titre d’exemples : la réforme de l’assu-
rance chômage en 2001 avec la mise en place du Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE) et
le Projet d’action personnalisé (PAP) dont l’objectif affiché officiellement est d’accompa-
gner le chômeur dans son itinéraire de retour à l’emploi ; les contrats d’accompagnement
dans l’emploi (CAE) institués par la loi Borloo du 18 janvier 2005 ; la création des CI-RMA
en 2004 ; la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances qui a institué des contrats de
responsabilité parentale35. Ces différents dispositifs qui s’inscrivent les uns et les autres
dans l’optique d’une « activation des dépenses passives » conditionnent le bénéfice d’une
prestation sociale au comportement individuel des allocataires, avec comme conséquence,
comme le souligne R. Castel (2003, p. 78), qu’un « modèle contractuel d’échanges réci-
proques entre demandeurs et pourvoyeurs de ressources se (substitue) à la limite au statut
inconditionnel de l’ayant droit ». Pour dire les choses autrement, on peut se demander
si ces procédures contractuelles et d’accompagnement des bénéficiaires de la protection
sociale n’aboutissent pas finalement à les mettre d’une certaine manière sous tutelle. Dans
chacun de ces cas, la contractualisation va de pair avec une volonté de responsabilisation.
Il s’agit de responsabiliser les bénéficiaires des prestations sociales afin de les amener à
un comportement « vertueux » : ne pas s’enfermer dans un statut d’assisté, chercher à se
dégager du cercle de la pauvreté et de l’assistance.

35 Aubin (2006, p. 21) souligne à ce propos que le contentieux important des « recalculés » auquel a donné lieu la ré-
forme de l’indemnisation du chômage, contentieux qui est « lié à l’ambiguïté du PARE qui a transformé le chômeur en
cocontractant », est une autre manifestation, inattendue pour les pouvoirs publics, de cette contractualisation de la
protection sociale.

La protection sociale sous tension 575


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1er trim., p. 67-68.

Bibliographie 609
DEJA PARUS DANS LA COLLECTION « PREPARATION CONCOURS »

Filière administrative
• Adjoint administratif de 1ère classe
Epreuves de français - B. Lavaud - 16 €
Epreuve de tableau numérique - E. Simonin - M.H. Stébé - 18 —
Tableau numérique 1 - Méthodologie et exercices d’application - E. Simonin - M.H. Stébé
- 16 —
Tableau numérique 2 - Enoncés et corrigés - E. Simonin - M.H. Stébé - 14 €
Droit public - E. Guérin - S. Dyens - 13 €
Droit civil - F. Archer - 16 €
Finances publiques - JB Mattret - 13 €

• Rédacteur territorial
La note administrative - D. Tant - 16 €
Droit civil - F. Archer - 22 €
Finances publiques - A. Lemoine - 18 €
Action sociale des collectivités territoriales - C. Leborgne-Ingelaere - 20 €
Droit public - E. Guérin - S.Dyens - 23 €
Epreuve de conversation avec le jury - A. Disy -13 €
Culture générale - B.Rapatout - 22 €
Droit de l’urbanisme, Droit de l’environnement - L. Aubril - S. Traoré - 24 €
Les épreuves orales de catégorie B - B. Lavaud - A. Laurent - 13 €

• Attaché territorial
Le concours d’attaché territorial (note ou rapport sur dossier, commentaire de texte,
résumé de texte, composition de culture générale, entretien de motivation) - H. Simon
- 22 €
Droit civil, tome 1 : les personnes, la famille, les biens - A. Dionisi-Peyrusse - 20 €
Droit civil, tome 2 : les obligations - A. Dionisi-Peyrusse - 22 €
Finances locales A - JB Mattret - 20 €
Finances de l’état A - JB Mattret - 20 €
Droit administratif des biens - E. Gillet-Lorenzi - S. Traoré - 20 €
Droit de l’urbanisme - E. Gillet-Lorenzi - S. Traoré - 22 €
Economie générale, tome 1 : Les fonctions économiques - G. Rasselet - 25 €
Economie générale, tome 2 : Les politiques économiques et sociales de l’État - G. Rasselet
- 30 €

• Examen d’attaché principal


Finances publiques - Préparation à l’examen d’attaché principal - P. Boëton - 16 €

Filière technique
• Ingénieur subdivisionnaire, technicien supérieur, contrôleur de travaux, adjoint technique
de 1ère classe
Ingénieur subdivisionnaire : Epreuve de note et d’oral - B. Rapatout - B. Pralong - 15 €
Ingénieur territorial (épreuves écrites de note, de synthèse ; épreuves orale d’entretien et
de langue) - B. Rapatout - 25 €

610 Économie contemporaine - Les politiques économiques et sociales de l’État


Technicien supérieur territorial : concours interne, externe et 3e concours - B. Rapatout - B.
Pralong – 20 €
Technicien supérieur territorial : mathématiques - C. Di Savino - C. Pitti - F.Spiga - L. Marti-
nez - 16 €
Technicien supérieur territorial : mathématiques, mise à niveau - C. Di Savino -C. Pitti -
F. Spiga - L. Martinez - 17 €
Contrôleur de travaux : Résumé, commentaire et rapport technique - B. Rapatout -
B. Pralong - 15 €
Préparer les concours d’adjoint technique 1ère classe et adjoint technique principal 2ème
classe - D. Gras - F. Crouzet - F. Harmand - 14 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Restauration collective » - B. Haus - 8 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Espaces naturels/Espaces verts » - S. Fernandez
-8€
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Bâtiment, travaux publics, voirie et réseaux
divers » - G. Humbert - 8 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Environnement, hygiène » - T. Carré - 8 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Logistique et sécurité » - A. Debrin - 8 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Conduite de véhicules » - F. Assailly - 8 €
Adjoint technique de 1ère classe : spécialité « Mécanique - Electromécanique » - F. Assailly -
F. Armand - 8 €

Filière sportive : Opérateur et conseiller des APS


Préparer le concours d’opérateur territorial des APS - P. Bayeux et collectifs d’auteurs - 15 €
Equipements sportifs : conception, réalisation et maintenance - P. Lacouture - 18 €
Techniques et méthodes de l’entraînement sportif - F. Trilles - 18 €
Elaborer, conduire et justifier d’une séance d’APS - F. Trilles - 16 €
Missions et organisation d’un service territorial des sports - J.Quantin - 14 €

Filière police municipale


Le rapport, la compréhension de texte : agent de police municipale - B. Lavaud et
O. Lefort - 18 €
L’épreuve orale d’entretien : agent de police municipale - P.B. Lebrun - 20 €

Filière animation : Animateur et adjoint d’animation


Droit et responsabilités - PB Lebrun - 15 €

Filière culturelle
Guide pratique de l’enseignement artistique - S. Markiewicz - 14 €

Toutes filières et toutes catégories


Epreuve de conversation avec le jury - A. Disy - 13 €
Découvrir la vie publique locale - M. Derkenne - 12 €

Pour plus d’informations

EDITIONS DU CNFPT - 80, RUE DE REUILLY - CS 41232 - 75578 PARIS CEDEX 12


Tél. : 01 55 27 44 00 - Fax : 01 55 27 41 07
www.cnfpt.fr, rubrique « Editions »

Bibliographie 611
Économie contemporaine
ABC
c a t é g o r i e

Tome 2
Les politiques économiques et sociales de l’État
Régions, départements, collectivités locales autant de lieux où les
agents publics au contact des citoyens et usagers du service public
sont confrontés aux contraintes économiques et juridiques, le droit
communautaire ou les aléas économiques constituent de plus en plus des

Économie
constantes qui agissent sur l’environnement territorial. Le mouvement de
décentralisation, du RSA à la formation professionnelle en passant par le
soutien à l’action économique, ne fait qu’imbriquer un peu plus ces deux

contemporaine
dimensions.
Attaché ou administrateur le futur cadre territorial se doit de connaître
les lignes de force qui sous-tendent la vie économique, et pour agir de
comprendre l’environnement dans lequel se meuvent toutes les collec-
tivités.
L’auteur Gilles Rasselet après avoir, dans un premier tome, présenté Tome 2
les grandes fonctions économiques s’attache dans le second tome de
l’ouvrage Économie contemporaine à étudier les politiques économiques

Les politiques
et sociales de l’État, politiques qui impactent directement et indirectement
celles des administrations décentralisées.
De façon claire, précise et illustrée l’auteur permet d’appréhender le
contexte actuel où se joue l’action économique et sociale de l’État sur
fond de mondialisation et de déséquilibres économiques, il vous invite à économiques
le suivre dans sa description et son explication de la politique budgétaire,
monétaire et économique de l’État.
Il met aussi à jour les enjeux des politiques sociales qu’il s’agisse des
et sociales de l’État
retraites ou de la santé, de l’emploi ou de la protection sociale.
Au-delà de la préparation aux concours d’attaché ou d’administrateur
Économie contemporaine constitue un ouvrage de référence propre à
éclairer durablement les débats et les enjeux économiques et sociaux de
notre temps.
© 11/7808/AJ - CNFPT studio graphique - Imprimerie CNFPT Gilles Rasselet
L’auteur, Gilles Rasselet, est docteur d’État ès sciences économiques et
licencié ès lettres. Il est professeur de sciences économiques à l’Université
de Reims Champagne-Ardenne où il dirige le master administration
économique et sociale. Dans le cadre de sa collaboration au CNFPT,
il avait dirigé l’édition de l’ouvrage Économie générale, tome 1 et 2, publié
antérieurement par les éditions du CNFPT.

CENTRE NATIONAL DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE


80, RUE DE REUILLY - CS 41232 - 75578 PARIS CEDEX 12 - Tél. : 01 55 27 44 00 - Fax : 01 55 27 41 07 - WWW.CNFPT.FR
ISBN : 978-2-84143-336-0 - Les éditions du CNFPT, édition 2010 - Prix 30 €

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