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République Algérienne Démocratique et Populaire

Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique


UNIVERSITE Larbi Ben M’Hidi / Oum El Bouaghi
FACULTE DES LETTRES ET DES LANGUES
DEPARTEMENT DE FRANÇAIS

MEMOIRE DE MASTER

OPTION : Littérature Francophone et Comparée

Thème
La diversité dans « tous ses états »
À travers
« L’Enfant du pEupLE anciEn »
d’Anouar Benmalek

Présenté par : Encadré par :


YOUSFI Imane MEKKAOUI F/Zohra

Membres de Jury:

Président : BOUZIDI Attef


Rapporteur : MEKKAOUI F/Zohra
Examinateur : LABED Yasmina

Promotion : 2014 / 2015


Dédicaces
Je dédie ce modeste travail :

À mes chers parents pour avoir toujours été à mes côtés.

À mes sœurs ; Hadjar, Sara, Khaoula et Doua.

À mes amies Amina, Fatima et Chahinez

À ceux qui m’ont aidé et qui m’ont donné espoir, confiance pour relever ce défie.
Remerciements
Je tiens à exprimer ma profonde reconnaissance et ma gratitude à mon
encadreur Madame MEKKAOUI F/Z, pour ses orientations et la disponibilité
dont elle a fait preuve tout le long de l’année jusqu’à l’aboutissement de mon
travail et ce, à chaque fois que je l’ai sollicitée.

Un grand remerciement, aussi, que j'adresse à mes enseignants du


département de français pour leur volonté de nous conduire à la réussite tout au
long de notre cursus universitaire

Mes remerciements vont également à tous ceux qui ont contribué de prés
ou de loin à l'accomplissement de ce travail en particulier le personnel des
bibliothèques notamment celle de l’université et celle du Centre Culturel Français
de Constantine.

Merci à tous ...


SOMMAIRE
Introduction………………………………………………………...…..………….………………………………………………. 1
1. Considérations générales sur la littérature maghrébine…….……………..……...……………………. 1
2. Biobibliographie d’Anouar BENMALEK……………………………………..………………………………. 3
3. L’écriture d’Anouar BENMALEK……………………..…………………………………..………………………. 4
4. Présentation de l’œuvre……………………………………………………………………………..……………………… 4
5. Résumé du roman…………………………………………………..…………………………………..……………………… 5
6. Motivations et problématique……………………………………………………………………..…………………… 6

PARTIE THEORIQUE
I.I. La narratologie……………….……………………..…………………….……………………………..……………………… 9
I.1. Le narrateur et le personnage…………………..…….…………………………………..………….………… 10
I.1.1. L’instance narrative……………………….………………………………………..…...…………………… 12
I.1.1.1. Le statut du narrateur……………………….……..………………..….…………………… 12
I.1.1.2. Le temps de la narration…………………………………………………………..……… 12
I.1.1.3. La perspective narrative……………………………………………….……..…………… 13
I.1.2. Les récits emboités………………………………...………………………………..……………………… 13
I.1.3. Le temps du récit………………………………………………………………..………………...…………… 13
I.1.3.1. L’ordre du récit…………………………………………………………………..……………...………… 14
I.1.3.2. La vitesse narrative……………………………………………….……………..……………………… 14
II. L’espace…………………………………………………………………..…………………………………………….……….…… 15
II.1. Définition de l’espace………………………………………………………………………..……………………… 15
II.2 Les frontières entre la narration et la description…………………………………………………… 16
II.3 Fonctions de la description………………………………………………………………..……………………… 17
PARTIE PRATIQUE
I. Etude des personnages……………………………...………………………………………...………..……………………… 18
I.1. Relever des personnages………………………………..……………………………………..……………………… 18
I.2. Caractérisation des personnages principaux……………………………………………………………… 20
I.2.1. Critères culturels………………………………………………………………………….....……………………… 20
a) Les vêtements………………………………………………………………………...……..……………………… 21
b) La nourriture…………………………………………………………………..……………………..……………… 22
c) Statut social…………………………………………………………………..………………………………………. 24
d) Croyance…………………………………………………………………..…………………………………………… 24
I.2.2 Traits physiques et psychologiques……………………………………………………………………… 26
I.2.3 Diversité des prénoms…………………………………………………………………..…………………...…… 29
I.2.4 Le rapport aux langues…………………………………………………………………..………………….…… 30
II. L’analyse de la structure romanesque……………………………………………….………………..…………… 34
II.1 Voix et perspective narrative……………………………………………………………………..……………… 34
II.1.1 Les types de narration………………………………………………………………..……………………… 38
II.2 L’emboitement des récits……………………………………………………………………………………...…… 39
II.3 Le Temps du récit…………………………………………………………………..…………………………………… 40
II.3.1 L’ordre du récit…………………………………………………………………..……………………………….…… 40
II.3.2 Le rythme narratif…………………………………………………………………..…………………………..…… 42
III. L’étude de l’espace…………………………………..…………………………………………………………...………… 44
III.1 La thématique du voyage…………………………………………………………..……………………… 44
III.2 Une réflexion polyphonique sur les éléments de la nature…………………………… 46
a) La mer…………………………………………………………………..………………………...……………… 46
b) Le désert…………………………………………………………………..………………………..…………… 48
c) Les étoiles…………………………………………………………………..………………………………..… 50
d) La jungle…………………………………………………………………..……………………………….…… 50
IV. Conclusion…………………………………………………………………..……………………………………………………… 52
Annexes…………………………………………………………………..…………………………………………………...……… 53
Bibliographie…………………..…………………………………………..……………………………………………………… 68
Résumé……………………………………….………………………………..……………………………………………………… 71
Introduction
Introduction
1. Considérations générales sur la littérature maghrébine
L’écriture est une façon d’extérioriser les soucis et les préoccupations qui
bouleversent l’esprit de quelqu’un, plus précisément, d’un écrivain. Celui-ci va se donner
la liberté à sa plume pour dire ce qu’il ne doit pas occulter. Prenons l’exemple des
écrivains magrébins : des hommes et des femmes érudits qui ont vécus la colonisation.
Cette dernière les a poussés en quelque sorte à écrire via la langue française afin de
témoigner des turbulences qui travaillent leur société : tunisienne, marocaine ou
algérienne. Dans ce champ de productions littéraires, l’Algérie occupe une place
prépondérante. Les critiques littéraires témoignent que « Le roman algérien est jusqu’à ces
dernières années le plus important, du moins en volume, dans la production littéraire maghrébine de
langue française »1.
La littérature algérienne d’expression française émerge réellement au début des
années cinquante où elle prend le statut d’une littérature de qualité marquée d’un
caractère éthnographique en dépassant le cercle d’imitation. Par ailleurs, Jean DEJEUX
trouve dans ces romans « un sens du dévoilement et de contestation »2. Cette position

contestataire est affirmée ainsi par les propos de DIB lorsqu’il proclame à l’occasion de
la guerre de libération qu’« Un incendie avait été allumé, et jamais plus il ne s’éteindrait.
»3, dans son roman L’Incendie (1954). Suite à cela, la publication de Nedjma de KATEB
Yacine en 1956, s’est inscrite dans l’histoire de la littérature algérienne et maghrébine en
lettres d’or grâce à son originalité et sa technique romanesque moderne.
Au lendemain des indépendances, la question de la langue fut le sujet le plus
angoissant pour la grande majorité des écrivains de cette période. Certains parmi eux ont
choisi l’exil en continuant à publier leurs œuvres en français. Mohammed DIB en fut la
figure la plus marquante. Tandis que Malek HADDED s’est tu, refusant d’écrire dans la
langue du colonisateur. Alors qu’Assia DJEBAR change d’activité et se détourne vers le
cinéma. Mouloud MAMMERI, quant à lui, opte pour l’enseignement de la langue
berbère et KATEB Yacine s’occupe du théâtre en arabe dialectal.

1
Charles BONN et Xavier GARNIER, Littérature Francophone. Tome1 : Le roman, Paris, Hatier, 1997, P. 185.
2
Cité par : Siline Vladimir, in Le dialogisme dans le roman algérien de langue française,
1999, 262 p, thèse de doctorat (nouveau régime), Etudes littéraires francophones et comparées,
Paris 13, 1999, p 7, disponible sur le site : http://www.limag.refer.org/Theses/Siline.PDF.
3
Cité par BONN. Charles, in Le Roman algérien contemporain de langue française : espaces de l’énonciation et
productivité des récits, 1982, 1428 p, thèse de doctorat, Bordeaux-3, 1982, disponible sur le site :
http://www.limag.refer.org/Theses/Bonn/TheseEtatIntro.htm.

1
Au début des années soixante-dix, une nouvelle génération émerge afin de ranimer
une littérature dissimulée derrière des tabous sociaux et religieux avec Rachid
BOUDJEDRA et son roman La répudiation (1969), suivi de L’insolation (1972)… Quant
à Nabil FARES, il publie La Mort de Salah Baye (1980) et Rachid MIMOUNI, Le
Fleuve détourné (1982).
Les années quatre-vingt-dix caractérisent une société malmenée par la violence et
la tuerie. Cela aura des répercussions sur l’art en général et la littérature en particulier.
Charles BONN en déduit que « [...] : cette horreur quotidienne va nécessairement développer une
écriture différente. »4. Certes, ce changement conduit à une écriture dite d’urgence, celle de

la décennie noire où plusieurs écrivains prennent leurs responsabilités pour photographier


la tragédie terroriste. Citons entre autres : Assia DJEBAR avec son roman Le Blanc
d’Algérie (1996), Mohamed DIB et son roman Si Diable veut (1998), Tahar DJAOUT
avec son roman posthume Le dernier été de la raison (1999), Yasmina Khadra et son
roman À quoi rêvent les loups (1999). Ces « années de braise »5 apportent un traumatisme
qui reste tout le temps présent dans les parutions suivantes : Rachid BOUDJEDRA et son
roman Les Funérailles (2003), Rachid EZZIANE dans Marqué par la haine…(2007).
C’est dans ce contexte que la production littéraire se multiple comme le souligne notre
romancier algérien, Anouar BENMALEK : « La littérature algérienne existait auparavant mais
elle n’a vraiment explosé qu’après les événements de 1990 »6. De là les romanciers ont insufflé

une nouvelle forme à la littérature algérienne en retravaillant la réalité dans sa complexité


par une ouverture sur des courants modernes et universels.
L’avènement du XXI° siècle est marqué par une entrée littéraire phénoménale avec
la publication de L’Enfant du peuple ancien (2000) d’Anouar BENMALEK. Un écrivain
contemporain, connu par son écriture moderne qui n’obéit à aucun moment aux normes
traditionnelles.

4
BONN. Charles, Paysages littéraires algériens des années 90: Témoigner d'une tragédie?, disponible sur le site :
http://www.limag.refer.org.
5
BOZARSLAN Hamit, Cent mots pour dire la violence dans le monde musulman, Maisonneuvre & Larouse, 2005,
p. 141.
6
BENMALEK Anouar, Chroniques de l’Algérie amère, "vol de nuit", réalisée à la villa Pouillon à Alger : Patrick
Poivre d’Arvor, 3 mars 2003 [en ligne]. Disponible sur : http://www.Youtube. Com/watch ?v=8NUPdcacglw.
(Consulté le 19.05.2014)

2
2. Biobibliographie d’Anouar BENMALEK
Anouar BENMALEK, écrivain de renommée internationale, est l’une des plumes
talentueuses contemporaines qui s’est battue lentement pour la liberté d’expression,
affirmant qu’il est « indispensable de faire revivre cette littérature qui nous appartient [au peuple
algérien] et qui est malheureusement exploitée à l’extérieur ».7
Il né à Casablanca en 1956 d’une mère marocaine et d’un père algérien. Féru de
voyage : en Asie Centrale, en Inde, au Moyen-Orient, en Europe Centrale, en Union
soviétique…Toujours assoiffé de la découverte de l’Autre. Lui-même déclare « Voyager
est, pour moi, un acte presque métaphysique, d’autant plus indispensable qu’il vous plonge dans des
sociétés plus différentes de la vôtre »8.
Il a suivi un cursus universitaire de mathématicien. Il est devenu enseignant et
occupe le parti de maître de conférences, d’abord à Alger à l’USTHB, puis en France à
l’université (collège HDR). Il se distingue dans le domaine littéraire où on le qualifie
comme «L’un des tons les plus étranges et les plus originaux »(Le Point).
L’auteur franco-algérien commence sa carrière littéraire à l’âge de vingt-deux ans,
d’abord comme poète et journaliste. Il est également membre fondateur et vice-président
du Comité algérien contre la torture de 1989 à 1991 ce qui illustre son écriture humaniste
et sa volonté de décrire la vérité qui lui paraît comme une condition sine qua non pour
l’évolution des peuples, « Un peuple adulte doit se dire la vérité, même au risque d’en être choqué.
L’amnésie n’a jamais grandi un peuple. »9
Concernant sa carrière littéraire, il a obtenu de nombreux prix littéraires dont le
prix Mimouni 1999 pour son roman Les Amants désunis ainsi que le prix des auditeurs de
la RTBF (Radio Télévision Belge) 2001, Prix RFO (Réseaux France Outre-mer) 2001,
Prix Beur FM-Méditerrannée2001 et Prix Millepages 2000 pour son prestigieux roman
L’Enfant du peuple ancien. Il a écrit entre autres des romans, des nouvelles, des poèmes
comme il a contribué à plusieurs ouvrages collectifs couronnés par la Médaille de la ville
de Rennes (France) pour son activité littéraire.

7
LITTERATURE ALGERIENNE. Avec l’écrivain Anouar BENMALEK, Comptes rendus d’ouvrages
critiques. CAHIER DU CENTRE DE RECHERCHE n°4, CRTF, Université de Cergy-Pontoise, janvier-
février 2007 [en ligne] disponible sur : anouarbenmalek.fr (consulté le 28.03.2015). Extré du journal,
L’Expression au Centre Culturel Français à Constantine Propos recueillis par Ikram Ghioua le 26 juin 2006.
8
Algérie littérature action, n°17 janvier 1998. [en ligne]. Disponible sur : anouarbenmalek.free.fr. (Consulté
le : 27.03.2015).
9
MERAHI Youcef , Vivre pour écrire, Zellige, 2007, p. 68

3
À travers son parcours littéraire, Anouar BENMALEK confirme que
« L’imagination débordante et discipline d’esprit ne sont pas ennemis, mais d’inestimable alliés au
service de la littérature »10 ce qui fait de lui à la fois un mathématicien et un homme de lettre

brillant et atypique.

3. L’écriture d’Anouar BENMALEK


Ce qui semble atypique dans les écrits d’Anouar BENMALEK, c’est surtout son
désir de décrire l’universel sans pour autant nier ou oublier son algérianité. Il confirme
ouvertement :
« […] chacun de nous ambitionne de représenter l’universel à travers son expérience, et la seule
expérience profondément ancrée en soi, c’est celle qui s’est forgé pendant l’enfance […]. Donc il
est inévitable dans tout ce que j’écris, l’Algérie soit, nolens, volens, présente. Mais à aucun
moment je ne me fait un devoir d’écrire un texte où il y’aura l’Algérie »11
L’écriture universelle est donc reconnue par le romancier lui-même. Il
réclame également : « Je ne suis pas un écrivain algérien. Je suis écrivain et algérien. Je revendique
et mon enracinement en Algérie ainsi que mon droit à l’universalité. Le terme écrivain algérien a une
espèce de connotation ethnique… »12. Anouar BENMALEK refuse en fait toute appartenance

qui porte en elle une signification péjorative, limitée à une conception raciale ou
régionale car il tente plutôt à l’universalité en dépassant toutes les frontières.

4. Présentation de l’œuvre
L’Enfant de peuple ancien est le troisième roman d’Anouar BENMALEK de 333
pages, paru aux Editions Pauvert, Paris, 2000 puis réédité aux Editions Livre de Poche,
2002. Il a été extrêmement bien accueilli à sa sortie, traduit en huit langues et mis en
projet d’adaptation au Cinéma.
La couverture du roman est révélatrice. Elle représente un enfant aborigène avec
un visage coloré de peinture blanche. Son sourire semble être un signe d’espoir et
d’innocence.
Le roman est dédié à Truganini, dernière représentante du peuple tasmanien, morte
le 8 mai 1876, afin de faire revivre l’Histoire de tout un peuple effacé de leur terre.

10
CAHIER DU CENTRE DE RECHERCHE 4, CRTF, Université de Cergy-Pontoise, janvier-février 2007
11
MERAHI Youcef, Vivre pour écrire, Zellige, 2007, p. 54.
12
El Watan 31 août 2004.

4
Quant au corps du roman, il contient deux parties, plus un prologue et un
épilogue ; la première partie se subdivise en trois chapitres où l’auteur nous présente
deux personnages (Kader et Lislei). Tandis que la deuxième partie se subdivise en
quinze chapitres où l’auteur intègre le troisième personnage du roman, « Le petit
Tridarir », le dernier représentant du peuple tasmanien qui adjoint à l’histoire une
nouvelle acception.
Dans son roman, L’Enfant du peuple ancien, Anouar BENMALEK nous retrace
l’Histoire à la fin du XIXème siècle où La France a connu un grand soulèvement des
Communards en 1871. Au moment où la révolution d’El Mokrani se déclare en Algérie.
Les insurgés en Algérie et en France se trouvent déportés en Nouvelle-Calédonie. De
l’autre coté du monde, une extermination des aborigènes a lieu en Tasmanie. C’est
donc, dans ce contexte d’exclusion de l’être humain que se croisent les trois personnages
du roman (Kader, Lislei et Tridarir) avec les trois temps de l’Histoire (La Commune de
Paris, la révolution d’El Mokrani et le génocide tasmanien). Trois destins qui évoluent
d’abord séparément, puis se rencontrent.

5. Résumé du roman
Par le fait qu’« Il y a eu des événements abominables qu’il ne faut pas occulter et qu’un
écrivain se doit de raconter »13, l’auteur nous rapporte le sort de trois personnages, expatriés

de leur terre à la fin du XIXème siècle, où l’injustice et la cruauté atteignent leur apogée.
Kader, un jeune algérien de Biskra et neveu de l’émir Abd El Kader qui a vécu
l’exil dès son enfance. Après douze ans à Damas, il revient dans son pays pour participer
à la révolution saharienne d’El Mokrani. Il est fait prisonnier et déporte en Nouvelle-
Calédonie laissant derrière lui son amour Nour qu’il rêvait d’épouser, et surtout son pays
de jeunesse. De l’autre coté de la méditerranée, se trouve Lislei, une française emportée
par la tourmente des activités révolutionnaires. Lislei est accusée d’être une incendiaire,
tout simplement parce qu’elle porte un récipient qui sentait le pétrole. Elle est déportée
en Nouvelle-Calédonie laissant derrière elle sa nièce, Camille qu’elle était censé protéger.
Tous les deux sont donc condamnés au bagne pour activités subversives. Après trois ans
à l’île Nou, Kader tue son compagnon de chaîne, Rogg, un traître qui a tenté à
l’assassiner. Puis, il fuit vers la presqu’île Ducos où il rencontra Lislei qui s’associe à

13
MERAHI Youcef , Vivre pour écrire, Zellige, 2007, p. 67.

5
son évasion vers l’Australie. Or, Lislei doit payer le prix de sa liberté en prostituant avec
le marin. Dans cette atmosphère du mépris et d’humiliation, les deux évadés découvrent
le petit Tridarir, un témoin de la cruauté des colons qui font empoisonner ses parents et
les éventrer pour êtres destinés aux collectionneurs ou à l’expérience scientifique.
« L’Aborigène » enfermait dans la réalité qui fait de lui le dernier représentant du peuple
tasmanien, de sa culture, de sa langue, mais encore la seule personne censée d’avoir
trouvée les Sentiers des Rêves des siens afin de les revifier. Le trio parvient à s’échapper
après avoir évincé l’équipage du bateau. Là-bas, ils commencent leur parcours d’errance
où la survie de l’un dépend de la survie de l’autre. Empruntant d’autres noms ; Kader
devient Harry et Lislei devient Elisabeth. Progressivement, leurs liens se renforcent
jusqu’à ce qu’ils décident de fonder une famille avec le petit aborigène qui constitue à un
moment « leur unique raison de vivre »14. À la fin du récit Lislei décède. Tridarir décide de
se suicider afin qu’il soit pleurer par son père adoptif. Reste Kader et sa mémoire. Il est
appelé à vivre en portant le lourd secret de leur histoire et de leurs identités.

6. Motivations et problématique
Notre choix a été suscité par une interview suivie sur RTBF. Une émission
présentée par Dolores OSCARI, sous le titre de « Si j’ose écrire »15 où Anouar
BENMALEK explique le mythe du « Temps du rêve » des aborigènes de Tasmanie
évoqué dans son roman. Ce qui suscite chez nous une grande curiosité de lire ce roman
afin de découvrir les us et coutumes de ce peuple qui se situe au bout du monde. De plus,
la lecture de ce roman nous a permis de découvrir le secret de l’universalité et la célébrité
de ce romancier qui use d’une parfaite maitrise de la narration. Ses personnages donnent
l’impression de véracité au point que nous éprouvons une réelle sympathie et compassion
envers ces protagonistes qui semblent authentiques et très proches de la réalité. L’auteur
se sert d’un style qui est à la fois « raffiné et brutal, tendre et violent »16 pour nous offrir ce
récit qui démontre bel et bien son humanisme et son talent génial avec sa passion

14
BENMALEK Anouar, L’Enfant du peuple ancien, Edition Pauvert, 2000. P ; 11.
15
OSCARI Dolores, « Si j’ose écrire », émission avec Anouar Benmalek, produite et réalisée par : Daniel
Broyer, RTBF, le 01.02.2014. [en ligne], disponible sur : www.dailymotion.com (consulté le 22.06.2014).
16
BENMALEK Anouar, L’Enfant du peuple ancien, réalisée en Belgique, mars 2001 [en ligne]. Disponible sur :
www. Limag. Refer. Org (consulté le 28.05.2014)

6
exceptionnelle dévouée à la littérature pour s’allier perpétuellement avec son esprit
scientifique.
Au cours de la lecture du roman, notre curiosité a été aiguisée par un certains
nombre de questions dont voici les plus importantes:
D’emblée, ce qui nous a marqués est ce choix des personnages issus de trois
continents différents ce qui nous amène à poser cette question : D’où vient et que
symbolise cette diversité des lieux et des personnages, de tous horizons dans ce roman?
Deux personnages, en l’occurrence Lislei et Tridarir meurent selon le roman à une
semaine d’intervalle. Mais, ces deux décès sont séparés de 279 pages dans le roman. Ce
qui nous a frappés, c’est donc la structure du roman et l’utilisation particulière du temps.
Comment l’auteur est-t-il arrivé à séparer la mort des deux personnages entre un
prologue et un épilogue ? Et pourquoi ce va et vient entre passé et présent au sein de sa
narration?
Les personnages, assez différents, sont en perpétuelle résistance pour la survie,
éprouvant des supplices et des ignominies extrêmes que l’auteur nous rapporte sous
forme d’une structure formelle très singulière qui mérite d’être dévoilée. Comment
l’auteur, dans son roman, a pu réunir ces personnages de différentes cultures dans une
parfaite harmonie ?
Nous avons tenté de répondre à ces interrogations par un ensemble d’hypothèses
de travail que nous tenterons de démontrer tout au long de notre analyse.
L’auteur viserait, apparemment, dans cette diversité des lieux et des personnages à
nous montrer l’injustice et la pratique du régime de la déportation qui règnent à cette
époque, sur trois continents.
Nous avons relevé que l’auteur utilise un système de narration alterné qui se manifeste à
travers l’emploi du flash-back. Ce qui expliquerait peut être une des particularités de son
écriture.
Ces hypothèses citées peuvent nous faciliter la tâche afin de résoudre l’énigme qui règne
autour de la notion de la diversité au sein de la narration d’Anouar BENMALEK.
Le travail que nous présentons sera organisé en deux parties l’une théorique et
l’autre pratique, et chacune d’elles, sera subdivisée en chapitres. Dans la première partie,
nous faisons état des théories lues et des concepts opératoires que nous retenons pour
l’analyse du roman à étudier. Nous allons essayer d’identifier en premier lieu, la

7
conception du personnage selon Philippe HAMON ainsi que les diverses perspectives
préliminaires de la narration tout en nous appuyant sur les travaux de GENETTE surtout
en (Figure III). Ensuite, nous passerons vers l’étude de l’espace où nous allons tracer tout
d’abord les frontières entre la narration et la description afin de montrer les différentes
fonctions de cette dernière selon la terminologie de GENETTE.
Dans la deuxième partie, nous analyserons notre corpus. Nous allons faire une
lecture textuelle approfondie tout en repérant les personnages et en étudiant leurs
caractérisations et le rôle qu’ils jouent dans le roman. Nous nous appuierons ensuite sur
la structure romanesque où nous allons étudier la voix et la perspective narratives,
l’emboitement et le temps du récit. Enfin, la dernière partie d’analyse sera consacrée à
l’étude de l’espace. Nous étudierons la thématique du voyage et la réflexion
polyphonique sur les éléments de la nature.
Enfin, nous présenterons une conclusion qui récapitulera l’ensemble des résultats
auxquels nous serons parvenus.

8
1
Partie théorique

2
Dans la partie théorique, nous allons concentrer notre attention sur les différents
concepts ayant un lien à l’analyse interne du texte, en nous intéressant à la relation
complexe qui règne entre la triade "personnage, temps et espace".

I. La narratologie
La littérature, selon Gérard GENETTE, est l’art du langage. Delà Jean
RICARDOU met l’accent sur la lecture avertie du texte littéraire :
« Lire la littérature […] c’est tenter de déchiffrer à tout instant la superposition, l’innombrable
entrecroisement des signes dont elle offre le plus complet répertoire. La littérature demande en
somme qu’après avoir appris à déchiffrer mécaniquement les caractères typographiques, l’on
apprenne à déchiffrer l’intrication des signes dont elle est faite »17.
L’approche interne du texte a été reprise par plusieurs critiques. Nous citons entre
autres, Jean POUILLON (1946), critique anglo-saxonne, TODOROV et GENETTE.
Nous reprenons pour plus de clarté la narratologie de Gérard GENETTE (1972-
1983) qui se limitait à l’analyse du récit dans le sens étroit du terme ce qui rend sa théorie
plus « formelle » et « modèle »18. GENETTE insiste sur le fait que le récit est un acte
fictif de langage et n’est pas une imitation de la réalité : « Le récit ne" représente" pas une
histoire (réelle ou fictive), il la raconte, c’est -à-dire qu’il la signifie par le moyen du langage […]. Il n’y
a pas de place pour l’imitation dans le récit […] »19 (1983 : 29).

Nous jugeons utile de tracer en premier temps les frontières entre l’histoire (la
diégèse), le récit et la narration.
L’histoire, selon GENETTE, désigne l’ensemble des événements et d’actions
rapportés par le narrateur. Alors que le récit, constitue l’énoncé narratif qui englobe ces
événements et dont l’énonciation du récit forme sa narration.
La conception de la narratologie prend pour objet le récit. Ce dernier est en effet la
jonction faite entre la narration et la description :
« Tout récit comporte (…) quoique intimement mêlés et en proportions très variables, d’une
part des représentation d’actions et d’événements, qui constituent la narration proprement dite,
et d’autre part des représentations d’objets ou de personnages, qui sont le fait de ce que l’on
nomme aujourd’hui la description.»20

17
RICARDOU Jean, Problèmes du nouveau roman. Seuil, collection "Tel Quel". 1970. p. 20.
18
GENETTE Gérard, Figure III, Paris . Edition Seuil, 1972, p. 71
19
LA NARRATHOLOGIE, Lucie GUILLEMETTE et Cynthia LEVESQUE, Université de Québéc à Trois-rivières.
[en ligne]. Disponible sur le site : www.signosemio.com. (consulté le 15.09.2014)
20
Christiane ACHOUR, Simone REZZOUG in Convergence critiques, Introduction à la lecture du littéraire.
Edition n°2031 – Janvier 1990. PP ; 211, 212.

9
Pour user d’un autre terme, la narratologie s’intéresse aux composants constitutifs
du roman pour ce qui est du personnage, du temps, du lieu…etc.

I.2. Le narrateur et le personnage


La théorie du discours narratif selon GENETTE s’occupe pour une grande part de
l’étude du personnage. Mais nous nous sommes aussi inspirés des travaux de Philipe
HAMON que nous allons résumer.

A. Le personnage
Pour rendre compte de l’analyse des personnages, nous convoquons les travaux de
Philipe HAMON. « Que le personnage soit du roman, d’épopée, de théâtre du poème, le problème des
modalités de son analyse et de son statut constitue l’un des points de fixation traditionnels de la critique
(ancienne ou moderne) et des théories de la littérature »21. L’analyse des personnages obéit à un

champ d’étude complexe à travers deux nivaux :


 La lecture : c’est le rapport du lecteur avec le texte écrit. Autrement dit, c’est
« l’effet-personnage » soit celui de fascination, de projection ou d’identification
diverses.
 La production : L’auteur est le créateur du personnage. Toutefois, certains
personnages montrent leur désir de vivre indépendamment de leur producteur.
À cet égard, nous parlons de l’effet du personnage comme :
 Celui de figuratif dans la fiction où il est lieu d’un effet de réel important.
 Celui d’anthropomorphisation du narratif, il est le lieu, d’un « effet de personne »,
d’un « effet moral », d’un « effet psychologique ».
 Celui du carrefour projectionnel. Soit une projection de l’auteur, du lecteur, du
critique ou de l’interprète.
En effet, Philipe HAMON propose trois personnages-types qui constituent le
personnel obligé de « la mise en scène » :
− Le « regardeur voyageur » qui serait comme l’œil de l’auteur.
− Le « bavard volubile » où le personnage a tous les sens de l’expression, il prend
dans ce cas le statut du porte-parole.

21
HAMON Philipe, le Personnage du roman, paris, première parution dans la collection Histoire des idées et
critique littéraire, 1983. P, 9.

10
− Le « technicien affairé » : il s’agit d’un personnage « porte-outil » où il est
question du savoir faire du personnage.
Philippe HAMON propose ainsi trois champs d’analyse pour l’étude du
personnage (signes)22 :
 L’être : c’est tout ce qui a un rapport avec le portrait physique du personnage,
y’compris :le nom, le corps, l’habit…
 Le faire : ce sont les actes accomplis par le personnage. En outre, l’être et le faire
sont étroitement liés, comme l’affirme Philippe HAMON car l’être est un résultat
d’un faire ; le faire présente l’être futur du personnage. En conséquence, le
personnage n’est pas donné, il se construit.
 L’importance hiérarchique : ce sont les éléments qui permettent de tirer, voire
de distinguer entre les personnages principaux « moins schématiques »23, « plus
complexes »24 des personnages secondaires « définis par une seule fonction ou une

seule qualification »25


L’écrivain choisit ses personnages à partir de certaines caractéristiques qui les
rendent réels dans un monde fictif.
TOMACHEVESKI notait que « Les personnages portent habituellement une teinte émotionnelle
[…]. Attirer les sympathies du lecteur pour certains d’entre eux et sa répulsion pour certains autres
entraîne immanquablement sa participation émotionnelle aux événements exposés et son intérêt pour le
sort du héros »26
La caractérisation des personnages se dévoile à la suite d’une classification
pertinente de leurs traits en fonction de l’œuvre étudiée. Partant de ce fait, la hiérarchie
devient plus claire : héros, personnages principaux et personnages secondaires.
B. Le narrateur
Le récit est une histoire rapportée par la voix du narrateur. Celui-ci est l’agent de
l’œuvre romanesque, sensé raconté la fiction. Le narrateur apparait sous différentes
formes, selon sa fréquence et le degré de présence manifesté dans le récit.

22
HAMON Philippe, pour un statut sémiologique du personnage, poétique du récit, Paris, Seuil, 1977,p ;225.
23
HAMON Philippe, Pour un statut sémiologique du personnage. In Poétique du récit, Paris, Seuil, collection
Points, 1977.
24
Ibid. PP. 132-133
25
Ibid.
26
Ibid, P ; 200.

11
I.1.1 L’instance narrative
Suite à la vision de GENETTE, nous allons présenter théoriquement les
constituants de l’instance narrative que nous convoquerons pour l’analyse du roman.

I.1.1.4. Le statut du narrateur


La narration, en tant qu’acte producteur du récit, suppose trois figures du
narrateur :
« On distinguera donc ici deux types de récits : l’un à narrateur absent de l’histoire qu’il raconte
[ …], l’autre à narrateur présent comme personnage dans l’histoire qu’il raconte [ …], je nomme
le premier type ,pour des raison évidentes, hétérodiégétique, et le second homodiégétique. »27.

a) La voix hétérodiégétique : le narrateur n’intervient pas dans le déroulement


des événements.
b) La voix homodiégétique : le narrateur est un personnage qui participe à la
construction de l’action.
c) La voix autodiégétique : Ici, le narrateur est un héros de l’histoire qu’il
raconte.

I.1.1.5. Le temps de la narration


Le temps de la narration implique une étude intérieure du récit où le narrateur
prend une position temporelle spécifique par rapport à l’histoire qu’il raconte. D’un point
de vue théorique, GENETTE propose quatre types de narration :
− la narration ultérieure : c’est la narration des événements passés par rapport
à l’histoire racontée.
− La narration antérieure : lorsque le narrateur raconte des événements qui ne
sont pas encore produits au moment de la narration
− La narration simultanée : lorsque la narration se fait au fur et à mesure que
les événements se produisent.
− La narration intercalée : c’est la narration la plus complexe parce qu’elle
consiste à allier la narration ultérieure avec la simultanée. GENETTE prend
l’exemple d’un narrateur qui raconte, après coup, ce qu’il a vécu dans la

27
GENETTE. Gérard, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983, P. 252

12
journée, et en même temps, insère ses impressions du moment sur ces mêmes
événements.

I.1.1.6. La perspective narrative


Quant au narrateur, il peut adopter un point de vue que GENETTE l’appelle
focalisation : « Par focalisation, j’entends donc bien une restriction de « champ », c'est-à-dire en fait,
une sélection de l’information narrative par rapport à ce que la tradition nommait l’omniscience […]. »28
Il s’agit en fait d’une triple classification d’après la vision de GENETTE :
− La focalisation zéro (narrateur Dieu): le narrateur dans ce cas est
omniscient, il est au courant de tous ce qui se passe : le passé et l’avenir des
personnages, leurs pensées…etc.
− La focalisation interne : le narrateur joue ici, le rôle d’un personnage. Il est
donc impliqué dans l’action. Mais, il ne peut rapporter que ce qu’il voit.
− La focalisation externe : le narrateur est un simple observateur. Son champ
de vision réduit. À cet égard, il est incapable de deviner les sentiments ni les
pensées des personnages.

I.1.2. Les récits emboités


C’est une technique de narration qui permet de multiplier l’acte de la narration et
d’augmenter la complexité du récit. Elle consiste à raconter une histoire secondaire dans
une autre principale. Une sorte de mise en abyme. À cet égard, GENETTE classe le récit
principale au niveau extradiégétique29, tandis que l’histoire racontée à ce premier niveau,
appelée intradiégétique30. En outre, s’il s’agit d’une autre histoire au sein du deuxième
niveau de narration, les événements de cette dernière seront classés au niveau
métadiégétique31.

I.1.3 Le temps du récit


A partir des concepts de la théorie de GENETTE : « le récit est une séquence deux fois
temporelle […] : il y’a le temps de la chose-racontée et le temps du récit (temps du signifié et temps du

28
Ibid, p. 49.
29
GENETTE Gérard, Figure III, Paris Seuil, 1972, p. 329.
30
Ibid.
31
Ibid.

13
signifiant) »32. Il s’agit donc d’une dualité temporelle du récit qui met en exergue le temps

de sa lecture.

I.1.3.1 L’ordre du récit


Étudier l’ordre d’un récit, c’est confronter le temps de la narration à celui de
l’histoire. C’est à dire, confronter en ce qui concerne la disposition des événements, le
temps romanesque au temps réel. Ce qui démontre parfaitement le décalage temporel
dans le récit.
Ce désordre chronologique apparait sous forme d’une anachronie qui se définit
par GENETTE comme une « discordance entre l’ordre de l’histoire et celui du récit »33. Cette
variation chronologique interrompt de temps à autre la linéarité du récit, par le biais de :
− L’analepse : « Toute évocation après coup d’un événement antérieur au point de l’histoire
ou l’on se trouve »34. Ce travail de mémoire vers le passé engendre une histoire

secondaire, intégrée dans l’histoire principale. Grâce à ces flash-back, le


lecteur va bien saisir les détails qui ont été masqués de l’histoire.
− La prolepse : « Toute manœuvre narrative constituant à raconter ou évoquer d’avance un
événement ultérieur »35. Il s’agit donc d’une anticipation sur l’avenir de l’histoire

principale. Cette figure d’anachronie tente, dans la plus part du temps, à


susciter davantage la curiosité du lecteur.

I.1.3.2 La vitesse narrative


Gérard GENETTE définit la vitesse du récit comme étant « le rapport entre une
durée, celle de l’histoire, mesurée en secondes, minutes, heures, jours, mois et années, et une
longueur : celle du texte, mesurée en lignes et en pages »36. Elle tente soit à une accélération
ou à un ralentissement des événements racontés entraînant un rythme spécifique du récit.
La vitesse narrative se manifeste sous quatre formes :

32
GENETTE Gérard, « Le récit pur », Figure III. Paris, Seuil, 1972, p. 329
33
Ibid, p. 79
34
GENETTE Gérard, discours du récit, Edition Seuil, 1972, p. 28
35
GENETTE Gérard, Figures III, Edition seuil, 1983, p. 41
36
GENETTE Gérard, « Discours du récit », dans Figure III, Paris, Seuil, 1972. P.123.

14
 La pause : le récit poursuit au moment où l’histoire événementielle
s’interrompt.
 La scène : marquée par une coïncidence entre le temps du récit et celui
d’histoire. C’était généralement le cas de dialogue.
 Le sommaire : il s’agit d’une accélération au niveau de l’histoire
événementielle sous forme d’un résumé.
 L’ellipse : Ici, événement est passé sous silence dans le récit

II. L’espace
II.1 Définition de l’espace
La notion de l’espace en littérature, a pris plusieurs significations à travers le
temps, vue son importance dans la construction de la trame romanesque.
BACHELARD se définit l’espace comme :
«L’étude des valeurs symboliques attachées soit aux paysages qui s’offrent au regard du
narrateur ou de ses personnage, soit à leurs lieux de séjour, la maison, la chambre close, la cave,
le grenier, la prison, la tombe…»37.
Le texte littéraire est créé donc dans un espace représenté soit par un décor
symbolique de la nature tel que la mer, le désert, la montagne, la forêt, le ciel… ou par
des lieux habités par les personnages comme la maison, la tombe…
Puisque les personnages se rencontrent dans des lieux précis, Philipe HAMON
considère l’espace comme un lieu d’échange et de communication :
« Les endroits où se stocke, se transmet, s’échange, se met en forme l’information »38.
Dans son ouvrage, Le récit poétique, YVES Tardié fournie une autre définition de
l’espace comme étant : « l’ensemble des signes qui produisent un effet de représentation. »39.
Autrement dit, l’espace selon lui est composé de plusieurs indices qui contribuent aux
diverses significations.
Quant à Jean-Pierre GOLDENSTEIN, il pose trois grandes questions pour bien
cerner la notion de l’espace dans un roman : « Où se déroule l’action ? Comment l’espace est il
représenté ? Pourquoi a-t-il été choisi ainsi, par référence à tout autre ? »40

37
BACHELARD Gaston, le récit poétique, 1957 (réed. Quadrige 1983).
38
HAMON Philippe, « Le savoir dans le texte », Revue des sciences humaines, n° 4, 1975, pp.
489-499.
39
YVES Tardié- jean, Le récit poétique, PUF. Ecriture, 1979.
40
Christiane ACHOUR, Simone REZZOUG in Convergence critiques, Introduction à la lecture du
littéraire. Edition n°2031 – Janvier 1990. P 210.

15
− La question « Où ? » renvoie à la géographie du roman, c'est-à-dire, aux
différents lieux où se passent les actions.
− La question « Comment ? » conduit à une réflexion sur les différentes
techniques d’écriture, les modalités de la description et les caractéristiques de
l’espace comme les dimensions, les couleurs, les formes ; autrement dit,
comment l’auteur a créé le réel à l’intermédiaire de l’imaginaire dans l’espace
romanesque.
− La question « Pourquoi ? » se concentre sur le choix des lieux qui amène à la
dramatisation de la fiction à travers les fonctions de l’espace.
Un autre théoricien de l’espace met le point sur l’inscription spatiale dans la
narration :
« C’est le lieu qui fond le récit, parce que l’événement a besoin d’un ubi autant d’un quando ;
c’est le lieu qui donne à la fiction l’apparence de la vérité »41
Malgré la multiplicité des perspectives concernant l’espace, elles se convergent
toutes en un point qui les réunissent : tout texte littéraire est situé dans un espace.

II.2 Les frontières entre la narration et la description


Il est bien évident que la description fait partie intégrante dans la narration du
moment où elle participe à la construction du sens par la représentation de la réalité,
raison pour laquelle Gérard GENETTE met l’accent sur l’importance de cette
pratique qui semble indissociable du récit : « Il est plus facile de décrire sans raconter que de
raconter sans décrire »42
En outre, la démarcation entre ces deux éléments semble nébuleuse et confuse
selon les termes de GENETTE:
« Les limites entre texte descriptif texte narratif demeurent floues, malgré le recours à divers
critères d’identification, prise en compte du statut de l’objet décrit, de son mode d’existence
temporel ou spatial, repérage d’éléments pré ou diégétiques, analyse sémiotiques ou
linguistiques. »43
Par ailleurs, GENETTE nous renseigne sur les barrières qui peuvent diviser la
narration et la description, ayant en fait une relation étroite avec le contenu :

41
GRIVEL Charles, Production de l’intérêt romanesque, Paris. Ed. Mouton, 1973, pp
104-110.
42
GENETTE Gérard, Figure II, Seuil, 1969, p. 57
43
GENETTE Gérard, Figure 2, Seuil, 1969.

16
« La narration s’attache à des actions ou des événements considérés comme purs procès, et par
là même elle met l’accent sur l’aspect temporel et dramatique du récit ; la description au
contraire, parce qu’elle s’attarde sur des objets et des êtres considérés dans leur simultanéité, et
qu’elle envisage les procès eux-mêmes comme des spectacles, semble suspendre le cours du
temps et contribue à étaler le récit dans l’espace »44
D’après cette citation, la description de l’espace peut servir également à une pause
qui contribue à l’organisation du récit d’une part et à la stimulation de la curiosité du
lecteur d’autre part.

II.3 Fonctions de la description


Chaque roman se caractérise par une topographie spécifique qui le rend
particulier. Le romancier crée un espace véridique ou vraisemblable dans lequel il situe
ses personnages. Quoique l’univers romanesque n’est pas uniquement une simple
localisation des actions ou d’un décor anodin ; néanmoins il s’inscrit dans l’économie du
récit :
« L’utilisation de l’espace romanesque dépasse (…) la simple indication de lieu. Elle fait système
à l’intérieur du texte alors même qu’elle se donne avant tout, fréquemment, pour le reflet fidèle
d’un hors-texte qu’elle prétend représenter. C’est dire que l’étude de l’espace romanesque se
trouve inextricablement liée aux effets de représentativité »45
La géographie romanesque n’est pas une simple évocation des lieux traversés par
des protagonistes ; mais c’est une donnée à laquelle le lecteur s’appuie pour traduire les
différentes significations liées à ces espaces à travers l’œil et la voix des personnages du
roman. GENETTE distingue à cet égard deux fonctions majoritaires dans les textes
littéraires :
− Fonction décorative : elle vise la dimension esthétique du texte « la
description étendue et détaillée apparaît ici comme une pause et une récréation dans
le récit, de rôle purement esthétique […] »46
− Fonction explicative et symbolique : elle sert « à justifier la psychologie
des personnages »47. L’espace, dans ce cas, est un porteur des significations qui
dépasse l’ « effet de réel »48

44
GENETTE Gérard, Frontière du récit, communication, n°8, 1966, p. 158
45
GOLDENSTEIN Jean-Pierre, Pour lire le roman, De Boeck-Duculot, 1986, p. 88.
46
GENETTE Gérard, Frontière du récit, communication, n°8 1966, p. 157
47
Idem
48
Nous prenons ici « effet de réel » dans la définition que donne Roland BARTHES : « le détail inutile », « l’objet
ni incongru ni significatif ».in Passeron, 1991, p. 207.

17
Partie pratique
Dans notre deuxième partie qui consiste à l’analyse du roman, nous allons nous
intéresser successivement :
− aux personnages
− à la structure romanesque
− à l’étude de l’espace

V. Etude des personnages


V.1. Relever des personnages
Vu la multitude des personnages dans notre roman (plus que cinquante
personnages), nous allons les classer selon leur importance.
D’abord voici un relever exhaustif des personnages :
Tableau n°1 : Les personnages du roman
Personnages du roman
Armande Joseph (fils de Kader) Ted Marthe

Joseph Picard Margaret L’Afghan Un sous-officier

Kader Joan Bastard Couple anglais

Omar Les kelly Tridarir Voisine de Lislei

Mère de Kader Les voisins Woorady Mathilde

Hassen Le médecin Walya L’employé d’imprimerie

Nour Un Fermier Truganini Rogg

El Mokrani L’Aubergiste Umarrak Bruce

Tente de Nour Sam Baker Pevay Wallace

Lislei Deux Abos australiens L’Irlandais Flyn

Camille Un sous-officier O’Hara Saïd

Parent de Lislei Cribb Lawsan Frère d’El Mokrani

Pierre Hughie / /

Suite à un examen minutieux et au fur et à mesure d’une lecture fine et détaillée,


nous nous sommes rendu compte que tous ces personnages n’ont pas la même
importance. Certains apparaissent simplement comme toile de fond ; d’autres jouent un
rôle mineur et agissent de façon occasionnelle à un moment donné de l’histoire ; enfin,

18
une dernière catégorie qui représente les personnages principaux traversant le roman de
bout en bout.
Delà nous allons dresser un tableau pour les personnages qui jouent un rôle
effectif selon leur apparition dans les différents lieux (Tableau 2).

Tableau 2 : Répartition des personnages essentiels dans l’espace

Espace
Personnages
Nouvelle-
Damas Algérie France Tasmanie Australie
Calédonie
O’Hara - - - - + +

Tridarir - - - - + +

Kader + ++ - + - +
Parents de
+ ++ - - - -
Kader
Parents de
- - - - + -
Tridarir
Lislei - - ++ + - ++

Armande + + + - - -

Nour - + - - - -

Camille - - + - - -

Joseph - - - - - +

À partir de cet inventaire nous éliminons d’abord les personnages qui apparaissent
uniquement au niveau d’un seul espace et dont le rôle est limité (Joseph, Camille, Nour et
les parents de Tridarir). En effet, Les personnages qui restent sont les plus importants ;
mais nous pouvons également écarter trois autres personnages (Armande, O’Hara et les
parents de Kader) qui n’apparaissent qu’au niveau de deux espaces et n’existent qu’aux
dépend des autres personnages. Bien que l’ensemble de ces actants soient essentiels ils
n’apparaissent dans le récit que conjoncturellement et épisodiquement.
Il subsiste à partir de cette sélection trois personnages principaux : Lislei, Kader et
Tridarir qui sont présents constamment tout au long du récit. Paradoxalement, Tridarir
bien qu’il soit un personnage principal est absent de toute la première partie du roman, et

19
n’apparait qu’au niveau de deux espaces. Et pourtant le titre du roman « L’Enfant du
peuple ancien », fait allusion à lui. Dans se cas il ne peut que mériter le titre d’un « héros
symbolique ». Quant à Lislei, elle n’apparait qu’au niveau de trois espaces, en revanche
elle marque une présence primordiale tout au long des péripéties. Mais en faite elle n’a
pu émerger vraiment parmi les personnages principaux qu’après sa rencontre avec Kader,
Tridarir, c’est eux qui lui vont donner vie dans le roman
De ces trois principaux personnage, un et un seul traverse le roman de bout en
bout, prend la parole dans le prologue, le seul survivant dans l’épilogue c’est en fait
Kader le « héros »

I.2 Caractérisation des personnages principaux


Nous traitons les caractéristiques des personnages principaux d’après leurs critères
culturels ainsi que leurs traits physiques et psychologiques comme suit :

I.2.1 Critères culturels


L’appartenance culturelle des personnages principaux tient compte de la tenue
vestimentaire, la croyance, la nourriture, le statut social et leur adéquation avec le pays
d’origine de chacun parmi eux. Nous résumons ces critères dans le tableau suivant :
Tableau 3: pays d’origine et critères culturels des personnages principaux.
Personnages Pays Statut social Nourriture Croyance La tenue
principaux d’origine vestimentaire
Neveux de l’Emir L’autruche, thé,
L’Algérie Abd El Kader, dattes, couscous, Tarbouche ,
Kader (Biskra) révolutionnaire, Cornes de gazelle, Musulman Kachabia
bagnard, assassin Makrouds.
évadé, modeste.
Orpheline, Pain, Confiture de Un jupon déchiré,
Lislei La France Accusée d’être coing, Marmelade, Chrétienne robe maculée de
(Alsas) communarde, évadée, chocolats, goudron, un foulard
prostituée, modeste kugelhopf. rouge crasseux.
la viande du
Wombat, du
L’Australie Orphelin, le dernier Wallaby, la farine, Il croit au Nu - une chemise et
Tridarir (Tasmanie) survivant de sa tribu, les œufs de petit Temps du un pantalon.
pauvre pingouin et d’oiseau, Rêve
mouton, des
ignames.

Les personnages principaux d’Anouar BENMALEK dans L’Enfant du peuple


ancien marquent un large espace de divergence. Ils appartiennent ainsi à trois pays voire
trois continents différents. L’auteur nous retrace cette variation à travers leurs habits,
leurs croyances et leurs nourritures, typiquement algérienne, française ou tasmanienne.

20
e) Les vêtements
 Kader
D’après le peu d’informations que nous avons sur L’habillement de Kader : À
l’heure de partir en guerre. Nous voyons Kader habillé d’une Kachabia et un « fusil acheté
avec les dernières économies du père » par opposition à son cousin, Hassan qui semble « mieux

armé que lui » avec « son burnous blanc, son seroual arrêté à mi-mollet et ses bottes de filali rouge ».

Cette description nous rend compte de modesté de Kader et la jalousie qui porte envers
son cousin, en l’examinant avec « un regard exaspéré ».
Nous voyons Kader aussi portant un « tarbouche ridicule » comme l’a qualifié
l’Auvergnate, son institutrice de français à Damas. Kader ressentit avec amertume le
mépris de cette femme envers « tous ce qui était arabe et qui constitué, en fin de compte, le « fond
de son âme » » (p ; 43). Depuis ce jour-là, sa relation avec elle se change. Ceci nous donne

l’impression de quelqu’un qui est attaché à ses traditions et fier de son arabité.
L’habillement de Kader dénote non seulement de ses origines géographiques mais
aussi de ses origines sociales. En effet, la description des effets vestimentaires de Kader
révèlent son algérianité mais aussi dévoilent qu’il est de condition modeste quoique noble
puisqu’il est neveu de l’émir Abd El Kader.
 Lislei
Quand à la manière de se vêtir, nous pouvons dire, que Lislei est mal habillée. À
la prison après une bagarre avec une autre prisonnière « les deux femmes s’étaient mises à
pleurer sur leur sort et chacune, chevelure défaite et jupons déchirés » (p ; 57). À travers le regard

piteux de Kader, nous voyons clairement l’habillement de Lislei quand elle est sur le
bateau d’évasion : « Sa robe est maculée de goudron, le foulard rouge qui enserre ses cheveux est
crasseux » (p ; 140). Le matelot également, contemple la femme minutieusement «détaille

de haut en bas la jeune femme mal fagoté » (p ; 119. Même, en Australie, l’aubergiste fait

remarquer que Lislei « habillée d’habits défraichis qui doivent dater d’un demi-siècle. »(p ; 208).
Dans le cas de Lislei, nous avons affaire à une description vestimentaire à un
moment donné de sa vie : sa condition de déportée. Nous ne savons pas grand-chose
d’elle avant sa participation au soulèvement de la Commune. Le narrateur nous livre ses
souvenirs mais sans trop s’y attarder.

21
 Tridarir
Le petit aborigène se trouve nu depuis son enfance jusqu’à sa rencontre avec Lislei
au sein du bateau. Après l’avoir libérer à l’aide du Kader, elle « l’a lavé, malgré son
opposition […] Elle l’a ensuite habillé avec les vêtements du gros homme qu’elle a pris dans une malle »
(p ; 172), or cet habillement lui semble toujours étrange. En outre, au cours de la
recherche de sa jungle en Australie « Tridarir a faim. Chasser. Mais pas avec ces habits grotesques
qui le dégoûtent. Il se déshabille, jette au loin le pantalon et la chemise, revient sur ses pas, piétine les
vêtements, les lacère avec le tranchant d’une pierre » (p ; 191). Le fait de déchirer et de piétiner

ces habits n’expliquent qu’une manière de vengeance pour Tridarir vis-à-vis ces
vêtements des Blancs. D’après cet extrait, le narrateur nous renseigne également sur le
sentiment de haine et de mépris qui gonfle le cœur du petit aborigène.
Quand à Tridarir, il tranche complètement avec les deux autres personnages. Chez
lui, l’absence d’habit relève d’une appartenance ethnique.
Donc, l’habit ou l’absence d’habit est aussi pertinent. Nous pouvons avancer que
les vêtements, sont un élément culturel constitutif de la personnalité des personnages.

f) La nourriture
La nourriture constitue un autre élément essentiel qui nous aide à mieux identifier
les personnages principaux du roman vue leur différence sociale. « Dis-moi ce que tu manges,
je te dirai ce que tu es. »49.
 Kader et sa famille
La veille de la bataille entre les partisans d’El Mokrani et l’armée française, Kader
part avec son cousin à la chasse de l’autruche. Cet oiseau qui est très rependu au sud
algérien notamment à Biskra, représente chez eux « non seulement un animal noble mais aussi
un volatile utile. Elle est offerte à toute personnalité que l’on désire honorer »50. Dans ce contexte de

chasse Kader « a une vague envie de vomir. Il ne sait si c’est la mort de l’autruche ou la perspective de
se battre bientôt qui en est la cause » (p ; 27). Cette coïncidence de la chasse d’autruche ainsi

que la participation à la guerre nous renseigne sur la tradition saharienne qui fait de cette
viande un honneur pour les guerriers.

49
BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme (Philosophe et célèbre écrivain gastronome français du XIXe siècle),
Physiologie du goût, Sautelet, 1825.
50
BOUAMAMA Massinissa . Destruction des espèces animales en Afrique du nord à cause du (néo) colonialisme.
Le 05.08. 2014. [en ligne] Disponible sur : https://negreinverti.wordpress.com. (Consulté le 01. 12. 2015)

22
En outre, nous constatons que le couscous est un repas typiquement algérien à
travers le souvenir de Kader en Australie: « le ventre noué, il se force à se souvenir de l’Algérie.
Des détails reviennent, épars, sans liens. Une odeur de couscous, […] » (p ; 253). D’autre part, quand

le père de Kader apprit que l’Auvergnate consacre beaucoup de temps à apprendre à son
fils la langue française « il fit envoyer aux Picard _ en cachette, bien sûr _ un plateau de couscous,
orné de viande de mouton et de toutes sortes de légumes, accompagné par une superbe théière en argent,
un des rares objets de valeur » (p ; 39). En effet, cette offre du couscous avec le thé oriental

est une manière par laquelle Hadj Omar exprime sa reconnaissance et sa gratitude à
l’Auvergnate d’une part et affirme sa différence, d’autre part.
Le narrateur nous renseigne également sur la pâtisserie algérienne à travers
quelques indices : « Le matin de chaque grande fête musulmane, elle (sa mère) remettait à Kader un
plat de cornes de gazelles et de makrouds. Elle avait passé des heures à les préparer, consciente du
regard professionnel que « l’Autre » y poserait […]. Le fils s’en allait, guilleret, remettre ses gâteaux
ruisselants de miel à celle qu’il appelait « Khalti » Armande » (p ; 41). Les fêtes musulmanes

constituent en fait, une belle occasion qui permet à la mère du Kader de montrer sa
virtuosité à la pâtisserie devant l’œil professionnel de la française.
Un autre indice apparait à travers la description de l’oasis de Biskra dont les
palmiers dattiers constituent l’âme de la nature saharienne de cette région : « c’est à l’aube
qu’un objet frôle la tête de Kader. Il est à Biskra […] il fait la sieste sous le palmier dattier du jardin
familial. » (p ; 167). Cet extrait nous informe tacitement d’un autre élément d’alimentation,

celui des dattes. Hassan, en outre, mange des dattes vertes « il ne craignait pas les coliques qui
s’ensuivaient » (p ; 29) et rêve d’être un futur voyageur tel qu’Ibn Battûta.

 Lislei
Quand à Lislei, elle se plonge de temps en temps dans ses souvenirs d’enfance, en
reniflant tantôt l’«Odeur de marmelade » (p ; 104), tantôt « l’odeur de pain et de confiture de
coings » (p ; 129). Elle rêve ainsi « du kugelhopf odorant que sa mère préparait le vendredi pour le

dimanche » (p ; 272). Un autre indice apparait lorsqu’elle rejoint Tridarir et Kader après la

quête de sa nièce, «elle s’est comportée comme si rien de miraculeux ne s’était passé. Elle nous a
distribué des chocolats _ qui avaient fondu à cause de la chaleur _ » (p ; 315).

 Tridarir
La jungle est le lieu dans lequel se refugient Tridarir et ses parents. Elle
constitue en fait la source d’alimentation pour eux. Woorady consacre son temps à

23
la chasse du wombat ou de wallaby. Tridarir dans son rêve, déguste « des œufs de petit
pingouin et d’oiseau-mouton […] Sa mère met sur la braise les ignames qui ont mariné toute la
matinée » (p ; 127). Quant à la farine, au sucre et à la viande séchée sont utilisés

comme moyen pour piéger les aborigènes de Tasmanie :


« Le père entrera le premier, découvrira trop rapidement le sac de farine et l’autre, plus
petit, de sucre. La mère, elle, fouinera dans l’armoire et brandira victorieusement les
lanières de viande séchée, elles aussi si mal dissimulées […]…Mange pas… mon fils…
poison… c’est l’ancien piège… sauve-toi… ils l’ont utilisé contre nous… dans le temps…
sauve-toi… » (p ; 84-85).
g) Statut social
Malgré la divergence nationale qui caractérise les personnages principaux du
roman, il existe plusieurs points communs entre eux. Étant donné que l’histoire se
déroule dans un contexte de guerre, ce qui ouvre l’horizon de la pauvreté ainsi que la
famine : Kader désespéré annonce « on crève de faim dans nos village » (p ; 28). Ce malheur ne
se réduit pas seulement en Algérie, bien au contraire. Il s’étend en France où réside
Lislei « Les dernières semaines, elle avait conçu des sacs de sable destinés aux barricades […]. Il lui
avait bien fallu faire quelques choses pour ne pas mourir de faim » (p ; 59) . De même en Tasmanie

_ si ce n’est pas pire_ Tridarir et ses parents se réfugient dans la jungle après une
trentaine d’années d’esclavage en oubliant les techniques de la chasse « Depuis des mois, ils
souffraient de la faim » (p ; 72).
Nous remarquons également que Lislei et Tridarir sont des orphelins. D’autre part,
Kader et Lislei sont des déportés. Lui comme révolutionnaire et elle comme
communarde. D’un autre côté, tous les deux ont des défauts. Kader est un « assassin » et
Lislei est une « prostituée » cherchant leur liberté.

h) Croyance
 Kader
Kader, est algérien et musulman. Il a appris par cœur le coran dans son adolescence
en récitant « d’une traite l’ensemble des cent quatorze sourates du coran » (p ;16). À Damas, Il
consacre son temps à l’apprentissage « partait tôt le matin à la medersa accolée à la grande
mosquée des Omeyyades ; il y apprenait jour après jour les subtilités de l’exégèse coranique(…) » (p ;
37). Il est donc très attaché à sa religion au sein d’un pays qui reste pendant toute sa vie

cher à son cœur. Or les vents ne soufflent pas tout le temps au gré des voiliers. Le héros

24
se confronte à un exil involontaire et continue le reste de sa vie « Là-bas » en Australie,
loin de son Algérie mais encore de ce pays d’Orient. L’image de cet homme pratiquant se
change au fil d’histoire. Kader devient fumeur au bagne. Et jour après jour, il prend de
mauvaises habitudes. Toutefois, au fond de lui s’accrochent les souvenirs de son enfance
« Yemma chérie, pardonne à ton fils ce qu’il va faire…Il y’a si longtemps qu’il n’a plus pensé à sa mère. Celle qui

lui apprenait la différence entre le bien et le mal(…) qui l’aurait défendu contre le monde entier… » (p ; 101). Le
narrateur nous renseigne sur l’état d’esprit de Kader qui semble toujours attaché à des
réminiscences même dans ses moments les plus durs. En pleine mer Les anciennes
paroles sacrées de son enfance sont revenues : « Si la mer était une encre pour écrire les
paroles de mon Seigneur, la mer serait tarie avant que ne tarissent les paroles de mon Seigneur… » (p ;
179), en jetant les sacs d’os ainsi que les cadavres des aborigènes au cœur de cette mer qui

avale tout mais qui reste si petite devant « les paroles » de Dieu. À un autre moment,
Kader remercie Dieu de lui rappeler les bons moments de sa vie après avoir écouter un
afghan musulman qui récite des versets coraniques de sourate al Mouminoun. Chaque
parole reproduit chez l’exilé « une douceur aiguë naissant du fond des jours enchantés »
(p ; 265) surtout sur cette terre qui se situe au bout du monde.
 Lislei
La française croit au Dieu et le craint aussi. Nous voyons ça d’après la question
que lui a posé Kader « − Lislei, est-ce que tu crains Dieu ? Ton Dieu ? », « − Euh… oui… enfin je
crois… Tout le mode craint Dieu… » (p ; 243). En outre, nous rappelons que l’alsacienne adore

le kugelhopf « Pendant qu’elle priait, Lislei rêva de neige, du kugelhopf odorant que sa mère préparait
le vendredi pour le dimanche » (p ; 272). Cette spécificité pâtissière propre aux chrétiens se

manifeste, d’après cet extrait, comme une image sainte préparée pour le jour sacré.
Croyance religieuse et spécialité culinaire se mêlent dans ses souvenirs.
 Tridarir
L’aborigène tasmanien croit au « Temps du Rêves ». Ce culte se base sur la
notion du Rêve qui représente chez les aborigènes « l’ordre moral, physique et spirituel qui régit
l’univers »51. Cette croyance explique la création du monde « Les Rêves des êtres primordiaux
avaient donné par la suite naissance aux plantes, aux animaux et aux hommes [...] Tridarir, par exemple
était né du Rêve de la fourmi à miel, sa mère du Rêve de l’émeu et son père de celui de varan. » (p ; 75).

Les êtres aborigènes sont considérés comme des Esprits Créateurs liés spirituellement à
la nature, notamment aux animaux typiquement australiens (tasmaniens). De plus, nous

51
La culture aborigène en Australie [en ligne]. Disponible sur : www.artsdaustralie.com. (Consulté le : 22.06.2014)

25
apprenons que le Rêve est à l’origine de toute création et c’est lui qui a le pouvoir
d’instaurer l’équilibre du cosmos. Quoiqu’il ait besoin d’une protection pour continuer à
vivre et avec lui toutes les créatures au monde. Les parents de Tridarir l’informe « tu es
au même temps le père et le fils de ton Rêve, [...] Depuis ta naissance, ce Rêve t’appartient et tu lui
appartiens. Tu lui dois protection et nourriture, sinon il dépérira et mourra. Et le feu de ton âme avec »
(p ; 76).
L’auteur nous explique selon une interview52 la pensée extravagante des
aborigènes. Ils estiment que toute l’Australie est une cartographie du chemin de rêves
qu’il s’agit de revifier perpétuellement. « Le père et la mère chantaient tout le temps, expliquant
au petit qu’ils revifiaient ainsi les sentiers sacrés des Rêves des Ancêtres. […] La nature se mourait
lentement de ne plus être chantée. Le chant était comme son eau et il n’y avait plus assez d’eau ! » (p ;
74), le chant constitue, en fait, une condition sine qua non pour la survie à travers laquelle

chaque génération fait revivre celle qui la précède pour donner naissance à la génération
suivante.
La pratique des rites sacrés des aborigènes consiste à peindre leur corps de façon
particulière « ils traversaient les forêts et les plaines en s’appliquant avec angoisse à retrouver les
anciens parcours de leurs tribus respectives […] le père se colorait le visage de peinture blanche, tandis
que la mère dessinait d’étranges entrelacs ocre sur son corps » (p ; 74)

Nous constatons enfin que le rapport à la divinité se diffère d’un personnage à un


autre. Lislei et Kader issus de culture monothéiste (l’Islam, le Christianisme) tandis que
Tridarir est issus de culture polythéiste (Le Temps du Rêve). Par ailleurs, la coexistence
de différentes cultures ne constitue à aucun moment un obstacle ou une contrainte qui
empêchent les personnages de vivre ensemble en harmonie.

I.2.2 Traits physiques et psychologiques


Nous avons dressé un tableau qui montre les descriptions physiques et
psychologiques des personnages principaux du roman tout au long de leur vie.

52
Dolores Oscari, « Si j’ose écrire », émission avec Anouar Benmalek, produite et réalisée par : Daniel Broyer,
RTBF, le 01.02.2014. [en ligne], disponible sur : www.dailymotion.com (consulté le 22.06.2014).

26
Tableau 3 : Traits physiques et psychologiquesdes personnages principaux.
Personnages Caractéristiques
Caractéristiques physiques
principaux psychologiques
Des mains ridées, parcourues de
amoureux, jaloux, laconique,
Kader craquelures, pâle, maigre, le visage
mou.
pas très beau.
fille jeune et belle, un petit éventail
des rides creuse la chair au- dessus Courageuse, sincère,
Lislei
du nez. Cheveux longs à peu près intelligente, tendre, timide
secs, des yeux magnifiques,

Un Aborigène - garçonnet aux yeux -triste, désespéré, taciturne,


Tridarir si gais, ses cheveux coupés au ras courageux, innocent,
du crâne. mystérieux.

L’auteur peint les personnages avec des traits physiques distincts. Quand aux traits
psychologiques, nous allons plutôt les signaler à partir de leurs comportements, leurs
actions et leur parole.
 Kader
L’auteur introduit son roman par l’évocation de l’histoire de l’émir Abd El Kader
en parallèle avec celle du Kader dont le père « avait longtemps guerroyé aux côtés de son
prestigieux parent » (p ; 35). À partir de cet extrait, nous pourrions en déduire, qu’il ne s’agit

pas seulement d’une simple coïncidence entre le prénom du héros et celle de l’émir.
Mais il existe, en fait des liens de parenté entre les deux personnages. Un autre point
commun apparait dans cet extrait : « Quelque chose avait changé chez le neveu de l’émir Abd El
Kader, exilé et fils d’exilé peut-être, mais prince du sang quand même » (p ; 43). L’exil et le combat

font donc partie intégrante du vécu des deux personnages.


Kader comme Lislei ne bénéficient pas d'une description physique au moment de
leur enfance. L’auteur nous dessine Kader comme un « maigrichon dégingandé »53. Le regard
de Lislei nous informe ainsi que l’Arabe a un « visage pas très beau, plus pâle, à son avis qu’il
ne devrait l’être pour un arabe d’Afrique » (p ; 141). Lorsqu’il atteint ses quatre-vingts ans, il

53
BENMALEK Anouar, L’Enfant du peuple ancien, Edition Pauvert, 2000. P33

27
devient vieux et il se trouve déformé avec des « mains ridées, parcourues de craquelures, […] si
faibles, si laides. » (p ; 12). Ça nous donne l’impression de quelqu’un âgé, qui consacre sa vie

au travail sans prendre soin de lui-même.


En plus de la description physique, l’auteur s’intéresse au côté psychologique des
personnages.
Kader se présente comme un jeune homme amoureux, et jaloux. Après sa
déportation en Nouvelle-Calédonie, il a perdu Nour, là-bas en Algérie. Mais elle ne le
quitte pas dans ses pensées « Nour, Nour, le passé est un pays dans lequel je ne vivrai plus.
Pourquoi insistes-tu ? » (p ; 133). On outre, Kader semble aux yeux de son cousin une

personne molle et blafarde. De plus, Il parle peu et donne l’impression de quelqu’un qui
est fragile et sensible. Ce guerrier devient ainsi si faible et lâche devant toute probabilité
de la mort. Au bateau Lislei le supplie de l’aider à délivrer Tridarir en criant : « Qu’est-ce
qui vous prend, vous crevez de peur ? […] Vous êtes lâche à ce point ? » (p ; 145). Kader s’accroche

fortement à la vie malgré sa dureté et sa cruauté « Mon Dieu, que veut dire cette envie folle de
survivre dans un corps aussi délabré » (p ; 12).

 Lislei
Lislei est présentée comme une jeune femme de vingt-quatre ou vingt-cinq ans
qu’« un petit éventail de rides creuse la chair au-dessus du nez » » (p ; 183). C’est une belle
«gaouria», constate Kader, aux yeux magnifiques et des longs cheveux « à peu près secs,
elle les écarte d’une main impatiente » (p ; 183). Son geste de la main nous rend compte qu’elle

est mal à l’aise et inquiète.


En ce qui concerne le caractère de Lislei, elle est timide et tendre « elle a de la peine
pour le gosse » (p ; 154). Elle considère le petit aborigène comme son fils. La jeune femme

souffre d’un sentiment de chagrin et de mécontentement de ne pas avoir protégé sa nièce


qui lui manque profondément. Dans son rêve, sa mère la réprimande vigoureusement
« Qu’as-tu fait de notre amour pour toi, notre fille adorée. Tu as trahi tout le monde. Tu as laissé mourir
Camille, notre petite-fille. Même ta Mathilde, tu l’as trompée. » (p ; 130).
Toutefois, Lislei se voit sous un autre angle comme une femme courageuse prête à
affronter tous les dangers afin de protéger le petit Tridarir. Elle supplie kader pour
chercher Tridarir « Toi et moi, on ne vaut pas grand-chose. Mais ce n’est pas une raison pour
abandonner ce gosse à son sort. Au fond, il nous a sauvés la vie. Ce serait […] une honte pour toi et pour
moi…On a plus rien et on est plus rien » (p ; 195)

28
 Tridarir
Tridarir est un aborigène de Tasmanie. Son apparition fait changer le déroulement
de l’histoire. Il est le dernier représentant de son peuple. Sa mère ne peut pas accepter
cette réalité abominable ce qui l’amène à penser au suicide « Walya fut tentée de tuer son fils
puis de se tuer [...] Chaque fois, cependant, le courage lui manquait et elle se mettait à embrasser comme
une folle le garçonnet aux yeux si gais qui la suivait partout.»(p ; 82). Cette description de Tridarir

nous renseigne sur l’innocence de l’enfant. Le narrateur dessine ainsi les cheveux de
Tridarir qui ont été « coupés au ras du crâne » (p ; 71)
Quand aux traits psychologiques de Tridarir, il semble toujours triste et désespéré.
Le dernier d’un peuple ne peut pas être heureux dans un monde qui lui parait étranger.
Même après son adoption par Lislei et Kader, nous le voyons discret et mystérieux.
« L’Aborigène taciturne n’est pas là, disparu pour la journée. Ou peut-être comme cela lui arrive parfois,
est-il parti un mois ou plus pour une de ses étranges déambulations dans le désert dont il revient crasseux
de poussière, mourant presque de faim et encore plus désespéré ? » (p ; 11). En fait, Tridarir est un

enfant mais il est courageux. Malgré l’humiliation et le malheur que subissent, il continue
à vivre pour revifier les siens. En revanche, la mort de Lislei le tombe dans le piège du
passé, après une cinquantaine d’années. L’homme décide de rejoindre ses parents à la
mer en disant à Kader « Si je meurs après toi, personne ne me pleurera. Je ne peux imaginer
qu’aucun être humain ne pleure le dernier, le tout dernier des gens de mon peuple […] Toi, par contre, tu
m’aimes, alors tu pleureras… » (p ; 316)

I.2.3 Diversité des prénoms


La somme d’information que nous avons reçu à travers l’analyse des traits
physiques et psychologiques des personnages nous amène à nous interroger sur la
multiplicité des prénoms des personnages qui se rassemblent sur cette terre d’Australie et
nous tenterons d’en expliquer la diversité :
Kader est le diminutif d’Abd El Kader, un nom issu de culture musulmane, porté
par l’illustre l’Emir Abd El Kader. Ce dernier représente dans le récit, des relations de
parenté avec le protagoniste « Kader ». Ce prénom se transformait en « Harry », « À
présent, au soir de ma vie, je me nomme Harry » (p ; 12). Kader se dissimule sous ce prénom à

cause de sa condition d’évadé. En effet, Joseph est le prénom que Kader a donné à son
fils. Certainement parce qu’il a un équivalent en arabe qui est « Youcef » ; « Mon fils
Joseph – que j’appelle Youcef au fond de mon cœur – s’amuse comme un fou. » (p ; 12). L’inscription

29
religieuse est très marquée par rapport à ces deux prénoms. Kader garde enfouie, au fond
de son cœur, sa foi musulmane.
Quant à Lislei, elle se dissimule à son tour sous le prénom Elisabeth « je suis là,
Elisabeth […] Je suis là, Lislei. N’aie pas peur, je suis là. » (p ; 19). Le prénom Lislei est en fait le

diminutif d’Elisabeth. Ce prénom constitue l’« un des plus anciens prénoms bibliques »54. En
outre, Lislei est appelée encore Li « Li ne l’a pas su, bien entendu, Elle n’aimait pas que je
maltraite les livres qu’elle m’offrait » (p ; 313).
Tridarir par contre, c’est un prénom aborigène dont nous ignorons le sens. Il est
appelé par sa mère « mon petit wombat » (p ; 173). Tandis que Lislei préfère l’appeler
« Trid », « Je suis là, Trid, n’aie pas peur ! A-t-elle répondu» (p ; 273).

I.2.4 Le rapport aux langues :


Nous avons examiné précédemment la caractérisation des personnages à travers
différents critères culturels. Dans le cadre de ce chapitre, nous nous proposons d’étudier
le rapport qu’entretiennent les personnages principaux du roman avec les différentes
langues (l’arabe, le français, l’anglais et le dialecte tasmanien). Nous allons commencer
par considérer la relation de la langue avec la culture.
« …langue et culture sont deux modalités parallèles d’une activité fondamentale »55
De là nous pouvons comprendre que la langue et la culture sont deux facettes
d’une même médaille. De fait, la langue est un vecteur qui nous permet d’envisager la
culture de l’Autre.

A. Le français, l’arabe
À l’époque, la langue française est la langue du pays colonisateur, de l’ennemi
pour la majorité des algériens. Cependant Kader dont la langue maternelle est
effectivement l’arabe, a une autre conception.
Pendant son exil à Damas. L’adolescent va être confronté à l’apprentissage de
deux langues. D’une part, l’arabe classique qui semble :
« …très différente de la version dialectale, un peu rustaude, de son pays natal. Elle était chaude à
entendre et le rythme enflammé des textes omeyyades et abbassides faisait naître en son cœur des

54
Prénom Elisabeth. [en ligne]. Disponible sur : www.journaldesfemmes.com. (Consulté le 02.05.2015)
55
CLAUDE Lévi-Strauss, « Linguistique et Anthropologie », Anthropologie structurale, Paris, Plon, 1958, P. 81

30
fringales de chevauchées d’une rive à l’autre de l’Afrique, de magnificence andalouse et
d’héroïsme » (p ; 39)
Ce passage nous montre la découverte de l’arabe classique par le biais de la poésie.
Cet aspect touche profondément Kader qui s’extasie sur la beauté de cette langue en
comparaison avec sa langue maternelle. De plus, au cours des années, la langue arabe
devient pour Kader la langue qui lui fait rappeler son enfance et ses origines « Combien il
préfèrerait confier ce qui l’oppresse dans la seule langue qui compte pour lui, la langue rauque de son
enfance, de la tendresse sans conditions du père et de la mère ! »(pp. 243,244).
D’autre part, l’apprentissage de la langue française constitue chez l’Arabe une
phase notable dans sa vie. Une française qui a été pourchassée par la justice dans son
pays, est venue se réfugier en Syrie, avec son mari et ses quatre filles. Elle tient une
pâtisserie. Pendant des jours, l’odeur des gâteaux attire Kader et le pousse à les déguster.
Le neveu de l’émir fut bien accueilli par le patron. Quant à sa femme « décida de lui
consacrer une heure par jour pour lui apprendre le français » (p ; 38). Kader constate que cette

langue est attrayante. Plus qu’elle est amusante et compliquée, elle suscite la
gourmandise « −les leçons se terminant toujours par un goûter plantureux – le délicat velouté d’une
pâte noire au cacao mariée au sucre et à la vanille ! » (p ; 38). Après une longue réflexion, Kader

s’est convaincu que c’est la beauté de la langue en elle-même qui le séduit « ce n’est pas
leur faute, c’est leur langue qui donne faim » (p ; 38).
Malgré la clarté et la préciosité du français, cette langue reste toujours celle des
malfaiteurs. Un grand paradoxe qui amène Kader à s’interroger « comment pouvait-on,
simultanément, écrire d’aussi belles choses et tuer et chasser sans pitié des gens de leurs propres
maisons ? » (p ; 39).
Kader apprécie beaucoup la langue française, d’autant plus qu’il l’a apprise dans
un cadre convivial. Mais cela ne l’empêche pas d’être lucide et de se poser des questions
sur le rapport de la beauté d’une langue et de la cruauté de ses locuteurs.
En revanche, la maitrise des deux langues crée chez Kader un sentiment de
dédoublement et de juxtaposition qui le trouble perpétuellement. Il attribue à chacune des
langues un domaine de prédilection.
« Je m’exalte et je m’attriste en arabe, mais je pense à la grâce et au plaisir en français ! » (p ; 41).
« Il ne rêvait de son enfance ou de ses parents, par exemple, qu’en arabe. S’il s’agissait de rêves plus
sensuels, le français se chargeait de les exacerber » (p ; 42).
Cette dualité de langues se transforme soudainement en une rupture chez
« l’Arabe ». Armande lui a confié un jour :

31
« Toi, mon petit, c’est à Paris qu’il te faudrait aller pour purifier ton esprit et apprendre quelque
chose d’utile. Tu perds ton temps et ton intelligence avec ses enturbannés de Damas et leurs
radotages moisis sur ce qui est permis ou pas ! Tiens regarde ce tarbouche ridicule que tu porte
sur la tête… » (p ; 42)
Le jeune homme se rend compte du mépris et de l’humiliation de l’Auvergnate
envers tout ce qui constitue l’identité arabe. Suite à cela le petit calife « ne remit plus les
pieds chez elle pendant près d’un mois » (p ; 43).
Encore une fois, Kader a le cœur blessé lorsque l’Auvergnate lui annonce
qu’elle va rentrer dans son pays, la France. Insinuant par là L’Algérie française.
« L’Algérie maintenant, c’est la France, et pour toujours ! Et je peux te dire qu’elle en a de la chance,
ton Algérie, d’être désormais la nôtre… » (p ; 44). Kader ressent un chagrin l’envahir et une

peine qui le torture en l’empêchant de s’exprimer dans la langue de l’ennemi « parler


français lui devint aussi pénible que d’avaler une arête de poisson ; chaque mot de cette langue lui
sembla être une douceur derrière laquelle s’embusquait une trahison » (p ; 45). Parler français devint

comme une trahison pour son pays et sa langue maternelle. D’autre part, Kader est l’objet
de suspicion de la part de ses concitoyens car il aurait appris le français.
Après son retour clandestin vers le Sud saharien. « Dans la tribu, on murmure qu’en exil,
il aurait fréquenté les Français au point de parler leur langue. Il le nie certes, mais les témoins sont
formels » (p ; 33). En fait, le français et l’arabe entretiennent une relation de rivalité au sein

de ce pays colonisé.
Certes la langue française était la langue du colonisateur, mais elle représente aussi
pour Kader une langue d’échange et de communication avec laquelle il transmet ses
pensées.
On peut avancer que Kader souffre d’une acculturation indirecte. Ce n’est pas en
Algérie, que des français se sont chargés de l’instruire dans leur langue. Mais c’est en
Syrie, pays arabe, qu’une française, pâtissière de son état, lui donne des cours. L’auteur
en profite pour rappeler la colonisation française dans plusieurs pays. Subtilement il
dénonce les méfaits de la colonisation.
Lors de son évasion après sa déportation en Nouvelle-Calédonie. Il rencontre
Lislei, une française qui ne peut pas comprendre l’arabe, mais elle maitrise l’anglais. Ils
se mettent donc à communiquer en français pour s’échapper de cette île pénitentiaire vers
l’Australie en accompagnant le petit aborigène. Avec le temps, le français devient pour

32
Kader une langue « naturelle »56 au moment où l’arabe le fait torturer parce qu’il lui
rappelle sa condition en tant qu’exilé « De parler en arabe – la langue d’avant l’exil – à un enfant
(Tridarir) infiniment plus exilé que lui sert la gorge de l’évadé » (p ; 165).

B. L’anglais
En Australie, les gens communiquent en anglais. Ce qui contraint Kader à
apprendre une nouvelle langue à l’aide de Lislei. « -Town, c’est ville ? – Oui. » (p ; 221). Cet
apprentissage se fait par besoin dans un but utilitaire contrairement au français qu’il a
aimé.
Quant à Lislei, elle a été contrainte d’apprendre la langue de ses employeurs
anglais dés son enfance pour communiquer avec son entourage « Après trois ans de service,
Lislei en est arrivée à pouvoir converser avec ses employeurs dans leur propre langue. Puis le couple
d’Anglais a eu peur de la guerre qui s’annonçait et a quitté le pays… » (p ; 52). En outre, malgré ses

origines françaises, elle favorise la lecture des livres écrits en anglais «Paradoxalement, c’est
moi (Kader) qui achète et lis les ouvrages en français. Ma femme Elisabeth (Lislei) dont c’est pourtant
une des langues maternelles (le français), préfère l’anglais. Je crois qu’elle n’a jamais pardonné à la
France de lui avoir fait autant de mal » (p ; 15).

C. L’anglais et le dialecte tasmanien


En ce qui concerne Tridarir, il est « le dernier qui sache parler sa langue » (p ; 173). Or il
ne peut pas partager cette langue avec les autres. Bien au contraire, il en perd même
l’usage de sa langue avec le temps.
Quant à la langue anglaise, elle représente pour Tridarir la langue du colonisateur
«Tridarir avait d’abord vécu à la station de la Baie des Huîtres ; il y était né et y avait appris à parler
l’anglais rudimentaire et méprisant que les Britanniques utilisés dans leurs rares contacts avec les
aborigènes » (p ; 79).
En fin de compte, nous pouvons dire que l’apprentissage de plusieurs langues pour les
personnages principaux du roman est motivé par plusieurs facteurs : l’emploi pour Lislei
(l’anglais), le plaisir pour Kader (Arabe et Français), la communication pour Kader et
Tridarir (l’anglais). En définitif, nous pouvons dire que les personnages sont initiés soit
par amour pour la langue ou par nécessité.

56
BENMALEK Anouar, L’Enfant du peuple ancien, Edition Pauvert, 2000. P ; 15.

33
Dans l’étude des personnages, nous avons commencé par un relever exhaustif de
ces derniers. Leur multiplicité s’inscrit dans une grande diversité qui se manifeste à
travers leur différence culturelle (nourriture, croyance, tenue vestimentaire, statut social,
langues et prénoms) ainsi que leur trait physique et psychologique.

II. L’analyse de la structure romanesque


Le roman est divisé en deux parties qui n’ont pas de titre. Elles sont situées entre
un prologue et un épilogue à travers lesquels, l’auteur nous raconte une suite
d’événements qui se déroulent à des dates et dans des lieux différents.

II.1 Voix et perspective narrative


a) Le prologue
Le prologue se définit comme étant un « lieu d’exposition »57 qui se place avant le
texte. Il sert à introduire et à exposer la situation de l’histoire racontée. Il se présente
comme une des figures anachroniques (GENETTE, 1972 :78) par rapport à l’intrigue du
récit. Dans L’Enfant du peuple ancien, le prologue prend le statut d’un récit proleptique.
Il annonce la fin de l’histoire. Au Nord-est de l’Australie, décembre 1918. Un homme âgé
prend la parole pour décrire le lieu et les personnages qui l’entourent lors d’une triste
circonstance alors qu’on ne sait pas encore qu’il est :
« De la fenêtre, j’examine avec attention le jardin. Il est parsemé de tables et de chaises en
rotin. Une foule de gens se presse. Je guette des yeux l’arrivée des membres de ma famille, mon
fils rentré vivant de l’enfer, son épouse Margaret, vaillante et têtue, sa fille Joan_ ma petite-fille_
que j’adore. Puis je cherche Tridarir, mon acolyte de toujours, l’être humain qui fait à un
moment notre unique raison de vivre. Notre plus grande défaite aussi. L’Aborigène taciturne
n’est pas là, disparu pour la journée. Ou peut-être, comme cela lui arrive parfois, est-il parti un
mois ou plus pour une de ses étranges déambulations dans le désert dont il revient crasseux de
poussière, mourant presque de faim et encore plus désespéré ? […], rien ne compte pour moi que
ce corps allongé sur le lit, au fond de la chambre. Le corps de ma femme. Epuisé. J’ai soif de
vivre. Si soif. Pour elle et moi. » (p ; 11)
L’utilisation des pronoms « je, moi », des adjectifs possessifs « ma, mon, notre »
suggère la présence importante du personnage dans le récit. Il se manifeste comme étant
un narrateur-personnage ou plus précisément un narrateur « homodiégétique » selon

57
Hubert, Marie-Claude. Dictionnaire de critique littéraire. Tunis : Cérès Editions. 1998. P. 234.

34
l’appellation de GENETTE58. C’est par lui que nous découvrons des personnages et les
relations qu’ils entretiennent entre eux, d’une part, et avec le narrateur d’autre part.
À travers le passage que nous avons mentionné ci-dessus, le narrateur feint
d’ignore la véritable raison de l’absence de Tridarir. On voit cela à travers la question
qu’il a posé et l’adverbe « peut-être » utilisé. Le narrateur ne donne que les informations
qu’il détient « Il ne peut pas rapporter les pensées des autres personnages »59. Ce qui montre que la
focalisation est interne.
L’auteur ne nous révèle le véritable prénom du narrateur qu’à la fin du prologue.
Sa femme en mourant, le priait de garder leur secret « Il ne faut rien dire à personne,
Kader…Surtout pas à Joseph, promet-le-moi… » (p ; 18).

b) L’épilogue
L’épilogue sert généralement à réparer un oubli de l’auteur. Ce qui permet à
l’écrivain de se rattraper en rajoutant d’autres explications. L’épilogue dans L’Enfant du
peuple ancien se voit beaucoup plus comme une suite de l’histoire racontée. C’est une
partie intégrante du récit principal. Mais, il est surtout un prolongement du prologue. Ce
dernier se clôture par les derniers mots que prononce Lislei avant sa mort :
« L’homme sur la chaise se penche vers la bouche de la malade. Le débit est angoissé. De la
salive coule des commissures :
-Il ne faut rien dire à personne, Kader…Surtout pas à Joseph, promet-le-moi… Veille sur notre
Tridarir…Kader, où es-tu ? Kader ?... » (p ; 18)
Quant à l’épilogue, il s’ouvre sur l’enterrement de Lislei :
« Voilà, c’est donc terminé. Le cercueil a été amené en terre. Le pasteur a prononcé quelques mots
grandiloquents, j’ai jeté le Livre des chants sur le cercueil (…) » (p ; 305).
Dans le temps de l’histoire, la distance entre les événements du prologue,
« décembre 1918 », et ceux de l’épilogue « janvier 1919 », n’est que d’un jour.
Néanmoins, l’auteur les sépare par les deux parties du roman (p ; 23-302). C’est là l’une
des particularités de ce roman. En effet, la construction de ce récit se caractérise par
l’écart entre le temps de l’histoire et le temps de la narration. Après nous avoir présenté
Kader, d’abord par des réflexions, par un décor, par un événement triste, puis par
l’annonce de son prénom, l’auteur remonte le temps et pour un moment opère une

58
GENETTE, Figure III, Paris Seuil, 1972, p. 329
59
Idem

35
narration chronologique. Ce va et vient entre continuité et rupture tient le lecteur en
haleine et maintient sa vigilance intacte.
Dans l’épilogue, le statut du narrateur ne change pas et nous retrouvons les mêmes
caractéristiques à savoir : le pronom « je, nous », les adjectifs possessifs « ma, mon,
notre » :
« Je suis revenu à la maison, soutenu par Trid. J’ai senti des regards de réprobation de la part de ceux
qui étaient venus aux obsèques.» (p ; 305)
« Quand Trid était enfant, il avait tout le temps peur que nous l’abandonnions. La nuit, quand son
angoisse devenait trop forte, il entrait furtivement dans notre chambre, se mettait à genoux devant notre
lit (…) » (p ; 307)
« J’ai soupiré. Je me fichais bien maintenant de L’Algérie, de la France et de l’Australie. J’ai arrêté
mon cheval. Il était en nage. Je l’ai caressé pour le calmer. J’ai pensé aux deux doux sauvages de ma
tribu. À Lislei. À Tridarir » (p ; 317).
D’après ces extraits, le narrateur joue le rôle d’un personnage. Il se manifeste donc
comme un narrateur « homodiégétique ». D’autre part, le narrateur ignore
complètements les pensées des personnages, «Trid ne m’a pas encore révélé pourquoi il a
souhaité que je vienne avec-lui. » (p ; 308), « pourquoi veux-tu voyager aussi loin ? Me suis-je enquis
avec inquiétude. » (p ; 311). Ce qui nous amène à déduire que la focalisation est interne.

c) Le corps du roman
Nous analysons quelques passages du roman, selon la théorie narratologique de
GENETTE dans Figure III, afin de révéler le point de vue et le statut du narrateur dans
les deux parties qui constituent le roman :
Le narrateur nous rapporte l’état d’âme et le monologue de Tridarir lorsqu’il songe
à ses parents assassinés :
«Le visage de l’enfant est chiffonné comme une étoffe usée. Il ne pleure pas. Il a mal à la poitrine,
tellement son cœur se débat dans sa trop étroite cage. Elle voudrait s’échapper, la petite boule de
désespoir et hurler à leurs oreilles : voyons, ceux de la caisse, ce n’est pas n’importe qui, c’est
Walya et Woorady, ma maman et mon papa, deux grands chasseurs, on les a fait mourir comme
des animaux nuisible, vous ne comprenez pas que c’est le plus malheur du monde, la terre devrait
pleurer, l’eau devrait pleurer, et vous aussi, et même ce carnivore qui vent les gens et leurs os,
vous vous lavez et vous riez, et je suis seul à avoir du chagrin, ce n’est pas possible, mes Rêves
sont faux, mes yeux sont troués, rien ne me comprend, y a plus de Walya, y a plus de
Woorady… » (p ; 175-176)

36
En lisant cet extrait, nous constatons que le narrateur est au courant des pensées et
des sentiments de Tridarir ce que nous amène à dire que le point de vue du narrateur est
opté pour la « focalisation zéro ». D’autre part, Le narrateur ne figure pas comme un
personnage dans l’histoire qu’il raconte. Ce qui atteste que la voix narrative est de type
« hétérodiégétique ».
Dans d’autres passages, le narrateur s’occupe de nous révéler d’une part, les
pensées de Kader et d’autre part, les sentiments de Lislei :
« L’homme (Kader) a honte de sa lâcheté, il sait qu’il ne pressera pas sur la détente. Oppressé,
il songe : Et moi, est-ce que mon âme sortira aussi ridiculement de mes trous de nez ? » (p ; 25)
« Elle (Lislei) erra avec Camille dans le Paris de ce mois de mai maudit, évitant par miracle les
obus des canons et la mitraille des barricades […], insultant entre ses dents à la fois les Fédérés
et les Versaillais, folle de peur et de rage » (p ; 55)
Nous pouvons voir clairement d’après ces deux passages que le narrateur garde le
même statut « hétérodiégétique ». De même que la perspective narrative qui opte
toujours pour la « focalisation zéro » pour les mêmes raisons que nous avons expliqué ci-
dessus.
Dans un autre passage du roman, nous constatons qu’il y a un certain changement
au niveau de la perspective narrative :
« L’enfant qui portait le même prénom que l’Emir avait onze ans quand il découvrit l’Orient et
vingt-trois quand il le quitta. Il n’avait pas atteint ses douze ans quand, une nouvelle fois, se
ralluma la guerre civile entre les Druzes et les Maronites du Mont Liban. » (p ; 35)

D’après cet extrait, le narrateur ne joue pas de rôle dans l’histoire qu’il raconte. Il
prend donc le statut d’un narrateur « hétérodiégétique ». D’autre part, il nous raconte
l’histoire de manière très objective sans donner aucune information sur les soucis ou les
pensées de Kader. Ce qui nous permet d’identifier la perspective narrative comme une
« focalisation externe ».
D’après l’analyse de ces extraits, Nous nous sommes rendus compte que le
narrateur ne prend ni le même statut (hétérodiégétique, homodiégétique), ni le même
point de vue (focaisation zéro, focalisation interne et focalisation externe) tout au long du
roman.

37
II.1.1 Les types de narration
L’étude des types de narration est étroitement liée à l’étude du temps de la
narration. Ce dernier s’oppose au temps de l’histoire racontée autrement dit, au temps de
la fiction.
Nous remarquons que L’Enfant du peuple ancien comporte les quatre moments de
la narration tels que définis par GENETTE, cela nous mène à les dégager, l’un après
l’autre comme suit :
 La narration ultérieure : Joseph prend la parole pour raconter à son père ce qu’il a
vécu à Gallipoli en utilisant l’imparfait, le passé composé et le plus que parfait :
« Un troupeau soumis de tueurs et de tués, voilà ce que nous étions devenus… Moi comme les
autres… Un peu de vin pour oublier la peur et la puanteur des cadavres de ceux qui étaient tes
copains, trois ou quatre heures de sommeil grappillées par-ci par-là, des femmes qu’on payait
ou, plus souvent, qu’on violait, et les discours des supérieurs sur la patrie, l’honneur et tout le
reste. Et par tout où on nous a menés, nous avons obéi avec la même extraordinaire docilité à
des officiers considérant tout le monde, soldats et civils, comme des bêtes. Une mouche à merde
valait plus que nous… » (p ; 13).
 La narration antérieure : Anouar BENMALEK n’hésite pas à organiser son récit
sur une vision prémonitoire lorsque le père de Tridarir lui annonce ce qui va passer dans
l’avenir en utilisant le futur simple de l’indicatif:
« - …Tôt ou tard, tu seras notre remplaçant. […] Et toi, bientôt, tu devras agir de même :
chanter, pour qu’il y ait un miracle et que la pluie nous envoie, comme au premier temps, des
enfants de notre peuple sous forme de gouttelettes ! Ne l’oublie jamais, même quand tu ne seras
plus que l’ultime homme noir de ce territoire ! » (p ; 77)
 La narration simultanée : le narrateur nous rapporte directement se qui se passe sur
scène en utilisant le présent de narration :
« Lislei a de la peine à respirer, elle essaie de se dégager, mais une gifle lancée à toute volée
l’immobilise. Terrassée de douleur, elle porte la main à son visage. Sa joue semble déchirée. Le
marin la maintient toujours avec force. Lislei lit dans ses yeux qu’il est prêt de se recommencer.
D’ailleurs, il lève déjà le bras. La terreur est très forte. Alors, la voix brouillée par les larmes,
elle avoue tout d’un seul coup » (p ; 125)
 La narration intercalée : la narration se fait par l’emploi du passé (imparfait, passé
simple, passé composé) et du présent (de narration) alternativement dans le récit où
l’actualité et les souvenirs sont confus dans le même contexte :
« Une femme a maugréé dans le dos de Lislei :

38
−Allez, avance, ma cocotte, tu bloques le passage […] Lislei manque riposter que l’animal ne
mérite pas le coup de pied et que sa petite nièce aimait beaucoup les chiens » (p ; 64).
En Australie, quand il part à la recherche de la jungle, Tridarir songe au couple
qu’il rencontre sur le bateau :
« Le fils de Walya et de Woorady s’essuie le front avec la manche de la chemise, se cure
distraitement le nez, par perplexité plus que par nécessité : l’homme et la femme, ce couple-là est
étrange ! L’homme l’a brutalisé violemment deux fois de suite, mais lui a parlé par la suite avec
une telle douceur. La femme, elle, l’a soigné, nourri. Elle n’a pas hésité, d’un autre côté, à lui
annoncer qu’ils allaient se défaire de ses parents ainsi que de vulgaires ordures. Pourtant, les
deux l’ont probablement arraché à un sort horrible. » (p ; 190)
Ce type de narration est le plus fréquent dans notre récit par le fait de mêler passé
et présent incessamment tout au long du roman.

II.2 L’emboitement des récits


À l’intérieur de l’histoire principale, l’auteur insère d’autres petits récits. Citons
entre autre l’histoire de Lislei lorsqu’elle a été en prison: « Elle y avait fait de connaissance
d’un employé d’imprimerie et, rapidement, en était tombée amoureuse […]. Leur liaison avait duré moins
d’un mois » (p ; 61).
De plus, le petit récit de la femme aborigène qui meurt avec son bébé lors de
l’accouchement est intégré à l’histoire de la naissance de Tridarir:

« Jusqu’à l’âge de huit ans, Tridarir avait d’abord vécu à la station de la


Baie des Huîtres […]. Sa mère Walya, lui avait racontait plus tard que sa
naissance avait attiré beaucoup de curieux car il avait été le dernier bébé
aborigène à naitre en Tasmanie.
Une autre femme, originaire de la tribu de la Grande Rivière, avait bien
donné naissance, deux mois auparavant, à une fillette, mais ni elle, ni sans
bébé n’avaient survécu à l’accouchement.

Des Anglais étaient venus de Sydney examiner le bébé (Tridarir) […]. »


(p ; 79)

39
Cet « enchâssement »60 des récits au sein de l’histoire principale apparait
fréquemment dans le roman « L’Enfant du peuple ancien », ce qui augmente la
complexité de l’intrigue ne nuit en rien la cohérence du texte. Le lecteur se retrouve
aisément dans cet enchevêtrement.

II.3 Le Temps du récit


Nous rapportons la définition du récit selon Gérard GENETTE : « Le récit désigne la
succession d’évènements, réels ou fictifs, qui font l’objet de ce discours, et leurs diverses relations
d’enchaînement, d’opposition, de répétition… etc. ». Cette succession d’évènements constituent

en fait « l’ensemble des actions ». Ces événements sont classés par GENETTE en trois
catégories :
- L’ordre : c’est le rapport entre le temps de l’histoire et celui du discours. Dans
ce cas, le récit prend la forme linéaire ou discordante.
- La durée (la vitesse narrative) : c’est la manière dont l’histoire est perçue. Ce
qui permet de réfléchir sur le rythme du roman.
- La fréquence : c’est l’étude du rapport entre le récit et la diégèse61 ce qui répond
à la question : combien de fois un événement est raconté ?

II.3.1 L’ordre du récit


On abordera dans cette partie la structure et l’organisation du corps du texte
romanesque. Nous nous appuierons sur l’ordre du récit et sa vitesse narrative.
En lisant le roman, nous constatons que l’histoire a un début et une fin. Les
événements sont rapportés de manière chronologique, illustrés par des dates (avril 1871,
mai 1872, printemps 1875 jusqu’à « janvier 1919 »). En revanche, cette chronologie est
perturbée par des anachronies traduites par :

A. Des analepses :
Le retour au passé des protagonistes à l’intermédiaire des rêves ou des souvenirs,
constitue des fragments explicatifs qui interviennent de temps à autre pour briser l’ordre
établie de l’histoire. Voyant quelques exemples :

60
GENETTE Gérard, Nouveaux discours du récit, Paris, Seuil, 1983, pp. 55-56.
61
GENETTE Gérard, « Le récit pur », Figure III. Paris, Seuil, 1972, p. 329

40
 Première partie du roman
Lislei
« Dans son sommeil, Lislei court plus vite que les soldats aux pantalons rouges. Elle va leur
échapper parce qu’elle connait Paris mieux qu’eux [...] Elle tire brutalement Camille, sa petite
nièce chérie [...] Lislei sent bien dans son sommeil, que cela n’est pas possible : la fille de son
frère n’a que deux ans et quelques semaines et les maudits soldats de Thiers se ruent comme des
diables sur elles et les autres fuyards [...] elle change de rêve. C’est maintenant son père et sa
mère noyés depuis si longtemps dans leur Rhin natal qu’ils ignorent le malheur de leurs enfants
[...] » (p ; 51, 52).

 Deuxième partie du roman


Lislei
« C’est une gamine qui dort. Adulte d’apparence, elle n’a que six ans. Sa mère vient de la
rattraper par le bras. Lislei a trot longtemps joué au soleil. La mère lui tend un verre de jus de
pomme [...] le père plaisante : un coup de soleil en Alsace ? Mais lui aussi ne devrait pas parler,
ils sont noyés depuis si longtemps dans le Rhin [...] Lislei a envie de sourire parce que ses
parents ont le gout de la controverse. Son frère Pierre ébauche une moue parce qu’on ne lui a
rien offert [...]. Lislei se défend. Elle renifle l’odeur de pain et de confiture de coings. Ô mon
enfance ! C’est un poignard de joie qui la traverse […]» (p ; 129)
« Pendant qu’elle priait, lislei rêva de neige, du kugelhopf odorant que sa mère préparait le
vendredi pour le dimanche et des loups hurlant dans la forêt bordant son Rhin natal. » (p ; 272)
Tridarir
« Le sommeil de Tridarir se remplissait bientôt d’averses de minuscules enfants noirs tombant
dru sur les villes et les champs où régnaient ces abominables envahisseurs venus de si loin et qui
croyaient que tout lui appartenait. Un jour, il en était persuadé, à force de rêver, il parviendrait,
lui Tridarir, à recréer cette pluie qui peuplerait à nouveau le Droemerdeene de ses parents
chéris... » (p ; 78)
« Dans son sommeil, Tridarir goûte son rêve : c’est un rêve bon et il ne tient qu’à lui qu’il
devienne meilleur [...] l’enfant est petit, plus petit que maintenant. Il est dans les bras de sa mère.
Son père est assis sur un tronc d’arbre [...] ils sont quelque part dans la jungle, ils ont bien
mangé. La mère se pince les lèvres pour souffler sur les lèvres de Tridarir. Le garçon glousse de
joie. Il sait que son père et sa mère l’aiment plus que leur propre vie [...] » (p ; 274)

Kader
« Kader mastique lentement, les yeux perdus dans l’immensité du paysage. La mer est trop bleue, trop
belle avec ses ilots disposés comme autant de bijoux accompagnés de leurs colliers de corail. Cette
maudite couleur turquoise… Impossible pour le bagnard de ne pas penser à l’Algérie » (p ; 92)

41
« Il y’a si longtemps qu’il (Kader) n’a pas pensé à sa mère. Celle qui lui apprenait la différence
entre le bien et le mal, qui le couvrait de baisers et le morigénait avec une égale vigueur, qui
l’aurait défendu contre le monde entier… Il a un sanglot dans la gorge. » (p ; 101)

« La femme_ il(Kader) s’aperçoit peu que c’est Nour_ lui tend une cruche. Elle murmure avec
une expression insupportable de mélancolie […] Le sommeil l’a entrainé dans le piège du passé.
Nour, Nour, le passé est un pays dans lequel je ne vivrai plus. Pourquoi insistes-tu ? » (p ; 133)

« « La maison », ça ne peut être que Biskra, l’oasis mauve et verte de ses parents, de son
enfance, pas cette Australie de fous où tout était démesuré, la nature, la cruauté ! Retourner en
Algérie, ou au moins à Damas, n’est pas là l’unique manière de retrouver une partie au moins de
cette tendre « maison » » (p ; 289, 290)

B. Des prolepses :
La prolepse consiste souvent à dévoiler partiellement des événements annoncés
dans le futur, ce qui déguise de plus notre curiosité. Ce type d’anachronie ne marque pas
une fréquence dans l’histoire de l’Enfant du peuple ancien. Dans le passage ci-dessous,
Woorady nous avertit sur le sort de son fils, Tridarir en lui annonçant :
« - …Tôt ou tard, tu seras notre remplaçant. Ouvre grand tes oreilles, ouvre toncrâne, fait mal à
ta tête si tu veux, mais ne l’oublie jamais […] Et toi, bientôt, tu devras agir de même : chanter,
pour qu’il y ait un miracle et que la pluie nous envoie, comme au premier temps, des enfants de
notre peuple sous forme de gouttelettes ! Ne l’oublie jamais, même quand tu ne seras plus que
l’ultime homme noir de ce territoire ! » (p ; 77)
Malgré la discordance entre le temps réel et le temps romanesque qui fait trembler
peu ou prou la linéarité du récit, le lecteur ne perd pas le fil conducteur de l’histoire et
reste accrocher à l’évolution des événements.

II.3.2 Le rythme narratif


La vitesse narrative se définit par le rapport entre la durée de l’histoire et le temps
de la narration. Elle débouche sur quatre « formes fondamentales »62 que nous relevons
ci-dessous :
 La scène : Ce mouvement narratif apparait surtout lors du dialogue où le
temps du récit est égal à celui de l’histoire :

62
GENETTE Gérard, « Discours du récit », dans Figure III, Paris, Seuil, 1972.P. 129.

42
« L’oiseau incapable de voler se cache dans le bosquet de niaoulis. Ses cris rauques de chiot
couvrent presque la question de l’Arabe :
− Après ?
−Quoi, après ?
−Où va-tu-on après ?
−À Nouméa. Y’a un bateau australien…
−Ton bateau, il s’appelle ?
−The…The King of the sea, balourd.
−Et comment on y va à Nouméa ? » (p ; 98)
 La pause : Lorsque l’histoire s’interrompe pour laisser la place à la
description ou bien au commentaire comme nous voyons dans ce passage:
« Sa compagne ne l’écoute pas. Le mutisme du gamin semble beaucoup l’affecter. Un petit
éventail de rides creuse la chair au-dessus de nez. Ses cheveux sont à peu près secs, elle les
écarte d’une main impatiente. Les yeux malgré leur air abattu, sont magnifiques. « Tu es
belle gaouria », constate en son for intérieur l’évadé. « Presque aussi belle que… »Il
s’arrêté, abasourdi, il allait penser « Nour ». » (p ; 183)
 L’ellipse : Certains événements sont passés sous silence dans la narration :
« Cela faisait deux ans déjà que Kader avait quitté Damas pour le sud de l’Algérie » (p ;
35). Ces deux années (1869-1871) qui précèdent la participation de Kader à la

guerre d’El Mokrani (1871) n’ont pas été racontés dans le roman.
 Sommaire : Une grande partie d’histoire résumée dans ce passage :
« Tridarir a tenté de se convaincre que tout ce qui lui arrivait n’était pas réel :
l’empoisonnement, l’éventrement de son père et de sa mère, sa capture, sa présence dans
cette pièce obscure où règne une odeur pestilentielle de viande avariée, celle de ses
parents » (p ; 115)

D’après l’analyse de la structure romanesque, nous nous sommes rendu compte


que l’auteur raconte l’histoire d’une manière particulière .Il instaure un écart de (279
pages) entre le prologue et l’épilogue malgré leur construction dans le même temps du
récit. La vitesse narrative est instable. Le narrateur, à son égard, change son statut et son
point de vue tout le long du roman. Ce qui rend le récit plus dynamique et plus vivant.
Les événements racontés sont enchevêtrés et la narration dominante est intercalée.
Ce qui augmente la complexité de l’intrigue et permet de dévoiler les souvenirs et le
passé des personnages.

43
III. L’étude de l’espace
III.1 La thématique du voyage
« La littérature est avant tout un voyage. La poésie arabe doit son rayonnement à des poètes qui
étaient surtout de grands voyageurs. Aujourd’hui, nous privilégions un dialogue avec l’Occident,
au nom d’une culture arabo-occidentale et ce au détriment de Sud, même le plus proche. Le Sud
doit aussi dialoguer avec le Sud »63, déclare Anouar BENMALEK.

L’auteur met l’accent sur le déplacement des personnages, dans L’Enfant du


peuple ancien, en utilisant l’adverbe « là-bas » qui indique à chaque fois un univers
différent. Voyons quelques exemples :
« C’était la première fois depuis son retour qu’il me parlait de là-bas (Gallipoli) » (p ; 13).
« Maintenant, là-bas (l’Algérie), c’est aussi chez nous … » (p ; 44).
« Là-bas : Tasmania » (p ; 184).
« […] c’est là-bas (l’Australie) qu’il a appris l’anglais » (p ; 90).
« Et puis, tu n’as plus rien, là-bas (Tasmanie) … » (P ; 315).
Le voyage joue un rôle considérable dans la construction de l’espace romanesque.
Nous envisageons, en fait, un changement fréquent des endroits à travers le déplacement
des personnages principaux tout au long de leur itinéraire :

D’autre part, l’acte du voyage ne concerne pas seulement les personnages


principaux du roman. Même ceux qui sont classés comme des personnages secondaires
manifestent comme étant des « personnages voyageurs ». Citons entre autres :

63
MERAHI Youcef , Vivre pour écrire, Zellige, 2007, p. 59 .

44
Quant à Hassan, le cousin du Kader, il rêve de voyager à travers le monde via la
mer : « Hassan répétait que, quand il serait grand, il deviendrait un grand voyageur à l’égal d’un Ibn
Battûta et partirait sur de grands bateaux à la recherche de l’ambre gris enfanté par l’écume des
océans. « Je ne veux plus du désert qui rend sec, je veux de l’eau de mer, gigantesque et généreuse ! » »
(p ; 29)
L’auteur évoque dans cet extrait un personnage universel, lui-même, un symbole
mythique du voyage. C’était « Ibn Battûta », un voyageur maghrébin connu par le
surnom « voyageur de l’Islam », passe une trentaine d’années de pérégrination à travers
le monde.
Il est à noter que tous les endroits traversés par les personnages sont des lieux réels
que l’auteur nous a fait découvrir à travers un long voyage dans le temps (avril 1871-
janvier 1918). Un voyage interculturel entre l’Afrique, l’Europe et l’Australie qui
autorise un échange entre les personnages, les cultures et les religions afin de rapprocher
les peuples, les uns aux autres.
Le voyage exige parfois à l’être humain de se séparer de ses propres traditions
pour adapter et accueillir d’autres. Dans cette perspective, le voyage est un moyen
d’échange culturel et de découverte comme le souligne Marco Polo : « Les relations de
voyages ont ouvert les lecteurs au monde. Ce sont une initiation à de nouvelles cultures, description de
paysages restés longtemps chimériques ou retranscription de travaux scientifiques, ces récits invitent à se
tourner vers d’autres horizons »64
Delà, Le contact des cultures conduit, à une sorte d’assimilation qui se manifeste à
travers la tenue que porte Tridarir : « Tridarir déglutit sa salive […], Hughie lui a donné une

64
BOUZIANE Nadia, Théorie : La littérature de voyage, in http://www.e-littérature, [en ligne], consulté le :
22 /01/2015.

45
chemise et un pantalon d’adulte car, grommelle-t-il, « un gosse nu, c’est obscène, c’est pas chrétien,
même si c’est un Négros ». » (p ; 113), « Le fils de Walya, et de Woorady s’essuie le front avec la manche
de la chemise » (p ; 189).

III.2 Une réflexion polyphonique sur les éléments de la nature


La détermination spatiale, dans le roman, est étroitement liée au vécu des
personnages ; autrement dit, à leur pays d’origine ainsi qu’à leurs pays d’accueils : la
Syrie, l’Algérie, la Nouvelle-Calédonie (l’île Nou, la Presque île Ducos), la France,
l’Australie, la Tasmanie. Mais, ce qui parait important dans l’analyse de l’espace, c’est la
réflexion polyphonique sur quelques éléments de la nature qui occupent une partie
notable dans le décor du récit.
L’étude de l’espace est un sujet incontournable dans notre analyse en raison de ses
multiples représentations. Parler de l’espace dans L’Enfant du peuple ancien, c’est
surtout parler de la mer, du désert, des étoiles et de la jungle. Anouar BENMALEK est
attiré par la nature avec ses vastes étendues.

e) La mer
Nous constatons que les personnages du roman voyageaient tous, via la mer. Cet
espace naturel devient donc un lieu privilégié pour le romancier pour la rencontre des
uns, et la séparation des autres.
De-là, nous essayons de voir comment l’auteur de L’Enfant du peuple ancien nous
présente la mer à travers ses descriptions. En effet, cette étendue bleue n’est pas
seulement un symbole du voyage, mais elle bénéficie également de plusieurs
significations.
 La mer, un berceau des morts
La mer se caractérise par son immensité et sa profondeur ce qui la rend terrifiante
et effrayante. Elle avale tout et sans exception; les vivants et les morts, les petits et les
grands.
Lislei a perdu ses chers parents lors d’un accident de noyade « […] son père et sa
mère, noyés depuis si longtemps dans leur Rhin natal qu’ils ignorent le malheur de leurs enfants. Pierre
et elle étaient encore adolescents quand la barque des parents a stupidement chaviré, heurtée par une
autre embarcation » (p ; 52)

46
Quand à Kader, il semble affolé devant l’agitation de la mer lors de son évasion
vers Nouméa. Il l’a comparée en fait, à une main monstrueuse qui secoue sa barque. À
ce moment, les histoires des morts reviennent à l’esprit de l’évadé :
« La mer est sombre, hostile. Cette grande houle du pacifique qui soulève l’embarcation
ressemble à une main gigantesque. Dans le cœur de Kader remonte les peurs de son enfance :
l’océan n’est-il pas ce fameux lac parfumé où se refugient les âmes défuntes ? Et s’il est aussi
gigantesque, n’est pas parce qu’il y’a tellement de morts à loger dans ses profondeurs ? » (p ;
101).
Cette mer gigantesque devient une tombe dans laquelle Kader fait enterrer les
cadavres des parents de Tridarir et les squelettes des aborigènes. Cependant, cette mer
titanesque reste, à l’égard de fuyard, restreinte et limitée devant le Pouvoir divin.
« Il a jeté toutes les caisses, ainsi que les sacs d’os. Il a prié quelques minutes face à la mer. Il le
devait bien au marmot. Les anciennes paroles sacrées de son enfance sont revenues : « Si la mer
était une encre pour écrire les paroles de mon Seigneur, la mer serait tarie avant que ne tarissent
les paroles de mon Seigneur… » » (p ; 179)
En outre, comme Tridarir a assisté au meurtre de ses parents par les Blancs, il se
fait témoin lorsque Kader les jetaient au fond de la mer à la merci de tout les dangers :
«Quand Tridarir revit la scène des caisses dans l’eau […]. Il a envie de pleurer, de se faire mal,
de mourir : il a été incapable de défendre ses morts. Les morts ne savent pas nager, comment
retrouveront-ils leurs pareils au pays du Temps Etale, où la vie continue sans la vie ? […]. L’eau
était glaciale et on raconte qu’il y a de tels monstres dans son estomac… » (p ; 190)
L’histoire du roman se clôture par la mort de Lislei suivie par « le suicide » de
Tridarir. Ce dernier, rêvait de trouver son chemin pour rejoindre ses parents au fond de la
mer après une longue absence:
« L’Aborigène a lancé un coup d’œil à l’océan immense. Le vent était devenu plus fort, gonflé des
alizés nés au-dessus de l’océan Indien. Trid a frissonné […] Il s’est éloigné, le corps légèrement
voûté […]. J’(Kader) ai suivi la silhouette jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans les creux entre les
vagues. J’ai levé le bras, encore incrédule. De la bile a commencé à tracer son chemin dans ma
gorge.» (p ; 317).

 La mer comme refuge


La mer n’est pas seulement perçue comme un foyer des morts, mais elle est aussi un
lieu de refuge pour Lislei. Cette dernière se dirige vers cette étendue d’eau pour se
soulager en relatant ses souvenirs perdus:
« Elle rentre dans l’eau et fait quelques brasses. Elle est l’une des rares déportées de la presqu’île
à avoir appris à nager. L’eau ici n’est pas très salée car cette partie de la mangrove et le point de

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rencontre entre la rivière et la mer. Lislei laisse ses pensées vagabonder. […]. Elle rêvasse. Elle a
conscience qu’elle ne devrait pas autant se laisser aller aux souvenirs des jours caressants de son
enfance. (…) » (p ; 104).
Par ailleurs, Lislei trouve dans cette mer un endroit de protection et de consolation :
« L’eau est douce et protectrice. Lislei est sur le dos, les paupières fermées. Elle aime cette eau
fraternelle car ses yeux peuvent pleurer sans retenue et elle, faire semblant de ne pas apercevoir.
Maudit temps qui s’écoule plus vite que le sang d’une plaie, sans jamais revenir en arrière ! » (p ;
105).

 La beauté de la mer
La mer est avant tout un élément de la nature dont les vagues font charme.
« La mer se creuse. Le vent a beaucoup forci. Parfois, une rafale emplit l’air d’une brusque gifle de
gouttelettes salées. Le paysage reste cependant implacablement splendide, malgré le fauve au pistolet et
ses proies veules de peu. » (p ; 146, 147)
Cette étendue bleuâtre peint un tableau magnifique par les éléments qui la
constituent. Elle suscite chez le héros déporté une vive nostalgie pour son pays d’origine.
« Kader mastique lentement, les yeux perdus dans l’immensité du paysage. La mer est trop bleue,
trop belle avec ses îlots disposés comme autant de bijoux accompagnés de leur colliers de corail.
Cette maudite couleur turquoise… Impossible pour le bagnard de ne pas penser à l’Algérie… » (p ;
92)
Quant au cousin de Kader, Hassan, il rêve de voyager à travers cette mer qui ne
ressemble à aucun moment au désert « Hassan répétait que, quand il serait grand, il deviendrait
un grand voyageur à l’égal d’un Ibn Battûta et partirait sur de grands bateaux à la recherche de
l’ambre gris enfanté par l’écume des océans. « Je ne veux plus du désert qui rend sec, je veux de l’eau de
mer, gigantesque et généreuse ! » » (p ; 29)

f) Le désert
Nous avons constaté au cours de notre analyse que la description du désert prend
deux sens opposés.
 Valorisation du désert
Lorsque l’auteur évoque le désert, en Algérie. Il se limite à décrire l’oasis de
Biskra et ses constituants. « Le curieux attelage longe le mince filet d’eau qui mène à la seguia.
Devant eux s’étend la palmeraie avec ses innombrables voiles vertes faseyant péniblement au soleil
couchant » (p ; 30, 31).

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Kader, le natif de la région, éprouve un grand attachement à cet îlot désertique que
sa pensée ne le quittait jamais. Les souvenirs reviennent perpétuellement à l’esprit de
l’exilé pour le rappeler les bons moments passés avec son cousin:
« Kader se souvient des deux petits garnements inséparables qu’ils étaient et de leur merveilleuse
vie de leur merveilleuse vie dans l’oasis de Biskra. Hassan, son aîné de deux ans, l’avait entraîné
à grimper aux sommets des palmiers dattiers. Il leur arrivait de passer des après-midi entières,
juchés chacun au sommet d’un palmier et s’échangeant des confidences à travers les immenses
palmes chargées de dattes » (p ; 28, 29).
Même expatriés à Damas, Kader et sa famille se souviennent de leur région.
« Il (Kader) les haïssait, lui, ces roumis qui les avaient fait fuir de leur oasis et de leur belle maison, les
réduisant à l’état de bannis sans fortune ni parenté ! Alors que, dans leur jardin, même les arbres étaient
choyés et avaient droit à un nom !... » (p ; 36).
De même, en plein mer l’image de l’oasis n’échappe pas à l’évadé et semble
gravée dans sa mémoire. « C’est à l’aube qu’un objet frôle la tète de Kader. Il est à Biskra, et bien
qu’il fasse bizarrement frais, il fait la sieste sous le palmier dattier du jardin familier. Il est épuisé et il
voudrait que sa sieste dure des heurs. Ah, il dormirait des jours…» (p ; 167).
Malgré les années de dissimulations qu’a vécues Kader en Australie, il se rappelle
de son pays d’origine « si tu savais Lislei, comme l’Algérie est belle, si tu savais quel prix terrible tu
me demandes pour vous aimer, Trid et toi… » (p ; 300).
Selon ces extraits, nous constatons que notre héros s’avère attiré, partout où il se
trouve, par une vive nostalgie envers sa région natale.
 Dévalorisation du désert
Le désert en Australie se diffère radicalement du Sahara qu’a connue Kader en
Algérie. Dans ce bout du monde, le désert apparait plus vaste, et entouré de vide. Il se
présente d’emblée comme étant un milieu sale et envahi des mouches :
« Regarde autours de toi, plus on avance, plus c’est désertique. Je n’aime pas ce désert. Les chevaux
crèveront avant pas longtemps. Et ces satanées mouches qui surgissent de nulle part et qui nous
dévoreraient sur pied si on les laissait faire ! » (p ; 234).
Cette connotation péjorative que l’auteur a attribuée au désert se manifeste encore
une fois à travers l’état de Tridarir, après l’une de ses errances énigmatiques. « L’aborigène
taciturne n’est pas là, disparu pour la journée. Ou peut être, comme cela lui arrive parfois, est-il parti un
mois ou plus pour une de ses étranges déambulations dans le désert dont il revient crasseux de poussière,
mourant presque de faim et encore plus désespéré ? » (p ; 11).

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On outre, le désert acquiert une dimension mythique dans L’Enfant du peuple
ancien, à cet égard nous entendons la grand-mère de Kader lui raconter l’histoire de La
Ville de Cuivre dont il se souvient en Australie :
«La Ville de Cuivre, affirmait-elle, avait été bâtie dans le désert de Sijilmassa. La ville avait
vraiment existé. Tout y était en cuivre, murs, toits, fontaines…Le mur d’enceinte ne possédait pas
de portes, on n’y pénétrait qu’en escaladant le rempart. Quiconque était parvenu au sommet
battait des mains […], puis se jetait à l’intérieur. Jamais plus le voyageur ne réapparaissait. […]
-Tu avais raison, Grand-mère, la Ville de Cuivre existe. Simplement, pour moi, c’est un gros tas
de roches et de sable. En réchapperai-un jour ? » (p ; 253).
Dans un autre ordre d’idées, Le désert rude, sauvage et stérile d’Australie
symbolise la soif et la faim. Ce désert si sec amène Lislei à se rappeler son cher pays
humide. « Jamais elle n’aura imaginé être prête à toutes les trahisons pour regagner sa France, avec sa
pluie, sa neige, son froid et peut-être… et peut être sa douce, sa chère Camille ! » (p ; 124).

g) Les étoiles
 Valorisation des étoiles
Kader est séduit par la clarté du ciel en contemplant ses étoiles luisantes. « Les
étoiles brillaient, ressemblées en ces étranges troupeaux de lumières que j’avais mis tant de temps à
apprivoiser » (p ; 314).

 Dévalorisation des étoiles


Loin de son pays natal, Kader n’arrive pas à identifier ses astres célestes qu’il
connaît en Algérie. « Oui, il est bien à l’autre bout du monde, même le ciel et ses constellations lui
sont inconnus. Qui lui rendra son firmament avec sa vieille étoile polaire, son Altaïr et son Deneb bien-
aimés ? » (p ; 215).
« Le ciel brille de ses milliers d’étoiles incompréhensibles » (p ; 253).
Quant à Lislei, elle plonge dans une désolation pénible après d’être éloignée des
étoiles de son pays. « L’appareillage vers le bout du monde, cette Calédonie si lointaine qu’on n’y
voit pas, dit-on, les mêmes étoiles qu’en France. C’est une seconde mort, pense-t-elle, mais si longue que
seule l’autre mort_ celle de la fosse_ pourrait l’adoucir. » (p ; 57).

h) La jungle
Après la fuite de Tridarir avec ses parents de la « station de la Baie des Huîtres ».
Ils se sont réfugiés dans la jungle. Cet espace cruel et dangereux par la densité de ses

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arbres et ses bêtes sauvages. Malgré leur perpétuelle peur de la faim, il constitue
néanmoins, leur seul asile pour la survie :
« Cela faisait bien trois ans qu’ils vivaient dissimulés dans la jungle. Au début, cela avait marché
à merveille. Certes, la réadaptation s’était révélée épouvante parce que les deux adultes après
tant d’années de captivité, avaient désappris beaucoup de gestes de leur ancienne vie de
chasseurs-cueilleurs, sans parler de petit Tridarir perpétuellement en butte aux piqûres, aux
chutes et aux écorchures.» (p ; 73)
Pourtant, la jungle vu représenter une douceur pour Tridarir. En effet, il cherche
constamment à se rappeler des bons moments qu’il a passé sous le toit de ses parents.
Mais en Australie, il est perdu dans le désert où il a cru reconnaitre les sentiers qui mène
à sa jungle :
« Parfois, il croit reconnaître le groupe de rochers qui annoncent la Grande Arête avec ses
bosquets d’eucalyptus rouges très caractéristiques et l’espoir alors l’inonde : c’est bien sûr, la
piste qui mène à la jungle, sa jungle, où il sera bientôt à l’abri, où il déjouera dorénavant les
ruses les plus retorses des « Mangeurs » de Noirs. Courir encore jusqu’à la butte, tourner du côté
du soleil… » (p ; 189).
En outre, En Australie, « Tridarir a faim.[…], il décide de fabriquer un javelot. Il a vu son
père le faire. Chercher un outil aiguisé et une branche droite… » (p ; 191).Ce n’est pas la seule chose
qu’il a apprise lorsqu’il était à la jungle, d’autres savoirs lui ont été utiles concernant le pays
de Droemerdeene, autrement dit la Tasmanie :

« Quand ils avaient fui la station pour la jungle, sa mère avait pris l’habitude de lui réciter
régulièrement les noms de tous les Aborigènes encore en vie dans l’île. « Il y en a si peu
maintenant, ce sont les derniers enfants de ton peuple, des vieillards ! N’oublie jamais leurs
noms, le nom de leurs tribus, le nom de leurs rêves. C’est tout ce qui te reste, Tridarir ! » » (p ;
226).

En se basant sur la thématique du voyage, l’étude de l’espace nous a permis d’une


part, de suivre l’itinéraire des personnages à travers les quatre continents : l’Afrique
(l’Algérie), l’Asie (Damas), l’Europe (la France) et l’Australie (Nouvelle-Calédonie,
Tasmanie). Et d’autre part, de connaitre les différentes réflexions sur les éléments de la
nature (la mer, le désert, les étoiles et la jungle). les diverses observations portées par les
personnages du roman, sont basées dans la plus part du temps sur une comparaison entre
le pays d’origine et le pays d’accueil, le passé et le présent.

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IV. Conclusion
Nous arrivons au terme de ce travail d’analyse que nous avons mené sur le roman
d’Anouar BENMALEK « L’Enfant du peuple ancien ». Nous sommes partis du postulat
que l’écriture d’Anouar BENMALEK est originale et moderne à plus d’un titre.
Tout au long de l’analyse et avec les outils méthodologiques qui nous sont apparus
adéquats, nous avons tenté de montrer que l’originalité réside en premier lieu dans la
structure du roman. Puis dans l’épaisseur psychologique des personnages et surtout à
travers leurs identités culturelles. Ce pour quoi nous nous sommes longuement étalés sur
l’étude des personnages avec comme résultat final : trois personnages principaux parmi
eux un héros. La multiplicité des personnages, comme toile de fond, fait ressortir
davantage la complexité de ces trois là. Leur caractérisation met en exergue leur immense
diversité qui a été découverte au fur et à mesure de notre analyse.
La structure du roman est complexe, originale et moderne. Elle se distingue par
l’écart que l’auteur instaure entre le prologue et l’épilogue (279 pages) alors que les
événements narrés se déroulent dans le même temps du récit. Ce qui fait preuve que
l’auteur use d’une manière particulière de rapporter les événements. En outre, le fait de
connaitre la fin de l’histoire avant d’avancer dans la lecture et l’emploi excessif des flash-
back ne fait qu’accentuer notre désir de remonter dans les souvenirs et le passé des
personnages.
La variation des nivaux narratifs joue un rôle dans la complexité de l’intrigue à
travers l’enchevêtrement des récits. Nous assistons ainsi à un changement de statut du
narrateur et de perspective narrative au sein du texte romanesque. Ce qui rend d’une
manière ou d’une autre le récit plus dynamique et plus vivant.
Il est à rappeler que tous les endroits traversés par les personnages sont des lieux
réels que l’auteur nous a fait découvrir à travers un long voyage dans le temps. Le
déplacement voulu ou imposé des protagonistes amène à une réflexion polyphonique
qui vise largement les éléments de la nature.
En somme, nous pouvons dire que L’Enfant du peuple ancien d’Anouar
BENMALEK est une œuvre originale et moderne qui s’inscrit dans la diversité dans ses
différents nivaux puisqu’elle véhicule un éclatement des personnages de plusieurs
horizons qui se croisent et se réunissent en harmonie malgré leur variété qui ne connait
pas de limites.

52
53
Annexes

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1. EXTRAITS D'INTERVIEWS

1ère Interview (Algérie Littérature Action, n° 17, Janvier 1998)

Question: Pouvez-vous présenter votre itinéraire à nos lecteurs, les différentes


facettes de votre activité et, en particulier, votre production littéraire?
Réponse: Je suis né à Casablanca, d'un père algérien et d'une mère marocaine. La
mère de ma mère était suisse, d'un petit canton près de Genève. Elle était trapéziste et
avait fait longtemps partie du grand cirque Knee. J'ai eu la chance de bien la connaître.
C'était une personnalité flamboyante, soupe au lait et généreuse qui a bercé une partie de
mon enfance par des récits de tournées fabuleuses et d'exploits extraordinaires. J'en parle
parce qu'elle est un peu à l'origine de mon dernier livre. Le père de ma mère, pour sa part,
avait pour mère une descendante d'esclaves noirs mauritaniens.
Du côté de mon père algérien, je pourrais citer, entre autres, cet arrière grand-père
qui s'était montré fort insolent envers le Bey de Constantine, pendant l'occupation turque.
Une partie de la famille, par crainte des représailles, s'était réfugiée à Biskra où, un jour,
elle reçut un énorme colis de l'administration ottomane: ce n'était rien de moins que mon
héros de grand-père soigneusement empaillé par les soins des Turcs…
Quand vous avez de tels ascendants, je dirais, en plaisantant, qu'il est presque
inévitable de succomber, un jour ou l'autre, à la tentation de prendre la plume pour
“ raconter ” des histoires! Cette généalogie bigarrée explique peut-être également mon
goût pour les voyages. Voyager est, pour moi, un acte presque métaphysique, d'autant
plus indispensable qu'il vous plonge dans des sociétés plus différentes de la vôtre.
J'ai publié jusqu'à présent six livres, sans compter les publications dans des revues
ou des journaux. Six livres, ce n'est pas beaucoup car je me sens toujours en retard d'un
livre: les circonstances politiques et les contingences matérielles ont fait qu'une partie
importante de mon temps a été (et à juste titre) dédiée à autre chose qu'à la littérature.
Les événements d'Octobre 1988 en Algérie et leurs conséquences ont constitué
pour moi une longue parenthèse dans ma pratique littéraire. A cette époque, il m'était
apparu que tout devenait accessoire devant l'urgence du moment: dénoncer les
assassinats, la torture à grande échelle, le mensonge étatique, la corruption structurelle du
pouvoir. J'y ai passé beaucoup de temps en

53
fondant, avec d'autres intellectuels algériens, le Comité national contre la torture
dont j'allais être secrétaire général pendant quelques années. Le combat de ce comité a été
un long combat, ingrat et ardu, presque sans espoir devant la force et la perversité de
l'appareil d'état. Notre plus belle réussite aura été une réussite pour l'avenir, pour la
mémoire du peuple algérien: la publication à Alger, par une entreprise d'état (!) du Cahier
noir d'octobre , longue litanie douloureuse de témoignages détaillés de citoyens
emprisonnés et torturés par la police et l'armée au cours de ces fameuses émeutes.
C'est pendant ces années-là que je me suis le plus investi dans l'activité
journalistique. J'ai collaboré régulièrement à des quotidiens et à des hebdomadaires. En
particulier, j'ai tenu une chronique à Algérie Actualité où j'ai eu la chance de rencontrer
de grandes individualités. Je ne citerai, pour l'exemple, que Tahar Djaout, journaliste et
écrivain de talent, homme d'une grande intégrité morale qui sera plus tard exécuté par des
terroristes ou Mohamed Dhorban, dessinateur et chroniqueur, qui m'avait fait la
gentillesse d'illustrer plusieurs de mes articles et qui périra, lui aussi, à la suite d'un
attentat islamiste à la Maison de la Presse…
Cette période journalistique a été, pour moi, d'un grand enrichissement. J'y ai
découvert le goût de “ l'intervention ” dans les débats qui agitaient et agiteront encore
pour longtemps l'Algérie: la lutte pour la démocratie contre un pouvoir sans scrupule,
avide de pérennité et de rapine, la lutte aussi contre la montée de l'islamisme politique (et
très bientôt armé ), contre ce cancer du Monde arabe, l'intolérance fanatique, le
dogmatisme et le mépris vertigineusement revendiqué et affiché comme une vertu, envers
la vie et la liberté de l'autre , celui qui ne se résout pas à accepter que des penseurs
moyenâgeux viennent régenter sa conscience et son existence de tous les jours…
Il y avait (et il y a encore, heureusement) mon travail universitaire. Je suis
mathématicien, spécialisé dans la modélisation des phénomènes aléatoires, expression
rébarbative pour désigner la recherche, paradoxale à première vue, des “ lois ” du hasard.
Car même le hasard, poisson fou dans l'océan du possible, ne semble pas enclin à faire
n'importe quoi! Vouloir saisir les modalités d'action de ce qui est a priori insaisissable,
dénué de raisons et, surtout, tenter de prédire son comportement, n'est-ce pas au fond agir
comme le romancier (je vois là mes collègues statisticiens froncer le sourcil) qui
s'évertue, à partir d'un bric-à-brac d'épisodes divers, de sentiments touffus, de
personnages et de procédés littéraires improbables ou discutables, à proposer une

53
explication du hasard dont nos pauvres destinées d'animaux humains sont l'illustration
même? Le romancier, comme le mathématicien, s'ils acceptent bon gré mal gré, l'idée que
Dieu s'amuse aux dés avec l'Univers, espèrent qu'Il a pris le temps de modérer Sa toute
puissance en apprenant la théorie des probabilités… […]

2ème Interview (Algérie-Actualités n° 1097, Octobre 1986)

Algérie-Actualités : Il est rare de rencontrer en Algérie un écrivain qui ait reçu une
formation de mathématicien. Les deux activités sont-elles aussi éloignées l'une de l'autre
qu'on pourrait le penser?

Anouar Benmalek : Il y a quelques années seulement, je t'aurais répondu de


manière aussi peu nuancée que définitive et, par conséquent, pas très intelligente: oui, ces
deux activités sont totalement incompatibles. Je t'aurais trouvé un certain nombre
d'arguments pour conforter ce point de vue lapidaire, en particulier que les dispositions
d'esprit pour l'une et l'autre occupations sont différentes et même antagonistes, que si la
première, je veux dire l'activité mathématique nécessite, outre un grand bagage de
connaissances, de la rigueur et un esprit agile dans la manipulation de concepts abstraits,
n'admettant quelque chose que si elle est entièrement vérifiée, la rejetant dans l'hypothèse
opposée; la deuxième, l'activité littéraire, fait appel essentiellement à l'imagination et à la
passion et est fondamentalement le domaine du doute, du vague et de l'à-peu-près. Je
pensais même, avec quelque dédain, sciemment exagéré, que n'importe qui pouvait faire
profession de "fabricant" de littérature, celle-ci se contentant de bagout et de culot pour
raconter des histoires, de préférence les plus échevelées.

Tu vois comme on peut être stupide! Maintenant, je suis bien obligé de revoir mon
jugement puisque je suis à la fois mathématicien et écrivain et que je ne souffre d'aucune
schizophrénie ni dédoublement de personnalité. Je dois même dire que je me suis vite
aperçu de la vacuité de l'argument que j'exposais plus haut. Au contraire, l'approche
"glaciale" du mathématicien, si je peux m'exprimer en empruntant une image qu'on lui
accole trop facilement dans le bêtisier populaire, est un avantage plutôt qu'un
inconvénient. Le mathématicien, habitué à ne pas s'en laisser conter, distingue sans trop
d'efforts, les failles d'une construction romanesque. Oui, la littérature est le domaine du

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questionnement, de ce qui n'est jamais sûr, du doute en fin de compte, mais ce doute,
pour donner naissance à une œuvre véritablement littéraire, doit être introduit, "construit"
dans le texte de la façon la plus rigoureuse possible. En ce sens, imagination débordante
et discipline de l'esprit ne sont plus ennemies, mais d'inestimables alliées au service de la
littérature. Comme d'ailleurs de toute autre œuvre de création, les mathématiques en
particulier.

Algérie-Actualités : Ton itinéraire personnel?

Anouar Benmalek : Dans tout itinéraire, il y a les conditions qui te sont faites et
ce que tu fais de ces conditions. Il n'y a jamais de prédestination, cela serait trop simple,
mais il peut y avoir une attente inconsciente, une disponibilité. C'est ce qui m'est arrivé.
Cela ne signifie certainement pas, par ailleurs, que je savais que j'allais devenir écrivain.
On m'aurait bien fait rire, il y a six ou sept ans, si on m'avait affirmé que d'ici peu, je
serais l'auteur de quelques livres dont un roman par exemple.

Cette disponibilité dont je t'entretenais, je la dois en partie à mon père. Aussi loin
que je me souvienne, notre maison a toujours regorgé de livres. Cela allait du théâtre à
l'économie politique, en passant par les romans et les ouvrages scientifiques les plus
divers. Je suis donc devenu, par la force des choses, un lecteur boulimique. J'ai pu
dévorer, à treize ou quatorze ans, en même temps que les bandes dessinées dont je
raffolais, des choses aussi disparates et aussi peu faites pour mon âge que Shakespeare
et… "les Mémoires de Casanova" (ce dernier livre en cachette de mes parents, bien
entendu)! J'étais à mille lieues, évidemment de tout comprendre du dramaturge anglais, je
lisais au premier degré comme je l'aurais fait pour "Les aventures de Sindbad" ou "Le
dernier des Mohicans". Mais il faut croire qu'on ne batifole pas impunément avec
l'inconscient.

Quand je parle ainsi de mon père, ce n'est pas du tout par respect filial: je ne fais
qu'indiquer ce que je dois à la chance, aux données "objectives", mon père ayant été,
malgré la condition difficile qui était celle des Algériens de sa génération pendant sa
jeunesse, un véritable homme de culture. Quelques semaines avant sa mort tragique, il
venait de mettre la dernière main à un ouvrage sur le sous-développement.

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Cependant, pendant toute cette première période qui va jusqu'à la fin de mes
études universitaires en Algérie, il avait été clair pour moi que mon futur métier, que ma
vie allaient être indissolublement liés (comme on dit d'un mariage…) à une activité
scientifique et j'ai ensuite opté pour les mathématiques qui me semblaient représenter à
cette époque l'ascèse intellectuelle par excellence. Je me rappelle ces longues après-midi
d'été à Constantine où, pendant que tout le monde dormait, écrasé par la chaleur, je me
laissais submerger peu à peu par le plaisir très spécial, très rafraîchissant (!) et que ne
connaissent malheureusement pas ceux qui ne sont pas amateurs de sciences dites
exactes, de surmonter une difficulté mathématique ou de résoudre, aidé de ses seules
circonvolutions cérébrales, un problème ardu d'algèbre ou de géométrie.

Algérie-Actualités : Comment s'est passé le déclic, le passage à l'acte littéraire?

Anouar Benmalek : J'ai eu la chance (une autre!) d'être envoyé à l'étranger


continuer des études en vue de la soutenance d'une thèse d'Etat. Je me suis trouvé du jour
au lendemain, et sans aucune préparation pour le provincial assez borné que j'étais alors,
projeté dans une cité universitaire et dans une ville où soixante-dix nationalités
différentes, venant de toutes les parties du globe, coexistaient, chacune avec ses
particularités, ses problèmes, ses tragédies parfois, ses envies, ses habitudes culturelles,
ses préjugés aussi.

Très vite, j'ai pu apprendre (oui, apprendre car la culture, c'est une démarche qui
s'apprend!) à trouver normal d'aller au concert ou à une exposition de peinture et d'autres
manifestations de ce type, qui sont encore du domaine du luxe ou de l'utopie chez nous.
Plus que tout ça, plus que la rencontre avec l'Art dont je devenais un consommateur
glouton (tu vois, je n'ai jamais su me modérer…), la découverte de la variété humaine m'a
subjugué: comment un Sénégalais ou un Italien pouvaient m'être proches tout en étant
différents de moi, comment Autrui pouvait être Autrui tout en étant mon semblable, où
est-ce que je me plaçais dans cette effarante diversité des hommes et des femmes,
comment les autres me plaçaient-ils, voilà les questions qui ont commencé à faire leur
travail de sape au fond de mon assurance de moins en moins tranquille de scientiste. Si je
continuais à être persuadé, comme par le passé, du caractère irremplaçable de la
connaissance scientifique du monde qui nous entoure (sociétés humaines y compris), il

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s'avérait de plus en plus clairement pour moi que cela était notoirement insuffisant si cela
ne s'accompagnait pas de la primauté absolue à donner à l'être humain et aux relations
humaines. J'ai eu rapidement une certitude inébranlable: la seule revanche, la seule
réplique que peut opposer l'être humain à sa présence absurde sur cette terre, c'est une
relation profondément vécue et maîtrisée qu'il aura réussi à avoir avec soi-même et avec
les autres. Ce n'est pas beaucoup et, paradoxalement, c'est immense. Se connaître donc.
C'est à dire, par voie de conséquence, connaître ceux qui ne sont pas toi. Puisque les
autres, c'est toi, mais vu d'un angle différent.

Pour moi, les mathématiques se sont révélées alors, comme on le devine aisément,
d'un piètre secours dans cette quête inquiète. Et puis, tout à coup, il y a eu la littérature.

Le passage concret à l'écriture, le "crime", a eu lieu au début de ma seconde année


à l'étranger. Le prétexte à cette plongée sans espoir de retour dans le paradis et l'enfer de
la littérature, ce prétexte et sa futile cocasserie, sans lequel, peut-être, je n'aurais rien
écrit, hé bien j'éprouve toujours un amusement coupable d'indulgence à le raconter. Cela
me rappelle à chaque fois que le Destin est un gros bonhomme pas très soigneux, qui ne
prend que rarement la peine d'agencer d'une manière crédible les événements qui
déterminent une vie.

Donc, je m'étais amouraché d'une jeune fille. Cette dernière avait tout ce que je
n'avais pas: elle prétendait peindre (et des icônes, s'il vous plaît!), parler plusieurs langues
étrangères, écrire des nouvelles, faire de la photographie artistique, voyager et que sais-je
encore…

Le jeune homme que j'étais, bête et naïf à la fois, désespéré par l'indifférence de la
demoiselle, s'était mis en tête de trouver coûte que coûte un moyen pour attirer son
attention. Et ce moyen devait être artistique, cela allait de soi! Comme il ne savait pas
peindre ni faire de la photo, il s'était résolu à prendre la plume et… à écrire des poèmes.
La poésie, expression littéraire la plus difficile, que je mets maintenant au sommet de
toute littérature est, pourtant, la discipline littéraire la plus maltraitée par les apprentis
écrivains. Confondant l'économie de moyens par laquelle elle se caractérise avec la
facilité, on croit qu'il suffit d'aligner quelques lignes les unes au-dessous des autres, au
besoin en s'aidant d'un dictionnaire de rimes, pour faire œuvre de poète. Je n'avais pas,

57
quant à moi, échappé à ce travers et mes premiers poèmes devaient être exécrables. Mais
j'avais mis le doigt dans le délicieux engrenage de la création littéraire. De poèmes
malhabiles à poèmes moins malhabiles, de petite nouvelle à nouvelle plus élaborée,
d'essai en roman, je suis arrivé à la situation actuelle où ma vie, c'est la littérature et la
littérature est ma vie.

Entre-temps, pour en revenir à cette jeune fille, un mois après que nous eussions
fait connaissance, je découvris qu'elle n'était pas plus peintre ou photographe que moi
pilote de Boeing ou danseur étoile. La demoiselle s'était révélée une parfaite mythomane.
Cela fait des années que j'ai perdu de vue ma jolie menteuse, mais je ne lui ai jamais tenu
rigueur de ses affabulations car, sans le savoir, elle m'avait rendu un sacré service! […]

3èmeInterview (L'enfant du Peuple ancien, d'Anouar Benmalek.


Par Zineb Moussaoui de PlaNet DZ)

PlaNet DZ: Votre livre a été très remarqué lors de la rentrée littéraire. Est-ce lié à votre
avis au choix du sujet?

A.Benmalek: Ne serions-nous condamné à ne parler que de nous?


La littérature est avant tout un voyage. La poésie arabe doit son rayonnement à des poètes
qui étaient surtout de grands voyageurs. Aujourd'hui, nous privilégions un dialogue avec
l'Occident, au nom d'une culture arabo-occidentale et ce au détriment du Sud, même le
plus proche.
Le Sud doit aussi dialoguer avec le Sud. L'humanité nous appartient, comme nous
algériens appartenons au reste de l'humanité.

PlaNet DZ: Vous passez sous silence l'histoire de l'implantation "forcé" des algériens en
Nouvelle Calédonie, l'époque de Bou Merzag, frère d'El Mokrani. De plus on sait qu'il
existe une forte et ancienne communauté algérienne comme l’atteste le cimetière arabe
près de Bourail (sud est).

A.Benmalek: Effectivement. Mais en travaillant sur des archives ayant trait au


prisonniers algériens en Nouvelle Calédonie, je suis tombé sur cette phrase :"Le loup de
Tasmanie disparaît en 1875, de même que le dernier représentant de l'espèce aborigène."

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Ce choix dans l'énumération, l'animal placé avant l'être humain, m'a complètement fait
reconsidérer l'orientation de mon roman. Un génocide c'est-à-dire la fin d'une aventure
humaine a été perpétré en Australie, sous le couvert des autorités anglaises.
J'en ai dès lors fait une priorité, de plus qu'en toute honnêteté les algériens ne se sont pas
très bien conduits.

PlaNet DZ: Vous usez d'un style clair et d'un vocabulaire des plus simplifié. Les phrase
sont courtes, aérées, une forme de degré zéro de l'écriture.

A.Benmalek: Je parle de génocide, de viols, d'inhumanité et pour cela il me faut une


écriture allant au ras des mots. Je suis loin de l'exubérance méditerranéenne.

PlaNet DZ: Quelles relations entretenez-vous avec votre lectorat en Algérie ou au


Maroc?

A.Benmalek: J'étais présent lors de la foire du livre à Alger. Je pense entretenir des
relations de gêne. Lorsque un livre est vendu 1400 dinars, je comprends tout à fait que
certaines personnes le reposent. Mais il s'avère, qu'aujourd'hui, un auteur maghrébin est
contraint de passer par la France pour être reconnu comme écrivain dans son pays, Paris
est un passage obligé où l'on vient chercher un label…

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2.EXTRAITS DE PRESSE

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Bibliographie
I. Corpus de l’étude
BENMALEK, Anouar, L’Enfant du peuple ancien, Pauvert, 2000.

II.Ouvrages théoriques
1. BACHELARD Gaston, le récit poétique, 1957 (réed. Quadrige 1983)
2. BARTHES Roland « effet de réel ». Littérature et réalité. Edition Du Seuil, 1982.
3. Charles BONN et Xavier GARNIER, Littérature Francophone. Tome1 : Le roman,
Paris, Hatier, 1997.
4. Christiane ACHOUR, Simone REZZOUG in Convergence critiques, Introduction à la
lecture du littéraire. Edition n°2031 – Janvier 1990.
5. GENETTE Gérard, Figure II, Seuil, 1969
6. GENETTE Gérard, Figure III, Paris. Edition Seuil, 1972
7. GENETTE Gérard, Frontière du récit, communication, n°8, 1966
8. GENETTE Gérard, Nouveau discours du récit, Paris, Seuil, 1983
9. GRIVEL Charles, Production de l’intérêt romanesque, Paris. Ed. Mouton, 1973
10. HAMON Philippe, pour un statut sémiologique du personnage, poétique du récit,
Paris, Seuil, 1977,
11. RICARDOU Jean, Problèmes du nouveau roman. Seuil, collection "Tel Quel". 1970.
12. YVES Tardié- jean, Le récit poétique, PUF. Ecriture, 1979.

III. Ouvrages généraux


13. BOZARSLAN Hamit, Cent mots pour dire la violence dans le monde musulman,
Maisonneuvre & Larouse, 2005
14. BRILLAT-SAVARIN Jean Anthelme, Physiologie du goût, Sautelet, 1825.
15. CLAUDE Lévi-Strauss, « Linguistique et Anthropologie », Anthropologie structurale,
Paris, Plon, 1958.
16. GOLDENSTEIN Jean-Pierre. Pour lire le roman, De Boeck-Duculot, 1986
17. MERAHI Youcef. Vivre pour écrire, Zellige, 2007

IV. Dictionnaire
18. HUBERT, Marie-Claude. Dictionnaire de critique littéraire. Tunis : Cérès Editions.
1998.

V. Revues et périodiques
19. HAMON Philippe, « Le savoir dans le texte », Revue des sciences humaines, n° 4,
1975.
20. LITTERATURE ALGERIENNE. Avec l’écrivain Anouar BENMALEK, Comptes
rendus d’ouvrages critiques. CAHIER DU CENTRE DE RECHERCHE n°4, CRTF,
Université de Cergy-Pontoise, janvier-février 2007 [en ligne] disponible sur :
anouarbenmalek.fr (consulté le 28.03.2015).

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VI. Thèses et travaux universitaires
21. BENOUATTAF Soumeya. Universalité, Enracinement et Modernité dans les Amants
Désunis d’Anouar BENMALEK, Université Mentouri Constantine. Fevrier 2007. 253 P.
[en ligne]. Disponible sur : bu.umc.edu.dz (consulté le 28.03.2015).
22. BONN Charles, in Le Roman algérien contemporain de langue française : espaces de
l’énonciation et productivité des récits, 1982, 1428 p, thèse de doctorat, Bordeaux-3,
1982. Disponible sur :http://www.limag.refer.org/Theses/Bonn/TheseEtatIntro.htm.
(Consulté le 01. 12. 2015)
23. SILINE Vladimir, in Le dialogisme dans le roman algérien de langue française,1999, 262
p, thèse de doctorat (nouveau régime), Etudes littéraires francophones et comparées, Paris
13, 1999, p 7. Disponible sur :http://www.limag.refer.org/Theses/Siline.PDF. (Consulté le
01. 12. 2015)

VII. Sitographie
24. BONN. Charles, Paysages littéraires algériens des années 90: Témoigner d'une
tragédie?, [en ligne]. Disponible sur : http://www.limag.refer.org. (Consulté le 03. 12.
2015)
25. BOUAMAMA Massinissa. Destruction des espèces animales en Afrique du nord à cause
du (néo) colonialisme. [en ligne] Disponible sur : https://negreinverti.wordpress.com.
(Consulté le 01. 12. 2015)
26. BOUZIANE Nadia, Théorie : La littérature de voyage, [en ligne] Disponible sur
http://www.e-littérature, consulté le : 22 /01/2015.
27. Lucie GUILLEMETTE et Cynthia LEVESQUE. LA NARRATHOLOGIE, Université
de Québéc à Trois-rivières. [en ligne]. Disponible sur: www.signosemio.com.
(Consulté le 15.09.2014)
28. MOUSSAOUI Zineb, interview avec Anouar BENMALEK. [en ligne]. Disponible
sur : www.planet-dz.com. (Consulté le : 08.07.2014).

VIII. Documents audio-visuels


29. Algérie littérature action, n°17 janvier 1998. [en ligne]. Disponible sur :
anouarbenmalek.free.fr. (consulté le : 27.03.2015).
30. Anouar BENMALEK parle des raisons qui l'ont poussé à écrire son livre "L'Enfant du
peuple ancien" dans l'émission "Voix au chapitre" animée par Daniel Picouly,
[en ligne] Disponible sur
:https://www.google.dz/?gws_rd=cr&ei=YR4eU7T1DaG54wSpmYDgBw# (Consulté le
04. 11. 2015)
31. Anouar BENMALEK, Chroniques de l’Algérie amère, "vol de nuit", réalisée à la villa
Pouillon à Alger : Patrick Poivre d’Arvor, 3 mars 2003 [en ligne]. Disponible sur :
http://www. Youtube. Com/watch ?v=8NUPdcacglw. (Consulté le 19.05.2014)
32. Anouar BENMALEK, L’Enfant du peuple ancien, réalisée en Belgique: mars 2001
[en ligne]. Disponible sur : www. Limag. Refer. Org (consulté le 28.05.2014)
33. Anouar-BENMALEK-on-torture-and-literature-in-algeria, cite in:OSCARI Dolores,

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« Si j’ose écrire », émission avec Anouar BENMALEK, produite et réalisée par : Daniel
Broyer, RTBF, le 01.02.2014. [en ligne], disponible sur : www.dailymotion.com
(Consulté le 22.06.2014).

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Résumé
L’analyse de « L’Enfant du peuple ancien » d’Anouar BENMALEK nous
permet de découvrir la diversité frappante qui réside dans le roman à travers l’étude
des personnages, de la langue, de la culture, de la structure du roman, du rythme
narratif et de l’espace romanesque.
Mots-clefs : Littérature maghrébine, diversité culturelle, narratologie, espace/temps,
déracinement.

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Sumarry
The analysis of « The Child of an ancient people » of Anouar BENMALEK
leads us to discover the big diversity that is in the novel trough the study of
characters, language, culture, the structure of the novel, narrative rythm and novel’s
space.
Key words : Maghrebine littérature, cultural diversity, narratology, space /time, uprooting.

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‫الملخص‬
‫إن تحليل رواية "طفل الشعب العتيق" ألنور بن مالك سمحت لنا باكتشاف التنوع الثري و الملفت‬
‫للنظر بالرواية و ذالك من خالل دراسة الشخوص’ اللغة’ الثقافة’ بنية الرواية’ وتيرة السرد و الفضاء‬
‫الروائي‪.‬‬
‫المفتاح‪ :‬األدب المغاربي’ التنوع الثقافي’علم السرد ’ المكان‪/‬الزمان’ االستئصال‪.‬‬ ‫كلمات‬

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