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LE RETOUR DES « WUNDERWAFFEN »

NOTE RENSEIGNEMENT, TECHNOLOGIE ET ARMEMENT N°7 /


DÉCEMBRE 2018
OLIVIER DUJARDIN

Les wunderwaffen, littéralement « armes miraculeuses », sont des armes et des systèmes
d’armes développés par le régime nazi pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces
matériels, techniquement très avancés pour l’époque, devaient résoudre le problème
stratégique posé à l’Allemagne qui avait conscience qu’elle ne diposait pas des ressources
humaines et matérielles suffisantes pour faire face aux deux fronts, Est et Ouest, qui lui
étaient imposés. Le régime nazi fonda alors ses espoirs sur le développement d’armes
techniquement très avancées devant lui permettre de compenser le volume de ses forces en
surclassant technologiquement ses adversaires – accessoirement cela avait aussi pour
objectif de montrer la « supériorité aryenne ». Le but était de contrebalancer la quantité par
la qualité. C’est, à peu près, la même logique qui prévaut de nos jours en voulant « faire plus
avec moins » grâce aux nouveaux équipements.

Les matériels développés par l’Allemagne étaient réellement très en avance sur leur temps ;
ils avaient toutes les caractéristiques de ce qu’on appellerait aujourd’hui, des Game
Changers : avions à réaction (Me-262, He-162, AR-234…), missiles anti-navires (Fritz X, Hs-
293), missiles air-air (R4M, Kramer X4), missiles sol/air (Taifun F, F25, Enzian…), missiles
de croisière (V1), missiles balistiques (V2), sous-marins (Type XXI et XXIII), systèmes de
visée nocturne infrarouge (Vampir pour les fusils, Sperber pour les chars de combat), radars
compact de point avant pour avion (Fvg-240), etc.

Les ingénieurs allemands ont inventé, pendant la Seconde Guerre mondiale, pratiquement
tous les systèmes d’armes que l’on retrouve aujourd’hui. Pourtant, à l’époque, ce qui devait
être des Game Changers ne changea absolument rien dans le déroulement des opérations.
Ces nouveaux armements n’eurent pratiquement aucun impact opérationnel. Bien sûr, tous
les équipements cités n’ont pas pu être produits en assez grand nombre pour avoir un effet
marquant, mais certains ont néanmoins été produits dans des proportions conséquentes :
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Me-262 produit à 1430 exemplaires, V1 à plus de 35 000 exemplaires, V2 à 4 000
exemplaires, missiles air-air et antinavires également produits en assez grande quantité,
etc. Mais même pour ces matériels, et malgré une efficacité parfois redoutable (couple Me-
262 et missiles R4M), l’impact opérationnel resta marginal.

L’ÉCHEC DES WUNDERWAFFEN

Pourquoi alors les wunderwaffen ont-elles été un échec ? Elles apparaissaient pourtant
comme une stratégie cohérente pour remédier au manque d’effectifs des armées
allemandes par rapport aux forces armées alliées. Plusieurs inconvénients majeurs posés
par ces équipements ont mis en échec cette stratégie :

– les coûts de recherche et de production de ces équipements se sont avérés très élevés
limitant, de facto, leur production faute de ressources financières ;

– la cadence de production restait faible du fait de la complexité des produits ;

– les problèmes d’approvisionnement de certaines matières premières stratégiques


(aluminium par exemple) ont aussi contribué au ralentissement des cadences de
production ;

– les problèmes de savoir-faire et de compétences de la main d’œuvre ont posé des


difficultés de cadences et de qualité de production ;

– ces wunderwaffen nécessitaient des temps de formation relativement longs pour les
utilisateurs et les techniciens ;

– le taux de disponibilité de ces armes restait relativement faible du fait de leur complexité et
de leur relative fragilité.

De fait, les inconvénients liés à la complexité de production de ces matériels rendaient la


moindre perte humaine ou matérielle difficile à compenser. Par exemple, le Me-262, premier
avion de chasse à réaction, surclassait largement tous les chasseurs alliés mais était délicat
à piloter ; ainsi beaucoup de pertes eurent pour cause une erreur humaine (crash à
l’atterrissage, réacteurs soufflés en vol, etc.), faute de pilotes suffisamment chevronnés pour
maîtriser ces appareils, les plus expérimentés ayant déjà été décimés par la guerre.

QUALITÉS DES « ARMES DE LA VICTOIRE »

A l’inverse, les matériels utilisés par les Alliés ayant significativement contribué à la victoire
présentaient les caractéristiques suivantes :

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– des coûts de production relativement bas ;

– des cadences de production élevées, à la fois grâce à un outil industriel performant


(surtout pour les Etats-Unis) et à une simplification des équipements ;

– des matériels fiables et relativement robustes ;

– des équipements faciles à prendre en main et à entretenir, demandant peu de temps de


formation.

Les matériels répondant à ces critères sont assez nombreux : char T-34 (plus de 50 000
produits), Jeep Willys (plus de 640 000 produites), avions C-47 (plus de 16 000 produits) et
B-24 (plus de 18 000 produits), Liberty Ships(2 710 construits), etc. Cette logique a perduré
après la Seconde Guerre mondiale et on peut constater que les matériels
« emblématiques » de la Guerre froide répondaientplus ou moins encore à ces critères (T-
55, M-60, Mig-21, B-52, UH-1, MI-8, A-10, Gazelle, Alouette III, F-16, etc.). Le matériel le
plus emblématique de tous à cet égard est sans conteste le fusil d’assaut Kalachnikov, arme
simple d’emploi, bon marché et d’une robustesse à toute épreuve. Pourtant il n’était ni le
plus précis, ni le plus léger, ni celui disposant de la plus haute cadence de tir. L’AK-47 était
bon dans tous ces domaines, mais n’était pas le meilleur. Cette arme reste un compromis
très réussi entre les qualités techniques attendues (précision, cadence de tir) et les qualités
opérationnelles (simplicité et fiabilité).

Il est ainsi intéressant de constater que les matériels trop complexes ou trop fragiles n’ont
en général pas fait de grande carrière ou ont été produits en très petit nombre : char lourd
M-103, bombardiers B-58 et B-2, chasseur F-22, sous-marins classe Seawolf, croiseur
DDG-1000, etc.

Par contre, certains équipements ont une durée de vie remarquable, comme le B-52 qui
survit aux côtés de son successeur, le B1-B, et du successeur de son successeur, le B-2. Il
faut aussi signaler que ce même B-52 est le bombardier qui affiche le meilleur taux de
disponibilité de la flotte aérienne américaines et qui coûte le moins cher à faire voler. Il
convient enfin de relever que les avions qui représentent le plus gros des flottes de
bombardiers stratégiques en service dans le monde sont les Tu-95 et B-52, des appareils
datant des années 1950 qui ne semblent pas devoir prendre leur retraite de sitôt.

NOS NOUVEAUX WUNDERWAFFEN

La chute de l’URSS a vu s’éloigner le spectre du conflit de haute intensité, ce qui a motivé


une diminution drastique du volume des armées. C’est alors que le syndrome des
wunderwaffen est réapparu. Voulant faire toujours plus d’économies sur les armées, les
Etats occidentaux se sont orientés vers le développement de « super armes » devant
compenser les baisses d’effectifs humains et matériels. Le pari peut, effectivement, sembler
gagnant pour des armées surtout engagées dans des actions de contre-insurrection loin de
leurs territoires. Cela permet de déployer une importante puissance de feu avec assez peu
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de moyens humains et matériels sur le terrain.

Les problèmes rencontrés par les forces allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale
n’ont rien de commun avec les affrontements de type « faible au fort » que connaissent
aujourd’hui les armées occidentales. Les pertes au combat – et les destructions de matériels
– sont mineures comparées à celles de 1939-1945. Ces conflits ne nécessitent pas de
renouvellement important de matériel ou de personnel. Les cadences de production peuvent
rester faibles. Pourtant, alors que les armées occidentales n’opèrent que dans des
environnements peu ou pas contestés, elles connaissent tout de même des problèmes de
disponibilité, des difficultés de mise en œuvre en raison de la complexité des matériels et
des déficits en personnel qualifié[1]. Cela conduit fatalement à s’interroger sur ce qui
pourrait advenir en cas d’engagement armé « plus sérieux », ou pire, de combats de haute
intensité.Ainsi, la course à la technologie a peut-être atteint ses limites.

Aujourd’hui nombre de nos équipements, souvent les plus modernes, ont exactement les
mêmes inconvénients que les wunderwaffen du troisième Reich. Ils sont chers, complexes à
produire, nécessitent des matières premières ou des composants stratégiques qui doivent
être importés (terres rares, composants électroniques, titane, etc.) ; ils exigent de la main
d’œuvre qualifiée, donc longue à former, et ont besoin de beaucoup de maintenance. Se
pose alors clairement la question de la résilience de nos modèles d’armée en cas de conflit
d’ampleur. Objectivement, nos chaînes de production, nos approvisionnements en matières
premières stratégiques[2] et nos centres de formation ne disposent pas de la capacité de
monter – rapidement et significativement – en cadence. Aux rythmes de production actuels,
il faudrait au minimum six mois pour combler la perte d’un seul avion Rafale, à condition que
nos approvisionnements ne soient pas interrompus et que l’outil de production reste intact…

La question n’est pas de remettre en cause l’intérêt des innovations. Tous les concepts
développés par les ingénieurs allemands pendant la Seconde Guerre mondiale ont été
appliqués avec succès par la suite. Seulement, les inventions de cette époque ont sans
doute été appliquées trop tôt, avant que les technologies soient parfaitement matures pour
permettre leur production à des coûts raisonnables et avant qu’elles aient gagné en maturité
et fiabilité. La technologie présente des avantages considérables mais, pour être appliquée
à des systèmes de combat utilisés sur le terrain, elle doit être suffisamment robuste afin de
ne pas devenir une charge plus qu’un atout. Il n’est pas forcément opportun de déployer les
mêmes technologies sur des systèmes de renseignement ou de surveillance utilisés en
dehors des zones de combat, et sur des matériels qui sont susceptibles d’être soumis au
« feu ennemi », à des actions de guerre électronique ou à des cyberattaques. Il est
paradoxal que le F-35 américain – chasseur le plus perfectionné au monde selon son
constructeur – puisse être vulnérable à des attaques très peu coûteuses[3].

Les systèmes extrêmement sophistiqués qui sont développés aujourd’hui par les industriels
sont conçus pour opérer dans des conflits où la supériorité occidentale serait fortement
contestée ; or c’est justement dans ces situations que cette hyper sophistication risque
d’être un talon d’Achille. A moins, bien sûr, de considérer que les pertes et les dégâts sur les
infrastructures ne concerneront que l’adversaire mais cela apparaît peu réaliste dans un
conflit où celui-ci disposerait de moyens plus ou moins équivalents. C’est tout le paradoxe
des systèmes d’armes qui n’apportent que peu de plus-value dans les cas où ils sont
parfaitement utilisables (affrontements de type contre-insurrectionnel ou contre-terrorisme),
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et qui risquent de ne plus l’être – ou pas longtemps – dans les conflits où ils sont censés
apporter un maximum de plus-value.

Alors que les Occidentaux commencent à réenvisager la possibilité d’un conflit de haute
intensité contre des puissances militaires ayant à peu près le même niveau technologique
qu’eux, il devient nécessaire de repenser la conception de certains de nos équipements.
L’innovation ne doit pas être vue uniquement d’un point de vue technologique. Le T-34 fut
certes un char simple d’emploi et facile à produire, mais il incorporait aussi des innovations
comme le blindage incliné. L’innovation consiste, parfois aussi, à simplifier les choses afin
de gagner en robustesse et en fiabilité ou, tout du moins, à ne pas dégrader ces deux
qualités.

Avoir des équipements toujours plus sophistiqués – donc plus chers – pour compenser le
faible volume des forces, entraîne une réduction de leur quantité en raison de leur coût ; ce
qui limite alors les possibilités d’engagement. Une telle situation caractérise certains Etats
comme les Pays-Bas, la Belgique ou le Danemark. Avec, respectivement, la commande de
37, 34 et 27 F-35A pour remplacer leur flotte de F-16, il leur est devenu impossible de
projeter plus d’une poignée d’appareils en dehors de leur territoire. Avec une si faible
quantité d’aéronefs, aussi performants soient-ils, les engagements opérationnels sont
sévèrement limités, d’autant que le simple entretien des qualifications des pilotes est lui-
même souvent réduit en raison de son coût[4].

Cette réduction constante du nombre de matériels en service a des effets concrets. Dans le
domaine aérien, par exemple, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les armées alliées
pouvaient disposer d’un appui aérien – principalement américain – en 15 minutes en
moyenne, si la météo le permettait. Dans les années 2000, en Afghanistan, les forces
occidentales devaient attendre… 1h30 ! Ainsi, la réduction du nombre de matériels peut
avoir des conséquences énormes. Autre illustration : la perte accidentelle d’une frégate
norvégienne (HNoMS Helge Ingstad) a réduit de 20% les capacités navales de ce pays !

Alors que l’Armée de l’Air conduit une réflexion sur le futur Système de Combat Aérien du
Futur (SCAF) devant remplacer le Rafale, il est à espérer que cet aspect soit pris en compte
afin que ne soit pas produite une énième série de wunderwaffen en voulant, à tout prix,
concurrencer les productions américaines comme le F-35. Il est indispensable que les Etats
conservent des équipements, peut-être moins performants, mais plus robustes, plus faciles
à produire en série et à mettre en œuvre. Ils resteront les seuls matériels utilisables en cas
de conflit de haute intensité quand les infrastructures de soutien seront endommagées ou
détruites et qu’il faudra compenser les pertes. C’est peut-être aussi une des raisons pour
lesquelles les Américains conservent A-10 et B-52 dans leur arsenal.

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En l’état actuel des choses, si un conflit majeur survenait, la guerre technologique pourrait
bien ne durer que 15 jours. Et une fois que les cyberattaques et les actions de guerre
électronique auront saturé ou détruit les réseaux de commandement et de communication
et que systèmes d’armes et munitions de précision seront épuisés ou devenus inutilisables,
que restera-t-il ? Baïonnettes et tranchées ?

[ 1 ] http://www.opex360.com/2018/11/21/laviation-royale-canadienne-manque-de-pilotes-et-
de-techniciens-experimentes/

[ 2 ] http://www.opex360.com/2018/10/03/terres-rares-electronique-le-pentagone-sinquiete-
de-sa-trop-grande-dependance-a-legard-des-importations-chinoises/

[ 3 ] https://www.developpez.com/actu/233635/Le-chasseur-americain-F-35-Lightning-II-
aurait-plus-a-craindre-du-piratage-informatique-que-des-armes-ennemies/

[4] http://www.opex360.com/2018/11/15/laviation-belge-volera-30-dheures-en-moins-pour-
compenser-le-cout-dexploitation-plus-eleve-du-f-35-par-rapport-au-f-16/

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