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Université d’Oran 2

Faculté des Langues Etrangères

THESE

Pour l’obtention du diplôme de Doctorat

Spécialité: Langue française


Option: Sciences des textes littéraires

DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION


FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ÉCRITURES.
Cas des Romans de Djamel Mati

Présentée et soutenue publiquement par :

M. HENNI Ahmed

Devant le jury composé de :

MEBARKI Belkacem Professeur Université d’Oran2 Président


BENDJELID Faouzia Professeur Université d’Oran2 Rapporteur
MEDJAD Fatima Professeur Université d’Oran 2 Examinateur
BOUTERFAS Belabbas M.C.A Université d’Aïn Témouchent Examinateur
SARI MOHAMED Latifa M.C.A Université de Tlemcen Examinateur
BENHAÏMOUDA Miloud M.C.A Université de Mostaganem Examinateur

Année 2015/2016
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

SOMMAIRE
Dédicaces
Remerciements
Introduction Générale……………………………………………………………... 02
PREMIÈRE PARTIE :
LA NARRATION FANTASMAGORIQUE ET POÉTIQUE DE LA TRANSGRESSION 14
Chapitre I :
L’éclatement des structures narratives dans Aigre-doux, les élucubrations d’un
esprit tourmenté…………………………………………………………………… 14
Chapitre II :
L’éclatement des structures narratives dans On dirait le Sud, les élucubrations
d’un esprit tourmenté............................................................................................... 80
Chapitre III :
LSD ou l’éclatement d’un roman puzzle ……………………………………….... 130
Chapitre IV :
Les systèmes spatio-temporels et les personnages
…………………..…………………………… ….. 167
Synthèse…………………………………………………………………………… 232
DEUXIÈME PARTIE :
LE DISCOURS ONTOLOGIQUE ENTRE LIEUX, FIGURES ET VOIX /VOIES 229
D’ÉNONCIATION
Chapitre I :
Le discours ontologique : les abysses de l’intériorité………………………..…… 235
Chapitre II :
La polysémie du discours amoureux ……………………..………………….…… 269
Chapitre III : 329
Le Divin, l’Etre et le Temps … 297
Chapitre IV :
La mort : une vérité ontologique…………………………..… ………………… 330
Synthèse …………………………………………………………………………... 336
TROISIÈME PARTIE : 340
LA RÉCEPTION CRITIQUE ET LES STRATÉGIES D’ÉCRITURE
Chapitre I :
Habillage périphérique : lecture et communication littéraire …………………….. 348
Chapitre II :
Pratiques intertextuelles entre savoirs profanes et sacrés ……………………........ 376
Chapitre III :
Humour, dérision et ironie dans un univers fantasmagorique…………………….. 413
Synthèse………………………………………………………………………...…. 460
Conclusion Générale……………………………………………………………… 464
Bibliographie……………………………………………………………………… 471
Table des matières………………………………………………………………… 477

1
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

La littérature maghrébine de langue française a vu le jour en Algérie dans la période


de l’entre-deux -guerres à travers des auteurs tels que Chukri Khodja, Mohammed Benchérif,
Rabah Zénati … qui sont pour la plupart intégrés à l’administration coloniale en tant que
fonctionnaires .Ainsi, en leur consentant un espace plutôt limité dans ses instances éditoriales,
le pouvoir colonial exploite en quelque sorte leur réussite littéraire (nouvelles, romans et
poésies) afin de légitimer sa politique d’assimilation consubstantielle à la réussite de la
mission civilisatrice de la France.
Dans les années 50 , les algériens Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et Mohamed
Dib et le marocain Ahmed Séfrioui introduiront sur la scène romanesque une écriture du
témoignage qui permettra au lecteur occidental de découvrir cette culture maghrébine qu’il ne
connaissait guère .Cependant , il est capital de préciser que ces écrivains ne se sont pas
contentés de témoigner de ce qu’était la réalité de l’époque mais se sont attelés à promouvoir
dans le champ romanesque un indigène non stéréotypé se réappropriant son identité et son
authenticité par une vision du dedans positive et démystifiante: la Trilogie Algérie de
Mohammed Dib en est la parfaite illustration. De ce fait cette littérature récuse toute vision
exotique de soi et s’attèle à mettre en lumière la prise de conscience politique de l’autochtone
enfin sujet du discours romanesque dénonçant sans vergogne l’exploitation coloniale.
C’est dans cette perspective que Nedjma (1956) de Kateb Yacine a pu être considéré
comme le roman le plus important de la littérature maghrébine au lendemain de la deuxième
guerre mondiale en s’imposant comme le véritable texte fondateur d’une nouvelle littérature
qui tout en considérant le français comme la langue de libération et butin de guerre
pulvérisera littéralement les modèles hérités du roman réaliste balzacien. Roman de la
subversion formelle, Nedjma posera les jalons d’une émancipation linguistique et rhétorique
qui lui conférera sa dimension révolutionnaire dans le champ littéraire algérien .De ce fait
apparaîtra dans la littérature algérienne de langue française une nouvelle conscience de la
temporalité et du souvenir ébranlés par la brisure historique de l’intrusion coloniale. 1Ces
écrivains ont su dépasser le témoignage brut pour fonder l’esthétique du roman moderne
algérien nourri par la sensibilité et les sonorités du formidable réservoir d’oralité de leur
langue natale pour affirmer l’existence de leur peuple et du sens de son combat.

1
Khadda, Naget. Complexité temporelle et héritage critique dans Nejman. Alger, Ed Kalim, n°7, OPU ,1987

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La littérature des années 70 se construira dans la dynamique même de la


décolonisation et s’affirmera nettement dans l’opposition aux pouvoirs en place ainsi que
leurs discours conformistes. La Répudiation de Rachid Boudjedra en 1969 dévoilera un
contre discours à l’intérieur même du système clos du discours officiel du pouvoir en place :
celui des inhibitions sexuelles de la société algérienne et de la thématique de la mémoire
trahie que l’on retrouvera particulièrement dans L’insolation en 1972. Tahar Bendjelloun
quant à lui affirmera par la suite son opposition politique dans Harrouda en 1973 et Moha le
fou, Moha le sage en 1978. Cette dynamique contestataire s’exprimera aussi chez les
écrivains marocains d’expression française tels qu’Abdellatif Laabi et Mohammed khair-
eddine co–fondateurs de la revue Souffles qui exerceront une véritable guérilla
linguistique 2 d’une écriture insolite qui se caractérisera par la discontinuité du récit, par sa
polyphonie et la multiplication de nouvelles formes narratives inspirées de Joyce, Faulkner ou
Kafka. En définitive le roman marocain s’en trouve formellement redéfini par une écriture
provocatrice que sous-tend un profond désir de liberté par rapport aux contraintes d’ordre
idéologique et /ou scriptural et par une continuelle recherche de la polysémie, du sens ouvert
et pluriel. Ces années 70 ont aussi été marquées par l’écrivain consacré qu’est Mohammed
Dib dont l’écriture labyrinthique de la quête devient avec le roman Habel (1977) la métaphore
même de l’exil d’une parole et d’un héros dans un violent face à face avec la mort et la folie.
L’écriture dibienne s’avérera nettement marquée par une sensibilité et un imaginaire
profondément ancrés dans la culture arabo-islamique que revivifie sa condition d’écrivain
exilé en privilégiant cette quête vertigineuse de soi à travers l’être ,l’amour , la mort et la
folie .
Dans les années 80 le roman de Rachid Mimouni Tombéza (1984) impitoyable écriture
de l’horreur incommensurable vécue par l’Algérie progressivement détruite par les faux
technocrates au pouvoir dans L’honneur de la tribu (1989) et celui du marocain Abdelhak
Serhane Messaouda (1983) marqueront le retour à un nouveau réalisme acerbe dénonçant
sans ambages la violence et les tares de leurs sociétés respectives. Cet envahissement du réel
sur le littéraire se retrouvera dans Les chercheurs d’os de Tahar Djaout en 1984 où tout
l’univers fictionnel d’un périple initiatique se fonde sur un fait historique qui est la quête des
ossements disséminés des combattants de la guerre de libération tombés à travers le territoire
national. Quant aux premiers textes écrits par les écrivains de la deuxième génération de

2
Cette expression est de Mohamed Khair-eddine cité par Mdarhri-Alaoui Abdallah
Extrait du roman marocain d’expression française. Paris, Edicef /Aupelf ,1996 , p.142

3
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l’émigration, ils manifestent, à l’instar de la littérature maghrébine des années 50, le retour à
une certaine réalité qui résulte de leur volonté de témoigner de leur quotidienneté et de leur
intégration en douceur dans la société française tel qu’Azouz Begag le revendiquait dans Le
Gone de Chaâba en 1986.
Dans les années 90 , l’Algérie a subi les affres d’une guerre cruelle contre les civils
dans un environnement d’une violence incommensurable où chaque jour apportait son lot
d’intellectuels, d’écrivains, de journalistes et de simples citoyens anonymes assassinés par un
intégrisme islamiste ayant décrété l’Art ennemi et apostat. Face à la quotidienneté de
l’horreur , l’Algérie s’est enlisée dans une crise de violence telle qu’une nouvelle écriture
apparaitra et fera bifurquer le roman dans l’urgence de témoigner, de photographier et de
dénoncer cette tragédie nationale entrainant par la même une attente de lecture beaucoup plus
documentaire que littéraire. C’est dans cette optique et à travers son essai intitulé Le Nouveau
Souffle du Roman Algérien que Rachid Mockhtari confirme que la littérature emboite le pas
à la presse, abandonne les effets de style dans la mesure où son nouveau rôle, en même temps
qu’elle informe, tire les conclusions politiques de cette tragédie qu’elle s’interdit de
commenter, privilégiant l’inscription en temps et en lieu de ce Grand Massacre, le fixant,
effigie sur un palimpseste de sang 3 d’autant que selon Mohammed Magani cette écriture
photographique de l’urgence - qui ne voit que ce qu’elle voit , ne va guère à l’impalpable4 -
s’avère limitée et incapable de restituer cet impalpable de la condition humaine .Elle doit
impérativement mettre entre parenthèse son témoin le journaliste omniscient et se manifester
comme raison d’être (..) et moyen d’exorciser la mort5. L’urgence s’impose alors comme le
fait majeur et l’essence de la littérature algérienne en tant que mode d’information sur la
société et réceptacle où la trace de l’innommable va pouvoir s’inscrire enfin et entrevoir un
sens qui n’en finissait pas de s’étioler dans un pays en proie à un islamisme radical se
revendiquant sans pudeur aucune comme l’autodafé même de la littérature, de la liberté de
penser et de la liberté de conscience. Telle était la destinée du dramaturge Abdelkader Alloula
et celle du romancier Tahar Djaout dont les lâches assassinats au nom de Dieu ont entrainé
une impressionnante et symbolique vague de protestation, malheureusement impuissante à
endiguer la folie islamiste. Profondément marquée par le devenir de leur pays, cette nouvelle

3
Mockhtari, Rachid. Le nouveau Souffle du roman algérien .Essai sur la littérature des années 2000.Alger,
Chihab Editions, p.11
4
Magani, Mohamed. Revue PEN international Magazine intitulée Activité sismique dans le roman algérien
5
Miliani, Hadj. Une littérature en sursis, le champ littéraire de langue française en Algérie Paris, Ed
l’Harmattan, p.198

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génération d’écrivains aux plumes acérées mettait en lumière la violence infernale de cette
dernière décennie sur un palimpseste de sang.6 Dans ses deux romans essentiellement
consacrés au terrorisme Les Agneaux du Seigneur et À quoi rêvent les Loups de Yasmina
Khadra qui a combattu l’islamisme sur le terrain en tant que militaire témoigne de l’effroyable
réalité des massacres perpétrés. Dans Les Vigiles, en 1991, Tahar Djaout élaborait une écriture
photographique - sans effets de style, sans fioritures ni détours syntaxiques - dévoilant des
situations kafkaïennes vécues par le personnage de Lamdjad victime humiliée par l’appareil
administratif bureaucratique de l’administration algérienne. A la fin des années 90, des
témoignages romancés des personnages - dont la fonction primordiale est de résister au
macabre par le macabre - s’affirmeront à l’image du roman d’Arezki Mellal Maintenant ils
peuvent venir où il met en scène l’infanticide d’un père, traqué par les terroristes, qui décide
de tuer sa propre fille par égorgement. Ce roman dans lequel l’acte macabre devient
paradoxalement salutaire pour ce père - qui s’approprie les pratiques barbares des terroristes -
met en exergue les limites du témoignage romancé inopérant pour rendre compte avec acuité
de l’Innommable. Quelle forme littéraire sera à même de le faire car c’est bien la première
fois que l’écrivain algérien est confronté à cette graphie de l’horreur ? Le caractère inédit de
la tragédie islamiste post -indépendance nécessite la mise en place d’un dispositif scriptural
capable de la cerner en lui donnant du sens là où l’écriture photographique et / ou romancée a
bel et bien montré ses limites. Qu’en est –il au final de la littérature algérienne des années
2000 ? Sera-t-elle en mesure de ne plus se prosterner devant l’Evènement en se démarquant
de l’écrit journalistique - qui a déjà investi le roman et la nouvelle - en insufflant une nouvelle
dynamique à la forme romanesque ? Verra t- on l’émergence d’une nouvelle écriture qui se
démarquera de celle de l’urgence en cessant de se donner à décrypter comme simple
photographie détentrice d’une certaine valeur d’actualité une pertinente validité datée ou
comme témoignage romancé focalisé beaucoup plus sur les actes effroyables des terroristes
que sur la résistance de leurs innocentes victimes? Les premiers écrits du début des années
2000 n’adhéreront pas à ce concept de l’urgence n’aborderont pas le terrorisme et ses effets
dévastateurs sur la quotidienneté des algériens de la même manière.
En effet cette littérature algérienne des années 2000 aura des préoccupations
esthétiques autres qui feront prendre au genre romanesque de nouvelles formes inédites et
originales. Mohamed Magani, Djamel Mati, Mustapha Benfodil, kamel Daoud, Maissa Bey et
d’autres participeront chacun à sa manière à l’élaboration d’une nouvelle esthétique

6
Mokhtari, Rachid citant Boudjedra, Ibid. , p.11

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

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romanesque scrutant de nouveaux horizons désobstrués tout en proposant au lecteur des
champs sensoriels arables et neufs où la problématique du terrorisme sera traitée de manière
totalement différente. De ce fait, il est clair que la nouvelle littérature algérienne des années
2000 fera en sorte que le témoignage cru et le discours de la dénonciation politique par la
condamnation de l’horreur réapparaitront différemment dans des structures romanesques
originales puisant leurs mots dans des mondes fantastiques, surnaturels et infra-naturels pour
se revendiquer , dans un élan existentiel , de universel de la condition humaine.8
Djamel Mati incarne justement cette nouvelle mouvance de l’écriture qui donne libre
cours à une imagination fantaisiste dans un univers fantasmagorique déconnecté de tout
repère spatio-temporel à travers son premier roman qui s’intitule Sibirkafi.com sous-titré les
élucubrations d’un esprit tourmenté. Ce roman précurseur d’une écriture délire engouffre
littéralement le lecteur dans le monde fantasque d’une cabane perdue dans le désert et
matriculée du Point B 114 où des personnages loques-à –terre sans aucun repère spatio-
temporel sont maintenus allongés dans une sorte de sommeil artificiel et vaporeux et
continuellement branchés à d’étranges machines internet alimentées par du chanvre indien.
De cette cabane lugubre et hostile – ce point B114 - Mati nous invite à pister les
élucubrations d’un personnage amnésique voyageant en toupie et convoquant d’autres
personnages affublés de sobriquets sarcastiques englués dans leurs propres tourments, dans
leurs propres élucubrations, leurs propres doutes et interrogations existentielles. Cette écriture
débridée donne libre cours aux fantasmes les plus enfouis, aux aventures les plus
rocambolesques nettement inspirées de la réalité du pays pour entrainer le lecteur dans le
monde chimérique où le réel et l’imaginaire s’enchevêtrent inextricablement.
Cette écriture singulière de la fantasmagorie et de la dérision, à la fois tragique et
ludique, se singularise par le truchement de paraboles, de signes et d’allusions s’inscrit dans
une optique de transmutation de la réalité dans un espace imaginaire sans limites. En quête de
formes narratives inédites, l’écrivain fait perdurer cette singularité à travers Aigre-doux et On
dirait le Sud tous deux sous titrés sont les deux derniers romans de cette trilogie - qui a
débuté avec Sibirkafi.com en 2003 - sous- titrée également des élucubrations d’un esprit
tourmenté pour chaque volet que l’on peut lire séparément.

7
Cette expression est de Djamel Mati, lire interview infosoir du 17/06/2009
8
Selon Djamel Mati, il est incontestable que depuis les années 2000, des écrivains, venant d’horizons divers,
puisent leur quintessence dans l’allégorie, la dérision et l’introspection (...) partent à la recherche de Soi, de
l’Autre, de l’Inaccessible (...) la plupart se réfugient dans l’imaginaire pour se frayer d’audacieuses ouvertures
sensorielles dans des réalités fantasques .Kalila /Contributions Etrangères, site Google Mati Djamel consulté en
2011

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

C’est en ce sens que nous avons choisi de travailler le sujet qui s’intitule : Discours
ontologique et dimension fantasmagorique dans les nouvelles écritures .Cas des romans des
romans de Djamel Mati : Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté9, On dirait le
sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté10 et LSD. 11
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté est l’histoire des élucubrations
tourmentées d’un personnage, anonyme qui se réveille d’un long sommeil hors du temps et
qui découvre qu’il habite dans une venelle de la Casbah rebaptisée point B au numéro114-
vivant sous l’emprise de barbituriques dont l’effet est de calmer les tensions anxieuses et de
s’engouffrer dans une quête de lui-même dans des pérégrinations de l’esprit suscitées par des
visions hallucinatoires. Ce personnage narrateur amnésique fera une plongée dans un
imaginaire intriguant, une immersion en apnée dans les méandres des élucubrations de son
esprit tourmenté où débutera sa quête intérieure et viscérale qui le mènera aux portes du désert
pour une transmutation inédite .Le lecteur se trouve alors engagé dans le sillage d’une
chevauchée sans fin dans les élucubrations d’ esprit anonyme et tourmenté de ce personnage
amnésique qui décidé de quitter sa femme pour errer dans un univers totalement chimérique
apocalyptique et irrationnel (...)[qui] distance de bien loin l’univers du réel auquel est
habitué le lecteur.12
A ce titre, Faouzia Bendjelid, considère que la lisibilité de la quête identitaire qui
traverse ce roman s’accompagne d’une dislocation fragmentaire du récit par la subversion des
normes romanesques traditionnelles qui n’obstrue jamais la lisibilité d’une quête identitaire
(...)de nature philosophique, ontologique, en rapport avec la condition humaine et l’entité de
l’Etre .13 Chemin faisant, ce héros anonyme fait la rencontre de personnages fantastiques,
déroutants, surgissant de nulle part et disparaissant à la vitesse de la lumière où il apprendra
à extraire le noble à partir du vil, à la manière d’un alchimiste, pour comprendre le sens
ontologique de l’être14souligne à juste titre Djamel Mati.
Les élucubrations d’un esprit tourmenté et la fantasmagorie sont également de mise
dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté qui clôt magistralement la
trilogie matienne entamée en 2001avec Sibirkafi.com.C’est l’histoire de Zaina, Iness et Neil
perdus dans leurs déserts des sens , des tourments et des déchirures, chacun à la recherche de

9
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté. Alger, Ed .APIC, 2005
10
On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, Alger, Ed APIC ,2007
11
L S D .Alger, Editions ALPHA, 2009
12
Bendjelid, Faouzia. Compte-rendu de lecture d’Aigre-doux, Gerflint, Synergies Algérie n°4 2009, p .333
13
Bendjelid , Faouzia. Ibid., p.334
14
Mati Djamel –Kalila /Contributions Etrangères

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

lui-même, chacun en quête de l’absolu et du Grand Amour qui ne cesse d’habiter leurs
imaginaires et leurs rêveries censé donner un sens à leur existence à la croisée de leurs
destinées au point B114 .Seront-ils en mesure , à l’issue de leurs pérégrinations oniriques , de
mieux comprendre leurs altérités et déchirures respectives , leurs doutes , questionnements et
aspirations identitaires et existentiels liés à l’entité de l’Etre dans les méandres de leurs esprits
tourmentés, leurs altérités et déchirures respectives, leurs doutes, leurs aspirations, les
méandres et élucubrations de leurs esprits tourmentés, leurs souffrances et errances, leurs
interrogations identitaires et existentielles. Chacun d’eux se cherchera malgré tout dans le
désert des hommes et l’univers des mirages pour enfin rejoindre d’autres réalités présentes,
plus douces, plus lénifiantes, certainement plus vivifiantes où l’opacité et le désert des sens
s’étioleront à la croisée de leurs destinées , au point B114 .Les arcanes de leurs mondes et de
leurs vies se démêleront et se reconstruiront grâce à l’Amour, substance première à l’origine
de Tout et de l’entité de l’Etre .
Le troisième roman publié en 2009 intitulé LSD débute par une description dans une
prose poétique singulière , de la création du monde, de la genèse et du Big bang pour
interroger Dieu , la vie ainsi que les lois darwiniennes à travers l’histoire de Charles Darwin
junior qui, à la suite d’un échec à un concours d’entrée pour une maitrise en Anthropologie
culturelle à la prestigieuse Severnale Academy de Shrewsbury en Angleterre, fait des rêves
bizarres où lui apparait une créature surgissant du fin fond des âges :Lucy l’australopithèque
et mère de l’humanité pour lui faite vivre une aventure spatio-temporelle extraordinaire .Ils
traverseront ensembles les ères et les époques depuis l’origine des temps jusqu’en 2051 date
de l’apocalypse décrétée par des forces malignes, celle du professeur Sony Natas et du
Vatican.
Ce dernier roman propose une réflexion pertinente sur l’existence de Dieu, sur
l’évolution de l’humanité et la mission de l’homme sur terre à travers une intrigue
ecclésiastique dans les mystères des secrets du monde contenus dans les manuscrits de
Qumran que le Vatican se garde bien de divulguer. La dimension ontologique traverse ce
roman en proposant une profonde réflexion philosophique sur l’entité de l’Etre, la foi, la
religion, l’anthropocentrisme de l’homme destructeur et prédateur. Ce denier, asservissant son
environnement immédiat, a mis en péril son devenir et celui des autres créatures du divin.
L’homme est en réalité tellement petit et insignifiant devant l’immensité de l’univers
et ne cesse de se poser des interrogations existentielles l’avenir écologique de la planète

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

censée ressembler à un véritable Eden - sous tendues par l’éternel questionnement : d’où-
venons- nous ? Qui sommes– nous ? Où allons – nous ? Quelle mission avons – nous ?
La problématique que nous entendons développer est le fruit d’une lecture critique de
ces trois romans de Djamel Mati qui s’illustrent et se singularisent par une originalité tant sur
le plan du fond que de la forme d’autant que l’univers de la narration se tisse dans l’absurdité,
l’irrationalité et l’incohérence. En outre, la trame narrative se déploie également dans le
morcellement et la discontinuité d’un récit à la limite du réel et de l’onirique pour donner
naissance à une écriture de l’hallucination et de la fantasmagorie. De ce préalable nous
retenons l’hypothèse suivante: Quelles formes narratives et discursives emprunte le discours
ontologique dans les romans de Djamel Mati ? Quelles stratégies use son esthétique pour dire
la dimension ontologique dans ses fictions ?
Ces hypothèses nécessitent un questionnement subsidiaire qui trouvera ses réponses
dans la démonstration : En quoi l’écriture fantasmagorique de Djamel Mati charrie-t-elle les
dimensions discursives d’ordre philosophique et métaphysique de l’homme en tant qu’entité
ontologique dans l’univers ? Quelles formes génériques rendent-t-elles comptent de cette
dimension et quelle en est la fonctionnalité dans l’univers de la narration ? Comment l’auteur
intègre -t-il cette dimension ontologique de l’Etre à travers une stratégie scripturaire du délire,
de l’hallucination, de l’onirisme et de la fantasmagorie et comment traverse t- elle l’univers de
la narration ? Quels procédés d’écriture narratologiques et discursifs emprunte t - il pour dire
la dimension ontologique de l’homme et quelle en est la finalité dans un univers narratif où
le morcellement textuel traduit l’éclatement du je dont les élucubrations rejaillissent sur le
fonctionnement même de la narration matienne ?
Pour répondre à nos hypothèses de travail et à ces interrogations complémentaires,
nous proposons un plan en trois parties :
-Dans la première partie intitulée La narration fantasmagorique et poétique de la
transgression, nous aborderons les formes atypiques et transgressives des récits de Djamel
Mati qui permettent l’inclusion de la dimension ontologique du discours littéraire posant
l’homme en tant qu’entité dans l’univers. Quelles modalités narratives rendent-elles comptent
de cette composante formelle, narrative et atypique des récits, de cette poétique de la
transgression sous -tendant l’écriture délirielle et fantasmagorique matienne ?

Nous analyserons cette première partie selon quatre chapitres : L’éclatement des structures
narratives dans « Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté » ; L’éclatement des
structures narratives dans « On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté » ;

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

« LSD » ou l’éclatement d’un roman puzzle ; les systèmes spatio-temporels et les


personnages. Nous utiliserons les concepts opératoires de la narratologie-ou théorie du récit-
issus des différentes applications sémiotiques portant sur le contenu, le signifié, la structure
du récit relevant de l’histoire en tant que tout organisé indépendamment de son signifiant, de
son moyen d’expression. Ainsi, nous aurons essentiellement recours à des démarches qui
s’inscrivent dans la théorie structurale du récit permettant de mettre en exergue les procédés
narratologiques qui fondent ses éléments formels que sont la structure des récitatifs, les
réseaux de relations des évènements et des protagonistes, l’espace et le temps et les diverses
modalités actantielles. Cette démarche analytique s’élabore essentiellement par référence à V.
Chklovski15 , JM Adam 16
, T. Todorov 17
mais aussi de G .Genette 18
, H .Mitterrand19 ,P
.Hamon20 et A. Greimas 21
en vue de mettre en évidence les structures formelles de
l’éclatement narratif des récitatifs matiens.

Dans la seconde partie intitulée Le discours ontologique entre lieux, figures et


voix/voies d’énonciation, nous nous intéresserons à la composante énonciative du discours
ontologique qui se déploie à travers cette écriture fantasmagorique de Djamel Mati.
L’énonciation du discours ontologique suscite alors tout un questionnement : Quelle est la
substance fondamentale qui fonde ce discours ontologique à travers le continuum narratif et
fictionnel ou en d’autres termes quelles sont les figures et voix et voies d’énonciation qui
fondent et régissent cette parole ontologique et philosophique matienne de l’Entité de l’Etre?

Quatre chapitres répondent à notre préoccupation : Le discours ontologique : Les


abysses de l’intériorité ; La polysémie du discours amoureux ; le Divin, l’Etre et le Temps ;
La mort, une vérité ontologique

C’est par le recours aux concepts opératoires de l’énonciation relevant en priorité des
théories de l’énonciation linguistique et plus particulièrement de celles de la perspective

15
Chklovski, Victor. La construction de la nouvelle et du roman .Théorie de la littérature. Paris, le seuil ,1965.
16
Adam, Jean-Michel .Linguistique et description littéraire .Paris, Larousse, 1976.
17
Todorov, Tzvetan .Qu’est-ce que le structuralisme .Paris, Coll. Points- Essais, Ed du Seuil, 1968.
18
Genette, Gérard. FigureII .Paris, Ed du Seuil, Coll. Point, 1969 et Figure III .Paris, Ed du Seuil, Coll.
Poétique, 1972.
19
Mitterrand, Henri. Le discours du roman. Paris, PUF, 1980.
20
Hamon, Philipe. Poétique du récit .Paris, Ed du Seuil, 1972.
21
Greimas, Algirdas Julien. Sémantique structurale .Paris, 1966.

10
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

22
pragmatique, héritée des travaux de M. Bakhtine , E. Benveniste23 , JM. Adam24 et D.
Maingueneau25, permettant de débusquer les multiples phénomènes d’hétérogénéité
26
énonciative de ce discours ou de cette parole ontologique dans sa dimension énonciative,
interactive et polyphonique.

Dans la troisième partie intitulée La réception critique et les stratégies d’écriture , nous
présentons les stratégies d’écriture mises en œuvre par l’auteur pour dire le discours
ontologique en optant pour les théories modernes de la réception critique du fait littéraire
lesquelles mettent au premier plan l’activité interprétative du lecteur . Ainsi, en orientant notre
réflexion sur la lecture réception-critique autrement dit sur l’esthétique qui préside à son
œuvre liée à l’universalité de la condition et de l’entité de l’Etre, il s’agira d’expliciter les
choix et facettes d’une telle écriture par notre activité interprétative signifiant et actualisant
son contenu par une plus-value de sens introduite à cet effet.

Trois chapitres répondent à notre démonstration : Habillage périphérique : lecture et


communication littéraire ; Pratiques intertextuelles entre savoirs profanes et sacrés ; Humour
et ironie dans un univers fantasmagorique.

C’est donc à travers les théories modernes de la critique littéraire qui mettent au
premier plan la fonction de communication de la littérature par les types transtextuels que sont
la para textualité, l’intertextualité , concept opératoire incontournable de la réception du texte
littéraire charriant divers intertextes mythique cosmogoniques et eschatologiques,
paléoanthropologique , historico-religieux , poétique et musical , les phénomènes énonciatifs
foncièrement polyphoniques27et la rhétorique de l’image pour dire l’entité de l’Etre et assoir
la dimension ontologique dans l’univers fantasmagorique de l’œuvre de Djamel Mati.

Cette ultime démarche interprétative des stratégies scripturales se fonde sur les
ouvrages mettant en lumière les théories modernes de la réception, à savoir ceux de D.

22
Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman .Paris , Edition Gallimard, 1978.
23
Benveniste, Emile. Problèmes de linguistique générale2 .Paris, Editions Gallimard, 1966.
24
Adam, Jean-Michel. Linguistique et discours littéraire, théorie et pratique des textes .Paris, Coll. Larousse
université, 1976
25
Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires .Paris, Armand Colin, 2010.
26
Il s’agit de discours rapportés, de décalages énonciatifs divers, de modalisations autonymiques, signaux
typographiques, italiques et guillemets.
27
La parodie, l’humour et l’ironie

11
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Maingueneau28, U. Eco29, et ceux ayant trait à l’Intertextualité de Michael Bakhtine30, J.


Kristeva31, G. Genette32, M. Riffaterre33, L. Jenny34 , A. Compagnon35 et T. Samoyault36.
L’approche des formes narratives et transgressives des nouvelles écritures à travers les
romans de Djamel Mati « Aigre-doux , les élucubrations d’un esprit tourmenté », « On dirait
le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté » et «LSD» nous permettra de cerner les
mécanismes narratologiques inédits ,amovibles et disparates qui se déploient à travers la
spécificité de leurs structures narratives respectives .Ces romans s’alignent sur les techniques
scripturales de la modernité qui se caractérise par une stratégie narrative de l’éclatement des
structures , de la dissémination et de la multiplicité des sens. 37En effet, ces nouvelles
écritures- entérinent la rupture avec le conformisme aristotélicien-et ébranlent le cadre de
l’intelligibilité de l’énoncé par l’éclatement du récit et le bouleversement de toute logique
narrative linéaire fondée sur l’enchainement rationnel des causes et des effets.38. Une nouvelle
fonction est désormais assignée au roman qui rompt avec la contemplation pétrifiée du passé
(...) la sclérose des formes et des contenus 39 qui s’avère à la fois inédite et innovante en
libérant le texte de ce système de conventions et de croyances très solides, bien construit et
bien clos devenus par la force des choses une seconde nature.40De ce fait, nous tenterons de
montrer la particularité structurale de chaque roman participant à travers leur singularité que
sous-tend la mise en place de formes scripturales et narratives inédites d’un roman à l’autre.
En effet, chaque roman se singularise par ses propres procédés de dysfonctionnement du récit
qui se déploient et provoquent l’éclatement des structures narratives.

Dans cette partie, l’approche sémiotique des formes narratives nous permettra de
mettre en exergue les mécanismes narratologiques qui se déploient dans l’éclatement formel

28
Maingueneau, Dominique .Manuel de linguistique pour les textes littéraires .Paris, Armand Colin .2010
29
Eco, Umberto. L’œuvre ouverte .Paris, Ed du Seuil, Points-Essais, 1965 et Lector in fabula, Paris, Ed Grasset
et Frasquelles, 1985
30
Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie .Paris, Gallimard, coll. Tel ,1978 .
31
Kristeva, Julia .Semiotikè, Recherche pour une Sémanalyse .Paris, Seuil, 1969
32
Genette, Gérard. Palimpsestes : La littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982,
33
Riffaterre, Michael .Les traces de l’Intertexte .Paris, la Pensée n°215, Octobre 1980
34
Jenny, Laurent .La stratégie de la forme .Paris, Poétique, n°27, 1976
35
Compagnon, Antoine. La seconde Main ou le travail de la citation .Paris, Seuil, 1979.
36
Samoyault, Tiphaine. L’intertextualité, Mémoire de la littérature .Paris, Armand Colin ,2014
37
Khadda, Naget. Ecrivains maghrébins et modernité textuelle in Etudes littéraires maghrébines, n°3, Ed.
L’Harmattan, Paris, 1994, p .11
38
Dans Poétique, Texte, traduction par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Ed. Seuil, 1950, p.63, Aristote
définit toute œuvre littéraire comme système dont les parties que constituent les faits doivent être agencées de
telle sorte que si l’une d’elle est déplacée ou supprimée, le tout soit disloqué et bouleversé.
39
Laabi, Abdelatif. Prologue du numéro-Manifeste de la revue Souffles.
40
Sarraute, Nathalie. L’ère du soupçon, Essai sur le roman, Ed. Gallimard, 1956, p.113

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des récits en question. Nous tenterons de montrer la particularité structurale des textes matiens
dans la mesure où chacun d’eux se fonde sur des techniques d’écritures spécifiques que l’on
ne retrouve pas d’un roman à l’autre. En effet, chaque roman met l’accent sur des procédés
scripturaux particuliers qui marquent la discontinuité narrative et textuelle systématiquement
ancrés à la limite du réel et de l’onirique. L’éclatement de toute logique narrative est de mise
et assoit les jalons d’une écriture de l’hallucination et de la fantasmagorie qui inscrit l’écriture
de Mati dans une modernité scripturale. L’accent est donc mis sur la désintégration formelle,
le morcellement de la narration ainsi que sur la réflexion de l’écriture sur elle- même .Nous
tenterons de procéder à l’analyse des récits dans l’ordre de leur parution : Aigre-doux, les
élucubrations d’un esprit tourmenté, On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit
tourmenté puis LSD en mettant en exergue leurs formes atypiques et transgressives en rupture
avec les contraintes narratives du roman traditionnel corroborant la dimension ontologique de
cette écriture. Pour exprimer cette dimension ontologique, Mati façonne son écriture dans
l’imbrication et /ou l’enchevêtrement de plusieurs codes narratifs marquant un éclatement des
codes qui pose la problématique de l’appartenance générique .Ainsi , pour pouvoir repérer les
indices formels de ces formes transgressives du récit, nous tenterons de mettre en exergue les
structures narratives qui mettent en évidence l’éclatement du récit ainsi que les mécanismes
formels structurant la dislocation des éléments spatio-temporels.

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Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté est le premier roman à travers
lequel nous tenterons d’analyser les mécanismes narratologiques qui se déploient à travers
l’éclatement formel et générique des récits en considérant l’écriture de Mati déborde les
différentes règles et catégories des genres pour donner lieu à un véritable syncrétisme
générique .De ce fait, il est incontestable que l’inclusion dans la narration du mythe, du
fantasmagorique, de l’onirique, du délire et de l’absurde participent de la dislocation
fragmentaire du récit par la subversion des normes romanesques traditionnelles. Le texte
devient cet espace sans dedans, ni dehors où s’engendrent les sens selon le jeu infini des
signifiants 41 pour s’ériger en un mot, une suite de mots, une phrase nominale, un
paragraphe, un non-sens 42s’appuyant sur des procédés formels tels que la polyphonie
énonciative et narrative, l’humour, la parodie, la dérision et la satire. Ces derniers se mettent
en branle dans leur interaction fonctionnelle à l’intérieur de l’univers diégétique et créent un
univers romanesque fantasmagorique. Ainsi, pour dire la dimension ontologique de son
écriture, Djamel Mati met en place un processus scriptural de l’imbrication et /ou de
l’enchevêtrement de plusieurs genres romanesques qui pose la problématique de
l’appartenance générique où le jeu des écritures se joue sur un rapport très étroit (réel /irréel,
espoir /angoisse) pour lequel la feintise devient une nécessité. Elle devient un style. 43Le texte
devient cet objet en mouvement qui décontenance littéralement le lecteur pour s’ériger en une
singularité scripturale signifiante et générique qui confère au texte sa force de perturbation.
Dans Aigre-doux, l’écrivain convoque des genres narratifs disparates et fait sans cesse
appel à des procédés d’écriture fondés sur le conte (la parodie), le fantastique, le discours
déliriel et chimérique ainsi que sur la rhétorique de l’ironie, de l’humour et de la dérision.
Ce roman raconte l’histoire du personnage -narrateur qui se réveille un jour amnésique
dans une petite chambrette ovale située dans la Casbah d’Alger à l’ex-rue du diable, au
numéro 114 du point B. Il effectue des plongées dans un monde apocalyptique et irrationnel
en ingurgitant sans limites des barbituriques et quitte enfin le point B114 afin de partir dans le
désert à la recherche de son passé et de son identité. Dans son errance, il rencontre les
personnages les plus fantastiques ,les plus excentriques et les plus déroutants qu’il fréquente

41
Benveniste, Emile –cité par Meshonnic, Henri. Modernité, modernité, Paris, Folio-Essai-Ed Verdier, 1988,
p.34
42
Kristeva, Julia .Sémiotiké, recherche pour une sémanalyse, Paris, Ed du Seuil, 1969, p.282
43
Mati, Djamel, le jeune indépendant du 16/11/2006

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momentanément 44après avoir franchi non sans souffrances mentales et physiques la porte du
désert où tous ces personnages l’orientent ,chacun à sa manière , pour une transmutation en ce
qu’il y a de meilleur en lui. Parviendra-t-il à trouver les réponses à ses questionnements, à sa
quête intrinsèquement existentielle et ontologique en rapport avec la condition humaine et
l’entité de l’Etre ?
Compte tenu de tous ces préalables, nous organisons l’analyse narrative selon les axes
suivants :

 L’articulation des évènements.


 L’agencement du système des évènements.
 Les récits seconds enfilés.

Au plan théorique, dans le cadre de la cadre de la sémiotique textuelle du récit, outre


les concepts théoriques relatifs aux théories structuralistes affirmant la nécessité d’étudier le
fonctionnement du texte en lui- même et pour lui-même comme une structure langagière,
nous empruntons les concepts théoriques relatifs syntaxe narrative selon les théories
Chklovski, Genette, Greimas, Hamon et Mitterrand.

1. Articulation des évènements

Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté est un roman qui présente une
composition en chapitres disparates contenant des sous parties dont le nombre diffère d’un
chapitre à l’autre afin d’obtenir la composition suivante :
PROLOGUE :

Le réveil …………………………………..………………………………….... pp.11-13


LA CHAMBRETTE OVALE :
L’amphore fracassée …………………………………………………………... p.17
Game over!…………………………………………………………….………. p.22
L’Enfant do……………………………………………………………….……. p.27
Les légumes en ont marre. …………………………………………………….. p.32
Point d’eau ? …………………………………………………………………... p.38
Laissez- moi……………………………………………………………………. p.43
Mes meilleurs ennemis ………………………………………………………... p.48
Les méandres…..Tant qu’à faire ? ……………………………………………. p.55

44
Bendjelid, Faouzia. Compte-rendu de lecture d’Aigre-doux, Gerflint, Synergies Algérien°4 2009,p .334

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LES MEANDRES :
Les amants, c’est franchement ……………………………………………...… p.63
A votre bon cœur ……………………………………………………………… p.68
Sur les traces de mon ombre …………………………………………………... p.72
Le radeau……………………………………………………………...……...... p.82
Oh !la vache ! ………………………………………………………………...... p.87
Les frères du fils unique …………………………………………...………….. p.93
Le vendeur de mouettes ……………………………………………………….. p.97
La ville cannibale………………………………………………………….…… p.104
Le rideau ! Le rideau ! …………………………………………………….…... p.117
Au paradis, on ira tous!……………………………………………….………... p.120
Rassurez- vous, y ‘a pire ! …………………………………………………….. p.132
La tour de Babel.……………………………………………………………….. p.141
Les fioles du savoir ……………………………………………………………. p.145
Les rats ………………………………………………………………………… p.151
Un cran de plus, un cran de moins …………………………………………….. p.155
A ta santé Doly ! ………………………………………………………….…… p.164
LA QUETE VISCERALE
N’arrête pas ; viens, rentre ! …………………………………………………... p.171
Une goutte de plaisir…………………………………………………...………. p.176
L’Alchimie de la vie……………………………………………………….…... p.184
Aigre-doux ……………………………………………………………...……... p.200
Et lui dans tout ça ?……………………………………………………...……... p.206
Le sablier ……………………………………………………...………………. p.213
Le cœur volcan ………………………………………………………………... p.218
Trois petits tours, puis s’en vont !…………………………………………...… p.222
RETOUR DANS LE DESERT, LA MUE.
Lettre ouverte ….aux asticots ……………………………………………...…. p.229
Procrastination futile ……………………………………………………..……. p.235
Le rétroviseur …………………………………………………………..……… p.249
Le cycle se recycle ………………………………………………………..…… p.254
EPILOGUE.
Point B 114, le futur antérieur………………………………………………..... p.265

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Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté aligne de manière consécutive


quatre parcours narratifs qui représentent les principales étapes de la quête du personnage -
narrateur amnésique -qui, sous l’emprise continuelle de psychotropes, quitte sa compagne et
le point B114 pour errer dans différents lieux où il fréquente momentanément les personnages
les plus fantastiques qui balisent son errance jusqu’aux confins du désert.
Le récit s’articule autour du narrateur-personnage qui se réveille dans une masure de
l’ex-rue du diable à la Casbah d’Alger après un long voyage hors du temps où il va passer
une période de neuf mois à travers laquelle il se rend compte que ses perspectives
s’amenuisent dans cet espace réel rétréci et vide de sens. Tout en réprouvant l’état végétatif
dans lequel il se trouve, il fait preuve d’une certaine lucidité par le sentiment de culpabilité
qu’il éprouve vis-à-vis de sa compagne qui l’entretient avec tellement d’amour, d’affection et
de sollicitude. Conscient de cet état végétatif tourmenté, enclin à la folie et noyé dans le
tourbillon de ses questionnements existentiels liés à cette amnésie -qui lui cache des pans
entiers de sa vie et incapable de rassembler les pièces du puzzle de son passé- le personnage -
narrateur sent que le moment de préserver cette femme amoureuse et attentionnée est venu et
que le départ vers une destination inconnue se dessine enfin après ces mois de doutes et
d’angoisses.
La pérégrination vers l’inconnu est à présent inéluctable après ces mois d’angoisse, de
rêves éveillés et de délires hallucinatoires provoqués par la prise continuelle de pilules aigres-
douces. C’est justement pendant cette période de questionnements philosophico-ontologiques
- de tentative de recherche du passé entremêlée de sentiments de culpabilité à l’égard de cette
femme qui a fait son possible pour l’intégrer à la réalité de l’ex-rue du diable qu’il décide de
partir en quête de lui-même.
N’ayant plus aucune perspective et noyé dans le tourbillon de ses interrogations dans
cette matrice devenue trop exigüe pour lui laquelle le frustre et le rejette sur son passé, il
décide de s’en extirper tel un fœtus mort-né et de partir seul à la recherche de son ombre
derrière la porte du désespoir.
Le récit premier- s’articulant justement autour de cette première étape située à la limite du réel
et de l’onirique, due à la prise de barbituriques-fait éclater l’univers diégétique plonge le
lecteur dans une nouvelle dimension où le réel et le fantastique s’enchevêtrent
inéluctablement. Cet entrelacement du réel et du chimérique génère visions et flash-back
d’images effroyables que le lecteur découvre à travers les chapitres de L’amphore
fracassée, Game over ! , L’enfant do. , Les légumes ont en marre, Point d’eau, Laissez-

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moi et Les méandres …Tant qu’à faire ? Cette écriture de l’hallucination et de la


fantasmagorie s’organise autour d’une dialectique de construction-déconstruction d’elle-
même par le dédoublement ou l’éclatement-démultiplication du je prenant en charge ces
récits de rêves éveillés, de réminiscences diverses, de douloureuses impressions de déjà-vu,
de déjà-vécu dans l’introspection des méandres de son esprit ensablé et des élucubrations
de son esprit tourmenté.
Le second récit sera celui de son entrée les yeux fermés 45dans un monde fantastique,
une fois le seuil de la porte de désert franchie, marquant le début de sa quête vers l’inconnu
où l’omniprésence de rêves éveillés, de délires hallucinatoires déclenchés à la vision d’un
minuscule grain de sable aux multiples facettes brillantes .Le narrateur amnésique se
remémore un étrange rêve d’une nuit, celui d’un insolite banquet où il tombe sur son alter-égo
éventré -les viscères pendouillant- gisant en attendant d’être dégusté par deux oiseaux
falconiformes morbides. Halluciné, il se découvre alors la faculté d’effacer ces mauvais
songes de sa mémoire pour vagabonder sur les traces de chameaux défiant le temps dans
l’espoir de retrouver les siennes.
Le narrateur-rêveur erre dans un monde fantasmagorique, visite différents espaces
chimériques à l’image du douar aux artifices en compagnie d’un homo concombre ou d’un
vendeur de mouettes. Son esprit vagabonde jusqu’à une cité cannibale mégalopole où visions
de zombies lépreux et loqueteux et réminiscences d’un vécu durant la période coloniale
française jaillissent du fin fond de sa mémoire altérée .Ses pérégrinations le mènent sur le
chemin d’une prostituée recherchée par son frère qui lui raconte l’histoire pathétique de sa
sœur .Alors que le rideau se referme sur cette ville ghetto -anthropophage glauque et puante
au point de pouvoir faire fuir plus d’un putois -il ne cesse d’halluciner pour se retrouver dans
une nécropole à la recherche de sa propre tombe au milieu de morts ensevelis à la hâte. Il en
arrive même à se demander s’il n’était pas déjà mort au pied d’un arbre-conteur d’une
effroyable tragédie : celle de cinq bourgeons de la vie adolescents assassinés au nom de Dieu
par des loups sanguinaires .Il retrouvera les cinq innocents assis sur leurs pierres tombales- en
compagnie d’un vieillard psalmodiant une douloureuse complainte dédouanant le Seigneur et
accusant la folie meurtrière des imposteurs qui prétendent agir en son nom.
La quête identitaire se poursuit dans ce monde apocalyptique et irrationnel : celui d’un
charnier vivant- d’un village aux acacias aux agrumes de potences 46où de jeunes loosers au

45
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté, Editions APIC, 2005, p. 13
46
Ce sont des arbres dont les branches se terminent par un nœud coulant

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regard hagard jouent à une roulette russe où il faut mourir pour être le gagnant. Puis dans la
cité du savoir, il découvre des milliers de livres qui s’arrachent dans les vespasiennes de la
ville converties en librairies depuis la transformation des bibliothèques en fast-food.
Telle était l’histoire de cette Tour de Babel dans le pire des monde à la merci de ces
dinosaures du pouvoir47, le narrateur errant se réveille, s’engouffre dans une ruelle moins
sombre que les autres et se retrouve dans une bouquinerie délabrée, éclairée par la lueur
agonisante d’une bougie 48 où les rats s’alimentent en toute quiétude de bouquins achalandés
sur le haut des étagères.
Il découvre alors le summum de l’absurde lorsque d’ignorants assoiffés de la
pensée déambulent et charrient leurs chèvres, leurs poules et leurs garnements à la fête du
savoir. Des ouvrages sous forme de liquide , dans des fioles en verre ou en terre cuite par un
mélange d’informatique et d’alchimie, sont proposés à tous ces oisifs de la lecture 49venus
s’abreuver de livres de poche liquéfiés et saliver devant des romans en cruche. Enfin, il
tombe nez à nez avec un surmulot au pelage gris venu lui faire les poches à la libraire
B114.La peur du mammifère rongeur le fait ingurgiter une poignée de pilules pour s’évader
de ce lieu effroyable. Rien n’y fait, d’autres rongeurs surgissent pour envahir les villes,
reléguant le narrateur et ses semblables dans les ordures et immondices contraints de renoncer
à leurs principes et raisonnements spirituels et à leur cupidité quasi-originelle.
Dans cet univers absurde les gens d’en bas s’activent à s’autodétruire par l’édification
de la corruption morale ou intellectuelle et leur incapacité à vivre dans la propreté .Ils sont
devenus dangereux pour l’équilibre de l’écosystème des rongeurs.
Les élucubrations de son esprit se poursuivent au Hameau B114 où il rencontre une
prostituée édentée parmi des zombies loqueteux et une femme voilée aux yeux émeraudes qui
lui racontera l’histoire de ce triste hameau, devenu un pathétique purgatoire de misérables
hères de ventres-creux .Ses pérégrinations le mènent à la colline aux horreurs clonées en
compagnie d’un petit garçon aux boucles de laine qui se met à bêler au moment où le
narrateur lui demande de lui raconter une histoire. Ses vagabondages hallucinatoires
l’orientent enfin dans une ardente et luxuriante forêt où il fait une rencontre cruciale avec un
vieux thaumaturge qui conseille d’affronter le temps et sa propre mort, de scruter son cœur
avec compassion, s’ouvrir et parler aux autres dans le désert.

47
Aigre-doux, p.44
48
Ibid., p.145
49
Ibid., p.148

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Le voyage initiatique du narrateur- à travers lequel il fusionne avec une gouttelette


lascive, de sueur, de plaisir jusqu’à la matrice d’une femme-marathonienne courant et
progressant dans le sens contraire de la rotation de la terre pour remonter le Temps- se scelle
par un voyage dans le Temps avec l’Alchimiste de sable et de pierres qui lui conseillera de
n’écouter que son cœur en acceptant l’aigre et le doux de la vie pour enfin saisir la dualité du
monde. La prise de conscience que l’homme n’est pas seul dans l’univers, qu’il appartient à
une totalité et que son apprentissage ne peut se faire sans amour et conviction clôture les
enseignements du magicien.
Le second et ultime voyage astral, le fait planer au-dessus d’une ville-tombeau pour
assister, à deux cortèges funèbres, en compagnie de la dame au haïk blanc, aux yeux
émeraude et à la chevelure rousse qui lui raconte l’histoire de ces deux amants morts sans
s’être jamais rencontrés. A l’instar de l’Alchimiste, la dame au voile immaculé et aux formes
parfaites lui susurre que la vie est à l’image de cette histoire de miel et de ciel 50devenue
tragique faute d’avoir pu différencier l’aigre et le doux de la vie.
Prenant à la lettre les recommandations du thaumaturge, il se met à l’écoute de
son cœur-volcan qui lui confirme que son heure est venue. En rêvant d’amour et d’équité, il a
été choisi pour la MUE, qui précèdera l’aboutissement de sa quête. La femme à la peau
laiteuse réapparait pour lui confirmer qu’elle est sa DELIVRANCE .Assise à l’arrière d’une
voiture conduite par le narrateur auquel elle intime l’ordre de l’emmener au point B114 .Des
rêves antérieurs, une multitude de paysages et de décors irréels et de visages tourbillonnants
qu’il reconnait malgré tout -se mettent alors à tourbillonner sur son rétroviseur.
Dans ce tournoiement d’images et de visages familiers, des voix qui lui reviennent à
l’esprit s’adressent à lui, lui parlent de patience ,d’épreuves, du temps, de la mort et de la
métamorphose 51, la délivrance est proche et se concrétise en une fraction de seconde et en
un fragment d’espace 52 dans un silence quasi absolu ; il est entrainé dans un long tunnel de
lumière menant au milieu d’une oasis de verdoyante et translucide. La sensation d’être
dépouillé de ses chaires et de son corps s’empare de lui dans une plénitude extatique, ne se
sentant plus qu’Amour dans la posture singulière de l’innommable, sublime et divin instant
zéro. L’épilogue de sa transmutation se vivra dans la chaleur de deux corps en se mouvant en
compagnie de ses semblables spermatozoïdes tous conscients qu’il ne doit en rester qu’un au

50
Aigre-doux, p.202
51
Ibid.,p.253
52
Ibid.,p.253

20
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

milieu de la grotte, de la cavité naturelle, celle du Tout et du Rien, de l’Homme et de


l’univers, de l’Origine et du Recommencement.53
Le narrateur-spermatozoïde, recroquevillé avec lucidité et discernement de l’esprit,
perçoit les préludes parfumés et savoureux de la vie matricielle qui se désancrent et lui
ravivent ses origines et ses racines profondes pour savoir aimer et aimer savoir.54Le narrateur
-fœtus existe et se déploie dans une nouvelle dimension spatio-temporelle, celle d’un nouveau
cycle évoluant dans l’allégresse vertigineuse où il se balade dans un océan de sable, dans un
désert pierreux, phallique de par ses falaises et pitons rocheux, offrant ses méandres
labyrinthiques et hiératiques. En paix avec lui-même, il se surprend dans un autre corps
rajeuni, glabre et lisse : celui d’une femme, à la peau glabre et lisse, heureuse de sa mue.
Tel est l’ultime idéal de sa quête entamée à l’ex-rue du diable et poursuivie dans le
désert après la Mue pour un éternel Recommencement…. probablement au point B114.
Après une longue nuit de drôles de rêves, la narratrice se retrouve dans une petite
cabane en bois- avec un colocataire- isolée au fin fond du désert prospectant de nouveaux
horizons grâce à sa longue-vue vers d’autres femmes qui , à l’aide de jumelles identiques,
scrutent elles aussi d’autres horizons dans l’espoir de s’évader pour un monde meilleur où les
préjugés et les interdits, les non -dits et les non-sens 55 ne sont plus de mise.
En accord avec elle-même , la narratrice se définit sans ambages comme appartenant à
cette communauté des observatrices de l’aspiration et de l’espoir dans une autre planète, une
autre cabane perdue au milieu d’un autre désert ressemblant étrangement à la sienne et à
l’intérieur de laquelle un autre couple vit sa vie aigre-douce dans un autre point B 114 .

1.1.Agencement du système des évènements :L’éclatement narratif par « enfilage » de


récits seconds

Nous faisons l’analyse sémiotique des séquences qui construisent le premier récit qui
précède le départ du narrateur après neuf mois passés dans la chambrette ovale de l’ex-rue du
56
diable. Pour la grammaire du récit, nous nous inspirons du schéma quinaire classique afin
de mettre en lumière les diverses manifestations formelles de l’écriture. Sur le plan macro-
structurel, les récits répondent généralement à ce modèle présentant une structure canonique
regroupée en cinq points :

53
Aigre-doux, p.259
54
Ibid., p.263
55
Ibid., p.267
56
Adam, Jean-Michel. Linguistique et description littéraire, Paris, Larousse, 1976 pp.213-214

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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-Situation initiale stable.

-Force perturbatrice venant rompre l’équilibre.

-Etat de déséquilibre qui constitue la dynamique du récit.

-Résolution du conflit par l’action d’une force dirigée en sens inverse.

- Retour à l’équilibre
Tout récit peut se définir comme transformation d’un état en un autre état. Cette
transformation est constituée d’un élément qui enclenche le procès de transformation, de la
dynamique qu’il effectue (ou non) et d’un autre élément qui clôt le procès de
transformation. 57 Nous tenterons de montrer de quelle manière l’écrivain est en quête de
procédés narratologiques qui échappent à la norme en multipliant les perspectives narratives
par l’intrusion de récits enchâssés pris en charge par une polyphonie discursive et énonciative.
Dans ce roman, l’écrivain privilégie les songes et hallucinations d’un narrateur amnésique à la
recherche de son identité et dans lesquels son statut de narrateur, autorité fictive, s’amenuise
au fur et à mesure de la prise de parole des personnages qu’il rencontre au cours de sa cabale
hallucinatoire.

1.2. PN I:De l’éveil du narrateur à sa sortie de la chambrette ovale

Le personnage -narrateur se réveille un triste matin à l’ex-rue du diable de la Casbah


dans une totale amnésie qui lui cache des pans entiers de son passé et qui l’empêche de
trouver des réponses à ses tourments et questionnements existentiels. Dans un état végétatif et
hallucinatoire dû à la prise continuelle de barbituriques, il est en proie à des flash-back
d’images effroyables, de rêves éveillés, de réminiscences de son passé et d’hallucinations
diverses.
Le premier parcours narratif qu’il lance revient à tenter de décrypter l’environnement
qu’il découvre à la suite d’un très long voyage hors du temps .Il ne reconnait ni son épouse ni
ses enfants. Sa compétence d’un vouloir faire est tributaire des pilules aigres-douces qui lui
ont été prescrites par des médecins qui n’ont rien compris à ses tourments. Il se met à
fantasmer. Ses élucubrations se font par le truchement de tranquillisants -qui ne lui permettent
que de survivre- en faisant surgir dans son sommeil des visions anachroniques et effroyables
entachées de fragments liés à un vécu antérieur .Ces visions et hallucinations feront en sorte
de bloquer la dynamique puisqu’aucune action n’est entreprise par le narrateur pour faire

57
Reuter, Yves. Introduction à l’analyse du roman, Paris, Ed .Nathan /HER, 2000, p. 47

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

évoluer son état initial. Ce dernier est dans un état d’oisiveté et totalement pris en charge par
sa compagne. Il ne fournit aucun effort pour subvenir à ses moyens. Ce qui cela ne
l’empêchera guère de faire preuve d’une certaine lucidité lorsqu’il s’avoue à lui-même ne plus
supporter l’assistanat. C’est justement cet état végétatif qui gèle en quelque sorte
l’accomplissement d’actions qui se succéderaient et parachèverait un continuum narratif
classique qui commence par une situation stable qu’une force quelconque vient perturber. Il
en résulte un état de déséquilibre ; par l’action d’une force dirigée en sens inverse,
l’équilibre est rétabli.58
Le récit premier reste alors confiné dans cet état stabilité à l’image de la posture
végétative dans laquelle le narrateur amnésique semble se complaire dès son réveil dans la
petite masure. Ses premières tentatives d’émersion s’avèrent infructueuses et même
douloureuses en ouvrant les yeux comme on ouvre une vieille échoppe fermée pour dépôt de
bilan.59
Le mouvement entre deux équilibres semblables mais non identiques ne s’enclenche
pas par l’agencement de propositions narratives formant des cycles réguliers que l’on appelle
séquences.
Le processus transformationnel, d’une situation à l’autre, définit en principe la
cohérence particulière du récit tout en marquant sa clôture – stagne dès l’instant où le
narrateur-revenant se gave de pilules pour s’arracher de cet environnement étrange et
cauchemardesque .Les visions et hallucinations sont alors omniprésentes, qu’il soit endormi
ou éveillé et son esprit tourmenté vagabonde par la prise de barbituriques. Cependant, nous
constatons qu’aucune dynamique ne s’enclenche et que la situation initiale du réveil se fige
pour ne jamais installer un continuum narratif de la causalité explicite des actions. 60 Nous
sommes donc en présence d’un récit à transformation zéro puisque le nœud -constitué de
l’ensemble des motifs dynamiques censés détruire l’équilibre de la situation initiale- ne se
constitue pas en une force perturbatrice engendrant par la même des propositions narratives
qui marquent les articulations logiques d’un récit.

58
Todorov, Tzvetan. Qu’est- ce que le structuralisme, Paris, Coll. Points-Essais, Ed. Seuil, 1968, p.82
59
Aigre-doux, p.14
60
Cette formulation est de T .Todorov, Ibid., p.50

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1.3. « Enfilage » de récits seconds disparates

L’inaccomplissement de ce récit s’explique par l’enfilage61 de récits seconds de rêves


éveillés, visions et hallucinations du narrateur où des réminiscences d’un passé antérieur se
désancrent pour apparaitre sous formes de flash-back, de fragments d’un étrange vécu dans
un monde complètement absurde. L’intrusion de ces récits mi- réels, mi- oniriques se
substitue à la progression narrative- sensée découler d’un état de déséquilibre constituant la
dynamique du récit - et anéantit par la même toute tentative de transformation de la situation
initiale.
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté obéit à une structuration
narrative singulière en adéquation avec l’assertion Ricardou explicitant qu’à mesure que les
évènements se succèdent, l’inadmissible départ de la séquence tend à s’éloigner et, à la limite
à s’oublier.62
Il ne se passe plus rien à la suite du réveil inopiné du narrateur muant en un rêveur
délirant et hallucinant à outrance, incapable de se situer entre chimères et réalités : Est-ce que
les courtes visions qui me viennent de l’intérieur ont existé réellement ou bien est-ce mon
esprit qui a complètement disjoncté ?
Des récits seconds se propagent telle une avalanche d’aventures et/ou de mésaventures
ubuesques parfois même absurdes endossées par le narrateur dans cette chambrette ovale à
l’instar de ce que J. Ricardou met en exergue dans son ouvrage intitulé Qu’est-ce que le
structuralisme : Tandis que la narration passe, il ne se passe rien : l’on parcourt seulement
des aspects simultanés63 à travers les vagabondages du héros qui, dans les tourments et
élucubrations de son esprit, rencontre les personnages les plus fantasmagoriques, les plus
déroutants pour vivre en leur compagnie diverses expériences hallucinatoires que nous
présentons ci-après dans l’ordre du roman .

1.3.1. L’amphore fracassée

Le narrateur se réveille et se remémore des mots dans son esprit : Ils ont fracassé
l’amphore, les marchands de sable qui hantent mes nuits pour les saupoudrer de sablon, ils

61
Chklovski, Victor. La construction de la nouvelle et du roman, Théorie de la littérature, Paris Le seuil, 1965,
p.170
Ce formaliste russe parle d’enfilage lorsqu’un même héros traverse des aventures constituant autant
d’épisodes.
62
Ricardou, Jean. Pour une théorie du nouveau roman, Paris, Coll. Tel Quel, Ed. Seuil, p.217
63
Ricardou, Jean. Poétique, Qu’est-ce que le structuralisme, Paris, Coll. Point, Ed. Seuil, 1978, p.82

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l’ont fracassée pour la vider de sa sève ! En voulant trop la secouer, ils ont fini par la briser
en mille morceaux. 64
Il s’agit d’un rêve étrange fait la veille et qui l’a bouleversé tant il semblait réel. Sorti
de son sommeil, le narrateur analyse ce songe étrange à postériori en se remémorant
l’effroyable destinée de cette cruche antique malmenée par les conquêtes du passé. Puis, en
fixant attentivement l’amphore-dont les fresques évoquant des scènes de vie s’animent dans
un décor triste et affligeant- le narrateur accompagne, tel un fantôme ,une plèbe terrorisée
fuyant injonctions et orientations d’inhumains châtelains .La plongée dans cet univers mi-
réel, mi-onirique s’effectue par la faculté de déplacements du narrateur capable de se mouvoir
avec une facilité déconcertante hors des contraintes des distances et du temps pour franchir
fleuves et rivières d’une simple foulée, survoler les plaines et les monts, enjamber les douves
du château, et planer au-dessus d’une contrée de leurres qui ne lui est guère inconnue. Il est
incontestable que cette amphore malmenée est le symbole de l’Algérie devenue médiévale où
des forces machiavéliques de l’intégrisme islamiste érigent des minarets-écoles chargés
d’assécher les cerveaux de leurs enfants par le mensonge et l’obscurantisme.
Dieu est absent des lieux de culte dans cette contrée où la plèbe de harragas
embarque sur de maigres radeaux de Méduse vers des rivages aux contours chimériques,
jamais atteints et à perpétuité espérés.65Pendant que les Seigneurs de ces tours de Babel-
prêtres et châtelains-survolés par le narrateur- festoyaient autour d’un banquet et se
délectaient de victuailles arrosées de vin à la couleur et au goût de sang, les stries des mains
de leurs serfs s’effaçaient inexorablement à mesure que les sultans avides se régénéraient de
leur mort inéluctable. L’agonie sans fin de l’Amphore-Algérie Algérie fracassée par ses
propres enfants, par ces gens sortis de sa propre glaise attriste profondément le narrateur qui
assiste impuissant les bras en croix au triste destin de sa propre contrée, de son pays en proie
à tant de malheurs.
D’autres mots désancrés de cet étrange songe occupent son esprit éveillé : l’amphore
malmenée est fracassée par ses propres enfants porteurs et parricides à la fois.

1.3.2. Game over !

Ce monde de chimères dans lequel vagabonde l’esprit tourmenté du narrateur perdure


dans cet environnement pluvieux et triste où il assiste de la fenêtre de sa chambre à une
marche de gens malheureux et accablés brandissant des télécommandes et vociférant leur
64
Aigre-doux, p.19
65
Ibid.,p.20

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colère d’avoir été déconnectés à leur insu. Le narrateur est amnésique et ne reconnait plus
rien, tout lui est étranger. Il ne reconnait ni les lieux ni les personnes alors que sa compagne
lui explique qu’il ne peut y avoir d’état transitoire entre le on /off et qu’en dehors de cette
dualité, la plèbe de cobayes stériles et anesthésiés se perdrait, la nature humaine ayant
horreur du vide. Il semble faire un rêve tout en étant suffisamment lucide pour penser à ses
cauchemars ensablés dans lesquels il tente de se défenestrer pour renaitre de manière
prématurée dans une autre dimension. Il oscille entre ses cauchemars et la conviction que ces
tourments -qui se propagent dans l’univers de la chambrette ovale- ne le rassurent guère plus.
Conscient de son manque de courage, Il souhaite à présent faire partie de ces
irréductibles sevrés arbitrairement de leurs tubes cathodiques.
La menace est grandissante, l’état d’urgence est décrété : les brigades antiémeutes se
mobilisent pour brimer le peuple déconnecté et privé à tout jamais des ses emplettes
imaginaires, de films libérateurs d’instincts à défaut de libérer les esprits et de jeux-télé où
d’autres gagnent voyages et voitures - par le télé-achat générateur du rêves factices. Ces jeux
sont désormais interdits à la masse entière scandant Game over ! Les jeux sont faits !!
Comme si leur existence n’était en réalité qu’un jeu à grande échelle qui dépendent que de
commandements dictatoriaux iniques et absurdes dictés à la plèbe :-tu ne saliveras point !tu
n’achèteras point, tu ne riras point, tu ne fantasmeras point, tu n’espéreras point ! 66
Aucune chance n’est laissée aux débranchés binaires et récalcitrants sous les coups de
matraque des brigades anti-émeute qui finiront par abdiquer plus par découragement que de
fatigue. La reconnexion de toute la nation qui s’endormira ou se réveillera dans une profonde
léthargie pendant que dans d’autres contrées les gens s’éveillent.

1.3 .3.L’enfant do

En fin de journée les manifestants de la zapette finissent par se disperser sous les
rafales de pluie. Convaincus qu’ils se sont démenés inutilement et que leur statut de loosers
est inamovible, les gens du peuple regagnent leurs trous alors que les rats sortent des leurs
pour occuper la rue. Les autorités ont eu gain de cause : tout le monde est déconnecté
.Déprimé, le narrateur prend des pilules au goût aigre-doux dont l’effet est immédiat. Il se
rendort dans son plumard afin de rejoindre instantanément les paradis artificiels et rêves bleus
pour oublier cette ville étrange .Entre rêve et réalité, une douce mélodie hypnotique envahit la
chambre et le berce. Fatigué et incapable de se situer entre ses rêves bleus auxquels il aspire et

66
Aigre-doux, p.25

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la réalité effroyable qui l’environne, le narrateur vagabonde à travers les élucubrations de son
esprit tourmenté dans un univers chimérique et hallucinatoire qu’il est incapable de cerner.
Le songe se propage dans son esprit et se matérialise au plan scriptural et formel par
l’absence de transition et /ou de guillemet insérant un discours en italique relatif à l’éclair de
génie des Hauts responsables de ce pays -qui diffusent ce nouvel hymne national dédié à la
douceur et à l’amour à travers tous les médias : journaux, radio, télévision, internet, spots
publicitaires.
Ebranlé par un excès de barbituriques, le narrateur s’endort paisiblement mais reste
suffisamment lucide pour se rendre compte que la belle mélodie- qui a remplacé l’ancienne
jugée barbare et trop agressive - s’est avérée n’être qu’une vielle berceuse. Les belles et
douces paroles de nouvel hymne accompagnées d’une mélodie psychédélique sortent de la
bouche même du narrateur. : Dodo l’enfant, do ! Dodo l’enfant, do ! La nation s’endormira,
bientôt 67.Cet hymne- dont le contenu s’avère être une complainte de la misère dans laquelle
les décideurs de ce pays sous la houlette du Chef qui orchestre le pays ont plongé les jeunes
écoliers « sans écoles (…) sans une thune, sans boulot et sans rire -est celui des jeunes
désœuvrés qui s’adosseront aux masures de la honte en fredonnant leur misérable complainte.
La complainte dédiée à tout un peuple contraint de survivre dans le dénuement, la
pauvreté et les privations les plus abjectes incite les jeunes à vociférer leur haine et à
quémander leur dose de pourriture alors que l’avenir du féminin est à son tour compromis
dans l’indifférence et le mépris.
Le narrateur s’est encore réveillé sous une pluie battante et analyse avec
circonspection, ses élucubrations, ses va et vient entre cauchemar hallucinés empreint de
flashbacks à d’autres encore plus réel et parfois même plus cruels. Sa compagne est présente à
ce moment-là et le narrateur semble ne plus supporter sa présence jusqu’à avoir envie de
l’étrangler.

1.3.4. Les légumes ont en marre

Ensuite, le narrateur s’englue dans une atmosphère de non-communication avec sa


compagne en usant continuellement d’onomatopées pendant que les questionnements
existentiels qui taraudent son esprit ne trouvent aucune réponse concrète dans ce petit studio
de la rue B au numéro 114 : Où suis-je ? D’où viens –je ? Et qui suis-je ? 68

67
Aigre-doux, p.29
68
Ibid, p.32

27
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Son état physique s’est détérioré jusqu’à devenir une loque sans substance, une
andouille 69et son état psychique est à la merci des pilules aigres-douces déclenchant des
hallucinations de plus en plus empruntes de réalités antérieures. Les sens du narrateur
s’aiguisent au point de sentir une odeur de chanvre indien- s’échappant d’une marmite où des
légumes gémissent dans l’eau bouillonnante .Convaincu de l’urgence de sauver ces légumes,
il plonge ses doigts dans la marmite d’eau chaude et s’y brûle instantanément.
Une autre prise de barbituriques n’améliore guère son état émotionnel dont les
hallucinations lui font voir d’étranges figures, longitudinales ou arrondies presque
humanoïdes à travers les vapeurs fumantes qui se propagent du faitout bouillonnant. Les
volutes vaporeuses se penchent sur lui et lui parlent sauf que leurs mots s’évaporent dans les
émanations de chanvre indien. 70
Les hallucinations de légumes-humanoïdes implorant le narrateur de les sauver
perdurent alors qu’il se met, à cet instant même, furtivement et aveuglément, à chercher ses
pilules sans quitter des yeux les légumes mijotant dans l’eau bouillonnante. Hallucinant à
outrance, le narrateur se dédouble et devient l’instance narrative d’une recette métaphorique
de légumes humanoïdes aptes à la cuisson une fois le cerveau bouffé et rongé tout en passant
en revue non sans humour et dérision tous les modes de cuissons depuis la nuit des temps à
nos jours où des micros rafales d’ondes les font cuir de l’intérieur.

1.3.5. Point d’eau ?

Réveillé par les hallucinations de légumes humanoïdes, le narrateur profite de la pluie


pour se laver nu sur le rebord de la fenêtre. Il découvre son étisie avec stupéfaction devant les
passants hilares et ahuris devant cette scène aussi absurde qu’inhabituelle. Ricanant tout en le
montrant du doigt, les gens ne peuvent comprendre son état d’halluciné assoiffé buvant l’eau
de pluie pour que sa mémoire se rafraichisse en vue de désancrer son passé.
Alors que l’eau coule sur son corps et tout en continuant de se frictionner devant une
foule de voisins hilares, il demande à sa compagne les raisons du tarissement des
robinets .Elle lui explique qu’il s’agit d’une grève générale des robinets du pays et que ce
n’est guère une raison de se mettre nu sur le bord étroit du balcon devant les gens .Le
narrateur amnésique se remémore vaguement que là-bas aussi il n’y avait pas d’eau alors
que sa compagne lui demande où est situé ce las - bas, il lui rétorque qu’il ne sait pas vraiment
mais certainement dans les méandres de son esprit.
69
Aigre-doux, p.32
70
Ibid.,p.33

28
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Sa compagne lui explique que depuis cette grève des nez-coulants71, la mentalité des
citoyens a changé puisque la débrouille et la corruption se sont propagées. Depuis les citoyens
privilégiés et nantis se font livrer de l’eau par avions cargos alors que les gens deviennent de
plus en plus sales .Elle lui explique aussi que les robinets ne font que revendiquer une eau
potable et saine coule dans leurs veines d’acier, refusant l’eau contaminée. Finalement, les
autorités privilégient la fuite en avant. Elles incriminent ces nez-coulants qui ont du nif 72et
engagent les groupes d’intervention anti-terroristes pour les éliminer. Le narrateur ne supporte
plus ce monde absurde où des robinets contestataires et récalcitrant ont remplacé les hommes
et où les rumeurs absurdes s’ajoutent à d’autres absurdités au sujet de cafetières dont la dose
de café coûtera plus cher qu’un verre d’eau sale.
Étranger à ce monde de robinets fiers et orgueilleux, le narrateur halluciné pose une
ultime question à sa compagne qui lui explique qu’il est chez lui au point B114 de l’ex-rue du
diable. Désemparé, il réclame à sa compagne ses pilules pour se rendormir.

1.3.6. Laissez- moi….

Le narrateur s’est réveillé dans l’exigüité de la chambrette ovale .Il tente de faire le
point sur l’affligeante alternance d’une diurne réalité hallucinée et d’une nocturne et évidente
virtualité auxquelles il a fini par croire indubitablement.
Le doute et l’ambigüité persistent dans son esprit, le temps semble suspendu sans
aucune incidence sur ses monotones journées qui se muent en cauchemars constamment
accompagnés d’une impression de déjà-vu. Son incapacité à fixer ses souvenirs avec
exactitude dans la durée s’avère patente puisqu’il ne reconnait même plus la femme endormie
qui prétend être son épouse. Incapable de faire plaisir à sa compagne en lui faisant l’amour, il
éprouve un sentiment de culpabilité à son égard, se contentant d’inclinaisons fantasmatiques
lubriques. Coincé entre deux états d’âme qui résultent de cette irréalité exécrable et
insupportable et d’une triste réalité vécue au point B114 où il se complait dans une folie
salvatrice qui l’aiderait à choisir entre se défenestrer ou rester auprès de sa compagne .Le
narrateur ingurgite ses pilules qui le font vivre et apprécier un rêve éveillé nautique et
aquatique .Ce dernier se propage dans l’espace de la chambrette ovale et son lit-barque vogue
en compagnie de poissons rouges sur une mer d’été.

71
Robinets
72
Aigre-doux, p.41

29
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Ce rêve de bonheur aquatique se poursuit dans la nudité du narrateur déambulant et


exécutant même une cabriole acrobatique sur ses mains simplement. Ce dernier se rend à son
boulot parmi des gens heureux qui exhibent leurs corps en totale harmonie avec ce décor bleu
sous un soleil radieux.
Le narrateur-rêveur se plait enfin à déclarer sa flamme à sa bien-aimée qu’il invite à
déjeuner sur l’herbe verdoyante : leur bonheur est palpable, l’émotion et l’émoi sont partagés
et sa pudique bien aimée laisse couler des larmes de bonheur. Plus aucune contrainte spatio-
temporelle ne l’empêche de s’accrocher à un nuage de passage, de s’y installer et se laisser
emporter allègrement par une brise sucrée. Submergé de bonheur, le narrateur se met à voler
en serrant les poings en compagnie d’hirondelles qu’il caresse pour les remercier de gazouiller
à ses côtés. Les déplacements sont d’une facilité déconcertante : en haut de sa rue, il retrouve
des amis avec lesquels il passe une soirée mémorable au milieu du gazon frais et fleuri d’une
nuit lunaire et étoilée : telle était l’irréalité onirique de ses rêves bleus.
Au petit matin, le chant des oiseaux le réveille en compagnie de lapins et d’une
grenouille verte qui lui coasse une belle romance et lui fait des bisous avant de le quitter.
Puis, en escaladant des vallées verdoyantes, il rencontre des gens du terroir avec lesquels il
converse et partage le lait et le pain .Ces derniers lui offrent un bouquet d’edelweiss : il
redescend chez lui en chantant et sur son patio, sa chatte ronronne de joie en le voyant. Le
narrateur heureux replonge dans l’onde claire de sa chambrette ovale pour retrouver les
poissons rouges : Y ‘ a pas à dire, je nage dans le bonheur ! 73

1.3.7. Mes meilleurs ennemis

Récusant toute forme d’assistanat qui ne pouvait plus durer, le narrateur décide alors
de reprendre le dessus sur les évènements en avalant par gorgées ces maudites pilules. Il
désire se rejoindre dans une temporalité singulière, dans son présent passé révélateur de
souvenirs heureux avec sa compagne et de réminiscences douloureuses lors d’une rencontre
avec ce diable de personnage. Le narrateur fuit alors son présent cauchemardesque en se
remémorant sa rencontre avec son meilleur ennemi. Le continuum narratif faisant s’enfiler ces
récits seconds ralentit la progression du récitatif premier et est présenté sur le plan formel
dans une typographie en italique sans transition ni guillemets.
Afin de satisfaire ses plaisirs et bien profiter de la vie, le narrateur quémande de
l’argent à son meilleur ennemi le diable qui avait déjà tout dépensé. Sur ce, il se met à sa

73
Aigre-doux, p.47

30
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

recherche afin de marchander son âme au marché qui peinait vraiment à décoller .Frondeur et
troqueur, il propose au fils de Satan d’échanger leurs âme. Ce dernier accepte et s’exécute
curieusement. Interloqué et désarçonné, le diable devenu une petite âme d’humain, en peine et
n’ayant plus aucune valeur, il tente en vain de récupérer son âme auprès du narrateur-démon
qui se contente désormais de devenir son meilleur ennemi à l’issue de cette transaction
démoniaque.

1.3.8. Méandres …..Tant qu’à faire ?

Le personnage-narrateur sent que l’espace B114 le rejette et l’incite à rejoindre la


procession de tous ses Moi Damnés dans les méandres obscurs de randonnées escarpées.
Il annonce son départ de cette matrice qui le frustre de son passé vers les méandres
obscurs des élucubrations de son esprit ensablé et tourmenté laissant se délier un discours
incohérent des Mois damnés - sur d’autres âmes en quête de sottes fatuités(...)d’illusions
passagères , faveurs aux saveurs éphémères -auxquels il se substitue pour devenir l’instance
narrative74 de délirielles randonnées escarpées sur cette terre des enfers .Cette amplitude
narrative qui permet le déploiement d’un discours incohérent parfois même opaque et illisible
corrobore le déplacement d’une conscience intérieure du personnage- narrateur amnésique
d’un univers diégétique à l’autre :
Des opiniâtres ténèbres aux faibles lueurs, la césure est de glaire, ses bras de lierre nous
entrainent dans des combats pervers, dans des victoires corrompues(…) Au-dessus de nos têtes,
ces cieux d’ébène aux éclairs tueurs qui forent les chairs, qui taraudent les rêves(…) face à nous,
derrière nous, de tous les côtés, les horizons, toujours fourbes, aux perspectives de leurres,
grimacent, perspicaces et destructeurs, comme des miroirs menteurs. Faux mirages aux illusions
vraies. 75
Telles sont les randonnées escarpées d’un esprit errant, tant qu’à faire, dans
d’obscures méandres et élucubrations qui aliènent son âme dans des mésaventures
indésirables .Un discours déliriel et incohérent en est la conséquence immédiate, lequel
s’immisce dans la narration pour provoquer un énième trébuchement du récit.
Au réveil, le narrateur halluciné s’aperçoit avec un certain malaise que ses rêves
démoniaques rétrécissent à l’instar de la nouvelle vie à laquelle son affectueuse compagne
tente de le faire adhérer en se donnant un mal de chienne .Pour lui , cette femme ne lui est
d’aucune utilité dans sa quête des origines et de son passé incertain .

74
Par l’utilisation de la première personne du pluriel
75
Aigre-doux, p.56

31
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Incapable de se comporter normalement avec cette femme tellement attentionnée, le


narrateur décide de quitter ce point B 114 pour un autre lieu qui peut être apportera des
réponses à ses questionnements existentiels. Cette vie de reclus dans la chambrette ovale ne
lui convient plus et la nécessité de sortir de ce labyrinthe onirique 76 devient incontournable.
La jeune femme est en pleurs mais son compagnon se sent contraint de partir pour ne pas
trahir sa profonde sincérité envers elle. Un profond sentiment d’espoir et de désespoir
submerge le personnage amnésique qui se dirige vers une destination inconnue pour rattraper
son passé après plus de neuf mois de doute et d’angoisse auprès de cette femme. Cependant il
ne se sent guère en mesure de matérialiser son amour dans la réciprocité et la disponibilité à
l’être aimé, tant qu’il n’a pas recouvré son passé. La décision de sortir de ce labyrinthe
onirique est un choix personnel dans la mesure où l’incompréhension et l’incommunicabilité
mutuelle prend de l’ampleur : la pérégrination-dont le parcours demeure mystérieux n’est que
le début de quelque chose qu’il doit aller chercher au point B114- le contraint à une
quotidienneté fallacieuse ,faite de douloureuses sensations inconsistantes de déjà-vu
amplifiant les tourments de son esprit ensablé.

1.4. PN II : Récit des méandres et élucubrations d’un esprit tourmenté

Lequel s’empare de l’ensemble de l’espace textuel constitué de seize récits du second


chapitre qui s’intitule Les Méandres (de la page61 à la page(64) et qui englobe la narration
des tumultueuses aventures et /ou mésaventures du personnage errant et visitant différents
lieux, villages, hameaux, mégalopole pour atteindre à plusieurs reprises les confins du désert.
Etat initial : Conscient de ne pouvoir aimer sa compagne dans l’exigüité de la chambrette
ovale, de lui avoir déjà causé suffisamment de peine et d’ennuis et de ne pouvoir lui apporter
l’affection et l’amour qu’elle aurait mérités, le personnage -narrateur la quitte pour partir à
travers les méandres de son esprit tourmenté, ne sachant véritablement où aller. Exposé à une
pluie grise d’ennui et un baluchon sur l’épaule symbolisant son extrême pauvreté, le narrateur
amnésique prend la route du désert en quête de ses origines.

76
Aigre-doux. p.58

32
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1.5. Eclatement de la dynamique narrative par « enfilage »de situations hallucinatoires

Le personnage narrateur est en proie à une succession de songes laconiques et


d’hallucinations évanescentes qui détournent le continuum narratif dans une dimension
fantasmagorique où la réalité et l’onirique s’entrelacent dès qu’il s’adonne aux barbituriques.
Nous présentons à présent les élucubrations d’ordre philosophique et /ou ontologique de ce
personnage errant en quête de son identité selon leur ordre d’apparition dans les méandres son
esprit dores déjà tourmenté.

1.5.1. Refrain des amants et Autoroute des sans-cœurs

Mais avant d’énoncer les prémisses de son voyage mystérieux vers l’inconnu,
l’instance narrative se dédouble pour prendre en charge la narration abymée d’une réflexion
sur les tourments des amants, sur l’Amour dans toutes ses facettes, sous forme d’un refrain
mélodieux .Quant à l’autoroute des laissés pour compte, le narrateur se retrouve à l’emprunter
d’un pas alerte pour rattraper son passé et pouvoir enfin vivre l’instant présent sans prêter
attention à tous ces miséreux qui agonisent sur le bas -côtés de cette gadoue de goudron.
Ce récit abymé ralentit la progression du personnage et l’avènement d’une force
perturbatrice sur le plan narratif alors que le cheminement de la quête a bel et bien
commencé : Aujourd’hui commence le début de ma quête (...) je me sens pénétré par une
étrange sensation : celle d’entrer dans une nouvelle dimension. 77
L’intrusion de ces deux récits seconds qui se greffent sur la situation initiale du récit
premier des méandres participent de l’éclatement textuel en suspendant temporairement
toute dynamique narrative censée relancer le processus de transformation des élucubrations du
narrateur dans son labyrinthe onirique. Ainsi suspendue, la dynamique ne connait aucune
suite dans l’immédiat en dehors du franchissement du seuil de la porte du désert et sa lourde
chute sur le sol sablonneux qui marque véritablement le début ses pérégrinations dans les
méandres de son esprit tourmenté .Sa quête vers l’inconnu ne fait que commencer malgré la
sensation d’impuissance, de fatigue et de peur éprouvée dans cette immensité désertique dans
laquelle il s’introduit en poussant le lourd portail en bois d’acacia. Désormais son voyage
pilulaire se fera dans un décor dantesque, pierreux et rocailleux .Un soleil zénithal le cible et
atomise rageusement son ombre. Dans ces contrées arides- dont les témoignages de graveurs

77
Aigre-doux, p.69

33
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d’images jaillissent sous les contours sensuels des dunes mouvantes sous l’impulsion du
simoun, le narrateur anonyme repart en quête de son ombre et de son identité.
-Dynamique : le personnage-narrateur a envie de connaitre l’histoire de ces gens graveurs
d’images et de peintures rupestres gravées sur les parois des roches de cavernes à moitié
ensevelies dans le sable pour apaiser ses tourments et retrouver son âme.
Dépité et fatigué, il se met à malaxer fébrilement pendant des heures les entrailles
sablonneuses de la dune lui brûle les mains au contact des grains embrasés par le soleil
pyromane. 78Le narrateur constate que cette posture n’enclenche guère de péripéties
nouvelles, persuadé que cette butte violée n’avait guère l’intention de lui faire une
quelconque révélation quant à ses interrogations identitaires. Nous constatons que ces
moments où il ne se passe pas grand-chose sur le plan des séquences narratives, la narration
délirielle prend de l’ampleur dans l’espace textuel et relègue par voie de conséquence le récit
de l’errance à un second plan à l’instar de ce qu’écrivait A .Robbe-Grillet à propos du
nouveau roman où on dirait que le temps se trouve coupé de sa temporalité. Il ne coule plus
.Il n’accomplit plus rien…79au plan des séquences narratives. Cependant , il est indéniable que
son errance perdure à travers l’intrusion de virtualités réfléchies par les microscopiques
miroirs du petit grain de sable resté collé sur sa paume endolorie qu’il tente de décrypter avec
un étrange et complexe sentiment de sérénité et de folie.

1.5.2. Grain de sable aux multiples facettes

Le narrateur commence à halluciner en fixant le minuscule grain aux multiples


facettes. Il voit de grands preux, venus bien avant lui dans de vastes étendues, à la recherche
de la vérité, le stade suprême de la sagesse.
Cette vision d’un paradis perdu est en étroite corrélation avec les questionnements
d’ordre philosophique et /ou ontologique qui sous-tendent la quête identitaire et existentielle
du narrateur qui a déjà compris que le désert du temps n’est pas à l’origine de celui des
hommes, de leurs désagréments, leurs tourments et malédictions .Il comprend que les
Hommes sont les fondateurs de leur propres tourments et de la désaffection divine à leur
égard .C’est ce qui amène le narrateur à entamer sa propre traversée du désert pour
comprendre et donner un sens à son existence.

78
Aigre-doux, p.74
79
Robbe-Grillet, Alain. Pour un nouveau roman, Paris, Ed de Minuit, Gallimard, Coll. Idées, p.167

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La certitude s’ancre dans son esprit halluciné à travers ses propres interrogations
existentielles que les parois polies et lustrées de ce grain de sable laissent transparaitre. Ce
sont bien les Hommes qui ont créé leurs propres déserts et leurs propres tourments. Les
questionnements existentiels se muent alors en tourments dans le corps souffrant et endolori
du narrateur découvrant avec stupéfaction deux vautours charognards ailés 80lui tenant
compagnie et jaugeant son inéluctable épuisement pour enfin festoyer de ses viscères.
Au bord de l’évanouissement, il constate avec soulagement - avant de s’endormir- que
les deux rapaces sont repartis. Il se lève après une nuit passée dans la fraicheur inattendue du
désert alors que les premiers rayons du soleil lui rappellent l’étrange rêve de cette nuit qu’il
raconte à posteriori dans cette atmosphère onirique suscitée par la vision de ce petit grain de
sable aux multiples facettes brillantes , lustrées par le Simoun .

1.5.3. Songe étrange d’un banquet morbide

Le narrateur se remémore ce rêve étrange d’un banquet où il découvre avec stupeur


que l’homme qui gisait, éventré et ensanglanté, entouré des deux vautours festoyant de sa
chaire ressemblait étrangement au sien : J’ai fait un rêve étrange : il avait un banquet. (..) Le
visage de ce pauvre malheureux ressemblait au mien. 81

1.5.4. Sur les traces de camélidés ou l’intrusion dans le miroir liquéfié.

Décidant de quitter cet effroyable songe, le narrateur l’efface de son champ de vision
avant de reprendre sa quête quasi-obsessionnelle de son chemin en plein milieu du désert pour
apercevoir des chameaux ruminants- vaisseaux du désert 82 qui tout en blatérant entre eux le
toisent d’un œil amusé avant de se redresser majestueusement .Enfin, le narrateur se convainc
tant bien que mal que pister les paisibles camélidés une fois fendu le miroir liquéfié lui
permettra peut-être de retrouver son ombre et son identité.

1.5.5. Révélations du Simoun

Il est incontestable que les tumultueuses mésaventures du narrateur résultent de ses


élucubrations et des tourments alors qu’il vient à peine de se relever de sa chute sur le sol
sablonneux. Par la suite, il se rend compte que les deux vautours sont toujours là à tournoyer
autour de lui alors que la Porte du déserta disparu. Il prend conscience qu’il est resté au point

80
Aigre-doux, p .76
81
Ibid.,p.76
82
Ibid., p.76

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de départ sur la même route bitumée au versant de la porte du désert. Son errance se perpétue
dans cet espace onirique qui se propage de manière telle que, même sortant de l’étrange
songe, le narrateur halluciné retombe dans un espace chimérique fait d’images et de visions
effroyables. C’est la raison pour laquelle le narrateur au front bosselé et aux cheveux plus
longs se sent plus vieux et n’a aucune idée du temps passé dans ces contrées désertiques.
Cependant le personnage en quête de lui-même fait preuve d’une certaine lucidité en
analysant ses propres visions hallucinatoires. Les enseignements et questionnements qu’il tire
de sa contemplation extatique du désert sont à leur tour l’objet d’un regain d’intérêt. Il se
remémore la nuit où le désert répondait à ses naïves questions qui nourrissaient ses tourments.
En effet, la contemplation du minuscule grain de sable lui a révélé les Mystères de la création
et cette merveille du monde -qu’est le langage du désert- que l’homme n’a pas toujours su
entendre : Mon séjour dans ce désert m’a appris au moins une chose : il existe un langage qui
va au-delà des mots. Le silence, le souffle du vent, le battement d’un cœur sont plus
évocateurs que tous les écrits, tous les discours. 83
L’autre enseignement du Simoun concerne la dichotomie fondamentale entre le désert
des Temps et celui des Hommes. Persuadé que les Hommes sont à l’origine de leurs propres
égarements, le narrateur s’interroge à travers sa quête existentielle au nom de toute
l’humanité : Combien de gens ont parcouru ces étendues stériles avant moi ? Combien le
feront-ils après moi ? Sortirons-nous indemnes de cette traversée ? Existerait-il réellement un
désert des Hommes et un désert des Temps ? 84
Seuls les humbles comprennent et perçoivent dans l’infiniment petit la grandeur et la
sagesse divines instituant- à travers chaque grain de sable composant ces immensités
désertiques et minérales-un état de vie à l’état brut où l’artifice et le superflu s’estompent au
profit de cette sublimité jaillissant mélodieusement des battements de son cœur. 85Le Simoun
lui demande de ne jamais s’approcher des déserts des Hommes qui consacrent l’aberrance, le
vil et les interdits au détriment de la raison, du beau et des progrès au nom d’une idée, d’une
conviction ou d’une couleur. Pour le simoun comprendre la grandeur et la beauté du désert
revient à choisir les déserts dont le vide est plein à ceux qui sont pleins de vide.86
Enrichi de tous ces enseignements, le narrateur errant referme la Porte du désert
convaincu qu’il commence enfin à comprendre ce désert tellement différent de celui qu’il
83
Aigre-doux, p.78
84
Ibid., p. 78
85
Le narrateur soliloque : Ce désert aime les hommes qui l’admirent pour sa force, sa vitalité, sa
prestance .C’est le désert des Temps, Ibid., p.80
86
Aigre-doux, p.80

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s’était construit dans sa tête .A présent, il est en mesure de vivre sa quête, de poursuivre son
chemin à la recherche de soi avec félicité et plénitude dans le désert des Temps :Voir les
choses pour me revoir, comprendre les gens pour me comprendre. 87
Telle est l’expression de l’ultime principe ontologique que le désert des Temps lui
inculque par les recommandations du simoun.

1.5.6. Parchemin jauni et marins téméraires

Le narrateur halluciné emprunte des sentiers sablonneux d’une mer défunte 88 où il


trouve un coquillage qu’il pose sur son oreille pour entendre le désert murmurer son histoire
dans le bruit des vagues. 89Un ultime ressac fait rouler à ses pieds une bouteille en verre
contenant un parchemin jauni par le temps narrant l’histoire de sa tragique traversée sur un
radeau de fortune confronté à une mer déchainée en compagnie d’évadés anonymes fuyant la
mort dans un bagne à ciel ouvert pour se retrouver dans leur horrible passé , présent et
avenir 90 , celui de leur point de départ, celui de l’incontournable point B 114.Le songe du
radeau s’estompe au moment où le narrateur cesse de lire cette histoire de ces téméraires
marins en quête de bonheur charriant dans son sillage de vagues réminiscences d’un futur
déjà mort ou d’un passé qui n’a jamais existé 91 et ramenant inéluctablement le narrateur
amnésique à cette mauvaise balise de départ, celle de l’incontournable point B 114.

1.5.7. Absurde philanthropie pour un conte de vache

Son errance continue derrière les collines où le narrateur rencontre un étrange individu
mi-homme mi- ruminant, une espèce de Minotaure bipède qui, après moult tractations le
convainc de l’accompagner sur cette interminable route. Les deux acolytes finissent par
s’entendre et forment un duo harmonieux et solidaire jusqu’ au jour où il découvre qu’Abdul
lui a fait les poches pendant un drôle de rêve de vaches : Ô mon Dieu…….si j’avais fait ce
rêve une nuit plus tôt, je crois bien que j’aurai saigné Abdul.92
Le narrateur se remémore ce drôle de songe où il faisait partie d’une communauté
rurale d’un village ombrageux sur une plaine verdoyante arrosée par les eaux d’un ruisseau
au doux murmure. Alors qu’un étrange troupeau de vaches maigrichonnes s’est installé sur les

87
Aigre-doux, p.81
88
Ibid., p. 82
89
Ibid., p. 82
90
Ibid.,p.86
91
Ibid.,p. 86
92
Ibid.,p.92

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pâturages de la bourgade, l’une d’elles suggéra aux gens du village de les aider à se nourrir vu
que les herbes mélangées de fleurs variées qu’elles broutaient commençaient à manquer et ne
leur suffisaient plus. Après concertations, les villageois décident que chacun d’eux devait
prendre en charge une vache maigre : Celle du narrateur devient à son contact une vache
savante capable de raisonner et d’agir comme un être humain jusqu’à son éviction de son
propre espace vital. Abdul la vache s’était déjà accaparé de la maison, de ses amis sans
oublier de changer les serrures et les papiers de la maison. Désenchanté, seul et désargenté
par cette salope de vache qui l’a spolié de tout ce qu’il possédait : terre, maison, serrures, le
nom sur la boite aux lettres et même les papiers de la maison, le narrateur entame alors son
autocritique en remettant en question sa naïveté et sa philanthropie excessive. Finalement, il
décide de ne plus faire confiance en personne. Il raconte une période de philanthropie
excessive où ses pauvres frères l’apostrophaient constamment pour partager dix balles, sa
voiture neuve, son futal, sa chemise jusqu’ à ce qu’un nouveau frère lui réclame les clefs de
la maison ainsi que sa meuf qui lui préparera des petits plats. Ce souvenir- relaté sous le ton
de l’ironie jouant sur l’absurde et l’hyperbole et met en lumière une réflexion philosophique
ayant trait à la philanthropie humaine -participe à son tour de la suspension du continuum
narratif. Ainsi toutes ces mésaventures et désillusions vécues avec ces fantassins de
l’opportunisme 93 que sont Abdul la vache ingrate et ses frères demandeurs d’aumône alors
que le narrateur est fils unique lui serviront de leçon pour poursuivre sa pérégrination avec
vigilance : Je le jure devant Dieu et surtout devant ses crétins d’hommes !94

1.5.8. Douar aux artifices : de l’homo-concombre au vendeur de mouettes

L’errance du narrateur le mène à la tombée de la nuit au café maure d’une bourgade


qui ne l’inspire guère .Il est d’emblée accueilli par une espèce de petit concombre surmonté
d’une olive sans noyau 95 qui lui apporte spontanément un gobelet sec avant de réclamer un
pourboire de cinq cailloux que le narrateur en colère lui jette sur sa tête d’olive dévitalisée. Le
dénoyauté le remercie et lui propose une boussole désaimantée dont l’aiguille tourne au gré
de son bon gré 96 et même une proposition indécente de l’homo-concombre que le narrateur
rejette sans équivoque. Rebroussant chemin pour s’expliquer avec le concombre farceur, il
découvre que le village de chimère a disparu sans laisser de trace. Le narrateur a une fois de

93
Aigre-doux. p.96
94
Ibid., p. 96
95
Ibid., p. 97
96
Ibid., p. 99

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plus été victime de sa crédulité et se remémore instantanément les paroles d’un étrange ami
violoniste de son état et manchot philosophe du week-end 97 ayant hérité de son cher tonton
de milliers de mouettes qu’il proposait à des prix attractifs à ses amis. Fier de ce bel héritage,
l’heureux propriétaire nourrissait gratuitement ses gentilles mouettes en mettant à leur
disposition tous les poissons de la mer.
Refusant de faire crédit au narrateur désargenté et sans héritage pour l’achat de
mouettes libres en plein air contrairement à leurs amis commun devenus des gens d’affaires
enrichis dans son sillage, le richissime vendeur de mouettes et ses acolytes enfoncent le clou
en lui expliquant les raisons de sa mise à l’écart du clan des affaires dont il ne comprenait plus
le langage : -C’est triste que tu sois pauvre. On t’aime bien mais tu ne devrais plus venir avec
nous .A cause de notre niveau social tu vois.98
Par pitié et condescendance, ses amis nouveaux riches lui consentirent de venir avec
eux de temps en temps mais en se contentant de les regarder de loin. Cependant, la réalité était
telle qu’il perdit tous ses riches amis emplumés jusqu’à ce qu’il trouve un jour dans une
vielle commode une donation, d’un de ses alleux oublié, lui léguant tous les poissons des
mers, des fleuves et même des petites rivières.99Remerciant ses alleux d’être morts, il
s’empressa d’en faire part au vendeur de mouettes qui se nourrissait de ses poissons et le
calcul était vite fait à dix centime le poisson et par conséquent sa réintégration au club fermé
des riches et sans pitié 100 était définitivement acquise. L’étrange histoire du vendeur de
mouettes s’arrête subitement et le narrateur s’aperçoit qu’il hallucinait et qu’il n’avait jamais
vécu une telle aventure. Le douar aux artifices s’est volatilisé .Le narrateur errant serre
toujours dans une main la boussole déboussolée de l’homo-concombre et dans l’autre les
coquillages ramassés sur la berge asséchée : En me réveillant, je voudrais me retrouver loin
d’ici ou à la limite ne plus exister. 101

1.5.9. Cité cannibale

Ces récits hallucinatoires peuvent être considérés comme des moments d’absences du
narrateur en proie aux vagabondages et aux élucubrations de son esprit tourmenté qui
perdurent jusqu’à son atterrissage dans une grande ville tentaculaire, mégalopole, chaotique,

97
Aigre-doux, p .99
98
, Ibid., p.102
99
Ibid., p .103
100
Ibid., p. 103
101
Ibid. ,p. 103

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anarchique, ville cannibale anthropophage et mangeuse d’hommes.102 Un pauvre bougre,


hirsute, hagard et maladif assis sur un trottoir tente désespérément de vendre des drapeaux à
des badauds qui ne font guère attention à lui : il chantonne une berceuse Dodo l’enfant do,
l’enfant do…dodo qui lui rappelle celle de la chambre ovale de l’ex-rue du diable .Le
narrateur a subitement envie d’étrangler le bougre.

1.5.9.1. Cireur de chaussures

Cette mégalopole anthropophage est sans conteste la ville d’Alger que le narrateur ne
nomme jamais de manière explicite se contentant de la suggérer par cette image des travaux
du Metro entamés il y a plus de deux décennies et toujours inachevés à cette époque-là. Puis
arpentant les ruelles de cette ville cannibale, il se retrouve en sa grande place qui n’est autre
qu’une décharge publique où des hologrammes, résignés déambulent les yeux fermés tels des
zombies somnambules. Décontenancé et atterré par l’indifférence la plus absolue dans
laquelle la plèbe désespérée survit dans ce labyrinthe de misère et de déchéance, le
personnage -narrateur erre pendant des heures jusqu’à sa rencontre avec une vieille femme
quémandant un visa pour quitter le point B 114 et aller bouffer ailleurs.103Ensuite, c’est au
tour d’un vieil homme cireur de chaussures assis à côté de lui, dans cette cité où le maître-mot
est compter sur soi, de converser enfin avec lui. Le vieil homme se remémore un temps où il
dialoguait avec sa compagne dans leur superbe villa sur les hauteurs de la ville. Puis, devenu
aujourd’hui misérable cireur de chaussures, il s’égosille devant l’indifférence des badauds qui
ne comprennent toujours pas comment il en est arrivé là .Ce dernier se remémore les
réminiscences de son passé respectable en sachant que, ce soir, il s’endormira le ventre vide.
Le vieil homme et le narrateur semblent en fait n’être qu’un seul et même personnage qui se
remémore un passé où il était riche et parlait un français châtié. Aujourd’hui dans la ville
cannibale qui ne lui a plus laissé de choix, il est devenu malgré lui cireur de chaussures ne
maitrisant plus la langue de Molière : Céri missieu ! Cirez !104

102
-Mon Dieu, je suis tombé sur une mégalopole anthropophage ! Ibid., p. 104
103
Aigre-doux., p. 108
104
Ibid., p.108

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1.5.9 .2.Diseuse de bonne aventure

105
Le personnage -narrateur quitte alors le C.C.C et n’arrive pas à retrouver la sortie
de la ville cannibale dans la mesure où toutes les ruelles se terminent en impasses .Il finit par
tourner en rond dans cet enchevêtrement lugubre et glauque de la cité labyrinthique. Une
femme l’aborde, l’entraine dans une misérable chambrette et lui prend la main avec
délicatesse tout en scrutant les sillons de sa paume. Le narrateur égaré dans le temps lui
susurre, en lui déposant un baiser sur la joue, qu’il est à la recherche de son passé pour
pouvoir, à l’instar de tous les hommes, vivre en fonction de son passé. Circonspecte, elle ne
lui répond pas et détourne son regard. Le narrateur l’enlace et ferme les yeux pour se réveiller
au petit matin dans une chambre de bordel la tête posée entre ses seins avec un sentiment de
confort et de sécurité. A ce moment-là, il se remémore une discussion avec un type bizarre, en
état d’ébriété, rencontré la veille dans un bar et qui se mit à lui raconter l’histoire de sa sœur
diseuse de bonne aventure à l’occasion et qui a disparu depuis lors.

1.5.9.3. Rideau du désespoir.

Le narrateur quitte la taverne aux folles. Il se remémore la nuit passée avec sa


compagne qui lui avait parlé d’amour au point B114. Sentant de goguenards regards l’épier
derrière son dos, chacun derrière son rideau, le narrateur les imagine enfermés dans leur
monde immonde 106 : celui d’un père de famille désargenté et sans espoir, d’une plèbe en
délire pour que cesse leur propre tragi-comédie, de l’enfant attendant des marionnettes lui
promettant une vie de joie ,de rires et de bonheur, le malade condamné souhaitant en finir
avec cette mascarade d’existence ,107 d’une jeune femme cachée et emmitouflée par des
tabous inventés, d’un vieillard frustré par une vie inachevée et attendant que l’on baisse le
rideau de sa finale 108et de cette foule assistant médusée à l’assassinat du Monsieur qui leur a
fait confiance et choisit de lever tous les rideaux 109constitue une condamnation en filigrane
de l’assassinat du président Boudiaf d’une rafale provenant de derrière un rideau. Tel est le
sort des habitants qui n’ont d’autre choix que de vivre derrière un rideau qui les gouverne à

105
L’auteur donne cette définition en bas de page : centre de la cité cannibale, appellation certifiée et contrôlée
par tous les zombies de la ville, Ibid., p.10
106
Aigre-doux, p. 117
107
Ibid., p. 118
108
Ibid., p.118
109
Ibid., p .118

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présent dans ce lieu où tout le monde souffre et qu’il s’empresse de quitter avant que le soleil
ne se couche.

1.5.10.Visite d’une nécropole pour une réflexion sur la mort

Après cette longue marche dans cette ville bouffeuse de vies 110 qui engendre la mort,
le narrateur se confectionne une galette des rois aux psychotropes. Il en avale plusieurs
morceaux en une seule bouchée pour enfin planer en overdose dans un espace sans
dimensions pour enfin oublier la débâcle du monde et celle de sa propre Les doutes se
propagent dans son esprit : Et si toute ma vie n’est qu’un mensonge ? Et si ce que je vis n’est
que le fruit de mon imagination malade, pis encore, une grande conspiration orchestrée par
des esprits dominants (…) une immense bouffonnerie où mon existence et ma mort ne
m’appartiennent nullement.111
Faisant preuve d’une certaine lucidité par rapport à la prise continuelle de pilules
aigres-douces qu’il considère comme une lâcheté qui ne le réjouit guère, le narrateur
halluciné reste convaincu que l’ultime remède, pour soulager ses tourments du cycle de la
vie et de la mort conçu comme une immense bouffonnerie, est de se projeter dans une autre
dimension. Il sent son corps planer dans un espace sans dimension au milieu de météorites, de
bourrasques de sable et de pierres tout en se demandant s’il n’était pas en train de vivre sa
propre mort à la vue d’une série de tombes entreposées pêle-mêle dans une nécropole funeste
chaotique et sans ordre de morts ensevelis à la hâte : Et si j’étais mort, si je n’étais plus de ce
monde sans que je m’en rende compte ?Tel un fantôme hantant son propre esprit ?Serais-je
prisonnier de ce purgatoire en attendant une ultime délivrance ? 112
Spéculant sur cette ultime délivrance que serait sa propre mort, une discussion
s’engage alors avec une femme éplorée lui gémissant qu’en ces lieux, ce sont les vivants qui
se retrouvent en enfer et que cette guerre sans nom ni raison n’avait que Dieu pour seule
excuse et pour seul but son paradis. Le narrateur lui explique que son voyage pilulaire
tourmenté n’est fait que de rêves absurdes et épuisants où la vie et la mort se confondent au
point de ne plus savoir s’il se trouve à l’intérieur ou à l’extérieur de la nécropole : Suis-je
dedans ou dehors ? (…) je slalome entre les tombeaux (...) Je cherche un nom le mien (...)
113
Mais pour le trouver, il faudrait que je le connaisse ce patronyme !

110
Aigre-doux, p .120
111
Ibid., p. 121
112
Ibid., p. 121
113
Ibid., p .123

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Au milieu d’un parterre floral, il remarque un alignement en parfaite symétrie de cinq


sépultures formant une étoile au centre de laquelle s’érige un arbre-conteur orné de grappes
de petites boules d’or 114 dont le narrateur tente de déchiffrer les yeux fermés sur son écorce -
en chaussant ses lunettes - l’histoire de cinq adolescents espiègles et insouciants frappés à la
fleur de l’âge par la folie meurtrière de l’islamisme radical visé en filigrane pour devenir cinq
anges immaculés 115 parmi des milliers de victimes anonymes qui s’appelaient flène ou
flana .116
A la fin de la lecture de cette émouvante destinée de jeunes adolescents victimes de la
bêtise humaine, le narrateur ouvre son esprit et pleure à chaudes larmes. A la sortie de la
nécropole, il croise un vénérable vieillard qui éveille en lui le souvenir furtif de son patriarche
dont il regrette avec émotion la disparition et le fait d’avoir longtemps vécu à ses côtés sans
l’avoir véritablement connu. Le narrateur, entouré des cinq enfants assis sur leurs pierres
tombales et qui font les morts pour éviter la mort, pleure son père à torrent .Le vieil homme se
met à psalmodier une douloureuse complainte sur la folie meurtrière d’usurpateurs qui se sont
accaparés Dieu pour légitimer et faire valoir leurs agissements imposteurs. 117
Cependant pour le vieil homme, Dieu ne peut être responsable de l’absurdité du
monde en endossant inlassablement leurs actes .Pour lui les prérogatives du divin sont autres :
faire éclore les roses et faire sourire les enfants, lever les soleils et coucher les crépuscules,
souffler les brises et allumer les étoiles au firmament, déplacer les déserts et fixer les mers.118
Tel est l’argumentaire du vieux sage face au silence hypocrite du narrateur qui -en
quittant ce lieu morbide-tombe sur un de ces fous de Dieu ralliés au diable, le gars au kamis
devenu vieux collectionne toutes les tares de la bêtise humaine. Ce dernier ose quémander son
pardon aux indifférents visiteurs de macchabées, en tendant honteusement sa main maculée
de sang et espérant par sa litanie justifier ses crimes perpétués au nom de Dieu. Puis en
s’approchant de l’hirsute obscurantiste, le narrateur constate son état de mort vivant, son étisie
et son quasi cécité qui lui rappellent celui rencontré au point B 114. Le candidat au
repentir 119 assailli par un sentiment viscéral de culpabilité prétexte à sa victime à la tête
coupée, muette et circonspecte, que la haine qui était en lui ne lui permettait pas de distinguer

114
Aigre-doux, p. 123
115
Ibid., p .125
116
Ibid., p. 125
117
Ibid, p. 127
118
Ibid., p. 127
119
Ibid., p. 131

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

le bien du mal, de différencier l’aigre et le doux 120.Son illumination meurtrière était en fait le
fruit de ce foutu mektoub .Dépités, les sans vie lui indiquent communément les limites de la
mort qui n’efface pas les actes des personnes, elle les arrête uniquement !121
Assis sur la tombe d’un trépassé, l’illuminé au kamis peaufine son argumentaire
abscons d’un au-delà paradisiaque inculqué dans l’horreur et la honte par les prédicateurs
122
des maquis de l’ignorance et de l’obscurantisme qu’il avait fini par rejoindre. Le profond
désir du narrateur est de ne plus jamais rencontrer cet illuminé qui a tué au nom de Dieu. Le
voyage pilulaire se poursuit et le narrateur chantonne avant de fermer les yeux : On ira tous
au paradis, on ira avec les saints, les assassins, les femmes du monde et les putains .Au
paradis ; on ira ? 123

1.5.11. Jardin champêtre

La ville anthropophage et sa nécropole ont disparu et le narrateur errant se réveille


dans un jardin champêtre où de jeunes gens aux yeux bandés s’adonnent à un morbide rituel
masochiste .Ils arrachent à mains nues des fruits de nopals épineux dont ils se délectent avant
de s’écrouler d’aversion, leurs mains tendues vers les figuiers de Barbarie. Puis, étendu sur un
banc public et assistant avec résignation à cette virtualité réelle -qu’il situe dans cette fine
démarcation -séparant l’irréel du réel, l’absurdité de la cohérence, la dérision de la
déférence 124 - et à travers laquelle se jouerait l’avenir de l’Humanité- le narrateur soliloque en
son for intérieur au sujet de cet univers hybride dans lequel s’acheminent les élucubrations de
son esprit tourmenté : Il y a des vécus tellement anachroniques qu’on finit toujours par se
demander s’ils ont réellement existé et des virtuels qui nous paraissent tellement évidents
qu’on finit par croire en leur existence. 125

1.5.12. Effeuillés désespérés

Le narrateur se rendort en songeant aux existences respectives s’effeuillant telles des


marguerites qui se dévêtent sous la déflation de temps. Il se remémore l’existence d’un jeune
homme en colère frustré de perspectives ,celle d’une amante en quête d’amour et de tendresse

120
Aigre-doux, p .130
121
Ibid., p.129
122
Ibid., p.131
123
Ibid., p.131
124
,Ibid., p.133
125
Ibid., p.133

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

implorant son père pour un tout petit peu 126de reconnaissance, d’affection, d’indépendance et
de compréhension de la part de ses frères qui la considèrent comme une minorité
encombrante. L’existence du vieillard réclamant un peu de compassion et moins
d’indifférence à la vieillesse trop avancée, celle du père de famille quémandant beaucoup
plus dans sa fiche de paie pour ne pas mourir, plus de honte que de faim.127 Enfin, celle de
l’aliéné errant qui hurle dans les rues de la ville en arrachant sauvagement la dernière feuille
de la marguerite. 128C’est lui, le personnage -narrateur que la vie a sorti de sa mémoire et lui
de la sienne.129

1.5.13. Village aux acacias

Quittant ce jardin dévasté, le narrateur se retrouve ans un village bordé d’arbres


funestes dont les branches d’acacias laissent pendouiller des cordes qui se terminent par des
nœuds coulants. En traversant l’unique rue de la ville, une vieille échoppe coincée entre deux
maisons délabrées attire son attention : celle-ci grouille d’adolescents hagards consommant
bières chaudes et narguilés de chanvre indien et jouant autour d’une table à la roulette russe à
qui perd gagne 130à l’aide d’un revolver. Les jeunes loosers le rassurent en chœur avec la
même intonation monocorde et chacun son tour le doigt crispé posé sur la gâchette du pistolet
chargé d’une seule balle tente la mort .Le narrateur joue à son tour et la mort n’a pas voulu de
lui. Epuisé, il ingurgite quelques pilules pour quitter ce charnier nauséabond .Il se met à
marcher de guingois d’un arbre à l’autre en essayant d’attraper désespérément les drôles de
fruits qui pendouillent des arbres aux agrumes de potence pour les enrouler autour de son
cou. Dans l’œil du cyclone, et n’ayant plus la force de se relever, il se met à ramper vers des
personnes assises sous un arbre aux nœuds coulants sur lequel une enceinte acoustique diffuse
à tue-tête le discours fleuve d’un enfoiré .La malsaine logorrhée les exhorte à relativiser leurs
malheurs sous prétexte qu’il y a toujours plus malheureux que soi. Les exhortations
nasillardes du laïus, amplifiées par les hauts -parleurs, ne cessent de rassurer les loques à
terres satisfaits de leur misérable sort :
Rassurez-vous, il y a pire !il y a des gens qui n’ont jamais eu la chance d’avoir un boulot (...) vous
au contraire, vous savez de quoi vous êtes dépossédés (...) la maladie tenace et teigneuse vous
ronge(…) vous, il y a pire ! Il y a des lépreux, aveugles et culs de jatte qui vivent sur des iles

126
Aigre-doux , p. 134
127
Ibid., p. 134
128
Ibid., p .135
129
Ibid., p. 135
130
Ibid., p. 136

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

perdues(…) qui sont tout de même contents parce qu’ils savent que dans une ile voisine, il y a des
lépreux, aveugles, culs de jatte avec en plus une rage de dents. Votre baraque de bois est rasée
par des bulldozers ! (..) vous avez beaucoup de chance, on vous a fait sortir avant de démolir (...)
Enfin voyons ne pleurez pas ! Rassurez-vous il y a pire … . 131
Le narrateur vient d’halluciner et reste allongé par terre se demandant ce qu’il fait dans
ce monde où l’on doit toujours relativiser notre existence en se rassurant à l’idée qu’il y a
toujours pire , qu’il y a toujours plus malheureux que soi :Pourquoi sommes - nous toujours
satisfaits de savoir que nous n’avons pas encore atteint le creux (sans fond) de l’abîme ? 132
Allant jusqu’à préférer mourir et se réveiller dans une tombe à l’idée qu’un pire plus
grave peut lui encore arriver dans ce monde fallacieux à l’image de ces désespérés qui
omettent délibérément le doux de la vie en se suffisant de l’aigre, il emprunte en aveugle le
pont d’un oued asséché et refuse de sentir l’odeur de nopals, des pétales de marguerites et
celle des cartables des jeunes loosers hagards et désœuvrés. Finalement, il se retrouve sur une
route bitumée devant un immense bunker érigé dans un ciel lugubre, où les croassements de
corbeaux provoquent une pluie de pierres assistant à un spectacle allégorique pyrotechnique
de la première assemblée extraordinaire des scientifiques de la nation un 25 avril 2050 sur la
façade livide de la tour de Babel.

1.5.14. Tour de Babel

C’est la réunion des élites de toute une nation qui se concertent pour les premières
assises de la charte scientifique dans le but de trouver une solution pour communiquer avec
les communautés savantes étrangères le pays étant cloîtré et retranché sur lui-même , ne
maitrisant plus aucune langue :
Les médecins charcutaient le français, les avocats plaidaient l’arabe rapide, les juges jugeaient
dans un arabe châtié, les physiciens formulaient leurs équations en anglais, les hommes de lettres
ne lisaient et n’entendaient que le Tamazight ; les informaticiens (...) en virtuel(…) les
trabendistes négociaient en dollar(…) les tiques-polis, un mariage de lécheurs de bottes et de
diplomates calculateurs(…) palabraient pour ne rien dire(…) dans une cacophonie générale.133
Insultes et obscénités se propagent et prennent le dessus sur le discours de la méthode
pour instaurer le diktat de l’alliance des trabendistes ,dealers et tiques- polis donnant
naissance à de grandes dynasties universitaires telles que l’Arche des Toubette, la tribu des

131
Aigre-doux, p .139
132
Ibid., p. 140
133
Ibid., p. 143

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Toto et le famille Cosanostra dont on s’arrachait les best sellers dans les vespasiennes de la
villes transformées en fast-food et fumeries .134

1.5.15. Librairie B114

Les dinosaures du pouvoir, sortis vainqueurs à l’issue de cet historique congrès,


s’enferment dans leur tour de Babel. Ils suppriment les autres disciplines et contraignent les
érudits vaincus à quitter leurs chaires. Le désordre s’instaure dans ce qui allait devenir le pire
des mondes. Le narrateur finit par contourner la cité du savoir où les diplômes se transmettent
en héritage de père en fils. Le narrateur s’engouffre dans une bouquinerie délabrée éclairée
par la lueur agonisante d’une bougie. 135Poussant la porte, il découvre un vieil homme
effrayé et terrorisé pensant avoir affaire à l’un de ces sbires des dinosaures du pouvoir et du
savoir venu confirmer la déliquescence de la connaissance embrigadée dans ce capharnaüm
où les rongeurs danseurs grignotent les anciens livres pendant que des cafards volants volent
les rimes des poètes anesthésiés 136 en compagnie d’araignées qui tissent leurs toiles pour
embrigader les écritures .Le narrateur désargenté lui propose de ranger les livres en désordre
en échange d’un ouvrage alors que le pauvre bougre le supplie de ne pas le violenter tout en
se protégeant le visage avec les mains. Puis, convaincu qu’il ne lui voulait aucun mal, le
bouquiniste l’introduit dans l’arrière- boutique où tout est nickel et proprement achalandé de
livres aux reliures dorées sans vomissures de vermines broyeuse de poutre.137Le narrateur se
met à lire des mois durant tous les livres d’histoire dont il ne retient pas grand-chose car les
mots qui défilent s’effacent systématiquement devant lui, ébahi par l’évanescence des mots
qui ne racontent plus d’histoires. Puis en rangeant quelques ouvrages déjà lus, le narrateur-
lecteur remarque, posé par terre, un petit livre écrit à la main qu’il se met à lire en se disant
qu’en matière de destruction et déperdition des esprits Lucifer en personne pouvait aller se
rhabiller …138

1.5.16. Opuscule du bouquiniste

Le personnage -narrateur se met à lire le contenu de cet ouvrage écrit par le vieux
bouquiniste : L’histoire se déroule à la grande braderie du Savoir dans un douar où depuis

134
Aigre-doux. , p. 144
135
Ibid., p 145
136
Ibid., p.145
137
Ibid, p.146
138
Ibid., p.147

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

longtemps, le jeu de domino et du taghout égorgé ont remplacé la lecture et l’écriture 139.Les
gens - à défaut de se remplir l’esprit- viennent à présent se soulager dans les bibliothèques et
librairies devenues leur urinoir publique. Ainsi pour satisfaire les nantis qui ne pouvaient plus
s’instruire, les notables du douar organisent cette manifestation culturelle pour étancher leur
cerveaux asséchés et assoiffés de connaissances liquéfiés par un mélange d’informatique et
d’alchimie 140 dans diverses fioles exposées et étiquetées du titre, du nom de l’auteur, d’un
bref résumé et du prix en question.
De ce fait, tous les oisifs de la lecture 141déambulent dans l’immense khaima du Verbe
et du Savoir à la recherche de dédicaces et salivent devant les romans en cruche 142à l’instar
du personnage narrateur qui a tellement soif de savoir qu’il en arrive à proposer son existence
en échange d’un ouvrage qu’il aurait le temps de lire et qui évacuerait le doute et le confusion
de son esprit. L’assoiffé de savoir et de vérité fait le serment qu’il deviendra libraire ou
écrivain dans une autre vie .Le vieux bouquiniste gardien de feu le savoir l’aide à se relever
et à reprendre son chemin non sans lui avoir donné quelques victuailles -du pain et des dattes
-pour reprendre ses forces. Il lui recommande de suivre son chemin sans oublier la vérité
apprise dans cette librairie sans âme : Tu as appris au moins une chose ici. Tant qu’il y a une
lueur d’espoir, il faut l’explorer. C’est ce que tu as fait en voyant (…) la lueur de la bougie.
La vérité est au bout de ton chemin et ce chemin est en toi.143Ne sachant où aller, il s’affale
sous le porche de l’échoppe au savoir utopique 144 espérant y passer la nuit en attendant des
songes meilleurs que ceux qu’il vient de vivre dans les méandres de la librairie B114 -laissant
présager un futur despotique posé sur des fondations frustes 145-et dont il vient de découvrir
la plaque en levant la tête.

1.5.17. Histoire de rats


A défaut de songes agréables et luxurieux, le cauchemar des mammifères rongeurs
perdure : un énorme rat au pelage gris s’apprête à lui faire les poches .Le narrateur fait le mort
car il a toujours eu peur de ces malignes bêtes qui, à l’instar des humains, savent toujours ce
qu’elles veulent pour la survie de leur espèces respectives. Espérant quitter cet endroit
morbide, il avale une poignée de pilule pour s’engoncer dans un songe cauchemardesque.

139
Aigre-doux, p. 147
140
Ibid., p. 147
141
Ibid., p. 148
142
Ibid., p. 149
143
Ibid., p .150
144
Ibid, p .151
145
Ibid., p. 151

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Des surmulots sont déjà sortis de leurs égouts, ils se propagent en haut jusqu’ à vider les
réfrigérateurs alors qu’en bas les humains s’empiffrent des immondices volées et cachées par
les rongeurs : Nous avions traqué puis mangé les ratons au milieu d’un tas d’ordures. 146
Les gens d’en- bas civilisés et intelligents mais avares de réflexion- transposent leurs
structures sociales hiérarchiques et entretiennent leur ancestrale et originelle cupidité dans les
égouts nocifs et nauséabonds .Ils se retrouvent pourchassés par les rongeurs dont l’instinct de
survie les contraints de préserver l’équilibre de l’écosystème.
Sentant quelqu’un lui secouer l’épaule, le narrateur endormi scrute les alentours et
remarque un raton s’échappant subrepticement de la poche de son manteau .Il comprend qu’il
est temps pour lui de quitter cette venelle du diable et d’en finir avec cette morbide histoire de
rats.
Les pérégrinations du personnage-narrateur- qui ne s’est pas sustenté depuis plusieurs
jours- perdurent dans un environnement de plus en plus glauque .Il psalmodie, tel un
leitmotiv, les propos influents de vieux bouquiniste l’incitant à rechercher la vérité qui est
inéluctablement au bout de son chemin.
La vérité est au bout de son chemin dans un misérable hameau constitué de quelques
cabanes délabrées disposées en cercle autour d’une placette au milieu de laquelle flotte un
drapeau en lambeaux dans une ambiance lourde et angoissante. Le narrateur s’y endort
paisiblement et découvre à son réveil une femme ébouriffée, à l’air souffreteux et au sourire
édenté, qui lui offre sa ferme poitrine et son entrecuisse béante tout en le scrutant d’une
circonspection amusée. L’endormi lové contre le mat de la loque patriotique 147quémande
alors quelque chose à manger à l’édentée lascive -portant une étrange ceinture à sa taille - et
qui rebrousse chemin instantanément. Le narrateur appréhende l’avenir et s’en remet avec
humilité à son créateur tout puissant 148: Mon Dieu, quelle épreuve me réservez-vous encore ?

1.5.18. Purgatoire des misérables

Des zombies lépreux inquiets, livides, hagards et en haillons occupent la place du


village. Ils portent tous une ceinture identique à celle de la jeune prostituée édentée. Le
narrateur comprend qu’il est au purgatoire des misérables.149Une très belle femme noble,
fière et drapée d’un voile immaculé laissant entrevoir une mèche de cheveux roux et de

146
Aigre-doux, p. 152
147
Ibid., p.157
148
Ibid., p.156
149
Ibid., p.157

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

grands yeux émeraude s’assoit à ses côtés. Elle lui demande d’où il vient. Il lui rétorque qu’il
vient de loin du Point B 114 : le couple s’installe dos à dos sur le mât de la placette .Ils ont
simultanément l’agréable impression de se connaitre depuis toujours, aucun des deux ne
semble surpris par l’autre. La femme au haïk l’informe qu’il est bel et bien au hameau
B114.Elle lui précise que ces zombies lépreux sont les rescapés d’une famine qui les a
disséminés en quelques jours. Ces miséreux ventres- creux n’ont plus envie de vivre : la faim
et le désespoir les ont anéantis. Ils se serrent la ceinture en attendant la mort, faux libératrice
et ultime délivrance.
Le narrateur lui demande les raisons d’une telle malédiction. La femme aux yeux
émeraude lui raconte alors l’histoire d’une grande ville prospère vivante et joyeuse devenue
une ville pilote par des annonceurs de mauvaise augure 150qui s’y sont installés pour
appliquer P.R.R 151.Les misérables citoyens sont sensibilisés à la crise qui sévit par une
invitation claire et nette à se sacrifier en se serrant la ceinture pour maigrir et se sentir un peu
plus légers. Ces responsables-épargnés par la crise sont les programmateurs de misère et de
déchéance et se contentent de gérer la situation en culpabilisant tout ventre-
creux revendicatif : La crise est là parce que c’est vous qui l’avez réveillée (...) la misère est
l’œuvre de l’homme comme la mort est celle de Dieu ! Et vous êtes les hommes de cette
misère.152Encore plus insidieux qu’ils ne l’étaient, ILS 153anticipaient les crises afin d’habituer
les hères à la récession allant jusqu’à inventer une ceinture électronique de chasteté culinaire
pour un serrage automatique pour tous à même de fluctuer selon l’inflation.
L’appauvrissement des masses par le biais de la technologie devient une règle et les résistants
refusent de porter la maudite ceinture étrangleuse d’appétits et d’envies.154
Ces rebelles courageux maigrissaient à vue d’œil et se retrouvaient dans une totale
nudité à fouiller dans les poubelles de cette ville déliquescente et emprisonnés pour attentat à
la pudeur jugé plus grave qu’un attentat tout court. 155D’autres séditieux trop fiers, ceux de la
secte des cordes à la main, ont préféré préserver leur dignité par le suicide .Ils ne se sentaient
plus capables de vivre dans l’indigence du corps et de l’esprit.156

150
Aigre-doux, p.161
151
Programme de rationalisation des ressources…de sources non sûres : bien après ce programme s’est
converti en parti politique. Ibid., p.162
152
Ibid.,p.161
153
Ibid., p.161
154
Ibid.,p.162
155
Ibid, p.162
156
Ibid., p.163

50
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Le PRR n’a pu toucher les séditieux rétifs nus comme des vers maigrelets, les zombies
lépreux et loqueteux qui refusent l’inféodation à ce système qui promeut l’efficacité et la
robustesse des cordelettes à suicides. Tout disparait soudainement : le misérable hameau
B114 se vide de ses hères loqueteux ; la femme au haïk s’est à son tour volatilisée et le
narrateur continue son errance avec un sentiment de honte d’avoir cru en un avenir meilleur
alors que d’autres n’espèrent pas grand-chose du temps présent .L’histoire de la femme au
haïk lui a inculqué ,à l’instar des dignes loqueteux , un profond sentiment d’espoir et de
révolte face aux élucubrations de son esprit tourmenté .Il espère aussi que les pilules aigres-
douces apaiseront ses tourments dans son sommeil narcotique dans un rêve(…) aux ramures
voluptueuses(…) pour trouver une solution dans une vie, virtuelle, s’il le faut .157

1.5.19. Colline aux horreurs clonées

Une soudaine averse le fait fuir sous une bergerie vide dans laquelle il décide de
passer la nuit pour se reposer un peu et assécher ses vêtements. En s’allongeant sur la meule
de foin censée lui servir de lit et de couverture, il remarque un beau petit chérubin aux boucles
dorées de blanc vêtu qui le dévisage craintivement. .Souriant, il s’approche de lui et constate
que le petit garçon tient un livre d’histoires qui commencent toutes par il était une fois.158Le
petit garçonnet, dont les cheveux dorés se sont mués en boucles de laine, prend un crayon
rouge qu’il tente de tailler aves ses petites dents blanches. Sa bouche se remplit de sang et se
met à bêler d’une voix monocorde pour raconter au narrateur, stupéfait devant le jeune mutant
aux boucles dorées, une triste et inquiétante histoire. C’est l’histoire contemporaine des
Hommes qui se sont amusés, malgré la modernité enchanteresse de leur quotidienneté, à
inventer par ennui l’injustice, la guerre, l’ostracisme, la pauvreté et la misère.
Les progrès fulgurants des sciences ont abouti à faire pousser des dents aux poules et à
créer des vaches cannibales qui se nourrissaient de leurs propres veaux, lesquels finissent par
s’autonourrir en mangeant leurs propres parents. Ces derniers se retrouvent mangés ensuite
dans les estomacs de nos ancêtres chercheurs. 159Ils ont même métamorphosé les légumes
dans leurs laboratoires en démultipliant des éléments à partir d’un exemplaire unique donnant
lieu à de nouvelles lignées animales et végétales. La couche d’ozone, à son tour, n’a pu être
épargnée depuis qu’ils ont eu l’idée de polluer la terre tout azimut par leurs usines d’argent

157
Aigre-doux, p.163
158
Ibid., p.165
159
Ibid., p.166

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

et d’énergie160qui éructent, en guise de réponse, une herbe putride et nauséabonde, de ses


entrailles pourries de pesticides et d’injures.161Dans cette caverne du progrès, des brebis sont
devenues carnivores et boivent le sang des hommes qui s’enterrent pour s’en protéger. Les
sursitaires rescapés qui n’ont pas été capturés par une brebis mutante et carnivore scandaient à
l’unisson : à ta santé Doly ! 162
L’enfant aux boucles de laine s’endort à la fin de l’histoire, le personnage errant en
profite pour lire, à la lueur de la faible bougie de la bergerie, un morceau de journal mettant
en lumière des titres angoissants tels que l’élargissement de la couche d’ozone à l’origine de
températures hivernales extrêmes à l’origine des désastres écologiques et humains. La neige
tombe au Sahara, les incendies à Hollywood et la canicule parisienne tue plus de quinze mille
personnes. Les néfastes miracles du progrès scientifiques ont littéralement dépassé l’adage
puisque dans la rubrique nouveautés, une manipulation biologique s’est concrétisée en une
réalité génétique : maintenant les poules ont des dents 163alors que la rubrique nécrologie
annonce la tragique disparition de Doly, la célèbre brebis clonée. Inquiet, le narrateur espère
qu’il ne sera pas lui aussi l’objet d’une autre mutation étrange: J’aimerais tellement être
transformé en rien, en dormeur ou mieux, en trépassé.164

1.6. PNIII : Quête de la conscience intérieure.

Elle s’inscrit dans la continuité de la transhumance hallucinatoire du personnage -


narrateur en quête de son identité au sortir des méandres et vagabondages de son esprit
tourmenté. Sa quête est viscérale car Sa vérité est en lui , au plus profond de lui , en son for
intérieur et ne surgira qu’à l’issue de trois voyages initiatiques : le premier voyage dans le
Temps s’effectuera avec l’Alchimiste de sable et de pierre et à travers lequel il comprendra
l’obligation de muer à l’issue de terribles épreuves .Le second voyage initiatique se fera en
fusionnant avec une gouttelette de plaisir d’excrétion chaude jusqu’à la matrice voluptueuse
d’une marathonienne remontant le temps. Quant à l’ultime voyage astral, il l’effectuera seul
au-dessus de la ville tombeau où la femme au haïk sera là pour l’accompagner là où elle sera
heureuse, au point B 114.

160
Aigre-doux, p.166
161
Ibid., p.167
162
Ibid., p. 167
163
Ibid .,p.168
164
Ibid., p.168

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1.6.1. Appel de la forêt et Conseils du thaumaturge

C’est en sortant de la bergerie située sur la colline aux horreurs clonées que le
narrateur s’affale par terre et bute contre un énorme sauvageon cachant une forêt sauvage. Il
en profite pour ingurgiter une poignée de pilules et se met à soliloquer sur la vérité
consubstantielle à sa quête: J’ai besoin d’irréel, si c’est cela la réalité du monde (...) Je
n’aspire qu’à une chose :me reposer dans un environnement nativement sain, naturel et sans
165
manipulation aucune L’errant halluciné aspire à fusionner avec cet environnement qui
l’imprègne par l’exhalaison d’odeurs et senteurs qui lui procurent une envie folle de féconder
à travers ce contact charnel, voluptueux et inopiné avec cette matrice nourricière.
Senteurs, émanations volatiles d’humus, de sueurs, d’eau, de musc, de pain d’épice, de
cannelle et de girofles, de roses se propagent inéluctablement autour de lui .Le narrateur
éprouve alors les pires difficultés à s’extirper des épineux et languissants buissons qui
écorchent et lacèrent son corps dans un halètement agréable et sensuel. Il arrive tant bien que
mal au pied d’un haut bois où l’y attend un vieux thaumaturge dont les conseils lui feront
franchir une étape cruciale de sa quête demeurée plutôt floue et évasive .Le vieux sage
conseille le narrateur, sans patronyme, qui ne sait ni qui il est ni ce qu’il recherche, de
continuer sa route vers le désert qui lui parlera et lui ouvrira son cœur avec compassion .Le
thaumaturge connait la quête du narrateur qui n’est pas encore prêt à s’accepter en assimilant
l’ aigre-doux de la vie et des hommes .Mais pour y aboutir, un travail sur son âme s’avère
incontournable : il doit apprendre à aimer, à se sacrifier et surtout à comprendre.
Mais auparavant, le vieux thaumaturge lui indique qu’il sera amené à subir d’autres
épreuves pour comprendre et cerner la révélation. Il devra affronter le Temps, les hommes et
sa propre mort pour renaître sous la forme la plus parfaite. Le narrateur errant retrouve un
tantinet ses esprits après les conseils du magicien qui replonge subrepticement dans ses
profondeurs de ses méditations. L’amnésique s’endort, l’esprit reposé sur un lit d’humus pour
se réveiller aux premières lueurs du soleil ne cherchant plus à se connaître à cet instant tant il
est submergé par un profond sentiment de bonheur et de félicité. Il se met alors à courir
jusqu’à en perdre haleine vers une destination inconnue. Le sage magicien lui suggère en
somme de vivre et d’accepter sa destinée en apprenant à assimiler l’aigre-doux de l’existence
en franchissant différentes étapes à venir pour enfin se retrouver.

165
Aigre-doux, p.171

53
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1.6.2. Voyage initiatique dans une goutte de plaisir

Se retrouvant sur une longue route asphaltée, il aperçoit au loin, tel un mirage, une
horde multicolore de casquettes et de silhouettes longilignes qu’il intègre pour s’accrocher à
l’androgyne aux jambes interminables. Cette dernière lui explique en souriant le sens de cette
course: Ils effectuent le Marathon du Temps 166dans le sens contraire de la rotation de la
terre.
Essoufflé par le rythme des coureurs aux dossards numérotés, le narrateur hirsute et
loqueteux arrive à réguler sa respiration sur celle de la marathonienne aux cheveux soignés et
aux rondeurs flottantes. L’androgyne lui explique qu’ils courent pour rejoindre les hauts
plateaux, à destination d’une des portes du désert. Le narrateur tente, tant bien que mal, de
suivre le rythme effréné de sa silhouette qui est venue -à l’instar du thaumaturge de la forêt
lascive-lui indiquer son chemin à contre-courant des évènements et du Temps. A son tour, elle
lui conseille d’être patient dans les épreuves qu’il aura à subir dans le cheminement de sa mue
en ce qu’il y a de meilleur. La contemplation et la sagesse seront de mise pour qu’il s’extirpe
du désert des préjugés et de l’avidité des hommes qui sommeillent encore en lui. Le couple
inédit continue sa course dans un silence de recueillement face au défilement de villes et de
campagnes jusqu’ à l’apparition d’un temps immémorial où les bêtes côtoient les hommes167.
S’accrochant difficilement au rythme effréné de l’androgyne courant inexorablement à
rebrousse temps, le narrateur émerveillé se sent aspiré par ce tourbillon de sensualité et
d’allégresse, de délectation lascive lorsqu’elle lui met entre ses lèvres une minuscule graine
blanche sucrée et mouillée qu’elle venait d’extraire du devant de son short.
D’une mèche de cheveux, la gouttelette ruissèle sur le front et se glisse
silencieusement entre ses yeux. Elle épouse les contours de la saillie nasale de la silhouette
attelée à retenir son souffle pour que la goutte de sueur retombe sur son apex qui la repoussera
sur son menton, le long de la gorge et du talweg de sa poitrine. Le parcours érogène de la
gouttelette suave s’effectue au rythme des spasmes et râles du narrateur en elle dans une
fusion charnelle , intense , voluptueuse et euphorique .Le couple fusionnel se fraie alors un
chemin au milieu de cette toison humide pour se faire happer par le plaisir intense de vagues
endorphines .Il est dans un autre point B114.Tous deux fusionnent en cette gouttelette de

166
Aigre-doux., p .173
167
Ibid., p.180

54
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

plaisir dessinant des rondes évanescentes de bonheur 168 tout en se lovant autour de leur
voluptueuse chaire.
Le narrateur et la goutte de sueur suave ne font qu’une pudibonde et coquine à la
fois 169 et parachèvent de concert le parcours érogène dans un tourbillon de râles, spasmes et
plaisirs. Le voyage initiatique perdure pour le narrateur-gouttelette dont la tête s’est déjà
décollée subrepticement de son corps au moment où il se demande s’il n’est pas en train de
vivre sa propre mort dans le ventre de cette combattante de l’immobilisme .Finalement il
s’attache à cette vie jouisseuse d’instants épars qui fait la nique au temps .L’exploit est enfin
réalisé par le narrateur qui éprouve de grandes difficultés à se relever sur une sorte de bitume
goudronné d’une route dépeuplée : tout a disparu, il ne peut faire autre chose que cette ultime
adjuration avant de prendre une forte dose de pilules aigres-douces : Mon Dieu, faites que ce
soit la fin, je veux partir sur cette petite goutte de plaisir .170

1.6.3. Alchimie de la Vie

Le narrateur se réveille dans un minuscule village des hauts plateaux qui tente
d’exister dans un environnement austère, rocailleux, poussiéreux où les gens passent leur
temps à s’épier, à s’espionner et à s’engueuler. Paradoxalement, personne ne fait attention
au mendiant de la place centrale qui vient de débarquer dans ce coin perdu. Les autochtones
de ce village poussiéreux lui ont expliqué que leurs discordes et courroux résultent du vent
maudit qui les gifle et les obligent à rester cloitrés dans leurs demeures. Soudainement, à la
suite d’une forte bourrasque qui se dissipe juste après, une forme humaine se matérialise
devant lui en un homme majestueux dans un burnous immaculé et coiffé d’un large turban
vert. Ce dernier jette à ses pieds une minuscule bille noire qui se transforme instamment en un
coquillage nacré. Les volets claquent de partout et les villageois se mettent à épier l’homme
au burnous qui s’adresse avec compassion au narrateur, tout en pivotant sur ses talons. Ce
prestidigitateur né de la fusion du vent et de la pierre 171 lui rappelle étrangement le vieux
thaumaturge de la forêt lascive mais en plus jeune.172
Le narrateur se sent alors en confiance et lui susurre son mal-être à l’origine de son
errance inédite : je suis fatigué (...) je ne sais plus. Je voulais changer de sève(…) à cause de

168
Aigre-doux, p.182
169
Ibid ., p.182
170
Ibid., p.184
171
Ibid., p.187
172
Ibid., p.188

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

cette vie sans mémoire(…) je ne sais pas qui je suis, ni d’où je viens.173Le magicien lui
conseille de ne pas rester inactif sur ce sol inculte et l’informe qu’il ne risque pas de se
régénérer de cette manière .Le narrateur-errant se rend compte qu’il n’a plus besoin de parler :
le magicien de pierre décrypte ses pensées avec aisance.
Le mage lui offre alors une galette de pain de seigle et de dattes tout en lui expliquant
que l’apprentissage ne s’obtient pas par la force, la peur et la haine, mais parla conviction,
l’amour et l’exemple.174Le magicien de pierre s’autoproclame alchimiste et Maitre de
l’occultisme capable de voyager d’un monde à l’autre où vivent des êtres singuliers du plus
anodin au plus fantastique.
Le magicien au burnous lui révèle que leurs quêtes existentielles respectives ne sont
pas si différentes l’une de l’autre car chacun d’eux cherche à exploiter le bien dans chaque
chose ou dans chaque être en vue de réaliser le Grand Œuvre : nous portons tous en nous le
Bien et le Mal(…) cultiver le Bien pour éloigner le Mal (...) séparer le bon grain de l’ivraie.
C’est aussi l’œuvre de la vie 175.Le mendiant écoute avec pondération son Grand Maitre qui
lui prodigue l’ultime conseil pour transformer ses tourments en bonheurs avant de lui raconter
l’histoire du jeune apprenti alchimiste : ton cœur est en train de se durcir sans comprendre le
sens réel du Bien et du Mal. Ecoute-le sagement et il te transmettra les messages de
l’alternative.176
Le vieil alchimiste prend finalement le relais de la narration .Il est le narrateur intra-
diégétique d’un macabre récit, d’un jeune apprenti alchimiste, mis en abyme en guise de
réponse à son interrogation sur la transmutation du malheur en bonheur par le cœur.

1.6.4. Apprenti alchimiste ou l’acceptation de l’autre

Le Grand Maitre, narrateur intra diégétique raconte l’histoire d’un jeune hermétiste
trop impétueux et éparpillé dans ses travaux pressé de devenir lui aussi un alchimiste
confirmé. Ce dernier était censé se préparer à devenir alchimiste et à revenir vers son Maitre
dès qu’il se sentirait prêt. Le Grand Maitre raconte qu’une dame bouleversée lui annonce la
disparition du jeune apprenti. Elle prend à son tour le relais de la narration pour raconter
l’histoire du jeune disciple, atomisé par les résultats de ses recherches, celle de sa culpabilité
quant à la mort subite du jeune hermétiste.

173
Aigre-doux, p.188
174
, Ibid., p.189
175
Ibid., p.190
176
Ibid., p.191

56
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-Etat initial : Le jeune alchimiste reçoit une belle et attirante dame pour qu’il lui concocte
une potion magique qui l’aiderait à supporter crétins et tarés qui gravitent autour d’elle.
-Force perturbatrice : Il confectionne le pulvérisateur atomiseur anti -personnes tarées 177
qui permettra de réponde à la requête de la dame qui ne supporte plus les énergumènes de son
entourage.
-Dynamique : La dame revient vers le jeune enchanteur pour l’informer des miracles du
pulvérisateur qui l’a débarrassée de tous les gênants, qu’elle ne rencontrait plus personne
dans la ville complètement vide.
Interruption de la dynamique : C’est en simulant deux pulvérisations vers le jeune
enchanteur que la dame le tua sans le vouloir en l’aspergeant , plutôt bêtement , juste pour lui
montrer qu’elle respectait les consignes d’utilisation de l’aérosol .Le jeune alchimiste
disparait en murmurant le nom de son maitre et c’est ainsi qu’elle put arriver jusqu’au Grand
Maitre de l’Alchimie pour lui raconter ce drame. Elle aurait dû apprendre à accepter les autres
et à vivre avec indulgence avec les gens. En somme, elle ne subira aucune transformation
majeure alors que le jeune enchanteur disparait stupidement .La narration offre un espace de
fantastique au sein même des élucubrations fantasmagoriques du personnage narrateur
halluciné sous l’effet de barbituriques. Après lui avoir intimé l’ordre de rentrer chez elle,
l’Alchimiste reprend la discussion avec le narrateur pour lui expliquer le sens de cette
parabole : Avec sa théorie d’épuration, il avait tué tous les gens de sa ville et il avait fini
comme eux, (..).Sa potion sondait le moindre mal chez les gens et les détruisait .Car nous
sommes pareil nous portons tous le mal en nous. Il n’y a pas de personne parfaite. La nature
178
odieuse de l’humain habite tous les êtres.

1.6.5. Voyage astral avec l’Alchimiste ou morale de l’aigre-doux

La vie et l’Alchimie sont similaires car toutes deux s’affairent à ne cultiver que
le Bien. La vie est justement cette alchimie qui permet d’aller au plus profond de soi, souvent
au prix de sacrifices et de douleurs, et d’être conscient de ses qualités intrinsèques afin
d’œuvrer pour le Bien, rechercher l’Amour en soi et chez les autres par les schèmes de
l’alchimie pour extraire le doux de l’aigre.179 Conscient que la pérégrination en for intérieur
ne sera guère aisée, le narrateur amnésique lui demande de l’aider à se sevrer des pilules
aigres-douces, recouvrer son passé pour pouvoir vivre enfin son présent avec

177
Aigre-doux , p.193
178
Ibid., p.195
179
Ibid., p.198

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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sérénité .L’Alchimiste lui rétorque qu’il effectuera deux voyages, l’un en sa compagnie et
l’autre seul pour cerner les mystères de l’immatériel et de l’intemporel : le village disparait ,
les deux acolytes se toisent mutuellement dans un univers silencieux et le vieil enchanteur lui
parle par télépathie sans prononcer mot: L’âme. L’homme terrestre….l’esprit .L’enveloppe de
l’âme…le corps astral…incorporel...Temps...Espace…voyage astral…humain…divin180.
Ces mots de l’illustre personnage prennent forme et se gravent dans la mémoire du
narrateur. Ce dernier entreprend enfin son baptême astral en compagnie de son Maitre : léger
et atemporel, il est en suspendu en lévitation et relié à son corps par un mince filet lumineux.
Le Maitre et son disciple voguent dans les airs et franchissent ensembles le temps et
l’espace avec une vitesse inouïe alors que les personnages rencontrés au cours de sa
pérégrination surgissent les uns après les autres les accompagnent dans de célestes
circonvolutions. Le narrateur- flottant devra aller seul au bout de son chemin en faisant un
ultime voyage astral dans le Temps des dualités à la découverte de l’aigre et le doux de
l’existence.

1.6.6. Ultime voyage solitaire dans le Temps ou l’amour impossible

Le narrateur plane au-dessus d’une cité en escalier agrippée à des plateaux rocheux qui
surplombe une pyramide Inca en ruine, ziggourat aux arêtes rocheuses181, sur laquelle il chute
comme une feuille morte. Accroupi et adossé à échoppe déglinguée sous les rayons zénithaux,
il compatit au deuil des accompagnateurs de deux convois mortuaires simultanés qui se
rejoignent au moment où ils arrivent à sa hauteur .La femme au haïk blanc et aux cheveux
roux semble être revenue pour lui mais, amnésique, il ne se rappelle même plus où il l’avait
déjà vu : Cette femme, je l’ai déjà connue, j’en suis sûr….mais où ? Aux différents points B
114 ? A l’ex rue du diable ? Ou est-ce uniquement dans les méandres de mes
cauchemars ? 182
La dame au haïk immaculé lui exprime sa profonde tristesse de voir des amants jeunes
mourir sans s’être jamais connus .Le couple inédit assiste à l’enterrement de ces défunts
juvéniles amants qui se sont aimés sans jamais se rencontrer. Elle lui susurre leur histoire en
posant ses lèvres humides sur l’oreille du narrateur attristé. La Délivrance prend alors le relais
de la narration et devient narratrice intra diégétique de l’histoire du miel et du sel au moment

180
Aigre-doux, p.197
181
Ibid., p.200
182
Ibid., p.202

58
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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où une nuée d’abeilles et de faux bourdons suivaient les jeunes défunts dans leur ultime
sortie en couple.183

1.6.7 Destins croisés d’un prince et d’une abeille

-Etat initial : Dans un vaste parc princier boisé et verdoyant vivait une reine amoureuse et
mélancolique qui se languit de son bourdon velu déjà fatigué par une forte concurrence de
prétendants alors qu’il ignore l’amour de la reine qui souffre silencieusement. Convaincu que
cet amour est impossible, le pauvre bourdon disparait à tout jamais dans les marais laissant la
reine livrée à une douleur incommensurable.
Dans une misérable cahute vivait une jeune et pauvre fille près des bassins de sel sans
jamais se douter qu’elle faisait souffrir un prince éperdument amoureux d’elle.
-Force perturbatrice : Un jour, il aperçoit, de son carrosse, l’insouciante belle aux bois
salants à laquelle il n’a jamais pu déclarer sa flamme.
La reine solitaire au cœur brisé attend désespérément le retour du bourdon annelé et
velu. Elle se met à déprimer, incapable d’apprécier à sa juste valeur la succulente gelée
préparée par ses fidèles ouvrières : Ce liquide d’aspect blanchâtre a une odeur acidulée et
une saveur brûlante dans la bouche de la reine, trop attristée pour savourer le nectar qui lui
est proposé. 184
Le jeune prince, quant à lui, intrigua les médecins par son état dépressif .Ils lui
prescrivent alors du miel pur provenant de la ruche du palais en haut d’un grand arbre.
Pensant être ignoré par la reine, le faux-bourdon se met à butiner les fleurs amères des marais
voisins et salants pour oublier le goût du miel qui ne faisait que lui rappeler la ruche et la
terrible concurrence des autres bourdons.
-Dynamique : La jeune femme amoureuse rêvant du prince charmant à l’instar des jeunes de
son âge s’était habituée à ne manger que de la nourriture cultivée dans une terre saturée
d’eau et de sel. 185
Déprimée, elle se nourrissait de sa gelée blanchâtre et acidulée. Sa bouche devient
saumâtre et finit, malgré la bienveillance des serviteurs, par se morfondre dans son petit
palais royal .Le prince décide d’abattre tous les arbres du parc princier y compris l’eucalyptus
abritant la ruche du palais alors que la reine meurt en tombant de la ruche malgré les
recommandations de ses ouvrières. Endeuillé, le prince se laissera mourir d’amour et de

183
Aigre-doux , p.202
184
Ibid., p.203
185
Ibid., p.204

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tristesse. Quant au bourdon, il se suicidera en plantant son dard dans le cœur d’une jolie fille
inerte sur les fleurs salées des marais.
Finalement, le narrateur susurre la morale de ce conte en mettant l’accent sur la
tragédie de ces amours réciproques qui disparaissent avant de se connaitre. Mais la femme au
haïk reprend la parole pour corroborer la dualité aigre-douce de l’existence à son interlocuteur
errant :-Oui, le goût à la fois salé et sucré de cette idylle, c’est aussi le goût de la vie. Seule la
tragédie commence quand on arrive plus à faire la différence entre l’aigre et le doux. Alors
on commence par tout mélanger.186Ace moment-là, la femme au haïk immaculé lui révèle
avant de disparaitre qu’il réalisera ce qu’aucun être humain n’a pu faire jusqu’à présent. Le fil
de lumière s’est à son tour disloqué et le narrateur reste pantois, serrant des coquillages dans
une main et sa boite de pilules aigres-douces dans l’autre, avec la certitude que son ultime
voyage astral vient de se terminer.

1.6.8 Réflexion métaphysique sur Dieu, l’univers et le Temps

Les voyages initiatiques achevés au sortir de cette cité bicéphale laissent un narrateur
en proie à de profondes réflexions existentielles fondées sur le postulat que la bénédiction de
Celuiquicontrôlait Tout provenait de cette force magnifique, de ce pouvoir divin qu’est
l’Amour. Ainsi, les élucubrations dans lesquelles son esprit se tourmentait ont fait de lui un
opportuniste de la foi en étouffant la sienne comme on étouffe un enfant né d’une couche
adultérine.187Impatient et courroucé de ne pas le voir exaucer immédiatement ses vœux, le
narrateur ne comprenait pas l’indifférence de Dieu à son égard et se met proférer des propos
blasphématoires en le tutoyant les yeux les yeux188 : Ô, mon divin, lève ce voile noir qui
obscurcit ma vie(…) sinon dis-moi à quoi tu sers ! Ne me dis surtout pas que tu t’en fous et
que vu de là-haut les détails ne comptent plus !dans ce cas, que doivent penser les petites
fourmis qui doivent s’occuper d’elles ? (..) nom de … ! 189
Il se met alors à soliloquer à celui qui connait le secret de toutes choses et sur son
appartenance en tant qu’infime partie d’un Tout :
Au moins comme un grain de sable qui ferait partie du désert tout comme le désert fait partie du
reste (...) Je suis une fraction de matière qui se restitue sans fin comme se restituent toutes les

186
Aigre-doux , p.205
187
Ibid., p.205
188
Ibid., p.207
189
Ibid., p.208

60
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

choses(…) Alors immense ou infime, rien ne devra rester négligeable pour Toi. Sinon Que FAIS –
TU dans tout ça.190

Le narrateur, fraction de matière, continue sa réflexion en se disant qu’il est enfin en


paix avec lui-même .Il se met même à relativiser son point de vue vis-à-vis de Lui d’autant
que Lui dans tout ça ne peut être responsable des méfaits des hommes et du Mal qui ne cesse
de sévir dans ce monde .Le vieil homme ,rencontré lors d’une de ses mésaventures réelle ou
onirique dans la nécropole ,le lui avait déjà suggéré : ce n’était pas de Sa faute (...) IL est la
lumière qui traverse les ténèbres…le lien qui mène à Tout, qui mène à LUI. 191

1.6.9. Monologue du Divin et anthropocentrisme de l’homme

Le narrateur se met à l’imaginer dans ses rêveries le Vénérable assis sur son Trône,
Lui le vieillard scrutant ce microcosme qu’il a concocté avec amour et minutie mais
désagréablement surpris que des gens, qui ne sont guère ses émissaires, confèrent et opèrent
en son nom 192 des massacres qui l’exaspèrent tout autant .Le Fondateur de Tout n’en n’est
pas à sa dernière surprise : d’autres s’approprient son nom pour propager des croyances
fondées sur l’ignorance, l’obscurantisme et les tourments alors que des pseudos illuminés se
posent la question de son existence .Mais ces aveugles-égotistes dont l’anthropocentrisme les
amène à croire qu’ils sont les seuls maitres des lieux (..) le centre et la fin de tout 193 devraient
juste lever les yeux vers le ciel pour constater l’Ampleur et la magnificence du Divin. Ce
dernier continue son soliloque sur ses minuscules créatures qui mettent le bien et le mal sur le
même plan, qui tuent pour leur confort et se travestissent l’âme croyant pouvoir posséder le
paradis et le nirvana par le mensonge et l’hypocrisie : Ces esprits bordéliques allaient à
l’encontre d’une harmonie céleste, ils ont jeté leurs c. molles dans le potage cosmique, les
cons (...) ne savent -ils pas que leurs actes les éloignent de Ma lumière et finissent par leur
détruire l’âme, note l’être céleste créateur de l’univers.194
Finalement, le Miséricordieux sourit et se rassoit sur son trône pour détourner son
regard de cette petite planète bleue et prétentieuse dans une temporalité qui échappe aux
hommes pour un bref instant qui durera longtemps, trop longtemps pour nous. Le narrateur

190
Aigre-doux , p.208
191
Ibid., p.209
192
Ibid., p.210
193
Ibid., p. 211
194
Ibid., p.212

61
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

se réveille de ce songe où le programmateur du Tout n’a fait que lui inculquer une vérité
incontournable : C’est que le grain de sable a permis aux déserts de se construire. 195

1.6.10.Sablier et réflexion sur le Temps

Le narrateur réalise avec lucidité qu’il est devenu accroc à ces pilules de faux
bonheur .Ses hallucinations prennent le pas sur la réalité au prix de lourds sacrifices d’une
quête de soi devenue obsessionnelle. Tous les personnages rencontrés lui ont prédit une
transmutation qui se fera à la suite d’épreuves douloureuses qui marqueront sa victoire
euphorique sur le Temps et la Matière. Se fiant à sa boussole désaimantée , il retourne sur la
route bitumée à l’entrée de la porte du désert qui s’effrite au fur et à mesure qu’il avance pour
former les regs et les ergs et accoucher d’oasis et ilots d’une matrice hermétique , réelle et
irréelle à la fois , divine et désertique qui aiguise et illumine ses sens dans une lucide et
mystique fascination . Ce moment est d’une intensité telle qu’il en arrive à souhaiter bloquer
le Temps pour faire perdurer l’extase et ne plus tenter de construire son avenir sur une
immédiateté furtive sur un passé opaque : Je bloque les aiguilles de ma montre, dans ma tête.
Je m’endors pour ne plus vieillir. Ainsi, je me vengerai de ce satané Temps ! J’éteins mes
yeux et je m’assoupis hors du temps et……196

1.6.11. Soliloque d’un grain de sable

la narration est prise en charge parle narrateur- grain de sable rebelle qui refuse de
descendre vers le bas à l’instar de ses semblables afin de se maintenir dans l’immédiateté d’un
moment présent et ne pas s’engouffrer dans l’antériorité charriée par le temps qui passe : Je
suis un grain de sable logé dans un sablier qui refuse de se laisser entrainer vers le bas. Un
grain qui veut rester présent, car en bas c’est déjà le passé.
D’autres grains de sable l’imitent et entrent eux aussi en dissidence pour ne pas
emprunter l’étroit conduit séparant la vie de la mort et subir les tourments inhérents au temps.
Ils représentent le temps emprisonné dans ce sablier qu’il est impératif de délivrer afin de
rattraper le temps perdu. Quant aux graines pacificatrices, elles se mettent à implorer les
récalcitrantes pour que le temps passe et que la menace de l’immuabilité temporelle n’altère
en rien les dogmes du temps.197Le narrateur enfin s’est réveillé exaspéré par la posture rebelle

195
Aigre-doux, p. 210
196
Ibid., p.216
197
Ibid., p.217

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

adoptée par le grain de sable prétentieux et récalcitrant. Il s’empare du sablier qu’il retourne
instamment en souriant.

1.6.12. Dialogue avec son cœur

Alors que le Temps ne peut se figer au détriment de la fugacité et l’évanescence des


rencontres vécues, le cœur du narrateur repère et ressent ses singularités intrinsèques : Ces
singularités, c’était mon cœur qui les avaient ressenties (…) depuis ma rencontre avec
l’alchimiste, je me suis mis à écouter mon cœur. 198
Son errance ne pourra perdurer qu’à travers son propre cœur volcan joyeux ou attristé
l’interpelant dans des soubresauts colériques et indomptables qui envahissent son âme par ces
visions symboliques récalcitrantes , cupides et égotistes issues des méandres et élucubration
de son esprit tourmenté. Cependant seule une certitude perdure : celle de leur fusion
mutuelle en harmonie avec l’extérieur, avec l’intérieur, avec le Tout 199. Son cœur volcan et
colérique ne battra plus la chamade. Dorénavant, il lui parlera d’amour et d’affectivité, de ses
sensualités latentes et vivifiantes consécutives aux douleurs et souffrances mortifiantes de
l’aigre de la vie enfouies en lui et en toute chose : IL me parlera de l’aigre et du doux…..de
ces inaltérables saveurs qui résident en moi, en nous, en tout……et je l’écouterai et
m’exécuterai. 200
Enfin décidé à écouter son cœur , le narrateur s’adresse à lui avec douceur et
allégories de la vie qui est un théâtre où les comédiens doivent savoir quitter la scène au
moment opportun en exécutant trois petits tours et puis… s’en vont.201 Son cœur lui suggère
de quitter ce purgatoire de la vie par le truchement de la mort. Cette délivrance devient pour
lui le seul moyen de confirmer qu’il est encore vivant. Il a été choisi pour la mue à force de
rêves d’équité et d’amour .Son départ est inéluctable : il partira, muera et changera après
moult souffrances et mésaventures.

1.7. PN 4 : Retour dans le désert pour la Mue

La mue est de mise et la mort certaine approche dans une atmosphère d’une platitude
et d’une monotonie déconcertante dans un désert rocailleux envahit par un silence morbide

198
Aigre-doux , p.218
199
Ibid. ,p.231
200
Ibid., p.231
201
Ibid., p.223

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qui s’endort sur des décors funèbres 202 où il n’espère rencontrer personne sur ces larges rues
désertes et rectilignes ondulant sous ses pieds. Mais ce n’était pas un tremblement de terre
puisqu’aucun bruit n’accompagnait les ondulations du sol : Non, aucun bruit n’accompagne
ces déformations (…) en me baissant pour voir de plus près cette bizarrerie géologique, je
suis pris d’effroi !je n’en crois pas mes yeux !(…) des millions, des milliards de vers de terre
recouvrent le tout venant des rues et des espaces.203
Les asticots se mettent à escalader l’acacia auquel il s’était agrippé pour échapper à
cette mélasse carnivore .N’ayant guère l’intention de mourir de cette piètre manière bouffé
par cette armée de nettoyeurs voraces, le narrateur reprend alors ses esprits et décide de ne
pas céder à la panique : il ferme les yeux et descend de l’acacia en gravant quelques mots sur
son écorce. : Il se met à écrire écrit une lettre ouverte au gluten vivant.

1.7.1. Lettre ouverte aux asticots ou le principe de l’équité

Chers asticots, si je vous écris ces quelques lignes, c’est pour vous faire savoir que
vous ne me faites pas peur, mais alors pas du tout ! 204
Dans cette lettre aux asticots, le narrateur commence par leur exprimer son profond
respect malgré le fait que ces voraces petites mandibules se délecteront de son corps au
moment où la missive leur parviendra. Pourquoi tant d’admiration pour les vers de terre qui
ne commettent jamais d’ostracisme dans leurs festoiements morbides :
Vous êtes les seuls à ne pas faire de différence entre les êtres, pas de racisme et pas de préférence.
L’égalité pour tous devant les asticots (..) c’est la seule équité en ce monde : tous bouffés
jusqu’aux os, (..) prince ou pauvre, fort ou malade, femme ou trois hommes, animal ou inhumain ;
noir ou violet ; vierge ou pape .A tous sans exception, vous nous réservez le même traitement,
voilà pourquoi je vous admire chers asticots.205
Puis il se met à guider les vermisseaux dans leur festin leur proposant son propre
menu, celui de son propre corps dont ils vont se délecter .Le narrateur leur suggère de
commencer par son cerveau qui lui a laissé un esprit clair et espiègle jusqu’au dernier
souffle puis par les yeux fermés qui lui ont permis de voir tellement de belles choses :
Bouffez-les pendant qu’ils ne vous regardent pas .Profitez, petits asticots, profitez ! 206

202
Aigre-doux, p.229
203
Ibid.,p.230
204
Ibid.,p.232
205
Ibid.,p.232
206
Ibid.,p.231

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Ensuite, il les oriente vers son appendice nasal qui lui a permis de sentir l’aigre et le
doux de ce monde et les senteurs exquises des parfums. Il arrive ensuite aux lèvres qu’il tend
pour les embrasser dès qu’ils arriveront vers elles. Ensuite , ils pourront descendre vers la
langue après avoir mordu la bouche et cette même langue capable de faire la nique aux
crétins, requins et imbéciles de tous bords .Le narrateur leur suggère de dévorer son cœur et
de le savourer avec délicatesse tant il a été patient avec le défunt écrivant .Enfin, ils
trouveront la nourriture saine et avariée dans les viscères de son ventre ainsi que les
mains qui ont plus donné que reçu en souhaitant bon appétit aux bestioles aux voraces
mandibules qui se délecteront du reste de son corps.

1.7.2. Mort ou Délivrance

Trois jours après avoir quitté cette ville-tombeau, il se mit à repenser subjugué par
cette mystérieuse apparition d’une beauté divine qui se présenta à lui la veille en lui susurrant
avec tendresse, calme et autorité qu’elle était sa délivrance .Cette femme aux cheveux roux,
à la peau laiteuse et aux yeux d’émeraudes 207 l’attire vers elle et pose sa tête sur ses épaules.
Sa fusion avec sa délivrance était telle qu’elle aiguisa ses sens lorsqu’il se mit à la déshabiller
pour découvrir son corps, ses hanches, son ventre plat et la rondeur de ses seins.
Un profond sentiment de félicité et de plénitude au goût de l’aigre et du doux envahit
son corps et son cœur volcan pour s’en délecter jusqu’à son denier râle. Le narrateur se
remémore qu’il sera un jour dans l’obligation d’affronter sa propre mort sauf qu’il ne s’y
sentait pas prêt. Le couple insolite s’enlace alors langoureusement pour une nuit faite de peine
et de tristesse et s’endort à même le sable. Au petit matin, il se retrouve seul avec une étrange
sensation d’avoir fait un songe particulier : Un rêve qui se matérialise sous la forme d’un
voile. Sur le sol, le haïk m’avait servi de couche ! 208
Il s’engage par la suite sur une route d’asphalte interminable avec la sensation
particulière d’une senteur mortuaire, d’exhalaison macabre provenant de la nuit des temps e t
qui se propage dans sa bouche entremêlée à une saveur aigre-douce. Il se met à revoir les
visages qui ont jalonné sa quête qui aboutira sans nul à sa transmutation en un nouvel Etre. Le
vieil alchimiste lui a appris à extraire la quintessence du vil 209 et à se rendre compte que son
aperception de l’existence 210n’est désormais plus la même .Soudainement, l’éblouissante

207
Aigre-doux,p.237
208
Ibid.,p.237
209
Ibid.,p.239
210
Ibid.,p.239

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délivrance réapparait pour offrir son haïk en guise d’offrande au narrateur désemparé par la
peur d’une appréhension funeste et la certitude de pas être sorti de son cauchemar La
délivrance est là et ne l’oubliera pas car c’est lui qui a été choisi pour la mue.
Mais de quelle mue s’agit-il ? En quoi vais-je me transformer? 211se demande le
narrateur effrayé par cette mue à venir et incapable de discerner l’aigre du doux, l’insipide du
sapide. La femme au haïk et à la peau laiteuse lui rétorque de manière péremptoire que -
l’aigre et le doux ne sont que les cordes d’un même violon, leurs vibrations dépendent du
toucher de l’archet.212
L’éternelle jeune femme prend la main avec délicatesse de cet homme, convaincu,
malgré la peur qui taraude son âme, de se retrouver devant sa mort, sa délivrance. Cependant,
il refuse de la suivre dans l’immédiat tout en l’implorant de revenir le lendemain.

1.7.3. Procrastination ou Rendez-vous avec la Mort

La Délivrance aux cheveux flamboyants reviendra demain ; elle a décidé de ne pas le


brusquer et de répondre favorablement à sa demande de procrastination futile et inéluctable à
la fois. Mais ce soir, le candidat à la mue a des préoccupations relatives à l’illogisme du
destin et à son cœur dont il s’évertue à écouter les battements réguliers. Puis, car, caressant le
sable avec son doigt qui cherche à écrire un nom, son nom sauf que le doute et l’amnésie l’en
empêchent à ce moment-là, son doigt est hésitant, indécis, il tergiverse : il scelle :
IL …..ELLE ? 213.Les étoiles filantes lacèrent le ciel, le narrateur s’endort tardivement pour
une exaltante vision conquérante et déterminée ancrée dans sa mémoire : Elle s’avance vers
moi d’un pas alerte, enjambant les dunes Ses longues jambes la rapproche de moi (…) je
redécouvre la femme à la beauté envoutante et énigmatique(…) cette déesse onirique (…) a
surgi dans mon rêve comme un apaisement à tous mes tourments.214Pour lui, la rencontre une
nouvelle fois avec cette femme dans ces contrées désertiques était de l’ordre
d’une conspiration cosmique .Le discours immédiat du narrateur est sans ambigüité quant à
celle qui ne cesse de baliser son errance :
Je dis une nouvelle fois car c’est elle, la femme que j’ai laissée à la rue du diable ; celle que j’ai
croisée au cimetière, celle qui me chuchota l’histoire de l’aigre et du doux, celle qui posa son dos

211
Aigre-doux, p.242
212
Ibid., p.242
213
Ibid., p.244
214
Ibid., p.245

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contre le mien au village des affamés, celle qui m’avait fait découvrir que le point B 114pouvait
être sublime. Celle qui habille tous mes rêves de bleus. 215
La fusion des deux êtres se fera dans une oasis de bonheur, plaisirs et félicité sous
l’intense scintillement des étoiles et sur les dunes qui ondulent pour épouser leurs corps. Le
temps s’est figé sur cet instantané de bonheur intense pour y apposer le seing de l’éternité.
Pour lui ce sont des moments d’enchantement sur lesquels on souhaiterait mourir afin
de les emporter avec soi pour l’éternité. Le narrateur s’est réveillé en pleine lune, son doigt
n’avait cessait d’écrire sur la sable -durant la vision de cet intense bonheur -une ode à cette
femme matrice de tout et de tous qui ne cesse d’être pourchassée et maltraitée par les
intégrismes de tous bords et de tous temps :
De l’inquisition moyenâgeuse à l’intégrisme intransigeant, elle est pourchassée, condamnée,
calomniée, mais elle n’a jamais cessé de lutter, d’aimer….pour permettre à l’homme d’exister.
Femme charnelle, femme soupir, femme rebelle, femme maternelle, femme éternelle, femme si
belle, je t’aime.216
Repensant à cette prose rimée inscrite sur le sable par son doigt durant son sommeil, il
se met à penser à ce rêve dans lequel il partagea la couche de la délivrance. Puis, une
concaténation d’images jaillit de chaque astre pour occuper son esprit tourmenté divaguant
vers le sud où il se retrouve dans un labyrinthe de sentiers pierreux et rocailleux surplombés
d’énormes blocs hiératiques d’un autre âge : celui d’une préhistoire antérieurement
découverte dans le petit grain de sable à la lisière de la porte du désert. La femme qu’il
recherchait dans son errance l’appelle à cet instant d’une voix douce et lénifiante pour
s’installer immédiatement dans son cœur et dans son âme.

1.7.4. Remontées mémorielles

A son éveil, sous un soleil de plomb, une silhouette se dresse sur son chemin :
Toujours aussi magnifique dans son voile à la blancheur immaculée, elle est à l’intérieur du
mirage. Assise sur le siège arrière de la voiture, qui (..) s’est matérialisée, la tête recouverte
du haïk blanc, la délivrance m’attend (…) j’entre te m’installe au volant. 217
Une discussion s’engage avec la délivrance qui lui suggère de se diriger au point B
114 dès le démarrage du véhicule en sens inverse de la route où les personnages rencontrés
dans son errance jaillissent, se projettent sur le pare-brise et sont littéralement happés par le
rétroviseur : Il y a l’alchimiste, les abeilles, les bourdons, des mendiants, des vaches, une

215
Aigre-doux, p.245
216
Ibid., p.247
217
Ibid., p.249

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amphore sur une épaule, une vareuse avec un bouquiniste dedans, un garçonnet à la
chevelure de laine, des légumes qui mijotent, des femmes, une femme. 218

1.7.5. Renaissance pour Aimer et Savoir

En une fraction de seconde, il se retrouve dans un isolement quasi-absolu, dans un


espace rocailleux en suspension par une force mystérieuse le long d’un tunnel de
lumière comme un passage d’énergie protectrice 219 enrobé d’un halo bleuté jaillissant de sa
propre poitrine. Le narrateur inconsistant se réveille au milieu d’une oasis de l’Eden …
.....gorgée d’eau et de végétations aux senteurs aphrodisiaques sous un ciel bleu lavé de tous
tourments. Sur les branches des arbres, de superbes oiseaux aux plumages multicolores(…) des
papillons aux ailes serties de pierres précieuses (…) des dunes formées de minuscules pépites
d’or. Une guelta scintillant l’émeraude dans laquelle nagent des poissons paresseux…..de tout
petits poissons paresseux, tout est illuminé ; tout est translucide pourtant, il n’y a pas le soleil.220
Débarrassé de son enveloppe charnelle et corporelle dans cette nouvelle vie où le
bonheur et la félicité anéantissent ses tourments, il devient Amour au moment même où
l’éternité s’installe dans une attitude éphémère. L’instant zéro ! (…) baignant dans une
cohésion solide et liquide chaude et froide. Une origine et une fin confondues dans un même
espace qui lui-même n’a plus de volume, plus de mesure, c’est sublime, indescriptible,
innommable, DIVIN ? 221
Puis incapable de savoir ce qu’il est devenu et en quoi il s’est finalement mué, le
narrateur en extase plane tout autour de l’être inconsistant sans enveloppe charnelle qu’il est
devenu et s’interroge sans fioritures sur sa propre transmutation : Que suis – je donc devenu ?
Qui suis-je ? Je suis eau ? Je suis arbre ? Je suis fleur ? Je suis fruit ? Je suis oiseau ? Je suis
papillon ? Je suis poisson ? Je suis stable ? Je suis lumière ? Ou bien je suis tout cela à la
fois. 222
Le narrateur s’est finalement mué en spermatozoïde doté d’une mission quasi divine
parmi un nombre incalculable d’autres formes analogues en se jetant dans cette eau
émeraude sans le temps et sans l’espace. 223Enfin, il nage sans relâche dans une viscosité
confortable avec une euphorie enivrante vers un carrefour labyrinthique de mystérieux
dédales d’un parcours dans lequel il s’engouffre sans hésitations pour une véritable

218
Aigre-doux, p.253
219
Ibid., p.254
220
Ibid., p.255
221
Ibid., p.256
222
Ibid., p.256
223
Ibid., p.257

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renaissance. Au fond du tunnel, il réalise qu’il doit être le premier à aboutir, qu’il doit être le
seul à s’accaparer de cette minuscule lumière pour une régénérescence, une
métamorphose 224celle de l’essence même d’une renaissance définie dans deux mot : Aimer et
Savoir.
Cependant, les millions de spermatozoïdes charriant l’héritage et la mémoire de
l’éternité 225s’affairent simultanément dans une course effrénée, féroce et sans merci, dans le
liquide séminal .Son combat pour la vie est incontournable ; il se doit de réussir et d’être le
seul à rester parmi les millions de ses congénères ne laissant aucun répit à leurs infatigables
flagelles : Nous sommes des millions et il ne doit rester qu’un !(…) Nous sommes des millions
et il ne doit rester que moi !(…) Et je voudrai être celui- là ! Traverser les torrents de plaisirs
pour à la fin, m’assouvir sur les berges de la vie, de l’Amour.226
L’instant zéro est enfin franchi par les spermatozoïdes en furie captivés par les
cryptogrammes uniques vivants et coloriés gravés sur la paroi de cette caverne, de cette cavité
naturelle où l’histoire du Tout et du Rien, de l’Homme et de l’Univers de l’origine et du
Recommencement. Au milieu de la grotte, la graine féconde attend.227
La graine à féconder devient son ultime objectif : le narrateur -spermatozoïde se rue
vers elle pour la féconder une nouvelle vie en mêlant leurs trésors respectifs dans l’amour et
le plaisir : De notre fusion éclora une nouvelle vie (…) dans une union où le plaisir et
l’amour nous enivrerons de bonheur pendant un délirant instant, une infime éternité. Nous
étions des millions et il en est resté qu’un. Moi !228Le narrateur-spermatozoïde est l’heureux
élu choisi par le destin que lui ont prédit ces personnages rencontrés pendant son errance : il
est enfin un autre être dont l’esprit est nourri de lumière par un cordon pour les prémices ses
premières perceptions d’une naissance ou d’une renaissance dans un ventre : son amnésie
n’est plus. Il est ce germe enveloppé de liquide nourricier et protecteur 229qui se souvient de
toute sa pérégrination dans son ensemble avec certaine une facilité tout en vivant avec une
lucidité déconcertante sa propre évolution du nouvel être qu’il est en train de devenir :
Mon cerveau s’installe et s’initie, mes oreilles se forment et écoutent, mes papilles se gélatinent
et goûtent, mes petits yeux voient pour la première fois le refuge maternel(…) je me sens bien
.Recroquevillé, je perçois les préludes d’une vie et je perçois les premiers parfums de ma nourrice.

224
Aigre-doux , p. 257
225
Ibid., p.258
226
Ibid., p. 258
227
Ibid., p.259
228
Ibid., p.259
229
Ibid., p.260

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Des saveurs que ma mémoire retiendra(…) dans une partie de mon inconscient (…) savoir aimer
et aimer savoir.230
Le fœtus se recroqueville sur lui -même pour évoluer dans une autre espace, dans une
autre et nouvelle dimension spatio-temporelle le pouce dans la bouche et le cœur apaisé : Le
compte à rebours débute. Un autre cycle commence : neuf, huit, sept….zéro (...) Je me sens
habité par une nouvelle énergie, par un nouveau corps pur.231Son cœur lui parle déjà pour lui
annoncer avec sagesses et allégresse et lui confirmer sa renaissance : Tu as traversé ton enfer
sans te laisser prendre par ta propre damnation. Te voilà mu en ce qui a de meilleur en toi.232
Le narrateur repense à son périple chaotique dans un océan de sable d’une beauté
incommensurable faîte de phalliques falaises vertigineuses, des pitons rocheux, des passages
étroits, des labyrinthes de pierre, des obélisques.233

1.7.6. Enfin... la transmutation !

Il ressent des milliers de picotements qui traversent l’intégralité de son corps pour
découvrir avec stupéfaction un autre corps, glabre et lisse, un autre visage, celui d’une
sublimissime jeune femme qui découvre son propre corps avec un goût de miel doux et
sirupeux dans la bouche : Mon torse se déploie sue deux mamelons aux tétons généreux. Mon
ventre est aplati. Mes hanches sont arrondies. Je baisse les yeux pour découvrir le reste de
mon corps et je souris à cette heureuse mue.234Le visage que le narrateur voit à travers le
reflet de l’eau de la guelta est celui de toutes les femmes rencontrées dans son errance : il
vient enfin de comprendre pourquoi elle est parti en quête de lui-même : c’est ce visage
qu’elle recherchait depuis son départ de l’ex-rue du diable pour pouvoir enfin redevenir elle-
même dans ce désert perpétuellement revivifié et revivifiant où elle se met à délirer sans
retenue, heureuse de sa mue .

1.7.7. Futur antérieur dans un autre point B 114

La narratrice se réveille enfin heureuse d’être l’aboutissement de cette quête dans une
misérable masure perdue au fin fond du désert. Elle a dormi sur une natte à même le sol avec
son colocataire avec lequel elle s’attelle à obstruer les interstices de la cabane pour empêcher
le sable de s’immiscer dans leur quotidienneté .Passant leur temps à lutter contre le soleil de

230
Aigre-doux, p.260
231
Ibid., p 261
232
Ibid., p.261
233
Ibid., p.261
234
Ibid., p.262

70
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plomb ,le sable et les roches le jour, ils rêvent d’étoiles lorsque les vents hurleurs et brûlants
cessent de secouer leur misérable cabane. L’espoir demeure de mise dans cet endroit rugueux
et inhospitalier. Il en devient même l’ultime condition pour un avenir meilleur ou une vie
utopique. Par le truchement d’une longue vue, la narratrice se fait observatrice la nuit du ciel
étoilé à l’instar d’autres femmes quelque part dans d’autres contrées désertiques munies elles
aussi de lunettes localisant un monde meilleur à rejoindre au-delà des mers, des terres et des
cieux pour s’enfuir , aller plus loin , plus haut ,éviter de s’enraciner dans un environnement
où ne poussent que le dénuement et l’ennui, les préjugés et les interdits, les non-dits et les
non- sens .235
Ces femmes observatrices d’autres horizons - outre leurs dissemblances - partagent
communément une seule chose : leur incontestable humanité à préserver en dépit de leurs
existences respectives où l’aigre et le doux sont toujours de mise. A l’aide de son télescope, la
narratrice localise une petite masure dans un autre désert, analogue à la sienne, dans un autre
point B114 un autre jeune couple en proie à l’aigre et le doux de leur existence.
Tout ce processus narratologique que nous venons d’analyser nous introduit dans un
univers pluri dimensionnel, celui de On dirait le sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté
où se retrouvent dans la contigüité deux mondes parallèles : celui de l’expérience et du
fantasmagorique.

235
Aigre-doux, p.266

71
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Nous résumons les quatre parcours narratifs dans les tableaux ci-après :

PN1 : De l’éveil du narrateur à sa sortie de la chambrette ovale

Quête Compétence Anti-programme Espace-temps Transformation

- Sujet : - Vouloir faire - Anti- sujets : - Ex rue du - Objet non


Personnage mais non tourments et diable (espace acquis,
situation de
narrateur pouvoir faire hallucination, mi- réel, mi- disjonction
amnésique - Pas de visions onirique)
- Objet -valeur: compétence effroyables, Temporalité floue
et indéterminé
Quête de soi pour flashbacks et
(identité) l’acquisition de réminiscences
- Etat initial : l’objet modèle d’un passé
Disjonction - Pas de savoir douloureux et
- Pas de devoir cauchemardesque.
faire

Commentaire

Ce tableau récapitule notre analyse. Le sujet-actant se réveille dans une chambrette de


l’ex-rue du diable à la Casbah. IL est amnésique et ne sait pas qui il est ni d’où il vient. IL
doit aller à la recherche de son passé pour pouvoir avoir l’espoir de se retrouver. Cependant
son parcours narratif se fera à travers sa plongée dans un monde mi -réel mi- fantastique par
la prise constante et systématique de barbituriques. Il est à la recherche d’un objet - valeur
qu’il ne peut définir en tant que tel dans la mesure où son esprit vagabonde dans un univers
fantasmagorique et fait des rencontres avec des personnages dont certains le guident et
l’orientent dans son errance. Par contre, aucune force perturbatrice ne vient le sortir de son
état végétatif pour le réintroduire dans la réalité. Bien au contraire, il s’enfonce dans les
méandres et les élucubrations de son esprit. Le sujet reste en situation de disjonction par
rapport à son objet -valeur qu’il est incapable de définir lui- même et de se situer entre
chimères et réalité : Je suis allé de villes en villages questionner les gens, les éléments et les
pierres sur mon passé. Je n’ai toujours pas trouvé de réponses, toujours pas d’indices.
Uniquement des rêves absurdes et épuisants236.

236
Aigre-doux, p.122

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Démuni de toute forme de compétences, il ne fait que dormir et lorsqu’il se réveille le


monde qu’il découvre l’horripile et il prend systématiquement ses pilules aigres-douces pour
repartir ailleurs et laisser son esprit vagabonder d’un monde à l’autre, d’une mégalopole à une
nécropole, d’un hameau à l’autre , tous des points B114 , notamment lorsque la réalité de l’ex
rue du diable s’avère plus que douloureuse pour lui vu que son amnésie l’empêche de
reconnaitre sa propre compagne et ses propres enfants qui demeurent anonymes dans son
esprit.
A la fin de ce premier parcours narratif, le sujet actant reste encore un sujet d’état
disjoint de son objet- valeur puisqu’il reste confiné dans son cet état oisif et végétatif où il ne
fait que douter et son angoisse de tout, de lui-même, de son environnement mi- réel mi-
fantastique fait d’hallucinations et visions oniriques divers s’accompagnant parfois de flash
émanant d’une réalité oubliée. Sa quête donne alors la nette impression de stagner .Par
conséquent, il demeure sujet disjoint de son objet-valeur.

73
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PN2 : Récit des méandres et élucubrations d’un esprit tourmenté

Quête Compétence Anti-programme Espace-temps Transformation


Sujet : Savoir acquis: - amnésie du - Temporalité - Rejet de son
- Personnage
- L’homme est à
personnage indéterminée absurde
l’origine de
narrateur l’existence de désert narrateur. - Espace onirique: philanthropie
et des paradis perdus
amnésique - Tourments et  Seuil de la (« fils
- Le désert des
- Objet-valeur: Hommes et le désert élucubrations porte du unique»)
des Temps
quête de soi de son esprit désert - Rejet de toute
- Les révélations du
(identité) Simoun : dans un  Autoroute forme de
Etat initial:  Les univers des sans- mercantilisme
mystères de
Disjonction la création cauchemarde cœurs («le vendeur
 Les sque et irréel  Grain de de mouette »)
merveilles
du monde Rencontre de sable - Rejet de toute
 Le langage personnages
 Banquet forme de
du désert fantasques et
Les enseignements du terrifiants: loosers,  Miroir relativisme
bouquiniste : harragas,
liquéfié des malheurs
 La vérité est au bout minotaure, bipède,
de son chemin la diseuse de  Mer défunte et des
 L’homme a utilisé bonne aventure,
 Douar aux souffrances
le progrès les effeuillés,
scientifique à l’arbre- conteur, le artifices pour accepter
gars au kamis, les
mauvais escient  Cité l’arbitraire et
mangeurs des
nopals, des cannibale l’injustice
dealers, des
 Nécropole
tiques-polis, des - Déliquescence
dinosaures du  Bergerie
pouvoir et du du savoir en
aux
savoir, le vieux Algérie.
bouquiniste, des horreurs
surmulots, la
clonées
- Rejet de
femme au haïk
l’appauvrisse
 Jardin
ment des
champêtre
masses par la
 Village au
technologie
nœuds-
coulants
 Tour de
Babel
 La venelle
du diable
Hameau B114

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Commentaire

Dans le second parcours narratif, le sujet-actant quitte sa femme et sort de la


chambrette ovale après neuf mois de doutes et d’angoisse où les songes et hallucinations
occupaient la quasi-totalité de son temps. Le sujet part à la recherche de son identité et se met
à errer dans différents lieux où il rencontrera les personnages les plus fantastiques, les plus
déroutants avec lesquels il vit des aventures momentanées mais enrichissantes pour la
continuation de sa quête. Ces aventures liées aux rencontres avec ces personnages donneront
lieu à une succession de récits et aventures uniquement dans les méandres et élucubration de
son esprit tourmenté. Son esprit vagabonde alors dans différents espaces hameaux, villes,
collines, plaines, nécropole dans une irréalité chimérique et fantasmagorique. Le narrateur
acquiert un savoir lors de ces rencontres dans les divers lieux suscités et en présence de
personnages différents les uns des autres qui parfois orientent et balisent son errance. IL
découvre avec justesse -à travers la vision du grain de sable-que l’homme est à l’origine de
l’existence des déserts et des paradis perdus qui lui parlent à leur tour par le biais du Simoun
qui lui révèle les mystères de la création, les merveilles du monde et le langage du désert. Puis
le bouquiniste de la librairie 114 lui confirme que la vérité est au bout de son chemin et il
découvre dans la colline aux horreurs clonées que l’homme a utilisé le progrès scientifique à
mauvais escient. L’acquisition de ces savoirs lui confère une certaine compétence et une
transformation intermédiaire du sujet-actant en son for intérieur (rejet de sa propre
philanthropie et de toute forme de mercantilisme et toutes formes de relativisme de malheurs
et de souffrances qui mènent à l’acceptation de l’arbitraire et de l’injustice) et de ses prises de
position par rapport à la déliquescence du savoir et de la connaissance en Algérie. Le sujet n’a
toujours pas acquis l’objet-valeur dont il est en quête et reste par conséquent en disjonction
par rapport à lui. Le parcours initiatique reste en cours à travers les enseignements et les
expériences vécues.

75
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PN3 : Quête de la conscience intérieure

Quête Compétence Anti-programme Espace-temps Transformation


- Sujet : Devoir faire : les - Sa profonde Forêt sauvage : - Il a été choisi
conseils du vieux  Matrice
Pas encore prêt thaumaturge pour amnésie. pour la Mue.
s’accepter et nourricière
- Objet-valeur: - Il cherche - Il doit être
assimiler l’aigre-doux et féconde.
nature de la mue. de la vie quelque chose capable
 Retour au qu’il ne d’extraire la
- Vérité
désert.
consubstantie  Nécessité de connait pas. quintessence

lle à la quête. continuer sa - Il ne sait qui il du vil.


route.
 Obligation de est.
découvrir
toutes les
facettes de la
vie et des
hommes.
 Relativiser les
sens des
perceptions.
 Apprendre à
aimer, à se
sacrifier, à
comprendre.

Commentaire

Le troisième parcours narratif est celui de la quête viscérale à travers laquelle le


sujet-actant apprendra à s’accepter et à assimiler l’aigre-doux de la vie. Cette cruciale étape de
son errance se révèlera riche en expériences diverses à travers lesquelles il continue
d’assimiler un savoir utile que lui prodiguent les personnages rencontrés à l’image du vieux
thaumaturge de la forêt lascive au grès de son voyage pilulaire(ex :son retour inéluctable dans
le désert et la nécessité de continuer sa route car il n’est pas encore prêt , obligation de
découvrir toutes les facettes de la vie et des hommes, relativiser le sens des perceptions,
apprendre à aimer, à se sacrifier, à extraire la quintessence du vil et enfin à comprendre qu’il a
été choisi pour la mue. Le sujet-actant ne sachant toujours pas qui il est reste disjoint de
l’objet de sa quête tant qu’il n’a pas vécu la transmutation annoncée par ses différents oracles
et qu’il cherche quelque chose qu’il ne connait pas .Le savoir acquis l’oriente vers son objet-

76
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valeur en le transformant de telle sorte qu’il arrive à s’en accaparer à l’issue de des
élucubrations de son esprit tourmenté.

PN4 : Retour dans le désert pour la Mue.


Quête Compétence Anti-programme Espace-temps Transformation
- Sujet : Savoir : la certitude - Le narrateur Espace : Mu en :
que la mort
Personnage approche. oriente lui-même - Le gluten vivant - En
narrateur La certitude le festoiement d’asticots spermatozoïde
d’affronter sa
- Objet-valeur : morbide des escaladant doté d’une
propre mort
La Mue et la (la délivrance: asticots. l’acacia sur mission quasi-
l’éternelle jeune lequel il s’est divine fécondant
renaissance femme au haïk) - Il a partagé sa
couche avec la agrippé une nouvelle vie
- Etat initial : - Sa mue est le
résultat d’une mort - Labyrinthe de avec une graine.
En phase
conspiration Ils fusionnent
d’adjonction - Il ne sait pas en sentiers pierreux
cosmique.
et rocailleux. leurs trésors
quoi il va muer
respectifs dans
- La voiture en
l’amour et le
compagnie de la
plaisir.
femme au haïk.
- En fœtus dans le
- Espace sans
refuge maternel
volume,
le pouce dans la
indescriptible,
bouche et le
innommable
cœur apaisé.
Divin.
(Première
- Tunnel long dans
perceptions
un liquide
d’une naissance,
séminal
d’une
- Refuge maternel, renaissance : il
matrice devient un
Temporalité nouvel être et
- L’instant zéro de son amnésie
la fécondation disparait).
d’une nouvelle - En une
vie sublimissime
jeune femme
découvrant la
sensualité de son
corps.

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Commentaire

Le quatrième et ultime parcours narratif est celui du retour dans désert du sujet-actant
subit une transformation profonde puisque la mue se concrétise enfin. Et quelle
transformation !!Le sujet a mué en ce qu’il y a de meilleur en lui. Ainsi, partant d’un état de
disjonction car il est un être en devenir et en errance qui vagabonde çà et là dans un univers
chimérique et fantasmagorique. La mort sensée être une force puissante de l’anti-sujet par
excellence mettant fin de manière péremptoire à sa quête s’avère être un adjuvant -force
équilibrante-et une étape nécessaire à l’accomplissement de la mue et par voie de
conséquence de la quête du sujet. Ce dernier se retrouve habité par une nouvelle énergie après
avoir vécu sa propre mort et devenir spermatozoïde fécondant une nouvelle vie avec une
graine fusionnant leurs trésors respectifs dans l’amour et le plaisir puis fœtus dans la nouvelle
dimension spatio-temporelle d’une viscosité confortable, d’une matrice pour se découvrir la
nouvelle entité qu’elle est devenue : une sublimissime jeune femme découvrant son propre
corps et occupant une masure au fin fond du désert …une fois de plus au point B 114.le sujet-
actant débarrassé de son amnésie termine en état d’adjonction par rapport à son objet-valeur
le cœur apaisé et les tourments évacués .
Au terme de cette analyse, nous pouvons confirmer que Aigre-doux, les élucubrations
d’un esprit tourmenté réalise toutes les prouesses d’une écriture fragmentée et
disparate .L ‘analyse sémiotique a permis , à juste titre, de mettre en exergue un continuum
narratif se projetant entre virtualité et réalité pour enfiler successivement récits seconds mis
en abyme , plans successifs de multiples micro-situations en fonctions des personnages
rencontrés compressées à l’instar de rêves et /ou de cauchemars qui ne durent que quelques
secondes tout en charriant de profondes significations tissées en filigrane . Une telle
construction de l’histoire des élucubrations de l’esprit tourmenté d’un personnage - narrateur
amnésique qui ne sait même pas comment il s’appelle et qui n’a toujours pas cerné l’objet de
son errance peut être qualifiée d’arborescence en cascade d’évènements se succédant les aux
autres dans un enlacement continuel de réalités et de virtualités jusqu'à sa mue en un autre
être :une femme confinée dans un autre point B 114 au fin fond du désert à la recherche d’un
autre monde , d’une issue pour fuir d’autres tourments et d’autres méandres aigres-douces
d’un autre esprit en tourment. De ce fait, il est indéniable que D. Mati est constamment à la

78
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recherche de ressources narratologiques qui lui permettent de rompre la linéarité du


continuum narratif.
- Par l’intrusion de récits seconds qui s’enfilent pour constituer une architecture
arborescente qui finit par devenir labyrinthique dans un texte y mêlant le réel et le virtuel , le
fantastique et l’onirique.
- Par la multiplication à outrance des perspectives narratives et des foyers
d’énonciations qui réduisent l’autorité fictive du statut du narrateur unique et brisent par
conséquent la possibilité d’une lecture linéaire qui parachève la transgression de l’illusion du
réel.
- Par l’introduction d’une polyphonie dans le discours en privilégiant à outrance
les paroles des personnages qui balisent le chemin escarpé du narrateur amnésique englué
dans ses visions, hallucinations et délires en tous genres.
- Par l’absence de la notion de Temps laissant place à l’instauration d’une
spatialité qui s’accapare toutes les autres dimensions reléguant la temporalité à une sorte
d’inutilité narrative en fixant l’évènementiel dans un univers diégétique virtuel et onirique
entretenant sans discontinuer le chimérique des élucubrations et tourments du personnage
errant.
- Par l’intrusion de discours intérieurs et de remémorations diverses parfois
désancrant des pans entiers d’une vie antérieure vécue par le sujet-actant.
- Par le recours aux sommaires qui reprennent l’événementiel lié aux
personnages rencontrés durant son voyage pilulaire et qui brisent également la possibilité
d’une lecture linéaire.

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On dirait le sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté est le second récit paru en
2007 .Ce roman clôt la trilogie entamée par sibirkafi .com paru en 2002.Dans son
architecture externe, ce texte se présente en trois parties -chacune contenant un nombre inégal
de paragraphes chiffrés - qui retracent les pérégrinations de personnages errant dans leurs
univers diégétiques respectifs et parallèles où chacun recouvrirait sa véritable identité et ses
origines. Les protagonistes de l’histoire vivent simultanément épreuves et aventures diverses-
souvent douloureuses et cauchemardesques, parfois aussi lénifiantes - pour se retrouver à la
croisée des parallèles, au sibirkafi du point B 114 où chacun expérimentera sa renaissance et
vivra sa propre palingénésie, au point B 114.
A l’instar d’Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté, la narration s’appuie
sur une polysémie évènementielle qui résulte d’une polyphonie des voix et des perspectives
énonciatives et narratives. Ce roman se présente sous forme de paragraphes chiffrés que nous
présentons ci-après :

Première partie : Le désert des sens

La cabane du sibirkafi ……………………………………………………… p.21

La cabane du sibirkafi ……………………………………………………… p.21

Le naufragé………………………………………………………………….. p.27

La connexion ………………………………………………………………... p.33

L’oasis ………………………………………………………………….…… p.42

Lascive ……………………………………………………………………… p.51

La fougue …………………………………………………………………… p.57

Les sens interdits …………………………………………………………… p.62

L’envers du mirage …..................................................................................... p.67

Deuxième partie : La trilogie équilatérale

Miroir sans tain ……………………………………………………………... p.81

Le lien ………………………………………………………………………. p.89

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Bon débarras !.................................................................................................. p. 96

Un zoo de folie ……………………………………………………………… p.102

Du bas vers le haut ………………………………………………………….. p.109

La montagne des damnés …………………………………………………… p.114

Le lupanar ensablé …………………………….............................................. p.126

L’œil du cyclone ……………………………………………………………. p.139

Une bouteille dans le désert ………………………………………………… p.149

Dislocation sensuelle ………………………… ……………………………. p.154

Une folie à raisonner ………………………………………………………... p.169

Troisième partie : La croisée des parallèles

Les signes de la main …………………………………………………..…… p.185

Le caravansérail : la chambre du bas ……………………………………….. p.197

Le caravansérail : La khaima………………………………………………... p.210

La route qui mène au début …………………………………………………. p.224

Chapitre sans titre …………………………………………………………... p.229

La route qui mène au début ……...…………………………………………. p.236

Le point B114 ……………...………………………………………………. p.245

Les visiteurs ………………………………………………………………… p.251

Le chant des dunes …...……………………………………………………... p. 267

Prologue : Le jour d’après ……………………………………………….... p.291- 293

On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté est un roman qui diffère
totalement par son organisation narratologique du roman précédent, Djamel Mati affine et
perfectionne constamment des procédés narratifs en mettant en exergue d’autres signaux de
rupture qui multiplient les signifiants de la fragmentation. Ce récit charrie dans son sillage

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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tous les ingrédients d’une écriture novatrice et subversive-tels que le rêve éveillé ou le délire
hallucinatoire, le fantasmagorique et le surnaturel, les paradis artificiels, la folie et la
damnation -qui invite le lecteur à la pluralité des sens. A cet univers de la fantasmagorie se
greffe de manière sporadique une réalité qui s’amenuise à mesure que les protagonistes de la
narration avancent dans leurs errances respectives pour laisser place à un univers totalement
enclin au surnaturel et au fantastique. Ainsi, nous constatons que des récits seconds mis en
abyme alternent au gré des parcours narratifs de Zaina la droguée lascive et du couple
adultérin formé de Neil le naufragé du désert et de Inès la targuie. Ces protagonistes de
l’histoire vivent leurs quêtes respectives dans leurs déserts parallèles jusqu’ au point de leur
rencontre, au point B114. Le nouveau trio vit des choses étranges et hallucinantes dans une
clémence inattendue ou d’une inquiétante quiétude du jour d’après où chacun aura vécu son
propre rêve, sa renaissance, sa propre palingénésie grâce à l’éternelle force qui fait croire
aux chimères et qui anime les êtres et le monde depuis la nuit des temps : Substance première
avec laquelle ont été construits l’espace, les étoiles, la Voie Lactée, notre terre, la nature et
enfin nous les êtres humains (...) Cette énergie s’appelle l’Amour. 237

1. Articulation des évènements

On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté est le récit en alternance de
deux histoires qui se déroulent simultanément mais en parallèle de Zaina la droguée du
sibirkafi au point B 114 et de Neil le naufragé du désert en compagnie d’Iness la targuie
honnie à jamais par les siens pour avoir aimé cet inconnu la veille de ses noces avec
Mouloud son cousin. Le narrateur anonyme, première instance narrative, extra diégétique
n’appartenant pas à la fiction et en focalisation zéro, prend en charge la narration de leurs
péripéties respectives jusqu’à la croisée des chemins des personnages .Ils formeront un trio,
de nouveau en partance pour parachever chacun à sa manière le sens de sa quête et pouvoir
enfin donner un sens à son existence.
Nous présentons ci-après les deux parcours narratifs de deux quêtes identitaires et
existentielles balisés par des actants adjuvants jusqu’à la croisée de leurs errances respectives
pour que la boucle soit bouclée de la manière la plus imprévisible qui soit.

237
On dirait le sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, APIC Editions ; Alger, 2007, p.294

82
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Le parcours narratif de Zaina : du réveil au point B114à la croisée des parallèles


La première partie : Le désert des sens
La cabane du sibirkafi (pp21 ÷ 26) où l’on découvre Zaina enfermée avec son
exécrable compagnon et pour lequel elle ressent une profonde aversion tout en espérant un
jour renaitre ailleurs que dans cette misérable cabane de l’ennui et du désespoir au milieu du
désert.
La connexion (pp 33 ÷ 41) relatant ses journées faites de fumeries et d’évasions
mentales de la locataire du pointB114 encline aux hallucinations dues aux vapeurs de chanvre
indien d’un narguilé constamment branché à un téléviseur allumé. Elle plane au-delà du réel
et du temps dans ce qu’elle appelle mon monde véritable 238 tout en se demandant en son for
intérieur ce qu’elle fait dans cette misérable masure au milieu du désert. Soudainement, un
androgyne de lumière surgit de nulle part pour éclairer son chemin et lui expliquer qu’il est sa
propre conscience. Noure lui parle du sablier, d’univers spatio-temporels parallèles et d’une
autre Zaina comblée et heureuse dans un autre désert lénifiant. La Roue de la Vie239, dans un
perpétuel cycle de recommencement, la mènera en temps opportun vers le jour crucial où elle
recevra des visiteurs. L’Etre de lumière dépose alors trois coquillages à ses pieds avant de
disparaitre subitement sur son tapis d’ondes luminescentes.240
Lascive (pp. 51 ÷ 56) où Zaina se réveille- de ses rêves bleus dans l’espoir de parler à
quelqu’un qui lui montrerait son chemin pour s’évader de cet endroit où elle se laisse violer
par le satyre lorsqu’il ne lui préfère pas la chèvre .La lascive du sibirkafi va afin vivre sa
première véritable expérience érotique, moments forts de voluptés esseulées , au contact
charnel d’un douce et chaude dune . Elle prend réellement conscience de la puissance
sensuelle de son corps.
Les sens interdits (pp.62 ÷ 66) :Zaina est confinée dans la cabane et refuse d’en sortir
.Elle se laisse aussi envahir par un pessimisme sans salut qui résulte de son calvaire profond,
des sens interdits à la volupté .Son ignoble compagnon la délaisse et l’humilie en lui préférant
la chèvre dans un univers chimérique et fantasmagorique.
La deuxième partie : La trilogie équilatérale
- Miroir sans tain (pp81÷ 88) avec lequel Zaina entrevoit des bizarreries dans une
translucidité soudaine. La jeune femme s’y regarde pour se découvrir et se connaitre jusqu’ à
ce que l’image du visage anxieux et attendrissant à la fois la foudroie à travers ce miroir sans

238
On dirait le Sud, p.34
239
Ibid., p.39
240
Ibid., p.41

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tain incapable de réfléchir les tourments. Elle comprend que le miroir est aveugle et ne fait
voir aux hommes que ce qu’ils veulent voir.
Bon débarras ! (pp. 96 ÷ 101) dans la mesure où Cro-Magnon le maquereau
dessables 241 est parti pour quelques jours .Elle chasse sa rivale de chèvre en espérant que ce
le zoophile crétin à la cervelle fêlée 242 se fera bouffer par des charognards qui seront eux-
mêmes massacrés par des bédouins. Quelques jours plus tard, elle décide de quitter le sibirkafi
du point 114 pour errer dans ce désert.
Un zoo en folie (pp102 ÷ 108) A l’ombre de l’acacia la droguée voit se propager une
succession de visions et images alors qu’elle aspire fortement sur le narguilé de chanvre
indien: un immense éléphant rose, excroissance d’une nuée de gargouilles hideuses éructée
de sa bouche lui présente le directeur du zoo -un éléphanteau mi-homme, mi-bête qui lui
propose de lui faire visiter son zoo en folie.
La montagne des damnés (pp.114 ÷126) ou l’antichambre de l’Enfer qui attire tel un
aimant la fugueuse du point B 114 dans une douloureuse et sanguinolente ascension
fantasmagorique : protubérances vivantes incrustées aux parois, caméléons dévots .Des
gnomes inféodés aux visages blafards lui racontent l’histoire de la montagne cendreuse qui
vivait dans la sérénité avant l’arrivée d’un homme à la soutane noire et accompagné d’un
nuage de souffre. Zaina découvre avec stupéfaction cet enfer où le diable est Dieu et où Dieu
semble absent dans une oasis-poubelle en plein milieu de ce désert des démons.
Le lupanar ensablé (pp.126 ÷ 138) :La fuyarde des horreurs du point B114 fait
connaissance de la vieille tenancière d’un lupanar ensablé au décor incongru et vulgaire .La
matrone du capharnaüm orgiaque de l’oasis-poubelle la sauvera d’un viol collectif et d’un
lynchage quasi certain par les participants d’une désert-party 243consécutivement à un
tabassage en règle par un leader de faux-barbus 244.Ce dernier la laissera pour morte,
profondément tuméfiée et ensanglantée dans sa chaire pour laver son honneur de crétin. Dans
l’anti -chambre de la Khaima, elle découvrira qu’elle n’est pas la seule Zaina du désert en
faisant la connaissance une vieille femme agonisante. Cette dernière se prénomme également
Zaina et provient elle aussi du point B114.
L’œil du cyclone (pp139÷14) : Zaina avance haletante dans un décor criblé de cailloux
et outrancier dans lequel Dieu s’est amusé à libérer les diables qui tourbillonnent et gravitent

241
On dirait le Sud, p. 98
242
Ibid., p.97
243
Ibid., p.128
244
Ibid., p.130

84
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

autour d’elle. La jeune femme se retrouve en compagnie du primate simiesque du point B114,
du faux-barbu qui urina sur elle après l’avoir tabassée avec une rare violence, le gardien du
zoo en folie, les nabots et incubes qui hantent constamment son esprit .Sur son chemin
s’ajoutent des chiffons et plaques rocheuses tournoyant sans arrêt en lévitation autour de
Zaina, devenue l’œil d’une tornade de spots subliminaux.245
Devenue elle-même l’œil du cyclone, elle ne se sent plus en mesure de différencier le
bien du mal .Une boule de colère spongieuse s’est formée dans sa bouche pour se transmuter
en fibrome puis en fœtus de méchant gnome. Zaina vient de prendre alors conscience de son
trop-plein d’existence et expurge brutalement le fibrome de sa bouche. Elle vient de récuser
en son for intérieur toute notion de bonheur.
Chapitre sans titre (pp.151 ÷ 153) La fuyarde du point B 114, allongée sur la roche
n’arrive toujours pas à trouver le sommeil .Subitement une bouteille roule à hauteur de son
visage illuminé par la pleine lune, Zaina enlève le bouchon de liège après avoir secoué la
fiole : les mots de Neil se déversent sur le sol et elle en ramasse une poignée pour l’ingurgiter
goulument dans sa bouche grande ouverte .Les mots ressortent en petites phrases égrenées
par le sable et le temps 246 pour lui dire le rêve prémonitoire d’un parallèle à l’autre dans la
somptuosité du désert.
Une folie à raisonner (pp.169 ÷ 182) à travers l’éternel retour au point B114 qui
s’effectue à chaque fois dans une profonde douleur qui exacerbe les tourments de la nudiste
du sibirkafi sous les coups de boutoirs des cris et bruits démoniaques qui se transforment en
fumées hallucinatoires .Tout cela provoque en elle une seule envie : celle d’aimer et de faire
l’amour avec l’homme qui est venu la voir à travers le miroir sans tain.
La troisième partie : La croisée des parallèles (p. 183)
Les signes de la main (pp.185 ÷ 196) : Sans s’en rendre compte, Zaina s’est
engouffrée dans une mer de sable entre l’Orient et l’Occident. Elle découvre, en aval d’une
colline de sable, trois silhouettes évanescentes qui se profilent au pied d’une hutte à la forme
arrondie. Une voix à l’intérieur de la zériba l’invite à y entrer : c’était une créature difforme et
insolite, ne dépassant pas les un mètre vingt247, au visage protubérant et aux yeux blancs sans
pupilles, qui semblait quelque peu soulagée de voir que la jeune femme est bel et bien la
locataire du pointB114, de la fameuse Dar elmeskouna.248La vieillerie aveugle lui prédit un

245
On dirait le Sud, p.145
246
Ibid., p.152
247
Ibid., p.187
248
Ibid., p.188

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avenir meilleur à travers les lignes de sa main et lui offre le coquillage blanc dans lequel elle
muera une fois revenue au Sibikafi.
Le caravansérail : La khaima dans laquelle Zaina se décide à retourner à l’origine, au
point B114 pour enfin dissiper ses tourments et affronter sa destinée. En attendant, dans le
caravansérail, elle fait la connaissance de Touaregs et de leur chef Mouloud avec lequel elle
vivra une relation platonique dissimulée et réciproque. Tous ses persécuteurs rencontrés lors
de son errance s’avèrent être des signes du mal qui nourrissent les élucubrations de son esprit
continuellement tourmenté. Zaina se découvre incapable de discerner le réel de l’irréel mais
reste convaincue qu’elle fera le meilleur choix, à la croisée des chemins, une fois arrivée au
point B114.
La route qui mène au début : C’est la quintessence où l’espoir semble enfin renaitre
dans l’esprit de Zaina la lascive somnambule dont les perspectives s’éclaircissent après son
expérience érotico- platonique avec Mouloud le chef des hommes bleus. Elle est convaincue
que toutes ses mésaventures depuis son départ du point B114 émanent exclusivement d’une
irréalité à décrypter au moment où elle se rend compte de la perte insensée de ses sens et de
ses capteurs sensoriels .Subitement défaillants, ils désamorcent en elle toute sensation et
conscience de l’existence des autres. Des mondes parallèles simultanés existeraient bien sans
aucune conscience mutuelle les uns des autre .Zaina apprend aussi que seul un esprit éclairé et
éveillé serait susceptible de cerner et discerner à la fois cette douce et paisible irréalité qui la
mènera vers l’inconnu du miroir sans tain et dont elle est tombée éperdument amoureuse.
Le point B114 (pp. 245 ÷ 250) dans lequel Zaina se réveille adossée à l’acacia près
d’un brûlant narguilé de chanvre indien .Elle se remémore son idylle platonique avec le chef
des hommes bleus dans le caravansérail .L’ubiquité du point B 114 amènera la jeune femme à
donner un sens à ses sens 249en s’appropriant la quintessence envahissante : cette force qui
s’appelle tout simplement l’Amour. Une nouvelle Zainabelle et flamboyante s’est
métamorphosée en une virtuose joueuse d’imzad250au milieu d’un auditoire animalier en émoi
devant le récital improvisé. De nouveaux sens prennent sens et se cultivent dans l’euphorie de
nouvelles sensations de félicité et de plaisirs intenses et la jeune femme se découvre elle-
même sous un ciel constellé d’étoiles étincelantes.251

249
On dirait le sud, p.246
250
L’imzad est une sorte de violon
251
On dirait le sud, p.250

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Le parcours de Neil et Iness : du naufrage à la croisée des parallèles


La première partie : le désert des sens (p.19)
Le naufragé (pp. 27 ÷ 32) : Son véhicule s’est ensablé dans le désert et Neil le marin
se demande pourquoi il a entrepris une telle traversée dans le désert. Le capitaine est à la
recherche d’une existence qui ferait de lui un homme libre sous un ciel continuellement
bleu suite au naufrage de son bateau dont il a été l’unique survivant.
L’oasis (pp. 42 ÷ 50) : La nuit, le naufragé serein du désert se met à errer sur les traces
invisibles d’une étrange lumière qui le mène à la porte d’une oasis verdoyante. Mussa le chef
de la tribu lui présente alors sa fille unique Iness promise à son neveu Mouloud .Les hôtes du
désert invitent le naufragé aux noces qui auront lieu dans sept jours. Subjugué par la beauté de
la jeune targuie, Neil tombe éperdument amoureux de la jeune et fascinante targuie.
La fougue(pp. 57 ÷ 61) Sous le clair d’une lune pleine et laiteuse, Iness franchit le
seuil de la Khaimade Neil qui s’apprêtait à dormir. Déterminée et nue sous son pagne, la
targuie en délire fait l’amour à cet l’inconnu venu des flots des mers. Des contorsions
corporelles brutales, bestiales générées par une outrancière énergie sexuelle 252libèrent les
sens de son nouvel amant dans le plaisir et la souffrance à la fois. Les lois de la bienséance
n’ont pas été respectées et le couple adultérin se retrouve honni de tous les points d’eau et
oasis du désert.
L’envers du mirage (pp 67 ÷ 78) :Iness et Neil accompagnés d’Aniaz la chamelle
blanche marchent pendant des heures dans le désert sous un soleil de plomb. Une atmosphère
bizarre et inhabituelle d’ éphémérité de réverbérations d’images reflétant tel un miroir des
palmiers plantés à l’envers et des chameaux roulants sur leurs bosses 253 s’impose à l’acuité
visuelle la jeune fille du sable et de l’eau .Ensuite, sous un soleil à reculons à la verticale, où
les traces de pieds disparaissent au fur et à mesure de leur avancée, le couple honni des
hommes et du désert plonge avec une sérénité soporifique dans un lac d’huile flottant sur
l’eau 254 par des effets d’optique déconcertants. 255Le couple adultérin s’engouffre dans les
eaux translucides de l’immense lac derrière la chamelle qui avance inexorablement dans cet
effet d’optique d’une eau respirable jusqu’à une oasis féerique et verdoyante .Au sortir du
mirage, ils découvrent leurs alter-egos que sont Liès et Senin et leur chamelle restés
prisonniers du mirage fluide pour n’avoir jamais osé rejoindre le point B114.

252
On dirait le sud, p.58
253
Ibid, p.67
254
Ibid. p.69
255
Ibid. p.69

87
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

La deuxième partie :La trilogie équilatérale (p78)


Le lien :Iness et Neil découvrent un providentiel refuge où dessins rupestres retracent
l’existence antérieure et millénaire d’un paradis perdu. L’un de ces dessins-une sorte de
sablier dont les cavités circulaires contiennent celui d’un homme et une femme de race
différente avec une chamelle blanche alors que l’autre met en évidence celui d’une femme
seule au crâne rasé- suscite l’intérêt du naufragé du désert. Ils parleront ensembles de leurs
conception respectives mais divergentes de l’Amour. Iness lui raconte alors son mauvais
songe : celui d’une femme du nord au crâne rasé, dévastée par le chanvre et les élucubrations
de son esprit tourmenté….
Du bas vers le haut (pp109 ÷ 113) : Dans cet univers chimérique et onirique où
l’horizon n’est plus car il n’y a plus de transition entre le haut et le bas dans cet espace
insolite constamment en mouvement et en apesanteur, Neil - dans une ivresse d’exaltation - se
met à remonter le temps , les bras en croix en lévitation et en tournoyant autour d’un
planétarium ensablé jusqu’à ce qu’il fusionne avec ces entités célestes qui se fondent en lui
pour ne former qu’un seul et unique Etre obsédé et envouté par un sublime fantasme : celui de
la quête de l’impossible à travers le visage d’une seule et même femme qui l’oblige à
continuer sa traversée des dunes et des déserts.
Une bouteille dans le désert (pp.149 ÷ 153) : Les deux jeunes amants se reposent
allongés pour dormir sur le sable en attendant l’aurore. Neil hallucine et toise un nuage laiteux
dessinant des arabesques de chair, volutes d’appels d’un corps nu.256Il se met à écrire à
l’apparition onirique une missive, lui déclarant sa flamme passionnelle, qu’il dépose dans une
fiole de verre qu’il jette par par-delà les dunes et au-dessus des montagnes, en direction de
l’Orient257. Zaina la récupère à hauteur de son visage dans un autre désert moins lénifiant et
conciliant dans lequel les élucubrations de son esprit tourmenté sont de mise. Les deux rivales
se mettent à penser simultanément que ces mots d’amour leur sont destinés. La fugueuse du
point B114 s’interroge à ce moment-là sur l’existence de ces mondes parallèles et l’espoir de
vivre et de s’imprégner au plus profond d’elle-même cette force qui s’appelle l’Amour.

256
On dirait le Sud, p.150
257
Ibid., p.150

88
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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La troisième partie : La croisée des parallèles (p183)

Le caravansérail : la chambre du bas (p 197 à 209) : Iness et Neil quittent leur refuge
rupestre et reprennent leur pérégrination dans un environnement désertique, hostile, sec, froid
et hiératique. Ils croisent alors une caravane de marchands se dirigeant vers le reg et quelque
peu étourdis par le trop-plein des mirages et de djinns rencontrés sur leur chemin. Le couple
escalade une montagne rocailleuse et des canyons étroits et profonds puis traverse un paysage
lunaire d’étranges forêts de pierre 258.Une atmosphère de tranquillité et de sérénité se propage
dans ce désert vide où tout est présence. Neil sent fortement que sa pérégrination donnera lieu
à une autre traversée d’un autre genre où tout est unité et ensemble, départ et arrivée,
impulsion et finalité, la fin d’un commencement. Ce tout venant de rien et ce Rien qui donne
naissance au Tout259. Arrivés le lendemain à la frontière entre le reg et l’erg, le couple pénètre
dans la chambre du bas d’un imposant caravansérail où le Père Balthazar n’attendait qu’eux.
Le prêtre aveugle aux yeux bleus les accueille avec déférence et hospitalité dans son immense
Khaima .Chacun d’eux lui raconte au vieil anachorète ses rêves, ses tourments et le pourquoi
de son errance. Le vieil ascète leur parlera d’Amour et de bonheur à retrouver dans un endroit
étrange habité par des djinns et des esprits : Il s’agit de l’incontournable point B 114.
La route qui mène au début : dépositions inavouables (pp. 224 ÷ 235) Le couple et le
camélidé se dirigent vers le point B114 et font une halte à proximité de chétifs arbustes .Ils
sont tous deux convaincus que la fin de cet étrange périple est désormais proche. Alors qu’une
discussion s’engage à propos de leurs conceptions respectives et différentes de l’amour, les
deux amants finissent par se rouler sur le sable en s’enlaçant pour une ultime étreinte
amoureuse avant de s’endormir ensembles dans la paix et l’allégresse.
Chapitre sans titre (pp. 229 ÷ 235): Au petit matin, Iness ressent une profonde
angoisse et un étrange pressentiment macabre lié à une sorte de sentiment ancré en elle plus
sournois, indescriptible, presque de funeste fatalité 260 à la seule l’idée se rendre au point
B114. Neil, quant à lui, est certain que son destin ne peut échapper au point B114 qui
l’éclairera sur le mirage de ce visage de femme qui ne cesse d’occuper ses songes dans une
sorte de morphisme indicible.261Alors que les amants reprennent leur errance, Iness,
fiévreuse, se sent de plus en plus mal et n’arrive plus à marcher sous ce soleil de plomb Le
naufragé de la berge mouillée dresse un campement et s’allonge auprès de la fille des

258
On dirait le Sud, p.199
259
Ibid., p.200
260
Ibid., p.229
261
Ibid., p.230

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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immensités et des vents 262endormie, n’étant plus en mesure de supporter le voyage. Neil
pleure face à une hallucination visuelle d’une lumière bleue et or 263qui assène ses paroles
dans son esprit tourmenté : Recherche plutôt l’Absolu car c’est pour cela que tu as entrepris
ton périple(…) le bonheur irréprochable(…) le but suprême de tous(…) le bonheur
inaccessible, mais constamment convoité par les hommes264.
Iness, quant à elle, se porte mieux et reste persuadée que Neil est un cadeau du désert.
De plus, elle ne compte pas changer de stratégie pour se laisser ravir son trésor .Elle décide de
rencontrer le rêve de Neil et faire sa connaissance pour mieux le combattre. En attendant, les
deux amants continuent leur marche vers le sibirkafi qu’ils rejoindront dans quelques heures.
Croisement des deux parcours narratifs ou la rencontre des protagonistes
Les Visiteurs (pp. 251 ÷ 266) : Le point B114 s’est mué en un superbe théâtre en
attente des acteurs qui ne sont toujours pas arrivés à la rencontre du public composé de Zaina
et de l’immensité désertique. Une sublimissime aurore boréale lumineuse et scintillante en
plein sud - étrange photo météore-265subjugue littéralement la jeune femme. Pendant ce
temps, trois silhouettes vibrent au loin au rythme des réverbérations scintillantes.
Profondément interloquée, médusée, peut-être même hypnotisée, la jeune femme rencontre
enfin le couple adultérin accompagné du camélidé blanc au point B114 selon les prédictions
de Noure, l’Etre de lumière, qu’elle remercie en son for intérieur. Persuadée qu’elle vient
enfin de rencontrer son rêve, Zaina reconnait la voix virile, chaude et rassurante de celui
qu’elle entendait dans ses songes bleus. L’émotion est à son comble, la locataire du point B
114 s’effondre à quelques pas de son fantasme alors que le naufragé de la berge mouillée
réalise qu’il s’agit bien de celle qui n’a cessé d’occuper ses rêves éveillés La jeune femme est
enfin en mesure de donner un nom à ses rêves et à sa quête alors que la targuie n’apprécie
guère la fusion et la complicité entre Neil et la pensionnaire du point B114 qui leur fait
découvrir la cabane étrange habitée par les djinns et les esprits. Alors que les hostilités sont de
mise entre les deux rivales, Neil demande à son hôte de lui raconter ses pérégrinations dans le
désert d’autant qu’elle se demande encore si ses fantastiques voyages ne seraient pas
uniquement le fruit de son imagination. Neil lui susurre qu’il a fui l’apparence du bonheur
pour aller à la recherche d’un absolu du bonheur, plutôt évanescent et inatteignable mais

262
On dirait le Sud, p.227
263
Ibid., p.232
264
Ibid., pp.232-233
265
Ibid., p.251

90
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tellement en phase avec son âme en quête d’exil et de changement .Zaina, quant à elle, est
satisfaite puisque les invités dont elle a tellement rêvé sont enfin là au pointB114.
Le chant des dunes (pp.267 ÷ 290) alors qu’un évènement inexplicable à savoir la
disparition d’Aniaz la chamelle blanche devant leurs yeux dans la matinée du troisième jour,
le trio se remémore avec sérénité la normalité d’un tel phénomène dans des mondes parallèles
et s’endort aussitôt sans pouvoir l’expliquer. Le quatrième jour, les deux rivales fument et
suivent les volutes des vapeurs de cannabis. Elles deviennent subitement des amies et se
complimentent mutuellement de paroles douces et mielleuses. Elles parlent de Neil qui est en
réalité leur propre reflet qui a toujours occupé leurs cœurs, leurs pensées et rêveries jusqu’à
l’étourdissement et l’euphorie de leurs sens respectifs. Soudain, une apparition surgit des
entrailles du désert, un cavalier voilé au burnous pourpre quémande un peu d’eau pour sa
monture et disparait dans une autre dimension après les avoir informé qu’une caravane se
dirige vers le sud. Neil et Zaina lui parlent de leurs cabales hallucinatoires alors qu’Iness s’est
isolée pour se reposer. La quête d’absolu de Neil ne semble guère être à son diapason et ne
peut la satisfaire. Elle comprend que cet homme est à la recherche de quelque chose qui la
dépasse aussi 266et qu’elle n’est pas l’aboutissement ultime de son errance .La quête de cet
homme se nourrit inexorablement d’un eternel recommencement.
Puis, quelques jours plus tard, des mutations étranges du point B 114 se produisent
sans que cela ne perturbe le trio outre mesure : un champ de coloquintes remplace le petit
potager du sibirkafi, des morceaux d’une voiture tout terrain apparaissent et disparaissent
furtivement. La nuit, les plaintes des vagues d’une lointaine mer remplacent le chant du
simoun qui les maintient en éveil pour vivre des choses hallucinantes. Dans cette clairvoyance
cauchemardesque, chaque protagoniste s’avère en mesure de voir les rêveries des autres dans
une étrange chorégraphie alors que le monde du sibirkafi a déjà disparu sous leurs yeux
médusés. Le cycle céleste s’en trouve perturbé : le soleil et la lune cheminent ensembles au
seuil de l’horizon vers une mer lointaine dans une délicieuse soirée où les rêves inaccessibles
se sont enfin matérialisés. C’est au moment de s’endormir que les évènements s’accélèrent et
la complicité entre les deux femmes se muera en un tendre enlacement faisant s’entrechoquer
leurs coquillages blancs. Neil, l’éternel insatisfait, s’en est allé vers le Nord l’âme renouvelée
car les berges de la mer n’ont jamais cessé de l’appeler.

266
On dirait le sud, p.280

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1.1. Le jour d’après (pp.293 ÷ 295)

Neil s’en allé sereinement, l’esprit retrouvé avec la profonde conviction d’être sorti
vainqueur de son séjour au point B114 .Il considère qu’il a enfin pris sa revanche sur la vie
.Le naufragé du désert soliloque sur l’Amour, cette éternelle force à laquelle tout est connecté
et qui nous guide et nous accompagne du début de la vie jusqu’à la mort .Il sait que
maintenant la boucle est bouclée 267 et qu’il se doit d’entamer sa nouvelle vie. Il a réussi sa
palingénésie.
1.7 Agencement du système des évènements :
Les évènements dans On dirait le Sud ont la particularité de fonctionner dans une
sorte de fragmentation dans deux espaces diégétiques parallèles mais aussi dans le
cheminement de quêtes indépendantes menées par Zaina d’un côté et de Iness et Neil de
l’autre. Il est indéniable que l’éclatement narratif est généré par la recherche d’objets- valeurs
différents non identifiés de manière précise par les protagonistes eux-mêmes. De quelle
manière cet éclatement des quêtes parallèles influe-t-il sur le continuum narratif retraçant les
parcours narratifs de chaque protagoniste ?

Nous proposons maintenant de présenter chaque parcours narratif parallèle qui se


déroule dans une corrélation temporelle de concomitance. En effet, en convergeant vers le
point B 114, ces parcours narratifs concomitants finissent par s’y rencontrer pour le
parachèvement de leurs quêtes, autrement dit la transformation de l’état initial (disjonction)
perdure tout au long de leurs errances jusqu’ à la rencontre ou non des objets -valeurs
convoités.

1.2. PNI : Zaina entre réalités et chimères

L’itinéraire de la jeune femme se singularise par l’éclatement narratif de récits concis


véhiculant des significations pertinentes permettant de cerner la dimension ontologique de
cette nouvelle écriture. Cette dernières e présente selon une relation logique de temps dans la
mesure où mesure où il y a un avant(PNI) et un après (PNII) consécutivement à un évènement
décisif à savoir le croisement des parallèles qui donnera lieu à un ultime séquence narrative où
les protagonistes se rejoignent au point B 114 pour constituer un trio inédit face à sa destinée.
Nous constatons que dans les deux parcours narratifs, Zaina la droguée s’arroge
progressivement les compétences d’un pouvoir-faire dans le but d’opérer des transformations

267
On dirait le Sud, p.295

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de son état initial où elle est enfermée avec un bougre dégoutant pour lequel elle ressent une
profonde aversion. Des récits seconds, émanant de ses voyages hallucinatoires, se greffent au
récit premier et constituent le parcours fictionnel du personnage. Il en résulte un morcellement
de la linéarité par le procédé narratif de la mise en abyme de micro-récits fantastiques
successifs dans d’autres dimensions spatio-temporelles.
-Etat Initial : Zaina la droguée amnésique se réveille en se demandant ce qu’elle fait
là et comment elle a atterri contrainte à partager cet espace réduit avec un bougre dégoûtant
qui la maltraite, le viol et l’humilie sans cesse. Pour échapper à cet enfer, elle se projette dans
des vapeurs de chanvre indien pour planer au-delà du réel et du temps dans un voyage
céruléen où elle tombe dans une goutte de pluie fine glissant sur la joue d’un enfant.
-Force perturbatrice : Au milieu de la fumée des fantômes drogués et vicelards les
yeux en érection, des incubes lorgnent sa nudité et se mettent à palper son corps .La jeune
femme s’affale sur le ventre, éreintée par la peur, le chanvre et la fatigue, au pied d’une
immense dune sablonneuse.
-Dynamique : celle-ci est constituée de deux évènements cruciaux par rapport à la
quête de la jeune femme : le premier est l’apparition d’une créature androgyne Noure, l’Etre
de lumière et le second concerne son affranchissement consécutif à la disparition inattendue
de son infect geôlier.
Le premier évènement met en exergue Noure, L’Etre de lumière qui se présente à elle
tout en lui assenant certaines vérités relatives au fonctionnement de la Roue de la Vie, du
temps dans le Sablier dont elle n’a, à ce jour, jamais soupçonné l’existence. Avant de
disparaitre, l’Etre luminescent fait apparaitre sur le sable un écran de lumière dessinant un
sablier sur lequel Zaina se penche et dont le contenu symbolise l’existence de monde présents
parallèles où chaque grain de sable est représenté par une étoile, chaque étoile est entourée
de plusieurs planètes et chaque planète est habitée par des êtres.268
Concernant la vérité du vide plein et du plein vide, Noure s’attèle à lui expliquer son
mode de fonctionnement269de la Roue de la vie dans l’univers au moment où la jeune femme
se voit, au milieu de ce carrousel de planètes habitées par des êtres, telle une lueur au cœur
d’une multitude d’autres lueurs.270Enfin, lorsque le sablier se retourne, l’être au halo lui
explique que le mouvement perpétuel du cycle de toute chose fait en sorte que l’espace se

268
On dirait le sud, p.38
269
A tout instant, l’espace qu’occupait cette étoile est remplacée par un vide. Ainsi le vide d’en bas devient plein
et le plein d’en haut vide. Ce qu’il y a en bas finit par ressembler à ce qu’il ya en haut, Ibid., p.39
270
Ibid., p.39

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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désemplit en haut pour se remplir en bas rendant de cette façon le plein de vide en vide plein,
de sorte que sans l’emprise du temps, un grain de sable peut se retrouver aussi bien en haut
qu’en bas.271
Noure continue de l’éclairer en lui expliquant qu’une pareille et unique chose peut se
trouver en plusieurs endroits dissemblables, en plusieurs localisations au même moment en
faisant abstraction du temps. La jeune femme dont les tourments l’empêchent d’accéder à un
ersatz de félicité intègre difficilement l’idée qu’une autre Zaina existe dans un autre monde au
même moment alors qu’elle n’a aucune idée de ce que peut être le bonheur dans ce désert des
sens. Cependant, la prédiction qui trouble le plus la droguée du point B 114 est qu’à présent,
elle est prédisposée à recevoir un jour des visiteurs et qu’elle le sentira l’envahir comme des
vagues douces et lénifiantes au moment où elle rencontrera son bonheur et son fantasme.
Zaina décide d’aller à la recherche de l’amour, à l’exception d’une expérience érotique et
voluptueuse avec une dune, sa vie dans la cabane aux tourments la maintiendra dans une
existence insipide, tourmentée et sans passion.
Le second évènement de cette dynamique est celui qui va permettre à la prisonnière du
sibirkafi de s’affranchir du joug de son infâme primate de geôlier qui n’a cessé de la violer et
la violenter en lui préférant la chèvre pour assouvir ses ardeurs .Cro-Magnon fiche le camp
pour quelques jours et ne reviendra plus. La maligne prédiction de Zaina s’est réalisée : le
zoophile crèvera en plein désert piqué par des scorpions et bouffé par des charognards qui
eux-mêmes se feront exterminés par des bédouins : Cette pensée madrée oint son cœur d’un
baume apaisant.272
Libérée et affranchie de son maquereau des sables273,Zaina la cocue du
désert congédie la chèvre et jubile de s’en être débarrassée dans cet univers illusoire et
mensonger : On dirait vraiment le Sud et l’affranchie peut à présent quitter le point B 114 et
espérer rencontrer l’Amour dans l’évasion que lui offre le désert. La jeune femme enfile un
short, un tee-shirt noir et une casquette et se souvient des visiteurs et du doux mirage sur le
miroir sans tain qui n’ont jamais quitté son esprit depuis l’apparition de l’Etre de lumière .Elle
se sent prête à affronter la dure réalité qui l’attend à travers ses pérégrinations virtuelles.
L’action d’opposition étant très forte, le sujet-actant ne voit pas l’accomplissement de
sa quête .Cela ne l’empêche guère de vivre des péripéties qui se greffent selon les modalités
de micro- récits dont la brièveté les soustrait au modèle quinaire classique. Cette
271
On dirait le Sud, p.39
272
Ibid, p. 97
273
Ibid., p.98

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concaténation d’instantanés micro-récits seconds hallucinatoires fantastiques- consécutifs aux


élucubrations de la camée du point B114 - se succèdent en se greffant au continuum narratif et
participent ainsi de la fragmentation textuelle sans pour autant s’installer dans une relation
d’opposition à l’accomplissement de sa quête. Bien au contraire, ces instantanés finissent par
en constituer le fil conducteur d’où la nouveauté d’un par en constituer le fil conducteur d’où
la nouveauté d’un tel procédé scriptural qui ne peut que déstabiliser le lecteur traditionnel
habitué à son petit confort de linéarité et de lisibilité.

1.3. Enfilage et fantasmes

1.3.1. Tentative d’évasion

Cet instantané est celui d’une hallucination désastreuse où Zaina court comme une
folle sous un soleil pyromane et zénithal pour s’enfuir du point B 114 tout en cherchant une
ombre, un endroit moins chaud, moins infernal, moins caniculaire pour se reposer et récupérer
loin des volutes fantasmagoriques des fumées de chanvre à l’origine des tourments de la
réfugiée du désert. La fugitive n’y arrive plus, piétine, s’enlise, se noie et sanglote dans le
sable damnés du désert des sens. Immobilisée durant des heures dans ce désert malfaisant, la
camée du point B 114 toise les yeux rouges les mirages d’une imperceptible vapeur
provenant de l’horizon .Elle se met à vociférer contre Dieu et la fatalité nuisible. Épuisée, elle
s’affale sur son ventre pour se voir flotter sur une nappe d’eau bleutée où l’Etre de lumière
surgît pour lui venir en aide et la préparer à l’accomplissement de sa quête.

1.3.2. Voyage bleu

En branchant son narguilé à la télévision bourrée de chanvre indien, la droguée plane


au-delà du réel et du temps dans son monde véritable. Elle se met à planer à force de tirer sur
sa pipe brulante du narguilé pour flotter entre le réel aigre et son artifice doux 274 sentant en
son for intérieur que son voyage céruléen agrippée aux ailes bleutées d’un lépidoptère lui fera
oublier ses tourments .La camée plane au-dessus de grandes routes printanières bordées
d’arbres et verdoyante et se métamorphose en chrysalide dans un cocon de soie pour se muer
en un papillon Arc en ciel au-dessus de lagons bleus et des étoiles.

274
On dirait le sud, p. 35

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1.3.3. Expérience érotique avec une dune

Ressentant une étrange douceur au ventre, l’insatisfaite du point B114 a subitement


envie de faire l’amour et s’allonge lascivement le cœur volcan sur la dune brûlante. Dans une
euphorie inouïe, elle se laisse pénétrer par des flux de ravissement et de félicité dans une
lascive chorégraphie corporelle et fusionnelle avec le sable chaud : Le corps se tortille, se
contorsionne de délectation au rythme effréné d’un souffle caché, passionné, étonné (...) dans
une sérénité qui reflète une sensualité accomplie, une satisfaction sexuelle (…) elle venait de
faire l’amour avec la dune.275
Satisfaite d’avoir pris enfin conscience de la sensualité de son corps et d’avoir connu
l’extase d’intenses et uniques instants de sensations lascives et mélancoliques, Zaina encore
fiévreuse, somnole nue, les bras en croix et les jambes écartées telle une offrande sur le sable
doux : elle vient de vivre sa première véritable expérience érotique.

1.3.4. Androgynie

En lui apprenant à préparer un trip de cannabis macéré dans du thé mis à fermenter
fortement en plein soleil dans une fiole de verre, Cro-Magnon l’a initiée au shoot par un dard
fantasmatique dans une veine de plus en plus incertaine, de plus en plus fuyante.276 La
résidente forcée du sibirkafi s’affranchit par le liquide poisseux mais lénifiant qui pénètre ses
veines, son esprit se liquéfie pour qu’elle puisse enfin donner un sens à son existence. Les
barrières de son amnésie cèdent alors sous les coups de boutoirs des flux et reflux de ses
hallucinations .Elle revoit le film de ce qui aurait pu être sa propre vie, 277 de sa propre
enfance refusant l’épanouissement de son corps confiné dans une ambivalence androgyne et
de sa féminité jusqu’aux inéluctables premières menstruations, jusqu’au jour dramatique
de ses premières règles.278

1.3.5. Calvaire des sens

Confinée à l’intérieur du sibirkafi, Zaina devenue sale -après s’être rasé le crâne dans
un élan inconscient d’orgueil. Elle veut s’affranchir de sa féminité et ne souhaite plus être
désirable pour le bougre qui la côtoie et qui lui préfère régulièrement la chèvre.
Paradoxalement, elle soliloque avec un malin plaisir à propos de cette transformation
275
On dirait le Sud, p.52
276
Ibid., p.63
277
Ibid .,p.64
278
Ibid., p. 64

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dévalorisante et douloureuse de sa propre personne, de sa féminité en particulier : Il n’a qu’à


faire pousser des cheveux sur sa tête s’il veut coucher avec une nymphe ! Moi, cette tête me
va bien (...) ce satyre me vole ma beauté, viole ma fraicheur (...) il n’aura rien de moi (...) il
aura ce que je veux bien lui donner !pas ma féminité mais son contraire.279
Moche, sale et mal rasée , Zaina préfère ressembler à un bagnard et ne souhaite plus
être désirée par son sinistre colocataire .Elle préfère s’autodétruire en s’imposant ,non sans
une profonde douleur ,une nouvelle façon de concevoir sa vie par une sorte de tentative de
suicide des sens qui pourtant brûlent ses entrailles de femme 280.La frustrée du sibirkafi se
met à tergiverser car où ses aspirations licencieuses et libidineuses prennent le dessus ; elle le
supplie les larmes aux yeux de lui faire l’amour si possible sans qu’il ne la regarde juste pour
qu’elle cesse à tout jamais de se piquer à l’aide de l’aiguillon hypodermique. Le désert des
hommes ou les élucubrations de son esprit tourmenté prédominent, désalignent les sens
par l’aigreur du destin et (...) l’espérance des désirs (...) dans l’obscurité absolue des
interdits (...) pour Zaina, le calvaire des sens est à tout moment-là.281

1.3.6. Miroir sans tain

La locataire au crâne rasée cherche à se peigner et tient un miroir dans sa main décidée
aussi de découvrir à quoi elle ressemble dans ce désert des sens et des hommes. Dépliant ses
paupières non sans peine, elle découvre avec stupéfaction dans son miroir le visage inquiet
d’un homme viril, ébouriffé et pensif qui lui sourit avec déférence. Décontenancée et troublée
par l’anormalité et l’absurdité de cette situation pour le moins surprenante, Zaina demande
avec conviction des explications au miroir berneur , amnésique et falsificateur d’images
exclusivement intéressé par l’ image instantanée 282.Il lui explique que ce visage est celui de
son égo ou alter-égo et que les gens ne voient que ce qu’ils veulent bien voir d’eux- mêmes .
Le miroir sans tain ajoute que des mondes parallèles entourent le présent de chacun et
que le visage serein de cet homme provient probablement d’un autre présent désireux de la
contacter à travers lui. Le miroir irréfléchi 283lui fait une ultime révélation à la femme
amnésique -incapable de faire la différence entre le réel et le virtuel dans ce désert des
leurres - exacerbée par l’absurdité et l’ambigüité d’une telle situation et de puiser dans l’irréel
pour assumer son présent : Il faut concevoir toute chose occupant des gradations, des étapes
279
On dirait le Sud, p.65
280
Ibid. ,p.65
281
Ibid., p.66
282
Ibid., p.83
283
Ibid., p.84

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

sérielles entre la réalité et l’irréalité. Il se peut que le visage de cet homme soit une de ses
étapes. C’est peut-être le lien entre ta rationalité et tes aspirations profondes ou l’inverse
entre ses désirs bloqués et ta virtualité. 284
Le miroir sans tain et irréfléchi ne peut la satisfaire dans le temps présent mais lui
suggère de bien regarder ce visage avec son cœur en attendant le moment où il calquera son
visage sur le sien. Exaspérée par les falsifications du miroir trompeur, la sans visage 285
courroucée de la masure aux leurres - depuis toujours trompée par le temps - vocifère et
secoue le miroir aveugle 286 au point de faire vaciller le reflet virtuel de l’homme aux
cheveux ébouriffés les yeux clos pour échapper au vertige .Elle finira par le briser en le jetant
violemment par terre un moment d’intense irritation qu’elle regrettera par la suite.
En ramassant les trois brisures de glace réfléchissant de manière concomitante
cette figure sibylline287, Zaina se blesse en voulant les ramasser l’une après l’autre par le
troisième éclat de verre .Elle suce instinctivement et avec délectation la goutte de sang perlant
sur son doigt jusqu’à une voluptueuse vibration (...) pour finir en un pincement agréable.288
Elle se confine alors dans le jardin de l’enfer et décide de s’y cloitrer souhaitant se
projeter dans la temporalité antérieure de son androgynéité devenue le point de départ de son
passé et qui donnerait à postériori un sens à son futur : Une origine à partir de laquelle elle
pourra caler sa mémoire et remonter l’échelle des souvenirs. Se voir avant qu’elle ne
devienne amnésique et accroc aux drogues, avant qu’elle ne débarque dans ce désert
menteur. 289
Elle hallucine les larmes aux yeux et cherche son sublimissime mirage à travers les
volutes des vapeurs de chanvre indien et réminiscences enfumées .Elle erre dans le désert du
Temps enchanteur qui la subjugue en son for intérieur. La jeune femme implore
silencieusement Dieu de lui donner un visage, de lui donner une existence, se masturbant avec
pudeur et maladresse .et soliloquant : Mon Dieu, je voudrais une vie entre des mains douces
qui étudieront ma peau de près avec délicatesse, mais pas que les miennes (...) Mon Dieu, je
suis une femme ! Je veux un homme qui m’aime. Je ne peux, quand même pas, me consoler
d’une vie de rien !290

284
On dirait le sud, p.84
285
Ibid., p.86
286
Ibid., p.83
287
Ibid., p.87
288
Ibid., p.86
289
Ibid , p.85
290
Ibid., p.88

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1.3.7. Zoo en folie

Le rêve macabre et jubilatoire de la mort du zoophile en plein désert l’incite à aller à


la rencontre des visiteurs annoncés de toute part 291sans ambages .Mais , avant d’affronter son
errance et sa dure réalité ,elle décide d’effectuer un ultime voyage bien dosé dans le
virtuel 292 : un tsunami d’images hallucinatoires effroyables envahit son corps et son âme dès
qu’elle s’enfonce la pipe de narguilé dans sa gorge :Une nuée de gargouilles, hideuses et
ricanantes, aux visages blafards s’échappent de sa bouche . 293
Les volutes de fumée se mettent alors à s’imbriquer harmonieusement les unes aux
autres formant un immense éléphant rose d’une étrangeté absolue qu’elle se met à suivre la
fumée dans les yeux pour se retrouver accueillie par une sorte d’ éléphant man (...)un individu
mi-homme, mi-bête294.Ce dernier se met à branler sans aucune pudeur son nez long et obscène
et à baver de perversité devant les atours de la visiteuse frêle et presque dévêtue .Le
pachyderme se présente comme le directeur de la plus belle ménagerie de tout le Sud et de
tous les déserts 295.Puis , tout en la toisant avec méchanceté, il se met à déféquer une masse
considérable d’excréments noirs, fumants et pestilentiels, et à s’en délecter goulûment . Alors
que le puant et pervers dirlo du zoo est pris subitement…. d’un rhume coulant au simple
contact charnel de la délicate main de la jeune femme qui lui révèle qu’elle est à la recherche
de visiteurs qu’elle reconnaitra au moment opportun.
Enfin, elle découvre onze autres pachydermes déguisés en drag-queen portant sur la
tête une casquette vert-kaki 296qui ont la mission d’enseigner aux animaux du zoo certaines
postures typiquement humaines :
Des singes bondissent (...) vocifèrent dans leurs téléphones portables et réalisent des affaires
juteuses avec des hyènes déguisées en végétariennes (...) la dope est rapidement revendue aux
jeunes fennecs de la région qui la consomment pour se remplir leur petite tété de fausses
illusions.297

291
Noure et le miroir berneur
292
On dirait le Sud, p.101
293
Ibid., p.102
294
Ibid., p.103
295
Ibid., p.103
296
Ibid., p.105
297
Ibid., p.106

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Les animaux anthropoïdes s’en donnent à cœur joie dans ce charivari de simiesques
pervers chimpanzés au kit mains libres qui se branlent en ricanant les lèvres retroussées sur
leurs longues dents cariées. 298Puis dans une grotte aux fausses peintures rupestres, elle
découvre effarée de vieux lions assistés, nourris au petit lait de brebis, et à l’avenir incertain.
Ils fument nonchalamment de l’opium et se prélassent dans l’amertume d’un passé glorieux
et d’un présent éteint.299Incapable de rugir, un lion en laisse par un riche et arrogant simien
miaule et bave sous le joug des onze travestis dictateurs aux casquettes vert- kaki. De pauvres
gazelles en hidjab noir 300 paradent, déambulent et se vendent au plus offrant pour pouvoir
sustenter leurs enfants dans ce parc animalier humanisé par la matraque et la dépravation.
Choquée et sidérée, la visiteuse du zoo en folie s’interroge à propos des horreurs qu’elle
découvre au-delà des volutes hallucinantes de la fumée de chanvre que libère sa poitrine au
bord de l’étouffement : Mon Dieu, c’est quoi, ce cirque ? Pourquoi, cette parodie de vie ?
Des animaux devenus plus bêtes en voulant singer les humains ! C’est donc à cela ressemble
à un environnent humanisé où le mensonge fait vivre et où le burlesque ne fait plus rire
personne. 301
Le dirlo pervers nourri aux putrides excréments de ses supérieurs hiérarchiques
propose à son hôte de devenir la première dame de ce stupéfiant microcosme en folie, peuplé
d’anthropoïdes et d’animaux versatiles et cupides, cruels et pervers, despotiques et
serviles 302, la jeune femme en vomi ses tripes de dégout pour s’extraire de ce monde
affligeant de leurres , de !despotisme et d’arbitraires en tous genres où les simiens singent les
hommes dans leur cupidité et manigances serviles et mercantiles .

1.3.8. Montagne des damnés

Après un véritable chemin de croix effectué dans l’intense douleur de l’ascension


d’une immense montagne cendreuse et pyramidale sur laquelle s’érige une tour phallique au-
dessus de laquelle un énorme nuage compact et incandescent éructe de fines gouttelettes
brûlantes noires et violacées , Zaina tombe à plusieurs reprises et se blesse aux coudes et aux
genoux ensanglantés .Sur son chemin ,elle se retrouve face à des lézards homochromiques et
des caméléons à l’apparence humaine qui tentent de la gober instinctivement de leur langues
fourchues. Horrifiée par ce spectacle hideux de caméléons dévots, elle prend conscience

298
On dirait le Sud , p.106
299
Ibid., p.106
300
Ibid., p.106
301
Ibid., p.107
302
Ibid., p.107

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qu’elle est bel et bien dans l’antichambre de l’enfer .Continuant son ascension, elle arrive tant
bien que mal, au palier intermédiaire où une ville entière d’habitations pierreuses incrustées à
la montagne occupe la plateforme. Elle emprunte des ruelles étroites dans une atmosphère
lugubre de lamentations. La jeune femme intègre discrètement une étrange procession de
milliers de gnomes aux visages blafards 303 sortant des casemates enclavées dans la roche en
direction de la citadelle. Dans un silence hypnotique entrecoupé de psaumes laconiques
ininterrompus, la jeune femme assiste médusée à un prêche de panégyriques , d’insultes , de
vociférations et se prosterne en compagnie des gnomes soumis devant un vaticinateur
arrogant aux yeux rouges et luisants de haine et de dédain à l’encontre de la naine assistance.
Un vieux nabot au regard attendrissant la tire par le short et la supplie de s’abriter dans les
égouts pestilentiels et nauséabonds de la citadelle où s’y mêle des remugles d’excréments et
de maladies, de servilité et de vomi, de paumes souillés et de spermes inutile, de rats morts et
de suer de gnomes le tout brassé par tant de soupirs qu’il ne s’en faut de plus rien pour être
pire .304
Zaina ne comprend pas comment ces nabots serviles et inféodés on-t-ils pu se
retrouver dans une situation aussi avilissante alors que le vieux nain lui applique un
cataplasme d’une bouillie verdâtre pour panser ses blessures. La discussion s’engage entre les
deux et le vieux nabot guérisseur lui raconte l’histoire de la montagne des damnés en lui
tenant délicatement la main.

1.3.9. Nabots-esclaves

Il s’agit là d’une narration ultérieure racontée après coup et d’une coulée par un
personnage homo diégétique à savoir le vieux nabot qui a pansé les blessures de la
tourmentée. Cette narration, qui ne renvoie pas à un passé déterminé tout en faisant
abstraction de la durée, introduit le récit dans une dimension temporelle autre à force de
mettre en exergue la singularité logique de l’évènement en question.305C’est l’histoire d’une
contrée verdoyante où les gens vivaient dans le bonheur et la convivialité jusqu’au jour où un
homme accompagné d’un immense nuage de souffre débarque et se met à embrigader les plus
influençables. Il les transforme en de cupides et versatiles reptiles et d’autres en soldats
obéissants et fanatiques 306chargés de vilipender les récalcitrants devenus esclaves-nabots à

303
On dirait le sud, p.118
304
Ibid., p.120
305
Barthes, Roland. Le degré zéro de l’écriture. Paris, Le seuil, Point Essais, 1972, p.25
306
On dirait le sud, p.121

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force d’être violentés et reclus dans des casemates. Contraints de se prosterner devant la tour
noire suite à l’appel du hurleur, les nabots sont amenés dans des grottes pour cultiver du
chanvre et d’autres plantes hallucinogènes importées en partie vers d’autres points B de ce
désert maléfique. Les esclaves malmenés et humiliées meurent tous les jours par centaines
dans l’indifférence et la totale et banalisation de la mort est devenue par la force des choses
une délivrance : Ceux qui en échappent se retrouvent en Enfer .Et l’enfer, c’est ici.307
Et le nabot-narrateur décrit avec fidélité ce qu’il est advenu du pauvres petit peuple de
nabots l’esprit asservi et abreuvé de mensonge, de contradictions, d’interdits, de croyances
aveugles, d’atavisme destructeur, et de soumission absolue. 308Ces inféodés sont condamnés à
vivre sans celles qu’ils sont contraints d’appeler les femelles que les Ecritures cataloguent
comme étant génératrice de vices et perversions .C’est la raison pour laquelle elles ont toutes
été déportée à la tour où les plus jeunes et plus belles forment le harem du prédicateur à la
soutane noire .Quant aux vieilles, moches ,tarées et malades, elles sont laissées à disposition
des nabots ,qui ont extrait le plus de chanvre, pour une brève fornication .La jeune femme lui
demande pour quelle raison ce peuple pacifiste accepte-il une telle humiliation ? Pourquoi les
lâches gnomes ne se révoltent-ils pas face à cette vie de leurre, de mensonge et d’arbitraire ?
Ils se contentent de prier Dieu espérant qu’il pardonne leur opprobre dans d’incessantes
litanies : ils ont voulu faire de l’enfer une religion, ils ont inhumé la plèbe vivante et ont
asservi sa liberté de penser (...) Dieu ayez pitié de notre lâcheté. 309

1.3.10. Lupanar ensablé

La montagne des gnomes damnés a bel et bien disparu et Zaina se réveille assise sur
une petite chaise de nain une écharpe noire nouée délicatement au cou.310La traversée
hallucinée et cauchemardesque perdure alors qu’elle tergiverse en se demandant si elle a rêvé
ou a bien vécu cette tragédie.311Elle arrive alors tant bien que mal dans une oasis-poubelle en
plein milieu de ce désert démoniaque où de malingres palmiers entourent des tentures
ressemblant à des balais de sorcières disposés à l’envers sur lesquelles pendent des sachets en
plastique noir, des baudruches trouées en forme de capotes, des photos de filles nues, des
godemichés (...) des restes de rouleaux de papier hygiéniques en guise de guirlandes. 312Une

307
On dirait le Sud, p.121
308
Ibid., p 122
309
Ibid., p.124
310
Ibid., p.126
311
Ibid., p.128
312
Ibid., p.127

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énorme femme vêtue d’une large djellaba noire et à la voix éraillée l’apostrophe et l’introduit
dans ce capharnaüm orgiaque de corps licencieux enlacés et entrelacés dans un état
léthargique .Des femmes raffinées et ensorceleuses, voilées , escarpins et bas de soie , toisent
avec leurs yeux perçants les participants de cette désert-party 313 alors que d’autres filles
dévêtues se languissent nonchalamment devant l’assistance lascive de mâles au regard
érectile. C’est à cette orgiaque assemblée que l’énorme matrone la présente comme fille de
joie qu’elle vient à peine de recruter. Les hommes barbus vocifèrent à son encontre insultes,
propos malveillants aussi ignobles les uns que les autres : Elle apprend que sa mère l’a
accouchée par derrière, que son père st un zombi cocufié par un bouc malade, que son allure
androgyne laisse croire qu’qu’elle est une pédale (...) et que pour prétendre à leur
consentement, il fallait qu’elle s’entraine avant avec les pipes de narguilés.314Zaina sent la
colère la submerger et avance lentement en direction des faux barbus vulgaires et persifleurs
dont le leader la frappe violemment consécutivement à des paroles aimables proférées par la
rebelle du lupanar ensablé.315
La réaction brutale du chef de clan ne se fait pas attendre : Zaina reçoit un uppercut
d’une violence inouïe lui éclatant la figure et faisant gicler immédiatement le sang du coin de
la bouche de la rebelle humiliée .Un coup de genou dans le plexus et elle se retrouve à terre le
visage boursoufflé, la bouche en sang, le souffle haletant. 316La brute enragée lui urine dessus
pour enfoncer de clou de l’extrême violence et de l’humiliation infligée à la polytraumatisée
vulnérable et affaiblie. Ses acolytes exultent et encensent leur chef qui achève sa besogne en
crachant sur sa victime sanglotant et sanguinolente : l’honneur du faux barbu crétin et
dominant est désormais sauf devant ses subalternes ricaneurs dont les regards mutuels
n’augurent rien de bon pour l’ensanglantée gisant à terre. Les filles du lupanar reprennent du
service dans la joie et l’indécence : Zaina, tuméfiée et sanglotant de toute son âme, vient
d’échapper de peu à un viol collectif. La tenancière la relève difficilement et lui explique que
sa stratégie de défense face à cette sale brute s’est avérée inefficace :-Tu sais petite, un
homme, c’est con et bête à la fois, il suffit de lui faire croire que c’est lui qui commande, qui
décide. Alors, il faut lui dire ce qu’il désire entendre et il est content. C’est tout ! Après tu
peux faire ce que tu veux.317

313
On dirait le Sud, p.128
314
Ibid., p.129
315
Va te faire sodomiser par le chameau qui a enfourché ta mère avant de ma parler !sale bouc ! , Ibid., p.130
316
Ibid., p.130
317
Ibid .,p.132

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Zaina s’endort dans un demi-sommeil espérant se réveiller dans un autre lieu autre
que ce bordel engouffré dans ce désert des Hommes. Elle se retrouve dans l’antichambre -au
milieu d’un fatras d’objets hétéroclites (narguilés cassés , nattes et cageots vides ) d’une
khaima au milieu de femmes recluses -rebu du putride lupanar condamné à l’oubli et à
l’exclusion- où elle remarque qu’une maigre femme au crâne rasé ,à la beauté flétrie et au
visage émacié , hachuré par les rides du temps 318et son rêve de voir ce désert partagé par
une autre Zaina sauf qu’elle ne recevra pas de visiteurs à l’avenir. Stupéfaite la jeune femme
n’est pas au bout de ses surprises lorsqu’elle demande son nom à l’agonisante : -Honorable
dame, comment t’appelles-tu ? -Zaina. 319
Rassurée par sa présence, la vieille Zaina lui raconte sa pérégrination d’ errances en
galères 320 dans le désert des Hommes entamée elle aussi au point B 114sans avoir pu aller au
bout de sa quête. Intriguée, elle se remémore les paroles de Noure à propos des destins croisés
et des mondes parallèles en pensant que son bonheur est fatalement ailleurs.
La matrone interrompt la discussion entre les deux Zaina et lui confirme que mondes
parallèles et temps (...) se croisent 321et qu’elle n’est pas la seule Zaina du désert .La matrone
lui propose aussi de rester sous sa protection dans l’espoir de se trouver un mec parmi les
bandits et truands en tous genre que le désert déverse dans le lupanar ensablé .Elle sait que
son destin ne peut se dessiner dans un lieu aussi putride. Elle soliloque, en son for intérieur,
qu’une femme mal accompagnée est à tout moment seule.322
Au petit matin, la jeune femme est réveillée par la matrone et sort du lupanar de la
même manière dont elle y est entrée à savoir en se frayant un chemin au milieu des corps
d’hommes et de femmes étourdis dans une continuelle orgie et entrelacés dans la perversion et
la luxure. La vieille tenancière submergée par l’émotion la raccompagne à la sortie de la
palmeraie, l’embrasse sur le front et lui certifie que son choix de quitter le lupanar est
judicieux :-Bonne chance petite, je te souhaite tout le bonheur du monde, et même plus .Tu as
certainement raison de partir, tu es différente de nous. Ton destin t’attend ailleurs.323
Zaina s’en va en repensant aux paroles de la vieille Zaina qui était en train de mourir : cette
matinée perdure dans la tristesse d’un astre refusant de propager sa clarté sur la toile céleste.
Mais pour elle, ce qui importe au-delà de la vie et de la mort, c’est justement la certitude que

318
On dirait le Sud ; p.135
319
Ibid., p.135
320
Ibid., p.135
321
Ibid., p.136
322
Ibid., p.137
323
Ibid., p.137

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les parallèles existent bel et bien et qu’ils finissent par se croiser. Pourtant, ses blessures et ses
appréhensions se sont amplifiées à l’issue de son périple dans l’orgiaque capharnaüm.

1.3.11. Dans l’œil du cyclone

Zaina continue son errance dans cet éternel et minéral désert imposant à quiconque s’y
aventurerait une vie à l’état brut, primitif et sans fioritures (...) où tout se compose du dans
Rien et ce Rien obéit au Tout 324.La vie et la mort s’y confondent dans ce désert engendrant
subrepticement et subséquemment le sublime ou la haine à son égard. La jeune femme se
réveille dans un désert outrancier où l’erg ocre et sablonneux s’est mué en reg anthracite,
minéral et inhospitalier. Une fois de plus, elle prend conscience de sa petitesse et de son
insignifiance dans cet immense désert de roches basaltiques aux allures dantesques.
Zaina se met à marcher sur le sol caillouteux au milieu de blocs phalliques en équilibre
aux parois ornées de peintures rupestres narrant les souffrances des femmes depuis des
millénaires, symboles d’un lointain contentieux.325Le temps s’est figé pour l’éternité au pied
d’un acacia326. La recluse fourre narguilé d’une poignée de chanvre indien et se met à aspirer
pour espérer se réveiller ailleurs que dans ce décor lunaire anthracite et rocailleux .Sans raison
apparente, elle emprunte un chemin prédestiné en haïssant tous les décideurs : Le Dieu, le
Diable et les hommes (…) les façonneurs des devenirs des autres (...) qui profèrent que toute
vie mérite d’être vécue (...) pour aborder ses propres pérégrinations. Ils disent tous ça mais
n’en font pas plus. 327
La vagabonde du désert minéral connait les étapes de son errance chercher,
découvrir, connaitre, vaincre et puis, si elle peut, se délivrer d’une quête sans Graal.328Son
amertume est à son paroxysme au moment où un belliqueux siroco se met à tourbillonner
autour d’elle. Un carrousel de grains de sable, de petites pierres, de roches et de basaltes et
même des montagnes virevoltent et gravitent autour de la possédée du point B114 dans un
charivari impressionnant de puissance :
Des chiffons ensanglantés, des poupées nues, un avatar refusé, un destin damné des visages
perdus, des rêves violés, sa chair meurtrie, et le vide, ce vide qui l’aspire dans ces déserts de
galère et de peur (...) le primate qui partageait sa couche ; la brute d’ivrogne qui urina sur elle ;

324
On dirait le Sud, p.139
325
Ibid., p.140
326 Zaina ne sait plus combien d’heures ou de jours elle a dormi, Ibid., p.142
327
Ibid., p.142
328
Ibid., p.141

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les crétins de fêtards qui auraient pratiqué la tournante avec son corps ; le gardien de ménagerie
au nez trop long ; le tyran à la soutane noire. 329
La folle du sibirkafi s’affole et prend soudainement conscience qu’elle constitue le
centre névralgique de ce carrousel- de spots subliminaux tournoyant en lévitation autour
d’elle- qu’elle en est l’œil.330Au paroxysme de l’aversion et à la limite de l’exténuation, elle
ne comprend pas non plus pourquoi elle dégurgite une purée verdâtre de gargouilles au
visage hideux.331 Des pans entiers d’images de son passé s’invitent à leur tour les uns après
les autres à son esprit courroucé et tourmenté se disloquant immanquablement dés que le
tourbillon redouble d’intensité. Elle est l’œil du cyclone et son amertume prend de l’ampleur
pour devenir une graine aqueuse et perfide dans son estomac .Cette dernière balaie dans son
sillage des morceaux entiers de son passé et se mue en une une boule de haine aimantée 332
qui entame insidieusement son évolution dans la bouche de la jeune femme tendant les bras
pour ne pas être engloutie par la spirale .La courroucée du point B 114 prend à cet instant
réellement conscience de son trop plein d’existence avec la désagréable sensation qu’un corps
étranger est entré dans son crâne. La jeune femme se met à mordre ses lèvres jusqu’au sang, à
se griffer le visage et à vomir ses tripes d ‘exaspération :
Elle est là maintenant, sanguinolente, spongieuse dans la bouche (...) La forme sphéroïdale se
transforme en fibrome, un fœtus de gnome méchant. La boule ne peut le contenir, n’arrive plus à
le supporter. Dehors la tempête fait rage. 333
Cette aversion destructive pour la vie enfouie en elle s’est ravivée dans l’œil du
cyclone, désormais enclin à des aspirations haineuses, de démence colérique et des désirs
malveillants qui récusent toute idée de bonheur en lui obstruant les chemins de la raison 334
pour la maintenir dans le purgatoire de ses propres tourments. La jeune femme éreintée prend
la décision de faire appel au chanvre qu’elle introduit dans tous ses orifices pour exorciser par
l’overdose les élucubrations de son esprit halluciné : Au bout de quelques minutes, le fibrome,
chair irascible, de sang venimeux, s’extirpe brutalement de sa bouche, chassée par le
cannabis.335
La démente s’endort dans une léthargie devant des oriflammes flamboyantes qui
absorbent les tourbillons cycloniques d’une tornade tourbillonnante : Zaina dort. Zaina rêve.

329
On dirait le Sud.,p.144
330
Ibid, p.145
331
Ibid., p.145
332
Ibid., p 146
333
Ibid., p.146
334
Ibid., p.147
335
Ibid., p.148

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Zaina rêve de dormir…loin de sa colère, loin de sa colère, loin de sa haine …toujours dans
le désert.336

1.3.12. Rêve énigmatique

La droguée du point B 114, allongée sur le sol n’arrive pas à s’endormir malgré son
intense fatigue. C’est en débouchant la fiole de verre qu’elle découvre un message
énigmatique que lui a fait rouler Neil au-dessus de dunes en direction de l’Orient. Les mots du
naufragé se sont déversés sur le sol et Zaina en ingurgite goulûment une poignée pour les
337
expurger déliés en petites phrases égrenées par le sable et le temps. Ce rêve énigmatique
dont la narration est prise en charge par le personnage de Neil exhorte Zaina à parler l’amour,
à laisser parler son cœur-volcan dans un langage complètement déliriel de propos décousus ,
abscons et incompréhensibles .Puis il fait référence à un rêve prémonitoire de nuitées
lubriques ,de jours oniriques de réverbération lascive, de miroirs à deux faces aux reflets
versatiles , de convenances et pusillanimité, d’indésirables alliés, d’amants séparés par le
désert, d’une déraison espérant une rencontre , d’une âme quêtant la pureté et poussant les
limites à l’infini :
Lente progression douloureuse .Voyage intérieur des plus fantasques succède au voyage
réel….l’onde scintillante des mirages prend corps...corps désirés, cœurs aimés. Infatigable,
inusable amour, toujours présent, que l’instant présent oublie et restitue dans un recommencement
diffus...tourments des douces tourmentes entre elle et elle...Amours illusoires... mirages fougueux
et toujours le rêve prémonitoire projeté en boucle (..) partir à contre-sens (..) parallèle
convergentes. Les jours imposent, les nuits exposent la réalité non accomplie aux frustrations
impudiques (...) Et pourtant…le rêve persiste dans la somptuosité du désert. 338
Le contact entre les amants est désormais établi et Zaina se met enfin à espérer. Elle se
rend compte que l’Etre de lumière et le miroir ne lui ont guère menti : l’existence du mirage
est peut être réelle .Elle relit sans arrêt les phrases hachurées parfois sémantiquement
ambigües. Désormais, une certitude s’ancre dans son esprit :
Cet homme souffre : il est partagé entre deux personnes, mais il semble aussi se complaire dans
son dilemme (...) Comment faire pour le rejoindre dans cet immense désert truffé de pièges ?
Peut-être appartient – il a un de ces mondes parallèles dont j’ai souvent entendu parler ? Est-ce
possible de croiser deux parallèles (...) Je suis ravagée (..) je veux une vie qui me permette
d’aimer. J’en ai marre de haïr (..) je voudrai être une eau fraiche au milieu du désert brûlant pour
que tu viennes, heureux, le plaisir dans les yeux, poser tes lèvres sur moi. Que je puisse m’enivrer
de toi .Etancher ta soif sur ma bouche heureuse. Je saurai enfin qui tu es. 339

336
On dirait le Sud , p.148
337
Ibid. p.151
338
Ibid., p.152
339
Ibid., pp.152 -153

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Emue et réconfortée par l’amour qu’elle ressent, elle laisse enfin parler son cœur-
volcan qui récupère ce sentiment et le revivifie en elle pour l’éternité.

1.3.13. L’outre ou la bique ?

Zaina la solitaire est restée éveillée pour ne plus faire de rêves effroyables liés à cette
amertume nauséeuse que lui provoque régulièrement son émersion dans la réalité.
Elle décide de rester nue après s’être renversé de l’eau sur son corps amaigri,
sablonneux et endolori par la dureté du soleil pyromane dans sa nouvelle manière de vivre.
Outre ses occupations quotidiennes lui permettant de rester en vie dans cette torpeur
environnante imbibée de remugles de chanvre indien, la dévêtue du désert passe son temps à
courir et à se déhancher lascivement sur les dunes brûlantes à la recherche de quelque chose
qui pourrait lui servir ou de quelqu’un qui pourrait la voir déshabillée.340Elle allume
plusieurs narguilés, fume et savoure son chanvre en parlant aux objets inanimés jusqu’au jour
où la chèvre ruminante revient pour paître du sable à l’entrée du sibirkafi. Contente de fuir un
tant soit peu sa solitude, Zaina se met à parler à la bique non sans lui reprocher son manque de
solidarité lorsque le primate les violentait et les violait à tour de rôle. La revenante adossée au
chambranle reste impassible aux clins d’œil répétitifs de la droguée qui hallucinait au point de
confondre l’outre en peau de chèvre accrochée à l’entrée de la cabane avec son ex-rivale
ruminante.

1.3.14. Mue démoniaque

La désespérée schizophrène est constamment confrontée à délires aphones et


hallucinogènes où des démons hurleurs s’emparent d’elle pour une aliénation satanique plus
expressive de son corps : Sur son front se dessinent des rides méchantes(…) les doigts se
cornent en crochets. Les veines (…) se terminent dans un rictus qui barre son visage au tiers.
Le regard hagard, les lèvres retroussées, le nez pincé.341La possédée hurle du plus profond de
ses entrailles son immense souffrance pour s’affaler l’instant d’après dans un profond sanglot
qui la soulage temporairement. Se shooter devient pour elle l’ultime moyen d’apprivoiser les
incubes du désert qui ont envahi son esprit et ses rêves :
D’overdose en overdose, la femme enferme ainsi sa frustration dans les fumées hallucinatoires qui
(…) libèrent en surface son envie latente de (…) faire l’amour(…) aimer comme la folle qu’elle(..)
ce bel homme qui, un jour, a traversé furtivement un miroir sans tain et pour lequel elle ne cesse

340
On dirait le Sud, p.170
341
Ibid., pp. 172 -173

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de vivre 342 tout 343 et continue de se shooter au chanvre pour rejoindre son virtuel amant dans ses
songes récurrents.
C’est justement cet ami virtuel qui devient sa raison de vivre et de rêver .En effet,
vient systématiquement la délivrer du kaléidoscope d’incubes et de gargouilles démoniaques.
Le fantasme disparait après les torrides préliminaires et baisers gloutons échangés dans une
ardente sensualité .Au petit matin, dans son réveil frustré la désespérée erre nue autour du
point B 114 à la recherche de rien et de Tout.

1.3.15. Folie et raison divine

C’est lors de rares et brefs moments de lucidité que la jeune femme prend réellement
conscience de son désespoir et de sa folie. La mort est sollicitée comme ultime exutoire : elle
se pend vainement à une branche de l’acacia pour mourir. Il ne lui reste que la piété et la
croyance échapper à cet enfer, ne plus rester seule et avoir un Dieu à côté d’elle.344La folle
pieuse psalmodie hypocritement des psaumes et s’adonne sans conviction à de solitaires et
niaises prières pour provoquer le miracle mirage qui l’extirpera de cet enfer où la folie se
propage en elle : Seigneur faites que je ne devienne pas folle ! Que mes cauchemars cessent,
pingre de vie ! 345
La divinité invoquée par la démente tourmentée durant toutes ces nuits passées dans
ces absurdes rituels s’en désintéresse copieusement. La pécheresse agnostique s’obstine à
psalmodier ses vaines litanies dans son envie folle de rencontrer son Sauveur et pouvoir enfin
lui parler franchement de femme à Dieu. 346Elle branche ses narguilés bourrés de chanvre au
téléviseur en panne et tire sur plusieurs pipes à la fois. Sur le récepteur des volutes prennent
une forme humanoïde jaune et bleue vêtue d’un burnous de soie .L’homme de lumière au
visage séraphique en lévitation avance vers elle par des mouvements gracieux qui se
transforment en sons mélodieux.347Zaina le prend pour Dieu.
Noure lui répond qu’il ne peut avoir une telle prétention tout en lui reprochant de ne
porter à son cou que deux des trois coquillages qui l’auraient peut être aidée dans son errance.
L’Etre de lumière lui explique que Dieu est miséricorde et ne s’apitoie pas sur le sort de ceux
qui sollicitent son apitoiement et sa bienveillance dédaigneuse par simple intérêt, sans lui
demander de surcroît s’il attend quelque chose en retour .Un matin, la jeune pieuse se met à

342
On dirait le Sud., p.173
343
Ibid., p.174
344
Ibid, p.175
345
Ibid., p.176
346
Ibid., p.178
347
Ibid., p.178

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parler différemment à son Seigneur. Elle lui réclame de lui ouvrir les portes de la raison pour
le découvrir dans toute sa splendeur. Ses prières apaisent ses tourments. La sagesse et la
raison prennent le pas sur sa folie démoniaque .La mystique prie même pour le point B 114
qui lui parait soudainement lénifiant et agréable à vivre.

1.3.16. Ultime rêve bleu

La dévêtue du désert se rhabille enfin, fait sa toilette et prépare un verre de thé en


guise de petit déjeuner. Elle ne parle plus aux objets inanimés de la cabane .Elle allume un
narguilé savamment dosé pour un envol lucide et se voit dans une autre silhouette flânant
pieds nus sur la rosée d’une herbe verte qui a déjà poussé sur le sable fin et doré au milieu de
lagunes fraiches et lénifiantes. Consciente que le désert lénifiant lui ouvre à présent une
nouvelle porte sur la vie et de nouvelles perspectives, Zaina apprécie les prairies
verdoyantes et la forêt aux fragrances de jasmin qui s’ajoutent aux apaisantes mélodies des
chants des oiseaux .En outre, des chameaux silencieux contemplent le lagon bleu au bord
duquel la jeune femme se mire dans les yeux saillants des poisson-chat avant de s’ immerger
lentement et silencieusement à la recherche de son origine dans ces eaux fraiches et
translucides où tout a commencé .
Dans cet espace liquide originel, son émerveillement est à son comble lorsqu’elle
découvre que de plaisants mondes imaginaires faits de réalités antérieures où des parentales
créatures fauniques l’accompagnent au milieu d’une végétation luxuriante .Elle se faufile telle
une anguille dans les labyrinthiques et ombilicaux méandres d’une matrice-fœtus dans
laquelle elle se love dans une incommensurable explosion de vie. Zaina désire au plus
profond d’elle-même que ce rêve bleu perdure et se fige dans le temps dans ses propres
chimères extatiques.

1.3.17. Vieillerie aveugle

Sans s’en apercevoir, Zaina est entrée dans une véritable mer de sable et prend
instinctivement la direction d’un autre désert jusqu’à la lisière d’une immense dune qu’elle
décide d’escalader pour découvrir de nouveaux horizons. La jeune femme découvre en aval
de la dune une vaste et circulaire habitation pierreuse au toit de palmé dans laquelle elle
pénètre après la vue furtive de trois silhouettes se profilant à l’horizon. Une voix lézardée et
sereine lui souhaite la bienvenue de l’intérieur. La jeune femme découvre avec stupéfaction
une minuscule et difforme créature noire de moins d’un mètre-vingt, au visage ovoïdal, aux

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yeux blancs sans pupilles, au faciès protubérant, au nez aplati et touffu au-dessus d’une
bouche épaisse laissant apparaitre une seule et unique dent lorsqu’elle sourit à son invitée. La
vieille édentée -tapie dans une ample djellaba qui semble provenir d’une autre planète- se
rend compte que sa jeune invitée vient du la fameuse dar el meskouna la cabane hantée et
maudite que les anciens décrivent comme étant le mouroir aux égarés.348 La vieillerie
aveugle se met à dessiner le visage de l’égarée de ses mains décharnées qui s’avère être tel
qu’elle l’a toujours imaginé : -Ta voix n’a pas menti, tu es comme je t’imaginais 349.L’être
difforme l’installe à une meida ronde sur laquelle Zaina remarque trois tasses de thé vides et
encore fumantes et lui demande dans la foulée des explications à ce sujet : Tu es bien
indiscrète ma petite (...) oui, il n’ y a pas longtemps de cela, j’ai accueilli, le temps d’une
halte, un couple : une targuie et un homme du nord(…) l’homme semble être à la recherche
de quelque chose ou de quelqu’un mais lui- même ne sait pas quoi ni qui .350La vieille aveugle
ajoute que le couple avait l’air inquiet et Zaina constate une fois de plus que leurs routes se
croisent sans jamais se rencontrer .La voyante lui propose d’ausculter les signes de sa main
gauche tout en interceptant la pensée condescendante que Zaina soliloquait en son for
intérieur .L’aveugle minuscule lui rétorque de manière incisive que le présent est trop court
et nous le subissons, le passé est trop tard et nous l’assumons , le fatum, lui, n’existe pas
encore alors, nous pouvons le connaitre. 351
Poursuivant l’auscultation de sa main, la chiromancienne découvre trois stries qui se
rejoignent vers le bas : une des trois phagocytera les deux autres .La devineresse lui
confirme qu’elle n’a pas encore eu la chance de parcourir le sage et apaisant désert du Temps
et qu’elle ne sait toujours pas comment rejoindre le seul homme qu’elle ne déteste pas et qui
apaise les élucubrations de son esprit tourmenté. Le conseil de la vieillerie aveugle est d’une
cruciale importance : Tu dois écouter, voir, et comprendre les signes (...) les déserts aussi
différents soient- ils se croiseront (...) il ne tient qu’à toi pour que cela arrive (…) La lueur et
le reflet sont des indications et tu les as trouvées sur ton chemin.352
La voyante lui enseigne que la condition primordiale pour donner un sens à son
existence est de coucher avec la mort. Elle ajoute que l’on ne peut savourer l’amour sans avoir
connu l’aversion car dès que l’on a gouté à l’aigreur, on apprécie mieux la douceur.353Zaina

348
On dirait le sud, p.188
349
Ibid., p.188
350
Ibid., p.188
351
Ibid., p.189
352
Ibid., p.192
353
Ibid., p.193

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ne comprend toujours pas pourquoi Dieu ne l’écoute jamais lorsqu’elle l’implore. La


devineresse difforme lui explique que Dieu est synoptique alors que les humains accordent du
prix aux détails .Elle ajoute que ses tourments n’ont été apaisés que par son amour de Dieu
qu’elle définit sans ambages comme : celui qui n’obéit pas au temps qui enveloppe tout
l’espace, qui fait tourner le soleil, briller les étoiles, déplacer les dunes et dresser les
montagnes (...) le liant des choses.354
La non-voyante lui suggère alors de ne jamais cesser d’espérer et de croire en lui tout
en lui offrant un coquillage blanc qui disparait au moment où la jeune femme tente de s’en
saisir .Un ultime conseil lui est prodigué :elle lui révèle qu’elle est presque au bout de sa
quête et qu’il ne lui reste que le meilleur à vivre en prononçant le nom de Zaina pour la
première fois : -retourne au désert, rejoins le point B 114, c’est là-bas que ton mektoub te
donne rendez-vous, pas ailleurs ! 355

1.3.18. Aventure platonique

Convaincue par les réconfortantes prédictions de la souriante vieillerie, Zaina intègre


l’idée que ce n’est pas en fuyant ses tourments qu’elle réussira à les dissiper. Dans le
caravansérail, elle croise le chemin de Touaregs et de leur chef mouloud qui l’accueille avec
respect et hospitalité. Zaina lui confie de suite le sens de sa quête et les péripéties
douloureuses de sa pérégrination virtuelle .Mouloud lui parlera du désert trompeur qui peut
rendre les gens fous et /ou les aider à recouvrir une sagesse d’un suprême degré .La jeune
femme apprécie le moment avec le targui mais son épuisement est tel qu’elle plonge
subrepticement dans un rêve étrange et autiste .A son éveil , Mouloud lui offre l’Imzad qui
appartenait à la doyenne du clan qui était une grande musicienne et poétesse .Zaina, qui n’a
jamais été en possession d’un tel instrument de musique, se met à jouer merveilleusement la
mélodie préférée de la vieille Zaina.
Au dîner, Mouloud lui parle des us et coutumes targuis alors qu’une attirance
réciproque se propage dans le caravansérail. La jeune femme sent qu’elle est à la croisée des
chemins et s’endort au milieu des hommes bleus aux visages cachés .Elle matérialise son
charme irradié dans un songe lascif et sensuel en compagnie de Mouloud dont elle vient de
partager la couche .Les Touaregs sont déjà partis alors que Zaina croit entendre les paroles de
Noure, du miroir berneur et de la chiromancienne en s’emparant du violon magique. Le Père

354
On dirait le Sud, p.194
355
Ibid., p.195

112
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Balthazar a déjà allumé trois cierges et n’a cessé de prier à l’entrée du caravansérail. Les
perspectives s’éclaircissent dans son esprit : Mouloud lui a parlé de ce désert qui aiguise les
sensations et rend ses récepteurs ultrasensibles. A une journée de marche du point B 114,
Zaina confie en guise d’adieu ce que Mouloud savait déjà avant de se séparer : Je suis à la
recherche d’un homme que je ne connais même pas .Pourtant, je suis tombée amoureuse .Il a
réussi à occuper mes pensées durant toutes ces pérégrinations.356

1.4. PNII : Du naufrage de Neil à la croisée des parallèles

L’errance de Neil le naufragé des dunes se déroule au même instant, en d’autres


temps, peut -être, à quelques centaines de kilomètres du point B 114, derrière le haut plateau,
au milieu de l’océan de sable.357
Cette localisation spatio-temporelle corrobore le fait que les deux parcours narratifs se
déroulent parallèlement au même moment jusqu’à leur convergence temporaire au point B114
puisque ils se sépareront à nouveau pour une configuration inédite et pour le moins
inattendue. Neil se retrouve donc seul naufragé dans un autre désert parallèle à celui de Zaina
avec laquelle des contacts s’établissent par les rêves hallucinatoires.
La narration s’en trouve saturée de dialogues et de discours de nature ontologique des
personnages à propos de leurs pérégrinations respectives .Le parcours narratif du couple peut
être se présenté selon trois moments cruciaux de la séquence narrative :
-Situation initiale : Neil se retrouve naufragé dans un désert parallèle à celui dans
lequel la folle du sibirkafi y entame sa pérégrination, incapable de désensabler son véhicule et
tenant dans sa main un objet humide et froid. Neil le capitaine de navire se remémore son
dernier naufrage qui en un laps de temps lui fit perdre ses marins subordonnés dans une mer
en furie. Il a été le seul survivant du naufrage.
-Force perturbatrice : Dès le début de son errance, le jeune capitaine fait une
rencontre insolite avec Noure l’être de lumière qui le mènera dans une oasis verdoyante. Neil
sera exclu pour avoir abusé de leur confiance en faisant l’amour avec Iness, la fille du chef
des touaregs la veille de ses noces avec Mouloud son cousin.
-Dynamique : Cette étape de leur errance s’effectue au moment où le couple adultérin
traverse le mirage fluide et translucide en compagnie d’Aniaz la chamelle blanche à la

356
On dirait le Sud, p.243
357
Ibid., p.27

113
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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358
rencontre de leur alter-égos cloîtrés dans l’envers du mirage. Ils leur parlent des
similitudes de leurs quêtes .En effet, leur exactes copies leur expliquent que l’amour et la
liberté seront la finalité de leur errance à condition d’aller là où eux n’ont pas été capables
d’aller au point B 114. Senin la copie d’Iness prédit à Neil qu’il y trouvera la femme qui n’a
jamais été loin de lui. Dans un désert pierreux et rocailleux, à plusieurs journées du point B
114, la traversée du couple les amène à l’entrée d’une immense grotte dans laquelle ils
découvrent des peintures rupestres –retraçant dans un premier temps l’existence d’anciennes
civilisations sahariennes où l’eau des rivière coulait à flot dans un paysage verdoyant et
fantastique et dans un second temps une intrigante scène d’un couple de races différentes
accompagné d’une chamelle qui se dirige vers une femme au crâne rasé qui les attend au fin
fond du désert , dans une misérable masure.

1.4.1. Dislocation sensuelle et potion de coloquintes

Le cheminement du couple en dehors de leurs pérégrinations virtuelles est marqué par


la dislocation sensuelle de leur relation .En effet, la relation entre Neil et Iness se dégrade
fortement et le songe du succube influe négativement sur leur relation sentimentale. Une
atmosphère de suspicion s’installe et désagrège subrepticement le lien qui les unissait à ce
jour .L’agressivité verbale, la jalousie, les non -dits de la jeune targuie accélèrent le retrait de
Neil peu enclin à une discorde avec la jeune femme pour empêcher l’affrontement des mots
(…) le murissement des maux.359Iness commence à surveiller tous les faits et gestes de son
amoureux, fouillant ses affaires avec minutie pour ne trouver aucune trace de sa rivale
virtuelle. Ses soupçons à l’égard de Neil ne cessent d’augmenter et la targuie finit par lui
concocter une potion de pulpes de coloquintes au goût amer de petits melons jaunâtres pour
tourmenter ses songes en présence de l’apparition onirique .Après une nuit de douleurs à
l’estomac, Iness lui donne le breuvage salvateur pour le soulager. En conséquence, le songe
voluptueux s’estompe et Neil se réveillait la nuit la bouche saumâtre et la langue rêche 360
alors qu’Iness l’embrassait en mettant dans sa bouche un morceau de sucre ou de datte pour
adoucir l’aigreur de sa panacée.
Soulagé de ses tourments nocturnes, Neil se rendormait pour que la targuie
ensorceleuse fomente un scénario érotique à travers lequel elle revivait avec lui la fabuleuse

358
Iness et Neil sont face à leur reproduction exacte (…) parfaitement identique dans leurs moindres détails,
Ibid., p.72
359
On dirait le sud, p.156
360
Ibid., p.157

114
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nuit dans l’oasis .Cependant, l’effet de la potion de coloquintes s’estompe lentement avec le
temps. Les hyènes reprennent leurs ricanements jubilatoires pour lui dire que sa rivale est là,
avec lui, et qu’elle ne la voit pas au moment où Neil vient lui offrir un bouquet de lauriers
roses. L’intruse est là, elle est entrée avec lui .Iness sent son odeur et rompt la trêve en lui
intimant l’ordre de choisir entre elle et son songe récurrent. Pendant ce temps les hyènes ne
cessent de ricaner : Neil fait ce voyage d’opiniâtreté pour enfin matérialiser ce qu’il est venu
chercher dans ce désert .Le choix douloureux entre le réel et le virtuel le fait souffrir tout en se
délectant de sa propre souffrance qui lui octroie un pouvoir inopiné de vivre ses élans les plus
secrets et les plus contradictoires dans une profonde et sensuelle euphorie. La caverne aux
peintures préhistoriques s’embaume d’une forte odeur de roses parfumées dans la fraicheur de
la nuit étoilée :Iness et Neil ont fait l’amour dans l’étouffement pour le faire perdurer sans
l’intrusion de l’âpreté des coloquintes.
Au petit matin, lness se réveille satisfaite que l’illusion ne se soit pas invitée dans leur
voluptueuse et sensuelle romance mais son intuition ne trompe pas : Iness reste persuadée
qu’elle n’était pas loin, pas très loin, jamais trop loin.361

1.4.2. Rencontre avec le Père Balthazar

Avant de sortir de la grotte providentielle, Neil explique à Iness que dans le paradoxe
du temps, elle représente une réalité présente envoûtante qu’il savoure intensément dans son
immédiateté. Il considère que le temps qui passe inexorablement précipite la fin de tous ces
merveilleux moments du présent mais que vivre intensément notre présent pour pouvoir s’en
souvenir plus tard et construire les aspirations du futur est incontournable.362 La quête de Neil
est continuelle car la liberté recherchée ne le confine pas dans un seul chemin, dans une seule
immédiateté dont la stabilité le condamnerait inéluctablement à l’ennui. Neil est conscient que
dans ce désert une force occulte le pousse à rechercher d’autres réalités présentes révélées par
ses rêves nocturnes et se découvrir enfin dans une vie différente. Iness semble comprendre
qu’elle n’empêchera pas son compagnon de continuer sa route en quête d’absolu.
Après une brève rencontre avec une caravane d’hommes bleus qui leur confirment que
dans cet erg désertique, mirages, bizarreries et djinns semblent y faire bon ménage tout en leur
souhaitant la protection de Dieu, le couple entame avec une certaine sérénité l’ascension d’un
canyon abrupte au milieu de roches minérales et lunaires, énigmatiques et enchanteresses

361
On dirait le sud, p.164
362
Le temps est aigre-doux, mais chaque instant mérite d’être bien vécu. Ibid., p.166

115
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dans un froid glacial. Pour Neil, ils sont dans la maison de Dieu où tout est présence dans
cette forêt de pierres figées dont l’apparence rugueuse inspire un sentiment paradoxal de peur
et de recueillement. Au sommet de leur ascension, ils découvrent une mer de cendres
volcaniques grisâtres surplombant le sphinx gardien de la noble sépulture targuie où le couple
décide de passer la nuit. Arrivés à la frontière entre le reg et l’erg à l’heure du repos absolu, le
couple et la chamelle pénètrent dans un caravansérail où une immense khaima la maison de
bon Dieu y accueille les errants de passage. Un homme à la voix douce et éraillée : l’humble
père Balthazar emmitouflé dans sa soutane les accueille avec chaleur et humilité .Iness sait
que l’anachorète aveugle aux yeux azur vitrés par la cataracte est, en réalité, le seul rescapé de
sa communauté pieuse. Neil lui explique le sens de sa transhumance des mers glaciales du
nord à cette contrée aride et désertique du sud à la recherche d’invisibilités et d’immédiatetés
balisant son voyage par la contemplation de déserts. Quant à Iness, irritée par les
élucubrations existentielles de son compagnon, elle réplique en s’adressant au vieil ascète
qu’il lui appartient et que Dieu lui en est témoin : C’est le Sahara qui me l’a offert, et il est à
moi seule.363Le vieux prêtre leur parle de l’Alchimie de la vie - qui fait qu’aucun humain ne
souhaite la mort avant d’avoir vécu l’amour et ne réussiront que ceux qui se découvriront eux-
mêmes- et du bonheur parfumé qui fait tourner la Terre et l’univers.

1.5. « Enfilage » de récits seconds disparates

Nous notons que la dynamique narrative censée constituer le continuum narratif du


parcours de Neil seul dans un premier temps et en compagnie de la targuie dans un second
temps est constamment minée par l’intrusion de récits seconds, de remémorations
d’évènements antérieurs, de songes à travers lesquels Neil et Zaina communiquent en vue de
leur inéluctable rencontre au point B 114 .Ce sont justement ces récits seconds qui constituent
le cheminement de leur pérégrination entre la réalité du jour et les rêveries nocturnes d’une
continuelle apparition onirique que le naufragé voit alors que la Targuie sent uniquement sa
présence virtuelle .Les hyènes raconteuses d’histoires exacerbent la jalousie et les tourments
d’Iness qui ne supporte plus les silences de son homme sur ses affriolantes rêveries avec son
virtuel succube. De ce fait , nous constatons que dans cet ensemble de récits épars qui se
rejoignent toujours, les quêtes des personnages à la recherche d’objets- valeurs différents
génèrent l’imbrication de récits seconds et de discours intérieurs dans le récit mémoratif (Neil
se remémore) participant de l’éclatement du récit et du développement de discours

363
On dirait le sud, p.205

116
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ontologiques. Mati semble être constamment à la recherche de procédés narratologiques


nouveaux en multipliant les perspectives narratives par la mise en abyme de récits seconds et
introduit la polyphonie dans le discours. Il est incontestable que l’auteur privilégie à outrance
les dialogues et par là même la parole des personnages .Le récit des évènements dans la réalité
désertiques se trouve relégué au second plan au profit de récits seconds dans un univers irréel
de songes et de rêveries servant de support à la contigüité de discours d’ordre philosophico-
ontologiques divers.
Les récits seconds se greffent de manière disséminée dans le premier récit et mettent
en exergue le parcours onirique des personnages par le recours à l’anachronie externe que
sont les rétrospections et /ou les analepsies lorsque ce qui s’est passé antérieurement et
raconté ultérieurement. Les récits seconds se particularisent par leur brièveté et leur spécificité
narrative marquée par leur inadéquation au schéma quinaire classique .Dans cet univers
fantasmagorique, les protagonistes vivent de manière assez condensée leurs songes et /ou
leurs cauchemars qui parfois ne durent que le temps d’une aventure et /ou mésaventure
lapidaire mais tellement valorisés par la pertinence de leurs significations de nature
ontologique qui ont trait à la condition humaine et l’entité de l’Etre.

1.5.1. Remémoration du naufrage

Neil se souvient du dramatique naufrage de son bateau balloté dans tous les sens et qui
a fini par s’engloutir avec l’intégralité de son équipage par la furie de flots : ce fut lui que la
vie choisit et que les abysses refusèrent.364
Depuis ce naufrage, Neil décide de ne plus emprunter les chemins de ce cruel empire
des ondes qui a avalé les pauvres marins suppliciés et marqué à vie le jeune rescapé incapable
d’effacer de sa mémoire cette inénarrable tragédie . Désormais, Neil est en quête d’une autre
existence pour la vie, d’amour et de liberté à travers les oueds asséchés de cette contrée
désertique.

1.5.2. Récit mémoratif de la quête

Ce monologue dont Neil se remémore les paroles à l’attention de ceux -proches et


amis- qui lui demandent les raisons de cette aride traversée d’opiniâtreté, de quiétude et
d’oubli du temps, constitue une opportunité de clarifier les choses. Ce dernier sait que ce
périple qu’il compte entreprendre dans le désert est aussi une quête de liberté : Pour la

364
On dirait le sud, p.28

117
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liberté ! Pour la vie !365Il refuse de mourir en se laissant rejoindre par son passé de docile
habitué de convenances et du fait accompli. Sa quête d’une existence où il réapprend à vivre
et à aimer pour devenir un homme libre sous un ciel continuellement bleu 366se construit à
travers une profonde répulsion d’impostures, de promesses non tenues, d’injonctions, de
lignes de conduites mondaines et pécuniaires.

1.5.3. Songes du couple adultérin

La petite caravane se réfugie dans l’immense grotte providentielle située à plusieurs


journées de marche du point B 114, en vue de se détendre après son épuisante errance sous le
soleil de plomb de cet océan desséché .En consultant son plan géographique jaunâtre, Neil
révèle à sa compagne qu’il a fait un rêve cette nuit tout en refusant de lui raconter son
contenu. La targuie contrariée ne comprend pas son comportement distant alors qu’ils
constituent un couple fondé sur un amour certes adultérin mais authentique. Neil lui raconte
son songe dans lequel un miroir reflétait le visage d’une fille du nord sous l’emprise d’une
drogue au regard triste qui paraissait désemparée dans un désert d’une désolation et d’une
cruauté incommensurables : -Mes yeux ne pouvaient se détacher de la tristesse que dégageait
ce visage. Cette femme paraissait épuisée et habitée par les tourments367.Cette femme récitait
inlassablement une prose rimée à propos de leur ardent amour et dont il se rappelle encore :
Chaque regard que je devine posé sur moi, par toi, est une douce caresse (…) chaque caresse sur
ma peau est une panacée qui soulage tous mes maux (...) Chaque cri de mon cœur est hymne à la
joie parce qu’il est pour toi.368
Iness n’est nullement surprise par ce songe, elle qui a fait le même rêve cette nuit se
déroulant dans un temps ancien des ancêtres .Convaincue que cette onirique apparition
constitue un lien surréel et une sorte de connexion avec son compagnon, la jeune targuie
change de stratégie pour garder cet homme qui a quitté sa femme et ses enfants pour
recouvrer sa liberté. Le couple se réjouira dans l’amour charnel et s’abandonnera à la rêverie
sur le sable caillouteux de la caverne préhistorique.

1.5.4. Voyage astral et rêveries affriolantes

Alors qu’Iness dort toujours, Neil s’est réveillé au milieu de la nuit persuadé que le
poème de la belle inconnue lui est destiné. Le naufragé éprouve subitement une sensation

365
On dirait le Sud, p.29
366
Ibid. , p.29
367
Ibid., p.93
368
Ibid., p.94

118
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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inhabituelle : il ne sait plus s’il est en apesanteur ou sur la terre ferme. L’espace enchanteur Il
ressent un vide plein, un néant enivrant en buvant l’éther de la voûte céleste et en s’accrochant
aux étoiles filantes pour traverser les années lumières.369Neil se met à tourbillonner sur lui-
même et à graviter à une vitesse vertigineuse autour d’un carrousel ensablé d’astres et de
rochers célestes. Il fusionne avec toutes ces entités qui se sont mirées en lui jusqu’à se sentir
en même temps un grain de sable dans le désert et une étoile dans le firmament, un désert
constitué d’étoiles et une constellation parsemée de grains de sable.370
A la suite de son voyage astral, Neil voit défiler les mots de ses songes sur le sable
pour dessiner devant ses yeux envoutés le visage de la belle inconnue qui l’envoûte et
l’obsède continuellement dans la grotte excavée .Le désert lui offre des fantasmes sublimes et
des rêveries affriolantes qui prennent le dessus sur la réalité. Cette situation inédite gêne un
tant soit peu Neil qui aurait souhaité que la mince frontière entre le réel et l’irréel ne soit pas
bafouée. Il ne désire pas privilégier une dimension au détriment de l’autre persuadé que sa
quête ne peut aboutir s’il venait à perdre l’une de ces spatialités au cours de sa pérégrination.
Cette alternance libertine entre une réalité vécue avec Iness le jour et son rêve du succube au
crâne rasé la nuit constitue le moteur de sa force qu’est sa quête de l’impossible. Neil
hallucine et sourit à son songe en se penchant sur Iness demeurée circonspecte : La Targuie
sent que le sourire ne lui est pas destiné.371
La seconde rêverie inexpliquée de Neil est celle d’un hologramme nuageux
d’arabesques de chair et de volutes lascives expurgée de sa bouche tiède. Ce dernier se mue le
temps d’un songe en une belle inconnue qui le rejoint et disparait aussitôt. A son éveil, Neil
lui écrit par la pensée qu’il dépose par un baiser dans une fiole de verre qu’il referme avant
de la lancer par-delà les dunes et les montagnes en direction de l’Orient. La fiole roule
jusqu’au visage de Zaina qui s’en délecte en empilant goulûment les mots du poème dans sa
bouche.

1.5.5. Ultime élucubration libertine

Au moment où Neil refuse de choisir entre ses deux femmes la réelle et la virtuelle,
Iness décide de le sonder en lui demandant de lui raconter son dernier songe. Neil devient une
fois de plus narrateur intra diégétique d’un récit abymé qui participe de l’émiettement et de la
polysémie narrative et énonciative. Dans son ultime songe, Neil raconte qu’il se trouve dans

369
On dirait le Sud, p.109
370
Ibid., pp.110
371
Ibid., p.112

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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une gare à la croisée des chemins en possession de plusieurs tickets de voyage pour des
destinations opposées. Ne sachant quelle destination prendre, l’homme angoisse, panique et
tergiverse. Subitement tout disparait372, il se retrouve dans une frêle embarcation ramant dans
une mer haletante et concupiscente de plaisirs dont le miroitement fait alterner dans les eaux
le visage d’Iness et celui de la virtuelle .A chaque coup de pagaie donné, se désancre une
douce et évanescente volupté muant sans discontinuer en une frénésie de la jouissance, de
l’évanouissement.373
Neil lui raconte qu’il est incapable de savoir avec quelle eau il avait éprouvé le plus de
plaisir en étant suffisamment lucide pour soliloquer que la folie et le chaos de sa raison se
rejoignent dans son ardent désir de s’accoupler avec les deux femmes en même temps .Neil se
sent alors incapable de faire la différence entre le réel et l’imaginaire, le charnel et le
platonique 374 lorsque, désappointée ,Iness sanglote silencieusement incapable de comprendre
les sentiments polysémiques de Neil .Elle se met à étouffer ses pleurs dans le jeu des miroirs
en comprenant que son homme est un lien Mais le lien pour quoi et pour qui? 375

1.5. 6. Funérailles d’une princesse Targuie

Après avoir nettoyé l’endroit, le couple et la chamelle reprennent la route vers le sud.
Ils contournent d’immenses blocs de granite dont le plus grand a la forme d’un sphinx au-
dessus d’une petite pyramide-sépulture d’argile d’une princesse -qui semble monter la garde.
Neil imagine les funérailles en présence d’une assistance de guerriers valeureux et de
femmes dignes sous un ciel bleu azur au rythme de chants funèbres et liturgiques
accompagnés de bendirs. La jeune défunte targuie dont la tête serait ornée de pierres
précieuses et de trois coquillages blancs enterrée avec ses bijoux d’or et d’argent, Neil
l’imagine belle et élégante pour rejoindre sa dernière demeure alors que les touaregs
fossoyeurs l’enterreraient au rythme de chants et poèmes funèbres à propos de la princesse,
de l’amour et du désert. Le petit monticule de terre sur la sépulture prend la forme d’une
petite pyramide sur laquelle les parents de la défunte poseraient des pierres en dessous d’un
immense bloc de grès qui se muera avec l’aide des éléments en un sphinx, garde bienveillant
du tombeau. Ainsi, à la suite de leur brève rencontre avec des hommes bleus qui revenaient du
l’erg, Neil et Iness traversent d’étranges forêts de pierres et canyons .Le couple se retrouve
372
La gare, les quais et les trains s’effacent brusquement emportés dans les tumultes des flots .On dirait le Sud
.Ibid. p.161
373
On dirait le sud, p.161
374
Ibid., p.163
375
Ibid., p.162

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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dans un univers hiératique et lunaire au sein duquel le naufragé ressent fortement, à travers
son intuition aiguisée, la présence de Dieu malgré le vide de ces immensités de roches et de
blocs pierreux. Neil laisse vaguer son esprit à des élucubrations d’ordre philosophique qui ne
semblent guère intéresser Iness qui considère que ces méditations se synthétiseraient dans un
minuscule grain de sable. Pour Neil, cet univers inanimé aiguise son intuition et son
imaginaire et donne sens à ses réflexions métaphysiques :
Ici, le Rien devient le Tout et le Tout relativise le néant (...) la fin d’un commencement, le
commencement d’une fin .Ce Tout ne venant de Rien et ce Rien qui donne naissance au Tout. Ceci
est tellement extraordinaire ! 376
-Force équilibrante : La situation s’équilibre à la suite des retours concomitants des
protagonistes de l’histoire à la cabane du sibirkafi où les relations virtuelles entre Neil et
Zaina s’estompent pour laisser place à une nouvelle configuration relationnelle dans une autre
irréalité, celle du point B 114.
Retour au point B 114
Tous les protagonistes se mettent en route pour rejoindre le point B 114. Zaina se
réveille au sibirkafi adossée au vieil acacia le narguilé encore fumant et la pipe entre ses
cuisses et prend véritablement conscience de l’ubiquité du point B 114 et de son ostracisme,
onirique ou réel, bon ou mauvais, dans le désert des hommes qui lui a permis d’observer le
point B 114 sous différents angles, sous toutes les coutures, de toutes les distances .377Elle est
retournée à la cabane des djinns et des démons pour ne plus vivre de tourments et s’est
métamorphosée en une nouvelle Zaina épanouie, bien en chair, les cheveux repoussants et
rougis par le henné .Désormais, elle a embelli, elle veut plaire, séduire et être coquette malgré
le fait qu’elle soit seule : Je veux me sentir femme ! Soliloque la violoniste virtuose qui joue
de l’imzad pour les animaux du désert. La belle mélomane savoure sa nouvelle vie à travers
laquelle elle se découvre en cultivant de nouvelles et agréables sensations de fraicheur et
d’euphorie qui se terminent chaque soir en des larmes de bonheur , des chants aigus et de
youyous qui traversent toute cette contrée désertique .Quant au couple errant , le père
Balthazar leur conseille de rejoindre le point B 114 sans oublier de remettre à Neil une
amulette qui appartenait à la vieille défunte et un coquillage blanc- partie d’un tout- identique
à celui qu’Iness avait cassé et que son homme plaque à son oreille pour écouter les mélodies
des mers. Le vieil ascète sait qu’il leur portera bonheur dans leurs nouvelles prises de
décisions qui ne seront toujours que le commencement d’un autre processus, le

376
On dirait le sud, p.200
377
Ibid., p.247

121
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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commencement de quelque chose de nouveau. Le croisement des parallèles et la rencontre


avec Zaina au point B 114 sont inéluctables.
-Situation finale :Elle est déterminée par la rencontre mutuelle des fantasmes respectifs des
protagonistes de la narration lors du croisement des parallèles au point B 114.L’endroit est
soudainement devenu sublime de draperies ondulantes au nord, d’un voile lumineux -
alternant entre le rose et le bleu et dansant au rythme de la respiration du désert-tel un rideau
de scène- ondule en se rapprochant de la jeune femme intriguée et contemplative dans
des scintillements pastel accompagnés par le chant des vagues mourantes .378Alors que les
luminescences de la muraille lumineuse deviennent des hologrammes qui prennent des formes
corporelles marchantes : un couple avec une chamelle pénètre dans le champ de vision de la
bienheureuse médusée par la matérialisation de la prédiction de ses rêves bleus. L’homme
portant un coquillage blanc à son cou lui sourit alors que Zaina le toise en touchant son collier
constitué deux coquillages blancs : tu le sauras au moment même où tu le rencontreras. Tu le
sentiras t’envahir comme des vagues douces et lénifiantes.379Telle était la prédiction l’être de
lumière. Neil quant à lui se demande s’il n’est pas en train de rencontrer son rêve. La
pensionnaire du point B 114 reconnait la voix chaude et virile de l’homme qui ne cessait
d’occuper son esprit à travers ses songes bleus. Décontenancée, la jeune femme éprouve
toutes les difficultés à rester debout ; elle bégaye et finit par s’effondrer devant son fantasme.
Neil la reconnait et se précipite vers elle. Zaina retrouve ses esprits et Neil se présente avec sa
compagne la jeune Targuie qui réalise que son homme est en face de celle qui n’a cessé
d’occuper son esprit durant leur errance .Une fois les présentations effectuées, Zaina s’affaire
à se faire belle en attendant que ses hôtes se réveillent pour le diner. A ce moment-là, les
hostilités féminines sont de mise et elle met en pratique ses talents de séductrice en racontant
à Neil ses fantastiques voyages. L’homme se met à son tour à lui raconter les raisons de son
errance dans le désert .Il ne supportait plus la vie de convenances, de mondanités et de
contraintes plurielles telle que celle d’aimer qui provoque la hantise d’une fidélité
contractuelle (...) de ne plus pouvoir regarder l’autre avec mon cœur, mais seulement à
travers les contrats passés. 380Neil est devenu ce naufragé exilé du désert pour ne plus vivre
dans l’apparence et l’illusion du bonheur dans une quotidienneté insipide et ne plus être
abandonné par ses propres rêves.

378
On dirait le Sud, p.251
379
Ibid., p.252
380
Ibid., p.263

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1.6. Convergences au pointB114

Ce troisième parcours narratif commence au moment où les protagonistes se


rejoignent au sibirkafi .Iness a dore déjà compris que le songe de Neil s’est enfin matérialisé.
D’emblée, la targuie se méfie de la locataire émue devant l’offrande du désert: la jeune
targuie se met volontairement en retrait lorsque l’émotion submerge aussi bien son
compagnon que son songe matérialisé au moment de leurs retrouvailles, au moment de ce
rendez-vous du destin 381 : les parallèles se sont enfin croisés au point B114.
-Situation initiale : Zaina invite le couple accompagné d’Aniaz la chamelle blanche à faire
une halte au sibirkafi alors que les hostilités féminines ont dors déjà sournoisement
commencé. Surpris, Neil apprécie l’endroit tout en ressentant une étrange sensation de déjà
vu, peut même de déjà-vécu alors que les préoccupations de Zaina sont tout autres : elle désire
se faire belle382et préparer le diner en attendant le réveil du couple enlacé à l’intérieur383.
Pendant le repas, les deux femmes se toisent discrètement et échangent avec habileté des
propos sur leur beautés respectives, Neil n’hésite pas à complimenter Zaina pour la qualité de
son accueil en général et du diner en particulier.
La situation initiale enclenchée semble s’allonger à mesure que Zaina et Neil
échangent des propos ayant trait à leurs quêtes respectives avant qu’Iness ne surgisse pour
interrompre leur conversation d’ordre existentielle.
-Force perturbatrice : Alors qu’il ne se passe pas grand-chose sur le plan du
déroulement narratif, deux évènements viennent rompre cette langueur dans laquelle les
convives ne cessent de se complaire.
Le premier évènement qui vient rompre la linéarité narrative est le changement de
stratégie d’Iness à l’égard de sa rivale. Elle décide d’entretenir une relation cordiale et
avenante avec son hôtesse ennemie pour pouvoir mieux la combattre. La jeune targuie
soliloque dès son éveil : Pour mieux vaincre ton adversaire, il faut d’abord en faire un
allié. 384Elle propose à Zaina de jouer de l’imzad. Cette dernière ne se prive pas d’en jouer, le
cœur léger toutes ses mélodies, allant jusqu’à en inventer d’autres durant toute la journée .Elle
l’aide à enfiler autour de son cou le coquillage que venait de lui offrir Neil en guise de
remerciements.

381
On dirait le Sud, p.255
382
La maitresse des lieux (..) sort pour se mettre à son avantage. Rapide toilette, maquillage, eau parfumée .Ibid.
p.257
383
Elle a envie de se consacrer uniquement à ses invités et beaucoup plus, à Son invité .Ibid., p. 257
384
Ibid., p.265

123
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Le second évènement perturbant la situation initiale est sans conteste la disparition


subite d’Aniaz la chamelle blanche la matinée du troisième jour : Alors qu’ils se dirigeaient
vers le sibirkafi, la chamelle blanche s’effaça sous leurs yeux. Ils constatèrent, perplexes, que
la bête se désagrégeait, lentement, jusqu’à se dissiper complètement, avalée par l’air et le
sable385. Ces deux événements rompent avec la monotonie langoureuse qui se propageait
entre les convives du point B114 et ont pour conséquence immédiate de compromettre le
départ du couple vers d’autres horizons. Déjà, Iness pense que Zaina est l’instigatrice de cette
situation386 pour rester auprès de son songe matérialisé, tout en espérant, en son for intérieur,
la disparition de la targuie. Neil quant à lui ne semble pas mécontent de se trouver là, au point
B 114.Aucune dynamique ne s’enclenche à l’issue de cet évènement fantasmagorique auquel
le trio vient d’assister et plus rien ne se passe sur le plan du déroulement narratif. Le trio
termine sa soirée autour d’insipides banalités. Zaina prend de l’assurance face à son ennemie
targuie fortement convaincue d’être confrontée une démone .Cette dernière se félicite de ce
signe puisqu’elle vient de remplacer à l’identique le coquillage perdu durant sa période
tourmentée et démoniaque. Le trio s’endort dans une sorte de sérénité en espérant que
l’énigme de la chamelle soit au plus vite résolue.
-Dynamique : Elle s’enclenche la matinée du quatrième jour par une succession
d’évènements aussi distincts les uns que les autres et sans relation logiques entre eux. .
Le premier évènement est l’aventure que vont vivre les deux ennemies du sibirkafi
contre toute attente, alors que le trio sort du la cabane pour constater que la chamelle n’a
toujours pas réapparue .Le temps s’est figé, le vent ne souffle plus et le soleil inutile instaure
une atmosphère parfois bouffonne par sa bizarrerie 387.Les deux femmes se rapprochent
l’une de l’autre et conversent dans la sérénité à propos de Neil qui n’est en somme que
le reflet de leurs pensées. La complicité entre les deux femmes s’accentue lorsqu’elles
décident de fumer du chanvre pour se distraire. Les volutes de chanvre épicées se propagent
dans la cabane : Badinages, éclats de rire (…) les deux femmes bouillonnent (…) des silences
complices (…) des susurrements espiègles .Puis des éclats de rire (...) d’autres inhalations
(…) frôlements espiègles interrompent les silences de connivence. Puis des éclats de rire.388
Sous l’emprise du chanvre, les deux femmes dansent ensembles en se déhanchant
langoureusement. Elles invitent Neil à les rejoindre dans leurs postures lascives et lubriques.
385
On dirait le Sud, p.267
386
Elle pense que Zaina est un djinn, qu’elle a fait disparaitre leur monture, juste pour les maintenir
prisonniers dans sa cabane de sorcière. On dirait le Sud, p.268
387
Ibid., p.270
388
Ibid., p.278

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Surpris et gêné par cette situation inédite, Neil préfère sortir pour s’asseoir devant l’entrée de
la cabane. Il ne comprend pas ce qui lui arrive et regrette aussitôt l’absence de son épouse et
de ses proches abandonnés par-delà des flots.
Le second évènement met en exergue le récit mémoratif d’un journal de bord déliriel
que Neil aurait écrit en tant que capitaine de navire. Se languissant et se délectant d’une flore
luxuriante aux parfums enchanteurs dans des abysses irréels, Neil devient le narrateur de son
propre journal de bord en date du 1er avril au sibirkafi du point B 114 d’un navire échoué sur
des îles du paradis.389Il se met à les aimer toutes les deux et invoque Dieu, les diables et tous
les saints pour espérer s’approcher de ces océanides, de leurs seins, de leur grâce pour les
posséder et les asservir avec violence et cruauté.390
Le troisième évènement est l’apparition insolite en un claquement de sabot d’un
honorable cavalier- au regard magnétique, au burnous et au chèche pourpre sur un pur-sang
blanc-surgissant de nulle part. Un cavalier au chèche et au burnous pourpres surgissant de
nulle part apparait soudainement pour converser aimablement avec les convives du sibirkafi.
Le cavalier surprise précise que le gens du désert finissent toujours par se rencontrer.391 Les
enseignements du cavalier vont au-delà de leurs préoccupations : il leur parle d’un travail
fructueux bouclant la boucle au moment où chaque coquille retrouvera sa chair dans une
journée belle et généreuse. Au sujet de la mystérieuse disparition d’Aniaz, il les informe que,
dans son parallèle, il n’a rencontré ni humains ni animaux à part une caravane de
commerçants à trois journées de marche du point B 114.Zaina propose au valeureux cavalier
de faire une halte et se sustenter au point B114.Celui- ci refuse préférant étancher la soif de sa
monture avant de rapidement disparaitre englouti dans une autre dimension sous un soleil
brûlant et zénithal.
-Force équilibrante : elle se caractérise par deux évènements qui entérinent la
nouvelle configuration relationnelle du trio.
Le premier est la remémoration d’Iness d’une prédiction sans cesse ressassée par les
hyènes : le jour où le rêve de Neil se matérialisera, il se passera des choses
incroyables 392durant son sommeil.

389
On dirait le Sud, p.274
390
Alors, Diables, Dieux, laissez-moi partir avec les belles ! , Ibid., p. 274
391
Dans le désert, nous finissons par nous rencontrer tous car nous avons les mêmes ambitions et les mêmes
appréhensions .On dirait le Sud, p. 275
392
On dirait le sud, p. 280

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Le second est la prise de conscience de Zaina que l’homme qu’elle attend depuis
toujours et pour lequel elle a tant souffert est incapable de faire le choix qui s’impose393.Elle
découvre que la quête d’absolu de Neil ne le lui permet guère de s’immobiliser avec son
songe matérialisé. Par la suite, un autre songe prémonitoire s’est manifesté depuis dans son
esprit : ces derniers temps, je n’ai pas cessé de rêver de la mer. Elle m’appelait et dans mes
songes, je ne pouvais rester sourd à ses appels.394
Le troisième est la disparition de l’acacia la veille et dont aucun des hôtes du sibitkafi
ne s’est aperçu. La caravane annoncée par le cavalier au cheval blanc ne s’est toujours pas
manifestée .Les deux nouvelles amies passent leurs journées occupées à de lascives
élucubrations où l’une danse sur les mélodies jouées par l’imzad de l’autre. Elles planent
ensembles au rythme des volutes voluptueuses de chanvre indien épicé. Neil, quant à, lui
semble satisfait face au triptyque temporel de sa quête existentielle : Une force intérieure lui
dit qu’il est près du but, d’une fin ou d’un commencement.395
-Situation finale : un jour particulier, imbibé d’une fraicheur marine et différente des
autres s’installe avec langueur au point B114 véritable, point nodal de toute orientation. Le
soleil et la lune semblent déjà avoir pactisé pour cheminer ensemble, lentement, sur le reflet
bleu d’une mer lointaine, oubliant pour une durée d’un cycle la discipline céleste. 396C’est le
jour de l’harmonie et de la fusion des contraires, de l’est et de l’ouest, du nord et du sud qui
convergent vers le point le seul et unique point cardinal dans une atmosphère à la fois fragile
et sereine.
Zaina prépare trois narguilés et incite Neil à se shooter pour la première fois dans une
soirée délicieuse présageant un mirage qui peut matérialisera dans l’harmonie de toutes les
choses 397pour une extrême libération des sens et transcendance des fantasmes .Les deux
femmes se sont endormies ensembles alors que le coquillage de Zaina est venu se glisser
autour du cou de Neil persuadé que sa quête est bel et bien arrivée à son terme. Iness a déjà
rejoint la couche de Zaina en lui posant une main douce et chaude sur le ventre. Elles
comprennent que l’homme n’était que leur propre reflet, que le Lien398 de leur fusion éternelle
: les deux femmes s’enlacent tendrement .Autour du cou d’Iness, un coquillage s’entrechoque

393
Cet homme est à la recherche de quelque chose qui la dépasse et qui le dépasse aussi .On dirait le Sud. p.
280
394
Ibid., p. 278
395
Ibid., p .281
396
Ibid., p. 284
397
Ibid., p. 287
398
LIEN/NEIL

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avec celui de Zaina. 399Neil quant à lui, s’en est allé vers le nord réconcilié vers ses origines.
Enfin, grâce à ses élucubrations fantasmagoriques, il réconcilie ces repères antinomiques et
magnétiques que sont le Nord et Sud qui donnent un sens à la vie parce que nous sommes
tous connectés à une formidable énergie, la substance première avec laquelle ont été
construits l’espace, les étoiles, la Voie lactée, notre terre, la nature et enfin, nous, les êtres
humains et les autres .400

399
On dirait le Sud, p.290
400
Ibid., p.293

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PN1 : celui de pérégrinations de Zaina dans le désert des hommes


Quête Compétence Anti-programme Espace-temps
- Sujet : Zaina Savoir : acquis grâce : - Amnésie et Temporalité indéterminée :
amnésique, privée Au miroir sans tain : tourments liés à Espace onirique :
de volupté et - toute chose occupe la tension - Sibirkafi au point B114
d’amour des gradations, des constante d’une - Le zoo en folie
- Elle se demande étapes sérielles : Le vie sans amour,
visage de cet alter- sans passion, - La montagne des damnés
ce qu’elle fait là ;
elle est en quête égo constitue sans volupté. - Le lupanar ensablé
de subterfuges qui - Le présent de - Calvaire des - L’œil du cyclone
réveillent ses chacun est entouré sens, tendance
souvenirs furtifs de plusieurs au suicide,
pour «désapprend mondes. hystérie
re » le présent. A l’histoire de la démoniaque,
- Elle désire montagne damnée : tergiversation
uniquement fumer - Les gnomes qui ont entre piété et
du chanvre pour voulu faire de impiété par
s’évader vers un l’enfer une religion rapport à
espace irréel. en asservissant leur l’aphasie d’une
liberté de pensé par divinité sourde à
- Objet-valeur : elle ses
en quête d’un lâcheté et leur refus
de se révolter supplications.
mirage représenté
par le visage de - Folie, isolement
Neil La vieillerie aveugle : et désespoir ;
- Les signes de la néantisée par la
- Elle en quête d’un perte de tous ses
bonheur que lui main gauche: son
destin est lié aux capteurs
apporterait un sensoriels
inconnu virtuel deux autres lignes
dont elle est parallèles à celle de - Rencontre de
tombée sa vie et qui se personnages
amoureuse. rejoignent vers le fantasques et
bas. maléfiques : le
- Etat initial: pachyderme
Disjonction - Prédiction : Zaina
trouvera une dirlo nourri aux
agréable surprise putrides
dans un désert excréments de
lénifiant et il ne lui ses supérieurs
reste que le meilleur hiérarchiques,
à vivre protubérances et
Rêve énigmatique et gargouilles
prémonitoire où elle vivantes
ingurgite les mots incrustées aux
d’amours de Neil en parois de la
ouvrant la fiole de verre montagne, un
qu’il lance par-delà la prédicateur à la
dune soutane noire et
Mouloud le Targui: aux yeux rouges,
lézards
- Le désert et les homochromique
gens peuvent êtres s, caméléons
conciliants et dévots à
éclairés l’apparence
- Les rêveries sont un humaine.
outil pour entrer en
contacte avec les
mondes parallèles

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Commentaire :

Nous résumons le premier parcours narratif dans le tableau qui récapitule notre
analyse. Le sujet - actant Zaina se réveille enfermée dans une masure au milieu du désert au
point B 114 en compagnie d’un bougre dégoûtant pour lequel elle ressent une profonde
aversion et se demande ce qu’elle fait là. Zaina est amnésique et ne sait pas d’où elle vient.
Elle passe ses journées à fumer du chanvre indien la faisant planer dans des
hallucinations vaporeuses d’un voyage bleu au-delà du réel et du temps Soudainement, Noure,
une créature de lumière androgyne se présente à elle lui prédit que des visiteurs se dirigent
vers le point B 114 avant de lui offrir des coquillages blancs. La jeune femme se réveille de
ses rêves vaporeux dans l’espoir de revoir l’Etre de lumière et de rencontrer ainsi quelqu’un à
qui parler et qui lui montrerait son chemin. Elle est à la recherche d’un objet -valeur qu’elle
ne définit pas avec précision .Privée de ses instincts voluptueux dans la tension constante
d’une vie sans passion, Zaina espère renaitre ailleurs dans l’espoir qu’un homme viendra lui
apporter le bonheur. Le sujet-actant part en quête d’un sens à son existence dans un espace
hallucinatoire où son esprit vagabonde au gré des volutes de vapeurs de chanvre indien d’un
narguilé branché au téléviseur. Zaina va vivre des aventures effroyables dans la montagne des
damnés en compagnie de nains dévots assujettis par un prédicateur satanique .Un chef ce clan
barbu la battra à mort pour urinant sur la polytraumatisée réconfortée par l’énorme matrone
d’un lupanar ensablé et elle est dans l’œil du cyclone en lévitation autour duquel gravitent des
spots subliminaux et les personnages rencontrés au cours de sa pérégrination
onirique :chiffons ensanglantés, poupées nues, le primate du point B 114 , le tyran aux yeux
rouges et des plaques de roches en lévitation .Une boule de colère prend forme dans sa
bouche et se transforme en fibrome -un fœtus de gnome méchant qu’elle éructe dans une
douleur incommensurable grâce au cannabis ingurgité dans la précipitation : Elle prend
conscience de son trop plein d’existence détestant la notion même de bonheur jusqu’ à lui
trouver des tares et ne faisant plus la différence entre le bien et le mal. Sa quête semble
stagner jusqu’à sa rencontre avec la vieillerie aveugle qui l’exhortera à retourner au point B
114 où une agréable surprise l’attend dans un désert lénifiant et Mouloud le chef targui
qu’elle rencontre dans le caravansérail et qui lui confirmera que le désert et les gens peuvent
êtres conciliants , que les rêveries constituent le moteur de son existence , de la création de sa
vie et des mondes parallèles qui l’entourent..Cependant, elle demeure sujet disjoint de son
objet -valeur tant qu’elle n’a pas rencontré l’homme qui occupe continuellement son esprit.

129
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

L S D est le troisième roman paru en 2009 et à travers lequel nous tenterons de


confirmer que l’écriture de Djamel Mati connait un nouvel élan en allant au-delà des
innovations narratologiques du dytique constitué de Aigre-doux et On dirait le Sud tous deux
sous-titrés les élucubrations d’un esprit tourmenté .Roman atypique, LSD marque d’emblée
sa singularité dans la mesure où l’histoire se déroule non plus dans le désert mais dans la
petite ville anglaise de Shrewsbury où Charles Darwin Junior descendant du père des théories
évolutionnistes rencontre Lucy l’australopithèque et mère de l’humanité pour un parcours
initiatique commun fondé sur des questionnements ontologico-existentiels. La cabale
hallucinatoire du couple trouvera finalement sa quintessence dans la matrice originelle au sein
du désert de l’Afar en Ethiopie. L’écrivain nous entraine sans vergogne dans un voyage dans
le temps à la recherche des origines de l’homme et de son anthropocentrisme tout en
s’interrogeant sur Dieu et les fondements de l’existence. Ce roman puzzle met en exergue une
nouvelle écriture fragmentaire dont l’ultime finalité est la consécration d’une mémoire
originelle remise en question par les certitudes d’ordre existentielles qui sous-tendent
l’anthropocentrisme de l’homme prédateur. Au plan formel , Mati prend à contre-pied les
modèles du genre par la fluidité d’une écriture développant un continuum narratif sous forme
de puzzle d’ un univers fantastique et hallucinatoire oscillant sans cesse sur une frontière entre
le réel et le chimérique , entre une intrigue ecclésiastique à travers la figure satanique de Sony
Natas et le périple onirique de Charles Darwin Jr et de Lucy l’australopithèque au bord des
eaux du lac Afar en Ethiopie .Le couple insolite traversera l’Histoire de l’humanité, de son
origine matricielle jusqu’en 2051 en compagnie de Lucy l’australopithèque qui lui dispense
par la même une leçon de vie et d’humanisme. 401 C’est justement ce continuum narratif
éclaté que Mati élabore sous forme d’un véritable puzzle évènementiel que nous tenterons de
mettre en lumière à travers l’analyse narratologique du roman. Dans son architecture
externe, LSD se présente en trois parties qui s’intitulent LIENS pour la première SECRETS
pour la seconde, et DES DESTINEES pour l’ultime partie du roman. LSD trouve aussi son
originalité par son prologue qui met en exergue une description poétisée du Bigbang, de la
genèse du monde de cette éjaculation céleste 402du premier instant du Tout corroborant un
questionnement d’ordre existentiel : d’où venons- nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-
nous ? Quelle mission avons –nous ? Ces trois parties sont précédées d’un prologue qui - au-
delà de la description poétisée de la création du monde dans le désert de l’Afar -met en place

401
Rencontre avec Djamel Mati in Le Temps d’Algérie du 19/10/2009 par Kheira Attouche
402
LSD, Editions Alpha, Alger, 2009.

130
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

les univers diégétiques dans lesquels Charles Darwin et Lucy l’australopithèque et mère de
l’humanité vont vivre leur aventure fantasmagorique jusqu’à désert de l’Afar en Ethiopie
pour refonder ensembles une nouvelle humanité.

1. Articulation des évènements

Mati n’en finit pas de partager avec le lecteur ses fantasmagoriques élucubrations où
Lucy la mère de l’humanité surgit de nulle part dans la vie du couple constitué de Charles
Darwin Junior et de sa compagne Suly Lenon qui attend un enfant. Lucy l’emmène dans une
aventure extraordinaire où ils traverseront ensembles les ères et les époques depuis le Big
Bang jusqu’en 2051- date de l’apocalypse décrétée par les forces du mal symbolisées dans
l’intrigue ecclésiastique par le personnage maléfique de Sonny Natas. Ce dernier exécute les
ordres de ses supérieurs hiérarchiques du Vatican dont l’objectif ultime étant de supprimer
Charles Darwin pour l’empêcher de fonder avec l’australopithèque une nouvelle humanité
dans l’Eden de l’ Afar et faire perdurer les mystères du secret du monde . Ce roman à tiroirs
ontologico-existentialiste marque son originalité en tant qu’intrigue ecclésiastique qui se
présente sous la forme d’un puzzle narratif constitué de paragraphe non chiffrés .Nous
présentons ci-après l’articulation évènementielle du roman :

Prologue : Du rien au Tout

Les Liens

A Afar et en tous lieux ………………………………………………………..… p.21

Shrewsbury ……………………………………………………………….…….. p.25

Les rêves de Lucy ………………………………………………………………. p.33

Elle est belle…….Charles ………………………………………………………. p.53

La mission ……………………………………………………………………..... p.61

Frère Natas ………………………………………………………………….…... p.69

Quelque chose qui séduit ………………………………………………….……. p.75

Du lit au berceau ………………………………………………………………... p.83

Face- à- face ……………………………………………………………….……. p.87

Secrets

Lueurs Saintes Diffuses ……………………………………………………….... p.99

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Révélations en cascade ………………………………………………………...... p.107

Lucy stigmatise Darwin ………………………………………………...……..... p.117

Lucy et son Dieu …………………………………………………………...…… p.123

Lui Seul décide ………………………………………………………………...... p.133

Les souches du danger …………………………………………………...……... p.143

Lendemains Sombres pour le Destin …………………………………………… p.157

Les fragments du puzzle ………………………………………………………... p.171

…des Destinées

Lucy Séduit Darwin ………………………………………………..…………… p.183

La communauté ………………………………………………………...……….. p.191

Derrière la porte ……………………………………………………….………... p.201

Les chiffres ……………………………………….……………………………... p.225

Pierre qui roule …………………………………………………….…………..... p.235

Samedi 6/6/70 …………………………………………………………………... p.249

Alea jacta est ? ………………………………………………………………….. p.261

Afar, l’Arcadie retrouvée ……………………………………………………… p.271

Epilogue Tout rêve

Il est indéniable que LSD est un roman qui diffère des deux précédents sur le plan de
l’organisation narratologique .D’emblée, ce roman marque son originalité par le fait que cette
épopée ne débute qu’après un prologue de la genèse du monde- phénomène de transformation
de la matière incommensurable- restituée dans une prose poétique singulière d’un Tout
émergeant d’ un Rien et s’apprêtant à faire un nouveau rêve à l’issue d’une trame narrative
situant l’action au-delà du réel dans un univers spatio-temporel dépassant largement celui du
polar évangélique. En réalité il n’y a qu’un seul récit qui est celui de la pérégrination au-delà
des ères et des époques de Charles Darwin Jr et de Lucy l’australopithèque Lucy
l’australopithèque pour traverser l’humanité jusqu’en 2051 – à travers une intrigue
ecclésiastique dans les mystères des secrets du monde contenus dans les manuscrits dans des

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grottes des collines désertiques bordant la mer morte et trouvés accidentellement par des
bergers bédouins entre 1947 et 1956 à proximité du site de Qumran en Transjordanie .Le
Vatican se garde , à ce jour , de divulguer au monde le contenu de ces parchemins- rédigés
entre deuxième et le premier siècle après JC- susceptibles de porter un autre regard sur les
dogmes religieux du christianisme primitif.
Au plan narratologique, le lecteur ne manque pas d’être surpris par l’intrusion
anticipée de fragments narratifs et discursifs d’ordre ontologico-existentialiste dont
l’énonciateur n’est autre que Lucy – l’australopithèque et narratrice intra diégétique .Ainsi,
dans cet ensemble s’imbriquent moult anachronies, par le recours au procédé narratif qu’est
l’analepse403, qui s’invitent dans le continuum narratif de leur cabale hallucinatoire des
protagonistes de l’histoire .Ces derniers convoquent impliquant l’humanité à travers les
siècles jusqu’au lac de l’Afar aux milles couleurs en compagnie de la communauté verte et
son charismatique leader ainsi que d’une tribu targuie menée par le personnage de Mouloud404
. Ce mode d’amplification que l’on pourrait appliquer au récit est aussi définit par G. Genette
comme procédant …
… par insertion d’un ou plusieurs récits seconds à l’intérieur du récit premier. Second à prendre
ici non pas du point de vue d’une hiérarchie d’importance, car un récit second peut fort bien être
le plus long et /ou le plus essentiel(…) quant au niveau de médiation narrative : est récit second
tout récit pris en charge par un agent de narration intérieur au récit premier. 405

1 .1 Agencement du système des évènements

Nous proposons de présenter l’analyse sémiotique de séquences qui construisent le


récit premier puis des récits seconds abymés qui mettent en exergue l’éclatement des quêtes et
le développement des discours plurivoques. En effet, les séquences évènementielles dans LSD
s’organisent dans une sorte d’éclatement dans l’espace dans la mesure où la quête de Lucy et
Charles se déroule dans un univers spatio-temporel qui dépasse le cadre de l’enquête
ecclésiastique. Le couple inédit effectue un voyage astral de la genèse du monde jusqu’en
2051 alors que l’australopithèque s’affaire continuellement à expliquer à Charles le sens de
leur pérégrination à travers les hallucinations dues aux vapeurs et volutes de chanvre. En
effet, Lucy –mandatée par Celui qui Sait Tout- fait voir et sentir les choses au jeune étudiant

403
Genette définit l’analepse comme suit Toute anachronie constitue par rapport au récit dans lequel elle
s’insère-sur lequel elle se greffe-un récit temporellement second, subordonné au premier.. », Figure III, Paris,
Ed du Seuil, coll. Poétique, 1972, p. 90
404
Mouloud le fiancé d’Iness dans On dirait le Sud.
405
Genette, Gérard. Figures II, Paris, Ed .du Seuil, coll. Points, 1969, p.201

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

consommateur de cette drogue synthétique crée par Timothy Leary -406 en vue de lui faire
prendre conscience de l’anthropocentrisme de l’homme compromettant l’avenir de la planète.
Générées par des objets-valeur différents, les quêtes des personnages en lice diffèrent les unes
des autres. Nous tenterons par conséquent d’analyser les itinéraires narratifs pour montrer
comment se matérialise cet éclatement des quêtes. Les parcours narratifs des protagonistes de
l’histoire étant agencés de manière non -linéaire .En effet, ce roman met en exergue des plans
relatifs aux quêtes des protagonistes qui, dans un premier temps alternent de manière à
façonner une narration totalement éclatée et qui finissent dans un second temps par se
rejoindre sur le plan diégétique. Ainsi , nous remarquons que les quêtes des protagonistes sont
singulières mais sont rattachées les unes aux autres dans un schéma manichéen sous tendu par
des considérations d’ordre existentiel puis que Lucy et Charles luttent pour la refonte d’une
nouvelle humanité alors des forces occultes s’affairent à les contrecarrer pour que
l’apocalypse ait bien lieu en 2051 .Nous présentons les parcours des protagonistes de
l’histoire disséminés à travers un continuum narratif éclaté en suivant le fil de leurs péripéties
auxquelles des récits mémoratifs et /ou hallucinatoires relatifs à l’Entité de l’Etre s’y greffent
et accentuent par la même la dissémination fragmentaire d’une narration-puzzle. Charles et
Lucy unissent leurs forces pour être à la hauteur de la mission divine. Nous présenterons des
parcours narratifs des protagonistes de l’histoire complètement fragmentée par
l’entrecroisement de séquences narratives qui appartiennent à des strates spatio-temporelles
toutes aussi éloignées les unes des autres .Par conséquent , nous mettons en exergue le fait
que LSD est un roman-puzzle à structure cyclique. En effet, le prologue met en valeur les
premiers instants de la genèse du monde passant du silence au vacarme 407 et l’épilogue
intitulé Tout rêve celui du processus cyclique de la création du monde partant d’un Rien
pour devenir un Tout et ainsi de suite. De ce fait le prochain rêve humanitaire se fera aussi à
partir d’un Rêve, d’une Illusion, d’un Rien générateur d’un nouveau Tout, d’une nouveau
monde , d’une nouvelle humanité dénuée de tout anthropocentrisme de l’homme
s’asservissant lui - même en souillant sa terre- mère Gaia par une posture de despote
prédateur .En romançant l’origine de l’humanité et son chaotique et inquiétant devenir lié à
l’anthropocentrisme de l’homme , Djamel Mati veut que ses lecteurs comprennent que
l’homme devient petit ,insignifiant , infinitésimal devant l’immensité de notre monde censé

406
Le pape de la contre-culture américaine et du mouvement hippie.
407
Cette expression est de Djamel Mati dans l’interview. C’est une histoire complètement déjantée par Yacine
Idjer extrait d’ Info soir du 17/06/2009

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être un paradis terrestre si son anthropocentrisme ne s’était pas inoculé dans le conscient
collectif depuis des milliers d’années .408

1 .2.Structure narrative cyclique

Nous sommes en présence d’un roman atypique dont le prologue romançant la genèse
du monde , d’un Tout issu d’un Rien et d’un épilogue qui conclue ce processus cyclique de la
création du monde partant de là où il n’y a rien pour arriver à un Tout qui s’apprête à faire
un nouveau rêve 409, un nouveau monde . LSD obéit sans conteste à une structure narrative où
l’épilogue reprend en quelque sorte le prologue pour en devenir la continuité comme si il
devait à son tour constituer un incipit, une alternative à un éternel recommencement. Sur le
plan formel, le prologue et l’épilogue se présentent dans une architecture singulière prenant
des formes pyramidales au fur et à mesure des étapes menant du Rien là où rien ne bouge, où
tout s’éloigne aboutissant dans son éternel recommencement au Tout.
Prologue Du rien au tout
Ce prologue débute par une description poétique du commencement du monde, du Big bang ,
de la genèse , premier instant du Tout et naissance de la temporalité succédant au Rien , au
néant , éjaculation céleste partant d’un Rien , d’un silence , d’un vide , d’Immobilité , d’une
intemporalité , du sans verbe au verbe …
Il décontenance de manière quasi immédiate le lecteur qui découvre avec stupéfaction
cette prose singulière à la forme pyramidale par un premier mot RIEN symbolisant le Vide, le
Néant qui engendrera le Tout par la suite par un assemblage de mots et de locutions décrivant
cette genèse, prélude, d’une création, gésine d’un mouvement issue d’un Rien et à l’origine
du Tout.

1.2.2. Epilogue du Tout rêve

Ce dernier reprend dans une forme pyramidale le processus cyclique inhérent à la


genèse du monde partant d’un Rien pour aboutir à un Tout à l’instar de l’épilogue qui charrie
une thématique analogue où un néant infinitésimal qui se met à convulser telle une
membrane insignifiante par de drôles de particules imprévisibles dans une éternité éphémère
sempiternellement renouvelée (…) sans volume sans mesure sans temps. 410

408
Notre monde qui a mis 5 milliards d’années pour se construire dans une évolution naturelle, lente et
harmonieuse était censé ressembler à un véritable Eden sur Terre Info soir du 17 /06/2009.
409
LSD, p.282
410
LSD, p.282

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C’est autour du périple du couple insolite constitué par Charles et Lucy qui
appartiennent à des strates de temps tellement éloignées que s’articule tout le récit. Le couple
est aussi par ricochet au centre d’un enjeu ecclésiastique et métaphysique impliquant
l’humanité dans son intégralité. En effet, les forces maléfiques s’unissent pour les empêcher
de faire régner l’amour et la paix sur terre. Dans la syntaxe narrative, le couple inédit
constitue l’objet -valeur que poursuivent ces forces du mal représentées par le personnage
satanique et ecclésiastique de Sony Natas qui œuvre sans relâche pour que l’apocalypse tant
attendue les suppôts du diable devienne réalité. Mais avant de s’unir pour la mission divine, le
narrateur extra diégétique narre leurs préoccupations antérieures en posant les jalons de leur
rencontre future individuellement et de manière alternée. En revanche, ces jalons que pose le
narrateur avec sagacité se traduisent d’une part par le prologue de la création du monde partie
d’un Rien pour aboutir à un Tout sous-tendant des questionnements d’ordre existentiel et
d’autre part par le voyage onirique de Lucy au fil des temps à l’Afar et en tous lieux , de
l’Eden au bord du lac aux eaux translucides tour à tour , boule incandescente , plancton ,
crustacé, poisson puis reptile rampant et pondant des œufs puis bipède pour redevenir
plancton dans des profondeurs abyssales , homo habilis et homo erectus , se retrouvant même
sur un arche au milieu d’animaux et alternant des expériences spirituelle et existentielle tantôt
parmi les Croisés, tantôt parmi les musulmans ballotée entre l’est et l’ouest , l’Orient et
l’Occident, esclave de négriers du continent américain, victime à Hiroshima jusqu’à
l’apocalypse en date du 2051 où elle redevient plancton-premier maillon d’une longue chaine-
sans pouvoir s’extirper de ce cauchemar apocalyptique auquel elle assiste dans un état
d’asphyxie léthargique insoutenable. A Shrewsbury, Lucy entre en communication avec le
jeune étudiant marqué par son échec au concours d’anthropologie pour lui enseigner la
dimension ontologico-spirituelle qui les mènera tous deux à fonder une nouvelle humanité
dans le désert de l’Afar en compagnie de sa fiancée Suly Lennon, des hippies de la
communauté verte et les touaregs menés Mouloud leur chef emblématique.

1 .3 PNI : Trajectoire de Charles Darwin Junior

1.3.1. Cabale délirielle

Le narrateur omniscient décrivant la genèse du monde met en place un univers


diégétique oscillant entre le Nord et le Sud, entre la petite localité de Shrewsbury en
Angleterre où vivent Charles Darwin Jr et sa compagne Sulu Lennon et le désert de l’Afar, le

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berceau de l’humanité situé en Ethiopie où la mère de l’humanité l’australopithèque Lucy a


été découverte par le célèbre paléontologue Yves Coppens.
-Etat initial :A Shrewsbury, le jeune étudiant en anthropologie Charles Darwin Jr quatrième
petit fils du célèbre naturaliste Robert Darwin père de la théorie évolutionniste sur les origines
de l’homme vient d’échouer au concours d’entrée en maitrise d’anthropologie culturelle,
recalé par le professeur et pasteur Sonny Natas alors que sa compagne Suly, elle, y est
admise. Charles, quant à lui, ressent une déception telle qu’il décide de ne pas rejoindre ses
parents au milieu de borborygmes de mouches bleues aux ailes invisibles qui harcèlent sans
cesse son esprit dans le hall de l’Académie. Il est convaincu que les curieux acouphènes411,
ces drôles de cris sont à l’origine de son échec au concours d’anthropologie. Il décide de
passer ses journées à écouter les Beatles en compagnie de Suly sa Yoko Ono de Shrewsbury
pour laquelle il éprouve une profonde admiration412 et de Who sa tortue à la carapace
bigarrée dans une sorte de dilettantisme épicurien où les plaisirs de la nourriture et de l’amour
sont de mise .Suly est de bonne humeur .Elle est heureuse et disponible pour que son
amoureux lui parle enfin de ses rêves éveillés qui ne cessent de hanter son esprit et de Gaia
dans la mythologie grecque. Charles se concentre alors sur quelque chose d’invisible flottant
dans la chambre que Suly ne voyait pas, tout en ressentant une fraicheur épicée ondoyant au-
dessus du lit. La chaine stéréo se met en marche toute seule pendant qu’une mélodieuse
chanson de Georges Harrison à la cithare se propage dans l’espace et remplit par gradation la
chambre à l’instant même.
-Force perturbatrice : Charles vit en son for intérieur un désordre mental au moment où son
rêve s’entremêle à la Voix qui vient de lui faire de graves révélation sur Gaia, la terre-mère
qui est désormais en train d’agoniser et que le moment est venu de d’accomplir une mission
cruciale pour réorganiser l’ordre du monde et des choses. Le périple de Charles ne fait que
commencer et les bourdonnements incessants dans son esprit se sont mués en cette voie voilée
d’une guenon qui lui parle de sa propre quête. Lucy commentera sa cabale hallucinatoire en
compagnie de Charles Darwin à travers le temps et l’espace jusqu’à l’apocalypse en
2051.413En outre , sa compagne Suly l’exhorte à se confier au Professeur et frère Natas qui en

411
LSD, p.29
412
De mère japonaise et de père anglais, Suly réunissait tous les charmes et toutes les beautés du Levant au
Couchant. Le visage délicat, la bouche pulpeuse, un peu moqueuse(…) les cheveux de jais, soyeux, coulaient
(…)à hauteur de ses seins en forme de poires pleines .Le corps svelte, élancé, les jambes interminables ,les
hanches généreuses, le ventre ferme faisaient d’elle la top-modèle de l’université .LSD , p.77
413
Je suis descendue de l’arbre pour aller sur les pieds transmettre la sève, semer mes rêves sur les terres
arables (…) je marche en tête du groupe (…) je dois changer le destin de notre…mère nourricière.LSD, p.67

137
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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déduira que Charles est bel et bien le Maitre de justice , fameux secret que les forces du mal
occultes et /ou ecclésiastiques ont caché au monde pour éviter cette incontournable prédiction
salvatrice que des Lueurs Saintes se sont attelées durant des millénaires à Diffuser aux
hommes .Enfin, une jeune hippie chante une chanson des Beatles dans un bar en y intégrant
Lucy en remplacement de Marie et seul Charles s’en est rendu compte.
- Rêve de Gaia: La situation qui prévalait était sous tendue par une atmosphère lourde en
attente de l’évènement qui ferait en quelque sorte sortir Charles de sa léthargie qui ne cessait
de museler son état d’esprit dans une forme de désespoir dans lequel il ne cessait de se
complaire. Lucy prend les choses en main et le contacte directement dans un monologue
onirique ininterrompu à travers lequel les phonations inintelligibles se muent en sonorités au
sortir du plus traditionnel pub de Shrewsbury le Révolution où Charles venait de consommer
des bières .Le jeune homme rentre tardivement au studio une enclume sur le cœur 414 pour
s’allonger près de Suly qui dormait nue comme d’habitude .Les phonations insaisissable se
font de nouveau entendre et se muent en un monologue onirique , sibyllins et curieusement
compréhensibles pour le jeune étudiant qui n’en revenait toujours pas :Charles, je suis venu te
dire que Gaia est en danger de mort(…) aide- moi à vous le faire comprendre à toi et aux
autres, car j’ai peur pour vous .J’ai aussi peur pour elle (…) je t’aime Charles (…) vous
devez la respecter. Vous devez sauver Gaia (…) elle est belle….notre mère Charles.415
Le rêve audible perdure car Lucy l’invite à s’imaginer nu et allongé sur une herbe
tonifiante en sa compagnie au bord d’un lac aux eaux translucides et scintillantes qui
envoutera de plaisir leurs âmes et cœurs homophoniques de cette mère enivrante de beauté et
de sensualité dans sa nudité originelle.
- Hallucination de soi dans le tourbillon régressif du temps
Charles est en sueur et sa vue se trouble et ses paupières se dilatent tant l’oxygène lui
manque .Le jeune étudiant se met à trembler sur son lit au rythme accéléré des battements de
son cœur qu’il entend battre de manière criarde. Charles vit un véritable chamboulement
physiologique de son âme : il hallucine et se voit devenir le lit luminescent du fleuve d’une
pâte de miel onctueuse aux couleurs psychédéliques accompagnées d’une mélodie musicale
au goût maternel 416 qu’il voit et boit en même temps lesquelles obéissent à ses pensées qui ne
lui obéissent plus .Charles devient le narrateur-spectateur de son propre état hallucinatoire
singulier oscillant d’une posture à l’autre dans une perception libérée et sans frontière,
414
LSD,p.56
415
Ibid., p.58
416
Elle a le goût du vin, de la menthe, du jasmin et du lait de ma mère .LSD, p.83

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alternant d’une extrême à l’autre et fermant les paupières sur la mince frontière entre le réel.et
l’irréel : Ma pensée est libre d’assujettissement et de désobéissance. Je suis, je ne suis
plus(…) fusion absolue (…) moi en émoi .Emoi sans moi. Effroi en moi .Froid sans moi.
Chaud émoi (…) je suis molécule qui vit .Je suis la molécule qui vit .Je suis la mole éculée qui
se régénère.417
Charles l’halluciné s’isole dans cette mince frontière entre le réel et l’irréel, dans un
monde intermédiaire dans une identification affranchie entre le perçu et le percevant ; entre
le reçu et le récepteur, entre l’être conceptuel et le monde sensible 418.Charles le dormeur
endolori se couvre de ses propres rêves et se voit kaléidoscope poussant ses propres parois
dans l’infini puis feuilletant les pages -rêves de son roman onirique dans lequel il choisit
couleurs et mélodies musicales de jazz ,de rock , de folk et de pop se muant en spasmes
violents derrière sa tête puis en chocs durs au creux de l’estomac 419.Les visions du narrateur
éparpillé - dont le corps s’éparpille au-delà des cloisons de la pièce qui a déjà épouser une
dimension cosmique -s’amplifient dans un espace ondoyant au rythme d’une houle
chantonnant et de couleur parfumées à l’extrême420 où les objets se meuvent à saute-
mouton sur un sol gondolant. Charles se mue en un être suprême démystifiant son univers
l’Histoire dans son intégralité : L’Antériorité et la Civilisation pour que tout redevienne d’une
beauté sans pareille .Il est émulsions moléculaires changeantes percevant des hiéroglyphes
et des tags rupestres (…) une extraordinaire mystification421de toute l’Histoire de l’Humanité
pour se proclamer le Maitre de l’univers.
Charles devient le blanc qui se lèche pour devenir noir après que le plafond en
chocolat mou se soit déversé sur son visage dans une odeur originelle de savane et de coloris
fauves. Une immense bouche noire se forme et aspire le narrateur en réduction422 devenu
tellement petit et insignifiant face à l’agrégation intelligente 423de gouffres noirs abyssaux. Le
retour en arrière temporel vécu abouti à une mue imprévisible : Charles se revoit nouveau- né
à la peau foncée suçant son pouce, pilotant son vaisseau utérin amarré à la mer du
commencement et heureux dans son intrinsèque bonheur de naitre.424

417
LSD, p.84
418
Ibid., p.84
419
Ibid., p.84
420
Les murs gondolent (…) le sol ondule en une boule parfumée (…) Les murs ondulent. Le sol gondole .Ibid.
p.85
421
Ibid., p. 85
422
Je me sens diminuer physiquement.je suis en réduction, petit, plus petit. Tout petit .LSD, p.85
423
Les gouffres s’empilent, s’éclairent les uns après les autres .Ibid. p.85
424
Encore une première fois .Toujours une première fois .j’y suis. Ibid. p.86

139
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Prophétie de Gaia
Le voyant bouleversé par la fantasmagorie que Charles était en train de vivre ,Suly
l’exhorte à se rapprocher du Professeur Natas qui, à la suite de ses révélations s’empressera
avec stupéfaction d’en informer par téléphone son Excellence de la vaticination de la
prophétie de Gaia : Charles est bel et bien Le maitre de Justice qui sauvera le monde de
l’apocalypse prévue pour 2051.425Ces révélations en cascade déclencheront les hostilités des
forces occultes, vaticanes et sataniques qui mettront en œuvre tous les moyens pour que cette
prophétie ne se réalise pas .Dès cet instant, Charles se retrouve en danger de mort alors que le
Professeur Natas a déjà retourné son crucifix.
Lucy et les Beatles
Au sortir de la bibliothèque dans laquelle Lucy n’a cessé de discourir au nom de
CeluiQuiSaitTout , Charles s’installe vers 6 h du matin dans un bar pour prendre du thé avec
des toasts .Une jeune fille à la tunique indienne fleurie arrive en chantant une chanson des
Beatles Let it be changeant volontairement les paroles en substituant Mother Marycomes to
me 426(Mère Marie est venue à moi) par Sister Lucy comes to me 427 .Seul Charles s’est rendu
compte de cette nouvelle adaptation à priori anodine de la célèbre chanson des Beatles
-Dynamique : Charles se réveille en sursaut et réalise qu’il vient de planer dans les volutes du
LSD sa drogue préférée et habituelle. Suly n’est plus là .Sa place est vide et froide. Charles
reste préoccupé par ce voyage onirique à rebrousse -temps, dans un autre monde appartenant à
un autre temps : Il avait fait un bond de plusieurs milliers ou millions d’années en
arrière. 428Il n’arrive pas à intégrer l’idée qu’il a pu être séduit par cette créature hominidé mi-
personne, mi- singe.429
La dynamique narrative se singularise par la concaténation de plans événementiels
particuliers qui à priori n’ont pas de relation les uns par rapport aux autres mais constituent
des éléments disparates d’un puzzle narratif qui ne peut que déstabiliser le lecteur par la
dissémination de ses constituants.
Prémisses d’une rencontre inédite
Les faits inhabituels perturbent le jeune étudiant des indices qu’il a été choisi pour une
mission dont il ne sait encore rien s’enfilent les uns après les autres et constituent la

425
Monseigneur, il s’agit de la prophétie de Gaia .Oui, les manuscrits de Qumran, Lucia et la guenon. (…)
Oui, lui aussi ; je l’ai rencontré et lui ai même parlé. Ibid., p.115
426
Mère Marie qui est sans conteste une référence directe à la vierge Marie
427
Sœur Lucy est venue à moi
428
LSD, p.93
429
Ibid., p.94

140
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

dynamique de son parcours narratif. L’épisode du brûlot signé par une certaine Lucy L, la
rencontre avec le professeur Natas qui déclenchera les hostilités des forces occultes à son
égard confirment désormais la certitude que Charles est le Maitre de Justice. Charles
demande avec humour à sa compagne si elle n’a été l’auteure du brûlot sur les théories
évolutionnistes avant de lui révéler le tatouage de couleur bleue sur le bas du cou du
Professeur Natas.430Suly raccroche en se demandant pourquoi Charles ne lui avait rien dit à
propos de sa soirée inédite.
Lettre ouverte à Charles Robert Darwin
Charles est déconcerté par le voyage onirique qu’il vient de vivre puis se ressaisit dans une
sorte de sérénité anormale secouée par une violente bourrasque faisant tournoyer les pages
d’une vieille revue jusqu’ à ses pieds .Il se met à lire une lettre ouverte destinée à Charles
Robert Darwin son arrière-grand-père - et signé par une certaine Lucy L il y a 111 ans et six
mois où elle stigmatise les théories évolutionnistes du célèbre naturaliste à l’origine de
l’anthropocentrisme de l’homme moderne. Nombriliste et prédateur à la fois, l’homme s’est
autoproclamé maitre de la nature et de la matière après avoir inventé les lois de la morale en
s’appropriant les religions. Pour elle, l’avenir de Gaia est dans le doute le plus absolu. Charles
remarque que cette Lucy L ressemble étrangement à son amie Suly .Charles décide d’aller à la
bibliothèque sélectionner cinq ouvrages précis.431
Réunion de Concile du Saint-Siège
Le Professeur Natas remet au ruminant Abdul six enveloppes où était inscrit sur chacune
d’elle un nom, une adresse et un numéro de téléphone au Révolution à 13h59 .Au même
432
moment, le concile se réunit au Saint-Siège pour maintenir la position de l’Eglise par
rapport à une problématique définie : Faudrait-il éliminer ou non le virus ? pour un sacerdoce
ultime de supprimer le virus alias Charles Darwin Junior le Maitre de Justice 433.Avant de se
séparer, les sept membres du Concile récitent ensembles des passages de l’Apocalypse de
Saint Jean.

430
Charles n’a pu entrevoir que les deux premières marques : un 66 en bleu
431
L’Evolution de l’espèce, Charles Darwin ; Psychologie et Religion, Carl Gustave Jung, L’Homme Moise et le
religion monothéiste, Sigmund Freud ; Ecologie et Biodiversité, Natural géographique et une thèse de
doctorat : La mémoire collective, Maurice Halbwachs. .LSD, p.122
432
Ils insistèrent sur le fait de ne pas réviser la position de l’Eglise sur les écrits apocryphes (...) tous les
manuscrits de Qumran et aussi les écrits apocryphes chrétiens, celui de Marie-Madeleine, de Juda (...) pas un
mot sur le secret de Fatima .LSD, p.153
433
Abdul se déguisera en plombier et devra s’introduire dans le studio pour éliminer Charles.

141
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Hallucinations par tube cathodique


Le parcours narratif onirique de Charles antérieur à sa rencontre avec Lucy révèle une
succession de transformations des états du personnage narrateur et de son exaltante
transmutation en un bébé jeté dans le tourbillon régressif du temps qui suce son pouce.434La
quête de Charles se poursuit à son insu car il ne connait toujours pas son l’objet-valeur. Le
face-à-face avec Lucy n’a pas encore eu lieu. L’australopithèque s’en chargera au moment où
elle s’immiscera dans une sorte de manifestation onirique particulière 435 où il vivait apeuré
dans la peau d’un petit enfant de Gaia et souffrant viscéralement à l’agonie de sa mère-
nourricière. Lucy lui intime l’ordre d’allumer la télévision pour lui faire voir des choses.
Charles se met à halluciner et voit sa propre main sortir du tube cathodique toucher du
doigt son autre doigt dans une étrange sensation de conjugaison du réel et de l’irréel. 436Les
hallucinations provenant du tube cathodique défilent à chaque fois qu’il appuie sur les
poussoirs numérotés pour une posture d’observateur et acteur en même temps 437d’aventures
toutes aussi atroces et effrayantes les unes que autres.
Pyramides anthropophages
Charles contemple sous une chaleur atroce une montagne pyramidale en plein milieu
du désert qui lézarde littéralement l’horizon en oblique .Durant des heures, il observe le soleil
se rapprocher, s’incliner et se faire dévorer par les dents de pierre de l’immense montagne
triangulaire .Le sang de l’astre couchant s’y déverse en dessinant des traces de cours d’eau
taris sur la première façade et des jets de sang sur la seconde faisant fuir une population
pauvre et déguenillée au milieu de laquelle Charles se voit ensanglanté dans un
environnement d’habitations en ruine , de rocailles coupantes et de calamités écologiques
diverses. Sur la troisième façade, le sang du soleil reproduit toujours la même désolation.
Charles a soif dans cet espace mortuaire où l’eau a disparu depuis longtemps laissant place à
des débris de métal et de petits poissons morts .Chaque soir, la montagne de la désolation
mange le Dieu Raa en célébration duquel elle a été construite en d’autres temps.
Apocalypse londonienne
En appuyant sur le second bouton, Charles reconnait la capitale où Big Ben qui se noie dans
une masse aqueuse et tumultueuse d’où émerge l’horloge dont les aiguilles se figent sur le
chiffre Six alors que l’eau de la Tamise ne cesse de gonfler .Des manifestants hagards et

434
LSD, p.86
435
Ibid., p.158
436
Ensemble, ils appuyèrent sur le premier poussoir .LSD , p.159
437
Ibid., p.159

142
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

déboussolés scandant des slogans hostiles aux Politiques et aux gaz carbonique Charles est
désemparé et n’a plus la force de continuer son chemin parmi la foule .Exténué, ne pouvant
plus suivre les manifestants, il s’assoit à même le sol.
Matelot sur le pont d’un brise -glace
Le troisième bouton engouffre Charles comme matelot à bord d’un navire-fendeur qui
vient de franchir le cercle polaire arctique. Il fait subitement froid dans sa chambre. Le bateau
met le cap vers le sud laissant derrière lui un cimetière à ciel ouvert de mammifères
plantigrades .Les marins se cachent en cabine pour ne pas être brulés par les rayons
pyromanes saillants pourfendant le trou béant de la couche d’ozone. Charles constate que
l’Antarctique a rapetissé laissant place à plusieurs millions de kilomètres d’une terre
rocailleuse, aride et stérile dénuée de glace. Le Nord et le Sud ne sont qu’à quelques
encablures l’un de l’autre et le monde s’est rétréci .Le brise -glace remonte une énième fois
vers le Nord.438 Effrayé par ce cauchemar, Charles cherche à s’en sortir par le quatrième
bouton qui le plongera dans la mégalopole de la peur infestée de gens aux yeux
cataractés. 439Seul Charles est en mesure de voir simultanément des bateaux souillant la mer
en y déversant leurs déjections huileuses, fétides et nauséabondes et des agriculteurs semant
des gènes modifiés qui donneront les blés épineux, les nopals acides et les tubercules
horrifiants, des tentacules géantes. 440Sur une autoroute où les gens courent dans toutes les
441
directions pour éviter les voitures ivres et les insectes fous convoyeurs du dernier virus et
dont les fuyards s’en protègent en mettant leurs mains sur leurs visages.
Charles a même failli se faire écraser sur cette autoroute de folie meurtrière. Même les
grenouilles écrasées sous les pieds des fuyards coassent au diable leur incommensurable dépit
pour la terre nourricière agonisante. Charles nage dans une rivière pesticide au milieu d’une
flore agonisante et rejoint dans des décombres d’une forêt maudite des vagabonds inactifs et
enclins à de supplications et adjurations infécondes t inutiles.
Présentateur du journal télévisé
Charles enfonce aisément le cinquième et dernier bouton et se voit présenter d’une voix
hésitante et monocorde le journal télévisé du 06 /06/2051 jour fatidique de l’apocalypse. Les
nouvelles du jour ne sont guère reluisantes : fréquences des inondations côtières, rejets

438
La voix du capitaine, étranglée (…) retentit : «Cap vers le Nord ! Ya rien à fiche ici ! Rien à fiche »
LSD, p.162
439
Ibid.,p.162
440
Ibid., pp. 162-163
441
Ibid., p. 163

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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industriels et hausse sensible du gaz carbonique ; nette dégradation de la biosphère ; pollution


des fleuves et des nappes phréatiques, augmentation du prix de l’eau polluée, agrandissement
de 20 mètres du trou de la couche d’ozone, réchauffement global en progression, migrations
tous azimuts à la recherche de nourritures , d’eau non polluée , réduction drastique de la
fécondité ses espèces humaines et autres ; ravage du sida ….Sur le plan religieux : A Rome
,une nouvelle secte de plus de quatre millions de fidèles demande la révocation du Patron de
l’Eglise .442A Jérusalem, Dieu punit tous ceux qui se rendent coupables de prévarication .Chez
les Oulémas, on craint l’invasion d’un ennemi invisible provenant d’un âge moyenâgeux
qu’est devenu le nôtre. Sur le plan scientifique, le clonage en masse de la volaille porteuse du
virus HX666 fait fureur en Chine. Sur le plan économique, on déplore le tarissement des
gisements de pétrole. Sur le plan de l’écologie et de la biodiversité, les courants marins se
sont inversés et les planctons ont disparu massivement sur le plan de la guerre, la Chine vient
d’envahir l’Afrique du Nord au nez et à la barbe des Nations Unies qui s’en moquent.
Finalement, Charles constate de visu que la prédation sans limites de l’homme mènera
inéluctablement à la mort de Gaia. Le petit fils de Darwin vient de la visiter en 2051 et sait
désormais ce qu’il adviendra de la terre nourricière par la faute des religions et de la science à
l’origine de l’inconsciente et cupide frénésie anthropocentrique de l’homme :
Il a oublié de dégager du temps libre pour réfléchir, rêver, créer, et finalement faire prospérer l’art,
la science, la pensée, la philosophie, la culture…ça c’est la part de la science, celle de l’Eglise est
tout autre (...) elle lui fait croire qu’il est à l’image de Dieu, qu’il est le seul être de l’univers à
posséder les qualités nécessaires pour demeurer au-dessus du reste.(..) Voilà les ingrédients inoculés
depuis des décennies – pour les religions –qui ont fait de l’homme ce qu’il va devenir. 443
-Force équilibrante : Lucy réapparait au moment où le tube cathodique s’éteint et redevient
un gouffre éteint et silencieux.444 La situation s’équilibre à la suite de deux hallucinations
l’une effrayante et l’autre insolite entremêlées et qui précèderont la fin du cauchemar de
Charles enclin de suivre- à l’instar de Lucy- la volonté de CeluiQuiCommandeTout lui
transmettant sa réponse par une bouillie soufflée ou magma malaxé. 445Les injonctions de
CeluiQuiDécideTout sont claires : Charles devra rejoindre la communauté verte en compagnie
de Suly. Il transmettra son message et ils le croiront. Cependant, Charles commence à
halluciner au sein même de son studio où des visions toutes aussi fantasmagoriques les unes
que les autres défilent devant ses yeux : la vision d’un requin bleu, celle d’un puzzle colorié,

442
LSD, p.165
443
Ibid., p.168
444
Ibid., p.180
445
LSD, p.179

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

de chiffres épars et ondulant , lettres et anagrammes puis une vision d’un spectacle
génésiaque où il fusionnera avec Lucy dans un amour extatique au bord du lac aux eaux
scintillantes et translucides de l’Afar, berceau de l’humanité en Ethiopie.
Requin bleu et puzzle ondulant
Lucy lui révèle qu’il est en danger de mort car il est le pivot entre ce qui fut et ce qui
sera c’est-à dire l’avenir de Gaia .A ce moment-là, Charles, tétanisé au centre de son studio,
voit un requin bleu aux dents pointues effectuer des cercles concentriques et reniflant dans
l’obscurité. Charles entend sa voix et celle de Lucy sortir de sa gueule sous forme de bulles
d’air qui éclataient en laissant se répandre des mots alors que Lucy lui parlait de sa mission ,
des manuscrits de Qumran , de la vanité et de l’anthropocentrisme de l’Homme , ce virus qui
mène inéluctablement l’humanité sur les routes de la destruction. 446
Charles hallucine encore et voit éberlué que les murs de son studio réfléchissent la
musique et les paroles, des notes, des chiffres et des lettres (…) fragments, puzzle, Gaia,
chiffres, date, pivot, secret, fin du monde, miroir, anagramme. Tous ces mots ondulent sur
cinq lignes horizontales suspendues dans l’air prennent alors l’apparence d’une femme : celle
de Suly dansant en face de lui souriante, nue, évanescente, puis transparente 447.Les cercles
se referment, le poisson carnassier disparait et la bouillie s’est déjà évaporée. Les meubles du
studio sont revenus à leur place .Tout semble être rentré dans l’ordre par fragments, tout se
solidifie : Charles est là, assis sur son lit. Lucy lui recommande de s’endormir, son voyage
n’est pas encore terminé : L’heure est venue .Rejoins- moi, Charles.448 Des couleurs se
mettent à peindre les murs de la chambre pendant que Charles sniffait les dernières volutes de
LSD et ne pouvait voir l’australopithèque berçant une coquille contre son sein gauche juste à
côté de lui.
Vision d’un spectacle génésiaque
Ce spectacle génésique débute au moment où Lucy prend l’importante décision de fixer le
cap en réorganisant l’ordre des choses dans un étrange rêve sous tendu par la Volonté de
Quelque Chose de Grand émanant de Quelqu’unQuiSaitTout 449et qui lui permet même de
voir dans le noir. Charles s’est endormi dans la bibliothèque et sursaute au onzième carillon
de l’horloge. Tout en l’écoutant Charles referme les yeux alors que son lit lève l’ancre pour

446
LSD, p.176
447
Ibid., p.179
448
Ibid., p.180
449
Ibid., p.67

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

une traversée de la nuit à travers le firmament du temps 450et se retrouver dans le décor
édénique d’un premier jour à l’Afar éternel, originel et matriciel .Charles et Lucy s’unissent
dans l’extase d’une éjaculation orgasmique de félicité mutuelle. Lucy cueillera avec son index
une goutte de Charles 451pour la laisser couler dans la noix de coco dévidée qu’elle enlace
amoureusement près de son cœur. Emerveillé, Charles contemple le futur sur le scintillement
des eaux et se sent enfin capable de mener à bien sa mission.
- Analepses externes impromptues
Des récits seconds surgissent sous la forme de multiples analepses externes relatant
des évènements qui se trouvent au -delà des limites temporelles du récit principal assumées
par une instance narrative extra diégétique n’appartenant pas à la fiction. Ainsi, le
déroulement des évènements est rompu par l’insertion de ces micro- situations narratives
oniriques injectées dans le continuum narratif. Ces dernières transposent le lecteur dans des
univers spatio-temporels antérieurs qui ont pour fonction de baliser la lecture-déchiffrement
à laquelle il se trouve confronté malgré lui. Ces récits seconds oniriques racontent des
anecdotes de lueurs saintes - voilées à l’accoutumée et quelque fois révélées en des lieux
divers du carrousel du temps 452 et qui constituent à priori des unités narratives
indépendantes contribuant à la fragmentation de l’histoire. Ces unités narratives impromptues
font voyager le lecteur dans des univers spatio-temporels tous aussi différents les uns des
autres: le premier micro-récit situe l’action à Londres, débutant 6 juin1964 pour se terminer le
7 juin 1966 quelque part sur les rives méditerranéennes où un personnage prénommé Rayane
s’attèle à déchiffrer des fragments de peau de chèvre écrits en araméen qui reviennent
constamment dans le même rêve, le second à Fátima en mai 1917 où une bergerette de la
petite ville du Portugal rentre dans l’observance suite à la Sainte Apparition ;le troisième
micro-récit quant à lui situe l ’action en l’an 40 à Jérusalem où un groupe de femmes et
d’hommes se réunissent pour l’inhumation des ossuaires de Marie Madeleine proches de ceux
de Juda et enfin à Médine en l’an 622 .
Méditations oniriques
Un personnage anonyme repris d’emblée par le pronom cataphorique Il se trouve à
Londres le 6 juin 1964 .Son sommeil est perturbé de manière récurrente par la vision d’un
fragment de manuscrit tissés d’une sage texture 453en araméen sans début ni fin qu’il tente de

450
LSD, p.183
451
Ibid., p.187
452
Ibid., p. 99
453
Ibid., p.100

146
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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transcrire dès son réveil. Traversant une crise mystique dans une grotte située sur les rives de
la mer Morte , le personnage anonyme reclus en constante méditation tente d’apporter un
sens rationnel à ce rêve qui se présentait sous la forme d’un fragment de manuscrit auquel il
manquait probablement un début et une fin mais qui lui a permis d’extraire le bout de fil qui
mettra en lumière le sens d’une folle ou sage 454 expédition encore à ses balbutiements à ce
moment-là et qu’il concrétisera deux années plus tard –à la suite de longues et mystérieuses
pérégrinations .Le messie tant attendu exhorte ses proches à le suivre pour une nouvelle
aventure que le narrateur ne divulgue guère mais qui s’avérera ultérieurement en rapport avec
la mission divine de Charles et Lucy. Dans ses visions oniriques, Rayan finit par apprendre
l’existence du Maitre de Justice 455 et mémoriser les écritures ontologiques du parchemin
mettant en exergue le bonheur de l’Heureux Homme qui atteint la sagesse en marchant selon
la loi du très Haut.456
Sainte Apparition de Lucia Dos Santos
A Fátima où il ne se passe jamais rien, encore petite enfant, une petite fillette perçoit
dans ses visons oniriques deux révélations extraordinaires, l’une faite d’images
apocalyptiques l’autre sous forme de prédictions de fin du monde et de désastre de
l’humanité.
La première vision est l’horrifiant spectacle d’une vue de l’Enfer ,d’âmes et de formes
humaines virevoltant dans un brasier démoniaque et retombant terrifiées dans des
gémissements d’une souffrance incommensurable .Autour de ce chaudron de fumées opaques
et de pluies cendrées et urticantes, des volutes épouvantables ,diaphanes et noires deviennent
des animaux dansant au rythme des flammes.
La seconde vision de la bergerette se manifeste par des paroles vues et entendues
prédisant l’apocalypse si les hommes persistent dans leur aveuglant anthropocentrisme.
Le 13 mai 1917, la jeune dévote est stupéfaite et effrayée à la fois par une lueur
diffuse prenant la forme d’une très belle femme qui lui fixe rendez-vous le 13 de chaque mois
pour lui révéler son identité et sa mission future dont contenu définira les contours du secret
de la révélation qu’elle devra transmettre à des instances anonymes sans jamais le rendre
public.457

454
LSD, p.100
455
Le Maitre de justice qui s’avèrera être Charles Darwin Junior.
456
Heureux celui qui dit la vérité avec un cœur pur-et ne calomnie pas avec sa langue...Heureux celui qui
cherche la sagesse avec sas mains pures-et non avec un cœur fourbe. LSD, p.100
457
Aujourd’hui, je vais te confier la troisième et dernière révélation. Quand tu l’auras comprise et bien
interprétée, je te chargerai de la transmettre à. LSD, p.102

147
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Devenue adulte, la bergerette entre dans les ordres à l’hospice de Vilar dans la ville de
Porto pour consacrer le restant de son existence à la mission que lui a confiée la vision de
l’au-delà puis au carmel de Sainte-Thérése où ses intensives prières durant des années lui
permettront de enfin de décrypter l’ultime révélation qu’elle rédige et envoie dans une
enveloppe scellée au Saint siège avec la mention de ne pas l’ouvrir avant 1960. L’année
fatidique, des querelles intestines au Vatican empêcheront de mettre le halo sur ce message du
ciel pour ne pas affoler tous les croyants du monde.458
La vieille religieuse se remémore encore ce jour du 13 mai 198 où le pape Jean-Paul II
troublé,459 tente de la convaincre de préserver le secret de sa révélation tout en l’exhortant de
prier pour que la prédiction ne se réalise pas de leur vivant.460Le secret de la révélation a
finalement été enrobé de d’actes immoraux, délictueux allant jusqu’aux assassinats au sein
même du Saint Siège. Bien plus tard, au début du troisième millénaire, l’imposture
ecclésiastique se concrétise par la divulgation d’un secret apocryphe face à l’inquiétude de
tous les chrétiens du monde.
Procession solennelle de Marie-Madeleine
A Jérusalem en l’an 40, un groupe de fidèles nazaréens se rend dans la crypte proche
du Saint Sépulcre pour inhumer les ossements de Marie-Madeleine morte l’année précédente
et les déposer dans le dixième ossuaire de la terra rossa. La pieuse religieuse réunit son
ultime procession de fidèles pour des paroles de sagesse, de vérité et de propagation de
l’amour de Dieu partout dans la présence ou l’absence, avant la mort ou après la vie 461 et
qui se révèlera salvateur pour l’humanité. Désormais, la mission de ses fidèles est de répandre
Son Amour sur terre tout en esquissant un sourire à un jeune homme glabre à ses côtés. Ces
paroles de paix et d’amour de Dieu n’auront jamais été divulguées deux mille ans durant.
Lumière Sacrée Diffuse à Médine
Un demi-millénaire plus tard, à Médine en 622, la Lumière Sacrée Diffuse au monde
le message d’une promesse divine ou la certitude de l’éternel recommencement de la création
du monde : 462 Tout comme Nous avons commencé la première Création, Nous la répèterons ;
c’est une promesse qui Nous incombe et Nous l’accomplirons !

458
Mais le 8 février 1960, un communiqué tombe raide comme une bombe ! « Cité du Vatican : il est probable
que le « secret sur la révélation faite à la bergerette de Fátima » ne sois jamais rendu public ! Ibid., p. 103
459
Le pape est tellement troublé qu’il en oublie le nom de la religieuse et l’appelle «sœur Lucia Santos dos
Dios ». Ibid., p.103
460
Priez, ma fille, pour que cela ne se réalise pas durant votre vie et durant la mienne. Ibid., p.103
461
LSD, p.104
462
LSD , p.104

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Ces destinées exceptionnelles de Lueurs Saintes supérieures au commun des mortels


par leur charisme se sont diffusées par des exégètes et combattues par des fourbes Il y eu des
hommes au charisme exceptionnel(…) il y eut les Lueurs de Saints Diffusées. 463

1.3.3. Alternance de fragments narratifs épars

La fragmentation narrative se manifeste par la suite dans le chapitre intitulé Les


Souches des Dangers 464 au moment où le continuum narratif relatant un échange
téléphonique entre Suly et Charles ne se déroule pas dans des conditions normales .En effet
Charles est injoignable, Suly passe quelques jours chez ses parents .Elle s’énerve, s’inquiète
et finit par se remettre au lit contrariée de ne pouvoir le joindre par téléphone. Entre temps , le
continuum narratif s’en trouve interrompu par l’intrusion de deux séquences narratives -
n’ayant à priori aucune relation avec cet univers diégétique car appartenant à des strates de
temps très éloignées - présentés en alternance par le narrateur : celui de l’arrivée de la
communauté verte dans l’ile de Wight et de la scène d’un rituel de purification improvisé et
inspiré par Lucy la guenon devenue une belle jeune femme au bord du lac de l’Afar. Enfin, le
continuum narratif relatif à la séquence initiale à travers laquelle Suly arrive enfin à joindre
Charles qui rentrait tardivement à son studio de la bibliothèque. Charles demande avec
humour si elle n’a été l’auteure du brûlot sur les théories évolutionnistes avant de lui révéler
qu’un 66 était tatoué sur le bas du cou du Professeur Natas. Ce dernier a déjà contacté Baratia,
une espèce de plouc, énorme et disproportionné pour le charger d’une ultime sale besogne au
profit des forces du mal.465Il lui remet six enveloppes sur lesquelles étaient inscrites sur
chacune d’elles un nom, une adresse et un numéro de téléphone.

Sur l’île de Wight466


Suly et Charles se rendent en ferry dans l’ile de Wight où la communauté hippie -dont
l’idéologie étant l’harmonie de l’homme et de la nature - menée par Rayane organise un
festival de pop music dans le respect des insulaires et de la nature environnante que sous-
tendent des réflexions pacifistes d’ordre ontologico-existentielles .Ce mouvement de La Paix
Verte œuvre se veut un antivirus qui combat le virus de l’anthropocentrisme de l’homme pour

463
LSD, p.105
464
Ibid., pp. 143 -147
465
Le bougre a été renié par sa famille à la mort de ses parents et lors d’une rencontre fortuite, Natas réussit à
en faire son homme de main et « pouvait compter sur sa stupidité pour exécuter toutes les taches qu’il lui
exigeait de faire .Ibid. p. 151
466
LSD, pp. 144 -146

149
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

la paix dans le monde .Charles raconte tout à ce personnage qui ressemble étrangement à Jim
Morrison 467 qui lui explique que Lucy lui donne l’occasion de créer son hapax existentiel .
Rituel dans l’union avec l’Afar 468
Lucy la guenon muée en une belle femme à la peau glabre plonge une noix de coco vidée
dans les eaux fraiches du lac pour en récupérer une lampée où des milliers d’êtres vivants
microscopiques subsistent .Lucy présente cette coquille pleine de vie au clan composé
d’humains et d’animaux lors de ce rituel inspiré et improvisé dans l’harmonie avec la nature .
Tous ne comprennent pas les invocations de la jeune femme qui appelle de tous ses vœux
pour que cette eau soit purificatrice, généreuse et bienfaisante-cette eau à l’origine de
tout. 469
Enfin, le continuum narratif relatif à la séquence initiale à travers laquelle Suly arrive
enfin à joindre Charles qui rentrait tardivement à son studio de la bibliothèque. Charles
demande avec humour si elle n’a été l’auteure du brûlot sur les théories évolutionnistes avant
de lui révéler le tatouage de couleur bleue sur le bas du cou du Professeur Natas.470Suly
raccroche en se demandant pourquoi Charles ne lui avait rien dit à propos de sa soirée inédite.

1 .4 .PN II : Cheminement de Lucy

Rêves mémoratifs d’une transmutation

Il est incontestable que c’est autour du périple du couple insolite constitué par Charles
et Lucy qui appartiennent à des strates de temps tellement éloignées que s’articule tout le
récit. Le couple est aussi par ricochet au centre d’un enjeu ecclésiastique et métaphysique
impliquant l’humanité dans son intégralité. En effet, les forces maléfiques s’unissent pour les
empêcher de faire régner l’amour et la paix sur terre. Dans la syntaxe narrative, le couple
inédit constitue l’objet-valeur que poursuivent ces forces du mal représentées par le
personnage satanique et ecclésiastique de Sony Natas qui œuvre sans relâche pour que
l’apocalypse tant attendue par les suppôts du diable devienne réalité. Mais avant de s’unir
pour la mission divine, le narrateur extra diégétique narre leurs préoccupations respectives
antérieures mais posant les jalons de leur rencontre future de manière alternée.
En revanche, ces jalons que pose le narrateur avec sagacité se traduisent d’une part par
le prologue de la création du monde partie d’un Rien pour aboutir à un Tout sous-tendant des

467
Leader charismatique du groupe de Rock The Doors
468
LSD, p p.146-147
469
Ibid., p.147
470
Charles n’a pu entrevoir que les deux premières marques : un 66 en bleu

150
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

questionnements d’ordre existentiel et d’autre part par le voyage onirique de Lucy au fil des
temps à l’Afar et en tous lieux, de l’Eden au bord du lac aux eaux translucides tour à tour ,
boule incandescente , plancton , crustacé , poisson puis reptile rampant et pondant des œufs
puis bipède pour redevenir plancton dans des profondeurs abyssales, homo habilis et homo
erectus, se retrouvant même sur un arche au milieu d’animaux et alternant des expériences
spirituelle et existentielle tantôt parmi les Croisés , tantôt parmi les musulmans ballotée entre
l’est et l’ouest, l’Orient et l’Occident , esclave de négriers du continent américain, victime à
Hiroshima jusqu’à l’apocalypse en date du 2051 où elle redevient plancton-premier maillon
d’une longue chaine- sans pouvoir s’extirper de ce cauchemar apocalyptique .
-Etat initial : Le premier jour au pays soleilleux, à l’environnement impartial. Ici à l’Afar au
bord d’un lac sous un ciel bleu turquoise et d’une végétation arbustive colorée et luxuriante
peuplée de pachydermes, de phacochères, de girafes, de rhinocéros et de siemens, Lucy est
dans ce quelque part organisationnel dont l’ultime mission est de concevoir quelque chose
d’extraordinaire, de mystique, et d’affecter quelqu’un pour faire ce quelque
chose 471.Quelque chose se prépare, quelque chose se fomente pour un objectif crucial et ce à
son propre insu.
Elle vit et évolue en parfaite harmonie avec ses congénères et dort dans un monde
évanescent qui ne tient plus compte de l’espace ni du temps.
-Force perturbatrice : Depuis quelques jours, Lucy n’a aucune conscience qu’elle est en
train de rêver, elle vit et voit clairement des scènes inquiétantes pendant son sommeil. Dans la
clarté d’une lune pleine et laiteuse sur laquelle elle se remémore un souvenir fugace d’un
impitoyable lion dévorant un pauvre zèbre herbivore encore habité par le souffle de la vie472,
elle en conclut que les plus forts restent toujours en vie dans cette lutte sans merci entre
dominés et dominants .Lucy voit dans rêves éveillés toujours les mêmes images qui se muent
à son éveil en souvenirs furtifs.
-Dynamique : La simienne se sent différente : elle voit partout des scènes et se pose des
questions quand elle se voit sans vie boule incandescente refroidie l’instant d’après ressentant
les premières traces de vie dans des océans amniotiques 473mué en un petit corps vivant
s’extirpant de son propre corps .Elle est tout,474 le rêve est partout. Son don d’ubiquité lui fait
croiser des reptiles géants et des dinosaures terrassés par un cataclysme de pierres

471
LSD,p.33
472
Ibid., p. 35
473
Ibid, p.35
474
Lucy est minérale, végétale, animale .Ibid., p.37

151
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destructrices .Sa métamorphose continue, Lucy devient tour à tour amphibien, crustacé,
poisson cuirassé puis reptile dans un temps allongé et comprimé à la fois. Reptile rampant et
pondant ses œufs dans l’eau, Lucy voit les êtres vivants s’extirper des coquilles qu’elle vient
de pondre dans une insouciante allégresse. Elle est maintenant simienne poilue allaitant ses
petits .Lucy la guenon découvre enfin son visage dans les eaux translucides du lac. La vigueur
à l’origine de ses différentes mutations de boule incandescente au stade de poisson marcheur
lui intime l’ordre de se mettre en position verticale et de marcher alors que sa colonne
vertébrale craquèle littéralement. Malgré la peur irrationnelle ressentie au plus profond d’elle-
même, Lucy se lève et se met à oser maladroitement quelques pas déhanchés sur ses deux
pieds avant de s’effondrer tiraillée par la peur de mal faire.
A l’aube du deuxième jour, la guenon se réveille de son périple onirique dans une
temporalité passée et présente à la fois pour s’arcbouter sur les eaux du lac et se remémorer
dans l’affolement et l’espérance son périple onirique de la veille. La nuit, Lucy remonte le
temps différente, épanouie et sûre d’elle pour se revoir Homme Habile , homo habilis
maitrisant parfaitement la bipédie permanente , fabriquant ses propres outils en pierre taillée
et vivant de cueillette, pêche et chasse , puis Homme Debout homo-erectus raffiné
transformant sa vie par la découverte inattendue du feu qui lui permet de s’éclairer , cuire ses
aliments et se protéger des bêtes sauvages. : Au fond de la caverne, le tison ardent reposait
sur une ramure feuillue .Durant toute la nuit, il brilla et réchauffa. Nul n’osait encore lui
donne un nom .Lucy et ses frères ont fini par domestiquer l’animal ardent aux couleurs
brillantes : le feu.475
Le clan se déplace vers le nord, change de couleur, s’adapte au froid pour devenir
celui des premiers hominidés se propageant partout, peignant et gravant les dessins de leurs
extraordinaires pérégrination pour que leurs descendants remercient et respectent la généreuse
nature : Lucy est l’Homo sapiens, le premier hominidé .476
Sédentaire, Lucy se revoit vivre dans la chasse, la pêche, la culture de céréales, élevant
des chèvres, fondant et mélangeant les métaux, taillant les grandes pierres, dressant des
menhirs et des dolmens avant d’inventer les premiers signes sur la roche, puis sur le
papyrus.477Puis, dans une posture immobile, Lucy passe en revue l’humanité qui s’étale
partout où le sol l’accueille tout en changeant de visage au gré du temps s’accélérant à une

475
LSD , p.41
476
Ibid., p.42
477
Ibid., p.42

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vitesse exponentielle .Elle se revoit naviguant sur une arche salvatrice, accueillie à Hébron par
un patriarche fuyant avec son peuple sur flots de la mer rouge .Réceptacle de l’humanité :
Elle enjambe les mers, traverse les déserts, feuillette le livre du temps(…) croise la rive
septentrionale du Gomorrhe (...) contemple les bassins à escaliers (...) de purification (...) frappée
par le système ingénieux pour la collecte saisonnière , le stockage , la conservation et la
distribution de l’eau (…) se retrouve dans une vaste bibliothèque où(…) des hommes habillés de
bures blanches (…) tout en psalmodiant , ils remplissent des jarres de parchemins et les
transportent(…) à l’intérieur des grottes. 478
Le voyage perdure et un homme aux cheveux bruns et aux larges épaules portant une
tunique de lin immaculée plonge son regard dans celui de Lucy toute souriante. L’étranger lui
susurre des mots de quiétude, de sagesse et de bonheur ainsi que la prédiction d’une trahison
par les siens qu’il lui sera fatale et douloureuse.479
Instinctivement, Lucy poursuit son voyage onirique dans le magma du temps se
retrouvant tantôt au milieu de croisés, tantôt parmi les musulmans 480qui s’invectivent
mutuellement au nom de Dieu. Quelques siècles après, l’environnement effrayant perdure et
Lucy se demande pourquoi l’homme fait il tant de mal à son prochain lorsqu’elle se retrouve
capturée, enchainée, brutalisée, jaugée, comptée puis vendue avec ses frères et sœurs(…) sur
les galères négrières. 481Lucy découvre avec effarement que c’est à cause de sa différence, de
la couleur de sa peau qu’elle est déportée de la sorte, nue au milieu de cadavres et de
prisonniers brulés. A Hiroshima, le 6 août 1945 au milieu d’une cohorte de fantômes Lucy
constate hors d’elle que ce siècle est celui de dictature, de fractures, de guerres et de
nouveaux dieux. 482La guenon se demande alors qui fixe les règles d’une telle humanité et
sanglote à l’idée que son joli rêve éveillé s’est mué en un véritable cauchemar .Au deuxième
millénaire , bergerette prés de Lisbonne voit une femme d’une grande beauté plastique et
d’une spiritualité incommensurable lui confier des secrets .Puis , le temps d’un clignement de
cils, Lucy se retrouve au printemps 80 pour la première fois depuis 2000 ans en compagnie
d’archéologues stupéfaits et interloqués par les inscriptions gravées sur les dix ossuaires d’un
tombeau à Jérusalem. Encore un bond temporel la menant en 2051, Lucy est désespérément
en train d’expirer l’oxygène de sa microscopique cavité buccale dans les eaux souillées par

478
LSD, p. 43
479
Je vais être trahi par les miens .Je subirai les souffrances de tous, mais je reviendrai sur Terre pour
accomplir mon ultime mission (…) je suis le Maitre de justice, d’autres après moi viendront porter la parole
vraie tout comme d’autres avant moi l’avaient fait .LSD, p.44
480
Ibid., p. 45
481
Ibid., p.45
482
Ibid., p. 47

153
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les déchets et les rejets d’un millénaire à la course effrénée, aux projections aveugles et
outrecuidantes.483Elle suffoque en se remémorant les images effrayantes484 d’un millénaire
angoissant peignant des réalités aux expectatives ombrageuses, inquiétantes, au goût fatal :
Lucy piétine une masse vivante (…) le monde se défigure, son ventre est un charnier ouvert. Une
odeur fétide accompagne la putréfaction des corps flottant dans les entrelacs de ses veines (…)
des rivières de sang coulent sur des pépites d’où s’érigent des villes anthropophages aux décors
navrants(…) des hommes concourent à contresens (...) Calamités de fumée et pluie acide de mots.
Progression dans le déclin(…) arbres inexistants. Animaux affolés. Germes ravageurs. Maladies
hideuses. Torrents de boue. Hommes fous (…) Chaos spirituel, Discordes religieuses, Désordre
mental…Pour Rien….pour une apocalypse. 485
Lucy en est toute renversée et pleure à chaudes larmes ce monde agonisant où le sang
dégouline dans les entrailles de la terre par la faute de l’homme à l’origine de la destruction de
sa planète. Subitement l’éternelle voix qui résonne dans sa tête lui intime l’ordre d’écouter
maintenant ce qu’elle devait voir.
-Force équilibrante : elle se concrétise par un face-à face entre Lucy et Charles marchant nu
fasciné par le lac aux mille couleurs de l’Afar où toutes sortes d’animaux486 s‘y activent dans
une luxuriante et abondante végétation au nord alors qu’au sud, la savane étale ses longues
jambes clairsemées, glabres puis poudreuses.487L’Afar accueille chaleureusement 488
Charles
489 490
qui tout en assumant sa nudité commence à s’habituer à cette fascinante matrice
édénique d’eau bleu-vert , vivifiante, légère et éthérée .Cette dernière se rapproche de lui dans
un rythme effréné et Charles le nu lui présentant une forme assise de dos qui exhale les
sons ,les odeurs et les coloris de rêves phoniques et psychédéliques. Subjugué par la merveille
naturelle mi- femme mi- singe qui se tient droite face à lui autour d’un Lac de Séduction et de
Désirs491, Charles sait qu’il vient de faire un voyage de trois millions d’années et qu’il se

483
LSD, p.48
484
Des représentations pétrifiées et synthétisées avec (…) toutes les émotions étouffantes qui les
accompagnent : une masse gélatineuse ; strates gercées et bruyantes. Champignons énormes, funestes ; éclairs
de magnésium(…) chaleur oppressante ; poussières nocives .Pluies de cendres ; air vicié. Ciel goudronneux
sans oiseaux ; océans poisseux sans poissons .Provisions de haine ; déchets cruels. Geignements de fantômes ;
hécatombe aveugle .LSD, p.50
485
LSD, p.50
486
La savane est peuplée d’éléphants, de lions, de gazelles, de rhinocéros et de phacochères (...) des flamands
roses, des hérons, des hippopotames et des crocodiles (...) amphibiens (…) et poissons myopes .Les perroquets
gris aux rêves bariolés imitent les cris des guenons .LSD, p.87
487
Ibid., p.88
488
Sur son passage, les éléphants barrissent discrètement, les lions rugissent gentiment ; les gazelles sourient et
papillotent des yeux, les flamants roses (...) se pavanent autour de lui, les bonobos applaudissent l’invité
489
Charles avance (…) contemple son corps dévoilé et n’en est nullement embarrassé .LSD, p. 88
490
Une nudité qui laisse transparaitre une vérité profonde : les intentions translucides de l’âme .Ibid. p.88
491
Ibid.,p.89

154
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trouve enfin devant son fantasme originel .Lucy se présente à lui en tant que fleur du bouquet
des hominidés tout en lui précisant qu’elle l’attend depuis plus d’un million d’années.
-Etat final : Lucy monologue tout en prenant la main de Charles qui vient de faire un périple
à rebrousse temps .Elle lui explique que Quelqu’un Qui Sait Tout et qui Seul dirige l’ordre
des choses lui a donné l’ordre de se lever et marcher vers de lointaines contrées, semer les
graines et marcher vers de lointaines contrées, semer les graines et d’en sauver la récolte. Nus,
492
Lucy et Charles s’allongent sur la berge .Elle soliloque avec émotion sur ses rêves et
révèle à Charles qu’il découvrira seul les raisons pour lesquelles il a été choisi pour cette
mission mais qu’en attendant il doit savoir que lorsque l’infinitésimal est souillé, la
destruction du grand est inéluctable. Les cœurs des deux êtres appartenant à des strates de
temps tellement lointaines fusionnent irrésistiblement de longues heures par leurs mains
entremêlées.

1 .5 PNIII : Convergence des itinéraires en Afar

C’est autour du périple de Charles et Lucy la guenon qui appartiennent à des strates de
temps tellement éloignées que s’articule tout le récit. De ce fait, le couple se retrouve par
ricochet au centre d’un enjeu ecclésiastique et métaphysique impliquant l’humanité dans son
intégralité. Cette interdépendance des parcours narratifs les fait s’entrecroiser dans une
accélération du continuum narratif par rapport la prédiction annoncée depuis plus de deux
mille ans et qui ne peut s’accomplir que si le sauveur et Maitre de Justice Charles Darwin Jr
vient -dans le berceau de l’humanité, dans cet Afar conciliant et vivifiant - pour contribuer
avec les siens à la genèse d’une nouvelle ère pour l’humanité. Ainsi, les forces maléfiques
s’unissent pour les empêcher de faire régner l’amour et la paix sur terre et éviter que le
message de Charles devienne une preuve tangible pour l’humanité entière. Dans la syntaxe
narrative, le couple inédit constitue l’objet-valeur que poursuivent ces forces du mal
représentées par le personnage satanique de Sony Natas, de sa Sainteté le pape et du Cardinal
Monseigneur qui œuvre sans relâche pour que l’apocalypse se concrétise .Lucy et Charles se
rencontrent enfin nus au bord des eaux scintillantes et limpides de l’Afar dans un
environnement enchanteur, coloré, bariolé où tous les animaux célèbrent chacun à sa manière
la fusion de ces deux Etres que rien ne prédestinait à se rencontrer tant ils appartiennent à des
strates de temps tellement éloignées. A Shrewsbury, l’intrusion de Lucy, dans les rêves du
jeune étudiant marqué par son échec au concours d’anthropologie, les mènera tous deux à

492
Son origine, son évolution, sa mission, ses appréhensions et ses espérances folles .Ibid., p.92

155
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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fonder une nouvelle humanité dans le désert de l’Afar en compagnie de sa fiancée Suly
Lennon, Rayane le leader des hippies de la communauté verte et les touaregs menés Mouloud
leur chef emblématique. Tous se démèneront pour l’instauration d’une humanité consciente,
aimante, en harmonie avec elle -même et aussi avec l’intégralité des autres espèces pour
sauver Gaia dans l’amour absolu et relatif, dans l’Alpha et l’Omega, dans le rêve et la
réalité. 493
-Etat initial : Lucy a demandé à Charles de contacter Rayane le leader de la communauté
verte sur l’ile de Wight. Charles lui explique que l’australopithèque lui a donné l’occasion de
réaliser son hapax existentiel et que le moment était venu d’arrêter le processus, le danger est
désormais imminent pour toute l’humanité.494Rayane lui révèle que lui aussi l’attendait495 en
lui narrant l’histoire des manuscrits de Qumran dont il manque la dernière partie qui contient
le fameux secret de sœur Lucia.
-Force perturbatrice : Des évènements singuliers vont se produire simultanément le 5 juin
1970 au sein de la communauté verte dans l’ile de Wight, à la place Saint Pierre où
Monseigneur mandaté par le pape tente tant bien que mal de gérer cette situation d’une
extrême urgence, dans le studio de Charles et Suly et dans la chambre d’où Baratia va se
défenestrer et enfin dans la chambre du pasteur satanique réalisant l’exploit de se suicider par
deux fois .Tous ces évènements se déroulent en alternance dans les espaces précités qui
apparaissent comme à l’accoutumée sous la forme disparate suivante :
Lucy à la place de Suly:
Rayane raconte à Suly l’extraordinaire récit de la cabale hallucinatoire et onirique de
son compagnon lors du premier repas de communion de la communauté verte .Elle comprend
enfin l’aventure dans laquelle Charles s’est retrouvé embarqué à son insu et au péril de sa vie.
La jeune femme prend Charles en aparté pour lui suggérer de ne pas se rendre à Shrewsbury.
C’est à ce moment-là que Charles voit Lucy nue, bien en chaire debout à la place de sa
fiancée lui parler avec la voix de Suly.
Monseigneur au pied du mur
Pendant ce temps au Vatican, le 05 juin1970, l’assemblée conciliaire se réunit en urgence car
l’existence même de l’Eglise est remise en cause par les théories évolutionnistes, par des
prophéties et prémonitions désignant Charles comme le porteur d’espoir d’une autre

493
LSD, p.216
494
Demain, ils seront samedi 06/06/06 (666) les chiffres tatoués sur l’épaule de Natas
495
Rayane confirme à Charles qu’il est la clé pour éviter l’apocalypse en s’appuyant sur La genèse et
l’Apocalypse selon Saint Jean

156
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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communauté. Monseigneur se rend dans la salle des secrets et se remémore que les manuscrits
de la mer morte ont révélé l’existence du Maitre de Justice qu’il doit impérativement
neutraliser avant minuit avant que le processus ne s’enclenche inévitablement.
Mort de Baratia
Dès 23h45 Abdû(Baratia), l’être maléfique mi-homme, mi- ruminant a déjà été préparé par le
professeur Natas pour éliminer Charles avant que le processus ne s’enclenche
irréversiblement vers l’achèvement d’une création ou la fin serait le début d’un autre cycle. Il
pénètre dans la chambre de Charles et Suly et se défenestre aussitôt suite à une vision d’une
pierre ronde –sa vraie conscience qui le pourchasse dans ses cauchemars depuis son enfance.
Le butor ruminant l’écoute lui assener sa propre vérité : tout simplement celle de l’assassin
qu’il est indubitablement. Se sentant subitement libre de toute contrainte, le bougre se
défenestre du quatrième étage dans un atroce hurlement qui réveilla le voisinage. La police
entame son enquête par l’inspecteur Patin ébahi devant le cadavre écartelé de Baratia
décapité.
Réunion du concile
Dépité et l’air grave, Monseigneur informe le concile de l’échec qui regrette déjà
d’avoir missionné Natas à l’église de Shrewsbury dans la mesure où ce félon diabolique
496
personnage en soutane est le véritable représentant des forces du mal .Les cardinaux
décident unanimement de procéder au nettoyage des preuves et éviter l’esclandre du Vatican.
Coup de fil du diable
L’inspecteur Patin reçoit un coup de fil à 4h 36 du matin provenant d’un homme se
disant fortuné et raffiné qui a depuis longtemps pris l’habitude de voler aux hommes leur âme
et leur foi. La voix affirme même quelle était présente lorsque le Jésus –Christ doutait et
tergiversait dans la souffrance .La voix ajoute qu’elle avait veillé à ce que Ponce-Pilate bien
que convaincu de l’innocence du Christ. Le grand juge des juifs aurait voulu traiter Jésus avec
clémence mais prononça sous la pression des prêtres juifs la condamnation à mort la plus
infamante : la crucifixion du Christ.
Pendaison de Natas
Alerté par un voisin ayant senti une odeur de brulé chez Natas, le sergent Patin
découvre stupéfait dans ce musée des horreurs qu’est la chambre de Natas, un crucifix
accroché à l’envers, un second souillé et brisé en cinq morceaux sur une table, des écritures

496
LSD, p. 243

157
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cabalistiques en surimpression sur de pâles bandes du mur noir et le corps nu du professeur


balançant en haut d’une chaise renversée au milieu d’une mare de sang. Le pasteur
démoniaque s’était tailladé les veines avant de se pendre.
-Dynamique : Elle va s’enclencher le samedi 6/6/70 jour d’un anniversaire pas comme les
autres : celui de ses dix-neuf ans discrètement préparé par Suly mais qui se révèlera être aussi
celui du cérémonial d’une prophétie annoncée depuis plus de 2000 ans à savoir l’intronisation
de Charles Darwin Jr en tant que Maitre de Justice attendu depuis des millénaires. La musique
coule à flot dans la ferme rebaptisée Ferme Charles Darwin Jr pour la circonstance .Un
banquet cérémonial se prépare dans une atmosphère musicale saine, gaie et bonne enfant. Les
membres de la communauté encerclent le couple qui s’enlace dans une danse langoureuse. La
jolie fiancée aux yeux bridés lui offre son amour en guise de cadeau d’anniversaire .Le couple
s’embrasse tendrement dans un bonheur mutuel loin des préoccupations qui les avaient
emmenés sur l’île, loin les cauchemars et les bruits dans la tête de Charles ; loin les échecs
universitaires ; loin la cabale entreprise et pas encore finie. 497
Coquille de noix de coco
Alors que les préparatifs de l’anniversaire vont bon train , Rayane et Charles
découvrent par le biais d’une jeune adepte , une coquille de noix de coco -enroulée par un
petit reptile- identique à celle dans laquelle Lucy avait fait couler une goutte de sperme après
avoir fait l’amour avec Charles.
Etrange nuit fraiche et soporifique
Une fois la fête terminée, le couple s’isole allongé dans la fraicheur d’une nuit fraiche
et émaillée de luminescences. Suly sent son compagnon quelque peu inquiet par la facilité
avec laquelle les évènements se déroulent alors que les enjeux de sa mission sont d’une
importance capitale. Le Maitre de Justice est conscient de l’importance de sa mission qui
consiste à contribuer de son libre-arbitre à la genèse d’une nouvelle vie.498Rayane quant à lui
hallucine, sent la fraicheur de la nuit envahir son corps frissonnant et voit se dessiner une
immense nappe d’eau telle que Charles la lui avait décrite dans un monde - au fond des
abysses du lac aux eaux translucides et scintillantes- qui se réveille et remonte à la surface. Au
petit matin, Suly lui fait une révélation qui fait pleurer Charles à chaudes larmes dans le

497
LSD ,p.252
498
Dormons, demain sera certainement un autre premier jour .LSD, p.253

158
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499
meilleur, le plus beau des trips sans émulations artificielles : Charles qui adore les
anagrammes va être papa et prédit que ce sera une fille.
Retour à Shrewsbury
Le couple retourne à Shrewsbury en fin d’après -midi et découvrent stupéfaits que leur
studio a été le lieu d’un cambriolage qui s’est terminé par la défenestration du cambrioleur et
du suicide de Natas. Le couple pénètre dans le studio resté parfaitement en ordre découvrant
Who la tortue qui sortit de sous le lit certainement contente de les revoir enfin. Charles est
convaincu que le complot ennemi est enclenché et que le pseudo-cambrioleur était venu pour
le supprimer.
Alea jacta est
Le concile s’est dispersé à 22 h15 et le Saint-Père prend le livre des Papes où sont consignés
les secrets des souverains pontifes .Il découvre ce que son prédécesseur avait écrit à la
dernière page cette formule prémonitoire laconique : Alea jacta est 500 signifiant que l’ultime
heure sera pour le prochain pape .Monseigneur le cardinal entend des pas provenant de la
chapelle Sixteen501- où les cardinaux élisent le nouveau pape- qui arrivent jusqu’à lui pour
que la voix du Saint-Père vocifère à son encontre le sens douteux de ses informations,
l’incertitude de ses prévisions et la stérilité de ses interventions suite l’échec de la mission qui
lui a été confiée : celle d’éliminer Charles Darwin Jr le fameux Maitre de Justice symbole de
l’hérésie darwinienne dénudée de toute présence divine .Monseigneur sait qu’il est vain de
vouloir parer à une prophétie annoncée il y a plus de 2000 ans et que son analyse gématrique
502
fondée sur les paramètres Temps et Parallèles corroborent les relations numérologiques
entre les manuscrits de la mer morte et la situation actuelle où deux mille ans plus tard503
,presque jour pour jour , Charles Jr Darwin surgit dans l’histoire de l’humanité avec cette
guenon. Le Saint-Père s’accroche alors à son projet de mettre la main sur lui-même si la date
de conjonction est dépassée ! 504

499
LSD , p.255
500
Expression latine signifiant « le sort est jeté » ou « les dés sont jetés » , site Google définitions Web consulté
en octobre 2015
501
Chapelle contenant une immense esquisse originale du tableau de Michel-Ange « La Création de l’homme »
qui servira à la fresque finale de la voûte de la chapelle représentant Dieu effleurant l’index d’Adam sans le
toucher.
502
Tous les mots possèdent la même racine gématrique : Shrewsbury…Darwin…Rêve…Femelle-
singe…nouvelle…Genèse…Afar…Matrice….Nouvel…Alpha…..Oméga…Bien….nouvelle. humanité
…protection… Paix Verte .LSD, p .233
503
La numérologie donne 70 ans avant notre ère, il y a ce Maitre de Justice » qui prône un christianisme sans la
Genèse et sans L’Apocalypse .LSD, p .230
504
LSD, p.269

159
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

-Force équilibrante : Cette dernière va avoir lieu en Ethiopie dans le désert de l’Afar où une
caravane de chameaux s’arrête pour une nuit de repos à proximité d’un mirage épousant
harmonieusement les contrastes d’une nature agressive et bienveillante à la fois car là où il
ya la douleur, il y a la vie. 505Au bord d’un immense lac aux eaux claires et scintillantes où
Charles imaginait se réveiller un matin suite aux injonctions prémonitoires de Lucy qui
s’immisçait dans les rêves du jeune étudiant.
Mue du miracle en vie
Dans cet Eden verdoyant d’une biodiversité aux colorations singulières, dans un
silence paisible d’une matrice d’eau salée où tout est illuminé et translucide : L’endroit est
immense, gorgée d’eau et de végétations aux senteurs enivrantes. Flore et faune, luxuriantes
Richesse hallucinantes, incroyables .Des milliers de palmiers, d’oliviers, d’acacias (…) sur
les branches, de superbes oiseaux au plumage multicolores se confondent avec les fruits (…)
beaucoup d’enfants chahuteurs et de belles femmes qui chantent. En contrebas, les langues de
coulée de lave et les débris de roche plongent dans les flots(…) le lac s’étale à l’infini.506Les
hommes bleus et les gens de la communauté verte arrivés du Nord se retrouvent ensembles
dans cet Eden où le temps se mesure au rythme des cycles du soleil et des vies de chaque
espèce .Les cousins -Touaregs et membres de la communauté verte -se sont enfin retrouvés à
proximité de petites maisons de pierres qui leur serviront de résidence aussi longtemps qu’ils
le désireront. Rayane discute alors avec le doyen des Afars qui lui confirme que l’heure de la
révélation est désormais venue.
Etat final : Prophétie d’une Arcadie retrouvée
Charles et Suly se sont isolés pendant que Rayane et Mouloud conversent avec le vieil
Afar à propos de la prophétie de l’Arcadie retrouvée rapportée par les anciens et qui ne
pourra s’accomplir sans un sacrifice rédempteur. Rayane constate à son tour que cette
prophétie est bien celle qu’il a eu à déchiffrer sue les bords de la mer morte. Sous un soleil
éclatant, Charles s’allonge sur la berge, regarde sa compagne heureuse patauger dans l’eau .Il
observe l’abeille butinant le nectar d’une nouvelle vie, l’hirondelle s’envolant pour ramener le
printemps renouvelé et l’aigle majestueux planant et surveillant son nid frais.
Charles est heureux de quitter son corps pour en retrouver un autre dans l’apaisement
divin d’un autre monde. Dans ce bonheur perlant le long du ruban lumineux qui le relie à son
corps dans cette atmosphère douce, Charles comprend que la réalité se construit dans les

505
LSD, p.273
506
Ibid., p.274

160
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

rêves 507 tout en se demandant s’il est bel et bien arrivé à la fin de ses pérégrinations
psychédéliques .Souriante, Suly sort de l’eau; elle est nue et son ventre arrondi lui sied à
merveille. Charles se délecte de la beauté divine et originelle qui s’offre à lui en
remplacement des borborygmes des mouches bleues invisibles, des rêves phoniques et de cet
étrange langage qu’il entendait sans voir qui parlait. Suly repart nager. Au moment où Charles
l’appelle, le soleil reflète dans ses yeux des images d’elle 508alors que beaucoup plus loin ; au
temps. Sur l’autre rive. Charles aperçoit de très loin celle qui lui disait qu’il suffit d’imaginer
pour que les choses se réalisent : Lucy avance vers la berge en compagnie de Charly son plus
jeune fils, à la chevelure soyeuse et à la peau laiteuse auquel elle demande de prendre la
coquille dans ses petites mains, de rentrer dans l’eau jusqu’aux genoux et d’y déverser
soigneusement des groupes d’organismes microscopiques vivants et sains. 509Le petit garçon
rejoint sa mère en courant sur la large berge circulaire .Le petit Charly se rapproche enfin de
l’autre rive en faisant des signes de la main .Suly est là, agitant désespérément ses mains ; elle
semble se noyer alors que Charly lui rend la politesse, persuadé qu’elle le salue. De l’autre
côté de la berge, Lucy s’enfonce à son tour dans l’eau : Elle se retourne et crie à son fils de ne
pas rentrer .Charly n’est plus là. 510
Nouveaux rêves pour des mondes meilleurs
Alors que les ressacs du lac lèche voluptueusement ses pieds nus, Charles referme les
yeux et ouvre son esprit à de nouveaux rêves, à des mondes meilleurs 511dans une harmonie
exquise où le passé originel se mue qualitativement pour proposer sa projection dans un
présent magnanime et indulgent :
Les anciennes volutes entrecroisent les volutes nouvelles dans des arabesques qui sculptent les
rêveries. Leurs ordonnancements se diluent dans un climat propice .Une délicieuse harmonie (…)
Bouleversantes cohérences où le passé se rectifie pour donner un présent clément. (…) Une
origine et sa projection qui se fondent dans une incestueuse fusion pardonnée, respectant l’espace
dans lequel les volutes évoluent.512
Pendant ce temps, le retour à une autre réalité parallèle à celle de ses pérégrinations
oniriques à savoir l’espace du studio de Shrewsbury .Charles appuie sur la touche Play du
magnétocassette et réécoute le tube des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds.

507
LSD, p. 278
508
Ibid., p. 278
509
Ibid., p .279
510
Ibid., p. 280
511
Ibid., p .279
512
Ibid., p. 280

161
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PN1 : Cabale hallucinatoire de Charles Darwin Jr

Quête Compétence Anti- Espace-temps Transformation


programme

Sujet-actant : Vouloir faire mais Anti- sujets : Temporalité - Prise de


- Le jeune Charles non pouvoir faire -Charles vit onirique dans conscience de
Darwin entend de - Pas de dans un laquelle la Charles qu’il est
curieux compétence désordre mental guenon l’élu, le Maitre de
acouphènes et pour quotidien. l’embarque Justice chargé de
borborygmes.(hallu l’acquisition de -tourments et dans leur refonder
cinations auditives l’objet modèle hallucinations cabale l’humanité.
) - Acquisition auditives et de hallucinatoire. - Réalisation de la
Objet -valeur: soi dans un (Gouffres
d’un savoir par prophétie de
Refondation de tourbillon à noirs
l’entremise de l’Arcadie au bord
l’humanité sur des rebrousse temps, abyssaux,
Lucy. du lac Assal en
bases plus visions vaisseau
- Pas de devoir Ethiopie où
spirituelles et sauver effroyables et utérin,)
faire particulier Charles contemple
Gaia la terre apocalyptiques. Temporalité Lucy /Suly et son
nourricière de - Les forces référentielle
fils Charly qui
l’agonie. maléfiques de l’intrigue
déverse d’une noix
Etat initial : vaticanes ecclésiastique
de coco des
Disjonction représentées par
groupes
le professeur
d’organismes
Natas , Abdul
vivants pressés de
dans l’intrigue
rejoindre les
ecclésiastiques .
abysses du lac
envoûtant.

162
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PN2 : cabale hallucinatoire de Lucy l’australopithèque

Quête Compétence Anti- Espace-temps Transformation


programme
- Sujet :Lucy - Lucy passe en - Les forces -Elle surgit de -Lucy est tour à tour

revue l’humanité maléfiques l’Afar originel, boule incandescente,


l’australopithèque
dans un voyage vaticanes qui et s’engouffre plancton ; crustacé,
est le premier
onirique entamé il tentent de dans une poisson bipède, homo-
hominidé
y a trois millions supprimer temporalité habilis, homo-erectus
surgissant du
d’années. Charles le Maitre onirique. découvrant le feu , sur
désert de l’Afar, de Justice en -Avènement de l’arche de Noé à
berceau de
- Le savoir qu’elle
commanditant la communauté Hébron puis au
distille à Charles
l’humanité. l’assassinat de verte et de deuxième millénaire,
est celui du Divin
- Objet de la Charles . Rayan son chef au milieu de fidèles
qui la charge de
quête :chargée -Le Professeur charismatique nazaréens inhumant les
convaincre Charles
Natas et Baratia sur l’ile de ossements de Marie-
par le Divin de du bien –fondé de
Abdul . Wight Madeleine esclave de
l’accompagner en sa mission en tant
négriers, bergerette à
le faisant prendre que Maitre de
Fátima, victime à
conscience de sa Justice.
Hiroshima et à Médine
mission d’élu - en 622 accompagnant
chargé de sauver la lumière Sainte
et refonder Diffuse de l’Islam.
l’humanité . - Elle accompagne
Charles, les hommes
bleus et Rayane au
bord du lac Assal pour
la concrétisation de la
prophétie de l’Arcadie.

163
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PN3 : Celui du retour dans le désert où la Mue du personnage narrateur se concrétisera.

Quête Compétence Anti-programme Espace-temps Transformation


- Sujet : Savoir : - Le narrateur Espaces : Mu en :

Personnage narrateur la certitude que la oriente lui-même - Le gluten - En spermatozoïde


mort approche. le festoiement vivant doté d’une mission
- Objet-valeur :
La certitude morbide des d’asticots quasi-divine
La Mue et la
d’affronter sa asticots. escaladant fécondant une
renaissance
propre mort l’acacia sur nouvelle vie avec un
- Etat initial : - Il a partagé sa
la délivrance: lequel il s’est graine. Ils fusionnent
En phase couche avec la
l’éternelle jeune agrippé leurs trésors
d’adjonction mort
femme au haïk) respectifs dans
- Il ne sait pas en - Labyrinthe de
- Sa mue est le sentiers l’amour et le plaisir.
quoi il va muer
résultat d’une pierreux et - En fœtus dans le
conspiration rocailleux. refuge maternel le
cosmique. pouce dans la
- La voiture en
compagnie de bouche et le cœur

la femme au apaisé.

haïk. Premières
perceptions d’une
- Espace sans
renaissance : il
volume,
devient un nouvel
indescriptible,
être et son amnésie
innommable
disparait).
Divin.
- En une sublimissime
- Tunnel long
jeune femme
dans un
découvrant la
liquide
sensualité de son
séminal
corps.
- Refuge
maternel,
matrice
Temporalité

- L’instant zéro
de la
fécondation
d’une
nouvelle vie

164
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Commentaire :

Ces deux tableaux récapitulent les parcours narratifs de Charles Darwin jr et de Lucy
l’australopithèque qui s’entrecroisent sporadiquement lorsque la guenon s’invite dans l’esprit
du jeune étudiant dépité par son échec au concours d’Anthropologie à l’Académie de
Shrewsbury. Sujet- actant, Charles se met à entendre des bruits bizarres, de curieux
acouphènes et borborygmes de mouches bleues qui vont petit à petit se révéler être la voix de
Lucy l’australopithèque mère de l’Humanité qui l’emmènera découvrir le monde et
l’apocalypse de 2051 pour qu’il découvre, comprenne et adhère à la mission pour laquelle il a
été choisi. Démuni de toute forme de compétences, Charles vit dans désordre mental
quotidien et est en proie à des hallucinations auditives dans un premier temps puis à des
évènements paranormaux d’hallucination de soi dans le tourbillon régressif du temps et
feuilletant les pages-rêves de son roman onirique .L’acquisition d’un savoir s’effectuera par
la Voix de plus en plus audible de la guenon : l’agonie de Gaia la terre nourricière et la prise
de conscience de Charles que le moment d’accomplir une mission qui réorganisera le monde
513
est venu. Des indices viendront s’ajouter à cette compétence du sujet actant qui se tisse au
fur et à mesure de son voyage onirique à rebrousse-temps de plusieurs millions d’années en
arrière. Par la suite, c’est à travers les volutes de LSD qu’il se voit émulsion moléculaire
changeante, narrateur en réduction dans des gouffres noirs abyssaux et enfin nouveau né à la
peau foncée suçant son pouce dans un vaisseau utérin. Malgré ce savoir acquis, le sujet-
actant n’a des aventures dans la réalité de Shrewsbury et à travers son intériorité constituée
de visions et d’hallucinations diverses.514 Enfin, Charles conscient qu’il est le Maitre de
justice élu par le Divin pour refonder le monde , aura une vision d’un spectacle génésiaque
dans le firmament du temps au bord du lac aux eaux translucides pour la fusion de ces deux
êtres appartenant à des strates de temps tellement éloignées dans une félicité mutuelle. Bien
que se sentant enfin capable de mener à bien sa mission, la sujet-actant demeure disjoint de
son objet-valeur. Quant au second parcours narratif, le sujet-actant est l’australopithèque
Lucy, premier hominidé surgissant de son Afar natal, berceau de l’humanité, pour entrer en

513
La lettre ouverte d’une certaine L amené par une bourrasque entre ses mains qui stigmatise les théories
évolutionnistes darwiniennes et l’anthropocentrisme de l’homme moderne qui s’est approprié les religions après
l’invention de la morale. Des visions de soi dans divers univers tels que les pyramides anthropophages,
l’apocalypse londonienne, matelot dans un brise - glace oscillant de l’Antarctique au désert de l’Afar puis
présentateur de journal télévisé apocalyptique à travers le tube cathodique
514
La vision de soi s’extasiant et fusionnant avec Lucy au bord d’un lac en Afar, puis celle d’un requin bleu
éructant des paroles au moment où Lucy lui parle puis celle d’un puzzle ondulant de chiffres , d’anagrammes et
de mots prenant l’apparence d’une femme.

165
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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contact avec le jeune étudiant Charles Darwin Jr qu’elle attend depuis plus d’un million
d’années. Dans un premier temps, Lucy n’a toujours pas cerné le sens de sa quête et se
contente de questionnements d’ordre existentiel puis se demande qui fixe les règles de
l’humanité. A son tour, Lucy passe en revue l’humanité dans un voyage onirique entamé il y a
trois millions d’années. La guenon se voit boule incandescente, plancton ; crustacé, poisson
bipède, homo-habilis, homo-erectus découvrant le feu , sur l’arche de Noé à Hébron puis au
deuxième millénaire, au milieu de fidèles nazaréens inhumant les ossements de Marie-
Madeleine esclave de négriers, bergerette à Fátima, victime à Hiroshima et à Médine en 622
accompagnant la lumière Sainte Diffuse de l’Islam. Le sujet-actant reste disjoint de son objet-
valeur se contentant de constater la déliquescence d’un siècle de dictatures, de fractures, de
guerres et de nouvelles divinités.
Finalement la cabale hallucinatoire du couple inédit accompagné de Rayane leader de la
communauté Hyppie et de la caravane d’hommes bleus menés par l’incontournable Mouloud
au bord du lac Assal pour que, le Maitre de Justice sauveur et générateur d’une nouvelle
humanité s’y installe pour réaliser la prophétie de l’Arcadie.

166
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Au plan théorique, on ne peut séparer les personnages, l’espace, le temps et


l’évènementiel dans la configuration d’ensemble de l’univers romanesque et fictionnel.
L’analyse structurale des romans de Djamel Mati met en lumière un univers romanesque
fragmenté qui oscille de manière constante entre un récit premier ayant pour héros le
personnage central qui entame sa pérégrination à la fois initiatique et onirique et des récits
adjacents qui narrent les élucubrations de leurs esprits tourmentés .Dans Aigre-doux , le
personnage - narrateur entame son voyage pilulaire à l’ex-rue du diable , dans On dirait le
Sud , c’est l’histoire de personnages errants dans leurs déserts respectifs et qui finissent par se
rencontrer à la croisée des parallèles ,enfin, L S D narre la cabale hallucinatoire de Charles
Darwin Jr descendant du célèbre naturaliste anglais, qui se gave de LSD, cette drogue
synthétique de la contre-culture américaine et du mouvement hippie des année 60 en
compagnie de Lucy l’australopithèque et mère de l’humanité pour une aventure spatio-
temporelle hors du commun depuis l’origine des temps jusqu’en 2051 . Dans leurs
élucubrations, les protagonistes font une plongée dans un monde apocalyptique où ils
rencontrent les personnages les plus fantastiques, les plus excentriques et déroutants qu’ils
fréquentent momentanément pour des aventures toutes aussi rocambolesques les unes que les
autres. Ces personnages se meuvent le plus souvent avec une aisance déconcertante dans les
univers spatio-temporels de leurs propres élucubrations et vivent différentes aventures et /ou
mésaventures qui tissent des récits seconds se multipliant dans l’enfilage, l’alternance et la
mise en abyme. C’est en ce sens que nous tenterons de mettre en lumière la fonctionnalité de
ces deux structures narratives et leur impact dans le processus de construction du sens. En
d’autres termes, nous tenterons de comprendre la manière avec laquelle l’espace et le temps
s’inscrivent dans un univers romanesque aussi éclaté et fragmenté Quelles significations
prennent - ils par rapports aux différents personnages en errance ? Quels sont les espaces à
travers lesquels les protagonistes de l’histoire vont vivre leurs quêtes respectives ? Quelles
distorsions du temps caractérisent leurs vagabondages à travers des univers spatio-temporels
parallèles ?

167
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Nous abordons les axes d’analyse suivants :


 L’éclatement du système spatial : la pluri dimensionnalité d’un espace
cauchemardesque, lénifiant, fantastique et de résolution des destinées.
 La discontinuité du temps : binarité temporalité référentielle / temporalité
onirique
 Le système des personnages dans un espace romanesque éclaté.

Ce que nous constatons de prime abord, c’est que la représentation spatiale des romans
de Djamel Mati obéit à une logique de binarité, l’une référentielle et l’autre onirique et
hallucinatoire, qui corrobore une dichotomie spatiale de l’éclatement. Cependant, notre
raisonnement part du postulat que l’espace référentiel s’avère d’emblée supplanté par la
spatialité de l’onirique et du chimérique. Dans Aigre-doux par exemple, l’espace référentiel
se construit à partir d’éléments disparates qui relèvent le plus souvent du vécu de narrateur
amnésique alors que dans On dirait le Sud, les protagonistes de la fiction restent plutôt ancrés
dans leurs élucubrations respectives sans aucune allusion à une spatialité ayant trait à un
quelconque vécu antérieur. Par contre, dans LSD, la dualité spatiale se fonde sur l’alternance
de la spatialité de l’intrigue ecclésiastique à Shrewsbury et celle onirique et hallucinatoire qui
mènera Charles et Lucy de la création du monde aux paysages mythiques des déserts de
l’Afar en Ethiopie, le berceau de l’humanité. Dans ces trois romans, nous constatons que la
spatialité évacue toute forme de logique réaliste puis qu’il se construit à travers la
l’imaginaire, les élucubrations et rêveries des protagonistes de l’histoire .De ce fait , il est
indéniable que cet univers spatio-temporel provient du fait que les personnages principaux
rejettent la réalité qui les environne, s’en évadent par le truchement de drogues diverses et
s’engouffrent dans des chimères très éloignées de l’univers réaliste auquel le lecteur
traditionnel est confronté.
Au plan méthodologique, nous analysons l’espace romanesque en tant qu’actant qui
devient à lui tout seul le déclencheur de l’évènementiel des élucubrations respectives des
personnages errants.

1. Spatialité pluridimensionnelle

Comme nous venons de le souligner, Dans Aigre-doux et On dirait le Sud, les deux
derniers romans de la trilogie de Djamel Mati, la spatialité ne s’inscrit pas dans une
logique réaliste. Elle est le produit des élucubrations des personnages enclins aux prises

168
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

aux stupéfiants qui vagabondent dans différents espaces désertiques le plus souvent
cauchemardesques et effroyables. Avant de nous pencher sur la pluri dimensionnalité qui
éclate incontestablement la spatialité en moult espaces, nous ne pouvons passer outre
l’incontournable spatialité du point B 114 tant sémantiquement que sur les plans narratif
et symbolique. En effet, tous les personnages principaux entament leurs cabales
hallucinatoires à partir du point B 114 qui se révèle être l’espace-ancrage à partir duquel le
roman constitue son propre système spatial. C’est la raison pour laquelle, le point B 114
est cette spatialité qui influence littéralement les continuums narratifs des pérégrinations
respectives des personnages amnésiques en quête de leurs identités dans les romans de
Djamel Mati .En fait, nous découvrons que les personnages ne sont même pas sûrs d’avoir
quitté le point B 114 un jour. Ils ne font que voyager à travers les subterfuges que sont les
pilules aigres-douces pour le personnage- narrateur de Aigre-doux, les narguilés bourrés
de chanvre indien par Zaina dans On dirait le Sud et la prise continuelle de drogues
synthétiques par Charles Darwin Jr dans LSD sans pour autant quitter leurs points B 114
respectifs. A ce titre, nous considérons le studio de Charles comme la spatialité à partir de
laquelle s’effectue sa cabale hallucinatoire en compagnie de Lucy, la mère de l’humanité à
l’instar de ce que représente le point B 114 dans les deux autres récits. C’est dans cette
optique que le point B 114 est considéré comme ce lieu cybernétique 515par excellence où
il devient cette spatialité à partir de laquelle le lecteur tente de pister leurs cabales
hallucinatoires respectives. Le point B 114 peut alors se définir comme l’espace où
pérégrinations des personnages débutent, se nouent et se dénouent : Le personnage -
narrateur dans Aigre-doux quitte sa femme et par en quête de son identité pour se muer
finalement en femme au point B 114, Zaina, l’amnésique droguée ne connait pas d’autre
spatialité que ce Sibirkafi du point B 114 seul et unique point d’ancrage à partir duquel
elle vivra ses pérégrinations. Par contre, le couple Neil et Iness entamera sa quête à partir
d’un désert plutôt lénifiant pour rencontrer Zaina à la croisée des parallèles, au point B114
.En réalité, il est clair que les personnages ne quittent jamais leur point B 114 respectif ;
seuls leurs esprits qui vagabondent sous l’effet de pilules aigres-douces, de narguilés de
chanvre indien ou de cristaux de LSD.

515
Mitterrand, Henri. Le discours du roman .Paris, PUF, écriture, 1980, p. 193

169
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Hybridité du point B 114

Selon Mati, le point B 114revêt plusieurs acceptions. La première a trait à toutes les
cités algériennes anonymes désignées par des chiffres alors que la mémoire historique et
imaginaire regorge de personnages icones et de héros d’une histoire millénaire volontairement
éludés et relégués dans un oubli prémédité. La seconde définition du point B114 est celle d’un
point fixe physiquement géographiquement dans le sud algérien mais qui s’avère être un
espace imaginaire qui se dilate pour circonscrire l’événementiel des élucubrations de leurs
esprits tourmentés. Le point B 114 peut aussi être ce point d’ancrage, point de fixation de
l’esprit à partir duquel les évènements se passent ou plutôt se subissent, dans la majeure
partie de l’histoire, dans une autre dimension pour les occupants du point B114.516
Finalement, Mati semble se complaire à inventer un espace hybride sans consistance
réelle et pas tout à fait virtuel dont la symbolique prend sens à travers des questions
fondamentales d’ordre ontologico-existentiel :
Et si ce qu’on vit en ce moment n’est qu’un mensonge ? Et si ce qu’on vit, en ce moment, n’est que le
fruit de notre imagination, pis encore une grande conspiration orchestrée par des « esprits »
dominants (...) des chimères sécrétées par nos subconscients et ne sont rien d’autre que le fruit de
notre imaginaire …de notre esprit…..malade toujours inassouvis de rêves inaccessibles et
d’espérance, emprisonnés dans les excuses de nos convenances.517
L’espace du point B 114 se définit aussi par son ubiquité qui permet aux personnages
errants de faire des rencontres cruciales balisant leur errance. En effet , chacun d’eux
comprend que le point B 114 peut se retrouver dans n’importe quel endroit de n’importe quel
monde parallèle, dans n’importe quelle masure perdue au fin fond de n’importe quel désert où
leurs alter egos errent eux aussi dans le désert de leurs tourments tout en rêvant d’un désert
moins aride , paisible et lénifiant où ils se retrouveront enfin. .Chacun d’eux rêve à sa manière
à son propre point B 114 qui lui apportera la fascination inattendue et la mystique d’une
douce et délicieuse quiétude. Enfin, au questionnement de Neil relatif à l’emplacement du
point B 114, le père Balthazar situe cet endroit étrange et habité par les esprits entre le
couchant et le levant sans aucune autre indication complémentaire.

516
La feintise comme style extrait .Le nouveau Souffle roman algérien par Mokhtari, Rachid, Alger, Chihab
Editions, 2006, p.146
517
On dirait le Sud , p.147

170
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Ubiquité du point B 114

Le désert s’est miraculeusement pacifié au moment où cirrus radiatus dessinent de


fines parallèles, faites de cristaux de glace, qui se projettent à l’infini pour finir loin dans un
enchevêtrement diffus au-dessus de l’horizon. 518Sagace dès son réveil, la rescapée de
l’errance apprécie la transmutation du désert qui s’embaume de senteurs fraiches et
parfumées. Le ciel azuré se singularise par des nuages filiformes - stries de poudre blanche –
qui lui rappellent ces mondes parallèles qui finissent parfois par se croiser. Zaina se rend bien
compte que cette mue de l’aigre au doux relève de quelque chose de mystique ou plutôt de
magique .Pour elle, l’ubiquité du point B 114 ne forme qu’un seul et unique univers (…)
lénifiant malgré les aspects néantisés, statiques 519 pour en extraire la quintessence et donner
enfin un sens à son existence .Elle finit par vaincre ses propres tourments et ressent en son for
intérieur une nouvelle sensation qui ne résulte aucunement d’ un jugement hâtif mais d’une
constatation profonde, auscultée.520De ce fait, la jeune femme prend réellement conscience de
l’utilité d’avoir cerné et observé le point B 114 sous différents angles, sous toutes les
coutures, de toutes les distances 521pour enfin s’approcher de la quintessence du désert du
temps. Espace de rêve, de mirages et de lagons chimériques qui réfléchissent les désirs sans
pour autant les offrir -spatialités au goût aigre-doux reflétant parfois de douces illusions
oniriques et parfois d’âpres réalités initiatrices -le point B 114 est tout cela à la fois : il est
désert des hommes où des gens s’y réveillent sans repères dans le temps et dans l’espace 522
en quête leurs origines et de leurs identités, erg et reg à l’infini , inscription calligraphiée à
l’encre de chine sur la toiture de l’unique masure construite de bois et de tôles ondulées .Il
peut être aussi ce radeau échoué dans les immensités désertiques arpentées par les hommes
libres que sont les hommes bleus ou alors chambre ovale de l’ex-rue du diable de la vieille
casbah où le personnage –narrateur dans Aigre-doux se mue en une femme scrutant
l’horizon de sa masure délabrée à l’aide d’une longue-vue , sur une autre planète, un couple
dans une cabane ressemblant étrangement à la sienne .523
Le point B 114 est désormais cet espace à partir duquel les personnages laissent
échapper leurs esprits dans les volutes de leurs délires 524 dont la symbolique prend naissance

518
On dirait le Sud, p.245
519
Ibid, p.245
520
Ibid, p.245
521
Ibid.,p.246
522
Ibid.,p.16
523
Le sextant me donne les coordonnées du point B 114 .Aigre-doux, p. 267
524
Aigre-doux, p.148

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à partir d’interrogations ontologico-existentielles qui, selon l’écrivain lui-même, ne peuvent


se poser que dans un univers qui n’a pas de consistance réelle et qui n’est pas tout à fait
virtuel. Ce dernier confirme à juste titre le caractère incontournable de cette spatialité : Cet
espace, il me fallait l’inventer : c’est le point B 114.525
Comment se présente la spatialité onirique du point B 114 dans Aigre-doux et On dirait le
sud ? Quels rapports entretient - il avec les personnages en délire ? A –t-il une incidence sur
les élucubrations de leurs esprits tourmentés ? Qu’en est –il de la spatialité dans LSD ?
Comment se présente-t-elle ?

1 .1. Spatialité dans Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté

Le point B 114 est une spatialité qui se singularise par sa capacité à se transformer et
se démultiplier au gré des pérégrinations oniriques du personnage - narrateur à la recherche
de son identité. Il est d’abord matrice vivante -dans laquelle le narrateur se réveille. Après
neuf mois de cohabitation, la chambrette ovale l’incite à franchir le seuil de la porte du désert
pour aller à la recherche de son ombre. Puis, cet espace devient une berge de désespoir de
harragas : le narrateur se remémore, sur cette berge ensablée, leur interminable voyage
échouant sur cet autre point B 114. D’emblée, nous constatons que l’architecture du point B
114 se dilate encore pour devenir librairie 114 détentrices d’un savoir utopique, purgatoire des
misérables hères aux ventres- creux, toison humide du bas -ventre d’une marathonienne
élancée courant en vue de remonter le Temps. Enfin Le personnage-narrateur lève l’ancre en
attendant de regagner d’autres points B 114 analogues ou pires.526
C’est justement cette spatialité multiforme du point B 114 qui balisera l’errance du
personnage tourmenté qui se réveille dans cette matrice vivante, espace rétréci vide de sens
entre quatre petits murs qu’est ce studio de l’ex-rue du diable dans le quartier mythique de la
casbah d’Alger. Il se réveille un triste matin dans une de ces masures après un long, un très
long voyage hors du temps.527Ayant oublié des pans entiers de son passé, il demande à la
femme, qui semble bien le connaitre, où il se trouve. Celle - ci lui rétorque étonnée qu’il est
tout bonnement chez lui : mais c’est où chez moi ? répond l’amnésique .Son épouse
l’informe alors qu’il vient de se réveiller dans une venelle de la Casbah, à la rue du
diable rebaptisée pour la religion par les nouveaux responsables de la commune le point B

525
Mati, Djamel. La feintise comme style. Extrait de Mokhtari, Rachid .Le nouveau souffle du roman algérien.
Ibid., p.147
526
Aigre-doux, p.242
527
Ibid., p.13

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114 : Maintenant, c’est le point B et nous habitons au numéro 114. Nous sommes au point B
114. 528
Pour lui, lorsque quelques bribes de son passé récent rejaillissent, le point B 114
devient un lieu vide de sens qui le maintien dans une profonde solitude dans l’exigüité de la
chambrette ovale. Il se rend compte -après neuf mois de rêves éveillés, passés dans cette
masure qui ne veut plus de lui, qu’il est temps de s’en aller. Il est dans cette matrice qui
depuis des mois se refuse à être son origine, le frustre de son propre passé en le poussant à
rejoindre sur cette terre des enfers 529 une procession inattendue : celle de tous ses
MOI…damnés qui sommeillent dans les méandres oniriques de ses randonnées escarpées.
Sous un soleil zénithal, le personnage- narrateur flâne sur une berge ensablée, maudit point
abandonné depuis fort longtemps par une défunte mer qui lui fait parvenir dans un ultime
ressac une bouteille de verre contenant un parchemin .Il se met à y lire ce qu’il a déjà vécu sur
un frêle radeau en compagnie de harragas ayant bravé les flots en furie , transis par la peur
de lendemains incertains 530 pour recouvrer leur liberté dans une autre vie . De nombreux
harragas se noient et les survivants rament énergiquement avec leurs mains décharnées
jusqu’ à leur horrible passé, présent et avenir531, jusqu’à leur point de départ, jusqu’au point
B 114. Sur cette plage sans mer, les cris stridents des mouettes rejaillissent dans son esprit et
le ramènent fatalement au même maudit point. 532Désemparé par cet effroyable souvenir, le
narrateur-naufragé se lève et jette la bouteille vide sur la berge sablonneuse désormais à tout
jamais ancrée dans son esprit tourmenté.
Dans cet espace aux moult souffrances dans une ville-cannibale labyrinthique infestée
de zombies au regard éteint adossés aux murs de maisons aux fenêtres closes, le narrateur
poursuit son errance jusqu’à une boulangerie chichement achalandée .Surgissant de nulle part,
une femme vocifère son aversion pour sa vie merdique au point B 114 quémandant un visa
pour aller bouffer ailleurs. 533
Le narrateur est attiré par une misérable librairie éclairée par une bougie
agonisante .En poussant la lourde porte, il y découvre un véritable capharnaüm de livres
profanés par des rats, des araignées des cafards volants et des colonies de termites. Puis , se
sentant en confiance , le vieux libraire l’introduit dans à l’arrière-boutique où tout est propre,

528
Aigre-doux, p.16
529
Ibid., p.55
530
Ibid., p.83
531
Ibid., p.86
532
Encore un autre point B 114 ! Cette maudite balise ne me quittera donc jamais, Ibid., p.86
533
Ibid., p.108

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bien rangé et achalandé .Ce dernier lui donne à lire son propre manuscrit relatant l’histoire de
la grande braderie du savoir où les librairies se sont toutes transformées en vespasiennes ou en
fast-foods alors que des romans liquides sont mis en bouteille et vendus en cruche à des prix
exorbitants .Enfin , pressé de quitter cette librairie sans âme , le narrateur remercie le gardien
de feu le savoir 534qui lui conseille de poursuivre sa quête car la vérité qu’il recherche est en
lui.535Perdu dans cet espace gris et crépusculaire, il s’affale sur le trottoir mouillé sous le
porche de l’échoppe au savoir utopique. Satisfait de pouvoir enfin rêver de rêves licencieux et
luxurieux, il découvre une plaque avec un nom gravé dessus Librairie B 114.536Nous
remarquons à juste titre que cette spatialité du point B 114 influe sur le cours de l’errance
pilulaire du personnage- narrateur .En effet les paroles du vieux bouquiniste ont un impact
direct sur le sens de sa quête. Ce dernier sait maintenant que la vérité est en lui. Nul besoin
maintenant d’aller chercher ailleurs ce qu’il devra trouver en son for intérieur.

Purgatoire des misérables

Le narrateur arrive au centre d’un hameau sans âme qui vive, purgatoire des
misérables et dont les cabanes délabrées sont disposées en cercle autour d’une placette au
milieu de laquelle se dresse un long mat en haut duquel flotte nonchalamment un drapeau en
lambeau. 537Il se love par la suite autour de la longue perche en bois pour y passer la nuit.
Des zombies lépreux se pavanent le soir dans ce hameau alors qu’ une dame noble et
belle , drapée dans un haïk immaculé, ne laisse entrevoir qu’une mèche de cheveux roux et
de grands yeux émeraudes 538s’installe et s’adosse au mat pour lui susurrer d’une voix suave
et mélodieuse qu’ici, ils sont tous deux , dos à dos , au hameau B 114.

Espace utérin

Son errance le mène à courir main dans la main avec une silhouette androgyne qui
remonte le Temps dans le sens contraire de la rotation de la terre tout en faisant durer le
plaisir d’être en harmonie avec soi -même. Le narrateur-coureur accompagne une goutte de
plaisir, obtenue par l’effort, avec laquelle il se love en creux dans l’extase d’une coulée sur
son bas-ventre, se frayant ensembles un passage au milieu de la toison humide pour nous

534
Aigre-doux, p.150
535
La vérité est au bout de ton chemin et ce chemin est en toi. Ibid., p.150
536
Ibid., p.151
537
Ibid., p.155
538
Ibid., p.158

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faire happer par le plaisir…et peut être aussi un autre point B 114 ! 539 Il révèlera plus tard à
la Délivrance que la marathonienne vient de lui donner l’occasion déplacer le point
B114 dans l’espace utérin d’un sentier luxurieux où sa mue se fera pour une renaissance pour
le moins insolite.540
Il devient spermatozoïde dans les étranges cavités labyrinthiques d’une viscosité
confortable au fond d’un long tunnel où il sera happé par une microscopique lumière ovale
pour une régénérescence, une métamorphose 541dans les vaisseaux creux de la reproduction.
Il ne restera que lui, parmi des millions de spermatozoïdes agitant leurs flagelles dans la
course effrénée dans les aqueducs utérins. Recroquevillé dans un ventre et percevant les
préludes d’une vie, remontant ses genoux et mettant ses deux minuscules mains fermées sur
ses yeux, le nouvel être grandit dans une nouvelle dimension d’espace-temps.542Le narrateur
vient de muer en ce qu’il y a de meilleur en lui .Elle a déjà accepté sa métamorphose - comme
543
la chenille admet de devenir papillon - et découvre avec félicité sa nouvelle enveloppe
charnelle avec un goût de miel doux sur la langue.

Autre point B 114

Heureuse de sa mue en femme, nue et fière de son nouveau corps qui s’épanouit
rapidement, la narratrice espère pouvoir rejoindre son point focal désertique où la vie n’est
jamais finie et où tout recommence depuis le début (…) peut être au point B 114.544Dans
l’épilogue intitulé Point B 114, le futur antérieur, elle se réveille dans une minuscule masure
perdue au fin fond du désert en compagnie d’un colocataire où il fait bon vivre à condition
d’espérer (...)d’une vie meilleure, même utopique que d’exister dans le doute et la fatalité
d’un monde pourri où plus rien ne pousse, ne se dessine .545 Elle sort son télescope amateur
pour observer d’autres déserts où d’autres femmes comme elle scrutent avec leurs longues-
vues des horizons nouveaux. Le soir, elle observe un autre couple recomposant sa vie avec

539
Aigre-doux, p.182
540
Le seul point B114 qui m’enchanta, fut celui que j’avais découvert avec la marathonienne, Aigre-doux, p.242
541
Aigre-doux, p.257
542
Ibid., p.261
543
Ibid., p.262
544
Ibid., p.262
545
Ibid.,p.266

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l’aigre et le doux dans une cabane délabrée perdue au fin fond d’un autre désert, dans une
autre petite planète dans le ciel.546

1.2. Spatialité dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté

547
Dans ses N.D.A qui s’intitulent pourquoi faut- il toujours s’expliquer ? Djamel
Mati brouille les pistes en donnant au lecteur des informations contradictoires relatives à la
légende de l’ubiquité et du mystère du point B 114.En effet, l’écrivain parle de fouilles
archéologiques au fin fond du Sahara ayant abouti à déterrer le fameux sibirkafi du point B
114 .Des narguilés ont été passés au carbone 14 pour authentifier l’époque sur les parois
d’une amphore brisée , fracassée puis restaurée par des paléographes et sur laquelle sera
gravée son histoire. Pour ceux qui préfèrent croire au mythe le sibirkafi du point B 114 a bel
et bien existé, tout comme l’Atlantide, le continent perdu de Mu et le mythe de Sisyphe, même
si on n’a pas encore trouvé leurs traces .Pour ceux que l’écrivain qualifie de négationnistes
de la fiction tout cela relève des élucubrations d’un conteur dérangé par les vicissitudes de
la vie, une simple fixation d’un esprit mal portant …une vision myope d’amour , malade
d’espoir et ivre de vie… ce qui suffit aux fervents défenseurs de la créativité pour que le
point B 114 soit rendu sérieux. Finalement, le point B 114 est pour lui l’occasion de nous
inviter, nous lecteurs, à y croire pour scruter les élucubrations de son esprit tourmenté.548
Dans ce roman, l’héroïne Zaina est prisonnière du point B 114 en compagnie de Cro-
Magnon et de sa rivale de chèvre. Dans cette cabane des oubliés, elle refuse de sortir car rien
ne bouge dans un climat délétère à l’exception des caprices du temps. C’est la spatialité dans
laquelle Zaina, sale comme un bagnard, se shoote au chanvre indien en connectant un narguilé
au tube cathodique d’une télévision .Des sculptures de fumées la plongeront dans des lieux de
folies et de désespoirs tous aussi effroyables les uns que les autres avant que le personnage de
Noure n’intervienne pour éclairer son errance en lui apprenant à aimer le point B 114.
Cependant, avant de scruter les signes qui font référence à la spatialité du point B 114 en tant
549
que repère (...) où peut se produire un évènement et où peut se dérouler une activité , il
apparait à priori comme le lieu d’une insolite trouvaille : celle de cette femme à moitié nue -
ne sachant ni qui elle était ni comment elle s’est retrouvée au point B 114 - que Cro-Magnon

546
Elle ressemble étrangement à celle que j’occupe, ici dans mon désert, à moi. Le sextant me donne les
coordonnées du point B 114 .Aigre-doux, p.267
547
Notes d’auteur, On dirait le Sud, p.14
548
Et vous les gens du présent, aimeriez-vous croire en cette chimère….de vie ? Moi, si .Dont acte !
549
Butor, Michel .Répertoire II .Paris. Ed Minuit, 1964, p. 44

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trouva un jour endormie, et qu’il appela Zaina tant elle était jolie550bien entendu après l’avoir
sodomisée et délestée de tous ses bijoux.
Les autres protagonistes de l’histoire n’en sont guère dispensés puisque Neil est lui
aussi persuadé que son destin se trouve au point B 114 où Liès et Senin n’ont jamais osé
aller551alors qu’Iness a peur de s’y rendre et éprouve une étrange sensation de se consumer au
fil de leur parcours initiatique. Ils emprunteront ensembles un chemin à la lisière d’une terre
bicéphale qui les mènera directement vers un lieu que l’on surnomme le point B 114. 552 Le
couple inédit et la chamelle blanche découvriront le sibirkafi à la croisée des parallèles et
continueront leur errance d’une manière aussi surprenante qu’insolite. Dans l’autre parallèle
le point B 114 devient cet espace convoité par la vieille Zaina dont l’ultime volonté d’ y ’être
inhumée ne sera jamais exaucée. En effet, les Touaregs apeurés se sont contentés de l’enterrer
là où un sphinx monte la garde sur son tombeau.553En outre, la chiromancienne parlera sans
ambages à Zaina d’un espace démoniaque, d’un mouroir aux égarés, où elle devra se rendre
impérativement : Ce n’est pas en fuyant tes tourments que tu les dissiperas. Va au point B
114 ! (..) tu as presque terminé tes pérégrinations. Dans peu de temps tu le trouveras
changé.554

Le point B 114, espace cauchemardesque

Dans ce roman, la configuration spatiale du point B 114 se conçoit comme une sorte
de volume plus ou moins élastique dans lequel des micro-espaces de folie et de désespoir
s’emboitent les uns aux autres au gré de son errance. Dans son calvaire des sens, la jeune
femme, privée de ses instincts voluptueux, a fini par avoir quelques certitudes dans cette
cabane isolée. Dans ce désert, elle prend conscience qu’elle est en enfer, que ses sens se
tarissent et que ses envies s’évaporent. Elle a là aussi certitude que son retour au point B 114
est désormais inéluctable. 555

550
Content, il trouva une nana endormie, à moitié nue (..) à son réveil la femme ne se souvenait de rien, ni qui
elle était ni comment elle avait atterri au point B 114.La jeune femme in connue était jolie. Cro-Magnon
l’appela Zaina, tout simplement .On dirait le Sud, p.99
551
Leurs alter-egos sont restés prisonniers dans l’envers du mirage sans pouvoir harmoniser leurs émotions et
inclinations au point B 114, On dirait le Sud, p.75
552
On dirait le Sud, p. 224
553
Ibid., p.209
554
Ibid., p.196
555
Inéluctablement, je retournerai vers le point B 114, invariablement, il m’attendra. On dirait le Sud, p. 53

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Dans cette masure ensablée au milieu de nulle part, outre la servitude sexuelle à
l’égard du primate lubrique qui l’humilie556, Zaina ne souhaite plus être désirable .Elle
renonce volontairement à sa beauté et à sa féminité en ne prenant plus soin d’elle: elle se rase
le crâne et cesse de se laver. De cette manière, elle opte pour une sorte de suicide des sens
qui pourtant brûlent ses entrailles de femme 557 qui la fait dégringoler dans le gouffre d’un
pessimisme sans espoir .La douleur perdure dans son calvaire des sens, dans ses nuit agitées
de rêves décadents qui lui procurent un profond sentiment de solitude. Elle se retrouve telle
une rescapée d’un cataclysme qui ne verrait que le vide à l’infini dans un monde
cauchemardesque. Dans cet espace de désespoir où la folie s’ajoute à l’isolement, la jeune
femme se réfugie dans des subterfuges douloureux et fantasmagoriques car plus rien ne
l’intéresse mis à part le fait de se shooter au chanvre indien, de parler aux objets inanimés et
de sombrer dans la torpeur. La droguée du sibirkafi comprend enfin que la folie et le
désespoir font de ce monde un univers absurde où seul l’acte d’aimer ne l’est pas, seule, nue,
elle erre autour du point B 114 à la recherche de rien et de tout 558 Affaiblie, Zaina ne peut
plus lutter : elle accepte son sort et sa profonde frustration de ne pouvoir faire l’amour à
l’exception d’une expérience voluptueuse 559 vécue avec une dune au point de se demander si
elle n’est pas venue au monde directement dans ce purgatoire du point B 114.
Le point B 114 devient tout autant cauchemardesque dès qu’elle y entre. L’espèce de
yéti des sables la récupère pour la sodomiser et la délester de ses bijoux .En se réveillant, elle
comprend de suite qu’elle a atterri dans un espace de non-vie, de désolation et d’assèchement
total :Le point B 114, une terre, un monde, brimé, corrosif sous un ciel agonisant de soif, le
minéral asséché s’étend à perte de vue. 560
D’emblée le primate du désert la maltraite lorsque le précieux liquide qu’est l’eau se
met à manquer dans la cabane : il hurle, sautille, tourbillonne, met la masure sens dessus
dessous pour trouver de l’eau et l’insulte vulgairement à cet effet.561Son humiliation
s’amplifie lorsque, bafouée dans sa féminité, Zaina découvre avec dégoût que son statut a
changé : elle est désormais la seconde femelle du point B 114 562 car le crétin zoophile, dans
ses délires pervers, la trompe avec la chèvre.

556
Lorsqu’il ne lui préfère pas la chèvre, cette pute de bique
557
On dirait le Sud, p. 65
558
Ibid., p.174
559
Ibid., p. 64
560
Ibid .,p.23
561
De l’eau ! De l’eau ! Salope ! Voleuse d’eau ! Où as-tu mis mon eau ? , Ibid., p.24
562
Ibid., p.25

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Dépitée, elle reste face au téléviseur sur lequel elle branche le narguilé bourré de
chanvre .Un épais nuage se propage dans la cabane, des incubes démoniaques fantômes
drogués et vicelards en tous genres la scrutent les yeux en érection, lorgnent sa nudité et se
mettent à palper son corps endolori sur une immense dune. Zaina n’accepte pas cette fatalité :
accablée, elle vocifère de toutes ses forces et finit par s’effondrer au pied d’une immense
dune.
Après avoir désespérément nagé aux milieux des eaux tourmentées, Zaina sent qu’elle
est morte ou qu’elle va mourir au fond d’un liquide aqueux et verdâtre. La jeune femme
rejoint le rivage d’un lac asséché et chimérique duquel une mince brume grisée s’élève vers
le ciel pour l’aspirer (...) dans un long tunnel de lumière cendreuse(…) pas une illumination
(…) mais une apathie.563Au sortir de ce long tunnel, elle est projetée dans une immense pièce
vide, sans aucune trace de vie, sans âme qui y vive. A quatre pattes mais toujours vigilante et
perspicace, elle avance à travers l’accablement de cette lugubre spatialité où des ombres
inapparentes tapies, des formes qui n’existent que par l’air ténu qu’elles déplacent (…) se
déploient autour d’elle564.Zaina se fait palper par ces créatures éthérées aux dents pointues qui
cherchent à la mutiler, à exciser son intimité pour en soustraire toute sa quintessence.565
Vaillante, la jeune droguée se défend comme elle peut face aux invisibles spectres et
vaillante, la jeune droguée se défend comme elle peut face aux invisibles spectres et ombres
mutilantes acharnés à tenter de lui ôter toute inclination pour la vie. Finalement, un vent
violent disperse les volutes de fumée mutilantes mais le mal est fait : A son éveil, elle
découvre horrifiée le sang coagulé dans son ventre.566
C’est en libérant le chanvre de sa poitrine par un lourd crachat qu’une nuée de
gargouilles, hideuses et ricanantes, aux visages blafards s’échappent de sa bouche (...)pour
former un éléphant rose 567 que la pensionnaire du point B 114 s’interroge sur le fait que ce
grégaire ne soit seul et non pas sur l’étrangeté de son apparition au point B 114 qui pense t-
elle lui fera visiter la plus belle ménagerie de tout le sud et de tous les déserts. 568Elle
découvre alors un zoo en folie où les animaux singent les hommes et s’épanouissent dans la

563
On dirait le Sud, p.77
564
Ibid., p. 77
565
Ibid., p. 77
566
Ibid., p.78
567
Ibid., p.102
568
Ibid., p.103

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cruauté, l’injustice, la cupidité, la perversité, la servilité et le despotisme dans un monde


cauchemardesque où le mensonge fait vivre et où le burlesque ne fait plus rire personne. 569
Dans l’ascension d’une montagne cendreuse sous une chaleur atroce, elle ne peut
éviter les gouttelettes de pluie et de sons brûlants et encore moins les pierres coupantes qui lui
ensanglantent les genoux. Elle s’inquiète véritablement à la vue de cet horrible paysage qui
l’environne .Des langues fourchues de caméléons à l’apparence humaine avec des visages
habillés de barbes hirsutes570tentent de la gober alors que des lézards homochromiques prient
en écumant devant la montagne noire dans une béatitude contemplative .Elle sait qu’il est
temps pour elle de quitter cet endroit effroyable aux protubérances vivantes incrustées aux
parois des rochers. 571A cet instant, Zaina est convaincue qu’elle est dans l’antichambre de
l’Enfer.
La fuyarde des horreurs du point B 114 continue sa traversée cauchemardesque
jusqu’à une oasis poubelle posée telle une crotte de chameau au milieu de ce désert habité
par des démons qui n’en finissent plus de faire leurs besoins là où ils veulent .Là où elle se
trouve. 572Des palmiers chérifs encerclent les tentes boisées qui ressemblent à des balais de
sorcières à l’envers ornés de sachets en plastique noir (..) des baudruches trouées en forme
de capotes, des photos de filles nues, des godemichés taillés dans du bois d’acacia .Des restes
de papiers hygiénique en guise de guirlandes complètent la décoration. 573Le monde
cauchemardesque du point B 114 perdure dans sa cabale hallucinatoire jusqu’à son réveil
dans l’œil du cyclone.
Après s’être extirpée du lupanar ensablé, elle se réveille dans une région caillouteuse
vide, inhospitalière et outrancières où l’ordre et le chaos s’accouplent pour donner une
dimension surhumaine de la nature.574Zaina a peur de se perdre dans cet espace pierreux et
rocailleux : un espace qui arrête les aiguilles du temps pour s’arrimer à l’éternité.575Puis,
noyée dans des volutes de vapeurs hallucinées, elle avance brinquebalante et vocifère
intérieurement contre ce purgatoire où Dieu s’amuse à libérer le diable pour hanter les lieux.
Elle emprunte alors inexplicablement un chemin où un siroco belliqueux et sournois
tournoie vers elle tel un serpent qui ondule puis s’enroule autour de sa proie avant de la

569
On dirait le Sud, p.107
570
Ibid., p.117
571
Ibid., p 116
572
Ibid., p.127
573
Ibid., p.127
574
Ibid., p.140
575
Ibid., p.140

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gober.576Les tourbillons d’embruns de sable accélèrent le rythme ondulatoire et charrient dans


son sillage tous les mâles qu’elle a croisés dans son errance. Souillée de leur lâcheté, elle
prend finalement conscience que ces mecs, incapables de combler son existence, gravitent
sans relâche autour d’elle: Zaina est bel et bien l’œil du cyclone. Elle vacille, étouffe et sent
monter dans sa bouche un fibrome irascible de sang venimeux qu’elle extirpe brutalement
grâce au cannabis.
Enfin, éprouvant une étrange sensation nauséeuse consubstantielle à son retour aux
577
décors inchangés du point B 114 marqué par une pesante atmosphère aseptisée , la jeune
femme vaque nue à ses tâches ménagères quotidiennes .Elle se déhanche lascivement sur le
sable brûlant dans l’espoir d’être repérée par un homme. Au bord du désespoir, la nudiste du
578
désert s’engouffre dans un monde fait de silence et de délires aphones à l’origine de la
mue démoniaque de son corps :
Sur son front se dessinent rapidement des rides méchantes (…).Les doigts se cornent en crochets.
Les veines de son cou se tendent et se terminent dans un rictus qui barre son visage au tiers .Le
regard hagard, les lèvres retroussées, le nez pincé, la jeune possédée se pétrifie. Seules ses
pupilles sautent d’une extrémité à l’autre (...) cette cyclothymie s’accélère (…) pour finir dans un
hurlement démoniaque. 579

Le point B 114, espace lénifiant

Si le point B 114 s’avère être le lieu où le désespoir et la folie se sont intensifiés au gré
de l’errance de la jeune femme en quête d’un refuge ou d’un subterfuge pour s’en extraire, il
n’en demeure pas moins que cet espace devenu lénifiant, à la croisée des parallèles , lui
permettra de découvrir et de cultiver de nouveaux sens , d’agréables et fraiches sensations .
Les sentiments de Zaina à l’égard du point B 114 ont bel et bien évolué : il n’est plus ce lieu
effroyable où elle affronte ses tourments qui ne cessent de la faire souffrir dans les méandres
enfumées de ses interminables cauchemars. Le point B 114 devient désormais cette frontière
entre le désert des hommes et celui du Temps .La jeune femme basculera de l’un à l’autre
dans une fascination à la fois magique et mystique corroborant la constante ubiquité du point
B 114. Enfin, les autres protagonistes Iness et Neil se dirigent à leur tour vers un lieu que l’on
surnomme le point B 114. Leurs aller-ego Liès et Senin, les nomades et le père Balthazar leur
ont tous vivement conseillé d’y aller pour enfin se retrouver.

576
On dirait le Sud, p.144
577
Ibid., p.170
578
Ibid., p.172
579
Ibid., p.173

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Un inattendu sentiment d’amour du point B 114 se dessine lorsqu’ après avoir branché
son narguilé bourré de chanvre au vieux téléviseur, des volutes vaporeuses apparaissent sur
l’écran de granulés noirs et blancs une forme humanoïde d’où émane une aura jaune et
bleue 580qui se précise jusqu’à l’apparition du corps diaphane d’un personnage au visage
angélique au burnous de soie bleutée qui se maintient en lévitation au-dessus d’une brume
azurée : c’est Noure, l’homme de lumière qui vient lui expliquer que ses tourments
persisteront tant qu’elle désirera que Dieu s’apitoie sur son sort .Il lui suggère toutefois de ne
solliciter que Sa grâce et Son pardon et non Son apitoiement.
Zaina comprend enfin qu’elle doit parler un autre langage à Son Seigneur réitérant son
oraison jaculatoire pour qu’il lui ouvre les portes de la raison et enfin arriver à Lui. Ses prières
sont désormais autres, ses rêves se sont apaisés et la cabane démoniaque s’est métamorphosée
en un espace de raison et de prières. Elle ne déteste plus ce lieu .Bizarrement, elle lui trouve
des vertus curatives et prie sans cesse pour que les démons ne l’envahissent plus : elle
apprend presque à aimer le point B 114. 581
Désormais la jeune femme a recouvré sa raison, vit son quotidien dans un espace qui
ne ronchonne plus, ne la maltraite plus et ne la fait plus souffrir. Ses narguilés sont
savamment dosés et ses rêves bleus la transportent vers l’infini ivre d’horizons à l’infini
recommencés.582L’espace onirique est frais, verdoyant et lénitif où tout est amplifié de bruits,
de senteurs, d’exhalaisons de jasmins adoucissant les chants des oiseaux .Se laissant emportée
sur les rivages, elle se retrouve à flâner au fin fond des sables puis à marcher pieds nus sur
l’herbe verte, mouillée par la rosée qui a poussé sur le sable fin 583pour un rêve aquatique où
le lac translucide où tout a commencé 584 l’accueille dans les profondeurs de ses ondes
fraiches au milieu d’une végétation luxuriante. Telle une anguille, la jeune femme se glisse
avec dextérité dans des méandres ombilicaux et se love tel un fœtus dans une matrice
originelle : Zaina explose de vie. Ce voyage, elle ne désire pas le finir, même s’il devait
l’emmener qu’aux portes de ses propres chimères….de son rêve bleu. 585
Après l’allégresse de son rêve bleu, la jeune femme s’introduit par inadvertance dans
une véritable merde sable qui noie la terre entre l’orient et l’occident.586Subjuguée par la

580
On dirait le Sud, p.178
581
Ibid., p.180
582
Ibid., p.181
583
Ibid., p.181
584
Ibid., p.181
585
Ibid., p.182
586
Ibid., p.186

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

beauté de ce désert cendré et lénifiant qui s’ouvre à elle, elle se demande où est passée l’autre
face du désert, celle qui lui envoyait des mutins lui marteler l’esprit pendant ses effroyables
tourments .C’est dans une zériba circulaire mystique au toit palmé et aux murs pierreux
qu’elle découvre subrepticement trois silhouettes marchant vers le couchant et qui sont déjà
ailleurs au moment où une brise fraiche lui fouette la nuque. Cette vision du couple et de leur
chamelle errant dans un autre désert augure que la croisée des parallèles est désormais de
mise. Une petite femme aux propos amphigouriques - ne dépassant pas les un mètre vingt -
au regard éteint l’accueille et lui suggère de retourner au point B 114 pour que le lien se fasse
lors d’une cruciale rencontre .Elle lui parlera du Désert des Temps lénifiant et calme qui
récuse celui tourmenté et effroyable des Hommes. Le désert des Temps est la spatialité d’un
Amour éternel et liant par lequel elle a pu aimer et respecter Dieu.
Enfin, dans la Khaima d’un caravansérail du bien-être, elle rencontre une tribu
Touareg menée par Mouloud qui lui parle des incartades du désert à même d’extraire par sa
magie la quintessence de l’esprit lorsque la conscience désire quelque chose ardemment.
Mouloud lui explique qu’à ce moment-là, toutes les énergies du cosmos conspirent
pour t’aider à l’obtenir. C’est aussi simple que cela 587Après cette discussion tard dans la
nuit, Zaina sait que les hommes bleus veillent sur elle et s’endort au milieu du clan. En se
réveillant, elle se rend compte avec pudeur et félicité qu’elle vient de partager la couche de
Mouloud qui l’exhortera à son tour à rejoindre le point B 114.Cette expérience onirique lui
fait alors ressentir une incompréhensible sensation de soulagement qui lui fait prendre
conscience que des êtres, des objets et des mondes sont susceptibles de vivre en parallèle
dans la méconnaissance et l’ingénuité absolue d’autres êtres , d’autres objets ou même
d’autres mondes. 588A la recherche d’un peu de paix et d’amour,589 elle se sent enfin protégée
et valorisée .Le jeune femme sanglote discrètement sur le torse de Mouloud, versant des
larmes sucrées et douces de bien-être.

Le point B 114, espace fantastique

Le point B 114 devient le théâtre des fantasques de la nature et des évènements 590
sous le regard indifférent des convives qui continuent de vivre dans la sérénité d’une
insouciance reposante. Des choses étranges se déroulent aux alentours de la cabane : le

587
On dirait le Sud, p.219
588
Ibid., p.239
589
Ibid., p.240
590
Ibid., p.283

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

potager se mue en un champ de coloquintes, la chamelle blanche disparait emportée par un


vent tourbillonnant, un cavalier sur un pur-sang blanc apparait et converse avec Neil pour
disparaitre l’instant d’après, la mue et la disparition du vieil acacia ainsi qu’une série de
bizarreries insufflent au point B 114 son caractère fantastique et mystérieux.
Le point B 114 entame sa mue, toquant ses hardes souillées pour des parues qui
augurent l’invitation 591et devenant un magnifique théâtre enchanteur prolongeant
l’immensité désertique. Un voile de lumières luminescentes rose et bleue se positionne tel un
rideau de scène en attente de dévoiler le miracle de son aurore boréale en plein Sud.
Subjuguée par ce sublimissime spectacle, Zaina savoure ce moment où les luminescences
ondulantes deviennent des hologrammes qui tout en se rapprochant se muent en aspects
marchants.
Enfin, le rideau de lumières frétillantes se lève à l’arrivée d’un coup en découvrant le
visage de celui qui ne cessait de hanter son esprit à travers son miroir sans tain. Espérant que
ce rêve continue, Zaina apprécie les délicieuses ondes qui se propagent en son for intérieur
tout en se remémorant les prédictions de Noure: Tu le sauras au moment même où tu le
rencontreras. Tu le sentiras t’envahir comme des vagues douces et lénifiantes .Tu le sauras
petite, ne t’en fais pas. 592La jeune femme s’effondre devant Neil son fantasme qui réalise à
son tour qu’il est face à celle qui n’a cessé de l’accompagner dans ses hallucinations le
accompagné d’une chamelle blanche. Interloquée, la pensionnaire du sibirkafi reste médusée
en découvrant le visage de celui qui ne cessait de hanter son esprit à travers son miroir sans
tain. Espérant que ce rêve continue, Zaina apprécie les délicieuses ondes qui se propagent en
son for intérieur tout en se remémorant les prédictions de Noure : Tu le sauras au moment
même où tu le rencontreras. Tu le sentiras t’envahir comme des vagues douces et lénifiantes.
Tu le sauras petite, ne t’en fais pas.593La jeune femme s’effondre devant Neil son fantasme
qui réalise à son tour qu’il est face à celle qui n’a cessé de l’accompagner dans ses
hallucinations oniriques. Leurs rêves mutuels se sont enfin matérialisés lors de cette grandiose
réception, au sublimissime théâtre du point B 114.
Le point B 114 est aussi le lieu où les protagonistes de l’histoire se rencontrent enfin
pour vivre ensembles une insolite diablerie à la croisée des parallèles. Chacun d’eux se
retrouve en face de son fantasme et raconte les raisons de son errance. Subitement, la diablerie
perturbe la balade entamée par le trio autour du sibirkafi: il s’agit d’Aniaz, la chamelle
591
On dirait le Sud, p.251
592
Ibid., p.252
593
Ibid., p.252

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

blanche qui se désagrège sous leurs yeux perplexes pour disparaitre totalement happée par le
tourbillon de vent et de sable.
Le trio n’en a guère fini avec ces choses qui disparaissent et apparaissent selon leur
bon vouloir et sans se soucier du regard des autres.594 Un cavalier au chèche pourpre sur un
pur-sang blanc apparait comme par enchantement .Il leur parle de leur inéluctable rencontre,
de leur commune humilité face aux immensités désertiques ainsi que de leurs quêtes
respectives .Le cavalier précise à Neil qu’il se retrouvera le jour où : la boucle sera bouclée
(...) Chaque coquille retrouvera sa chair(…) les garants du jour et de la nuit s’entendront (…)
les dunes charmeront les vents. 595Le cavalier ne peut non plus les renseigner sur la chamelle
blanche qui vient de disparaitre mais leur parlera d’une caravane qui se dirige vers le nord.
Subitement le cavalier et sa monture disparaissent engloutis dans une autre dimension, dans
un autre monde parallèle.
Toujours en attente de la chamelle disparue, les convives prennent le thé à l’intérieur
de la cabane sous un ciel bleu pâle derrière le nuage auréolé par le halo 596.La lourde
atmosphère inhabituelle suspend le temps alors qu’une lumière livide et inutile, provenant
d’un soleil terne inhabituellement privé de son allant coutumier597,instaure une ambiance
particulièrement folle et insensée. Le vieil acacia a mué et se dresse dans une posture
extravagante et burlesque coiffé de branches parsemées d’épines hirsutes (...) dans une
quiétude déconcertante, inexpliquée parfois bouffonne par sa bizarrerie. 598Entre temps, Zaina
raconte ses tourments à Neil et l’incite à prendre la bonne décision pour que son rêve se
réalise. Iness la targuie se joint à eux pour ne pas lâcher son homme sauf qu’ en regagnant la
cabane, aucun des trois pensionnaires du point B 114 ne s’est aperçu de la disparition du
vieil acacia.599Durant les derniers jours, des choses étranges et bizarres se passent au point B
114: un champ de coloquintes se substitue comme par enchantement au potager, des
morceaux de carcasse d’une voiture tout terrain apparaissent de temps à autre sans inquiéter
outre mesure les occupants de la cabane qui dégustent des melons amers. Les bruits plaintifs
de vagues marines ont déjà remplacé le chant du simoun, le coquillage frais et humide que
Neil a offert à Zaina revient se glisser le long de son cou. Certains soirs, ils en arrivent à voir
les images de leur propres êveries prendre forme et chacun des trois voyait en même temps

594
On dirait le Sud, p. 245
595
Ibid., p.276
596
Ibid., p.270
597
Ibid., p.271
598
Ibid., p.270
599
Ibid., p.280

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

les images rêvées par les autres .Le point B 114 se trouvait alors rempli de visiteurs.600Les
convives se retrouvaient véritablement dans ce que gens du désert appelaient Dar el
Meskouna, la maison hantée .Cependant, plus rien ne semble pouvoir altérer leur sérénité à
l’égard de ce ballet tragi-comique au moment où la lune rencontre le soleil voilé à plusieurs
reprises et provoque une éclipse inattendue. L’irrationnel prend le dessus, et le point B 114
disparait par panneaux entiers sans pour autant les empêcher de vivre dans une insouciante
quiétude. Les fantaisies incroyables persistent notamment lorsque le trio mange
silencieusement un diner surréaliste, composé de coloquintes cuites et de maigres feuilles de
menthe séchées, le tout arrosé d’eau saumâtre 601pendant que le soleil et la lune semblent,
dans leur harmonie, veiller sur les convives du point B 114.
C’est dans une ambiance de quiétude que les convives fument ensembles du chanvre
indien dans des narguilés préparés avec délicatesse par Zaina. Alors que le trio s’amuse à des
effleurements dissociés, (à) une multiplication de tendresses séparées602, le déluge impromptu
d’un liquide chaud et bouillonnant s’abat sur les dunes assoiffées et s’engouffre dans les
méandres des deltas tomenteux .Puis en un clignement de cils, ils ouvrent leurs yeux dans un
point B 114 immaculé et ordonné d’une délicieuse soirée .
A ce moment-là, un étrange phénomène d’irisation prend place dans la pénombre à la
suite de jeux d’ombres et de lumières alors que le ciel s’orne de couleurs rosâtres :
Deux anneaux lumineux nimbent les deux astres (et) entrelacent leurs diadèmes flamboyant
pour célébrer leur union. 603Ces jeux d’ombres et de lumières, fantaisies enchanteresses
feront que les rêves se concrétiseront dans une union des choses, de toutes choses. 604

Le point B 114, espace de résolution des destinées

Cette spatialité continue de se singulariser en devenant celle où l’amour convoité par


les protagonistes de l’histoire va enfin, se matérialiser à travers les choix effectués au-delà des
aspirations du cœur et /ou de la raison .Pendant que les deux jeunes femmes dorment sur une
paillasse l’une à côté de l’autre, Neil reste persuadé que sa quête est arrivée à son terme et
qu’il doit désormais commencer à réveiller son rêve. Zaina l’attend ardemment et n’arrive
guère à trouver le sommeil : Le cœur en furie et le corps en feu, elle transpire d’impatience.

600
On dirait le Sud ,p.282
601
Ibid., p.283
602
Ibid., p.286
603
Ibid., p.287
604
Ibid., p.287

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Son amant va la rejoindre pour partager avec elle ; les plus beaux, les plus inespérés, les plus
réels, moments de félicité.605
C’est à ce moment-là qu’une ombre vient s’allonger à ses côtés, la jeune targuie pose
sa main sur douce et chaude sur le ventre de la locataire du sibirkafi .Les deux femmes
s’enlacent tendrement au moment où leurs coquillages s’entrechoquent pour fonder le Lien
nouveau et éternel .Neil n’est que leur reflet susurre Iness à son amante ravie par la tournure
des évènements. Les deux Etres qui devaient se rencontrer pour une union transcendant tous
les fantasmes fusionnent alors : le dicton des Touaregs prend alors tout son sens : Quand
labelle intuition aura l’audace et la conscience la conscience de se fondre avec la
sympathique, la généreuse, celle qui incarne l’enthousiasme, la pratique, la décision et
l’adaptation. Celui dont le travail est fructueux aura le devoir et la ténacité pour accomplir
son idéal pour la résolution des destinées. 606
Neil quant à lui reprend sa route le Jour d’Après vers le Nord réconcilié vers son
origine, après avoir vécu son présent et avoir touché son avenir.607Il est convaincu que son
séjour au point B 114 lui a permis d’avoir sa plus belle vengeance sur la vie en concrétisant sa
palingénésie par le truchement de ses rêves ,et aussi de ses élucubrations
fantasmagoriques 608. Devant son 4x4 ensablé au pied de l’acacia de la cabane du point B
114, il sait que la boucle est bouclée et s’en va vers la mer avec l’envie d’exister et l’âme
totalement renouvelée : En partant, il avait jeté un dernier coup d’œil à l’intérieur : il n’y
avait rien, personne ….La cabane du point B 114 est vide. Telle est la spatialité dont
l’architecture élastique....s’élargit ou se rétrécit suivant les doses de chanvre indien bourrées
dans les narguilés 609a servi de point d’ancrage à la résolution des destinées des inattendus
convives du point B 114.

1.3. Spatialité dans L S D

Dans ce roman, une logique de binarité divise de manière incontestable l’espace : en


effet, les actions se déroulent dans deux espaces différents : l’espace référentiel d’une intrigue
ecclésiastique où Charles sera continuellement en danger de mort puisque ciblé par les forces
vaticanes du mal et l’espace onirique à travers lequel il vivra une cabale hallucinatoire avec

605
On dirait le Sud, p.289
606
Ibid., p. 290
607
Ibid., p. 294
608
Ibid., p.294
609
Mokhtari, Rachid. Le nouveau souffle du roman algérien .Alger. Chihab Editions, 2006, p.91

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Lucy, la mère de l’humanité. Le roman constitue son propre système spatial relatif à la cabale
hallucinatoire de personnages qui appartiennent à de strates de temps extrêmement éloignées
depuis l’origine des temps jusqu’ en 2051.Nous constatons que le roman débute et s’achève
dans les paysages mythiques des déserts de l’Afar alors que le continuum narratif transporte le
lecteur à Shrewsbury, à l’ile de Wight et au Vatican. Dans LSD, les actions se déroulent dans
610
ces deux spatialités l’une référentielle et l’autre onirique qui alternent tant que l’intrigue
ecclésiastique est en cours. Dès que les suppôts du mal échouent dans leur tentative
d’éliminer le Maitre de justice, la spatialité onirique devient l’unique spatialité où la refonte
de l’Humanité se fera au bord des eaux translucides et claires de l’Afar en Ethiopie.

Shrewsbury, un lieu de négativité

L’histoire débute dans la prestigieuse et unique Severnale Académie de Shrewsbury en


grande Bretagne où le quatrième petit fils de Robert Darwin, Charles Jr échoue au concours
d’entrée en maitrise d’anthropologie culturelle .Le campus de Shrewsbury n’est affecté
d’aucun signe référentiel. Faute de description réaliste, le lecteur ne se fait qu’une idée
évasive de l’endroit. Cette ville se caractérise exclusivement par son atmosphère lugubre de
désolation sous un soleil blafard qui commença à décliner sur le brouillard gris et
poussiéreux. 611Aucune autre description de l’espace en dehors du côté sombre de l’endroit
n’est ajoutée. Il fait sombre partout, dehors et dedans, en haut et en bas 612.Il est évident que
ces indices ayant trait à l’atmosphère du campus restent subjectifs dans la mesure où elle est
le reflet du ressentiment de l’énonciateur terminant son cursus par une fin de week-end
sombre. De ce fait, la ville de Shrewsbury est perçue à travers cette sensation lugubre qu’a le
jeune étudiant au moment où le hall de l’académie se vidait lentement :
Un brusque envol de corbeaux dans un oppressant nuage de plumes à l’humeur noire attira son
attention (…) la pluie tombait ennuyeuse, mais cruciale comme les évènements de cette journée.
La pluie tombait …Le soir s’asseyait dans les parages, en embuscade(…) les lumières
s’éteignaient par grappes d’obscurité(…) Shrewsbury se fanait dans le brouillard.613
D’autres traits apparaissent pour entériner cet état des lieux macabre et sinistre d’une
ville néantisée, sans âme se laissant asperger sans résistance aucune. Sur les façades des

610
LSD,p. 25
611
Ibid.,p.25

613
Ibid.,pp.31-69

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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614
maisons, les volets restaient tous fermés sauf une fenêtre celle de Natas confiné dans sa
chambre exigüe au décor macabre et rudimentaire, une sorte de prison, centre de gravité de
l’apocalypse. Shrewsbury se retrouve comme un espace sémantiquement dysphorique
corroborant une opacité narrative d’un espace vide où les personnages semblent vivre reclus,
chacun livré à ses fantasmes et angoisses respectives .Elle est présentée comme un lieu de
négativité, un espace lugubre quelque part en attente d’un tragique à venir : Sale temps ! C’est
tout ce qu’ils méritent. Un temps à faire plaisir à la Bête 615soliloque le professeur. Ainsi,
bien que la description soit le meilleur mode d’expression de l’espace, nous constatons qu’elle
devient le siège d’un discours macabre annonciateur de signes avant-coureurs de
l’apocalypse. Nous remarquons aussi que la négativité du lieu s’instaure selon le procédé sur
une logique d’opposition à une spatialité du fantastique qui émane des élucubrations de leurs
esprits tourmentés.

Studio B114

Nous affirmions précédemment que la spatialité du studio des deux étudiants pouvait
être considérée comme une sorte de point B 114 à partir duquel Charles Darwin Jr va vivre sa
cabale hallucinatoire en compagnie de Lucy la guenon. A l’instar de la chambre ovale de l’ex-
rue du diable ou du sibirkafi du désert, ce lieu permet à l’écrivain de construire la narration
sur un parti-pris d’irréalité qui entérine la dualité spatiale précitée. Il est ce lieu
cybernétique 616où Lucy contacte Charles pour traverser l’humanité depuis l’origine des
Temps jusqu’en 2051. Le studio de Charles auquel nous nous permettons de greffer
l’expansion B 114 pour le qualifier de Studio B 114 en tant qu’opérateur par lequel la trame
événementielle de l’odyssée de Charles et Lucy s’instaure. Il est aussi bien l’espace vital du
couple mais aussi celui de rêveries et d’hallucinations cauchemardesques de Charles
confronté à l’obscurité de l’endroit qui avale par sa gueule invisible l’intégralité de la pièce
pour se retrouver là où l’on ne va pas, d’où l’on ne revient pas, où l’on n’est pas (...) où toute
chose se liquéfiait puis s’évaporait dans des formes et des couleurs psychédéliques qui
dansaient et chantaient. 617

614
Ibid, p.69
615
LSD., p.71
616
Selon la formulation de Ph. Hamon : les endroits où se stocke, se transmet, s’échange, se met en forme
l’information, extrait de Le savoir dans le texte, cité par Mitterrand, Henri, Ibid., p.193
617
LSD, p.174

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Espace des origines

De prime abord, le studio du couple est présenté comme un lieu lénifiant, un refuge
qui allait maquiller une réalité impromptue, attristante mais toujours présente.618C’est un
espace où le couple prend le temps de s’aimer et de s’apprécier mutuellement en présence de
la tortue Who, fan des Beatles qui sortait de son refuge à l’heure des repas pour se shooter à
la laitue. Charles s’affaire à recharger la platine du tourne -disque stéréo accompagnant avec
Suly Lennon les délicieuses mélodies de John et Paul avant de prendre son petit déjeuner au
lit et profiter de son top model de compagne sur laquelle convergent et se réunissent tous les
charmes et toutes les beautés du Levant et du Couchant.619 Charles quitte la réalité de
Shrewsbury par le biais de son lit qui se met à lever l’ancre pour une traversée dans la nuit à
la lisière du ciel et de la terre. Charles se tient debout, nu avançant sur des vastes plaines
d’herbe tendre tout en s’émerveillant du miracle, de ce spectacle génésiaque d’un Afar
s’installant dans l’ambiance édénique d’un premier jour comme s’il venait de naitre pour la
première fois. C’est au bord du lac ondulant et ivre de vie que la rencontre avec Lucy se fait
dans une volute de joie et de stupéfaction, puis par des spasmes haletants de soubresauts
incontrôlés, corps embrasés .Tempêtes d’haleines chaudes(…) explorations réciproques (...)
éjaculat de félicité (...) Afar est là (...) Eternel (...) Originel (...) Matriciel.620 Lucy qui l’attend
depuis plus d’un million d’années lui montre ses premier pas d’hominidé à proximité d’un
acacia et, main dans la main, ils s’allongent nus face aux eaux scintillantes .Lucy lui explique
le sens de sa mission, raconte ses angoisses et ses folles espérances. Au moment où il se
réveille en sursaut, Charles réalise qu’il vient de vivre une aventure onirique bizarre. 621

618
LSD, p.75
619
Ibid., p.77
620
Ibid., p.186
621
Ibid., p.93

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Espace déliriel

Apres avoir fait traverser à Charles l’humanité à partir de la première éjaculation de la


création jusqu’ à l’agonie de la terre nourricière provoqué par l’anthropocentrisme inoculé
dans le conscient collectif depuis des milliers d’années, Lucy l’accompagne dans d’horribles
cauchemars réels ou irréels par le biais d’un buvard imbibé de LSD plaqué sur ses narines.
Charles transpire, sa vue se trouble; il sent sa tension artérielle augmenter, entend
l’accélération des battements de son cœur et voit ses pupilles se dilater .Le jeune homme se
mue en fleuve, en lumière, boit la musique au goût maternel du lait et de jasmin sous des
couleurs psychédéliques .Il devient alors la molécule vivante , kaléidoscope poussant ses
parois à l’infini , dormeur qui se couvre de ses rêves faits de musicalité de jazz , de rock de
pop et de folk , en chrysalide intérimaire .Charles est ce quelque chose dont les membres se
sont séparés de son corps pour rejoindre sa tête flottant au centre gravitationnel de la pièce
aux murs gondolant et aux divers objets qui se déplacent à saute-mouton .Charles est
désormais le maitre de l’univers sous un plafond de chocolat mou s’écroulant sur lui et qu’il
lèche pour devenir noir avant de se réduire dans une régression exaltante d’une origine
lointaine d’un bébé jeté dans le tourbillon régressif du temps 622suçant son pouce avant de
jeter l’ancre dans son vaisseau utérin.

Espace onirique d’un effroyable voyage à rebrousse-temps

Lucy hallucine effrayée par les images effroyables de ses rêves imagés qu’elle fait au
bord du lac. Son odyssée à travers les millénaires lui révèlera la lente agonie du monde
jusqu’à l’apocalypse fixant le temps en 2051 .Elle comprend que l’anthropocentrisme de
l’homme devenu fou dans sa démarche vers une liberté strictement personnelle et se
détachant du spirituel 623 est à l’origine d’un leurre : celui de la promesse du paradis sur terre.
Lucy tente malgré tout d’évacuer ses premières hallucinations qui lui montent sa
métamorphose jusqu’à ce millénaire qui n’augure rien de bon : Tout autour d’elle, la vie
agonise lentement(…) du sang coule partout et s’infiltre dans les failles de la terre.624Elle
suffoque au moment où toutes ces effroyables images reviennent par deux, les unes après les
autres. Lucy a enfin vu ce qu’elle devait voir et peut enfin se réveiller avec le souvenir de
rêves lénifiants et de visions cauchemardesques.

622
LSD ,p .86
623
Ibid., p.50
624
Ibid., p. 49

191
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Espace psychédélique ou hallucinogène

Nous pénétrons une spatialité chimérique et psychédélique qui ouvre l’esprit sur une
autre perception de soi et du monde. D’emblée Lucy se met à dormir dans un état de sommeil
étrange guidé par des intuitions animées dans un monde évanescent qui ne tient pas compte
de la spatialité et encore moins de la temporalité. Elle rêve sans le savoir d’un vécu antérieur
ancré dans un univers impitoyable où seuls les plus forts et les plus féroces restent en vie. En
fait, l’australopithèque est l’objet d’hallucinations puisqu’elle continue de voir des
perceptions diffuses qui se précisent pour devenir des images nettes et perceptibles. C’est
dans son sommeil imagé qu’elle revoit les étapes de sa métamorphose, des océans
amniotiques pour devenir minérale, végétale, animale puis le premier hominidé simien habile
et dextre découvrant son visage sur les eaux du lac. Lucy se revoit obéir à ce rêve fou, apeurée
par les injonctions de La Force invisible émettrice de sons pour qu’elle se lève et marche à la
verticale malgré les craquements secs de sa colonne vertébrale. La guenon vient de voyager
dans une temporalité antérieure croisant dans son sommeil les dinosaures lapidés par une
pluie de pierres incandescente jusqu’ à devenir le premier hominidé gravant sa vie sur les
parois des grottes et respectant la nature dans sa pérégrination. Le voyage de Lucy s’accélère
dans son sommeil : d’une arche salvatrice à laquelle elle prit part pendant des cycles lunaires,
Lucy assiste à l’avènement des religions monothéistes, devient esclave de négriers dans un
bateau puis est déportée dans un camp de concentration nazi marquée par une inquiétante
odeur de savon .Elle se trouve enfin à Hiroshima au milieu de cadavres brulés et entassés les
uns sur les autres. Elle devient Lucie Dos Santos à Fátima dont la vision d’une belle femme
lui confiera ses secrets. Elle comprend alors que ce millénaire a été celui des guerres, de
champignons énormes, funestes. 625Lucy ne supporte plus ces visions de désolation dans des
fatras de maux, de vérités détournées, de chaos spirituel et de discordes au nom de Dieu.
Lucy fait alors découvrir à Charles un univers effroyable en appuyant sur le premier
bouton du téléviseur où il découvrira successivement des pyramides anthropophages en
Egypte dans un environnement effroyable de sang déversé dans les cours d’eau taris, une
vision apocalyptique de Londres où seule l’horloge de Big ben dont les aiguilles sont figées
au chiffre 6 échappe miraculeusement à la masse aqueuse couvrant la quasi-totalité de
l’édifice. Charles se voit matelot sur le pont d’un brise -glace faisant des allers-retours de
l’Antarctique vers le Sud et vice versa .Au quatrième bouton, il découvre une mégalopole

625
LSD ,p.49

192
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

portuaire au moment où Lucy le tranquillise car il ne peut plus supporter cet univers
cauchemardesque. Il voit des gens apeurés courant dans l’espoir de se protéger de moustiques
géants convoyeurs du dernier virus .Enfin, il se voit plancton -premier maillon d’une chaine
alimentaire, nageant dans les eaux tièdes au milieu d’êtres microscopiques. L’ultime bouton
qui s’est enfoncé tout seul l’exhibe en présentateur de journal télévisé apocalyptique à
outrance.

Espace de révélations en cascade

Accablé par son échec universitaire et bouleversé par ses dernières rêveries qui ont fini
par se muer en réalité, Charles voit en prenant sa douche derrière le rideau fluide la bouche
aux lèvres fines sourire. 626La vision onirique réapparait au moment où il s’assoupit pour lui
expliquer qu’il ne pourra dorénavant la revoir que dans son univers spatio-temporel.627Il sait
qu’il est le Maitre de Justice qui fondera une nouvelle humanité sur l’amour et la paix en
retissant les Liens Secrets Des destinées sur la spiritualité pour éviter que l’apocalypse ne
sonne le glas de l’humanité. Elle lui révèle qu’elle n’a jamais connu de religion, mais que cela
ne signifie pas qu’elle manque de morale ou de spiritualité. Seuls l’Amour et la Miséricorde
fondent sa spiritualité et les rêves dessinés par Lui qui l’a dotée d’une conscience, d’une
pensée et d’un libre-arbitre .Elle lui révèle qu’il porte en lui le germe de la recherche de
l’Amour et qu’il représente la synthèse de deux antagonistes : cauchemardesque.
Il voit des gens apeurés courant dans l’espoir de se protéger de moustiques géants
convoyeurs du dernier virus .Enfin, il se voit plancton -premier maillon d’un chaine
alimentaire, nageant dans les eaux tièdes au milieu d’êtres microscopiques .L’ultime bouton
qui s’est enfoncé tout seul l’exhibe en présentateur de journal télévisé apocalyptique à
outrance.
Accablé par son échec universitaire et bouleversé par ses dernières rêveries qui ont fini
par se muer en réalité, Charles voit en prenant sa douche derrière le rideau fluide la bouche
aux lèvres fines sourire. 628La vision onirique réapparait au moment où il s’assoupit pour lui
expliquer qu’il ne pourra dorénavant la revoir que dans son univers spatio-temporel.629Il sait
qu’il est le Maitre de Justice qui fondera une nouvelle humanité sur l’amour et la paix en
retissant les Liens Secrets Des destinées sur la spiritualité pour éviter que l’apocalypse ne

626
LSD , p.107
627
Lucy : Pour me voir, il faut que ça se passe chez moi, en mon temps. Ibid. p. 123
628
LSD, p.107
629
Lucy : Pour me voir, il faut que ça se passe chez moi, en mon temps. Ibid. p. 123

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

sonne le glas de l’humanité. Elle lui révèle qu’elle n’a jamais connu de religion, mais que cela
ne signifie pas qu’elle manque de morale ou de spiritualité. Seuls l’Amour et la Miséricorde
fondent sa spiritualité et les rêves dessinés par Lui qui l’a dotée d’une conscience, d’une
pensée et d’un libre-arbitre .Elle lui révèle qu’il porte en lui le germe de la recherche de
l’Amour et qu’il représente la synthèse de deux antagonistes : évolutionnistes et
créationnistes. C’est la raison pour laquelle, Charles devra se rendre à l’ile de Wight rejoindre
Rayane et sa communauté verte. La seule chance qui reste de sauver l’humanité est que
Charles accompagne Lucy dans cette mission. Cependant Charles doute de la réussite de la
mission car il sait que tout a une fin .Lucy acquiesce mais lui révèle que la nature sait mourir
pour mieux renaitre630 qu’il existe plusieurs présents parallèles et c’est sur un de ces présents
que la Terre doit se reconstruire. Elle ajoute que notre monde constitue une partie d’un
ensemble, d’un tout qui vibre(…) une chaine qui va de l’infiniment petit à l’infiniment
grand. 631Charles saisit le sens de sa mission car il est le pivot entre ce qui fut et ce qui sera
et découvre qu’il est en danger de mort ciblé par les forces vaticanes du mal. Lucy lui
demande de se rendormir car le cauchemar est fini alors que leur odyssée n’est guère
terminée. Constater que nous sommes en présence d’une spatialité fantastique qui traite
l’irrationnel et le chimérique comme faisant partie du jeu : en effet, Mati met en exergue une
spatialité régie par une logique onirique, hallucinatoire, parfois lénifiante et souvent
cauchemardesque, qui n’a plus de corrélation avec le réel. La spatialité fantastique des romans
de Mati prend d’emblée le dessus sur le référentiel et cesse de nous paraitre insolite. Ce
fantastique qui rend crédible l’évènement surnaturel ne provoque plus d’hésitation car le
monde décrit est tout entier bizarre, aussi anormal que l’évènement auquel il fait fond. 632

2-Actantialisation de l’espace

Le fantastique devient la norme au point B 114 et contrecarre l’analyse de R.


Bourneuf633qui dans sa réflexion sur l’organisation de l’espace dans le roman proposait de
décrire de manière précise la topographie de l’action en examinant les aspects de la
description .Les romans de Mati mettent en place une narrativité de l’espace où le lieu n’a
d’importance que lorsqu’il s’y passe quelque chose .Les descriptions relatives au décors
mettent en exergue l’atmosphère générale et s’avèrent souvent superficielles .C’est par le biais

630
LSD, p.171
631
Ibid.,p.172
632
Todorov, Tzvetan .Introduction à la littérature fantastique .Paris .Seuil, 1970, p.180
633
Bourneuf, Robert. L’organisation de l’espace dans le roman .Paris. Etudes littéraires ; Avril, 70, pp. 77 - 84.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

de corrélations internes dans la dynamique des déplacements des personnages d’un lieu à
l’autre que l’espace romanesque matien se singularise .L’écrivain communique au lecteur une
expérience de l’espace onirique et fantastique jaillissant de l’indélébile point B 114 , véritable
point d’ancrage à travers lequel les élucubrations des personnages en quête d’eux - mêmes
permettent d’ entrevoir un éventuel présent pour se situer dans un avenir futur. L’espace du
point B 114 n’est jamais inerte, continuellement changeant, en mouvement, en gestation
parait presque élastique, en mesure de s’agrandir ou se rétrécir selon son bon vouloir. C’est
de cette manière que s’instaure l’actantialisation de cet espace onirique neuf qui en l’absence
de la notion du Temps accapare toutes les autres dimensions 634 et qui devient le
déclencheur des élucubrations respectives des personnages en errance .Cette spatialité fondée
sur le binarisme analysé montre que les romans de Mati intègrent un espace éclaté dont
l’ubiquité permet l’intrusion des personnages dans diverses spatialités tantôt lénifiantes, tantôt
effroyables et cauchemardesques. Dans ces romans, la description ne s’encombre guère de
détails futiles et la fonctionnalité de l’espace éclaté demeure liée aux parcours initiatiques des
personnages en quête d’eux-mêmes. C’est en ce sens que la narration se dérobe à la
description en accordant la priorité aux rencontres de personnages les plus fantastiques, les
plus excentriques qui jalonnent leurs parcours hallucinatoires. Pour les personnages-héros de
Djamel Mati l’espace est errance et expériences vécues ou subies dans leur projet de
reconstituer leur identité éclatée. L’errance s’associe à un phénomène de circularité de
l’espace dans lequel les personnages vivent leurs élucubrations. En effet, dans les deux
romans de la trilogie635, la circularité se présente en fonction de leurs itinéraires dans la fiction
et plus précisément au point B 114, point d’ancrage d’où les quêtes commencent et se
terminent inéluctablement. Ainsi, l’espace devient ce dispositif qui n’a de sens que par
rapport à leurs pérégrinations respectives.

3- Temporalité, entre référentialité et onirisme

En tentant de mettre en exergue la fonctionnalité des paramètres ayant trait à la


présentation de l’espace et du temps -porteurs de sens -, Il est indéniable que nous découvrons
un traitement du temps assez déconcertant et qu’à l’éclatement spatial correspond une poly
morphologie temporelle qui fonde le morcellement en champs temporels : le temps mythique
de la création , le temps onirique à travers lequel les personnages vivent leurs cabales
634
Mati cité par Mokhtari, Ibid. ,p .147
635
Sibirkafi.com, les élucubrations d’un esprit tourmenté en 2003, Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit
tourmenté en 2005 et On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté en 2007.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

hallucinatoires et le temps référentiel dans lequel ils évoluent lorsqu’ils ne sont plus en prise
aux drogues ou aux barbituriques .
C’est par le biais des instances narratives inédites que Mati s’engage dans une
nouvelle aventure littéraire tant sur les plans du fond que de la forme où il fait se rencontrer
des personnages qui se trouvent dans des strates de temps tellement éloignées qui ne peuvent
que décontenancer le lecteur non averti. Outre le temps mythique des origines, nous
examinerons la binarité faisant alterner la temporalité de leur quotidienneté que nous
appellerons temporalité référentielle et celle onirique dans laquelle plonge le lecteur à
travers les élucubrations de leurs esprits tourmentés. Enfin, nous examinerons les distorsions
temporelles découlant de cette binarité temporelle. Ainsi ces champs temporels se relaient,
s’entrelacent parfois au gré des hallucinations et rêveries des protagonistes de l’histoire qui
dans leurs fusion donnent lieu à une seule temporalité de l’hallucination et de la rêverie.
Lorsqu’ils ne rêvent et n’hallucinent pas, les personnages-héros en errance replongent dans un
cadre spatio-temporel d’une réalité où le fantastique perdure avec parcimonie dans leur
quotidienneté. 636

Temporalité référentielle

Ainsi, dans l’œuvre de D .Mati, l’écriture du temps reproduit dans l’univers fictionnel
cette scission majeure : temps référentiel /temps onirique à travers laquelle alternent les
personnages dans leurs pérégrinations respectives .La temporalité référentielle met en exergue
des localisations temporelles absolues et d’autres prenants appui sur des indications
temporelles relatives à l’énoncé d’autant qu’ il est difficilement concevable qu’un récit s’en
tienne d’un bout à l’autre, au même type de repérage. 637Dans LSD l’enquête ecclésiastique
instaure une temporalité d’une grande précision par le truchement de localisations temporelles
638
absolues l’enjeu étant d’éliminer Charles avant la date de son anniversaire et de son
intronisation en tant que Maitre de justice dont la mission est de sauver l’humanité.
Mais avant de les répertorier , nous recensons les indicateurs temporels à repérage
absolu :le dimanche 31mai 1970639, Charles échoue au concours d’entrée à l’Académie
d’anthropologie de Shrewsbury ; le 06 Août 1945640 à Hiroshima , Lucy lui montre de quoi les

636
Ce qui est le cas du narrateur dans Aigre-doux, continuellement en proie à des impressions de déjà-vu ou de
déjà-vécu.
637
Maingueneau, Dominique .Manuel de linguistique pour les textes littéraires .Paris, Armand Colin, 2010, p.82
638
En ce vendredi 05 juin 1970. p. 211
639
LSD, p.25
640
Ibid., p.47

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

hommes sont capables , Londres, 6 juin 1964 641Rayane apprend l’existence du Maitre de
Justice suite à une crise de mysticisme , Fátima , le 13 mai 1917 , une petite fille a la vision
de la vierge Marie alors que le 08 février 1960 642 un communiqué du Vatican ordonne de ne
pas divulguer le secret de la révélation de la bergerette. Natas envisage l’élimination de
Charles le 06 juin samedi le sixième jour de la semaine643 et le rituel avant minuit, en ce
vendredi 05juin de l’an 1970644 alors que les chiffres en bas de l’écran du radio indiquent le
06 /06/ 2051, Monseigneur se remémore une communication présentée à la Sorbonne
remettant en question la singularité du christ par le retour de son prototype qu’est le Maitre de
Justice c’était le 06 juin1951. 645
Dans On dirait le Sud, la temporalité narrative met en place un seul indicateur
temporel à repérage absolu -après que la quête de Neil soit arrivée à son terme-alors que la
durée écoulée est marquée du sceau de l’ambigüité temporelle : Il regarde le dateur de sa
montre ; il marque : jeudi vingt-sept avril. Cela doit faire neuf jours et une heure, neuf mois
et un jour ou neuf années et un mois qu’il s’était ensablé avec son 4x4, qu’importe le temps
écoulé. 646
LSD se caractérise par une temporalité narrative référentielle relative à l’énoncé
l’investigation ecclésiastique et à l’enquête policière diligentée suite à la mort de Baratia venu
assassiner Charles dans son petit studio. Elle est corroborée par des localisations temporelles
d’une extrême précision, l’objectif ultime du Vatican étant de supprimer Charles avant la date
fatidique du 6 /6/70 :
647
L’horloge du « Révolution » marquait 13h 59 lorsque Natas entra (...) sa montre indiquait
648 649
22h40 (…) les gros chiffres verts luisaient dans l’obscurité:00 :35(..) indiquent : 05 :45650(...)
Charles regarde l’heure : 6heures 15(…) 8heures 35, le ferry (...) vers 18 heures Suly (…) la
montre-bracelet (de Baratia) indiquait 20h30(. .) le faisceau sur son poignet signalait 23h45.Il
reste à attendre 22h55. 651
Baratia se rêve dresseur de rats et homme -canon dans un cirque et se réveille effrayé
par une énorme pierre déboulant vers lui à une vitesse vertigineuse .Ce dernier se jette par la

641
Ibid .,p.101
642
Ibid., p.101
643
Ibid., p. 155
644
LSD, p.211
645
Ibid., p.226
646
Ibid., p.295
647
Ibid., p.150
648
Ibid., p.155
649
Ibid., p.158
650
Ibid., p.185
651
Ibid., p.235

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

fenêtre meurt sur coup le crâne fracassé. L’enquête policière débute dès l’éveil de l’inspecteur
Pantin à 1h du matin. Ce dernier échange des informations avec un subalterne à 22H45 et le
lendemain à 15h10652, l’affaire, concluant au suicide, était d’ores déjà classée.
Pendant ce temps au Vatican, le pendule de la chambre de Monseigneur indiquait
22h15 qui comprend juste avant minuit 653l’impossibilité de contrecarrer une prophétie
annoncée il y a deux mille ans. Charles Darwin se retrouve en Ethiopie au bord du lac, là où
tout est illuminé 654 en compagnie de Rayane, Lucy /Suly, Mouloud le chef des hommes
bleus, là où personne ne sait depuis quand cette caravane se dirige vers le nord: Cela fait
quelques mois ? Nul ne peut le dire .Ici le temps ne se compte plus.655
D’autres localisations relatives à l’énoncé sont de mise par rapport à un moment
précisé dans le contexte pour instaurer la temporalité narrative référentielle. Dans LSD, ces
localisations restent repérables par rapport à ce moment crucial de l’histoire : celui de l’échec
de Charles au concours d’anthropologie ce dimanche 31 mai 1970 656 Ainsi, à partir de cette
date le narrateur inscrit un repérage relatif alternant avec les localisations temporelles
suscitées. Les localisations temporelles relatives à l’énoncé sont de mise dans le continuum
narratif : le premier jour de juin (...)657l e deuxième jour de juin (…) 658le onzième carillon de
l’horloge(…) vendredi 5 -demain samedi le sixième jour de la semaine (...) le sixième mois de
l’année (…).659

Temporalité onirique

Outre, le temps mythique originel d’un temps d’avant le verbe, les hallucinations,
rêveries et élucubrations des protagonistes de l’histoire instituent une autre temporalité
onirique souvent cauchemardesque qui confère une dimension fantastique à ces nouvelles
écritures. En effet, l’univers fantastique s’avère être le lieu privilégié de l’action à travers des
rencontres incongrues - avec des personnages tous aussi fantasques les uns que les autres- que
font les personnages errants et l’ultime étape de leurs pérégrination660- avant de recouvrer un

652
Ibid., p.256
653
Ibid., p 251
654
LSD , p. 272
655
Ibid., p.274
656
Ibid., p. 25
657
Ibid., p. 56
658
Ibid., p.107
659
Ibid., p. 201
660
La mue ou la transmutation

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

tant soit peu leur identité - notamment pour le personnage-héros de Aigre-doux.661Dès


l’instant où les personnages commencent à avoir des visions auditives et /ou visuelles,
cauchemars et/ou rêves bleus extatiques, une nouvelle temporalité s’instaure dans un univers
diégétique où le fantastique bouleverse une quotidienneté qui n’était déjà pas de tout repos.
Cette temporalité onirique alimente une atmosphère fantastique dont des signes avant-
coureurs sont antérieurs au début des quêtes par la prise systématique de LSD , de cannabis et
de pilules aigres-douces pour quitter une réalité tellement redoutée et qui ne leur convient
guère.662D’emblée, .la temporalité onirique s’instaure en brouillant les frontières entre
l’imaginaire et le réel, l’existant et l’inexistant, le palpable et l’abstrait. En fait, dans ces
romans de Mati nous sommes en présence d’un fantastique qui, à l’instar de celui de Kafka,
traite l’irrationnel comme faisant partie du jeu : son monde tout entier obéit à une logique
onirique, sinon cauchemardesque, qui n’a plus rien à voir avec le réel. 663Le fantastique
prédomine en instaurant sa propre spatialité et temporalité onirique d’autant que l’évènement
surnaturel ne provoque plus d’hésitation car le monde est tout entier bizarre, aussi anormal
que l’événement même à quoi il fait faux bond. 664Chez Mati, le fantastique- mixture d’univers
familiers -avec de systématiques impression de déjà vu et de phénomènes étranges telles que
les apparitions et disparitions instantanées de personnages fantasmagoriques s’instaure de
manière délibérée dans le continuum narratif .Ces derniers apparaissent dans des moments de
visions hallucinatoires des personnages en proie aux élucubrations de leurs esprits tourmentés
en proie aux diverses drogues.
- La genèse du monde
Dans LSD, la temporalité onirique se manifeste au moment où Charles Darwin
commence à avoir de visions hallucinatoires - auditives puis visuelles- qui le mettront en
contact avec Lucy, la mère de l’Humanité. Alors que les chiffres verts du cadran de son réveil
représentent le temps réel de sa quotidienneté à Shrewsbury, une autre dimension temporelle
s’instaure dans l’espace du texte par le truchement de clignements de cils répétitifs de Lucy

661
Dans Introduction à la littérature fantastique, Paris, Seuil, p 105. Todorov, tzvetan estime que la
métamorphose est un thème majeur du fantastique
662
Dans LSD Charles est malheureux suite à son échec au concours d’anthropologie, dans Aigre-doux le
narrateur amnésique se réveille un triste matin à l’ex-rue du diable alors que dans On dirait le Sud, Zaina espère
renaitre ailleurs à chaque réveil brutal dans ce maigre décor rongé par l’ennui et le désespoir.
663
Todorov, Tzvetan, Ibid., p.180
664
LSD, p.180

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

faisant passer les siècles en compagnie de Charles Darwin pendant ces longues heures passés
ensembles. 665
A travers ce roman , Mati s’aventure jusqu’aux origines en romançant le Big bang , en
situant l’histoire au début de la création du Rien au Tout avant que le verbe ne soit , au
premier instant du Tout (...) premier calcul du temps après le néant (…) après
l’imperceptibilité dans une amplitude dépassant le temps de l’homme dans le carrousel de
débris en formation à l’origine de la création d’une Œuvre lactée . Un sommaire d’ordre
temporel clôt le processus par le paradigme qui constitue à nos yeux un sommaire temporel
de la genèse du monde à nos jours où le verbe est : Il y eut le temps, il y eut l’espace, il y eut
la matière et il y aura le verbe. Le verbe est. 666
Cette temporalité originelle et onirique se retrouve dans le désert de l’Afar, berceau de
l’humanité qui dans un passé lointain apparaitra par les rêveries de Lucy qui- de rêve en rêve
667
et de clignement de cils à - feuillette le livre du temps où elle passe en revue l’humanité
qui s’étale partout où le sol l’accueille dans sa cabale hallucinatoire. Absorbée par une spirale
de temps, Lucy pousse une porte derrière laquelle il y a d’autres rêves en désordre 668 avec le
temps où des séquences oniriques brèves et fugaces surgissent pour la mener au deuxième
puis au troisième millénaire et la fixer en l’an 2051, date de l’apocalypse. Dans son voyage
onirique, elle se voit premier maillon d’une longue chaine dans des eaux malfaisantes. Le
temps se contracte au bord du lac Afar en une mélasse miasmatique et saignante réactivant
des temps barbes de souffrances et d’injustices où elle sera capturée, torturée et brutalisée sur
des galères négrières. Toute cette pérégrination qui la mènera vers le petit-fils de Charles
Darwin est régulièrement ponctuée par des sommaires temporels récurrents balisant en
quelque sorte cette temporalité de l’hallucination.
Il y eut le temps qui changea (…) il y eut une nuit, il y eut les rêves, il y eut des ordres donnés.669
Il y eut les rêves, il y eut des rencontres, il y eut les secrets, il y eut des cauchemars,
Il y eut des étoiles qui brillent la nuit, en haut.670
Il y eut des jours, il y eut des nuits (...) il y eut des milliards de jours, il y eut des milliards de nuits
devant lesquelles l’origine se rapprocherait de ses lendemains.671

665
LSD, p.87
666
LSD, p.14 -15
667
Ibid., p. 43
668
Ibid., p. 47
669
Ibid., pp. 36-39
670
Ibid., p .50
671
Ibid., pp.65-67

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

L’Afar eternel, originel et matriciel

C’est dans cette incroyable alchimie intemporelle entre faune, flore et espèces
animales que naitra plus tard le paradis terrestre qui deviendra plus tard le désert de l’Afar,
l’Arcadie retrouvée .Dans ses rêves éveillés, Lucy la guenon vit et se voit pendant qu’elle dort
au bord du lac Afar où une végétation arbustive et de vastes pâturages s’harmonisent dans une
mystérieuse organisation constituée de senteurs, de sons et de lumières .Et , c’est dans un
émerveillement euphorique que Charles a l’impression de naître pour la première fois devant
le spectacle génésiaque de l’Afar dans le décor édénique d’un premier jour traversant le
firmament du Temps au bord de son lit qui lèvre l’ancre pour le paradis sur terre. Emerveillé,
Charles contemple le futur sur le scintillement luminescent des eaux translucides du lac après
y avoir fait l’amour avec Lucy dans une éjaculation mutuelle de félicité.
Enfin, la prophétie du retour du Maitre de justice à la fin de ce quatrième millénaire
annoncée depuis plus de 2000 ans se réalise comme prévue dans cet environnement verdoyant
au bord du lac salé enjolivé par un vol majestueux de flamands roses aux colorations
extraordinaires.
Sur les facettes polies d’un petit grain de sable
Dans Aigre-doux, au sortir de la chambrette ovale du point B 114 le personnage -
narrateur continue son voyage sous un soleil zénithal et hallucine après avoir franchi la Porte
du désert en découvrant des peintures rupestres dans des cavernes presque ensevelies dans le
sable. Ce dernier ne suppute que l’accouchement de ces témoignages peints et gravés dans la
roche s’est fait dans longueur du temps et probablement dans la douleur des
gens.672Halluciné, il va vouloir connaitre leur histoire en fouillant le sablon brûlant jusqu’à ce
petit grain de sable au multiples et microscopiques facettes brillantes qui réfléchissent ce
désert aride et désertique qui il y a de cela quelques secondes ou bien des millénaires était
un coin de paradis, un Eden luxuriant et verdoyant : Une végétation luxuriante tapissait ces
vastes étendues d’animaux aimant les hommes et des humais respectant les bêtes.673
Auparavant, c’est à travers un rêve de bonheur que le narrateur se voit nu, heureux en
compagnie de sa bien-aimée dans sa céleste virée. Certain de se trouver au paradis, il s’affale
sur le gazon frais pour y dormir jusqu’au petit matin réveillé par le chant des oiseaux et la
fraicheur de la rosée.

672
LSD, p.74
673
Aigre-doux, p.74

201
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Temporalité ambigüe

Dans On dirait le Sud la temporalité onirique transparait à travers l’imaginaire de Neil


focalisé sur un autre type de voyage initiatique dans sa quête d’absolu romantique. Le
naufragé du désert se voit dans un Eden étoilé où il réapprendra à être lui- même, à être enfin
un homme heureux s’enivrant des senteurs et parfums de bois, de nectar et de vins pour une
parcelle de seconde qui aurait l’élasticité de l’éternité .Zaina, quant à elle, écoute les choses
qui occupent son peuple la plupart du temps lorsqu’ils ne sont pas en période de
transhumance.674Lorsque l’amnésique se réveille dans la cabane du sibirkafi et tout au long de
son errance dans le désert des Hommes, elle n’a jamais conscience du temps qui passe et
n’éprouve pas le besoin d’en mesurer la durée ou l’amplitude d’autant qu’ aussi loin que se
rembobinent ses souvenirs, Zaina ne pouvait fixer dans sa mémoire quand elle a été larguée
au fin fond de ce désert. 675 Elle pérégrine au travers la temporalité de ses rêves et cauchemars
sans aucun autre repère d’ordre temporel .Les évènements vécus dans ses élucubrations ne
font jamais l’objet d’un repérage temporel précis même lorsque celle -ci n’est pas en proie
aux hallucinations générées par la prise de narguilés bourrés de chanvre indien. Les repères
temporels imprécis-balisant l’errance hallucinatoire de la jeune droguée et du couple insolite
qui remonte le temps pour s’engouffrer dans le futur -instaurent à juste titre une temporalité
onirique à la fois floue et ambigüe : Depuis des jours, le vent gronde (…) tard, cette nuit
Zaina est sortie (...) au même instant, en d’autres temps peut –être (..) cela dura le temps
d’une vie, le temps d’une mort, un laps de temps.676
Au point B 114, le vent s’est calmé depuis plusieurs jours, Zaina continue sa traversée
cauchemardesque et se met à marcher des heures durant 677alors que le temps, lui, ne sait
plus s’il faut avancer ou reculer (...) il se la coule dans l’immobilité. 678Les journées d’errance
en solitaire sont continuellement balisées de repères temporels imprécis.
Depuis des jours, elle ne mange presque plus(…) le calvaire des sens est à tout moment(…)
A plusieurs journées de marche du point B 114(…) les dernières lumières du jour s’estompent
(…) quelques jours plus tard, Zaina décide de quitter le sibirkafi du point B 114. 679

674
Le désert n’était pas aussi inculte. Il y a des milliers d’années, il y eut une civilisation des oasis (…) la
chasse, des saisons, de la cueillette .On dirait le Sud, p. 220
675
On dirait le Sud, p.22
676
Ibid.,p.27
677
Ibid., pp. 33 -51
678
Ibid., p.81
679
Ibid., pp .62 -64 -89-95

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Le caractère flou et ambigu de cette temporalité perdure tout le long de la traversée


cauchemardesque de la jeune femme qui prise de folie dans l’œil du cyclone perd toute notion
du temps et de la durée de son errance.
Cela fait maintenant des jours ou des mois ou peut être des éternités qu’elle erre dans ces
immensités balisées par des cauchemars interminables (..) un espace qui arrête les aiguilles du
temps pour s’arrimer à l’éternité (..) durant toute cette stagnation du temps (..) des jours, des
lunes ont coulé sur cette dislocation sensuelle. 680
Puis lorsque le désert devient lénifiant car cela fait des jours que le temps s’est mis à
la convivialité681, la temporalité n’en devient pas plus précise pour autant, l’imprécision
temporelle est de mise au point B114.En attendant de croisement des parallèles, Zaina
rencontre Mouloud au caravansérail pour une idylle platonique qui restera incrustée dans
l’espace et à l’abri du temps. Pour l’éternité. 682Le point B114 ne sera peut-être pas le lieu de
sa guérison d’autant que cela fait un bail que les narguilés ne fument plus Quant au couple et
sa chamelle blanche, leur pérégrination continue jusqu’à ce jour, différent de tous les autres,
un jour qui ressemble à un premier jour de quelque chose ou de toutes choses 683où le lien se
fera entre les deux femmes qui s’en iront ensembles.
Dans Aigre- doux, le narrateur amnésique prend conscience qu’il vient de se réveiller
dans un monde de chimères : Chimères ! Je me suis réveillé dans un monde de
chimères. 684Cependant, il n’a aucune notion du temps qu’il vient de passer hors de cette
chambrette ovale située à l’ex-rue du diable et encore moins de celui du monde qu’il vient de
découvrir.
Cela doit faire bien longtemps que j’ai quitté cet endroit, les choses ont beaucoup changé .Depuis
mon retour, je ne reconnais plus rien, ni les personnes, ni les lieux (…) je n’arrive plus à les
recadrer dans ma mémoire.685
Ingurgitant ses pilules au goût acide qui lui rappellent les vapeurs de chanvre indien,
des fragments d’un étrange vécu, de rétrospections d’images subliminales anachroniques et
cauchemardesques, le narrateur tente d’expliquer la quête de soi, à un vieux mage, entamée
sans avoir la moindre idée de son commencement : Je suis sur les routes depuis…depuis

680
Ibid., pp. 139 -141-147-155
681
Ibid ., p.245
682
On dirait le Sud ;p. 243
683
Ibid., p.284
684
Aigre-doux, p. 22
685
LSD, p.23

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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toujours, je pense (…) je veux retourner chez moi, mais j’ai perdu mon origine .Je ne sais
même pas qui je suis.686
En arrivant dans un hameau où les gens s’espionnent, ne se parlent pas mais
s’engueulent, le narrateur toujours amnésique soliloque - depuis que je suis arrivé ici, au fait
depuis quand suis-je là -son incapacité à mesurer le temps qui passe dans cet univers
chimérique.
Aucune localisation absolue ne permet de situer l’errance du narrateur dans le temps
.Seules, des localisations temporelles relatives à l’énoncé c'est-à-dire au moment de son réveil
à l’ex-rue du diable un triste matin, après un long, très long voyage hors du temps 687 balisent
les étapes de ses péripéties hallucinatoires sous l’effet des barbituriques dans un monde
chimérique , apocalyptique et irrationnel où le temps parait suspendu , à force de se répéter
dans l’exiguïté de la chambrette .Les évènements se succèdent , ici , dehors , dans mon
cerveau , mais ne semblent pas être mesurés par la durée. 688L’emploi de la conjonction ou
corrobore l’imprécision de cette temporalité floue et non -maitrisable par le narrateur d’un
temps incalculable-tantôt dilaté, tantôt comprimé qui passe ou qui fait simplement semblant
de s’écouler.
Cela fait des jours ou peut être des mois que le récepteur est aveugle 689
Les jours enfilent les nuits pour en faire des chapelets de semaines et de mois690
Depuis les temps les plus reculés, les légumes sont mijotés
Cela fait des mois que les robinets refusent de laisser passer l’eau.691
Au réveil (…) je passe ma vie à regarder défiler les nuits et les jours 692il y a de cela quelques secondes
ou bien des millénaires.693
Je ne sais combien de jours j’ai passé dans ces contrées arides. 694
Depuis dix ou cents jours, les vents grondeurs ne cessent de gonfler. 695
Au bout de quelques jours (…) aucun évadé ne pouvait dire combien de jours ou de mois nous étions
restés houspillés par les rafales.696
Des jours ou des mois durant, j’ai lu tous les écrits d’histoire pour retrouver la mienne (…) des heures,

686
Aigre-doux, p.17
687
Ibid., p. 13
688
Aigre-doux, p.43
689
Ibid.; p.27
690
Ibid., p.32
691
Ibid., p.38
692
LSD, p.57
693
Ibid., p.74
694
Ibid., p.77
695
Ibid., p.83
696
Ibid., p.85

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

des mois ou des années avaient passé depuis. 697


Cela fait maintenant plusieurs mois, siècles, jours ou plusieurs riens du tout (...) que je suis sorti
de chez moi. 698

4. Rapports d’ordre et discordances

Si dans un premier temps, le texte narratif n’est qu’un espace de signes écrits, le temps
du récit peut être par conséquent un pseudo-temps représentant le temps de l’univers
diégétique699 , il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent entretenir des rapports complexes qui
fondent la temporalité du récit. Les rapports d’ordre résultent alors des discordances entre la
succession des évènements et leur disposition dans le récit. Si dans le roman traditionnel, le
développement temporel-constitue l’armature même du récit, les romans de D. Mati se
singularisent en traitant la temporalité par la mise en place d’anachronies (prolepses et
analepses) brisant la linéarité temporelle et entrainant par la même le trébuchement du récit.

Temps de l’univers fictif

Dans LSD, le temps de la fiction -permettant le déroulement chronologique de


séquences narratives ne peut théoriquement, durer que le temps de l’histoire racontée, celui de
l’intrigue ecclésiastique ponctuée de manière régulière de localisations temporelles absolues
jusqu’au dénouement de l’investigation policière menée par l’inspecteur Patin. Ces
localisations temporelles sont repérables à travers les chiffres verts du radioréveil, le carillon
de l’horloge à balancier de Charles et la montre-bracelet du professeur Natas.
Natas méditait (…) la montre-bracelet indiquait 22 heures 15. 700
Les grands chiffres verts (…) indiquaient : 12h45.701
Charles (...) s’installa (...) pour raconter son extraordinaire histoire.
Il était près de 15 heures lorsqu’il avait terminé.702
Le onzième carillon de l’horloge le fit sursauter, Charles s’était assoupi.
Lorsque le douzième carillon retentit (…) c’était des chuchotements.703
Natas décrocha .Sa montre indiquait 23h40(...) les gros chiffres verts luisaient dans l’obscurité de
la chambre : 00 :35. 704

697
Ibid., p.146-152
698
Ibid., p.213
699
Dans la terminologie de Genette, la diégèse est un synonyme d’histoire mettant l’accent sur l’univers où elle
se déroule.
700
LSD, p.71
701
Ibid., p.108
702
Ibid., p.110
703
Ibid., p.123
704
Ibid., p.158

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

IL est évident que la temporalité de l’histoire racontée est envisagée dans un


développement temporel dont la linéarité est rompue dès que Charles Darwin se met à
halluciner pour retrouver Lucy au bord du lac Afar qui se traduisent par l’intrusion
d’anachonies externes relatant des évènements qui se trouvent au-delà des limites temporelles
du récit principal : celui de l’intrigue ecclésiastique .Ainsi , le temps de la fiction -celui de la
quotidienneté de Charles et Suly à Shrewsbery s’amenuise progressivement et se trouve
relégué à un second plan au profit de la narration de leur cabale hallucinatoire. Le couple
inédit remonte le temps du bigbang, de millénaire en millénaire par le truchement
d’anachronies externes- analepses et prolepses narrant l’apocalypse jusqu’ à ce que le temps
se fixe en l’an 2051.
Dans Aigre-doux et On dirait le Sud, le temps de l’univers fictif reste dans un état
embryonnaire dans la mesure où la prise de barbiturique et de chanvre indien aggrave
l’inaction des deux principaux protagonistes fuyant leurs présents immédiats pour
s’engouffrer dans un monde fantasmagorique. Leurs pérégrinations hallucinatoires assoient
cette temporalité du doute et de l’imprécision -contrastant avec celle de L SD- qui restitue
avec pointillisme les séquences narratives relatives à la quotidienneté de Charles et Suly,
l’enquête policière à Shrewsbury et à l’intrigue ecclésiastique menée dans les méandres du
Vatican. Cette temporalité narrative est comparable à celle du nouveau roman où on dirait
que le temps se trouve coupé de sa temporalité. Il ne coule plus .Il n’accomplit plus rien 705et
rythme le tempo narratif dans une perspective de propagation de la durée textuelle - inhérente
au voyage pilulaire du narrateur - au détriment de la durée de l’histoire.
En définitive nous affirmons que la désintégration de l’espace – en tant que donnée
sémantique –autant que la déconstruction temporelle fondée sur le binarisme sus-analysé sont
chargés de sens et de considérations d’ordre ontologico-existentielles qui invitent à une
lecture active participant à une structuration signifiante productrice de sens.

Temps de la narration

Les romans de Mati se singularisent par l’insertion de récits abymés, de


remémorations et de monologues intérieurs qui corroborent l’étirement de la narration par le
biais d’anachronies externes contribuant à l’instauration d’une temporalité discursive qui
s’indexe au-delà des limites temporelles du récits principaux dans des univers tous aussi
fantasmagoriques les uns que les autres. De ce fait, il est incontestable que la mise en valeur

705
Robbe –Grillet , Alain. Pour un nouveau roman Paris, Ed.de Minuit, Gallimard, Coll. Idées, pp. 167-168

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les distorsions temporelles et transgressions de l’ordre chronologique qui amènent le lecteur à


s’engager dans une quête du sens parallèle à celle des personnages en quête d’un sens à
donner à leur existences respectives.
 Analepses externes
C’est en ce sens que Genette précise que toute anachronie constitue par rapport au
récit dans lequel elle s’insère-sur lequel elle se greffe –un récit temporellement second. 706Ce
sont justement ces ans achronies externes qui font basculer la narration dans le champ
temporel onirique, celui des hallucinations des personnages errants en proie à leurs propres
élucubrations.
Dans LSD elles apparaissent au moment où Charles où Lucy passent en -revue
l’humanité sans interférer sur le récit premier et ont seulement pour fonction de compléter en
éclairant le lecteur tel ou tel antécédent 707 .Ainsi , le récit de Lucy- poursuivant son voyage
dans les ramifications illuminées de ses rêves 708, se voyant vivre de chasse et de pêche ,
cultivant les céréales ,élevant des chèvres et réalisant des poteries constitue une analepsie
externe .Puis au fur et à mesure que le temps s’accélère et se contracte , Lucy traverse ces
siècles (…) passe à travers le bourbe du temps de la déportation , elle devient témoin de
l’apocalypse le 06 Août 1945 à Hiroshima , bergerette au seuil du deuxième millénaire prés
de Lisbonne ayant la vision d’une très belle femme lui confiant ses secrets , témoin encore au
printemps 80 à Jérusalem de la découverte des dix ossuaires d’un tombeau fermé depuis 2000
ans .La spirale du temps l’amène au troisième millénaire où d’ un bond en avant (..) le temps
se fixe en l’an 2051 ancrage temporel d’une renaissance, d’un autre cycle de la vie où elle se
retrouve plancton –premier maillon d’une longue chaine dérivant sans énergie aucune dans les
profondeurs abyssales d’eaux souillées par les déchets et les rejets d’un millénaire à la
course effrénée, aux projections aveugles et outrecuidantes. 709
Dans Aigre-doux, des analepses externes balisent la pérégrination du personnage -
narrateur par la remémoration de souvenirs heureux d’une vie de bohème, d’une autre période
heureuse où il a connu cette femme qui partage avec lui misère et folie .C’est aussi la
remémoration d’une rétrospection d’un paradis perdu, d’un Eden verdoyant dans lequel
vivaient de grands Preux 710 à travers la vision d’un petit grain de sable, d’un dialogue avec le

706
Genette, Gérard .Figure III .Paris collection Poétique, Ed du Seuil, 1972, p. 90
707
Genette, Gerard, Ibid., p.91
708
LSD, p. 41
709
Ibid., p.48
710
Aigre-doux, p.74

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

simoun lui inculquant sagesse et humilité au fin fond de ces immensités désertiques en évitant
le désert des hommes qui mène inéluctablement à la désolation , d’une tragique traversée avec
des harragas711 où le rêve devient un moyen de survie jusqu’au point B114. Enfin, slalomant
entre les tombeaux d’une nécropole résultant de cette guerre sans nom ni raison avec pour
seule excuse : Dieu, pour seul but : le paradis712, le personnage -narrateur déchiffre les yeux
fermés ce qui est écrit sur son écorce : le récit de ces cinq enfants devenus anges immaculés
par la faute de la horde barbare qui les a poursuivis dans l’obscurité de la nuit tombée :
Les loups sanguinaires les pourchassent dans les galeries où retentissent les abominables
frayeurs. Dehors, il se fait tard, les petits ne vont pas rentrer. Ils étaient cinq jeunes bourgeons(…)
ils étaient cinq enfants et les voilà devenus cinq anges immaculés(…) depuis nos cœurs meurtris
ne peuvent plus se taire quand la douce félicité se change en épouvantable horreur(…) ils étaient
cinq, ils étaient des centaines, ils étaient des milliers.713
Enfin dans On dirait le Sud , des anachronies apportant des informations relatives au
passé de ce jeune capitaine sont réparables au moment où Neil se remémore son naufrage ,lui
,l’unique survivant à être dégurgité sur la terre ferme 714et sa vie conformiste qu’il récuse en
entreprenant sa traversée du désert pour réapprendre à vivre, pour fuir les moralisateurs et les
inquisiteurs de tous bords. Ces informations véhiculées par cette analepsie permettent de
comprendre à postériori les raisons de sa quête et le sens qu’il souhaite lui faire revêtir :
Voilà ce à quoi aspirait Neil, ce garçon issu d’une famille aisée, aux traditions toutes tracée et
aux convenances bien établies, alors qu’il a laissé confort et femme, amis et carnets de chèques,
mondanités et hypocrisie, perspectives et enfants, promesses non tenues et directives imposées .715
Une seconde analepsies apparait lorsqu’en compagnie de Zaina dans la Khaima du
caravansérail, Mouloud se remémore les légendes targuies racontées par les vieux de la tribu
qui ont combattu l’empire du mal régenté par un prince, habillé d’une tunique noire et qui a
inféodé toute une population .Nous comprenons , par le biais de cette rétrospection que les
forces du mal qui hantent la jeune femme ne cessent de sévir dans ces contrées désertiques
depuis la nuit des temps .Mouloud confirme l’existence d’un clan diabolique transformant les
humains en animaux dans un immense zoo dirigé par des pachydermes et celle un pantin
contre lequel ses ancêtres ont vigoureusement lutté . C’est justement cet empire du mal- que
les aïeuls de Mouloud ont cru exterminer- que Zaina dit avoir affronter dans sa cabale
hallucinatoire. L’intérêt de cette analepsie est de comprendre que l’Empire du mal que les

711
Ibid., p.86
712
Ibid., p.122
713
Aigre-doux, pp.124-125
714
Ibid., p. 29
715
On dirait le Sud, p.30

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

hommes bleus croyaient à tout jamais éradiqué resurgit dans le monde virtuel de la jeune
femme. C’est aussi pour Mouloud l’occasion de lui expliquer que le désert trompe (...) peut
rendre les gens fous, mais il peut aussi les aider à devenir sains d’esprit et que se shooter au
chanvre indien ne lui permettra pas de découvrir les trésors de l’âme 716 que le désert
dissimule dans sa texture.
Nous constatons toute l’habileté du narrateur qui, à travers ces analepses complétives
nécessaires à l’intelligence et à la compréhension des quêtes des personnages en cabale,
récupère l’antécédent 717narratif pour le compléter en lui adjoignant des éléments
d’information complémentaires. Genette définit ces renvois corroborés par le principe de la
signification différée ou suspendue 718comme des segments rétrospectifs qui viennent combler
après coup une lacune antérieure du récit (...) selon une logique narrative partiellement
indépendante de l’écoulement du temps. 719
Analespses répétitives
IL est indéniable que des analepses répétitives en rappel organisent architecturalement
l’œuvre de D. Mati .Ces allusions du récit à son propre passé 720 sont des rappels à l’état pur
volontairement choisis pour que le lecteur synthétise les différentes étapes de leurs
pérégrinations respectives .Dans Aigre-doux , le narrateur analyse son errance en overdose
pour constater l’échec de sa quête qui ne l’a finalement mené nulle part. :
Cela fait plusieurs mois, siècles, jours ou rien du tout (…) que je suis parti de chez moi .J’ai été de
villes en bidonvilles, de mer en montagne. J’ai visité les châteaux et les caveaux. J’ai parcouru les
routes et les parchemins. J’ai questionné tous les mirages et les grimoires. J’ai rencontré les
malins et les fadas .J’ai couché sur les seins des catins et j’ai rêvé des houris dans mes paradis
artificiels .J’ai disposé du seing de saint .J’ai écouté le chant du vent et le bourdonnement des
abeilles .J’ai quitté mon corps, rejoint mon esprit et mon âme dans les cieux , j’ai supprimé les
espaces et suspendu le temps ; et j’ai fini par couper le cordon ombilical .Tout cela : pour me voir,
me retrouver, mais je ne me suis pas vu et je n’ai toujours rien trouvé, à ce jour.721
Puis il rappelle par l’énumération tous ces personnages énigmatiques qui lui ont parlé
de transmutation sans lui en préciser la nature : L’alchimiste, le mage dans sa matrice boisée,

716
On dirait le Sud, p. 215
717
Genette, Gérard, Ibid., p.101
718
Genette, Gérard, Ibid., p. 97
719
Ibid. p.92
720
Ibid. p. 95
721
Aigre-doux, p .213

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le simoun –colporteur d’histoires, la femme et le vieillard aux multiples visages m’avaient


demandé d’être patient avec moi-même.722
En définissant la fréquence narrative, Genette confirme qu’un énoncé narratif n’est
pas seulement produit, il peut être reproduit, répété une ou plusieurs fois dans le même
texte. 723Nous décelons cette capacité de répétition de récit lorsque le narrateur synthétise à
postériori des évènements marquants, des rencontres cruciales et des faits singuliers qui
balisent ses pérégrinations. Ces réminiscences d’une netteté incroyable se projettent dans une
parfaite chronologie sur le rétroviseur de la voiture. Ce type de récit répétitif corrobore le fait
que le même évènement peut être raconté plusieurs fois (…) avec des variantes stylistiques.724
En effet, lorsque la délivrance l’installe au volant de son véhicule, il voit se dérouler
sur le rétroviseur les évènements de sa vie où des paysages et des personnages défilent en sens
inverse pour lui parler de patience, d’épreuves, du temps, de la mort et de la
métamorphose. 725 Ce dernier aurait voulu conseiller chaque personnage pour que leur
destinée prennent un cours favorable mais il n’a pu le faire .Le temps presse et il a rendez-
vous important avec la délivrance. Une concaténation de fragments de millions de symboles
et une multitude de personnages vivants tournoient devant ses yeux et le regardent
étrangement …
Au milieu de cette mêlée il ya aussi l’alchimiste, les abeilles, les bourdons, des mendiants, des
vaches, des diables, une amphore sur une épaule, une vareuse blanche avec un bouquiniste
dedans, un garçonnet à la chevelure de laine, des légumes qui mijotent, des femmes ….une
femme.726
On retrouve ces rappels dans On dirait le Sud lorsque le narrateur met en exergue
des signes annoncent que les protagonistes vont enfin se retrouver au point B114 .Un
sommaire reprend dans un récit répétitif charriant des précisions non sans une teinte de
romantisme et de poéticité sur l’itinéraire, les animaux rencontrés ainsi que les décors
enchanteurs et chimériques parcourus par le couple d’amoureux en errance…
Ils ont caressé de leurs pieds les flancs des dunes épicuriennes, marché dans des paysages impressionnant ;
ils ont parcouru des tassilis merveilleux et magique, passés dans des amoncellements de roches aux formes
fantastiques, admiré les gueltas de toutes tailles ,au milieu de rocher ou dans un écrin de verdure .Ils ont humé
la végétation parfumée (...)contemplé les lauriers-roses, les tamaris, les petits palmiers et les arbres –rois, les

722
Aigre-doux, p.214
723
Genette, Gérard .Ibid. p. 145
724
Genette, Gérard Ibid., p. 147
725
Aigre-doux, p 253
726
Ibid., p. 253

210
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

acacias, croisé les gazelles rares, les mouflons à manchette et quelques fennecs, et même entrevu quelques
mirages. Ils ont aimé .Ils se sont aimés, sous un ciel (..) étrangement euphorique. 727
Plus loin, Neil se remémore son itinéraire dans l’espace clos du Père Balthazar qui lui
rappelle Noure, l’Etre de lumière, en beaucoup plus âgé :
Depuis ma rencontre avec Noure, tout a commencé pour moi, l’oasis, l’hospitalité des hommes bleus, la guelta ,
la furia d’Iness, le bannissement, les déserts et puis le rêve. Ce songe qui ne me quitte plus et qui me guide
indépendamment de ma volonté, là où Il veut .Cela fait combien de temps ? Si court …..si lointain.728
Analepses informatives
Des analepses informatives en rappel sont de mise à travers deux scènes narratives,
l’une entre Zaina et Mouloud dans la Khaima du caravansérail, l’autre entre Iness et Neil pour
des dépositions inavouables au point B 114.
Au caravansérail, Zaina se confie à Mouloud le chef des hommes bleus à propos de ce
primate de Cro-Magnon qui persiste à hanter son errance après sa disparition. A travers ce
sommaire, la jeune femme révèle que la naïveté du primate qui resurgit à chaque occasion fait
le nécessaire pour faire de sa quête un véritable enfer :
Il croit que je ne le reconnait pas quand il se déguise en directeur de zoo, en gorille, en éléphant
rose, en brute ivrogne misogyne et outrecuidante ou en tyran vêtu de soutane noire habitant une
lugubre tour où il pleut de la cendre sur des nabots. Je sais que c’est de nouveau lui.
Au point B 114, Neil présente à Iness le sommaire de son périple tout en analysant les
sept signes qui ont balisé sa pérégrination dans le désert et qui l’ont toujours, à ce jour, sorti
d’affaire : Malheureusement pour elle, la jeune targuie découvre qu’elle ne fait pas partie du
puzzle qu’il tente de reconstituer à travers son errance :
La colère des eaux m’avait épargné sur une berge (…) ce fut le premier signe. Un homme fait de lumière
m’emmena jusqu’à toi (...) Ce fut le deuxième .Les membres de ta tribu m’ont obligé à reprendre les routes de
sable (...) Ce fut le troisième .Un rêve étrange me demande en permanence d’aller ailleurs .C’était le quatrième
.Un soir, le ciel et le désert se sont ouverts à moi, une invitation au sublime. (…) ce fut le cinquième .Les
nomades et le père Balthazar nous ont désigné une direction au bout de laquelle il ya ce point B 114. Ce fut le
sixième .Et enfin, il y eu ce présent du vieux prêtre. Ce coquillage que je venais de perdre et dans lequel je peux
entendre la mer, celle-là même qui m’a rejeté. Cette coquille me donne l’impression d’appartenir à un ensemble,
la dernière pièce d’un puzzle. 729
Finalement, ce type de rappels, à l’instar de la Recherche proustienne, a pour fonction
de venir modifier après coup la signification des évènements passés, soit en rendant

727
On dirait le Sud, p.89
728
Ibid.,p.204
729
On dirait le Sud, p. 208

211
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

signifiant ce qui ne l’était pas, soit en réfutant une première interprétation et en la


remplaçant par une nouvelle. 730
Prolepses répétitives
Dans les récits de Mati, l’anticipation ou prolepse temporelle sont mise en place pour
tenir en haleine le lecteur par des allusions au futur. On parle de prolepses ou d’anticipations
lorsque ce qui se passera après est raconté avant. Les prolepses répétitives jouent un rôle
d’annonce de ce qui se passera ultérieurement et remplissent à l’égard du destinataire du
récit une fonction de rappel 731qui participe du tressage732 du récit. Les anticipations à l’état
de brèves allusions repérées dans les récits matiens réfèrent d’avance à un événement qui sera
en son temps raconté tout au long.733Ces annonces allusives à un évènement qui se déroulera
à postériori sont récurrentes chez Mati. Dans Aigre-doux, le narrateur égaré rencontre un
alchimiste qui lui révèle qu’il fera deux voyages, l’un en sa compagnie et l’autre seul pour
qu’il puisse enfin vivre son présent avec sérénité et humilité : Tu auras droit à deux voyages
(...) après ta vie reprendra son cours734. Le thaumaturge continue de l’informer de ce qui
adviendra de son avenir en le préparant à les transformer en ce qu’il y a de meilleur en lui.
D’autres personnages735 tous aussi singuliers les uns que les autres l’ont d’ores et déjà
informé du sacrifice ultime qu’il devra consentir avant de se muer en ce qu’il y a de meilleur à
lui.
Dans On dirait le Sud, des anticipations analogues balisent l’errance de la jeune
femme en quête de son identité. Tout de suite, le lecteur est fixé sur le lieu du dénouement de
l’errance : le retour de Zaina au point B 114 est désormais une certitude : Inéluctablement, je
retournerai vers le point B 114, il m’attendra soliloque Zaina à l’issue de son expérience
érotique avec une dune. Une seconde prolepse apparait à travers une vision qu’elle fait suit
eau départ de son compagnon : sa prière injurieuse anticipe sur la mort de Cro-Magnon qui a
fichu le camp depuis plusieurs jours :

730
Genette, Gérard, Ibid., p.96
731
Genette, Gérard , Ibid., p.111
732
Cette expression est de R. Barthes qui définit le texte comme étant « sans cesse et de part en part traversé par
des codes (...) l’ensemble des codes constitue une tresse (texte, tissu).Chaque fil, chaque code est une voix (...)
Les voix tressées ou tressante forment l’Ecriture », extrait de. S/Z, Paris, Collection Points, Ed du Seuil,1970,
p.28
733
Genette, Gérard, Ibid., p.111
734
Aigre-doux, p.197
735
Le vent du désert, le vieillard dans la forêt ; le bouquiniste apeuré, la marathonienne exubérante et enfin
mon maitre ; l’alchimiste de sable et de pierres. Aigre-doux, p.199

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Rouge de colère elle (...) elle pria très fort pour qu’il ne revienne plus (...) qu’il crève en plein
désert piqué par les scorpions et se fasse bouffé par les charognards qui eux -même se feront
massacrer par les bédouins.736
La confirmation de cette horrible fin du maquereau des sables se confirme à
postériori la nuit d’après : La nuit, elle a rêvé d’hyènes tachetées et de scorpions noirs
festoyant autour d’un cadavre calciné par le soleil. Un beau songe. 737
Dans LSD des anticipations relative au sombre l’avenir de l’humanité sont vécues à travers les
rêves éveillés que Charles vit en compagnie de Lucy qui lui ordonne d’allumer sa télévision
pour assister au journal télévisé relatant l’apocalypse sur les eaux gonflées de la Tamise en
date du 06/06/2 : Big Ben noyé dans une masse aqueuse tumultueuse. Seule l’horloge émerge.
Les aiguilles figées au-dessus de chiffre 6 ne bougent plus. Comme si le temps devenait
complice du mal au point de rejoindre l’absence.738
Ces anticipations narratives permettent à postériori de comprendre l’urgence de la
concrétisation de la mission dévolue au jeune Charles Darwin pour sauver Gaia et l’humanité
entière. Charles est littéralement choqué par ce qu’il vient de voir. Il sait, à présent, ce qu’il
adviendra de la terre qu’il vient de visiter en 2051.Il ne peut plus se fuir ses responsabilités
par une posture de neutralité complice. A cet égard, les propos de Lucy corroborent
l’importance de vivre le futur par le truchement de cette anticipation : - Maintenant tu sais
comment sera demain, tu viens de visiter Gaia en 2051, c’est -à-dire à 81 années de ton
présent .Tu as vu, entendu et vécu le legs que l’humanité va laisser à ses petits –enfants. 739
Evoluant dans cet espace éclaté et ce temps onirique, les personnages en errance dans
différents lieu fréquentent momentanément des personnages les plus fantastiques, les plus
déroutants et excentriques pour des aventures censées baliser leurs cabales hallucinatoires.
Ainsi, les principaux personnages accomplissent leurs parcours narratifs en recevant d’autres
personnages des enseignements qui feront émerger des traits distinctifs œuvrant à la
réalisation de leurs quêtes.

5. personnages dans un champ romanesque fantasmagorique

Les personnages principaux que sont le personnage -narrateur dans Aigre-doux, Zaina,
Iness et Neil dans On dirait le Sud puis Charles et Lucy dans L S D sont consubstantiels de
leurs quêtes à travers lesquelles le lecteur découvre leurs traits distinctifs pertinents.
736
On dirait le Sud, p.96
737
Ibid., p.97
738
LSD, p.161
739
Ibid., p.167

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Comment ces personnages -qui récusent leurs réalités-sont-ils présentés dans l’univers
chimérique dans lequel ils s’évadent sous l’effet de drogues ? Comment sont-ils confectionnés
pour survivre dans un environnement romanesque fantasmagorique ? Quels signifiants les
caractérisent ? Quels rapports entretiennent-ils dans la narration ?
Dans ce monde de l’imaginaire sans limites, les personnages errants exécutent leurs
itinéraires narratifs à travers les élucubrations de leurs esprits tourmentés et hallucinés. Ils
accomplissent leurs parcours narratifs en recevant des traits distinctifs pertinents qui leur
permettent à postériori la concrétisation de leurs quêtes. Chez Mati, ils ne répondent guère à
la norme traditionnelle soucieuse de mettre en valeur un personnage caractérisé par un
amoncellement des motifs 740qui tendent à le rendre vraisemblable aux yeux du lecteur. Ce
lieu commun du roman réaliste qu’est la mise en œuvre de traits bruts (...) devenus indices
(…) à partir d’une physionomie 741 n’appartient pas à la stratégie de la non- représentation du
personnage matien. Ce sont leurs pérégrinations respectives qui assurent au roman sa
topographie et dynamique narrative. Autrement dit, nous les découvrirons également à travers
leurs relations avec d’autres personnages- balisant ou non leurs quêtes respectives - pour ne
plus se positionner en objet d’une pré désignation conventionnelle et d’un commentaire
explicite.742 En tant que signe épars constitutif de la fiction, le personnage devient une entité
qui se construit à travers la notion de discontinuité et qui ne s’achève qu’à la clôture du
texte.743Nous proposons de cerner la stratégie atypique de la représentation des personnages
errants sur deux plans :
 Le signifiant du personnage par leur typologie et caractérisations
 La participation du personnage à une sphère d’action.

5.1. Typologie et caractérisation des personnages

Dans l’œuvre romanesque de Djamel Mati, l’écriture du personnage est assujettie à


une stratégie de représentation du personnage conforme aux structures éclatées qui constituent
l’architecture des textes. En tant que signe constitutif de la fiction, le personnage est désigné
dans le système du texte par des traits descriptifs qui constituent ce que P. Hamon appelle le

740
Tomachevski cité par C. Achour et S. Rezzoug. Convergences critiques, introduction à la lecture littéraire.
OPU. Alger, 1990, p. 200
741
Mitterrand, Henri .Le discours du roman .Paris, PUF, Coll. Ecritures, 1980, p. 49
742
Convergences Critiques, Ibid. p 207
743
Hamon, Philipe dans Poétique du récit, Ed du Seuil, 1972, définit le personnage comme « un signifiant
discontinu renvoyant à un signifié discontinu » et confirme que ce « Morphème vide à l’origine (...) ne
deviendra « plein » qu’à la dernière page du texte, une fois terminées les diverses transformations dont il aura
été le support et l’agent » pp.125 -128

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signifiant du personnage à savoir… les traits physiques marques et particularités disséminées


tout au long du récit et qui sont des éléments essentiels de la cohérence et de la lisibilité du
texte. 744
Nous mettons en exergue les traits distinctifs des personnages en quête à travers les
élucubrations de leurs esprits tourmentés dans un espace éclaté démultipliant les lieux
cauchemardesques et /ou lénifiants et des personnages -adjuvants ou opposants- qui surgissent
momentanément pour participer à l’élaboration de la tresse narrative par la récurrence du
motif du regard.
Les personnages en cabale
D’une manière générale, les personnages matiens révèlent une certaine économie dans
l’émission des traits descriptifs. S’ils ne sont pas inexistants, leurs portraits physiques
rudimentaires ne tombent jamais dans la profusion réaliste. Ils ne se focalisent que sur
quelques traits pertinents disséminés tout au long du texte que nous présentons ci-après :
Dans Aigre-doux, le lecteur n’a aucune idée de l’aspect physique du narrateur lui- même
choqué par la découverte de sa propre étisie dans un rêve éveillé sur le rebord de la fenêtre : je
tombe ma chemise et mon pantalon en découvrant avec stupéfaction mon étisie (...) la peau
sclérosée de mon crâne.745
Dans On dirait le Sud, le lecteur n’a qu’une vision superficielle des personnages en
quête d’eux -mêmes : Privée d’amour et de chaleur humaine, la jeune femme décide de
couper ses cheveux pour renoncer à sa féminité et ne plus être désirable 746: Zaina
s’accommode de sa nouvelle image et s’accepte : maigrichonne, sale, rasée tel un
bagnard. 747Par la suite, le lecteur découvre une Zaina lascive prenant conscience de la
puissante sensualité de son corps après avoir fait l’amour avec le sable brûlant. Les volutes de
chanvre muent en regards érectiles et vicelards de fantômes lorgnant posés sur sa peau.
bronzée , le long de ses longues jambes qui accentuent la cambrures de ses reins , ceignant sa
taille fine , soupesant ses menus seins en forme de poire qui se dressent fièrement comme un
défi à la gravité , baisant son cou allongé , caressant sa petite tête ronde aux cheveux courts ,
et fouillant du regard ses yeux bridés. 748Lorsqu’elle décide de quitter le point B 114,le
narrateur en donne une image plutôt évasive cantonnée à des détails d’ordre vestimentaires lui

744
Hamon, Philippe. Ibid., p 142
745
Aigre-doux, p.38
746
Dans un sursaut, à peine conscient, d’orgueils ou de révoltes, elle a coupé ses cheveux à ras, la boule à
zéro .On dirait le Sud, p. 65
747
Ibid., p. 65
748
On dirait le Sud, pp. 35-36

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attribuant une allure plutôt masculine : La jeune femme enfile un short de couleur paille, met
un tee-shirt noir, visse une casquette sur sa tête. 749Dans le zoo en folie, l’éléphant rose qui lui
fait découvrir les lieux bave à la vue de la femme à peine vêtue, aux formes encore
charitables malgré sa maigreur. 750En se retrouvant dans le lupanar ensablé à coté de
l’énorme tenancière vêtue d’une djellaba noire à fleurs rouges : la jeune femme paraît plus
maigrichonne, habillée de son court short jaune et de son chemisier noir .La casquette vissée
sur une petite tête ronde rasée, un chèche noir autour du cou. 751Le narrateur corrobore
l’allure masculine de la jeune femme qui ressemble à un éphèbe accompagné d’une grosse
vache à fleurs.752
Enfin, d’errances en galères dans ce désert des sens, Zaina découvre étonnée les
changements de son propre corps qu’elle n’apprécie guère à ce moment précis moment où
elle décide de ne plus se vêtir dans l’espoir d’être vue par quelqu’un ou par un homme. La
753
déshabillée du point B 114 soliloque à elle -même son amaigrissement et fait la moue en
contemplant ses formes , tâte sa peau durcie et tannée par les rudesses du climat .Quant à
Neil , l’autre naufragé du point B 114 , le narrateur n’en fait aucun portait physique .Le
lecteur n’a absolument aucune idée de son profil physique .Seules des considérations d’ordre
existentielles sont mises en exergue pour le caractériser et expliciter les raisons d’une quête
dans le désert de ce garçon issu d’une famille aisée , aux traditions toutes tracées et aux
convenances bien établies. 754
Chaque roman met en exergue la quête de son personnage à travers sa propre cabale
hallucinatoire. Leurs caractéristiques physiques n’apparaissent jamais au cours de la narration.
Cela importe peu semble-t-il par rapport aux traits pertinents de leurs personnalités,
caractéristiques caractérielles et /ou psychologiques qui ont trait à leurs personnalités. Nous
présentons ci-après les caractéristiques caractérielles et /ou psychologiques communes aux
trois protagonistes en errance disséminés tout au long du texte pour une configuration
commune.
-L’amnésie : Le personnage-narrateur d’Aigre-doux est amnésique. Cependant, il ne se
souvient que partiellement de son passé. Fragments anachroniques et effroyables flashbacks
d’un étrange vécu surgissent et troublent sporadiquement son sommeil et ses journées oisives.

749
On dirait le Sud, p.101
750
Ibid., p.103
751
On dirait le Sud ; p.128
752
Ibid. ,p. 128
753
Ma Zaina, t’as drôlement maigri .Ibid. p.170
754
Ibid., p. 29

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Il ne reconnait pas sa femme et lui demande par pudeur des nouvelles de ses enfants en
retrouvant dans ses souvenirs enfouis les visages rieurs de garçons ou de filles qui
l’appelaient papa755. Voyons, chéri, tu es chez toi (...) nous sommes au point B114 756
rétorque-t- elle lorsqu’il lui demande où il est.
Dans On dirait le Sud, Zaina aussi est sujette à une profonde amnésie757 et se
demande dès l’éveil ce qu’elle fait là enfermée avec ce maquereau des sables758 pour lequel
elle éprouve une aversion sans limites. La jeune femme ne sait pas d’où elle vient ni comment
elle a débarqué au milieu de ce maigre décor de la cabane du sibirkafi :
Aussi loin que se rembobinent ses souvenirs, Zaina ne pouvait fixer dans sa mémoire quand elle a
été larguée au fin fond de ce désert. Tout ce dont elle se rappelle, c’est qu’elle s’était réveillée,
une nuit ou un matin (...) Elle se rappellera inaltérable ment cette nuit où elle s’était réveillée
brusquement en plein cauchemar dans cette masure(…) Comment avait-elle atterri ici ? Elle ne le
sait pas ! 759
Neil, quant à lui, explique à Iness qu’il a opté volontairement pour l’amnésie de sa vie
d’avant faite d’hypocrisies et de convenances et qui aurait fini par l’atomiser : Neil avait Neil
avait quitté sa femme, oublié ses enfants et dissous tout son univers d’avant, pour recouvrer
sa liberté.760
-La solitude : Par définition, une quête intérieure et profonde ne se peut se vivre que dans la
solitude qu’elle soit imposée ou choisie .Dans les romans de Mati les personnages en quête
d’eux-mêmes ne l’ont guère choisie de manière délibérée dans la mesure où les élucubrations
ne peuvent se vivre que dans la solitude .On ne peut aller à la recherche de soi en compagnie
d’autrui. Enfin, nous constatons que mis à part Charles dont le statut social est celui d’un
jeune étudiant à l’Académie d’anthropologie de Shrewsbury, Neil qui était capitaine de bateau
dans un passé récent et Iness la fille du chef des Touaregs et promise à son cousin Mouloud,
les personnages –narrateur de Aigre-doux et Zaina ne sont pas inclus un groupe familial ou
social qui n’envisagent jamais de collusion avec autrui sauf peut-être momentanément lorsque
cela leur permet d’orienter leurs quêtes .
Dans Aigre-doux, le narrateur revient seul en provenance d’un environnement
cauchemardesque au point B 114 de l’ex-rue du diable .Zaina, l’héroïne de On dirait le
755
Aigre-doux, p.14
756
Ibid., p.16
757
-De mon passé, je ne me rappelle rien. Je me suis réveillée un matin au point B 114 après un long sommeil
sans rêves, sans traces, On dirait le Sud p.191
758
A son réveil, la femme ne se souvenait de rien, ni qui elle était ni comment elle avait atterri au point B114,
Ibid., p. 99
759
Ibid., pp.22-23
760
On dirait le Sud, pp.22-23

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Sud ne sait même pas d’où elle vient et se sent, de toute façon seule, même avant la
disparition de son compagnon. Elle en arrive même à parler aux objets dans sa folie
raisonnée761 et à faire l’amour avec une dune dans un ardent transport de concupiscence.
Outre le fait d’avoir été bannis par les touaregs pour leur amour adultérin, Iness et Neil errent
ensembles dans le désert mais leurs quêtes peuvent être dissociées. Chacun d’eux vit la sienne
dans sa propre solitude même si Iness fait des pieds et des mains pour le faire adhérer à la
sienne : celle d’un amour mutuel.
Quant à Charles Darwin de LSD, une temporaire solitude s’impose à lui dès l’instant
où sa compagne Suly Lennon se rend chez ses parents laissant le champ libre aux
borborygmes de Lucy venue le chercher pour leur odyssée à rebrousse.
-drogues et hallucinations : Les quêtes des personnages s’effectuent au gré des visions
hallucinatoires provoquées par la prise régulière de chanvre et /ou de barbituriques.
Aigre-doux met en lumière un personnage-narrateur anonyme enclin à la consommation de
pilules aigres-douces que lui ont prescrit les médecins qui n’ont rien compris à ses
angoisses.762 Par lâche besoin d’irréel763, il lui arrive d’en ingurgiter par poignées jusqu’à en
confectionner une galette des Rois s’auto-consacrant roi des camés planant en overdose pour
fuir la débâcle du monde et sa propre déliquescence.
Dans On dirait le Sud, la droguée du sibirkafi s’adonne à de symptomatiques fumeries
faite d’ excursions narcotiques effroyables et cauchemardesques dans son monde véritable
au-delà du réel et du temps .Zaina branche le vieux téléviseur au narguilé bourré de
chanvre764et fume du chanvre indien avec son violeur de compagnon lui de plaisir, elle, pour
l’oubli ou l’évasion. 765
Il en est de même pour Charles Darwin Jr dans LSD lui aussi enclin à la prise de
cristaux de LSD à l’instar des hippies amateurs de cette drogue synthétique .En effet, lorsqu’il
raconte ses rêves à sa compagne, convaincue que son cas est sérieux, elle lui suggère
ironiquement de cesser de se shooter à l’acide en cachette : -Amon avis , tu devrais peut être

761
Zaina hallucine et confond l’outre en peau chèvre avec la bique : « La jeune femme est contente d’avoir de
la compagnie .Cela fait longtemps qu’elle n’a pas parlé à un être vivant .On dirait le Sud. p.171
762
Ils m’ont tout simplement bourré de tranquillisants (…) mais pas assez pour fuir, fuir un passé flou. Aigre-
doux, p.15
763
J’avale plusieurs morceaux d’une seule goulée Le recours à cette lâcheté ne me réjouit guère, mais je n’ai
pas de solution de rechange, Ibid., p. 121
764
Zaina soliloque : l’épuisement et le chanvre fumé sont sûrement la cause de mes hallucinations. On dirait le
Sud, p .37
765
Ibid., p.56

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te shooter encore ou aller voir un psy .766Enfin, après avoir vu l’apocalypse de 2051 sur le
petit écran en compagnie de Lucy, le quatrième petit-fils de Charles Darwin se retrouve seul
face au récepteur assis par terre. Une capsule vide, cassé. Juste à coté, un morceau de buvard
encore imbibé ; il le plaqua contre ses narines et inspira profondément les humeurs de LSD,
cette fois-ci plus longuement.767
-Voyage astral : Chacun d’eux effectue son voyage astral pour recouvrer son passé et
pouvoir envisager le temps présent et le dénouement de sa quête. Face à l’Alchimiste, le
personnage -narrateur de Aigre-doux quémande de l’aide pour le sevrer des maudites pilules
aigres-douces qui lui mentent sur ses origines tout en le faisant beaucoup souffrir: Montrez-
moi comment voir ce que fut mon passé et vivre enfin mon présent avec sérénité et humilité
768
.Le maitre de l’occultisme lui répond de manière péremptoire qu’il aura droit à deux
voyages, l’un en sa compagnie et l’autre seul dans son initiation à sonder les mystères de
l’immatériel et de l’intemporel769, à extraire le bien du mal, le doux de l’aigre, le possible de
l’impossible pour aller au bout de sa quête.
Dans On dirait le Sud , Neil qui ne cesse d’errer dans le désert effectue les bras en
croix son voyage astral en apesanteur et tournoyant sur lui-même au milieu d’un planétarium -
faisant défiler objets célestes et terrestres virevoltant dans le néant de plus en plus rapidement-
au point où toutes les entités des cieux se fondent en lui et où il ne fait qu’un faisant défiler
objets célestes et terrestres jusqu’à se sentir en même temps un grain de sable dans le désert
et une étoile dans le firmament, un désert constitué d’étoiles et une constellation parsemée de
grains de sable.770
Parallèlement, dans le désert des hommes, Zaina effectue son voyage astral en
découvrant qu’elle est l’œil du cyclone 771autour duquel gravitent spots subliminaux, chiffons
ensanglantés, poupées nues et visages perdus du primate du point B114 , celui de la brute qui
a uriné sur elle ,le tyran à la soutane noire et des plaques de roches tournant en lévitation.
Dans LSD Charles Darwin Jr va, à son tour, faire un voyage astral où il devient
molécule, corps flottant, chrysalide kaléidoscope se liquéfiant jusqu’à la lie. Sa tête détachée
de son corps et ses membres se détachant du tronc. Conscient de son écartèlement corporel, il

766
LSD, p.79
767
Ibid., p.174
768
Aigre-doux, p.196
769
Ibid., p. 197
770
On dirait le Sud, p.110
771
Ibid., p.139

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se voit devenir ce quelque chose 772qui prend la dimension du cosmos pour redevenir
émulsion moléculaire, nouveau-né à la peau foncée suçant son pouce jetant l’ancre dans son
vaisseau utérin.773
-Retour dans le désert : Le retour inéluctable des personnages en quête de leurs origines
dans le désert en particulièrement au point B 114 est une constante dans les romans de D
.Mati. Le narrateur errant dans Aigre-doux sait dès le début de sa quête que son retour au
point B 114 est inéluctable. Le thaumaturge de la forêt lui conseille avec sagesse : retourne
dans le désert, regarde le avec les yeux de la compassion, ouvre-lui ton cœur et laisse-le te
parler.774
Zaina comprend au contact de la vielle chiromancienne que son errance ne peut se terminer
qu’au point B 114 au fin fond du désert. La jeune droguée a la certitude nauséeuse de revenir
toujours au même point de départ: le cycle renouvelé des virées pernicieuses et épouvantes
rejette la locataire du point B 114(…) dans ces inchangés décors du sibirkafi. 775La
devineresse aveugle lui conseille en lisant les lignes de sa main de se rendre au point B
114 rencontrer la personne qui se présentera à elle au moment opportun : Retourne dans le
désert, rejoins le point B 114, c’est las -bas que ton mektoub te donne rendez-vous, par
ailleurs (...) ce n’est pas en fuyant tes tourments que tu les dissiperas. Va au point B
114 ! 776Il en est de même lorsqu’elle se retrouve face à Mouloud le chef des Touaregs dans le
caravansérail qui, tout en lui offrant le violon de la vieille Zaina en souvenir de leur rencontre,
l’exhorte à rejoindre le point B 114 pour exorciser ses tourments.
Mues: Si les pérégrinations passent par ces voyages initiatiques au-delà du temps et de
l’espace, des transformations superficielles d’ordre physique et/ou psychologique des
personnages peuvent aller jusqu’à la mue totale à l’image du personnage-narrateur
dans Aigre-doux qui muera en ce qu’il y a de meilleur en lui, c’est-à-dire en une femme nue
et fière de son corps dans une masure perdue au fin fond du désert.
Le personnage-narrateur devient spermatozoïde transportant dans son sac à dos
l’héritage et la mémoire de l’éternité 777 recroquevillé dans le liquide nourricier et protecteur

772
LSD, p. 85
773
Ibid., p. 86
774
Aigre-doux, p.175
775
On dirait le Sud, p. 69
776
Ibid., pp 195-196
777
Aigre-doux, p. 256

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d’un ventre et acceptant avec lucidité et allégresse sa mue en femme.778Dans On dirait le Sud
les personnages se transforment plus sur le plan psychologique que physique .A titre
d’exemple, Zaina vit une folie déraisonnée où après avoir renversé un bidon d’eau sur son
corps décide de se balader nue sur les dunes à la recherche de quelque chose ou quelqu’un.
Elle parle aux objets, répond à leur place et dit bonjour aux narguilés .Elle recouvre un
apaisement de son âme en compagnie de Noure qui lui apprend à solliciter l’aide de Dieu par
la prière et de Mouloud le chef des hommes bleus qui lui explique que lorsque que sa
conscience désire quelque chose ardemment, toutes les énergies du cosmos conspirent à y
aboutir. Le personnage de Neil comprend au terme de sa quête qu’il a été le LIEN qui a unit
les deux femmes du point B 114. L’hôte du sibirkafi s’en est déjà allé vers le nord .Les traits
de son visage ne sont plus les mêmes : Les cheveux sont plus longs, clairsemés et aux reflets
poivre-sel, flottent sur la nuque ; quelques rides plissent les commissures des yeux .Sur le
visage, une expression sereine et un regard impavide ont remplacé la tristesse habituelle.779
Dans LSD Charles Darwin mue en quelque sorte en ce Maitre de Justice -annoncé
par les manuscrits de Qumran depuis plus de deux milles ans- dont la mission est de
transmettre l’Amour et la Paix en retissant les Liens Secrets des Destinées sur des bases plus
spirituelles sinon l’heure de l’Apocalypse sonnera. Enfin, Lucy appelle son petit Charly aux
cheveux bouclés et à la peau blanche pour déverser les organismes microscopiques vivants et
sains de la coquille de noix de coco qu’il tenait dans ses petites mains dans les eaux
translucides du lac Afar. En quittant le lac, le petit garçon est tout content d’avoir rempli sa
tâche Il se retourne pour voir sa mère, Lucy acquiesce de la tête .Charly se met à courir en
suivant la large berge circulaire.780

5.2. Les personnages secondaires ou motif du regard

IL est incontestable que la fragilisation des personnages en cabale et notamment par la


prise de psychotropes fait abonder le récit en personnages secondaires pour baliser leur
errance alors que d’autres s’y opposent pour un éventuel inaccomplissement. Ces personnages

778
Ma peau est lisse .Je touche mon front avec mes doigts devenus fins : mes rides se sont effacées. De longs
cheveux soyeux ont remplacé les rares mèches grises qui garnissaient mon crâne. Mon torse se déploie en deux
mamelons aux tétons généreux. Mon ventre s’est aplati Mes hanches sont arrondies (...) je souris à cette
heureuse mue (...) Je suis heureuse de ma mue ! Aigre-doux, p.262

779
On dirait le Sud, p.292
780
LSD, p.280

221
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

surgissent de nulle part, s’engouffrent dans leurs rêveries hallucinatoires le temps de baliser
les quêtes des héros errants.781
Ces personnages surgissent et disparaissent à l’improviste aussi instantanément que
sous l’effet d’une baguette magique après avoir influé sur les élucubrations de leurs esprits
tourmentés. La Délivrance de Aigre-doux ou la femme au haik- aux yeux émeraude- subjugue
littéralement le narrateur à chacune de ses apparitions jusqu’au moment où il partage sa
couche la veille de sa transmutation. Dans On dirait le Sud, c’est le personnage de Noure,
l’Etre de lumière qui balisera les quêtes parallèles de Neil et Zaina jusqu’à la croisée de leurs
destinées au point B 114. Alors que dans LSD, c’est le personnage de Rayan, le chef de la
communauté Paix verte, qui joue un rôle analogue auprès de Charles Darwin, en compagnie
de Mouloud le chef des hommes bleus, en faisant partie des apôtres du Maitre de Justice
ressuscité, et participer en fin de compte de la genèse de la nouvelle humanité tant espérée.
En effet , ils apparaissent subrepticement -comme des silhouettes sans nom782 , sans
épaisseur physique - plutôt caractérisés par leur fonction en stimulant en quelque sorte la
passivité des protagonistes en cabale enclins aux drogues et aux psychotropes .En ce sens, la
Délivrance dans Aigre-doux et l’homme de lumière dans On dirait Sud acquièrent
respectivement une autonomie différentielle par la récurrence de motifs dont celui du regard
itératif des yeux émeraudes ou celui de cette créature luminescente- de volutes bleutées et
aquarellé d’ une aura jaune et bleue 783flottant sur une écume évanescente et prenant
progressivement une forme humanoïde -qui apparait tour à tour à Neil pour le guider vers
Iness et Zaina à laquelle il se présentera comme étant sa propre conscience:-Je m’appelle
Noure , je viens de tes pensées et cette lumière représente ta conscience .784En outre, La
vieille chiromancienne -qui est à mon tour spécifiée par le motif du regard aux yeux blancs
sans pupilles que Zaina soupçonne de voir même le regard éteint 785instaure indéniablement
dans le récit une atmosphère d’enchantement. Quant au Père Balthazar, le motif du regard de

781
Mati, dans l’interview extraite de Le Nouveau souffle du roman algérien par R. Mokhtari définit déjà les
loques-à-terre du point B114 du premier roman de la trilogie Sibirkafi.com de la manière suivante : Les
situations et les évènements sont des tranches de vie , tissées en filigrane (ils) subissent d’une manière très
condensée et très brutalement , comme dans les rêves(ou les cauchemars), ils ne durent qu’une poignée de
secondes ,mais leurs significations sont plus longues et souvent multiples au réveil , Ibid., p.144
782
Une femme vêtue d’un haik m’accoste (.)La femme aux formes parfaites (...) La femme aux cheveux roux, à la
peau laiteuse et aux yeux émeraudes avait le visage de toutes les femmes que j’avais croisée, laissées, rêvées,
lassées, Aigre-doux, pp.201-236
783
On dirait le Sud, p.178
784
Ibid., p.38
785
Ibid., p. 87

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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l’aveugle en paix avec lui-même transparait dans ses yeux bleus fripés par l’âge et vitrés par
la cataracte 786et maintient la narration dans une atmosphère onirique et fantastique à la fois.

5 .3 . Organisations actantielles singulières

Il est indéniable que cette approche des qualifications des personnages en errance ne
permet pas de mettre en évidence les acteurs narrativement pertinents dans divers pôles
actanciels. Par conséquent, le personnage n’est plus défini comme un être mais comme
actant ayant un rôle et jouant des fonctions dans le récit. C’est dans cette perspective qu’AJ.
Greimas a proposé de décrire et de classer les acteurs répartis en classes d’actants dans un
modèle à six rôles actantiels selon trois grands axes sémantiques787 :

- la catégorie actantielle sujet vs objet sur l’axe du vouloir.

- la catégorie actantielle adjuvant vs opposant sur l’axe du pouvoir.

-la catégorie actantielle destinateur vs destinataire sur l’axe de la communication selon le


modèle suivant :

Destinateur………………Objet……………………Destinataire

Adjuvant…………………..Sujet……………………..Opposant

-dans Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté


Dans Aigre-doux nous nous situons sur le plan de la quête- de nature philosophique,
ontologique en rapport avec la condition humaine et l’entité de l’Etre - du personnage
anonyme, amnésique qui est contraint de partir à la recherche de son passé pour trouver des
réponses à ses tourments, à ses questionnements existentiels (où suis-je ?qui suis-je ?d’où
viens-je ?).Malheureusement, il ne vivra que déboires et malheurs dans différents lieux pour
atteindre à plusieurs reprises les confins du désert sous l’effet des barbituriques libérant à
outrance son imaginaire. Il rencontre les personnages les plus fantastiques , les plus
excentriques et les plus déroutants qu’il fréquente momentanément pour des expériences qui
participent d’une manière ou d’une autre de l’accomplissement de sa quête .Afin d’illustrer
concrètement les possibilités offertes à l’analyse du roman par le modèle actantiel, nous

786
Ibid., p. 202
787
A. Greimas- Sémantique structurale , Larousse, 1966, p. 180

223
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proposons la représentation synthétique de Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit


tourmenté de Djamel Mati.
-Modèle actantiel de la quête du sujet actant
Narrateur amnésique je ……Recherche du passé……Questionnements existentiels
Le Simoun
Le thaumaturge………………………..je…………………………... Pas d’opposants
La marathonienne
L’Alchimiste
La Délivrance

- Commentaire du modèle actantiel dans Aigre- doux :


1)- Sur l’axe de la communication destinateur /objet /destinataire, ce schéma rend compte de
la quête existentielle que l’actant anonyme et amnésique entreprend dans les méandres de son
esprit tourmenté par la prise continuelle de barbituriques .Le destinataire de cette cabale
hallucinatoire ne peut être que son instigateur à la recherche de soi noyé dans le tourbillon de
ses interrogations. Étant le seul et unique actant concerné par la cabale hallucinatoire vers
l’inconnu, Il occupe une place privilégiée en tant que destinateur et scripteur du récit Son
objectif ultime étant de répondre à ses questionnements existentiels : Où suis-je ? D’où viens-
je ? Qui suis-je ?788, d’extraire le doux de l’aigre, le vil de la quintessence pour enfin
comprendre son présent immédiat plutôt douloureux et son futur proche en muant en ce qu’il
y a de meilleur en lui.
2)-Sur l’axe du vouloir sujet/objet, le je sujet -narrateur de la quête rêvant d’amour et
d‘équité est le témoin et le commentateur de ses propres élucubrations jusqu’à son harmonie
avec la Délivrance qui le mènera à changer son aperception de l’existence.789 Dans Aigre-
doux, il est actant focal à la fois perçu et percevant les méandres de son Moi d’autant qu’ il
en sait presque toujours plus que le héros même si le héros c’est lui.790
3)- Sur l’axe du pouvoir Adjuvant / Sujet / Opposant, le sujet actant- qui devra affronter le
Temps et sa propre mort pour découvrir l’aigre-doux de la vie et des hommes -rencontre des
personnages tous aussi excentriques les uns que les autres qui viendront - à des moments
déterminés - baliser sa cabale hallucinatoire. Le Simoun colporteur d’histoires est le premier
adjuvant qui lui ouvre ses yeux hallucinés sur la présence divine qui remplit chaque espace
788
Aigre-doux, p.32
789
Ibid., p.239
790
Genette. Figures III. p.210

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existant entre les grains de sable qui le composent791, la sublimité du désert du Temps qu’il se
doit de choisir au détriment de la désolation du désert des Hommes où les ornements de
l’aberrance remplacent ceux de la raison, où le vil se substitue au beau et où les progrès se
modifient en interdits.792Le second est le thaumaturge de la forêt vivante et luxuriante qui lui
conseille d’affronter le Temps pour renaitre dans sa forme la plus parfaite .Il lui conseille
enfin de retourner dans le désert pour apprendre à lui parler avec amour et compassion.
Ensuite, la marathonienne avec laquelle il remonte le Temps lui recommande de
réveiller en lui la contemplation et la sagesse .Pour cela, il doit d’être patient face à l’aigreur
de ses élucubrations car il sera dans l’obligation de muer en ce qu’il y a de meilleur en lui.
Quant à l’Alchimiste de la vie, ce dernier l’instruit à son tour de muer en n’écoutant
que son cœur tout en acceptant la dualité aigre-douce de la vie793. L’alchimiste l’invitera à son
premier voyage astral en sa compagnie avant de lui expliquer que l’Homme fait partie d ‘un
tout et que son apprentissage doit se faire par la conviction, l’exemple et l’amour.
Enfin, la Délivrance est la mort qui lui apparait sous les traits d’une femme aux yeux
émeraude et à la peau laiteuse drapée d’un haik immaculé et qui n’a cessé de baliser son
chemin. La femme aux formes parfaites l’accoste pour lui susurrer à l’oreille l’histoire du
miel et du sel, celle de la dualité aigre-douce de l’existence et l’obligation de partager sa
couche pour faire aboutir sa quête par l’ultime transmutation.
Enfin, le sujet actant dont la quête est devenue obsessionnelle énumère sommairement
les énigmatiques acteurs qui ont continuellement balisé son errance : L’alchimiste, le mage
dans sa matrice boisée, le simoun colporteur d’histoires, la femme et le vieillard aux
multiples visages m’avaient demandé d’être patient avec moi-même et prédit que cette quête
pouvait durer plus d’une vie. 794
Le sujet amnésique et anonyme, ayant perdu son origine avoue au vieil homme coiffé
d’un chèche vert son égarement total et son incapacité à cerner avec pointillisme l’objet de sa
quête au gré de ses élucubrations.795Telle est sa réalité faite de tourments et de cauchemars
effroyables qu’il cherche à fuir en prenant des pilules aigres-douces mais qui finissent
toujours par revenir à la charge d’une manière ou d’une autre par d’effroyables images

791
Aigre-doux , p.79
792
Ibid., p. 80
793
-Sache que l’aigre et le doux sont les saveurs de la vie, accepte l’un et profite de la présence de l’autre
Aigre-doux, p.198
794
Aigre-doux, p.214
795
Je suis sur les routes depuis …depuis toujours, je pense…je cherche quelque chose que je ne connais même
pas(…) je veux retourner chez moi, mais j’ai perdu mon origine .Je ne sais même pas qui je suis, Monsieur
savez-vous que je ne connais pas mon nom (...) et je ne sais quoi faire, Ibid., p. 174

225
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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anachroniques. Cette situation de départ s’avère d’ores déjà pénalisante pour la continuité de
sa quête en se positionnant d’emblée en opposition à la continuité de la quête en question. A
partir de ce postulat, nous considérons que même les expériences cauchemardesques et
effroyables qu’il vit au gré des mésaventures servent son errance. En effet, aussi paradoxal
que cela puisse paraitre, elles constituent à chaque fois pour lui, une opportunité pour faire
son autocritique pour aller de l’avant dans l’accomplissement de sa quête. A titre d’exemple,
sa mésaventure avec Abdul cet espèce de monstre mi-homme, mi-ruminant qui en le spoliant
de tous ses biens lui permet de cesser la naïve philanthropie qui le menait à des situations
pour le moins ubuesques et absurdes. Ainsi, en planant en overdose pour fuir la débâcle du
monde et de la vie, il se retrouve dans des situations avec des sensations de flottement dans un
espace absurde sans dimension où la vie et la mort se confondent et donnent lieu à des
questionnements d’ordre ontologico-existentiel qui nourrissent son errance qualitativement.796
Finalement, nous dirons que rien ne s’oppose à l’accomplissement de sa quête ou en
d’autres termes que le cauchemardesque et l’effroyable vécus à travers l’expérience de la
Délivrance 797 se conjuguent pour lui permettre de trouver des réponses à ses interrogations et
à affronter avec patience l’épreuve de sa transmutation.
-dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté :
Dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, nous nous situons
aussi sur la plan de deux quêtes parallèles qui se déroulent simultanément, celle de Zaina au
point B 114 à la recherche du visage de Neil qui lui apparait fréquemment sur le miroir sans
tain et Neil le naufragé du désert à la recherche d’absolu à travers la femme, Zaina qui hante
continuellement ses rêves et son esprit. Il est accompagné d’Iness la targuie bannie des siens
pour avoir fait l’amour avec lui dans l’oasis la veille de son mariage avec son cousin
Mouloud. Nous proposons ci-après les schémas actantiels des deux quêtes relatives aux deux
sujet-postulants qui finiront par se croiser au point B 114 pour une destinée pour le moins
surprenante.
-Modèle actantiel de la quête de Neil

Voyage d’opiniâtreté Réapprendre à vivre et à aimer par

pour la vie et la liberté ………………….la recherche de l’Absolu…………lui-même

796
Lors de sa visite de la nécropole pleine de victimes de l’idéologie du gars au kamis il se demande si Dieu
était responsable de ce monde absurde en adossant les actes de ces criminels.
797
La femme aux yeux émeraude et aux cheveux flamboyants drapée d’un haik immaculé n’est autre que la mort
venue le chercher pour l’accomplissement de sa quête.

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Noure, Le père Balthazar, Liès et Senin………..NEIL………… sens interdits, convenances


- Commentaire du modèle actantiel de la quête de Neil
1)- Sur l’axe de la communication destinateur/objet /destinataire où Neil choisit le désert pour
convoiter l’objet de sa quête même dans l’irrationnel 798 , celle d’un inexplicable désir infini
de libération des sens , d’une passion chimérique pour la recherche de l’Amour absolu ,
transcendant et eternel qui le réconcilierait vers son origine après avoir vécu son présent et
avoir touché son avenir .799Son séjour onirique d’élucubrations fantasmagoriques au point B
114 aura permis l’accomplissement de sa palingénésie.
2)-Sur l’axe du vouloir sujet / objet , l’actant-sujet entreprend ce voyage d’opiniâtreté, de
quiétude et d’oubli du temps 800en vue de réapprendre à vivre et à aimer dans une profonde
aversion des convenances préétablies faites d’hypocrisies et de promesses jamais tenues .801
3)-Si l’on considère l’axe du pouvoir Adjuvant /sujet /Opposant, tandis que le sujet actant part
en quête d’une idylle où la recherche de ses alter ego passe par celle de soi …quitte à croire
aux mirages .Ainsi, au gré de ses élucubrations fantasmagoriques, les mirages deviennent les
principaux adjuvants de sa palingénésie. En effet, le premier adjuvant qui se manifeste est
Noure, créature androgyne luminescente qui le dirige vers une oasis édénique et verdoyante
de laquelle il sera banni pour avoir transgressé les convenances des Touaregs : Iness la fille
du chef et Neil ont fait l’amour dans une outrancière énergie sexuelle.
Accompagné d’Aniaz, la chamelle blanche, dans l’envers du mirage le couple
adultérin s’enfonce dans un liquide calme et translucide et se retrouve en sortant de l’eau face
à leur reproduction exacte, des jumeaux et des jumelles monozygotes, parfaitement identiques
dans leurs moindres détails. 802N’ayant pas été capables d’harmoniser leurs émotions et
inclinations en n’osant pas rejoindre le point B 114, leurs alter egos captifs de ce mirage- Lies
et Senin-les accueillent avec déférence et les exhortent à le faire avant de disparaitre. En
s’enfonçant vers le Sud, le couple arrive à la frontière du reg et de l’erg dans la chambre du
bas du caravansérail où le Père Balthazar, un anachorète aveugle à la voix douce -qui rappelle
à Neil l’homme de lumière mais en plus vieux - les attendait au moment où tout le Sahara se
relaxe. 803Le vieil ascète connaissait déjà les sens de leurs transhumances respectives et par

798
On dirait le Sud, p. 32
799
On dirait le Sud, p.294
800
Ibid., p.29
801
Pour la liberté !pour la vie ! pour ne pas me laisser mourir ! (..) pour être un homme libre sous un ciel
continuellement bleu .On dirait le Sud p. 29
802
On dirait le Sud., p.72
803
Ibid., p.203

227
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

voie de conséquence le conflit existentiel du couple. Il parlera de l’ambigüité du tourment


originel 804 et de l’Alchimie de la vie créés par Dieu et qui feront en sorte que ne se
découvrirons eux-mêmes que ceux qui auront découvert le bonheur parfumé de l’Amour que
le Temps tuera fatalement. Enfin, les acteurs qui s’opposent à l’accomplissement de la quête
de Neil sont: Iness - qui veut à tout prix le détourner de Zaina la femme qui hante ses nuits
agitées et qu’il veut à tout prix rejoindre là où elle se trouve, au sibirkafi du point B 114- et les
autres acteurs qui entravent son profond désir de vie , d’amour et de liberté énumérés dans un
soliloque corroborant son refus viscéral des convenances, de la contradictions des sens et son
choix d’entreprendre ce voyage d’opiniâtreté, de quiétude et d’oubli du temps 805dans le
désert.806
Modèle actantiel de la quête de Zaina
Esperance d’une autre existence …………..Recherche de l’Amour…………elle-même
Noure, la chiromancienne, Mouloud…………Zaina …………………Le mal, la folie
-Commentaire du modèle actantiel de la quête de Zaina :
1)-Sur l’axe de la Communication destinateur/objet /destinataire Zaina - la prisonnière du
Sibirkafi, cloitrée en compagnie d’un satyre prédateur qui la viole régulièrement dans ses
délires vicelards vivant dans une constante tension d’une vie sans passion - espère un jour
connaitre la joie de vivre avec un ou plusieurs hommes beaux et amoureux d’elle. Sa simple
notion d’un bonheur utopique l’amène à sniffer du chanvre pour s’évader vers un espace irréel
pour désapprendre le présent 807 et donner enfin un sens à son existence .Cependant, l’objet
de sa quête va évoluer au gré de son errance par le truchement des paroles de la vielle
chiromancienne qui lui suggère de retourner au point B 114 et d’attendre. En effet, les mots
de la vieillerie aveugle lui ont donné l’énergie de croire en sa bonne étoile en continuant son
chemin dans le désert mais cette fois pour revenir à l’origine, au point de départ, pour
affronter son destin.808
2)-Sur l’axe du vouloir sujet/objet, l’actant sujet qu’est la jeune femme du sibirkafi erre en
quête du véritable et éternel Amour que la vieillerie aveugle lui définira comme le liant des

804
Le plaisir charnel .Les Hommes y trouvent une sorte de félicité dans ce plaisir même s’il est moins plein que
cette félicité, il arrive à se substituer à elle.Cette ambigüité est une des facettes du tourment originel. Ibid., p.
207
805
On dirait le Sud., p. 29
806
voilà ce à quoi aspirait Neil , ce garçon issu d’une famille aisée , aux traditions toutes tracées et aux
convenances bien établies , alors qu’il a laissé confort et femme , amis et carnets de chèques mondanités et
hypocrisies , perspectives et enfants ,promesses non tenues et directives imposées .Ibid., p.29
807
On dirait le Sud, p. 63
808
Ibid. ,p.210

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

choses 809constamment revivifiées pour que destinées se croisent et finissent par converger
harmonieusement en une seule à la croisée des parallèles. Cet amour qui fait tourner le soleil,
briller les étoiles, déplacer les dunes et dresser les montagnes 810est celui auquel Zaina aspire
indubitablement sous forme de doutes ou de certitudes. Aucune tergiversation ne pourrait être
permise lorsqu’il s’agit de cet Amour éternel -qui en son for intérieur reste le lien entre le
rêve et le tangible.811
3)- Sur l’axe du pouvoir Adjuvant /sujet /Opposant, le sujet actant Zaina en quête d’Amour
rencontre des personnages fantastiques qui baliseront son errance jusqu’à son retour au point
B 114. Noure est l’adjuvant qui lui parle du désert des Hommes qui existe en parallèle avec
celui du Temps. L’être de lumière l’initie à la vraie prière en lui apprenant comment
s’adresser à Dieu pour raisonner sa folie et voir toutes les belles choses qui Lui sont
intrinsèques. En outre, la chiromancienne aveugle lui révèle -grâce aux signes de la main-que
lorsque la quête de celui ou celle qui est déjà en marche rencontrera la fougue et l’audace, le
lien se fera et qu’elle doit évacuer les djinns et démons que son esprit enfante pour enfin
rechercher l’Amour éternel au point B 114812. Enfin, Mouloud le chef des hommes bleus
l’informe que le désert est trompeur, que les parallèles se croisent inéluctablement si telle est
leur destinée et que toutes les énergies du cosmos conspirent lorsque la conscience désire
ardemment quelque chose. Mouloud lui offre l’Imzad813 en souvenir de leur rencontre et
l’exhorte à rejoindre le point B 114 pour exorciser ses tourments.
Pour cela, il l’invite à observer et à pleinement écouter le désert avant de s’y fondre.
Zaina devra aussi faire preuve de patience avant qu’un truisme ne surgisse immanquablement
pour apporter des réponses aux questions mystérieuses. Quant aux opposants immédiats à
l’accomplissement de sa quête, ils sont représentés par les acteurs maléfiques issus de
l’Empire du Mal que les ancêtres de Mouloud ont de tous temps combattus. Ces suppôts du
diable sont représentés par l’infâme Cro-Magnon qui ne cesse de la violer , la violenter et la
fragiliser en lui répétant sans cesse que le point B 114 est une prison d’où nul ne peut
s’évader 814 , par le primate déguisé en directeur de zoo, en éléphant rose, en brute ivrogne et
misogyne, en tyran vêtu d’une soutane noire au sommet d’une tour lugubre vociférant à

809
Ibid. ,p.194
810
Ibid., p.194
811
On dirait le Sud, p.194
812
-Retourne au désert, rejoins le point B 114, c’est là-bas que ton Mektoub te donne rendez-vous, pas
ailleurs ! On dirait le Sud, p.195
813
Le violon
814
On dirait le Sud, p.215

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

l’attention d’une foule soumise de nabots inféodés. Enfin, le cannabis peut être considéré
comme adjuvant qui permet à la droguée du sibirkafi de cracher la boule sanguinolente de
colère et de haine qui s’était constituée en elle au moment où elle prend conscience de son
trop-plein d’existence.815
c)- Dans L S D
Dans LSD, nous nous situons sur le plan de la mission confiée à Charles Darwin Jr qui
lui a été confiée par Celui Qui Dicte Tout et tisse les Liens Secrets des Destinées, décide de
tout reprendre dans une autre dimension à partir de l’origine pour sauver l’humanité de
l’Apocalypse programmée par les suppôts du diable en 2051.L’arrière-petit-fils de Darwin est
accompagné de Lucy, la mère de l’Humanité pour refonder une nouvelle humanité dans
l’harmonie de l’Homme et de la Nature. Le couple d’acteurs appartenant à des strates de
temps très éloignées va œuvrer pour éradiquer l’anthropocentrisme d’une évolution inspirée
par les forces du Mal et réaliser la prophétie des manuscrits de Qumran annoncée depuis 2000
ans au bord des eaux translucides d’une matrice remplie d’eau salée qui dévoile le paradis
d’une biodiversité vivante, opposée, déconcertante .816Nous proposons ci-après le modèle
actantiel de la quête conjointe de Charles et Lucy :
CeluiQuiSaitTout………Sauver l’Humanité,… Nouvelle humanité sur Terre

Lucy /Suly , Rayane………………..Charles et Lucy…………………Vatican , Natas , Abdul,

1)- Sur l’axe de la communication destinateur/objet /destinataire, ce modèle rend compte de la


mission de Charles Darwin Jr le Maitre de Justice porteur d’espoir d’une autre humanité et
de Lucy l’australopithèque chargés de changer le destin de l’humanité par la volonté de
CeluiQuiSaitTout dans une bizarre aventure onirique et hallucinatoire en propageant l’Amour
sur la nouvelle texture de Gaia , cette terre destinataire d’une nouvelle humanité au bord du
lac Afar.
2)- Sur l’axe du vouloir sujet/objet, Charles Darwin et Lucy sujets -actants817 œuvrent sans
relâche pour qu’une nouvelle humanité renaisse sur la strate de temps où l’entêtement de l’
homme- convaincu de détenir la vérité ne donnera plus l’illusion de puissance par des

815
Au bout de quelques minutes, le fibrome, chair irascible, de sang venimeux, s’extirpe brutalement de sa
bouche chassé par le cannabis. Ibid., p.148
816
L S D , p. 272
817
Ma relation avec Lucy était(…) inévitable, car programmée par elle, par moi et surtout par
CeluiQuiOrdonneTout qui nous a confié cette mission.LSD, p.189

230
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

interprétations hâtives des textes sacrés - sera définitivement éradiqué. Le couple insolite est
désormais dans l’obligation de combattre l’anthropocentrisme arrogant de l’Homme en
refondant une nouvelle humanité de paix et d’Amour sur un de ces présents parallèles de l’
Arcadie retrouvée où tout est illuminé et translucide au bord d’une matrice ovoïdale calme ,
vivante et accueillante dans le désert de l’Afar . C’est ce miracle mue en vie 818que Charles et
Lucy arriveront à réaliser là où le temps ne se compte pas, là où seuls les rythmes des cycles
du soleil et des vies de chaque espèce servent à fixer les souvenirs qui se perpétuent dans
l’émerveillement de la mémoire collective. 819
3)- Sur l’axe du pouvoir Adjuvant/sujet/Opposant, les sujets -actants bénéficient de l’aide
conséquente d’adjuvants synthétisés quant aux rôles en plusieurs acteurs tels que : les
820
enseignements apportés par Lucy pour convaincre Charles d’accomplir à ses cotés une
mission urgente et cruciale !(…) une tâche qui va réorganiser l’ordre des choses.821Choqué
par la folie et l’inconscience de l’homme qui au fil des temps a perdu la faculté de raisonner,
de s’interroger sur son origine, sur l’univers, sur sa place dans cet univers, sur l’esprit, le
sens de la vie, la mort ou le sacré822, Charles prend réellement conscience de l’urgence de sa
mission de sauver Gaia d’un chaos écologique sans précédent et qui meurt par l’inconscience
de ses enfants parricides, mégalomanes, irresponsables et avides d’autorité.
823
L’acteur Rayane charismatique leader de la communauté Paix verte explique à
Charles sur l’Ile de Wight que Lucy lui permet de créer son hapax existentiel 824 car sa
mission non-prophétique met à nu - par la démonstration et la preuve- l’irresponsabilité
humaine. Suly Lennon la compagne de Charles -même si elle ne prend pas au sérieux ces
révélations, elle l’accompagnera sur l’île de Wight et sera partie prenante de la refondation de
l’humanité jusqu’au bout de l’Arcadie retrouvée : Suly peut être considérée comme une sorte
comme la doublure contemporaine de Lucy. Le LSD peut aussi être considéré comme un
adjuvant qui permet à Charles, dans un premier temps d’oublier son échec au concours
d’entrée pour une maitrise en anthropologie culturelle à la prestigieuse Severnal Académy de
Shrewsbury et dans un second temps de faciliter la réception des messages hallucinatoires
émanant de Lucy.

818
Ibid., p. 273
819
LSD, p. 274
820
-Je dois changer le destin de notre …mère nourricière. C’est ma mission et celle de toutes les espèces ! Ibid.,
p. 67
821
LSD, p. 66
822
Ibid., pp.168-169
823
C’était le sosie de Jim Morisson, le chanteur du groupe The Doors. Ibid.,p.196
824
Ibid., p.202

231
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Quant aux opposants à l’accomplissement de la mission de Charles et Lucy, ils sont


représentés par les suppôts du diable qui souhaitent la destruction de la planète prévue à
l’aube de 2051 en préservant ainsi le secret des de Qumran découverts par un berger bédouin
dans les grottes des collines désertiques bordant la mer Morte De ce fait, le Vatican ordonnera
au frère Natas de supprimer Charles Le Maitre de Justice en chargeant Abdu -cet être mi-
homme, mi- ruminant de l’assassiner dans son studio de Shrewsbury en vue de cacher ce qui
n’est pas dans la ligne directrice de la doctrine catholique .

Synthèse :

L’éclatement du code narratif se singularise par l’intrusion de procédés


narratologiques qui échappent à la norme par l’enfilage de récits seconds disparates de
virtualités évidentes dans Aigre-doux , l’alternance de récits fantastiques seconds mis en
abyme dans On dirait le Sud et la concaténation de récits et de discours d’ordre ontologico-
existentiels s’imbriquant les uns aux autres par le recours récurrent aux analepses dans
LSD .Ces dernières accentuent par conséquent la dissémination fragmentaire d’une narration-
puzzle. Toutes ces tendances formelles-dans lesquelles se greffent le fantasmagorique et
l’onirique, l’absurde et le déliriel- participent de la dislocation du récit par la subversion des
formes narratives traditionnelles et inscrivent de plain-pied les romans de Mati dans la
modernité. Ces codes esthétiques multiples se propagent et détruisent volontairement les
éléments de lisibilité, de cohérence et d’intelligibilité interne du texte. De ce fait, l’accès au
sens se complique dans la mesure où les structures de la narration fondée sur l’enchainement
rationnel des causes et des effets 825 sont pulvérisées par l’exhibition de procédés suggérant la
possibilité d’un autre ordre de signifiance. Une nouvelle fonction est désormais assignée au
roman, libérant les diverses voix du texte car la modernité est une libération des sens et des
formes826, libération d’une écriture -profondément marquée l’intrusion entrecroisée des codes
littéraires - qui situe la narration selon les dires de l’écrivain sur une frontière mouvante et
changeante séparant l’existant de l’inexistant, le réel de l’irréel, le palpable de l’abstrait827.
Les faits s’inscrivent alors dans l’ambigüité qui relève d’abord d’une dimension ontologique,

825
Dans Poétique, Textes, traduction par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Ed. Seuil, 1950, le concept
aristotélicien définit toute œuvre littéraire comme un système dont les parties que constituent les faits doivent
être agencées de telle sorte que si l’une d’elles est déplacée ou supprimée, le tout soit disloqué et
bouleversé. p.63
826
Bensaou-Avant-propos de Kateb Yacine et la modernité textuelle, Paris, Ed. L’harmattan, p.5
827
Interview de D. Mati à propos de LSD dans Info soir du 17 /06/2009

232
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qui traverse les textes de part en part, qui ramène le sujet en deçà des codes habituels et
stables du savoir 828 et la confusion du sens.
Complètement débridée, l’écriture brise toute univocité en mettant l’accent sur le
morcellement et la discontinuité. Ainsi, l’acte de lecture ne peut se faire aisément dans la
linéarité car lire reviendra à réparer un corps savamment morcelé ou plus exactement à
829
s’installer dans la déchirure , dans la faille, dans la fêlure d’où jaillit la signifiance.
L’éclatement de la structure narrative se manifeste aussi par le recours constant à des
anachronies internes et /ou externes, à des distorsions temporelles et de récurrentes
transgressions chronologiques déstabilisant l’ordre temporel du récit et participant au
trébuchement du récit. En effet, les personnages en cabale hallucinatoire réalisent des
parcours se construisent dans un entrelacement des récits aux amplifications internes, des
récits parallèles alternant jusqu’à l’entrecroisement des quêtes en questions et des récits
s’imbriquant les uns aux autres dans une narration puzzle.
La vision de l’espace s’organise autour d’une dualité espace cauchemardesque /
espace lénifiant. La représentation spatiale des romans de D. Mati obéit à une logique de
binarité qui évacue toute forme de logique réaliste en se construisant sur les élucubrations,
tourments et hallucinations des personnages en cabale à partir du point B114. Mati se
complait à inventer cet espace hybride qu’est le point B 114, espace sans consistance réelle,
pas vraiment virtuel dont la symbolique prend sens à travers des questions fondamentales
d’ordre ontologico-existentiel .Cet espace de folie délirielle et de désespoir devient lénifiant à
l’approche de l’aboutissement des quêtes viscérales des protagonistes : le point B 114 devient
alors la frontière entre le désert des Hommes et le désert du Temps convoité par les
personnages en errance. Outre le temps mythique des origines pour lequel les personnages
sont en cabale, Mati fait alterner deux temporalités, l’une référentielle et l’autre onirique où
les champs temporels alternent, s’entrelacent et donnent lieu en définitive à l’hégémonie
d’une seule temporalité onirique : celle de l’hallucination et des élucubrations de leurs esprits
tourmentés.
Quant à l’écriture du personnage, celle-ci ne tombe jamais dans une profusion
descriptive réaliste. Les personnages en cabale sont surtout présents à travers la dissémination
de traits pertinents physiques et /ou psychologiques qu’ils découvrent parfois eux-mêmes

828
Beida. Chikhi, Maghreb en textes, Ecritures, histoire, savoirs et symbolique, Ed. L’harmattan, 1996
829
M. Butor- Vers une littérature de signes, complexes 1975, p 152

233
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

simultanément avec le lecteur.830Ces personnages errants sont ne répondent pas aux critères
réalistes et peuvent être considérés que comme des antihéros amnésiques, enclins à la
consommation de drogues et hallucinant jusqu’au moment de leur transmutation. Le lecteur
les découvre à travers leur parole subjective à l’intérieur de la diégèse, leurs discours
intérieurs et échanges verbaux qui mettent en lumière les raisons de leur errance et leurs
préoccupations d’ordre ontologico-existentielle. Les points de vue abondent et se
démultiplient au gré de leurs pérégrinations. Le lecteur ne découvre leurs traits pertinents,
leurs caractères, leurs aspects physiques et moraux à travers leurs parcours narratifs respectifs.
D’autres personnages fantasques, issus de leur imagination, surgissent de nulle part,
pour baliser leurs quêtes respectives. Ces personnages acquièrent une autonomie
différentielle par la récurrence de motifs dont celui du regard itératif.

830
Dans Aigre-doux, le narrateur découvre avec effarement sa propre étisie en exhibant sa nudité sur le balcon.
Zaina, dans On dirait le Sud, découvre elle aussi son amaigrissement lorsqu’elle décide de vivre nue sa
quotidienneté dans le désert.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

En tant que lecteurs, lorsque nous entrons en littérature, nous nous attendons
naïvement à un genre spécifique d’autant que l’intentionnalité du scripteur est souvent à la
mesure de notre attente à travers cette situation de communication instaurée par le texte.
Paradoxalement, nous avons constaté que les indices narratologiques de l’éclatement
narratif contribuent à élaborer les mécanismes fonctionnels de récits atypiques qui remettent
en question l’appartenance générique des textes écrits .Ainsi ,notre corpus ne cesse de récuser
les conventions du roman traditionnel (intrigue, personnages, espace, temps) parles flots de la
polyphonie 831 narrative et énonciative qui s’y propagent à travers le discours des personnages
accentuant par la même la fragmentation textuelle. De ce fait, le genre romanesque devient
hétérogène et apparait comme l’espace d’un dialogue intériorisé d’une polyphonie savamment
orchestrée par une diversité de langages charriant voix plurielles et contenus ontologico-
existentiels .Les voix individuelles se multiplient, s’entrecroisent, s’affrontent et se relaient
dans l’univers de la fiction et confirment la polyphonie narrative et énonciative des romans de
Djamel Mati. L’analyse de l’énonciation nous permettra d’appréhender les actes de paroles
pris en charge par les diverses instances discursives et de mettre en exergue la subjectivité du
langage matérialisée dans la texture du texte par des faits de langue où se mêlent étroitement
la référence au monde et l’inscription des partenaires de l’énonciation dans le
discours.832Ces faits de langues qui fondent la subjectivité dans le langage 833 constituent des
indices fonctionnels quant à l’analyse de l’énonciation et la caractérisation des instances de
discours 834 dans les récits matiens. Dans cette perspective, nous nous attèlerons à repérer les
marques de subjectivité du locuteur ou alors celles de l’appareil formel de l’énonciation dans
les macro-actes de langage que sont les textes littéraires. Cependant , l’analyse de
l’énonciation ne peut se contenter de repérer mécaniquement les marques formelles du
discours mais prend en considération le rôle institutionnel de la langue à l’intérieur de laquelle
tout un dispositif de conventions et de lois , qui doit se comprendre comme un cadre
institutionnel réglant les débats des individus 835instaurant la dimension idéologique du sujet
de l’énoncé dans sa dimension consciente et/ou inconsciente et dans sa relation intra et
extralinguistique .Ce déplacement de la problématique permettra de mettre l’accent sur la

831
Bakhtine, Mikhaïl .Esthétique et théorie du roman .Paris Ed Gallimard, 1978, p. 128
832
Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires. Paris, Armand Colin, 2010, p.11
833
Benveniste cité par Adam Jean-Michel extrait de linguistique et discours littéraire, Paris, Larousse
Université, Coll., 76, p.297
834Adam, Jean-Michel. Linguistique et discours littéraire, théorie et pratique des textes Paris .Coll. Larousse
Univ 1976
835
Adam, Jean-Michel, Ibid., p.324

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

multiplication de l’instance énonciatrice d’un sujet désormais(…) en procès.836De ce fait ces


concepts de polyphonie et d’intertextualité sont de mise pour débusquer les moyens déployés
par l’écriture pour énoncer son propre processus discursif dialogique.
Compte tenu de ces concepts instituant une parole discursive plurielle et fragmentée,
notre objectif est de dégager les moyens déployés par l’écriture pour énoncer cette parole de
nature philosophico-ontologique en rapport avec la condition humaine et l’entité de l’Etre
s’inscrivant dans la pluralité et l’éclatement des discours à l’intérieur de la diégèse.
Cependant, nous nous devons de rappeler que Mati se définit lui-même comme un
écrivain qui raconte l’entité de l’Etre dans la société .En effet, dans un entretien
journalistique, l’écrivain insiste sur l’universalité des thèmes abordés tels que la quête de soi,
la recherche de vérités fondamentales de l’Etre.
La dimension ontologique se retrouve dans notre corpus et la manière avec laquelle
l’écrivain en parle lors de ses divers entretiens :
Pour Aigre-doux, le narrateur, dans ses pérégrinations, est à la recherche de sa propre identité à
travers l’aigre-doux de la vie ; il apprendra à extraire le noble à partir du vil, à la manière d’un
alchimiste pour comprendre le sens ontologique de l’être (…) dans On dirait le Sud là où les
mirages réfléchissent les désirs sans jamais les offrir, je tente une exploration du Féminin et du
Masculin, du couple femme-Homme, du fantasme et aussi du cours que peut prendre la destinée
humaine .837
Concernant LSD, D. Mati authentifie la dimension ontologique que charrie son
écriture en mettant en exergue l’anthropocentrisme de l’Homme à l’origine de son propre
asservissement et de celui du monde qui l’environne :
Pour mon dernier livre LSD je suis parti d’une réflexion sur l’Homme et sur son comportement
vis-à-vis de la nature (...) vis-à-vis de lui-même .Cet anthropocentrisme a été inoculé dans le
conscient collectif depuis des milliers d’années(…) Ces dérives retracées dans le roman sont
provoquées par l’homme .Elles ne relèvent pas du tout de la science-fiction mais d’une réalité
qui se confirme partout et presque tous les jours sur notre bonne vieille terre.
Finalement, l’écrivain ne cesse de clamer dans ses romans cette perpétuelle interrogation
relative à l’Homme, à l’être en tant qu’entité à la recherche de soi susceptible de le mener à sa
perte :

836
Adam Jean-Michel, Ibid., p.334
837
A ce propos, Mati explique le choix du titre en question : parce que c’est comme dans le Sud, chacun peut
découvrir son propre désert ; lisez –le, vous trouverez une réponse aussi évidente pour vous que pour moi.
Votre désert diffère du mien .Il est inutile que je vous parle du mien, à chacun son désert personnel in D. Mati-
13 /Kalila /Contributions littéraire

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

En somme, mes histoires racontent l’Humain avec pour décor la société. Une société et des individus avec leur
force et leur faiblesse, leur rapport avec la vie et les espérances, leurs tiraillements entre la mal et le bien, leur
boulimie de vivre et leur peur de mourir .Je n’ai rien inventé, les thèmes que j’aborde sont universels : la quête
de soi, la recherche de l’Amour, de L’Absolu et de la liberté.838
D’un roman à l’autre, l’écriture matienne participe d’une entreprise scripturale où la
notion de dialogisme considérée dans son sens ontologique s’inscrit par rapport à la recherche
de l’identité de l’Etre humaniste et universaliste.
Dans ses romans, l’entrecroisement des voix organise une polyphonie énonciative
autour de profondes émotions d’ordre ontologico-existentiel ressenties et énoncées par les
différents protagonistes du discours. Nous tenterons donc d’analyser les éléments de sa
stratégie discursive pour montrer que cette polyphonie ontologique se fonde sur la conception
aristotélicienne qui est l’étude de l’être en tant qu’être 839 dans ses propriétés générales et
dans ce qu’il peut avoir d’absolu.840
A la lumière de ces éclaircissements, nous précisons que notre travail se situe dans la
vision d’Emile Benveniste841 et de la perspective pragmatique de Dominique Maingueneau
orientée sur la dimension illocutoire de toute énonciation qui aborde le langage comme
phénomène à la fois discursif et social.842Aussi, essayerons-nous de cerner les stratégies de
production du discours ontologique pris en charge par la diversité énonciative chaque fois
qu’une nouvelle énonciation est proférée et voir de quelle manière les actes d’énonciation sont
pris en charge. En outre, il est important d’analyser les formes de discours rapportés qui sous -
tendent l’hétérogénéité énonciative matérialisées par le discours cité qui dispose de ses
propres marques de subjectivité, de ses déictiques et de ses modalisations, à l’intérieur d’une
seconde, le discours citant 843 et permettent aux personnages de s’approprier cette parole
ontologique, objet inhérent à la situation d’énonciation. Telle est la singularité discursive et
énonciative qui interroge l’entité de l’Etre dans ses multiples facettes à travers la recherche de
l’amour divin et humain, la recherche d’absolu et de liberté, la dimension ontologique étant le
fil rouge qui traverse de toute part les textes de Mati. Ce dernier fait partie de cette nouvelle

838
D. Mati-13 /Kalila /Ibid
839
Site web, Centre National de Ressources textuelles et sociales consulté en Février 2014
840
Au sens strict, c’est l’étude de ce que sont les choses en elles-mêmes, dans leur nature intime et profonde par
opposition à la seule considération de leurs apparences ou de leurs attributs séparés. Encyclopédie universalis
841
Benveniste, Emile, dans son ouvrage intitulé Problèmes de linguistique générale 2, Gallimard, Paris, 1966
considère que l’énonciation peut se définir par rapport à la langue, comme un procédé d’appropriation .Le
locuteur s’approprie l’appareil formel de la langue et il énonce sa position de locuteur, il implante l’autre en face
de lui, quelque soit le degré de présence qu’il attribue à cet autre .Toute énonciation est une allocution, elle
postule un allocutaire. p. 82
842
Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires .Paris .Armand Colin, Paris, 2010
843
Maingueneau, Ibid., p.181

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

génération d’écrivains algériens qui, malgré l’actualité dramatique qui a ébranlé leur pays
durant une décennie ont été capables de briser les chaines de la peur et de la censure, de
dépasser le cadre territorial pour s’ouvrir sur le monde, apporter un nouveau souffle au
paysage littéraire algérien .844L’acte d’énonciation de cette mouvance d’écriture algérienne
contemporaine est désormais pris en considération dans sa singularité et sa spécificité tout en
faisant graviter les voix énonciatives autour de la problématique universaliste de l’entité de
l’Etre et de la condition humaine. Des variétés formelles et narratives s’y instaurent et se
caractérisent par des performances audacieuses qui constituent une nouveauté et une rupture
avec les modèles précédents. 845Mati s’intègre dans le sillage de cette nouvelle écriture qui,
sans se délester de son identité littéraire algérienne, appelle à la préservation des valeurs
nationales qui constitueraient une sorte de tremplin pour atteindre une unité constante et
générale qui favorise le respect de l’humain dans sa dimension la plus noble .846
Dans notre corpus, toutes ces facettes de l’entité de l’Etre sont l’enjeu de discours
épars assumés par les personnages principaux de la fiction en proie à leurs élucubrations
enfumées alors que leurs adjuvants s’arrogent également leur part d’énonciation d’ordre
ontologique par les enseignements qu’ils leurs dispensent notamment lors de leurs échanges
conversationnels. C’est dans cette perspective que nous nous attelons à analyser les
mécanismes déployés par l’écrivain pour rendre compte de la dimension ontologique de son
écriture. Comment les personnages en mouvance énoncent t-ils cette parole reflétant un état
de réflexion permanente sur eux-mêmes en tant qu’entités, sur leur quêtes d’absolu, d’amour,
de spiritualité et de liberté ?
Mais avant d’aller plus loin, il nous parait pertinent de procéder à une clarification du
cadre théorique par le biais de la pragmatique du discours appréhendé dans son dialogisme et
ses multiples phénomènes linguistiques d’ordre pragmatique et d’hétérogénéité énonciative
(discours rapportés, modalisations , polyphonie, modalisations autonymiques, les guillemets ,
l’italique …) concepts à définir en bas de page que nous tenterons de débusquer pour mettre
en exergue la façon dont le texte dit l’entité de l’Etre. Notre propos sera de savoir comment
facettes au niveau de chaque instance qui tente de faire sienne la langue pour dire l’entité de
l’Etre. De ce fait, notre analyse du discours se doit de considérer le discours - en prenant en
considération ses conditions de production- réseau d’instructions et dépositaire de subtiles

844
Redouane ,Najib. Diversité littéraire en Algérie .Paris, Coll. L’Harmattan, 2009, p.13
845
Redouane,Najib., Ibid. p .13
846
Ibid., p .14

238
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

stratégies (…) constitutives du discours 847 en tant qu’ ensemble de stratégies d’un sujet dont
le produit sera une construction caractérisée par des acteurs, des objets, des évènements sur
lesquels il s’opère 848ou enfin comme discours dialogique orienté vers quelqu’un qui soit
capable de comprendre et d’y donner une réponse , réelle ou virtuelle .849
Ainsi, la parole ontologique se dissémine par le truchement de voix énonciatives et
discursives multiples qui installent et assument le dispositif énonciatif dans le texte. Les
discours des voix disparates sur l’Etre et son entité emprunts de spiritualité, d’amour de Dieu
et des hommes foisonnent dans le texte et convergent vers une nouvelle vision de l’Etre. De
ce nouvel imaginaire qui redéfinit l’entité de l’Etre, les discours relatifs à l’entité de l’Etre se
disséminent par les voix des principaux protagonistes et leurs adjuvants .Dans Aigre-doux, la
voix du narrateur s’allie à celles de l’Alchimiste, de la marathonienne androgyne, de la
Délivrance ou du vieux thaumaturge pour en constituer les fondements. Dans On dirait le
sud, les voix de Neil et Zaina fusionnent avec celles de Noure, l’Etre de lumière, de la
vieillerie aveugle, du Père Balthazar et de Mouloud le chef des hommes bleus. Enfin, dans
LSD, les voix de Lucy l’australopithèque et de Rayane le chef de la communauté Paix Verte
servent de relais à la voix divine pour expliquer à Charles Darwin les raisons pour lesquelles
il a été élu Maitre de Justice et dont la mission est de fonder une nouvelle humanité, en leur
compagnie, dans le désert de l’Afar. Nous présentons ci-après le dispositif énonciatif et
discursif de l’Entité de l’Etre qui traverse notre corpus à travers la polyphonie et
l’hétérogénéité énonciative d’une parole ontologique qu’installent les discours rapportés y
afférent. Nous avons constaté que le discours ontologique qui traverse les romans de Djamel
Mati transcende l’irréalité onirique et cauchemardesque perçue et vécue par les protagonistes
enquête de leurs origines. L’énonciation plurielle du discours de l’entité de l’Etre prise en
charge par les personnages matiens constitue un moyen de pallier les élucubrations de leurs
esprits tourmentés, de s’en extraire en dissipant- non sans douleur-doutes à leurs
questionnements philosophiques et existentiels .Ce discours ontologique charriant les diverses
facettes de l’entité de l’Etre en quête de lui-même dans un univers où d’autres espaces et
temporalités, d’autres réalités, d’autres mondes existent désormais en parallèle pour une
éventuelle renaissance de soi dans un autre monde. Pour cela, Mati assigne un rôle
prépondérant au langage qui se met en branle pour exprimer l’Entité de l’Etre, sa quête
existentielle, sa foi et sa spiritualité conditionnant son rapport au divin entaché de son
847
Maingueneau, Dominique, Ibid., p. 27
848
Maingueneau, Dominique .Ibid., p.16
849
Todorov, Tzvetan. M .Bakhtine. Le principe dialogique. Paris, Seuil, 1981, p.298

239
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

anthropocentrisme que les théories évolutionnistes et créationnistes ont largement contribué à


instaurer. Durablement insatisfait, cet Etre s’est mis en quête d’absolu tout en s’imaginant être
le centre de l’univers pour enfin concevoir le divin à son image. Les voix énonciatives
convoquent alors des formes langagières spécifiques, des stéréotypes langagiers dotés d’une
charge socioculturelle emprunte d’ontologie, des stratégies explicatives et argumentatives
impactant aussi bien la forme de l’énonciation ontologique que son contenu thématique. Des
schémas langagiers et discursifs sont renversés par une énonciation ontologique bousculant un
certains nombres de valeurs et préjugés d’ordre philosophico-existentiels relatifs à la
connaissance de son Entité, dans ses rapport aux autres, au divin et à l’univers. Cette analyse
aura pour but de mettre en exergue la dimension ontologique de l’univers discursif que
l’analyse du discours découpe en champs discursifs définis par Maingueneau comme
l’ensemble des discours qui interagissent à un moment donné et que l’analyse du discours
découpe en champs discursifs à savoir des espaces où un ensemble de positionnements sont
en relation de concurrence large , se délimitent réciproquement 850.
C’est dans cette perspective que nous présentons le champ discursif de l’Entité de
l’Etre qui sous-tend des stratégies énonciatives et des procédés langagiers usités par les sujets
énonciateurs en vue d’en saisir la finalité sémantique. Nous tenterons de montrer comment
des manipulations langagières sont mises en branle pour doter la composante énonciative d’un
discours approprié visant à cerner l’Entité de l’Etre dans sa diversité et sa complexité.
Nous nous appuierons sur les exemples que nous pensons illustrateurs de la dimension
discursive de ce champ discursif et de son identité énonciative.851La quête existentielle des
personnages errant qui tentent de donner un sens à leur existence à travers les élucubrations de
leur esprit tourmenté peut donc être cernée à travers les actes d’énonciation des discours
d’ordre ontologico-philosophique comme espace scripturaire dans lequel s’inscrivent toutes
les instances de ce discours.
Dans Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté , si le sujet parlant tente tant
bien que mal des incursions dans cette nouvelle dimension mi-réelle mi-onirique qui s’impose
à lui en prenant des pilules aigres-douces et qui le catapultent littéralement dans un état
hallucinatoire de remontées mémorielles renvoyant des images subliminales pleines d’effroi et

850
Maingueneau, Dominique .Genèse du discours. Liège, Mardaga, 1984, p. 27
851
Dans son ouvrage intitulé Les termes –clés de l’Analyse du discours » Editions du Seuil, 2009, Maingueneau
définit le rapport entre le positionnement et l’identité comme suit : Dans un champ discursif le positionnement
correspond à la délimitation d’une identité énonciative (...) plus exactement, le positionnement désigne à la fois
les opérations par lesquelles cette identité énonciative se pose et se maintient dans un champ discursif et cette
identité même .Ibid. ,p.100

240
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

d’anachronisme852, il évoque aussi des réminiscences appartenant à un étrange vécu où des


personnes méchantes qui reviennent le remettre dans le flou béant de ses effrayantes
hallucinations .Cependant ,il n’en demeure pas moins que la mise en mouvement de la parole
ontologique sera prise en charge par cette instance discursive première à travers ses propres
élucubrations et ses adjuvants censés baliser son errance onirique .En effet , considérant qu’ Il
n’ya pas de récit sans narrateur853, des relations s’instituent entre le discours de fiction et les
voix énonciatives dont l’analyse conduit dans un premier temps à analyser les glissements
énonciatifs par le biais de réalisations multiples explorant toutes les formes de discours
rapportés .Une polyphonie discursive s’installe et plusieurs voix énonciatives s’expriment au
gré de l’enfilage des récits disparates. D’emblée, la voix énonciative première met en exergue
les évènements qui ont posé les jalons de ses élucubrations tourmentées et tente tant bien que
mal des incursions dans cette nouvelle réalité où des réminiscences appartenant à un étrange
vécu nourrissent le flou béant d’effrayantes hallucinations : Tous ces personnages semblent
parfois se livrer à un combat sans merci et je me retrouve, chaque fois, mêlé à leurs
bagarres. 854
Les récits disparates s’enfilent les uns après les autres et font que l’instance
énonciative se dédouble par le truchement de glissements énonciatifs d’un discours rapporté à
l’autre. En effet dans un premier temps, le narrateur extra-diégétique de son réveil douloureux
dans la petite chambrette ovale à la Casbah d’Alger passe en quelque sorte la main à une
instance discursive et énonciative homo- diégétique de récits seconds855 : celui des
élucubrations de son esprit tourmenté où visions, rêves et hallucinations installant par la
même une polyphonie de discours rapportés traitant de l’Entité de l’Etre au sein de récits
disparates enfilés.
Le narrateur se découvre dans une masure délabrée de l’ex-rue du diable d’une Casbah
qui se meurt sans aucune émotion 856 va crescendo poser les jalons de sa quête dès sa
première tentative d’émersion ce triste matin après un long, très long voyage hors du
temps 857, il éprouve alors les pires difficultés à reconnaitre le visage de la femme penchée sur
lui tout en flottant derrière un écran de fumée puis à sa seconde tentative ce visage lui dit

852
Aigre-doux, p.15
853
Todorov, Tzvetan .Qu’est-ce que le structuralisme. Extrait de Poétique 2, Paris, Ed Seuil, p.64
854
Aigre-doux, p .15
855
Genette explique que l’instance narrative d’un récit premier est par définition extra diégétique, comme
l’instance narrative d’un récit second (méta diégétique) est par définition diégétique. Ibid., p.239
856
Aigre-doux, p .13
857
Ibid.,p.13

241
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

enfin quelque chose mais il n’avait pas la force de parler ou d’échanger avec cette femme à la
voix métallique le moindre propos -ne pouvant décoder la moindre syllabe car ,à peine sortis
de sa bouche ,ses mots se déformaient inéluctablement en son for intérieur :Ya comme un
problème dans la réception 858soliloque-t-il en essayant de s’accrocher à sa nouvelle vie. Puis,
dans le sillage de ce décalage communicationnel impromptu, il suppose que ces enfants-
garçons ou filles- qui l’appelaient papa sont les siens à travers son propre discours introduit
par son discours citant : Dis, et les enfants, ils sont où ? Osais-je lui demander un soir où
j’avais trouvé, enfouis dans mes souvenirs, les visages rieurs de garçons ou de filles qui
m’appelaient : papa.
Le manque de discernement de la réalité qu’il vient de découvrir et dont des bribes de
son passé se désancrent s’explique par l’emploi de la conjonction où marquant une
approximation relative à ses enfants qu’il ne reconnait pas de manière formelle et qui dénote
que sa mémoire reste brouillée au moment de l’énonciation. L’esprit continuellement
tourmenté par des fragments d’un vécu étrange et flou qui surgit la nuit dans son sommeil et
même lorsqu’il est éveillé après avoir ingurgité les pilules au goût acide, il hallucine, voit du
sable partout et ressent des flash-back lui renvoient des images subliminales pleines d’effroi
et d’anachronismes.859
La première vision de la voix énonciative est celle d’un endroit perdu au milieu d’un
désert inhospitalier- une cabane pourrie où des malades loques à terre individus aussi
hagards que résignés -surveillés par des médecins vigiles vêtus de blouses vert-kaki -
survivent et meurent dans cet endroit kaléidoscopique et qui enfument continuellement
l’atmosphère de volutes de chanvre indien où seul le gargouillement des narguilés perturbe le
silence qui y règne. Notons que la série de questionnements énonciatifs se posent comme
instance d’un discours sur ses propres doutes, incertitudes et manque de discernement qui
perdurent en son for intérieur lorsqu’il se trouve en émersion. D’ailleurs, il en arrive à se
demander s’il n’était pas en train de vivre ses propres élucubrations dans une autre dimension,
dans une autre existence : Suis-je au beau milieu d’un champ de bataille où s’affrontent mes
cauchemars et mes espoirs, ou bien dans un endroit se trouvant dans une autre vie ? Est-ce
que les courtes visions qui me viennent ont existé réellement ou bien est-ce mon esprit qui a
complètement disjoncté .Ce surprenant auto-questionnement intérieur est introduit par le

858
Aigre-doux , p.14
859
Ibid., p.15

242
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

discours citant : Voilà les questions que je me pose lorsque je suis en émersion 860 qui , tout
s’accompagnant de l‘information selon laquelle les questionnements jaillissent lors de ses
tentatives d’émersions le sens , exclut qu’il s’agisse de propos adressés à autrui .En outre , la
présence de guillemets corrobore le fait que l’on a pas affaire à l’expression du courant de
conscience mais à des questionnement dont il ne semble attendre de réponses claires tant les
pilules ingurgitées obscurcissent continuellement son esprit tourmenté. Nous constatons que
les deux je désignent le même énonciateur des deux discours citant et cité présentant
l’immersion d’une seule et même instance énonciative dans l’auto-questionnement de cette
subjectivité parlante.
Dans On dirait le Sud ,les élucubrations d’un esprit tourmenté, la polyphonie
énonciative s’installe à travers un débat interne entre les personnages qui évoluent dans leurs
mondes parallèles respectifs auquel s’ajoutent les discours rapportés énoncés par les voix des
personnages en marge chargés de baliser les quêtes de Zaina et du couple adultérin Ines et
Neil.
Quant au troisième roman LSD, la dimension ontologique s’avère largement portée par
les échanges conversationnels entre Charles et Lucy dont les propos se tissent pour mener à
bien la mission du Maître de justice : refonder une humanité à travers le prisme amoureux du
divin miséricordieux. Dans les romans de Mati, chaque énonciateur prend en charge son
propre discours philosophique en tant que réflexion sur soi, sur l’Homme, sur l’Entité de
l’Etre dans sa globalité.
C’est dans cette perspective que nous présentons l’évolution du processus dialogique
et polyphonique interne du discours de l’entité de l’Etre qui se développe à travers l’analyse
des axes de réflexion ontologiques suivants :

 Les abysses de l’intériorité


 La polysémie du discours amoureux
 Le Divin, l’Etre et le Temps
 La mort : une vérité ontologique

860
Aigre-doux, p.15

243
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1.Les abysses de l’intériorité


Ce chapitre manifeste de cruciales expériences influant sur les destinées humaines et
leurs imaginaires collectifs et synthétise sans doute la pertinence et l’impact de l’entité de
l’Etre dans les romans de Djamel Mati ; c’est ce que les diverses voix énonciatives prennent
en charge pour dire le discours ontologique en rapport avec les élucubrations des instances
discursives en quête de leurs identités originelles. Nous présentons ci - après les champs
discursifs de l’entité de l’Etre qui traversent notre corpus.
Dans la question de l’entité de l’Etre, un véritable discours ontologique polyphonique
s’installe dans la fiction. Les personnages qui témoignent de leurs propres tourments et
élucubrations dans leurs échanges conversationnels et /ou à travers discours rapportés placent
cette nouvelle entité de l’Etre à travers des questionnements existentiels en relation avec la
dualité aigre - douce de l’existence, cette philosophie que véhicule le corpus de Mati.

1.1 dualité aigre-douce de l’existence

Dans Aigre-doux, ce discours pose d’emblée la question de l’être à travers la voix du


narrateur qui met en exergue, dès l’entame de son errance, les difficultés que peut éprouver
l’Etre dans l’aperception de son errance dans un monde fait de virtualités et d’hallucinations
insaisissables . Dans un monologue intérieur portant sur une suite de phrases et permettant
d’accéder à son for intérieur, il certifie de manière péremptoire que la transformation de son
Etre ne peut provenir que de son intériorité tout en tentant de dépasser ce piètre Bien et ce
foutu Mal 861en récusant toute vision moniste de l’existence : Maintenant, j’ai le profond
sentiment que ma transformation doit venir de l’intérieur (...) je suis prêt pour l’épreuve ! 862
L’emploi de tournures interro-exclamatives implique la présence d’une subjectivité du
monologue intérieur lorsque l’énonciateur anonyme adresse à lui-même son profond désir de
prendre le monde dans une pluralité de spécificités pour fonder sa nouvelle personnalité , à
ce moment-là, par l’emploi du repérage déictique Maintenant par rapport à la situation
d’énonciation : Je désire rendre le monde pluriel, offrant une myriade de possibilités, les
surprendre nu, fou, fougueux, libre, vulnérable et y planter le germe de la nouvelle
personnalité que je me prépare. 863

861
Aigre- doux, p.199
862
Ibid., p.199
863
Ibid., p.199

244
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Sans repérage déictique spécifique marquant le passage à un discours direct, le sujet


énonciateur rapporte en substance les propos de différents personnages qui ont balisé sa quête
en vue de l’acceptation de la mue :
Tu dois te transformer en ce qu’il y a de meilleur en toi, pour cela il te faudrait consentir un
ultime sacrifice avaient dit en substance le vent du désert, le vieillard dans la forêt, le bouquiniste
apeuré, la marathonienne exubérante et enfin mon maitre, l’alchimiste de sable et de pierres.864
Nous remarquons le passage d’une énonciation à une autre en passant sans transition
du monologue intérieur à un discours direct faisant coexister deux domaines énonciatifs
autonomes où chaque énonciateur conserve ses marques de subjectivité propres. Ainsi,
l’emploi des guillemets permet non seulement de délimiter typographiquement la frontière
entre les deux plans énonciatifs tout en impliquant des jugements de valeurs par le truchement
d’expression nominales à valeur subjective telles que le bouquiniste apeuré ou la
marathonienne exubérante mais aussi de confirmer que nous n’avons plus affaire à
l’expression du flux de la conscience de l’énonciateur mais à des propos adressés à lui-même.
Ces énoncés relèvent du discours direct que Djamel Mati emploie aussi pour rapporter
les propos des personnages proférés dans une conversation antérieure avec le narrateur où
l’emploi de verbes de modalité au présent marque la présence d’énoncés relevant du discours
direct.
Nous remarquons qu’on ne perçoit guère de différence dans le maniement de la langue
entre le discours immédiat présenté sous forme de monologue et les paroles qui lui sont
adressées antérieurement par les voix des multiples énonciateurs chargés de baliser son
errance : La rupture avec ma réalité acerbe ou cette virtualité sardonique me permettra, je
l’espère, d’élargir mes horizons et d’en inaugurer d’autres .Ainsi, peut-être ouvrirai-je une
brèche pour solutionner ma quête. 865
Ce fragment de discours intérieur marque une interférence de discours marquée par
l’adverbe modal peut-être rendue possible par le fait que le je réfère à la fois au narrateur
énonciateur et au personnage du récit en quête de ses origines. Dans Aigre-doux , le concept
relatif à la dualité de l’existence apparait dans les propos du personnage en pérégrination -
dont le cœur se durcit sans comprendre le véritable sens du Bien et du Mal - et réapparait à
travers la voix de l’alchimiste né de la fusion du vent et de la pierre .Ce locuteur met en place,
dans son discours , une suite de substantifs non comptables inhérents aux caractéristiques de
l’Etre à propos de l’apprentissage de la vie qui ne peut s’obtenir par la force , la peur et la

864
Aigre-doux., p.199
865
Ibid., p.199

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

haine , mais par la conviction, l’amour et l’exemple 866.L’emploi exclusif de l’article défini
précédant ces substantifs suppose l’existence d’un code préétabli et partagé entre co-
énonciateurs 867de propriétés valorisantes ou dévalorisantes de l’être.
Dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté cette dualité de
l’existence apparait à travers la voix de Mouloud le chef des hommes bleus qui confirme à
Zaina-qui n’arrive plus à différencier le réel de l’irréel, l’existence d’un Empire du Mal
gouverné par un prince aux yeux sulfureux que ses valeureux ancêtres ont combattu dans le
désert. La solution proposée par Mouloud réside l’énonciation d’un discours pédagogique sur
l’impact du désert-écrin sur les élus bienheureux du désert du Temps :
Attention, Zaina, le désert trompe, il te fait voir les choses pour t’en dissimuler d’autres .Il peut
rendre les gens fous mais il peut aussi les aider à devenir sains d’esprit au suprême degré. C’est
un écrin où se lovent tous les sens, ceux que nous connaissons et les autres. Certains visiteurs se
fondent dans la texture du désert, à ceux-là et uniquement à ceux-là, il leur fera vivre une réalité
qui pour eux n’en n’est pas .Une réalité parmi un nombre infini de réalités toutes différentes les
unes des autres .Mais une seule de ces réalités arrivera à les subjuguer, à les transcender. Ces
élus seront les bienheureux. 868
En effet, dans ce discours direct lié au couple interlocutif je-tu sans repérage déictique
par rapport à la situation d’énonciation, la mise en apposition du substantif
Attention corrobore l’importance de l’énoncé en incluant des vocatifs et la réitération du
verbe de modalité pouvoir au présent de l’indicatif. Nous remarquons aussi des oppositions
temporelles qui permettent la mise en valeur des caractéristiques du désert introduites par le
présentatif C’est un écrin où se lovent tous les sens entre la présent et le procès futur à
travers lequel l’énonciation d’une réalité parmi d’autres subjuguera et transcendera les élus du
désert. L’impact du désert sur les sens de l’Etre se fait dans la redondance des deux verbes
subjuguer et transcender, dans celle du pronom démonstratif ceux-là et de la conjonction
d’opposition qui ne laissent aucun doute sur l’excellence réservée à ces élus des sables et sur
la lisibilité du message ontologico-existentiel de Mouloud.
Dans LSD, la dualité de l’existence est en quelque sorte remise en cause par le
discours direct de Rayane le Chef de la Communauté Paix-verte signalé par l’incise : tel était
le discours en substance de Rayane et typographiquement par un tiret qui précède un verbe
au passé simple antéposé il leur demanda introduisant un discours visant à faire comprendre

866
Ibid., p.189
867
Dans son ouvrage intitulé Les interactions verbales », tome I, Paris, Armand Colin, Kerbrat-Orecchioni
estime que la notion de coénonciateur s’inscrit dans la conception interactionnelle du langage qui considère
que tout discours est une construction collective, p.13
868
On dirait le Sud, p. 215

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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à ses adeptes que désormais l’harmonie de l’homme et de la nature sera l’idéologie dominante
de la communauté. Son discours mobilise des formes langagières qui se rapportent au point de
vue du personnage qui n’a de cesse de haranguer ses interlocuteurs pour que le pouvoir soit
donné à la Nature avant qu’il ne soit trop tard. L’utilisation de l’indice de la personne
amplifiée 869nous basculant à la place du je confirme la mise en place d’une instance
nouvelle du discours qui lui permet d’évacuer son égo pour se fondre dans la communauté,
parler en son nom870 et la convaincre du bien-fondé de ses intentions.871
En outre, l’énonciation de ce discours injonctif s’avère concluante par l’emploi de
structures commençant par des marqueurs qui font en sorte que l’acte injonctif soit réussi : le
présentatif c’est dans C’est le début d’une longue et difficile aventure , la conjonction de
condition Si dans Si nous ne l’abordons pas maintenant , la construction impersonnelle dans
il sera trop tard dans quelques années et le préfixe performatif je vous le dis mettent en
exergue la valeur perlocutoire de cet énoncé en vue de provoquer des effets dans la réalité au
moyen de la parole872.

1.2. Libre-arbitre et absurdité de l’existence

Il est indéniable que les élucubrations des personnages en quête de leurs identités ne
peuvent passer outre la question du libre-arbitre tant ils sont confrontés , au cours de leurs
errances respectives à des situations , à des questionnements d’ordre philosophico-
existentiels qui les contraignent à effectuer des choix qui ne sont pas toujours aisés à prendre
faute de lucidité ou d’incompréhension de l’irréalité environnante. Dans Aigre-doux, le
concept de libre arbitre apparait à travers la voix du personnage errant à la recherche de lui-
même dans les méandres de ses élucubrations tourmentées de discours immédiats ou dans une
co- énonciation avec la voix de l’Alchimiste ou celle de la Délivrance dans des échanges
conversationnels. Ainsi, le concept nodal de libre-arbitre serait à même de solutionner sa
quête en faisant les choix adéquats qui donneraient un sens à son existence.
Dans LSD, c’est à travers la voix de Lucy l’australopithèque que le concept de libre-
arbitre intervient pour corroborer l’anthropocentrisme de l’homme et son comportement

869
Au sens de Benveniste qui considère que Nous désigne en effet (je+d’autres) extrait de l’ouvrage de
Maingueneau, Dominique, Ibid., p.67
870
L’harmonie de l’homme et de la nature, voici ce que sera notre idéologie. LSD, Ibid., p.146
871
Mes amis, je me dois de vous parler franchement (...) Nous devons aller plus loin dans nos réflexions. Nous,
Nous donnerons surtout le pouvoir à la Nature afin qu’elle soit respectée et surtout protégée .Nous œuvrerons
pour un monde en paix avec lui-même. LSD, Ibid., p.146
872
Maingueneau, Dominique. Ibid., p.21

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

irréfléchi envers lui-même et le reste de l’humanité oubliant qu’elle ne peut se construire que
sur des valeurs éthiques. L’enjeu étant de faire prendre conscience à Charles, son allocutaire
que le libre-arbitre dont il a été doté par CeluiQuiDonneTout est un outil pour éradiquer les
germes du mal et de la discorde amplifiant l’individualisme exacerbé, son illusion de
puissance et son déni du fait que n’est pas lui qui crée la semence. 873

1.2.1. Vision plurielle de l’existence

Le personnage -narrateur anonyme dans un discours immédiat avec coïncidence avec


le moment d’énonciation du déictique temporel maintenant , absence de narrateur et
d’interlocution, admet qu’à l’issue de sa rencontre avec l’Alchimiste un pan de voile qui
sépare le Ciel de la Terre, le Bien du Mal, le Possible de l’Impossible, enfin l’Aigre du
Doux 874venait d’être levé dans ce monde de dualités et souhaite élargir ses horizons dans un
monde de pluralités en récusant toute vision moniste de l’existence.875L’énonciateur produit
alors un autre énoncé qui traduit sa prise de conscience que son libre-arbitre se construit avec
force justesse et humilité pour être désormais à même de faire les choix adéquats, dans ce
monde proposant myriades de possibilités, pour aller au bout de sa démarche, de son chemin ,
de sa quête identitaire .Le lecteur se trouve pris dans l’immersion de la conscience intérieure
de l’énonciateur dont l’absence de guillemets corrobore le fait que l’on a affaire à l’expression
du courant d’une conscience en quête de son libre-arbitre et non de propos adressés à soi-
même :
Je ne veux plus d’une vision moniste de l’existence(…) Ma rencontre avec le sage venait de lever
un pan de voile qui sépare le Ciel de la Terre, le Bien du Mal, le Possible de l’Impossible, enfin,
l’Aigre du Doux. Je n’ai pas la prétention d’avoir tout compris mais je possède maintenant assez
de ressources mentales et physiques pour aller au bout de mon chemin.876

873
LSD, p.127
874
Ibid., p.199
875
Je ne veux plus d’une vision moniste de l’existence .Je désire rendre le monde pluriel, LSD, Ibid., p.199
876
Aigre-doux, p.199

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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1.2.2. Absurde philanthropie

A force de mésaventures diverses dans les méandres de ses élucubrations, le sujet


énonciateur regrette presque d’avoir entrepris ce périlleux voyage, fait son mea-culpa,
constate sa pauvreté et sa solitude faute de thune dans un discours direct libre sans aucune
marque typographique le signalant.877Ce dernier marque alors sa différence avec le discours
direct (DD) en entremêlant les deux situations d’énonciation tout en se dispensant d’incises
et/ou de marques typographiques878. En outre, nous signalons en l’emploi du déictique
temporel Maintenant qui coïncide avec le moment d’énonciation : Me voilà maintenant fort
désargenté et seul .L’enchantement de l’argent est exprimé à travers l’énoncé exclamatif
L’argent est quelque chose de vraiment magique. Avec la thune, votre cour est pleine de gens
qui vous aiment ! (…) Basta, la Philanthropie ! Je dois penser à moi uniquement me dis-
je 879qui constitue le seul fragment qui appartienne indubitablement au discours direct(DD) où
les deux je désignent la même personne dans le discours cité et dans le discours citant avec
emploi de guillemets marquant la frontière entre les deux domaines énonciatifs.

La philanthropie poussée jusqu’à l’absurde va s’illustrer dans une situation burlesque


où l’instance énonciative première se demande pourquoi tous ses prédateurs de
frères fantassins de l’opportunisme qui ont bien profité de son absurde générosité l’appellent
mon frère : C’est bon, frère, tu as les clefs, l’appart, la meuf et moi je vais rester sur le palier
au cas où tu aurais besoin de moi. D’accord ? (….) Mais qu’ont-ils tous à m’appeler « mon
frère », faudrait-il que je leur dise que je suis fils unique, moi ! 880

Nous constatons que la redondance du substantif frère précédé régulièrement du


déterminant possessif mon mis entre guillemets et relevant néanmoins d’une non-personne881
anonyme sur fond de discours immédiat en italique d’une instance énonciative s’adressant à

877
Selon Maingueneau , Dominique cette liberté est une émancipation à l’égard des contraintes
typographiques (tirets, guillemets, italique) communément associés au DD , Ibid., p.189
878
La caractéristique linguistique essentielle du DD est la dissociation entre les deux situations d’énonciation,
citante et citée, qui fait coexister deux domaines énonciatifs autonomes : chacun conserve son je, son tu, ses
repérages déictiques, ses marques de subjectivités propres . Maingueneau .Ibid. p. 182
879
Aigre-doux, p. 93
880
Aigre-doux, p. 93
881
L’élément indiciel Mon frère renvoyant à une tiers personne ne possède pas une valeur référentielle renvoyant
à une personne déterminée. Cette non-personne n’existe que par la situation de discours au cours de laquelle
elle a été énoncée.

249
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

elle-même dans des tournures interro-exclamatives impliquant sa présence et ses


interrogations d’ordre existentiel en tant que subjectivité, sous le ton de l’ironie, tout en jouant
sur l’absurde et l’hyperbole.

Une activité discursive identique est rencontrée dans d’autres scènes d’énonciation
évoquées par l’instance énonciative première à travers les méandres de son esprit tourmenté.
Ces scènes d’énonciation interviennent en tant qu’illustration de la parole ontologique où le
sujet énonciateur laisse libre cours à son imagination qui le mènera sans vergogne à hériter
par hasard par un aïeul décédé il y a fort longtemps 882 ou à pactiser avec le diable pour
sauver sa peau. Nous vous en présentons ci-après leurs dispositifs énonciatifs respectifs.

1.2.3. Absurdité d’un héritage

La crédulité est une corde qu’il faut tendre fortement pour qu’elle ne puisse vibrer, en fausse note,
à la moindre touche fallacieuse d’un archet facétieux .M’avait raconté un jour un ami violoniste
de son état et manchot philosophe le week-end.883
Ce segment introductif est pris en charge par voix énonciatrice se remémorant les
propos - sur la crédulité humaine et sa fragilité symbolisée par la corde d’une arche à tendre
fortement en vue d’éviter toute fausse vibration présenté par les signes typographiques que
sont l’italique- sans utilisation de guillemets et les deux points l’introduisant. Ce discours en
italique proféré par une autre voix qui est celle de son ami devenu violoniste de son état suite
à une activité antérieure dans le lucratif commerce des mouettes. Sans aucun déictique spatio-
temporel désignant le lieu et le temps de l’énonciation qu’il s’agisse des discours citant ou
cité en italique, nous sommes en présence d’un discours imaginaire conclut par la voix
énonciatrice première par les propos suivants : Comme c’est étrange, je viens de m’apercevoir
que je n’ai jamais vécu cette histoire….peut-être est-ce à cause de ces pilules
hallucinogènes ? 884
Cet espace discursif illustrant l’absurdité de l’existence par le sujet énonciateur devenu
inhumain, sans cœur et enclin à toutes les absurdités pour devenir riche se propage par
l’absurdité des propos du sujet énonciateur jubilant à l’idée que son statut d’orphelin lui
permet enfin de prendre possession de tous les poissons des mers, des fleuves et de toutes les

882
Aigre-doux, p. 102
883
Aigre-doux, p.102
884
Ibid., p.103

250
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

petites rivières : Chouette ! Pour une fois, je suis content d’être sans parents et surtout d’être
le dernier de la famille !885
Le prolongement du discours de l’instance énonciative fonctionne comme un acte
langagier destiné à entériner l’absurdité d’une situation où il développe avec un discours
direct humoristique et sarcastiques à l’égard de tous ses ascendants qu’il remercie puisqu’ils
ont eu la bonne idée de mourir pour lui permettre enfin de faire partie du club fermé des
riches et sans pitié en héritant de l’intégralité des poissons qui nourrissent les mouettes :
Merci, merci beaucoup, d’être tous morts .Pour une fois vous avez bien fait de mourir. Tenez, en
reconnaissance, je vais appeler mes poissons par vos prénoms, enfin, les plus gros. Merci encore
mes chers : oncles, tantes, cousins, papa, maman, petite sœur d’être trépassés pour moi ! Content
et fou de joie, je courais annoncer la bonne nouvelle à mon ami le vendeur de mouettes. J’allais
enfin faire partie du club fermé des riches et sans pitié. Je venais d’acquérir un nouveau statut
social ! Mon pote m’apprendra comment gérer mon tout récent patrimoine. 886
Nous remarquons qu’à travers cette réplique aux énoncés contenus dans le parchemin
887
rédigé et signé par l’aïeul discours, le sujet énonciateur s’adresse directement à ses
ascendants- remerciés du fait que leur mort ait permis son enrichissement futur - qui ne
peuvent répliquer à ses propos .
Nous constatons d’emblée que la modalisation du discours par l’emploi d’un présent
atemporel ne réfère jamais à un quelconque moment d’énonciation mais s’avère nettement
subjectivante avec une tonalité humoristique particulièrement avérée dans l’énoncé : Merci,
merci beaucoup d’être tous morts. Pour une fois vous avez bien fait de mourir. En outre, la
redondance du terme de politesse usité et l’emploi de l’expression pour une fois opèrent
cette modalisation autonymique permettant à la voix énonciative d’exprimer ses
remerciements à des ascendants qui ont bien fait de mourir tout en commentant son propre
discours.888
Cette modalisation de l’énoncé exclamatif au présent est donc prise en charge par le
sujet énonciateur sous la forme d’un texte hétérogène où aucun signe typographique ne
délimite la frontière entre les énonciations narrative et discursive. De plus, les transitions
verbales- à travers lesquelles le discours rapporté au présent se voit relayé par une narration à

885
Ibid., p.103
886
Aigre-doux, p.103
887
Je soussigné…grand pêcheur devant l’éternel, à ma mort, je laisse à mon dernier descendant tous mes biens,
je n’ai jamais pu en faire l’inventaire, mais avec ce papier mon héritier prendra possession de tous les poissons
des mers, des fleuves et même des petites rivières, Aigre-doux, p.102
888
La modalisation autonymique extrait de Maingueneau , Dominique .Manuel de linguistique pour les textes
littéraires, Ibid., p. 170

251
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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l’imparfait, au plus que parfait (je courais, j’allais enfin faire, Je venais d’acquérir,
m’apprendrait) et même au conditionnel présent à visée prospective d’un futur
catégorique889- marquent le changement de l’attitude d’énonciation malgré l’absence de
frontière par des marques linguistiques ou typographiques assurant une transition entre les
deux plans.
1.2.4. En quête de son meilleur ennemi

Dans un ultime soliloque avant de quitter sa compagne et la chambrette ovale de l’ex-


rue du diable, le sujet énonciateur invente sa propre temporalité, son présent passé où il avait
connu simultanément sa compagne pour une heureuse époque et ce diable de
890
personnage pour une machiavélique diablerie. En désirant se rejoindre dans cette virtuelle
temporalité, le sujet énonciateur se remémore à présent cette scène d’énonciation vécue avec
le diable. Le discours se met alors en scène et instaure son propre espace d’énonciation 891
par le truchement d’une modalisation autonymique qui se concrétise ici par l’italique
introduite par des points de suspension clôturant le discours citant de la voix énonciative
première. Une nouvelle scénographie d’énonciation instituée par le discours même et
présentant l’avantage de se rapporter à des textes, non à des phrases 892se met en branle tout
en reléguant le discours rapporté de ses réminiscences bleues et de sa relation délirielle au
temps au second plan :
J’avais la tête coiffée par un nuage et les pieds toujours partants(…) J’étais le vent ! Je vivais de
furtifs présents .Alors que d’autres craignaient le temps, moi je le défiais .Oui, parce que pour
moi ce temps il fallait que je le savoure ; je le poussais très vite, vers le passé pour laisser la
place au futur qui allait tout de suite le remplacer. Je savourais intensément chaque instant qui se
présentait, car au moment même où je le respirais, il passait déjà dans le gouffre des regrets ou
bien baignait dans la mer des satisfactions. 893
Les procédés linguistiques caractéristiques de ce discours direct libre(DDL) dispensé
d’incises et /ou de marques typographiques annihilent toute perception du décalage entre
l’espace énonciatif des discours citant et cité tout en impliquant la présence de l’énonciateur
en tant que subjectivité par l’emploi itératif de la référence déictique je introduisant un mode
de procès à l’imparfait achevé au moment de l’énonciation. Sans marquage spécifique, des
indices stéréotypes tel que la juxtaposition d’énoncés à l’imparfait de l’indicatif consécutifs à

889
Adam, Jean-Michel. Linguistique et discours littéraire .Ibid. p .311
890
Aigre-doux, p. 49
891
Maingueneau, D. Les termes clés de l’analyse du discours, nouvelle édition du Seuil, avril 2009, p.112
892
Aigre-doux, p.112
893
Aigre-doux, p.49

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l’énoncé exclamatif j’étais le vent n’entérinent que le DDL déliriel de cet énonciateur en
errance qui sombre dans la folie par la prise continuelle de barbituriques .Nous repérons, en
outre, quelques modalisations autonymiques qui sont des commentaires de l’énonciateur sur
sa propre énonciation 894pour appeler à la coopération du co-énonciateur et peut être même à
provoquer son adhésion par rapport à la posture de l’énonciateur dans les propos : Oui , parce
que pour moi ce temps il fallait que je le savoure. L’emploi de l’adverbe particule
d’affirmation invariable suivi de la locution conjonctive de cause introduit les raisons qui
l’ont incité à défier le temps.
La transition entre Le DDL et la scène d’énonciation du sujet énonciateur avec son
meilleur ennemi le diable se concrétise à la fin du DDL par le truchement de l’énoncé
contenant des informations d’ordre temporel plutôt évasives par le verbe je crois en incise et
permettant de situer temporellement la scène d’énonciation C’était je crois, à cette heureuse
époque que je l’avais connue cette femme qui aujourd’hui partage avec moi ma misère et ma
folie. C’était aussi à la même période que j’avais rencontré ce diable de personnage suivie
de points de suspension introduisant les propos rapportant la scène énonciative à laquelle
participent le sujet énonciateur et son meilleur ennemi qui semblent entretenir des relations
conviviales mais qui se détériorent rapidement au fil de l’interlocution verbale: Maintenant tu
es fauché ,tu ne m’intéresse plus. Ceci sera ta punition !p. d’ennemi !vociféra ma colère .Le
DD dont la présence est signalée par l’incise vociféra ma colère sans que les deux points ne
permettent de marquer le début du fragment en italique corrobore le renversement des valeurs
dans ce monde absurde par l’ultime caractéristique qu’est cet énoncé interrogatif relevant du
discours immédiat qui permet au sujet parlant de s’adresser à lui-même -sur le mode de
l’interlocution- sa colère de ne plus pouvoir compter sur ses ennemis :Si on ne peut plus
compter sur ses ennemis sur qui devrait-on compter alors ? L’italique usité signale une
stratification de la narration et permet de créer un dispositif énonciatif dans un autre espace
diégétique.
Crétin va au diable ! lui assène directement et sèchement le vieux mentor avec lequel
une absurde conversation s’engage avec celui qui lui suggère d’aller au diable et c’est ce que
fit le sujet énonciateur car -le meilleur ennemi de l’homme qu’est l’homme,
l’homme .Philosopha le vieil homme .Le sujet énonciateur arrive à blouser le premier
rôtisseur des enfers avec lequel la conversation s’est engagée pour concrétiser l’échange de
leurs âmes : Une fois la permutation faite, je me retrouvais avec l’âme d’un diable , le sujet

894
Maingueneau, Dominique, Ibid., p. 171

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énonciateur, prenant en charge discours citant et cité savoure sa victoire laissant libre cours
aux persifflages machiavéliques de sa pensée luciférienne et porte le coup de grâce à cette
pauvre âme , désormais humaine et désargentée :
Je profitais de son désarroi pour pendre mon air le plus futé, et le diable au corps, je lui exigeais:
-Oui, mais avant …Faudrait que tu me rajoutes de la thune, beaucoup de thunes ! Cette âme
895
d’humain en peine que tu trimbales ne vaut rien, c’est toi-même qui l’as dit !

Il est clair que la modalité d’énonciation je lui exigeais du discours exclamatif cité
introduit par un tiret définit la relation de dominé à dominant entre les deux interlocuteurs
entérinée à travers l’énonciation de l’ultime discours immédiat du sujet parlant qui se délecte
non sans humour de sa permutation et de son avenir doré, le démon déchu lui ayant restitué
souffle et fortune : J’allais enfin pouvoir me replonger dans mon oisiveté désinvolte et cossue
et surtout, je n’aurai plus à tirer le diable par la queue. 896
Dans LSD ,le concept de libre-arbitre apparait à travers les propos de Lucy
l’australopithèque en tant qu’instance énonciative dans une situation d’interlocution avec son
allocutaire Charles Darwin en vue de le faire prendre conscience que le darwinisme prônant le
hasard comme déclencheur des choses et que l’anthropocentrisme irréfléchi de l’homme font
partie des causes qui mèneront l’humanité à sa perte à la suite du brûlot signé Lucy L. La
critique du darwinisme est sans ambages à travers l’énonciation historique897 au passé
composé -forme accomplie du présent et perfectible du passé - et d’un présent intemporel
apte à définir un phénomène considéré comme toujours vrai 898signalée par un tiret et
marquée par l’emploi presque exclusif de la troisième personne du singulier ne vise
convaincre son allocutaire en s’appropriant un argumentaire émanant
899
de CeluiQuiPrévoitTout et qui l’a doté d’une morale et d’un libre-arbitre :
A l’origine est l’esprit et non le hasard. Notre histoire se confond avec l’histoire du Tout.
L’origine remonte bien avant que la vie sur terre n’apparaisse le drame, c’est que l’homme, à la
faveur du libre-arbitre qui lui a été attribué et de son intelligence vaniteuse, peut modifier la
texture du futur par un comportement irréfléchi .Il oublie qu’une humanité ne peut se construire
que sur des valeurs éthiques….Voilà en substance certaines conséquences fâcheuses de la géniale
et formidable théorie de ton ancêtre. 900

895
Aigre-doux, p.54
896
Aigre-doux , p. 54
897
Ce type d’énonciation vise, selon l’expression de Jean-Michel Adam s’applique aussi bien à tout type de
récit qui vise à éliminer la présence du sujet de l’énonciation et, par la même, tend à la transparence maximale,
p306
898
Adam, Jean-Michel .linguistique et discours littéraire. Ibid., p.305
899
LSD, p.128
900
Ibid., p.128

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Ce que nous devons retenir ici, c’est que le texte fonctionne comme un discours direct
argumentatif se clôturant sur l’idée implicite que l’humanité fondée par Charles sera, elle,
fondée sur des valeurs éthiques .Foyer de discours, Lucy porte un regard de désapprobation
sur cet anthropocentrisme de l’homme qui à la faveur du libre-arbitre(…) peut modifier la
texture du futur par un comportement irréfléchi. 901En outre , nous remarquons que la
subjectivité énonciative du sujet parlant est corroborée par l’emploi ironique des évaluatifs
géniale et formidable pour déprécier la théorie de son aïeul qui ne détient qu’un fragment de
vérité à l’instar de celle des créationnistes ,mettant en exergue le caractère subjectif de ces
adjectifs qui ne s’interprètent qu’à l’intérieur de cette énonciation singulière dans laquelle ils
figurent. Pour Lucy, les deux théories se neutralisent en ayant tort et raison à la fois telles les
deux fioles d’un sablier qui croient que chacune d’elle possède l’emprise du temps alors
qu’elles ne font que le partager.902
Finalement, par le comportement significatif de ces adjectifs subjectifs, l’énonciation
attribue à ces deux théories l’illusion de détenir la vérité de manière dépréciative car les
scories du mensonge et de la discorde perdurent en elles et rendent l’homme conflictuel
envers lui-même, puis destructeur envers les autres.903

1.3. Relativisme du pire ou le discours –laïus

Les élucubrations du sujet énonciateur en errance le mènent au bout d’une rue où une
radio diffuse à tue-tête un discours-fleuve ironique censé relativiser la vie absurde de
désespérés effeuillés et d’adolescents végétatifs jouant à la roulette russe du qui perd
gagne .L’ironie du laïus provenant d’une enceinte l’amplifiant et exhortant les gens à accepter
l’absurdité de leur existence cauchemardesque ne fait aucun doute. En effet l’ironie
consisterait pour un locuteur L à présenter l’énonciation comme exprimant la position d’un
locuteur E, position dont on sait que par ailleurs le locuteur L n’en prend pas la
responsabilité et, bien plus, qui la tient pour absurde.904Le laïus absurde- imposé à la plèbe
silencieuse et passive végétant sous un arbre aux nœuds coulants- provient de la voix
nasillarde et anonyme provenant d’une enceinte acoustique C’est la raison pour laquelle
l’intégralité du discours sera perçue comme ironique par le lecteur averti et ce à commencer la
structure Rassurez-vous, y a pire contredisant ironiquement le raisonnement du discours cité

901
Ibid., p.128
902
LSD , p.129
903
Ibid., p. 129
904
Ducrot, Oswald. Le dire et le dit. Paris, Ed.de Minuit, 1984, p.211

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qui préconise aux auditeurs du laïus de se résigner et de se rassurer au plus profond de soi
souvent en se satisfaisant des malheurs et désagréments de l’existence sous prétexte qu’il
existe toujours plus malheureux que soi , que d’autres vivent des situations encore pire que ce
que l’on pourrait endurer. Sur le plan de l’énonciation , la répétition de locutions qui
expriment avec une humour et ironie l’acceptation et le relativisme du pire dans cette
existence dans un discours cité introduit par le discours citant d’énonciateurs 905 qui
apparaissent au fur et à mesure de l’énonciation première émanant de l’enceinte acoustique
accrochée sur une branche squelettique. Cette énonciation cumulant guillemets et italiques
permet de faire coexister les deux domaines énonciatifs, de passer de l’une à l’autre avec
aisance et de jouer le rôle de frontière entre eux .Nous sommes donc en présence du
dédoublement d’une énonciation qui prend forme au sein même d’une première énonciation
qui lui servirait en quelque sorte de support .Des co-énonciateurs émergent au sein même du
discours de l’énonciateur anonyme , prennent la parole pour expliquer et illustrer par des
exemples concrets l’absurde résignation des hommes face aux tourments de l’existence en
relativisant le pire dans la joie et la satisfaction :
Rassurez-vous, y a pire(…) vous au contraire, vous savez de quoi vous vous êtes dépossédés .Comme cela,
vous avez au moins une raison pour râler (…) rassurez-vous, il ya des lépreux, aveugles et cul de jatte (..) il y
a des lépreux, aveugles, culs de jatte et avec en plus une rage de dents ! Soyez raisonnables, regardez autour
de vous, et rassurez –vous, y a pire ! Votre baraque de bois est rasée par des bulldozers !(…) Votre famille
vous êtes sous la pluie(…) Vous, vous avez beaucoup de chance, on vous a fait sortir avant de démolir. Vos
femmes et vos enfants vous larguent(…) vous abandonnent agonisant de détresse sur le trottoir (..) les
badauds de passage vous consolent en vous disant : « rassurez-vous, il ya pire ! Ilya des gens qui n’ont
jamais eu la joie d’avoir des garnements et encore moins de femmes, impuissants qu’ils sont ; oui, monsieur !
Stériles avec une bite molle ! Vous avez de la de la chance, comparés à eux, vous avez eu une famille durant
un temps .Et puis, rassurez- vous, il y a pire ! » Vos amis vous quittent. Vous puez la misère et la maladie(…)
ils vous lancent du trottoir d’en face : « rassurez-vous, il ya pire ! Beaucoup ont vécu sans personne à leur
côté (…) alors que vous, vous étiez riches en amis .Enfin voyons, ne pleurez pas ! »Rassurez-vous, il ya
pire…….906
L’instance énonciative première cède la parole à des co-énonciateurs contribuant à
confirmer ses assertions relatives au relativisme du pire dans une relation d’intersubjectivité.
Ainsi, les voix énonciatives se succèdent et convergent vers un contenu discursif dénonçant
sur la même tonalité ironique l’absurde idée de se rassurer et se satisfaire de ses malheurs
sous prétexte qu’il y a pire.

905
Les badauds de passage vous consolent en vous disant (…) Ils (vos amis) vous lancent du trottoir d’en face
906
Aigre-doux, p. 139

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Sur le plan de l’énonciation de ce discours en italique, les déictiques de la personne


contredisent avec ironie le raisonnement du discours cité- qui préconise aux auditeurs de ne
jamais cesser de se satisfaire de leurs propres malheurs .Cela permet d’interpeller les co-
énonciateurs qui passent l’usage du vous en tant qu’addition d’unités puisqu’il s’agit de
plusieurs personnes à l’écoute du discours-laïus imposé. Quant à la série itérative de
déterminants possessifs dans Votre baraque de bois est rasée par des bulldozers (…) Votre
famille et vous êtes sous la pluie (…) Vos femmes et vos enfants vous larguent (…) vos amis
vous quittent », elle serait susceptible d’amplifier le processus d’effritement de l’essence de
l’homme dépourvu de libre-arbitre et confronté non sans humour et ironie à l’absurdité du
relativisme du pire.

1.4. Discours démentiel

Le discours sur la folie humaine est omniprésent dans les fictions matiennes. La folie
constitue un des principaux composants de l’Entité de l’Etre que vise à circonscrire le
discours ontologique traversant l’espace textuel dont les héros se singularisent tous par un
comportement schizophrène provoqué par les paradis artificiels, barbituriques, chanvre indien
et LSD tout au long de leurs pérégrinations. En effet, le passage par un état de folie
démesurée semble être une étape par laquelle les différents protagonistes sont contraints de
passer pour recouvrer leur sagesse, leurs liberté et enfin leur identité C’est une sorte de
tremplin pour le déploiement de discours ayant trait à la folie et à la cruauté de l’homme
envers lui-même et envers les semblables. Chacun d’eux sera être enclin à vivre sa folie à sa
manière. Ce concept de folie rejoint celui que définit Mourad Yelles dans Les miroirs de
Janus :
La folie fait partie, au même titre que la mort et l’amour, de ce petit nombre d’expériences cruciales qui
informent le cours d’un destin individuel et déterminent la configuration d’un imaginaire collectif. En tant
qu’ expérience des limites, elle occupe et dessine un territoire symbolique étroitement surveillé où se
négocient en permanence des stratégies de détournements et de compromis qui impliquent en dernière
instance, la maitrise de sens social et la gestion politique de la doxa.907

1.4.1. Folie salvatrice

Ne trouvant pas de réponses à toutes ses interrogations existentielles, il arrive au


narrateur de soliloquer son plaisir d’une folie salvatrice qui l’aiderait à faire le bon choix entre
se défenestrer ou rester avec sa femme. Ce dernier décide de se mettre dans la peau d’un fou
907
Yellès, Mourad .Les miroirs de Janus, Alger, OPU, 2002 ,p.36

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qui prendrait de la distance et se regarderait à la troisième personne. Il s’agit d’un monologue


du sujet parlant qui s’auto-conseille pour sortir de l’engrenage dans lequel les pilules aigres-
douces le maintiennent et qui risquent au final de le rendre fou. Il est en quelque sorte un
miroir reflétant sa perception de l’irréalité triste et insupportable qui risque de le rendre
fou : Je devrais peut-être arrêter ces pilules au goût aigre-doux. Mais comment pourrais-je
survivre sans elles ?-Serait-ce l’irréel insupportable qu’elles me procurent ou bien serait-ce
la triste réalité que je vis qui va me rendre fou ?908
L’emploi du conditionnel présent je devrais auquel s’adjoint l’adverbe modal peut-
être corroborent le trop plein de souffrance que génère sa prise continuelle de barbituriques et
sa prise de conscience de l’urgence de cesser d’en consommer en accoutumance. Sauf que
l’énoncé qui suit met en apposition la conjonction de coordination Mais qui introduit un
énoncé en contradiction avec celui qui précède confirmant en même temps son incapacité à se
départir de cette accoutumance qui le maintien dans l’engrenage exprimé dans l’ultime
questionnement : Serait-ce l’irréel insupportable qu’elles me procurent ou bien serait-ce la
triste réalité que je vis qui va me rendre fou ?
Cet auto-questionnement ne semble guère laisser le choix à son énonciateur qui
exprime alors la conjugaison de ses doutes, tergiversations et perception brouillée de la réalité
qui le mènent et le maintiennent dans un état de souffrance profonde et d’une folie certaine.

1.4.2. Folie repentante

Dans Aigre-doux, le discours symbolisant sur la déraison humaine est proféré par la
voix de l’homme au kamis qui dans sa douteuse plaidoirie 909tente de justifier son incapacité
à différencier le bien du mal tant sa haine des autres l’aveuglait avec intensité. La voix de
l’hirsute prédicateur se greffe à un discours indirect de l’instance énonciative première et
inscrit dans son sillage une distance teintée de mépris à son égard par les expressions ses
discours abscons à la teneur obscurantiste de ce candidat au repentir harcelant sa victime
assise à ses côtés et qui ne peut lui répondre car elle a la tête coupée : 910
Il explique à la personne assise à côté de lui que c’est sa conviction qui l’avait poussé à agir de la
sorte, qu’il ne supportait plus de voir un monde devenu subitement différent pour lui ! Pourtant ce
monde était le sien, avant ! Il dit aussi que des systèmes trop dédaigneux et sélectifs l’avaient
rejeté lui et toute sa tribu(…) il prétexte que lorsqu’on est nourri par la haine et l’abandon

908
Aigre-doux, p. 43
909
Ibid., p.130
910
Ibid., p.130

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comment peut-on différencier l’aigre et le doux ? Il répète aussi que la haine, ce n’est pas lui qui
l’a semée (...) Il raconte que des gens illuminés lui avaient promis des jours meilleurs ailleurs
éternellement paradisiaques, s’il prenait leur voie séditieuse, à laquelle il avait fini par croire
aveuglément. 911
Le choix de verbes de parole introduisant ce discours direct n’est pas anodin. Ces
verbes spécifient sémantiquement cette énonciation en évaluant pour la plupart négativement
l’argumentaire de l’énonciateur que véhiculent les complétives qui suivent .L’emploi des
verbes prétexter , répéter et raconter corroborent à juste titre l’absurdité d’un argumentaire
en introduisant des formulations provenant d’un discours cité fondé sur toute une culture
obscurantiste , haineuse et vindicative promettant l’Eden éternel à l’adepte illuminé qui ,
malgré tout , dans élan de fausse compassion ,tente d’obtenir le pardon de sa victime.
La voix énonciative de ce discours au style indirect entérine son aversion, à l’égard de
l’exécrable individu, au style direct sans traces typographiques le délimitant de la narration
entrecoupée de séquences de dialogues relevant du discours cité au style direct constitués
d’énoncés exclamatifs et injonctifs corroborant le paradoxal sentiment de culpabilité à l’égard
de sa victime et la certitude d’aller au paradis de l’hirsute obscurantiste agacé par le mutisme
de son impénétrable interlocuteur : - Dis quelque chose au moins ! Dis-moi ce que tu penses
de moi, de nous, de tout cela, je ne peux pas te quitter comme ça avant d’aller au paradis.
Enoncé introduit par le discours citant suivant : Agacé et frustré par le mutisme de son
compagnon, il monte le ton pour dire.912Nous remarquons enfin que le choix du verbe
introducteur au présent de l’indicatif par la voix énonciative évalue négativement la posture
du locuteur et le contenu de son discours cité qui ne peut qu’orienter l’interprétation du
lecteur.

1.4.3. Folie normale

Dans On dirait le Sud, la folie humaine se manifeste à travers le monologue de Neil


qui dans sa recherche d’absolu définit la folie de l’homme comme une manière singulière
mais normale de vivre sa quête dans son propre espace-temps .C’est aussi une façon de vivre
sa vie à travers ses rêves et ses aspirations uniquement :
Un fou n’est rien d’autre qu’une personne qui vit dans un univers différent de celui des autres.
Nous sommes des millions de fous sur terre. Etre fou, c’est vivre sa vie comme on la rêve, et non

911
Ibid., p.130
912
On dirait le Sud, p.131

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de la manière imposée par les autres. Moi, je suis un fou normal, sans répit, à la recherche d’un
autre univers, le mien. 913
Cet éclaircissement de Neil -suscité par Iness qui prend subitement conscience de la
folie de celui dont elle est profondément amoureuse : -Tu es fou. Je suis amoureuse d’un fou -
se caractérise dans un premier temps par un énoncé définissant de manière exclusive la
normalité d’un fou qui n’est rien d’autre qu’une personne qui vit dans son propre
univers différent de celui des autres par l’utilisation de l’adverbe de négation ne….que
permettant d’introduire et de souligner ce qu’est exclusivement un fou.
Cette définition est alors illustrée par l’énoncé déclaratif apportant une information
factuelle sur une tonalité péremptoire et relative à ces millions de fous qui existent sur terre et
auxquels l’énonciateur revendique sans ambages son appartenance.914
Par la suite, la mise en apposition du pronom personnel Moi suivi du pronom je
montre bien l’intention de l’énonciateur d’assumer de manière tranchante son appartenance à
cette catégorie qui se singularise par cet état de constante folie normale guidant les
pérégrinations de ces élus dans l’univers de leur propre intériorité.

1.4.4. Folie à raisonner

La folie de Zaina est autre : Elle est vécue dans la souffrance et la déraison dans la
mesure où elle se vit par la jeune possédée de la cabane hantée dans les tourments et la
déraison. La folie tourmentée qui muera en folle pieuse après avoir été néantisée par
l’absence de tous ses capteurs sensoriels 915 ne peut passer inaperçue tant elle souffrira de
désarroi et d’une dislocation sensuelle dans les abysses d’un pessimisme inextinguible avant
de recouvrer l’Amour ultime rempart à sa folie. Dans sa certitude d’être en enfer dans ce
désert des hommes, Zaina n’a aucune idée de ce que peut être le bonheur. Le tarissement de
ses sens et l’évaporation de ses appétences sensuelles et instincts voluptueux la contraignent,
dans ce purgatoire, à une sorte de tentative de suicide des sens qui pourtant brûlent ses
entrailles de femme. 916La folie dans laquelle va sombrer la jeune femme, désormais
dépourvue de toute forme de clairvoyance, débute par un profond sentiment de résignation qui
la plonge dans les abysses d’un désespoir inouï. Elle en est pleinement consciente dans les
propos qu’elle s’adresse à elle-même : Ainsi si tel est mon cas, à quoi bon essayer de changer

913
Ibid.,p.228
914
Nous sommes des millions de fous sur terre, On dirait le Sud., p. 228
915
On dirait le Sud , p. 237
916
Ibid., p. 65

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

ma vie, tant qu’à faire autant m’y faire. 917Cet énoncé se singularise par le segment poétique
918
tant qu’à faire autant m’y faire dont la disposition des rimes croisées constitue un cas
particulier d’écho sonore.
Errant dans ces immensités désertiques balisées par d’interminables cauchemars,
Zaina constate la dureté de cet éternel désert inhospitalier, véritable purgatoire dans lequel se
hasarde cette âme en peine. Un sentiment de haine pour ce désert l’amène à pester en son for
intérieur un soliloque de la détestation de tous les décideurs que sont Dieu, le diable et les
hommes car :
Ce sont bien eux les façonneurs du devenir des autres ! Ce sont eux qui ont fait les déserts et ce
sont eux qui profèrent que toute vie mérite d’être vécue ! Ils nous disent que chacun se doit de
prendre son bâton de pèlerin pour aborder ses propres pérégrinations .Ils disent tous ça mais
n’en font pas plus !919
Si dans un premier temps, l’instance narrative fait localement des intrusions à
l’intérieur même du discours citant impliquant un jugement de valeur sur son personnage
comme étant désarmée face à sa destinée , un glissement énonciatif -signalé par l’emploi de
guillemets de modalisation autonymique introduisant directement le discours immédiat de
l’exaspérée du point B 114 - s’opère avant qu’elle ne prenne conscience de son trop plein
d’existence dans le paroxysme de sa folie à raisonner. Le discours cité se caractérise par une
série de tournures exclamatives impliquant la présence d’une subjectivité fustigeant les
décideurs qui alimentent ses tourments et proférant que toute vie mérite d’être vécue sans
pour autant donner l’exemple. Ainsi, la présence de ces guillemets semble montrer que l’on a
affaire à des propos appartenant à autrui et rapportés à elle-même au style indirect et dans une
tonalité vindicative .Le groupe verbal de parole920ils nous disent suivi de l’adjectif indéfini
tous nous parait teinté d’un jugement de valeur dépréciatif émanant de la voix énonciative.
Ce groupe verbal introduit une complétive préservant la modalité exclamative de cette phrase
alors que la dernière tournure exprimée sur une tonalité exclamative péremptoire confirme sa
folle accusation de Dieu, du diable et des hommes. Durant la nuit, les tourments de Zaina
l’amènent inéluctablement à enfiler un long chapelet d’interrogations dans un ultime
soliloque à propos du celui qui ne cessait de lui apparaitre dans ce rêve persistant dans la

917
Ibid., p .237
918
Les rimes croisées obéissent à un schéma abab
919
On dirait le Sud, p.142
920
Kerbat –Orecchionni, Catherine. L’énonciation de la subjectivité du langage .Paris, A Colin, 1980, p.115.

261
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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somptuosité du désert des temps .Existe-t-il ? Où se trouve-t-il ? Ou alors ; je l’ai


simplement inventé. Suis- je folle ?921
Cette auto-interpellation se caractérise par une série d’interrogations sur l’apparition
onirique du celui qui hante son rêve itératif et énigmatique. Notons au passage que ce discours
direct apparait une fois de plus sur le mode de l’interlocution d’une voix énonciative
s’adressant à elle-même à travers le jeu des déictiques où le passage de la non-personne il au
je nourrissant ipso-facto les tergiversations de la jeune femme et son questionnement sur un
éventuel état de folie taraudant inlassablement les virées oniriques et pernicieuses de celle qui
décide de vivre nue dans cette contrée désertique et sablonneuse .La présence de ce discours
cité au style direct est signalée typographiquement par les guillemets et le verbe introducteur
constate au présent de l’indicatif qui est une trace de la présence du narrateur entant que voix
énonciative première. La folle lascive du point B 114 n’a plus aucune gène à se dévêtir, à
reluquer les formes amaigries de son corps endolori par la dureté du désert tout en exprimant
son regret de ne pouvoir être scrutée par un quelconque regard extérieur qui les apprécierait
discrètement : A quoi bon se vêtir ? Ici, il n’y a personne pour me voir…dommage ! Constate
la loque-à-terre du sibirkafi dans un soupir désarçonné.922
Nous remarquons que la modalisation -dimension essentielle de l’énonciation -relative
à l’attitude du sujet parlant à l’égard de son propre discours et de son allocutaire se manifeste
ici à travers l’emploi de l’adjectif désarçonné, qualifiant son soupir, et par la manière avec
laquelle se fait l’énonciation dans le discours citant.

1.4.5. Folie hallucinatoire

Nous constatons que la folie de Zaina s’amplifie crescendo dans la scène énonciative où elle
converse à l’entrée du sibirkafi avec la chèvre, son authentique rivale. La maitresse des lieux
règle d’emblée ses comptes avec la bique qui fait semblant de brouter une herbe inexistante
dans cette contrée à l’atmosphère pesante et aseptisée :
Enfin, je suis bien contente de te revoir. Je suis désolée pour la dernière fois, je t’avais rudoyée,
mais faut dire que tu étais une sacrée rivale. T’as oublié que je suis une femme et une femme ne
veut pas être à l’ombre d’une autre femelle, quelle que soit son espèce. Enfin, c’est du passé .Si
tu souhaites, tu peux rester avec moi (…) mais t’es folle ou quoi ? Ya rien à bouffer ici, je peux te
rouler un joint avec moi, après je partagerai avec toi une galette. Ça te va ?923

921
On dirait le Sud, p .169
922
On dirait le Sud, p. 170
923
Ibid.,p.171

262
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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L’allocutaire auquel ce discours véhément et compassionnel à la fois à l’égard de


l’outre en peau de chèvre pleine d’eau accrochée à l’entrée de la cabane montre bien que la
jeune femme est sujette à une hallucination de dédoublement de sa personne au sujet de ses
seins :
Comment me trouves-tu ? Mes seins sont bien en place ? Non ? Eh bien, pour moi, ils sont comme
je les aime. Il leur faut une main de mec pour les remonter un peu. Et puis, les nichons qui
n’attendent strictement rien de personne, je ne vois pas à quoi ils peuvent servir ! 924
L’hallucinée du sibirkafi est tellement contente de pouvoir enfin parler à quelqu’un
tout en assumant son adhésion à la nudité et son aversion pour le crétin de primate à l’origine
de leur discorde :
Enfin, moi je me trouve bien dans ma nudité .C’est la nouvelle mode dans ce coin pourri .Je reste
nue, plus de soucis à se faire pour les fringues ou la lessive En plus, c’est vachement pratique
pour tout. Si tu comprends ce que je veux dire, hein, biquette (...) Au fait, tu ne l’aurai pas vu, ce
taré, par malheur ? Non je ne crois pas.925
Ce discours halluciné est sujet à une modalisation autonymique à travers les modalités
d’énoncé 926que fait l’énonciatrice sur son propre discours en mobilisant un certain nombre
d’expressions se substituant à d’éventuelles répliques de la ruminante qui est en réalité l’outre
927
pleine d’eau accrochée à l’entrée du la cabane tel que l’énoncé méta discursif insérée dans
le fil du discours portant sur les propos tenus et au sein desquels l’interjection hein , biquette
corrobore le fait qu’elle n’est destinataire d’aucune réplique énonciative de la bique censée
être son allocutaire dans cette scène énonciative :Si tu comprends ce que je veux dire, hein,
biquette ou alors la réplique Non, je ne crois pas.
Nous concluons que ne sommes guère en présence d’une interaction verbale de
locuteurs s’engageant dans l’échange et produisant une gestuelle et /ou une mimique qui sert
en réalité de récipient à eau.

1.4.6. Folie destructrice

Dans LSD, le discours de la folie humaine engendrant une cruauté sans limite envers
ses semblables se manifeste à travers les enseignements que Lucy prodigue à Charles Darwin.

924
Ibid., p. 171
925
On dirait le Sud, p. 172
926
Dans son ouvrage intitulé les termes clés de l’analyse du discours, Maingueneau distingue les modalités de
l’énoncé et celles de l’énonciation .Les premières caractérisent la forme de communication qui s’établit avec
l’interlocuteur ; il peut s’agir aussi des adverbes qui portent sur l’énonciation (...) Quant aux modalités
d’énoncés elles portent sur l’énoncé et s’insèrent dans le fil du discours en se plaçant sur un autre plan que le
reste de la phrase, Ibid. ,p.88
927
Maingueneau, Ibid., p. 87

263
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Ce dernier découvre hébété ce désastre pour l’humanité entière qu’est l’anthropocentrisme de


l’homme à l’origine de la mort programmée de Gaia, sa terre nourricière qui souffre dans sa
chaire et ses entrailles de la folie de l’homme. Lucy vient lui en parler par le truchement de
cris plaintifs provenant des enceintes acoustiques de la chambre de Charles.928 Cet énoncé
établit le contact entre les deux co-énonciateurs dont les voix fusionnent pour sauver Gaia de
cette précipitation destructrice émanant du désordre mental de l’homme .Le discours citant
où les co-énonciateurs929 que sont Lucy et Charles y jouent un rôle actif pour dénoncer dans
l’harmonie de leurs voix le sort réservé à la terre par les virus inoculés par la folie humaine :
Le dialogue s’était établi entre la voix et lui (…) leurs voix s’entremêlaient 930 pour dire la
souffrance de Gaia : « Tu m’entends ? Oui Charles, je t’entends. Gaia est encore vivante mais elle
souffre physiquement. Elle dépérit rapidement et n’aura pas la force ni le temps de se régénérer.
Tout cela à cause des virus. 931
Cet énoncé montre bien la prise de parole conjointe des deux voix entremêlées comme
si celle de Lucy s’était introduite en Charles pour discourir dans une fusion harmonieuse sur
le danger qui guette Gaia, la terre nourricière. Dans cette perspective interactionnelle du
langage, le discours devient une véritable construction collective 932 énonciative prise en
charge dans une simultanéité interactive incontestable dans l’énoncé cité : Tu m’entends ? Oui
Charles, je t’entends .De plus, nous constatons que cet échange conversationnel au sein d’une
même et unique instance énonciative933cherche à emporter l’adhésion du lecteur qui devient
lui aussi l’énonciateur virtuel de cet énoncé dans cette ultime tentative de sauvegarde de la
terre. Cet énoncé généralisant semble aussi être voué à la reprise et la réitération dans les
énoncés qui suivent : Je ne comprends pas de quoi ni pourquoi Gaia est malade et qui sont
ces virus ? Tu le sauras bientôt. Mais dis-moi, quelle mouche a piqué les humains, pourquoi
tout ce désordre mental et c’est quoi cette précipitation destructrice ? 934
Ce n’est que par la suite que nous découvrons que cette série de questionnement
provient de la voix de Charles qui se distingue de celle de Lucy à ce moment précis dans le
but d’éclairer sa pensée comme si elles constituaient les deux faces d’une seule et même
instance énonciative .La voix de Lucy -qui semble prendre le dessus sur celle de Charles

928
Oui, je t’écoute Charles .Je suis venu te parler de Gaia, LSD, p. 80
929
Selon Maingueneau Employés au pluriel, co énonciateurs peut désigner les interlocuteurs.
930
LSD, p. 81
931
Ibid., p. 81
932
Kerbrat-Orécchioni , Catherine Les interactions verbales .Paris , tome1, Armand Colin, p. 13
933
Cette dernière résulte d’un phénomène de polyphonie qui garantit la véracité des énoncés par la mise en place
d’un je généralisant ayant le statut d’une voix collective référant à l’humanité entière.
934
LSD, p. 81

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rétorque sans aucune rupture énonciative par la mise en place d’ un signe typographique (un
tiret) ou de guillemets encadrant cet énoncé : Tu le sauras bientôt .De cette même manière , le
déictique les humains est perçu comme référant collectif pointant du doigt la responsabilité
des hommes dans la mort lente et programmée de Gaia .De là , un subtil effet énonciatif peut
être détecté : en effet , même si le je privilégié réfère aux co -énonciateurs , il n’en réfère pas
moins à l’ensemble des humains responsables et concernés par ce désastre. Il est clair que
cette façon de faire déjoue l’opposition entre l’énonciateur et le lecteur virtuel qui participe
presque à son insu à cette prise de conscience véhiculée dans les propos des deux instances
énonciatives entremêlées : Ici tout va pour le mieux .Bien sûr, il ya quelques échauffourées
parsemées de guerres et de famines toujours aux mêmes endroits mais nous sommes en train
de changer dans la manière de concevoir l’amour du prochain, la paix pour tous et la
tranquillité de l’esprit.
Dans cet énoncé l’emploi du nous au lieu du je va aussi dans le sens de cette
généralisation et ne met aucunement en péril son dispositif énonciatif initial. Cette
substitution du je par la personne amplifiée 935 nous corrobore l’emploi du je intervenant
dans une perspective généralisante pour représenter tout énonciateur susceptible de s’arroger
son statut énonciatif à savoir le co-énonciateur et le lecteur qui se retrouvent simultanément
dans la position de moralistes participant de la sauvegarde de Gaia.
Puis, c’est au moment où la voix de Charles tente une réplique pour en savoir plus sur
la maladie de Gaia que leurs voix fusionnent à nouveau au sein de la même instance
énonciative généralisante qui se termine par un jeu accéléré de questions réponses relatif au
choix de Charles pour une telle mission dont l’aboutissement urge au sein du discours cité :
Viendra le temps où personne ne croira personne .Un avenir proche ?
Ne peux –tu être plus clair ? Viens et je t’expliquerai. Venir ? Où ? Viens ! Comment, par quel
moyen ? Ta compagne te l’a rappelé aujourd’hui. Où tu trouves -tu ? Partout. Qui es- tu ?
Pourquoi moi ? Je t’attends, le temps presse. 936

1.5. En quête de bonheurs furtifs

Si la folie humaine en tant que composante de l’entité de l’Etre est largement présente
dans les discours convergents en ce sens et ce quel que soit les formes que peuvent prendre
leur énonciation, il n’en demeure pas moins que les protagonistes des discours relatifs à

935
Maigueneau considère que : nous et vous ne constituent pas à proprement parler le « pluriel »de je et tu (...)
ce sont plutôt des personnes « amplifiées » (Benveniste).Nous désigne en effet (je+d’autres) et vous
(tu+d’autres) in « Manuel de linguistique pour les textes littéraires », Ibid., p. 67
936
LSD, p 81

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l’entité de l’Etre évoluent et tentent de dépasser leurs tourments et élucubrations douloureuses


pour enfin donner un sens à leurs pérégrinations. La folie est une étape ultime qui mène vers
la sagesse le bonheur et la liberté de leurs rêves bleus et lénifiants. Dans Aigre-doux, les
élucubrations d’un esprit tourmenté, le personnage aspire à un bonheur immédiat à travers ses
rêves bleus et l’harmonie de l’être dans la contemplation et la sagesse.
Dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, les personnages ne
trouvent pas de réponses à leurs doutes, incertitudes et questionnements existentiels. C’est la
raison pour laquelle, ils partent alors en quête d’eux -mêmes et de l’impossible dans une
errance d’opiniâtreté et d’oubli du temps pour acquérir ce à quoi tout être aspire :Neil , va à la
recherche de l’Absolu et Zaina au bout de ses fantasmes pour une existence lénifiante et
singulière dans le désert des Temps.
Dans Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté, le personnage ne supporte
plus la précarité et de dépendance qui l’environne dans la chambrette ovale en compagnie de
cette femme. Le végétatif décide d’ingurgiter par poignées ses barbituriques pour oublier son
inactivité et désancrer les souvenirs heureux de ses réminiscences bleues à savourer dans son
évanescente immédiateté :
Parfois, lorsque je n’arrive plus à supporter cette position d’assisté, J’avale, par poignées, les
maudites pilules pour fuir mon présent et autoriser mes réminiscences bleues à m’envahir (..)
enfin, si j’avais le choix, je choisirais ces songes bleus (...) Ils me rappellent la bohème de la
jeunesse, l’insouciance des lendemains rendant ma vie plus enchantée (...)J’étais le vent !je vivais
de furtifs présents (..) je le poussais, très vite vers le passé pour laisser place au futur qui allait
tout de suite le remplacer. Je savourais intensément chaque instant qui se présentait, car au
moment même où je le respirais, il passait déjà dans le gouffre des regrets ou bien baignait dans
la mer des satisfactions. 937
Ce discours direct libre portant sur l’immédiateté de moments furtifs d’enchantement
de la vie et de bonheur intense s’effectue par le truchement de la remémoration des songes
bleus et enchanteurs d’un je glissant constamment d’un plan d’énonciation à l’autre dans la
mesure où il se positionne tantôt comme personnage de l’histoire et tantôt comme partie
prenante du discours suscité. Cette hétérogénéité énonciative s’amplifie par le fait que le je
réfère à la fois au personnage se remémorant des souvenirs heureux et à l’énonciateur de son
appréciation de moments furtifs et évanescents vécus intensément dans leur immédiateté

937
Aigre-doux, p. 49

266
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temporelle. Le recours au présent de narration encadre les énoncés relevant du discours et


élaboré à partir d’un repère fictif construit à partir de ce moment précis d’énonciation.938
Enfin, le sujet parlant ne se contente pas des souvenirs furtifs ; c’est en courant au
rythme effréné d’une marathonienne androgyne qu’elle lui explique comment donner un sens
à son existence. Convaincu qu’elle courait dans le but de fuir le temps qui passe, Il apprend
que le plus important en l’accompagnant dans sa course effrénée vers l’une des portes du
désert est de donner un sens au geste de courir pour se sentir en harmonie avec soi-même : Il
n’ya pas d’utilité propre au geste de courir, c’est le sens que nous lui donnons qui est
important. Nos jambes et notre esprit nous le réclament, c’est comme ça .Nous nous sentons
en harmonie avec nous-mêmes en dépit du temps.939
La voix de l’androgyne lui apprend que la contemplation et la sagesse lui
permettront de fuir le désert des préjugés et de l’avidité des hommes : Ce désert est celui du
préjugé et de l’avidité des hommes .Le désert qui sommeille en en toi, comme en nous tous,
éveille la contemplation et la sagesse .Pour le réveiller ; tu te dois d’être patient et subir de
terribles épreuves, tu seras obligé de te muer en ce qu’il y a de meilleur en toi.940
Dans cet échange conversationnel, le discours de l’instance discursive première émet
un point de vue erroné sur le rapport entretenu avec le temps : et moi qui pensais que vous
courriez uniquement pour fuir le temps qui passe .Par la suite , lui rétorque celle de
l’androgyne par un acte langagier véhiculant l’idée que donner un sens à ce que l’on fait
prime sur l’action elle-même et destiné à la persuasion de l’instance énonciative première.
Cette relation d’intersubjectivité entre les deux locuteurs converge vers un contenu discursif
charriant une découverte d’une importance fondamentale que fait l’instance racontant et
percevant qu’est le personnage en butte aux élucubrations de son esprit tourmenté et au
déploiement incessant du temps, celle avantageuse du défi du temps à courant : Je finis par
comprendre que l’immobilisme languit le Temps. Lorsqu’on le défi à contre-sens il finit par
se ployer. Et c’est au bout de je ne sais combien de bornes que je commence à le ressentir.941
Nous remarquons qu’aucune modalisation autonymique ne vient marquer une rupture
entre le passage au présent de narration du récit et le discours rapporté au style direct alors

938
Dans cette perspective, Culioli propose que le repère du présent de narration ne soit ni lié à la situation
d’énonciation, ni coupé de celle-ci, mais situé par rapport à un repère fictif construit à partir du moment
d’énonciation et identifié à lui, Extrait de Maingueneau, Dominique .Manuel de linguistique pour les textes
littéraires .Ibid., p .132
939
Aigre-doux, p. 178
940
Ibid., p.180
941
Ibid., p.180

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qu’aucun verbe introducteur n’est usité en ce sens .La découverte du rôle que peuvent jouer
les deux vecteurs que sont la contemplation et de sagesse pour aboutit à ce qu’il se transforme
en ce qu’il y a de meilleur en lui.
Dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, la quête de moments de répits
équivaut pour Zaina à des moments de bonheurs qu’elle arrive à savourer à leur juste valeur.
Elle se sent tellement frustrée et en manque d’amour qu’elle supplie l’horrible Cro-Magnon
de lui faire un peu l’amour ,au style direct , malgré le fait qu’elle le déteste au plus profond :
Fais-moi un peu l’amour… tu veux ? Et s’il te plait n’ouvre pas les yeux .Ne me regarde
pas.942
Bien qu’elle soit en situation de servitude, nous constatons que malgré l’emploi
d’énoncés injonctifs pour arriver à ses fins, Zaina perdure dans une situation de dominée qui
lui pourrit la vie. Zaina en arrivera d’ailleurs à faire l’amour avec une dune dans des ébats
extatiques intenses tant elle reste convaincue que le primate ne fera rien pour lui faire plaisir
un tant soit peu : Et puis, quel désir aurais-je avec un primate pour qui le mot amour veut dire
faiblesse ? Avec quels sens m’orienterai-je si j’ai pour rivale une pute un premier temps sa
boule à zéro et dans un second temps sa recherche du mirage qui lui apparait continuellement
dans le miroir sans tain Ce doux rêve auquel elle devra par la suite redonne liberté au point B
114.
La voix du Père Balthazar qui définira le mieux ce que recherchent tous ces
personnages à travers leurs pérégrinations afin de mieux accepter leur existences
respectives .Dans un discours immédiat durant son entrevue avec les protagonistes de
l’histoire qui lui demandent au style direct de leur définir ce qu’ils recherchent au juste : Et
l’amour, c’est quoi ? S’exclament en même temps ses deux invités. Ce dernier énonce sur un
ton péremptoire l’Amour943dont ils sont tous en quête et qu’il définit comme suit : L’Amour a
une fine texture, celle du bonheur parfait avec en plus un parfum. Oui, c’est du bonheur
parfumé.944 Les personnages sont bel et bien en quête d’amour pour affronter leurs tourments
et donner un sens à leurs existences .Une autre voix, celle de Mouloud, le chef des hommes
bleus, s’ajoute à celle du père Balthazar pour définir l’Amour dont Zaina est en quête. Pour
l’homme bleu , l’Amour est une sorte de rempart aux tourments qui taraudent continuellement
son esprit de femme tombée amoureuse d’un homme qu’elle ne connait pas et qui n’a guère
cessé d’occuper ses pensées durant son errance dans le désert des hommes .Tout honteuse de
942
On dirait le Sud, p. 66
943
Tous les humains ne veulent pas mourir avant de découvrir l’Amour, On dirait le Sud, p.207
944
On dirait le Sud, p.208

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lui parler d’un autre homme que lui, Zaina s’en trouve subitement gênée , presque honteuse :Il
n’y avait que l’amour qui pouvait te donner la force d’affronter tout ce que tu as
enduré .Surtout ne sois pas gênée, rien ni personne ne pouvait prévoir ce qui nous arrive.
L’amour n’obéit à aucune loi, sinon la sienne .Lorsqu’il débarque, aucune volonté ne peut
945
l’empêcher d’agir.

945
Ibid., p. 243

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Dans notre corpus, la thématique de l’Amour revient de manière incessante à travers


les discours des protagonistes de la fiction qui se scinde en deux types : l’Amour des Etres et
l’Amour de Dieu. Celui de l’homme, instable et versatile, coupable et passionnel, libre et
sauvage, éclaireur de consciences, impur et adultérin, filial source de regrets et /ou gage de
préservation de l’humanité, sans enveloppe charnelle, celui de la femme victime d’intégrismes
de tous bords, accusée d’être à l’origine de la première tentation et châtiée injustement pour
l’éternité. L’amour peut être aussi polysémique et platonique , gage de sincérité, coupable à
l’origine d’une grande souffrance intérieure, offense certaine au temps qui passe, voluptueux
source d’extase et d’humiliation, calvaire et désalignement des sens, absolu et vecteur de
liberté marqué du sceau de l’intense brièveté .Nous présentons la composante énonciative de
la thématique de l’Amour dans sa complexité et dans tous ses états.

1. Amour des Etres

Dans Aigre-doux , l’amour des amants qui s’aiment est minutieusement disséqué au
moment où l’énonciateur s’efface pour laisser la parole à une voix anonyme dont les propos
sur l’Amour au sens large différeront de ceux de sa compagne qu’il a déjà décidé de quitter
après plus de neuf mois de doutes et d’angoisse.946
Cette voix énonciative met en exergue les diverses postures amoureuses révélatrices
de la complexité de l’Amour au sens large. Cette parole péremptoire se pose véritablement
comme un acte de langage dont la finalité est la mise en valeur des attributs valorisants et /ou
dévalorisants de ceux qui s’aiment. L’italique, en tant que modalisation autonymique est alors
usité pour marquer une rupture avec le plan énonciatif qui l’entoure. Une voix anonyme prend
le relais pour dire l’Amour dans toute sa complexité. Elle parlera de ces amants, subtilement
complémentaires, qui tout en étant symbiotiques et antinomiques à la fois, se définissent dans
une dualité incontournable à l’image de la vie et la mort, de l’amour et la haine, de l’aigre et
le doux de l’existence. D’autres expériences amoureuses sont de mise pour mettre en exergue
leurs qualités et défauts qui font la complexité de l’homme dans son rapport au temps qui
passe inexorablement: cupidité et exaltation des sens des amants faisant preuve de surdité
dans un désordre affectif de leurs amphigouriques esprits bâillonnant leurs mots pour ne pas
se perdre dans la connerie des convenances ostentatoires, factice et hypocrites. Les amants
s’avèrent franchement muets, myopes, menteurs, cons et merveilleux à la fois. Ce discours

946
Elle me répondit, en baissant les yeux. : Il y a des mots qui ne prennent leur véritable sens que dans l’action ;
celui de l’amour exige, avant toute chose, la présence auprès de la personne aimée. C’est comme cela que je
conçois l’Amour, Aigre-doux, p. 67

270
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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présuppose un état des états d’âmes par lesquels tout amant serait susceptible de passer qui se
matérialise sur le plan langagier par la réitération de la construction- qui tel un refrain, débute
chaque paragraphe par ce qui caractérise les amants à savoir - les poitrines occupées à battre
l’une pour l’autre et du présentatif c’est précédant l’adjectif en question :
Les poitrines toujours occupées à battre pour l’autre et les ventres vacants attendent
l’autre….c’est franchement ….les amants (…) c’est franchement …cupide, les amants(…) les
poitrines occupées à battre pour l’autre et les ventres vacants attendant l’autre….c’est
franchement sourds, les amants(…)Les poitrines occupées à battre pour l’autre et les ventres
vacants attendant l’autre…c’est franchement muet, les amants (…) myope , les amants(…) c’est
franchement …menteur , les amants(…) c’est vraiment con et merveilleux d’être amants .947
L’énonciation de ce discours immédiat sur les amours des Etres se manifeste par une
comparaison faite par l’instance discursive de ce que ressentent les poitrines occupées à
battre l’une pour l’autre et les ventres vacants attendant l’autre .Elle s’appuie aussi sur les
multiples digressions du discours diégétique dont le sujet énonciateur reste le personnage
anonyme en prise à ses oniriques élucubrations sur les amants dans la petite masure de l’ex-
rue du diable. Ces propos réitérés donnent au contenu du discours une valeur de vérité
générale puisque réitérée tel un refrain .Par la suite, le discours de l’instance discursive se
veut argumentatif en vue d’étayer les attributs suscités. Ainsi, les amants cupides et parieurs
en arrivent à oublier le temps par l’exaltation de leurs sens pour construire des murs de silence
et miser leur amour sous la houlette du hasard .Les amants sourds et tourmentés se cherchent
et tentent de réorganiser leur désordre affectif en dépit des convenances factices et
ostentatoires qui leur sont imposées. Et ce, d’autant que les mots ne sont plus pour dire
l’ambigüité de silences qui en découlent. Quant aux amants muets qui ne trouvent rien à se
dire excellent dans le verbiage stérile, menteur et fallacieux pour en arriver à mutuellement
s’enivrer dans le virtuel de leurs émotions affranchies et chaotiques à la fois. Les amants
myopes qui préfèrent se taire pour ne pas dire leur vérité, et palabrer sur celle des autres que
de paraitre vrai pour enfin s’unir même dans la plénitude de l’attachement symbiotique le
temps d’une brève étreinte. L’argumentaire dans le discours de cette voix anonyme se
constitue de segments discursifs à prédicats fonctionnels chacun d’eux ignore d’ignorer(…)
les amants vivent le présent dans l’adversité de la fougue(…) ils préfèrent se taire (...) et
parler pour les autres948.Par la suite, l’instance discursive première prend le relais de cet
argumentaire pour instaurer le sien visant à légitimer sa décision de quitter sa compagne dans

947
Aigre-doux, pp .66-67
948
Ibid.,p. 66

271
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

949
une ultime étreinte .Ce relais de discours met en place un dialogisme montré de relations
inter discursives se manifestant par le passage d’un plan énonciatif à l’autre.

1.1. Amours tragiques

Un discours analogue à celui des amants- traitant des amours tragiques et


interpellations du cœur refait surface en charriant la morale d’une histoire de jeunes amants
morts avant d’avoir pu se rencontrer. La femme aux formes parfaite pose ses lèvres humides
sur son oreille avant de lui susurrer l’histoire du miel et du sel. La morale en question est
murmurée en fin de compte par l’allocutaire en proie à ses élucubrations tourmentées mais
constatant une tragique réalité de manière péremptoire : C’est tragique, les amours qui se
meurent avant de se rencontrer950.La délivrance prend la parole pour apporter des
éclaircissements corroborant cette tragique réalité avant de disparaitre avalée par la foule se
dirigeant vers le cimetière : Oui, le goût à la fois salé et sucré de cette idylle, c’est aussi le
goût de la vie. Seulement, la tragédie commence quand on n’arrive plus à faire la différence
entre l’aigre et le doux, alors on commence par tout mélanger.951
Le présentatif réitéré permet à l’énonciatrice de souligner que cet amour raté est à
l’image aigre-douce de la vie. Par la suite, l’emploi de l’adverbe seulement, devient l’élément
déclencheur de la tragédie à savoir le manque de discernement entre l’aigre et le doux de
l’existence. Nous constatons que les propos échangés se complètent et se soutiennent dans
une interaction énonciative validant les assertions de l’instance énonciative première.
Cet espace discursif d’amours tragiques car irréalisables se manifeste essentiellement
par les témoignages de locuteurs inattendus tel que son cœur qui ne cesse de l’interpeller pour
lui parler des cauchemars ravageurs de l’esprit et de l’âme. Ainsi, les interpellations du cœur
constituent un prolongement du discours de l’instance énonciative première sur l’amour
fonctionnant comme un acte langagier destiné à lui restituer sa raison à son cœur en proie aux
cauchemars ravageurs de l’esprit et de l’âme .Cette remémoration est destinée à appuyer les
énoncés antérieurs sur les turpitudes de son cœur que l’énonciateur avait du mal à
comprendre : Avant je ne savais pas comment interpréter les messages qu’il m’envoyait,
tandis qu’il souffrait et s’émouvait plus que moi. 952

949
Maingueneau définit le dialogisme montré - rapport au discours constitutif qui n’est pas explicite - où la
présence du discours autre est explicitement marquée par diverses formes de discours rapportés .Extrait de Les
termes -clés de l’Analyse du discours, Ed du Seuil, Paris, avril 2009
950
Aigre-doux, p.20
951
Ibid., p. 205
952
On dirait le Sud, p.217

272
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

L’instance énonciative repense aux interpellations de son cœur désirant battre la


chamade et redevenir dans l’immédiateté d’un instant le vaillant cœur volcan avant de
s’étreindre et voir refroidir ses écoulements de laves dans les vertigineuses et
incommensurables sensations humaines.953
Sans écouter les discours de ce cœur qui désormais bat lentement la chamade, la voix
énonciative s’enorgueillit à vouloir le voir invoquer l’aigre-doux de la vie et redevenir le
vaillant cœur volcan qui se remettra à battre synchroniquement avec elle : Il me parlera de
l’aigre et du doux de ces inaltérables saveurs qui résident en moi, en nous, en tout…et je
l’écouterai et m’exécuterai.954
Il est indéniable que l’on peut attribuer la responsabilité de cet énoncé à l’instance
énonciative qui explicite les intentions de son cœur .Ce mélange des voix du personnage et du
narrateur relève indubitablement du style indirect libre sans aucune marque de subjectivité
orientée vers un destinataire et qui permet de susciter dans l’esprit du lecteur un savoir relatif
aux pensées verbalisées telles qu’elles auraient été énoncée au discours direct.

1.2. Amour en théorie

Dans On dirait le Sud, Neil explique à son amante sa théorie de l’amour du couple
fondée sur la possibilité de glaner des passions par-ci par-là en dehors du couple et
l’acceptation d’une bifurcation des sentiments dans un rituel sauvage et libre : -Parce que
l’amour la force de modifier le cours des évènements ,qu’il nous pousse vers des voies
différentes et nous n’y pouvons rien…absolument rien, ma chère amie ! Il nous impose sa loi
et trouble nos émois.955
Le locuteur confie à son allocutaire les secrets de l’amour fou et libertaire auquel Neil
souhaite s’adonner dans la recherche de son identité. Ce discours, orienté vers
l’argumentation, se positionne par le truchement de la locution parce que introduisant
l’argumentaire des assertions qui définissent sa conception singulière de l’Amour éclairant
confondu d’emblée avec la liberté :
L’amour ou la liberté n’accepte aucune restriction dans ses définitions ni dans ses applications,
sinon il devient trop possessif .Il doit se nourrir de nos fantasmes et nos inclinations .Alors, il
restitue ce que nous lui donnons .Lorsque nous le partageons, il se multiplie .Je préfère un amour

953
On dirait le Sud, p. 220
954
Ibid., p. 221
955
Ibid., p. 93

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qui nous éclaire même s’il devait mettre au jour nos envies et nos pensées les plus secrètes à un
amour qui nous aveugle et nous plonge dans l’opacité des sens.956
Nous remarquons la manière avec laquelle le mouvement énonciatif de Neil évolue
vers un acte de justification d’un amour éclairant les consciences de ceux qui savent le
partager et le faire savourer aux autres pour en apprécier les contours sans restriction aucune.
Dans ce passage, nous remarquons que la voix de Neil et celle d’Iness qui lui rétorque tout en
s’étirant -telle une féline avec toute l’arrogance provocatrice de ses seins957 , en se caressant
le nombril que ce ventre portera au moment voulu l’enfant de l’homme que j’aurai choisi -
alternent dans une relation d’intersubjectivité permettant la mise en valeur de leurs
conceptions respectives de l’amour.

1.3. Amours instables

Dans LSD, Charles Darwin soliloque sur l’instabilité et l’impureté que génèrent
indubitablement les sentiments amoureux. En effet, le roman met en exergue les conceptions
les plus hétérogènes de l’Amour des protagonistes du discours dont les propos s’ancrent et
s’entrecroisent dans le champ textuel. Il n’en demeure pas moins que le narrateur se met à
l’écart pour laisser le champ libre à tous ces discours épars où chacun définit, à sa manière, sa
conception de l’amour des Etres. Ainsi, lorsque Charles confie à Suly, après avoir fait
l’amour, qu’il avait fini par s’habituer à cette voix craintive et sensuelle et même à s’en laisser
charmer dans un malaise libidinal.958 La jeune femme soliloque sa désapprobation et son
mépris pour ces salopes - désignées d’emblée par le pronom cataphorique elles qu’elle
qualifie par la suite comme constamment enclines à la trahison adultérine avec une jalousie
épidermique : Ses propos triviaux montrent bien l’aigreur du ressentiment à leur égard
qu’illustre l’emploi de l’indéfini toutes qualifiant la totalité des femmes de salopes
susceptibles de trahir leur congénères: Toutes des salopes ! Une fois le dos tourné, elles te
chipent ton mec, même dans les rêves. Alors qu’ils sont ensembles, les deux énonciateurs
continuent de converser, bizarrement, par soliloques interposés : Sully lui reproche de
dissimuler le nom de sa maitresse 959 ; Charles s’interroge en son for intérieur sur la jalousie
découlant des amours instables altérant les relations humaines après avoir soliloqué son
opinion sur la jalousie des femmes et en particulier sur celle de sa compagne à l’ égard de la

956
On dirait le Sud, p. 93
957
Ibid., p. 94
958
LSD, p. 30
959
Il s’agit sans doute d’un rêve érotique et tu préfères dissimuler l’identité de ton amante

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virtualité onirique qui ne cessait de hanter ses rêves éveillés : Elle se comporte comme une
maitresse jalouse .Je ne comprendrai jamais les femmes et encore moins Suly. Est-ce pour
cela qu’elle avait retiré sa main quand j’avais évoqué mon songe comme excuse à mon
échec ? Certainement. 960
Le fait de répondre d’emblée à son propre questionnement par l’adverbe certainement
cette manière de restituer son propre discours intérieur illustre l’émancipation du monologue à
la fois de l’interlocution et du narrateur. Ensuite, Charles focalise son interrogation sur
l’instabilité découlant de leur éventuelle impureté par un type d’énonciation se présentant
comme la représentation brute de sa pensée profonde : Pourquoi les amours sont-elles
instables au point de paraître impures ? 961
Dans LSD, Lucy explique à Charles la mission qui les attend : une importante partie de notre
mission consiste à rester fort et lucide en Amour, car c’est le seul liant qui nous unit dans
l’harmonie. L’Amour est présenté en tant que, gage et liant unissant les instances énonciatives
dans l’harmonie. Lucy prend aussi la parole au nom de l’humanité entière pour mettre en
exergue la trahison de l’homme de demain qui cessera d’y croire pour se valoriser lui-même :
Nous devons surtout demeurer solidaires des autres maillons de la chaine, mais l’homme de
demain cessera de croire en l’Amour pour ne penser qu’à lui-même.962
Nous constatons que l’énonciatrice ne se démarque pas de son énoncé .Au contraire, elle
emploie le nous et le verbe de modalité devons pour marquer son implication et se
positionner comme une sorte de porte-parole des humains. Elle finira par en restreindre la
portée de ce liant entre les hommes par la conjonction mais introduisant la prédiction du choix
de l’ego et de l’anthropocentrisme que l’homme de demain privilégiera au détriment de
l’Amour de ses semblables.

1.4. Amour filial

Dans Aigre-doux, le narrateur bouleversé se remémore cet amour refoulé, non exprimé
et regretté à postériori que déclenche le souvenir furtif d’un vénérable vieillard enterré au pied
d’une dune. C’est le patriarche avec lequel le narrateur a longtemps vécu sans jamais oser lui
dire ses sentiments filiaux.
Pourquoi faut-il qu’il soit toujours trop tard pour le faire ou trop tôt pour l’oser ? Souvent nous
passons toute une vie auprès des gens que nous aimons sans leur montrer le moindre échantillon

960
LSD, p. 31
961
Ibid., p .30
962
Aigre-doux, p.173

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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de notre amour. Après, une fois qu’ils ne sont plus là, nous pleurons nos regrets sur leurs
souvenirs soliloqué-je la tête pleine de remords. 963
C’est à la suite du furtif souvenir d’un vénérable vieillard enterré au pied d’une dune
bouleverse le narrateur. En effet, il s’agit de son père patriarche avec lequel il a vécu sans
jamais oser lui dire qu’il l’aimait.
Cette conversation avec le patriarche l’amène par la suite à se questionner sur sa foi
Crois-je encore en lui ? 964Le patriarche, entouré des cinq adolescents assis sur leurs propres
sépultures, psalmodie sa douloureuse incantation dont le contenu est la réponse mise en
apposition965 de manière récurrente question relative aux responsables de cette folie
meurtrière .Par la faute et au nom de qui les fleurs se fanent même arrosées de pleurs entre
les mains de pures , le soleil se levant trop tard pour les exclus, les impasses des interdits et
des leurres , les mères muant leurs chants en sanglots face au lourd silence trompeur de leurs
enfants muets dans leurs sépultures, la folie meurtrière de certains transforme le bonheur et la
quiétude des autres en abominable horreur dont la perception entremêlée des choses obéit
inéluctablement au hasard de la peur et la cupidité se métamorphosant en vertu parée de
lauriers d’honneur .Le patriarche termine sa complainte en invoquant le mal que font ceux qui
se sont accaparés du divin pour légitimer leurs actes de folie assassine :Par la faute et au nom
de qui ? Le mal se conjugue aisément avec le bien, les valeurs oublient leurs chiffres pourtant
révélateurs. Par la faute et au nom de qui ? Les usurpateurs s’accaparent de Dieu afin de
faire valoir leurs agissements imposteurs. 966
Si la responsabilité de Dieu qui ne peut être impliqué dans la folie meurtrière des
hommes, la complainte du patriarche oriente la responsabilité de ce chaos à la folie islamiste
qui se sont accaparés du divin pour légitimer et sacraliser leur imposture .Dans LSD, Lucy
accorde son importance à l’amour filial, gage de préservation de l’humanité, lorsqu’elle parle
de la continuité de l’amour qui ne peut perdurer sans union de deux pour une filiation sans
laquelle l’humanité s’éteindrait indubitablement : -Nous sommes tous nés de l’Amour. Il faut
deux pour devenir au moins trois. Cette continuité n’a de sens que dans la séduction des deux
premiers ….. et ainsi de suite 967
Si le je et le tu renvoient aux rôles d’énonciateur et co-énonciateur invariablement
réversibles dans tout échange langagier, il n’en demeure pas moins que l’emploi de la

963
Aigre-doux, p. 125
964
Ibid., p.127
965
Par la faute et au nom de qui
966
LSD, p .126
967
Ibid., p. 187

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personne amplifiée nous permet à l’instance énonciative de se positionner d’emblée en tant


que représentante des êtres humains dans leur globalité .Le nous que nous venons de
souligner revêt la posture d’acteur d’une énonciation référant à une subjectivité à valeur
générique : nous réfère à la fois à l’énonciateur , au lecteur , à tout le monde sans qu’aucun de
ces pôles ne soit séparable des autres. De ce fait, un tel discours peut être pris en charge par
tout lecteur ou co-énonciateur intégrés à cette personne amplifiée de par sa valeur générique.

1.5. Amour de l’humanité

Lorsque Rayane prend la parole pour expliciter les caractéristiques de sa communauté


qui diffère de celle des hippies alors que dans la cour tous les membres de la communauté
reprennent en chœur le célébrissime hymne à l’Amour que les Beatles dédient à l’humanité
entière : All you need is love L’Amour est tout ce dont les hommes ont besoin dans leur vie et
celle de leurs descendants. C’est à travers la voix de Rayane qu’est mis en lumière l’Amour
qui doit se propager à travers la descendance de Charles en vue de en vue de construire une
nouvelle humanité dans un autre lieu, dans une autre temporalité : il faut que la descendance
de celui qui viendra sauver Gaia et ses enfants soit doublée dans l’amour absolu et relatif,
dans l’alpha et l’Oméga, dans le rêve et la réalité. 968
L’instance racontant et percevant qu’est Rayane entérine à travers ses propos ce que
lui avaient dit tous ceux qui avaient travaillé avec lui d’où l’emploi d’une complétive
introduite le verbe introducteur falloir à valeur de nécessité logiquement suivi du subjonctif
pour mettre l’accent sur la nouvelle humanité désormais fondée sur toutes les facettes de
l’amour. Sur le plan énonciatif, il continue de discourir sur l’Etre de l’avenir qui se doit de
vivre enharmonie et de nous introduire dans un monde sain et propre, une humanité
responsable et aimante en harmonie toutes les espèces et aussi avec elle-même.969

1.6. Etre d’Amour

Dans Aigre-doux , la voix énonciative première est celle de cet Etre d’Amour ayant
entamé sa nouvelle transmigration pour se réveiller dans une oasis d’Eden avec une
mystérieuse sensation de dépaysement absolu en son for intérieur .Ce nouvel Etre se retrouve
debout, en lévitation, aspiré par la force d’une sublimissime lumière .Débarrassé de son
enveloppe charnelle , l’esprit prend conscience de sa mue en un être d’Amour ne pouvant

968
LSD, p. 216
969
Ibid., p. 254

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soliloquer qu’à lui-même cette agréable sensation du parfait bonheur qui s’est accaparée de
l’Etre évanescent qu’il est devenu .
Moi ? Je me sens dépouillé de mes chairs et de mes os. Je ne suis plus un corps ! (...) j’ai ouvert
l’esprit dans mon propre paradis où je me trouve à la fois acteur et spectateur d’un nouveau
scénario. Une autre vie ? Mes angoisses et leurs conspirateurs, mon enveloppe et mes âges ont
disparu. Oui !(…) je ne sais pas ce que mon corps est devenu, mais ce dont je suis sûr, c’est que
le bonheur habite cette chose innommable et sans forme que j’occupe(…) Fantastique !Je vis tout
ceci sans mon enveloppe charnelle, d’ailleurs je ne sais même pas si j’ai une consistance, une
forme. Je ne me sens qu’amour ! 970
A travers cette énonciation, la parole du locuteur s’inscrit dans le champ discursif de la mue
en un être d’amour dont les propos appuient singulièrement sa posture d’acteur et spectateur
de soi dans cette nouvelle vie sans consistance charnelle. Dans toutes les occurrences, le je
énonciateur d’un discours au style direct libre s’affirme dans une émancipation à l’égard des
contraintes typographiques971 communément associés au discours direct mettant en exergue le
nouvel être d’amour qu’il est devenu et qui se découvre au fur et à mesure à l’issue de la mue.
Dans cet extrait , le discours direct libre fonctionne sur le mode de l’interlocution d’un
énonciateur à l’origine des questions et des réponses faites d’énoncés constatifs de ce qu’il est
972
advenu de son enveloppe charnelle et du bonheur qui en découle reléguant au second plan
la dimension communicative de l’énonciation indissociable d’un Tu et de l’ici-maintenant.

1.8 Amour de la femme

Dans Aigre-doux, la voix énonciative du personnage en pérégrination se remémore les


instants passés avec cette femme du point B 114 sans être capable de mesurer le temps passé
réellement avec elle, faisant désormais partie intégrante de cet être dans une véritable
conjuration céleste. Après s’être réveillé sous une pleine lune d’un ciel aux étoiles
scintillantes, il se rend compte qu’il avait continué à écrire sur le sable une ode à la femme
originelle qui de l’aube au crépuscule de l’humanité a été la matrice de tout et de tous.973
Pourchassée et calomniée par les intégrismes tous bords, l’instance énonciative profère son
admiration sans limite pour cette combattante matrice de l’existence de l’homme :

970
Aigre-doux, p. 255-256
971
Tirets, guillemets et italiques
972
Moi je me sens dépouillé de mes chaires et de mes os (….) une autre vie ? Oui ! ;p .256
973
Aigre-doux, p .247

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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De l’aube jusqu’au crépuscule de l’humanité, elle est la matrice de tout et de tous. Pourtant, de
l’inquisition moyenâgeuse à l’intégrisme intransigeant, elle est pourchassée, condamnée,
calomniée, mais elle n’a jamais cessé de lutter, d’aimer…pour permettre à l’homme d’exister. 974
Centrés sur l’expression de l’objectivité du locuteur, ces énoncés constatifs de la
souffrance de la femme, victime des intégrismes de tous bords et de tous âges, sont constitués
de segments descriptifs à prédicats qualifiants contribuant à mettre en valeur son amour pour
l’humanité.
Ainsi est mis en exergue son amour pour cette femme à la bouche gracieuse et sucrée
alliant son désir d’aimer au châtiment éternel du péché originel dont elle porte le fardeau
pour l’éternité. Cette femme -matrice se voit affublée de diverses valorisations ayant trait aux
formes sensuelles et contours érotiques de son corps par des noms de qualité accolés à
l’emploi itératif du substantif femme, célébrant avec lyrisme son éternel amour: Femme
charnelle, femme soupir, femme rebelle, femme maternelle, femme éternelle, je t’aime.975
A la suite de l’instant zéro, l’instance énonciative remonte aux origines dans un état
extatique et se met à soliloquer sur l’essence même de l’Existence fondée sur les deux mots
élémentaires que sont ces deux fondations : aimer et savoir. La mue se fera dans le corps
d’une femme dont le visage entrevu dans le reflet de l’eau de la guelta ressemble à toutes.
Celles déjà rencontrées dans ses pérégrinations oniriques. L’ultime discours de cette
femme redevenue elle-même revivifie son amour pour le point B 114 devenu
miraculeusement l’espace lénifiant dont elle est en quête depuis son départ de l’ex-rue du
diable :
Je suis redevenue moi (...) Dans un conditionnement inattendu, mon regard transporte au loin mes
douces pensées vers ce que j’aime et ce qui m’attend Je sais que le vent se chargera de les poser
là où il faut … peut-être au point B 114, je l’espère en tout cas. Je suis heureuse de mue ! 976
L’emploi du présent déictique dans ce discours au style direct indiquant que le procès
est contemporain du moment d’énonciation permet de faire une sorte de zoom sur le profond
sentiment de bonheur ressenti par le sujet énonciateur à l’issue de la mue.
Dans On dirait le Sud, une scène énonciative - mettant en lumière l’amour que les
hommes peuvent éprouver à l’égard de la femme et ce qu’elle symbolise dans leur culture
ancestrale- se déroule au moment où Zaina et Mouloud se séparent à la sortie du
caravansérail. Le targui lui récite un poème de la vieille Zaina dédié à cette femme mère, sœur
et compagne accusée d’avoir été à l’origine de la première tentation et châtiée injustement
974
Aigre-doux, p. 247
975
Ibid, p .247
976
Ibid., p 262

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pour l’éternité. Le discours de Mouloud aura trait à celle qui cessa d’être heureuse et qui en
porte à ce jour sur son ventre les stigmates de leurs injustes accusations délictueuses :
Quand la première tentation la tourmenta-On accusa l’envieuse et non l’envie –On ne jugea pas
la cause, mais son effet, on châtia -Depuis-(…) –Pour l’éternité des temps, d’être heureuse elle
cessa –Les stigmates, sur son ventre, dessinent leurs délits -Femme : mère, sœur, compagne,
khaima. 977
Le discours énoncé avec lyrisme au style direct met en lumière la qualité première de
cette femme-abri qui, à l’image d’une tente protectrice vitale à la survie, s’avère protectrice,
belle et sources de sentiments passionnels. L’emploi du substantif khaima en atteste la
véracité. Cette dernière fait perdurer cette faculté par le mariage aux hommes dépendants de
l’abri, du désert. S’exprimant au nom des siens, l’instance discursive ne lésine guère sur
l’emploi d’attributs pour dire son amour de la femme envieuse accusée à tort au lieu de
culpabiliser l’envie de l’Adam mythique à l’origine de l’irréparable : Elle est aussi bien
femme-abri, femme-nature, femme-mère femme-étoile, femme-eau, femme-amour, et ombre
accueillante comme une fraiche oasis.978

1.8. Amour coupable

Dans Aigre-doux, le narrateur se sent coupable d’avoir abandonné cette femme, de


l’avoir quittée et de ne pouvoir à son retour être à la hauteur de ses promesses : je me sens
979
coupable .Le héros, instance énonciative, la quittera faute de pouvoir partager avec elle
l’amour qu’elle éprouve pour lui. Il se sent en effet incapable de lui rendre l’amour qu’elle
éprouve d’où sa décision péremptoire de quitter la chambrette ovale .S’ensuit un poignant
monologue révélant que son inéluctable fuite est un gage de sincérité et non de lâcheté .Ce
dernier répugne de la faire et voir souffrir sa compagne : je ne la vois presque plus pourtant
elle est là juste à côté de moi.980
Il est indéniable que ce qu’il recherche ne se trouve pas chez cette femme incapable,
malgré sa bonne foi et sa sincérité, de lui donner ce à quoi il aspire, lui qui ne sait pas au juste
ce qu’il recherche tout en ayant la certitude ce qu’il convoite ne se trouve guère en elle. Une
scène énonciative entre les co-énonciateurs met en exergue le problème de la sincérité et de la
culpabilité en amour à l’origine de sa décision de quitter la chambrette ovale. Dans un
discours direct l’instance entérine les raisons qui l’ont incité à la quitter : la première raison

977
On dirait le Sud, p. 220
978
Ibid., p. 220
979
Aigre -doux, p. 44
980
Ibid., p.59

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est sa prise de conscience que ce départ est un gage de sincérité et non de lâcheté .La seconde
raison est le caractère inéluctable de leur séparation pour ne pas continuer à la faire souffrir.
La dernière raison révèle que sa pérégrination n’est que le début de quelque chose d’autre
pour une destinée inconnue :
Certains voyages nous conduisent vers notre destin plus qu’à une destination. Cette pérégrination,
il faut que je la commence, je sais qu’elle sera longue et radicale .Ce choix de partir, je l’ai pris
tout seul, mais quelles que soient les décisions que l’on prend pour entreprendre quelque chose.
Le parcours vers ma destination demeure toujours mystérieux. 981
Conscient que son chemin ne fait que commencer, tout en ne sachant pas la finalité de
son errance, il se retrouve néanmoins à penser son amour pour elle en optant pour l’aigre
sincérité de la fuite silencieuse qui panserait les souffrances au lieu du mensonge et la
concession : J’aurais aimé lui faire la promesse de revenir mais je n’ai pas pu. Entre le
mensonge et la concession, j’ai choisi la fuite et son lourd silence qui ne cesse de nous
éloigner l’un de l’autre.982
Dans On dirait le Sud, l’amour coupable est aussi celui que Zaina a connu dans sa
pérégrination onirique .En effet, l’image de Neil qui s’est manifesté sporadiquement dans ses
songes bleus et dans le reflet du miroir sans tain s’avère à l’origine d’une grande souffrance
intérieure. La jeune femme soliloque à travers son discours direct libre sur cet amour ressenti
au plus profond d’elle-même et qui la fait tant souffrir :-Ah ! L’amour, est-ce celui qui reste
ancré dans mes entrailles et me fait tant souffrir ? Les seuls endroits où je l’ai ressenti, c’est
dans mes voyages virtuels, mes rêves bleus, et dans le reflet d’un miroir.983
L’interjection Ah !, suivie du questionnement au présent sur l’Amour sont des indices
forts du discours direct- lequel permet à l’instance énonciative de présenter une énonciation
en tant que manifestation d’un sentiment de découverte de l’amour enfoui en elle et ressenti à
travers sa pérégrination onirique. Nous repérons des modalisations autonymiques pour en
appeler à la coopération du co-énonciateur en vue de l’aider à cerner cet amour douloureux
par l’utilisation de la tournure interrogative signalée par des tirets, sans verbe introducteur ou
incise.

981
Aigre-doux, p.59
982
On dirait le Sud , p.59
983
Aigre-doux, p.194

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1.9. Amour interdit

C’est dans On dirait le Sud qu’apparait l’amour interdit d’une relation adultérine entre Neil et
la jeune Targuie dans l’oasis par d’hallucinants orgasmes où tout est sueur et sens lors de leur
union adultérine inopinée .Le mariage avec Mouloud auquel elle était promise depuis toujours
, n’aura pas lieu. Les deux amants furent bannis de l’oasis et condamnés à errer dans le désert
sans aucune sollicitude à espérer des hommes du désert après avoir fait l’amour sans
préambule pour une copulation initiatique. Cette relation adultérine se révèle d’autant plus
déconcertante que le naufragé du désert en quête d’une nouvelle existence pour réapprendre à
aimer984 ressent l’inexplicable impression d’avoir non seulement trahi Mussa le chef de la
tribu qui l’a accueilli mais la terre entière .Neil se sent désormais coupable de moult griefs
… d’avoir transgressé les lois immuables des convenances, des tabous. D’avoir transpercé la
frontière entre deux cultures, participé frauduleusement à un rite initiatique sans avoir été convié
.D’avoir contesté les démarcations morales de leurs origines respectives .D’avoir trompé tous les
pères, les mères, les épouses, les époux, les femmes, les hommes de la tribu qui l’a accueilli. Et
surtout Mussa.985
Le discours de Neil se fait relayeur d’une grande leçon de morale à laquelle le locuteur
aurait dû souscrire .Son énonciation est une suite d’arguments qui corroborent sa culpabilité et
sa trahison. La répétition de l’auxiliaire suivant la préposition de introduit à chaque fois une
parcelle de la tromperie dont il s’est rendu coupable.
Toutefois, les voix de Neil et Iness sont la rencontre de deux discours qui
n’appréhendent pas l’amour de la même manière. Chacun témoigne de son expérience
personnelle et de ses propres aspirations. Iness, quant elle, réfute catégoriquement la
conception libertaire son amant. Sa jalousie intériorisée fait qu’elle ne supporte pas de
partager son homme avec une autre .Pour elle, l’amour est tout trouvé, c’est Neil. Elle
considère au plus profond d’elle-même que l’amour sans l’attache de l’être aimé n’est pas
raisonnable. Elle souffre de cet amour qui devient source de dislocation, suspicions et silences
partagés .Cet amour interdit d’amants vivant un amour contradictoire débouche sur une
incompréhension mutuelle. La jeune targuie possessive l’accule, le met au pied du mur et le
somme en définitive de choisir : Neil, il faut que tu choisisses en elle et moi !986
On note la fragilité et l’insécurité ressentie dans sa relation amoureuse avec Neil. Pour
elle, l’amour se nourrit de nos inclinations, de nos fantasmes : il restitue ce que nous lui avons

984
On dirait le Sud, p. 30
985
Ibid., p. 60
986
Ibid., p.159

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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donné. En outre, cet amour s’avère préférable à celui qui nous aveugle et nous plonge dans
l’opacité des sens. Quant à Iness, elle considère que l’amour partagé n’entrave pas la liberté
individuelle sauf qu’elle est tombée follement amoureuse d’un fou : Je suis amoureuse d’un
fou.987Le temps est l’ennemi de cet amour partagé qu’il ronge inexorablement. Aveuglée par
la jalousie éprouvée à l’égard du songe qui ne cesse de s’immiscer entre elle et son amant, elle
décide de s’imposer en luttant de manière implacable contre le temps qui étiole sans ambages
les sentiments de Neil à son égard : - Je voudrais être une offense au temps qui passe. Je
serais de nuit comme de jour là pour toi et j’exigerai que tune regardes que moi.988
Nous constatons l’emploi de termes tels qu’offense et celui de la tonalité injonctive du
verbe exiger au futur pour exprimer la force de l’injonction en question. Ne supportant pas de
partager son amant, la jeune targuie persiste dans sa logique agressive de son amour pour Neil
en lui imposant de choisir entre elle et le songe qui hante ses nuits agitées. L’emploi de la
structure impersonnelle du verbe de modalité en est l’illustration probante dans l’énoncé
suivant : Neil, il faut que tu choisisses entre elle et moi. Comme l’amour de Neil pour le
songe n’a cessé de s’amplifier, Iness vit son amour dans la douleur, la frustration et la peur de
voir leur relation se disloquer et dégénérer en tourments cauchemardesques. Pour elle,
l’amour devient déraisonnable sans l’entière attache de l’être aimé. Elle trouve une vieille
recette maternelle contre les maux d’estomac après lui avoir fait manger un repas indigeste :
une potion au goût amer de petits melons jaunissants et de pulpes de coloquintes pour le
soulager de ses douleurs. C’est alors qu’elle développe un discours visant à le convaincre des
bienfaits visant à l’immuniser contre le songe de Zaina qui alimente crescendo ses sentiments
polysémiques : C’est une vieille médecine de chez nous, aigre, certes mais efficace. C’est ma
mère qui m’a donné cette recette. Il faudrait en boire durant une semaine Avec ça, tu seras
immunisé contre toutes les maladies, et même les autres maux.989
L’emploi du présentatif c’est, réitéré à deux reprises, introduit l’argumentaire destiné à
convaincre le naufragé du désert de consommer la potion en question. Nous voyons bien que
l’acte d’énonciation est illocutoire et se veut explicatif de par les énoncés constitutifs de la
réponse et ce, tout en obéissant à la relation logique de cause à conséquence dans le but de
convaincre son allocutaire des bienfaits de cette potion de pulpes de coloquintes.
Pour que Neil partage son amour exclusivement avec elle , elle n’a guère hésité à lui
faire ingurgiter son ensorceleuse potion à l’origine d’aigreurs nocturnes qu’elle soulagera par
987
On dirait le Sud, p.14
988
Ibid., p.158
989
Ibid., p.157

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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ses baisers sucrés au moment opportun .Un scénario érotique se met en place durant plusieurs
jours , Iness s’allonge nue sur son corps athlétique pour lui faire l’amour dans la plus grande
délicatesse sans lui permettre de la regarder en ouvrant les yeux.

1.10. Amour entre extase et humiliation

Toujours dans On dirait le Sud, l’amour s’avère être à la fois source d’extase et
d’humiliation. Privée de ses instincts voluptueux, Zaina sait que ce qu’elle vit avec le primate
n’est guère de l’amour. Pour elle, le véritable amour est un privilège. Elle rêve d’un soupir
extatique et se trouve emportée par un ardant désir de faire tout de suite l’Amour. Elle est à la
recherche d’une vie qui lui permette d’aimer car elle en marre d’haïr. Tout compte fait, elle
n’aspire qu’à un peu d’amour d’autant que le crétin qui vit avec elle a souvent tendance à lui
préférer la chèvre. Ce manque d’amour dont elle prend progressivement conscience va
alimenter son envie folle et latente de faire la chose qui lui manque le plus, faire l’amour
immédiatement avec une dune dans un moment crucial de volupté sensuelle. La jeune lascive
prend conscience de la toute-puissance sensuelle de son corps car elle venait de faire l’amour
prend conscience de la toute-puissance sensuelle de son corps car elle venait de faire l’amour
avec la dune, avec son Etre !990Elle sait à présent que ce qu’elle vient de vivre dans une
sérénité sensuelle accomplie avec le sable la fait soliloquer sur le fait qu’il lui sera impossible
à l’avenir de vivre sans ces moments extatiques , intenses et uniques : Quand on a connu
l’extase , tout le reste ne peut être qu’amertume.991Ses pensées voluptueuses et inquiètes vont,
dans un discours immédiat, être proférées simultanément à l’encontre de son corps et du
désert de sable qui a enfin daigné lui donner un peu d’amour en vue de les supplier de la
libérer de leur emprise concomitante :
Ô mon corps ! Libère - moi de mes tourments, toi qui a su m’aimer. Ô sable du désert cruel !
Pour la première fois, tu as été tendre et doux avec moi Libérez-moi de votre emprise ……car il
persiste dans mon cœur une appréhension ineffaçable qui me dit que tout ce que je viens de vivre
n’est pas une fin en soi, mais le début d’une vie dont je ne soupçonne pas encore toutes les
déconvenues qui m’attendent…..Ô corps ! Ô sable ! 992
S’adressant directement à son corps ayant fusionné avec le sable, dans son
énonciation, la jeune lascive mobilise d’emblée un énoncé injonctif libère-moi suivi d’un

990
On dirait le Sud, p.52
991
Ibid., p.52
992
Ibid., p.53

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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énoncé- destiné à la persuasion pour que ce corps - sable daigne enfin la mener vers une autre
vie -interpellant son corps par l’emploi de l’interjection Ô suivie du substantif en question.
S’adressant directement à son corps, l’énonciatrice élargit son espace discursif à des
propos empreints d’une amplification énonciative impliquant directement son allocutaire par
l’emploi du pronom tu précédé de la locution pour la première fois, le but ultime d’une telle
énonciation étant d’entamer une nouvelle vie aigre-douce dans d’autres contrées.
L’amour aveugle de Zaina est à son tour incontournable car elle est tombée amoureuse
de l’homme qui lui apparaissait sans cesse dans ses rêves et dans le miroir sans tain qui, au
lieu de refléter son propre visage, lui montre celui de Neil .Et c’est de cet homme- qu’elle ne
connait que dans ses rêveries oniriques, qu’elle n’a jamais vu dans le monde tangible mais qui
occupe ses pensées- dont elle est tombée éperdument amoureuse.
C’est ce qu’elle révèle à Mouloud au moment de leur séparation : Mouloud, il faut que
je sois franche avec toi .Je suis à la recherche d’un homme que je ne connais même pas
.Pourtant j’en suis tombée amoureuse .Il a réussi à occuper mes pensées durant toutes ces
pérégrinations. 993Elle considère l’amour comme une chance en disant : elle n’est pas donnée
à tout le monde la chance d’aimer.994Elle est consciente que l’amour ne peut se vivre dans un
rapport de subordination à l’image de celui vécu avec Cro-Magnon : Et puis, quel désir
aurais-je avec un primate pour qui le mot amour veut dire faiblesse ? Avec quels sens
m’orienterai-je si j’ai pour rivale une pute de bique ?995
Pour elle, faire l’amour est un besoin vital puisqu’elle en arrive à supplier l’infecte
primate : fais-moi un peu l’amour….tu veux ? Et s’il te plait n’ouvre pas les yeux. Ne me
regarde plus.996Finalement, la jeune femme se promet en son for intérieur qu’elle ne se
piquera plus juste pour éviter cette humiliation sexuelle. Le calvaire des sens est là à tout
moment pour la camée du pointB114 qui vit un désalignement des sens provoqué par ses
propres cauchemars, révélant par la même l’aigreur de sa destinée et l’espérance de ses désirs
enfouis.

1.11. Humanité et sexualité

L’amour c’est aussi le sexe pour le père Balthazar prend la parole pour expliquer au
couple adultérin le principal dilemme des hommes rituellement en adoration devant Dieu

993
On dirait le Sud, p .243
994
Ibid., p. 65
995
Ibid., p .65
996
Ibid., p. 66

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

créateur de la chose 997qu’ils ne cessent de courtiser depuis la nuit des temps. Le vieux prêtre
explique à voix basse ce qu’est le sexe dans toute sa complexité :
Crée par Dieu, le sexe a produit les Hommes dont la moitié sont des femmes .Pour jouer avec ces
deux moitiés, il fait embraser une frénésie extrêmes et éphémère : le plaisir charnel .Les Hommes
y trouvent une sorte de félicité dans ce plaisir même s’il est moins plein que cette félicité, il arrive
à se substituer à elle .Cette ambiguïté est une des facettes du tourment originel. 998
Ce discours prend appui sur les propos du vieux prêtre psalmodiant les contours du
plaisir charnel tant convoité par les Hommes, à ses destinataires qui s’exclament dans
l’harmonie :-Et l’Amour, c’est quoi? L’énonciateur invoque Dieu pour valider ses assertions
et convaincre sans difficulté aucune Iness et Neil qui le questionnent pour de plus amples
informations sur l’ambiguïté de l’homme face à l’Amour charnel tout en faisant fonction de
co-énonciateurs validant ses propos : Paradoxalement, c’est aussi l’alchimie de la vie .Tous
les hommes ne veulent pas mourir avant de découvrir l’Amour…..Au bout du compte, ceux
qui réussiront se découvriront eux-mêmes.999
Se voulant pragmatique, l’instance discursive développe un espace de signification par
le truchement de la construction générique impliquant tous les hommes dans leur rapport
complexe avec l’amour et instaure l’idée d’un monde qui cumule deux propriétés à priori
incompatibles que sont l’amour et la mort. Une telle combinaison paradoxale ne s’installe que
par rapport à ce présent qui génère sa propre vérité, dépassant toute coïncidence d’un procès
avec le repère qu’est l’acte d’énonciation jusqu’à en faire une déclaration de principe,
éventuellement affranchie de la coïncidence vraie à l’énonciation, suspendant même au
besoin l’inscription en réalité. 1000

1.12. Amour et liberté

La jeune targuie accule son amant ; elle le met au pied du mur sur un ton injonctif
plutôt agressif. Pour elle, le véritable amour nécessite un besoin d’attention permanente et ne
peut se vivre sans partage en vue de restituer ce que les autres lui ont consenti : l’Amour se
nourrit de nos inclinations, de nos fantasmes. Il restitue ce que nous lui avons donné(…)
l’Amour sans l’attache de l’être n’est pas raisonnable.1001

997
C’est le sexe qui est la préoccupation majeure de leur temps, On dirait le Sud., p.207
998
Ibid., p. 207
999
On dirait le Sud p. 207
1000
Maingueneau, Dominique, Ibid., p.133
1001
.On dirait le Sud, pp .157-158

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L’Amour partagé est le fruit d’un équilibre que seules les femmes amoureuses savent
conserver. Elle considère que l’être aimant se doit de constamment faire preuve d’une
bienveillance condescendante à son égard pour en être, de surcroit, une preuve d’amour et non
d’infériorité.
Dans le désert parallèle, Iness apparait, à l’image de ces femmes targuies aimées et
aimantes dans ce désert que les hommes bleus considèrent tel un indispensable refuge à leur
survie. Lorsque le couple accompagné de la chamelle blanche traverse un lac aux eaux
scintillantes, elle répète le poème des amants récité lors de leur première rencontre au bord de
la guelta.
Elle s’en approprie les rimes tout en l’altérant pour dire leur errance- dans le monde
lugubre et chimérique qui les a attirés depuis leur bannissement de l’oasis- qui se parachèvera
dans un mortuaire épuisement au fond du lac liquéfié :
Et le sable se liquéfie sous un soleil de sang. Et le temps oublie ses errants, réveillant les djinns
en les offusquant .Et le ciel s’embrouille du levant au couchant .Et le lac trompeur envahit le
désert en l’affligeant .Et tous les cœurs se serrèrent pour longtemps, très longtemps. Les mirages
attirent les amants qui finissent par périr d’inanition. 1002
Insensible aux jérémiades rimée de sa compagne et hypnotisé par le scintillement
multicolore de l’immense lagon aux eaux scintillantes, Neil s’y engouffre avec sérénité dans
l’eau respirable du lac. C’est alors que la voix féminine le relaie pour lui dire son
incommensurable amour :-je t’aime Neil, je t’aimerai dans toutes les situations.1003
Puis, en sortant du lac, ils se retrouvent face à leur copies Liès et Senin qui eux n’ont
pas été capables de préserver l’amour qui les aurait mené à la liberté. Depuis, n’ayant pu
harmoniser leurs émotions et inclinations pour accéder à la liberté, ils se retrouvent piégés,
emprisonnés dans ce mirage et avouent qu’ils ont compris tardivement l’essentiel .Leur
discours direct est tranchant à ce sujet dans cette scène énonciative :
-Nous sommes condamnés à rester ainsi captifs de notre fantasme Parce que nous n’avons pas
eu de courage et d’obstination pour continuer notre quête, alors nous vivons uniquement nos rêves
sans jamais les réaliser. Le pire, c’est que nous avons compris trop tard. -Qu’est- ce qui est
tard ? Interroge Neil Cette fois, c’est Neil qui répond : -Tard pour accéder à la liberté d’évoluer -
Qu’est-ce qui vous a empêché de l’entamer ?-L’incapacité d’aimer totalement. 1004
Durant cette conversation, leurs alter-égos définissent unanimement leur conception de
l’amour total- consubstantiel à celle de la liberté- auquel ils n’ont pu accéder à ce

1002
On dirait le Sud, p. 70
1003
Ibid., p.70
1004
Ibid., p. 74

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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jour : L’amour est l’évolution qui attend l’être humain pour accéder à la liberté .Croire que
la liberté peut se gagner sans l’amour c’est croire que la Lune peut briller sans le Soleil (…)
nous n’avons pas su harmoniser nos émotions et nos inclinations. 1005
Ces propos sur la consubstantialité de l’amour et la liberté-que les protagonistes
avouent n’avoir été en mesure de cerner en amont de leur errance en harmonisant leurs
émotions et inclinations -donnent au contenu du discours le sens d’une vérité incontournable.
Pour Neil, Amour et la Liberté se confondent au moment où il explique à la jeune
targuie sa théorie de l’amour du couple toujours enclin à glaner des émotions çà et là en vue
de le nourrir de nos fantasmes et inclinations pour le partager et le multiplier en même
temps .Cet amour-là est d’une générosité telle qu’il restitue à celui qui le partage de la sorte
l’amour consenti au préalable : -Alors il restitue ce que nous lui donnons .Lorsque nous le
partageons, il se multiplie. Je préfère un amour qui nous éclaire même s’il devait mettre au
jour nos envies et nos pensées les plus secrètes à un amour qui nous aveugle et nous plonge
dans l’opacité des sens.1006
Nous constatons ici que l’énoncé fonctionne comme un discours argumentatif versant,
en quelque sorte, dans l’excès par le procédé de la généralisation. L’emploi de courts énoncés
percutants introduits par l’adverbe alors et la conjonction lorsque exprimant respectivement
la conséquence et la simultanéité synthétisent la définition de cet amour éclairant qu’en donne
l’instance énonciative. Le passage du je au nous dans le dernier énoncé illustre à son tour ce
passage d’un plan énonciatif à l’autre tout en engageant sa parole dans une perspective de
généralisation en vue d’ emporter l’adhésion du co-énonciateur .Ainsi , par ce phénomène de
polyphonie , l’instance énonciative garantissant la vérité de cet énoncé n’est plus ce je
particulier mais un nous représentant la voix collective , référant à tout individu en proie à cet
amour partagé .

1.13. Amour platonique

L’amour que Zaina connu dans sa pérégrination onirique est l’image lénifiante de Neil
qui s’est manifestée sporadiquement à la fois dans ses songes bleus et dans le reflet du miroir
sans tain. Ces apparitions virtuelles du visage d’un inconnu lui font prendre conscience de son
manque d’amour et de la souffrance qui en découle .Privée de ses instincts voluptueux, elle
s’interroge sur cet amour ressenti au plus profond d’elle-même : Ah ! L’amour, est-ce celui

1005
On dirait le Sud, p.75
1006
Ibid ,. p. 93

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qui reste ancré dans mes entrailles et me fait tant souffrir ? Les seuls endroits où je l’ai
ressenti, c’est dans mes voyages virtuels, mes rêves bleus, et dans le reflet d’un miroir. 1007
Lors de sa rencontre avec Zaina dans le caravansérail, Mouloud le chef des hommes
bleus explique que leur idylle ne peut être que platonique car l’amour ne peut être le mieux
vécu que dans son intensité et sa sincérité .Cet amour ne peut s’altérer au fil du temps et ne
peut se clore dans la souffrance puisque leur idylle considérée en dehors des aiguilles du
temps reste éternelle au moment où chacun d’eux poursuivra sa route tout en préservant leur
passion mutuelle dans le cœur :
Notre relation est éternelle puisqu’elle ne tient plus compte des jours, des mois, des années .Notre
amitié restera dans l’espace qui nous entoure, elle sera partout et dans tout, dans toutes les fleurs
que tu cueilleras, dans la fragrance des matins cléments, dans l’eau des puits que tu puiseras,
dans le sable qui sentira la chaleur de nos corps, dans chaque étoile, elle brillera de mille
éclats.1008
Les phrases aux groupes nominaux constitutifs de la réponse apparaissent comme
procédé syntaxique soulignant l’importance de cet amour teinté d’amitié .Ce dernier qui s’est
propagé, incrusté dans l’espace pour une durée illimitée, et à l’abri du temps pour l’éternité
s’avère être un authentique capital, une richesse, un plus en leur faveur. Il devient même
rempart aux tourments et souffrances qui ne cessent de la faire souffrir durant sa
pérégrination. L’emploi du futur simple restera, sera, et brillera marque une forme de mise
en continuité prise en charge par l’énonciateur avec la situation d’énonciation .Ce dernier lui
révèle que seule cette force enfouie en elle et qui n’a jamais cessé de la protéger des aléas de
la réalité du désert des hommes :Il n’y a que l’amour qui pouvait te donner la force pour
affronter tout ce que tu as enduré1009. Pour la jeune femme, cette aventure platonique qui se
termina par un long baiser s’est révélée aussi ardente que mille étreintes au moment de leur
séparation. Elle exprime son ressenti à travers une auto-interrogation ayant une valeur
sémantique constative de ce sentiment de bien-être en décalage avec la situation de séparation
: Pourquoi ne suis-je pas triste, après ma séparation avec Mouloud ?

1.14. Amour Absolu

Neil est parti en quête d’une nouvelle existence pour réapprendre à aimer car il
considère que l’Amour possède la force de modifier le cours des évènements si on est capable

1007
On dirait le Sud,p.194
1008
Ibid., p.243
1009
Ibid., p.243

289
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

d’harmoniser ses émotions et inclinaisons (ce que n’ont pas réussi à faire Liès et Senin
rapportant les causes de l’échec de leur quête existentielle au couple adultérin) d’autant que la
liberté ne peut se gagner sans amour. Neil, tout en mesurant l’Amour d’Iness à son égard,
aspire à donner aux autres ce qu’il y de mieux de sa personne à savoir : son amour, son âme,
sa quintessence.1010
C’est en ce sens qu’il veut faire admettre à Iness l’idée de la partager avec une autre,
ce qu’elle récuse de manière péremptoire. Sa conception de l’Amour s’avère rituellement libre
et sauvage. Tandis que Neil a une conception de l’amour plus ouverte, plus souple : pour lui,
le véritable amour est celui qui résiste au temps. L’amour du songe lui fera vivre l’amour
véritable, rêvé, force occulte qui lui permettra de vivre une autre vie dans une autre réalité
présente .Le naufragé du désert ne désire plus vivre un amour enflammé une fois au point B
114. Ses amours polysémiques ne lui ont jamais permis de faire un choix inopérant sachant
que ses deux amours, ses deux femmes constitueront à l’avenir les deux pôles de sa nouvelle
existence : elles seront le Nord et le Sud de ma planète.1011En effet, lors de son entrevue avec
Zaina au point B 114, il lui répond clairement ce qu’il à proposer en dehors de ses rêves et de
ses ambigüités : Rien d’autre que l’Amour.1012 Sauf que cet amour qu’il se propose de donner
n’est pas celui d’une union charnelle qui perdurerait dans le temps, il s’agit d’un sentiment
intense et magique, d’un amour absolu issu de leur extraordinaire rencontre marquée du sceau
d’une intense brièveté enfouie et ancrée en lui et ce au moment même de leur séparation : -
C’est seulement à l’heure de la séparation que l’amour mesure sa propre profondeur.
Magique est notre rencontre, incroyable sera notre relation. Aussi courte que soit sa durée,
son intensité est immense et restera définitivement en moi. 1013
Ce discours au style direct charrie des expressions qui relèvent à l’évidence d’un
vocabulaire caractéristique d’une rencontre amoureuse d’une rare intensité. Nous constatons
une contamination lexicale 1014 de l’énoncé destinée à briser les discours mensongers sur
l’amour auquel son allocutaire aurait jusque-là été confrontée. L’emploi de termes
profondeur, magique, incroyable et immense intensité met en exergue une manière singulière
de cerner et de vivre cet amour découvert et ressenti lors de l’intense et incroyable rencontre
amoureuse.

1010
On dirait le Sud, p. 232
1011
Ibid., p. 280
1012
Ibid., p. 279
1013
Ibid., p. 280
1014
La contamination lexicale est un cas particulier d’un phénomène plus général (...) et qui est aussi connu des
stylisticiens sous le nom de « pseudo-objectivité » ou de contagion stylistique, Maingueneau, D., Ibid., p. 197

290
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Dans une autre scène énonciative, l’amour absolu est de mise lorsque la vieille
chiromancienne exhorte la jeune femme à retourner au point B 114 et lui énonce au style
direct les raisons du retour : Pour faire du désert du temps celui des Hommes .Pour empêcher
le rêve de devenir réalité .Pour confiner l’Amour à sa plus simple expression, c’est -à-
dire…. 1015. La voix énonciative suspend son discours de manière péremptoire pour user de la
fonction phatique du langage par un énoncé injonctif visant à interpeller son allocutaire et à en
obtenir sa pleine adhésion : Ce n’est pas en fuyant tes tourments que tu les dissiperas. Vas au
point B 114.1016
Finalement , la chiromancienne n’a pas tenu à compléter ses propos par une
explication claire qui permettrait à la jeune femme de cerner définitivement cet Amour absolu
qu’elle se doit de trouver au point B 114 .Elle se contentera de la renvoyer aux signes de sa
main et à l’agréable surprise qui clôturera son errance après l’avoir incitée à rejoindre le point
B 114 : -Je peux te rassurer, il ne te reste que le meilleur à vivre , le pire tu l’a laissé
derrière. Quoique tu seras bien surprise, ma petite .Agréablement surprise.1017

2. Amour Spirituel

L’Amour du divin que recherchent les personnages en errance et dont parlent tous les
protagonistes du discours et de la fiction est sans conteste en rapport avec la foi ancrée en eux,
avec leur spiritualités censées les mener à recouvrer leurs identités. L’analyse des différents
discours sur l’amour spirituel du divin permettra de mettre en exergue son caractère à la fois
complexe et multidimensionnel .En effet, s’il peut être hypocrite, fourbe et trompeur, cet
amour spirituel éternel, liant entre le rêve et le tangible, ne peut être qu’authentique, vrai et
salvateur. Dans On dirait le Sud, nous découvrons dans les discours des personnages cet
amour absolu substance première des choses-énergie libre et indomptable prometteuse de
bonheur une fois l’aigre de l’existence bue jusqu’à la lie. Dans LSD, le dispositif discursif mis
en place permet l’énonciation de cet amour absolu et miséricordieux fondateur de l’homme et
de l’univers, du Tout et du Rien, du début et de la fin d’une instance discursive divine qui se
définit elle-même comme le chiffre qui calcule et résout le rêve et le tangible.

1015
On dirait le Sud, p.195
1016
Ibid., p.196
1017
Ibid., p.196

291
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

2.1. Amour fourbe


Dans On dirait le Sud, l’amour fourbe apparait à travers la folle pieuse du point B 114
qui, consciente de son manque d’amour et avant de se recouvrer sa foi, se met à invoquer
Dieu dans un rituel absurde emprunt de folles incantations. Après avoir renoncé à pourchasser
l’image d’un Dieu auquel elle ne croit plus, elle se met à l’implorer pour ne pas sombrer dans
une folie encore tourmentée :- Seigneur faites que je ne devienne pas folle ! Que mes
cauchemars cessent, pingre de vie ! Répète inlassablement en chapelet Zaina à longueur de
journée.1018Puis, c’est à travers un discours narrativisé et devant l’absence de compassion
qu’elle se remet à l’adoration de Dieu qui, jusqu’à présent, s’est présenté à elle dans une
configuration diabolique. La folle pieuse n’arrive plus faire à entretenir l’auto-flagellation de
son ego. Elle se met alors à adorer Dieu1019 par de fourbes supplications trompeuses feignant
l’amour du divin.1020Les deux fragments signalés par le verbe introducteur vocifèrent, les
guillemets et le présent déictique que l’on retrouve dans les citations au discours direct
constituent le dispositif énonciatif des supplications colériques de la folle pieuse.

2.2. Amour éternel

L’amour éternel du divin apparait au moment où la vieille aveugle rencontrée dans une
hutte au toit de palme invoque l’amour de Dieu inné en Zaina qui se doit d’en avoir
conscience pour construire l’échafaudage qui lui permettra de parvenir à jusqu’à Lui .Cette
dernière demeure dans l’expectative : elle ne pense pas avoir réussi à raisonner sa folie grâce
à l’amour de Dieu auquel elle n’hésite toutefois pas à lui faire un certain nombre de
reproches : Et Dieu, pourquoi ne voulait-il pas m’écouter ? Il a fallu que Noure intervienne
pour me faire évader de la folie .D’ailleurs en suis-je sortie (…) de ce côté j’ai réussi à
raisonner ma folie enfin je crois .Grâce à qui ? Dieu, Noure, moi ?1021
Une telle tergiversation de sa part met à nu ses persistantes incertitudes qui altèrent
sporadiquement sa foi et illustre aussi son incapacité provisoire à cerner son amour de Dieu.
La voix de la vieille femme est énonciatrice d’un discours pédagogique à son égard afin de
l’aider à accepter l’aigreur de la vie et les tourments qui perdurent dans son esprit. Pour elle,

1018
On dirait le Sud, p.176
1019
Après l’avoir supplié de la soustraire à cette folie qui s’étale partout autour d’elle, remplissant tout l’espace
de l’intérieur et de l’extérieur et agacée par la défection divine dans cet univers clos et sans espoir de
rédemption, la démente vocifère au style direct : Mon Dieu , faites que je ne devienne pas folle ! Que mes
cauchemars cessent, dingue de vie, Ibid., p.176
1020
La jeune pieuse s’entête subitement à l’adorer, faute de mieux, en l’abreuvant de suppliques stériles et
fourbes, Ibid., p.177
1021
On dirait le Sud, p.193

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

on ne peut apprécier la douceur de l’existence que si l’on en a éprouvé les aigreurs. Zaina
réalise enfin que, malgré l’impression de chaos due à ses élucubrations oniriques, une
synchronisation de l’aigre-doux devient quelque chose de réalisable. D’emblée, le discours de
la chiromancienne se fait pédagogique en martelant le fait que Dieu est synoptique alors que
les détails sont humains. Elle considère aussi que ce processus d’un allant vers la sagesse se
substitue à sa folie sans qu’elle ne puisse s’en rendre compte. Nous voyons bien que les deux
instances discursives n’ont pas la même conception de l’amour de Dieu :
Alors que la jeune Je te parle de l’Amour, le vrai .Celui qui est éternel .Celui qui n’obéit pas au
temps, qui enveloppe tout l’espace qui fait tourner le soleil, briller les étoiles, déplacer les dunes
et dresser les montagnes .L’Amour est le liant des choses, il les empêche de mourir .Il fait en sorte
que les destins se croisent pour n’en former qu’un. Alors, il te faut croire en lui et ne jamais cesser
d’espérer, même s’il est doute ou certitude il reste le lien entre le rêve et le tangible.1022
L’instance énonciative met aussi l’accent sur la nécessité de goûter à l’aigreur de la
mort pour pouvoir apprécier la douceur de la vie et donner un sens à l’existence. Elle explique
à sa jeune homonyme qu’elle est en train de vivre cette inéluctable dualité de l’existence qui
l’amènera à apprendre à regarder avec son cœur et synchroniser ses sensations dans une
parfaite harmonie :
On ne peut pas vraiment comprendre la vie tant qu’on n’a pas aussi couché avec la mort, car c’est
cette dernière qui donne un sens obligatoire à l’existence. On ne peut pas savourer l’amour tant
qu’on n’a pas flirté avec l’aversion ; dès lors qu’on a goûté l’aigreur, on apprécie mieux la
douceur.1023
L’amour spirituel est qui permettra à la jeune femme de se débarrasser du désert de ses
tourments en confirmant l’amour à sa plus simple expression. Tout cela est écrit dans les
lignes de sa main scrutée par la chiromancienne qui lui révèle qu’elle ira au bout de ses
fantasmes pour qu’une vie douce et lénifiante se substitue à celle tourmentée, aigre et
cauchemardesque :-Tu as presque terminé tes pérégrinations .Dans peu de temps, tu le
trouveras changé (…) il ne te reste que le meilleur à vivre, le pire tu l’as laissé derrière
Quoique tu seras bien surprise, ma petite .Agréablement surprise. 1024
Tous ces fragments de discours au style direct liés au couple interlocutif je-tu incluent
des vocatifs, des constructions impératives, des propos fondés sur la modalité d’énoncés
constatifs et appréciatifs provoquant l’adhésion de l’allocutaire à son inéluctable retour au
point B 114.

1022
On dirait le Sud ,p.194
1023
Ibid., p.193
1024
Ibid., p.198

293
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

2.3 Amour salvateur

L’Amour vrai et éternel décrit par la vieille chiromancienne peut s’apparenter à celui
salvateur que décrit Mouloud dans le caravansérail et à celui substance première dont parle
Neil le jour d’après au point B 114.Mouloud , le chef des hommes bleus, tente de faire
comprendre à sa nouvelle amie que seul l’Amour lui a permis de tenir le coup et d’affronter
avec courage les élucubrations cauchemardesques de son esprit tourmenté.
La voix énonciatrice de Mouloud s’approprie cet Amour salvateur pour mettre en
lumière ses caractéristiques que la jeune femme méconnaissait à ce moment-là : Il n’y a que
l’Amour qui pouvait te donner la force pour affronter tout ce que tu as enduré(…) l’Amour
n’obéit à aucune loi, sinon la sienne. Lorsqu’il débarque, aucune volonté ne peut l’empêcher
d’agir. 1025
Dans un discours narrativisé assumé par un narrateur distancié (narrateur zéro) qui
commence à la non-personne , Zaina prend conscience de cet Amour décrit par tous ces
bienveillants que sont Noure, la vieille aveugle et son expérience platonique avec Mouloud lui
ont permis d’aborder les évènements en lui inculquant la force de ne pas baisser les bras et de
poursuivre son errance : Maintenant , elle en est persuadée (….) cette force s’appelle tout
simplement l’Amour .1026

2.4. Amour et Créations

L’Amour force occulte et substance première apparait dans les propos de Neil quittant
sereinement le point B 114 convaincu qu’il aura été le lien1027 entre les deux femmes. Dans un
premier temps, il soliloque que cet Amour, force occulte l’a non seulement contraint de
continuer son errance mais le ressent en son for intérieur comme cette éternelle substance
première à l’origine du Tout :
Ces repères antinomiques, magnétiques donnent finalement un sens à la vie parce que nous
sommes tous connectés à une formidable énergie, la substance première avec laquelle ont été
construit l’espace, les étoiles, la Voie lactée, notre terre, la nature et enfin nous, les êtres humains
et les autres. 1028
Dans un second temps, l’instance discursive insiste sur la puissance de cette
indomptable force eu égard à la faiblesse des êtres .Elles se met à énumérer tout ce que cette

1025
On dirait le Sud, p. 243
1026
Ibid. p. 246
1027
NEIL=LIEN
1028
On dirait le Sud, p .293

294
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substance première est en mesure d’apporter, non seulement à l’être dans son cheminement
existentiel aigre-doux mais aussi et à l’univers dans son intégralité :
Cette force nous conduit là où elle veut, car nous sommes faibles devant elle. Elle modifie tout
parce qu’elle est libre et indomptable. Elle nous oblige à croire aux chimères dans la mesure où
elle véhicule l’espoir, nous fait supporter la douleur puisqu’elle nous promet le bonheur, nous
rend insensés, nous permet de boire l’aigre de la vie jusqu’à la lie, mais elle est douce. Elle nous
accompagne du début jusqu’à la mort, elle reste éternelle. Cette énergie s’appelle l’Amour.1029
Tel est l’argumentaire clôturant l’errance de celui qui venait de vivre son rêve et de
parfaire sa palingénésie grâce à ses fantasmagoriques élucubrations. Nous remarquons que le
passage à la non-personne par l’emploi itératif du pronom elle, substitut du substantif force en
tant qu’entité est convoquée par l’instance énonciative lui attribue un rôle de co-
énonciateur1030invisible doublant par la même l’allocutaire immédiat. Ce discours rapporté,
marqué typographiquement par les guillemets et dépourvu de déictiques spatio-temporels
mobilise un présent atemporel qui l’inscrit dans un monde idéalisé perçu de l’extérieur et
coupé de la situation d’énonciation en question.
En outre, dans LSD a lieu un dialogue entre Lucy et le divin qui devient l’instance
énonciative principale d’un discours direct ayant trait à ses spécificités intrinsèques et à ses
attentes vis-à-vis de l’homme. A la question de Lucy ayant trait à ses attentes, le divin se
définit à juste titre comme la condition sine qua qui permettra à l’homme de mieux se
connaitre, d‘aimer et de se rapprocher de son prochain pour lui préciser son rôle capital dans
le processus de création du Tout :-Qu’attendez-vous de l’Homme ?
-Qu’il aime .L’Amour, en vous aimant les uns les autres, vous vous rapprochez de
vous-même. L’Amour est le liant de mon œuvre, c’est ce que j’ai dis, c’est ce qui est
écrit.1031La seconde caractéristique que le divin énonce sur lui-même est qu’il se définit
comme l’Amour total et absolu, auto-suffisant, à l’origine du Tout et du Rien, de
l’infinitésimal à l’infiniment grand, de la création de l’univers : - Quant à moi, je n’ai besoin
de rien puisque je suis Amour, je suis Tout et Rien, le début et la fin, l’immensément grand et
l’infiniment petit et tout cela en une seule unité qui ne se chiffre pas, qui ne s’additionne ni ne
se soustrait . 1032

1029
On dirait le Sud, p .294
1030
La notion de coénonciateur s’inscrivant parfaitement dans la conception interactionnelle du langage
considère que tout discours est une construction collective, selon Kerbat-Orecchioni, Catherine. Les
interactions verbales. Tome 2, Paris, Armand colin, p.13
1031
LSD,p.136
1032
Ibid.,p.136

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

La troisième caractéristique divine est le fait que l’instance énonciative divine se


caractérise elle -même non seulement comme le chiffre mais comme l’Absolu, le Tout auquel
l’on croit sans pouvoir le voir : - Je suis le chiffre qui n’a pas de mesure ni de sens, qui
calcule et résout tout le seul rêve réel ; le néant qui surgit du néant. Vous croyez en moi et
pourtant nul ne peut me voir (...) ceci est de l’Amour absolu.1033
Nous constatons que le je divin intervient de deux manières dans deux situations
d’énonciation qui se superposent marquant sa présence en s’adressant indirectement à Charles
et à l’humanité entière par l’intermédiaire de Lucy l’australopithèque chargée de relayer les
propos du divin .
Dans la continuité de ce discours direct, l’instance divine prend la parole pour mettre
l’accent sur la nécessité de faire preuve de rigueur et de pointillisme pour pouvoir interpréter
sa parole. En ce sens, Elle fustige ceux qui ne sont pas dans cette optique et qui finissent par
penser la possibilité de se substituer au divin, ceux qui agissent en son nom sans avoir été
autorisés à le faire et ceux qui au nom de leur intelligence scandent que Dieu n’existe
pas .Finalement, elle évoque avec certitude ceux qui découvriront la réalité de son existence :
D’autres découvriront que je suis tout simplement. 1034

2.5. Amour, morale et miséricorde

Dans LSD au-delà des religions qu’elle n’a pas connues, Lucy parle à Charles de sa morale
fondée sur l’Amour et la Miséricorde ne s’inscrit pas dans un étiquetage d’immoralité de
règles de conduites qui mènerait à un éventuel salut ou à une sanction post-mortem. Sa morale
singulière se fonde sur une profonde conviction que la magnificence divine qui entoure la
création ne peut être qu’Amour et Miséricorde. D’ailleurs la certitude de son existence l’a
menée à une prise de conscience d’elle -même. Charles, quant à lui, découvre qu’il représente
1035
la synthèse de deux antagonistes en tant que dépositaire du germe de la discorde et de la
paix et d’un esprit analogue à celui de la communauté verte: Je sais que tu portes en toi le
germe de la discorde inconsciente et aussi le germe de l’amour et de la paix (…) c’est pour
cela que tu as rejoins, dans l’esprit, une communauté qui croit en l’Amour et la Paix. 1036
Dans ce discours ressurgit la parole de l’instance énonciative principale comme acte
illocutoire révélateur de l’essence même du co-énonciateur en établissant une relation logique

1033
LSD, p.136
1034
Ibid., p.136
1035
Créationnistes et évolutionnistes
1036
LSD, p.130

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de cause à effet. En effet, l’argumentation dans le discours du locuteur se constitue de


segments discursifs à prédicats fonctionnels tu as rejoins et qualifiants tu portes en toi
visant à légitimer sa future mission de refondation de l’humanité.
Dans une autre scène énonciative avec Lucy, l’instance discursive divine anticipe non
sans une certaine affection la question que la guenon n’a pas encore osé lui poser : celle ayant
trait aux raisons qui l’ont incité à créer le monde .Cette dernière répond de manière
péremptoire à cette cruciale interrogation : Lucy, je vais répondre à question que tu n’oses
poser (…) pour l’avoir fait, ce monde ? Eh bien, ma petite Lucy, je te le dis : par raison … en
somme par Amour-oui- Par Amour car j’aime et c’est le Tout.1037
Ces propos tenus par le créateur lui-même confirment l’Amour comme socle fondateur
de sa création. Telle est la vérité de ce Dieu-Amour énonçant qu’il a créé le monde plus par
Amour que par raison.
Il est indéniable que pour mieux intensifier son discours- de et sur l’Amour du divin
intervenant en tant qu’instance première - prend de l’expansion et prolifère par la récurrence
de segments discursifs prônant l’amour et la miséricorde pris en charge par diverses instances
discursives .Ainsi , Lucy rétorque au jeune Darwin à quel point l’amour et la miséricorde sont
les piliers de sa morale spirituelle divine différente de celle des religions monothéistes
révélées à postériori :
-Et toi, quelle est ta morale ? Pardon, je voulais dire ta position …ta vision des choses.
-Ne t’excuse pas (…) Ma morale ne s’inscrit pas dans un grand registre des débits et crédits sur
lequel se déterminerait un salut ou une punition post-mortem. La seule chose qui me guide est le
sentiment puissant que la magnificence qui entoure la création ne peut être qu’Amour et
Miséricorde. 1038
Il est évident que l’acte illocutoire mettant en lumière l’Amour du divin est destiné à
convaincre un co-énonciateur complètement ignorant de ce que peut être la morale spirituelle
de l’énonciatrice en usant de la fonction phatique dans cette perspective sans pour autant
décrier celle des religions monothéistes.

1037
LSD, p.140
1038
Ibid., p.126

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D’emblée, La relation de l’être au divin peut être cernée à travers le prisme du temps
que les instances énonciatives tentent de s’approprier lorsque celui-ci ne prend pas le dessus
sur leurs existences. De quelle manière perçoivent-ils la mécanique du temps ? Pourquoi les
protagonistes de l’histoire s’imposent-ils des voyages initiatiques à rebrousse-temps ? Quelles
sont leurs conceptions respectives du temps ? Quelles sont leurs conceptions respectives du
temps ? Comment le créateur du temps perçoit- il la relation complexe entre ses deux
créations : les hommes et le temps ? Comment perçoit-il le temps humain ? Pourquoi avoir
adapté le temps à l’homme ? Pourquoi avoir en contrepartie permis à l’homme de s’approprier
le temps à sa guise pour alimenter anthropocentrisme et annihiler son futur en ayant pris le
temps de muer en redoutable prédateur ? Comment, en définitive, le divin se définit lui-même
pour préparer cette nouvelle humanité où les prérogatives divine et humaines entérineraient sa
transcendance absolue et où l’homme retiendrait les leçons du passé sur des bases plus
spirituelles ?
Dans un second temps, nous montrerons que le discours qui a trait au divin s’articule aussi en
dehors du prisme de la temporalité. Comment les protagonistes du discours ontologiques le
définissent-ils? Quels dispositifs énonciatifs mettent-ils en place pour dire leur perception du
divin ?

1. L’Etre et le Temps

Dans Aigre-doux, nous découvrons que le temps peut muer en moult états à propos
desquels l’instance énonciative première s’engage dans une réflexion au moment où elle
prend conscience, que le temps passe, incalculable, tantôt comprimé, tantôt dilaté1039au sortir
d’un sommeil halluciné - dans un jardin dévasté- relative à la relative à la déflation du temps
qui s’accapare les existences humaines.
Sa relation au temps devient évasive au fil de son errance : Guidé par sa boussole
désaimantée, l’instance discursive se découvre incapable de mesurer avec pointillisme le
temps qui passe durant son errance, allant jusqu’à douter de sa propre existence : Cela fait
maintenant plusieurs mois, siècles, jours ou plusieurs rien du tout-et si je n’ai jamais existé –
que je suis parti de chez moi.1040
Cette relation entre l’Etre et le temps se retrouve à travers une profonde envie de
l’instance première de cerner un point de départ temporel pour pouvoir continuer son errance

1039
Aigre-doux, p.135
1040
Ibid., p. 213

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et faire perdurer sa quête identitaire. Elle s’interroge alors dans un ultime questionnement sur
d’éventuelles conséquences si elle osait demander au temps de tout arrêter, de se figer à ce
moment-là : -Je suis persuadé qu’il me faut une origine pour évoluer, un starter comme point
d’appui. Que pourrait-il m’arriver de pire si je décidais de m’arrêter, de me figer pour le
restant de mon temps.1041
Le temps s’est figé sur son zénith, le moment de se venger est venu, l’instance bloque
les aiguilles de sa montre dans sa tête pour ne plus vieillir, pour devenir le grain de sable logé
dans un sablier qui se bat contre la gravité pour ne plus appartenir au passé et devenir
obsolète : - Je suis un grain de sable logé dans un sablier qui refuse de se laisser entrainer
par ses pairs, vers le bas .Un grain qui se veut rester présent, car en bas c’est déjà le passé -
un grain tombé est comptabilisé comme écoulé donc obsolète.1042
Ce discours direct libre en italique- caractérisé par l’absence de ponctuation marquant
qu’il s’agit de discours direct- est aussi signalé par un discours citant qui l’introduit dans un
assoupissement hors du temps d’un je de discours grâce auquel on glisse d’un plan
d’énonciation à un autre tantôt comme protagoniste du discours tantôt comme narrateur
distancié décrivant la mécanique du temps bloquée par la particule figée au comportement
prétentieux. Ce glissement énonciatif est illustré par l’abandon du pronom je sujet de
l’énonciation. N’étant plus en position d’énonciateur, le déictique personnel je cède sa place
déictique il qui suppose l’intrusion d’une subjectivité narrative qui prend le relais pour
expliciter les agissements de la particule de temps rebelle :
Le petit grain de sable se bat, il récuse cette gravité qui le pousse vers l’histoire. Le gouffre de
l’antériorité le guette à chaque seconde .Il sent ses forces l’abandonner, il ne veut pas vieillir, se
sédimenter avec les anciens du bas. La vie est en haut ; dessous, il n’y a aucune perspective (…)
Le grain de sable rebelle voit ses semblables aspirés par l’étroit conduit qui sépare la vie de la
mort. Le candidat à l’immortalité cogne tous les autres petits grains qui viennent s’accrocher à
lui. Son obstination et sa témérité sont remarquées par les autres particules de sable. Des grains
de plus en plus nombreux l’imitent. On assiste alors à une recrudescence de dissidents qui ne
veulent pas subir les affres du temps, ne voulant pas être la matérialisation du passé. 1043
Ce qui ressort de ce fragment, c’est la constante présence du narrateur omniprésent
rapportant le point de vue du grain de sable rebelle à l’écoulement indéfectible du temps qui
passe. Ce dernier finira par se sentir coupable au moment où l’insurrection prend de
l’ampleur. Pendant ce temps, d’autres particules traditionnellement pacificatrices désireuses

1041
Aigre-doux, p. 216
1042
Ibid., p .216
1043
Ibid., p. 217

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de désancrer le temps de l’immuabilité, s’interrogent sur la démarche idoine qui permettrait


de désancrer le temps de son immuabilité. Pour cela, le narrateur rapporte leurs voix à travers
dans les fragments discursifs suivants :
-Comment faire pour passer le temps dans son temps si ces parcelles refusent de s’exécuter à
temps ? Se demandent certains sédiments qui réfutent ces agissements à contre-courant.
- Que faire pour délivrer ce temps prisonnier et rattraper les temps perdus ?crient les graines
loyales à la tradition, à travers les verres polis par les dogmes du temps . 1044
Là, on renoue avec le plan d’énonciation discursif sans discontinuité par l’intrusion de
segments énonciatifs interrogatifs qui corroborent la présence d’un narrateur témoin détenteur
du discours citant et rapportant les manières de parler des particules graineuse.
Cette relation de l’Etre au temps est mise en lumière par des expériences de remontées
temporelles vécues à rebrousse-temps par l’instance énonciative. En effet, cette dernière vivra
une expérience forte en compagnie d’une marathonienne androgyne aux interminables jambes
qui l’invite à ce moment-là à lui emboiter le pas. Courant difficilement au rythme des athlètes
qui accompagnent la silhouette à l’étrange beauté, elle interroge l’interroge sur le sens de sa
course :-Pourquoi courez-vous tous ainsi ? Demandé- je.1045
Elle lui rétorque qu’elle remonte le marathon du temps dans le sens contraire de la
rotation de la terre, qu’il s’agit de courir pour défier le temps et faire durer le plaisir42
kilomètres et 195 mètres pour rejoindre une des portes du désert qui est aussi celui du préjugé
et de l’avidité des hommes .1046Terminant le voyage initiatique à rebrousse -temps dans
l’harmonie euphorique de leur fusion, l’instance énonciative participe alors du brouillage
narratif des événements par le déploiement d’un discours qui véhicule ses propres doutes et
tergiversations à l’issue de cette sensuelle perspiration :
Je viens de comprendre pourquoi cette silhouette ne s’arrêtera de courir .Comme elle avait raison
cette caresse, de m’entrainer dans les courbures humides des fines sculptures qui enveloppent la
marathonienne ! J’’en suis pas encore revenu, de ce voyage initiatique. Je ne sais pas si j’en suis
mort ou uniquement perdu dans mes vapeurs oniriques.1047
Dans ce discours immédiat énoncé à l’issue de la course à rebrousse-temps et que nous
constatons émancipé de toute contrainte typographique (tirets guillemets, italiques), le lecteur
se trouve pris dans la conscience profonde d’un énonciateur qui s’interroge sur ses propres
élucubrations oniriques. Ce fragment, en raison de sa tournure exclamative peut être considéré

1044
.Aigre-doux, p. 217
1045
Ibid., p.177
1046
Ibid., p.180
1047
Ibid., p.182

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

comme la représentation brute de l’évasive pensée d’une subjectivité, fait un commentaire


empathique sur son expérience de défi du Temps qu’il vient de vivre avec l’androgyne : -
Combien de cycles sommes-nous restés ensembles : une seconde, un siècle ? Le Temps s’était
suspendu sur ces instants de bonheurs. 1048
La seconde expérience de remontée temporelle jusqu’à des temps immémoriaux où les
bêtes côtoient les hommes s’effectue en compagnie de la mort-délivrance dans une voiture
conduite à contre-sens et contretemps. Des images déferlent sur le rétroviseur et de paroles
tournoient jusqu’à la collision du véhicule figé dans un isolement quasi-absolu. Cette course
effrénée les mènera jusqu’à des temps immémoriaux où les bêtes côtoient les hommes.1049
Enfin, au fin fond d’une forêt, l’instance rencontre un thaumaturge qui lui conseille
lors de leur entrevue de faire deux expériences capitales pour la continuité de sa quête. Ce
dernier lui conseille de manière péremptoire d’affronter le temps et sa propre mort pour
renaitre dans la forme la plus parfaite :
-Retourne dans le désert, regarde le avec les yeux de la compassion, ouvre-lui ton cœur et laisse le
te parler. Mais avant, il te faudra affronter le Temps, les hommes et ta propre mort pour renaitre
sous la forme la plus parfaite. Ce jour-là ton ignorance sera abolie. Elle laissera place à la
révélation. 1050
La parole impérative du thaumaturge à l’adresse du personnage en quête de lui-même
se pose notamment comme un acte de langage dont la finalité est une renaissance dans la
forme la plus parfaite. Il s’agit de l’écoulement du Temps à endiguer pour pouvoir trépasser et
renaître enfin dans une perfection corporelle. La parole alors prend l’allure d’un discours
argumentatif fort visant à orienter et amener le co-énonciateur à vivre l’expérience singulière
de la mue.
Dans On dirait le Sud, le personnage de Zaina entretient une relation singulière avec le
temps qu’elle cherche à annihiler en planant par de symptomatiques fumeries de chanvre. Elle
branche le petit écran bourré de chanvre pour planer et se consoler au-delà du réel et du
temps(…) dans ce qu’elle appelle mon monde véritable.1051 Iness, quant à elle, exprime sa
profonde désapprobation de l’idée que le temps tue l’amour que se partagent les humains,
notamment lorsque son compagnon lui s’enorgueillit en ressassant qu’inexorablement, le

1048
Aigre-doux, p.246
1049
Ibid., p.180
1050
On dirait le Sud, p.171
1051
On dirait le Sud, p.34

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

temps passe et efface tout sur son passage .Les seules traces qu’il laisse, ce sont celles qui
resteront gravées dans le cœur.1052
La targuie n’hésite guère à dire son désaccord avec la conception du temps de son
compagnon. Pour elle, le temps- qui désagrège l’amour qui ne peut perdurer que dans le
partage- doit être sans cesse combattu et l’accule pour qu’il choisisse entre elle et l’intruse
virtuelle. Finalement, Iness souhaite se mesurer au temps destructeur de son couple adultérin
pour alimenter sa profonde jalousie:-Je voudrai être une offense au temps qui passe .Je serai
de nuit comme de jour là pour toi et j’exigerai que tu ne regardes que moi.1053
D’autres préoccupations illustrent la relation de l’Etre au temps par le truchement de
propos échangés entre les personnages errants et ceux censés baliser leur quête à l’issue
desquelles ils distingueront le désert des hommes de celui du Temps. A titre d’exemple, la
vieillerie aveugle explique à Zaina que les hommes ont inventé leurs parallèles en opposition
avec ceux du temps : lorsqu’ils traversent leur propre désert, ils sont tourmentés (…) le désert
du temps n’obéit pas à la tourmente des gens, il n’obéit qu’à lui-même.1054
Pour elle, en traversant leurs propres déserts, les hommes sont tourmentés alors que
dans celui du Temps, ils s’en affranchissent pour donner sens à leur existence. Les tourments
humains ne peuvent plus l’atteindre, son désert s’avère beaucoup plus calme pour ceux qui
ont la chance de le parcourir.1055
Puis, c’est au tour de Mouloud de parachever ce qui a été inculqué à la jeune femme sur les
parallèles des Temps. Le chef targui répond sans ambages à l’interrogation de Zaina sur
l’existence de mondes parallèles croisés dans ses sommeils ou vapeurs oniriques :- Il ya des
choses que l’on ne voit pas, et qui pourtant existent (…) il n’ya pas uniquement les choses ou
les êtres qui peuvent être en parallèles, mais aussi les mondes, les univers .Seul un esprit
éveillé peut s’en accommoder. 1056
Pour lui, ces parallèles se croisent lorsque le temps n’a plus cours, lorsqu’il s’éclipse
pour laisser le destin se concrétiser, pour laisser libre cours aux errances de ceux qui
parcourent leurs déserts et tourments respectifs.
Par contre, en tant que protagoniste du discours, Neil explicite à sa compagne sa
conception du temps et les raisons qui l’ont amené à choisir de se perdre dans cette mer

1052
On dirait le Sud , p.158
1053
Ibid., p .158
1054
Ibid., p. 191
1055
Ibid., p. 192
1056
Ibid., p. 240

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

minérale et désertique pour oublier la tragédie de son naufrage.1057Enfin, répondant au


questionnement d’Iness relatif à la réalité présente dans le temps, Neil lui clarifie l’étrange
paradoxe du temps aigre-doux ainsi que la nécessaire et ambigüe interdépendance du temps et
du bonheur dans un discours déliriel au style direct :
Je pense que c’est surtout le paradoxe du temps .Je crois que le temps est la chose la plus cruelle
qui puisse nous arriver. Il y a des moments où l’on voudrait les suspendre pour vivre plus
longuement nos meilleurs instants, le remonter pour pouvoir changer et reconfigurer l’avenir afin
de savourer de furtifs présents tant souhaités. Mais il est imperturbable ce satané temps .Il coule
inexorablement et nous précipite tout de suite vers la fin de tous ces merveilleux moments du
présent. 1058
Cette néfaste et cruelle facette de la temporalité emporte dans son sillage les
instantanés furtifs de bonheurs vécus et savourés par les hommes. Dans un premier temps,
nous constatons que l’emploi du déictique je marquant la présence de l’énonciateur et du nous
généralisant réfère incontestablement à tous les êtres confrontés à l’écoulement inexorable du
temps. De plus, ce nous intégrant le je et le tu dans sa référence s’avère en mesure d’inclure le
reste des hommes pour accréditer ces énoncés constatatifs. Dans un tel contexte énonciatif,
l’instance discursive construit une sorte de scène fictive qui lui permet de se soustraire à toute
forme de situation particulière. De ce fait, nous comprenons que le nous et le présent peuvent
être perçus à la fois comme des déictiques et des éléments à référence généralisante. Quant au
temps qui passe, l’instance le diabolise ostensiblement en l’affublant du qualifiant dépréciatif
satané qu’introduit le mais d’argumentation cristallisant à son niveau sa cruauté
consubstantielle.
Dans un second temps, l’instance discursive met en lumière la facette positive et
extraordinaire du temps dans sa relation avec les hommes par des énoncés constatatifs qui
contribuent à mettre en valeur les souvenirs du passé et les aspirations du futur : - Je crois
aussi que le temps est la chose la plus extraordinaire qui puisse nous arriver(…) je le regrette
parce que je ne sais si je l’ai vécu pleinement et si j’ai fais tout ce qu’il fallait faire. J’ai
constamment peur d’avoir raté quelque chose.
Outre les occurrences de constructions verbales suscitées qui permettent à l’instance
de souligner ses états d’âme et tergiversations face à l’aigre-doux du temps, nous remarquons
la mise en place de la fonction phatique- visant à convaincre et impliquer Iness en tant que co-

1057
Pour ne pas me laisser rejoindre par mon passé, Ibid., p.165
1058
On dirait le Sud, p. 165

303
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

énonciateur- et l’instauration d’un espace de signification par le truchement de segments


explicatifs introduits par le connecteur parce que :
Etrange dilemme, ma chère Iness. Tu dois penser que je délire encore. Oui, parce que pour moi,
aigre-doux est le temps mais chaque instant mérite d’être bien vécu. C’est à partir du présent que
tout se construit : les souvenirs du passé et les aspirations du futur. Alors vivons intensément notre
présent, profitons de cette réalité présente, c’est la seule chose qui restera de nous, car personne
même Dieu ne peut effacer le passé. 1059
Il est indéniable que cette explication constitue un hymne au passé indélébile et au
présent vécu intensément pour envisager de vivre son futur sur un capital temporel constitué
de fractions de réalités présentes à jamais ancrées en nous. Obéissant à la relation logique de
cause à conséquence, cette parole explicative de l’énonciateur est destinée à convaincre sa
compagne qu’elle en est partie prenante : Si je continue à vagabonder sur ces étendues, c’est
pour récolter des parcelles de présents et cumuler toutes les réalités présentes (…).Et toi, tu
représentes un de ces présents que je désire vivre intensément. 1060
Puis, nous remarquons que ce choix de désert pour un oubli du temps amène ce
protagoniste du discours au bonheur de s’approprier librement le temps en tant que composant
d’un Tout désertique : - Je découvre le Tout. Je sens que ce Tout est constitué en partie de
moi. Je fais donc partie du grand édifice et cela me rend heureux (…) Le vide du désert me
subjugue et le virtuel de mes songes m’attire, les deux m’inspirent pour continuer ma
quête.1061
Finalement, le discours se présente comme une allocution sur sa propre perception du
temps qui lui a permis jusque-là donner un sens à sa quête existentielle. Sa modalisation
réduit la distance entre l’énonciateur et son énoncé et dépend de la manière avec laquelle il
situe l’énoncé par rapport à la vérité .Les verbes croire, regretter, avoir peur, continuer à
vagabonder sont des prédicats destinés à convaincre et à valider les assertions de
l’énonciateur en tant que subjectivité s’appropriant le temps pour donner sens à son errance.
Dans LSD, Charles Darwin vit en compagnie de Lucy une expérience temporelle
hallucinatoire dans son tourbillon régressif au moment où il stoppe son trip au LSD .A ce
moment crucial, il soliloque en son for intérieur de manière péremptoire un constat sa cabale
onirique à rebrousse -temps : -Et pourtant, je rêve toujours .C’est donc vrai ! J’ai fais un
voyage de trois millions d’années en arrière avec le sentiment d’être toujours chez moi.1062

1059
On dirait le Sud, p. 166
1060
Ibid., p. 167
1061
Ibid., p. 167
1062
LSD, p. 90

304
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Dans ce roman, la relation de l’être au temps s’instaure à travers le discours direct de


la guenon sur l’effritement de l’essence de l’homme dépourvu, avec le temps, de sa faculté de
raisonner, de s’interroger sur le sens de sa vie et sa place dans l’univers. Pour elle ,l’homme
s’est approprié le temps pour œuvrer crescendo à sa propre régression comme s’il s’agissait
de toujours privilégier un objectif ultime de survie .Cette relation au temps participe alors de
1063
son l’inéluctable régression qui n’en restera pas là puis que l’homme, dans sa frénétique
inclinaison à sa cupidité pécuniaire , sera à l’origine d’une grave omission qui l’asservira au
lieu de le servir :
-L’argent était censé être au besoin des besoins humains , mais aujourd’hui ce sont les humains
qui sont au service de l’argent (…)Dans sa cupide frénésie , il a oublié de dégager du temps libre
pour réfléchir , rêver, créer , et finalement faire prospérer l’art , la science , la pensée , la
philosophie , la culture… 1064
Telle était la part de responsabilité de la science en attendant celle de l’Eglise qui lui
inoculé l’illusion d’une divinisation qui aboutira à l’effritement des valeurs de respect et de
responsabilité constituant le socle de son essence et de son anthropocentrisme enclin à une
perfection inatteignable.
Ça c’est la part de la science, celle de l’Eglise est tout autre (…) elle lui fait croire qu’il est à
l’image de Dieu, qu’il est le seul être de l’univers à posséder les qualités nécessaires pour
demeurer au-dessus du reste. Les lieux de culte l’ont en quelque sorte divinisée.1065
Les lieux de culte ont leur part de responsabilité dans l’effritement de tout ce qui
faisait son essence en le divinisant alors que seul Dieu possède les qualités d’omniscience et
d’omnipotence. L’instance énonciative conclut par une ultime explication du processus
d’effacement des valeurs intrinsèques de respect et de responsabilité de l’homme de sa propre
conscience :
-Oui, Charles, et tout ce qui faisait l’essence même de l’homme un être responsable et respectueux
est en train de s’effriter puis s’effacer complètement .L’homme a perdu , avec le temps ,la faculté
de raisonner, de s’interroger sur son origine , sur l’univers , sur sa place dans l’univers , sur
l’esprit , le sens de la vie , la mort ou le sacré .1066
Elle explique au Maitre de Justice comment l’homme a tout simplement oublié de
vivre en omettant d’être lui-même, d’accorder du prix à tout ce qui fait son être et son
essence, à tout ce qui donne un sens à son existence. Tout cela l’amènera, dans son aspiration

1063
L’homme est en train de revenir plusieurs siècles en arrière, lorsqu’il consacrait tout son temps à sa survie,
LSD, p.68
1064
LSD , p. 168
1065
Ibid., p. 168
1066
Ibid., p. 168

305
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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à un anthropocentrisme autodestructeur, à l’omission la plus tragique qu’est l’oubli


d’appartenir à un Tout, d’être le chaînon le plus brillant d’une longue chaine. Enfin, nous
constatons que l’instance ne fait que relayer le point de vue du divin, tout en montant son
adhésion en concluant sa démonstration par des constructions anaphoriques génériques telles
que Ça , c’est la part de la science (…)Voilà les ingrédients depuis des décennies ( …) qui
ont fait de l’homme ce qu’il va devenir (…) tel est son conditionnement.1067
Si cette reprise globalisante désigne l’ensemble de la présentation qui a été faite dans
les lignes précédentes, celle concomitante qui a trait à la part relative à la responsabilité de
l’Eglise dans ce processus d’effritement de l’essence de l’homme s’avère cataphorique
puisqu’elle précède les énoncés illustratifs qui la corroborent. Elle est introduite par la
pronominalisation celle-là qui, par sa valeur déictique montre l’anaphorisé comme une entité
matériellement présente dans le cotexte antérieur, ainsi l’adverbe là permet-il de sélectionner
le groupe nominal le plus proche, en l’occurrence l’Eglise: - Celle de l’Eglise est tout autre.
Celle-là entraine l’homme vers le même comportement. Elle lui fait croire qu’il est à l’image
de Dieu, qu’il est le seul être de l’univers à posséder les qualités nécessaires pour demeurer
au-dessus du reste .Les lieux de culte l’ont en quelque sorte divinisé. 1068
En outre, nous remarquons qu’en séparant soigneusement ces deux constructions de
reprise, l’instance équilibre son discours pour que la responsabilité de la déchéance de
l’homme soit partagée par les deux entités que sont la Science et l’Eglise.
L’instance discursive termine son argumentaire par ces énoncés explicatifs de
l’effritement de la conscience humaine étayés par l’emploi de la conjonction mais dont la
valeur argumentative est mise au service du raisonnement en question. Néanmoins, on peut
expliquer la présence de ce mais non pas en faisant appel à des arguments au sens strict, mais
à des attitudes, à des postures qui ont mené l’homme à une telle déliquescence. Quant à
l’emploi du connecteur car, ce dernier sert à exprimer la causalité de l’argumentaire tout en
permettant à l’instance discursive et à justifier sa parole antérieure pour qu’elle ne puisse
souffrir d’aucune contestation de la part du co-énonciateur qui se doit d’y adhérer
pleinement :1069

1067
LSD, p.168
1068
Ibid., p.168
1069
Selon Maingueneau : plus précisément, en employant car un locuteur peut se justifier de deux façons :
1)- en de légitimant d’énoncer comme il l’a fait
2)- en donnant Q (justification de l’énoncé) comme une raison de croire P (fait énoncé) vrai. ,
Manuel de linguistique pour les textes littéraires, Ibid., p .277

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

A vouloir aller trop vite , plus haut , plus loin , repousser les limites de l’inconnu, du sacré , à la
recherche d’une perfection jamais atteinte , mais tant souhaitée , l’homme annihile tout ce qui le
dérange ou gêne , mais en même temps se détruit , car il oublie qu’il n’est qu’un segment d’une
longue chaîne même si son chaînon est celui qui brille le plus .Tel est son conditionnement , il
s’est autoprogrammé ainsi .1070
Si l’homme a pu annihiler son aspiration à l’intelligence en y prenant le temps, il n’en
demeure pas moins que sa puissance autoproclamée ne lui a jamais permis de modeler le
temps à sa guise. La volonté de quelque chose de Grand, de quelqu’un qui sait Tout s’est
imposée en ce sens. L’instance énonciative qu’est l’australopithèque déclare qui est à l’origine
de la création et du modelage du temps qui lui a permis de découvrir de visu l’avenir de
l’humanité : -C’est la Volonté de Quelque chose de Grand. Quelqu’un qui Sait
Tout .Quelqu’un qui m’avait permis de voir l’avenir .Car Lui Seul désigne .Il a inventé le
présent pour alimenter le passé .Et Il projette le futur.1071
Cet extrait montre bien que tout cela est le résultat d’une volonté divine omnisciente
qui a créé et modelé le temps selon sa volonté dans sa chronologie passée, présente et à
future. L’instance énonciative n’est qu’une courroie de transmission entre le divin et
Charles qui découvre avec stupeur que la guenon l’attend depuis plus d’un million d’années et
que le temps relève exclusivement du divin qui a pu le capter et l’adapter à la dimension de
l’homme.

2. Le Divin et le Temps

Dans LSD, la perception divine du temps humain apparait à travers les paroles que le
divin adresse à la guenon pour qu’elle arrive à convaincre Charles de remplir sa mission. Ce
n’est qu’après coup que l’argumentaire du divin mettra en lumière les raisons pour lesquelles
CeluiQuiEstTout a créé la temporalité dans toute sa complexité .Son discours au style direct
adressé à sa petite Lucy d’une voix sibylline porte sur la réussite de sa création et se son
ordonnancement des premières bactéries jusqu’à l’homme, preuve d’une certaine évolution
synonyme de victoire attestée sur le chaos et l’inorganisé .L’omnipotent confirme alors sa
grandeur et sa supériorité par rapport à l’homme sans pour autant négliger le fait que le jeux
des possibles est une réalité inaltérable :
Moi Seul peut réaliser cela .Je suis au-dessus de tout. Ma force est la résultante de toutes Mes
actions et de tous Mes rêves. L’histoire de la vie est, certes, l’œuvre des interactions de la nature,

1070
LSD,p.169
1071
Ibid., p.91

307
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

en revanche, Tout est mon œuvre(…) Mais tout est décidé par Moi sans fausser le jeu des
possibles. J’ordonne d’être en permettant d’être(…) vers une réalisation meilleure. Et j’ai choisi
l’homme pour parfaire l’évolution de Mon œuvre.1072
Le dialogue entre CeluiQuiEstTout et Lucy intervient une fois de plus en guise d’acte
illocutoire visant à sceller dans son esprit l’idée que l’homme doit jouer un rôle prépondérant
malgré sa faiblesse face à l’écoulement du temps. En outre, la parole de l’instance discursive
divine se délie pour donner une image d’omnipotence et d’humilité dans la réussite de sa
création. L’éthos usité ainsi que la réitération d’un je qui s’engage, par son énonciation lui
permet d’évoquer explicitement ses caractéristiques intrinsèques de puissance et
d’omniscience. On peut donc relever des traces de modalisations subjectivantes, notamment à
travers l’emploi de l’adjectif meilleure qui ajoute une information au nom tout en supposant
une auto-évaluation et l’occurrence d’antépositions du pronom Me et /ou Moi qui introduisent
les caractéristiques que l’instance discursive énonce sur elle -même. Par la suite, Lucy, le co-
énonciateur du divin, attire son attention d’une timide voix pour réfuter en quelque sorte son
choix de l’homme pour parfaire son grand Œuvre.1073
Le Maitre de Tout saisit cette occasion pour s’adresser aux hommes par l’intermédiaire
de la guenon et leur exposer les raisons pour lesquelles ils dépendent du temps pour exister.
Ce discours explique de quelle manière le divin a modelé le temps des hommes pour sceller
définitivement sa puissance, sa supériorité et son omnipotence ?
-Hum ! Le temps ? Je suis le Maitre de Tout .Avant, après, maintenant, le temps est
fait pour vous qui n’êtes que de passage, vous avez besoin du passé pour vous souvenir, du
présent pour vivre et du futur pour espérer. Vous avez besoin du temps pour exister.1074
Ce premier fragment discursif montre bien que l’instance énonciative divine, créatrice
du temps des hommes, met en exergue sa supériorité transcendantale pour mettre en place un
argumentaire visant à démontrer la dépendance des hommes vis à vis du temps qui passe.
Ce discours mobilise la généralisation pour asseoir la véracité de son argumentaire. En
effet, le dispositif énonciatif recours au vous, généralisant, qui interpelle directement- par
l’interjection antéposée hum réagissant avec pudeur et ironie à la fois à l’énonciation
antérieure à savoir cette relative aux hommes dans leur relation de dépendance au temps du
divin. Dans ce type d’énoncé à valeur généralisante, l’énonciateur ne semble pas référer à une
situation particulière, il conçoit une situation hors de la réalité de la situation d’énonciation

1072
LSD, p.135
1073
Heu …pardon, mais j’étais là bien avant eux »avais –je commencé par demander timidement, LSD, p. 135
1074
Ibid., p.135

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

pour l’inscrire dans une autre réalité transcendantale plutôt atemporelle. De surcroît, il
apparait que le-vous et le présent peuvent, à juste titre, être perçus à la fois non seulement
comme des déictiques et comme des éléments à référence généralisante.
Le second fragment est constitué d’énoncés constatifs de l’illusion temporelle de
l’homme puis d’un argumentaire visant à légitimer les raisons pour lesquelles le divin a donné
à l’homme la connaissance et la graphie pour emprisonner le temps et garder une trace de son
passage dans ce monde :
L’homme vit dans la constante agonie d’un présent qui relève à peine de l’existence. Comme un
rêve qu’il croit réel, il croit tellement au temps qu’il finit par le créer dans un battement de
présent. J’ai donné à l’homme une autre manière de capter, d’emprisonner le temps, la pensée et
la parole, le nom de toutes les choses vivantes ou inertes, visibles ou invisibles, et je lui ai donné
l’écriture.1075
Le prolongement du discours de l’instance discursive divine fonctionne comme un
acte langagier destiné à dissocier son temps spécifique de celui des hommes par l’évocation
du don de l’écriture fait aux hommes pour lequel elle confirme avoir consacré près de quinze
milliards d’années du temps humain et une quantité dérisoire du sien :
J’y ai mis beaucoup de votre temps , et presque rien du mien (…) Quant à moi , je n’ai besoin de
rien puisque je suis Amour, Je suis Tout et Rien ,le Début et la Fin , l’Immensément grand et
l’Infiniment petit(…)Je suis le Chiffre qui n’a pas de mesure ni de sens , qui calcule et résout
tout(…)Vous croyez en Moi et pourtant nul ne peut me voir ,Me connaitre ou simplement
M’imaginer .Lucy , Je suis l’Absolu et ceci est de l’Amour absolu .1076
Notons que le divin Amour se suffit à lui-même et à quel point le temps de Dieu
diffère de celui qu’il a octroyé aux hommes .En effet, Quinze milliards d’années équivaut à
presque rien du temps de CeluiQuiCalculeTout, de celui qui est le Chiffre de ce Tout et de ce
Rien qu’il représente dans le sillage de sa création.
Autre différence entre le temps de Dieu et celui des hommes : selon lui, le temps est
fait pour les mortels qui sont de passage sur cette terre. En effet, il considère que le temps
n’influe que sur l’Homme .Dans cet espace discursif, l’instance divine clôt ses propos
explicatifs de son Œuvre - depuis les premières bactéries jusqu’à l’ordonnancement de
l’univers- de manière pragmatique en convoquant un argumentaire soutenant l’idée que la
volonté divine n’intervient sur le cours des choses qu’en cas de nécessité.

1075
LSD, p. 135
1076
Ibid., p. 136

309
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Sache, Ma petite Lucy, la vie n’est pas le résultat du temps, du hasard et des propriétés de la
matière, mais d’une action délibérée. Je laisse agir toute chose selon Ma volonté en Me réservant
toutefois le droit d’intervenir lorsque je l’estime nécessaire. 1077
Nous remarquons que les occurrences de l’anaphore du divin corroborent des énoncés
visant à montrer l’influence minime du temps sur l’ordonnancement programmé des choses.
Ces paroles péremptoires sont l’illustration d’un discours destiné à sceller son omniscience et
omnipotence face à la fébrilité des hommes enclins à tout désirer jusqu’à la néantisation de
leurs actions :
Moi, j’insuffle et les hommes aspirent, d’ailleurs ils aspirent à tout, car l’espoir est un désir, un
interminable désir .Un désir sempiternel anime la nature entière (…) La vie entière est un désir .Et
les hommes veulent vivre tous ces désirs, souvent sans les comprendre, sans attendre(…)
Prétentions .Tout le temps .Pareils. Identiques .Ils imaginent ces cycles comme des fragments de
présent qui se répètent et du coup ils se mettent à rêver d’éternité pour faire durer ce désir.1078
Faire perdurer leur inclinaison à une immédiateté temporelle devient l’ultime préoccupation
des hommes aussi fébriles que des danseuses échevelées sur des tonneaux sans fond qui
s’assèchent au gré de leurs dires et actes insensés et évanescents.

3. Les Attributs du Divin

C’est dans LSD que le discours du divin sur lui-même devient prolixe par une
expansion frénétique caractérisée par l’énonciation de ses qualités transcendantales d’Eternité
et de Libéralité qu’il s’attribue - pour démontrer à la fois son omnipotence et la finitude des
hommes- en tant que détenteur du secret de la fin des temps. Sur le plan énonciatif, on glisse
d’emblée d’un plan à l’autre puisque le je peut s’interpréter de deux façons : tantôt comme
personnage de l’histoire je le dis tantôt comme élément du discours qui prend en charge les
anaphores répétitives du Moi référant à la divinité , celles qui ont trait aux hommes ils , eux
, puis l’impératif injonctif et enfin le présent atemporel d’énoncés déclaratifs .L’emploi du
connecteur de causalité car antéposé correspond à un fonctionnement énonciatif singulier : un
tel usage de la conjonction car met en place une nouvelle énonciation permettant la
justification nécessaire d’affirmations que les humains ordinaires amarrés à leurs corps
peuvent difficilement comprendre. En outre, ce connecteur permet de légitimer à priori son
énoncé et d’enclencher une série d’interrogations confirmant l’inaltérable supériorité du divin
sur l’humain : Je le dis :

1077
LSD, p.134
1078
Ibid.,p.138

310
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

L’éternité est l’absence du temps .L’éternité c’est Moi ! (…) Moi, je demeure au-dessus de Tout,
mais je reste tout de même plus près de l’homme .Je soutiens les hommes avec miséricorde .Et je
connais ce que les cœurs recèlent (...) Qu’ils cessent de se prendre pour Moi (...) ils ne sauront
jamais tout !ils ne comprendront pas grand-chose même à la finitude de leur discernement .Un
discernement qui leur permettra uniquement de toucher leurs limites. Egoïsme ! Vanité !
Platitude ! Emportés par l’orgueil, tous s’imaginent libres de tout, .Je suis le Seul à être libre,
alors qu’eux ne le sont pas ou juste à peine. La libéralité c’est Moi ! Eux restent amarrés à un
corps, transbahutés par les remous du présent, ils sont des créatures dépendantes du temps, de
l’environnement et surtout de Moi et de Mon Secret. Mon secret sera gardé jusqu’à la fin des
temps .Car la fin des temps surviendra un mauvais jour ou une belle nuit .Elle est inéluctable. Moi
je le sais. Je n’ai pas décidé quand .Seront-ils là pour assister au spectacle ? Quand tout sera
englouti par Rien. Quand le Rien se confondra avec le tout. La fin du tout et le début du rien ! 1079
Le discours rapporté au style direct est introduit par le verbe introducteur de parole
ajouta, en apposition, par les deux points et les guillemets en tant que procédés
typographiques. Ces derniers assurent son signalement et marquent le changement d’espace
énonciatif pour rabaisser sa créature et affirmer par là même son inéluctable présence
transcendantale .L’instance discursive divine prend donc la parole pour dire son irrévocable
décision : les hommes ne feront pas partie du spectacle de la fin du temps et du monde. Leur
mort inéluctable est bien la preuve que le temps qui passe aura une incidence sur leur
existence .Si l’écoulement du temps englouti en quelque sorte l’existence des hommes, ces
derniers n’ont aucune incidence sur lui. Nul ne peut impacter sur le temps, propriété du divin,
qui l’a créé dans son intégralité. Dieu en est l’unique propriétaire et l’occurrence de
l’anaphore pronominale atteste à chaque reprise de son appropriation transcendantale du
temps au détriment des mortels qui, eux, disparaitront inéluctablement au fil du temps. Lui
seul peut se targuer d’être car lui seul existe en tant qu’unique dépositaire de la certitude de ce
moment qui préexistera sans nul doute au mortels :
-Il ajouta: Et puis, Vous ne serez plus là !c’est décidé !car les hommes meurent .Votre existence a
un début, elle aura une fin .Elle se confine dans les entrelacs d’une fissure d’un furtif présent,
coincé entre la passé qui vous échappe et vous nargue et le futur qui vous targue et vous précipite
sans demander votre avis dans l’antériorité en vous faisant effleurer un subreptice vécu .L’avenir
n’est à personne ! Le temps n’est à personne ! Rien n’est à personne ! Sauf à Moi .Tout à Moi ! Un
jour, il n’y aura plus rien, plus personne pour se souvenir ; Moi Seul, je me souviens, car J’étais,
Je suis et serai, Ici, ailleurs, partout et nulle part .Je ne peux pas disparaître puisque Je n’existe
pas ! JE SUIS ! 1080

1079
LSD, p.140
1080
Ibid.,p.140

311
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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L’homme est fragilisé par son rapport de dépendance au temps. L’instance divine
s’adresse aux hommes, par les occurrences du déictique de la personne amplifiée vous,
martelant à la fois leur inexorable finitude et son indiscutable présence éternelle.
Le connecteur Et puis se présente comme ayant une valeur argumentative en
soulignant la pertinence de l’énonciation qu’il introduit contre toute attente. En effet,
l’instance discursive divine réagit avec agacement par des énoncés exclamatifs dont
l’occurrence du déictique je et marque sa présence et sa transcendance en tant que subjectivité
énonciative.
L’instance énonciative divine se définit elle-même non pas en rapport au fait d’exister
mais à travers son rapport existentiel à sa créature qu’est l’homme .Cette nuance capitale entre
exister et être l’incite à conclure son allocution par l’énumération de ses attributs
exclusivement divins et la déclaration péremptoire de son existence : Je n’existe pas : Je suis !
Je suis la totalité, l’intégralité, la présence, le vaccum, l’absence ! Je suis et c’est tout !1081
Dans son discours, l’instance divine confirme sa supériorité par sa maitrise du temps,
des hommes et de l’univers qu’illustre la concomitance d’énoncés exclamatifs relatifs à sa
présence en tant que subjectivité transcendantale .Lors d’une ultime scène énonciative en
compagnie de Lucy, CeluiQuiEstTout met en lumière sa transcendance et son omnipotence
face à sa créature humaine dont l’existence même est consubstantielle à la sienne .Ce dernier
s’adresse à la guenon de l’intérieur, par vibrations incompréhensibles mais si évidentes mais
si évidentes et sublimes à vivre :1082
Elles disaient : « Lucy, j’ai rêvé et vous fûtes, et j’ai toujours rêvé et continuerai à le faire bien
après vous. Vous vivez dans Ma virtualité, évoluez dans mes aspirations, c’est pour cela que les
hommes sont taxés d’éphémérité. Comme tout ce qui vous entoure, tout ce que vous entendez ou
pas, voyez ou pas, tout est transitoire sauf Moi. Vous n’existez que parce que j’existe, mais vous
existez le temps d’un battement de cil. Vous n’êtes que les intérimaires de Mes projets .Moi je
continuerai à être et ne pas être dans le visible et l’invisible. J’ai créé le Tout à partir du Rien et
j’ai choisi l’Homme pensant mais comptable devant la vie .J’ai chargé des hommes parmi les
hommes pour montrer le chemin à ceux qui ne le voient pas ….Mais ont-ils tout compris ? Moi je
le sais, mais eux ? Des hommes sages reprendront mes paroles …J’ai parlé à Abraham, j’ai parlé
à Moise, j’ai parlé à Jésus, J’ai parlé à Mohammed. Je les ai inspirés .Et je te parle .Seulement
toi, tu n’as pas la même mission qu’eux, pour toi, c’est différent, ce n’est ni ton intelligence, ni ta

1081
LSD, p.140
1082
Ibid., p.133

312
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foi, ni tes origines, mais c’est ton ingénuité qui M’a séduit. Tu n’avais aucune préconception de
Mon existence ou de Ma non-existence. 1083
L’instance divine s’adresse à la guenon en utilisant d’emblée le vous généralisant
incluant Lucy et le reste des hommes, ce qui lui permet d’imposer un certain cadre au
dialogue avec le co-énonciateur qu’est Lucy, qui n’a d’autre choix qu’accepter les vérités
énoncées. Dans ce contexte énonciatif, l’occurrence du je, des phénomènes dialogiques -
1084
vocatifs, interrogations, des groupes nominaux ayant des propriétés singulières -permet de
percevoir de manière constante la présence d’une subjectivité privilégiée affichant
ostentatoirement sa transcendance sur les hommes, les raisons pour lesquelles les religions
monothéistes ont été révélées ainsi que sa séduction par la qualité intrinsèque d’ingénuité de
l’australopithèque. Lorsque l’instance divine assène des vérités exclusivement destinées à la
guenon, nous retrouvons les pronoms je et tu renvoyant aux rôles d’énonciateur et co-
énonciateurs indissociables mais non réversibles, les vérités divines énoncées étant à l’origine
de son total acquiescement.
Le même procédé énonciatif se renouvelle tissant la véracité de la parole divine pour
dire la réussite de sa création, son omniscience et sa transcendance y afférentes à travers
l’évolution du corps et de l’esprit, cette fois -ci en dehors du prisme de la temporalité :
L’évolution du corps est totalement différente de celle de l’esprit. Les deux sont Mon œuvre. Moi
Seul peut décider dans quel corps j’insufflerai l’amour, la conscience, l’esprit et l’âme qui
donneront à ce corps l’intelligence et la perception de l’essence. J’ai choisi celui qui allait devenir
l’Homme ! Je l’ai fait en insufflant les ingrédients qui feront de lui un être exceptionnel. Sache Ma
petite Lucy, que si le corps humain tient son origine de la matière vivante qui lui préexistait et que
J’ai créée, l’âme spirituelle est immédiatement créée par Moi (…) Moi Seul peux réaliser cela .Je
suis au-dessus de tout, Ma force est la résultante de toutes Mes actions et de tous Mes rêves(…)
Tout est Mon œuvre .Parmi les hommes, il y en a qui font la confusion entre la Création et Moi .Ils
ne connaissent pas Tout. Les éléments de la nature agissent selon leur possibilité .Mais tout est
décidé par Moi sans pour autant fausser le jeu des possibles ;J’ordonne d’être en permettant
d’être, J’ouvre le champs du possible vers une réalisation meilleure .Et J’ai choisi l’homme pour
parfaire l’évolution de Mon œuvre. 1085
Nous voyons bien que l’instance discursive divine ne prend aucune distance par
rapport à son énoncé : le divin emploie le je dont l’occurrence l’instaure comme l’unique
décideur et réalisateur d’une parfaite évolution à travers le choix de l’homme. C’est à travers
l’occurrence des variantes morphologiques du je telles que la forme tonique de la première

1083
LSD, pp.133 -134
1084
Mon existence ou Ma non-existence
1085
LSD, pp. 134-135

313
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personne du singulier Moi, le déterminant possessif Mon que l’instance choisit, pour parfaire
l’évolution de œuvre et entériner sa supériorité sur l’homme.

4. L’Homme et le divin

Dans Aigre-doux, la perception du divin par l’instance énonciative première peut être
cernée à travers ce qu’elle se dit en son for intérieur dans un discours direct libre sur le
pouvoir, révélé dans la ville bicéphales, que le Maître de tous les maîtres1086 exerce sur elle
lors de ses tribulations oniriques. Elle s’interroge à juste titre sur sa propre foi qui
déterminerait à tort ou à raison ses tergiversations qui ont trait à sa foi ou non en Celui qui
contrôlait tout.1087Ce fragment, en raison de ses trois tournures interro-exclamatives, implique
l’instance en tant que subjectivité à l’origine d’un commentaire empathique de ses propres
tribulations: - Je ne savais plus de quel bord j’étais : un croyant qui croyait en Lui, par
mesquinerie ? Un athée qui était certain qu’Il n’existait pas, par égocentrisme ? Un
agnostique qui doutait et qui ne se prononçait pas, par appréhension ? Je passais d’un statut
à l’autre au gré de mes humeurs successives. 1088
Notons que ce fragment se dispense d’incises et de marques typographiques (tirets,
guillemets, italique) pour indiquer le passage au discours direct libre d’une instance
énonciative prise dans les ruminations intérieures d’une conscience en proie à de profondes et
incessantes tergiversations spirituelles. Elle diversifie postures et ressentis vis-à-vis de Lui par
des énoncés modalisés ou appréciatifs, par l’emploi de qualifiants dépréciatifs rendant compte
avec acuité de ses rapports du divin1089:Je le sentais absent, désintéressé par tout ce qui
m’arrivait :
Ces jours-là, j’étais dans une immense solitude .Alors, je m’en prenais à Lui, essayant de Le
culpabiliser pour qu’Il réagisse et qu’Il fasse un geste, ou m’envoie un signe .Qu’Il me guide dans
ce désert qui ne cesse de me poursuivre, même dans les rêves (…) Parfois, lorsque je flirtais avec
1090
l’impuissance et le désenchantement, je faisais appel à Lui pour une aide qui ne venait jamais.
L’instance entretient le discours direct accusateur et blasphématoire à l’égard de divin
censé lui venir en aide sans aucune autre contrepartie et qui se refusait à le faire. Ainsi, en
glissant d’un plan énonciatif à l’autre, le je opère sur les deux registres en prenant en charge
discours cité et citant pour dire sa parole blasphématoire :

1086
Aigre-doux, p.206
1087
Ibid., p. 206
1088
Aigre-doux, p. 206
1089
A vrai dire, j’avais d’autres préoccupations beaucoup plus personnelles .Je recherchais uniquement sa
position par rapport à la mienne jamais l’inverse, Ibid., p. 207
1090
LSD., p. 207

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-Courroucé je vidais ma colère dans un blasphème : Et si Tu n’es qu’un joueur de dés ? Si tout
n’est que chaos avec comme résultante le hasard, ce hasard qui fait que les destins des hommes
s’acceptent dans l’abnégation et sans sédition aucune tant qu’ils n’avaient pas croisé cette force
imaginaire productrice des évènements .Dans ce cas, je suis mal barré ! Jusqu’à ce jour, la
chance m’a toujours craché dessus ! Elle a préféré me jeter dans les bras de sa marâtre : la
guigne ! 1091
Dans ce discours se retrouve une prise de conscience que les destinées humaines
dépendent exclusivement du divin .Antérieurement, l’homme serait tenté de désacraliser son
impact sur le cours des évènements et l’instance énonciative s’inscrit dans un premier temps
dans cette perspective hasardeuse. Bousculer en quelque sorte le divin pour croire en lui, pour
qu’il agisse en fin sa faveur en est l’objectif ultime et réduire Dieu à un joueur de dés illustre
son refus d’une destinée dépendante d’un éventuel hasard provoqué par un Dieu amusé et
indifférent à ses supplications. Cette manière de faire ne l’empêche pas, malgré tout, de garder
toute sa distance par rapport à son énoncé lorsqu’il lui demande de l’aide les yeux dans les
yeux avec déférence : -Ô, mon Divin Maître, lève ce voile noir qui obscurcit ma route ! Fais-
le, je n’ai plus le courage, ni la force d’agir. A chacune de mes tentatives j’échoue, mais Toi,
1092
Tu es si puissant, alors aide-moi !
L’instance supplie directement le divin- seul à même de lui apporter son aide suite à
moult désillusions-dans une rhétorique à la tonalité directe d’un tutoiement - traduit
typographiquement par la mise en en majuscule systématique du pronom personnel Tu. Ce
discours est sans conteste illustré par une tournure interro-exclamative un tantinet outrancière
et blasphématoire : Sinon, dis-moi à quoi tu sers ! Ne me dis pas, que vus de là-haut, les
détails ne comptent plus ! 1093
Cette dernière met en place ses supplications de la puissance divine par des tournures
exclamatives et l’interroge sur son inclinaison à s’enquérir des détails, des plus petits, des plus
faibles, des plus petites de ses créatures que sont les fourmis : Dans ce cas, que doivent
penser les petites fourmis ? Qui doit s’occuper d’elles ? A quoi doivent-elles s’en remettre si
les détails ne comptent plus pour Ton envergure ? 1094
C’est aussi une manière de poser le problème de la responsabilité de Dieu vis-à-vis des
détails que seraient susceptibles d’être ses créatures humaines et/ou animales, faibles et sans
défense. L’inscription de son discours dans une forme d’outrance injonctive passe par la

1091
LSD, p. 207
1092
Aigre-doux, p.208
1093
Ibid., p.208
1094
Ibid., p.208

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mobilisation de formes de la prescription telle que, l’emploi de l’interjection Ô servant à


invoquer et le verbe de modalité devoir réitérer à deux reprises dans les ultimes
questionnements adressés au divin.
Toujours dans Aigre-doux , l’énonciation du discours de la supplication bascule dans
l’incantation de l’infiniment petit à l’égard de cette magie harmonieuse de l’infiniment grand,
et ce, dans la continuité de la prise en charge du discours cité et citant de l’instance
énonciative exprimant, non sans désillusion , les enseignements du simoun derrière la porte
du désert : J’ai toujours cru que c’était avec les petites parcelles de sable que l’on
construisait les immenses déserts et que ces grains reflétaient la brillance de toutes les étoiles
de l’univers.
Cette dernière se plait ensuite à penser qu’il ne pouvait en être autrement que de se
fondre dans cette mystérieuse alchimie divine faisant s’emboiter les choses dans l’harmonie
ou alors peut-être même dans le chaos le plus total.
Elle renchérit pour exprimer sa distanciation par sa doctrine personnelle culpabilisant
courageusement le divin avant de s’en écarter paradoxalement dans une lâche piété1095, se
devait d’agir en conséquence et de répondre à cet infime qui ne faisait malgré tout que
quémander son obole rien de plus. Le divin est sans cesse sollicité par cette instance
minuscule graine qui accepte avec une forme de fatalisme le mépris du divin :
-Je suis une fraction de matière qui se restitue sans fin comme se restituent toutes les choses –
comme un soleil qui se meurt chaque nuit pour reprendre son règne au levant .Alors immense ou
infime, rien ne devrait rester négligeable pour Toi .Sinon que FAIS-TU dans tout ça ? (….) Et lui
dans tout ça ? (….) Peut-être que vu de loin, je ne suis qu’une minuscule graine qui cherche son
ovule, rien d’autre pour Lui….rien d’autre ! Est-ce pour autant qu’Il me mépriserait ? Certes
non ! Et s’il décidait ainsi, dans ce cas, il s’en octroierait le droit. 1096
Pour l’instance première, le divin se doit d’accorder du prix à l’immense et à l’infime
qui ne doivent jamais être négligés ou dépréciés à ses yeux. Lui dans tout ça se doit
d’intervenir et faire preuve d’équité vis-à-vis de la fraction de matière dont l’instance se
targue d’être devenue. De plus, nous constatons qu’elle n’hésite guère à bousculer le divin
d’une manière on ne peut plus directe qui se traduit typographiquement par la mise en
majuscule de l’inversion du sujet dans le fragment interrogatif : sinon que FAIS-TU dans tout
ça ?L’instance semble ne pas lui laisser le choix pour que ses tergiversations spirituelles
prennent fin, qu’il puisse enfin relativiser son point de vue et instaurer une trêve de paix et de

1095
Et lui dans tout ça ?
1096
Aigre-doux, p.209

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sagesse entre eux : - A présent, nous avons, Lui et moi, fait la paix ou plutôt je suis en paix
avec moi-même(…) ce n’était sûrement pas de Sa faute si le monde et ses créatures étaient
ainsi faits .IL est la lumière qui traverse les ténèbres …le lien qui mène à Tout, qui mène à
LUI.1097
La relation de l’être et du divin va évoluer dès l’instant où l’énonciateur intègre
sereinement le fait que le divin lumineux n’est pas l’instigateur du chaos que les hommes ont
instauré sur terre .Sa responsabilité n’est engagée que pour parvenir à lui, à sa sagesse, à sa
vérité, à sa lumière. Telle est sa relation privilégiée avec Dieu, la matière et l’univers pour
pouvoir subodorer cette mystérieuse alchimie du Tout et du Rien concoctée par le divin
ordonnateur des choses emboîtées les unes aux autres dans l’harmonie : - Dis, je suis en
somme une partie du Tout. Infime, certes, une petite parcelle, mais j’ai besoin d’un peu
d’égards ! Nom de ….Je ne suis tout de même pas une fourmi moi, je suis plus grand, grand
au moins comme un grain de sable qui ferait partie du désert tout comme le désert fait partie
du reste. 1098
Espérant lever le voile qui obscurcit sa route, l’énonciateur s’adresse au divin presque
les yeux dans les yeux quémandant avec promptitude son aide et un tantinet de considération
et renchérissant sur l’ordonnancement de l’univers dans l’emboitement harmonieux du Tout
et du Rien, du plus infime grain de sable au Tout.
Lorsqu’elle ne s’adresse pas directement à lui, l’instance première ingurgite ses pilules aigres-
douces et imagine le Vénérable vieillard siégeant sur son Trône au-dessus des univers
tournoyant dans une mécanique céleste huilée à la perfection. Ce dernier s’exaspère de voir
tant de conflits, de haines et de massacres perpétrés en son nom, au nom de motifs
prétendument dévots. 1099Le Vieux à la sagesse éternelle fustige les pseudos illuminés et faux
dévots et leur criarde incapacité à voir le monde tel qu’il est et de s’en inspirer pour accéder
au bonheur :
Pourtant, je leur ai donné les fleurs et les oiseaux, le rire et les enfants, les couleurs de l’arc-en –
ciel et les murmures des ruisseaux .Pourquoi ne les écoutent-ils pas et ne les voient-ils pas ? (…)
Ces idoles représentant des divinités exposées à leur adorations ne sont que la manifestation de
leurs tourments et de leur ignorance (…)Ces aveugles ne savent-ils pas qu’ils sont la preuve
apodictique de ma présence ?Leur anthropocentrisme rapporte toute chose de l’univers à leur
petitesse .Ils croient être les seuls maîtres des Lieux .Ils s’imaginent qu’ils sont le centre et la fin

1097
Aigre-doux, p .209
1098
Ibid., p .208
1099
Ibid., p .210

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de tout. Ne lèvent-ils pas les yeux vers le ciel pour constater Mon Ampleur et toute Ma
1100
magnificence.
Ce discours sarcastique du divin se forme d’emblée dans la matérialisation d’une
écriture en italique d’énoncés constatatifs et de fragments interrogatifs à valeur subjective
destinés à illustrer l’anthropocentrisme et les postures affectées de ceux qui persistent à douter
de son existence. L’instance première imagine dans son discours citant le Programmateur du
Tout mécontent de l’inutilité des gesticulations de ces esprits bordéliques. En effet, intriguée
par le comportement de l’espèce dominante, elle décortique en son for intérieur ce à quoi ces
pauvres diables qu’il a créés sont capables de faire pour concrétiser leurs idées maléfiques.
Je L’imagine, contrarié devant ces pauvres diables qui s’agitent et cogitent pour arriver à leurs maigres fins .Il
se dit: Ces minuscules créatures sont prêtes à tout :Il ya ceux qui font du mal avec la même désinvolture que
lorsqu’on fait du bien, dans l’allégresse. Ceux qui tuent pour mieux vivre , en toute paix .Ceux qui ne croient en
rien pour mieux se croire …en mentant. Ceux qui éructent leurs prières d’une bouche et louangent leurs sottises
par la même bouche….en jurant. Ceux qui se travestissent l’âme pour paraitre toujours de biais, espérant le
paradis….en viagère. Ceux qui se masturbent l’esprit, le regard éteint, en imaginant atteindre ainsi le nirvana
….au viagra. Ceux qui vont à l’amour comme ils vont à la guerre, en conquistadors séducteurs ….en berne.
Ceux qui vont à la guerre comme ils vont à la mort, en pieds plats, en vaincus …inaptes au maniement de leur
arme. Ces esprits bordéliques allaient à l’encontre d’une harmonie céleste, ils ont jeté leurs c. molles dans le
potage cosmique, les cons ! Enfin, faut de tout pour faire une petite planète bleue ! 1101
La vision du Programmateur du Tout déprécie attitudes et postures de ses minuscules
créatures prêtes à se substituer à Lui par n’importe quel moyen. Dans son énonciation
distanciée, la voix énonciative divine met à nu, avec humour et acuité, les stratagèmes et états
d’âmes de ces bordéliques esprits .L’occurrence du démonstratif d’ouverture ceux qui suivi
de prédicats à valeur qualifiante permet de nuancer dans la caricature chaque catégorie de ces
minuscules créatures anthropocentristes présentées. Un tel emploi du démonstratif a pour effet
de permettre au lecteur d’identifier avec pointillisme chaque catégorie du référent en question.
Cet anthropocentrisme fondé sur les contre-valeurs repose donc sur les postures mensongères
de ces créatures que reprend l’anaphore générique dépréciative les cons en nourrissant sans
cesse leurs illusoires projets d’altérer l’harmonie céleste.
Dans On dirait le Sud, les protagonistes du discours ontologique ont une certaine
vision du divin avec lequel ils entretiennent des rapports singuliers. Zaina, l’instance
énonciatrice de ce discours ne peut y échapper et est fatalement en relation avec le divin tant
la solitude qui lui est imposée au point B 114 devient insupportable. L’instance énonciative

1100
Aigre-doux ,p. 211
1101
LSD, p.212

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est persuadée que le divin s’amuse à l’humilier en libérant les diables dont la mission
première est de hanter ce lieu pour la rendre folle, impie et astreinte à la dislocation de ses
sens. Elle se met à détester tous les décideurs que sont Dieu, le diable et les hommes et tente,
en définitive de recouvrer la foi dans un ultime sursaut spirituel en simulant une adoration
d’un Dieu indifférent à ses émouvantes supplications dans cet univers hermétique à toute
rédemption.
Consciente que le désert n’éprouve aucune compassion, l’instance discursive se sent
prête à avoir la foi en n’importe qu’elle divinité pourvu cela soulage sa solitude et
l’affranchisse de ses tourments. Paradoxalement, c’est avec hypocrisie et sans trop y croire
qu’elle s’adresse directement à son Dieu pour lui dire ses incertitudes existentielles voire
même son athéisme naissant : - Mon Dieu, faites que cela cesse ! (….) Et si là-haut c’était le
vide ? S’il n’y a rien, aucune gratitude, aucun geste antalgique, pareillement à ce désert âpre
et vide ? Dans ce cas, à quoi me servirait d’incliner la tête ou scruter un ciel où ricocheraient
mes prières ? Je serai donc trahie par un immense mensonge. 1102
Ce fragment constitué de deux tournures interro-exclamatives dont la teneur des
propos implique un raisonnement logique de la pensée de l’instance en tant que subjectivité.
L’occurrence de la conjonction de condition Si introduisant les énoncés qui expriment ses
doutes et incertitudes spirituels justifie la présence de connecteurs argumentatifs qui, tel que
leur nom l’indique, permettent de lier les énoncés en vue de faire accepter les conclusions du
raisonnement y afférent.
Alors que son impiété régénère sa profonde tristesse, l’instance attend de voir le bon
Dieu lui apparaitre à travers, Noure, l’humanoïde aux volutes de chanvre luminescent.
Convaincue qu’il s’agit de Dieu, elle espère avec humour et légèreté un répondant à ses
supplications lorsqu’elle s’adresse à lui: - Je ne suis pas raciste du tout, n’importe quel Dieu
fera l’affaire, pourvu que ce soit le bon, celui qui m’aiderait à quitter ce diable de désert
brûlant, celui qui me rapprocherait de mon rêve. 1103
La dévote agnostique exprime son profond dépit face à l’indifférence divine. L’emploi
du qualificatif raciste pour parler de son choix du divin illustre bien le fait que l’instance
bascule dans une triviale déraison et un dans manque de discernement pour espérer se
rapprocher de son propre rêve. Dans un tel face à face de femme à Dieu, une profonde
angoisse anéantit en elle toute volonté de s’en sortir. La droguée agnostique découvre qu’elle

1102
On dirait le Sud, p.175
1103
Ibid.,p.175

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se trouve face à Noure, l’Etre de lumière qu’elle ne reconnait pas au milieu des vapeurs
évanescentes de chanvre : -C’est donc toi Noure ! Tu pourras peut -être m’aider maintenant.
Je crois que je deviens folle et Dieu ne veut pas me secourir .Pourtant je ne cesse de Le
supplier, en tout temps. Si ça continue, je vais finir par avaler qu’Il a signé un pacte avec le
diable ! 1104
Les propos déliriels de l’instance discursive à l’égard de Dieu confirment bien l’état de
déraison qui la caractérise à ce moment-là. Pour elle, la culpabilité divine à son égard
résulterait d’un accord tacite avec le diable. L’emploi de la conjonction de condition Si
introduisant le pronom démonstratif ça et le prédicat continue marque une fois de plus son
manque de lucidité quant à de probables ou hypothétiques intentions maléfiques du divin.
De plus, l’emploi du verbe avaler illustre bien sa posture stratégique à son l’égard.
Dépitée par son indifférence à son égard, elle en arrive à soliloquer non sans un ersatz d’ironie
sur le manque de temps du Seigneur dont l’inclinaison au confort édénique de ses propres
jardins ne l’incite guère à s’enquérir de la souffrance des Etres : Ce Seigneur tout puissant n’a
vraiment pas de temps à perdre dans cet enfer .Hum, il préfère, bien sûr, la douillette
ambiance de ses jardins enchanteurs ! 1105
L’emploi de l’adjectif démonstratif Ce précédant le substantif Seigneur illustre bien
son manque de respect à l’égard du divin qu’entérine une tonalité emprunte à la fois de
légèreté et d’irrespect. La mise en apposition de l’interjection hum et l’usage de la locution
adverbiale bien sûr confirment à juste titre sa réticence et son impudence à l’égard du divin
demeuré aphasique à ses multiples incantations.
La dévote agnostique s’interroge alors sans vergogne et au style direct sur sa difficulté
de croire en ce bon Dieu indifférent à son désarroi et ce au moment même où elle se sent
devenir encore plus folle. Son discours immédiat fonctionne comme un acte langagier destiné
à se persuader elle-même de la démission divine à son égard et par voie de conséquence à
légitimer son athéisme naissant : - Comment peut-on, coincé entre tant de supplices croire
aussi au Bon Dieu ! Aurait-il peur lui aussi d’affronter mes démons(…) Pourquoi tant de
sécheresse dans sa compassion Pourtant, cela fait des jours que je te supplie de me sauver.
1106
Diable de vie ?
Une autre voix est représentée par celle du Père Balthazar qui reçoit le couple banni
dans la maison de bon Dieu. C’est en leur présence que son discours évoque le dilemme des
1104
On dirait le Sud , p .175
1105
Ibid., p.177
1106
Ibid., p.177

320
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hommes et du désert qui extirpe leurs sens, leurs rêves intrinsèques et l’Alchimie de la vie.
Dans cette scène énonciative, cette instance discursive prodigue ses enseignements ayant trait
au leurre des virtuelles croyances et certitudes qui guettent l’existence des hommes : - Pour
mieux accepter leur existence, les hommes ont besoin de certitudes comme ils ont besoin
d’air, d’eau ou de pain. Souvent, ils les imaginent et finissent par croire en elles, mais ils n’en
savent pas plus et n’en saurons jamais plus.1107
Le discours de l’énonciateur explique en quoi le besoin de certitudes factices et /ou
fallacieuses qui habite les hommes s’avère consubstantiel à leur existence. En outre,
l’acceptation de leur existence par l’illusoire ne peut être une solution absolue. L’occurrence
de mais dont la valeur nettement plus argumentative lui permet de produire un autre point de
vue auquel il adhère indubitablement.
Pendant ce temps, une autre voix énonciative, celle de Neil, évoque son aspiration à
entrevoir avec certitude la destination de sa transhumance. Ce dernier invoque sa foi en ces
rêves qui le guident vers une destination inconnue. Le naufragé du désert tente de légitimer
ces incertitudes qui se confondent aux certitudes pour nous faire accepter la vie. A cette
essentielle interrogation, l’anachorète à la peau diaphane rétorque sans ambages qu’un homme
de foi doit d’abord croire pour accéder au savoir. 1108
Après avoir assisté impassible à une dispute entre les amants du désert, le vieux prêtre
récite à voix basse son discours immédiat sur le dilemme existentiel des hommes :
Depuis la nuit des temps, les hommes dont la certitude se confond avec l’incertitude sont troublés par Dieu et
par autre chose. Mais les hommes s’occupent toujours des deux, craignant le premier et courtisant le
deuxième, qui n’est que leur Soi et son autrui, leur identité et sa différence. Et le dilemme est, que c’est Dieu
qui a créé cette autre chose. Courtiser quelque chose qui est conçu par Quelqu’un qu’on craint ? Un dilemme
pour eux. Cependant, ils sont rituellement en adoration devant la création de Dieu : la vie, l’eau, les plantes,
les oasis, les moula-moulas, les plumes des tamaris, le vent, les nuages, l’amour, le sexe, etc., et de tout cela,
c’est le sexe qui est la préoccupation majeure de leur temps.1109
L’anachorète démontre au couple adultérin comment la confusion des hommes face à
l’Eternel engendre en eux un dilemme complexe qui influe indubitablement sur leurs
relations. Cette confusion est attisée par le fait de privilégier le sexe, création du divin, au lieu
du divin lui-même. La nuance se veut pertinente et la démonstration ne se limite pas à la mise
en exergue de cette facette du tourment originel, il clarifie l’ambiguïté du tourment originel
par laquelle le plaisir charnel peut se substituer à sa propre félicité. Le mouvement énonciatif

1107
On dirait le Sud, p. 204
1108
Ibid., p.205
1109
Ibid., p.207

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de Balthazar évolue vers un acte d’explication et de justification du dilemme des hommes par
le fragment interro-exclamatif, celui introduit par la conjonction de restriction cependant et
illustration par l’énumération des préoccupations des hommes .Enfin, le dernier fragment
introduit par le présentatif c’est met en valeur le sexe en tant que préoccupation majeure des
hommes.
Crée par Dieu, le sexe a produit les Hommes dont la moitié sont des femmes .Pour jouer avec ces deux moitiés,
il fait embraser quelque chose d’une frénésie extrême et éphémère : le plaisir charnel. Les Hommes y trouvent
une sorte de félicité dans ce plaisir même s’il est moins plein que cette félicité, il arrive à se substituer à elle.1110
Face à cette ambigüité, le père Balthazar s’empresse de définir Dieu dans sa
consubstantialité avec l’Amour lorsque les deux amants questionnent en questionnent en
chœur à son attention : Et l’Amour c’est quoi ?
Pour le vieil anachorète cette ambigüité du tourment originel Dieu et l’Amour ne peuvent
aller l’un sans l’autre pour donner sens à l’Alchimie de la vie :- C’est lui qui fait lever le soleil
chaque matin , qui fait tourner la terre et l’univers , qui fait que les étoiles restent accrochées
au ciel et s’allument chaque soir pour guider les voyageurs , qui fait gazouiller les oiseaux, et
fait chanter les ruisseaux , fait rugir le vent , et pousser le blé . 1111
Dans cette illustration mettant en exergue tout ce qui existe par la grâce de Dieu, nous
constatons le surgissement du pronom qui introduisant à chaque occurrence un exemple
édifiant de cette alchimie de la Vie et de l’Amour.
Une autre voix énonciative s’active à expliquer le divin à la folle pieuse qui ne peut
comprendre certaines de ses essentielles facettes tant son impatiente piété l’éloigne de la
miséricorde divine : Lorsqu’on Le rudoie en croyant L’enjôler, lorsqu’on Lui réclame tant sans jamais
demander si Lui attend quelque chose .Il finit par se fâcher et se détourner en transformant nos exercices de
piété en souffrances et sa compassion en châtiment. 1112
D’emblée, on trouve dans cette phrase déclarative un emploi canonique de mais qui
introduit un fait majeur : celui de la pérennité des tourments de la folle pieuse qui naïvement -
malgré la préservation de ses intrinsèques facultés- ne déclenche ni miséricorde ni
compassion lorsqu’elle sollicite excessivement le divin sans rien lui proposer en échange.
Le présentatif c’est allié à l’adverbe peut-être introduit le fait qu’une partie de la
proposition est une simple possibilité sans pour autant compromettre son incontournable
véracité. Les énoncés qui suivent illustrent justement ce décalage entre l’être qui croit

1110
On dirait le Sud, p. 207
1111
Ibid., p. 207
1112
Ibid., p. 179

322
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qu’exaucer ses prières devient un droit inaltérable alors que le divin finit par se détourner de
celui qui quémande sans jamais donner quelque chose en échange. Tel est le châtiment du
divin de ceux qui privilégient leur égo au détriment de Dieu qui ne peut le leur pardonner.
Alors que la jeune femme n’arrive pas à comprendre ce trop-plein de supplication dont
elle s’est rendue coupable sans jamais lui proposer quelque chose en échange, les grains de sa
folie désertique lui ont complètement obstrué l’esprit. Les ultimes paroles de l’Etre de lumière
vont dissiper sa folie et laisser place à la raison. La voix de Noure va enfin lui dire que Dieu
n’est pas celui qu’elle croyait supplier jusque-là .C’est le discours explicatif l’être
luminescent qu’il entame par le constat de la pérennité de ses tourments et des raisons à
l’origine de cet éloignement :
Je vois que tu n’as pas perdu toutes tes facultés, mais tu n’es pas sorties de tes tourments .Je constate aussi
que toutes tes naïves prières sont restées sans écho. C’est peut-être ainsi que cela Dieu est
miséricorde .Lorsque tu t’adresses à Lui, c’est Sa grâce et Son pardon que tu sollicites, pas Son apitoiement.
Car si tu désires qu’Il s’apitoie sur ton sort, c’est que tu as déjà perdu ta ferveur et ta croyance ne revêt que
de l’intérêt, sans plus. Le sentiment par lequel ta misère et ta souffrance touchent Dieu est différent de la
bienveillance dédaigneuse que tu sembles attendre de Lui. 1113
Détendue, la jeune pieuse saisit enfin une des arcanes de la prière en espérant que le
divin lui ouvre les portes de la raison. Une fois débarrassée de ses tourments, elle ne souffre
plus, ne parle plus aux objets inanimés et finit même par apprécier ce désert- devenu
subitement doux et lénifiant - qui lui offre une nouvelle porte sur la vie : Tu y es parvenue
grâce à l’Amour. Tu es arrivée à aimer et à respecter Dieu .Noure et toi-même.1114
Face à la vielle chiromancienne, Zaina veut savoir pourquoi Dieu n’a pas daigné
l’écouter jusqu’à l’intervention de Noure. La réponse de la vieillerie aveugle met en lumière
le caractère synoptique du divin permettant à l’Etre de parvenir à lui, raisonner ses tourments
et enfin parvenir à soi grâce à l’amour. Elle comprend enfin que la foi raisonnée en Dieu est
indispensable pour qu’elle puisse s’extraire du désert des hommes.
-Dieu est synoptique, les détails sont humains .Il nous faut voir grand et loin, mais
aussi construire notre échafaudage avec ces détails pour parvenir à Lui et ensuite jusqu’à nous, tout comme toi,
tu as assemblé les pièces de ton puzzle souvent dans la douleur d’une démence ensablée ensuite dans
l’allégresse d’un rêve aquatique, pour en arriver à la fin jusqu’ici, et cela sans t’en rendre compte .1115
Par son intervention, l’énonciateur contribue à valider les assertions de la vieillerie
aveugle en tant qu’instance discursive antérieure. Dès le premier segment, il définit Dieu par

1113
On dirait le Sud, p.179
1114
Ibid., p.194
1115
On dirait le Sud, p. 193

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

l’adjectif synoptique par opposition aux hommes enclins percevoir le monde dans une vision
rétrécie accolant le qualifiant humains au substantif détail.
Finalement, nous constatons que les discours des instances énonciatives sont
complémentaires pour expliquer à la jeune femme ce qu’est ce Dieu qu’elle ne cesse de
supplier sans le moindre répondant de sa part ainsi que sa démarche adéquate pour parvenir
jusqu’ à Lui. Cette interaction énonciative contribue à instaurer le dialogisme dans la stratégie
argumentative et énonciative déployée dans le corpus.
Une ultime voix énonciative sur le divin est celle de Neil , en fusion avec le désert
mystique et rocailleux , qui éprouve un profond désir de lui obéir instinctivement dans
l’espoir de trouver ce qu’il est venu chercher dans un profond recueillement .Dans son
monologue intérieur, il subodore que sa pérégrination va incessamment se terminer et que la
présence divine imprègne fortement cette forêt de pierre aux artères urticantes qui ne cesse de
reposer son esprit tourmenté :Dieu est là…..quelque part, il est là dans ces régions rudes et
d’apparence hostile, mais avec la béatitude si enveloppante ! Tout est présence dans ce
monde vide.1116
La béatitude divine enveloppant l’univers hostile et désertique est ressentie par
l’instance énonciative comme une certitude : celle de son existence par l’emploi du verbe être
dans le premier fragment déclaratif : Dieu est là séparé de l’adjectif indéfini quelque part par
les points de suspension comme s’il découvrait après un laps de temps son omnipotence.
Quant au mais consécutif à la construction déclarative il est là où le pronom substitut
anaphorique il et le verbe être confirment la certitude l’existence divine dans un
environnement d’apparence hostile, on peut néanmoins expliquer sa présence en faisant appel
non à des arguments au sens strict mais à une posture, à un ressenti, à une conviction, celle de
sa foi en cette béatitude divine et enveloppante.
La beauté divine du paysage rude et lunaire régénère son esprit et le fait vaquer dans
des réflexions métaphysiques du Tout et du Rien dans un monologue intérieur explicitant
l’alchimie du Tout et du Rien dans cet espace lunaire aux artères urticantes :
Ici, le Rien devient le Tout et le Tout relativise le néant. Les deux se confondent avec une origine où tout est
unité et ensemble, départ et arrivée, impulsion et finalité, la fin d’un commencement, le commencement d’une
fin. Ce Tout ne venant de Rien et ce Rien qui donne naissance au Tout. Ceci est tellement extraordinaire ! 1117
Neil ressent au plus profond de lui-même cette harmonie de l’univers du Rien au Tout
et du Tout au Rien même si rien ne semble bouger, la présence divine est ressentie dans sa

1116
Ibid., p.199
1117
On dirait le Sud , p.200

324
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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globalité. Son discours intérieur est constitué de brefs énoncés constatatifs et appréciatifs de
cette extraordinaire mécanique où la perception du divin passe obligatoirement par son
imprégnation de l’harmonie du Tout et du Rien .L’occurrence des anaphoriques démonstratifs
Ce et Ceci désignant la mécanique divine du Tout et de Rien permet à l’énonciateur
d’exprimer sa compréhension du phénomène en tant que tel dans un présent atemporel
aucunement indicé vers un passé ou un futur. L’instance discursive ne contrôle ni son passé et
encore moins son devenir à l’issue de son errance et de ce fait, seul ce moment de perception
du divin , prime dans son immédiateté atemporelle.
Dans LSD, l’appréciation du divin passe par la suspicion de Lucy qui se met à douter
de l’existence de Dieu suite au constat affligeant qu’elle fait de ce siècle de dictature, de ce
siècle où Dieu est du côté des méchants, des négriers, des esclavagistes. Lucy doute et
interroge dans son soliloque les images macabres et l’origine du mal qui hantent ses nuits de
sommeils éveillés : Qui fixe les règles ? Qui décide du Dieu, de la couleur et du sexe
gagnant ? Qui ?1118
Cette série d’interrogations singularisée par la mise en apposition du pronom Qui
illustre le profond sentiment de doute et de désarroi de l’instance qui ne semble pouvoir
comprendre les raisons pour lesquelles le divin n’empêcherait pas les Homme de faire autant
de mal à leurs semblables.
Il est clair que la guenon Lucy répond à une interrogation de Charles1119 sur sa prise de
conscience du divin, d’elle-même et de l’Œuvre merveilleuse de CeluiQuiPenseàToutqui
diffère de celle des humains qui, en ayant réduit leur foi à de simples sens, ont fini par en
avoir une vision réductrice de celui qu’ils appellent Dieu et de l’ensemble de ses créations.
Ayant toujours été convaincue de son existence ,son discours sur l’inengendré se fait
révélateur d’une grande leçon de foi en l’ éternelle transcendance que les hommes n’ont pas
toujours su mesurer à sa juste valeur croyant pouvoir se l’accaparer pour justifier et légitimer
leur anthropocentrisme dévastateur. L’instance discursive construit en définitive une sorte de
scène onirique et fictive par le truchement d’énoncés constatifs à valeur généralisante.
Celui que vous appelez Dieu a toujours existé et existera bien après. Je ne l’ai pas découvert mais ressenti tout
de suite, dès que j’ai regardé autour de moi ; quand il m’a ordonné de me mettre debout, et aussi lorsqu’il est
venu dans mes rêves pour me faire traverser de part en part l’humanité. Il m’a fait voir la première impulsion
et la dernière expiration de ceux qui confondent tout. 1120

1118
LSD, p. 47
1119
Qui t’as donné la clé de Son existence ? Ibid. ,p.123
1120
LSD, p.124

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Elle ne prend aucune distance par rapport à son énoncé en utilisant le vocatif vous
confirmant son interlocuteur comme représentant du reste de l’humanité et le pronom Il pour
dire ce qu’est vraiment le Maitre du Tout et le pronom je pour adhérer à son propre discours
qui est aussi celui de son créateur :
Vous avez réduit votre croyance à vos simples sens .Cela vous a donné une vision atrophiée de l’ensemble. Ce
merveilleux ensemble est Son Œuvre. CeluiQuiPenseàTout est le Dieu de tous les êtres, de toute la faune , de
toute la flore , des étoiles , des univers , des vides et des pleins, des lumières et des obscurités .Il règne sur des
dimensions que vous ne pouvez soupçonner .Il est le Maitre du Tout en l’absence et en présence du temps .Il est
l’ampleur des espaces et le milieu de l’exigüité du néant (…) Fuyant et insaisissable .Il sous-tend et transcende
la tangibilité. Unique et incomparable.
Perpétuelle immanence .Impérissable. Le Tout de tout et de rien .L’inengendré. Le sans fin .Le Logos commun,
universel 1121
Centré sur l’expression de la subjectivité de l’instance discursive pour dire ce qu’est le
divin, son discours se caractérise par des phénomènes dialogiques et l’énumération d’adjectifs
coordonnés et non justifiés par un prédicat affecté à travers un regard qui tient compte de
traits sémantiques appréciatifs et valorisants (fuyant, insaisissable, impérissable, inengendré,
sans fin, logos commun, universel).
La relation entre l’Etre et le divin prend une nouvelle tournure lorsqu’un article signé
par une certaine Lucy. L et écrit il y a 111 et 6 mois que Charles retire de la poche de son
pantalon et qui s’intitule Lettre ouverte à Charles Robert Darwin .Ce brûlot dénonce
l’anthropocentrisme et la théorie de l’évolution qui n’accordent pas de place à l’être humain
qui, tout en étant enclin à l’autodestruction, défiera son créateur avant de vouloir se substituer
à lui. Tel est l’héritage inné de l’humain qui n’a jamais daigné tenir compte de la morale et du
spirituel et du fait qu’il est une partie de son Œuvre.
Après avoir défié Dieu viendra le jour où l’homme voudra le remplacer. Charles, il y a une part divine en
l’homme, c’est celle qui lui permet, désormais, de nier son Créateur. Il s’autoproclamera maître de la nature,
maître de la matière. Maître de Tout .Pour cela, il acceptera de subsister à n’importe quel prix, car il est sur
d’une chose : sa pérennité sur terre .Alors, l’homme deviendra maître de la morale, il inventera des lois. Pour
lui tout se vaut donc rien ne vaut ! Le profit, l’argent, le pouvoir seront son dieu. L’homme construira des
temples partout pour vénérer ses nouveaux dieux, qu’il extraira de ses profondes pulsions archaïques, de ses
peurs….de lui-même.1122
Ces énoncés constatifs favorisent un relais de parole assumé par la voix de cette Lucy
et dont la photo de sa rédactrice ressemble étrangement à Suly la compagne de Charles
Darwin Jr. Se voulant pragmatique, l’instance discursive développe un espace de

1121
Ibid., p.124
1122
LSD, p.120

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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significations par des segments explicatifs de l’évolution de l’homme jusqu’à son


anthropocentrisme exacerbé qui le mènera à cette dramatique posture visant à sa propre
déification, oubliant qu’il n’est qu’une créature, au détriment du véritable Créateur. Dans cette
explication, témoignage explicatif de l’usurpation de l’homme, nous remarquons l’occurrence
du pronom anaphorique permettant la mise en exergue des étapes par lesquelles l’homme est
passé pour avoir l’illusion de se substituer au divin. Enfin, ces segments explicatifs obéissent
à la relation logique de cause à conséquence pour démontrer que les notions de la création et
de l’évolution de l’Homme devaient impérativement allier à l’implication scientifique des
valeurs de transcendance morale et spirituelle à même d‘endiguer son anthropocentrisme
démesuré .Robert Darwin n’en a pas fait cas dans ses travaux et la voix de Lucy .L le lui
reproche clairement tout lui proposant la solution pour le prochain millénaire, en relativisant
son égo dans une démarche de respect de l’autre et de la terre Gaia menée vers une
destruction inéluctable :
Charles, vous n’en tenez pas compte et n’en faites même pas référence dans vos travaux (…) Grave erreur !
(…) Charles Robert Darwin, vous n’êtes pas le seul à faire cette erreur stupide qui développera
l’anthropocentrisme chez l’Homme et c’est sûrement là le drame .D’autres prétendent que l’Homme est à
l’image de Dieu .Certes , nous portons en nous une trace d’essence divine , car nous faisons partie de Son
ensemble (…) Je vous le dis Charles, l’homme de demain ,industrialisé et nombriliste aurait tout intérêt à
ouvrir sa conscience à autrui, établir avec objectivité des rapports équitables avec ses semblables et surtout
avec son environnement. Nous ne sommes ici que locataires. Après nous, d’autres habiterons la Terre .Quel
héritage leur transmettrons –nous ? Quel héritage ? L’homme doit relativiser son égo pour prendre de la
hauteur, Charles……
Je vous le dis, je vous l’écris Gaia est en danger ! Je prévois cela pour le millénaire prochain .C’est loin et
trop proche.
Si cela continue ainsi viendra le jour où l’Homme affectera l’infiniment petit, alors il détruira le
grand ! 1123
La rédactrice de l’article détaille les comportements nombrilistes et moralement
condamnables de l’homme que Darwin élude dans ses travaux scientifiques. Dans cet
argumentaire, nous remarquons que l’instance discursive use de la fonction phatique du
langage pour interpeller Robert Darwin et lui faire prendre conscience de son erreur
dramatique (Charles ; Je vous le dis, Charles ; Je vous le dis, je vous l’écris..).On glisse alors
d’un plan d’énonciation à un autre, passant du je au nous en vue de marquer l’adhésion et
l’implication de l’instance à son propre énoncé tout en se positionnant en représentante de la
communauté humaine. En outre, l’emploi des tournures interro-exclamatives confirme la

1123
LSD,pp.120-121

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présence de cette subjectivité dont le discours argumentatif vise à éclairer Charles Darwin
dont la mission sera de sauver l’humanité du prochain millénaire. L’utilisation du futur simple
associé à une structure de type conditionnel (Si cela continue) implique une forte prise en
charge de la part de l’énonciatrice dans cette perspective de sauvetage des hommes et de Gaia,
leur terre nourricière.
Dans un second mouvement énonciatif, Lucy. L s’attèle ensuite à rapporter à Robert
Darwin, théoricien de l’évolution, extrapolant ce que Dieu dirait sans regret à ce propos .La
parole est cédée au divin qui multiplie les signifiants hostiles à cet affranchissement des
hommes convaincus d’être à l’image et /ou à sa place pour appuyer et justifier les énoncés
évoqués par l’énonciatrice :
- Si Dieu avait une once de regret, Il dirait : « Pourquoi ai-je fais les hommes affranchis, car à ce
prix, J’ai perdu à leurs yeux la mainmise et l’omniscience. Ils ne savent pas que j’aurai pu tout
contrôler et connaître d’avance leurs desseins si j’avais simplement construit des robots. Mais je
ne l’ai pas voulu ainsi.1124
L’instance discursive première cède la parole comme acte illocutoire par le truchement
du discours citant basé sur l’expression de la condition, sur ce que dirait Dieu à propos des
Hommes enclins désormais à leur illusion de mainmise et d’omniscience en remplacement du
divin légitime. Cette seconde instance explique et propose un argumentaire qui explicite le
contenu discursif du brûlot de Lucy. L .L’emploi du connecteur car permet de justifier le
libre-arbitre à l’origine de cette illusion que les hommes se seraient accaparés au détriment de
l’instance divine. Notons que la présence de car peut paraitre injustifiée si l’on ne saisit pas le
fait que l’instance justifie son énonciation antérieure (Pourquoi ai-Je fais les hommes
affranchis) charriant l’idée que la divinité ne peut regretter d’avoir doté l’homme de son libre-
arbitre .Le connecteur mais dans l’énoncé Mais je ne l’ai pas voulu ainsi est réfutatif et
s’inscrit dans une sorte de dialogue en filigrane qui associe négation et rectification de
l’illusion anthropocentrique des hommes .
Nous voyons bien que les discours de Lucy. L et celui hypothétique du divin sont
complémentaires .Ils se soutiennent dans une interaction dialogique et énonciative permettant
d’assoir la stratégie discursive et argumentative déployée dans le corpus.

1124
Ibid. , p.120

328
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Dans Aigre-doux, la thématique de la mort apparait à travers le personnage de la


Délivrance qui n’a de cesse de baliser le parcours et les élucubrations tourmentées du
personnage en quête de lui-même qui , d’ailleurs , finit par avoir de la mort une vision
parcellaire et contradictoire qui passe de partenaire suave d’un ultime délice à celui de peur
mortuaire et déstabilisatrice . Le personnage en errance se fait par la suite énonciateur d’un
discours épistolaire à travers une lettre admirative destinée aux asticots qui se délecteront,
dans l’après-mort, de son propre corps.
Dans Aigre-doux, l’évolution du processus interne dialogique du discours ontologique
se développe à travers l’énonciation de la thématique de la mort qui apparait dans l’univers
diégétique à travers le personnage de la Délivrance symbolisant la mort, ultime étape par
laquelle le personnage doit passer pour enfin donner un sens à son errance et à sa mue
inévitable. Cette femme qui se fait appeler Délivrance balisera son parcours, influera sur le
cours des évènements en tant qu’accompagnatrice de la mue du personnage enfin libéré de ses
tourments. Ainsi, cet ultime délice que devient la Délivrance va se positionner comme instance
énonciative composante du discours ontologique sur la mort.

1. Réflexion sur la Mort

Après avoir longtemps erré dans la ville cannibale, bouffeuse de vie, le personnage
tourmenté dans Aigre-doux s’interroge sur ses lendemains aléatoires qui le mèneront
inexorablement à sa propre mort dont il a du mal à circonscrire les contours. C’est dans
l’illusion d’un échange verbal avec des penseurs philosophes enclins à résoudre les problèmes
de l’humanité manichéenne qu’il égrène les hypothèses de sens sous forme de
questionnements péremptoires : Et la mort, c’est quoi ? Une fin, un début ? Une délivrance ?
Une délivrance ou une détention ? Les deux ! Répondraient ces philosophes Me voilà bien
avancé ! 1125
Cet illusoire échange verbal s’élabore dans un acte de parole illustrant sa difficulté à
cerner ce que la mort peut représenter pour lui, dualité manichéenne , fin d’une expérience ou
commencement d’une autre, libération ou un emprisonnement de l’âme. Son questionnement
sur la mort ne suscite aucune réponse qui lui permettrait de donner un sens à cette délivrance
et l’énumération de substantifs antonymes conclus par un point d’interrogation illustrent bien
la difficulté de l’instance énonciative à cerner sa propre mort.

1125
Aigre-doux, p.120

329
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Lors de sa pérégrination le personnage errant, en tant qu’instance énonciative


première, plane au-dessus d’un vieux cimetière, spécule et s’interroge sur sa propre mort en
découvrant des tombes disposées pèle -mêle telles des dominos sur une table de jeu. C’est par
le discours citant énoncé que l’énonciateur confirme l’évasive perception de sa propre mort
dans une dimension spatio-temporelle onirique :
Ma raison est embuée par des vapeurs qui viennent de l’intérieur, je sens mon corps flotter dans
un espace sans dimensions. Et si toute ma vie n’est qu’un mensonge ? Et si ce que je vis en ce
moment n’est que le fruit de mon imagination malade, pis encore, une grande conspiration
orchestrée par des « esprits » dominants qui essayent d’étudier, d’influencer, de guider mes
comportements ? Je ferai donc partie d’une immense bouffonnerie où mon existence et ma mort ne
m’appartiennent nullement. 1126
D’emblée, son discours sur l’illusion de sa vie et de sa mort s’appuie sur des énoncés
interrogatifs introduits par les indices typographiques du discours direct sur une hypothétique
conspiration maléfique et bouffonne régentant à son insu sa mort et son existence.
C’est à cet instant que les interrogations existentielles de l’énonciateur prennent une
macabre dimension : il se demande s’il n’est pas déjà plus de ce monde dans un purgatoire
mortuaire au pied de sa propre pierre tombale : Et si j’étais mort, si je n’étais plus de ce
monde sans que je m’en rende compte ? Tel un fantôme hantant son propre esprit ? Serais-je
prisonnier de ce purgatoire attendant une ultime délivrance ? Comment le saurais-je ? 1127
Cette série de fragments interrogatifs mis entre guillemets - où l’occurrence de la
conjonction de condition Si introduisant l’hypothèse de sa propre mort dont il ne serait
toujours pas conscient dans un hypothétique purgatoire duquel il souhaiterait s’extraire au
plus vite. Cette modalisation autonymique implique à la fois mention et usage de ces énoncés
interrogatifs ainsi détachés typographiquement. En outre, l’emploi réitéré des guillemets dans
un dispositif énonciatif enclin à exhiber une discordance des voix sans en préciser la source.
A ce niveau-là, nous pensons que ces énoncés peuvent être attribués à l’instance
discursive première qui se dédouble au moment de la prise de pilules aigres-douces pour
l’énonciation en question où les deux je des discours citant et cité désignent le même
énonciateur. Ce denier s’interroge Cette réflexion du personnage errant dont l’esprit
tourmenté l’amène à se poser la question de sa propre mort au moment de l’enlisement de sa
perception en quête de l’épitaphe de sa propre tombe dans ce cimetière où les enterrements se

1126
Aigre-doux , p. 121
1127
Ibid., p. 121

330
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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font à la criée : - Suis-je dedans ou dehors ? (…) je voudrai tant me retrouver mort ! Je serais
au moins fixé sur mon funeste sort.1128

2. Mort et Délivrance

Nous constatons d’autres aspects de ce rapport à la mort à travers d’autres situations


énonciatives et notamment celle où l’instance discursive en proie à ses élucubrations
tourmentées rencontre cette femme au haïk, aux yeux émeraude et à la chevelure flamboyante
ne cesse de baliser son errance. L’instance énonciative se retrouve à déshabiller sa délivrance
dans une subtile et bouillonnante fusion charnelle génératrice d’un profond sentiment de
bonheur au goût particulier de l’aigre et du doux :
Je m’en délectais jusqu’à mon dernier râle .Elle se tenait debout nue. Jamais, je n’aurais cru que
la Mort pouvait avoir ce visage …bien sûr, c’était celui de la délivrance, ma délivrance (….) Dans
ma bouche, une saveur au goût aigre, au goût doux, au goût piquant, au goût sucré, se mêle à une
senteur métaphorique ….mortuaire.1129
Nous constatons que le sujet de l’énonciation marque une distance à l’encontre de son
propre énoncé en commentant en quelque sorte sa parole en train de se faire par l’emploi de
l’adverbe Bien sûr. Ces commentaires de l’énonciateur découvrant et se délectant du corps
parfait de la Délivrance se concrétisent par une parole incapable de toucher une autre réalité
qu’elle-même : celle de l’expérience singulière de la découverte du visage sensuel de la mort.
Puis, c’est en repensant à cette dernière nuit suave et délicate passée avec sa Délivrance,
l’instance discursive prend conscience que cette femme ne l’a jamais quitté au cours de son
errance jusqu’à en modifier son aperception de l’existence savourant cet ultime délice
mortuaire qu’il soit réel ou onirique :
Depuis que j’ai rencontré cette femme (….) ma délivrance qui n’avait jamais cessé de baliser mon
chemin et que j’avais fini par prendre, mon aperception de l’existence a changé (….) Si c’est elle,
la mort a su se faire aimer et si ce n’est qu’un rêve, alors je l’ai savouré comme on savoure un
délice une dernière fois. 1130
Au moment où cette mystérieuse déesse onirique s’est présentée comme étant sa
délivrance, l’instance discursive éprouve une sorte d’appréhension muant progressivement en
un profond sentiment de peur mortuaire accompagné de sueurs froides déconcerté par cette
couleur de l’espoir qui jaillit du regard de la Mort.1131

1128
Aigre-doux, p.123
1129
Ibid., pp. 237-238
1130
Ibid .,p.239
1131
Ibid., p. 241

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Par la suite, déconcerté par cette couleur de l’espoir qui jaillit du regard de la
1132
Mort , l’instance s’interroge sur le sens à donner aux ébats amoureux qu’il vient de vivre
avec sa mort t le fait qu’il ait été choisi pour la mue : Je désire comprendre …peut-être est-ce
une erreur de ma part, mais j’aimerais savoir pourquoi …..Pourquoi moi ? 1133
Une véritable conversation s’engage avec cette apparition venue le libérer de ses tourments
pour une futile procrastination qu’elle accepte dans un élan de tendresse maternelle :
- Aujourd’hui, tu es venue mettre un terme à ma vie et me proposer une autre meilleure. Dois-je te
croire, ai-je le choix ? Non .Tu dois t’en douter : ta visite ne me surprend pas .Dans mes
désarrois, je t’avais souvent sollicitée et tu m’étais apparue sous d’autres âges .Mais seulement
….non, excuse-moi, je ne te suivrai pas, je ne suis pas prêt. Ce dernier jour, je ne désire rien,
sinon peut-être, que tout s’arrête ! Tout, même ma mort. Alors s’il te plait reviens demain.
-Ne l’as-tu pas écrit, toi-même ? Si tu devais mourir aujourd’hui tu aurais la chance de vivre
plein de choses jusqu’à hier.
-L’homme le plus courageux, le mieux préparé ne peut -être qu’un homme .La peur de mourir est
un sentiment typiquement humain.
Elle me regarde, sourit ; tendrement, maternellement, elle réplique :
-Alors, à demain ! 1134
Cet échange spontané entre l’énonciateur et la délivrance réfère à un type
d’interlocution verbale où les échanges ne sont pas égalitaires .En effet, si l’énonciateur prend
le temps de l’explication de son ressenti face à la mort venue le chercher, les laconiques
propos de son interlocutrice se caractérisent par leur force de persuasion .Ce déséquilibre
illustre la supériorité de l’interlocutrice mortuaire sur les faibles mortels dans leurs légitimes
désirs de procrastination face à l’inéluctable.
Sa vision de la mort semble être parcellaire .En effet, dans le purgatoire de sa vie, il lui
arrive de ressentir un profond sentiment d’incertitude par rapport à l’existence. C’est en ces
termes qu’il se demande si la confirmation de sa propre mort ne lui permettrait pas d’entériner
son existence et son errance : dois-je arrêter ma quête pour mourir …simplement pour
1135
confirmer que j’ai existé. Dans On dirait le Sud, la folle pieuse qui n’en démord pas,
perçoit la mort de manière singulière .Elle se met à espérer en croyant que mourir lui
permettra de rejoindre le ciel et ses anges .Cette dernière exprime son profond désir d’en finir
avec l’existence en répétant en boucle : mourir, rejoindre le ciel et ses anges.1136

1132
Aigre-doux ; p. 241
1133
Ibid., p. 241
1134
Ibid., p. 245
1135
Ibid., p. 224
1136
On dirait le Sud, p.175

332
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Enfin, dans ses pérégrinations oniriques, celle qui ne cesse de souhaiter mourir
explique à Mouloud que, finalement, l’apparition du doux et triste visage de Neil à la place du
sien dans le reflet du miroir sans tain lui a probablement sauvé la vie : Dès que je l’ai entrevu,
je ne cesse de penser à lui .A maintes reprises, j’ai sollicité la mort, mais les échafauds que
j’avais construits pour l’atteindre se brisaient sous mon maigre poids. Indubitablement, elle
ne voulait pas de moi.1137

3. Consignes aux asticots

L’acceptation de la mort prend alors de l’ampleur à travers le macabre scénario de sa


propre mort pour rêver d’éternité après avoir pris le temps de buriner son épitaphe et enfin
pleurer pour les vivants qui ne reviendront plus le voir. Nous remarquons que le discours du
narrateur errant insiste beaucoup sur l’utilité de profiter de la vie et de s’en enrichir jusqu’à
l’inéluctable journée macabre : Tous les jours sont faits pour venir ou pour partir .Mourir
aujourd’hui vaut tout autant que mourir n’importe quel autre jour .Et si c’est aujourd’hui,
j’aurai vécu plus de choses que si j’étais mort hier. 1138
L’emploi de constructions lapidaires, brèves, chargées de sens se présentent sous
forme d’adages véhiculant une vérité ontologique incontournable à laquelle l’énonciateur
semble adhérer.
Cette vision de ce qui pourrait advenir au mortel narrateur dans l’après -mort, nous la
découvrons à travers l’énonciation d’un plaidoyer sur l’équité de la mort. L’énonciateur prend
sa plume pour écrire une lettre ouverte aux asticots, qui le dévoreront, pour leur dire à titre
posthume son respect, le bien qu’il pense d’eux et de cette mort qu’ils représentent
indubitablement et ce, malgré l’effrayante image qu’ils en donnent. Ce discours épistolaire en
italique qui se déploie procède par visées injonctives et argumentatives des raisons de son
admiration vu le traitement juste et équitable que les respectables asticots réservent à chacun
de nous. D’ailleurs, la présence de l’italique montre que cet artifice est bel et bien assumé par
l’instance énonciatrice de ce discours épistolaire. Cette modalisation autonymique s’explique
alors par la volonté du romancier de donner un caractère d’authenticité à sa lettre aux asticots.
Dans ce dispositif énonciatif le nous fait référence à tous ceux qui seront dévorés par les
justes asticots alors que le vous possède ici un statut remarquable d’équitables et justes

1137
On dirait le Sud, p .216
1138
Aigre-doux., p. 226

333
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

asticots. Les conseils du futur moribond aux asticots pour qu’ils s’en délectent dans l’équité
s’accompagnent de son admiration sans limite à leur égard:
Chers asticots
Si je vous écris ces quelques lignes, c’est pour vous faire savoir que vous ne me faites pas peur, mais alors, pas du tout !
Quand vous lirez ma lettre, je serai certainement à portée de vos voraces mandibules. Je tiens seulement à vous dire que
vous êtes des créatures que je respecte(…) vous êtes les seuls à ne pas faire de différence entre les êtres, pas de racisme et
pas de préférence. L’égalité pour tous devant les asticots .Je crois que c’est la seule équité en ce monde :tous bouffés
jusqu’aux os , nettoyés à sec et à blanc , que nous soyons prince ou pauvre , fort ou malade , femme ou trois hommes ;
animal ou inhumain ; noir ou violet ;vierge ou pape .A tous , sans exception , vous nous réservez le même traitement , voilà
pourquoi je vous admire , chers asticots .1139

Les objets du discours s’enchainent au fur et à mesure que les asticots reçoivent le
menu proposé par l’énonciateur qui les guide avec dextérité, pour en apprécier son cerveau ,
ses yeux éteints , son nez long et pointu ,ses lèvres et sa langue , son cœur , son ventre ,et ses
mains avant d’en dévorer le reste deviennent prétextes à des commentaires posthumes sur ce
qu’ils ont pu lui faire vivre dans la vie terrestre: - Quand vous allez commencer à me dévorer,
je vous demande de le faire par mon cerveau(…) il m’a laissé un esprit clair et espiègle
jusqu’au dernier souffle .Enfant, je le suis resté malgré mes rides et mes cheveux gris. Cette
cervelle m’a surtout permis de rêver et de croire en mes songes. 1140
En ce qui concerne l’emploi de déictiques de personnes, nous constatons la présence
du je de l’énonciateur et du vous généralisant en tant que trace de l’implication des asticots
narrataires convertissant l’énoncé épistolaire en un plaidoyer respectueux de l’équité du
festoiement des vers aux voraces mandibules. Quant au je référant à l’instance énonciative
garantissant la vérité de ces énoncés n’est pas un je particulier mais plutôt généralisant d’une
voix collective incluant dans sa référence le reste des mortels sains et comestibles seront
inéluctablement confrontés à leurs chers asticots. Cette généralisation est corroborée à
postériori par l’énoncé conclusif de l’énonciateur souhaitant bon appétit aux asticots : Sachez
aussi, vous qui va me déguster un jour, vous servirez à amorcer un poisson qui sera mangé
par un pêcheur.1141 Il est clair que cette interpellation se caractérise par une assertion qui
charrie la certitude d’une inéluctable mort et des asticots qui seront mangés à leur tour par des
poissons eux-mêmes mangés par des mortels pécheurs et /ou pêcheurs. Nous voyons à quel
point la parole discursive se fait explicative et persuasive.
Avant d’en arriver là, le festoiement dirigé par le menu lui-même qui prend la parole
rendre un ultime hommage aux parties essentielles de son corps en même temps que les

1139
Aigre-doux, p.232
1140
Ibid., p. 232
1141
Ibid., p.234

334
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

asticots font connaissance avec elles. L’instance énonciative recommande aux vers de terre de
commencer par sa cervelle qui a parachevé sa fonction en lui léguant un esprit clair et
espiègle et la faculté essentielle de pouvoir croire en ses rêves depuis sa tendre enfance :
Quand vous allez commencer à me dévorer, je vous demande de le faire par mon cerveau .Il a fini
sa fonction sereinement .Il m’a laissé un esprit clair et espiègle jusqu’au dernier souffle. Enfant, je
le suis resté malgré mes rides et mes cheveux gris. Cette cervelle m’a surtout permis de rêver et de
croire en mes songes. 1142
Ce processus prend un caractère itératif dans les propos de l’instance -menu des
asticots dirigeant leur futur festoiement par le truchement de repérages spatiaux localisant les
parties du menu à consommer goulûment :
- un peu plus bas vous allez trouver mes yeux éteints à jamais (…) puis tout au milieu de mon
visage, il y a le nez(….) Juste au-dessous du nez, ce sont mes lèvres(…)Quand vous finirez ma
bouche , entrez à l’intérieur pour goûter ma langue(….) Après , je vous suggère de vous diriger
vers mon cœur(…) plus bas , à l’intérieur de mon ventre (…) le reste de mon corps, chers asticots ,
je vous laisse le découvrir .1143

4. L’après-mort

Pour Mouloud, l’acceptation de la mort n’empêche pas pour autant la peur de l’après-
mort .Le chef targui explique à la jeune femme que les hommes ont plus peur de ce qu’il y a
après la mort que de la mort elle-même : Le targui affirme alors que l’homme a peur de
l’inconnu et qu’il ne cesse de chercher dès qu’il résout une énigme. En outre, il ne fait que
reculer le rideau obscur mais n’apporte jamais la lumière suffisante et ne peut soulever le
rideau : La vie est un don de Dieu qui se réserve le droit de nous la retirer.
L’image de la mort est celle que nous désirons bien lui donner, rien d’autre. Nous n’avons pas
peur de la mort, mais de ce qu’il ya après cette mort. L’homme craint l’inconnu et c’est pour cela
qu’il ne cesse de chercher .Chaque fois qu’il résout une énigme, il fait reculer un peu plus loin le
rideau de l’obscur sans pour autant apporter la lumière suffisante et encore moins à soulever ce
rideau. 1144
L’instance énonciative met d’emblée en place un argumentaire dans une logique de dialogue
interne fonctionnant comme un acte de langage perlocutoire destiné à persuader la jeune
femme que la peur de la mort se propage au-delà de la mort elle-même .

1142
Aigre-doux, p .232
1143
Ibid., pp. 233-234
1144
On dirait le Sud, p .216

335
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Synthèse

Dans les romans de Mati, l’approche du discours ontologique relative à l’entité de l’Etre
contribue à élaborer les mécanismes fonctionnels de récits atypiques qui remettent en question
l’appartenance génériques des textes écrits. C’est par les flots de la polyphonie narrative et
énonciative que les discours relatifs à l’entité de l’Etre deviennent prolixes et s’installent dans
l’univers fictionnel matien par une expansion frénétique du texte. C’est autour de ces thèmes
d’ordre ontologico-existentiels que s’orientent les regards, et s’imbriquent les diverses voix
énonciatives pour exprimer un parole sur l’entité de l’Etre, sur ses rapports au divin, les
diverses acceptions de l’Amour et de la mort que les protagonistes de ce discours expriment
au gré de leur errance. L’énonciation discursive s’inscrit alors autour de ces axes qui
participent de l’éclatement et de la fragmentation du texte.

L’énonciation du discours associe ces diverses voix pour inscrire l’entité da l’Etre
dans un acte de parole polyphonique dans les abysses de leurs intériorités respectives. C’est
dans cette perspective que nous nous sommes attelés à dégager les mécanismes énonciatifs
déployés par l’écriture pour dire cette parole issue d’intériorités ontologique à travers les
thèmes universels de l’Entité de l’Etre, de ceux issus de sa perception du divin et vice et versa
et enfin ceux qui ont trait à aux diverses conception de l’amour et de la mort Enfin , sur le
plan théorique, le recours aux théories de l’énonciation linguistique nous a permis de
considérer le discours ontologique dans sa consubstantialité à une activité de parole régie par
1145
des phénomènes linguistiques d’une grande finesse . Dans notre corpus, toutes ces
facettes de l’entité de l’Etre deviennent l’enjeu de discours épars assumés par les
protagonistes de la fiction en proie aux élucubrations de leurs esprits tourmentés alors que
leurs adjuvants s’arrogent , cours de leurs échanges conversationnels leur part du discours
ontologique , qu’il s’agisse de la Délivrance ou du thaumaturge dans Aigre-doux , de Noure ,
de la vieille Zaina , du père Balthazar ou de Mouloud le chef des hommes bleus dans On
dirait le Sud et de Lucy l’australopithèque , de Rayane le chef de la communauté Paix-verte
dans LSD .
Ce sont justement les mécanismes déployés pour rendre compte de la dimension
ontologique de son écriture que nous avons mis en exergue en analysant sa composante
énonciative à travers les voix plurielles et disparates d’ entités pour dire leurs acceptions de
l’amour de Dieu et des hommes, celles de la mort dans tous ses états pour enfin donner un

1145
Déictiques, modalités, discours rapportés, polyphonie, modalisation autonymiques

336
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

sens à leurs errances respectives et aux finalités de leurs existences .Découpant la dimension
ontologique en champs discursifs inhérents à l’entité de l’Etre que sous-tendent stratégies
énonciatives, procédés et manipulations langagières, nous nous sommes appuyés sur les
discours rapportés les plus illustrateurs de cette identité énonciative philosophico-
existentielle.
Dans les romans de Mati , la configuration de la communication énonciative portée par
les discours des sujets parlant de leur quête identitaire et existentielle respectives
s’accompagne indubitablement d’une sorte d’apprentissage de connaissance de soi, de l’autre
et du divin ciblant un bonheur irréprochable. Ces énonciateurs, apprentis de l’existence, ne
cessent de s’interroger sur eux-mêmes et sur les autres, sur leurs doutes et certitudes
intrinsèques, sur l’amour et la mort dans tous leurs états et tenter de cerner leur relation au
divin.
Dans Aigre-doux, la parole ontologique est prise en charge à la fois par un narrateur,
instance discursive première et par ses adjuvants chargés de baliser son errance jusqu’à
l’aboutissement de sa quête. Les récits disparates s’enfilent au gré de l’errance du narrateur
instance discursive première se dédoublant par le truchement de glissements énonciatifs d’un
discours rapportés à l’autre.
Puis, dans On dirait le Sud, la parole ontologique s’installe par une polyphonie
énonciative que d’incessants débats internes, entre personnages évoluant dans des mondes
parallèles, auxquels se greffent les discours rapportés par d’autres instances chargées de
baliser leur errance.
Enfin, dans LSD, ce sont les échanges conversationnels relatifs à l’anthropocentrisme
de l’homme depuis que la création du monde, de son anthropocentrisme qui a tellement
l’Humanité et sa terre nourricière, à ses rapports au divin qui, à son tour s’érige en instance
discursive entérinant l’évidente certitude de sa transcendance. La finalité étant de refonder
une nouvelle humanité sur des bases plus spirituelles dans le désert de l’Afar en Ethiopie.
Les stratégies du discours ontologique -relatif à l’entité de l’Etre à travers les
questionnements existentiels en relation avec la dualité de l’existence, le concept de libre
arbitre, le relativisme du pire, le rejet d’une vision moniste de l’existence,
l’anthropocentrisme et la corruption morale de l’Etre - se fondent sur des mécanismes
énonciatifs qui permettent le choix de constructions logiques de cause(s) à conséquence(s)
impliquant systématiquement le recours à l’illustration par des situations narratives , scènes et

337
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

procès d’énonciations. Le discours ontologique instaure alors son propre espace


d’énonciation :
-Par les modalisations autonymiques (italique, commentaires de l’énonciateur sur sa
propre énonciation) permettant de créer un dispositif énonciatif consacrant une écriture aux
codes génériques les plus hétérogènes.
- Par des relations d’intersubjectivité faisant en sorte que les voix énonciatives se
relaient pour dire ce discours (argumentatif, didactique, injonctif, spirituel, absurde et/ou
déliriel) inscrivant cette parole ontologique de l’Entité de l’Etre dans un acte de parole
polyphonique et dialogique.
- Par des fragments de discours rapportés au style direct et /ou indirect (discours
direct, discours direct libre, discours indirect libre ) qui , tout en s’affirmant comme une
émancipation à l’égard des contraintes typographiques , sont liés au couple interlocutif
incluant des vocatifs, des constructions injonctives , des propos fondés sur la modalité
d’énoncés constatifs et appréciatifs qui , tout en faisant resurgir la parole ontologique comme
acte illocutoire révélateur de son entité , tentent de provoquer au final l’adhésion de
l’allocutaire.
- Par l’occurrence de constructions verbales mettant en exergue états d’âmes et
élucubrations, de constructions anaphoriques génériques relayant le point de vue de
l’énonciateur qu’il s’agisse des personnages en errance, de leurs adjuvants dans Aigre -doux et
On dirait le Sud ou celui du divin à l’égard de l’humanité dans LSD.
- Par la coexistence d’instances énonciatives parfois entremêlées et /ou glissements
d’un plan énonciatif à l’autre faisant émerger des co-énonciateurs prenant la parole pour
illustrer par des exemples concrets l’absurde résignation des hommes qui banalisent et
relativisent le pire ou par la remémoration d’un je qui se positionne tantôt comme personnage
de l’histoire, tantôt comme partie prenante du discours.
- Par des discours rapportés - dépourvus de déictiques spatio-temporelles mobilisant
un présent temporel qui l’inscrit dans un monde idéalisé coupé de la situation d’énonciation -
allant dans le sens de la généralisation pour permettre à l’instance énonciative de s’ériger en
personne moralisatrice énonçant une vérité incontestable.
Dans la première partie, nous avons tenté de cerner les procédés et mécanismes
narratologiques dans l’immanence la plus stricte des formes linguistiques d’un corpus
autotélique hermétiquement clos et d’en déceler les structures logiques qui le charpentent.
Nous avons montré comment cette écriture atypique se complait dans l’éclatement et la

338
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

discontinuité pour échapper à toute forme de généricité par l’enfilage de récits disparates dans
Aigre-doux, l’alternance de récits fantastiques mis en abymes dans On dirait le Sud et la
concaténation de récits épars s’imbriquant les uns aux autres pour poser les jalons d’une
narration puzzle fragmentaire dans LSD .Dans la seconde partie, nous nous sommes attelés à
l’analyse du discours ontologique par le recours aux théories de l’énonciation, aux courants
pragmatiques et à la linguistique textuelle en vue de décrire le dispositif discursif qui se fonde
sur la multiplication de scènes et procès énonciatifs convoquant des thématiques d’ordre
ontologico-existentiel à l’intérieur de la fiction.
Enfin, dans la partie qui suit, nous nous pencherons sur l’activité interprétative de
lecture et la réception du corpus matien à partir des stratégies scripturales que l’auteur déploie
pour dire cette parole ontologico-existentielle.
Tous ces éléments relevant de notre compétence rhétorico-pragmatique en tant que
lecteurs coopératifs relèvent de la pragmatique préoccupée par les processus dialogiques
d’interaction suscités, l’activité de construction du sens et l’interprétation ultime de l’énoncé à
partir d’indications para textuelles , intertextuelles ainsi que par le repérage de phénomènes
polyphoniques1146que sont l’humour, l’ironie et la parodie lesquels complètent et/ou se
substituent à leur manière au sens littéral des énoncés en question permet également de
s’introduire dans la textualité matienne pour en cerner sa dimension ontologique plurivoque.

1146
L’ironie, l’humour, la parodie,

339
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

La réception critique des romans de Djamel Mati nous permettra de faire appel à un
certain nombre de modalités et de phénomènes linguistiques polyphonique à partir
d’indications para-textuelles et textuelles relevant de notre compétence rhétorico-pragmatique
qui suppose une activité de lecture fondée sur la théorie de la réception littéraire visant à
étudier le texte non comme un contenu stabilisé à travers tous contextes mais comme un
support pour des interprétations qui varient en fonction des contextes de réception .1147
Il est indéniable que les théories modernes de la critique littéraire accordent la primeur
au rôle structurant du lecteur en lui concédant l’initiative interprétative d’une lecture-
énonciation pour actualiser ce qui sans lui perdurerait à l’état latent. En effet, la perspective
pragmatique implique que le texte a besoin de faire vivre sa signifiance par l’activité
interprétative du lecteur. Le texte n’est plus considéré comme des agencement d’unités
douées de sens qu’il suffirait à récepteur de décoder pour en tirer le sens qu’y a mis
« l’émetteur », mais plutôt comme un réseau d’instructions permettant au co-énonciateur de
construire une interprétation.1148 C’est justement cette approche théorique de la réception
littéraire- qui fait du texte un support pour des interprétations variant selon les contextes de
réception. En tant que lecteurs coopératifs, nous considérons que la poétique de l’œuvre
ouverte d’Umberto Eco considérant le texte comme structure intentionnellement ouverte à la
libre appréciation du lecteur en mesure de construire un univers fictif à partir des indications
qui lui sont fournies : Toute œuvre (…) exige de son interprète une réponse personnelle et
créatrice : Il ne peut la comprendre sans la réinventer en collaboration avec l’auteur accepte
l’ouverture comme un fait inévitable ,mais elle devient pour lui principe de création.1149
C’est à partir de notre activité interprétative que nous mettrons en exergue les formes
et stratégies scripturales usitées par l’auteur pour assoir la dimension ontologique d’une
écriture suggestive qui ne peut que se régénérer de l’apport émotif et imaginatif de
l’interprète. 1150 Le texte a besoin que nous disions ce qu’il ne dit pas explicitement, que nous
comblions espaces blancs, silences et interstices en le libérant de ses propres réticences. C’est
donc autour du contrat que contractera le lecteur avec le texte qui veut que quelqu’un l’aide à
fonctionner (…) postule la coopération du lecteur comme condition d’actualisation (…) dont
le sort interprétatif doit faire partie de son propre mécanisme génératif . 1151Dans son

1147
Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires. Ibid., p.45
1148
Ibid., p .28
1149
Eco, Umberto. L’œuvre ouverte. Paris, Ed du Seuil, Points-Essais, p.18
1150
Ibid., p .22
1151
Eco, Umberto. Lector in Fabula, le rôle du lecteur. Paris, Grasset et Fasquelle, 1985, p. 65

340
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

ouvrage intitulé Le roman algérien de langue française, Faouzia Bendjelid met au premier
plan le pouvoir de suggestion du texte et l’activité interprétative du lecteur qu’elle considère
comme partenaire privilégié de son acte communicationnel en le réécrivant à sa manière. Ce
dernier participe du perpétuel mouvement du texte que l’auteur met à sa disposition dans des
rapports d’ordre dialectiques dans la mesure où l’auteur offre à l’interprète une œuvre à
achever 1152au terme du dialogue interprétatif institué par les instances narratives externes que
sont l’écrivain et le lecteur :
Tout roman « postule » la présence du lecteur dont l’acte de lecture lui donne vie, lui intime sa
régénérescence et projette son devenir même en tant que genre(…) et décide de la valeur de sa
littérarité (…) C’est par la réception critique du lecteur qu’il peut exister (…) Le texte exige
l’intervention du lecteur ; il a besoin d’être signifié par lui ; il a besoin que le lecteur dise ce qu’il
ne dit pas, qu’il comble ses ellipses, ses « silences » de nature aussi bien narratologiques que
discursifs. 1153
Au plan méthodologique les théories modernes de la réception considèrent le texte
littéraire comme un réseau d’instruction qui présuppose chez son lecteur la maitrise d’un
certain nombre de stratégies qui le rendent lisible en lui permettant de construire son
interprétation d’autant que le texte est un mécanisme paresseux qui vit sur la plus-value de
sens qui y est introduite par le destinataire.1154 Cette plus-value sémantique se matérialise à
travers la corrélation production /réception qu’institue le contrat de lecture qui exige une
pluralité de positions de lectures. C’est ainsi que le texte - réseau complexe d’artifices- met en
branle ses prescriptions virtuelles qui organisent son déchiffrement et impose la description de
mouvements de lectures par l’activité coopérative du récepteur. Eco définit le but de l’activité
interprétative du lecteur coopérant comme suit : - L’activité coopérative qui amène le
destinataire à tirer du texte ce que ce texte ne dit pas mais qu’il présuppose, promet, implique
ou implicite, à remplir les espaces vide à relier ce qu’il y a dans le texte au reste de
l’intertextualité, d’où il naît et où il ira se fondre.1155 Notre démarche analytique consistera à
la mise en place d’un parcours de lecture se nourrissant de la résolution des ambiguïtés1156 ou

1152
Eco, Umberto. L’œuvre ouverte, Ibid., p.34
1153
Bendjelid, Faouzia. Le roman algérien de langue française .Alger, Chihab Editions, 2012, p. 89
1154
Eco, Umberto. Lector in fabula “, Ibid. , p.64
1155
Ibid., p.7
1156
Eco définit sa poétique de l’œuvre ouverte par les ambiguïtés de l’objet-message décryptées par le
récepteur : L’artiste (…) ne peut ignorer qu’il travaille pour un récepteur. Il sait que ce récepteur interprétera
l’objet-message en mettant à profit toutes ses ambiguïtés. L’œuvre ouverte, Ibid., p .11

341
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

énigmes1157de l’objet-message qu’est le texte doté d’un large éventail de possibilités


interprétatives. Le contrat implicite auteur/lecteur fait en sorte que l’écrivain éprouve le
besoin d’obtenir l’acquiescement du lecteur qu’il invite à choisir un certain nombre de
stratégies ou positions de lecture pour parer le texte d’une indéniable lisibilité sémantique en
débusquant l’implicite se définit comme un jeu entre le dit et le non-dit, un jeu sur la
frontière, il est normal qu’il passe sans cesse d’un côté à l’autre. 1158
Dès lors, contrat de lecture et lecteur coopérant deviennent les données prépondérantes
d’un procès scripturaire de l’écrivain qui participe de l’ouverture du texte en mouvement en
rendant possible une pluralité d’interventions et d’interprétations personnelles. Le texte à
achever sémantiquement est offert au lecteur par un écrivain qui le considère comme œuvre
ouverte à une série virtuellement infinie de lectures possibles : chacune de ces lectures fait
revivre l’œuvre selon une perspective, un goût, une exécution personnelle.1159
Le texte devient cet espace en mouvement où s’engendrent les sens à travers cette
exécution personnelle qu’est l’activité de lecture1160dont la finalité est son parachèvement et
la lisibilité sémantique du texte. L’écrivain éprouve le besoin d’une sorte de justification aux
yeux de son lecteur pour obtenir la validation de ces deux démarches productives de sens que
sont l’écriture et la lecture.
Tel est le sens qu’Umberto Eco qui, en allant au-delà la recherche de la littérarité dans
l’immanence la plus stricte des formes linguistiques et prenant en compte la fonction de
communication de la littérature , définit sa poétique projet de formation et de structuration de
l’œuvre ouverte comme ..
….le programme opératoire que l’artiste chaque fois se propose ; l’œuvre à faire, telle que
l’artiste, explicitement ou implicitement, la conçoit (…) car toute recherche touchant la poétique
repose soit sur les déclarations explicites des artistes, soit sur une analyse partant (mais en la
débordant) de la structure des œuvres :la manière dont l’œuvre est faite permet tant de déterminer
la manière dont on voulait qu’elle fût faîte. 1161
Considérant qu’il revient au texte d’organiser le cheminement du lecteur, nous
tenterons d’analyser cette modalité narrative qu’est l’intertexte entrelaçant constamment le dit

1157
Maigueneau explique le recours à l’implicite comme une invitation faite au lecteur ou au spectateur pour
résoudre ces petites énigmes, de combler lui-même les failles qu’ouvre l’énonciation peut être un moyen
d’établir une connivence avec lui .Ibid. p.30 6.
1158
Maingueneau, Dominique, Ibid., p. 307
1159
Eco, Umberto. L’œuvre ouverte, Ibid., p. 35
1160
Dans Qu’est-ce que la littérature, Jean-Paul Sartre définit le texte comme une étrange toupille qui n’existe
qu’en mouvement. Pour la faire surgir, il faut un acte concret qui s’appelle la lecture .Paris. Folio-Essais, Ed.
Gallimard, p.48
1161
Eco, Umberto. L’ œuvre ouverte, Ibid., pp.10-11

342
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

et le non -dit ,les fragments de discours qui s’éclairent mutuellement en dialoguant par
diverses pratiques intertextuelles que sous-tendent les phénomène du dialogisme (Bakhtine)
,d’intertextualité (Kristeva ) , d’hyper textualité (Genette ) – et qui se définissent comme faits
et jeux de l’écriture littéraire.
C’est en ce sens qu’il nous parait pertinent de cerner notre corpus en puisant à la fois
dans le dialogisme bakhtinien dont Julia Kristeva s’inspire pour former le concept
d’intertextualité considérant tout texte se construit comme une mosaïque de citations, tout
texte est absorption et transformation d’un autre texte. 1162 Dans le cadre d’une théorie de la
réception, Roland Barthes et de Michael Riffaterre mettent au premier plan l’activité de
lecture en tant que dimension intrinsèque du texte littéraire. Quant à Gérard Genette, il met en
place le concept de transtextualité qui nous permettra de nous pencher sur le type para textuel
traitant la relation entretenue par le texte avec son environnement immédiat1163et celui de
l’intertextualité -relation transtextuelle parmi d’autres- définie sans doute de manière
restrictive, par une relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes, c'est-à-dire (….)
par la présence effective d’un texte dans un autre.1164
Tous participent des conceptions extensives de l’intertextualité qui analysent la
présence de multiples discours constitutive des textes littéraires.
Pour Bakhtine, qui n’employait jamais le terme d’intertextualité, le dialogue des textes
et la multiplicité des discours portés par le langage font en sorte que, dans tout texte, le mot
introduit un dialogue avec d’autres textes où toutes les voix résonnent dans un dialogue dans
les mots, dans le langage du roman en tant que système de langages qui s’éclairent
mutuellement en dialoguant.1165 Dans ses deux articles fondamentaux intitulés Le mot, le
dialogue, le roman et Le texte clos parus dans la revue Tel Quel Julia Kristeva reprend le
dialogisme bakhtinien forme et affine l’intertextualité qu’elle présente comme un élément
essentiel du travail de la langue dans le texte par le croisement dans un texte d’énoncés pris
à d’autres textes et la transposition d’énoncés antérieurs ou synchronique 1166faisant en sorte

1162
Kristeva, Julia. Semiotikè, Recherche pour une Sémanalyse .Paris, Seuil, 1969, pp. 115 - 123
1163
Gérard Genette définit ce type comme suit : Son paratexte : titre, sous-titre, préface (…) qui procurent au
texte un entourage variable et parfois un commentaire, officiel ou officieux dont le lecteur (….) ne peut pas
toujours disposer aussi facilement qu’il le voudrait et le prétend. Palimpsestes : La littérature au second degré,
Paris, Seuil, 1982, p.10
1164
Genette, Gérard .Ibid.p. 8
1165
Bakhtine, Mikhaïl. Esthétique et théorie. Paris, Gallimard, coll. Tel, 1978, p.115
1166
Kristeva, Julia. Ibid.,p .133

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

que tout texte soit absorption et transformation d’un autre texte et se construise comme une
mosaïque de citations .1167
Dans ses deux articles intitulés Le mot, le dialogue, le roman et Le texte clos parus
dans la revue Tel Quel, Julia Kristeva reprend le dialogisme bakhtinien , forme et affine
l’intertextualité qu’elle présente comme un élément essentiel du travail de la langue dans le
texte par croisement dans un texte d’énoncés pris à d’autres textes et la transposition
1168
d’énoncés antérieurs ou synchronique faisant en sorte que tout texte soit absorption et
transformation d’un autre texte et se construise ainsi comme une mosaïque de citations 1169
Des conceptions de Bakhtine et de Kristeva ont mis en place cette perspective moderne de l’
espace textuel s’élaborant dans une dynamique intérieure de dialogues de textes par les
pratiques intertextuelles que sont l’imitation, la transposition et la déformation de textes
antérieurs.
A son tour, Roland Barthes reprend et affine ce concept en définissant l’intertexte
comme champs général de formules anonymes , dont l’origine est rarement repérable , de
citations inconscientes ou automatiques ,donnée sans guillemets 1170 tout en le reliant aux
usages de la lecture dans Le plaisir du texte en 1973 lui permettant de savourer le règne des
formules , le renversement des origines , la désinvolture qui fait venir le texte antérieur .1171
Michael Riffaterre, quant à lui , considère l’intertexte non seulement comme la
perception par le lecteur des rapports entre une œuvre et d’autres, qui l’ont précédée ou
suivie .Ces autres œuvres constituent l’intertexte de la première 1172 mais aussi comme étant
un phénomène qui oriente la lecture du texte, qui en gouverne éventuellement l’interprétation
et qui est le contraire de la lecture linéaire 1173, répertoriant tout indice et /ou trace, perçus par
le lecteur qu’il s’agisse de citation implicite, d’allusion plus ou moins transparente ou vague
réminiscence.
Il souligne également que cet intertexte repéré par le lecteur met en exergue
l’organisation stylistique du texte, ou en d’autres termes l’ensemble des textes que l’on
retrouve dans sa mémoire à la lecture d’un passage donné et que l’intertextualité peut
s’envisager, dans la mémoire du lecteur, comme une valeur opératoire productrice de la

1167
Kristeva, Julia. Ibid., p.145
1168
Ibid. , p.133
1169
Ibid., p. 145
1170
Barthes, Roland. Texte (théorie du), Paris, Encyclopédia Universalis, 1973
1171
Barthes, Roland. Le plaisir du texte .Paris, Seuil, 1973, p.59
1172
Riffaterre, Michael. Les traces de l’Intertexte .Paris, la Pensée n°215, Octobre 1980
1173
Riffaterre, Michael. L’intertexte inconnu .Paris, Littérature, n°41, 1981, p. 5

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

signifiance qui résulte des rapports entre (des) mots et des systèmes verbaux extérieurs au
texte (mais parfois partiellement cités dans le texte ) et qui se trouvent soit à l’état potentiel
dans la langue soit déjà actualisés dans la littérature .1174
En revanche, les conceptions restreintes de l’intertextualité caractérisées par la
présence effective d’un texte dans un autre sont représentées par Gérard Genette, Antoine
Compagnon et le travail sur la citation et Laurent Jenny qui propose un modèle
d’interprétation poétique de l’intertextualité.
Genette définit l’intertextualité comme la formalisation de la présence des textes dans d’autres
textes, en d’autres termes comme…
… la présence effective d’un texte dans un autre (…) sous sa forme la plus explicite et la plus
littérale (…) la pratique traditionnelle de la citation (avec guillemets, avec ou sans référence
précise), sous une forme moins explicite et moins littérale, celle de l’allusion, c'est-à-dire d’un
énoncé dont la pleine intelligence suppose la perception d’un rapport entre lui et un autre auquel
renvoie nécessairement telle ou telle de ses inflexions , autrement non recevable .1175
Transposant l’histoire littéraire en un véritable espace d’échange ou en bibliothèque
virtuelle imaginaire, Genette met en exergue les relations de réécriture qui lient des suites
entières d’œuvres entre elles à la manière des palimpsestes du Moyen Âge, manuscrits
grattés et réutilisés, où le texte ancien (hypo texte) est souvent encore lisible sous le nouveau
(hypertexte) .1176 Genette s’attache à définir de manière exhaustive tous les faits
d’intertextualité rebaptisés du terme générique de trans textualité ou transcendance textuelle
du texte - englobant les différents types de relations- manifeste ou cachée que le texte
entretient avec d’autres textes et dont il inventorie cinq types :
 L’intertextualité : présence effective ou implicite d’un texte dans un autre ou par une
relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes (pratiques de la citation, du
plagiat, de l’allusion).
 La para textualité ou coprésence, autour et à côté du texte proprement dit d’un texte
extérieur qui l’encadre, le détermine et en conditionne la lecture que l’on nomme para
texte (titres, sous-titres, préface, notes, épigraphes, prière d’insérer etc.).
 La méta textualité décrit la relation de commentaire qui unit un texte au texte dont il
parle, en le situant dans une position supérieure ou décalée par rapport à lui (relation
de commentaire, illustrée entre autre par la critique).

1174
Riffaterre, Michael. L’intertexte inconnu. Ibid., p.4
1175
Genette, Gérard .Palimpseste, La littérature au second degré .Paris, Seuil, 1982, p.8
1176
Fontaine, David. La Poétique, Introduction à la théorie des formes littéraires. Paris, Ed Nathan Université,
1993, p.114

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 L’hyper- textualité qui fait l’objet de Palimpseste à travers laquelle un texte se


superpose à un autre par transformation ou imitation en donnant son modèle à lire par-
dessous.
 L’archi-textualité détermine le statut générique du texte ou son appartenance à de
grandes classes comme les modes, les genres et les styles.
Antoine Compagnon définit également la citation - comme la reproduction d’un énoncé
(texte cité), qui se trouve arraché d’un texte origine pour être introduit à un texte d’accueil- en
la systématisant en modèle scripturaire du texte littéraire :
Le travail de l’écriture est une réécriture dès lors qu’il s’agit de convertir des éléments séparés et
discontinus en un tout continu et cohérent (….).Réécrire, réaliser un texte à partir de ses amorces,
c’est les arranger ou les associer, faire les raccords ou les transitions qui s’imposent entre les
éléments mis en présence. Toute écriture est collage et glose, citation et commentaire.1177
Enfin, selon Laurent Jenny on peut parler d’intertextualité en distinguant la citation
définie seulement lorsqu’on est en mesure de repérer dans un texte des éléments structurés
antérieurement à lui, au-delà du lexème (…) quel que soit leur niveau de structuration , de la
simple allusion ou réminiscence à savoir chaque fois qu’il y a emprunt d’une unité textuelle
abstraite de son concept et insérée telle qu’elle dans un nouveau syntagme textuel, à titre de
syntagme paradigmatique .1178
Ensemble de présuppositions d’autres textes, il est impératif et opératoire de
comprendre le texte à partir de ses intertextes dont le repérage est rendu aisé par notre
perception de lecteur non oublieux et hermeneute1179qui penserait l’intertextualité non
seulement du point de vue de la production mais aussi de la réception en terme de
mémoire1180 reconnaissant la complexité des interactions qui jouent et s’élaborent avec
d’autres textes .
Compte tenu du fait que l’on ne peut nier que l’intertextualité soit un phénomène de
réception communément défini par cette multiplicité d’origines et d’approches dont il revient
au lecteur d’accéder dans la description de l’intertexte et de faire apparaitre le texte de

1177
Compagnon, Antoine. La seconde Main ou le travail de la citation .Paris, Seuil, 1979, p. 32
1178
Jenny, Laurent. La stratégie de la forme, Poétique, Paris, n°27, 1976, p.226
1179
Selon Samoyault Tiphaine le lecteur herméneute ne se contente pas de repérer les références, mais il
travaille le sens, en le construisant dans l’entre-deux –textes en présence(…) admet la polysémie –qui repose sur
littéralement sur la plurivocité- de l’intertexte et il s’agit de mettre à jour tout à la fois le sens du texte
emprunté, le sens du texte emprunteur, et le sens qui circule entre les deux. L’intertextualité, Mémoire de la
littérature, Paris, Armand Colin, 2014, p.71
1180
Tiphaine Samoyault considère également que l’analyse de la notion d’intertextualité engage une véritable
réflexion sur la mémoire collective de la littérature : La mémoire de la littérature se joue sur trois niveaux (…) :
la mémoire portée par le texte, la mémoire de l’auteur et la mémoire du lecteur, Ibid., p.111

346
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Mati comme le lieu d’en échange entre des bribes d’énoncés qu’il redistribue ou
permute en construisant un texte nouveau à partir des textes antérieurs.1181
Devenant un outil décisif et opératoire pour l’analyse déplacée vers la lecture , la
continuation de l’œuvre par le lecteur devient une dimension incontournable permettant de
situer notre analyse sur le concept de Transtextualité ou transcendance textuelle du texte qui
rend compte de l’intertexte , forme ouverte construite dans une pluralité de textes et de
langues selon les types transtextuels que sont la para textualité ou coprésence autour et à côté
du texte d’un texte extérieur qui l’encadre , le détermine et en conditionne la lecture (
épigraphes , titre, sous-titres ,préfaces, notes…) et l’intertextualité , dimension incontournable
de la lecture du texte littéraire définie par la présence effective ou implicite d’un texte dans un
autre (citation, plagiat, allusion).
Le procédé classique instituant le contrat implicite auteur /lecteur se matérialise par
l’entremise d’indices périphériques1182, ceux relatifs au dialogue des textes entre eux, ceux
d’intertextes divers qu’ils soient mythiques, poétique et musicaux, paléoanthropologiques
et/ou philosophiques qui justifiant la relation de coprésence entre deux ou plusieurs textes
participant de la dimension ontologique de l’œuvre de Djamel Mati. Cependant, il est
important de préciser que le concept d’intertextualité peut aussi s’opérer dans l’espace textuel
matien vers les domaines mythiques, historico-religieux, paléoanthropologique, poétique et
musical.
Enfin, nous affirmons également que le repérage de phénomènes polyphoniques1183que
sont l’humour, l’ironie et la parodie lesquels complètent et/ou se substituent à leur manière au
sens littéral des énoncés en question permet également de s’introduire dans la textualité
matienne pour en cerner sa dimension ontologique plurivoque.

1181
Samoyault, Tiphaine. L’intertextualité, Mémoire de la littérature .Paris, Armand Colin, 2014, p.11
1182
Epigraphes, Avis divers, Avertissements périphériques, NDA (Notes d’Auteur), maximes
1183
L’ironie, l’humour, la parodie,

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Analyser le para texte permet à son interprète la mise en jeu d’une compétence
spécifiquement linguistique permettant de décoder un énoncé selon ses connaissances
proprement linguistiques ou lexicales, des données situationnelles1184 et celles puisées dans le
1185
contexte verbal ou cotexte de l’énoncé en vue d’accéder à son interprétation.1186 Par
conséquent, il est incontestable que les éléments para textuels relèvent de divers paramètres
censés sceller le contrat de lecture entre les positions d’énonciation et celles de réception des
textes en question. En effet, la reconnaissance du rôle primordial que joue la lecture des textes
écrits dont les paramètres sus cités constituent une composante essentielle du contrat de
lecture amène le lecteur à coopérer à la construction de l’univers fictif.
Cependant, il revient au texte d’organiser le parcours du lecteur tout en prenant la
mesure du caractère foncièrement interactif des jeux d’anticipation complexes de
l’énonciation. En conséquence, il appartient au lecteur de se positionner en tant que lecteur
modèle capable de construire l’univers fictif à partir des indications qui lui sont fournies par le
texte. Actif et coopératif, le lecteur- récepteur devra s’emparer à dessein de toutes les
indications para textuelles pertinentes qui permettront le déchiffrement du texte littéraire : Un
récit a beau se donner comme la représentation d’une histoire indépendante, comme la
représentation indépendante, antérieure, l’histoire qu’il raconte ne surgit qu’à travers son
déchiffrement par un lecteur. 1187La périgraphie du texte participe de cette stratégie de
stimulation de l’attention et de la curiosité du lecteur qui pourra à loisir inventer des parcours
de lecture personnels en mobilisant ses compétences aussi bien non-linguistiques (sur les
contextes d’énonciation, les genres littéraires ,présupposés idéologiques …) que proprement
linguistiques.1188
De ce fait, la théorie de la réception littéraire préoccupée par les processus
d’interaction et l’activité de construction du sens par le co-énonciateur considère à juste titre
que le texte littéraire construit lui-même la manière dont il doit être déchiffré et institue un
contrat tacite de lecture à l’intérieur d’un ensemble de conventions liées à sa propre généricité
Cependant, dans la perspective pragmatique, le texte ne peut cantonner le lecteur dans un

1184
Le contexte non-verbal ou situation constitué des données matérielles pertinentes de l’œuvre littéraire
considérée dans sa fonction de communication c’est-à-dire de tous les éléments de la réalité extérieure dont la
perception influence sa production et son interprétation.
1185
Le contexte verbal ou discursif de l’énoncé constitué du texte qui précède et /ou suit un énoncé
1186
Selon Maingueneau Cette contextualisation- même indigente, même erronée, oriente déjà le déchiffrement
en éliminant un grand nombre d’interprétations possibles, Ibid., p. 51
1187
Maingueneau, Dominique .Manuel de linguistique pour les textes littéraire. Ibid. p.44
1188
Selon Maingueneau : le lecteur est également censé maitriser la grammaire de la langue et user
convenablement du discours. Ibid., p.50

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

processus de déchiffrement subordonné aux impératifs d’un genre, il doit y avoir un excès du
texte par rapport aux attentes du lecteur .1189 Ce sont justement ces excès du texte qui
bousculent d’une manière ou d’une autre son parcours de lecture que nous tenterons de
débusquer à travers l’analyse du cadrage paratextuel, lieu périphérique dont la fonction est de
capter l’attention du lecteur à travers l’incipit lieu littéraire par excellence (. .) de contact, de
rencontre et d’échange entre les désirs de l’écriture et les attentes de la lecture 1190.
C’est en ce sens que Jean Ricardou met l’accent sur la pertinence de la périgraphie qui
détermine et conditionne la lecture du contenu diégétique du texte littéraire. En effet, il
considère les éléments du paratexte comme une composante de cette stratégie que l’auteur
met en place pour capter l’attention de lecteur en lui fournissant des indications élémentaires
pour la lisibilité du texte :Ce qui conditionne le texte (. .) ce n’est pas seulement les
inscriptions du hors-texte mais aussi l’exercice de l’épi-texte(le titre) et même l’efficace de la
façade (la première page de la couverture). 1191
Dans Le magazine littéraire intitulé Cent ans de critique littéraire, Genette définit
l’espace para textuel constitué d’énoncés hétérogènes qui conditionnent notre lecture comme
suit : Je m’apprête aujourd’hui à aborder un autre mode de transcendance (…) que J’appelle
le paratexte : titres, sous-titres, préfaces, notes, prières d’insérer, et bien d’autres entours
moins visibles mais non moins efficaces, qui sont (...) le lieu privilégié de son rapport au
public et par lui au monde. 1192
C’est dans cette perspective que nous présentons les éléments d’habillage
périphériques riches en enseignements multiples portant sur leurs façades respectives (recto
et verso) , leurs titres respectifs et leurs acceptions liées à l’entité de l’Etre , les notes
périphériques- dédicaces , remerciements , avis et avertissements de l’auteur, des épigraphes ,
des maximes et citations diverses introduisant les chapitres et les notes de bas de pages dans
le cours de la lecture menant à une extranéité signifiante , les propos de l’auteur et de la
critique journalistique , universitaire et littéraire sur l’œuvre de Djamel Mati. Il est clair
qu’analyser ce paratexte auctorial matien implique la prise en compte de ces catégories de
messages para textuels dont l’emplacement dans chaque roman n’est jamais anodin.

1189
Maingueneau, Dominique. Ibid., p.50
1190
Del Lungo, Andrea. L’incipit romanesque .Paris. Ed du seuil, 2003, p .13-14
1191
Ricardou, Jean. Nouveaux problèmes du roman. Paris. Collection Poétique, Ed Seuil, 1978, p.270
1192
Genette, Gérard .Le Magazine Littéraire. Cent ans de critique littéraire, .Paris, n°192, Février 1983, p. 41

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1. Façades des romans : univers de l’imaginaire, du délire et du fantasmagorique

Comme l’affirme Genette, est épitexte tout élément paratextuel qui ne se trouve pas
annexé au texte dans le même volume, mais qui circule en quelque sorte à l'air libre, dans un
espace physique et social virtuellement illimité1193et qui en constitue cette création souvent
conjointe de l’auteur et de l’éditeur le paratexte éditorial1194. Cet épitexte dispose de lieux
privilégiés que sont la façade et le dos des romans, les pages intérieures d'avant ou après le
texte, ou marges inférieures si nous nous arrêtons sur le cas des notes de bas de page.
Cependant, ils peuvent aussi occuper un support étranger au livre lui-même, qu'il s'agisse de
commentaires éditoriaux ou auctoriaux livrés à la presse lors d'entretiens divers avec l’auteur.
Dans Aigre-doux ,la façade est constituée d’une photo de l’écrivain Djamel Mati-
lunettes noires- se tirant le lobe de l’oreille gauche tout habillé de noir assis au pied
d’escaliers d’une demeure à l’entrée sombre et lugubre avec l’inscription Point B ex rue du
diable à gauche du titre Aigre-doux transcris en plein milieu de la photo et du N°114 à droite
, le tout sous - titré des élucubrations d’un esprit tourmenté.
Au verso de cette façade, un texte anonyme est entamé par cette maxime synthétisant
et explicitant ce que seront les élucubrations d’un esprit tourmenté au point B 114 : l’aventure
vaut toutes les imaginations d’être vécues .Il s’agit de cette grotte merveilleuse d’effroi de
nombreux Ali Baba des temps modernes avec des personnages loufoques pour nous prévenir
qu’une fois engouffrés dans cette foire d’empoigne de jeux de mots d’un univers fantastique
et ludique , de paradis artificiels et morbides et des chemins tortueux et imprévisible d’un
univers oscillant entre une réalité angoissante et une irréalité vaporeuse L’auteur anonyme
met en exergue la dimension ontologique d’une écriture atypique liée aux tréfonds et à la
condition de l’être humain qui , tout en versant dans une recherche esthétique singulière , pose
de manière implicite la problématique de l’hybridation et l’appartenance générique : Le
conte, le récit froid, la fable ,la sottie font bon ménage dans leurs élucubrations et qu’aucune
littérature présente n’a su tisser avec autant de verve et de génie .
Finalement, l’auteur de ce texte périphérique en deux temps : d’abord, il informe que
ce nouvel épisode se situe dans la continuité de Sibirkafi.com et de Fada ! Fatras de maux
et nous propose, en tant que lecteurs avertis, de découvrir cet univers de l’imaginaire, du
délire, du fantasme et de l’onirique. Puis, il nous apostrophe pour nous inviter à nous
interroger sur l’utilité de saisir la réalité existante en dehors des élucubrations et voyages

1193
Genette, Gérard. Seuils. Paris, le Seuil, Coll., Poétique, 1987, page .316.
1194
Ce par quoi un texte se fait livre et se propose comme tel à ses lecteurs, Ibid., p. 7

350
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

mentaux dans une irréalité bourrée de chanvre indien et de pilules aigres-douces dont
participe le processus même de la narration matienne : Ce nouvel épisode (…) intitulé si
justement Aigre-doux, offre aux lecteurs avertis, l’essoufflement des courses pédestres ratés et
les voyages mentaux qui mènent au seuil mirifique de la folie et aux devantures aguichantes
du rêve. Et la réalité alors ? A quoi sert de la débusquer ?
La couverture de On dirait le Sud est constituée d’une image plutôt floue d’un
paysage désertique entremêlé de traces de pas rupestres allant vers d’immenses roches
granitiques .Le titre On dirait le Sud au milieu de la couverture est ,à l’instar du précédent,
sous-titré de la nominalisation :Les élucubrations d’un esprit tourmenté .Cette occurrence
nous laisse entrevoir l’idée que ces deux romans constituent les deux derniers volets de la
trilogie entamée avec le premier roman de Djamel Mati intitulé SibiKafi.com également sous-
titré de a nominalisation en question.
A son verso, nous découvrons trois micro-textes épars mis en place - semble-t-il par la
technique de collage de par leurs caractères d’écriture différents et leur évidente l’asymétrie -
pour orienter notre parcours de lecture.
Le premier texte en petits caractères romans décrit succinctement l’espace de non-sens et
cauchemardesques des protagonistes de l’histoire qui errent dans leurs déserts parallèles en
quête d’eux -mêmes en ayant comme seul et unique repère le point B 114 : Dans un désert de
non-sens, Zaina, Iness et Neil errent, sans boussole, sur les strates escarpées à double voie –
un aller sans espoir, un retour sans mémoire-à l’affut de leurs rêves et de leurs cauchemars.
Le second texte présenté en italiques et entre guillemets en dissymétrie avec le
précédent met l’accent sur le périple désespérant, idéaliste,, intérieur entamé dans la fougue
et l’audace par ces personnages errants dans cet univers minéral et erratique qui espèrent
donner un sens à leur errance une fois arrivés au point B 114 : L’envoûtement est immédiat,
les captifs de cet univers se retrouvent prisonniers de leur propre destin ; le sable, le soleil et
le vent ne sont que leurs geôliers .
Enfin, le dernier texte porte sur la feintise en tant qu’écriture de ce dernier volet de la
trilogie innove pour nous inciter à nous engouffrer dans une spatialité erratique et
enchanteresse dans laquelle Djamel Mati continue à nous traquer jusqu’aux portes de nos
propres appréhensions (et) revisite les déserts et les sens pour conjurer les thèmes de la
recherche de soi, de l’alter ego et des amours absolues. .La dimension ontologique de l’entité
de l’Etre y est sans conteste présente dès le para texte .Elle oriente, conditionne justifie par la
même notre parcours de lecture

351
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Quant à LSD , sa façade met en exergue la photo d’une sorte de météorite charriant
une nuée incandescente d’où surgit une forme humanoïde nuageuse et évanescente -dans une
sorte de trou noir cosmique…d’une voie(x) lactée ,d’un espace irréel de nébuleuses et
galaxie - une spatialité cosmique et virtuelle .Cette dernière semble nous interroger sur nos
origines et de le sens de cette configuration en lien avec notre vie terrestre au-dessus de
laquelle l’inscription LS D s’érige en haut de cette façade sans aucune autre fioriture alors
celles des deux premiers romans donnent le ton des univers chimériques dans lesquels les
esprits tourmenté(s) poursuivront leurs pérégrinations oniriques . Au verso, nous découvrons
une fois de plus, trois textes agencés dans une parfaite symétrie : le premier est une
présentation succincte de Djamel Mati, ingénieur en chef en géophysique, passionné
d’écriture, d’informatique ayant écrit cinq romans et que le dernier s’intitule On dirait le Sud
paru en 2007 à Alger. Le second est un récit en italique du corpus retraçant la réalisation de
la prophétie de l’Arcadie retrouvée dans le désert de l’Afar lors d’un ultime dialogue entre
Mouloud le chef des hommes bleus et le chef Afar aucunement surpris par l’arrivée au
village de la troupe de voyageurs issue des Touaregs et de la communauté Paix-verte au bord
des eaux translucides du lac Assal :
Et le miracle se mue en vie (…) Le vieil homme avait écouté, en hochant la tête. Il ne paraissait
pas surpris par les révélations de son invité. -Nous vous attendions depuis longtemps, la prophétie
se réalise peut-être
-Quelle est cette prophétie ?
Le vieil Afar regarda autour de lui, et sans qu’il eût dit mot, les femmes sortir en des maisons, les
enfants s’arrêtèrent de jouer, les hommes suspendirent leurs tâches, tous rejoignirent le sage du
clan et ses invités. Ils avaient tant espéré ce jour. Aujourd’hui, l’heure de la révélation était
venue !
Enfin, le troisième extrait est une présentation- synthétique du roman écrit en prose et
sur fond musical - destinée à nous inciter à lire l’odyssée de Lucy, l’australopithèque qui
surgit du fin fond des âges pour traverser l’humanité en compagnie du petit-fils de Darwin
.Cette épopée débute par Du Rien… pour s’achever sur Tout s’apprête à faire un nouveau
rêve ; et pour le rêve, on y est.
Nous en concluons que tous ces éléments qui constituent les trois façades des romans
de Mati instaurent déjà, de par l’agencement formel de leurs composants verbaux et non
verbaux, une cette atmosphère onirique et virtuelle, et installent notamment à leur verso
l’incontournable dimension ontologico-existentielle qui conditionne par conséquent notre
parcours et nos automatismes de lecture.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1.1.Titres : Effets sémantiques d’un décalage

D’une manière générale, les titres choisis par l’écrivain sont des discours
polysémiques en décalage avec leurs contenus respectifs .En effet, ils n’avertissent jamais le
lecteur de la dimension ontologique qu’ils charrient en définitive. Le qualificatif générique
aigre-doux peut mener le lecteur à diverses supputations .Ce dernier ne peut que s’interroger
sur l’objet sur lequel porterait un tel titre qualificatif ou en d’autres termes, quel référent
caractérise à priori ce qualifiant aigre-doux ? Si on considère que le titre participe des
conditions de lisibilité du texte, il ne peut à lui seul embrigader 1195les pensées du lecteur en
le contraignant à un parcours de lecture déterminé et à une recherche de sens spécifique. Dans
un entretien accordé au jeune indépendant Djamel Mati parle justement de ces deux titres en
question et révèle clairement que Aigre- Doux est un oxymoron qui résume, à lui tout seul la
saveur du roman en revanche pour On dirait le Sud, il prend une connotation plus sensuelle
qui démêle l’écheveau d’une intrigue amoureuse complètement déjantée et toujours à la
recherche de ce fameux point B 114.1196
Les titres choisis par l’écrivain déstabilisent d’emblée le lecteur dans la mesure où leur
généricité sémantique ouvre le champ à diverses hypothèses de lecture déterminée tant il est
vrai que seule l’existence humaine peut être supposée aigre-douce dans la conscience
collective. Seule la lecture du contenu textuel que corroborent les éclaircissements suscités de
l’écrivain entérine sa consubstantialité à l’entité de l’Etre. L’aigre et le doux sont les deux
saveurs antithétiques qui composent l’essence de l’existence humaine rythmée par une
permanente oscillation entre des moments de bonheur et d’autres emprunts d’angoisse et de
tristesse.
En revanche, On dirait le Sud est un titre parabolique - renvoyant à l’irréel chimérique
que serait notre existence- qui fonctionne comme un incipit synthétisant un contenu
diégétique qui apporte des enseignements d’ordre ontologico-existentiel consubstantiels aux
fantasmes, délires et hallucinations de personnages en quête d’eux -mêmes. Enfin, nous
dirons que ces deux premiers titres présentent un point commun : celui d’être tous deux
complétés par la structure nominale les élucubrations d’un esprit tourmenté prédisposant le
lecteur à s’engouffrer dans l’univers fantasmagorique et chimérique d’un esprit tourmenté

1195
Cette expression est d’Umberto Eco considérant que le titre doit embrouiller les idées, non les embrigader,
extrait d’Apostille au nom de la rose .Paris, Ed Grasset, 1985, p.9
1196
Le jeune indépendant du 16/11/2006

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

pour se retrouver soi-même au plus profond de son être.1197Enfin, de prime abord, le titre LSD
renvoie à cette drogue synthétique -poison pour le corps et l’esprit crée par Timothy Leary,
pape de la contre-culture américaine et du mouvement Hippies en général dans les années
1960 symbolisé par tous les drogués minables que le professeur Natas assimile à Charles
Darwin tout en se délectant de son échec au concours d’Anthropologie culturelle :
Les hippies ! Des minables qui préfèrent embrasser le bouddhisme ou l’hindouisme et rejettent
d’aller prier Dieu dans nos églises ! Des drogués qui écoutent une musique psychédélique débile
jouée par des personnes encore plus débiles ! (….) Tous des tarés qui se shootent au LSD en
écoutant pousser leurs cheveux ! Peuh ! 1198
Cependant, un tel titre anagrammatique, sans conteste provocateur, assume une
fonction incitative en entretenant un certain mystère, le lecteur restant persuadé que le
contenu fictionnel sera en décalage avec le titre référant à priori à la drogue synthétique. Ce
que l’écrivain lui-même explique clairement lors d’une interview1199 que l’acronyme
provocateur et déconcertant qu’est LSD, tout en déstabilisant le lecteur, ne signifie pas
forcément acide lysergique diéthylamide.
Dans cette perspective, le journaliste conclut son entretien avec l’auteur en insistant sur
l’atmosphère hallucinée - qu’engendre la consommation effrénée de drogues, pilules et
psychotropes- dans laquelle le lecteur n’a d’autres choix que de s’y cantonner au gré de ses
automatismes de lecture :
Allons -nous plonger malgré nous dans une atmosphère vaporeuse des drogues dures à
laquelle l’écrivain (...) nous a toujours familiarisés avec une atmosphère sulfureuse, évaporée et
pourtant bien ancrée dans le réel des mirages, de tous les mirages (. .) à l’ombre de la drogue, un
univers qu’il choisit à bon escient pour un souci de liberté .1200
Finalement, le choix de l’acronyme LSD comme titre révèle sa polysémie ontologico-
existentielle et religieuse par les épigraphes apocryphes , fragments à statut mixte puisque leur
disposition typographique , caractères italiques en hors -texte correspond aux définitions
formelles de l’épigraphe .Notre interrogation porte d’emblée sur ces épigraphes dont on ne
peur certifier l’origine et dont l’authenticité ne fait l’objet d’aucun consensus par les autorités
religieuses jouant incontestablement sur les capacités de connivence du lecteur à en identifier
l’origine et /ou l’appartenance .Ces épigraphes -modèles de structures nominales et

1197
Pourquoi ce titre(…) parce que c’est comme dans le Sud, chacun peut découvrir son propre désert. Lisez-le,
vous trouverez une réponse aussi évidente pour vous que pour moi. Il y aura seulement votre désert qui différera
du mien. Il est inutile que je vous parle du mien, à chacun son désert personnel. Djamel Mati -
www.vitaminedz.com/...on-dirait-le-sud...mati/Article du 4juilet 2009
1198
LSD, p. 27
1199
Interview de Mati sur Info soir du 12/06/2009, C’est une histoire complètement déjantée
1200
Le jeune indépendant, Ibid.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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verbales sous-titrant les chapitres du roman par des groupes nominaux dont chaque premier
constituant commencent par L , chaque second par S et chaque troisième par la lettre D à
l’image de Lueurs Saintes Diffuses1201, Lucy Stigmatise Darwin1202,Lucy et Son Dieu1203, Lui
Seul décide1204, Les Souches du danger1205, Lendemains Sombres pour le destin1206, Lucy
Séduit Darwin1207. Cet agencement ludique avec ces acronymes LSD ne peut être anodin et
justifie la nécessité de dépasser le sens premier de LSD relatif à la drogue synthétique et de
prendre en considération les titres des trois parties du roman que sont Les Liens Secrets des
Destinées.1208L’acronyme LSD dépasse le sens premier en ne référant pas systématiquement
à la drogue synthétique ancrée dans l’imaginaire collectif occidental et des référents
surgissent pour orienter notre parcours de lecture dans une perspective d’ordre philosophique,
existentielle et ontologique .Nous subodorons alors les raisons qui ont incité l’écrivain à de
telles associations avec ces trois lettres .Interrogé sur le sens de cette récurrence, Djamel Mati
s’en explique avec clarté :
Ce titre veut surtout dire Des Liens, des Secrets et des Destinées .Il ajoute que : les titres des
trois parties du roman et aussi les titres de plusieurs chapitres .J’ai voulu jouer avec les trois
lettres pour rendre plus énigmatique la couverture du livre. Mais au fur et à mesure que le lecteur
avance dans l’histoire, il découvrira d’autres significations aux lettres LS et D.
Ce sont justement ces ludiques et énigmatiques associations qui ont trait, à priori, à
l’entité de l’Etre, de son rapport au religieux et au divin que notre parcours de lecture
confirmera à postériori.
En conclusion, nous dirons que le système des titres polysémiques choisis par
l’écrivain s’est avéré en décalage avec les contenus fictionnels .En effet, les titres matiens
n’avertissent jamais le lecteur de la dimension ontologique du texte et ne constituent plus
cette sorte de drapeau vers lequel on se dirige ; le but qu’il faut atteindre.1209Ce n’est qu’à
postériori que le lecteur entérinera sa fonction poétique de rupture en privilégiant l’aspect
symbolique de la quête au détriment de son aspect réel. Les épi-textes ne s’érigent plus en
micro-textes autosuffisants assumant les contenus fictionnels et orientant bon gré mal gré

1201
LSD, p. 99
1202
Ibid., p.117
1203
Ibid., p.123
1204
Ibid., p.133
1205
Ibid., p.143
1206
Ibid., p.157
1207
Ibid., p.183
1208
Observation : C’est nous –mêmes qui soulignons en gras les lettres (LSD) pour plus de lisibilité.
1209
Giono cité Achour Christiane et Rezzoug, Simone. Convergences Critiques .Introduction à la lecture du
littéraire. Alger, OPU, 1990, p.65

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l’activité de décodage du lecteur. La nécessité d’un travail sur l’intertexte des titres et sur le
contenu fictionnel s’impose pour les inscrire dans la pluralité, accentuant ainsi leur fonction
poétique latente.

2. Notes périphériques : Hypothèses et anticipation sémantique

Les notes que tout lecteur découvre à la périphérie du contenu diégétique participent
également au du contrat de lecture qui sous-tend la corrélation production / réception se
jouant des hypothèses et anticipations sémantiques auxquelles se livre le lecteur de textes
littéraires. L’auteur prend les devants et se permet d’apostropher son éventuel lecteur
coopérant. Dans Aigre-doux , il anticipe par le biais de dédicaces sur le parcours de lecture
en le balisant d’entrée d’indications sur le contexte verbal et discursif - en tenant compte des
données de la situation d’énonciation , de celles du contexte de la situation d’énonciation des
indications périphériques -tout en le modelant sur le parcours narratif choisi.

3. Dédicaces, remerciements et avis de l’auteur : éléments de subjectivité

Chez Mati, les notes dédicacées sont particulièrement abondantes et, semble-t-il
destinées prioritairement aux membres de sa proche famille. L’activité de dédicace qui
accompagne les trois romans qui constituent notre corpus d’analyse est assez abondante .Elle
permet de découvrir des éléments inhérents à la subjectivité de l’auteur comme s’il éprouvait
sans cesse le besoin d’exploiter cet espace romanesque en vue de faire quelques retours sur lui
et rappeler pour qui et pourquoi il écrit.
Pourquoi ne les adresse-t-il pas à tous ses lecteurs éventuels ? Pourquoi les avoir insérées au
cadrage paratextuel si elles relèvent d’une relation familiale privée ? Quelles sont donc les
intentions réelles de l’écrivain ?
A notre niveau, nous ne pouvons qu’émettre des hypothèses de lecture que seul
l’écrivain serait en mesure de confirmer ou d’infirmer. Dans Aigre-doux, les notes dédicacées
sont présentées et agencées comme suit et mettent en branle des points d’ancrage d’ordre
ontologique qui font explicitement :
 A Malya et Amine Mati
 Au point B 114, comme ailleurs,
 La Liberté, l’Amour et la Recherche

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 s’arrachent souvent au prix de sacrifices et de tribulations. 1210


Dans On dirait le Sud, l’auteur dédicace son roman dans une première page A Nassira puis
dans celle qui suit A Rachida suivi de la construction L’amour est surtout là où tu es que
nous subodorons également comme appartenant à la sphère familiale et privée de l’écrivain.
Nous remarquons que cette ultime dédicace nous laisse imaginer qu’elle concerne la personne
pour laquelle l’écrivain éprouve un sentiment d’amour et constitue pour lui l’occasion
d’anticiper sur la dimension ontologique de son écriture que notre parcours de lecture
confirmera à post confirmera à postériori. Et dans LSD, elles se présentent aussi
succinctement que A Mino, Myla et Titi sans faire référence au patronyme Mati tel mais y
ajoutant un troisième sobriquet Titi suggérant l’arrivée d’un(e) petit(e) dernier(e) dans sa
famille depuis la parution d’Aigre-doux en 2005.1211
Telles sont les orientations à priori destinées exclusivement à sa proche famille Malya
et Amine Mati sur le point B 114 et qui le concernent en premier chef. Notre interprétation de
cet imbroglio crée sciemment par l’auteur se fonde sur l’acte de prévention qu’elles
représentent et qui instaure d’entrée de jeu un rapport de confiance avec ses éventuels lecteurs
.Ces dédicaces préventives corroborent la sincérité de l’écrivain puis qu’elles sont de prime
abord adressées à des membres de sa familles qui lui sont chers .Nous subodorons également
que Malya ou Myla , Amineou Mino et Titi sont les enfants de l’écrivain , ce qui est suffisant
pour croire en la sincérité qui fonde ses notes dédicacées destinées à éclairer notre parcours de
lecture en y instaurant les points de repères ayant trait à l’Entité de l’Etre que sont Liberté ,
Amour et Recherche de soi qui ne s’arrachent qu’au prix de sacrifices et de tribulations de ce
sibirkafi du point 114 où l’exiguïté de l’espace vital de chacun est partagé par tous, tout
comme sont partagés la misère, les tourments, les brimades et les bribes…d’espérances. 1212
Pour l’écrivain toute notre vie ne serait qu’un leurre provenant de nos propres
élucubrations sur une mince frontière où il s’exprime clairement à ce sujet en disant qu’ il ya
des vécus tellement anachroniques qu’on finit toujours par se demander s’ils ont réellement
existé, et des virtuels qui nous paraissent tellement évidents qu’on finit par croire en leur
existence.1213Ces informations présupposées que l’auteur distille de manière latérales ont des
indications nécessaires à l’intelligence de l’ intrigue 1214 qui n’auront de cesse d’orienter notre

1210
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté
1211
Nous remarquons une orthographe différente de Mayla dans Aigre-doux et Myla dans On dirait le Sud
1212
Mati, Djamel- Littérature/Action, Marsa Editions, Décembre2003
1213
Mati, Djamel .Ibid.
1214
Cette expression est utilisée par Maingeneau. Ibid., p.299

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parcours de lecture par rapport à ce point de fixation qu’est le point B 114 ou cette cabane
pourrie en plein milieu de désert des hommes où le temps s’immobilise par manque d’espoir
par manque de brise et même par l’absence d’illusion …dans un monde de leurre !1215Ces
présupposés pragmatiques ne sont pas des éléments du contenu du texte en tant qu’énoncé
mais dépendent des conditions de réussite de l’acte de langage 1216 à la réussite du texte
littéraire en tant que macro-acte de langage.1217 La dimension ontologique présente à travers
ces présupposés de Liberté, d’Amour, de Recherche de Soi, de sacrifices et tribulations
consubstantiels à l’aboutissement de la quête des protagonistes de la fiction tel comme l’aigre
et le doux pour tout Etre à la recherche d’un sens à donner à son existence.
Notons également que cette dédicace privée d’ordre familial et des remerciements adressés à
celles et ceux qui semblent avoir influé et /ou êtres concernés d’une manière ou d’une autre
par l’écriture du roman et qui participent du discours dédicaciel disséminé par l’auteur hors
des limites de la narration pour orienter notre parcours de lecture.
Ne s’agit-il pas d’une simple dédicace d’usage de l’auteur vis-à-vis de toutes celles et
ceux qui ont œuvré pour que ce roman existe puisque ces personnes citées ne sont guère
identifiables, dans cette dédicace privée de simples remerciements à ses
proches :REMERCIEMENT Nassira,Ourida,Saida,Salima, Camel,Mhamed,Patrick et Maryse,
Farida, Aziza, Safia, Anissa, Ouahiba .
Dans Aigre-doux, l’ avis …qui se veut rassurant ( ?) pour le lecteur semble destiné à
le mettre en garde par rapport à ses certitudes et habitudes de lectures semble assumer une
valeur préfacielle puisqu’il est moins question d’hommage que d’indications de lecture
révélant par la même les intentions et/ou élucubrations de l’auteur. Apostropher explicitement
le lecteur corrobore la bienveillance de l’écrivain à son égard et pourrait s’expliquer par les
partis pris de ce texte : en effet si Djamel Mati s’adresse ainsi à ses Chers lecteurs c’est que
Aigre-doux n’est certainement pas un texte conventionnel, canonique et que ceux-ci risquent
forcément d’être déstabilisés malgré ces mises en gardes qui se veulent rassurantes .La
déstabilisation du lecteur est justifiée dès l’incipit de cet avis , qui tout en se voulant rassurant,
finit par l’ inquiéter , ce dont participe le signe typographique qu’est le point d’interrogation
mis entre parenthèse pour des raisons inconnues en fin de phrase .Censé rassurer le lecteur en
l’éclairant sur le contenu fictionnel, cet avis para textuel peut- être perçu, aussi paradoxal que
cela puisse paraître, comme peu rassurant dans la mesure où il annonce la dualité aigre-douce
1215
Mati, Djamel- Littérature/Action, Marsa Editions, Décembre2003
1216
Maingueneau, Dominique, Ibid., p.300
1217
Ibid., p.24

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de notre existence que nous devons apprendre à savourer malgré les souffrances subies
antérieurement.
La quête de soi entamée dans le roman précurseur Sibirkafi .com va perdurer dans
Aigre-doux dans une perspective ontologico-existentielle largement évoquée dans l’avis en
question par le truchement d’une réflexion sur le genre humain et l’entité de l’Etre
consubstantielle à la vie aigre-douce qui vaut la peine d’être intensément vécue malgré tout :
Chère lectrice, cher, lecteur, pas de panique ! Tous les évènements et les personnages de cette
histoire n’étaient, ne sont et ne resteront que les fruits caustiques d’une imagination en pleine
élucubration, d’aucun diront: malade. Rassurez-vous, le point B114, par contre, est franchement
réel ! Après sibirkafi.com, la quête continue hors du temps et de l’espace, dans des pérégrinations
au goût aigre-doux ! 1218
Que signifie cette indication de lecture donnée au lecteur ? Précisons que tous ces
paramètres à la fois préfaciels et dédicaciels mettent en exergue la dualité aigre-douce de
l’existence ontologique de l’entité de l’Etre. A ce niveau-là, l’auteur nous éclaire sur la
réalité/irréalité chimérique du point B 114, espace des élucubrations de l’esprit tourmenté du
personnage-narrateur et nous avertit de son intention de sceller la dualité aigre- douce de
l’existence à travers notre contrat implicite de lecture : Que l’on ne se méprenne pas de la vie,
elle est aigre-douce. Il faut savoir savourer l’exquis et endurer l’acerbe, mais endurer ne
veut pas dire accepter…la vie, il faut la boire jusqu’à la lie ! 1219
Dans On dirait le Sud, l’écrivain émet sur la page qui précède les NDA-Notes
d’Auteur - relatives au point B114 un avis concernant les repères antinomiques et
magnétiques que sont le Nord et le Sud : Le Nord et le Sud, ces repères antinomiques et
magnétiques donnent un sens à la vie et sur lesquels les protagonistes de la fiction ne
cesseront de se scruter leurs parcours parallèles.
Il est clair que cette parole préfacielle, charriant en même temps des éléments
fictionnel, semble demander à son premier destinataire qu’est le lecteur, de participer à
l’ancrage d’une parole ontologique hors des limites de la narration.

3. 1.N D A 1220: pourquoi faut-il encore s’expliquer ?

Les notes d’auteurs constituent un récit particulièrement instructif qui oriente notre
lecture en apportant un certain nombre d’informations relatives à la légende d’ubiquité et de

1218
Aigre-doux, p.10
1219
Ibid., p.10
1220
Notes d’Auteur, p.14

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mystère chimérique du point B 114. Mati raconte l’anecdote qui l’a mené à insérer ses notes
d’auteur dans le cadrage para textuel suite à la question d’une personne des plus sérieuse de
son entourage, qui inquiète de son sort et qui le questionne en le scrutant - : Dis-moi, le point
B 114, existe-t-il ?- qu’elle complète après un temps d’arrêt, ajoute pour toi. L’auteur
explique que ses notes intitulées NDA : pourquoi faut- il toujours s’expliquer 1221? Sont la
sérieuse réponse de l’écrivain à une inquiétante question retraçant l’historique du point B 114
pour dissiper les rumeurs le déclarant réel alors que d’autres le déclarent irréel et chimérique à
la suite de fouilles archéologiques n’ayant rien donné.
Djamel Mati brouille en quelque sorte les pistes en donnant au lecteur des
informations contradictoires relatives à cette légende. En effet, l’écrivain parle de fouilles
archéologiques au fin fond du Sahara ayant abouti à déterrer le fameux sibirkafi du point B
114 .Il raconte que des narguilés ont été passés au carbone 14 pour authentifier l’époque sur
les parois d’une amphore brisée restaurée par des paléographes et sur laquelle sera gravée son
histoire.
Pour ceux qui préfèrent croire au mythe le sibirkafi du point B 114 a bel et bien
existé, tout comme l’Atlantide, le continent perdu de Mu et le mythe de Sisyphe, même si on
n’a pas encore trouvé leurs traces .Pour ceux que l’écrivain qualifie de négationnistes de la
fiction tout cela relève des élucubrations d’un conteur dérangé par les vicissitudes de la vie,
une simple fixation d’un esprit mal portant …une vision myope d’amour, malade d’espoir et
ivre de vie. Ce qui suffit aux fervents défenseurs de la créativité pour que le point B 114 soit
rendu sérieux. Finalement, l’écrivain a tranché et le point B 114 est pour lui l’occasion de
nous inviter, nous lecteurs cantonnés à notre réalité, à partager son adhésion en cette fixation
de l’esprit ,à en prendre acte et croire enfin en cette chimère de vie : Et vous, gens du présent,
aimeriez-vous croire en cette chimère de vie ? Moi, si .Dont acte ! 1222

3.2. Lagons chimériques, un récit péri graphique

Toujours dans On dirait le Sud et consécutivement au NDA, l’auteur met en place un


paratexte intitulé Les lagons chimériques et destiné guider notre lecture en évitant toute
erreur de jugement avant d’entamer la première partie du roman. Quelles informations
apporte-t-il au lecteur ? Que sont les lagons chimériques et pourquoi en parle-t-il ?

1221
Notes d’Auteur, p. 14
1222
On dirait le Sud, p .14

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Mati entame son récit péri graphique en définissant les lagons bleus, chimères sur
lesquelles se réfléchissent les élucubrations des Hommes : Les lagons bleus, où se reflètent
les rêves des Hommes, sont des chimères colportées par la canicule qui régentent les contrées
ingrates du désert.1223Il considère ces éphémères écumes réverbérantes comme trompeurs de
par leurs reflets sublimes et irréels puisqu’ils réfléchissent les désirs sans jamais les offrir. La
seconde mise au point de l’auteur concerne le minéral ingrat qu’est le désert à l’origine de
l’histoire des Hommes en prenant en otage l’homme et la flore figés dans une inertie qui
agonise mais ne meurt jamais et sur les voyageurs égarés incapables de s’en extraire dans une
lenteur temporelle qui accomplit dans son élan la rénovation du désert. Dans cet égarement
inopiné, ces voyageurs envoutés par le désert et prisonniers de leur propre quête intérieure et
désespérante se retrouvent prisonniers de leur propre destin alors que le sable, le soleil, et le
vent ne sont que leurs geôliers. 1224La vie repose sur la dualité du désert des hommes et celui
du temps1225 dans ces lieux arides et asséchés par les vents et le soleil, espace originel, sceau
de toutes choses et à l’origine du Tout.
La troisième mise au point concerne le sibirkafi du point B114 dont il propose au
lecteur plusieurs acceptions .Il est ce coin perdu mentionné sur les anciennes cartes (...)
tracées par les anciens méharistes qui traversaient ces vastes étendues (...) ou alors
cette marque au milieu d’une grosse tache jaune au-dessus de laquelle une inscription à
consonance gutturale est calligraphiée à l’encre de Chine SIBIRKAFI, Point B114 et peut-
être même un radeau échoué dans l’océan asséché et rempli de sable fréquenté par les
touaregs qui, sans les nommer, sont présentés comme les arpenteurs du désert : des hommes
libres aux tuniques bleus et aux visages voilés. 1226
L’auteur finalise son texte fondateur par un ultime ajout informatif incluant l’entrée en
jeu de la mer que rejoindra Neil à l’issue de sa palingénésie dans le désert des
hommes: Derrière les étendues de sable, au loin, très loin, trop loin, la mer dans sa colère se
souvient des déserts et des hommes. 1227

1223
On dirait le Sud, p.15
1224
Ibid., p.15
1225
Âpreté de l’existence et quiétude de l’esprit ; douces illusions chimériques et dures réalités initiatrices,
mystère des hommes et magie du temps, Ibid. p 16
1226
Ibid., p.17
1227
On dirait le Sud, p.17

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4. Epigraphes : éclectisme culturel du discours ontologique

Si l’épigraphe constitue bien cette citation placée en exergue, généralement en tête


1228
d’œuvre ou en partie d ‘œuvre, nous pouvons considérer que Djamel Mati excelle en la
matière tant les citations particulièrement instructives abondent dans une grande partie de son
œuvre romanesque.
Dans Aigre-doux, ces fragments du péritexte auctorial constituent le fil conducteur
existentiel de la pérégrination onirique du personnage-narrateur et la dimension ontologique
de sa quête de ses originelle. En effet, la première épigraphe, Si tu veux savoir où tu vas,
sache d’où tu viens sous-titrant Prologue : le réveil1229, est extrait du Talmud1230 et porte sur
le fait que la connaissance de soi est consubstantielle de celle de ses propres origines. Ainsi
fondé sur un corpus philosophique, ils prédisposent et préparent en quelque sorte le lecteur à
l’aspect ontologique et de rendre compte avec fidélité du contenu fictionnel.
Qu’il s’agisse de ses propos intérieurs et de ceux adressés à l’inconnue d’une chambre de
bordel au thaumaturge et à l’Alchimiste, ses interrogations existentielles corroborent la
philosophie que charrie l’épigraphe talmudien- fil conducteur ontologique de son errance :
Où suis-je ? D’où viens-je ? Et qui suis-je ?(…) -Je cherche à connaitre mon passé parce que je
suis un homme égaré dans le Temps(…) Et tous les hommes vivent en fonction de leur avenir
…pour cela je dois savoir d’où je viens ! (….) je suis sur les routes depuis …depuis toujours, je
pense…je cherche quelque chose que je connais même pas (...)Je veux retourner chez moi, mais
j’ai perdu mon origine .Je ne sais même pas qui je suis, Monsieur, savez-vous que je ne connais
même pas mon nom (…) -A cause de cette vie sans mémoire .Je ne sais pas qui je suis ni d’où je
viens (…).1231
La seconde citation sous-titrant le second chapitre intitulé La chambrette ovale 1232 est
celle de William Shakespeare1233et porte explicitement sur l’entité de l’être à travers
l’inéluctable souffrance le préparant à retrouver son identité au terme de sa transhumance en
quête de sa propre identité : Les hommes doivent souffrir leur départ comme leur venue ici-
bas ; le tout est d’être prêt 1234et c’est ce à quoi s’attellera à préparer le personnage - narrateur
au cours de ses pérégrinations oniriques jusqu’à sa transmutation finale.

1228
Genette, Gérard. Seuils. Ibid., p .134
1229
Aigre-doux, p. 12
1230
Recueil des enseignements des grands rabbins
1231
Aigre-doux, pp. 32- 112- 174- 188
1232
Ibid., p.17
1233
W. Shakespeare, poète anglais né en 1562 qui a créé dans 37 tragi- comédies, drames historiques et fééries
des types humains eternels, de Hamlet à Caliban, de Roméo et Juliette à Lady Macbeth en donnant une forme
dramatique à un univers complet, miroir des passions et bréviaire de sagesse.
1234
Aigre-doux, p.17

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

La maxime d’Héraclite sous-titrant le troisième chapitre Les méandres ….. 1235 traite
à son tour du chemin emprunté par le personnage en quête de ses origines :La route qui monte
et descend est une et la même .Héraclite , philosophe et astronome grec , disciple de Platon et
d’Aristote qui a approfondi par ses études l’image que se fait du monde l’esprit humain et a
expliqué le mouvement apparent du ciel par la rotation de la terre et la succession régulière du
jour et de la nuit en reconnaissant l’immensité de l’univers .Le savant grec a aussi enseigné
que même les plus petites parcelles de matière que sont les atomes sont susceptibles de
changement. La citation qu’insère l’écrivain ne peut être anodine : elle confirme l’idée que
cette route qui monte et descend qu’est le cheminement de l’existence signifie sa fluctuation
en moments de bonheurs et d’autres de douleurs, bref que l’existence ne peut se départir de sa
dualité aigre-douce. La quatrième citation- qui sous-tend le chapitre intitulé La quête
viscérale 1236est celle de Paul Valery : L’homme est absurde par ce qu’il cherche, grand par
ce qu’il trouve .La dimension ontologique de cette maxime est indéniable : elle traite du sens
absurde de la quête de l’homme et quelle que soit la nature de sa finalité, cette dernière ne
peut que prouver sa grandeur en ayant donné un sens à sa quête viscérale.
La cinquième citation : Pour mieux contempler, demeurez au désert présentant le
dernier chapitre Retour dans le désert, la mue 1237 appartient au célèbre poète français Jean de
La fontaine qui nous suggère sur une tonalité injonctive l’isolement dans le désert pour mieux
se contempler, mieux se cerner, mieux se connaitre en somme. Le retour au désert constitue
une étape essentielle qui mènera le narrateur à sa transmutation finale.
L’ultime maxime appartient à Djamel Mati lui-même .Elle présente l’Epilogue1238 et
traite du point B 114 comme le point d’ancrage du personnage en quête de ses origines dans
une autre spatialité qui n’est autre que le fameux Point B 114 : Le point B 114, c’est comme
ailleurs ….toujours ailleurs.
Mati semble prendre plaisir à travers ces épigraphes à citer moult penseurs,
philosophes et écrivains qui traitent , chacun dans sa singularité , sous diverses esthétiques, et
différentes époques, de l’entité de l’être dans son existence fatalement aigre- douce et qui ne
peut que s’adoucir au moment opportun , au point ultime de fixation , au pointB114 .Ces
maximes appartenant à ce contingent de sages épigraphiés qui nourrissent le fil conducteur de

1235
Aigre-doux, p.61
1236
Ibid., p. 169
1237
Ibid., p.227
1238
Ibid., p.263

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

la philosophie matienne posent également les jalons d’une lecture ontologique et/ou
philosophique.
Enfin, dans LSD, l’auteur adresse aux lecteurs dans deux segments nominaux servant
d’incipit préventif dont le contenu traite d’une part des caractéristiques de l’Etre confronté au
dualisme aigre-doux des rêves bleus et/ou cauchemardesques et d’autre part du fait que , pour
nous rassurer , cette histoire est une pure fiction qui gagnerait à devenir réalité sans en
préciser le bénéficiaire qui , nous le découvrirons à postériori , sera l’humanité dans son
intégralité : -Petits et insignifiants, rares et précieux, nous sommes capables de faire de si
beaux rêves, mais aussi d’horribles cauchemars. La plupart des évènements de cette histoire
n’ont, bien sûr, jamais eu lieu. Peut-être aurait-il mieux valu qu’ils le fussent.
Répondant à une interview portant sur les raisons qui l’ont amené à écrire LSD,
l’écrivain explique que son écriture est le fruit d’une réflexion sur l’anthropocentrisme de
l’homme inoculé dans le conscient collectif depuis des milliers d’années qui l’a transformé en
un despote prédateur qui asservit le monde et s’asservit lui-même pour mener à sa
perte .Enfin, Mati reprend l’idée de l’homme fragile et insignifiants que nous découvrions
dans le petit texte épigraphique servant d’incipit préventif au corpus pour en donner une
plausible explication qui entérine sa vision pessimiste de l’avenir de l’avenir de l’humanité :
- Certes l’homme est rare et précieux, mais devant l’immensité de l’univers, il devient petit et
insignifiant. Ses rêves sont adjacents à ses cauchemars .Nous sommes plus près des
cauchemars malheureusement.

5. Notes de bas de pages et ludisation du langage

Chez Mati, ces énoncés de longueur variable, relatifs à un segment du texte, disposés
en regard ou en référence à ce fragment 1239sont légion notamment dans Aigre-doux qui en
contient un certain nombre pour capter l’attention et lui transmettre par à-coups et sur diverses
tonalités des informations révélatrices des prises de positions de l’auteur. Ces notes de type
explicatif fournissent en quelque sorte un second niveau du discours fictionnel en actualisant
la fonction référentielle du langage par une rupture du régime énonciatif en place.
Ces notes deviennent l’occasion d’adresser un message politique au lecteur algérien
averti. Ce dernier est censé s’extraire du continuum évènementiel et/ou énonciatif pour lire un
autre discours émanant d’une nouvelle voix susceptible de ne pas être celle du narrateur. En
revanche, celles traduisant et explicitant des termes et /ou expressions en arabe dialectal

1239
Genette, Gérard. Seuils. Ibid., p. 293

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

rudimentaires sont adressées à un lectorat exclusivement non-maghrébin qui ne maitrise pas le


dialectal algérois. Ces notes explicatives poursuivent leur progression marginale notamment
dans Aigre-doux tout en permettant le déploiement explicite d’un discours de la dénonciation.
Sur le plan de la forme, elles se présentent sous forme de créations lexicales, de jeux de
langage, d’associations insolites de mots, de tournures transcrites du dialectal algérien,
d’explications insolites de termes simples, d’abréviations et d’agrammaticalités diverses. Leur
présence confirme que l’auteur évoque une réalité singulière, celle de l’Algérie de son époque
dont il ne peut traduire certains aspects langagiers n’ayant peut-être pas d’équivalent dans la
langue française.
Dans Aigre-doux, des notes para textuelles de bas de page expliquent l’emploi d’un
terme scandé par des manifestants débranchés- munis de leurs télécommandes devenues
stériles - qui réclament aux pouvoirs en place les merveilleux programmes télévisés de télé-
achats qui libèrent les instincts à défaut de libérer les esprits.1240La révolte naissante de
ces privés de la zapette 1241 sera à l’origine d’une forte mobilisation des brigades antiémeutes
qui les arrosèrent d’un liquide urineux avant de procéder à des arrestations en masse .Le terme
zapette est donc définit en bas de page comme suit :
Zapette : Objet magique de couleur souvent noire qui permet de voyager, manger, s’habiller,
s’aimer et surtout jouer sans bouger de votre chaise (appelée aussi télécommande).Les privés de
la zapette : les personnes n’ayant aucune permission, ni droit de choix de programmes. A ne pas
confondre avec les zappeurs : ILS.1242
Ces définitions explicatives émises sur une tonalité ironique illustrent l’opinion de
l’auteur qui dénonce le fait que les citoyens les plus démunis que sont ces privés de la zapette,
sont victimes de l’oppression lorsqu’ils osent réclamer des programmes ludiques qui leur
permettent de vivre virtuellement leur quotidienneté pour pouvoir s’extraire de leur profonde
léthargie.
Enfin le segment à nepas confondre avec les zappeurs, le pronom anaphorique ILS
scellent non sans une teinte d’humour la nuance entre les décideurs zappeurs qui
reconnecteront à coup sûr les privés de la zapette que sont les téléspectateurs ostracisés et
humiliés.
Lorsque les brigades antiémeutes chargent les rebelles à la matraque, ils scandent à
leur encontre cette association insolite de mots qu’est la construction : GameYamak ! Dine

1240
Aigre-doux, p.26
1241
Ibid., p. 26
1242
Ibid., p. 26

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Yamek que les notes épigraphiques définit comme suit : Game yamek : Joue Ta mère .A ne
pas confondre avec NTM qui lui veut dire : Nourris Ta Mère ou Nage Ta Mer et le juron
blasphématoire en dialectal algérois Dine yamek est traduit Maudite ….soit la religion de ta
mère .Notons que Game Yamek signifie jeu en anglais et Yamek qui , en dialectal algérois ,
signifie ta mère et que leur combinaison constitue une association insolite et humoristique de
termes appartenant à ces deux langues que sont l’arabe dialectal et l’anglais supposée être
celle du progrès numérique et scientifique. En outre, ce mélange des codes permet son auteur
d’y ajouter par extension des commentaires personnels subsidiaires tels que Nourris ta Mère
ou Nage ta Mère qui est un calque lexical d’une métaphore en arabe dialectal algérois
signifiant la nécessité de se débrouiller seul pour assurer sa survie .Nous remarquons que ces
calques lexicaux, une fois traduits pour un lectorat non-maghrébin, ne signifient plus rien et
qu’ils sont fatalement destinés exclusivement à un lectorat algérien.
Quant à Dine yamek, c’est une expression blasphématoire récurrente dans le dialectal
algérois pour exprimer de manière triviale son mépris et sa condescendance à l’égard de son
destinataire.
N. Toubette 1243 : L’emploi de ce patronyme est le résultat d’un jeu de langage
humoristique pour ridiculiser les héritiers des grandes dynasties demeurés tout bêtes qui
règnent sur l’université algérienne non pas par le savoir mais parce que postes et diplômes
leur ont été légués. Le narrateur cite l’auteur de cet ouvrage de référence L’arche des
Toubette avant de le présenter ironiquement en bas de page comme le petit fils d’un des
pionniers de cette science Dr Hadj Toubette 1946-2010, cet illustre personnage inaugure la
première chaire Trabendo à la grande université de Toto.

5.1. Emprunts lexicaux

Des termes appartenant au dialectal algérois sont usités dans le contenu fictionnel et
traduits à maintes reprises en bas de page, parfois en proposant une approche étymologique de
certains termes avec ou sans des commentaires subsidiaires de l’auteur qui ne nous laissent
guère indifférents d’autant que ces notes proposent au lecteur un second niveau de lisibilité,
seul à même de contenter le lecteur averti :
- Douar 1244 terme en arabe traduit en bas de page par Canton.

1243
Aigre-doux, p. 143
1244
Ibid., p. 29

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-Mektoub 1245 traduit par Destin ….foutu destin .Notons que le mot Mektoub fait partie de
ces vocables qui appartiennent désormais à la langue française sans que l’on ait à l’expliquer.
L’adjectif foutu constitue le commentaire pessimiste de l’auteur qui ne semble guère
convaincu que sa destinée le mènera vers le bonheur.
- Bira 1246 qui veut dire Bière est traduite par Boisson fermentée légèrement alcoolisée,
préparée à partir de céréales, principalement de l’orge, et parfumée avec du houblon .Il est
clair que ce terme est le résultat d’une altération consonantique de termes issus d’une
véritable déformation orale de la langue française dans le langage populaire algérois.
- Chira 1247 qui veut dire cannabis en dialectal algérois est traduite en bas de page comme
suit : Substance magique pouvant modifier l’état de conscience.
-Khaima 1248traduit en bas de page par Grande tente ouverte sur un large côté…d’où
l’hospitalité forcée des hôtes,
-Mechta 1249 terme en arabe traduit en bas de page par hameau.
- Haik 1250 traduit en bas de page pour le lecteur non magrébin par voile, en général de soie,
de couleur blanche qui recouvre les femmes lorsqu’elles sont de sortie.
-Chott 1251 traduit en bas de page par terre salée qui entoure une dépression inondable
(sebkha).
- Guelta 1252 traduit en bas de page par : marre ou réserve d’eau creusée dans la roche.
-Trabendiste 1253 terme traduit en bas de page par cocktail de financiers, de boursiers,
d’économistes, trafiquants et d’affairistes véreux et sans scrupules dont la seule maxime est
le profit ! Le trabendisme est reconnu comme étant une activité professionnelle très
valorisée. Cette fonction, très prisée, ne demandant aucune qualification universitaire ou
écolière, est à la portée de tout crétin voulant accéder rapidement à un niveau social
enviable.
Cette définition de l’idéologie du trabendisme en Algérie présentée de manière
péremptoire, est l’occasion pour l’écrivain de stigmatiser le renversement des valeurs

1245
Aigre-doux, p.130
1246
Ibid., p.143
1247
Ibid., p. 143
1248
Ibid., p .148
1249
Ibid., p. 155
1250
Ibid., p. 158
1251
Ibid., p. 185
1252
Ibid., p. 248
1253
Ibid., p. 41

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

institutionnalisé en Algérie qui favorise les ignares, les incultes, les malhonnêtes et les
incompétents au détriment des gens lettrés, cultivés et méritants.
- Nif 1254: l’écrivain en propose une explication insolite en bas de page : honneur, fierté. Cette
notion était prépondérante chez les hominidés, bien sûr tombée en désuétude, depuis. N.d.l.r :
Nous pouvons donc considérer que nos robinets sont assez vieillots antédiluvien dans ce cas
précis.
Nous constatons qu’une fois de plus, l’auteur ne se contente d’expliquer la notion de
nif qui signifie honneur, fierté et dignité en dialectal algérien .Il rajoute un commentaire
personnel sous forme d’une illustration insolite en expliquant non sans ironie sa désuétude
chez les hominidés mais son maintien chez les nez-coulants que sont les robinets considérés à
tort comme vieillots.
1255
- Fléne ou flana : Il s’agit d’une expression en arabe dialectal usitée pour dénoncer la
cruauté de criminels qui assassinent au nom de Dieu des milliers d’innocents dans l’anonymat
le plus total, des quidams comme vous et moi tout en interpellant le lecteur par le vocatif
vous comme pour lui faire prendre conscience que cela n’arrive pas qu’aux autres et qu’il
aurait très bien pu, lui aussi , être injustement touché par une telle cruauté : Flène ou flana : x
ou y comme les chromosomes ou comme la 24ème et la 25ème lettre de l’alphabet ….des
quidams comme vous et moi ! .
- Taghout 1256 est l’expression usitée par l’homme au Kamis pour qualifier les innocents qui
ne se conforment pas, même par idiotie à de tels principes religieux qui sont exécutés au nom
de Dieu. Sa définition est présentée comme suit en bas de page : Taghout : mécréant ou tout
simplement une personne qui n’épouse pas les préceptes des autres même s’ils sont idiots… »
Cette note met en exergue l’obscurantisme et des islamistes qui considèrent taghout
tous ceux qui ne raisonnent pas comme eux, tous les gens de la jahiliya période préislamique
qui ont transgressé les limites divines en adorant idoles, sorciers et devins. Pour l’homme au
kamis, tous qui sont simplement différents et qui font preuve de bon sens en n’épousant pas
leurs préceptes idiots, sont systématiquement considérés comme Tawaghit pluriel de
Taghout.
- Essalem Alikoum 1257 : Cette expression en dialectal reprise dans son intégralité est traduite
en français pour le lecteur non-maghrébin qui ne maitrise pas le dialectal algérien comme suit

1254
Aigre-doux, p. 41
1255
Ibid., p.125
1256
Ibid., p.147
1257
Ibid. ,p.127

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

que la paix soit sur toi. Notons qu’une telle expression aurait pu s’intégrer sans distinction
particulière au continuum phrastique en langue française.
-AgdaWalaAktar 1258 : Cet adage en dialectal algérois est noté en bas de page pour exprimer
l’acceptation et la résignation des hommes face à aux innombrables malheurs subis et que le
discours officiel rassurent par le simple fait qu’il y a toujours pire ou plus malheureux que
soi Rassurez-vous, il ya pire….

5.2 .Abréviations

Des abréviations usitées dans le corpus sont aussitôt explicitées en bas de page pour ne
pas déstabiliser le lecteur. Cependant, elles sont souvent accompagnées de commentaires
personnels sur divers sujets qu’ils soient sociétaux ou relatifs à l’entité de l’Etre.
F11259 : Pendant son premier délire hallucinatoire, le narrateur raconte que lors de la
manifestation de déconnectés, aux fenêtres de leurs appartements F1 tapent sur leur casserole
pour accompagner à leur manière la furie des débranchés de la zapette. L’explication de F1
est présentée en bas de page comme suit Codification urbanistique désignant un appartement
réservé aux enseignants et aux cadres : F=Foutoir et 1=Un .Et un foutoir ! Un ! pour
monsieur le prof »annonçait-on à la remise des portes –clés du logement, les clés et le reste
de la maison eux arriveraient bien des années plus tard, d’où l’appellation F1.Surtout à ne
pas confondre avec Formule Un.
Nous remarquons que cette note péri graphique permet à l’écrivain de dénoncer avec
acuité la dévalorisation des enseignants et cadres humiliés par l’octroi de logements-foutoires
d’une seule et unique pièce dont on leur promet l’attribution du reste de le demeure à un âge
bien proche de leurs retraites. Cette manière de faire lui permet d’une part de dénoncer la
lenteur du processus d’attribution des logements à ne surtout pas confondre avec Formule Un
la compétition de course automobile la plus relevée au monde.
B.A 1260: Cette abréviation est usitée par le personnage en errance, qui dans un élan de
philanthropie, prend en charge une vache maigrichonne tout en étant soulagé que ses Bonnes
Actions quotidiennes à son égard ait fait d’elle une vache savante, capable de raisonner et
d’agir comme un humain 1261.L’auteur en donne non sans une teinte d’autodérision le
commentaire puis l’explication en bas de page dont un commentaire subsidiaire en jouant sur

1258
Aigre-doux , p. 139
1259
Ibid., p. 24
1260
Ibid., p. 91
1261
Ibid., p. 91

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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l’abréviation B .A pour y ajouter pas souvent de Bon Augure lequel altère la signification de
l’abréviation initiale : 1 .B.A : Pour celles ou ceux qui n’en ont jamais fait….B.A : Bonne
action…pas souvent de Bon Augure
P.N.B :1262 Dans la ville cannibale, le narrateur en errance entame une discussion avec
l’hirsute marchand de drapeaux qui lui conseille de ne pas prononcer le mot de trop qui
coûterait à peu près les trois quart du PNB du pays .Les notes épigraphiques de bas de page
vulgarisent deux acceptions différentes du concept économique qu’est le P.N.B à laquelle
s’ajoute un commentaire subjectif de l’auteur non sans une certaine légèreté humoristique
Produit National Brut : D’après le dico c’est la somme de toutes les richesses d’un pays
auxquelles on ajoute tous les services censés être rendus. Je ne saurais vous en dire plus,
sinon que cela ne sert strictement à rien lorsque vous voulez payer votre épicier, avec !
PNB veut dire aussi, dans certaines contrées, Profit sur le Naphte(ou Narcotique) qui
permet de Bambocher sur le dos des autres. La dénonciation de l’exploitation et de la mise à
l’écart des petites gens en aucun cas concernées par les richesses du PNB accumulées peut
être saisie en filigrane dans cette explication de bas de page. Les richesses étatiques et /ou
nationales ne servent donc pas les plus démunis d’autant qu’aucun effort n’est déployé pour
les sauver de l’engrenage du profit narcotique.
C.C.C 1263: Il s’agit de l’acronyme signifiant le centre de la cité cannibale définit en
bas de page à laquelle un commentaire subsidiaire y est rajouté avec une certaine ironie sur
cet espace cauchemardesque où les victimes de la cité que sont les plus démunis,
définitivement transmutés en zombies déshumanisés qui règnent en maitres dans cette cité
cannibale où toutes les ruelles se terminent en impasses : CCC est le centre de la cité
cannibale, appellation certifiée et contrôlée par tous les zombies de la ville. C’est justement
cette marginalisation des plus démunis transmutés par la force des choses en Zombies ayant la
légitimité pour certifier cet état de fait.
N.d.a1264 : Dans ses élucubrations de son esprit tourmenté, le narrateur rencontre dans
le tripot des désespérés des jeunes jouant à qui perd gagne , sorte de roulette russe à l’aide
d’un revolver passant de main en main .Prenant l’initiative de participer à ce jeu macabre, il
constate alors que même la mort n’a pas voulu de lui .C’est par rapport à cette démarche
suicidaire qu’ un commentaire épigraphique préventif tragi-comique à l’attention des lecteur

1262
Aigre-doux, p. 105
1263
Ibid., p.111
1264
Ibid. p. 137

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

est porté en bas de page sous forme de note d’auteur : N.d.a : Evitez surtout de jouer , vous
risquez d’avoir plus de chance que moi .
P.R .R :1265C’est en visitant la triste mechta du point B 114 égarée entre ciel et misère que le
narrateur rencontre des ventre-creux miséreux sommés par les Autorités de mauvaise augure
de serrer leur ceinture d’un cran en appliquant le programme de rationalisation des ressources
à propos duquel l’auteur fait le commentaire suivant en bas de page : Programme de
rationalisation des ressources …….de sources non sûres : bien après, ce programme s’est
converti en parti politique .L’expression de source non sûre lui permet d’introduire un
commentaire personnel débutant par le terme source qui rime avec ressources pour révéler
que le programme en question est devenu un parti politique.

5.3. Interférences phonétiques

Lors d’un délire hallucinatoire, le narrateur devenu riche se remémore sa condition de


cireur de chaussure durant l’époque coloniale qui exhorte les passants à le solliciter en tapant
de sa brosse sur une caisse en bois : Cérimissieu ! Expression commerciale utilisée
fréquemment par les petits et les grands cireurs pour rabattre les clients. 1266L’interférence
phonétique est patente dans cette énoncé et est révélatrice de l’infériorité du petit indigène
déscolarisé qui ne parle pas correctement et altère volontairement1267 - par interférences
d’ordre phonétique- la langue de l’occupant lorsqu’il s’adresse en français aux passants
indifférents à sa souffrance.

6. Propos philosophiques sur l’Entité de l’Etre

En Algérie , les années 2000 sont marquées en Algérie par un retour à la paix civile
qui instaure un contexte historique et social permettant l’émergence de nouvelles écritures
algériennes de l’imaginaire , du délire et du fantasme .Tout en étant à la recherche de
nouvelles techniques narratives qui tout en étant ancrées dans la réalité algérienne post-
urgence, ces nouvelles écritures s’ouvrent fréquemment à une réflexion existentielle sur et de
l’Entité de l’Etre dans des espaces fantasmagoriques à la frontière du réel et du chimérique.

1265
Aigre-doux, p. 162
1266
Ibid., p .108
1267
Il baisse la voix et murmure comme pour se corriger « cirez Messieurs, s’il vous plait, cirez pour que je
puisse manger »(…) dans un langage adapté à la situation qu’il est forcé de vivre, Aigre-doux, p .110

371
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Djamel Mati appartient justement à ces écrivains de l’après-urgence qui s’emparent de cette
écriture de l’impalpable pour en faire un instrument de foration de la condition humaine.1268
Dans un entretien présenté dans la seconde partie Entretiens suivis de fragments de
son essai sur la littérature algérienne des années 2000, Mati explique les raisons pour
lesquelles ses interrogations existentielles1269liées à l’histoire des élucubrations d’un esprit
tourmenté se déroulent au point B 114 , fixation de l’esprit fluctuant sur cette mince frontière
qui sépare le réel de l’onirique , sont à l’origine de la libération de son écriture comme pour
exorciser la crainte suscitée par ces questions :Dans la vie, il y a des vécus tellement
anachroniques qu’on finit toujours par se demander s’ils ont réellement existé et des virtuels
qui nous paraissent tellement évidents qu’on finit par croire en leur existence.1270
L’interviewé explicite ensuite les raisons qui l’ont amené à créer l’espace B114 où de
tels questionnements existentiels seraient susceptibles de trouver des ébauches de réponses :
De telles interrogations ne peuvent se poser que dans un univers qui n’a pas de consistance
réelle et qui n’est pas tout à fait virtuel. Cet espace, il me fallait l’inventer : c’est le point B
114 ! 1271Lors d’une autre interview 1272
à propos de ce roman surréaliste confirmant une
nouvelle ère de la littérature algérienne, Djamel Mati affirme que LSD est plus qu’un roman.
C’est pour lui une nouvelle aventure littéraire et une épopée humaine qui raconte
l’odyssée de Lucy surgissant du fin fond des âges pour traverser l’humanité en compagnie de
Charles Darwin depuis l’origine des Temps jusqu’en 2051. C’est une réflexion sur
l’anthropocentrisme de l’homme depuis des milliers d’années qui lui a donné l’idée de
romancer l’origine de l’humanité et son devenir à travers des personnages se trouvant sur
des strates de temps si éloignées .Répondant à un questionnement relatif au changement de
registre et d’imaginaire romanesque enraciné jusqu’au tréfonds dans les paysages mythiques
du désert de l’Afar, Mati explique éprouver un besoin de nouvelles gageure littéraire, de
scruter de nouveaux horizons , d’ouvrir des champs sensoriels arables et neufs pour apporter
quelque chose de nouveau au lecteur.

1268
Mohamed Magani cité par Rachid Mokhtari dans son essai intitulé .Le Nouveau Souffle du roman algérien.
Ibid., p.14
1269
Et si toute notre vie n’est qu’un mensonge ? Et si tout ce qu’on vit ,n’est que le fruit de notre imagination,
pis encore une grande conspiration orchestrée par des « esprits » dominants(…)ou encore si tout simplement
,même ces « dominants » ne sont que des chimères sécrétées par nos subconscients et ne sont rien d’autre que le
fruit de notre imaginaire…de notre esprit…malade toujours inassouvi de rêves inaccessibles et d’espérance,
emprisonné dans les excuses de nos convenances ? De pareilles interrogations ne peuvent se poser que dans un
univers, Ibid., p.147
1270
Aigre-doux, p.145
1271
Ibid., p.14
1272
C’est une histoire complètement déjantée. Info soir du 12 /06/2009

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Tel est le message ontologique à retenir du choix de ce cadrage para textuel que nous
interrogeons afin de comprendre le rapport de l’écrivain à l’écriture qui, tout en cultivant le
fantasmagorique et l’invraisemblable, s’inscrit dans une modernité scripturale et sur la
réflexion de l’écriture sur elle-même. De ce fait, nous pouvons décoder son rapport à
l’ontologique par moult questionnements existentiels et ontologiques qui se focalisent sur
l’entité de l’Etre en dépeignant la réalité à travers l’errance et l’exil intérieur, l’amour et la
mort dans tous leurs états, les rapports au religieux et au divin.

7- Réception de l’œuvre

Une lecture de la presse souligne à sa manière la dimension ontologico-existentielle


des romans de Djamel Mati .En effet, la critique journalistique révèle une écriture
ontologique, foncièrement polyphonique et digressive sous l’influence de la modernité. Elle
considère que l’écrivain entre résolument dans une problématique moderne de l’écriture où
l’effet de ressemblance avec le réel est abandonné au profit d’une organisation signifiante qui
fait fi du vraisemblable en privilégiant l’entité de l’Etre, même si elle tente à sa manière à
rendre compte d’une réalité cauchemardesque et insupportable.
Les articles de presse s’accordent à inscrire que l’écriture de Mati dynamite la notion
même d’intrigue d’un récit qui, à la limite du réel et du virtuel par la prise de pilules aigres-
douces, se caractérise par sa polyphonie, par la multiplication des voix, des discours et des
récits. A travers son article intitulé Une plongée en apnée 1273 d’Ahmed Ben Alam qualifie
Aigre-doux de confession intimiste puisqu’il effectue une véritable plongée en apnée dans
monde intérieur du narrateur, une immersion dans les méandres du Moi.
Puis , lors d’une rencontre avec Djamel Mati à la Galerie d’Art Benyaa , Najet Khadda
synthétise avec brio le contenu fictionnel du roman LSD dans toute sa complexité qu’elle
définit comme une délicieuse aventure , décalée à souhait (…) et qui prend à contre-pied
tous les poncifs du genre , une bien belle virée dans l’archéologie des sens (…)juste pour le
plaisir de découvrir un univers fabuleux , peuplé d’images les plus prégnantes.
N. Khadda explique en amont qu’il s’agit d’un roman philosophique, ésotérique,
existentialiste et policier. Elle ajoute également que ce roman à tiroirs étrange et jubilatoire est
1274
superbement documenté en préhistoire, religion, science et art et nous fait faire un voyage
dans le temps, aux origines de l’homme qui satisferait sans nul doute le célèbre palé

1273
L’expression du 19/11/2006
1274
Référence à la musique des Beatles, des Rolling Stones et Bob Dylan

373
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

anthologue français Yves Coppens .L’écrivain revient à la géomorphologie, à la matrice


originelle et à des questionnements existentiels en s’interrogeant sur Dieu, l’humanité et la
mission de l’homme sur terre la vie. Lecture et réception des romans de Djamel Mati dans
l’édition et l’université algérienne restent limitées à deux ouvrages récents sur la littérature
algérienne1275 et quelques articles d’universitaires qui convergent pour signifier que ces
nouveaux écrivains algériens qui, tout en réfléchissant à l’acte même d’écrire versent(…)
dans une recherche esthétique liée à la condition de l’être humain dans son patrimoine et
dans l’univers avec ses rapports civilisationnels.1276
Dans son essai sur la littérature des années 2000, Mokhtari présente Mati comme l’un
des principaux écrivains de l’après-urgence distingués par la critique pour leur originalité
attestée qui, tout en étant en quête d’une Nouvelle esthétique du sens participent de ce
Nouveau Souffle du roman algérien. L’essayiste parle d’une écriture introspective de la
résurgence à la fois ludique et tragique qui donne libre cours aux fantasmes les plus enfouis,
les plus débridés des personnages sans noms (...) n’ayant de message à transmettre que leur
propre doute, leurs propres interrogations. 1277 Ces écrivains participent de ces nouvelles
écritures algériennes qui ont insufflé une nouvelle dynamique à la forme romanesque, une
nouvelle esthétique du sens dans un véritable délire d’écrire l’imaginaire et le fantasme sous
l’influence esthétique de la modernité. Présentant cette nouvelle génération de romanciers
algériens de l’après-urgence, Mokhtari met en exergue les caractéristiques communes de ces
nouveaux romanciers qui excellent dans un imaginaire délirant (…) donnent libre cours à
leurs fantaisies dans l’enchevêtrement de plusieurs sous-récits à l’intérieur d’un macro récit
(…) Déconnectés de repères spatio-temporels, leurs personnages sortent de l’univers de
Kafka (…) le monde fantasque et fantastique dans lequel ils évoluent n’est guère fait pour
rassurer le lecteur. 1278
Dans son ouvrage intitulé Le roman algérien de langue française, Faouzia Bendjelid
considère que ces nouvelles écritures algériennes -insolites de l’hallucination et de la
fantasmagorie où l’exil et l’errance en sont un principe de vie- vont en quête de nouvelles
formes narratives, qui tout en puisant dans l’héritage culturel collectif de l’Algérie,
revendiquent leur appartenance au patrimoine universel. Elle inscrit Djamel Mati parmi les

1275
Il s’agit de l’ouvrage de Rachid Mokhtari intitulé Le Nouveau Souffle du roman algérien en 2006 et de celui
de FaouziaBendjelid. Le roman algérien de langue française en 2012, tous deux édités aux éditions Chihab.
1276
Bendjelid, Faouzia ,Ibid., p.100
1277
Mokhtari, Rachid, Ibid., p .88
1278
Ibid., p .87

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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écrivains novateurs qui, sous l’influence de l’esthétique de la modernité mondiale actuelle,


explorent de nouvelles techniques narratives et s’ouvrent très souvent à une réflexion sur la
condition humaine, sorte d’un élan existentiel qui s’infiltre dans les fictions réservant une
grande place au discours métadiégétique et à la réflexion sur l’écriture .1279
Pour elle, cette nouvelle littérature des années 2000 pose la problématique de l’appartenance
générique tant les modalités et les mécanismes de l’écriture se complaisent dans le fragment,
la discontinuité et l’inachèvement ; citons quelques auteurs et leurs titres: Djamel Mati,
Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté (2005), Mustapha Benfodil, Archéologie,
du chaos (amoureux)(2008) , Mohamed Magani , La fenêtre rouge (2009). 1280
D’emblée, le lecteur constate une modernité scripturale qui traduit dans ses
mécanismes et son fonctionnement un profond désir de liberté par rapport aux contraintes
narratives et prône la discontinuité des récits, eux-mêmes à la limite du réel et du virtuel.
Cependant, au-delà du changement de formes narratives, tous s’accordent à dire que chez
Mati, la quête de soi et de sa propre vérité, qui prend la forme d’une ascèse, se distingue dans
cette écriture de l’errance par la conjugaison d’expériences ontologico-existentielles ayant
trait à l’entité de l’Etre dans son patrimoine culturel universel.

1279
Bendjelid, Faouzia Ibid., p .84
1280
Ibid., p. 85

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Avant d’entamer le repérage et la description du jeu explicite des intertextes et de leurs


pratiques intertextuelles, nous ne pouvons-nous limiter au fait que ce ne sont pas seulement
les voix des personnages qui interpellent le lecteur. Les textes résultent de subjectivités
diverses et différentes qui dialoguent entre elles et sont susceptibles de remplacer l’évocation
du monde par une citation ou reformuler les mêmes histoires en faisant référence aux mythes
et/ou à l’histoire. Telle est l’approche de Marc Eigeldinger, qui dans son projet de redéfinition
de l’intertextualité dans une acception plus large de référence culturelle et/ou artistique,
insistait sur le surgissement de langages et intertextes à l’intérieur même de la structure du
texte dans des échanges intersémiotiques1281 avec divers intertextes mythique ,
paléoanthropologique , historico-religieux et poético-musical ayant trait à l’entité de l’Etre par
l’entremise de la citation , l’allusion, la réminiscence et de diverses références
intertextuelles.1282 Chaque intertexte propose à sa manière un aspect de l’Entité de l’Etre et de
sa dimension ontologique.
L’intérêt de cette approche intertextuelle est cerner l’œuvre de Mati en dévoilant
intertextes et pratiques intertextuelles résultant de subjectivités différentes qui nourrissent la
dimension ontologique d’une écriture matienne au sens bakhtinien du terme comme
subjectivité et intertextualité.
Notre analyse sollicitera les notions de coprésence et de dérivation 1283, les pratiques
intertextuelles que sont l’intégration-installation et l’intégration-absorption - par la citation et
la référence précise et l’Intégration -suggestion par la référence simple, l’allusion et même la
réminiscence. Cependant, avant de nous pencher sur l’intertexte mythique, il convient de
fonder notre analyse sur le concept de mythe réalité culturelle extrêmement complexe qui est
toujours le récit d’une création.1284

1281
Gignoux, Anne-Claire .De l’intertextualité à l’écriture. http://narratologie.revues.org/329
1282
Mon projet est de ne pas limiter la notion d’intertextualité à la seule littérature, mais de l’étendre aux divers domaines de la culture. Elle
peut être liée à l’émergence d’un autre langage à l’intérieur du langage littéraire ; par exemple celui des beaux-arts et de la musique, celui
de la Bible ou de la mythologie, ainsi que celui de la philosophie, Mythologies et intertextualités. Genève, Slatkine, 1987, p. 15
1283
Selon Tiphaine Samoyault , les relations de coprésence et de dérivation font que la citation , l’allusion et la
référence inscrivent toutes la présence d’un texte antérieur dans le texte actuel. Elle précise que les pratiques de
l’intertextualité relèvent de la coprésence entre deux ou plusieurs textes, absorbant plus ou moins le texte
antérieur au bénéfice d’une installation de la bibliothèque dans le texte actuel ou éventuellement de sa
dissimulation, Ibid., p. 34
1284
Eliade, Mircea dans son ouvrage intitulé Aspects du mythe définit le mythe qui raconte une histoire
sacrée(…) relate un évènement qui a eu lieu dans le temps primordial, le temps fabuleux des
« commencements »(….) autrement dit le mythe raconte comment grâce aux exploits des Etres surnaturels , une
réalité totale, le Cosmos, ou seulement un fragment :une île, une espèce végétale , un comportement humain ,
une institution .C’est donc toujours le récit d’une création ,Paris ,Gallimard, Folio Essai , 1989 , p. 17

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1. Intertexte mythique

Divers mythes 1285 cosmogoniques et eschatologiques se développent et se disséminent


dans l’œuvre de Mati relatant des évènements qui se sont déroulés dans un temps primordial,
le temps fabuleux des commencements 1286, révélant des modèles cosmogoniques exemplaires
donnant une signification au monde et à l’existence humaine dont celui des origines où l’être
humain vivait son existence dans le bonheur et la béatitude. Ces mythes cosmogoniques,
récits originels et universels de la création du monde , des débuts de l’humanité , de la terre
Gaia , de la vie et de l’univers dérivant d’investigations scientifiques et/ou de considérations
religieuses s’installent dans l’espace textuel par l’instauration d’images poétiques, de
représentations resituant à la mémoire collective le mythe des origines et de la création du
monde et celui de la terre nourricière, symbole d’un âge d’or et d’un paradis à jamais perdu
pour l’humanité. Les mythes cosmogoniques qui se disséminent dans l’œuvre de Mati sont
ceux de la création et des origines en corrélation avec l’évolution mythique évolutionniste
darwinienne opposée à celle du créationnisme, ceux d’un paradis perdu ou âge d’or de
l’humanité, de l’apocalypse et de la régénération d’une recréation du monde.

1.1. Mythe de la création du monde

Ce mythe cosmogonique -récit des origines- englobe celui de la création se rapportant


aux débuts de l’univers , de la terre nourricière Gaia et de la vie comme acte de création
délibéré de la vie et du cosmos par un Etre suprême ou comme création ex-nihilo (latin : à
partir du néant ) d’un Tout à partir de Rien. Ces explications scientifiques et spéculations
métaphysiques et/ou religieuses incluent également des théories scientifiques contemporaines
telles que le Big Bang théorie cosmologique sur les premiers stades du développement de
l’univers, l’origine de la vie et la théorie de l’évolution darwinienne opposée à celle des
créationnistes et des croyances abrahamiques qui expliquent que la terre, la vie et l’homme
proviennent d’un acte créateur inimitable du divin.
C’est surtout dans LSD que se développe un intertexte mythique cosmogonique où
Djamel Mati revient à la géomorphologie (….) à des questionnements existentiels dans le
ventre des origines (….) dans sa douce folie littéraire s’en va allègrement décrire dans une
prose unique …tout simplement la création du monde (…) la genèse , Darwin questionné par
1285
Mircea Eliade, dans La Nostalgie des origines distingue petits et grands mythes : Il existe de grands mythes
et des mythes de moindre importance, des mythes qui dominent une religion et la caractérisent et des mythes
secondaires, répétitifs ou parasitaire, Paris, Seuil, p .128
1286
Eliade, Mircea .Aspects du mythe. Paris, Idées, 1968, p.15

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Lucy , la jolie australopithèque qui est notre grand-mère à tous … 1287 . Il est clair que nous
sommes en présence d’une intertextualité fondée sur la pratique d’intégration-absorption où
le texte absorbe l’intertexte sans même le suggérer au lecteur d’autant qu’aucune marque
distinctive ne permet de l’identifier avec évidence.1288
Le récit génésiaque débute par une description poétique du commencement du monde,
du Big bang , de la genèse , premier instant du Tout et naissance de la temporalité succédant
au Rien , au néant , éjaculation céleste partant d’un Rien , d’un silence , d’un vide ,
d’Immobilité , d’une intemporalité , du sans verbe au verbe…
...Myriade de petites graines. Déferlement de poussières, de bruits, de lumières fertilisées (..)
synchronie Cosmique. Création architecturale infinie. Apparence chaotique. Programmation
harmonique .Stratégie encore insaisissable. Augure d’une ésotérique Odyssée. Déroutement d’un
espace incommensurable sans fin. Le premier instant du Tout. Le premier calcul du temps après le
néant. Après l’imperceptibilité.
Le Tout du Rien.
Des milliards et des milliards de cycles durant, poussières et gaz exclusivement. Volonté étrange.
Energie mystérieuse. Expansion planifiée dans les tourbillonnements de particules de lumières
activées .Fruit d’une longue gestation. Première chevauchée folle dans la réalité. Vaillante
transhumance gourmande, généreuse .Voie aventureuse de la Matière .Pépinières d’étincelles.
Après le zéro, le un ; nombres démesurés d’amas de poussières galactiques. Fossiles de composts.
Ensemble vertigineux de corps en mutation. Les chiffres du Grand Œuvre .Le départ d’une origine
inconnue. Un cheminement incompréhensible vers une arrivée dissimulée…indéterminée. Sans le
verbe.
Espace,
Immensément d’espace… Plus tard…….Beaucoup plus tard !
Un immense nuage de gaz en rotation, progressivement solide et incandescent. Agglutinat d’une
contraction fluide. Orages de combustions et de lumières magnétisés. Fertilisation de germes
inconnus .Alchimie primitive, savante. Tout autour d’un astre de feu, des billions de particules de
matière en attraction. Carrousel de débris en formation.
Naissance d’une Œuvre Lactée.
A la troisième rangée, une petite boule, fiévreuse .Plaies béantes, purulentes de magma. Des
firmaments, jets de pierres traversiers. Une menue sphère différente de ses voisines tout juste
naissantes. Corps solides, sans vie, sans souffle, sans âme, mais indubitablement présents. Comme
des preuves d’un passé, des actrices d’un présent et des prophétesses de fatum.
Projection. Rêve Temps.
Futur.
Une très longue et incroyable aventure .Une jeune Terre.

1287
Le jeune indépendant, Ibid.
1288
Samoyault, Tiphaine .L’intertextualité, Mémoire de la littérature. Ibid., p.44

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Il y eut le temps, il y eut l’espace, il y eut la matière et il y aura le verbe.….


Le verbe est.
Ce prologue de la genèse décontenance de manière quasi immédiate le lecteur qui
découvre avec stupéfaction cette prose singulière à la forme pyramidale par un premier mot
RIEN symbolisant le Vide, le Néant qui engendrera le Tout par la suite par un assemblage de
mots et de locutions décrivant cette genèse prélude d’une création, gésine d’un mouvement
issue d’un Rien et à l’origine du Tout.
Du rien au tout
Rien
Vide
Silence
Immobilité
Intemporalité
Refuge secret d’une origine
Drap noir d’un sommeil éternel Un soupir ténu étouffé sous le drap incolore
Une infime parcelle d’instant incalculable après
Quelque chose d’insaisissable Prélude d’un éveil
Immobilité en fonctionnement
Gésine d’un mouvement
Soudain un extraordinaire han ! Brèche dans le silence .Obscurité à peine tamisée.
Echappée minuscule d’un grumeau. 1289
Mati décrit dans un langage poétique de quelques mots assemblé cette longue et
incroyable Alchimie partie d’un rien ou d’une petite étoile céleste -astre de feu- tournoyant
autour d’un soleil1, 3millions de fois plus volumineux qu’elle. Suite à cette incandescence de
la jeune Terre, une croûte terrestre refroidie forme et lui donne consistance .Notre planète
perd sa luminosité et il y eut les ténèbres, il y eut le froid.1290Des millions et des millions
d’années ont passé : la vapeur s’est condensée en eau, des nuages se sont formés et il a
commencé à pleuvoir jusqu’ à ce que des fleuves, des lacs et des mers apparaissent durant des
millions d’années encore : Il y eut la vapeur du ciel, il y eut la chaleur sortant du ventre de la
terre (...) l’eau tomba du ciel pour apaiser les brulures profondes. Dans le chaudron

1289
LSD, p .13
1290
Ibid., p. 14

379
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

bouillonnant de la Genèse (..) le règne des cellules aqueuses s’installa dans les abysses
encaissés.1291
La terre est enfin apte à porter la vie malgré la mort qui emporte des petits embryons
naissants car avant de mourir, les vies copulèrent pour préparer une nouvelle aube Là
continuité. 1292Les premiers végétaux primitifs se développent et s’installent pour une longue
1293
régence aquatique en se diversifiant, en évoluant en élément protecteur jusqu’à ce qu’ils
soient assez résistants pour affronter les rudes conditions de vie de la jeune Terre ferme : les
plantes enfoncèrent leurs racines dans le sol pour s’alimenter, ouvrirent, leurs spores pour se
reproduire.1294
Ce sont ces plantes qui ont fait éclore la vie sur les continents et crée le milieu
favorable aux vers rampant et respirant l’air de la Terre .Tout en prenant consistance et
vitalité en s’élevant vers la lumière , les reptiles -premiers habitants de la Terre- s’installent
dans un seul et unique continent la Pangée deviennent des dinosaures géants et se montrent
de plus en plus capables de régner en maitres sans partage pour disparaitre lapidés par les
mêmes jets de pierre venus d’un ciel subitement en colère après des millénaires .
La vie n’a pourtant cessé de croître en dépit d’obstacles d’ordre climatique1295 et de
bouleversements tectoniques d’ordre tellurique : les terres ses éparèrent ou se soudèrent , les
grandes mers s’étalèrent et se calmèrent ; les montagnes se dressèrent devant un âge
nouveau où les premiers véritables homo sapiens qui, outre la position debout empruntée par
gratitude 1296 et le langage articulé , se sont mis à peupler la terre - nourricière et verdoyante -
sans omettre de développer leurs facultés de raisonnements et questionnements d’ordre
existentiel et /ou ontologique non sans un sentiment de peur - ancré au plus profond des
strates mnémoniques de leur conscience naissante et encore en friche- d’un ultime cataclysme.
Puis, l’épilogue du Tout rêve reprend une fois de plus , dans une forme pyramidale ,le
processus cyclique inhérent à la genèse du monde partant d’un Rien pour aboutir à un Tout à
l’instar de l’épilogue qui charrie une thématique analogue où un néant infinitésimal convulse
telle une membrane insignifiante par de drôles de particules imprévisibles dans une éternité
éphémère sempiternellement renouvelée (…) sans volume sans mesure sans temps. 1297

1291
LSD.,p. 16
1292
Ibid., p. 15
1293
Ibid., p. 16
1294
Ibid., p.16
1295
Il y eut les ténèbres, il y eut le froid ; il y eut les éructations brûlantes ; il y eut encore le déluge. Ibid. p. 17
1296
De nouvelles espèces s’élevèrent vers les nuages pour les remercier de les avoir épargnées. Ibid., p.18
1297
LSD, p. 282

380
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Enfin ce Tout transcendant s’amenuise par gradation pour s’orienter vers l’éternelle
simplicité de son unicité et être à l’origine d’un nouveau rêve, d’un nouveau Tout Rêve, celui
d’une humanité nouvelle miraculeusement revivifiée. L’épilogue commence par une
description de ce Rien - mis en exergue dès l’incipit du prologue - fait d’un assemblage de
mots à aucun moment ponctué imposant de par structure formelle une lecture saccadée au
rythme des gradations 1298 du processus physique de la création des mondes et de l’univers .

1.2. Mythe du paradis perdu

Dans les trois romans de Mati se développe le mythe universel d’un paradis perdu
constamment ciblé par les consciences tourmentées des personnages lors de pérégrinations
chimériques .Rêves et hallucinations tournent systématiquement autour celui d’un âge d’or
primitif à régénérer où la vie n’était que bonheur, harmonie et béatitude. Cependant, l’image
de ce mythe d’un âge d’or consécutif à la création de l’univers et de l’homme se construit
selon la modalité formelle de l’opposition entre un espace euphorique édénique ultime finalité
de l’errance et un espace dysphorique cauchemardesque entrave nécessaire à son
aboutissement.
Dans Aigre-doux, une série d’images poétiques et fugaces se disséminent et s’invitent
au cours des élucubrations du personnage narrateur pour construire l’espace mythique d’un
paradis perdu, d’un âge d’or s’inscrivant dans la nostalgie d’un bonheur révolu. Ce motif d’un
ailleurs idéalisé nourrit la pensée mythologique sous-tend indéniablement le projet
scripturaire matien. Cet état de bonheur originel d’un narrateur halluciné le fait festoyer avec
sa bien-aimée, conscient de son bonheur et sur d’être au paradis .Le couple est nu sur l’herbe
verte d’un jardin d’où s’élèvent de multiples et subtils parfums , le narrateur lui déclare sa
flamme avant de reprendre allégrement sa virée céleste printanière en s’accrochant au blanc
cotonneux et immaculé d’un cumulus zéphyrien pour papoter avec une hirondelle de passage.
Le bonheur est intensément vécu en symbiose avec ce lieu édénique de délices et de
perfection dans un éternel printemps où l’amitié entre les hommes est de mise : Je descends
de l’espace mythique évoqué en véritable mythe d’une terre nourricière, Gaia, à l’agonie leur
dire bonjour, ils me souhaitent la bienvenue et m’invitent pour le diner(…) toute la nuit, nous
avons bavardé, disserté sur l’avenir et le passé, les fleurs et le printemps .Très tard, je suis

1298
L’emploi d’articulateurs corrobore les étapes du processus : là où il n’ ya rien(…) puis au milieu (...) de
drôles de particules imprévisibles t(…) alors transcendant .Ibid. p .282

381
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

resté à m’enivrer d’amitié. Puis, j’ai dormi sur le gazon frais, avec la lune, les étoiles et mes
compagnons. 1299
Le bienheureux partage le lait et le pain avec les gens du terroir qui lui offrent un
bouquet d’edelweiss avant de redescendre en chantant la fleur aux dents pour apprécier une
plongée inopinée dans l’onde claire du point B 114.1300Cet intertexte d’un temps fabuleux où
le personnage se revivifie dans une idéale félicité qui l’affranchit de toute contrainte humaine
et/ ou animale, celle d’un homme de l’âge d’or, en harmonie avec la nature sous les auspices
d’un éternel printemps, où la nudité et l’amour de l’autre, en parfaite consonance avec ce lieu
idyllique, sont de mise.
Lorsque le cycle se recycle, la mort devient incontournable pour donner sens à
l’errance du narrateur entrainé dans un long tunnel de lumière qui lui procure une sensation
nouvelle et émotion merveilleuse avant de sombrer jusqu’à sentir son corps devenir inerte et
sans consistance. Se retrouvant en lévitation et enrobé d’un halo bleuté avant de passer le cap
de l’autre côté du tunnel luminescent au milieu d’une oasis de l’Eden gorgée d’eau et de
végétations aux senteurs aphrodisiaques sous un ciel bleu lavé de tout tourment. Sur les
branches des arbres, de superbes oiseaux aux plumages multicolores (…) semblables aux
fruits qui pendent entre les feuillages. Des papillons aux ailes serties de pierres précieuses,
volent de fleur en fleur .Des dunes formées de minuscules pépites d’or paraissent onduler.
Une guelta scintillant l’émeraude dans laquelle nagent des poissons paresseux...Tout est
illuminé, tout est translucide pourtant, il n’ya pas de soleil. 1301
Dans On dirait le Sud, Neil se retrouve dans une oasis édénique d’apparence modeste
mais qui prend une autre dimension une fois à l’intérieur :
Tout devient grand, haut, spacieux et surtout agréable à la vue et à l’odorat .L’air y est bon, une
légère brise adoucit cet endroit verdoyant. Des milliers de palmiers et des centaines d’arbustes en
fleurs occupent la périphérie de la palmeraie, leurs branches s’inclinent de trop porter de fruits
.Entre chaque groupe d’arbres, il y a un puits gorgé d’eau fraîche et pure. En contrebas de
l’oasis, une source termine sa course et chute dans un grand bassin creusé dans une roche degrés.
Tout ici parait être en éclosion permanente. 1302
Dans LSD , le mythe du paradis perdu apparait quelque part dans la corne, à l’est
d’une région que les hommes baptiseront plus tard l’Afrique, véritable Eden de sérénité ,
d’apaisement et de somptuosités après moult colères telluriques et éruptions volcaniques :

1299
Aigre-doux, pp.45-46
1300
Ya pas à dire, je nage dans le bonheur, Ibid., p. 47
1301
Ibid., p. 255
1302
On dirait le Sud, p. 43

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Ici , dans ce qui sera plus tard , beaucoup plus tard , le désert de l’Afar , sur les vastes vallées
couvertes d’herbe tendre , viennent paître les troupeaux de toutes espèces (…) un paysage qui se
colore et se meut au gré des saisons (…) les eaux des lacs fertiles regorgent de tilapias , de
poissons –tigres , de poisson- chats(…)Les flamands roses , pélicans , cigognes , hérons
fréquentent les abords de ces grandes étendues d’eau douce .Les aigles , les tourtereaux , les
hirondelles , les pluviers et les minuscules oiseaux aux couleurs irréelles planent sous des cieux
cléments garnis de petits cotons blancs. Des plantes exotiques, odoriférantes embaument l’air (…)
des arbres pliés sous le poids des fruits tropicaux au parfum enivrant s’offrent aux premiers
arrivants. Les acacias servent de pitance à des girafes, des zèbres, des gazelles(…) Sur les
branches des baobabs géants, les familles simiennes animent de leurs cris, de leurs acrobaties et
de leur malice une débauche souvent impromptue .Les singes gambille de mille contorsions et
grimaces avec une adroite et agile adresse à se rattraper des mains, des pieds, du menton. Des
chimpanzés vifs , éveillés , vacarmeux , des orangs- outans flasques , placides , aux demies
calvities de très vieilles chinoises , des gorilles atrabilaires (…) tendres (…) piailleurs , les
babouins à museau allongé curieux et les guenons moqueuses , laides et fières vivent ainsi , en
toute décontraction , avec la généreuse nature. Prémisses d’une dérision du monde. 1303

1.3. Mythe de la régénération du monde

Cette utilisation constante du mythe d’un retour à l’âge d’or, état de bonheur originel
d’une temporalité révolue, celui d’un ensauvagement primitif met en exergue l’idée d’un
bonheur, sans héros ni intrigue, dans la fusion des hommes avec la nature. Tel est le mythe
récurent d’un âge d’or , d’un paradis et d’un bonheur originel perdus, lieu de délices et de
somptuosités d’un état primordial continuellement revivifiés au fil du temps et auquel le
projet scripturaire matien fait référence en décrivant l’humanité paradisiaque d’un Afar et / ou
d’une Arcadie retrouvée en Ethiopie que découvrent Lucy et Charles en compagnie de
Mouloud le chef des touaregs et de Rayane celui de la communauté Paix verte :Ainsi est la
nature , ardente et vivante .Un bonheur très ancien s’est installé ici(…) nulle part , on ne rêve
comme ici , on rêve depuis la nuit des temps, depuis les origines, depuis les premiers
balbutiements de l’humanité.1304
Puis, la caravane des hommes bleus et des gens de la communauté découvrent la
luxuriance d’un Eden gorgé d’eau aux fragrances embaumantes et enivrantes où tout est
illuminé et translucide :
Richesses hallucinantes, incroyables. Des milliers de palmiers, d’oliviers, d’acacias se dégagent
de la pierre pour aller plus haut, sur les branches de superbes oiseaux aux plumages multicolores

1303
LSD, pp. 22-23
1304
Ibid., p.274

383
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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se confondent avec les fruits ; entre les feuillages, des singes se disputent joyeusement l’offrande
des arbres .Beaucoup d’enfants chahuteurs et de belles femmes qui chantent. En contrebas (…)
scintillant l’émeraude des algues, frétillant d’argent des poissons, le lac s’étale à l’infini .Tout est
large, haut, spacieux. Agréable à la vue, à l’odorat. La brise légère s’invite partout. 1305

Ce paradis retrouvé sous les auspices d’un éternel printemps d’un ailleurs idéalisé
consécutif à l’âge de la création du monde où les hommes vivaient heureux dans un monde en
paix est un mythe cosmogonique qui nourrit la pensée mythologique et philosophique de la
tradition gréco-romaine sous l’appellation de règne de Saturne 1306 et présenté dans les
travaux et les jours du poète Hésiode au VIII siècle avant J.C chez les grecs et dans la
tradition chrétienne -du jardin d’Eden , lieu de perfection et de somptuosités diverses - dans la
bible qui pose la venue de Messie , du Maitre de Justice 1307 représenté par Charles Darwin
dans la fiction comme préalable et promesse de restauration et/ou de la régénération du
monde. Ainsi, rien n’interdit de recréer cet âge d’or pour l’humanité sur des bases plus
spirituelles pour faire revivre ce mythe modelé sur le mythe cosmogonique de la création du
monde générateur de bonheur dans le berceau de l’humanité , au bord du lac aux eaux claires
et translucides dans le désert de l’Afar. Telle était la mission de Lucy la guenon chargée
d’accompagner Charles le Maitre de Justice dans sa mission divine de refondation de
l’humanité.

1.4. Mythe de l’Apocalypse


1308
Dans les romans de Mati, un intertexte mythique eschatologique revêt deux
formes : l’une individuelle relative à une existence d’après la mort, à la destinée de l’âme dans
une vie post-mortem dans Aigre-doux et l’autre chrétienne qui a trait au second avènement du
Christ qui reviendra pour juger les hommes lors de son ascension .En effet , dans le chapitre
premier de l’Apocalypse , Jésus se désignait lui-même par cette célèbre expression Je
suis l’Alpha et l’Omega en référence à la première et dernière lettres de l’alphabet grec - Je
suis le début et la fin - symbolisé par la dernière lettre -ayant la forme d’une croix -de

1305
LSD , p.274
1306
Cette époque mythique appelée également « règne de Saturne » chez les romains est donc l'âge qui suit la création
d'âge d'or est celui qui suit immédiatement la création de l'homme alors que Saturne (ou Cronos pour les Grecs) règne dans
le ciel : c'est un temps d'innocence, de justice, d'abondance et de bonheur ; la Terre jouit d'unprintemps perpétuel, les
champs produisent sans culture, les hommes vivent presque éternellement et meurent sans souffrance, s'endormant pour
toujours .r.wikipedia.org/wiki/Âge_d'or
1307
C’est le personnage qui apparait dans certains manuscrits de la Mer Morte découverts sur le site de Qumran
et entreposés dans 11 jarres pendant la Grande révolte juive avant le contrôle de la région par l’armée romaine. Il
représente une dynastie sacerdotale qui servit dans le premier Temple de Jérusalem des Esséniens.
1308
L’eschatologie vient du grec eschatos est la doctrine des derniers temps, des derniers évènements, de la fin
du monde extrait du site. voxdei2.free.fr/docs/bergerie/Eschatologie.doc

384
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

l’alphabet hébreux et araméen, marque des justes et symboles protecteur différenciant ceux
destinés à la rédemption par leurs vertus de ceux voués à la destruction par leurs pêchers . Ce
mythe eschatologique cosmique usant du concept d’Apocalypse ou de fin du monde tel que
décrit dans les évangiles se développe également au cours de l’errance hallucinatoire de
Charles Darwin qui assiste en compagnie de l’australopithèque à la mort programmée de
Gaia, la terre nourricière, par l’anthropocentrisme exacerbé de l’homme devenu prédateur et
le chaos qui en découlera.

1.4.1. Mort physique

Dans Aigre-doux, l’eschatologie personnelle du narrateur en proie aux élucubrations


de son esprit tourmenté se concrétise à la suite de la mort venue le chercher sous les traits de
cette Délivrance au haik immaculé, femme fatale aux yeux émeraude, à la peau laiteuse et à la
chevelure flamboyante. L’intertexte mythique d’une eschatologie individuelle traitant de la
vie après la mort est fondamental dans le voyage pilulaire du narrateur qui transmutera en une
femme belle et galbée à l’issue de sa cavalcade motorisée en compagnie de la Délivrance.
D’emblée, le narrateur vit son après-mort à travers sa lucidité d’être séparé de son propre
corps au moment même où il ouvre l’esprit dans son propre paradis, nouvelle vie , nouvelle
aventure sans corps et sans enveloppe charnelle :
Un dépaysement mystérieux et absolu s’installe en moi, comme une délivrance. Moi, je me sens
dépouillé de mes chairs et de mes os. Je ne suis un corps !(…) je ne sais ce que mon corps est
devenu, mais ce dont je suis sûr, c’est que le bonheur habite cette chose innommable et sans forme
que j’occupe(…) Je vis tout ceci sans mon enveloppe charnelle, d’ailleurs je ne sais même pas si
j’ai une consistance, une forme. 1309
En réalité, il ne se sent qu’Amour dans un fantastique état intermédiaire et conscient
d’extase et de félicité1310avant de rejoindre l’instant zéro d’une fin et d’un commencement
confinées et confondues dans un même espace, qui lui-même n’a plus de volume, plus de
mesure, c’est sublime, indescriptible ,innommable, DIVIN .1311

1.4.2. Fin du monde

Dans LSD se développe le mythe eschatologique cosmique relatif aux derniers


évènements apocalyptiques de l’histoire du monde, à cette fin du monde programmée et à

1309
Aigre-doux, p.255
1310
Je veux partir à la chasse aux arc-en-ciel, boire la rosée, vider toutes les fioles remplies de savoir, cueillir
toutes les fleurs sucer jusqu’à la dernière goutte leur doux nectar et titiller leur pistil jusqu’à me faire exploser
d’extase, Aigre-doux, Ibid., p256
1311
Ibid., p. 256

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l’ultime destinée du genre humain .Ce sont les événements inhérents à cette dernière
génération sur terre en 2050 que fera découvrir Lucy à Charles qui, dans l’univers diégétique
fictionnel, n’est autre que le Maitre de Justice symbolisant la résurrection du Christ.
Cependant, le processus de l’apocalypse est d’ores déjà enclenché et Lucy revivant
dans son sommeil onirique l’état de plancton vécu dans les courants chauds en compagnie de
minuscules êtres vivants, suffocant et assistant meurtrie et impuissante à la fin d’un cycle :
Tout va très vite(…) chaleur oppressante ; poussières nocives .Pluies de cendres ; air vicié .Ciel
goudronneux sans oiseaux ; océans poisseux sans poissons. Provisions de haines ; déchets cruels.
Geignements de fantômes ; hécatombes aveugle(…) Lucy piétine une masse vivante(…) le monde
se défigure, son ventre est un charnier ouvert. Une odeur fétide accompagne la putréfaction des
corps flottant dans les entrelacs de ses veines(…) des rivières de sans coulent sur des pépites d’or
(...) des villes anthropophages aux décors navrants (..) des humains courent dans tous les
sens .Des hommes concourent à contre-sens (…) Animaux affolés. Germes ravageurs .Maladies
hideuses .Torrents de boue .Hommes fous(…) prédateurs, novateurs. Ferveur vérolée (…) fracas
de mots (…) fatras de maux. Guerre de maux(…) vérité détournée, Nudités cachées, Peaux
déchirées dissimulées (…) chaos spirituel, Discordes religieuses, Désordre mental, Discours
putrides dans une calamité environnementale et rien d’autre. Ou plutôt Tout…pour Rien pour
1312
une apocalypse.
Puis , c’est à travers l’écran livide du tube cathodique que Charles se découvre en
présentateur de journal télévisé de 2051dedans et dehors du téléviseur .Il se voit témoin
ensanglanté de signes annonciateurs de l’apocalypse devant les pyramides Egyptiennes ,
exténué au sein de la capitale londonienne , matelot perdu sur le pont d’un brise-glace coincé
entre un antarctique réduit et un désert rocailleux et aride ,désemparé dans une mégalopole
cannibale agonisante et nageant dans une rivière pesticide dans des décombres d’une forêt
maudite. Toutes ces images cauchemardesques et apocalyptiques restituent le mythe de
l’apocalypse pour mesurer la gravité de l’état dans lequel l’homme a plongé l’humanité et la
terre nourricière.1313Les images de fin du monde défilent à chaque fois que Charles appuie sur
un poussoir numéroté. Il découvre stupéfait l’apocalypse en plusieurs endroits du monde et
moult temporalités.
- En Egypte pharaonique : Charles Darwin contemple une montagne pyramidale en
plein milieu d’un désert qui lézarde littéralement l’horizon en oblique. Le soleil se rapproche,
s’incline et se fait dévorer par les dents de pierre de l’immense montagne triangulaire. Le
sang de l’astre couchant s’y déverse dessinant les races de cours d’eau taris sur la première

1312
LSD, p.50
1313
Ensemble, ils appuyèrent sur le premier poussoir .Ibid. p.159

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façade et des jets de sang sur la seconde faisant fuir une population pauvre et déguenillée au
milieu de laquelle Charles se voit ensanglanté . Sur la troisième façade pyramidale, le sang du
soleil reproduit la même désolation dans cet espace mortuaire où l’eau a disparu depuis
longtemps laissant place à des débris de métal et de petits poissons morts .Ainsi, chaque soir,
la montagne de la désolation dévore le Dieu Raa en célébration duquel elle a été construite en
d’autres temps.
- A Londres : En appuyant sur le second bouton, Charles reconnait la capitale où Big
Ben se noie dans une masse aqueuse et tumultueuse d’où émerge l’horloge dont les aiguilles
se figent sur le chiffre Six alors que l’eau de la Tamise ne cesse de gonfler. Des manifestants
hagards et déboussolés scandent des slogans hostiles aux Politiques et aux gaz carbonique
.Exténué, Charles ne peut s’accrocher aux manifestants et s’assoit impuissant à même le sol :
Au loin, un édifice, Big est noyé dans une masse aqueuse, tumultueuse .Seule l’horloge
émerge. Les aiguilles figées au-dessus du chiffre six ne bougent plus. Comme si le temps
devenait complice du mal au point de rejoindre l’absence. 1314
- En Antarctique rétréci: Le troisième bouton engouffre Charles comme matelot à
bord d’un navire-fendeur qui vient de franchir le cercle polaire arctique. Il fait subitement
froid dans sa chambre. Le bateau met le cap vers le sud laissant derrière lui un cimetière à ciel
ouvert de mammifères plantigrades .Les marins se cachent en cabine pour ne pas être brulés
par les rayons pyromanes saillants pourfendant le trou béant de la couche d’ozone. Il constate
que l’Antarctique a rapetissé laissant place à plusieurs millions de kilomètres d’une terre
rocailleuse, aride et stérile dénuée de glace. Le Nord et le Sud ne sont qu’à quelques
encablures l’un de l’autre et le monde s’est rétréci .Le brise -glace remonte une énième fois
vers le Nord.1315
- Dans une Mégalopole agonisante : La peur transcende la mégalopole moribonde
dans laquelle il se trouve mêlé à des gens aux yeux cataractés1316.Seul Charles est en mesure
de voir simultanément des bateaux souillant la mer en y déversant leurs déjections huileuses,
fétides et nauséabondes et des agriculteurs semant des gènes modifiés qui donneront les blés
épineux, les nopals acides et les tubercules horrifiants, des tentacules géantes. 1317

1314
LSD, p.161
1315
La voix du capitaine, étranglée (…) retentit : «Cap vers le Nord ! Ya rien à fiche ici ! Rien à fiche. Ibid.,
p.162
1316
Ibid., p.162
1317
Ibid., pp. 162-163

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Les gens fuient dans tous les sens sur une autoroute de folie .Ils posent leurs mains sur
leurs visages hagard pour se protéger des véhicules ivres et des insectes fous convoyeurs de
l’ultime virus. Charles a failli se faire écraser sur cette autoroute de folie meurtrière. Même les
grenouilles écrasées sous les pieds des fuyards coassent au diable leur incommensurable
dépit. Leur terre nourricière est en train de rendre l’âme. Le Maitre de Justice se met à nager
dans une rivière pesticide au milieu d’une flore agonisante pour rejoindre dans des décombres
d’une forêt maudite, des vagabonds oisifs enclins à des supplications et adjurations inutiles et
infécondes.
-Dans le monde entier : Poussant le dernier bouton, Charles se voit sur l’écran
présenter d’une voix hésitante et monocorde le journal télévisé du 06 /06/2051, jour fatidique
de l’apocalypse d’effrayantes informations : inondations côtières, rejets industriels , hausse du
gaz carbonique , dégradation de la biosphère ; pollution des fleuves et des nappes phréatiques,
augmentation du prix de l’eau polluée, agrandissement de 20 mètres du trou de la couche
d’ozone, réchauffement global en progression, migrations tous azimuts à la recherche de
nourritures , d’eau non polluée , réduction drastique de la fécondité des espèces , humaine
également ,50pour cent de la population est contaminée par le sida .
En religion, une nouvelle secte vaticane de plus de quatre millions de fidèles réclame
la révocation du Patron de l’Eglise.1318A Jérusalem, on informe que Dieu punit tout
prévaricateur alors que les Oulémas subodorent l’invasion d’un ennemi invisible
moyenâgeux.
Sur le plan scientifique, la Chine intensifie le clonage en masse de la volaille
porteuse du virus HX666.
Sur le plan économique, on déplore le tarissement des gisements de pétrole. Sur le
plan de l’écologie et de la biodiversité, les courants marins se sont inversés et les planctons
ont disparu massivement sur le plan de la guerre. Enfin, la Chine vient d’envahir l’Afrique du
Nord, au nez et à la barbe des Nations Unies qui n’y peuvent rien.
Finalement, Charles constate de visu que la prédation sans limites de l’homme mènera
inéluctablement à de sombres lendemains pour le destin du monde.

2. Intertexte paléoanthropologique

Dans LSD, le mythe de l’origine de l’homme fait appel à un intertexte


paléoanthropologique qui étudie l’évolution humaine et les diverses étapes qui ont mené ayan

1318
Ibid., p .165

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à l’homme moderne, homo sapiens à partir de ses ancêtres primates. La paléoanthropologie se


fonde sur la théorie de la pensée évolutionniste symbolisée d’emblée par la ville de
Shrewsbury, espace privilégié de la fiction où se déroule la parcours onirique de Charles
Darwin. Cette localité est également la ville natale de son illustre et célèbre ascendant, le
naturaliste Charles Robert Darwin, père de la théorie de l’évolution, socle de la théorie
moderne de l’évolution des espèces vivantes fondée sur le processus de sélection naturelle1319
tout en évitant de faire référence à une divinité créatrice dans les traditions religieuses et
spirituelles. Et qui mieux que Lucy1320, l’australopithèque de l’Afar âgée de plus de 3,2
millions d’années découverte le 30 novembre 1974 et longtemps considérée comme la
représentante d’une espèce à l’origine pour expliquer à Charles Darwin Jr , les mécanismes de
l’évolution et les origines africaines de l’espèce humaine homo sapiens remontant à plus de
200 000 mille ans . Lucy l’australopithèques s’invite dans les élucubrations oniriques de
Charles pour lui montrer l’évolution que son squelette a bien voulu dévoiler de la tête aux
pieds aux paléoanthropologues dès que le temps, l’évolution et l’adaptation ont séparé
certains singes d’autres singes, comme se séparerait le bon grain de l’ivraie. La vie grégaire
de ces remarquables simiens à la dextérité sans commune mesure et au comble du bonheur
de vivre là où ils se trouvent 1321 les amène à se doter d’une instinctive structure sociale
hiérarchisée consécutivement à d’étranges et inexplicables transhumances cycliques dans de
vastes vallées verdoyantes, exotiques et odoriférantes : Il y eut des sélections, il y eut les
premiers balbutiements du goût de la conquête. Des primates qui évoluent en s’accommodant
à un milieu hostile et merveilleux à la fois. Une espèce en pleine mutation, une espèce qui ne
s’éloigne jamais de la nature, qui ne s’éloigne pas trop des arbres.1322
L’histoire de Lucy l’herbivore vivant en harmonie avec ses congénères au bord du lac
et éprouvant un mystérieux penchant pour la texture moelleuse de la terre au détriment des
arbres qu’elle n’occupe que pour y passer la nuit en sécurité débute en compagnie d’autres

1319
En biologie, la sélection naturelle est l’un des mécanismes moteur de la théorie de l’évolution (…) avantage
reproductif procuré par les conditions de l’environnement aux individus ayant un caractère avantageux vis-à-vis
de cet environnement et leur assurant une descendance plus importante que les individus n’ayant pas ce
caractère(…)La théorie de la sélection naturelle permet d’expliquer et de comprendre comment
l’environnement influe sur l’évolution des espèces et des populations en sélectionnant les individus les plus
adaptés ( …) De façon sommaire , la sélection naturelle est le fait que les traits qui favorisent la survie et la
reproduction voient leur fréquence s’accroitre d’une génération à l’autre .fr.wikipedia.org/wiki/Sélection_naturelle
1320
Lucy est le surnom du fossile de l’espèce Australopithecus Afarensis découvert par le célèbre paléontologue
et éminent préhistorien Yves Coppens le 30 novembre 1974 en référence à la chanson des Beatles Lucy in the
sky with diamonds qu’il écoutait avec ses codécouvreurs Donald Johnson et Maurice Taieb en effectuant le
marquage de ce petit australopithèque découvert à Haddar sur les bords de la rivière Awash en Ethiopie.
1321
LSD, p. 23
1322
Ibid., p. 24

389
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espèces dans un monde évanescent faisant fi de l’espace et du temps .Dans ses hallucinations
oniriques ,Lucy se revoit dans des flashs originels , confinée en une boule incandescente
inerte irradiant des gaz toxiques se liquéfiant et refroidissant pour muer à l’intérieur d’elle-
même en quelque chose qui vit, quelque chose duquel s’extirpe un de ces minuscules et
microscopiques corps prenant forme dans des océans amniotiques. C’est la Lucy tout à la fois
minérale, végétale et animale qui croise les premiers dinosaures, reptiles géants et fabuleuse
bêtes plumées lapidées lors d’un cataclysme de pierres incandescentes. La jeune simienne est
devenue la poilue heureuse de découvrir son visage sur les eaux limpides et translucides du
lac en Homme Habile en Afrique du sud.1323 Les scientifiques qui ont analysé les fragments
des cinquante -deux ossements ont indiqué de manière incontestable que l’australopithèque
était un être debout apte à la bipédie, à la fois grimpeur et marcheur pour devenir l’Homme
Debout 1324 au profil raffiné dépourvu de langage articulé. Se nourrissant à la fois de
charognes, de fruits et de racines, la guenon se remémore ce jour inoubliable où les coups de
tonnerre d’un immense volcan à l’origine de pluies de cendre et d’acide sulfurique à deux
doigts de détruire la terre entière. Lucy la survivante découvre effrayée le feu ou l’étrange et
torride bestiole au sang rouge incandescent provocant sur ses mains une intense douleur
pendant que le chamane entame une danse célébrant la découverte et la domestication de
l’ardent brasier : Cette aventure leur apporta plus de consistance et plus d’audace dans leurs
comportements à venir. 1325
Lucy l’hominidé se revoit ensuite au milieu de chasseurs et cueilleurs Homo Sapiens,
en totale harmonie avec la nature, inlassables constructeurs d’outils perfectionnés et créateurs
de nombreuses fresques et dessins rupestres narrant :
Elle et sa grande famille racontent en peignant et en gravant sur les panneaux rocheux leurs vies,
leurs histoires à ceux qui viendront après. Des gravures, des dessins Combien fut fabuleuse
l’aventure humaine, combien fut généreuse la nature pour nous et combien il nous fallut la
respecter pour la remercier, car c’est grâce à elle que vous lirez nos témoignages. 1326

1323
Elle fabrique les premiers outils en pierre taillée et se structure une vie sociale. Elle se nourrit d’aliments
d’origine aussi bien animale que végétale. Elle vit au sud et à l’est de l’endroit où elle se trouve actuellement,
LSD , p. 40
1324
Elle se redresse lentement puis arrête son mouvement brusquement : sa colonne vertébrale craque(…) son
bassin se cambre presque tout seul(…) Maladroitement, Lucy se met à la verticale (...) Elle ose quelques pas sur
deux pieds (…) Elle. Minuscule corps mou rampant, puis debout », Ibid., pp. 38-40
1325
LSD, p. 41
1326
Ibid., p. 42

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Grégaires, vivant de chasse, de pêche et de culture de céréales, élevant des chèvres,


Lucy et les siens réalisent des poteries, fondent et mélangent les métaux, taillent des
mégalithes et obélisques en tous genres érigés au néolithique.1327Ils laisseront des traces de
peintures et graffitis sur les murs des grottes vers la fin du paléolithique 1328avant de participer
à l’invention de l’écriture hiéroglyphique sur papyrus en Egypte pharaonique.

2.1. Entre Darwinisme et Créationnisme

L’intertexte des origines fondé sur la théorie darwinienne de l’évolution- faisant fi de


toute possibilité aux hommes de se tourner vers la religion et celle créationniste dont le
principe fondateur postule la création comme la relation entre les créatures et un Créateur de
l’univers, à l’instar des traditions religieuses monothéistes -judaïsme, christianisme et islam -
se concrétise par la coprésence effective d’un texte antérieur repérable grâce à l’usage des
guillemets. Il s’agit d’une lettre ouverte à Charles Robert Darwin écrite il y a cent onze ans,
accompagnée de la photo de sa rédactrice, signée par une certaine Lucy L tombée aux pieds de
Charles par l’entremise d’ une bourrasque ayant subitement fait voleter les pages de la
vieille revue. Charles Darwin en profita pour en lire un passage du brûlot destiné à son
arrière-grand père : Réveillez-vous bonnes gens, ceux qui pensent pour vous sont devenus
fous….L’évolution n’est que le résultat de pillage, de conquêtes et d’inadaptations et toujours
dans la précipitation et l’inconscience ….L’anthropocentrisme nous mène vers un monde
putatif uniquement.
La rédactrice de l’article critique avec véhémence le leurre et la dangerosité que
constitue la loi de la sélection naturelle prônée par le darwinisme pour l’avenir de la terre
nourricière et de l’humanité par ricochet. Selon Lucy L ce mécanisme moteur de l’évolution
des espèces qu’est la théorie de la sélection naturelle favorise la survie et la reproduction des
individus condescendants détenteurs d’un caractère avantageux vis-à-vis de l’environnement :

1327
Le néolithique est une période de la préhistoire marquée par de profondes mutations techniques ,
économiques et sociales liées à l’adoption par les groupes humains d’un modèle de subsistance fondé sur
l’agriculture et l’élevage et impliquant le plus souvent une sédentarisation .Les principales innovations
techniques sont la généralisation de l’outillage en pierre polie ,la poterie, ainsi que le développement de
l’architecture . r.wikipedia.org/wiki/Néolithique
1328
Le paléolithique est la première et la plus longue période de la Préhistoire durant laquelle la société
humaine est composée exclusivement de chasseurs-cueilleurs .Le paléolithique commence avec l’apparition de
(...) l’Homo-habilis, il y a environ trois millions d’années. fr.wikipedia.org /wiki / Paléolithique
159Un vent brusque s’engouffra dans le parc, tournoya autour des obstacles, secouant les branches des arbres et
faisant tomber (…) quelque chose de plus grand que ce qui tombait des arbres, c’était blanc et flottait dans l’air,
LSD. p. 95
1328
Ibid., p. 95

391
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La loi de la sélection fera en sorte que ce soient les plus habiles, dans la suffisance, qui
orienteront les milliards d’individus restants. Quelques centaines de milliers uniquement
suffiront(…) comme les vers qui pourrissent d’abord la pomme .Ils se multiplieront pour altérer
toutes les pommes , puis mangeront (…) toutes les feuilles. L’arbre perdra de son immunité du
pommier et se fera ronger par d’autres parasites nouveaux .Jusqu’à se putréfier. Et tomber.1329
La prédiction de Lucy L, non identifiée par la rédaction malgré ses recherches pour
connaitre l’origine de l’article, s’avère sans équivoque. Pour la mystérieuse rédactrice de ce
brûlot, l’orientation adoptée par les adeptes de cette théorie de la sélection naturelle fera
adopter à l’homme au statut déifié une posture animée d’une folie incontrôlée et inavouée
voire autodestructrice de tout ce qui l’environne.1330
Enfin, son réquisitoire à l’égard du darwinisme - élaborant un argumentaire matérialiste des
origines de l’Homme- dénué de toute spiritualité justifiant par la même son anthropocentrisme
vaniteux et nombriliste qui ne transigeait pas non plus avec le créationnisme. Ce dernier, tout
en positionnant l’homme à l’image de Dieu- proposait une alternative dans le sens de la
morale, du spirituel et d’une conscience altruiste qui endiguerait sa folie destructrice d’un
monde privé de lumière à cause de certains comportements primaires innés tels que la
prédation, la domination, la brutalité et l’accaparement :
L’exclusion de la volonté d’une divinité absolue dans la création du monde et de tous les êtres fait
que la théorie de l’évolution n’accorde pas de place particulière à l’être humain dans l’univers,
alors que tout est issu d’un même et unique germe originel. La notion de création et de l’évolution
de l’homme doit dépasser l’implication exclusive de la science seule (…) Charles vous n’en tenez
pas compte et n’en faites même pas référence .Grave erreur. 1331

1329
LSD, p. 117
1330
Je vous le dis, je vous l’écris, Gaïa est en danger ! Je prévois cela pour le millénaire prochain .C’est loin et
trop proche, LSD, p. 121
1331
LSD, p.121

392
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3. Intertexte historico-religieux

1332
Considérant l’intertextualité comme un concept opératoire utile à la réception qui
oriente la lecture du texte , qui en gouverne éventuellement l’interprétation et qui en est le
contraire de la lecture linéaire ,l’intertexte comme effet de lecture désigne tout indice ,
toute trace perçus par le lecteur ( …) citation implicite , allusion plus ou moins transparente
ou vague réminiscence .Les intertextes mythiques cosmogoniques et eschatologiques font
appel par l’entremise de références historico-religieuses à des intertextes qui ont trait à
l’histoire des religions abrahamiques judéo-chrétiennes et islamique dans les propos que le
Divin tient à l’attention de Charles 1333 à travers Lucy et que les Ecritures officielles semblent
occulter délibérément.

3.1. Manuscrits Qumran ou le retour de Jésus-Christ

En supposant que Charles Darwin Jr soit le Maitre de Justice dont les manuscrits de la
Mer Morte prédisent la seconde venue du Christ comme une grande délivrance1334 pour une
refondation de l’humanité après l’inéluctable apocalypse ,une intertextualité avec
l’eschatologie générale est de mise dans LSD par de multiples références aux Esséniens,
célibataires et végétariens pratiquant un mode de vie austère selon les préceptes de la Thora.
Ces derniers auraient caché les manuscrits dans la grotte à l’approche des romains vers
70 AV/JC et certains textes bibliques du Nouveau Testament tel que l’Apocalypse de Saint de
Saint-Jean dont les passages sont récités par le concile convoqué - assemblée d’évêques et de
cardinaux théologiens de l’Eglise - en extrême urgence pour préserver le dogme religieux des
évolutionnistes hérétiques .
Les Manuscrits de la Mer morte datent des premiers temps de l’ère
chrétienne .Certains parchemins décrivent les pratiques et cérémonies du premier
christianisme et des concepts théologiques du Nouveau Testament et notamment la référence
à un Messie ou à un Saint -Esprit mis à mort appelé le Maitre de Justice qui reviendra sous
les traits d’un homme juste (qui) apportera des précisions sur la divinité et aussi des
appréciations sur le futur de la planète et de tous les habitants(…) Dans le cœur du Maitre de
Justice germe l’amour et la paix qu’il se forcera , à son retour sur terre , de transmettre aux

1332
Samoyault, Tiphaine. L’intertextualité .cite la stylistique de textes de Riffaterre, Ibid., p.16
1333
J’ai chargé des hommes parmi les hommes pour montrer le chemin à ceux qui le voient pas (…) j’ai parlé à
Abraham, j’ai parlé à Moise, j’ai parlé à Jésus, j’ai parlé à Mohammed .Je les ai inspirés, Ibid., p.134
1334
Dans Aigre-doux, La mort est symbolisée par la Délivrance, la femme au haik immaculé.

393
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1335
autres et que les spéculations disaient qu’il vivait , sur les côtes de la mer Morte, dans
une grotte ( …) Tous attendaient son retour .1336
C’est en racontant son long voyage à travers l’humanité que Lucy parle des
Manuscrits de Qumran et des esséniens qu’elle a rencontrés -prêtres habillés de blanc dans
des grottes, au pied de ma mer morte affairés à dissimuler les parchemins breuvage spirituel
dont Charles avait déjà entendu parler. Lucy l’informe que ces écrits continuaient à
provoquer le courroux des temples religieux (et) attisaient la polémique entre les
créationnistes et les évolutionnistes du monde scientifique.1337Charles en conclut que Lucy a,
elle aussi, rencontré le Maitre de Justice. Cette dernière a effectivement découvert avec
stupéfaction l’existence communautaire des esséniens et leur système ingénieux de collecte,
de conservation et distribution de l’eau, et leurs rituels de purification.
Dans une vaste bibliothèque, la guenon assiste au remplissage des jarre de parchemins par des
fidèles vêtus de bures immaculées , qui tout en psalmodiant , les transportent dans des grottes
inconnues .C’est à ce moment-là qu’un homme grand et beau à la longue tunique de lin
immaculée l’aborde avec sombre et profond regard sombre alors que Lucy ne cesse de lui
sourire et de le scruter avec amour .L’homme attristé lui fait une confidence prophétique et
prédictive qui restera éternellement gravée dans sa mémoire :
Je vais être trahi par les miens .Je subirai les souffrances de tous, mais je reviendrai sur Terre
pour accomplir mon ultime mission avant de lui révéler son identité Je suis le Maitre de Justice,
d’autres après moi viendront porter la parole vraie tout comme d’autres avant moi l’avaient
fait.1338
Lucy quitte les troglodytes de Qumran, traverse un cimetière et enjambe un alignement de
quelques centaines de tombes d’hommes uniquement.1339En outre, certains manuscrits de la
mer Morte découverts sur le site de Qumran en 1947, par un jeune berger palestinien parti à la
recherche d’un chevreau, citent le Maitre de Justice, figure dominante d’un mouvement
sectaire identifié aux Esséniens et descendant de la dynastie sacerdotale ayant servi dans le
Premier Temple de Jérusalem construit par le roi Salomon aux alentours du X siècle Avant /J-
C. Le contenu de ces fameux parchemins très usés révélait l’existence de cette communauté
essénienne, au mode de vie ascétique se réclamant d’une Nouvelle Alliance, guidée par ce
personnage emblématique qu’est le Maitre de Justice et fut l’objet d’un engouement

1335
LSD , p.124
1336
Ibid., p. 100
1337
Ibid., p .124
1338
LSD, p. 44
1339
Les esséniens avaient opté pour le célibat par souci de respect des préceptes du christianisme primitif.

394
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

médiatique sans précédent. Dans LSD, c’était le 6 juin1951 que les origines esséniennes du
Christ Jésus maitre essénien constituaient déjà, pour Monseigneur, une terrifiante
découverte :
Les esséniens se considéraient comme le dernier peuple d’Israël dénonçant la corruption et
l’impiété de l’aristocratie sacerdotale en charge du Temple (….) Les esséniens observaient
rigoureusement la Loi, avec des idéaux sur la pauvreté et la charité. C’étaient des dissidents,
opposés aux chefs du Temple mais ils se disaient être le peuple élu, le vrai Israël. Il est question
d’un Messie, roi et prêtre, du serviteur souffrant tant attendu, celui qui a souffert pour le compte
de l’humanité. 1340
Doté d’une intuition religieuse hors norme, le Maitre de Justice était destinataire de
la Révélation du sens caché des Ecritures 1341qui lui permettait d’interpréter les paroles et les
exégèses prophétiques aux fidèles de cet authentique et plus ancien courant du judaïsme
implanté dans cette région après l’exil de Babylone en 587 AV/JC.1342
La venue du successeur du Maitre de Justice inscrite sur les parchemins enfouis est
clairement confirmée par Ursula Schattner-Rieser qui dans son ouvrage intitulé Les
manuscrits de la mer morte et la Bible à propos des manuscrits de Qumran révèle que :
Seul l’Ecrit de Damas de la grotte quatre relate l'origine de la secte. On y lit que trois cent quatre-
vingt-dix ans après la conquête de Nabuchodonozor en 587 avant notre ère et vingt ans d'errance
dans le monde d'un groupe de fidèles, Dieu leur suscita un guide spirituel, appelé môrésedeq
Maître de Justice. Celui-ci aurait été persécuté, se serait enfui au pays de Damas (nom codé pour
Qumrân ?) où il aurait été mis à mort. Le titre de Maître de Justice a pu par la suite s'appliquer
aux successeurs du défunt guide spirituel.1343
Il s’agit du Maitre de Justice que Rayane découvre lors de sa retraite mystique à
travers sa lecture onirique, celle …
…..d’un fragment de manuscrit auquel il manquait probablement un début et une fin (que) son
esprit imprima dans la mémoire quelques passages qui lui parurent tissés d’une sage
texture : Heureux, l’homme qui a atteint la sagesse - qui marche selon la loi du Très Haut.
Heureux celui qui dit la vérité avec un cœur pur-et ne calomnie pas avec sa langue. Heureux celui

1340
LSD, pp.227-228
1341
Wise Michael, Abegg Martin, Cook Edward. Les Manuscrits de lamer Morte. Paris, Perrin, 2003, p.28
1342
Google : Site labyrinthe.revues.org › numéros › 28 › Dossier - Des Juifs contre l’émancipation. Yehezkel Levy L’exil de
Babylone : les sources traditionnelles et la question de l’émancipation : Le VIe siècle vit se produire plusieurs vagues de
déportation du peuple juif vers la Babylonie, voulues par le roi chaldéen Nabuchodonosor. Dès l’an 605, ce dernier avait fait de la Judée
une province vassale de son royaume et avait, à cette occasion, déporté quelques jeunes princes, dont le prophète Daniel et ses amis. Puis
eut lieu un premier exil massif, en 597 ; on l’appelle l’exil de Joiachin, du nom du roi qui régnait alors sur la Judée. Avec Joiachin étaient
déportés des ministres, des notables et l’élite du pays : vraisemblablement une dizaine de milliers de personnes, parmi lesquelles le prophète
Ézéchiel. Nabuchodonosor nomma alors Sédécias, l’oncle de Joiachin, roi de Judée. Mais, en 589, Sédécias se révolta en s’alliant à
l’Égypte. En 587, les armées babyloniennes assiégèrent Jérusalem ; à l’été de 586, le Temple fut détruit et la quasi-totalité du pays exilée .,
pp. 39-51
1343
Site Google: documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/.../ANM_2003_47.pd

395
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

qui cherche la sagesse avec des mains pures- et non avec un cœur fourbe. De ce texte, il apprit
aussi l’existence d’un personnage important. Et il s’appelle le Maitre de Justice.1344
Confronté à un Prédicateur du Mensonge qui cherche à l’assassiner, le Maitre de
justice dans LSD est lui aussi ciblé par les forces du mal vaticane qui ne cesseront de tenter de
l’éliminer en vain en tant que successeur du guide spirituel de cette secte rigoriste de la loi
biblique. C’est également ce que rapportent les Manuscrits de la Mer mort à propos du Maitre
de Justice représenté par Charles Darwin dans l’univers diégétique matien guide spirituel
des esprits de la Lumière 1345esséniens se définissant comme le véritable peuple de Dieu
confronté aux esprits des ténèbres commandé par Satan et les forces du mal que symbolisent
le Professeur Sony Natas et le Vatican de Monseigneur décidés à le supprimer ce qu’ils
considèrent comme le levier d’un virus venu d’un autre âge dans LSD.D’ailleurs, le concile du
Vatican fut convoqué en extrême urgence pour prendre la décision de supprimer Charles
Darwin , susceptible de faire basculer deux mille ans de croyance et stabilité biblique s’il
devait rester en vie et refonder l’humanité sur d’autres bases , certainement plus spirituelles
que les leurs . Le Vatican décide de maintenir la position stable et dogmatique de l’Eglise
pour rassurer le monde : Tous les manuscrits de Qumran et aussi les écrits apocryphes
chrétiens, celui de Marie-Madeleine, de Juda, tous ! Pas un mot aussi sur le secret de
Fatima.1346
Les références à ces illustres personnages des Evangiles dont l’Eglise ne souhaite en
aucun cas divulguer des vérités bibliques, celles des secrets Fatima Lucia, Juda et /ou des
écrits apocryphes de Marie-Madeleine corroborant sa position dogmatique et dissimulatrice.
Qu’en est-il au juste ? Qu’est ce qui relie les manuscrits de la Mer Morte à ces personnages
évangéliques ?

1344
LSD, p .100
1345
Le scandale scientifique par excellence du XXème siècle d’après la formulation du professeur GesaVermes,
qui a publié l’ouvrage The Dead Scolls : Qumran in Perspective trente ans après la découverte du plus vieux
corps de manuscrits relatif à la Bible et au temps de Jésus le Nazaréen, dénonçant l’accès restreint pour des
chercheurs indépendants d’obtenir la moindre information ou document en vue d’étayer leur argumentaire et de
la langue de bois de l’interprétation vaticane
1346
LSD, p .153

396
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

3.2. Evangiles apocryphes de Marie-Madeleine

Disciple de Jésus et désignée comme l’apôtre des apôtres 1347et même la femme du
Sauveur 1348Madeleine, la femme la plus présente du Nouveau Testament et la plus importante
du Christ dont elle aurait eu, comble du blasphème, un enfant. A la fin du XI° siècle,
n’appréciant guère que Jésus puisse être accompagné d’une femme, le pape Grégoire Ier
n’hésita pas à la traiter de prostituée pour justifier le célibat des prêtres. En revanche dans
l’apocryphe des Actes de Philipe, texte néotestamentaire apocryphe écarté du canon officiel,
Marie Madeleine était présentée comme Mariamne la sœur éclairée de l’apôtre Philipe qui, à
l’instar du Christ, prêchait, baptisait et accomplissait des guérisons miraculeuses. Suite à la
peur éprouvée par de Philippe, faible de caractère, à qui le Sauveur demandait de propager sa
parole en Grèce, Jésus aurait dit à sa fidèle compagne : Tu es une femme mais tu as la force
1349
(intérieure, spirituelle) d’un homme et tu dois réconforter et conseiller ton frère. Ce
portrait était très différent de celui de la Madeleine du dogme de l’Eglise qui l’a dépeint
comme une pécheresse que Jésus sauve de la lapidation et comme une femme anonyme qui
lave les pieds du Christ. Elle a été celle qui a suivi le Sauveur jusqu’à sa crucifixion au pied
de la croix, celle qui se trouvera à ses côtés lors de la résurrection :
Elle est au pied de la croix, la première à découvrir le tombeau vide puis à rencontrer le Messie
ressuscité. Seuls des textes apocryphes comme l'Évangile de Marie Madeleine ou les Actes de
Philippe nous procurent des informations plus complètes sur le personnage. Ils la dépeignent
comme l’apôtre bien-aimé. 1350
Pour les Evangiles bibliques, elle ne doit en aucun cas être confondue avec Marie la
mère de Jésus.1351Selon l’évangile gnostique de Marie, le Sauveur apparaitra en premier à sa
compagne préférée après de la résurrection : Certainement le Sauveur la connait à fond .C’est
pourquoi IL l’a aimée plus que nous. 1352En outre, l’apocryphe de Philipe affirmant que
Marie-Madeleine se serait rendue en Asie Mineure pour accompagner son frère Philipe avant

1347
Hyppolite de Rome, l’écrivain chrétien le plus prestigieux de l’époque, lui attribua ce sobriquet.
1348
L’évangile de Philipe découvert dans une jarre en Egypte en 1945 décrit Marie Magdala comme la
compagne du Sauveur.
1349
Jacobovici Simcha et Pellegrino Charles. Le tombeau de Jésus .Paris . Ed. Laffont 2007 ou site Google l
ivres.vant.fr/livres/e-books/.../Le%20Tombeau%20de%20Jesus.pdf, p54
1350
Jacobovici Simcha et Pellegrino Charles. Le tombeau de Jésus .Paris . Ed. Laffont 2007 ou site Google l28
1351
Les Actes de Philippe livraient des informations très importantes qu'il fallait confronter avec celles du
tombeau de Talpiot. Tout d'abord, ils attribuaient un nom à la mère de Jésus Marie et un autre à Marie
Madeleine — Mariamne. Deuxièmement, ils conféraient un statut à Mariamne, celui d'apôtre, d'envoyée, ou,
pour utiliser un terme araméen, de Mara. Troisièmement, elle évoluait dans des milieux grecs. Enfin, ses
ossements avaient été enterrés en Israël. », Jacobovic et Pellegrino .Le tombeau de Jésus. Ibid., p.68
1352
Sous la plume des scribes de la Bible, connaître a un sens très particulier et très intime qui renvoie à
l'étymologie de la conception charnelle. Ainsi, « Adam connut Ève, sa femme ; elle conçut, et enfanta Caïn
(Genèse 4, 1) et Caïn connut sa femme ; elle conçut, et enfanta Hénoc (Genèse 4, 17) .Ibid., p.110

397
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

de retourner à Jérusalem pour accompagner le Christ, ne peut que concorder avec cette
version.
Les canons bibliques considèrent comme apocryphes ou hérétiques des papyrus datant
du IX siècle découverts en Egypte, dans une jarre en 1945, au siècle dernier, divulguant en
copte ancien que Jésus aurait eu une épouse au temps du christianisme primitif. Récusant
l’authenticité du document, le Vatican persiste également à ne pas reconnaitre que le Christ ait
pu avoir des frères et sœurs alors que les premiers écrits apocryphes de l’ère chrétienne
relatent la relation qu’il entretenait avec cette mystérieuse compagne, figure capitale du
christianisme primitif et originel. L’évangile de Philipe développe la métaphore de la chambre
nuptiale et des saints baisers secrets et orageux entre Jésus et Marie-Madeleine dans le respect
de la loi conjugale.1353
Nous comprenons que la responsabilité de l’Eglise dans l’occultation et l’interdiction
des manuscrits est assumée par la Sainte Eglise est ébranlée ce vendredi 5 juin qui se doit
d’arrêter le processus en sa faveur en chargeant Sony Natas d’assassiner Charles Darwin le
lendemain à savoir le 6 juin pour imposer éternellement sa voix au reste du monde.
Le Pape se remémore ses propos, sur ce messie essénien Maitre de Justice sans cesse
trahi et traqué par les siens soixante-dix ans avant notre ère par Paul l’impie menteur
fondateur de la Sainte Eglise , tenus au cardinal-protecteur en attendant la confirmation de
quelque chose de trop important :
Eh ! Bien, Monseigneur, les déchiffrements les déchiffrements des premiers manuscrits de Qumran
comprennent les textes bibliques(…)L’ensemble livre des informations sur la société juive , la
littérature et la religion de l’époque , le contexte historique dont allait émerger la nouvelle
Alliance .La révélation la plus importante est certainement celle de la similitude entre l’essénisme
et la christianisme naissant de la communauté essénienne rédigea peut-être lui-même la Règle
qu’il appela le Manuel de discipline et les Hymnes .Il s’en alla chez les juifs pour leur faire
entendre le langage des prophètes(…) il dut rejoindre persécuté par un « prêtre impie » Il est
aussi question d’un adversaire ,une «langue de vipère », « l’homme de mensonge » ; ces
personnages rappellent le Christ , Juda , le traitre , le grand-prêtre Caïphe , et l’opposant à la
langue venimeuse , Paul. 1354
Monseigneur n’est guère dupe de la dangerosité de ces manuscrits pour son clergé en
découvrant non sans irritation les origines esséniennes du Christ justifiant de troublantes

1353
Dans les Evangiles de Philipe, l’union intime et mystique que signifie le saint baiser est présentée comme
suit au Chapitre 31 : En effet, chez les parfaits, c’est par un baiser qu’ils conçoivent et engendrent .C’est
pourquoi nous aussi nous embrassons mutuellement et c’est par la grâce qui est en nous mutuellement que nous
recevons la conception. Extrait du site Google : ww.pileface.com/Sollers/article1416.ht article de Sollers Philipe intitulé Qui
était Marie-Madeleine, la « compagne de Jésus, 9 septembre 2013.
1354
LSD, p. 227

398
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

similitudes des manuscrits de la mer morte antérieurs de deux siècles avec les plus anciens
textes évangéliques. Il révèle que ces manuscrits étaient tronqués en raison d’une fuite ayant
permis, six mois plus tard, une communication présentée à l’Académie des Inscriptions et
Belles Lettres par un professeur de langue et civilisation sémitiques à la Sorbonne (qui) avait
produit l’effet d’une bombe en annonçant que le Maitre de Justice de la Fraternité serait un
prototype de Jésus !(…)comme Jésus , mais plus d’un demi-siècle avant notre ère , le Maitre
de Justice avait prêché la pénitence ,la pauvreté, l’humilité, l’amour du prochain ,la chasteté
(…)l’observance de la Loi de Moise (…) il avait été l’Elu et le Messie de Dieu .1355
Il ajoute que l’article confirmait que soixante ans avant la venue du Jésus, un Maitre
de Justice prêchant une doctrine analogue à celle du Christ, avait été trahi, persécuté
condamné et crucifié par les prêtres mais que ses fidèles attendaient toujours son inéluctable
retour à la fin des temps. Ces révélations se trouvent corroborées par des chercheurs
dissidents qui contestent la version officielle, la qualifiant de scandale académique par
excellence du XX° 1356siècle. Ces chercheurs accusent également le Vatican d’être à l’origine
de cette rétention sous prétexte que le contenu de certains parchemins porte atteinte à l’Eglise
et à la foi chrétienne tout en posant un nouveau regard sur la bible et le christianisme primitif.
Pour eux, les manuscrits démontrent que ce sont les forces du mal qui se sont emparé de
l’Eglise alors que celles de la Vérité du Maitre de Justice, chef de la communauté juive
évangélisée fut tout simplement occultée. Les manuscrits révèlent que la religion chrétienne
vaticane est l’inverse du courant originel des premiers apôtres et que son fondateur Paul est en
réalité le Menteur des textes de Qumran l’ennemi de Jacques le juste, présenté dans le
Nouveau testament comme le frère de Jésus, mis à mort par le grand Prêtre de Jérusalem.
Cette exécution provoqua la première grande révolte juive contre Rome (66-70 AP-
/JC) et la destruction du temple de Jérusalem par les Romains. Manipulé par Rome, Paul
fonda l’église des chrétiens, reflet inversé du courant originel de Jaques réhabilité et peut être
même ressuscité par l’interprétation novatrice des manuscrits de Qumran.
Plus grave encore, ces manuscrits seraient susceptibles de nuire gravement à l’édifice
sur lequel repose l’enseignement et la foi du christianisme de l’Eglise vaticane en apportant
une nouvelle dimension au christianisme originel tel que prôné par le Maitre de Justice. En

1355
Ibid., p. 228
1356
Le scandale scientifique par excellence du XXème siècle d’après la formulation du professeur Vermes Gesa ,
professeur à l’université d’Oxford , qui a publié l’ouvrage The Dead Scolls : Qumran in Perspective trente ans
après la découverte du plus vieux corps de manuscrits relatif à la Bible et au temps de Jésus le Nazaréen,
dénonçant l’accès restreint pour des chercheurs indépendants d’obtenir la moindre information ou document en
vue d’étayer leur argumentaire et de la langue de bois de l’interprétation vaticane officielle.

399
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

effet, dans LSD, le Pape explique au cardinal-protecteur qu’ un autre fragment de peau de
chèvre révèle le retour du Maitre de Justice vers la fin de millénaire .Ce morceau de
parchemin renseigne sur le début et la fin d’une ère humaine et qu’un passage tronqué en
raison d’une partie manquante 1357 fait référence à une flore, faune, puis homme par le souffle
du très-Haut intrigue les traducteurs officiels du Saint-Siège.
L’auteur de l’article présenté à l’Académie des Inscriptions auquel fait allusion Mati à
travers l’argumentaire de Monseigneur est sans conteste le professeur Dupont-Sommer à
l’origine d’une communication qualifiée d’appréciation exacte de l’importance capitale des
manuscrits de la mer Morte pour l’ensemble des questions relatives à la littérature
intertestamentaire, des hypothèses de datation qui se sont imposées, ainsi que l’établissement
de l’origine essénienne de ces textes. 1358
Cet article a fait l’effet d’une bombe puisque le professeur Dupont-Sommer considère
que le Maitre de Justice a prêché les dogmes du christianisme -dont les origines esséniennes
sont irréfutables- et a été crucifié tout comme Jésus soixante ans après.
Bien que monopolisés par une infime minorité de chercheurs depuis leur découverte en 1947,
les manuscrits - aujourd’hui publiés après 54 années d’excitation, d’attente et de tribulations-
attribuent une nouvelle dimension au judaïsme et au christianisme. L’article du Monde du 25
décembre 2000 est sans équivoque à ce sujet suite à l’annonce de la publication de l’ensemble
des trente-neuf volumes prévue en Janvier 2002 :
Cette annonce, faite par le père Emmanuel Tov, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem
et responsable de la publication, peut paraitre anodine. Pourtant, elle clôt une longue saga
archéologique entamée en 1955 avec la publication du premier volume de ces manuscrits écrits
pour l’essentiel en hébreu entre 250 avant J-C et 68 après J-C .Les péripéties et les lenteurs qui
ont émaillé ces travaux de lecture et de transcription pendant quarante -six ans ont été
qualifiés(…) de scandale académique par excellence du XX° siècle.1359
Le quatrième rouleau de parchemins de caractères liturgique et apocalyptique relatant
une apocalypse en araméen serait enfin à la disposition des chercheurs.

1357
Celui qui allait devenir Monseigneur se remémore avoir informé le cardinal-protecteur le 6 juin 1951 qu’il a
remis quelques copies tronquées au sujet des similitudes des manuscrits de la mer Morte avec les plus anciens
textes bibliques et du retour de Maitre de Justice vers la fin du millénaire à certains professeurs de langue et
civilisation sémitiques.
1358
Site de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres présentant André, Louis Dupont-Sommer -Google :
www.aibl.fr › Membres › Académiciens depuis 1663
1359
Site consulté Google : Enquête sur le détournement des manuscrits de la mer Morte webduweb.free.fr/enquete.htm

400
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

3.3.Tombeau de Talpiot

Dans LSD la référence explicite aux manuscrits du désert de Juda est patente lorsque
Lucy raconte avoir assisté le vendredi 28 mars 1980 -au moment où la lumière pénétra pour la
première fois dans le tombeau sous les coups de boutoir d’un bulldozer à mi-chemin entre la
vieille ville de Jérusalem et Bethléem - à la découverte des dix ossuaires du Tombeau :Un
clignement de cil plus loin, Jérusalem, printemps 1980, les coups de boutoir du bulldozer
révèle un portail surmonté d’un symbole gravé .Une lumière pénètre pour la première fois
depuis deux mille ans dans le tombeau, elle éclaire dix ossuaires.1360
On y découvrit in situ une dizaine d’ossuaires dont six portaient une inscription dont la
plus spectaculaire et la plus difficile à lire était celle de Jésus, fils de Joseph, ornée d’un
étrange symbole, un signe en forme de croix gravé devant le nom en question, instrument de
sa crucifixion adopté par ses disciples nazaréens du christianisme primitif et symbole
religieux protecteur du juste en usage chez les juifs et les judéo-chrétiens au moins six siècles
auparavant.
A Jérusalem en l’an 40, un groupe de fidèles nazaréens dans une vieille crypte de près
de deux mille ans proche du Saint Sépulcre inhument les ossements de Marie-Madeleine pour
les déposer dans le dixième ossuaire de la rare terra rossa, terre rougeâtre, fertile et riche en
fer. La pieuse religieuse réunit son ultime procession de fidèles pour des paroles de sagesse,
de vérité et d’amour de Dieu dans la présence ou l’absence, avant la mort ou après la vie.1361
Désormais, la mission de ses fidèles sera de répandre Son Amour sur la terre entière. Bien
entendu ces paroles de paix et d’amour de Dieu n’auront jamais été divulguées pendant deux
mille ans enfouies dans le tombeau de Talpiot au sud de Jérusalem datant du 1er siècle du
temps de Jésus. C’est en l’an 40 que Lucy se trouve devant les ossuaires de toute une famille
qui repose à l’abri de toutes les convoitises et de tous les dangers et dont les corps resteront
livrés à la seule volonté du Temps et de Celui qui crée.1362
La guenon remarque également les épigraphes gravés sur les ossuaires en pierre
de : Jacques fils de Joseph, Joseph, Mathieu, Jésus fils de Joseph, Yehuda bar Yeshua Juda

1360
LSD, p. 48
1361
Ibid., p. 104
1362
L’Abbé Emile Puech , Prêtre du Diocèse de Rodez(Aveyron) définit cette pratique funéraire des ossuaires
qui se faisait un devoir de conserver « dans une boite indestructible en vue de la résurrection , les ossements
du défunt un an environ après la première inhumation, et cela dans un état de pureté maximale après la
purification par la décomposition de la chair (de péché) dans la terre d’Israël. Extrait du site : Google
www.revue-kephas.org/03/1/Puech41-46.html

401
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

fils de Jésus et le dernier Maria 1363dont les ossements ont été rassemblés un an après les
funérailles de la famille de Jésus de Nazareth. Ces ossuaires dont les épigraphes en araméen
de Jésus, fils de Joseph, de sa compagne Marie-Madeleine et de leur fils Juda fils de Jésus
1364
de Jacques fils de Joseph, frère de Jésus constituent pour certains une preuve
archéologique corroborant la réalité historique de l’existence du Christ en terre d’Israël. La
fiction matienne corrobore cette version en rapportant la scène de l’inhumation des os de
Marie-Madeleine lorsque des fidèles reviennent déposer les os de l’apôtre des apôtres dans
le dixième ossuaire, en craie blanche sur lequel ils inscrivent l’épigraphe Mariamene, Mara
près de ceux du Christ et de Juda , du disciple bien-aimé de l’Evangile de Marc et de Jean qui
accompagnait Marie sa mère et Marie-Madeleine son épouse lors de la crucifixion : Juda
reposera enfin au milieu de ses parents .1365
Cependant , personne ne parlait de Juda qui aurait été caché ou fait passer pour le
jeune frère de Jésus pour qu’il ne soit pas ciblé par les Romains qui s’en sont pris également
aux enfants d’autant que les proches fidèles du Christ savaient pertinemment que les romains
n’hésiteraient pas à tuer son fils .De plus , les Evangiles de Thomas reprennent la parabole de
la vigne où un honnête homme, propriétaire d’une vigne donnée à des vignerons pour la
cultiver et la faire fructifier , il envoie alors son fils bien aimé réclamer une part des
bénéfices .Les vignerons se saisirent de lui, le tuèrent et le jetèrent en dehors de la vigne une
fois certains qu’il s’agissait bien du fils héritier .La parabole de la vigne permettait au Sauveur

1363
Ce nom avait pu être adopté par les chrétiens comme une variante de Myriam, le nom sous lequel la mère
de Jésus était connue .Il s’est également avéré que Marie de Nazareth , dans les Actes de Philipe et dans
d’autres textes apocryphes , était différenciée de Madeleine par le nom Maria ,1363 d’après Jacobovici Simcha et
Pellegrino Charles . Le tombeau de Jésus .Paris, Ed. Laffont 2007 ou site Google l ivres.vant.fr/livres/e-
books/.../Le%20Tombeau%20de%20Jesus.pdf, p.54
1364
L'ossuaire le plus stupéfiant du tombeau. À certains égards, plus stupéfiant que celui de Jésus. Si « Mariamne
» était la femme de Jésus, s'agit-il de leur fils ? C'est le plus petit ossuaire du tombeau. « Judas » est-il mort
enfant ? Mais les Évangiles ne mentionnent nulle part un fils. Ce « Judas » pourrait-il être l'énigmatique disciple
bien-aimé mentionné dans l'Évangile de Jean ? Ibid., p.50
Selon certains éminents spécialistes comme François Bovon spécialiste suisse du Nouveau Testament et
professeur à l’Université de Harvard (...) le véritable nom de Marie-Madeleine était Mariamne, c’est-à-dire,
lettre pour lettre, le nom que nous avons trouvé dans le tombeau de Talpiot, sur l’ossuaire placé juste à coté de
celui de Jésus Ibid., pp. 48-49
222« En 2005, les résidus humains prélevés dans les ossuaires de Jésus et de Mariamne ont été soumis à des tests
ADN qui ont démontré qu'ils n'étaient pas apparentés. S'ils n'étaient ni mère et fils ni frère et sœur, ils ne
pouvaient être que mari et femme (…) l idée que Jésus ait eu une femme et des enfants fait maintenant parie de
l’imaginaire collectif. Ibid., p.128

402
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

de transmettre par l’allusion cette information aux fidèles en mettant en lumière sa propre
mort et celle de son fils : Celui qui a des oreilles, qu'il entende.1366
A ce sujet, l’argumentaire de C .Pellegrino et S. Jacobovici s’avère sans équivoque :
Tous les éléments concordent- les Évangiles, les textes apocryphes, les analyses ADN et les
découvertes archéologiques. Jésus avait un fils, qui repose aux côtés de son père, de sa mère, de
son oncle et de sa grand-mère dans un tombeau de famille situé à mi-chemin entre leur demeure
ancestrale de Bethléem et Jérusalem, où Jésus espérait établir son trône dynastique. 1367
Quant aux deux ossuaires de Jacques analysés le Professeur Wolfgang Krumbein, il a été
établi au-delà du doute raisonnable(…)que les ossuaires portant les inscriptions Jacques, fils
de Joseph, frère de Jésus » et « Jésus, fils de Joseph » avaient reposé dans le même tombeau
pendant deux millénaires(…) Sur le plan statistique, l’ajout de Jacques, fils de Joseph, frère
de Jésus à la série de noms du tombeau de Talpiot prouvait de manière irréfutable que cette
sépulture était celle de Jésus de Nazareth .1368
Dans LSD la référence explicite à ce tombeau aux dix ossuaires demeurés intacts et
parfaitement en place est manifeste lorsque Lucy raconte avoir assisté le vendredi 28
mars1980, à l’ouverture du tombeau au moment où la lumière pénétra pour la première fois
sous les coups de boutoir d’un bulldozer d’une archéologie biblique de sauvegarde: Un
clignement de cil plus loin, Jérusalem, printemps 1980, les coups de boutoir du bulldozer
révèle un portail surmonté d’un symbole gravé .Une lumière pénètre pour la première fois
depuis deux mille ans dans le tombeau ,elle éclaire dix ossuaires.1369
C’est justement ce symbole inhabituel gravé- à savoir un cercle à l’intérieur d’un large
chevron semblable à une pyramide et prolongé par une sorte de petite cheminée qui symbolise
peut-être la lignée de sang royal des défunts inhumés dans chaque ossuaire.1370Cependant, S.
Jacobovici pense que ce symbole revêt une signification à déceler et n’exclut pas que cette
rosette soit le symbole d’un espoir de résurrection du Temple avant même le scellement du
tombeau et la destruction du Temple : le triangle inachevé symbolise le Temple qui était

1366
Evangiles de Marc (12 ,1-12), Ibid., p .70
1367
Pellegrini et Jacobovici .Le tombeau de Jésus .Ibid. p.130
1368
Ibid., p.119
1369
LSD, p.48
1370
Selon Charles Pellegrino Aujourd'hui, on retrouve un symbole similaire - une pyramide (ou un triangle)
enfermant l'œil de Dieu - dans des temples maçonniques un peu partout dans le monde, sur les vitraux modernes
de l'église de l'Annonciation à Nazareth, sur d'anciens tableaux du monastère de la Croix à Jérusalem, sur la
tour de la cathédrale d'Aix-la-Chapelle en Allemagne, sur la façade du temple maçonnique en face du bureau de
James Cameron à Los Angeles, etc. Et pourtant, personne ne sait ce que signifie exactement ce symbole. Ibid.,
p.80

403
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

destiné à être détruit et qui devrait être construit à l’avenir, ainsi que Jésus l’avait prophétisé
devant Mathieu. 1371
Dans leur ouvrage intitulé Le tombeau de jésus1372, en s’appuyant sur des expertises
reconnues mondialement, les auteurs affirment que le tombeau de Talpiot est sans doute celui
de Jésus fis de Joseph Yahuda bar Yeshua en araméen, de sa mère Marie, de son épouse
Marie-Madeleine, de leur fils Juda, de Mathieu proche parent de Jésus, de Jacques fils de
Joseph frère de Jésus. Les auteurs se sont appuyés sur les Evangiles apocryphes tels que les
textes gnostiques retrouvés en Egypte en 1945 divulguant des éléments d’informations qui
n’existent pas dans les Evangiles canoniques de Mathieu, Marc, Luc et Jean mettant par la
même en exergue la diversité du christianisme primitif. Pour ces chercheurs, les disciples de
Jésus -occupant une place prépondérante dans le clergé séculier et la classe politique -étaient
des juifs de Galilée et de Jérusalem qui pratiquaient l’enterrement secondaire des ossuaires à
laquelle les Evangiles font toutes allusions. Les personnes défuntes croyant à la résurrection
physique, dont les ossements déposés dans des ossuaires étaient orientés vers le Temple de
Jérusalem surplombant le mont Sinaï, et se trouvaient ainsi idéalement placées, aux premières
loges pour assister à l’Apocalypse, (…) au Messie promis pour la rédemption du monde ,celui
qui viendrait annoncer la fin des temps sur le mont du Temple et la reconstruction du Temple
après la crucifixion et la résurrection du Messie.
Les auteurs citent le Professeur Camille Fuchs, Professeur de Statistiques à l’université
de Tel-Aviv qui soulignait …
….qu’il fallait garder à l'esprit que seule une élite avait les moyens d'être inhumée dans une grotte
funéraire, et que les ossuaires inscrits étaient réservés aux personnes cultivées, qui ne représentait
qu'une fraction de la population de Jérusalem à l'époque. Si je n'avais pris en compte que la
fraction aisée de la population de Jérusalem dans mes calculs, les chiffres auraient penché
beaucoup trop en notre faveur. Je décidai donc d'éliminer les variables richesse et culture .À ce
stade de mes analyses statistiques, il y avait donc une chance sur 2,5 millions que le tombeau de
Talpiot ne soit pas le tombeau de Jésus de Nazareth.1373
Ainsi, après avoir procédé à l’analyse minutieuse de chaque ossuaire au niveau des
patines, décorations et ADN, les auteurs en concluent que tous les ossuaires ont bel et bien été
déposés dans ce tombeau, que celui de Jésus fils de Joseph contient un ADN différent de
celui de Mariamne et que celui de Juda fils de Jésus, dixième ossuaire manquant ne serait

1371
Charles Pellegrino. Ibid., p. 81
1372
Jacobovici et Pellegrino . Le tombeau de Jésus .Paris, Ed. Laffont 2007 site Google l ivres.vant.fr/livres/e-
books/.../Le%20Tombeau%20de%20Jesus.pdf
1373
Le tombeau de Jésus, Ibid., p.58

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pas exploitable. Quant à François Bovon, exégète suisse réputé, ce dernier considère que
l’information selon laquelle le couple Jésus et Marie-Madeleine aurait un enfant prénommé
Juda est un non -sens et relèverait même de la science -fiction. Il ajoute qu’il n’y pas, à ce
jour, de preuves probantes permettant de dire qu’il s’agit bien du tombeau familial de Jésus.
En définitive, il considère qu’établir une corrélation entre les ossuaires de Talpiot et
des personnages du Nouveau Testament constitue un non -sens et suscite une forte résistance
dans la communauté scientifique.
Actuellement, les rouleaux de parchemins sont conservés au Musée du Livre à
Jérusalem, contiennent des textes témoignant d’une profonde spiritualité dualiste, les
manuscrits bibliques de la mer morte de mille ans antérieurs aux plus anciens témoins, des
textes apocryphes et pseudépigraphes relevant de l’Ancien Testament ou de l’Ancienne
Alliance de la bible hébraïque et de la première partie de la bible chrétienne dont
l’authenticité n’est pas établie et considérés comme non -authentiques par les canons
religieux.

3.4. Grand prêtre Caïphe

Dans LSD, Monseigneur cite les personnages qui rappellent le Christ dont Caïphe, le
grand prêtre du Temple et souverain sacrificateur, qui selon les Evangiles, avait condamné le
Christ considéré comme un danger pour la nation juive et qu’il était responsable de sa mort.
Pour lui, il est préférable de sacrifier le Christ qu’une nation tout entière. Son tombeau fut
découvert accidentellement 10 ans après celui de Talpiot dans la forêt de la paix, près de
Jérusalem. On y découvrit deux ossuaires dont l’inscription Yoseph bar Qafa signifiant
Joseph fils de Caïphe. La rareté de ce nom et la luxueuse décoration de son ossuaire
témoignent à juste titre qu’il s’agissait bien du tristement célèbre Caïphe du Nouveau
Testament et de sa lignée sacerdotale.

405
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3.5. Secret de Fatima

L’histoire de la petite bergerette fait partie des évènements qui gênent l’Eglise
vaticane. La fillette percevait dans des hallucinations oniriques l’Apocalypse et les désastres
prédits par les manuscrits de la mer Morte et dont l’humanité en pâtira sans nul doute .La
première vision est une terrifiante vue de l’Enfer, d’âmes et de formes humaines virevoltant et
gémissant dans un brasier démoniaque où des volutes noires et diaphane ont mué en animaux
dansant au rythme des flammes de Lucifer. La seconde vision de la bergerette se manifeste
par des paroles vues et entendues prédisant l’apocalypse si les hommes persistent dans leur
aveuglant anthropocentrisme.
Le 13 mai 1917, la jeune dévote est stupéfaite et effrayée à la fois par une vision
prenant la forme d’une très belle femme qui lui fixe rendez-vous le 13 de chaque mois pour
lui révéler son identité, sa mission future de la secrète révélation à transmettre exclusivement
à des instances anonymes sans jamais le rendre public.1374 Devenue adulte, la bergerette entre
dans les ordres à l’hospice de Vilar dans la ville de Porto pour consacrer le restant de son
existence au carmel de Sainte-Thérése où ses intensives prières lui permettront de décrypter
l’ultime révélation. Cette dernière sera qu’elle rédigée et envoyée dans une enveloppe scellée
au Saint siège avec la mention de ne pas l’ouvrir avant 1960. L’année fatidique, des querelles
intestines au Vatican empêcheront de mettre le halo sur ce message du ciel pour ne pas affoler
tous les croyants du monde.1375
La vieille religieuse se remémore encore ce jour du 13 mai 198 où le pape Jean-Paul II
troublé 1376 tente de la convaincre de préserver le secret de sa révélation tout en l’exhortant de
prier pour que la prédiction ne se réalise pas de leur vivant. 1377 Bien plus tard, au début du
troisième millénaire, l’imposture ecclésiastique se concrétise par la divulgation d’un secret
apocryphe face à l’inquiétude de tous les chrétiens du monde.

4- Intertexte poétique

C’est dans On dirait le Sud que se développe un intertexte poétique fondé sur la
culture, l’histoire et la mémoire des Touaregs qui se matérialise par l’entremise de moult

1374
Aujourd’hui, je vais te confier la troisième et dernière révélation. Quand tu l’auras comprise et bien
interprétée, je te chargerai de la transmettre à ….LSD, p. 102
1375
Mais le 8 février 1960, un communiqué tombe raide comme une bombe ! Cité du Vatican : il est probable
que le secret sur la révélation faite à la bergerette de Fátima » ne sois jamais rendu public ! LSD, p. 103
1376
Le pape est tellement troublé qu’il en oublie le nom de la religieuse et l’appelle sœur Lucia Santos dos
Dios .p.103
1377
Priez, ma fille, pour que cela ne se réalise pas durant votre vie et durant la mienne. Ibid., p .103

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poèmes confirmant les rapports entre intertextualité et poésie en partant du principe que le
discours poétique s’avère perméable à des considérations d’ordre ontologique relatives à
l’Entité de l’Etre sans nuire , pour autant , à son langage spécifique . Cet intertexte poétique-
traitant de l’amour, de la tristesse du désert pleurant la disparition de sa princesse souveraine
disparue, et de toutes les souffrances endurées par la femme dans le désert des hommes - se
matérialise grâce à la citation immédiatement repérable par l’usage des guillemets et de
l’italique. En effet, ces fragments poétiques émanant de la voix cristalline du désert ubuesque
et mensonger, puisent dans la culture et la mémoire des hommes bleus du désert.
Tous ces poèmes émanant de la mémoire des hommes bleus du désert sont en étroite
relation avec l’entité de l’Etre et se disséminent pour inscrire la présence d’un texte antérieur
dans l’espace diégétique fictionnel matien.
Ces fragments poétiques participent de l’hétérogénéité entre les textes cité et citant
mettant en exergue le rapport à la bibliothèque de l’auteur citant (…) tout un arrière-plan du
texte, le travail préparatoire, les fiches, le savoir qu’il a fallu engranger pour aboutir à ce
texte 1378qui lui permet d’assoir sa dimension ontologique. De ce fait, une série de matériaux
étrangers targuis, épars et fragmentés se disséminent et laissent de multiples traces
immédiatement repérables sous forme de fragments poétiques polysémiques qui font éclater
la linéarité du texte dans le sens de l’Entité de l’Etre.
En effet, nous décelons une intertextualité interne lorsque le premier poème cité1379,
complainte amoureuse des amours tragiques récitée par la jeune targuie à proximité de l’oasis
le jour de sa rencontre avec Neil, se trouve parodié en de singulières jérémiades rimées
auxquelles Neil ne fait même pas attention :1380
Et le sable se liquéfie sous un soleil de sang. Et le temps oublie ses errants, réveillant les djinns
en les offusquant .Et le ciel s’embrouille du levant au couchant .Et le lac trompeur envahit le
désert en l’affligeant .Et tous les cœurs se serrèrent pour longtemps, très longtemps. Les mirages
attirent les amants qui finissent par périr d’inanition. 1381
En tant que pratique intertextuelle relevant d’une opération de dérivation impliquant
un détournement du poème précité, l’hypo texte parodié est aisément identifiable par le
lecteur qui prend immédiatement acte de l’effet parodique de la valeur ajoutée sémantique de

1378
Samoyault, Tiphaine. L’intertextualité, Mémoire de la littérature. Ibid., p. 34
1379
Et le sable se liquéfie sous un soleil de sang. Et le temps compte ses morts en offusquant les vivants - .Et le
ciel s’assombrit du levant jusqu’au couchant. Et le néant envahit le tout en l’affligeant .Et tous les cœurs se
serrèrent pour longtemps, très longtemps .A la fin tragique de deux amants .On dirait le Sud, p. 48
1380
Iness parle maintenant toute seule .Elle répète le poème auquel elle change certains mots –celui qu’elle
récitait le jour où Neil l’avait rencontrée pour la première fois .On dirait le Sud, p.70
1381
Ibid., p .70

407
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

l’hyper texte. Si dans l’hypo texte poétique, la fin tragique des amants est indissociable d’une
déliquescence mortifère voire d’une néantisation du monde affligé dans son sillage. Dans le
second poème, la visée de la parodie introduit une dimension surnaturelle brouillant la réalité
assombrie de l’hypo texte par l’entremise d’une réappropriation des rimes antérieures altérées
pour révéler le caractère chimérique utopique et toujours mortifère des amants qui finissent
par périr d’inanition.
Il est indéniable qu’une telle technique fait fusionner plagiat et parodie dans la
transformation qu’elle impose à l’hypo texte précité en lui adjoignant des termes qui ont trait
à l’onirique et surnaturel entérinant sa dimension ontologique initiale .
Toujours dans l’optique de célébrer l’Amour des êtres, Neil raconte à sa compagne le rêve
étrange de la femme attristée et tourmentée qui, sous l’emprise d’une drogue, récitait
inlassablement les vers à son endroit et qui résonnent encore dans son esprit :
Chaque regard que je divine posé sur moi, par toi, est une douce caresse. Chaque promesse à mes
espoirs .Chaque instant loin de toi est une braise qui me consume et me ravive à la fois .Chaque
braise sous me pieds est une douce douleur dans mon cœur .Chaque cri de mon cœur est un hymne
à la joie, parce qu’il est pour toi. 1382
Le premier poème cité relate l’amour profond qu’éprouve Zaina pour l’image onirique
ne cesse de lui apparaître tout au long de sa pérégrination dans le désert des leurres et des
mirages où le temps et les gens finissent par se rencontrer pour que, finalement , des histoires
d’amour jaillissent et s’épanouissent dans les cœurs de certains privilégiés des déserts à
travers les ondes magiques des songes dans la caverne aux peintures rupestres :
Dans les déserts, il y a le temps et peu de gens .Lorsque la magie du désert les fait se
rencontrer…Alors, les mirages se muent en providences et le temps s’immobilise caresse sur ma
peau est une panacée qui soulage tous mes mots .Chaque parole que tu prononces est une
perpétuellement…pour longtemps…Dans les immensités des déserts, il y a peu de gens et une
foule d’enchantements gravés dans les souvenirs des gens, pour longtemps, certainement pout tout
le temps…Dans tous les déserts, il y a exceptionnellement des histoires qui naissent et
s’épanouissent dans le cœur des gens …ce sont les extraordinaires élus du temps. 1383
Cet ultime poème des gens et du désert revient à l’esprit de Neil au moment de sa
rencontre avec la locataire du point B 114 résonne une fois de plus dans l’esprit de son amant
virtuel : Dans les déserts, il y a le temps et peu de gens .Lorsque la magie du hasard les fait se
rencontrer….alors, les mirages se muent en providences et le temps s’immobilise
perpétuellement …..Pour longtemps…

1382
On dirait le Sud, p.94
1383
Ibid., p.109

408
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Cet intertexte poétique cité se manifeste également par l’entremise de poèmes targuis
rêvés par Neil narrant l’amour d’une princesse disparue et du désert qui pleurait sa souveraine
lors du cérémonial funèbre et funeste et au cours duquel les hommes bleus du désert
déposaient son corps avec délicatesse au-dessus d’un immense bloc de gré que les vents et
simouns sculpteront en un sphinx gardien du tombeau.
Neil s’en remémore un extrait : Le désert est en deuil solennellement, c’est sa
princesse qu’on enterre majestueusement ; taisez-vous vents, levez-vous brises légères
aujourd’hui, le soleil se fera moins ardent. Notre souveraine nous quitte pour le reste du
temps .Le désert pleure la princesse qu’on enterre.1384
Enfin, c’est au tour de Mouloud de réciter à Zaina un poème de la vieille Zaina qui
l’avait écrit en l’honneur de toutes les femmes qui souffrent dans la solitude mortelle de leurs
stigmates et du Sahara alors que les targuies belles et passionnées sont tout à la fois femme
valorisées en femme-abri, femme-nature, femme-mère, femme-étoile, femme-eau, femme-
amour et ombre accueillante :
Quand la première tentation la tourmenta On accusa l’envieuse et non pas l’envie –On ne jugea
pas la cause mais son effet, on châtia-Depuis, elle porte sur les épaules le fardeau de ses petits -
Pour l’éternité des temps, d’être heureuse elle cessa-Les stigmates, sur son ventre dessinent leurs
délits.-Femme : mère, sœur, compagne, khaima.1385
Enfin, la dimension ontologique est décelée aussi à travers un dicton des ancêtres qui
prend tout son sens lorsque la belle targuie pose sa main sur le ventre Zaina qui tressaillit de
surprise et de félicité avant qu’elles ne s’enlacent tendrement pour l’éternité : Quand labelle
intuition aura l’audace et la conscience de se fondre avec la sympathique, la généreuse, celle
qui incarne l’enthousiasme, la pratique, la décision et l’adaptation. Celui dont le travail est
fructueux aura le devoir et la ténacité pour accomplir son idéal pour la résolution des
destinées.1386

5. Intertexte musical

C’est dans LSD que se dissémine un intertexte musical essentiellement lié à la


mémoire et culture musicale de Charles Darwin Jr et sa compagne Suly par la référence
directe au couple mythique John Lennon et Yoko Ono la célèbre plasticienne, cinéaste et
écrivaine japonaise considérée à la fois comme la muse du fondateur du groupe et la

1384
On dirait le Sud, p.198
1385
Ibid., p. 220
1386
Ibid., p.290

409
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

principale cause de la séparation du célébrissime groupe anglais .D’ailleurs la référence à


John Lennon et Yoko Ono est évidente puisque Suly est présentée comme une sorte de
synthèse des deux , de mère japonaise et de père anglais partageant avec le fondateur des
Beatles 1387 le célèbre patronyme de Lennon . L’identification au couple mythique ne fait plus
aucun doute lorsqu’il soliloque : Charles et Sully, c’est John et Yoko Ono de Shrewsbury.1388
Dans son quotidien , le couple d’étudiants écoute les chansons des Beatles qui traitent
de thématiques ontologiques telles que l’Amour des êtres entre eux et la souffrance de la terre
nourricière implorant Charles de la préserver elle et tout ce qu’elle a apporté à l’humanité . A
son réveil Suly sort de ses draps accompagnée d’une chanson de John1389 et Paul1390, le
célèbre cofondateur du groupe et recharge le tourne-disque, pour s’installer nue au bord du lit,
en face de Charles pour un déjeuner amoureux et musical : She’s leaving home (…)
Something inside that was always denied For so many years .She‘s leaving home, bye
bye…1391
La séduction amoureuse est de mise dans leur quotidienneté à Shrewsbury: En effet,
lorsque Charles se concentre sur quelque chose d’invisible flottant emplissant crescendo la
toute seule faisant pleurer doucement la cithare de Georges Harrisson : Something in the
way, She moves, attrack me like no otherlover. Something in the way she woos me1392.
Puis, Sully, anxieuse et souriante, fredonne à son amoureux les paroles rassurantes et
lénifiantes de la chanson And I love her qui l’introduisent dans l’univers des rêves : I give
her all my love. Thats all I do signifiant je lui donne tout mon amour, C’est tout ce que je
fais ….Et je l’aime1393. C’est au petit matin dans un bar que son amour pour Suly et Lucy se
scellera lorsque qu’ une jeune femme vêtue d’une tunique indienne à fleur glissa une pièce
dans le juke- box pour écouter pièce tout en ressentant une fraicheur épicée ondulant au-

1387
The Beatles est un groupe musical britannique originaire de Liverpool, composé de John Lennon, Harrison
et Ringo Starr. Il demeure, en dépit de sa séparation en 1970, l’un des groupes de rock les plus populaires au
monde. fr.wikipedia.org/wiki/The Beatles
1388
LSD, p. 77
1389
John Winston Ono Lennon (né John Winston Lennon le 9 octobre 1940 à Liverpool est un musicien auteur –
compositeur, guitariste et écrivain britannique .Il est le fondateur des Beatles, groupe musical anglais Il est le fondateur des Beatles, groupe
musical anglais au succès planétaire depuis sa formation au début des années 1960. Au sein des Beatles, il forme avec Paul Mc Cartney l’un
des tandems d’auteurs-compositeurs les plus influents et prolifiques de l’histoire de la rock donnant naissance à plus de deux cents
chansons .fr.wikipedia.org/wiki/JohnLennon
1390
Sir James Paul McCartney né le 18 juin à Liverpool est un musicien, multi-instrumentiste, auteur-
compositeur britannique. Il débute sa carrière en tant que membre des Beatles, groupe musical anglais au
succès planétaire depuis sa formation au début des années 1960 puis il fonde le groupe Wing(…) avant de
continuer en solo jusqu’à aujourd’hui. fr.wikipedia.org/wiki/PaulMcCartney
1391
LSD, p .80
1392
Quelque chose dans la façon dont elle bouge m’attire comme nulle autre amante (...) Quelque chose dans la
façon dont elle me séduit, je ne veux pas la quitter maintenant .www.lacoccinelle.net › The Beatles ›
1393
LSD, p.142

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

dessus du lit , la stéréo s’enclenche la chanson Let it be où Lucy supplée à Mother Mary que
Charles avait été le seul à remarquer When I find my self in time of troubles, sister Lucy
comes to me , let it be .Speaking words of wisdom, let it be, let it be.
La nuit Charles subodore que quelque chose dans son cœur est en train de le courtiser
alors que Suly dormait déjà dans le sillage de ses rêves tranquilles. Charles ne cessait de
penser à Gaia au fil des paroles de John et Paul des chansons : Dont let me down Yestarday ,
the long and winding road, in my life, don’t let me down corroborant la souffrance de Gaia
implorant Charles de lui rester fidèle , de ne pas la laisser tomber et de l’aider par l’entremise
1394
des célèbres paroles et mélodies de John et Paul , Help : Help, I need somebody ,
Help 1395et Across the universe , Image of broken light wich dance before me …Across the
universe 1396chantée par Georges Harrison. C’est lorsque la tentative de meurtre de Charles se
termine par le suicide de Natas par pendaison et la défenestration inexplicable d’Abdul du
studio de Charles et Suly Lennon sont constatés par la police scientifique de Shrewsbury.
L’agent Satan chargé de l’enquête entame à tue-tête Sympathies for the devil1397 du célèbre
groupe de rock britannique que sont les Rolling Stones 1398célébrant l’ascendance de l’entité
du mal sur celle du bien les atrocités humaines crées au cours de l’Histoire au nom de
Dieu.1399Enfin, au sortir de la bibliothèque dans laquelle Lucy n’a cessé de discourir au nom
de CeluiQuiSaitTout ,.Une jeune fille à la tunique indienne fleurie arrive en chantant une

1394
Ne me laisse pas tomber .www.lacoccinelle.net › The Beatles › Dont let me down !
1395
A l’aide j’ai besoin de quelqu’un, A l’aide pas seulement de n’importe qui . www.lacoccinelle.net › The Beatles ›
Help !
1396
Des images de lumière vacillante qui dansent devant moi tel un million d’yeux m’appellent encore et encore
à travers l’univers, à travers l’univers, LSD, p.108
1397
Au départ appelée Dévil is my name, cette chanson chantée par Mick Jagger est une allusion au diable dont
le chanteur revêt directement le costume en mentionnant notamment le christ, le tsar Nicolas II de Russie (..)
ainsi que la famille Kennedy. r.wikipedia.org/wiki/The RollingStones
1398
The Rolling Stones est un groupe de rock britannique formé à Londres en 1962 par le guitariste et leader
original Brian Jones , le chanteur Mick Jagger et le guitariste Keith Richards (…)Après avoir rencontré le
succès au Royaume Unis , ils deviennent populaires aux Etats Unis durant la « British invasion » initiée par les
Beatles au milieu des années 1960 .Leur single de 1965 Satisfaction fait connaitre les Stones dans le monde
entier(qui) ont publié 22albums studio au Royaume Unis (24 aux Etats Unis ),8 albums live (9 aux Etats –Unis)
et 32 compilations .En 2012 , le groupe estime avoir vendu plus de 400 millions d’albums dans le monde .
r.wikipedia.org/wiki/The RollingStones
1399
Please allow me to introduce myself, Im a man of wealth and taste, Ive been around for a long , long year ,
Stole many a mans soul and faith, and I was round when Jesus-Christ ,Had his moment of doubt and pain .Made
damn sure that Pilate ,Washed his hand and sealed his fate. Please to meet, Hope you guess my name , oh yeah ,
LSD, p. 248 S’il-vous plait permettez -moi de me presenter (…) Je suis un homme de goût et fortuné Je suis là
depuis de longues années(…) Et j’ai volé à beaucoup d’hommes leur âme et leur foi(…) J’étais là quand Jésus
Christ Eut son moment de doute et de douleur(…) J’ai sacrément assuré que Ponce Pilate(…) S’en lave les
mains et scelle son sort (…) Enchanté de vous connaitre (…)J’espère que vous devinez mon nom mais ce qui
vous intrigue c’est de comprendre en quoi consiste mon jeu »»www.lacoccinelle.net › The Rolling Stones .

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

chanson des Beatles Let it be changeant volontairement les paroles en substituant Mother
Mary comes to me 1400- Mère Marie est venue à moi- par Sister Lucy comes to me .1401

1400
Mère Marie qui est sans conteste une référence directe à la vierge Marie
1401
Sœur Lucy est venue à moi

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L’humour, la dérision, l’ironie et la parodie sont communément définis comme des


modalités de pensée ayant trait à tous les phénomènes de l’énonciation. Dans l’œuvre de Mati,
l’écriture est inondée par un humour parfois tragi-comique, une dérision et une forme d’
ironie qui , tout en exprimant un jugement critique ne portant jamais atteinte à la lisibilité de
la fiction, sont les réceptacles d’une hétérogénéité formelle permettant de dire un discours
politique et /ou ontologique dénonçant les maux de la société, notamment les effets
monstrueux et désastreux de la décennie noire et le système politique d’une Algérie fracassée
par ses propres enfants telle une amphore perpétuellement agonisante.1402
Pour mieux cerner cette problématique, il suffit d’écouter le langage des soliloques des
protagonistes en errance et de s’arrêter aux scènes dialoguées où le tragique et le comique des
situations narratives s’imbriquent dans un jeu de corrélations subtiles entre les personnages-
narrateurs/ lecteurs / énoncés dans une confrontation avec l’inattendu, l’absurde et l’insolite.
Quelles sont les caractéristiques de ces procédés rhétoriques de renouvellement
romanesque dans l’œuvre de Mati ? Quelles formes empruntent-ils dans la profondeur d’une
pensée traitant pêle-mêle, de manière tragi-comique, de questions d’ordre social, politique et
ontologico-existentiel et quelles en sont leurs fonctions principales?
Aigre-doux et On dirait le Sud , les élucubrations d’un esprit tourmenté sont
particulièrement pétris d’humour, de dérisions et d’ironie et regorgent de cocasseries en tous
genres qui se dessinent à travers le comique verbal et celui de situations narratives souvent
absurdes et insolites suscitant le rire ou du moins le sourire. C’est dans cette perspective
énonciative et narrative que nous décortiquons la tendance franchement humoristique d’une
écriture- souvent absurde et insolite lorsqu’elle ne bascule pas dans le tragi-comique et ses
formes de manifestations en variant les thèmes, les tonalités, les registres et les procédés
convoqués par l’écriture. Cependant, il nous parait capital de définir ces procédés rhétoriques
proches sémantiquement en terme relevant de la pragmatique 1403 avant de mettre en évidence
leurs formes à travers la matérialité de la langue instrumentalisée par des instances
d’énonciation et le comique et / ou tragi-comique de situations narratives diverses.
Au plan théorique, ces procédés rhétoriques complémentaires sont considérés comme
des phénomènes foncièrement polyphoniques définis comme des modalités d’énonciation
particulières de la pensée dans l’analyse du discours. Dans cette perspective, nous retenons la
1402
« Cette amphore qui ne cesse, depuis la nuit des temps, de recoller les morceaux d’une agonie sans fin .A
force d’être malmenée par les conquêtes du passé, la voilà aujourd’hui réduite en miette par les gens sortis de
sa propre glaise .Triste destin !(…) Je suis persuadé que cette contrée de leurres est mienne et je la revois dans
mes sommeils dérangés », extrait de Aigre-doux, p. 21
1403
C'est-à-dire du point de vue de la visée illocutoire visant à susciter l’adhésion du lecteur.

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

définition du micro-robert alliée à l’acception de Gérard Genette1404 , l’humour en tant que


forme de l’esprit qui consiste à présenter la réalité immédiate même désagréable de manière à
en dégager les aspects plaisants et insolites.
Cependant, selon Genette l’humour appartient plus fondamentalement au comique
1405
alors que la dérision a plus particulièrement trait à une forme de mépris incitant à rire de
quelqu’un ou de quelque chose. Chez Mati , il est un facteur de gaieté dénué de toute forme
d’agressivité directe susceptible d’être employé dans un contexte polémique1406 auquel
l’écrivain souhaite mener son lecteur et le faire adhérer à sa philosophie tant politique pour
dire les maux de la société qu’ontologique pour exprimer l’entité de l’Etre .
Tantôt plaisant et tantôt polémique, l’humour parfois tragi-comique et la dérision en
tant que mépris incitant à rire, à se moquer de quelqu’un ou de quelque chose s’avèrent être
des procédés permettant de mettre en exergue la réalité algérienne de la décennie noire.
Il est clair que ces procédés rhétoriques permettent de rendre compte du procès énonciatif à
travers l’élaboration d’une parole singulière, qui tout en relevant du ludique, de la dérision et
de l’ironie, revêt par intermittence une dimension sociale, politique, philosophique voire
ontologico-existentielle qui prend acte des insuffisances du monde et des hommes. Tel est le
fameux clin d’œil que fait l’auteur pour amuser son lecteur tout en traitant de grandes
questions nourries de sa culture générale universaliste incontournable dont le rôle réside
d’éveiller son esprit critique en dénonçant les maux de la société algérienne des années 2000 .

1. Structures langagières et poétiques de l’humour, la dérision et l’ironie

Chez Mati, l’humour inscrit la parole de l’écrivain comme un clin d’œil adressé au
lecteur qui décrypte ce qu’il sous-tend en filigrane. Aussi cet humour décapant et incisif
s’exerce-il d’emblée à travers les jeux sur la langue, injures et jurons révélateurs d’états
d’âmes et de ressentiments provoqués par les élucubrations de l’esprit tourmenté des
protagonistes du discours ? De ce fait, des jeux de langue humoristique défilent selon le
contexte narratif, les instances énonciatives et font basculer le lecteur dans l’univers
hallucinatoire et fantasmagorique des personnages en errance. Des termes grossiers dont on se
sert pour blasphémer, insulter et injurier se disséminent dans les récits de fiction par le
truchement de figures de mots et d’élocutions de style telles que :
1404
Genette, Gérard .Figure V, Mort de rire, Paris, Seuil, Collection Poétique, 2002, pp. 196-225 (internet)
1405
L’humour peut s’évader progressivement vers des formes de moins en moins satiriques et de plus en plus
ludiques, Ibid., p. 196
1406
Selon Genette : On serait tenté de dire que l’humour est fondamentalement ludique, mais il lui arrive parfois
d’être employé dans un contexte polémique, Ibid., pp. 196-225

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1.1 .Exclamations et troncations

Ces formes linguistiques sont régulièrement usitées dans Aigre-doux par un


personnage narrateur qui n’hésite jamais à exprimer ses états d’âmes et ses émotions les plus
intimes en tenant des propos blasphématoires à la fois vulgaires et injurieux à l’égard de son
acolyte l’ex-diable crétin de Malin 1407 , de sa vie de chien1408 et qui ne pas manquent de faire
sourire le lecteur : Nom de Dieu, crétin va au diable ! , Bordel de Dieu !, p .d’ennemi (…)
p.de vie1409, p.de bled (…) Et merde la vie ! (…) je suis content pour la vie et même plus !
1410

Dans On dirait le Sud, Zaina aussi profère des propos vulgaires et blasphématoires à
force d’être humiliée par son infâme compagnon qui lui préfère la chèvre pour assouvir ses
instincts primaires : Pourquoi mon Dieu (…) Putain de vie1411. Puis, irritée par le miroir
aveugle qui se refuse à lui renvoyer ses charmes féminins, elle rétorque instinctivement :
Mais putain, je suis une femme ! 1412 Enfin, lorsqu’elle invoque Dieu en larmoyant pour qu’un
homme lui fasse l’amour, les propos de Zaina au divin rétif à ses lubriques invocations
provoque le sourire affectueux du lecteur : Mon Dieu, je suis une femme ! Je veux un homme
1413
qui m’aime ! Je ne peux quand même, pas me consoler d’une vie de rien. Notons que ces
actes de paroles à caractère performatif dont la fonction primordiale est de dévaloriser,
dénigrer le destinataire appartiennent à un niveau de langue populaire et peuvent aussi servir à
exprimer leurs ressentiments dévalorisant les situations compliquées, cocasses et /ou absurdes
dans lesquelles se trouvent ces instances énonciatives. Les injures proférées par Zaina - lors
de son duel optique avec le chef des barbus au sein du lupanar ensablé avant qu’elle ne se
fasse tabasser et laisser pour morte par la brute en question - corroborent leur caractère
vulgaire et offensant : Va te faire sodomiser par le chameau qui a enfourché ta mère avant de
me parler ! Sale faux bouc ! 1414

1.2. Interjections et interpellations

Elles révèlent l’état d’esprit revanchard, comique et condescendant à la fois de


l’énonciateur qui humilie son meilleur ennemi l’ex-diable en l’apostrophant de la sorte :
1407
Aigre-doux, p.52-53
1408
Ibid., p.51
1409
Ces troncations sont usitées en vue d’atténuer la vulgarité des propos tenus par le personnage
1410
Aigre-doux, p.108
1411
On dirait le Sud, pp. 30-37
1412
Ibid., p.83
1413
Ibid., p. 88
1414
On dirait le Sud, p 130

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Le voilà fauché comme moi ! Na ! (…) Hé ! Ex-diable, c’est moi qui fixe les tarifs
maintenant .Alors écrases un peu .T’es d’accord ou non ? Je fais aussi dans la délation Sais-tu que tes potes te
cherchent partout ?(…) un diable roulé ça doit faire désordre dans la confrérie luciférienne (…) Cette âme
d’humain en peine que tu trimbales ne vaut rien, c’est toi-même qui l’a dit (…) je n’aurai plus à tirer le diable
par la queue.1415

Puis, il soliloque non sans autodérision sa propre interpellation en se dévalorisant de la


sorte : Hé patate, la barque qui va la faire avancer ! 1416

1.3. Rimes et allitérations

Mati emploie figures de style et langagières ludiques rimant et/ou répétant des
consonnes dans une suite de mots rapprochés. Nous retrouvons ces figures de style rimant les
consonnes comme suit :
On procède à des arrestations en masse à l’aide de masse pour bien masser les masses et les
mettre à la masse 1417, J’étais donc allé « au diable » marchander mon âme, je la voulais chère,
mais là-bas aux enfers le démon était bon commerçant(…) Une âme en peine peinait toujours à se
faire bien vendre aux calvaires (…) je paniquais devant cette interrogation (…) sans franche
conviction(…) le cornu aux pieds fourchus (…) le crétin de Malin.1418
Des allitérations sont énoncées à maintes reprises par les instances discursives : Tant
pis pour bibi 1419 en parlant de sa malchance, et à propos de son aventure réussie avec son
meilleur ennemi le diable, son humour apparait comme suit :
Le meilleur ennemi de l’homme c’est l’homme (…) Les diablotins faisaient, sans peine, des
affaires de tous les diables !(…) Grand diable ? (…) non grand Dieu !C’est bien le Diable
(…)Fallait jamais tenter un diable (…) un diable roulé ça doit faire désordre (..) Cela fait surtout
Malin pas malin(…) mon pauvre diable(…) je n’aurai plus à tirer le diable par la queue.1420
Enfin, dans la grande braderie du Savoir, le narrateur découvre dans le manuscrit du
bouquiniste qui relate que dans la grande braderie du savoir tout le monde s’en va à la fête du
Savoir, pour savoir que ce savoir, il faut le savoir. Alors, va savoir comment et combien pour
l’avoir, cet inabordable savoir.1421

1415
Aigre-doux, pp. 50-53
1416
Ibid., p.48
1417
Ibid., p.26
1418
Ibid., pp.51-52
1419
Ibid., p.29
1420
Aigre-doux, p.54
1421
Aigre-doux , p.149

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La réitération du terme savoir dans différentes acceptions est un clin d’œil au lecteur
qui comprend à quel point feu le savoir est bradé lors de propre braderie par les remplaçants
de Lucifer qui l’ont surclassé en matière de destruction et de perdition des esprits et du savoir.

1.4.Combinaisons insolites de mots

L’association à la fois inattendue et insolite de termes parfois antonymes reflète une


pensée absurde et insolite du narrateur ou un jugement de valeur d’un fait qui peut l’être à son
tour : Mon meilleur ennemi ou diable généreux 1422 en sont des illustrations probantes de
l’univers fantasmagorique dans lequel errent les instances énonciatives. Puis, lors de sa
pérégrination onirique, le narrateur halluciné découvre stupéfait des robinets criminels ou
récalcitrants que sa compagne appelle les nez coulants, un minotaure bipède, des privés de
la zapette 1423 hurlant Game over qui se faisaient cogner la tête par des brigades antiémeutes
leur scandant Game yamek ! Dine yamek explicité en bas de page comme suit : Game
yamek : Joue de ta Mère .A ne pas confondre avec NTM qui veut dire : Nourris ta Mère ou
Nage ta Mer. Cette expression imagée en dialectal algérois- signifiant l’obligation de tirer son
épingle du jeu, en trouvant des solutions adéquates par la nage salvatrice qui permettrait de ne
pas se noyer dans sa propre mer, dans ses propres problèmes constitue sans aucun doute un
clin humoristique d’œil adressé au lecteur maghrébin.

2. Comique de situations narratives

Aigre-doux et On dirait le Sud sont des romans pétris d’humour à travers des
situations narratives aux limites du délire et de l’absurde qui provoquent le rire du lecteur
dans l’irréalité d’une errance de protagonistes de la fiction placée sous le signe d’un comique
narratif. Ces scènes dialoguées-échanges verbaux et gestuels - n’excluent en aucun cas la
profondeur de réflexions politiques et /ou ontologique ayant trait à l’entité de l’Etre et font
côtoyer le tragique et le comique dans l’espace romanesque .La constante connivence du
lecteur est de mise dans cette relation personnage /texte / lecteur qui se doit de mettre à nu cet
humour singulier dont use l’écrivain pour éveiller les esprits en tentant de surprendre les
incongruités du monde liées à la condition de l’entité de l’Etre . C’est la raison pour laquelle,
nous présentons les scènes narratives et/ou dialoguées insolites et cocasses dont l’humour et

1422
Ibid., pp.49-51
1423
Zapette : objet magique de couleur souvent noire qui permet de voyager, manger, s’habiller, s’aimer et
surtout jouer sans bouger de votre chaise (Appelée aussi télécommande) Les privés de la zapette : personnes
n’ayant aucune permission, ni droit de choix de programmes. Aigre-doux, p .26

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la dérision se dessinent au-delà du rire vers une philosophie et une éthique dénonçant les
incongruités et contradictions sociales, politiques et celles consubstantielles à l’entité de
l’Etre. Chez Mati, l’humour transgressif résulte du comique d’expériences absurdes et/ou de
parodies incongrues du pouvoir que vivent souvent à leur insu les protagonistes de la fiction
et qui s’avère être, non seulement être une forme de résistance politique face à un pouvoir en
place instituant la censure , la propagande ,la pénurie , la déliquescence programmée du savoir
et de la connaissance au sein des universités mais aussi un moyen de dépasser dans la
cocasserie leurs angoisses existentielles et de transcender leurs douloureuses intériorités.
C’est un humour plutôt universel - composante de la quête de soi - qui permet de cerner la
condition de l’Etre enclin à ses propres délires et/ou élucubrations dans son rapport à lui-
même, à l’Autre et au monde et d’expier son malaise existentiel et élucubrations de son esprit
tourmenté.

2.1. Douche atmosphérique

Dans Aigre-doux, le narrateur prend ses pilules aigres-douces et se sent bizarrement


d’humeur légère dans sa chambrette ovale de l’ex-rue du diable. Il profite de l’incessante
pluie qui s’abat sur la rue de la Casbah pour se laver. Il se dénude, découvre stupéfait son
étisie et se tient debout tel un funambule sur le bord de la fenêtre. C’est avec grand plaisir
qu’il se met à frotter son crâne alors que les badauds ricanent en le montant du doigt: Je me
nettoie en frottant énergiquement la peau sclérosée de mon crâne, il faut que je me
débarrasse à tout prix de ces saletés. Ces souillures, ancrées dans mon cuir chevelu, râpent
mon cerveau et altèrent mes pensées.1424Le comique d’un tel comportement provient sans nul
doute du fait que le personnage-narrateur n’est pas conscient que se dénuder sur le bord de sa
fenêtre puisse choquer et provoquer le ricanement des badauds ébahis. Cette posture absurde
transgressant les principes de bienséance et de respect de l’autre conforte l’idée son déphasage
provoqué par la prise de ces pilules aigres-douces. Epuisé par un tel exercice, le narrateur
halluciné est persuadé que cette douche atmosphérique permettra de désancrer ses rêves et ses
souvenirs en lui procurant une sensation mitigée de bien-être et d’un déjà vécu
douloureux.1425

1424
Aigre-doux, p. 38
1425
Aigre-doux, p. 39

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2.2. Robinets récalcitrants

Epuisé par un tel exercice, le narrateur halluciné est persuadé que cette douche
atmosphérique permettra de désancrer ses rêves et ses souvenirs en lui procurant cette
sensation de bien-être mêlée à un déjà vécu douloureux.1426Sa compagne l’informe qu’il n’y
a pas d’eau car les robinets taris refusent catégoriquement de laisser passer le précieux liquide
las d’ingurgiter une flotte impure dans leurs veines d’acier. L’humour provient de la
personnification des robinets nez-coulants 1427 qui ont du nif 1428qui finissent par ressembler à
des hommes dignes, rebelles et insoumis. Le gouvernement fustige le service des eaux et la
météo sans oublier de d’implorer le Bon Dieu1429, la météo et encore moins l’internet1430
n’arrivent à solutionner ce problème. Chez Mati la dénonciation d’une fuite en avant se fait
par le truchement d’un argumentaire aussi absurde qu’insolite que le gouvernement invoque
pour légitimer sa fuite en avant que l’identification des coupables 1431avant de donner l’assaut
et de tordre le cou aux robinets récalcitrants.

2.3. Soliloque du végétatif

Bien que devenu oisif et végétatif, le narrateur prend conscience qu’il ne peut perdurer
dans cette posture de d’assistanat et de précarité1432 et décide de quitter le studio de l’ex-rue
du diable. Tentant, tant bien que mal, de prendre le dessus sur ses élucubrations, le narrateur
se prend lui-même en aparté droit dans les yeux pour s’apostropher de la sorte : Hé patate la
barque1433 qui va la faire avancer si ce n’est-elle ? Manchot ! Pauvre mec. Je réponds,
chaque fois .Fin du soliloque ! Le fait de se traiter lui-même de patate, manchot incapable de
ramer pour avancer la barque relève sans nul doute d’une autodérision qui permet au narrateur

1426
Ibid., p. 39
1427
Ibid., p. 40
1428
L’auteur en donne cette explication plutôt risible en bas de page : « Nif : honneur, fierté .Cette notion était
prépondérante chez les hominidés, bien sûr tombée en désuétude depuis. Ndlr : Nous pouvons considérer que
nos robi-nets sont assez vieillots …. (Antédiluvien dans ce cas précis), Aigre-doux, p.41
1429
Le bon Dieu, Lui on ne sait pas vraiment ce qu’il pense .Aucune réaction de Dieu : nada, rien, walou,
Aigre-doux, p.40
1430
L’internet est mis aussi à contribution : des sites web spécialement conçus pour le pays voient le jour sur la
grande toile. Ils offrent plusieurs types de solutions à cette catastrophe surnaturelle, Aigre-doux, p. 41
1431
Finalement, lorsqu’on a pu identifier les coupables, l’Anticyclone des Açores, le gouvernement et le Bon
Dieu ont été relaxés et certains endommagés, Aigre-doux, p. 42
1432
Mon inactivité aggrave encore plus le dénuement dans lequel nous vivons ma compagne et moi. Ibid., p. 48
1433
Quand dans une barque il n’y a qu’une personne qui rame, l’autre passager doit se contenter d’encourager
le canoteur, ou au moins avoir la décence de se taire, Aigre-doux, p. 48

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halluciné d’atténuer les souffrances engendrées par son état de profonde oisiveté et de
dépendance1434 avant son insolite aventure avec son meilleur ennemi le diable.

2.4. Transaction démoniaque

Sa rencontre avec un diable généreux a été l’occasion pour le narrateur halluciné de


marchander diaboliquement son âme en peine en s’étalant malicieusement devant lui pour se
faire vendre aux calvaires. D’emblée, le comique de cette situation se dessine à travers
l’opportunisme de son soliloque dur, le marché, va falloir bien marchander ! Tiens en voilà
1435
un, c’est à lui que je vais me proposer. et de sa posture racoleuse durant laquelle se
déroule la transaction avec le rôtisseur des enfers étonné de la proposition de troc du
narrateur jouant la carte du mystère pour attiser sa curiosité et faire aboutir la permutation de
leurs âmes . Le comique prend forme dans l’échange verbal consécutif à la supercherie
démoniaque fomentée par le narrateur qui lui propose diaboliquement de recouvrer son âme
de diable :
- Alors maintenant que tu es en moi, aimerais-tu changer une âme de diable contre ta nouvelle
âme en peine, pourrie et malade ? (…..)
- Salaud ! Me voilà devenu âme en peine par ta faute !
- Hé, ex-diable, c’est moi qui fixe les tarifs maintenant .Alors écrase un peu. T’es d’accord ou
non ? Je fais aussi dans la délation .Sais-tu que tes potes te cherchent partout ?
- Diable ! D’accord ! D’accord ! Mais, il faut faire vite car si les autres diablotins découvrent
cette diablerie, ils m’expédieront certainement sur terre comme une vulgaire âme qui se doit de
peiner .Implorait-il ?

- Oui, mais avant ….Faudrait que tu me rajoutes de la thune, beaucoup de thunes ! Cette âme en
peine que tu trimbales ne vaut rien, c’est toi-même qui l’as dis ! 1436

1434
Vite, mes pilules ! Je désire me rejoindre dans mon présent passé, p. 49
1435
Face au maudit, je m’étalais comme une marchandise en prenant soin de fixer un prix fort, accroché à ma
chemise. Il s’approcha …je racolais .Il me toisa. Je souris, Aigre-doux, p.51
1436
Aigre-doux, p. 54

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2.5. Aventure d’homo-concombre

Entrant par hasard dans un café maure pour y passer la nuit, le narrateur est servi par
un homo-concombre1437 en chaleur qui lui propose tout naturellement une relation
homosexuelle en lui apportant, à son insu, tasse vise qu’il pose par terre puisqu’ il n’y a ni
table, ni chaise dans ce débit de rien. C’est au moment de payer, que le dénoyauté en rut
rapplique la douloureuse dans une main et sa protubérance cachée dans l’autre et de lécher à
plat ventre le crachat que lui octroie le narrateur en guise de pourboire. Puis, l’homo-
concombre impudique lui propose une boussole de navigation arguant qu’elle lui sera utile
pour son voyage avant de se faire payer en nature par le narrateur qui lui a déjà jeté sur sa tête
d’olive dévitalisée les cinq cailloux réclamés en guise de paiement : Pas bête, le concombre !
C’est vrai, j’aurai certainement besoin d’un pareil accessoire. Maintenant, je sais comment
1438
m’acquittera avec lui …..puisqu’ ’il accepte le liquide !

2.6. Vendeur de mouettes

Après en avoir terminé avec l’homo-concombre farceur, le village de chimère, le


narrateur se remémore l’histoire les propos d’un ami étrange devenu violoniste avec lequel il
avait fait dans le négoce des mouettes en liberté héritées par millions d’un richissime tonton
.L’heureux proprio de mouettes les nourrissait de poissons et mollusques jusqu’à satiété et les
connaissait un par un ses oiseaux de mer.1439 Même lorsqu’elles partaient très loin vers
d’autres cieux, elles revenaient inlassablement vers lui car il savait comment les récompenser
pour mieux les vendre. C’est en assurant ses éventuels acheteurs qu’une fois la transaction
achevée, ils pourront bénéficier de tous les bébés mouettes nés après signature de l’acte
d’achat. Sauf que le narrateur désargenté et sans héritage ne pouvait profiter d’une telle
occasion de s’enrichir à l’instar de ses comparses devenus déjà riches et emplumés et
l’avaient déjà mis à l’écart. C’est faisant du rangement dans son grenier que le narrateur
découvre dans le tiroir d’une vieille commode un document signé par un aïeul décédé : je
soussigné …., grand pêcheur devant l’éternel, à ma mort, je laisse à mon dernier descendant
tous mes biens, je n’ai jamais pu en faire l’inventaire , mais avec ce papier , mon héritier
prendra possession de tous les poissons des mers, des fleuves et même des petites rivières.
1437
Le serveur qui m’accueille ressemble à un petit concombre surmonté d’une olive sans noyau .Le pédoncule
qui pendouille à la base de son tronc est impudiquement caché sous un tablier plus sale que blanc et trop court
pour servir de pagne à sa protubérance, Aigre-doux., p. 97
1438
Aigre-doux, p. 98
1439
Il avait l’air de bien les connaitre(…) il les appelait tous par leur prénom, nous étions impressionnés par sa
capacité à les distinguer .Ibid., p.100

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Signé : l’aïeul 1440 .Du coup, il se rappelle que son ami le vendeur de mouette lui avait bien dit
que ses oiseaux blancs bouffaient du poisson. L’heureux héritier soliloque : - Alors, un
poisson à dix centimes multiplié par….et par….Calculais-je en courant voir mes nouveaux
clients pour leur réclamer mes dus.1441

2.7. Vendeur de drapeaux

Atterrissant dans une mégalopole indolente et anthropophage dans le sillage de ses


élucubrations oniriques, le narrateur rencontre un pauvre bougre vendeur de drapeaux à la
sortie d’une bouche de métro toujours en chantier. Un panneau au-dessus de sa tête affichait
non sans fierté le contenu suivant : Projet : Métro de la ville Délais de réalisation : fin des
travaux ! 1442Alors que la pancarte ne précise pas quand les travaux ont commencé. L’humour
tragi-comique de cette situation narrative est une manière de dénoncer les mensonges des
décideurs qui entament des travaux sans jamais les finir. L’exemple du chantier du métro
d’Alger en est l’édifiante illustration.

2.8. Taverne des loosers

C’est dans une taverne tripot des désespérés 1443 remplie de tristesse et de volutes de
chanvre indien que grouillant de jeunes aux visages pubescents que le narrateur découvre
assis sur une table de jeunes loosers aux visages pubescents et participe à cette mortelle
baraka1444 qui les fuyait inlassablement sauf lorsqu’une détonation macabre retentit et les
loosers clament en chœur : Veinard ! Ne resterons que les clébards. 1445Une telle situation
narrative, à la limite de l’absurde, se dessine dans un humour noir, tragi-comique prenant le
contre-sens de la réalité puis qu’il faut perdre et mourir pour être veinard et gagnant. Le
narrateur s’y prête à son tour et perd à qui perd gagne dans la taverne des loosers.

2.9. Grande université de TOTO

C’est en prenant une route bitumée menant vers le sud que le narrateur aperçoit un
grand édifice dont l’inscription en lettres de sang Cité du savoir attire inlassablement son
regard et sous lequel il s’abrite au moment où il se met subitement à pleuvoir des pierres. A

1440
Aigre-doux, p.102
1441
Ibid., p.103
1442
Aigre-doux, p. 104
1443
Ibid., p. 137
1444
-Nous jouons à la roulette russe, Ibid., p. 136
1445
Ibid., p.137

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l’intérieur sont réunies toutes les têtes pensantes concertées pour les assises de la charte
scientifique du pays dans le but de trouver un moyen de communiquer avec les communautés
savantes étrangères, le pays s’étant recroquevillé sur lui-même durant plus de deux
générations à cause des différents régimes dirigeants alors que la mondialisation était partout.
Les problèmes linguistiques prenaient des formes différentes dans les catégories
disciplinaires d’autant que l’entrave majeure au bon déroulement de cette réunion : Quelle
langue cette élite présente devait-elle utiliser pour la bonne compréhension de tous ? C’est
par le biais de l’humour et de la dérision sans aucune complaisance que se dessine la
dénonciation de l’assassinat du savoir et de la communauté scientifique algérienne devenue
un lieu de mercantilismes et de trafics en tous genres. Le mal était profond puisque chaque
discipline possédait déjà sa propre expression linguistique1446alors que de nouvelles
disciplines les plus primées et leur récentes chaires voyaient le jour en entérinant la
déliquescence du savoir, de la culture désormais confinée dans les vespasiennes de la ville1447,
des universités et de la communauté scientifique du pays :
- Le « trabendisme » et ses dérivés : un cocktail de financiers ,de boursiers, d’économistes et
d’affairistes ; les « trabendistes » négociaient en dollar à l’aide de leur téléphone portable .Les
« drug-buisnessmen », sorte de golden-boy de la came ; avant qu’on ne les anoblisse , on les
appelait dealers (…) les tiques –polis, un mariage de lécheurs de bottes et de diplomates
calculateurs (…) Et…..ce qui devait arriver arriva :il fallait que tout ce beau monde trouve un
idiome compréhensible par tous les représentants de cette phratrie savante…mais ,mais …… :La
réunion commença par une formidable cacophonie générale .Chaque porte-parole voulait que
son dialecte soit universalisé .Personne ne comprenait personne .Les esprits finissaient par
s’échauffer. Les insultes et les gestes obscènes remplaçaient le discours et la méthode (…) c’était
dans un charivari invraisemblable que se termina cette réunion peu ordinaire. Comme l’on s’y
attendait, les trabendistes , les drug-business , les tiques –polies avaient fait alliance pour faire
pencher la balance de leur côté(….) En effet ,les diplômes obtenus à la fin du cursus étaient
transmissibles de père en fils , sous forme d’héritage .Ce qui avait donné naissance à de grandes
dynasties d’universitaires comme : L’arche des Toubette , La tribu de Toto , La famille Cosa
Nostra (….)Les seuls ouvrages mis sur le marché étaient des produits de ces disciplines .Les plus
connus sont : La genèse du Trabendo par N Toubette1448 , Le marché de la Bira1449 par R.

1446
Les médecins charcutaient le français, les avocats plaidaient l’arabe rapide, les juges, eux, jugeaient dans
un arabe châtié, les physiciens formulaient leurs équations en anglais, les archéologues ne comprenaient que les
hiéroglyphes, les hommes de lettre ne lisaient et n’entendaient que le Tamazight, en secret () Depuis plus d’une
cinquantaine d’années les mathématiciens ne calculaient qu’en braille et parlaient grec, Aigre-doux, p. 142
1447
Ces livres étaient de véritables best-sellers tirés à de centaines de milliers d’exemplaires .On se les
arrachait…. Dans les vespasiennes de la ville, converties en lieu de culture depuis que les libraires et les
bibliothèques avaient été transformées en fast-food et fumeries, Aigre-doux, p.144
1448
Petit fils d’un des pionniers de cette science Dr Hadj Toubette 1946-2010, cet illustre personnage inaugure
la première chaire Trabendo à la grande université de TOTO. Aigre-doux, p. 143

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Attila1450, La valeur ajoutée du crack et de la chira 1451 de H. Kola , haut responsable pour la
défense de ses intérêts pour ne citer que ceux –là.1452

2.10. Grande braderie du Savoir

Le procès énonciatif de la dérision s’affiche aussi dans la situation narrative où le


personnage en quête de son identité avance sur une route bitumée qui se termine en fourche
sur plusieurs autres petites rues .Il finit par choisir celle qui mène à la librairie B114 où
rongeurs et bestioles se rassasient des livres et manuscrits rats savants grignotent
inlassablement les manuscrits, manuscrits et recueils oublié. C’est à la lecture d’un manuscrit
écrit par ce gardien de feu le savoir 1453 et décrivant par l’absurde, l’humour et l’irrationnel la
mort du livre et de la culture que le narrateur réalise à quel point Lucifer avait trouvé son
maître1454 lors de la grande braderie du Savoir :1455
Avec l’avènement des nouvelles technologies , un récent procédé d’écriture est né .Un mélange
d’informatique et d’alchimie permet, à l’heure actuelle, de présenter les ouvrages sous forme de
liquide , contenu dans une fiole en verre ou en terre cuite (…) les biberons en plastique sont
réservés au contes pour les plus petits , les volumineuses œuvres sont versées dans des dames-
jeannes au cul empaillé, les livres de poche sont liquéfiés dans des chopines fines .Les formes et
les matières de ces fioles sont variées , exposées comme dans une parfumerie de luxe(…) Enfin,
qu’importe le flacon ,pourvu qu’on ait l’ivresse !Une étiquette indique le nom de l’ouvrage , son
auteur , un résumé succinct et bien sûr le prix du flacon .La catégorie du livre est déterminée par
la couleur de la liqueur versée dans la fiole . 1456
Cette dérision tragi-comique s’installe crescendo dans ce descriptif du processus de
grande Khaima du livre, du savoir et de la culture où diverses catégories de lecteurs tous
rebutés par la cherté des fioles du savoir exposées se retrouvent à faire du lèche-vitrine :des
asphyxiés de la pensée déambulent avec leur poule et leurs garnements (…) où des milliers,
d’ouvrages, pressés sous forme de liqueur, reposent à l’intérieur de bouteilles aux formes et
aux couleurs racoleuses , des gobes - mouches qui pensent que c’est déjà un acquis que
d’accepter que le Savoir peut être trafiqué , des lecteurs riches et incultes qui achètent des

1449
Bira : Boisson fermentée légèrement alcoolisée, préparée à partir de céréales germées, principalement de
l’orge et parfumée avec du houblon, Aigre-doux, p.143
1450
Attila : Chef contesté de la famille des huns dont la devise est Quand Attila passe par là, la bira coulera
1451
Chira : Substance magique pouvant modifier l’état de la conscience , Aigre-doux, p.143
1452
Aigre-doux, pp. 143-144
1453
Aigre-doux, p.150
1454
A sa lecture, je me dis que Lucifer pouvait aller se rhabiller, ses remplaçants font beaucoup mieux que lui
dans le genre destruction et perdition des esprits , Aigre-doux, p. 147
1455
Tout le monde s’en va à la fête du Savoir, pour savoir que ce savoir, il faut le savoir. Alors, va savoir
comment et combien pour l’avoir, cet inabordable savoir , Aigre-doux, p.148
1456
Ibid., p. 149

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bouteilles de littératures et de sciences exclusivement pour épater la galerie , d’autres qui ne


font que lire les titres inscrits sur les étiquettes avant de donner libre-cours à leurs
élucubrations et pouvoir ramener quelque chose à manger aux enfants, ceux qui se contentent
de regarder et de saliver devant les romans en cruche trop chers à acquérir. Le coup de gueule
de narrateur clôt le descriptif de cette grande braderie du Savoir par des propos entérinant la
frustration et l’envie inassouvie ressenties à la lecture de ce réquisitoire tragi-comique de ce
les dinosaures du pouvoir ont fait du savoir et de la communauté scientifique : -Et merde ! On
ne pourra même pas se saouler pour remplir la tête de bulle et oublier que la fiole du savoir
est chère, trop chère à avoir.1457

2.11. Nabots de la montagne cendrée

Au centre d’une vision apocalyptique d’une montagne cendreuse, Zaina prend


conscience qu’elle n’est ni dans la zoo en folie ni au point B 114 mais au milieu d’une
procession de milliers de nabots qui marchent en trainant les pieds dans un silence hypnotique
en direction d’un mirador où trône un inquisiteur aux yeux rouges portant une large soutane
noire qui les invective d’une voix gutturale.1458Pour passer inaperçue au milieu du cortège de
gnomes, elle s’y infiltre en marchant sur ses genoux afin de paraitre à la taille des nabots .Cet
univers absurde alliant le tragi-comique d’une situation narrative où la jeune femme tente de
se fondre sans remous dans cet enfer où des caméléons entravent toute tentative d’évasion.

3. L’ironie et la parodie

Si l’humour tragi-comique et la dérision se dessinent essentiellement à travers le


langage et un certain comique de situations narratives, il n’en demeure pas moins que Djamel
Mati possède un sens inné de la prose ironique 1459- mode privilégié de l’écriture romanesque
et procédé énonciatif se traduisant par un décalage entre ce qui est dit et ce qui est visé par
l’énonciateur - demeure un moyen idoine pour dire la dimension ontologique de l’entité de
l’Etre .Dans le cadre de notre travail , nous considérons également l’ironie matienne comme
un procédé discursif qui n’utilise pas de manière systématique l’antiphrase , mais en tant que

1457
Aigre-doux, p. 149
1458
Minables nabots ! Vous avez en face de vous la force suprême qui vous dicte les paroles sacrées que vous
devez accepter et subir sans vous poser la question(…) prosternez-vous devant votre guide, misérables vermines
et abreuvez-vous de mes sentences, On dirait le Sud, p. 118
1459
Khadda,Naget . Extrait du site : arid-benyaa.com/djamel_mati.htm

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stratégie discursive élaborée qui incite, par l’ironie de situation 1460, le lecteur à une réflexion
ontologique sur soi et à s’interroger sur le fond de ses convictions ontologiques et/ou
idéologiques . Cette coprésence de sens permet non seulement de dire le contraire de ce qui
est énoncé mais de mettre en place, par le biais d’un métadiscours, une réflexion critique
d’ordre philosophique et / ou politique qui se greffe sur le discours ironique énoncé.
Dans Aigre-doux et On dirait le Sud les traces de l’ironie sont diverses et permettent
au narrateur de s’extraire de ses élucubrations, de son univers hallucinatoire pour renouer
avec la réalité de cette Algérie des années 2000. L’écrivain ne cesse de tourner en dérision les
stratagèmes mis en place par les pouvoir en place pour assujettir la plèbe et les élites adhérant
pleinement aux incongruités des discours dominants de ces dinosaures, ce qui corrobore
l’idée que l’ironie a partie liée à la notion d’engagement.1461 Cette ironie qui se matérialise
dans une écriture italique relève d’un travail de décryptage du soumis à l’appréciation, au
jugement critique du lecteur récepteur1462, témoin complice scrutant les signaux révélateurs de
l’ironie.1463 Chez Mati, la visée ironique, le lecteur ne peut se contenter d’un rôle passif, il se
doit mettre en branle sa compétence ironique en ciblant la déliquescence de la société
algérienne tant dans les domaines des libertés individuelles et collectives, que celui du
renversement des valeurs et de l’université algérienne devenue la Tour de Babel de, non plus
lieu du savoir et de la connaissance, mais dépassements et passe-droits en tous genres. Le
lecteur, témoin actif de l’ironie doit impérativement cerner et cibler les institutions ironisées
dans les situations narratives absurdes d’une déréalisation ironique.1464
C’est précisément cette acception de l’ironie qui s’inscrit au niveau textuel que nous
tentons de mettre en lumière dans notre corpus par le truchement de les situations narratives
inédites présentées dans un langage dépréciatif et ouvertement critique qu’il incombe au

1460
Selon Jankélévitch, Vladimir « Elle exprime le contraire de ce qu’elle ressent(…) L’ironie est donc un jeu
avec les extrêmes, le mouvement dialectique qui relie les deux termes les plus opposés d’une série. L’ironie,
comme toute activité de jeu, double la conduite sérieuse d’une conduite seconde qui s’organise dans le loisir et
la recréation », extrait de L’ironie, Paris, Flammarion, réédition, 1964, p. 19
1461
Dugas, Guy. La littérature judéo-maghrébine d’expression française .Paris, L’ Harmattan, 1990, p. 237
1462
L’ironie verbale exprime en effet toujours un jugement critique, celui dont précisément les rhéteurs
cherchent à rendre compte lorsqu’ils rangent l’ironie dans la catégorie de la plaisanterie ou quand ils font
référence à la raillerie (….) en réaction à quelque chose d’antérieur, extrait de Pierre Schoentejes. Poétique de
l’ironie. Paris, Seuil, 2000, p .99
1463
Dans l’article intitulé Le roman algérien de langue française : A propos de l’ironie , Valérie Benard de
l’université Paris 13 décrit le protocole ironique, tel que l’a analysé H Weinrich, faisant apparaitre une scène à
trois personnage :L’ironiste ou ironisant d’un côté , l’ironisé ou cible , victime , qui peut être un personnage
humain ,une instance , une institution et un troisième personnage (….) le témoin complice au rôle à priori passif
et qui est le récepteur d’une série de signaux de l’ironie », extrait du site www. limag .com .
1464
Ibid. site: www. limag.com

426
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lecteur évaluateur d’apporter le complément ironique 1465 dans les chapitres dont les titres
respectifs Game over !, Les légumes ont en marre !, Points d’eau ! Et Rassurez-vous-y a
pire ! Emploient l’ironie et la raillerie pour dénoncer l’arbitraire d’un régime politique
constamment enclin à bâillonner le peuple et ses élites et à intégrer par tous les moyens leur
statut de sujets, de subalternes enclin à assumer volontairement leur propre soumission.
Notons également que ces discours politiques emprunts d’humour et d’autodérision se
construisent dans la matérialisation d’une écriture italique des formes discursives appropriées
que sont le monologue ou de discours indirect libre constamment fondée sur l’opposition de
deux champs sémantiques qui s’excluent mutuellement dans un monde absurde: celui des
pouvoirs en place et celui des peuples, de la plèbe soumise à l’arbitraire de privations
diverses.
Dans Game over , il s’agit de l’embrigadement des algériens qui intègrent non sans
fatalité leur propre anéantissement d’autant que les autorités ont décidé de sevrer le peuple de
son plaisir de faire ses emplettes virtuelles sur des programmes de télé-achat étrangers . Ici,
les privés de la zapette1466 et de rêves scandent Game over alors que plus loin, beaucoup plus
loin, de l’autre côté de l’horizon, des lumières s’allument, les autres pays s’éveillent et que
dans l’univers de ces frustrés on procède à des arrestations en masse à l’aide de masses pour
bien masser les masses et les mettre à la masse. 1467
Dans« Points d’eau ! Mati personnifie alors les robinets et les légumes auxquels il
accorde la parole pour dire et énoncer le désarroi du peuple algérien victime de l’intégrisme
islamiste et des pouvoirs en place. Les robinets sont personnifiés : ils peuvent être rebelles,
récalcitrants, revendicatifs, dignes et qualifiés de robinets criminels 1468 par les groupes
d’intervention anti-terroristes prêts à donner l’assaut et à leur tordre le cou après avoir
invoqué un argumentaire fallacieux et absurde à la fois pour incriminer les nez-coulants (qui)
ont du nif1469en refusant la flotte impure et contaminée qui se déverse dans leurs veines de
plomb depuis tant d’années.
Dans Les légumes en ont marre, Mati n’hésite pas, une fois de plus, à personnifier les
légumes victimes de Chefs culinaires cannibales, respectueux des Droits des Légumes,

1465
site: www.limag. com.
1466
Zapette : objet magique de couleur noire qui permet de voyager, manger, s’habiller, s’aimer et surtout jouer
sans bouger de votre chaise (Appelée aussi télécommande) Les privés de la zapette : personnes n’ayant aucune
permission, ni droit de choix des programmes .A ne pas confondes avec les zappeurs : ILS, Aigre-doux, p .26
1467
Aigre-doux, p .26
1468
Ibid., p.42
1469
Ibíd.,p.41

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inhumains et indifférents à leurs appels au fond des cocottes minutes dans lesquelles les
pauvres plantes mijotent et crament dans une recette métaphorique que le narrateur
décortique :
Les légumes sont contents de ne plus se faire cuisiner (…) ils saluent de leur main les gentils
contrôleurs de leur Droits(…) Merci , chers gentils sauveurs de légumes !Merci d’être venus nous
rendre visite ( …)La vie d’un légume est respectée(…) ils sont libres de vivre , de s’exprimer et
heureux (…) les légumes sont hyper contents( …) Bravo ! Bravo ! Messieurs les chefs cannibales
respectueux des Droits des Légumes.1470
Notons qu’une telle situation atteint les limites de l’absurde et du risible lorsqu’une
patate exprime son ras le bol et sa colère subis par la méthode de la poêle déclaré comme un
crime contre les potagers de l’humanité et qui …
… fait frire les légumes dans un récipient presque plat et sans couvercle. Dans ce type de cuisson,
l’huile remplace l’eau .Ce fluide fondu brûle à vif la chair des légumes .Parfois une tranche de
patate se met en colère pour le traitement qu’on lui fait subir. Alors, elle se rebelle comme elle
peut et dans un dernier soubresaut d’agonie elle se venge : -Tiens ! Prends ça sur la gueule ! Dit
la frite en crachant de l’huile brûlante sur la figure du préposé aux poêles, trop confiant.1471
Ces procédés utilisés pendant les guerres sont abandonnés au profit de méthode plus
moderne et moins cruelle où les légumes sont confortablement installées derrière les belles
vitrines fumées des fours à micro-ondes .Les légumes scandent alors leur satisfécit à propos
de cette douillette illumination qui se transforme en torture dès que les rafales d’ondes les
pénètrent pour les faire cuire de l’intérieur. Elles finissent par se rebeller à l’unisson avant
leur inéluctable cuisson : - Quel est le crétin, qui a inventé le four à micro-ondes pour les
légumes1472 que nous sommes ! 1473 .Pendant ce temps, les Inspecteurs des Droits des
Légumes, gentils contrôleurs de leurs droits n’auront vu que du feu convaincus du bonheur
des légumes vociférant leur douleur et leur rage lorsqu’ils sentent leurs entrailles
s’enflammer.
C’est une manière de lancer un appel au lecteur pour défier ces régimes totalitaires qui
sont explicitement visés par le biais de l’ironie et dire le ras le bol de tous ceux dont le
cerveau a été rongé par la propagande des décideurs au pouvoir.
Enfin, dans Rassurez-vous y a pire ! , les traces de dérision et de l’ironie sont patentes
dans un discours-fleuve diffusé à tue-tête par un enfoiré autoritaire à l’attention et censé
1470
Aigre-doux, p. 36
1471
Ibid., p. 34
1472
Légumes : Plantes potagères dont les graines, les feuilles, les tiges ou les racines entrent dans
l’alimentation. Quand le cerveau d’une personne est bouffé ou rongé, cette personne entre aussi dans la famille
des légumes ; après, on peut la faire cuire à toutes les sauces. Aigre-doux, p.37
1473
Ibid., p 37

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relativiser la vie de tous ceux que malheureux .Le laïus recommande à tous ceux que le
pouvoir méprise- que l’on soit désargenté comme la poche d’un mendiant1474, lépreux,
aveugle et cul de jatte1475, expulsé de sa baraque en bois1476, largué par sa femme ses enfants
et ses amis1477 , que l’on pue la misère et la maladie1478- de se rassurer car il y a toujours pire
que soi sur un ton injonctif, de na plus pleurer , de se rassurer tant qu’il y a plus malheureux
que soi, tant qu’il y a pire que soi .Ce discours ironique d’ordre ontologique n’a d’autre
finalité que d’inciter chacun de nous à ne plus relativiser le pire en récusant la fatalité sous
prétexte que d’autres seraient plus malheureux.
Nous dirons, finalement que chez Mati, les traces d’humour, de dérision et d’ironie
qui, tout en étant perceptibles et fréquentes dans la confrontation avec l’insolite, l’incongru et
l’inattendu, bousculent les idées reçues afin de montrer l’inanité des préjugés et absurdités qui
déchirent la société algérienne. L’humour, la dérision et l’ironie s’exercent à tous les niveaux
du récit en nous proposant, avec une conscience tragique, des raccourcis pour dire et atténuer
les maux de la société et le désarroi des algériens durant la décennie noire.
Quant à la parodie en tant que phénomène polyphonique, elle consiste à reprendre
littéralement un texte connu pour lui donner une signification nouvelle 1479 tout en considérant
que le texte parodié est choisi parce que c’est précisément la subversion de ce discours -ci qui
est cruciale pour la légitimation du discours parodieur. 1480Tel est le cas de L’enfant do -
recomposition de la complainte avec refrain pour enfants - que le narrateur parodie pour
légitimer son propre discours dénonciateur de la doxa nationaliste et propagandiste d’un
pouvoir en place décidé à maintenir le peuple dans toutes sortes de privations qui prévalent à

1474
Il ya des gens qui n’ont jamais eu la chance d’avoir un boulot et la malchance de le perdre ensuite(…) vous
au contraire, vous savez de quoi vous êtes dépossédés. Comme cela vous avez au moins une raison pour râler,
p.138
1475
Il ya des lépreux, aveugles et cul de jatte qui vivent sur des îles perdues .Ces malheureux sont tout de même
contents parce qu’ils savent que dans une île voisine, il y a des lépreux, aveugles, culs de jatte et avec en plus
une rage de dents ! Soyez raisonnables, regardez autour de vous et rassurez-vous, il ya pire .Aigre-doux , p.138
1476
Nous avons joué dans des scénarios plus catastrophiques encore, où les héros étaient ensevelis sous les
décombres de leur maison .Vous, vous avez beaucoup de chance, on vous a fait sortir avant de démolir , Aigre-
doux p.139
1477
Il ya des gens qui n’ont jamais eu la joie d’avoir des garnements et encore moins de femmes impuissants
qu’ils sont(…) vous avez de la chance, comparés à eux, vous avez eu une famille durant un temps .Maintenant
s’ils vous quittent c’est pour une bonne raison .Le compte est bon ! Rassurez-vous, il y a pire ! Aigre-doux.,
p.139
1478
Beaucoup ont vécu sans personne à leur côté. Sans amis, ils ont ramé seuls durant toute une triste vie de
phratrie et à leurs trépas, seul un clébard les accompagna .Alors que vous, vous étiez riche en amis. Enfin,
voyons ne pleurez pas ! Rassurez-vous, il y a pire .Ibid. p.139
1479
Genette, Gérard. Palimpsestes. Paris, Seuil, 1982, VI, p. 24
1480
Maingueneau, Dominique. Ibid., p.164

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tous les niveaux (institutions, discours officiels, programmes scolaires, de la société en tant
que telle . ..) .
Dans L’enfant do , Mati parodie un hymne - complainte avec refrain - destiné à faire
endormir les enfants en tant que stratégie imitative d’écriture basée sur la caricature et / ou
l’exagération imitant le texte originel qui ne peut être considéré comme une simple activité
ludique .Nous nous basons sur l’acception de la parodie comme forme de réécriture basée sur
le principe de fonctionnement inverse du burlesque qui modifie le style sans modifier le
sujet » alors que la parodie modifie le sujet sans modifier le style (…) et n’est sensible que
pour qui connait le modèle.1481Dans notre corpus, il s’agit de la parodie telle que définie par
Genette en tant que pratique trans-textuelle idoine qui s’attaque à la citation en vue de
détourner son contexte. Il s’agit donc de la subversion d’une comptine incontournable dans
l’imaginaire collectif qui en tant que forme littéraire assoit cette l’acception de la parodie
précitée comme détournement du texte originel de son contexte en l’orientant vers un autre
objet au prix pour une visée significative d’ordre politique et/ ou idéologique que ludique.
Dans Aigre-doux, dans la parodie de la comptine l’enfant do ! , l’énonciateur exprime
son souhait de rejoindre un bled - plus supportable que l’univers chimérique de ses
élucubrations- dont il est en mesure d’ironiser sur l’éclair de génie des Hauts responsables
propagandistes qui viennent de remplacer notre hymne national tant il est vrai que l’ancien
poème chanté était trop agressif, trop barbare (…) chantait la guerre, la mort, le sang et la
1482
gloire d’avoir trucidé l’ennemi. Les décisions prises par les décideurs sont placées sous le
regard sarcastique du narrateur qui se complait à démontrer les aspects à la fois incongrus et
pernicieux d’une décision gouvernementale qui n’a d’autre finalité que d’endormir le peuple
dans leurs bras protecteurs. Cette nouvelle ode bercée par une mélodie douce et psychédélique
sous la houlette du chef suprême du pays inocule insidieusement dans l’inconscient collectif
l’adhésion à leur propagande et l’acceptation de la pauvreté, du dénuement et de privations
1483
en tout genre : Dodo, l’enfant do ! (…) Vos vacances c’est pour bientôt !(…) Sur les murs
sales tu poseras ton dos ! Ton robinet n’aura point d’eau ! (...) Le pognon c’est pour ceux qui
volent le pot !(…) cette vie est celle d’un clodo !(…) pour le toit ce n’est pas tantôt(…) A

1481
Gérard Genette .Palimpseste, La littérature au second degré. Paris, Seuil, Poétique, 1982, p.35
1482
Aigre-doux, p.28
1483
« A ces bijoux que je ne t’offrirai pas ,à cette voiture que je ne conduirai pas , à ces vacances que nous ne
prendrons pas , à cette chemise que je n’achèterai pas , à ce morceau de viande que nous ne savourerons pas ,à
cette cigarette que je ne fumerai pas , à cet argent que je ne possède pas , je dirai pourquoi ça tombe toujours
sur moi …..et aussi sur toi », Aigre-doux, p. 30

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

plusieurs les misères ne sont plus des maux.1484Dans cette parodie, on a affaire à ce que
Genette appelle les parodies minimales où le narrateur reprend une complainte pour enfants
en subvertissant son contenu en vue de faire entendre à travers son énonciation une autre
source énonciative qu’il pose comme fallacieuse ,à la merci d’une idéologie de la doxa au
pouvoir et de sceller la légitimation de son argumentaire parodieur.
Dans On dirait le Sud, c’est une subversion non pas d’un genre de discours particulier
mais une parodie disqualifiant de ce qu’est devenue la société algérienne des années 2000.
C’est ce que Mati propose à travers l’épisode du zoo en folie lorsque Zaina enfonce la
pipe du narguilé bourré de chanvre au fond de sa gorge, les volutes de fumée dessinent un
immense éléphant rose qui la toise d’un la toise d’un regard penaud alors que ses deux
grandes oreilles ventilent l’air autour de lui 1485 .Pour elle, la bizarrerie ne réside pas dans ce
face à face avec un pachyderme rose mais dans le fait que ce grégaire se ballade tout seul.
Par la suite, elle est accueillie par un timide éléphanteau qui ne trouve pas mieux que
de tremper ses deux doigts et gouter la purée noire du pachyderme généreux 1486 qui défèque
dans son sillage ses excréments fumants. L’éléphant-man du désert lui présente son service
d’ordre composé de onze pachydermes dictateurs déguisés en drag-queen coiffés de
casquettes vert-kaki avant de lui faire découvrir son zoo en folie et de la demander en mariage
.1487 Elle découvre un monde absurde et hallucinant où des singes bondissant d’arbre en arbre
font des affaires juteuses avec des hyènes déguisées en végétariennes par kit main libre pour à
la fois téléphoner et se taper une branlette tout en ricanant, les lèvres retroussées sur leurs
longues dents cariées 1488,un univers de trafic de dope à des fennecs drogués , de vieux lions
drogués à l’opium nourris au petit lait de brebis et qui miaulent lorsqu’ils ont faim , de
gazelles habillées en hijab noir qui font le tapin en s’offrant au meilleur payeur parmi les
chimpanzés , les gorilles et le dirlo bouffeur d’excréments. Faire pénétrer le lecteur dans cet
univers à la fois absurde et tragi-comique d’un zoo en folie où les perversités humaines sont
inculquées aux animaux est une parodie de la vie réelle pour dénoncer en filigrane la réalité
d’une Algérie contemporaine d’une triste véracité de la condition humaine où la soumission
1489
est devenue un moyen d’accéder à un pouvoir dictatorial et arbitraire générant dans son

1484
Aigre-doux, pp.30-31
1485
On dirait le Sud, p. 102
1486
Ibid., p. 103
1487
-Si tu le désires, je peux faire de toi la première dame de mon royaume de bête. La reine d’ici .Tu sais,
Zaina, à la minute où je t’ai vue, j’ai presque oublié mes antilopes favorites, On dirait le Sud, p .107
1488
Ibid., p. 106
1489
Le dirlo ne se nourrit que des excréments de ses chefs .Lorsqu’il est devant eux, c’est à voix basse qu’il leur
parle et écoute attentivement leurs barrissements sans broncher. Ibid., p .107

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sillage renversements des valeurs et trafics en tout genre .Il ne s’agit pas de subvertir un genre
de discours particulier mais de marquer sa distance par une série de parodies .

4. Rhétorique de l’image

Il est indéniable que le lecteur ne manque à aucun moment d’être frappé par la
récurrence d’images terrifiantes et /ou lénifiantes qui se disséminent dans les romans de Mati.
En effet, les protagonistes en errance traversent des situations fictionnelles où l’horreur
fantasmagorique se dégage des hallucinations et élucubrations de leurs esprits tourmentés par
la prise continuelle de drogues diverses. Cette rhétorique de l’image participe en tant que
procédé du contrat implicite auteur /lecteur et justifie de la dimension ontologique d’un projet
scripturaire enclin à dire l’entité de l’Etre à travers la dualité aigre-douce de l’existence.
C’est la raison pour laquelle l’écrivain confirme sa rhétorique de l’image qui se
matérialise dans l’alternance de scènes narratives cauchemardesques insoutenables et /ou de
bonheurs et de rêves bleus à la limite du réel et du fantastique onirique pour illustrer l’aigre-
doux de l’existence. L’écriture devient le témoignage sur le passage inéluctable d’expériences
existentielles aigres, douloureuses et mortuaires de l’existence dans un univers
cauchemardesque où le désespoir, la folie et la souffrance poussés à l’extrême sont de mise
avant d’en savourer le bien-être et la douceur lénifiante de rêves bleus charriant l’amour dans
tous ses états .
Pour ce faire, nous présentons les principaux espaces textuels qui confirment cette
esthétique qui alterne l’effroyable et le lénifiant pour dire non seulement la dimension
ontologique de l’Etre consubstantielle à la dualité aigre douce de son existence et le tragique
avenir de la planète fomenté par l’anthropocentrisme et l’irresponsabilité de l’homme
incapable de faire fructifier son intelligence à bon escient.

4.1. Scènes narratives terrifiantes

Les romans matiens sont saturés à l’excès de scènes narratives insoutenables relevant
de visions hallucinatoires à la fois absurdes et /ou fantasmagorique des protagonistes en quête
d’eux-mêmes à travers la prise continuelle de psychotropes.
Dans Aigre-doux, l’effroyable apparait à travers les nombreuses hallucinations dont est
victime le personnage-narrateur dès qu’il se met à ingurgiter matin et soir des pilules au goût
acide qui, tout en lui rappelant les vapeurs de chanvre indien, obscurcissent continuellement
son esprit tourmenté. D’emblée, des fragments d’un étrange vécu enfoui se désancrent, lui

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font ressentir des flash-back renvoyant des images subliminales pleines d’effroi et
1490
d’anachronisme générant en son for intérieur un profond sentiment de peur et de
persécution :
Par peur, j’évite de sortir de chez moi et reste cloîtré dans ma chambre, refusant d’ouvrir
ma porte. A chaque bruit, j’ai l’étrange impression que des personnes méchantes sont revenues me chercher
pour me mettre dans le trou béant de mes effrayantes hallucinations, au milieu de ces loques jetées à terre, sur
des paillasses.1491

4.1.1. Songe de l’Amphore fracassée

Le narrateur halluciné se remémore le songe étrange et bouleversant d’une amphore


antique recouverte de fresques évoquant des scènes de vie et malmenée par les conquêtes du
passé et la voilà réduite en miette par des gens sortis de sa propre glaise. 1492 Cependant,
avant d’en arriver à ce triste constat, il effectue des incursions dans un monde onirique dans
lequel il se déplace avec une facilité déconcertante hors des contraintes des distances et du
temps. Franchissant d’une simple foulée fleuves et rivières aux relents délétères, il revoit de
pauvres harragas sur de frêles radeaux de Méduse se dirigeant vers leur inatteignable monde
chimérique. Puis, c’est en survolant les plaines et les monts des contrées médiévales, il
aperçoit des minarets-école gérés par des fous pharisaïques qui ont fait en toute impunité
main basse sur tout ce qui relève de la religion alors que les seigneurs de cette contrée
médiévale ne pouvaient plus contrecarrer leurs œuvres dogmatisées et terrifiantes .1493
Il est indéniable que cette terrifiante image de l’amphore fracassée est pour l’écrivain
un moyen de transmettre au lecteur son aversion pour les desseins de l’islamisme qui se
propageait dans la quotidienneté des algériens tout autant humiliés et réifiés aussi par les
suzerains et leur cour du pouvoir en place.1494Ce sont ces gens sortis de sa propre glaise, les
propres enfants de l’Algérie qui se sont attelés à fracasser cette fragile amphore qui symbolise
son pays l’Algérie.1495

1490
Je vois du sable partout, une fumerie isolée mais grouillante d’un monde fait de malades affalés sur des
nattes par terre et de médecins vêtus de blouses vert-kaki qui ne cessent d’enfumer l’atmosphère de cette
cabane, Aigre-doux, p. 15
1491
Ibíd., p .15
1492
Aigre-doux, p. 21
1493
Ibíd., p. 20
1494
Aucune volonté ne les animait, si ce n’est l’espoir de voir une calamité divine les libérer enfin , Aigre-
doux, p.21
1495
Je suis persuadé que cette contrée des leurres est mienne et je la revois dans mes sommeils dérangés par tous
ces habitants de mes nuits, Aigre-doux, p. 21

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Le clin d’œil au lecteur par la rhétorique de l’image de l’Amphore fracassée est non
seulement éminemment politique, mais vise aussi à le sensibiliser à cette Algérie meurtrie et
noircie par tant de malheurs, à cette amphore qui ne cesse, depuis la nuit des temps, de
recoller ses morceaux dans une agonie sans fin. 1496

4.1.2. Mains dans l’eau chaude

Après avoir rageusement épluché les légumes du panier, le narrateur halluciné les jette
dans l’eau bouillante du potage en se délectant de les voir bouillir dans l’effervescence du
chanvre indien. Les légumes souffrent profondément dans l’eau et les bulles d’air
bouillonnantes laissent échapper les plaintes et les gémissements de ces pauvres
plantes.1497Persuadé, par l’effet des barbituriques, que les légumes ramollies doivent être
retirées de l’eau bouillante, le narrateur y plonge ses mains et se met à crier : il faut les
sauver, il faut les sauver! 1498Avant de reprendre aveuglément ses pilules aigres-douces.

4.1.3. Vautours charognards

Des images cauchemardesques se propagent dans l’esprit tourmenté du narrateur


complètement halluciné .La première image terrifiante est celle d’un étrange banquet où il se
voit assis en face d’un homme éventré duquel pendouillait des viscères et des lambeaux de
chaire ensanglantée et dont le visage ressemblait étrangement au sien. La seconde image est
celle du narrateur entouré de deux vautours charognards à la tête déplumée et au sourire
narquois qui tournoient patiemment autour de lui en attendant sa mort pour festoyer de son
corps. Ce dernier a déjà compris que les deux lugubres charognards sont l’image de cette
lugubre et mortuaire fatalité déguisée en oiseaux de mauvais augure, aux griffes en forme de
faux1499qui attendent de banqueter une fois que la mort l’aura fauché.

4.1.4. Plèbe désespérée

Après avoir erré durant des heures dans la cité cannibale, il voit passer sur la chaussée
des personnes poussant lentement des caddies, le regard mort, perdu dans la contemplation
de leur charriot vide. Elles semblent mener une existence faite de flux et de reflux d’un

1496
Aigre-doux, p. 21
1497
Ibid., p .33
1498
Ibid., p 33
1499
Ibid., pp.76-77

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dégoûtant mariage, entre le burlesque et le sinistre. Le quotidien de ces gens-là a l’air


glauque, fade et sans souhait.1500
Par cette image d’une mégalopole cannibale qui mange ses habitants dans laquelle
débarque la personnage en quête de soi , le clin d’œil au lecteur qui ne peut que reconnaitre
la mégalopole algéroise est une aussi manière de dénoncer non sans ironie l’indécente lenteur
des travaux de son métro entamés depuis fort longtemps : Sur le trottoir d’en face, à la sortie
d’une bouche de métro toujours en chantier (…) un panneau affiche fièrement « Projet :
Métro de la ville ». Délais de réalisation : Fin des travaux ! » La pancarte ne dit pas quand
1501
ceux-ci ont commencé ; sûrement depuis très longtemps, à en juger par son délabrement. .
Effrayé par la misère de cette livide cité cannibale, la peur d’être confronté aux
regards blafard qui l’épient et d’y être emporté le taraude particulièrement .Dans l’immédiat
son objectif est de s’affranchir le plus vite possible de ce monde immonde gris-misère à
l’image à l’image de la couleur des maisons, des murs, des pauvres gens et des rats : Des
yeux, tapis derrière les rideaux des fenêtres , scrutent et jaugent mon impuissance à m’en
sortir de cette ville pourrie .Je sens des regards goguenards derrière mon dos ; je ne me
retourne pas pour les affronter, j’ai peur d’être happé par leur fatidique magnétisme et finir
1502
par me fondre en eux.

4.1.5. Bête immonde

C’est dans une nécropole, véritable capharnaüm funèbre, que le personnage errant
découvre cinq sépultures alignées en parfaite symétrie au pied d’un arbre - conteur dont il
tente de déchiffrer les yeux fermés ce qui est écrit sur son écorce. Il s’agit de l’authentique
histoire de ces cinq adolescents bourgeons de vie assassinés par une horde barbare de
terroristes islamistes dans la région de Boumerdès durant la décennie noire. L’image de cette
bête immonde qu’est le terrorisme islamiste est usitée pour dire que la bêtise et la barbarie
humaine n’ont pas cessé d’effrayer les algériens car depuis, nos cœurs meurtris ne peuvent
plus se taire quand la douce félicité se change en épouvantable horreur. 1503

1500
Aigre-doux, p. 107
1501
Ibid., p. 104
1502
Ibid. ,p. 117
1503
Ibid., p .124

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4.1.6. Histoire de rats

En sortant de la librairie B114, le bouquiniste gardien de feu le savoir, il fait le mort en


pensant cauchemarder incessamment dès sa prise de pilules au goût aigre-doux. Un surmulot
gris sort de son trou pour lui faire les poches .Le narrateur hallucine dans un monde où les rats
ont déjà envahi sa contrée reléguant l’espèce humaine au milieu des ordures et immondices
des bas-fonds de la ville alors qu’un immense cumulo-nimbus déposait sous la forme d’une
pluie acide et sèche composée de particules de cendre aux couleurs noires et violâtre, les
résidus que les cheminées de nos usines crachaient vers le ciel. 1504
La philanthrope espèce des gens d’en bas développait alors son instinct animal de
survie en prenant soin de se dégrader de l’intérieur feignant de ne pas voir les foyers de
corruption morale et intellectuelle instaurés par ses soins. Incapables de recycler leurs
déchets, les hommes pataugeaient des eaux encore plus sales, nauséabondes et nocives de
leurs égouts : Quelques centaines d’années plus tard, les écrits diront que les rats avaient
pourchassé les nuisibles gens d’en bas qui étaient devenus dangereux pour l’équilibre de
l’écosystème des mammifères rongeurs 1505.Cette image terrifiante d’un renversement des
valeurs où les hommes infâmes se sont révélés pire que les rats devenus vertueux illustre bien
la propagation de la déliquescence morale des sociétés humaines.

4.1.7. Parc épouvantable

Fatigué par son interminable voyage onirique, le narrateur s’allonge sur un banc pour
se reposer. De là, il se met à observer des enfants insouciants aux rires cristallins qui
gambadent au milieu des herbes folles et des épiniers du parc épouvantable et dont les parents
tristes et résignés prient pour une meilleure destinée à leurs progénitures. Sur les plates-
bandes du jardin, le narrateur halluciné assiste terrifié à ces jeunes gens aux yeux las et à
l’esprit bandé, (qui) arrachent de leurs mains nues les fruits de nopals pour les avaler
goulûment avec leur peau épineuse. Appréciant ce rituel masochiste avec une morbide
délectation, les jeunes se gavent de figues de barbarie dont les épines remplissent leur
bouche, leurs narines et leurs mains 1506 avant de s’écrouler par terre.

1504
Aigre-doux,p. 152
1505
Ibid.p.154
1506
Ibid., p.133

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4.1.8.Chérubin ensanglanté

Arrivé trempé jusqu’aux os et la peau lacérée par des grêlons aux arêtes saillantes dans
une bergerie sans moutons ni brebis, le narrateur décide d’y passer la nuit au sec sur une
meule de foin en guise de lit et de couverture. Un chérubin aux boucles blondes apparait
subitement et se met à tailler un crayon avec ses petites dents blanches jusqu’à ce que sa
bouche soit ensanglantée. Puis, au moment où il lui demande de lui raconter une histoire,
l’enfant mutant se met à bêler et lui décrire d’une voix monocorde le monde en
décomposition putride dans lequel les brebis mutantes carnivores traquent les hommes avec
une férocité et une cruauté viscérales et où des vaches cannibales mangeaient leurs veaux et
les broutards cruels bouffaient leurs parents pour s’auto nourrir. Le petit agneau endormi, le
narrateur se met à lire un morceau de journal qui traînait par terre et dont les titres n’étaient
pas plus rassurants que l’histoire du chérubin :
Rubrique fait divers :-le trou de la couche d’ozone ne cesse de s’élargir : toutes les crèmes
protectrices, bientôt ne serviront plus à rien. - Les saisons se font de plus en plus extrémistes,
l’hiver se fait revanchard et glacial : moins 51°C au Canada, il neige au Sahara. Les fleuves se
font volages (…) l’été se pare de cruauté pyromane : Hollywood flambe sous les feux (…) les
icebergs transpirent de chaleur .Quinze mille morts à Paris –Congelées, brûlées, noyées ou
étouffées, des milliers de personnes ont trépassé ces dix derniers jours.1507
Le message de Mati au lecteur est celui de la responsabilité des hommes vis-à-vis de la
nature qu’il tellement maltraitée que ce qui n’était qu’un adage est devenu réalité : (…) Bravo,
maintenant les poules ont des dents ! (..) une manipulation génétique aurait permis ce
miracle(…) Nous venons d’apprendre la triste disparition de la célèbre brebis clonée
nommée : Doly. 1508
Dans On dirait Sud , les scènes terrifiantes sont de mise dans le parcours épuisant et
halluciné de la jeune droguée qui a constamment été confrontée à des situations
cauchemardesques dans le désert des hommes où son manque d’amour l’accable
indéniablement. Dès son arrivée au point B114, Zaina subit brimades et humiliations de
coucheries infligées de la part de son compagnon Cro-Magnon à l’égard duquel sa haine ne
cesse de grandir en son for intérieur. Pour oublier le cruel désert des hommes et se consoler,
Zaina se drogue au cannabis et au chanvre indien en se soumettant au gargouillement du
liquide fumant dont les volutes évanescentes l’introduisent malgré elle dans un monde

1507
Aigre-doux, p.166
1508
Ibid., p.168

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cauchemardesque et fantasmagorique dont nous en présentons situations narratives les plus


marquantes.

4.1.9. Soleil pyromane

Sur ce damné sable qui cède sous ses pas, Zaina peine à avancer sous le soleil
pyromane qui torture et consume à coup de lance- flammes1509. Son corps ne suit plus, la
douleur est tellement forte qu’elle finit par s’immobiliser l’âme en peine pendant des heures
sous un soleil démoniaque : Lentement, à grand- peine, douloureusement, Zaina piétine, se
noie .Les membres finissent par abandonner. A genoux, les pieds tuméfiés, le cerveau réduit
en cendre, le cœur dépité, l’âme sanglotante.1510
Accablée par cette fatalité nuisible, la jeune femme aux yeux rouges de fatigue et de
pleurs vocifère1511, vocifère, pleure et jure avant de s’effondrer au pied d’une immense dune.
Elle soliloque dans un intime questionnement un miracle salvateur provenant du divin afin de
lui éviter une désastreuse destinée: Le désastre, et si c’était cela mon destin ? Mourir calcinée
par ces dards brûlants, pourrir au fin fond du désert. Pourquoi ? Pourquoi mon Dieu ? N’y a-
t-il pas une autre issue, une autre chance pour moi ? Putain de vie. 1512
Son corps s’alourdit, ses membres se figent, elle ne peut se mouvoir tant l’effort serait
douloureux sous les coups de boutoirs du soleil pyromane. Renonçant par orgueil à sa
féminité et convaincue de l’inutilité de se faire belle pour un primate qui viole sa beauté
quand il ne lui préfère pas la chèvre, Zaina se choisit une nouvelle image dévalorisante en
coupant ses cheveux à ras, en se faisant la boule à zéro pour exaspérer le primate au
détriment de son corps, de sa beauté et de sa féminité: Zaina s’accommode de sa nouvelle
image et s’accepte : maigrichonne, sale, rasée tel un bagnard. 1513

4.1.10. Songe de l’excision

Assise au bord d’une eau de chimère sous une colossale, puissante et effrayante voute
de céleste plombée, la jeune femme apathique se sent happée dans un long tunnel à la lumière
cendreuse débouchant dans une immense pièce vide sans vie. C’est dans cet accablement des

1509
On dirait le Sud, p. 36
1510
Ibid., p.36
1511
Ibid., p. 37
1512
Ibid., p.37
1513
Ibid.,p.65

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lieux qu’elle ressent une profonde envie de se rapprocher bruits d’un donjon duquel
provenaient d’étranges sons gonflés d’angoisse.1514
Tel un animal découvrant un lieu inconnu, elle avance à quatre pattes vers des créatures
éthérées qui la palpent en attendant que des dents pointues sortant des ténèbres essayent de la
mutiler, d’exciser son intimité pour en soustraire toute sa quintessence féminine, lui enlever
toute envie de vie.1515
La jeune femme se débat avec colère et détermination pour extraire ces spectres
invisibles de son esprit pour se réveiller avec du sang coagulé dans son ventre.

4.1.11. Antichambre de l’enfer

C’est au centre d’une vision apocalyptique d’un cumulonimbus dégageant une atroce
chaleur charriant un air vicié dans son sillage, la jeune droguée entend un étrange hurlement
et court en direction de la montagne damnée , cendreuse et pyramidale pour une
fantasmagorique ascension. Elle découvre alors des protubérances vivantes et incrustées aux
parois rocheuses, des caméléons dévots habillés de barbes hirsutes aux yeux globuleux qui
tentent de la gober avec leurs langues fourchues et glutineuses. Arrivée épuisée au sommet,
elle découvre une monumentale ziggourat surmontée d’un sanctuaire en forme de tour
noirâtre au moment où un effroyable hurlement de lugubres lamentations accompagne un long
et miséreux cortège de gnomes aux visages blafards qui avancent vers le mirador. Tous, y
compris Zaina, se prosternent devant un spectre barbu à la soutane noire et aux yeux rouges et
inquisiteurs qui entame une violente diatribe contre les nabots mécréants.1516

Cette terrifiante image de l’antichambre de l’enfer dirigée par un vaticinateur refusant


toute humanité et toute évolution dans la montagne des damnés constitue le clin d’œil de
l’écrivain au lecteur pour dire ce que serait l’asservissement de la société algérienne par un
projet de société islamiste fomenté par un prêtre machiavélique et sans aucune pitié.1517

1514
On dirait le Sud, p .77
1515
Ibid., p.77
1516
Il est surtout question d’abstinence, d’offrande, de servitudes, de sacrifices et de dogmes rituellement
immuables incontestables (…) il leur est rappelé que toute rébellion ou tentative d’évasion (...) serait punie du
pire des châtiments (...) et de croire rien d’autre que ce qui leur enseigné à coups de bâtons et de talions.
Amen .On dirait le Sud, p.119
1517
On dirait le Sud, p .124

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4.1.12. Tabassage en règle


C’est dans un capharnaüm orgiaque tenu par une matrone au visage bouffi que Zaina
débarque après avoir quitté cette oasis poubelle posée telle une crotte de chameau au milieu
de ce désert habité par des démons qui n’en finissent plus de faire leurs besoins là où ils
veulent.1518D’emblée insultée et fustigée par les pensionnaires du lupanar ensablé 1519 , elle se
rapproche du chef haineux et faux barbu qui la fixe d’un regard noir pour un duel optique
annonciateur d’un tabassage d’une rare violence à son encontre :
Zaina n’a pas vu le coup venir. La violence de l’uppercut l’envoie à quatre mètres (…) La face
éclate. Le sang gicle, de partout .Groggy, elle ne réalise pas ce qui lui est arrivé. Sa vue se trouble
et, dans son brouillard, elle voit la brute (…) lui donner un coup de pied en plein visage .Elle
essaye de cacher sa tête avec ses mains, mais trop tard, sa parade ne peut arrêter une savate
pleine d’os, de chaire, de muscles, et d’orteils aux sales et crochus qui atteignent la femme à la
joue. Une giclée de sang sort du coin de sa bouche en forme de rictus tuméfié. Zaina tente de se
relever ; un coup de genoux dans le plexus bloque sa tentative en même temps que sa respiration.
Elle suffoque, aspirée par un gouffre dépressurisé, la jeune femme s’agrippe au bas de la tunique
de son agresseur. Il la toise du haut de ses deux mètres de la même manière qu’on regarde une
mouche au fond d’un verre avant de l’écraser. Zaina retrouve difficilement ses esprits .Le visage
boursouflé, la bouche en sang, le souffle haletant.1520
Telle était sa manière de lui montrer qu’elle n’est qu’une femelle vulnérable faite pour
la culbute et /ou la dispute avant de finir sa sale besogne en urinant sur le corps gisant (…)
dans une mare de liquide jaune veinée de rouge .1521La dénonciation du statut de la femme est
sans conteste ce que l’écrivain exprime en filigrane par le truchement de cette terrifiante scène
d’un tabassage en règle de Zaina qui doit accepter d’être humiliée , faible , sale et vulnérable
et de confirmer qu’elle ne peut être qu’ une femelle dans un monde de mâles misogynes ,
phallocrates et dominants .

4.1.13. Paroxysme de l’aversion

C’est dans un décor lunaire et minéral sous une chaleur torride, où le Tout composé du
Rien lui-même assujettit au Tout, que l’exaspérée polytraumatisée découvre dans son errance

1518
On dirait le Sud, p. 127
1519
Elle apprend que sa mère l’a accouchée par derrière, que son père est un zombi cocufié par un bouc malade,
que son allure androgyne laisse plutôt croire qu’elle est une pédale (…) et que pour prétendre à leur
consentement, il fallait qu’elle s’entraine avant avec des pipes de narguilés .On dirait le Sud, p.129
1520
Ibid., p. 130
1521
Ibid., p. 131

440
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1522
cauchemardesque qu’elle est le centre de tous ces spots subliminaux qui gravitent autour
d’elle en lévitation :
Au paroxysme de l’aversion, l’œil dégurgite une purée verdâtre de gargouilles au visage hideux
(…) la jeune femme tremble (….) sent monter en elle une tempête physique, une boule
empoisonnée de fureur (…) se mord les lèvres jusqu’au sang, se griffe le visage et les cuisses,
vomit le peu qu’elle a mangé, tourne sa tête rasée au rythme de la rotation des rafales. Elle a
l’impression que quelqu’un est entré dans sa tête. Un sifflement aigu lui vrille les tympans, elle a
les tempes serrées et son front semble sur le point d’éclater (….) Elle vacille et tend les mains
pour empêcher le cyclone de l’engloutir, de l’emporter dans la spirale. 1523
Son calvaire n’est qu’à ses balbutiements, la boule de colère entame sa
métamorphose1524 en aversion pour la vie de plus en plus destructive concrétisée dans la
détestation de toute idée de bonheur en son for intérieur. La droguée se met alors à avaler le
chanvre indien par poignées, à en bourrer sa gorge, ses oreilles et ses narines pour ne pas être
violée par ses propres tourments et élucubrations. L’overdose bat son plein, la douleur est à
son comble et son corps se déchiquète avant que le fibrome, chair irascible, de sang
venimeux, s’extirpe brutalement de sa bouche, chassé par le cannabis.1525

4.1.14. Aliénation satanique

Certains jours, la schizophrénie de la désespérée se manifeste avec fracas en la


défigurant rapidement par de méchantes rides et des veines de son cou qui, tout en se tendant,
dessinent un rictus qui lui lézarde au tiers. Sa mue satanique1526s’accompagne d’une
cyclothymie en passant de l’euphorie à la dépression dans un hurlement démoniaque avant de
s’écrouler dans un sanglot persuadée que tous les incubes destructeurs du désert sont au
rendez-vous pour hurler dans sa tête. Voilà comment la démente du point B 114 ne cessait de
sombrer dans les abysses de sa propre aliénation satanique.
Dans LSD des visions apocalyptiques et terrifiantes accompagnent le parcours
onirique et hallucinatoire de Charles et Lucy avant qu’elle n’arrive à le convaincre de sa
prophétique mission de refondation de l’humanité - défigurée par l’anthropocentrisme de

1522
Des chiffons ensanglantés, des poupées nues, un avatar refusé (...) le primate (...) la brute d’ivrogne (…) les
crétins de fêtards (….) le gardien de la ménagerie (...) le tyran à la soutane noire (…) et tous les incubes qui
s’invitent dans ses rêves pour les rendre mauvais, On dirait le Sud, p. 144
1523
Ibid., p. 146
1524
Elle est là maintenant, sanguinolente, spongieuse dans la bouche (….) Elle la garde flottante et poisseuse
entre la langue et le palais (…) contre sa volonté(…) par peur (…) La forme sphéroïdale se transforme en
fibrome, un fœtus de gnome méchant .On dirait le Sud, p.146
1525
Ibid., p. 148
1526
Les doigts se cornent en crochets (…) Le regard hagard, les lèvres retroussées, le nez pincé (…) Seules ses
pupilles sautent d’une extrémité à l’autre .On dirait le Sud, p. 173

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l’homme devenu prédateur et arrogant par la science et les religions - au bord du lac Afar dans
un voyage à rebrousse-temps qu’ils effectuent ensembles. Témoin privilégié de l’évolution
d’un monde pollué et poubellisé , de sa création à son agonie dans une temporalité
cauchemardesque fixée en l’an 2051 , Charles Darwin est également en proie à des
hallucinations de soi où il assiste à l’éclatement de son visage et à l’éparpillement de son
propre corps flottant au centre de sa chambre dont le plafond en chocolat mou s’écoule sur lui
, le blanc qui se lèche pour devenir un bébé à la peau foncée et recouverte de duvet suçant son
pouce dans le tourbillon régressif du temps après avoir jeté l’ancre dans son vaisseau utérin ,
amarré à la mer du Commencement.1527

4.1.15. Pour une apocalypse

Dans son sommeil, les séquences oniriques et rapides mènent la guenon dans une
spirale temporelle désancrant et tissant les multiples liens au gré des millénaires entre sa
mémoire et le monde environnant. De l’état de plancton entrainé dans les courants chauds des
profondeurs abyssales en compagnie d’une multitude de minuscules êtres vivants, Lucy se
revoit surnager et manque désespérément d’oxygène alors que ses microscopiques acolytes ne
peuvent échapper à l’agonie programmée dans une vie hadale et terrestre qui meurt lentement.
Lucy se sent piégée, elle suffoque et se morfond dans une lourde obscurité alors qu’une sorte
d’oppression tyrannique lui compresse le torse, des mains invisibles, puissantes l’empêchent
de bouger, de se redresser. 1528Paralysée et souhaitant évacuer ce songe devenu subitement
cauchemardesque, la guenon est terrifiée par la récurrence d’images froides, instantanées,
immondes et figées d’un monde brouillon, pétrifié et mortuaire au goût fatal qui se détachent
de ses rétines pour pivoter et s’enrouler en cornet sous son regard inquiet:
Tout va très vite, elles se plaquent brutalement sur les yeux : chaleur oppressante ; poussières
nocives .Pluies de cendres ; air vicié .Ciel goudronneux sans oiseaux ; océans poisseux sans
poissons. Provisions de haines ; déchets cruels. Geignements de fantômes ; hécatombes
aveugle(…) Lucy piétine une masse vivante(…) le monde se défigure, son ventre est un charnier
ouvert. Une odeur fétide accompagne la putréfaction des corps flottant dans les entrelacs de ses
veines(…) des rivières de sans coulent sur des pépites d’or (...) des villes anthropophages aux
décors navrants (..) des humains courent dans tous les sens .Des hommes concourent à contre-
sens (…) Animaux affolés. Germes ravageurs .Maladies hideuses .Torrents de boue .Hommes
fous(…) prédateurs, novateurs. Ferveur vérolée (…) fracas de mots (…) fatras de maux. Guerre de
maux(…) vérité détournée, Nudités cachées, Peaux déchirées dissimulées (…) chaos spirituel,

1527
LSD, p. 86
1528
Ibid., p. 48

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Discordes religieuses, Désordre mental, Discours putrides dans une calamité environnementale
et rien d’autre .Rien ou plutôt Tout…pour Rien ….pour une apocalypse. 1529
En mai 1917, Lucy est Fatima la petite bergerette dont une révélation sous forme
d’une vision apocalyptique de l’Enfer, d’une grande mer de feu qui se régénère en se
consumant et où
… des braises transparentes plongeaient des âmes dans les flammes attisées par les démons .Des
formes humaines étaient soulevées et flottaient au milieu de l’embrasement .Partout, des nuages
de fumées opaques, des pluies de cendres urticantes .Des étincelles d’âmes encore vivantes
retombaient terrifiées, sans poids ni équilibre. Leurs cris tremblaient de frayeur, leurs
gémissements de douleur t de désespoir .Horrifiant spectacle .Tout autour de ce chaudron, des
apparences dégoûtantes, diaphanes et noires, des animaux épouvantables, inconnus dansaient au
1530
rythme des flammes.

4.1.16. Spirale de temps barbares

Le voyage onirique de l’australopithèque s’accélère qui vit des péripéties à lui


couper le souffle à Hébron où elle est accueillie par un vénérable patriarche s’apprêtant à
gravir une montagne dans l’espoir de sauver son peuple de la tyrannie en se dirigeant vers la
mer Rouge. Puis, Lucy traverse un cimetière et une oasis située sur les bords de la mer Morte
où une armée se prépare à la guerre sainte. Ballotée entre l’est et l’ouest tantôt au milieu des
1531
croisés, tantôt au milieu des musulmans, elle se retrouve esclave sur une galère
1532
constamment meurtrie, malmenée et torturée entre l’est et l’ouest et lorsqu’elle demande
une explication à tant à un tel traitement, on lui rétorque sans ambages : Pourquoi ? En voilà
une question ! T’as vu la couleur de ta peau ? Sauvage ! Et ça demande pourquoi ? 1533
Traversant la bourbe du temps de cette déportation négrière, la guenon se retrouve
nue et écrasée au milieu d’autres mille et cents déportés dans un camp de concentration où le
savon a une odeur inquiétante…où les dents sans bouches s’amoncèlent dans les cellules, où
les portes des douches sont celles de l’Enfer.1534Enfin, c’est en tournant les yeux en direction
du levant que Lucy la lycéenne assiste impuissante aux boules de feu plus brillantes que mille
Soleils générant des champignons atomiques qui plongent Hiroshima et d’autres villes dans

1529
LSD, p. 50
1530
Ibid., p. 101
1531
Lucy est capturée, enchainée, brutalisée, jaugée, comptée puis vendue (….) en mille et en cents .LSD, p. 45
1532
Elle en gardera les stigmates imprimés au fer rouge sur le corps. Son cœur et sa mémoire en resteront
malades à jamais, durant les mille et les cents tours que la terre aura effectués….parce que la couleur est
différente, Ibid., p. 46
1533
LSD., p. 46
1534
Ibid., p. 47

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un innommable enfer. Son calvaire ne fait que commencer au milieu de cadavres et de


décombres de chairs, de pierres, de cendres et de sang de bébés en pleurs et d’une cohorte de
fantômes blessés tenant leur peau décollée à hauteur de leur poitrine et titubant en traversant
le pont en file indienne dont la guenon en ferme la marche dans une incommensurable
douleur.1535
Il est indéniable que les images effroyables d’une guerre sainte entre chrétiens et
musulmans, de traites négrières d’Afrique, de camps de concentration nazis et au
bombardement atomique durant la seconde guerre mondiale corroborent le rejet de l’écrivain
de toutes formes de violences et rages humaines effectuées au nom d’une conquête, d’une
religion, d’une dictature fascisante et le constat du constat affligeant de la guenon incapable
de se dépêtrer de ce songe cauchemardesque révélant un siècle de dictature , de fracture, de
guerres et de nouveaux dieux ,(où) les gens semblent animés d’une rage de destruction sans
précédent ;(où) les nations s’affrontent les unes les autres de leur clergé respectif , affirmant
que Dieu est de leur côté ! 1536

4.1.17. Eparpillement de Charles

Charles tremble sur son lit pendant que son âme connait un chamboulement
physiologique. Il se sent tour à tour lit du fleuve, lumière et musique, dépositaire d’une pensée
libre et autonome, molécule qui meurt, kaléidoscope, chrysalide intérimaire et lie de son
liquide dans un instant fugace1537 .Ses paupières se soulèvent et sa tête se détache scrutant son
corps écartelé au visage éclaté au moment où les murs gondolent et le sol ondule en une boule
parfumée. Ses membres se séparent de son tronc, flottent au centre gravitationnel et
s’éparpillent dans la pièce qui prend la dimension du cosmos dans les multiples composants
du monde extérieur, physique, abstrait. 1538

4.1.18. Journal télévisé effroyable

Avant d’entamer ensembles leur errance onirique, Lucy suggère à Charles Darwin
d’appuyer ensembles sur le premier poussoir de la télévision .Charles se découvre avec
stupéfaction présentateur d’un journal télévisé présentant le spectacle d’un soleil qui se

1535
Les cheveux en partie brûlés, la peau décollée, la tête rougie ou noircie et gonflée (…) elle est torturée (….)
emprisonnée, violée, squattée, colonisée, parce qu’elle est différente. LSD, p. 47
1536
LSD, p. 47
1537
Le marc qui marque le lit, Ibid., p.84
1538
LSD , p .85

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couche sur le flanc d’une pyramide anthropophage sur laquelle se déversent des jets de sang
faisant fuir une population chétive , nue et mal en point.
Appuyant sur le second bouton, Charles se voit lui - même dépouillé et ensanglanté au
milieu de cette plèbe fuyante. Le ciel se met à miroiter la désolation - qui se propage sur les
autres flancs de la pyramide mangée au crépuscule par l’astre solaire qui l’éclairait le jour –
de sa capitale encore plus apocalyptique qu’il reconnait de suite :
Big Ben est noyé dans une masse aqueuse, tumultueuse. Seule l’horloge émerge. Les aiguilles
figées au-dessus du chiffre six ne bougent plus (…) l’eau de la Tamise continue de gonfler. Des
millions de personnes au regard hagard, déboussolés, malades et en colère manifestent autour des
usines : Politiques ! Halte au gaz carbonique ! Les cheminées répondent en crachant indolemment
les déchets rétroactifs.1539
Au troisième bouton enfoncé, Charles se retrouve matelot sur le pont d’un brise -glace
voguant sur un Antarctique rétréci s’ouvrant sur plusieurs millions de terre aride et stérile sans
glace où quelques manchots apeurés et figés attendent un miracle dans la cale du rafiot
rebroussant chemin cap vers le nord.
Au quatrième bouton-poussoir, Charles se reconnait parmi des millions de gens aux
yeux cataractés dans une mégalopole portuaire blasée et cannibale. Il est aussi le seul à voir
au loin des bateaux vomir des marées noires, à entendre gémir les coraux et l’agonie des
poissons dans une mer envahissante .Il imagine également une plèbe d’hommes et de femmes
qui sèment dans les sillons d’un humus artificiel et pollué des gènes modifiés qui donneront
les blés épineux, les nopals acides et les tubercules horrifiants, des tarentules géantes 1540et
manque de se faire écraser sur des autoroutes que d’autres continuent de bétonner sur une
campagne glabre et moribonde. Le spectacle cauchemardesque montre alors une foule fuyant
dans toutes les directions et qui se protège les mains sur le visage des moustiques fous
charriant l’ultime virus mortuaire de la terre nourricière.
Au moment où Charles se précipite sur le cinquième bouton, il se retrouve au milieu
d’êtres minuscules en suspension dans des eaux tièdes, parfois douces et parfois salées qui se
agonisent par manque d’oxygène .Charles arrive, tant bien que mal, à rejoindre une berge à la
nage et les décombres d’une forêt squattée par des vagabonds passant leur temps à adjurer au
lieu d’agir à bon escient. Charles se met à courir pour quitter ce lieu lugubre et pollué sans
papillons, chenilles ou bêtes à plumes au plus vite : il enjambe des rivières pesticides, évacue

1539
LSD, p.161
1540
Ibid., p.162

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les villes poubellisées, zappe les océans stérilisés, efface les pyramides anthropophages alors
que la procession mystique derrière lui implore la salut par ses infécondes prières.
L’ultime bouton s’est enfoncé tout seul, Charles se reconnait en présentateur du
journal télévisé du 06/06/2051 qui, d’une voix monocorde commente les mauvaises nouvelles
journalières internationales et recommandations diverses aux téléspectateurs :
Les mers gagnent du terrain, les plages reculent et les inondations côtières se fond plus fréquentes
…Ne sortez jamais sans votre gilet de sauvetage ! Rejets industriels et pesticides : le gaz
carbonique ne hausse sensible…(…) eau de pluie non potable (…) le prix de l’eau non pollué a
encore grimpé (…) le trou dans la couche d’ozone s’est agrandi de 20 mètres, les rayonnements
solaires sont toujours aussi nocifs. Attention aux brûlures superficielles, aux conjonctivites, aux
cancers et aux maladies du système immunitaire ! Protégez-vous des rayons ultraviolets ! Prenez
un parapluie (…) sur les côtes, risque d’apparition de nouveaux virus et propagation plus
virulente des anciens (…) Evitez les zones marécageuses(…) une véritable crise migratoire. Un
milliard de personnes migrent tous azimuts à la recherche de nourriture, d’eau propre, de verts
pâturages (….) Au dernier recensement, nous sommes plus de dix milliards d’habitants sur Terre
(…) il faudrait deux planètes Terre pour nourrir tout le monde (….) réduction drastique de la
fécondité des espèces, humaine comprise .N’utilisez pas de préservatifs afin de multiplier vos
chances de procréer (….) le sida fait des ravages :50 pour cent de la population est contaminée
(….) Tectonique des plaques – les tremblement de terre de la journée : Strasbourg , Londres ,
Pékin : 5,8 ; Alger , San Francisco , Ankara : 6,5 (…..) Religions : une nouvelle secte rassemble
plus de quatre millions d’adeptes à Rome (qui) demandent la révocation du patron de l’Eglise (…)
Dépêche de Jérusalem : Dieu punit les prévaricateurs ! Communiqué des Oulémas : probable
invasion d’un ennemi invisible, venant du fond des âges …de nos âges .Priez pour votre
pardon(…) Avancées scientifiques : clonages en masse de la volaille en Chine (…) Découvertes :
les cellules souches des poules clonées sont porteuses du virulent virus HX666(…)Economie :
Tarissement des gisements de pétrole au Sahara , aux Etats –Unis et dans la mer du Nord(….)
Ecologie et biodiversité :Inversion des courants marins et disparition massive du plancton ; la
dernière colonie d’abeilles s’est éteinte (…) la prophétie d’Albert Einstein remise sur le tapis :
plus que quatre années de sursis pour l’humanité(….) Guerres :La Chine vient d’envahir le Nord
de l’Afrique(….)Les Nations Unies s’insurgent (…..) Prévisions météo pour la journée de demain
(….) il risque de faire froid ou chaud .Pluies ,inondations , orages et tornades ou bien il va faire
une chaleur caniculaire , sécheresse , vents brûlants et feux de forêts partout où il reste des arbres
(….) il vaut mieux rester chez vous ! La situation demeure extrême et désespérée, la Terre se
dégrade de plus en plus (….) nous n’avons pas encore atteint le fond de l’abîme de nos actes. 1541
Cette terrifiante image de ce qu’il adviendra de la terre suite au comportement
irresponsable de l’homme qui, par anthropocentrisme, a enclenché le processus de destruction

1541
LSD, pp. 165-166

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de la terre permet à l’écrivain de pointer du doigt l’utilisation à mauvais escient de


l’intelligence humaine et la technologie.
Ces effroyables images annonciatrices d’une tragédie à l’échelle planétaire
fonctionnent comme un acte de langage perlocutoire destiné à persuader Charles et par-delà le
lecteur de la dangerosité de l’anthropocentrisme de l’homme qui a fini par tout annihiler en
s’autoprogrammant de la sorte.

4.1.19. Requin bleu et puzzle ondulant

Lucy révèle à Charles Darwin qu’il est en danger de mort car il est le pivot entre elle
l’australopithèque, symbole de ce qui fut, et ce qui sera c’est-à dire l’avenir de Gaia la terre
nourricière .A ce moment-là, Charles, tétanisé au centre de son studio, voit un requin bleu aux
dents pointues reniflant et effectuant des cercles concentriques dans l’obscurité.
Charles entend sa voix et celle de Lucy sortir de sa gueule sous forme de bulles d’air
qui éclataient en laissant se répandre des mots alors que Lucy lui parlait de sa mission , des
manuscrits de Qumran , de la vanité et de l’anthropocentrisme de l’Homme , qui mène
inéluctablement l’humanité sur les routes de la destruction. 1542 Charles hallucine encore et
remarque que les murs de son studio réfléchissent la musique et les paroles, des notes, des
chiffres et des lettres (…) fragments, puzzle, Gaia, chiffres, date, pivot, secret, fin du monde,
miroir, anagramme. Ces inscriptions se mettent à onduler sur cinq lignes horizontales
suspendues dans l’air qui prennent en définitive l’apparence d’une femme : celle de Suly
dansant en face de lui souriante, nue, évanescente, puis transparente. 1543Les cercles se
referment, le poisson carnassier disparait et la bouillie s’est aussitôt évaporée. Les meubles du
studio sont revenus à leur place .Tout semble être rentré dans l’ordre par fragments, tout se
solidifie : Charles est là, assis sur son lit. Lucy lui recommande de s’endormir, son voyage
n’est pas encore terminé : L’heure est venue .Rejoins- moi, Charles.1544
Enfin, des couleurs se mettent à peindre les murs de la chambre pendant que Charles
sniffant les dernières volutes de LSD n’avait aucune conscience qu’à ses côtés Lucy berçait
sereinement une coquille contre son sein gauche juste à côté de lui.

1542
LSD, p .176
1543
Ibid., p. 179
1544
Ibid., p. 180

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4.1.20. Mégalopole cannibale

Arrivé dans une mégalopole où des gens aux yeux cataractés déambulent, Charles
Darwin hallucine et voit des bateaux qui souillent la mer en y déversant leurs déjections
huileuses, fétides et nauséabondes alors que des agriculteurs sèment des gènes modifiés qui
donneront les blés épineux, les nopals acides et les tubercules horrifiants, des tentacules
géantes.1545Puis, sur une autoroute de folie meurtrière, il constate que des gens courent dans
tous les sens pour éviter des automobilistes fous et des insectes convoyeurs du dernier virus.
Charles évite même de justesse de se faire écraser. Même les grenouille écrasées sous
les pieds des fuyards, qui tout en se protégeant les mains sur le visage, coassent au diable leur
incommensurable dépit face à l’agonie programmée de la terre nourricière. Charles se met
alors à nager dans une rivière pesticide au milieu d’une flore agonisante pour rejoindre dans
les décombres d’une forêt maudite des vagabonds inactifs et enclins à de supplications et
adjurations infécondes et inutiles.

4.2. Scènes narratives lénifiantes

Dans Aigre-doux, les songes bleus du personnage en errance alternent de manière


systématique avec les images subliminales pleines d’effrois, d’absurdités et d’anachronismes
en tous genres.

4.2.1. Rêves de bonheur

Persuadé que devenir fou permettrait de solutionner le dilemme qui l’indispose, à


savoir faire le choix absurde entre se suicider et rester au point B 114 auprès de sa compagne,
l’esprit engourdi du narrateur est traversé par un songe aquatique matérialisé à travers une
écriture en italique : Au matin, en me réveillant ; il y a de l’eau partout dans la chambre, mon
lit ressemble à une barque voguant sur une mer d’été tranquille. Des poissons rouges se
prélassent sur mon tapis. Je trouve cela très joli ; des poissons qui nagent aux flancs de mon
1546
petit bateau ! Il se met à nager dans son studio B114 envahit par l’onde fraiche et
bienfaisante pour rejoindre la cuisine où la cafetière distille un arôme de café chaud et
délicieux. Puis, il exécute une cabriole acrobatique sur les mains sur le seuil de la porte,
déambule nu en compagnie de nudistes anonymes et heureux en direction de son travail où
ses bienheureux et sympathiques collègues lui offrent un pot dans la cafétéria. A la journée de

1545
Aigre-doux, pp. 162-163
1546
Ibid., p 45

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repos du lendemain, il invite sa pudique bien-aimée à festoyer sur l’herbe d’un jardin
embaumé de parfums évanescents pour lui déclarer sa flamme avant de reprendre sa céleste
escapade dans l’allégresse d’une discussion avec les hirondelles : Elles me gazouillent d’un
printemps aux journées belles, je les caresse pour les remercier. Elles s’envolent haut dans le
ciel, et me souhaitent bon voyage avec leurs ailes. Je vole en serrant les poings (…) je plane
(….) je me déplace très facilement, partout. Je suis dans une réalité où je peux voler. Ma
réalité.1547 Il en profite alors pour descendre dire bonjour à ses amis qui habitent une cabane
de l’autre côté du cours d’eau. Ces derniers l’invitent pour le dîner, puis à dormir avec eux sur
le gazon frais en compagnie de la lune et les étoiles. Au petit matin, réveillé par les chants
d’oiseaux, il fait sa toilette à la fraiche rosée avec des lapins et des escargots. Merveilleuse
journée en perspective ! En compagnie d’une grenouille verte qui lui coasse une belle
romance, il traverse la rivière sur un nénuphar jusqu’à la berge. Escaladant monts et vallées à
son retour au bercail, il converse avec des autochtones de tout de rien sans oublier de partager
le lait et le pain avant qu’ils ne lui offrent un bouquet d’edelweiss qu’il accepte avec une
émotion certaine. Sur le patio de sa demeure, sa chatte ronronne sa joie de le voir .Le
narrateur replonge dans l’eau pour retrouver ses poissons rouges et soliloque : Y a pas à dire,
je nage dans le bonheur !

4.2 .2. Gouttelette de plaisir

Se retrouvant sur une longue route asphaltée, le personnage en errance aperçoit au


loin, tel un mirage, une horde multicolore de casquettes et de silhouettes longilignes qu’il
intègre pour s’accrocher à une androgyne aux jambes interminables qui lui explique en
souriant le sens de cette course à pied : ils sont en train de remonter le temps dans le sens
contraire de la rotation de la terre : C’est la Marathon du Temps.1548
Le narrateur-coureur tente de suivre le rythme effréné de sa silhouette androgyne qui
lui conseille d’être patient dans les épreuves qu’il aura à subir dans le cheminement de sa
propre mue en ce qu’il y a de meilleur en lui. S’accrochant difficilement au rythme effréné de
l’androgyne, le narrateur émerveillé se sent aspiré par un tourbillon de sensualité ,
d’allégresse et de délectation lascive au moment où elle pose entre ses lèvres une minuscule
graine blanche sucrée et mouillée qu’elle venait d’extraire du devant de son short. D’une

1547
Aigre-doux, p. 46
1548
Ibid.,p.173

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mèche de cheveux, la gouttelette ruissèle sur le front, se glisse silencieusement entre ses yeux
pour épouser les contours de la saillie nasale de la silhouette attelée à retenir sa respiration.
Enfin, la goutte de sueur retombe sur son apex qui la repoussera sur son menton puis
le long de la gorge et du talweg de sa poitrine. Le parcours érogène de la gouttelette suave
s’effectue alors au rythme des spasmes et râles du narrateur en elle dans une intensité
charnelle voluptueuse et euphorique .Le couple fusionnel se fraie un chemin au milieu de
cette toison humide pour se fait happer par le plaisir de vagues endorphines et de rondes
évanescentes de bonheur.1549Le narrateur et la goutte de sueur suave ne font qu’une
pudibonde et coquine à la fois 1550 et parachèvent de concert le parcours érogène dans un
tourbillon de râles, spasmes et plaisirs.

4.2.3. Plénitude extatique

Dans ce tournoiement d’images, de voix et de visages familiers, la Délivrance, cette


femme au haïk immaculé, aux cheveux flamboyants et aux yeux émeraudes est proche de lui
et se concrétise en une fraction de seconde et en un fragment d’espace 1551 dans un silence
quasi absolu ; le narrateur est entrainé dans un long tunnel de lumière menant au milieu d’une
oasis de verdoyante et translucide. La sensation d’être dépouillé de sa chaire et de son corps
s’empare de lui dans une plénitude extatique .Il ne se sent qu’Amour dans la posture
singulière de l’innommable instant zéro, sublime, indescriptible et divin. Pour prendre vie
dans la chaleur de deux corps en se mouvant en compagnie de ses semblables spermatozoïdes
tous conscients qu’il ne doit en rester qu’un au milieu de la grotte, de la cavité naturelle, celle
du Tout et du Rien, de l’Homme et de l’univers, de l’Origine et du Recommencement.1552
Le narrateur-spermatozoïde perçoit enfin les préludes parfumés et savoureux de la vie
matricielle qui se désancrent et lui ravivent ses origines et ses racines profondes pour savoir
aimer et aimer savoir.1553Il est devenu ce fœtus qui se déploie dans une nouvelle dimension
spatio-temporelle, celle d’un nouveau cycle évoluant dans l’allégresse vertigineuse au milieu
d’un océan de sable. En paix avec lui-même, il se surprend dans un autre corps rajeuni,
glabre et lisse : celui d’une femme, à la peau glabre et lisse, heureuse de sa mue. On dirait le
Sud, regorge aussi de scènes narratives dans lesquelles la droguée du sibirkafi s’affranchit
systématiquement des élucubrations de son esprit tourmenté pour fluctuer entre une réalité
1549
Aigre-doux, p. 182
1550
Ibid., p. 182
1551
Ibid., p. 253
1552
Ibid., p. 259
1553
Ibid., p. 263

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aigre et un artifice doux. Ce sont ses voyages bleus et/ou céruléens1554que Zaina espère faire
et qui lui font oublier l’ennui et les cauchemars du point B 114.

4.2.4. Monde féerique

En posant les pieds dans ce qu’elle appelle mon monde véritable 1555, Zaina survole
lagons bleus et contrées aux aquarelles printanières dans un monde magique agrippée aux
ailes bleues avant de muer en papillon Arc-en -ciel , puis en un soupir extatique dans les bras
d’un amant qui dépose son cœur sur un nuage dans un décor azuré pour enfin tomber dans
une goutte de pluie fine et glisser sur la joue d’une jeune enfant apeurée par l’orage .1556
Puis, dans une ultime envolée, elle se retrouve sur une barque flottant sur l’eau claire
longeant des cocotiers disséminés sur des îles au trésor. Cette image du bonheur que lui
procure l’amour d’un amant dans un monde féérique est d’ordre ontologique s’inscrit dans
l’utopie puisqu’elle ne sait même pas qui elle, ni comment elle s’est retrouvée dans ces
contées de l’oubli et du désert des hommes.

4.2.5. Apparition fantastique

Au moment où le soleil diminue de sa flamboyance, son esprit s’apaise, son corps se


revigore dans un embrasement de coloris, Zaina est à la fois subjuguée et rassurée par un
éphèbe à la peau diaphane et au long turban translucide. La jeune femme se voit au milieu
d’un immense sablier de constellation d’étoiles entourées de planètes habitées par des êtres.
Une fois entrainées dans le bas du sablier, le processus inverse s’enclenche dans un
mouvement perpétuel rendant ainsi le plein de vide en vide plein que l’androgyne
luminescent définit comme la Roue de la vie où «chaque grain retourne d’où il vient , mais
jamais à sa position initiale. Il revient autrement, d’une autre manière, pour vivre une vie
métamorphosée et la finir aussitôt pour recommencer une nouvelle récurrence et ainsi de
suite.1557
Cette image plutôt lénifiante de ce processus où le vide d’en bas devient plein et le
plein d’en haut vide sous l’emprise du temps prend une dimension ontologique lorsqu’il le

1554
Tout ce que je sais, c’est que moi, la Zaina du Sibirkafi au point B 114, je me trouve en enfer et si je suis
heureuse ailleurs je ne le ressens pas, enfin des fois peut être dans mes rêves ou dans mes voyages bleus .On
dirait le Sud, p. 33
1555
On dirait le Sud, p. 34
1556
Ibid., p. 35
1557
Ibid., p .39

451
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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compare à celui de la vie qui mue les êtres pour apprécier et vivre leur vie, à chaque fois,
différemment.

4.2.6. Oasis paradisiaque

Neil, le naufragé du désert croit rêver devant la beauté de cette guelta plantée en plein
milieu d’un plateau de gré où une végétation luxuriante se dissémine dans une faune et une
flore édéniques : Une onde limpide et pleine de vie frémit sous la pression de la cascatelle,
réveillant ainsi une faune abondante, de barbeaux, de silures. Plusieurs types d’amphibiens et
autres oiseaux sédentaires y résident(…) des gazelles se hasardent pour s’abreuver.1558
L’ivresse ressentie devant la magnificence de la palmeraie s’intensifie lorsqu’ il
s’approche, le cœur en chamade, d’une jeune et belle targuie au corps élancé et musclé mirer
son juvénile visage aux traits racés et raffinés sur les eaux limpides du lac miniature et que
leurs yeux se rencontrent pour un long baiser en guise de salut. Neil sent dans sa bouche la
voix chaude et onctueuse de la femme à la peau scintillante dans affinité subite et
incontrôlée : Il en est chaviré. Beauté et hardiesse, moelleuse mixture bouleversante : cette
inconnue l’a embrassé en laissant trainer les lèvres plus bas, sur sa bouche. 1559

4.2.7. Songe érotique

La simple vue d’une petite dune au galbe sensuel et impudique provoque en


l’insatisfaite du point B 114 des sensations lascives et mélancoliques qui se traduisent
physiologiquement par des larmes aphrodisiaques et de doux vertiges .En effet, elle ressent
une soudaine envie de faire l’amour1560 , s’allonge et se contorsionne de plaisir au rythme
saccadé de ses cris suaves et plaintifs. Cette chorégraphie lascive et enivrante s’accomplit
dans la sérénité de pensées lascives et voluptueuses reflétant une sensualité accomplie et/ou
une satisfaction érotico-sexuelle.

4.2.8. Orgasme extatique

Lorsqu’Iness se rue sur le naufragé du désert, celui-ci tombe à la renverse alors que les
bras et les jambes de la targuie s’enroulent autour de son corps pour des combats amoureux
emprunts de convoitises et de détermination. Neil sent alors monter en lui une incontrôlable
1558
On dirait le Sud , p. 48
1559
Ibid., p. 49
1560
Une complaisante chaleur s’empare de son enveloppe charnelle, ses paupières pudiquement se baissent, sa
poitrine insolemment s’enfle et durcit, ses reins absorbants s’électrifient par de minuscules décharges, ses
jambes vacillantes fléchissent par tant d’éblouissement .On dirait le Sud, p.51

452
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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métamorphose érotique. Leurs corps à l’unisson se contorsionnent dans un tourbillon de


sueurs et de plaisirs intenses pour s’abandonner enfin à un orgasme hallucinant de jubilation
où tout est sueur et sens dans une mystérieuse félicité1561 : Ils sentent l’extase approcher. Ils
la retiennent un peu plus pour la transformer en démence orgiaque, en copulation initiatique,
en fin ultime, en sommeil éternel (….) avant de s’abandonner à l’unisson, étourdis à une
délectation inouïe.1562

4.2.9. Rêveries affriolantes

Envahit par l’espace désertique environnant et ne ressent plus rien d’autre que le néant
dans l’allégresse de nuits magiques dans le désert , Neil se sent ivre d’exaltation de ce vide
plein de bonnes choses enivrantes en buvant l’éther de la voûte céleste, caressant le friselis
des dunes , écoutant le chant du vent , visitant les constellations lointaines , s’accrochant aux
étoiles filantes pour traverser le temps et s’engouffrer vers le futur. Iness le rejoint à l’entrée
de la caverne pour une suave immixtion dans les rêveries affriolantes de son amant subjugué
par le spectacle infini offert par le désert et la voûte céleste déflorée qui s’ouvre à eux comme
un gouffre rempli de lucioles et par l’apparition onirique du songe quasi obsessionnel de cette
femme qui l’envoute : Par la pensée, il caresse son sourire énigmatique avec la brise
nocturne et avance de ses lèvres , tout hésitantes , pour y boire leur plaisir 1563 dans un désert
qui leur fait cadeau de mirages et fantasmes sublimes.

4.2.10. Songes lascifs

C’est parmi robustes hommes bleus du caravansérail que Zaina, la jeune invitée se
délecte de la sensation d’attirance mutuelle dissimulée et respectueuse qu’elle provoque chez
eux en se sentant enfin femme.1564
S’endormant sur le tapis au milieu des colosses aux tuniques bleues, elle matérialise,
use et abuse du charme qu’elle distille à leur attention .Et soudainement, l’homme souriant du
miroir surgit de ce songe, avance vers elle vers celle qui n’arrive plus à contrôler ses pulsion
dont l’intensité va crescendo jusqu’à ce que son corps se transforme en tamis qui laisse
échapper tous les désirs emprisonnés dans sa chaire. 1565 Elle en arrive même à confondre le

1561
Une sensation faite d’un mélange faite d’enchantement et d’euphorie inconfortable qui accompagne le
réveil après une relation charnelle déconcertante. On dirait le Sud, p. 59
1562
On dirait le Sud, p .59
1563
Ibid., p. 110
1564
Ils la traitent d’ailleurs comme une dame, Zaina est heureuse .On dirait le Sud, p. 221
1565
Ibid., p. 221

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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visage inconnu du miroir et celui de Mouloud qui s’évaporent subitement à l’unisson laissant
place à au néant et à la perplexité.

4.2.11. Mues et bonheurs

1566
Au point B 114, le désert entame sa mue lénifiante, mystique et parfumée
dessinant sur le sable des formes aux contours lisses et sensuels et sculptant la pierre en
d’insolites formes, en somptueuses tourelles de basalte, en sphinx et en animaux gigantesques
de grès .1567Zaina aussi s’est métamorphosée1568, même seule, elle a décidé d’être belle,
coquette et séduisante1569 pour enfin se sentir femme. En jouant merveilleusement du violon
devant l’auditoire animalier du sibirkafi1570, tout l’univers conspire à être heureux. Sa mue
est telle qu’elle cultive de nouveaux sens, de plaisantes euphories, de fraiches sensations
avant que les youyous de la bienheureuse ne distillent, avec discrétion, de l’espoir autour du
point B 114. Une muraille de lumière devient progressivement des hologrammes qui finissent
par se muer en aspects marchants qu’elle reconnait dans un état de plénitude et de
défaillance : des ondes délicieuses traversent tout son corps (...) Zaina tremble, Zaina pleure
sa joie, Zaina s’ébranle, tout ceci de l’intérieur(…) elle s’effondre à quelques pas de son
1571
fantasme, de ses attentes, de ses rêveries.

4.2.12. Ultime fusion des sens

Une fois réunies dans la cabane du sibirkafi, Iness et Zaina plongent dans une euphorie
concupiscente sous l’emprise du chanvre indien au moment où Neil a même la bizarre
impression que les deux femmes fusionnent et se met à les aimer toutes les deux : Je suis en
amour pour elles. Je suis. Dedans .En elles (…) Ma quête est arrivée à son terme.1572

1566
La brise parfumée souffle doucement, le soleil tempère ses ardeurs, la lune, secrètement, se fait pleine et
souriante, les nuages dansent langoureusement .On dirait le Sud, p. 249
1567
Ibid., p. 246
1568
Son corps s’épanouit et commence à prendre quelques rondeurs, bien placées .Ses cheveux, flamboyants de
henné ont un peu poussé .On dirait le Sud, p.248
1569
La jeune femme passe maintenant beaucoup de temps à prendre soin d’elle (…) Elle dessine le contour de
ses yeux de khôl, écrase de petites graines rouges pour étaler leur suc sur ses lèvres, se pare de vêtements
propres, se lave avec de l’eau parfumée aux feuilles de menthe .On dirait le Sud, p. 248
1570
Depuis quelques jours même les oiseaux sont de retour, les moula-moula se regroupent pour écouter Zaina
jouer du violon (...) un fennec (…) Timidement, le nouveau venu se glisse entre un mouflon et une gazelle (...) un
lézard aux écailles jaunes et au ventre blanc(…) se faufile entre les pattes d’un âne (...) de passage (...) rats de
sable, quelques scorpions (…) et une famille de scarabées heureuse .On dirait le Sud, p. 249
1571
On dirait le Sud, p. 253
1572
Ibid., p .289

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Dans LSD, les images de bonheurs et d’apaisement apparaissent pour clôturer la


pérégrination onirique de Charles et Lucy au bord du lac Afar, en compagnie de Rayane et des
Mouloud le chef des hommes bleus du désert.

4.2.13. Extase en Afar

Le lac Afar mue déjà en véritable Eden au rythme de la rotation de l’astre solaire
dépassant de peu ou un peu plus le zénith au moment où Charles et Suly débarquent sur l’île
de Wight en compagnie de la communauté Paix Verte et leur charismatique leader Rayane.
Les arômes de la forêt sont transportés jusqu’au lac luxuriant lac Afar par une brise
douce où les poissons sont nombreux, où les espèces sont les plus diversifiées, où l’air est si
lénifiant que l’existence se parfume de joie.1573
Lucy quant à elle sourit à l’embellissement de son corps et enfouit dans les eaux
calmes et fraiches du lac une coquille de noix de coco qui récupère une lampée de liquide
contenant des milliers d’êtres microscopiques. Se redressant sur son séant, elle présente le
réceptacle au liquide vivifiant à sa tribu et aux animaux appelant religieusement à ce que cette
eau originelle, purificatrice, généreuse et bienfaisante soit préservée. Lucy reste là face au lac
revivifié de milliers de poissons, appréciant le chavirement des esprits et le tournoiement des
feuilles des arbres par la brise parfumée .Son harmonie spirituelle avec la nature est totale
jusqu’au coucher du soleil.1574

4.2.14. Miracle génésiaque

Au moment où Charles s’endort, des milliards d’années scintillant au milieu de ses


paupières, pour rejoindre Lucy dans un léger roulement du temps menant à la lumière d’un
voile luisant et intemporel qui, tout en se propageant en délimite les eaux de cette terre
paradisiaque1575, il s’éveille nu en plein milieu d’une nature complaisante, variée et vraie. Un
pressentiment de naissance est ressentie en son for intérieur dans le décor édénique d’un
premier jour : Une genèse. Le matin lance, dans le ciel bleu pâle, une chevauchée silencieuse

1573
LSD, p. 146
1574
Cela dure toute une journée et lorsque l’astre du jour s’apprête à rejoindre l’horizon, les psalmodies
bercent encore la faune, la flore, le lac qui maintenant font chorale. L’Afar s’extasie dans l’espoir sans cesse
réinventé .LSD, p. 147
1575
Une terre qui met au grand jour une verdure ensemencée .Des arbres redonnant de nouveaux fruits s’élèvent
.Une brise soulève une fine poussière de terreau dessine des formes .LSD, p.148

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

de nuages rose chair, légers, poussés par la brise fraiche aux quatre coins de sphère céleste.
Le temps s’embellit et se réconforte dans ce spectacle génésiaque.1576

4.2.15. Ejaculat de félicité

Subjugué par le miracle génésiaque, accompagné d’une fragrance d’euphorie


indicible Charles se dirige vers le lac qui ondule, ivre de vie sous le zéphyr où il a rendez-
vous avec Lucy ou Suly pour une fusion sensuelle et vertigineuse dans un temps en élasticité,
dans un extase d’orgasmes partagés , un éjaculat de félicité , d’ensorcellement , de libération
des passions , d’odeurs indéterminées et de plaintes envoûtantes : Les spasmes chantent. Les
reins halètent. Les chaires s’enroulent, s’agrippent. Soubresauts incontrôlés. Corps embrasés
Tempêtes d’haleines chaudes. Tourbillons de langues, des dents, des bouches, des nez, des
1577
cheveux, des doigts, des mains et des jambes. Les seins seinent .Les bouches goûtent.

5. Erotisation du langage

Il est indéniable qu’un langage érotique se dissémine au cours de l’errance


hallucinatoire et chimérique des personnages matiens en quête de leurs identités dans le texte
de Djamel Mati. En effet, dans Aigre-doux et On dirait le Sud l’ érotisation scripturaire et
langagière se matérialise dans la récurrence de thématiques, de propos , postures et gestuelles
érotiques, lascifs et parfois lubriques adoptées par certains personnages tels que la délivrance,
cette femme à la peau laiteuse , aux yeux émeraude et aux cheveux flamboyant portant un
haïk immaculé que le narrateur appelle sa Délivrance et/ou la prostituée vulgaire et lascive
dont le frère raconte au narrateur le parcours chaotique et pathétique de sa sœur qui se
prostitue pour nourrir sa famille et les personnages de Zaina meurtrie par Cro-Magnon qui lui
préfère la chèvre et Iness la targuie qui en arrive à se faire répudier par les siens pour avoir
fait l’amour avec Neil, le naufragé du désert, dans l’oasis des hommes bleus perdue dans le
désert des sens. Ces deux femmes sont toutes deux en quête d’amour dans leur parcours
onirique censé les mener à donner un sens à leur existence dans ce désert des hommes ,
chacune amarrée physiquement et virtuellement à son propre point B 114.
Nous proposons l’analyse de cette érotisation de l’écriture selon ses récurrences à
travers les certaines situations narratives au sein desquelles les personnages féminins y
participent de par leurs propos, postures et gestuelles dans l’univers fictionnel matien.

1576
LSD., p. 184
1577
Ibid., p. 186

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

Dans Aigre-doux , l’érotisation du langage s’inscrit essentiellement par l’entremise de


la Délivrance symbole de la mort , de la pathétique prostituée , de l’androgyne à la généreuse
poitrine courant à rebrousse-temps dans laquelle il mue en une goutte de plaisir pudibonde et
1578
coquine coulant sous la fine couche de tissu de la culotte courte et moulante et enfin , en
s’incrustant dans une matrice nourricière et féconde aux senteurs érotisantes, humectées de
semences1579 qui lui donne envie de féconder une autre vie. Ce sont personnages féminins
rencontrés et espaces lubriques investis par le narrateur au cours de son errance hallucinatoire
qui participent de l’érotisation du langage dans les romans de Djamel Mati.

5.1. Délivrance

C’est ce personnage de la Délivrance qui influera de manière directe sur le parcours du


narrateur puisqu’elle est la mort inéluctable qui le mènera à se transmuter en ce qu’il y a de
meilleur en lui. D’emblée elle est présentée comme une belle femme voilée, aux cheveux roux
et aux yeux émeraude que le narrateur croise au purgatoire des misérables1580 et qui le
subjugue littéralement au point de partager sa couche la veille de sa mue en Zaina, la belle
camée désinvolte du sibirkafi dans On dirait le Sud.
C’est sur la place du marché d’une cité aux habitations peintes en noir que le narrateur
assiste malgré lui à deux convois mortuaires se rejoignant à sa hauteur et se fait accoster par la
femme vêtue d’un haïk blanc qu’il lui semble être de couleur noire dans une probable autre
vie .Le narrateur est alors subjugué par la beauté de cette femme grande et bien en chaire et
dont les cheveux roux siéent à la blancheur de sa peau et donnent plus d’éclat à l’émeraude
de ses yeux.1581
La femme aux formes parfaites a déjà posé ses lèvres humides sur son oreille et lui
raconte dans un baiser l’histoire du miel pour illustrer le goût à la fois salé et sucré de l’idylle
de ces jeunes amants morts sans s’être jamais rencontrés.
Enfin, c’est en s’apprêtant à dormir entre deux arbres qu’une présence glissant sur le
sable lui intime l’ordre d’ouvrir les yeux .La femme aux yeux émeraudes se tenait debout,
pieds nus, adossée à un tamaris en fleurs 1582avant de tomber subtilement son voile immaculé

1578
Aigre-doux, p. 182
1579
Ibid., p. 172
1580
Drapée d’un voile immaculé qui ne laisse entrevoir qu’une mèche de cheveux roux et de grands yeux
émeraude, elle se dresse fièrement derrière moi. Son haik rendait sa stature plus noble et plus belle .Aigre-doux,
p. 158
1581
Ibid., p. 202
1582
Ibid., p. 235

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

en lui souriant.1583 C’est en glissant quelques pas hésitants vers elle que la Délivrance l’enlace
tendrement par les épaules, lui susurre des mots inédits1584 avant d’embrasser
respectueusement son front et de se laisser aller à se découvrir mutuellement au rythme des
murmures lents et des caresses lentes du vent chaud1585. Langueur et tressaillement
caractérisent la fusion des deux avant qu’une boule de feu dans son ventre ne se propage dans
son corps. Cet ultime instant de bonheur aigre-doux attisant ses sens, le narrateur se délectera
jusqu’à son dernier râle du corps de la délivrance qu’il déshabille avec application :
Aveuglément, inconsciemment, je l’enveloppais alors délicatement de toutes mes mains, de tous
mes bras .Mes doigts inspectaient à tâtons les limites de son visage serein, de ses droites épaules,
de son dos ployant, de ses hanches enveloppées ; la femme posa sa tête sur mon épaule(…) La
boule dans mon ventre venait de s’attiser encore plus, réveillant ainsi tous mes sens.
Courageusement, mes mains se sont appliquées à déshabiller ma délivrance, la femme aux
cheveux flamboyants, en soulignant le creux de ses hanches, son ventre plat et la rondeur de ses
seins. Elle était belle(…) Elle se tenait debout, nue.1586
Le rêve du narrateur s’est enfin matérialisé sous la forme d’un voile1587, il vient de
partager sa couche avec la délivrance.

5.2. Prostituée

L’érotisation du langage passe aussi par l’entremise du descriptif de la prostituée que


le narrateur errant rencontre au cours de sa pérégrination onirique adossée à une longue
perche en bois au centre d’une mechta baignant dans un épais brouillard. La jeune femme
porte un bustier gris (…) largement échancré (qui) laisse échapper les deux seins dont les
aréoles sont à peine dissimulées par le chemisier à moitié déboutonné 1588et prend une posture
à la fois lascive et vulgaire alliée à une expression de soumission ou d’invitation qui indispose
un tantinet le jovial narrateur : le regard est vague , délicatement dirigé vers ma direction
(…) son maquillage fait ressortir des paupières gonflées ; la poitrine et l’entrecuisse, toujours
béants , offerts .1589

1583
La femme aux cheveux roux, à la peau laiteuse et aux yeux d’émeraudes avait le visage de toutes les femmes
que j’avais croisées, laissées, rêvées, lassées(…) et peut-être même aimées .Aigre-doux, p.236
1584
La délivrance me saisit(…) en me murmurant des mots que je ne réalisais pas connaître, Aigre-doux, p.236
1585
Aigre-doux, p. 236
1586
Ibid., p. 237
1587
Je suis encore seul, j’ai probablement rêvé. Sur le sol, le haïk m’avait servi de couche ! Je le plie en quatre
et le glisse sur mes épaules, Ibid., p. 237
1588
Aigre-doux, p .156
1589
Ibid.,p .156

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La prostituée ne lâche pas prise, se penche encore plus vers le narrateur et son
décolleté lui présente une paire de seins fermes et galbés qui contrastent avec la chétivité de
son corps 1590avant de fermer prestement son chemisier et de positionner son petit sac noir en
obstacle entre ses cuisses, déjà refermées, comme soustraire son invitation.1591

5.3. Parcours érogène

C’est sur une longue route asphaltée, que le narrateur s’accroche à une androgyne aux
interminables jambes en train de remonter le temps dans le sens contraire de la rotation de la
terre. Hirsute et loqueteux, le narrateur régule tant bien que mal sa respiration sur celle de la
marathonienne avec laquelle il forme une couple inédit. Profondément émerveillé l’insolite
expérience, le narrateur se sent aspiré par ce tourbillon de sensualité, d’allégresse et de lascive
délectation lorsque l’androgyne pose entre ses lèvres une minuscule graine blanche sucrée et
mouillée extraite du devant de son short. D’une mèche de cheveux, la gouttelette ruissèle sur
le front et se glisse silencieusement entre ses yeux pour épouser les contours de sa saillie
nasale, retomber sur son apex et son menton et terminer son parcours le long de la gorge et du
talweg de sa poitrine.
Le parcours érogène de la gouttelette suave s’effectue alors au rythme des spasmes et
râles du narrateur en elle dans une intensité charnelle voluptueuse et euphorique .Le couple
fusionnel se fraie alors un chemin au milieu de cette toison humide et se fait happer par le
plaisir de vagues endorphines dans cet autre point B 114 charnel , suave et sensuel .Les deux
êtres fusionnent en cette gouttelette de plaisir pudibonde et coquine à la fois 1592 dessinant
des rondes évanescentes de bonheur 1593 et se lovent autour de leur chaire voluptueuse et
sensuelle dans un tourbillon de râles, spasmes et plaisirs.
Enfin, le narrateur-gouttelette de plaisir prononce son ultime adjuration au divin avant
de prendre une forte dose de pilules aigres-douces : Mon Dieu, faites que ce soit la fin, je veux
partir sur cette petite goutte de plaisir.1594
Dans On dirait le Sud, l’érotisation du langage se matérialise à travers les postures et
gestuelles de Zaina qui n’hésite pas à faire l’amour avec une dune dans lascive chorégraphie,
à se promener nue pour attirer un éventuel amant de passage et à flirter avec Iness sous

1590
Aigre-doux, p. 157
1591
Ibid., p.157
1592
Ibid., p.182
1593
Ibid., p.182
1594
Ibid., p.184

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l’emprise du cannabis avant de sceller leur inédite relation en s’enlaçant avec tendresse et
ravissement pour l’éternité.

5.4. Lascive chorégraphie

Répugnée par son crétin de compagnon zoophile qui préfère enfourcher la chèvre1595,
la belle sait que ce qu’elle vit avec le primate ne peut être l’amour. Privée de ses instincts
voluptueux, elle rêve d’un soupir extatique et se retrouve par un ardant désir de faire
immédiatement l’amour avec une dune dans un moment crucial de sensualité et d’allégresse.
Pour elle, faire l’amour est un véritable privilège. C’est également ce manque d’amour dont
elle prend progressivement conscience qui va alimenter son envie folle et latente de fusionner
avec cette petite bute de sable sablonneuse :
Ses sens se dérouillent , s’excitent , s’accélèrent (…)Sans s’expliquer pourquoi ni comment , des
gouttes de sueur enguirlandent son front .Une complaisante chaleur s’empare de son enveloppe
charnelle, ses paupières pudiquement se baissent ,sa poitrine insolemment s’enfle et durcit ,ses
reins absorbants s’électrifient par de minuscules décharges, ses jambes vacillantes fléchissent par
tant d’éblouissements. La femme se dévêt prestement, s’allonge doucement sur le flanc de la dune,
pour mieux accueillir ces magnifiques et nouvelles sensations. Elle se laisse pénétrer lentement,
délicatement par des flux de ravissement ; les mains parcourent, explorent, découvrent et
chatouillent les intervalles creux et les espaces pleins ; la respiration saccadée, les lèvres
humides, entrouvertes offrent des sons et des cris suaves et plaintifs. La chorégraphie lascive se
prolonge, faisant durer le plus longtemps ces moments enivrants (…) Le corps se tortille, se
contorsionne de délectation au rythme effréné d’un souffle haché, passionné, étonné. Zaina, le
visage et les entrailles en flammes, geint jusqu’à exploser dans une euphorie inouïe(…) Elle venait
de faire l’amour avec une dune, avec son Etre. 1596
Elle sait à présent que ce qu’elle vient de vivre dans une sérénité sensuelle accomplie
avec le sable la fait soliloquer sur le fait qu’il lui sera impossible à l’avenir de vivre sans ces
moments extatiques , intenses et uniques : Quand on a connu l’extase , tout le reste ne peut
être qu’amertume. 1597 Zaina scelle alors sa relation inédite avec Iness par des flirts enfumés
où murmures, fous rires coquins et complices sont de mise1598 au moment où Neil les

1595
Répugnée, elle se souviendra à jamais du jour où elle le surprit en flagrant délit de délires pervers, la
pauvre bête qui a le malheur de cohabiter avec le couple faisait d’elle la seconde femelle du point B 114, On
dirait le Sud, p.25
1596
On dirait le Sud, p. 52
1597
Ibid., p. 52
1598
Zaina se lève en souriant. Elle prépare un narguilé sous le regard amusé de son invitée ravie(…) A la
première bouffée, les badinages des deux femmes redoublent d’intensité et suivent les courbures des volutes de
vapeurs épicées (….) Nouveaux éclats de rires .Le narguilé fume ; autres bouffées ; les deux femmes
bouillonnent ; des silences complices, des susurrements espiègles .Puis, des éclats de rire (…) encore des éclats

460
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

surprend dans un état à la fois lubrique et euphorique: Les deux filles, sous l’emprise de
chanvre indien et de cet étrange temps (...) il les trouve à moitié dévêtues, l’une danse, l’autre
joue de l’imzad. Iness se déhanche langoureusement et l’invite à la rejoindre.1599
Puis, au moment où Zaina rejoint sa couche persuadée que Neil va la rejoindre pour
partager avec elle, les plus beaux, les plus inespérés, les plus réels, moments de félicité, plus
onirique cette fois-ci , une ombre vient s’allonger derrière elle pour l’enlacer avec tendresse et
ravissement pour l’éternité au point B 114 : Une main douce et chaude se pose sur son ventre.
Zaina tressaillit de surprise, elle ressent tout de suite que c’est celle d’une femme(…) Iness
est déjà collée à elle (…) les deux femmes s’enlacent tendrement .Autour du cou d’Iness, un
coquillage s’entrechoque avec celui de Zaina.1600

Synthèse

Notre réflexion se veut initiatrice d’un élan réceptif d’une écriture nouvelle et
singulière , perpétuellement en quête de nouvelles esthétiques renouvelées à chaque fois, sous
des formes d’écritures différentes liées à la condition de l’être humain dans une stratégie
d’écriture qui relève du fantasmagorique , de l’hallucination et de l’onirisme . A notre niveau,
la réception critique des romans de Mati nous a permis de faire appel aux modalités et de
phénomènes linguistiques polyphoniques relevant de notre compétence rhétorico-pragmatique
supposant une activité de lecture fondée sur la théorie de la réception littéraire. Cette dernière
considère à juste titre le texte comme un support pour des interprétations qui varient en
fonction des contextes de réception 1601ou comme un réseau d’instructions permettant au co-
énonciateur de construire une interprétation.1602
C’est dans cette perspective théorique de la réception littéraire que la poétique de
l’œuvre ouverte d’Umberto Eco est prise en compte pour réinventer l’œuvre matienne comme
principe de création1603 en collaboration contractuelle avec l’auteur et matérialiser une plus-
value sémantique de pluralités de lectures.

de rires .Le narguilé bouillonne. D’autres inhalations ; les deux femmes fument .Des frôlements espiègles
interrompent les silences de connivence, Ibid., p.273
1599
On dirait le Sud., p. 273
1600
Ibid., p .290
1601
Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires. Paris, Armand Colin, 2010,
p.45
1602
Ibid., p .28
1603
Eco, Umberto. L’œuvre ouverte. Paris, Ed du Seuil, Points-Essais, p. 18

461
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Tel est le parcours de lecture nourrissant de la résolution des ambiguïtés1604 ou


énigmes1605 du texte doté d’un large éventail de possibilités interprétative que nous avons mis
en place pour débusquer l’implicite et parer le texte d’une indéniable lisibilité sémantique
puisque l’implicite se définit comme un jeu entre le dit et le non-dit, un jeu sur la frontière, il
est normal qu’il passe sans cesse d’un côté à l’autre. 1606
Considérant qu’il revient au texte d’organiser le cheminement du lecteur, nous
tenterons d’analyser cette modalité narrative qu’est l’intertexte entrelaçant constamment le dit
et le non–dit , les fragments de discours qui s’éclairent mutuellement en dialoguant par
diverses pratiques intertextuelles que sous-tendent les phénomène du dialogisme (Bakhtine) ,
d’intertextualité (Kristeva ) , d’hyper textualité (Genette ) - et qui se définissent , en tant que
phénomènes de réception dont il nous est revenu d’accéder comme faits et jeux de l’écriture
littéraire .
Le contrat implicite auteur /lecteur se matérialise alors par le truchement des types
transtextuels que sont la para textualité ou coprésence d’indices périphériques autour et à côté
du texte d’un texte extérieur qui l’encadre, le détermine et en conditionne la lecture
(épigraphes , titre, sous-titres ,préfaces, notes, maximes …) 1607 et l’intertextualité , dimension
incontournable de la lecture du texte littéraire définie par la présence effective ou implicite
d’intertextes mythiques, historico-religieux , paléoanthropologique , poétique et musical liés à
l’entité de l’Etre.
L’analyse du paratexte auctorial matien implique la prise en compte de catégories de
messages para textuels dont l’emplacement dans chaque roman n’est jamais anodin par le
truchement des façades , titres , notes périphériques (dédicaces et remerciements , avis de

1604
Eco définit sa poétique de l’œuvre ouverte par les ambiguïtés de l’objet-message décryptées par le
récepteur : L’artiste (…) ne peut ignorer qu’il travaille pour un récepteur. Il sait que ce récepteur interprétera
l’objet-message en mettant à profit toutes ses ambiguïtés. L’œuvre ouverte, Ibid., p .11
1605
Maigueneau explique le recours à l’implicite comme une invitation faite au lecteur ou au spectateur pour
résoudre ces petites énigmes, de combler lui-même les failles qu’ouvre l’énonciation peut être un moyen
d’établir une connivence avec lui. Ibid., p .306.
1606
Maingueneau, Dominique, Ibid., p. 307
1607
Dans son ouvrage intitulé Nouveaux problèmes du roman, Jean Ricardou met l’accent sur la pertinence de la
péri graphie qui détermine et conditionne la lecture du contenu diégétique du texte littéraire en considérant les
éléments du para texte comme une composante de cette stratégie que l’auteur met en place pour capter l’attention
du lecteur :Ce qui conditionne le texte , ce n’est pas seulement les conditions du hors-texte mais aussi l’exercice
de l’épi-texte (le titre)et même l’efficace de la façade (la première page de la couverture).Paris, Collection
Poétique, Ed du Seuil,1978,p.270

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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l’auteur , notes d’auteur1608 , récit péri graphiques 1609, épigraphes et citations , notes de bas de
page 1610, interviews et de la critique journalistique et éditorialiste .
Quant à l’intertextualité, le repérage et la description du jeu explicite des intertextes et
de leurs pratiques intertextuelles respectives passent par l’analyse des langages et intertextes à
l’intérieur même de la structure du texte dans échanges intersémiotiques1611 avec divers
intertextes mythique , paléoanthropologique , historico-religieux et poético-musical ayant trait
à l’entité de l’Etre par l’entremise de la citation , l’allusion, la réminiscence et de diverses
références intertextuelles .1612
Notre analyse a sollicité les notions de coprésence et de dérivation1613 , les pratiques
intertextuelles que sont l’intégration -installation et l’intégration-absorption - par la citation et
la référence précise et l’Intégration -suggestion par la référence simple, l’allusion et même la
réminiscence. Chaque intertexte propose à sa manière un aspect de l’entité de l’Etre et de sa
dimension ontologique à travers divers mythes1614cosmogoniques, eschatologiques1615 ,mythe
paléoanthropologique de l’origine de l’homme entre darwinisme et créationnisme, mythe
historico-religieux ayant trait aux religions abrahamiques judéo-chrétiennes et islamiques1616,
un intertexte poétique fondé sur la culture, l’histoire et la mémoire des Touaregs et une ultime
référence musicale essentiellement liée à la mémoire et culture musicale anglo-saxonne de
Charles Darwin. Jr référant au couple mythique qu’étaient John Lennon le fondateur des
Beatles et Yoko Ono, cinéaste, plasticienne et écrivaine japonaise, à Paul Mac McCartney
aussi fondateur des Beatles et des Rolling Stones. Enfin, c’est par le repérage de phénomènes

1608
NDA : Pourquoi faut-il encore s’expliquer ? On dirait le Sud, p.14
1609
Les lagons chimériques
1610
Jeux de langage, emprunts lexicaux au dialectal algérois, abréviations et interférences phonétiques
1611
Gignoux, Anne-Claire .De l’intertextualité à l’écriture. http://narratologie.revues.org/329
1612
Mon projet est de ne pas limiter la notion d’intertextualité à la seule littérature, mais de l’étendre aux divers
domaines de la culture. Elle peut être liée à l’émergence d’un autre langage à l’intérieur du langage littéraire ;
par exemple celui des beaux-arts et de la musique, celui de la Bible ou de la mythologie, ainsi que celui de la
philosophie, Mythologies et intertextualités. Genève, Slatkine, 1987, p. 15
1613
Selon Tiphaine Samoyault, les relations de coprésence et de dérivation font que la citation, l’allusion et la
référence inscrivent toutes la présence d’un texte antérieur dans le texte actuel. Elle précise que les pratiques de
l’intertextualité relèvent de la coprésence entre deux ou plusieurs textes, absorbant plus ou moins le texte
antérieur au bénéfice d’une installation de la bibliothèque dans le texte actuel ou éventuellement de sa
dissimulation , Ibid., p. 34
1614
Mircea Eliade, dans La Nostalgie des origines distingue petits et grands mythes : Il existe de grands mythes
et des mythes de moindre importance, des mythes qui dominent une religion et la caractérisent et des mythes
secondaires, répétitifs ou parasitaire, Paris, Seuil, p .128
1615
Récits originels et universels de la création du monde, du paradis perdu, de la régénération du monde et de
l’Apocalypse.
1616
Les manuscrits de Qumran ou le retour de Jésus, les Evangiles apocryphes de Marie-Madeleine, le tombeau
de Talipot, Le grand prêtre Caïphe, Les manuscrits du désert de Juda, Le secret de Fatima.

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polyphoniques1617que sont l’humour, l’ironie et la parodie complétant et/ou se substituant à


leur manière au sens littéral des énoncés en question nous a permis de nous introduire dans la
textualité matienne et en cerner la dimension ontologique plurivoque.

1617
L’ironie, l’humour, la parodie,

464
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Dans la première partie, nous avons cerné les procédés et mécanismes narratologiques
et énonciatifs de cette écriture atypique de la fantasmagorie qui se complait dans l’éclatement
et la discontinuité échappant à toute forme de généricité.
Dans la seconde partie, nous nous sommes attelés à l’analyse du discours ontologique
par le recours aux théories de l’énonciation, aux courants pragmatiques et à la linguistique
textuelle en vue de décrire le dispositif discursif qui se fonde sur la multiplication de scènes et
procès énonciatifs convoquant des thématiques d’ordre ontologico-existentiel à l’intérieur de
la fiction.
Enfin, dans la troisième partie, nous nous sommes penchés sur l’activité interprétative
de lecture et la réception du corpus matien à partir des stratégies scripturales - le para texte et
les intertextes mythique , paléoanthropologique , historico-religieux et poético-musical par
l’entremise de la citation , l’allusion, la réminiscence et diverses références intertextuelles
1618
- que l’auteur déploie pour dire cette parole ontologico-existentielle de l’entité de l’Etre.
Telle a été notre réflexion - sur les plans narratologique , énonciatif, celui de la
réception critique et des stratégies d’écritures- faisant appel aux savoir sacré et /ou profane
ainsi qu’à l’imagination du lecteur pour suppléer aux différents manques du texte - par
l’analyse de l’interaction du discours ontologique et d’une écriture de l’hallucination, du
délire, de la fantasmagorie et de l’onirisme.
Djamel Mati joue un rôle prépondérant dans l’avènement des nouvelles écritures
algériennes contemporaines. En effet, son écriture aussi singulière et originale soit-elle rend
compte avec acuité de ce qu’est devenue la littérature algérienne des années 2000
pratiquement jamais séparable d’un contexte politique particulièrement complexe et chargé.
Ces nouvelles écritures qui ont suivi celle de l’urgence censée refléter avec fidélité la
quotidienneté de l’horreur vécue dans sa chaire par le peuple algérien durant la décennie noire
s’inscrivent dans l’optique d’une nouvelle esthétique du sens, d’un nouveau souffle du roman
algérien.1619 Djamel Mati fait justement partie de ces écrivains de l’après- urgence qui

1618
Mon projet est de ne pas limiter la notion d’intertextualité à la seule littérature, mais de l’étendre aux divers domaines de la culture. Elle
peut être liée à l’émergence d’un autre langage à l’intérieur du langage littéraire ; par exemple celui des beaux-arts et de la musique, celui
de la Bible ou de la mythologie, ainsi que celui de la philosophie , Mythologies et intertextualités. Genève, Slatkine, 1987,
p.15
1619
Mokhtari, Rachid a utilisé cette expression dans son essai comme suit : Après donc une livraison de
témoignages romancés sur l’horreur terroriste, les écrivains(…) ayant publié à l’orée de l’an 2002 ont hérité de
Tahar Djaout ce souci premier de l’esthétique du sens, surtout de la mise en forme, de son renouvellement. Car
de là naît la signification, le renouveau du sens ».Le nouveau souffle du roman algérien, essai sur la littérature
des années 2000, Alger, 2006, p.19.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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participent activement à cette nouvelle architecture de l’esthétique de la forme, véritable


espace d’écriture, de réflexion, du dialogue, de métissage et de croisement permanents qui
permet à la littérature algérienne de continuer son expansion dans l’hybridité, de se
revendiquer d’un universel auquel tend l’humanité dans le monde actuel.1620
Djamel Mati élabore une nouvelle forme de narration où se cherche une identité qui
puisse s’affirmer et se retrouver son sens sacré de l’existence. Cet écrivain entre résolument
dans une problématique scripturale qui pose les jalons d’une organisation signifiante qui- tout
en déployant au récit un dynamisme nouveau dans un univers diégétique fantasmagorique-
privilégie l’interrogation ontologico-existentielle de l’entité de l’Etre.
Quels sont les fondements scripturaires régissent l’écriture fantasmagorique matienne
consubstantielle à une parole ontologique de l’Entité de l’Etre qui s’y dissémine
indéniablement.
Les fondements narratologiques de la poétique de la transgression se présentent
comme suit :

1. Espace d’une poétique transgressive, de libération des formes et des sens.

L’écrivain élabore une forme de narration qui met en place des passerelles d’une
nouvelle poétique scripturale par une instance narrative- répartie entre différents protagonistes
errants dans leurs espaces- déserts respectifs -démultipliant à l’extrême les points de vue par
l’intrusion de procédés narratologiques1621 qui, tout en échappant à la norme pour
circonscrire la vision morcelée d’une riche et complexe irréalité fantasmagorique diffractée ,
suggèrent un autre ordre de signifiance .
L’univers fantasmagorique fictionnel apparait sur le plan narratologique comme un
espace de libération des sens et des formes qui se caractérise par la discontinuité,
l’introspection et le caractère puzzle et débridé d’un projet scripturaire de nature
philosophico-ontologique en rapport avec l’entité de l’Etre.

2. Espace fantasmagorique d’interrogation de /et sur soi.

Avec Mati , nous sommes en présence d’une écriture du délire et de la fantasmagorie


déchirée dans son mode d’énonciation et éclatée dans sa logique narrative parfois
labyrinthique au gré des élucubrations d’esprits fragiles et tourmentés de sujets en quête

1620
Bendjelid, Faouzia .Le roman algérien de langue française, Alger, Chihab Editions, 2012, p 100
1621
Enfilage de récits seconds disparates dans Aigre-doux, alternance de récits fantastiques abymés dans On
dirait le Sud et dissémination fragmentaire d’une narration-puzzle dans LSD.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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d’eux-mêmes dans des spatialités continuellement à la limite du réel et de l’onirique .Cette


écriture est également révélatrice d’une manière de vivre et de penser d’êtres hallucinés- en
quête de l’ascension de leur âme- qui prétendent , chacun à sa manière, à l’avènement de soi -
que la quête du sens travaille sans relâche dans la fiction matienne- dans l’aspiration à la
plénitude et à la totalité de l’Etre à travers les questionnements existentiels en relation avec la
dualité de l’existence, le concept de libre arbitre, le relativisme du pire, le rejet d’une vision
moniste de l’existence, l’anthropocentrisme et la corruption morale de l’Etre.

3. Espace d’intériorités de l’Etre, du discours amoureux, du discours du divin, du


rapport de l’être au temps et de la mort comme vérité ontologique.
Lieu d’interrogations sur les origines et le devenir de l’homme , à travers les
questionnements inhérents aux quêtes respectives des personnages emprunts à la prise
systématiques de drogues, l’écriture matienne des cabales hallucinatoires des personnages en
quête de leur propre vérité se caractérise par la conjonction des expériences de l’Amour, du
Divin , de la Folie et de la Mort fondant le geste scriptural et rapportées dans le registre d’une
ascèse ayant trait à l’entité de l’Etre et à l’acquisition d’une existence ontologique.
Les stratégies du discours ontologique se fondent sur des mécanismes énonciatifs1622 ,
procédés et manipulations langagières permettant le recours à l’illustration par des situations
narratives, scènes et procès d’énonciations.
Dans Aigre-doux, la parole ontologique est prise en charge à la fois par un narrateur,
instance discursive première et par ses adjuvants chargés de baliser son errance jusqu’à
l’aboutissement de sa quête. Les récits disparates s’enfilent au gré de l’errance du narrateur
instance discursive première se dédoublant par le truchement de glissements énonciatifs d’un
discours rapportés à l’autre.
Dans On dirait le Sud, cette parole s’installe par une polyphonie énonciative que
d’incessants débats internes, entre personnages évoluant dans des mondes parallèles, auxquels
se greffent les discours rapportés sur la polysémie de l’amour des êtres et celui du divin
,l’aigre-doux de l’existence par d’autres instances chargées de baliser leur errance entre
réalités et chimères jusqu’à l’aboutissement de leur errance au point B114 .
Enfin, dans LSD, ce sont les échanges conversationnels relatifs à l’anthropocentrisme
de l’homme depuis que la création du monde, de son anthropocentrisme qui a tellement
1622
Modalisations autonymiques (italiques et commentaires de l’énonciateur) / Relations d’intersubjectivités
relayant les voix énonciatives du discours ontologique /Discours rapportés incluant vocatifs, injonctions,
énoncés appréciatifs/Verbes d’état et construction anaphoriques génériques relayant le point de vue de
l’énonciateur./Coexistence et glissement d’instances énonciatives /Discours rapportés de vérités générales .

467
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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l’Humanité et sa terre nourricière, à ses rapports au divin qui, à son tour s’érige en instance
discursive entérinant l’évidente certitude de sa transcendance. La finalité étant de refonder
une nouvelle humanité sur des bases plus spirituelles

4. Espace de construction du sens par habillage périphérique fantasmagorique,


intertextes et ludisation du langage.

Il s’agit de l’activité interprétative de lecture et la réception du texte à partir des


stratégies scripturales que l’auteur déploie pour dire cette parole ontologico-existentielle.
Tous ces éléments relevant de la compétence rhétorico-pragmatique relevant de la
1623
pragmatique et des théories modernes de la réception préoccupées par l’activité de
construction du sens et l’interprétation ultime de l’énoncé à partir d’indications para textuelles
d’un habillage périphérique de délire et de la fantasmagorie , d’intertextes mythique ,
paléoanthropologique , historico-religieux et poético-musical relatifs à l’entité de l’Etre par
l’entremise de la citation , l’allusion, la réminiscence et diverses références intertextuelles 1624
et de phénomènes polyphoniques1625 qui , tout en se substituant singulièrement au sens littéral
des énoncés permettent de s’introduire dans la textualité pour en circonscrire la dimension
ontologique plurivoque. Mati pratique une écriture à la fois ludique et tragique (qui) donne
libre cours aux fantasmes les plus enfouis, les plus débridés des personnages (…) n’ayant de
message à transmettre que leurs propres doutes, leurs propres interrogations.1626

5. Acte illocutoire de foration de la condition humaine

1627
A l’instar d’autres écrivains algériens qui réfléchissent au sens à donner à l’acte
même d’écriture dans une recherche esthétique consubstantielle à l’entité de l’Etre et dans son
souci premier de recherche du sens , de sa mise en forme et de son renouvellement ,

1623
C’est dans cette perspective théorique de la réception littéraire que la poétique de l’œuvre ouverte
d’Umberto Eco est prise en compte pour lire l’œuvre matienne comme principe de création1623 en
collaboration contractuelle avec l’auteur et matérialiser une plus-value sémantique de pluralités de lectures
1624
Mon projet est de ne pas limiter la notion d’intertextualité à la seule littérature, mais de l’étendre aux divers domaines de la culture. Elle
peut être liée à l’émergence d’un autre langage à l’intérieur du langage littéraire ; par exemple celui des beaux-arts et de la musique, celui
de la Bible ou de la mythologie, ainsi que celui de la philosophie, Mythologies et intertextualités. Genève, Slatkine, 1987, p. 5
1625
L’ironie, l’humour, la parodie,
1626
Mokhtari, Rachid. Le nouveau souffle du roman algérien .Essai sur la littérature des années 2000. Alger,
Chihab Editions, 2006, p .88
1627
A ce propos Bendjelid Faouzia précise à juste titre que les écrivains interpellent également des espaces
divers qui s’ouvrent très souvent à une réflexion sur la condition humaine, sorte d’un élan existentiel qui
s’infiltre dans les fictions réservant une grande place au discours méta diégétique et à la réflexion sur l’écriture
.Le roman algérien de langue française. Ibid., p. 84

468
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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Djamel Mati est un romancier avant-gardiste de par son écriture - acte d’illocution
novateur- faisant continuellement appel à la complexité existentielle des multiples facettes de
son for intérieur .Chez Mati le discours ontologique travaille le texte et poursuit
l’archéologie de sa propre dimension en rapport avec l’entité de l’Etre et la condition
humaine pour faire aboutir les quêtes existentielles de ses protagonistes. Selon Jean-Michel
Adam, la multiplication de l’instance énonciatrice d’un sujet désormais (...) en procès 1628,
nous partions du principe que le discours ontologique s’installe dans une polyphonie
énonciative qui , tout en récusant les conventions du roman de l’urgence, fait en sorte que le
roman devienne l’espace d’un dialogue intériorisé d’une polyphonie savamment orchestrée
par une diversité de langages charriant voix plurielles et contenus ontologico-existentiels .Le
texte matien devient cet outil de foration de la condition humaine marginalisé détenteur d’une
fonction sociale et d’un mode de connaissance de soi1629 charriant dans sa singularité
scripturaire de profonds et intimistes questionnements métaphysiques qui s’ouvrent à une
réflexion sur la condition humaine.

6. Espace de déplacement générique et de distanciation dans les nouvelles écritures

C’est dans ce cadre de cette nouvelle esthétique du sens et de déplacements génériques


1630
qui n’ont cessé de marquer la littérature algérienne d’expression française que les romans
de Mati marquent une distanciation au sein même de cette sphère des nouvelles écritures
algériennes consécutives à celles dites de l’urgence privilégiant l’inscription en en temps et
en lieu de ce Grand Massacre , le fixant , effigie sur un palimpseste de sang.1631
L’émergence d’une écriture aussi novatrice dans un espace social et culturel algérien
s’avère problématique et nous amène à situer son écriture plutôt méconnue dans le champ de
la réception critique universitaire algérienne et du lectorat francophone habituel.
Si les nouvelles écritures algériennes sont avant tout une rupture avec celle de
l’urgence et de la banalisation de la violence islamiste censée refléter avec pointillisme

1628
Adam, Jean-Michel .Linguistique et discours littéraire , théorie et pratique des textes. Paris, Collection
Larousse, Univ 1976, p.334
1629
Cette expression est usitée par Magani Mohamed cité par Mokhtari Rachid dans son essai intitulé .Le
Nouveau Souffle du roman algérien. Ibid. 13
1630
Cette formulation est de Charles Bonn qui précisait ce concept de transfert ou de déplacement générique de
la littérature maghrébine francophone qui n’a cessé de se métamorphoser en s’adaptant à chaque fois à l’espace
culturel d’accueil. Dès lors, déplacé dans un espace qui ne l’a pas vu naitre et où il rencontre d’autres formes
d’expression, il développera avec cet espace allogène(…) y entrainera de profondes modifications du
fonctionnement littéraire. Bonn, Charles. Echanges et mutations des modèles littéraire entre Europe et Algérie.
Paris, L’Harmattan, 2004, p.6
1631
Mokhtari Rachid .Le nouveau souffle du roman algérien .Essai sur la littérature des années 2000 .Ibid., p.11

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

l’horreur vécue au quotidien et dans sa chair par le peuple algérien, le texte devient
témoignage d’un passage de formes à formes, de cultures à cultures, de genres à genres et se
pose comme l’espace d’un renouveau, d’un nouveau souffle du roman algérien en quête d’une
nouvelle esthétique du sens s’ouvrant à une réflexion sur la condition humaine.
Considéré comme un écrivain parfois difficile, absurde voire incohérent, cet écrivain
pratique une écriture fantasmagorique en quête d’une esthétique littéraire sous-tendue par un
projet scripturaire novateur et/ou avant-gardiste qui se singularise en se distançant au sein
même écritures algériennes contemporaines.
Au final, nous dirons que l’œuvre de Djamel Mati ne peut être un objet esthétique que
l’on apprécierait en toute sérénité comme la synthèse d’expériences oniriques vécues dans des
mondes absurdes, insensés et extérieurs au lecteur. Mais il n’en demeure pas moins que la
violence avec laquelle il nous sollicite n’a d’égale que celle qui a insufflé au matériau
langagier l’aigre-doux de l’existence à travers diverses expériences de l’Amour qu’il soit
instable , coupable , platonique, extatique , interdit et absolu , de furtifs moments de bonheur
et de songes bleus hallucinés, explorant le seuil de la folie normale, repentante et/ ou à
raisonner, celui de la mort et de sa relation humaine au divin dans la sagesse et la
contemplation après avoir goûté à l’aigre de l’existence .
Lire Mati n’est pas de tout repos car c’est vivre l’errance d’une quête existentielle dans
des situations narratives invraisemblables et étranges déployant la dimension fantastique de la
fiction1632 et traduisant l’éclatement d’un je écartelé que charrie une écriture fantasmagorique
affranchie d’un dire exclusif de l’identité algérienne. Son écriture fantasmagorique se
singularise par le fait qu’elle n’a guère besoin d’un espace géographique et d’enjeux
politiques et historiques lesquels s’appuieraient sur les dynamiques de décolonisation, de
crispation identitaire et / ou d’opposition aux pouvoirs en place pour s’exprimer et être
reconnue . Néanmoins, cette primauté de l’imaginaire n’empêche pas l’écrivain de construire
la narration sur un parti pris politique et /ou idéologique renvoyant dos à dos les pouvoirs en
place et l’obscurantisme islamiste dans l’Algérie contemporaine.
Une avalanche de situations ubuesques s’ajoute aux phénomènes hallucinatoires,
incongrus ,étranges et inexplicables qui s’égrènent au gré de rêveries tantôt effroyables, tantôt
lénifiantes- par la prise de psychotropes , chanvre indien et LSD par les protagonistes en

1632
Selon Faouzia Bendjelid. Le roman algérien en débat, les Cahiers du CRASC, 2013, p.211. Dans On dirait
le Sud, le fantastique est un tremplin pour un discours social, culturel et philosophique.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

errance- lesquels deviennent prétextes à des commentaires ,échanges conversationnels et /ou


monologues intérieurs d’ordre existentiels en rapport avec la condition humaine.1633
Il nous parait pertinent de proposer à l’avenir une réflexion sur la dimension
fantastique , sur les modalités et les mécanisme de cette écriture fantastique qui emprunte sans
cesse les formes du récit fantastique par la multiplication de phénomènes hallucinatoires , de
situations ubuesques , inexplicables , étranges et irrationnelles pour dire à sa manière l’entité
de l’Etre. Chacun de ces axes fondateurs de l’œuvre de Mati pourrait donner lieu à des études
et des introspections textuelles.
Si dans Aigre-doux, où se croisent le réel et le chimérique, la quête identitaire du
narrateur anonyme traverse tout le roman à travers discours et/ou pensées intérieures qui
précipitent le lecteur dans l’univers complexe relevant du divin et de la méditation
métaphysique, dans On dirait le Sud, celles époustouflantes et singulières du grand Amour de
Zaina et Neil1634 empruntent à leur tour les formes du récit fantastique tout en s’entrecroisant
en alternance. Tandis que dans LDS, du Big bang au lac Assal en Ethiopie en passant par à
Shrewsbury, Charles Darwin Jr s’attellera à revisiter l’Histoire en compagnie de Lucy
l’australopithèque pour refonder un monde meilleur, plus spirituel.

1633
Selon l’écrivain lui-même, la dimension ontologique est incontournable : Pour Aigre-doux, le narrateur,
dans ses pérégrinations, est à la recherche de sa propre identité à travers l’aigre-doux de la vie ; il apprendra
à extraire le noble à partir du vil, à la manière d’un alchimiste pour comprendre le sens ontologique de
l’être (…) dans On dirait le Sud là où les mirages réfléchissent les désirs sans jamais les offrir, je tente une
exploration du Féminin et du Masculin, du couple femme-Homme, du fantasme et aussi du cours que peut
prendre la destinée humaine (…) En somme, mes histoires racontent l’Humain avec pour décor la société(…) Je
n’ai rien inventé, les thèmes que j’aborde sont universels : la quête de soi, la recherche de l’Amour, de l’Absolu
et de la liberté» extrait du site internet : D. Mati-13 /Kalila /Contributions littéraire consulté le 20 mai 2011
1634
Toutefois, parallèlement à l’accomplissement de ces quêtes identitaires, le lecteur est invité à vivre le voyage
pilulaire du personnage anonyme de Aigre-doux et à se mettre dans la peau de Zaina en quête de son identité, de
ses origines et de son passé dont elle ne se souvient plus ou alors de Neil, le naufragé des mers, poursuivant une
quête à travers laquelle il tente de s’accomplir, se réaliser, se retrouver, réapprendre à vivre et à aimer.

471
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

BIBLIOGRAPHIE
I-Corpus d’études
 Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté, roman, Editions APIC, Alger
,2005.
 On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté, roman, Editions APIC,
Alger ,2007
 LSD, roman, Editions ALPHA, Alger ,2009.

II- L’œuvre de l’auteur


 Le bug de l’an 2000 ou la première problématique du troisième millénaire, Essai,
Office des publications Universitaire, Alger ,1999.
 Sibirkafi.com, les élucubrations d’un esprit tourmenté, roman, Editions Marsa, Alger,
2003.
 Fada ! Fatras de maux, roman, Editions APIC, Alger ,2004.
 Yoko et les gens du Barzakh, roman, Editions Chihab, Alger ,2016

III- BIBLIOGRAPHIE CRITIQUE ET THÉORIQUE

 Achour. Christiane et Rezzoug. Simone. Convergences critiques, Introduction à la


lecture littéraire .Alger, OPU, 1990.
 Adam, Jean-Michel. Linguistique et discours littéraire, théorie et pratique des textes.
Paris, Coll. Larousse Univ ,1976.
 Bakhtine .Mikhaïl. Esthétique et théorie du roman .Paris, Gallimard, 1978.
 Bakhtine .Mikhaïl. Esthétique de la création verbale .Paris, Gallimard ,1984.
 Barthes, Roland. S/Z .Paris, Collection Points, Ed .du Seuil, 1970.
 Barthes, Roland. Texte (théorie du), Paris, Encyclopédie Universalis, 1973.
 Barthes, Roland. Le plaisir du texte. Paris, Seuil, 1973.
 Barthes, Roland. Le degré zéro de l’écriture. Paris, Le seuil, Point Essais, 1972.
 Benveniste, Emile .Problèmes de linguistique générale2 .Paris, Editions Gallimard
 Bourneuf, Roland. L’organisation de l’espace dans le roman. Etudes littéraires,
Volume3, n°1 , Avril 1970
 Butor, Michel .Répertoire II .Paris, Ed Minuit, 1964

472
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 Chklovski, Victor. La construction de la nouvelle et du roman. Théorie de la


littérature .Paris, Seuil, 1965
 Compagnon, Antoine. La seconde Main ou le travail de la citation .Paris, Seuil, 1979
 Del Lungo. Andréa .L’incipit romanesque .Paris, Ed du seuil, 2000.
 Ducrot, Oswald. Le dire et le dit, Paris Ed.de Minuit, 1984
 Dugas, Guy. La littérature judéo- maghrébine d’expression française .Paris, L’
Harmattan, 1990
 Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot .Poétique. Paris Ed. Seuil, 1950,
 Eco, Umberto. L’œuvre ouverte .Paris, Ed du Seuil, Points-Essais, 1965.
 Eco, Umberto. Lector in Fabula. Le rôle du lecteur, Paris, Grasset et Fasquelle, 1985.
 Eco, Umberto. Apostille au nom de la rose .Paris, Ed Grasset, 1985.
 Fontaine, David. La Poétique. Introduction à la théorie des formes littéraires. Paris,
Nathan U, 93
 Genette, Gérard. Figures II. Paris, Collection Point, Seuil, 1969
 Genette, Gérard. Figure III .Paris, Ed du Seuil, Coll. Poétique, 1972
 Genette, Gérard. Palimpsestes : La littérature au second degré. Paris, Seuil, 1982
 Genette, Gérard. Seuils . Paris, le Seuil, Coll, Poétique, 1987Genette, Gérard. FigureV,
Mort de rire, Paris, Seuil, Collection, 2002 Essai
 Greimas, Algirdas Julien. Sémantique structurale .Paris, 1966.
 Hamon, Philipe. Poétique du récit, Paris, Ed du Seuil, 1972
 Eliade, Mircea. La Nostalgie des origines, Paris, Seuil, 1971
 Mircea, Eliade. Aspects du mythe. Paris, Collection Idées, Gallimard ,1968
 Jankelevitch , Vladimir. L’ironie. Paris, Flammarion, réédition, 1964.
 Kerbrat-Orechioni, Catherine. Les interactions verbales. Paris, tome I, Armand Colin.
 Kerbrat - Orecchioni, Catherine .L’énonciation de la subjectivité du langage .Paris,
Colin, 1980
 Kristeva, Julia. Sémiotiké, recherche pour une sémanalyse. Paris, Ed du seuil, 1969
 Maingueneau,Dominique. Les termes –clés de l’Analyse du discours. Paris, Editions
du Seuil, 2009
 Maingueneau, Dominique. Manuel de linguistique pour les textes littéraires .Paris, A.
Colin, 2010
 Maingueneau, Dominqiue .Genèse du discours. Liège, Mardaga, 1984
 Meshonnic, Henri. Modernité, modernité, Paris, Folio-Essai-Ed Verdier, 1988

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 Mitterrand, Henri. Le discours du roman .Presse Universitaire de France, Ecriture,


1980
 Reuter, Yves .Introduction à l’analyse du roman .Paris, Ed Nathan /Her, 2000
 Robbe-Grillet, Alain. Nouveaux problèmes du roman .Paris, Ed de Minuit ; Gallimard,
Coll. Idées
 Robbe-Grillet, Alain. Pour un nouveau roman, Paris, Ed de Minuit, Gallimard, Coll.
Idées, 196
 Samoyault, Tiphaine. L’intertextualité, Mémoire de la littérature. Paris, Armand
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 Tadié, Jean-yves. Le récit poétique, Paris, PUF, écriture, 1979.
 -Todorov, Tzvetan .Qu’est-ce que le structuralisme .Paris, Coll. Point-Essai, Ed du
seuil, 1968
 Todorov, Tzvetan. Poétique de la prose .Paris, Coll. Points, Ed du Seuil, 1978
 Todorov, Tzvetan .M .Bakhtine. Le principe dialogique. Paris Seuil, 1981,
 Todorov, Tzvetan .Introduction à la littérature fantastique .Paris, Seuil, 1970,
 Ricardou, Jean .Qu’est-ce que le structuralisme. Paris, Coll. Point, Ed du seuil, 1978
 Ricardou, Jean .Problèmes du Nouveau Roman. Paris, essai, seuil Collection
Poétique, 1978
 Sarraute, Nathalie. L’ère du soupçon, Essai sur le roman, Paris, Ed. Gallimard, 1956
 Sartre, Jean-Paul. Qu’est-ce que la littérature .Paris, Folio-Essai, Editions Gallimard
,1948
 Wesphall, Bertrand. La Géocritique. Réel, fiction, espace », Paris, Éd. de Minuit, Coll.
Paradoxe, 2007

IV-BIBLIOGRAPHIE EN LITTÉRATURE MAGHRÉBINE


 Bendjelid, Faouzia. Le roman algérien de langue française. Alger, Chihab Editions,
2012.
 Redouane , Najib. Diversité littéraire en Algérie .Paris, Coll. L’Harmattan, 2009
 A .Mdarhi-Alaoui. Le roman marocain d’expression française .Paris, EDICEF
/AUPELF, 1996.
 Khadda, Naget. Complexité temporelle et héritage critique dans Nedjma .Alger, Ed.
Kalim, n°7, OPU, 1987.
 Laabi, Abdelatif. Prologue du numéro-Manifeste de la revue Souffles.

474
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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 Mokhtari, Rachid. Le nouveau souffle du roman algérien. Essai sur la littérature


algérienne des années 2000.Alger, Ed. Chihab, 2006.
 Mokhtari , Rachid .La graphie de l’horreur . Ed Chihab, 2003.
 Miliani, Hadj .Une littérature en sursis, le champ littéraire de langue française Paris,
Ed. L’Harmattan, 2002.
 Yellès, Mourad, Les miroirs de Janus, Alger, OPU, 2002.

V- ARTICLES scientifiques
 Bebtayeb, Wassila. Fatras de mots /maux chez D .Mati et S. Beckett. »Synergie-
Algérie n°8, 2009 - Genette, Gérard .Le Magazine Littéraire. Cent ans de critique
littéraire, .Paris, n°192, Février 1983,
 Bendjelid Faouzia. Compte-rendu de lecture d’Aigre-doux, Gerflint, Synergies Algérie
n°4 2009
 Rifatterre, Michael .Les traces de l’Intertexte .Paris, la Pensée n°215, Octobre 1980
 Rifatterre, Michael .L’intertexte inconnu, Littérature, n°41, 1981
 L. Jenny. La stratégie de la forme .Poétique, n°27, 1976
 Anne-Claire Gignoux , Anne-Claire. De l’intertextualité à l’écriture. ,
 http://narratologie.revues.org/329http://narratologie.revues.org/32
 Kristeva, Julia. Bakhtine, le mot, le dialogue, le roman. Sémiotiké Tel Quel, 1967
 Kristeva, Julia. Le texte clos. Sémiotiké , Recherche pour une Sémanalyse .Seuil .1969

VI- ARTICLES DE PRESSE


 Magani, Mohamed - Revue PEN Magazine Activité sismique dans le roman algérien,
Londres
 Nesrine, Fatiha in France, Littérature ; Action
 Mati, Djamel sur Kalila / contribution étrangère
 Mati , Djamel sur Info soir du 12/06/2009, C’est une histoire complètement
déjantée.
 Mati, Djamel, le jeune indépendant du 16/11/2006
 Genette, Gérard .Le Magazine Littéraire. Cent ans de critique littéraire. n°192,
Février
 Latteb, Ahmed in le jeune indépendant du 16 novembre 2006
 Attouche , K Entretien du 29 /07/10 avec D. Mati. Le Temps d’Algérie.

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 Mati- Littérature/Action, Marsa Editions, Décembre2003


 Mati , Djamel -www.vitaminedz.com/...on-dirait-le-sud...mati/Article du 4juilet 2009
 Ben Allam .Une plongée en apnée ., L’expression du 19/11/2006 d’Ahmed

VII CULTURE, HISTOIRE ET RELIGIONS


 M. Eliade, dans « Aspects du mythe », Gallimard, Coll Folio Essai, 1989-
 M. Eliade, « La nostalgie des origines », Paris, Seuil, 1971

VIII- SITES INTERNET :


 Michael Wise, Martin Abegg, Edward Cook « Les Manuscrits de la mer Morte »,
Paris, 2003
 Site labyrinthe.revues.org › numéros › 28 › Dossier - Des Juifs contre l’émancipation.
Yehezkel Levy. « L’exil de Babylone: les sources traditionnelles et la question de
l’émancipation»
 r.wikipedia.org/wiki /- voxdei2.free.fr/docs/bergerie/Eschatologie.do
 fr.wikipedia.org/wiki/The Beatles/ fr.wikipedia.org/wiki/John Lennon/ fr.
 wikipedia.org/wiki/Paul McCartney/»
 www.lacoccinelle.net › The Beatles ›/ www.lacoccinelle.net › The Beatles › Dont let
me down/
 r.wikipedia.org/wiki/The Rolling Stones/ www.lacoccinelle.net › The Rolling Stones
 Site Google: documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/.../ANM_2003_47.pd
Simcha
 Jacobovici et Charles Pellegrino « Le tombeau de Jésus » Ed. Laffont 2007 ou site
Google livres.vant.fr/livres/e- books/.../Le%20Tombeau%20de%20Jesus.pdf, p54
 Ssite Google : Gesa Vermes The Dead Scolls, Le scandale scientifique par excellence
du XX siècle
 Site Google : ww.pileface.com/Sollers/article1416.ht article de P .Sollers intitulé
« Qui était Marie-Madeleine, la compagne de Jésus», 9 septembre 2013.
 Site de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres présentant André, Louis Dupont-
Sommer
 Google : www.aibl.fr › Membres › Académiciens depuis 1663
 Site : Google www.revue-kephas.org/03/1/Puech41-46.html

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 Adolphe Lods « Histoire de la littérature hébraïque et juive depuis les origines », p


1028 sites Google ttps://books.google.dz/books?isbn=20510042
 Khadda, Naget . Extrait du site : arid-benyaa.com/djamel_mati.htm
 Site Google : Enquête sur le détournement des manuscrits de la mer Morte
 webduweb.free.fr/enquete.htm

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

TABLE DES MATIÈRES :

Introduction Générale………………………………………………………….…………………… 2
PREMIÈRE PARTIE :
LA NARRATION FANTASMAGORIQUE ET POÉTIQUE DE LA TRANSGRESSION

CHAPITRE I :
L’ÉCLATEMENT DES STRUCTURES NARRATIVES DANS AIGRE-DOUX, LES
ÉLUCUBRATIONS D’UN ESPRIT TOURMENTÉ.

1. Articulation des évènements ……………………………………………………………………... 15


1.1. Agencement du système des évènements : L’éclatement narratif par
« enfilage » de récits seconds…………………………………………..............….…………. 21
1.2. PNI : De l’éveil du narrateur à sa sortie de la chambrette ovale…….........……… 22
1.3. « Enfilage » de récits seconds disparates ………………………………………..…. 24
1.3.1. L’Amphore fracassée …………………………………………………………. 24
1.3.2. Game over !............................................................................................................... 25
1.3 .3. L’enfant do………………………………………………………………………... 26
1.3.4. Les légumes ont en marre…………………………………………..…………... 27
1.3.5. Point d’eau ?........................................................................................................... 28
1.3.6. Laissez- moi…. …………………………………………………………………… 29
1.3.7. Mes meilleurs ennemis…………………………………………….………..…... 30
1.3.8. Méandres …..Tant qu’à faire ?........................................................................ 31
1.4. PNII : Récit des méandres et élucubrations d’un esprit tourmenté …………… 32
1.5. Eclatement de la dynamique narrative par « enfilage » de situations
hallucinatoire....................................... ....................................... .................................................. 33
1.5.1. Refrain des amants et Autoroute des sans-cœurs……………………….. 33
1.5.2. Grain de sable aux multiples facettes………………………………………... 34
1.5.3. Songe étrange d’un banquet morbide………………………………………… 35
1.5.4. Sur les traces de camélidés ou l’intrusion dans le miroir liquéfié…….. 35
1.5.5. Révélations du Simoun………………………………………………………..... 35
1.5.6. Parchemin jauni et marins téméraires……………………………….………. 37
1.5.7. Absurde philanthropie pour un conte de vache………………………….. 37
1.5.8. Douar aux artifices : de l’homo-concombre au vendeur de mouettes.. 38
1.5.9. Cité cannibale : ………………………………….…………………………... 39
1.5.9.1. Cireur de chaussures………………………………………………….... 40
1.5.9.2. Diseuse de bonne aventure ………………………………………….. 41
1.5.9.3. Rideau du désespoir………………………………….……………….. 41
1.5.10. Visite d’une nécropole pour une réflexion sur la mort ………… 42
1.5.11. Jardin champêtre ………………………………………………..………. 44
1.5.12. Effeuillés désespérés ………………………………………………........ 44
1.5.13. Village aux acacias……………………………………………………… 45
1.5.14. Tour de Babel …………………………………………………..………... 46
1.5.15. Librairie B114……………………………………………………………. 47
1.5.16. Opuscule du bouquiniste…………………………………….………… 47
1.5.17. Histoire de rats …………………………………………………………... 48
1.5.18. Purgatoire des misérables ………………………………..……………. 49
1.5.19. Colline aux horreurs clonées……………………………..………........ 51
1.6. PNIII : Quête de la conscience intérieure………….……………………………….... 52

478
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1.6. 1. Appel de la forêt et conseils du thaumaturge………………..…………… 53


1.6.2. Voyage initiatique dans une goutte de plaisir……………………..………. 54
1.6.3. Alchimie de la Vie……………………………………………………………...... 55
1.6.4. Apprenti alchimiste ou l’acceptation de l’autre……………………………. 56
1.6.5. Voyage astral avec l’Alchimiste ………………………………..…………….. 57
1.6.6. Ultime voyage solitaire dans le Temps ou l’amour impossible………… 58
1.6.7. Destins croisés d’un prince et d’une abeille ……………………….……… 59
1.6.8. Réflexion métaphysique sur Dieu, l’univers et le Temps………………... 60
1.6.9. Monologue du Divin et anthropocentrisme de l’homme…………….….. 61
1.6.10. Sablier et réflexion sur le Temps ………………………..…………………... 62
1.6.11. Soliloque d’un grain de sable………………………………………………… 62
1.6.12. Dialogue avec son cœur ……………………………………….…………….. 63
1.7. PN4 : Retour dans le désert pour la Mue …………………….………………………. 63
1.7.1. Lettre ouverte aux asticots ou le principe de l’équité…………………...… 64
1.7.2. Mort ou Délivrance ………………………….……………………………….... 65
1.7.3. Procrastination ou Rendez-vous avec ma Mort …………………………… 66
1.7.4. Remontées mémorielles……..………………………………….………………. 67
1.7.5. Renaissance pour Aimer et Savoir……………………………………………. 68
1.7.6. Enfin... la transmutation !..................................................................................... 70
1.7.7. Futur antérieur dans un autre point B 114……………….………………… 70
CHAPITRE II :
L’ÉCLATEMENT DES STRUCTURES NARRATIVES DANS ON DIRAIT LE
SUD, LES ÉLUCUBRATIONS D’UN ESPRIT TOURMENTÉ.
1. Articulation des évènements ………………………………………………..…………………….. 82
1.1. Agencement du système des évènements …………………….……………………… 92
1.2. PNI : Zaina entre réalités et chimères ………………………..……………………….. 92
1.3. « Enfilage » et fantasmes ……………………………………………….……………….. 95
1.3.1. Tentative d’évasion ……………………………………………………………... 95
1.3.2. Voyage bleu ……………………………………………………..……………….. 95
1.3.3. Expérience érotique avec une dune…………………...…………………….. 96
1.3.4. Androgynie ……………………………….…………………….………………... 96
1.3.5. Calvaire des sens ………………………………………………………………… 96
1.3.6. Miroir sans tain …………………………………………………….…………….. 97
1.3.7. Zoo en folie……………………………………………………..…………………. 99
1.3.8. Montagne des damnés……………………………………………..…………….. 100
1.3.9. Nabots-esclaves …………………………………………………..……………… 101
1.3.10. Lupanar ensablé ……………………………………………..………………….. 102
1.3.11. Dans l’œil du cyclone …………………………………..……………….......... 105
1.3.12. Rêve énigmatique ………………………………………………………………. 107
1.3.13. L’outre ou la bique ? …………………………..………………………………. 108
1.3.14. Mue démoniaque …………………………………………………………......... 108
1.3.15. Folie et raison divine …………………………..…………………………….. 109
1.3.16. Ultime rêve bleu ………………………..…………………………………..….. 110
1.3.17. Vieillerie aveugle …………………………………………………….………… 110
1.3.18. Aventure platonique ……………..……………………………………………. 112
1.4. PNII : Du naufrage de Neil à la croisée des parallèles …………….………..…….. 113
1.4.1. Dislocation sensuelle et potion de coloquintes ……………………………. 114
1.4.2. Rencontre avec le Père Balthazar…………………………………….……..... 115
1.5. « Enfilage » de récits seconds disparates………………………………………......... 116

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

1.5.1. Remémoration du naufrage …………………………………………..………... 117


1.5.2. Récit mémoratif de la quête……………………………………………………. 117
1.5.3. Songes du couple adultérin …………………………………….……………... 118
1.5.4. Voyage astral et rêveries affriolantes ………………………..……………… 118
1.5.5. Ultime élucubration libertine …………………………….…………………… 119
1.5.6. Funérailles d’une princesse Targuie……………….………………………… 120
1.6. PN III : Convergences au point B 114………………………………………………… 123
CHAPITRE III :
LSD OU L’ÉCLATEMENT D’UN ROMAN PUZZLE

1. Articulation des évènements ……………………………………………………………………... 131


1.1. Agencement du système des évènements ……………………….…………………… 133
1.2. Structure narrative cyclique …………………………………………………………….. 135
1.2.1. Prologue : du Rien au Tout………………………………………..……………. 135
1.2.2. Epilogue du Tout Rêve ………………………………………….……………. 135
1.3. PNI : Trajectoire de Charles Darwin Jr……………………………………………….. 136

1.3.1. Cabale délirielle de Charles ………………………………………………….... 136


 Rêve de Gaia ……………………………………………………………………... 138
 Hallucination de soi dans le tourbillon régressif du temps……………….. 138
 Prophétie de Gaia……………………………………………………………. …… 140
 Lucy et les Beatles………………………………………………………………… 140
 Prémisses d’une rencontre inédite …………………………………………….. 140
 Lettre ouverte à Charles Robert Darwin……………………………………… 141
 Réunion de Concile du Saint-Siège……………………………...…………….. 141
 Hallucinations par tube cathodique…………………………………………… 142
 Pyramides anthropophages …………………………………………….. ……... 142
 Apocalypse londonienne…………………………………………..…………….. 142
 Matelot sur le pont d’un brise -glace …………………………………………. 143
 Présentateur du journal télévisé ………………………………………………... 143
 Requin bleu et puzzle ondulant …………………………….………….............. 145
 Vision d’un spectacle génésiaque ………..……………………………………. 145
1.3.2. Analespes externes impromptues ……………………………………………. 146
 Méditations oniriques…………………………………………………………….. 146
 Sainte Apparition de Lucia Dos Santos………………………………………. 147
 Procession solennelle de Marie-Madeleine …………………………………. 148
 Lumière Sacrée Diffuse à Médine …………………………….......................... 148
1.3.3. Alternance de fragments narratifs épars…………………………………….. 149
 Sur l’ile de Wight………………………………………………………………….. 149
 Rituel dans l’union avec l’Afar ………………………………………............... 150
1.4. PNII : Cheminement de Lucy …………………………………………………………... 150
 Rêves mémoratifs d’une transmutation ………………………….…………. 150
1.5. PNIII : Convergence des itinéraires en Afar ………………………………………… 155
 Lucy à la place de Suly…………………………………………………………... 156
 Mort de Baratia…………………………………………………………….............. 157
 Réunion du Concile………………………………………………………………. 157
 Coup de fil du diable …………………………………………………………….. 157
 Coquille de noix de coco………………………………………………………… 158
 Etrange nuit fraiche et soporifique…………………………………………….. 158

480
DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

 Retour à Shrewsbury ……………………………………………………………... 159


 Alea jacta est ………………………………………………………………………. 159
 Mue du miracle en vie …………………………………………………………… 160
 Prophétie d’une Arcadie retrouvée …………………………………………… 160
 Nouveaux rêves pour des mondes meilleurs ………………………………... 161
CHAPITRE IV :
LES SYSTÈMES SPATIO-TEMPORELS ET LES PERSONNAGES
1. Spatialité pluri dimensionnelle……………………………………………………………………. 168
 Hybridité du point B114 ………………………………………………………… 170
 Ubiquité du point B 114 ………………………………………………………... 171
1.1. Spatialité dans Aigre-doux, les élucubrations d’un esprit tourmenté………. 172
 Purgatoire des misérables ……………………………………………………….. 174
 Espace utérin …………………………………………………………….. 174
 Autre point B 114 ……………………………………………………… 175
1.2. Spatialité dans On dirait le Sud, les élucubrations d’un esprit tourmenté…... 176
 Le point B 114, espace cauchemardesque …………………………………… 177
 Le point B114, espace lénifiant………………………………………………… 181
 Le point B114, espace fantastique……………………………………………... 183
 Le point B114, espace de résolution des destinées ………………………… 186
1.3. Spatialité dans LSD……………………………………………………………………… 187
 Shrewsbury, lieu de négativité ………….……………………………………… 188
 Studio B114 ……………………………………………………………………….. 189
 Espace des origines ……………………………………………………………… 190
 Espace déliriel……………………………………………………………………... 191
 Espace onirique d’un retour dans le passé…………………………………... 191
 Espace de révélations en cascade …………………………………………….. 193
2. Actantialisation de l’espace ………………………………………………………………………. 194
3. Temporalité, entre référentialité et onirisme………………………………………………….. 195
 Temporalité référentielle………………………………………………………… 196
 Temporalité onirique…………………………………………………................... 198
 Temporalité ambigüe …………………………………………………………….. 202
4. Rapports d’ordre et discordances………………………………………………………………… 205
 Temps de l’univers fictif…………………………………………………………. 205
 Temps de la narration…………………………………………………………….. 206
 Analepses externes ……………………………………………………. 207
 Analepses répétitives …………………………………………………. 209
 Analepses informatives ………………………………………………. 211
 Prolepses répétitives ………………………………………………….. 212
5. Personnages dans un champ romanesque fantasmagorique………………………………… 213
5 .1. Typologie et caractérisation des personnages……………………………………… 214
 Personnages en cabale …………………………………………………………… 215
 L’amnésie……………………………………………………………....................... 216
 La solitude ………………………………………………………………………….. 217
 Drogues et hallucinations ………………………………………………………. 218
 Voyage astral ………………………………………………………………………. 219
 Retour dans le désert……………………………………………………………… 220
 Mues ………………………………………………………………………………… 220
5. 2. Personnages secondaires ou motif du regard …………………………………........ 221

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

5.3. Organisations actantielles singulières ………………………………………………… 223


Synthèse …………………………………………………………………………………………………. 232
DEUXIÈME PARTIE :
LE DISCOURS ONTOLOGIQUE ENTRE LIEUX, FIGURES ET VOIX/VOIES
D’ÉNONCIATION
CHAPITRE I :
LE DISCOURS ONTOLOGIQUE: LES ABYSSES DE L’INTÉRIORITÉ
1. Les abysses de l’intériorité ……………………………………………………………………….. 244
1.1. Dualité aigre-douce de l’existence ……………………………………………………. 244
1 .2. Libre-arbitre et absurdité de l’existence ……………………………………………... 247
1.2.1. Vision plurielle de l’existence…………………………………………………. 248
1.2.2. Absurde philanthropie ………………………………………………………….. 249
1.2.3. Absurdité d’un héritage………………………………………………………… 250
1.2.4. En quête de son meilleur ennemi …………………………………………….. 252
1.3. Relativisme du pire ou le discours- laïus……………………………………………… 255
1.4. Discours démentiel………………………………………………………………………… 257
1.4.1. Folie salvatrice …………………………………………………………………… 257
1.4.2. Folie repentante ………………………………………………………………….. 258
1.4.3. Folie normale …………………………………………………………………….. 259
1.4.4. Folie à raisonner …………………………………………………………………. 260
1.4.5. Folie hallucinatoire ……………………………………………………………… 262
1.4.6. Folie destructrice…………………………………………………………………. 263
1.5. En quête de bonheurs furtifs…………………………………………………………… 265
CHAPITRE II:
LA POLYSÉMIE DU DISCOURS AMOUREUX
1. Amour des Etres …………………………………………………………………………………….. 270
1.1. Amours tragiques………………………………………………………………………….. 272
1.2. Amour en théorie………………………………………………………………………….. 273
1.3. Amours instables…………………………………………………………………………... 274
1.4. Amour filial ………………………………………………………………………………… 274
1.5. Amour de l’humanité …………………………………………………………………….. 276
1.6. Etre d’Amour ………………………………………………………………………………. 277
1.7. Amour de la femme ……………………………………………………………………… 278
1.8. Amour coupable………………………………………………………………………….... 280
1.9. Amour interdit …………………………………………………………………………….. 282
1.10. Amour entre extase et humiliation …………………………………………………... 284
1.11. Humanité et sexualité……………………………………………………………………. 285
1.12. Amour et liberté …………………………………………………………………………. 286
1.13. Amour platonique ………………………………………………………………………... 288
1.14. Amour absolu……………………………………………………………………………… 290
2. Amour Spirituel …………………………………………………………………………………….. 291
2.1. Amour fourbe ……………………………………………………………………………… 292
2.2. Amour éternel ……………………………………………………………………………… 292
2.3. Amour salvateur …………………………………………………………………………… 294
2.4. Amour et Créations………………………………………………………………………... 294
2.5. Amour, morale et miséricorde …………………………………………………………. 296

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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CHAPITRE III:
LE DIVIN, L’ETRE ET LE TEMPS
1. L’Etre et le Temps………………………………………………………………………………….. 298
2. Le Divin et le Temps………………………………………………………………………………. 307
3. Les Attributs du Divin ……………………………………………………………………………. 310
4. L’Homme et le Divin …………………………………………………………………………….. 314
CHAPITRE IV:
LA MORT : UNE VÉRITÉ ONTOLOGIQUE
1. Réflexion sur la mort ……………………………………………………………………………… 329
2. Mort et Délivrance ………………………………………………………………………………… 331
3. Consignes aux asticots …………………………………………………………………………….. 333
4. L’après-mort ………………………………………………………………………………………… 335
Synthèse ………………………………………………………………………………………………. 336
TROISIÈME PARTIE :
LA RÉCEPTION CRITIQUE ET LES STRATÉGIES D’ÉCRITURE

CHAPITRE I:
HABILLAGE PÉRIPHÉRIQUE : LECTURE ET COMMUNICATION LITTÉRAIRE
1. Façades des romans : univers de l’imaginaire, du délire et du fantasmagorique …….... 350
2. Notes périphériques : hypothèses et anticipation sémantique …………………………..… 356
3. Dédicaces, remerciements et avis de l’auteur : éléments de subjectivités……................. 356
3.1. NDA : Pourquoi faut-il encore s’expliquer ?.................................. …………………. 359
3.2. Lagons chimériques, un récit péri graphique………………………………………… 360
4. Epigraphes : éclectisme culturel du discours ontologique …………………………….…… 362
5. Notes de bas de page et ludisation du langage ………………………………………………... 364
5.1. Emprunts lexicaux ………………………………………………………………………... 366
5.2. Abréviations ………………………………………………………………………............... 369
5.3. Interférences phonétiques ……………………………………………………………….. 371
6. Propos philosophique sur l’Entité de l’Etre …………………………………………………. 371
7. Réception de l’œuvre ………………………………………………………………………………. 373
CHAPITRE II:
PRATIQUES INTERTEXTUELLES ENTRE SAVOIRS PROFANES ET SACRÉS
1. Intertexte mythique ……………………………………………………………………………….... 377
1.1. Mythe de la création du monde…………………………………………………………. 377
1.2. Mythe du paradis perdu ……………………………………………………………......... 381
1.3. Mythe de la régénération du monde …………………………………………………... 383
1.4. Mythe de l’Apocalypse ………………………………………………………………….. 384
1.4.1. Mort physique …………………………………………………………………. 385
1 .4.2. Fin du monde …………………………………………………………………... 385
2. Intertexte paléoanthropologique ………………………………………………………………… 388
2.1. Entre Darwinisme et Créationnisme…………………………………………………… 391
3. Intertexte historico-religieux ……………………………………………………………………... 393
3.1. Manuscrits de Qumran ou le retour de Jésus-Christ……………………………….. 393
3.2. Evangiles apocryphes de Marie-Madeleine …………………………………………. 397
3.3. Tombeau de Talpiot………………………………………………………………………. 401
3.4. Grand prêtre Caïphe ………………………………………………………………………. 405
3.5. Secret de Fatima ……………………………………………………………………........... 405
4. Intertexte poétique …………………………………………………………………………………. 406
5. Intertexte musical……………………………………………………………………………………. 409

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DISCOURS ONTOLOGIQUE ET DIMENSION FANTASMAGORIQUE DANS LES NOUVELLES
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CHAPITRE III :
HUMOUR, DÉRISION ET IRONIE DANS UN UNIVERS FANTASMAGORIQUE
1. Structures langagières et poétiques de l’humour, de la dérision et l’ironie ……………. 414
1.1. Exclamations et troncations……………………………………………………………… 415
1.2. Interjections et Interpellations…………………………………………………………... 415
1.3. Rimes et allitérations …………………………………………………………….… 416
1.4. Combinaisons insolites de mots …………………………………………………. 417
2. Comique de situations narratives ……………………………………………………….……….. 417
2.1. Douche atmosphérique …………………………………………………………..………. 418
2.2. Robinets récalcitrants…………………………………………………………………….. 419
2.3. Soliloque du végétatif ……………………………………………………………………. 419
2.4. Transaction démoniaque ………………………………………………………………… 420
2.5. Aventure d’homo-concombre …………………………………………………………. 421
2.6. Vendeur de mouettes ……………………………………………………………………. 421
2.7. Vendeur de drapeaux ……………………………………………………………………. 422
2.8. Taverne des loosers ………………………………………………………………………. 422
2.9. Grande université de TOTO…………………………………………………………….. 422
2.10. Grande braderie du savoir ……………………………………………………………… 424
2.11. Nabots de la montagne cendrée………………………………………………………... 425
3. Ironie et parodie …………………………………………………………………………………… 425
4. Rhétorique de l’image ……………………………………………………………………………... 432
4.1. Scènes narratives terrifiantes …………………………………………………………… 432
4.1.1. Songe de l’Amphore fracassée ………………………………………………... 433
4.1.2. Mains dans l’eau chaude ……………………………………………………….. 434
4.1.3. Vautours charognards …………………………………………………………... 434
4.1.4. Plèbe désespérée………………………………………………………………….. 434
4.1.5. Bête immonde …………………………………………………………………..... 435
4.1.6. Histoire de rats …………………………………………………………………… 436
4.1.7. Parc épouvantable ………………………………………………………………. 436
4.1.8. Chérubin ensanglanté …………………………………………………………… 437
4.1.9. Soleil pyromane …………………………………………………………….......... 438
4.1.10. Songe de l’excision …………………………………………………………….. 438
4.1.11. Antichambre de l’enfer ………………………………………………………... 439
4.1.12. Tabassage en règle ……………………………………………………………... 440
4.1.13. Paroxysme de l’aversion ……………………………………………………… 440
4.1.14. Aliénation satanique ………………………………………………………........ 441
4.1.15. Pour une apocalypse …………………………………………………………… 442
4.1.16. Spirale de temps barbares…………………………………………………….. 443
4.1.17. Eparpillement de Charles ……………………………………………………... 444
4.1.18. Journal télévisé effroyable ………………………………………………........ 444
4.1.19. Requin bleu et puzzle ondulant …………………………………………….. 447
4.1.20. Mégalopole cannibale …………………………………………………………. 448
4.2. Des scènes narratives lénifiantes ………………………………………………………. 448
4.2.1. Rêves de bonheur ……………………………………………………………….. 448
4.2.2. Gouttelette de plaisir ……………………………………………………………. 449
4.2.3. Plénitude extatique ……………………………………………………………… 450
4.2.4. Monde féerique …………………………………………………………………... 451
4.2.5. Apparition fantastique ………………………………………………………...... 451
4.2.6. Oasis paradisiaque ………………………………………………………………. 452

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ECRITURES. CAS DES ROMANS DE DJAMEL MATI

4.2.7. Songe érotique……………………………………………………………………. 452


4.2.8. Orgasme extatique ………………………………………………………………. 452
4.2.9. Rêveries affriolantes ………………………………………………………….... 453
4.2.10. Songes lascifs……………………………………………………………………. 453
4.2.11. Mues et bonheurs……………………………………………………………….. 454
4.2.12. Ultime fusion des sens…………………………………………………………. 454
4.2.13. Extase en Afar………………………………………………………………….... 455
4.2.14. Miracle génésiaque ……………………………………………………………. 455
4.2.15. Ejaculat de félicité ……………………………………………………………... 456
5. Erotisation du langage ……………………………………………………………………………... 456
5.1. Délivrance ………………………………………………………………………………....... 457
5.2. Prostituée ……………………………………………………………………………………. 458
5.3. Parcours érogène ………………………………………………………………………….. 459
5.4. Lascive chorégraphie……………………………………………………………………… 460
Synthèse …………………………………………………………………………………………………. 461
Conclusion Générale ………………………………………………………………………………….. 465
Bibliographie……………………………………………………………………………………………. 472

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