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Gargantua et Pantagruel

Gargantua et Pantagruel est un roman satirique en 5 livres composé par Rabelais. Le premier
(Pantagruel) parut en 1532, le deuxième (Gargantua) en 1534, le troisième (Tiers livre) en 1546, le
quatrième (Quart Livre) en 1552, le Cinquième Livre en 1564. Gargantua, qui dans l'ordre des éditions et
de la chronologie du récit, vient en première position, n'était pas une invention de l'auteur : les contes
populaires parlaient du géant Gargantua, et, dans une foule de localités, on appliquait son nom à des
monuments prétendument celtiques (mégalithes). Quand Rabelais entreprit la rédaction de son
Pantagruel, il voulait raconter les aventures du fils de Gargantua, peu après qu'un auteur anonyme ait
fait paraître un ouvrage intitulé : Les grandes et inestimables cronicques du grant et énorme géant
Gargantua, contenant la généalogie, la grandeur et force de son corps, aussi les merveilleux faicts
d'armes qu'il fist pour le roi Artus. Deux ans plus tard, il reprit à sa manière l'histoire de Gargantua, sous
la forme d'une libre adaptation des Cronicques.

Il n'est pas d'ouvrage qui ait donné lieu à plus d'interprétations et de commentaires que celui de
Rabelais. On y a vu un livre à clefs et l'on s'est évertué, sans succès, à vouloir assimiler Jean des
Entommeures au cardinal de Lorraine, Gargamelle à Marie d'Angleterre, Gargantua à François Ier,
Graudgousier à Louis XII, Pantagruel à Henri Il, le roi Pétaut à Henri VIII d'Angleterre, voire la jument de
Gargantua à la belle duchesse d'Étampes! Cette assimilation est d'ailleurs si peu fondée que d'autres
clefs ont été proposées et que chaque inventeur a maintenu la sienne à l'exclusion de toutes les autres,
sans se soucier des railleries que Rabelais lui-même décoche aux devineurs d'énigmes qui s'amusent à «
calefreter des allégories qui oncques ne feurent songées-». Ensuite, comme Rabelais aborde tous les
sujets, des spécialistes érudits se sont emparés de son oeuvre et l'ont expliquée chacun à son point de
vue particulier, chacun tenant son explication pour seule valable. On nous a donné ainsi : Rabelais
diplomate, Rabelais politique, Rabelais architecte, Rabelais pédagogue, Rabelais médecin, Rabelais
anatomiste, Rabelais prêtre, Rabelais jurisconsulte, Rabelais précurseur de la révolution et même
Rabelais franc-maçon.

Assurément, tous ces commentaires ne sont pas ridicules. Le travail du Dr Le Double (Rabelais
anatomisle et physiologiste), notamment, a tiré au clair deux des chapitres les plus obscurs du
Pantagruel, ceux qui sont consacrés à la description de l'anatomie de Quaresme prenant. On avait cru
jusqu'ici que cette anatomie ne comportait qu'une de ces énumérations saugrenues de termes bizarres,
où parfois se complait Rabelais et qui nous sont inintelligibles. Grâce à de patientes recherches
philologiques et à de très ingénieux rapprochements, le Dr Le Double est arrivé à démontrer
irréfutablement que les comparaisons de l'auteur, loin d'être insipides, sont d'une exactitude
merveilleuse et prouvent chez lui une connaissance approfondie de l'anatomie descriptive qu'on ne
soupçonnait qu'à peine; qu'il a signalé l'action physiologique des principaux aliments, enfin qu'il a
inventé un appareil de chirurgie et un appareil de fracture. qui fut copié par Ambroise Paré.

Les critiques modernes sont parvenus à une conception infiniment plus simple. Considérant en son
ensemble l'oeuvre de Rabelais, ils n'y veulent plus voir ni une histoire politique de son temps, bourrée
d'allusions aristophanesques (Aristophane) aux principaux personnages, rois, ministres et prélats qu'il a
fréquentés; ni un thème à revendications sociales si prudemment voilées qu'il en faut deviner le sens; ni
un réquisitoire en règle contre les abus éternels de l'État, de l'Église et de la magistrature; mais le simple
passe-temps d'un médecin fort occupé et par l'exercice de son art, et par son professorat et par son
ardeur à s'assimiler toute la science de l'époque. Émile Faguet remarque que son roman n'a que cinq
cents pages et qu'il a mis vingt ans à l'écrire. Il n'y a donc consacré que la moindre part de ses loisirs, et
ce roman n'est guère, en somme, que le résumé sous une forme tantôt burlesque, tantôt sérieuse, de
ses aventures personnelles et des réflexions que ses expériences lui ont inspirées sur toutes choses. C'est
là une enquête que Montaigne dans ses Essais recommencera dans la seconde partie du siècle, avec de
toutes autres tendances et dans le sens le plus égoïste.

Quant au roman, en lui-même, il est d'une composition enfantine : un bon géant a un fils, qu'il fait
soigneusement élever; celui-ci parvenu à l'âge d'homme et entouré de compagnons choisis, bataille,
discute, dispute et entreprend un grand voyage à la recherche de l'absolu. C'est là toute la trame. Le
gigantisme d'une part, la facile invention du voyage d'autre part, prêtent à une infinité de scènes
burlesques, qui sont d'ailleurs assez mal reliées, l'une à l'autre, mais cette fable et les épisodes qu'elle
comporte étaient nécessaires pour que livre fût amusant, et il fallait qu'il fût amusant pour se bien
vendre. Écrits sous une forme dogmatique, les mémoires de Rabelais n'auraient jamais été populaires, ils
n'auraient pas porté jusqu'aux dernières couches sociales ces lueurs de l'humanisme qui ne brillaient
que pour les initiés. On en pourrait dire autant des obscénités énormes qui s'étalent à l'aise, d'un bout à
l'autre de l'ouvrage. On les a cependant assez reprochées jadis à Rabelais. Aujourd'hui on est plus
tolérant à cet égard, l'école naturaliste nous ayant familiarisés avec les détails les plus bas de l'existence,
et ces grosses gauloiseries de carabin paraissent saines à côté des raffinements de perversité de certains
littérateurs contemporains. Au reste, Rabelais est médecin, il ne faut pas l'oublier, et même médecin
spécialiste pour les maladies secrètes : il ne recule pas plus devant le mot que devant la chose; enfin si
l'on songe à quelques autres livres du XVIe siècle, le Moyen de parvenir de Beroalde de Verville, ou les
Dames galantes de Brantôme ou encore les Essais de Montaigne, on reconnaîtra que la meilleure
compagnie avait encore un goût très vif pour les joyeusetés qui composent le fond des vieux fabliaux. Il
convient de placer les hommes dans leur milieu pour les bien juger.

L'oeuvre de Rabelais se prête mal à l'analyse : on en forcerait le sens si l'on voulait en tirer les
enseignements systématiques; même si, pour plus de clarté, on en considérait isolément une partie; ou
encore, si l'on rangeait, suivant une certaine méthode, les opinions diverses qu'il a exprimées. Le mieux
est de suivre l'ouvrage, chapitre pas chapitre, dans son désordre voulu, en mettant en lumière les scènes
essentielles.

Gargantua (Livre II).


Dès le début, Rabelais prévient charitablement son lecteur de ne pas s'arrêter aux bagatelles,
cocasseries et joyeusetés dont il a farci son livre; mais de chercher, sous ces amusettes, qui sont comme
les agréments dont il faut bien que la vérité se pare pour plaire aux humains, la savoureuse quintessence
de ses réflexions personnelles, le résultat des expériences qu'il a poursuivies pendant toute une
existence de labeur intellectuel. On connaît assez ses comparaisons de la bouteille, des sirènes, de l'os
médullaire. Il en poursuit une autre aussi jolie :

Silènes étaient jadis petites boîtes, telles que voyons de présentes boutiques des apothicaires; peintes
au-dessus de figures joyeuses et frivoles, comme de harpies, satires, oisons bridés, lièvres cornus, canes
bâtées, boucs volants, cerfs limonniers et autres telles pointures contrefaites à plaisir pour exciter le
monde à rire; mais au dedans l'on resserrait les fines drogues; comme baume, ambre gris, amomon,
muse, civettes, pierreries et autres choses précieuses.

Après cela il aborde son conte du bon roi géant, dépeint la vie patriarcale qu'il mène et qui paraît être
celle des braves bourgeois du temps.

Après dîner tous allèrent pèle-mêle à la Saulsaie et là, sur l'herbe drue, dansèrent au son des joyeux
flageolets et douces cornemuses, tant baudement que c'était passe-temps céleste les voir ainsi soi
rigoler.

Et ses « propos des buveurs » ont été sans doute notés à la Cave peinte de Chinon où il aimait à
stationner dès son enfance.

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