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EL2

Introduction
Cette page est tirée du chapitre 31 livre I des Essais de Montaigne (sur les Essais cf introd EL1), essai intitulé « Des
cannibales ». Le mot qui en constitue le titre « cannibales » est censé annoncer le thème. Or, jusque-là, ce thème n’est pas
évoqué directement et le mot même n’est pas employé dans les lignes qui précèdent l’extrait. En effet après avoir
relativisé le sens du mot « barbare », Montaigne a évoqué la découverte du Nouveau-Monde puis s’est attaché à définir
ce qu’est un « bon témoin/témoignage » de ces mondes nouveaux tout juste découverts. Dans le passage proposé, il
revient à son propos premier, (EL1), sur le sens du mot barbare.

Question de lecture : Quel est l’enjeu de ces lignes ?/ Quelle intention poursuit Montaigne dans ces lignes ?

Mouvement/composition
L’auteur affirme d’abord une conviction personnelle forte qu’il argumente/développe à travers une analogie et une
opposition entre nature et art, enfin il célèbre la supériorité de la Nature sur l’artifice, la culture.

Explication
Dans les premières lignes l’auteur affirme clairement, avec force un avis/un jugement assez provocateur pour son temps
comme en témoignent le « je »(implication personnelle) et la reprise du rien x2« rien de barbare, ni de sauvage dans ce
peuple » (qui renvoie aux cannibales) une assertion vigoureuse sous forme de maxime (présent de vérité générale +
généralisation à travers « chacun »). L’aspect péremptoire est un peu atténué par la proposition incise « d’après ce que
l’on m’a dit ». L’argumentation s’élargit, à travers la tournure impersonnelle « il semble que ». Montaigne dénonce un
travers/défaut universel qu’il partage. En effet à ce moment, l’énonciation passe à « nous » - l’auteur s’inclut dans cet
examen de conscience et y invite le lecteur. Ce vice majeur est de juger/jauger l’autre à partir de soi-même « des opinions
et des usages du pays où nous sommes ». La construction/formule restrictive « n’(avons) …. que » souligne l’étroitesse
d’esprit des hommes/Européens. Le fait de se placer ainsi du côté de ceux qui se trompent, donne un accent + véridique
et plus de force à sa critique qui est une condamnation de l’ethnocentrisme. Le registre ironique de la phrase qui suit
(la répétition de « parfait » employé même au superlatif absolu cf gradation rythmée par la reprise aussi de « la »/ « là »
confère un caractère tellement excessif au propos qu’il en est décrédibilisé - antiphrase) porte en filigrane, une critique
caustique/ironique de cette attitude et du sentiment de supériorité qu’elle révèle.
L’argumentation se poursuit à partir du sens à donner au mot « sauvages » et procède alors par analogie /comparaison
avec les fruits ce que marque « de même que » et par opposition ce que signale « tandis que ».
Et ces deux procédés liés, structurent toute la suite de l’extrait : « les premiers (fruits) » désignent les fruits produits par
la nature et sont associés aux peuples vivant selon la loi naturelle. Ils s’opposent aux « seconds » les fruits forcés par
l’homme (« abâtardies dans les seconds »…« par notre goût corrompu »), les produits de la « culture » et de « l’art » qui
sont associés aux sociétés occidentales/à nos sociétés. La notion de barbarie, de sauvage est ainsi renversée. La définition
du mot est en effet toujours biaisée/erronée puisqu’elle est proférée par ceux qui sont conditionnés/aveuglés par leur
propre culture. La conséquence de cette observation est que le sauvage n’est pas celui que l’on nomme ainsi, mais nous-
mêmes qui avons corrompu la nature. L’antithèse se développe/se poursuit entre les premiers auxquels sont associés
« vertus » « qualités », un vocabulaire mélioratif et des superlatifs, et les seconds auxquels sont associés un lexique
péjoratif/négatif/dévalorisant. Elle aboutit au couple antithétique nature/culture. Et notre préférence, dit Montaigne,
pour les fruits « sans culture » est d’ailleurs une preuve de plus que nous nous sommes éloignés insidieusement de la
nature. A cette corruption évoquée par des images fortes (cf lignes 10 à 15) s’oppose une célébration toute aussi
emphatique/hyperbolique de la Nature, par exemple à travers la personnification « notre grande et puissante mère
Nature » qui semble menacée par l’œuvre de l’homme comme le souligne l’expression hyperbolique « complètement
étouffée ». L’oeuvre de la nature est magnifiée « sa pureté resplendit » face à la prétention, vanité des réalisations
humaines « vaines et frivoles » qui sont évoquées de manière négative.
Un argument d’autorité vient étayer ce développement : une citation du philosophe grec Platon construite sur la même
opposition entre nature et art . Enfin la dernière phrase de l’extrait pose la conclusion, ce que marque le « donc », du
raisonnement développé par Montaigne et le résume. En posant une définition positive de la barbarie, « fort peu façonnés
par l’esprit humain » « très proches de la simplicité originelle », l’auteur change le regard porté sur ces peuples
amérindiens.

Conclusion
A partir d’une réflexion argumentée et vigoureuse sur la notion de barbare et de sauvage, l’auteur dénonce
l’ethnocentrisme des Européens et prononce un vibrant plaidoyer en faveur des peuples amérindiens.
Ce passage en proposant une lecture morale et religieuse du Nouveau-Monde, d’un monde d’avant le péché originel, est
fondateur du mythe du « bon sauvage dans la littérature. Comme ces peuples ne sont jamais cités/désignés précisément,
car « sauvages » est au pluriel et le présent de vérité général domine, le propos de l’auteur acquiert/prend une valeur
universelle.
Et c’est bien un regard nouveau, dénué de préjugés que Montaigne nous invite à porter sur autrui, ici sur une autre
culture. Certains voient en lui un initiateur du relativisme culturel.

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