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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Mahdya à la période Fatimide


Lucien Golvin

Résumé
La topographie de Mahdiya à la période des Fâtmides doit être revue sérieusement en dépit des travaux effectues, voici
quelques années sur le site par S.M. Zbiss et A. Lezine. Une recherche approfondie des textes arabes dont nous disposons
nous conduit à formuler quelques réserves sur les hypothèses autrefois proposées et à en presenter d'autres, notamment sur
les dispositions des murs terrestres occidentaux (muraille et mur barbacane), sur l'entrée proprement dite (al-dqifa al-ka/jla), sur
l'emplacement des palais qui conditionne celui de l'arsenal, sur la mosquée et sur divers autres édifices. La publication en cours
des précieux textes dûs au célèbre qâdi al-Nu'man devrait, sans doute compléter, dans un proche avenir, ces données
livresques.

Abstract
The site of Mahdiya at the Fatimides time has to be reexamined in spite of the researches on the ground by S M. Zbiss and A.
Lezine, few years ago. After a thorough investigation through the remaining Arabian texts, we express some remarks about the
precedent hypotheses and we present others about, for instance, the outline of the earth-facing eastern walls, about the
entrance itself, about the situation of the palaces which determines that of the arsenal, about the mosque and many other
monuments. The edition in process of qâdi al-Nu'man works should soon complete these bibliographic data.

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Golvin Lucien. Mahdya à la période Fatimide. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°27, 1979. pp. 75-98;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1979.1843

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1979_num_27_1_1843

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MAHDIYA A LA PÉRIODE FÂTIMIDE

par Lucien GOLVIN

Résumé
La topographie de Mahdiya à la période des Fâtmides doit être revue sérieusement en dépit des travaux
effectues, voici quelques années sur le site par S.M. Zbiss et A. Lezine.
Une recherche approfondie des textes arabes dont nous disposons nous conduit à formuler quelques
réserves sur les hypothèses autrefois proposées et à en presenter d'autres, notamment sur les dispositions des
murs terrestres occidentaux (muraille et mur barbacane), sur l'entrée proprement dite (al-dqifa al-ka/jla), sur
l'emplacement des palais qui conditionne celui de l'arsenal, sur la mosquée et sur divers autres édifices.
La publication en cours des précieux textes dûs au célèbre qâdi al-Nu'man devrait, sans doute
compléter, dans un proche avenir, ces données livresques.

Abstract
The site of Mahdiya at the Fatimides time has to be reexamined in spite of the researches on the ground
by S M. Zbiss and A. Lezine, few years ago. After a thorough investigation through the remaining Arabian
texts, we express some remarks about the precedent hypotheses and we present others about, for instance, the
outline of the earth-facing eastern walls, about the entrance itself, about the situation of the palaces which
determines that of the arsenal, about the mosque and many other monuments.
The edition in process of qâdi al-Nu'man works should soon complete these bibliographic data.

LA CRÉATION DE LA VILLE

Si tous les auteurs arabes s'accordent pour attribuer la création de la ville à


'Ubayd Allah, le Mahdî dont le nom se perpétue dans celui de la cité actuelle, ils
diffèrent parfois sur les dates exactes du début et de la fin des travaux.
Un des textes les plus anciens que nous avons pu consulter est celui du géographe
oriental Ibn Hawqal qui visita la ville à l'époque où les Fâtimides régnaient en IfïTqiya ;
ceci se passait en l'année 335/947. Voici ce qu'il écrit :
« Mahdiya est une petite ville fondée récemment par le Mahdî celui qui régnait
sur le Maghreb et qui lui avait donné ce nom. Elle est située au bord de la mer, et il s'y
est transporté en venant de Raqqada, près de Kairouan, en l'année 308/920... Elle a
une belle muraille, solidement fortifiée, en pierre; celle-ci est munie de deux portes,
dont je n'ai vu l'équivalent ni rien de comparable en aucun point de la terre, à part les
deux portes de la muraille de Rafiqa, car elles ont été construites sur le même modèle et
dans le même style »(1).
76 L. GOLVIN

On ne trouve dans ce texte qu'une seule date qui est celle de l'installation du
Mahdî et non celle de la fondation de la ville. On peut être surpris que l'auteur n'ait
rien remarqué en dehors de la muraille où il note deux portes alors que l'on ne trouve
qu'une seule issue vers l'intérieur du pays sur le rempart occidental. Quant à^Ia,
comparaison de la muraille de Mahdiya avec celle de Rafiqa (autre nom de Raqqa), elle
ne manque pas de poser quelques problèmes. Celle de Mahdiya est en pierre, celle de
Raqqa est construite en briques sèches avec des parements extérieurs en briques cuites
sur les tours-bastions (demi-rondes) et sur la fameuse porte dite de Bagdad. Le rempart
de Raqqa était double, c'est-à-dire qu'il se composait de deux murailles parallèles, l'une
vers l'intérieur, épaisse de 5,85 m, l'autre vers l'extérieur, de 4,50 m, ces deux murailles
étaient séparées par un espace large de 20,80 m (fasll) (2). Ibn Hawqal a-t-il vu, à
Mahdiya, une double muraille qui l'aurait amené à la comparaison avec Raqqa ? Nous
reviendrons plus loin sur ce détail important qui expliquerait la mention de deux portes
comme cela est le cas à Raqqa, l'une sur la muraille extérieure, l'autre sur celle de
l'intérieur. Enfin, à Raqqa, un fossé de 9,50 m à 15,90 m de largeur sur l'extérieur
complétait le système de défense. Nous examinerons plus loin ce qu'il faut penser de la
défense de Mahdiya. Quant à la porte elle-même, aucune comparaison ne semble
valable entre celle de Raqqa au très beau décor de briques si bien connu et la porte de
Mahdiya dite al-Sqifat al-Kahlcf.
L'auteur le plus prolixe et auquel nous nous référerons bien souvent est le
géographe andalou Abu 'Ubayd al-Bakn m. en 487/1094 «à un âge très avancé»,
nous dit-on (3). Ce personnage quelque peu épicurien comme tant de ses compatriotes à
cette période d'anarchie politique de l'Espagne au XIe siècle, n'est pas un voyageur; il
est probable qu'il n'a jamais visité l'Afrique du Nord, mais il utilise, la plupart du
temps, avec bonheur, de nombreux documents trouvés dans les cours de ces principicu-
les désignés sous le vocable peu flatteur de Mulùk al-Tawàif, notamment à la cour
d'Alméria où le souverain local, Muhammed b. Ma'an l'accueille avec bienveillance et à
Seville où il est l'hôte du fameux roi-poète al-Mu'tamid qui lui confie une mission
diplomatique. Il lit beaucoup et il s'inspire, nous dit-il, de l'historien-géographe
Muhammed b. Yûsuf al-Warraq (m. en 363/974) dont les travaux, et principalement son
masalik ifnqiya wa-mamaliku-ha donne de bonnes descriptions des villes principales de
l'Ifrîqiya à la période des fâtimides. Al-Bakrî rapporte fidèlement sans doute, l'auteur
maghribin dont nous ne possédons plus l'œuvre (du moins à ma connaissance), mais il
ajoute d'autres sources qu'il ne nous indique pas toujours (4) sur la période post-
fâtimide qui lui est contemporaine. Il est possible d'ailleurs qu'il utilise également le
récit de voyageurs venus du Maghrib. Quoi qu'il en soit, et pour nous en tenir à la
fondation de la cité, voilà ce que nous en dit notre auteur :
« La ville de Mehdiya porte le nom (mansùba) d'Obeid Allah al-Mehdi prince qui,
suivant les historiens, en posa les fondations (banàha)(5)... Obeîd Allah s'était décidé à
construire la ville d'al-Mehdiya (sabbaba bunyàn lUbayd Allah lil Mahdiya) à cause de
la révolte d'Abou Abd Allah es-chîaî qui, secondé par une partie des Ketama, avait
cherché à le détrôner et dont les partisans furent massacrés par les habitants de
Kairouan en l'an 300 (912/913). Il commença par examiner l'emplacement de sa
nouvelle ville ; cinq années plus tard, il avait achevé les fortifications (sùrha) et dans le
mois de chaoual 308 (février-mars 921) il alla s'y installer (6).
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 77

Pour en demeurer aux géographes, il est à noter qu'on ne peut rien tirer, au sujet
de la fondation de la ville de l'oriental al-Muqaddas (m. 375/985) qui se borne à une
courte description que nous évoquerons ultérieurement(7).
L'inconnu du Kitâb al-lstibsâr (écrit vers 587/1191) ne fait guère que démarquer
al-Bakrï; à moins qu'il ne s'inspire, lui aussi, directement de al-Warraq ? Quoi qu'il en
soit, son texte est bien moins précis que celui de al-Bakrï; c'est ainsi qu'il ne donne
aucune date de fondation, se bornant à écrire : Mehdiyya est une ville considérable dont
la fondation par 'Obeyd Allah chî'î eut lieu quand Aboû 'Abd Allah le dâ'i (conçut le
projet de ) se soulever contre lui » (8).
On est surpris de ne trouver aucune date non plus chez al-Idrïsf qui visita
l'Afrique du Nord au début du XVIIe siècle et qui se borne à écrire : « Mahdiya était le
port et l'entrepôt d'al-Cairawân ; elle fut fondée sur les bords de la mer par el-Mahdi
Obaidallah qui lui donna son nom » (9).
Le tunisois 'Abd Allah al-Tigâni s'est trouvé à Mahdiya vers les années 706 à
709/1307 à 1309, il écrit :
« C'est une belle et puissante ville construite par 'Ubayd Allah le Mahdî le
premier des Califes fâtimides. Sa construction fut commencée le 5 de dû al-Qa'da 303/
915... lorsqu'elle fut terminée, elle devait servir de refuge aux Fâtimides. Abu Ibrahim
al-Raqîq dit dans son livre : « 'Ubayd Allah le Mahdî sortit (de Raqqâda) en l'an 300/
912/915, il se dirigea vers la ville de Tunis et il visita Carthage, puis il passa dans
d'autres villes du Sahel cherchant un endroit de la côte où il pourrait fonder une ville et
où il pourrait se retrancher lui et ses descendants... Il ne trouva pas d'endroit meilleur
que celui où devait se trouver Mahdiya et il traça alors les plans de son palais... »(10).
Au XVIe siècle, Jean-Léon l'Africain écrit : « El-Mahdiya est une ville bâtie... par
El Mahdî, l'hérétique, premier calife de Cairouan. Il la construisit au bord de la
Méditerranée sur un éperon montagneux (sic) qui s'avance dans la mer. Il l'entoura de
hautes et fortes murailles, avec de grosses tours et des portes ferrées ; le port fut défendu
par de bons remparts »(11).
Les historiens ne sont guère plus précis, leur source la plus fréquente est al-Raqiq
(m. après 418= 1027-1028 )(12), dont devaient s'inspirer Ibn Hammad, Ibn al-Abbâr,
Ibn'Idâri, al-Tigâni, al-Nuwayrï, Ibn Haldûn etc., ce dernier ne cachant pas son
admiration à l'égard de cet auteur (13).
L'oriental Ibn al-Atîr (m. 630/1234) donne les précisions suivantes : fondation de
la ville en 303/915-16, et il ajoute : « Quand les défenses, remparts et tours, en furent
achevés, il exprima le soulagement qu'il ressentait par ces mots : « maintenant, je suis
tranquille sur le sort des filles fâtimides »(14).
Ibn Idâri, vers 706/1306-1307, donne un récit très voisin de celui de Tigâni, son
contemporain sans doute parce qu'ils puisent tous les deux à la même source. Nous y
retrouvons en effet l'histoire des démarches entreprises par 'Ubayd Allah à Tunis, à
Carthage et le long de la côte où il finit par fixer son choix sur la presqu'île de Gummi
(ou gummà) où devait s'édifier Mahdiya. (Il donne les dates suivantes : fondation 301/
913-14, achèvement: 303/916, installation du Mahdi 308/921 (15).
C'est encore un texte manifestement inspiré de al-Raqïq que nous livre Ibn
Haldûn (m. 808/1406) : « La perspective du danger auquel l'empire serait opposé dans
le cas où les karedjites (de l'Ifrikhiya) prendraient les armes, décida le Mahdî à fonder.
78 L. GOLVFN

sur le bord de la mer une ville qui pût servir d'asile aux membres de sa famille. L'on
rapporte, à ce sujet, qu'il prononça les paroles suivantes : je bâtirai cette ville pour que
les Fâtimides puissent s'y réfugier pendant une courte durée de temps. Il me semble les
y voir, ainsi que l'endroit en dehors des murailles où l'homme à l'âne viendra s'arrêter.
- Il se rendit lui-même sur la côte afin de choisir un emplacement pour sa nouvelle
capitale, et, après avoir visité Tunis et Carthage, il vint à une péninsule ayant la forme
d'une main avec le poignet; ce fut là qu'il fonda la ville qui devait être le siège du
gouvernement. Une forte muraille garnie de portes de fer, l'entourait de tous les côtés.
On commença les travaux vers la fin de l'an 303 (juin 916). Il fit tailler dans la colline
un arsenal qui pouvait contenir cent galères (chini); des citernes et des silos y furent
creusés par son ordre, des maisons et des palais s'y élevèrent et tout ce travail fut
achevé en l'an 306/918-19. Après avoir mené à terme cette entreprise, il s'écria : «je
suis maintenant tranquille sur le sort des Fâtimides ! »(16).
Il paraît inutile de poursuivre nos investigations au delà de cet historien génial sur
la question de la fondation de la ville.
En résumé, pour le début des travaux, nous avons le choix entre plusieurs
affirmations 303/915-16 (Tigani, Ibn al-Atir, Ibn Haldùn), 301-913-14 (Ibn 'Idârï).
Pour la fin des travaux, nous pouvons hésiter entre 305/917-18 (al-Bakrï) et
303/916 (Ibn 'Idâri).
Nous constatons que, tant pour le début que pour la fin des travaux, seul Ibn
'Idâri diverge nettement 17). Comment expliquer ces différences? - Al-Bakrï fixe la
décision de construire après l'affaire de Abu 'Abd Allah et le massacre des sVites à
Kairouan (300/912-13), le Bayàn précise: 20 sa'bàn 300/11 avril 912(18) date que
reprend Tigânï comme celle des « investigations » à Tunis et dans le Sahel en vue de
trouver un lieu propice. Nous pouvons penser que la date de 301/913-14 donnée par
Ibn 'Idâri est celle où, les enquêtes terminées, la décision est prise de construire; les
travaux ne commençant alors effectivement qu'en 303/915-16.
Pour la fin des travaux, l'écart est plus embarrassant, il va de 303/915-16 (Ibn
'Idâri) à 306/91 8-19 (Ibn Haldùn). Il semble que l'auteur du Bayân ait confondu la date
du début des travaux avec celle de la fin. Quant à l'écart entre al-Bakrï et Ibn Haldùn, il
n'est pas tel qu'on ne puisse concilier les deux textes, d'autant plus que l'expression
employée par le géographe andalou est assez vague « cinq ans après » (les débuts). On
peut donc retenir comme vraisemblable la date de 306/918-19. Enfin, la date
d'installation du Mahdï semble assez sûre : sawwal 308 /février-mars 921 aussi bien attestée par
al-Bakrï que par 'Ibn 'Idârï.

LES RAISONS DE LA FONDATION DE MAHDIYA

Nous avons vu que al-Bakrï attribue la construction de la ville aux conséquences


de l'action de Abu 'Abd Allah et des réactions des kairouanais contre les kutâma. Mais,
pour Tigâni et Ibn Haldùn, les craintes du Mahdï étaient surtout provoquées par
l'action des hârigites. Par un curieux phénomène de prémonition, il aurait « vu » bien
avant la lettre, la fameuse attaque d'Abû Yazïd, l'homme à l'âne.
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 79

De ces deux opinions, nous retiendrons surtout la première qui montre


l'instabilité de la dynastie et les menaces qui pèsent sur elle à Kairouan (et à Raqqâda). On ne
peut manquer d'ajouter à ces dangers venus des sTites eux-mêmes et surtout de leurs
turbulents alliés, les Kutàma, la sourde mais ferme hostilité des milieux religieux de la
ville sainte attachés à l'orthodoxie sunnite.
On pourrait dans doute également faire état de l'insécurité générale due à
l'opposition berbère (19) tant en Ifrîqiya qu'au Magrib Central et en Tripolitaine, voire
en Sicile i cela ne ferait que renforcer le sentiment d'insécurité générale et mettre en
valeur l'hostilité du fond de la population à l'égard de ces orientaux porteurs d'un
message jusqu'alors peu accepté au Magrib, les propagandistes du sPisme, en l'occu-
rence les Kutàma se faisant régulièrement haïr partout où ils se trouvent (et où ils se
trouveront par la suite) par leur attitude pleine d'arrogance, la rudesse de leur moeurs et
leur brutalité soldatesque à l'égard des populations locales.
Mais, bien d'autres raisons pouvaient inciter le Mahdî à s'intéresser à la côte et
sans doute la plus impérieuse était-elle de mûrir le vaste projet de cet oriental qui ne
considérait le Magrib que comme une étape sur la voie du triomphe du sTisme dans le
monde musulman. Le titre de Calife ne pouvait avoir son sens absolu sans la conquête
du pouvoir à Bagdad et sans la ruine des imposteurs 'abbâsides. Le choix de Mahdiya
répondait à ce vœu et nous voyons le double souci du premier calife fâtimide se faire
jour dès la fondation de sa ville : la préserver des attaques possibles venues de
l'intérieur par un rempart solide au seul endroit vulnérable, l'étroit goulet terrestre qui
rattache la presqu'île à la terre, la doter d'un port de guerre et d'un arsenal pour la
préparation d'une flotte de guerre destinée à la grande aventure vers l'Orient. La
nécessité de ce port devait se poser surtout après l'expédition infructueuse du fils du
Mahdï, Abû'l- Qâsim qui, selon Ibn Haldûn, aurait pris la tête d'une armée importante
tandis qu'une flotte de 200 navires mettait les voiles sur Alexandrie sous les ordres de
Hubâsa Ibn Yûsuf (20). Mais les historiens arabes ne sont pas tout à fait d'accord sur
ces faits et Ibn 'Idàri, par exemple, place la campagne de Abû'l-Qâsim après un demi
échec d'une autre expédition menée par Habasa (sic) b. Yûsuf (par voie terrestre), la
flotte fâtimide aurait alors été taillée en pièces à Lamta (sud de Monastir) dans des
conditions peu précises. En 302/26 juillet 914, Abû'l-Qâsim, accompagné de Habasa
entrait à Alexandrie et il pénétrait jusqu'au Fayyûn tandis que, vexé, Habasa rentrait au
Magrib et se faisait décapiter sur ordre du Mahdî (21).
Enfin, dernière raison, il n'est pas impossible que le nouveau maître du Magrib
ait désiré marquer son autorité par une fondation prestigieuse qui perpétuerait son
nom.

LA PHYSIONOMIE DE LA VILLE À LA PÉRIODE FÂJIMIDE

Les remparts : tous les textes consultés nous disent que la muraille était en pierre. Les
auteurs vantent la puissance du mur terrestre, notamment, nous l'avons vu, Ibn
Hawqàl qui connut la ville peu après sa construction.
80 L GOLVIN

La façade orientale ou rempart terrestre a frappé tous les voyageurs. La


physionomie de la presqu'île explique ce soin particulier à garantir la sécurité de ce côté, le seul
vraiment exposé à l'assaut d'une armée venue de l'intérieur du pays.
Divers auteurs ont comparé, avec fort à-propos, la presqu'île à une main avec son
poignet (22). Al-Muqaddasî soulignait qu'on ne pouvait pénétrer dans la ville que par
un chemin étroit « comme une lanière de chaussure »(23).
Cet isthme n'a en effet guère plus de cent soixante-dix mètres de large et il était
donc aisé d'y établir une solide défense. Pourtant, 'Ubayd Allah semble ne pas s'être
satisfait du rempart qu'il venait de faire construire. Écoutons ce que dit, à ce sujet al-
Bakrî :« Obeid Allah, voulant augmenter l'étendue de la ville gagna sur la mer un
terrain qui mesure, du Sud au Nord, la largeur d'une portée de flèche igalwa) » (24),
puis, il ajoute : « El Mehdiya est défendue par seize tours, dont huit font partie de
l'ancienne enceinte, les autres s'élèvent sur le terrain ajouté à la ville iziyàda). Une de
ces tours porte le nom d'Abou'l-Ouezzan, le grammairien (Burg abil-Wazzàn al-Nahwï),
une autre s'appelle la tour d'Othman, une autre la tour d'Eïça (Burg lIsà), une autre la
tour du marchand d'huile (Burg ad-Dahhàn). Elles furent ainsi nommées parce que les
maisons de ces personnes étaient situées dans le voisinage »(25).
La traduction du texte arabe que je viens de donner intégralement et qui est celle
de de Slane pose des problèmes qui ont conduit à des interprétations fausses et à des
théories irrecevables. Voici ce texte de al-Bakrî : « vtaard al-madhal ilâ al-Mahdïya
min qibla ilâ al-gawf qadr galwa wa radama Vbayd Allah min al-Bahr mitla dalika
qu'on ne peut guère traduire autrement que « la largeur de l'accès à Mahdiya, du Sud
au Nord, est d'une portée de flèche et 'Ubayd Allah gagna sur la mer en comblant (une
largeur) identique ».
Nous voilà assez loin de l'interprétation précédente qui était ambiguë. -Nous
voyons en effet qu'il s'agit bien ici de l'élargissement de l'isthme, entrée vers la ville,
obtenu par un comblement et gagné sur la mer. Nous aurons bientôt à revenir sur ces
détails.
Comment et par qui ce texte fut-il pour la première fois déformé ? S'agirait-il de
al-Raqiq (m. 418/1027-28)?
Tigâni qui dit se référer à al-Raqiq écrit : « Ubayd Allah construisit d'abord la
muraille occidentale de la ville où furent pratiquées les portes. Il en posa la première
pierre et, quand tout fut achevé, il lança une flèche qui atteignit la musallâ où elle se
ficha. Le Mahdï s'exprima ainsi : en ce lieu arrivera l'homme à l'âne, c'est-à-dire Abu
Yazîd, il y parviendra, mais il n'entrera pas »(26).
Il n'est plus question ici d'élargissement gagné sur la mer et la « portée de flèche »
est devenue un acte du Mahdï. On notera enfin le phénomène de prémonition dont
n'avaient parlé ni al-Bakri ni al-Ya'qùbi.
Cette affabulation devait ensuite avoir une très longue carrière, nous la
retrouverons presque textuellement chez les auteurs suivants et notamment dans Ibn Haldûn,
mais nous ne savons pas d'où elle émane. Quoi qu'il en soit, il faut en revenir au texte
le plus ancien que nous connaissons et voir ce que l'on en peut tirer pour l'étude de la
topographie de la ville à la période des Fâtimides.
Nous aurons pour cela beaucoup recours aux travaux d'Alexandre Lézine. Cet
auteur qui a prospecté très sérieusement le site a découvert, au Nord de la muraille
81

Fig. 1. - Essai de restitution de la ville au Xe siècle


82 L. GOLVIN

terrestre les vestiges d'une tour d'angle de forme polygonale et qu'il considère comme
authentique c'est-à-dire appartenant au gros mur construit par le Mahdï. Cette forme
peut paraître assez étrange à cette époque, mais, il convient de se souvenir qu'à
proximité de Mahdiya même se trouvait, peut-être dès la période des Fàtimides, un
bâtiment connu sous le nom de Burg al-'Arif dont les tours d'angles étaient octogonales
et dont la base formait un socle polygonal à trois degrés superposés (28). Des voyageurs
du siècle dernier ont pu en dessiner les derniers vestiges. Ce monument est attesté à la
période des Zirides, mais il pouvait être antérieur à cette dynastie(27).
A. Lézine a ensuite recours au récit de Marmol qui assista en 1554, à la
destruction des remparts ouest et qui donne les indications suivantes : épaisseur du mur
40 pieds, nombre de tours, six, répartition : deux tours rondes aux extrémités, quatre
tours carrées dans la partie centrale. « Dans la deuxième tour carrée qui était à l'Est
(sic) se trouvait l'entrée principale » etc.
C'est surtout à l'aide de ce document assez curieux qu'A. Lézine restitue (?) le
gros mur au Xe siècle, c'est dire qu'il fait fi du texte de al-Bakrï. On connaît le peu de
cas fait par l'auteur en d'autres circonstances du géographe andalou. Nous serons, pour
notre part, moins catégorique et, sans attacher une valeur de parole sacrée à tout ce
qu'écrit al-Bakrî, nous pensons qu'il reste la source la plus sûre. Quant au texte de
Marmol utilisé comme base, nous constatons d'emblée qu'il se trompe sur les
orientations qu'il nous donne et ce n'est pas là la seule erreur ou improbabilité que nous
aurons à relever; ainsi a-t-il vu les tours d'angle de la muraille terrestre rondes alors
que A. Lézine les a vues octogonales à la suite de ses recherches archéologiques. En
définitive, ou bien Marmol s'est trompé sur le nombre des tours du rempart occidental
ou bien cet ouvrage avait subi de sérieuses restaurations ou des remaniements depuis sa
construction, jusqu'à sa démolition en 1554. L'histoire ne vient-elle pas nous rappeler
que la ville avait connu bien des viscissitudes. Abandonnée une première fois sous le
règne de al-Mansûr, fils de al-Qâ'im vers 334/945-46 au profit de al-Sabra al-Mans.û-
riyya, Mahdiya et sa région « perdirent leurs habitants et les faubourgs tombèrent en
ruines ». Plus d'un siècle plus tard, les Zirides y trouvent refuge et ils restaureront ses
défenses jusqu'à la prise de la ville par les Normands de Sicile, époque à laquelle elle est
décrite par al-Idrîsî comme n'étant « plus ce qu'elle était » (28). On sait que ses murailles
devaient être restaurées par deux fois sous les Hafsides. La première fois sous le Calife
al-Nâsir en 1205, la seconde fois en 1360 par le ministre Ibn Tafrâgin(29). On nous dit
que son enceinte avait alors quatre portes (?) dont une seule donnait sur la mer (30).
Doit-on en conclure que dans ce nombre est comptée la porte de la mer, c'est-à-dire
l'entrée du port que nous évoquerons plus loin. Mais où placer les trois autres entrées ?
Nous verrons ultérieurement qu'il est possible de dénombrer deux portes vers le
rempart terrestre, une sur le mur proprement dit (celle que nous connaissons encore de
nos jours), l'autre sur un mur de défense qui se trouvait en avant de cette muraille. La
dernière porte serait-elle celle de l'arsenal ?
Au XVIe siècle, Jean-Léon l'Africain voit en Mahdiya une ville accablée d'impôts
et « les habitants font du commerce maritime et vivent en grande intimité avec les
Arabes, si bien qu'ils ne peuvent cultiver leur terre »(31). Pourtant, Pierre Navarro
attaquant la ville avec neuf vaisseaux en 1519, est repoussé par une puissante
artil erie (32).
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 83

Ces quelques notes historiques nous conduisent à penser qu'on ne peut restituer
l'état du gros mur occidental à l'époque fâtimide en s'appuyant sur le texte tardif de
Marmol et dans de telles conditions il est sans doute préférable de s'en rapporter à des
auteurs tels que al-Warraq ou al-Bakrî.
A l'époque du Mahdi, soit dans un premier état, nous voyons un gros mur de
huit tours carrées et une porte unique pratiquée dans une des tours, mais nous ne
pouvons pas savoir avec précision comment se répartissaient ces tours. Seules semblent
possibles les tours polygonales d'angle aux deux extrémités du mur terrestre et la porte
que nous étudierons plus loin. Cela fait trois tours placées avec quelque certitude. Celle
du centre aurait occupé une largeur de 40 coudées soit environ 21,60 m selon la
restitution proposée par A. Lézine. Les tours d'angle n'empiétaient que de moitié sur le
mur occidental puisqu'elles saillaient également sur la muraille nord et sud. On peut
donc évaluer qu'elles n'occupaient à elles deux qu'une quinzaine de mètres. La
longueur totale du mur étant estimée à 1 75 m (Lézine) il resterait 135 m pour y placer cinq
tours qu'on peut supposer large de 1 0 m chacune et le nombre des intervalles serait de
sept qui pourraient être estimés à 12,50 m chacun. Cela paraît tout à fait acceptable et,
dans une telle hypothèse, on pourrait fort bien placer deux tours bastions flanquantes
entre l'angle Sud et l'actuelle Sqifa et trois autres entre la Sqîfa et le mur Nord, tout ceci
ne constituant bien sûr qu'un essai hypothétique de restitution basé sur le texte de al-
Bakrî.
Devant ce mur était le musallà cité par tous les textes. C'est sans doute ce musallà
qui devait être élargi d'une portée de flèche sur ordre de TJbayd Allah. Il faut en effet
revenir au texte de al-Bakrî et donner tout son sens à l'expression ilà dans la phrase
wa'ara" al-madhal ilà al-Mahdïya... que je lis : la largeur de l'accès à Mahdîya...
A cette époque, il n'est pas question d'un mur secondaire pourtant évoqué par al-
Bakrî, mais il précise bien, en faisant cette allusion à un second mur, que les seize tours
étaient ainsi réparties : huit appartenaient à l'ancienne enceinte sûr al-awal ce qui
pourrait également être traduit par « la première enceinte », les huit autres se trouvant
sur le mur ajouté (33).
Au-delà se développait le « rabacf » autrement dit, le faubourg de ZawDa que l'on
a tout lieu de supposer populeux alors que Mahdiya proprement dite était réservée au
Calife et à ses proches : parents, milice personnelle, élite artisanale, etc.. Le musallà
marquait nettement la séparation entre les deux centres habités (34).
La Sqifa al-Kahlà.
Sur cette porte, al-Bakrî nous dit :
« la ville d'El-Mehdiya a deux portes de fer, dans lesquelles on n'a pas fait entrer le
moindre morceau de bois, chaque porte pèse mille quintaux et a trente empans de
hauteur; chacun des clous dont elles sont garnies pèse six livres, sur ces portes on a
représenté plusieurs animaux »(35).
Le Kitàb al-Istibsar pas plus que al-Idrïsï ne donnent de plus amples précisions
sur le système de défense des portes. Quant au plus ancien des auteurs consultés, al*
Ya'qùbi, il se borne à comparer les deux portes, de Mahdiya à celles de Raqqa. Nous
utiliserons ce texte surtout pour la reconstitution de la double enceinte.
Ainsi, aucun écrit arabe, du moins à ma connaissance, ne permet de savoir si le
long corridor qui prolonge le bloc défensif de l'entrée vers l'intérieur de la ville est
84 la mer

Fig. 2. - Restitution hypothétique de la double entrée


au X« siècle

Fig. 3. - Murs de Byzance (d'ap. Choisy)


MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 85

contemporain de la fondation de Mahdiya. A. Lézine le pense, après G. Marçais, et le


premier nommé, dont les qualités d'observation et le talent d'architecte ne sauraient être
mis en doute, appuie son opinion sur de sérieux examens de la maçonnerie. Il pense
d'ailleurs que ce long couloir compartimenté en sections par des arcs doubleaux en
forme d'anses de panier n'était, en fait, qu'un passage protégé aboutissant peut-être à la
douane dont l'existence est attestée par al-Bakrî(36), en somme une sorte de sàbàt ou
passage couvert comme on en rencontrait dans d'autres provinces du monde musulman
et plus particulièrement en Espagne où des passages de ce genre existaient entre la
grande mosquée et le palais. On pourrait citer encore bien d'autres exemples, un des
plus curieux étant un passage couvert qui, à l'époque des Normands de Sicile reliait le
palais de Roger II dit la Ziza à l'église palatine voisine (37). La douane est également
évoquée par Ibn 'Idâri qui nous dit, en 308/961, «'Ubayd Allah donna ordre aux
pèlerins qui se rendaient à la Mekke de passer obligatoirement par Mahdiya pour s'y
acquitter des impôts qu'on exigeait d'eux dans les diverses provinces» (3 8). Ce texte
irait donc dans le sens de l'hypothèse de A. Lézine bien qu'il ne nous donne aucune
indication sur l'emplacement de cette institution. Il semble toutefois assez logique de
l'imaginer à l'entrée de la ville afin d'éviter l'envahissement d'une foule d'étrangers dans
la cité princière. Il est probable que ces pèlerins étaient ensuite refoulés sur Zawfla où
ils étaient vraisemblablement hébergés.
En posant cette hypothèse, A. Lézine nie toute valeur défensive au long vestibule
à arcades latérales alors qu'on semblait penser jusqu'alors qu'il s'y pouvait trouver tout
un système de herses et autres portes bardées évoquées par Marmol. Pour Lézine, ces
organes se trouvaient dans le hall même du Burg d'entrée auquel il donne une avancée
beaucoup plus grande que celle que nous connaissons. Avec juste raison, il évoque ces
longs couloirs à arcades qui, selon les auteurs arabes, prolongeaient vers l'intérieur les
portes fortifiées de la ville ronde de Bagdad où l'on trouvait, au-dessus d'un corridor,
des chambres à l'étage comme à Mahdiya (39), mais, plus encore qu'à Bagdad, nous
songeons au palais diJkhaydir, construit vers la fin du vme siècle en plein désert; nous
voyons là, en effet, une porte en avant-corps rectangulaire traversée par un hall muni
de herses et de portes blindées que prolonge un long vestibule à six banquettes
latérales (40).
La profondeur actuelle du passage en voûte qui traverse le burg est de 10,30 m.
Elle ne permet évidemment pas d'y imaginer six portes en enfilade ;A. Lézine fait alors
appel au texte de Marmol qui donne 40 pieds de large au gros mur terrestre, soit 1 1,12
m, et la même mesure à la partie saillante de l'avant-corps du burg, ce qui est beaucoup
plus que ce que nous connaissons aujourd'hui. Mais nous n'accueillons pas sans réserve
les estimations que propose Marmol et, en particulier, nous doutons fort que la muraille
ait pu atteindre cette épaisseur colossale inconnue ailleurs (41). Au reste, A. Lézine, qui
admet pourtant ces chiffres, tout en les trouvant hors de proportion avec ce que nous
connaissons ailleurs, a pu relever, sur la tour Nord de la porte actuelle « d'importants
arrachements de maçonnerie ». On regrette fort qu'il n'ait pas eu alors l'idée de mesurer
ces vestiges. Les excellentes photos qu'il nous en donne nous paraissent indiquer un
mur de proportion tout à fait raisonnable et bien loin des 40 pieds de Marmol. Il ne
peut pourtant s'agir que du mur que Marmol a vu encore en place au moment de sa
démolition et, peut-être même du mur original de la muraille de 'Ubayd Allah. Il paraît
86 L. GOLVIN

alors nécessaire d'accueillir avec beaucoup de réserves les affirmations de l'auteur


espagnol et de préférer les données encore visibles de l'archéologie. Quoi qu'il en soit,
nous pensons que l'hypothèse de A. Lézine est tout à fait plausible même s'il faut
réduire les dimensions du porche d'entrée.
Le mur secondaire.
Le texte de al-Bakrï semble bien faire allusion à un second mur protégeant la muraille
terrestre, construction qui vraisemblablement a été effectuée après la mort du Mahdi.
C'est ce qui semble résulter de la lecture de al-Bakrî :wa fihù sittata 'asara burgàn
tamaniata minha fî al-sùri al-awal wa tamaniata fi al-zïàda. L'évocation d'un double
mur se retrouve chez Ibn al-atîr qui distingue deux portes, l'une qui s'appelait Bâb al-
Futûfj (c'est l'actuelle sqifa) et l'autre Bâb al-Bakr qu'il place face à Zawfla (42). Tigâni
est encore plus précis lorsqu'il fait allusion à l'attaque de Abu Yazïd; il dit : « al-Qâ'im
écrivit alors aux habitants de Mahdiya et des environs d'avoir à fortifier Mahdiya, cela
en l'année 333/945, et de creuser un fossé autour du faubourg de Zawfla »(43).
Ibn Haldûn donne une version assez proche de la précédente et il ajoute « Abu
Yazîd suivit le bord de la mer et entra dans le musallâ qui était à une portée de flèche
d'El-Mehdia... Abu Yazid résolut... de passer la porte d'al-Mehdiya afin de tourner Zîrî
et les Ketamiens » (44).
Les auteurs chrétiens ont vu ce deuxième mur, en particulier Marmol qui lui
donne 12 pieds d'épaisseur et qui signale qu'il était moins haut que la muraille
principale et il précise que ce mur comptait alors 9 tours et que « dans la tour du milieu
il y avait une porte de côté, tournée vers l'Est »(45).
Enfin, le géographe al-Idrïsï fait allusion à un fossé, mais il semble faire partie des
défenses de Zawila(46). Je crois que des vestiges de ce mur protecteur, sorte de
barbacane ont été découverts voici quelques années à l'emplacement de la mosquée Sidî
Cliayh Mtir, soit à une quarantaine de mètres environ de la Sqifa (ils avaient d'ailleurs
été aperçus au siècle dernier à l'occasion de travaux à cette mosquée) (47).
A l'aide de quelques-unes de ces données, A. Lézine a tenté une restitution en
plan mentionnant les tours et une entrée coudée assez vraisemblables compte tenu du
texte de Marmol, mais il relie ce mur au premier par deux murailles Est-Ouest, aux
deux extrémités.
Personnellement, je verrais plutôt deux côtés libres qui expliqueraient que, en
passant dans l'eau, Abu Yazïd et ses compagnons aient pu contourner cette défense
aisément et pénétrer ainsi dans le musallâ qui n'est autre qu'un fasil dans l'architecture
musulmane tant à Bagdad qu'à Raqqa(48). On se souviendra alors du texte de al-
Ya'qûbi qui comparaît la défense de Mahdiya à celle de Raqqa (49).
Mais ce type de défense est bien connu dans le monde byzantin et nous
reproduisons ici un croquis de Auguste Choisy des murailles de Byzance; nous y
voyons un fossé (A), puis un mur crénelé (M) à bastions arrondis, moins élevé que la
muraille principale (N) de laquelle il est séparé par un intervallum. Le gros mur, crénelé
lui également, est pourvu de gros bastions carrés. On notera sans doute que la porte du
bastion du premier mur (M) se trouve sur le côté. On pourra également remarquer, qu'à
l'échelle indiquée, le gros mur ne paraît pas devoir dépasser 5,50 m d'épaisseur, le mur
M étant nettement moins large, ceci nous confirme dans la conviction que le gros mur
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 87

de Mahdiya ne pouvait atteindre les dimensions données par Marmol et reprises par A.
Lézine (50).
Le rempart maritime.
A. Lézine, qui l'a longuement parcouru et qui a relevé ses vestiges avec soin,
évalue à 1 10 le nombre des tours bastions. Il épousait les sinuosités de la côte par une
série de lignes brisées, chaque angle étant marqué par une tour. Celles-ci varient de
dimensions. Quant au mur proprement dit, il ne dépassait nulle part 2,40 m, mesures
prises dans les fossés qui sont encore visibles et dans lesquels s'ancraient les fondations.
Le port.
De toute évidence, un des premiers soins du Mahdî a été de doter sa nouvelle
fondation d'un port et d'un arsenal. Al-Bakrï nous dit que ce port était fréquenté par
des navires d'Alexandrie, de Syrie, de Sicile, d'Espagne et d'autres pays. « Son port,
creusé dans le roc, nous dit-il, est assez vaste pour contenir trente bâtiments (murkub), il
se ferme au moyen d'une chaîne de fer que l'on tend entre deux tours (burgàn) situées
de chaque côté du bassin. Quand on veut laisser entrer un navire (al-safina), les gardes
des tours lâchent un bout de la chaîne, ensuite, ils la rétablissent dans son état
ordinaire. Par cette précaution, on se garantit contre les tentatives des Roum » (5 1 ).
A. Lézine a très minutieusement analysé les vestiges qui subsistent actuellement
du port médiéval et il conclut que, contrairement à ce qu'on en a pu penser, il ne s'agit
pas d'un cothon punique assez semblable à celui de Carthage, mais, il ne peut expliquer
le canal qui a été obstrué par un mur à redan et qui, communiquant avec la mer
comme la passe qui lui est parallèle, formait, avec la bassin vu en plan un U qui n'est
pas sans rappeler les cothons. Je ne vois pas, dans les arguments avancés, les raisons de
nier cette hypothèse qu'il est certes difficile d'affirmer comme une certitude (52).
Nous ne pouvons, par contre que nous ranger favorablement dans l'essai de
restitution proposé du port à la période fatfmide.
Il n'est pas possible d'évoquer le cas de l'arsenal sans avoir, au préalable, tenté de
placer les deux palais, celui du Mahdî et celui de son fils al-Qâ'im puisqu'aussi bien,
l'arsenal est localisé, par al-Bakrï, en fonction du palais du Mahdî.

Les palais.
« Le palais d'Obeid Allah est très grand, nous dit al-Bakrï, et se distingue par la
magnificence (sic) de ses corps de logis. La porte de cet édifice regarde l'occident, vis-à-
vis, sur l'autre côté d'une grande place s'élève le palais d'Abou'l-Cacem fils d'Obeid
Allah. La porte de ce palais est tournée vers l'orient » (53).
Du récit de al-Idrïsî, retenons cette précision « elle (la ville) est dominée par le
château du prince, construit de la manière la plus solide » (54).
Des fouilles menées voici déjà bien des années par M. Slimane Mostefa Zbiss,
malheureusement interrompues, ont révélé, à l'Est de la mosquée et à environ 250m de
ce monument, l'entrée d'une demeure importante qu'on ne peut attribuer qu'à une
demeure princière. M. Zbiss y voit le palais de al-Qâ'im, mais, si cette identification doit
être maintenue, il faut constater que le texte de al-Bakrï est erroné car l'entrée révélée
est orientée au Nord-Nord-Ouest et non à l'Est. Il n'est pas absolument impossible que
notre auteur andalou ait commis une erreur, mais un doute subsiste qui nous amène à
formuler une autre interprétation concernant d'abord la palais du Mahdî.
88 L GOLVIN

ACHIR

Fig. 4. - Palais d'Achir

MAHDIYA

Fig S. - Entrée d'un palais à Mahdiya


MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 89

G. Marçais, frappé par des détails décoratifs et par l'appareil des voûtes, supposait
que l'entrée coudée actuelle du Bordj al-Kabîr pouvait être un des derniers vestiges du
palais du Mahdï et qu'alors les fondations de ce palais seraient à rechercher sous l'actuel
bâtiment. Or cette entrée est bien orientée à l'Ouest comme le dit al-Bakri, de plus,
l'altitude du Bordj est telle qu'on peut donner au texte de al-Idrïsï tout son sens. A.
Lézine a rejeté cette hypothèse, mais les arguments qu'il y oppose sont loin d'être
convaincants et, en tout état de cause, des recherches seraient sans doute possibles aux
abords ou dans la cour du Bordj.
Le palais de al-Qâ'im se trouvait « en face de celui du Mahdï » et ces deux
constructions étaient séparées par une place (55).
Il faudrait donc rechercher dans un secteur d'une centaine de mètres des vestiges
éventuels. Or, l'entrée découverte par M. Zbiss se trouve légèrement en-delà de cette
zone. En définitive, il paraît difficile d'y voir le palais de al-Qâ'im, à moins qu'il ne
s'agisse d'une cellule composant ce palais et nous songeons, en évoquant cette
hypothèse aux palais de la Qal'a des B. Hammàd où l'on trouve des groupes de bâtiments
formant des cellules d'habitat pas toujours orientées dans le même sens. Ainsi en va-t-il
au palais dit du gouvernement et à celui dit du Manàr, ces cellules étant enveloppées
d'une enceinte (56). Remarquons en passant que ces dispositions existaient égalament à
l'Alhambra de Grenade. Quant à l'entrée coudée mise au jour lors des fouilles citées,
elle ressemble assez étrangement à celle du palais que Zïrî, fils de Buluggîn se faisait
construire à Achîr en 324/935-36 (57). De telles ressemblances ne peuvent être fortuites
et l'on sait que le chef berbère fut un auxiliaire très précieux pour les Fâtimides lors de
l'attaque et du siège de Mahdiya par Abu Yazïd, « l'homme à l'âne ». C'est en effet
grâce à lui que la ville put être débloquée et on ne sera pas surpris que, allié fidèle de
Fâtimides, Zïrf ait cherché à les imiter. Je proposerais donc alors une restitution du
bâtiment dont on connaît l'entrée s'inspirant assez étroitement de ce que nous
connaissons à Achîr. On y remarquera, entre autres, une colonnade et une salle du trône qui
pourrait à la rigueur être coiffée d'une coupole dorée, soit les fameuses « voûtes d'or »;
bien que le terme arabe tiqàn soit assez équivoque.
Notre interprétation qui aurait au moins le mérite de concilier deux théories
opposées attribuerait donc bien les vestiges apparents à l'entrée du Bordj al-Kabir au
palais du Mahdï et cela est d'une très grande importance pour la recherche de
l'emplacement de l'arsenal.

L 'arsenal.
Rappelons le texte de al-Bakrï déjà cité : « l'arsenal (est) situé à l'Est du palais
d'Obeid Allah »; il «possède deux galeries voûtées vastes et longues (wafihâ qabwàn
kabiràn t.awïlân) qui servent à garantir les agrès et les approvisionnements de la marine
contre les attaques du soleil et de la pluie »(58).
On conçoit alors toute l'importance des palais, car, si l'on admet la théorie de G.
Marçais, il faut situer l'arsenal vers le port tandis que si l'on s'en rapporte aux vestiges
découverts par M. Zbiss, c'est en direction de la mosquée qu'il faut orienter les
recherches. A. Lézine a opté pour cette dernière hypothèse et les découvertes
archéologiques qu'il y a faites le confirme dans sa conviction que l'arsenal se trouvait à
proximité de la mosquée. Là encore une fois, il fait confiance absolue au texte de
90 L. GOLVIN

SO M

Fig. 6. - Entree du Bordj al-Kabir

Fig. 8. - Mur de façade de la mosquée


MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 91

Illustration non autorisée à la diffusion


92 L. GOLVIN

Marmol qui écrit : « l'arsenal regardait l'orient... près d'une grande mosquée bien bâtie
qui tenait au mur »(59).
Précisément, dans ce secteur, A. Lézine a trouvé les traces d'une entrée voûtée
ouvrant sur une galerie qui pouvait communiquer avec un bassin intérieur ou avec la
mer. L'analyse des vestiges apparents le conduit à la conviction qu'il s'agit de l'arsenal
fâtimide. Sans vouloir nier systématiquement une telle interprétation, on ne manquera
pas de constater que le même auteur, analysant des vestiges situés entre le rempart
maritime et le port, reste fort embarrassé par l'existence d'une longue galerie (il dit
qu'on peut la suivre sur plus de 35 mètres), parallèle au mur d'enceinte et débouchant
sur la passe du port, et il écrit :« il reste trop peu de choses de ces constructions pour en
permettre l'identification. Etait-ce une galerie analogue à celle de l'arsenal, une citerne
ou un silo à compartiments ? Il n'est plus possible de le savoir » (60).
On le voit, le doute subsiste. Pourquoi ne pas imaginer deux arsenaux ? L'un
construit dès la période des Fâtimides et l'oeuve de 'Ubayd Allah, l'autre construit
ultérieurement? Peut-être à l'époque des Zîrides lorsqu'ils furent contraints de se
réfugier à Mahdiya et d'y demeurer pendant plus d'un siècle, n'ayant plus guère d'autre
moyen de s'évader et de communiquer avec le monde extérieur que par la mer ?...
Dans une telle hypothèse, quelle serait, de ces deux arsenaux, celui décrit par al-
Bakrï ?... Tout reste suspendu à l'identification exacte du palais du Mahdi, mais, pour
ne pas dissimuler plus longtemps notre sentiment, nous dirons que nous penchons de
préférence vers les vestiges jouxtant le port.
La mosquée.
La mosquée est certainement le monument dont l'emplacement ne souffre aucune
contestation puisqu'elle subsiste toujours à l'endroit où elle fut édifiée sur ordre du
Mahdi.
Al-Bakrî nous dit « le djamë, la cour des comptes et plusieurs autres édifices
s'élèvent sur le terrain que l'on gagna sur la mer. Le djamê composé de sept nefs est
très beau et solidement bâti »(61). On aura certainement remarqué l'amphibologie qui
surgit à la lecture de ce texte qui fait allusion au terrain gagné sur la mer comme cela a
été dit lors de l'étude du rempart terrestre. Dans al-Bakrî, cette amphibologie est
d'autant plus sensible que la phrase citée fait immédiatement suite à l'histoire du jet de
flèche. Si l'on s'en tient à la traduction proposée par de Slane, il est évident qu'il faut
lier les deux phrases et on pourrait alors conclure que l'agrandissement évoqué en
début de cette étude concerne celui ou s'élève la mosquée. Il convient donc, une
nouvelle fois de retourner au texte arabe pour tenter de rétablir la vérité ; voici ce qu'il
dit « wa'ard al-madhal ilà al-Mahdiya min al-qibla ilà al-gawf..., etc.. » II s'agit donc
bien d'une extension du Sud au Nord de l'entrée vers la ville et non pas de celle,
indéniable, qui a été gagnée sur la mer pour bâtir la mosquée. L'auteur andalou passe
sans transition d'un sujet à un autre peut-être parce qu'il interprête un texte qu'il ne
saisit pas très bien géographiquement. Par ailleurs, il faut constater que cette
plateforme d'environ 125 m du Sud-Ouest au Nord-Est forme une saillie de plus de 50 m
sur la partie Sud-Ouest, mais seulement d'une quinzaine de mètres sur la partie Nord-
Est. Ceci dit, la restitution du monument dans son état premier par A. Lézine est tout a'
fait recevable et elle repose sur de minutieuses études des vestiges découverts au sol
après démolition totale du bâtiment remanié au cours des âges. On pourra sans doute
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 93

constater Terreur de al-Bakri qui ne comptait que sept nefs, erreur qui, d'ailleurs peut
très bien résulter d'une mauvaise interprétation de la graphie arabe par l'un des copistes
du texte initial. La mosquée a et a eu dès sa construction neuf nefs et non sept.
Je n'insisterai pas sur l'importance capitale de la fameuse façade avec son porche
saillant bien connu, mais, je voudrais donner mon sentiment en ce qui concerne les
embryons de tours que l'on trouve aux angles. A. Lézine refuse d'y voir des bases de
minarets et il pense qu'il s'agit tout bonnement de citernes. Je serai beaucoup moins
affirmatif, et je suis enclin à penser que ces tours qui mesurent à la base 7 m de côté
devaient s'élever à une hauteur peut-être réduite au-dessus du mur d'enceinte, mais
suffisante pour qu'on y puisse lancer l'appel à la prière (62). Ma pensée est certes très
influencée par l'exemple de la façade de la mosquée de al-Hakim au Caire, bâtie en
380/990, laquelle, toutes proportions gardées, reproduit fidèlement la façade de la
Grande Mosquée de Mahdiya. Ce ne serait pas là la seule influence maghrébine sur
l'architecture des Fàtimides en Egypte (63). Tout le mur occidental de la mosquée
épousait ou constituait le rempart, mais, du côté Nord-Est, une place importante existe
où pouvaient se loger assez aisément la cour des comptes et plusieurs autres édifices
publics. On cite entre autres un Dàr al-Bahr qui devait servir de prison et où les
Fâtimides auraient laissé mourir des milliers de prisonniers (64).
Un texte précieux nous renseigne sur quelques autres fondations à Mahdiya à
Tépoque fâtimide, c'est la vie de l'ustadh Jawdhar (65). Nous savons par ce serviteur
zélé des Califes qu'une manufacture royale, un tjrâz existait à Mahdiya dès le règne de
al-Qâ'im et qu'on y fabriquait des vêtements brodés d'or et aussi des nattes de jonc
d'une finesse extraordinaire, elles aussi brodées de fils d'or (66).
Ce même texte fait état d'un atelier monétaire où l'on frappait la monnaie (67), il
mentionne aussi l'existence d'un « commissariat de police » (68). Il est évident que nous
ignorons l'emplacement de ces diverses institutions.
Les textes dont nous disposons ne nous permettent pas d'envisager, à la période
des Fàtimides d'autres constructions. Nous les résumons ici : les remparts, la façade
occidentale avec son double mur et ses portes, la douane, les palais, la grande mosquée,
le port, l'arsenal, la cour des comptes, l'atelier monétaire, l'hôtel réservé à la police,
l'atelier manufacture tiràz. On imagine encore d'autres ensembles tels que casernements
pour la milice privée du Calife, les palais des proches parents, etc.. Il faut encore
évoquer les nombreuses citernes mentionnées par al-Bakri qu'on estime au nombre de
360 « sans compter les eaux qui arrivent par conduite et qui se répandent dans la ville »
et l'auteur ajoute « ce fut Obeid Allah qui les fit venir d'un village des environs nommé
Menanech (Manânus ?). Elles coulent dans des tuyaux laqdàs et vont remplir une
citerne auprès du Djamé d'El-Mehdia d'où on les fait remonter jusqu'au palais par le
moyen de roues à chapelets »(69). Tigâni qui reprend cette description fait également
allusion aux très nombreux silos (70) que le Mahdi eut soin de faire remplir de réserves
alimentaires particulièrement appréciées lors du siège de le ville par « l'homme à l'âne ».
Ces diverses fondations laissent supposer une population déjà assez conséquente à
la fin du règne du Mahdi qui associait étroitement son fils Abû'l-Qàsim (le futur al-
Qâ'im) aux travaux et surtout à la préparation des grandes entreprises en direction du
Proche-Orient.
94 L GOLVIN

On peut supposer que sous le règne de al-Qà'im, la ville était défendue par une
troupe assez importante qui dut soutenir le long siège de Abu Yazid. Pourtant, à cette
époque, et en dépit des affirmations de al-Bakrï et de al-Idrîsï, la ville bloquée ne reçoit
aucune aide venue de l'extérieur par la mer. Il faut donc penser que « les navires
d'Alexandrie, de Syrie, de la Sicile et de l'Espagne et d'autres pays n'avaient pas encore
découvert le havre fâtimide qui ne dut compter que sur ses propres ressources jusqu'à
l'intervention des berbères de Zirï. On peut donc supposer que les relations maritimes se
sont surtout développées après l'affaire de « l'homme à l'âne » et qu'elles se sont
développées surtout vers la fin de la période fâtimide.
Nous serions étonnés d'apprendre l'existence de quartiers populaires à Mahdiya
même. Nous savons qu'une certaine ségrégation s'était effectuée dès la fondation de la
cité par la création de faubourgs dont le plus important semble avoir été celui de Zawîla
qui n'était séparé de la ville princière que par le musallà, espace suffisant, surtout après
la création du second mur pour isoler les deux populations. Là, selon al-Bakrï, étaient
relégués les bazars et les bains (7 1 ). Zawîla était « remarquable par la beauté de ses
bazars et de ses édifices » précise al-Idrïsï, ainsi que par la largeur de ses rues et de ses
carrefours. « Les habitants sont des négociants riches, doués d'une habileté et d'une
intelligence admirables »(72). La ville est entourée, tant du côté de la mer que du côté
de la terre, de murailles en pierre hautes et fortes, et le long du premier de ces côtés
règne un grand fossé qui se remplit au moyen des eaux de pluie. Dans la ville on voit
plusieurs bains et caravansérails (Fondoc). Au dehors et du côté de l'Ouest, existe un
vaste enclos (himà), où se trouvaient, avant l'invasion ruineuse des Arabes en Afrique,
les jardins et les vergers des habitants qui étaient remarquables par la bonté et la beauté
des fruits qu'ils produisaient (73).
Les remparts de Zawîla, évoqués précédemment ont-ils été contruits sous le règne
de al-Mu'izz li Dïn-llâh ainsi que nous l'affirme l'ustadh Jawdhar qui écrit : « l'imam
avait décidé de faire construire autour de Zawîla un mur comme celui qui entourait
Mahdiya. Il ordonna qu'on mesurât le périmètre (de Zawîla) » (74). Il semble bien que
cette intention n'ait pas été alors suivie de réalisation. On a tout lieu de penser, en effet,
que Zawîla ne fut pourvue d'une enceinte en pierre que sous le Zïride al-Mu'izz b.
Bâdïs (75).
Concluons en disant qu'aucun cimetière ne semble avoir existé à Mahdiya au
temps des Fâtimides. Al-Idrïsï avait été frappé par ce fait et il prétend que les morts
étaient transportés par barque à Monastir (76).
Ainsi donc, et sans pousser plus loin l'étude des autres faubourgs mentionnés par
al-Bakrï, mais ne jouxtant pas Mahdiya, nous voyons, à la période fâtimide une ville
première fortement défendue du côté terrestre, bien protégée du côté de la mer, une
ville résidentielle, puis un faubourg important, un rabacj fournissant tout ce dont peut
avoir besoin la ville princière, notamment, le ravitaillement et les produits d'un
artisanat sans doute raffiné. Un va-et-vient s'instaure, les commerçants de Zawila
disposant sans doute de boutiques à Mahdiya dans la journée, rentrant chez eux le soir
comme l'a si bien noté Idris à l'appui de textes qu'il a étudiés ; et cela ne manque pas
d'évoquer ces mêmes phénomènes en Andalousie, Cordoue possédant au-delà du
Guadalquivir un raba<\ appelé sàkunda, peuplé surtout d'une plèbe remuante, mais
aussi d'artisans et de commerçants, voire de savants qui, tous les jours passaient le pont
MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 95

pour aller travailler dans la capitale. La révolte bien connue de ce rabaj, sous le règne
de 'Abd al-Rahman I, devait être fatale pour ce faubourg qui fut rasé (77). Sans doute
d'ailleurs, dans cette migration quotidienne de boutiquiers ou autres petits artisans
trouve-t-on une proportion assez importante d'éléments juifs, mais aucun texte (du
moins à ma connaissance) ne le précise. Jusqu'à l'arrivée des Hilâliens, la région est
réputée pour la richesse de ses cultures et pour son commerce florissant même après la
fondation de Sabra al-Mansûriya qui portera un grave coup à Mahdiya et à ses
faubourgs ; à partir de ce moment l'extension de la ville et son prestige dans le monde
musulman seront des plus réduits. Mahdiya aux heures dramatiques du ziride al-Mû'izz
et de ses successeurs, ne sera plus qu'un havre fermé sur le reste de l'Ifrîqiya, mais
entr'ouvert sur la mer et sur les pays voisins : Magrib central et Sicile du moins
jusqu'au moment où l'île tombant aux mains des Normands constituera désormais une
menace supplémentaire; le temps viendra enfin, où ces chrétiens ambitieux
débarqueront dans la presqu'île sans rencontrer de résistance bien efficace et mettront de ce fait
un terme à la dynastie des Zîrides en Ifrîqiya.
Un dernier point reste à élucider. Dans son essai de restitution de la ville à
l'époque du Mahdi, A. Lézine, au vu de certains vestiges, se demandait si, dès sa
construction, toute la presqu'île avait été occupée. Il croyait avoir découvert les vestiges
d'un mur intérieur barrant l'isthme à hauteur et en prolongement du mur Ouest du
port. Dans une telle hypothèse, ce dernier se serait trouvé extra-muros.
Bien qu'à première vue, cette théorie semble assez hardie, elle n'est pas
absolument irrecevable. On pourrait très bien imaginer les quartiers résidentiels fermés vers
l'Est.lnais ce qu'on imagine beaucoup moins facilement, c'est qu'ils aient été inhabités.
Autour du port et sans doute de l'arsenal devaient se trouver des casernements de
marins ou d'ouvriers mariniers qu'on préférait voir hors-les-murs plutôt qu'à l'intérieur
de la cité. Des recherches seraient alors souhaitables pour voir si des vestiges de ce mur
hypothétique subsistent encore.

NOTES

(1) Configuration de la terre, trad. J. H. Kramers et G. Wiet, Paris, Maisonneuve-Larose, 1964, pp.
167-168.
(2) K.A C. Creswell, Early Muslim Architecture, Oxford, Clarendon Press II, 1 940 et A short account of
Early Muslim Architecture, London, Penguin Books, 1958, pp. 183 et sq.
(3) Description de l'Afrique Septentrionale, texte et traduction de Slane, Paris, Maisonneuve, 1965.
(4) On peut cependant penser qu'il utilise les écrits de Ibn al Gazzar (m. vers 395/1004-1005) très âgé
dit-on, et principalement son K. ahbàr al-dawla et son K. agâ'ib al-buldàn, qui devaient inspirer l'anonyme du
K. al-'uyùn. Cf. R. H. Idris, la Berbérie orientale sous les Zirides. Paris, A. Maisonneuve, 1962, p. XIV.
(5) Description... texte p. 29, trad. p. 65.
(6) Description... texte p. 30, trad. p. 68.
(7) al-Muqaddasi, Descriptions de l'Occident musulman, texte et trad. Ch. Pellat, Bibliothèque Arabe-
Française, Alger, 1950, pp. 16 et 17.
(8) L'Afrique septentrionale au XIIe siècle de notre ère, trad. E. Fagnan, Constantine, Braham, 1900,
p. 14.
96 L. GOLVIN

(9) Description de l'Afrique et de l'Espagne, texte et trad. R. Dozy et de Goeje, Leiden, Brill, 1968,
texte p. 108, trad. p. 126.
(10) Riffla de 'Abdallah Tidjani, texte et preface de H. H. Abdul-Wahab, Tunis, 1958, pp. 320-321.
(M) Description de l'Afrique... nouvelle edition A. Epaulard, Paris, A. Maisonneuve, 1956, II, 392.
(12) L'œuvre principale de cet auteur est un k.ta'rili Ifrïqiya wa' Magrib.
(13) Cf. Idris, op. cit., XIV.
(14) A. Fagnan, Annales du Maghrib et de l'Espagne, Alger, 1901, p. 315.
(15) al- Bayan al-Mughrib. texte G. S. Colin et E. Lévi-Provençal, Beyrouth.
(16) lbn Haldûn, Histoire des Berbères, II, appendice 2, p. 525
(17) La date de 300/912-13 avancée par al-Bakrï est, rappelons-le, celle de l'examen des lieux et non
celle du début des travaux.
(18) Bayàn, trad I, p. 231.
(19) lbn al-Atir signale les troubles dûs aux Berbères : fin 298/910, Tripoli, Tâhert, la Sicile sont en
rebellion à la suite, dit-on, de la designation de Abû'l-Qàsim comme héritier du trône, de l'exécution de Abu
'Abd Allah (1 dû'1-higga 298/31 juillet 91 1) et de la designation d'un faux mahdi par les Kutâma; enfin par
l'action des derniers aglabides (lbn al-Atir, trad., Fagnan, p. 345). Le Bayàn suit presque année par année ces
troubles : 298/910, révolte des Huwwâra dans la région de Tripoli, siege de la ville par les Zanâta et autres
tribus berbères (il semble que al-Atir ait confondu cette révolte avec l'attaque, en 300/913, de la ville par les
troupes et par la flotte fâ^imides, (tr. p. 345) 298/910 : reaction, Abû'l-Qinna marche contre les Luwâta, tue,
pille et emmène les enfants en captivité (Bayàn I, p. 165 tr. 230) - 298/910-1 1, révolte des Kutâma auxquels
on a interdit le pillage de Kairouan (Bayàn, I, p. 166, tr. I, p. 291/293) - 289/911, soulèvement des
kairouanais contre les Kutâma, 1 000 sont massacrés (Bayàn, I, p 166, tr p. 230). Abû'l-Mahasim place ce fait
en 300/913 (Revue de Constantine, 196, p. 310) - 299/91 1-12 exécution à Kairouan de plusieurs personnes
accusées de sympathie à l'égard de Abu 'Abd Altah et qui auraient trempé dans le complot ourdi contre le
Calife; parmi elles des membres et officiers de la famille des Aglabides ainsi que le muhtasîb de la capitale
(Bayàn, I, p. 168, tr. I, p 234-5) - 300/912, révolte de Tripoli contre les Kutâma qui occupent la ville et qui
sont massacres par la population (Bayàn I, p. 168, tr. p. 234-5) - 300/913, répression contre Tripoli sous les
ordres de l'héritier Abû'l-Qâsim 1 5 navires convoyés sont incendies. Les Huwwâra sont châtiés durement, mais
Y aman est accordé aus habitants de Tripoli sauf à trois d'entre eux, on execute quelques Aglabides du gund de
Tripoli (Bayàn I, p. 169, tr. p. 236) 301/913, attaque des Siciliens sur les côtes du Sahel. Ils ont à leur tête un
aglabide (Bayàn I, p. 172, tr. p. 240).
(20) lbn Haldûn, op. cit., appendice II, p. 524.
(21) Bayàn, trad. pp. 237 à 239.
(22) Notamment lbn al-Atir, lbn Haldûn, etc.
(23) J. Hopkins, Cahiers de Tunisie, n° 31, 1960, p. 92.
(24) Trad. p. 67.
(25) Texte, p. 30, trad. p. 67.

(26) Rihla, p. 321, voici le texte :

(27) Cf. G. Marçais, l'Architecture musulmane d'Occident, Paris, A et M. Graphiques, 1954, pp. 87 et
88 et fig. 45 (croquis de Tissot).
(28) Descriptions, p. 126.
(29) Cf. Brunschvig, La Berbérie orientale sous les Hafsjdes. Pans, A. Maisonneuve, 1940, t. I, p. 309.
„ a.

MAHDIYA À LA PÉRIODE FÂTIMIDE 97

(30) Jean-Léon l'Africain, p. 393.


(31) Cf. Brunschig, op. cit, p. 394.
(32) Ibn al-Atfr (VIII, p. 319, tr. p. 331) appelle Bâb Futùh la porte principale et Bâb al-Bakr celle qui
faisait face à Zawfla (v. Marçais, op. cit. p. 90).
(33) II faut admettre que l'isthme de la presqu'île était plus étroit et plus effile qu'il ne l'est aujourd'hui
ce qui donnerait son sens à l'expression employee par al-Muqaddasï qui compare de passage à un lacet de
soulier. Chez al-Bakrf, on voit apparaître l'expression ziàda bien connue en Proche-Orient, notamment dans les
mosquées de Samarra. Il désignait alors les immenses espaces clos hors les murs du sanctuaire et jouxtant ceux-
ci, ce qui convient parfaitement au musallà de Mahdîya.
(34) al Idrîsi appelle cet endroit al-Ramla- le sable, op. cit., p. 128.
(35) Description... texte p. 29, trad, p 66 On trouvera des textes assez semblables chez les auteurs
arabes déjà cites.
(36) Description, texte, p. 46, trad. p. 78, mais al-Bakri (xie siècle) ne precise pas si cette institution
existait avant les Zïndes.
(37) Cf. Guido di Stefano, Monumenti délia Sicilia Normanna, Palermo, 1956, pi. 157, fig. 249.
(38) Bayàn. trad. I, p. 285.
(39) Cf. K A C. Creswell, EM A., tome II et A short account, fig. 33.
(40) On pourrait sans doute aussi noter que ces vestibules à banquettes existaient dans presque tous les
palais umayyades de Syrie tels les Qasr al-Hayr, Hirbat al-mafgar, Msatta, Qasr al-Tûba, etc.
(41) À titre de comparaison, l'enceinte de Raqqa encore en place compte 4,50 m de largeur pour le
mur extérieur et 5,85 m pour la muraille intérieure (Creswell, Short account... p. 183). À Bagdad, ville ronde,
le plus gros mur n'excédait pas dix coudées d'épaisseur, soit moins de six metres. Aucune muraille connue
aussi bien dans le monde antique que dans l'empire contrôlé par les musulmans n'atteint de telles proportions.
Même en admettant l'impérieuse nécessité de bien protéger cet isthme, on ne peut guère songer à une telle
débauche de matériaux au IIIe-Xe siècle.
(42) Cf. Marçais, op. cit., p. 90, n° 3.
_ (43) Tigani (Abdul Wahab) pp 324-325 Plus loin, l'auteur précise que Abu Yazid arriva au musallà de
Mahdîya, c'est-à-dire au lieu où il n'était plus qu'à une portée de flèche de la ville... p. 326.
(44) Ibn Haldûn, op cit , II, app. I, p. 532.
(45) Lézme op. cit., p. 23. A Achir, j'ai découvert un mur barbacane assez semblable à une vingtaine de
metres de l'entrée du palais.
(46) Idrisi, op. cit., p. 128.
(4 7) Voyage du chevalier Guerin, p. 131.
(48) Cf. Creswell, A short account, fig 33, p. 171.
(49) La fameuse porte dite de Bagdad a Raqqa, en grande partie ruinée était une entree coudée si l'on
en juge par les hauts de murs visibles au sol. Elle donnait sur unfas.il entre le premier et le second mur où
s'ouvrait un peu plus au Nord une seconde porte.
(50) A. Choisy, Hist de l'Architecture, Pans, Vincent et Freal, 1959, p. 65, fig. 29.
(51) Texte p. 31, trad. p. 67. Ce dispositif était généralement celui des ports médiévaux. On le trouvait
à Bougie (porte de la mer) puis, un peu plus tard, à Sale (Bab Mrisa). Nous lisons un texte à peu près identique
dans Yistibsàr.
(52) Par ailleurs, l'auteur ne peut expliquer les vestiges apparents d'un long passage voûté, parallèle au
mur du rempart à l'intérieur de la banquette de terre entre la passe et le goulet. Sans doute les considere-t-il
comme contemporains du rempart ? dans ce cas, pourquoi ne pas voir la l'arsenal fâtimide qui, placé ici, aurait
l'avantage de communiquer avec la passe et avec le port. Ces vestiges sont composes, nous dit A. Lézine, de
deux murs parallèles à 5,10 m environ l'un de l'autre et on en peut suivre les traces sur 35 m; deux tours
rondes le bordaient à l'entrée.
(53) al-Bakri, texte p 30, trad. pp. 67 et 68.
(54) al-Idrisi, op. cit. p. 1 27 qui fait allusion à des « voûtes d'or » qu'il ne situe pas. Tigânï les attribue
au palais du Mahdi. (Rihla; p. 323).
(55) Avec juste raison, G. Marçais évoque la disposition de la ville du Caire lors de sa creation où,
suivent Maqrizi, les deux palais construits par le Calife se faisaient vis-à-vis de part et d'autre d'une place
spacieuse qu'on appelait Baiyïn al-Qasrayn (Description historique et topographique de l'Egypte, traduit de
Maqrizi par Paul Casanova, Mémoires de l'IFAO, 4e partie, Ier fasc. 1920).
98 L. GOLVIN

(56) L. Golvin, Recherches archéologiques à la Qal'a des B. Hammàd, Paris, Maisonneuve-Larose,


1965, p. 83 et fig. 22.
(57) L. Golvin, Le palais de Zin à Achïr, Ars Orientalis, VI, 1966.
(58) al-Bakri, op. cit., texte, p. 30, trad. p. 68. On trouve une version assez semblable dans Tigâni et
dans Ibn Haldûn.
(59) Cf. Lézine, op. cit. p. 50 et fig. 4 et 21.
(60) Idem, p. 42, fig. 16.
(61) Texte p. 30, trad. p. 67.

(62) À titre indicatif, l'actuel minaret de Sfax compte 5,40 m de côté à la base, c'est-à-dire beaucoup
moins que les tours de Mahdiya. Mais je ne pense pas que; à Mahdiya, les tours d'angle aient constitué des
tours élevées. Sans doute étaient-elles légèrement surélevées comme on le voit à la Grande mosquée de Sousse
dans l'angle Nord-Est de la cour.
(63) Peut-être était-ce déjà le cas à al-Azhar, mais, le mur Nord de cette mosquée a subi tant de
modifications qu'il n'est plus possible de savoir ce qu'il était dans son état premier.
(64) Cf. Idris, La Berbérie orientale... II, p. 451.
(65) M. Canard, La vie de Vustadh Jawdhar pub. I.E.O. Alger, IIe série, t. XX, 1958.
(66) Idem, pp. 75 et sq. p. 89, 129, 130.
(67) Idem, p. 134-135.
(68) Idem, p. 171.
(69) al-Bakri, op. cit. texte pp. 29 et 30, trad. pp. 66 et 67.
(70) Tigâni, texte Abdul-Wahab, p. 323.
(71) al-Bakri, texte p. 30, trad. p. 68.
(72) al-Idrisî, op. cit. p. 121.
(73) Idem, p. 128.
(74) La vie de l'ustadh Jawdhar, pp. 168-169.
(75) al-Bakri, texte p. 29, trad. p. 66; Bayàn I, p. 293; Ibn al-Atîr, trad. p. 459 etc. Cf. R. H. Idris, La
Berbérie orientale... I, p. 221 puis p. 451 et sq.
(76) Idrisi, op. cit. p. 127. On n'a pourtant aucune tombe à Monastir, antérieure à 360/970 ,cf. Zbiss
S. M., Inscriptions de Monastir, 1960.
(77) Cf. Lévi-Provençal, Histoire de l'Espagne Musulmane, tome I, Paris, G. -P. Maisonneuve, Leiden,
Brill, 1950, pp. 161 et sq.

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