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Marguerite Yourcenar

Marguerite Yourcenar, née Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour le
8 juin 1903 à Bruxelles et morte le 17 décembre 1987 à Mount Desert Island (États-Unis), est une écrivaine
française, naturalisée américaine, auteur de romans et de nouvelles « humanistes », ainsi que de récits
autobiographiques. Elle fut aussi poète, traductrice, essayiste et critique.

Elle fut la première femme élue à l'Académie française en 1980, après un soutien actif de Jean d'Ormesson, qui
prononça le discours de sa réception.

Marguerite Antoinette Jeanne Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour est née dans une maison de l'avenue
Louise, à Bruxelles, d'un père originaire de la Flandre française et lié a l'aristocratie, Michel Cleenewerck de
Crayencour, et d'une mère belge, Fernande de Cartier de Marchienne. Sa mère meurt dix jours après sa naissance,
Marguerite Cleenewerck de Crayencour est élevée chez sa grand-mère paternelle (dont elle fait, dans Archives du
Nord, un portrait à l'acide) par son père, anti-conformiste et grand voyageur. Elle passe ses hivers à Lille et ses
étés, jusqu'à la Grande Guerre, dans la propriété familiale située au Mont Noir sur la commune de Saint-Jans-
Cappel (Nord). Elle valide la première partie de son baccalauréat à Nice, sans avoir fréquenté l'école. Son premier
poème dialogué, Le Jardin des chimères, est publié à compte d'auteur en 1921 et signé Yourcenar, une quasi
anagramme de Crayencour.

Elle accompagne son père dans ses voyages : Londres pendant la Première Guerre mondiale, le sud de la France, la
Suisse, l'Italie où elle découvre avec lui la Villa Adriana à Tivoli. Elle l'observe, assiste à ses amours (Alexandre,
Gabriel, Flavio et Pierre) dont elle fera la trame de Quoi ? L'éternité.

En 1929, elle publie son premier roman, inspiré d'André Gide [1], d'un style précis, froid et classique : Alexis ou Le
traité du vain combat. Il s'agit d'une longue lettre dans laquelle un homme, musicien renommé, confie à son épouse
son homosexualité et sa décision de la quitter dans un souci de vérité et de franchise. La « Monique » du texte n'est
autre que le grand amour du père de Yourcenar, Jeanne de Vietinghoff (née Bricou), par ailleurs ancienne
condisciple de sa mère.

Après le décès de son père, en 1929 (après qu'il lut le premier roman de sa fille), Marguerite Yourcenar mène une
vie bohème entre Paris, Lausanne, Athènes, les îles grecques, Istanbul, Bruxelles... Elle aime des femmes et tombe
amoureuse d'un homme pourtant homosexuel, André Fraigneau, écrivain et éditeur chez Grasset. Elle publie les
Nouvelles orientales, échos de ses voyages, Feux, composé de textes d'inspiration mythologique ou religieuse
entrecoupés d'apophtegmes, où l'auteur traite sur différents modes le thème du désespoir amoureux et des
souffrances sentimentales, repris plus tard dans Le Coup de grâce (1939), court roman sur un trio amoureux ayant
pour cadre les Pays baltes pendant la guerre russo-polonaise de 1920.

En 1939, son père est mort depuis dix ans, elle manque d'argent et l'Europe s'agite dangereusement. Elle part aux
États-Unis pour rejoindre Grace Frick, sa compagne depuis 1937, avec qui elle vécut jusqu'à la mort de celle-ci en
1979. Elles s'installent à partir de 1950 sur l'île des Monts-Déserts (Mount Desert Island, dans le Maine), qu'elles
avaient découverte ensemble en 1942, et nomment leur maison Petite-Plaisance. Yourcenar y passe le reste de sa
vie : citoyenne américaine en 1947, elle enseigne la littérature française et l'histoire de l'art jusqu'en 1953.

Son roman Mémoires d'Hadrien, en 1951, connaît un succès mondial et lui vaut le statut définitif d'écrivain,
consacré en 1970 par son élection à l'Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, et dix ans
plus tard, par son entrée à l'Académie française, grâce au soutien actif de l'écrivain et académicien Jean
d'Ormesson. Marguerite Yourcenar est la première femme à siéger à l'Académie française. Elle dit avoir longtemps
hésité, pour le choix de son sujet, entre l'empereur Hadrien et le mathématicien-philosophe Omar Khayyam.

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Sa vie se partage entre l'écriture dans l'isolement de l'île des Monts-Déserts et de longs voyages, dont des périples
autour du monde avec Jerry Wilson, son dernier secrétaire. Elle meurt le 17 décembre 1987 aux États-Unis à
Mount-Desert. Elle est enterrée au cimetière Brookside à Somesville (Maine).

Des romans historiques aux mémoires autobiographiques, l'œuvre de Yourcenar s'inscrit en marge du courant
engagé de son époque avec ce retour à l'esthétisme et à la tradition, avec le désir d'affirmer la finalité de la
littérature : la narration. Inspirée par la sagesse orientale, la pensée de l'écrivain ne s'est jamais éloignée de
l'humanisme de la Renaissance :

« Le véritable lieu de naissance est celui où l'on a porté pour la première fois un coup d'œil intelligent sur soi-
même : mes premières patries ont été les livres. »
    — Mémoires d'Hadrien

Mémoires d'Hadrien
Mémoires d'Hadrien est un roman historique de l'écrivain français Marguerite Yourcenar, publié en 1951. Cette
autobiographie imaginaire de l'empereur romain Hadrien rencontra immédiatement un extraordinaire succès
international et assura à son auteur la plus grande célébrité.

Le roman
Écrit dans un style dense témoignant d'une grande érudition, ce roman philosophico-historique est une méditation
de l'empereur à la fin de sa vie : il retrace les principaux événements de son existence qui fut la plus libre et la plus
lucide possible. Le projet initial de Marguerite Yourcenar, alors qu'elle n'avait qu'une vingtaine d'années, était
d'écrire un texte sur l'empereur Hadrien dont le narrateur aurait été son favori Antinoüs. Les différentes versions de
cette première ébauche, datant de 1924 à 1929[1], ont été détruites par la future académicienne après les refus de
plusieurs éditeurs. Quand elle reprend, un quart de siècle plus tard, son projet de jeunesse, la perspective s'est
inversée : c'est Hadrien qui tient le stylet et qui raconte sa vie et sa passion pour le jeune Bithynien, à travers le
filtre de la douleur causée par le suicide de celui-ci.

Le contexte d'écriture
Marguerite Yourcenar a indiqué dans ses Carnets de note de « Mémoires d'Hadrien » qu'une citation de la
correspondance de Gustave Flaubert était à l'origine de son désir de réécrire ce livre :

« Les dieux n'étant plus et le Christ n'étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment
unique où l'homme seul a été. »

L'auteur dit aussi avoir hésité un moment entre les mémoires de l'empereur romain Hadrien et ceux du poète et
mathématicien Omar Khayyam. En fait Hadrien, Omar Khayyam ou le héros Zénon de L'Œuvre au noir se
présentent comme des personnages lucides, tolérants et désabusés tant sur la condition humaine que sur les
illusions dont l'humanité semble ne pouvoir se passer.

Un roman historique ?
Sculpture Antinoüs, l'amant d'Hadrien

Marguerite Yourcenar explique le long travail d'érudition et de romancière qu'elle a mené pour écrire les Mémoires
d'Hadrien, dans le carnet de notes qui accompagne la plupart des éditions, et explique qu'elle a cherché à se

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rapprocher le plus possible du personnage et de l'ambiance historique : "Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires
d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-
même". Elle est cependant consciente des écueils : "Quoi qu'on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa
manière. Mais c'est déjà beaucoup de n'employer que des pierres authentiques".

Jugement d'historiens [modifier]

 Selon André Chastagnol, « Le portrait que trace de lui Marguerite Yourcenar correspond sans aucun doute
à ce que les sources nous apprennent »[2]
 Pour Paul Petit, « M. Yourcenar a déployé pour le peindre des trésors de psychologie et une bonne
connaissance des sources sans prétendre à la vérité historique »[3]

Autres avis [modifier]

L'écrivain américain Gore Vidal, auteur en 1964 de Julien, mémoires de l'empereur Julien l'apostat, a porté en 2006
un jugement comparatif sévère sur l'œuvre de Yourcenar : « Yourcenar a fait toutes les erreurs possibles pour un
roman historique. D'abord, elle transforme Hadrien en Mme Yourcenar. [...] Elle a tout surdécoré avec de la pensée
moderne.»[4]

Mémoires d'Hadrien

Ce roman historique, en 6 chapitres non numérotés et titrés en latin, est paru chez Plon en 1951.
Les Mémoires d’Hadrien se présente comme une lettre adressée par l’empereur Hadrien  vieillissant (76-138) à
son petit-fils adoptif de dix-sept ans,  Marc Aurèle, qui doit lui succéder en tant qu’empereur.
Cette «  méditation écrite d’un malade qui donne audience à ses souvenirs »  a pour but d’aider le jeune homme à
se préparer à la rude tâche qui l’attend et de lui permettre de réfléchir à l’exercice du pouvoir.  Hadrien, sur le ton
de la confession, y dresse le bilan de sa vie.
 
Cette lettre en 6 parties  est composée en fait  de quatre parties  encadrées d’un prologue et d’un épilogue .
Elle commence par la visite que l’empereur Hadrien a fait le jour même à Hermogène, son médecin. Bien que
celui-ci se soit montré rassurant, Hadrien, qui, a soixante ans, se sent trahi par son corps et pense que sa mort est
imminente. Il entreprend d’analyser son parcours pour « trouver un sens à sa vie et à sa mort ».
 

Il y évoque sa jeunesse et les personnes, les combats,  et les lectures qui  l’ont influencé. Il confie également les
circonstances secrètes qui lui ont permis de devenir empereur. Dans sa jeunesse,  Hadrien combat aux côtés de
Trajan. Protégé par Plotine, la femme de Trajan , il parvient à conquérir la sympathie de l’empereur,  qui à quarante
ans le désigne comme successeur. Marié à Sabine , il  n'en éprouve nulle satisfaction, et se consacre à l'Empire.
Homme de paix,  clairvoyant et éclairé, il renonce à certaines colonies précaires, et travaille à la pacification de
l'Empire. Pour lui la guerre est un moyen et non un objectif. Il a durant son règne, travaillé   à la consolidation de
son empire et à l'amélioration des conditions de vie des femmes et des esclaves. Il s’est ainsi efforcé de rendre la
société romaine plus juste.

Alors qu’il voyage en Asie Mineure, Hadrien va rencontrer le jeune Antinoüs qui va bouleverser sa vie. Emu par la
beauté du jeune bithynien, Hadrien  découvre le bonheur. La disparition de son favori, qui s'est suicidé par amour, 
«  marque un point de non retour dans l’existence d’Hadrien ». Il lui fait ériger une cité et lui voue un culte fervent.
3
 

Après une dernière victoire en Judée, Hadrien ressent les premières douleurs cardiaques.  Malade, il se retire pour
méditer sur son corps dont la mort va bientôt le délivrer.

Les Mémoires d’Hadrien se terminent par une méditation sur le suicide . Ayant le sentiment du devoir accompli, il
pense en effet un moment mettre fin à ses jours , mais se résigne finalement à attendre la mort avec dignité et
patience …

L'Oeuvre au noir
(Gallimard/folio, 1977, 364 pages)

Le roman retrace l'histoire de toute la vie de Zénon, médecin, alchimiste et philosophe, au XVIè siècle,
période de transition entre le Moyen-âge et la Renaissance.

La 1ère partie "La vie errante", nous raconte ses voyages: parti de Bruges où il a suivi des études
théologiques qu'il trouve bien limitées, il choisit d'étudier, lors de ses pérégrinations, les sciences, la
médecine et l'alchimie. Il se forge alors une réputation inquiétante (surtout à cause de ses écrits) qui le force
sans cesse à fuir les persécutions.

La 2ème partie "La vie immobile", nous livre un Zénon qui retourne à Bruges sous un nom d'emprunt, où il
devient médecin dans un couvent. Il y devient l'ami, le confident d'un prieur éclairé avec lequel il a de
nombreux entretiens philosophiques.

La 3ème partie "La prison", termine le roman et je ne la dévoilerai pas...

L'auteur nous présente à travers l'histoire de Zénon, un 16ème siècle sombre où l'intolérance, le despotisme
régnaient en maître. C'est l'époque de l'Inquisition où athéisme et hérésie étaient punis de tortures et de
morts atroces, où les épidémies, les nombreuses guerres et la famine tuaient. Dans ce siècle baigné par un
obscurantisme véhiculé et entretenu par l'Eglise, émergeaient quelques êtres suprêmement intelligents,
curieux, ouverts qui, par leurs nouvelles connaissances scientifiques, remettaient en cause toutes les
croyances moyen-âgeuses, et risquaient ainsi la mort, jour après jour, à cause de leurs opinions.

C'est un roman très dense, très profond, très riche, plein d'intelligence, imprégné de questions
philosophiques. L'écriture de Marguerite Yourcenar est d'une rigueur, d'une précision magnifique, son
érudition immense.

Un roman historique à ne pas laisser de côté, un très, très grand classique, un chef-d'oeuvre.

L'Œuvre au noir
L'Œuvre au noir est un roman de Marguerite Yourcenar, paru le 8 mai 1968. Dès l'année de sa parution il connaît
le succès auprès du public et le Prix Femina lui est décerné par un vote à l'unanimité du jury.

Le titre du roman [modifier]


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Le terme œuvre au noir désigne en alchimie la première des trois phases dont l'accomplissement est nécessaire
pour achever le magnum opus. En effet, selon la tradition, l'alchimiste doit successivement mener à bien l'œuvre au
noir, au blanc, et enfin au rouge afin de pouvoir accomplir la transmutation du plomb en or, d'obtenir la pierre
philosophale ou de produire la panacée.

Yourcenar commente ainsi à ce sujet: La formule L'Œuvre au noir, donnée comme titre au présent livre, désigne
dans les traités alchimiques la phase de séparation et de dissolution de la substance qui était, dit-on, la part la
plus difficile du Grand Œuvre. On discute encore si cette expression s'appliquait à d'audacieuses expériences sur
la matière elle-même ou s'entendait symboliquement des épreuves de l'esprit se libérant des routines et des
préjugés. Sans doute a-t-elle signifié tour à tour ou à la fois l'un et l'autre.[1]

L'histoire
Personnage imaginaire d'humaniste, Zénon Ligre, homme de la Renaissance, est à la fois un philosophe, un
médecin et un alchimiste qui a beaucoup appris au cours d'une vie errante. Ses activités scientifiques, ses
publications ainsi que son esprit critique indisposent l'Église. Réfugié à Bruges sous un faux nom, il sera enfermé
dans une prison de l'Inquisition où il se suicidera. Le récit se compose de trois parties : La vie errante - La vie
immobile - La prison. Zénon symbolise l'homme qui cherche - mais également ne peut taire - la vérité, au milieu de
ses contemporains dont certains le comprennent et d'autres non. Il y perdra sa liberté, puis sa vie.

La fin du personnage (refus de rétractation) n'est pas sans rapport avec celle de Giordano Bruno.

Portée de l'œuvre [modifier]


L'Œuvre au Noir peut être vue comme le pendant médiéval des Mémoires d'Hadrien, le roman le plus célèbre de
Marguerite Yourcenar. Ces deux romans ont en effet comme point commun de présenter les réflexions de deux
hommes, bien qu'assez différents, sur leur époque, sur le monde tel qu'ils l'ont connu.

À la différence d'Hadrien, Zénon n'est pas un homme de pouvoir et évolue au sein d'une société où les risques sont
permanents pour ceux qui prônent la liberté d'expression ou de pensée. Les expériences de Zénon (le roman nous
décrit sa vie depuis sa naissance - bâtard de la sœur d'un riche négociant de Gand - jusqu'à sa mort en prison),
poussé par une sagesse et une ouverture d'esprit peu communes pour l'époque, le mèneront à s'intéresser à des
sujets aussi divers que la médecine (approfondissant l'anatomie, pratiquant des dissections), l'alchimie, les voyages,
etc. Toutefois, il se heurte à un monde où l'obscurantisme règne et où la peine de mort est appliquée pour un oui ou
pour un non. Le danger est permanent dans ce roman.

De ses voyages, nous retenons les réflexions qu'il en tire sur la société, l'organisation politique, les religions et leurs
réformes, etc. De ses expériences scientifiques, nous retenons le fabuleux monde de connaissance à venir qu'il est
en train de mettre à jour. De ses discussions avec les quelques personnes capables de le comprendre (le prieur, son
cousin), nous retenons sa tolérance et sa capacité à s'enrichir de l'autre. Hélas, tout ceci était trop moderne pour son
époque et un tel personnage ne pouvait qu'irriter et éveiller les soupçons du pouvoir en place.

Une des forces du roman est de ne pas avoir forcé le trait sur le pouvoir en faisant passer les hautes autorités de
l'époque pour des cyniques et corrompues. Le passage de la prison et le procès de Zénon est, à ce titre, très
intéressant car il constitue un échange entre deux mondes irréconciliables.

Certains tableaux du roman sont des chefs d'œuvre: les aventures précédant la naissance de Zénon, le siège de la
ville de Münster avec les anabaptistes, l'épisode à la Mer du Nord, la prison.

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Nouvelles orientales
Les Nouvelles orientales sont la réunion de dix nouvelles de Marguerite Yourcenar : publiées d'abord
séparément, elles ont été retravaillées avant de constituer un recueil. L'adjectif « orientales » se justifie par le fait
que l'auteur s'est inspiré des fonds culturels méditerranéen ou extrême-oriental.

 « Comment Wang-Fô fut sauvé » ;


 « Le Sourire de Marko » ;
 « Le Lait de la mort » ;
 « Le dernier amour du prince Genghi » ;
 « L'Homme qui a aimé les Néréides » ;
 « Notre-Dame-des-Hirondelles » ;
 « La Veuve Aphrodissia » ;
 « Kâli décapitée » ;
 « La Fin de Marko Kraliévitch » ;
 « La Tristesse de Cornélius Berg ».

Les images de la femme dans Les Nouvelles orientales [modifier]


Dans ses grands romans, Mémoires d'Hadrien et L'Œuvre au noir, comme dans toutes ses autres œuvres narratives,
Marguerite Yourcenar n'a jamais fait d'une femme son personnage principal. Cependant, nombreuses sont les
figures féminines qui encadrent les héros. Dans Les Nouvelles orientales, leur présence est tout aussi secondaire, ce
qui ne signifie pas pour autant qu'elles n'ont pas un rôle essentiel dans la narration. La multiplication des visages,
d'un récit à un autre, révèle l'intérêt que leur accorde l'auteur. Ainsi se côtoient des femmes médiocres, des saintes
et des séductrices, développant par la même occasion la complexité de l'identité féminine.

La médiocrité des opprimées


 Les médiocres

En tant que femme, Marguerite Yourcenar ne cherche pas à bonifier de manière systématique ses consœurs et
s'autorise quelques portraits tâchés de médiocrité. Ainsi dans « La fin de Marko », une ancienne maîtresse du
personnage éponyme est décrite dans toute la laideur de la vieillesse ; quant à la malheureuse Dame-du-village-des-
fleurs-qui-tombent, son vieil amant n'a pas de souvenir de celle qui fut une concubine des plus banales.
Personnages sans relief, elles n'en obtiennent pas moins la reconnaissance de Marko pour la première et du
narrateur pour la seconde.

 Les cruelles

Dépassant la seule médiocrité, certaines figures féminines sont véritablement négatives, ce qui se manifeste par un
déploiement de cruauté. Pour se venger de son amant, la veuve amoureuse de Marko Kraliévitch est capable
d'exiger les pires tourments. Dans « Le Lait de la mort », la mendiante condamne son enfant à la souffrance et à la
cécité uniquement pour s'assurer des revenus financiers. La cruauté de Kâli n'est qu'une manifestation de son
désespoir. Pourtant, si les femmes agissent de manière cruelle, c'est aussi pour manifester leur existence dans une
société patriarcale qui les opprime et les rend agressives.
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 Les opprimées

En effet, plusieurs femmes apparaissent en groupe, afin que le nombre puisse leur donner quelque force. Les
Néréides, ou les Américaines qui sont leur pendant moderne, sont désignées au pluriel et un seul homme suffit à
leur faire courir le risque de mourir. Dans « La veuve Aphrodissia », les femmes du village s'opposent
massivement à l'héroïne. Elles sont ici porteuses de la parole de la Doxa, des convenances sociales et des préjugés
destructeurs de tout le village. Effacées dans leur individualité, elles représentent néanmoins chez Marguerite
Yourcenar la force la plus nocive.

De l'effacement à la sainteté
 Les épouses dévouées

D'autres femmes apparaissent dans Les Nouvelles orientales avec une aura positive. Certaines sont des épouses
dévouées, mais effacées au point de sembler invisibles. Genghi est accompagné dans ses derniers moments par une
concubine attentive et l'épouse de Ling préfère se suicider plutôt que de faire obstacle à la passion nouvelle de son
mari.

 Les mères

Parmi les différentes figures féminines, la jeune épouse du « Lait de la mort » est une mère dévouée. Elle sacrifie
sa vie, mais fait de sa mort un miracle de maternité : son corps allaite son petit deux ans, alors qu'elle est emmurée.
Quant au sacrifice d'Aphrodissia infanticide, il semble être la seule solution face à une société intolérante.

 La sainte

Mère parmi les mères, Notre-Dame-des-Hirondelles apporte aux Nouvelles orientales un visage de perfection
maternelle, puisqu'elle semble être la protectrice de toute chose, et notamment des animaux et des nymphes. La
pureté semble bien au fil des textes être une donnée pour définir la féminité.

Le désir, danger et salut de l'homme


 Les femmes fatales

Enfin, remarquons que les femmes se définissent par leur complexité. Il est vrai que l'accès à la divinité se fait par
les femmes, que ce soit avec Notre-Dame-des-Hirondelles, les nymphes ou les Néréides, mais cela induit une
présence mortifère incontournable. Si les Néréides rendent fou, Aphrodissia ne sauve pas son amant de la mort et
disparaît avec lui, comme l'épouse de Ling ou la veuve amoureuse de Marko.

 Les séductrices

Comme le veut la tradition médiévale, la femme attirante est porteuse d'un mal destructeur que l'homme doit
affronter s'il veut être à la hauteur de celle qu'il désire. Kostis le Rouge en est un exemple et Marko échappe de peu
à la mort que sa maîtresse veut lui imposer.

 Le salut des hommes

Cependant, les plus courageux savent qu'ils peuvent trouver une issue à la violence du monde par l'amour et le
désir. C'est une danseuse des plus séduisantes qui sauve Marko en posant son mouchoir sur son sourire, c'est une
concubine amoureuse qui rend heureuses les dernières heures de Genghi et ce sont les Néréides qui ont fait d'un
jeune homme un béat devant les grâces de la nature. Pressenties comme des dangers, les femmes sont aussi le salut
des hommes.

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Si les visages féminins sont multiples dans Les Nouvelles orientales, c'est qu'elles dessinent les contours
indéfinissables de la féminité. Aucun schéma caricatural n'est proposé, mais, tout en étant fidèle aux traditions de
cultures machistes, Marguerite Yourcenar se refuse à réduire la féminité à des clichés. Cruelle, sainte ou séductrice,
la femme demeure un mystère, dans lequel l'homme doit se perdre pour mieux se retrouver.

Marguerite Yourcenar

Rien n’est complètement perdu tant que d’admirables ouvriers continuent patiemment pour notre joie leur
tapisserie pleine de fleurs et d’oiseaux, sans jamais mêler indiscrètement à leur oeuvre l’exposé de leurs fatigues, et
le secret des sucs souvent douloureux où leurs belles laines ont été trempées.

Marguerite Yourcenar

« Elle était née à Naples en l’an 1575, derrière les épaisses murailles du fort Saint-Elme dont son père était
gouverneur. » Rien de plus habituel comme incipit. Pourtant, cet après-midi-là, si tant est que le souvenir qu’il en
reste fût quelque peu fidèle à quoi que ce soit, tant les brumes du temps peuvent obscurcir ces premières
rencontres, qui, si elles sont dans leur ensemble bien situées, perdent chacune en netteté dans la chronologie qui
pourrait en être dressée, était d’un calme monacal, de ce calme qui sied tant à une rencontre qui touche au fond de
l’âme. Car ma rencontre avec Marguerite Yourcenar me marque. Non madame Yourcenar qui restera pour moi à
jamais une figure de photographies et une voix, mais Marguerite Yourcenar, le grand écrivain dont l’œuvre m’est
si chère. « J’ai toujours été contente de connaître ceux que j’ai rencontrés, comme Cocteau, ou Martin du Gard,
ou Schlumberger, ou d’autres, plus près de nous et encore vivants, parce que cela permet tout de même un
jugement qu’on ne serait pas capable de porter sans les avoir connus, un jugement sur l’homme, pas sur l’œuvre,
cela n’ajoute rien. Le problème, le mystère demeurent. » Matthieu Galley recueillit, voilà plus de vingt ans, ces
propos à contre-pied de toute une tradition d’exégèse qui creuse la vie des auteurs pour en déterrer une racine, ou
du moins une radicelle prise pour essentielle, de l’œuvre qui s’élève de ce terreau qu’est l’écrivain. Si une plante
laisse deviner quelques richesses de la terre dont elle se nourrit, une terre a-t-elle jamais, de façon univoque,
indiqué quelles plantes pousseraient d’elle ? Quel auteur voulait ainsi se cacher ? S’agissait-il même de se cacher ?
Si le secret d’une vie n’est jamais tout à fait révélé, un être peut se mettre quasiment à nu aux yeux de l’humanité à
travers son œuvre. Et par là même toucher au cœur même de celui qui le voit ainsi, se découvrant soi-même dans
sa nudité la plus poussée, si tant est qu’il puisse jamais se dépouiller suffisamment pour découvrir ce qu’il est, en
lui et au monde. C’est certainement en ce sens que Marguerite Yourcenar, en accueillant Matthieu Galley à Petite-
Plaisance pour lui accorder une série d’entretiens, entendait non pas éclaircir les zones d’ombre de sa vie mais
laisser d’autres indications pour comprendre son œuvre, seul capable d’aider à déceler sa réalité d’écrivain. Quoi
de plus vain alors que de vouloir dériver à la surface de l’existence de Marguerite de Crayencour, devenue
Yourcenar dans les livres et la vie, suivant les chroniques et les chronologies, pour essayer de saisir son œuvre ?
Pour autant, plonger est profondément personnel. S’il est possible de trouver des balises qui indiquent des plongées
intéressantes, aucune balise ne remplacera jamais l’expérience même du plongeur dans l’océan de l’univers d’un
auteur, univers toujours en écho de l’univers partagé par tous. Cet écho permet sans doute de ne pas se laisser
abrutir par le brouhaha de la rumeur qui agite le quotidien, tandis que l’essentiel qui ouvre à la compréhension se
laisse à peine entendre. Tentons donc de plonger dans les flots yourcenariens en suscitant davantage le vertige que
l’oppression de la noyade.

Les voies des voix


Le premier son qui frappe celui qui vient de pénétrer dans le monument yourcenarien est celui des voix. Il est en
effet surprenant, au premier abord, de constater à quel point les récits et les romans de Yourcenar sont des
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monologues, ou sinon des échanges de voix individuelles. Explorant les différentes variations que celles-ci offrent,
l’auteur laisse ainsi sourdre l’âme même de ses personnages, leurs pensées et leur cœur. Cette exploration humaine
s’enfonce dans l’être par ce qui affleure, sa parole. Bien sûr, le jeu est risqué. Risqué parce qu’à chaque instant
menacé de sonner faux. Mais terriblement beau aussi par ce qu’il implique, parfaitement maîtrisé : un son pur et
juste. C’est au lecteur alors de prendre peur : combien ont l’oreille absolue ? La question semble pourtant
saugrenue. L’œuvre n’est-elle pas plus forte quand justement elle séduit aussi les oreilles imparfaites et qu’elle
s’accommode aussi des projections que le lecteur y fait ? Incomplètement comprise, elle frappe pourtant.

Ce qui frappe peut aussi choquer. Si la voix est individuelle, que devient l’autre, rejeté aux franges d’une
conscience ? Rien. L’autre ne devient rien, car il est touqui agitent l’être, agitation qui pousse, parfois, jusqu’au t. Il
occupe nécessairement une place centrale, dont le chasser serait aussi vain que de vouloir allonger ici les jours et
raccourcir là les saisons. Il demeure toujours, contrepoint à cet élan individuel, comme moteur du mouvement en
avant. Que serait la voix d’Alexis sans Monique qui devra lire cette lettre, longue et pénible qu’il s’efforce de lui
écrire ? Que serait le monologue d’Éric, sans les deux hommes qui l’écoutent ? Que serait le message d’Hadrien
sans ce « Marc » qui figure aussi bien l’homme en général auquel il s’adresse ? Au-delà de ce rôle de destinataire
d’une parole, l’autre est présent dans la complexité et la richesse des réactions qu’il suscite en soi. Au premier rang
de celles-ci se trouvent ces relations si particulières avec l’autre qui font pénétrer son intimité, tout en découvrant
la sienne propre, ces relations qui ne peuvent se comprendre sans l’autre et touchent au plus profond de l’être. Il
s’agit bien entendu des relations amoureuses qui passent par une certaine démarche sensuelle : « toute démarche
sensuelle nous place en présence de l’Autre, nous implique dans les exigences et les servitudes du choix, »
remarque Hadrien au terme d’une expérience de soixante ans. La flamme de l’amour-passion, comme se plaît à le
définir Yourcenar, ne pouvait pas laisser indifférente une jeune femme d’une trentaine d’années qui confie à un
recueil de « poèmes d’amour », Feux, « produit d’une crise passionnelle », comme elle le qualifie dans sa préface,
la déchirure qui vient de lui être infligée. Mais cet épisode de sa vie, qu’elle évoque, par allusion davantage que par
description, n’a pour nous aucun intérêt, contrairement à ce que peuvent en penser tous ces prosateurs plats qui
estiment que jeter sur le papier les événements de leur vie peut constituer une œuvre littéraire, si ce n’est d’éclairer
l’unité de ce recueil, dont chaque récit lyrique se lie, dans une trame sous-tendue par les interludes, suites de
réflexions à la première personne de l’auteur, aux autres par ce fil qu’est l’amour, présenté dans ses différentes
formes. C’est évidemment la passion dévorante et réductrice qui entame l’ouvrage, celle qui laissa écrire que
« l’alcool dégrise. Après quelques gorgées de cognac, je ne pense plus à toi. » Car c’est bien là l’horreur de cet
amour qui réduit l’univers à une seule personne, enflée au point d’occuper l’horizon entier de celui qui l’aime, tel
Patrocle qui «  avait empli le monde et l’avait remplacé » aux yeux d’Achille. Feux poursuit, montrant
naturellement combien haine et amour se nourrissent l’une de l’autre, intiment liés. Mais sans doute est-ce le
glissement imperceptible vers l’amour de l’absolu qui donne à cette suite de récits une résonance particulière. La
force ahurissante de Marie-Madeleine n’est-elle pas de trouver en Dieu son salut dans la vibration même de sa
chair qui avait jusqu’alors cherché cet accord absolu ? Et les exemples se multiplient, explorant les passions
abstraites qui peuvent s’incarner avec autant de force que celles d’ordre premièrement charnelles. Du vertige de la
connaissance avec Phédon au choix de la justice avec Antigone, les personnages sont autant de voix des passions
précipice mortel.

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