Vous êtes sur la page 1sur 5

Quand Thomas Sankara assène sa part de

vérité à Jean-Baptiste Ouédraogo…

Le 25 janvier 2020, le président du Conseil de salut du peuple (CSP), le médecin-


commandant Jean-Baptiste Ouédraogo (JBO) a sorti son livre titré : MA PART DE
VÉRITÉ. Mais à peine la dédicace terminée que la toile s’enflamme. Dans leur
majeure partie, les commentaires foudroient sans pitié le vieux JBO (78 ans). « Ne
tirez plus ! Ne tirez plus. Le commandant est à terre. Je répète : le commandant est
à terre », pourrait-on lire. Pourquoi ? Parce que le vieux JBO semble en vouloir à
l’une des icônes de la jeunesse africaine : Thomas Sankara.

Le 10 janvier 1982, Thomas Sankara accédait au poste dePremier ministre. C’est ce


Premier ministre qui, le 12 mai 1983 à Bobo lors d’un meeting, devant une foule bien
immense, avait prononcé son discours avant le président, ce qui est normal (c’est le chef
qui clôt toujours la série des discours). Et, malheureusement, quand ce fut le tour de JBO
de prononcer son discours présidentiel, la foule fit le vide devant le pauvre président. La
crise qui couvait était bien perceptible. Le 17 mai 1983, Sankara fut arrêté avec d’autres
compagnons : Henri Zongo, Boukary Jean-Baptiste Lingani. Seul « Blaise le rusé » réussit
à échapper à la traque et rejoignit ses para-commandos hérités de Sankara, à Pô. La
résistance s’organise. Dans la nuit du 4 août 1983, 250 para-commandos conduits par
Blaise renversent le régime « fantoche » du médecin-commandant JBO. Sankara est
hissé au pouvoir. JBO que Hyacinthe Kafando voulait buter dut la vie sauve à Sankara,
par Vincent Sigué interposé.

Le médecin-commandant est déporté à Pô pendant deux ans, puis est maintenu en


résidence surveillée à Ouagadougou jusqu’au 15 octobre 1987… JBO, qui régna du 7
novembre 1982 au 4 août 1983, fut considéré comme un véritable « accident de
l’Histoire ». Officiant depuis une trentaine d’années dans sa clinique où il guérit ou
soulage les enfants, il vient d’écrire un livre qui semble avoir pour vocation de soigner un
pan de l’histoire de notre cher Faso. Mais apparemment, le bébé du septuagénaire n’est
pas bien accueilli, il est plutôt perçu comme de la provocation, si l’on s’en tient aux
réactions des internautes. Sankara, qui a tout suivi, a pu rencontrer le président du CSP,
le médecin-commandant JBO. Leurs échanges ont porté sur ce livre controversé, qui tend
/
à « verser la figure » du leader charismatique de la Révolution par terre. En tout cas, c’est
ce que j’ai vécu en rêve la nuit dernière. C’était au foyer d’une caserne militaire de la
première région militaire…

………………………………………………………………………………………………

SANKARA : Bonjour, mon Commandant !

JBO : Capitaine, bonjour. Comment tu vas ?

SANKARA : Je me porte à merveille. Je dirais même plus, depuis que j’ai appris que tu as
publié un livre dans lequel tu étales ce que tu appelles « ta part de vérité ». Le médecin-
commandant est donc devenu écrivain, un écrivain qui voudrait soigner l’histoire du pays
des Hommes intègres…

JBO : En effet, près de quarante ans après mon règne éphémère à la tête de la Haute-
Volta, j’ai jugé utile de produire ce livre. Il est titré : MA PART DE VÉRITÉ.Je l’ai écrit pour
lutter contre la dictature de l’Histoire. L’Histoire doit éclairer les générations actuelles et à
venir. On ne parle de toi qu’en bien. On ignore ton côté sombre. Il fallait que j’étale sur la
place du marchétes défauts, tes manigances souterraines grâce auxquels tu as pu
accéder au pouvoir pour t’y maintenir pendant quatre ans…

SANKARA : Mon commandant, sais-tu que même, quand la Lune présente toute sa face
éclairée à la Terre, c’est ce qui intéresse les Terriens ? Ils ne veulent que profiter de la
clarté générée par l’astre des nuits. La face cachée de la Lune a moins d’importance pour
eux. Et quels sont tes impressions après avoir produit ce document de 260 pages, toi qui
veux te transformer en médecin de l’Histoire ? Et puis, à ce que je sache, tu es pédiatre,
tu soignes les enfants alors le Burkina Faso a cent ans… L’Histoire du Burkina est déjà
bien assez vieille.

JBO : Je ne suis pas découragé par les réactions à chaud et à froid des internautes. À
peine le livre sorti que la toile s’est enflammée ! Chacun vient y faire son « grand
déballage ». La toile est devenue une « surface de vérité » incontrôlable. En tout cas, je
suis soulagé, j’ai été « sur la brèche » et j’ai pu sortir de mon ventre ce qui le ballonnait et
qui pouvait me donner une diarrhée. « MA PART DE VÉRITÉ est une contribution à
l’écriture d’une page de l’histoire de la Haute-Volta, actuel Burkina Faso. » Cette histoire,
la Révolution a tout fait pour la falsifier, voire la travestir. Malheureusement, de nombreux
internautes, sans même avoir pris le temps et le soin de lire mon livre, ont commencé à
me flécher…Moi, un vieux de 78 ans, moi qui ai fait partie du Collège des Sages en 2002.

SANKARA : Mon Commandant, la sagesse n’est pas forcement liée à l’âge. Car, comme
le dit le proverbe, « si derrière toute barbe se cachait la sagesse, les chèvres seraient
devenues toutes prophètes ». Si je comprends bien, la publication de ton livre est comme
un coup d’État que tu as perpétré contre moi encore, bien que je ne sois plus de votre
monde… Tu as oublié ce qui s’est passé le 17 mai 1983, alors que j’étais ton Premier
ministre, quand on m’a arrêté ? … La rue a fait ma bagarre à ma place, elle a marché au
cri de « Libérez Sankara, libérez Sankara ». Elle a marché en ma faveur, moi qui n’étais ni
ange ni démon, mais juste le fils de Marguerite et Sambo Sankara tout court. Pourquoi ?
Parce que c’était injuste, ce coup de force. Ce 25 janvier 2020, tu sors un livre pour
encore me pourfendre. Et tu as vu ? C’est encore la rue à travers les réseaux sociaux qui
est venue à ma rescousse, malgré les défauts que tu as trouvés en moi et que tu as
étalés sur la place publique. Moi j’ai quitté cette vie de chair, mais les ce sont des êtres de
chair qui font « mon palabre ». Donc je conclus que tu as encore échoué, avec ce
deuxième coup de force opéré au moyen d’un livre, fût-il titré MA PART DE VÉRITÉ.

JBO : Je n’ai nullement échoué, Capitaine. J’ai atteint mon objectif. Celui de dire « MA
PART DE VÉRITÉ »… Je n’ai pas dit que c’est la vérité. Car la vérité, c’est ta vérité et ma
vérité mises ensemble qui la donnent. Mon livre fait d’autres révélations que les gens qui
/
s’enflamment devaient lire… Elles éclairent, rectifient l’histoire déjà connue, parfois
falsifiée à dessein et imposée.

SANKARA : Mon Commandant, l’histoire, comme on l’enseigne à nos enfants dès l’école
primaire, c’est le récit du passé. Et notre passé, ce n’est pas un passé à deux. Nous
étions nombreux, nous les acteurs du CSP. Il faudrait que chacun vienne dire sa part de
vérité et on verra où se trouve la VÉRITÉ. Pourquoi avoir convoqué les Lona Charles
Ouattara, les Jean-Hubert Bazié, les Alfred Yanbamgba Savadogo et bien d’autres ? Pour
qu’ils te donnent la caution de la crédibilité, de la persuasion? La présence de ces
compagnons de lutte à ta cérémonie de dédicace ne transformera pas en réalité tes
velléités de me rabaisser.La majorité d’entre eux me portent dans leur cœur. Sais-tu que
même si monsieur Lona Charles Ouattara est foncièrement contre la Révolution, il ne me
diabolise pas ? Sous le CNR, son petit frère et un de ses oncles ont passé un an et demi
dans le sous-sol de la Sureté à Ouagadougou, alors que je n’étais pas au courant. Il m’a
écrit et j’ai mis fin au supplice de ses parents. « Je lui ai écrit [à Sankara]Il a reçu la lettre.
Il a répondu en disant qu’il ignorait la situation. Et que de toutes les façons, il va tout faire
pour qu’ils soient relâchés. Effectivement, ils ont été libérés » (cf. Thomas Sankara, les
témoignages en toute véritéde Charles Kiendrébéogo, page 135).

Mon Commandant, il m’a tout l’air que tu veux déconstruire l’Histoire de la période
prérévolutionnaire, une Histoire qui s’est solidifiée. Si telle est ton intention, tu as du pain
sur la planche.

JBO : Non, non, non, Capitaine. J’ai voulu rétablir la vérité. « Je n’ai ni rancune ni
vengeance à assouvir ».On te prend aujourd’hui pour un héros. Pourtant tu n’es ni ange ni
démon. Tu es devenu un objet de culte, tu es idolâtré, etc. Or moi je te connais assez
bien. Tu as des défauts dont on ne parle pas assez. Tu es intelligent et rusé, tu savais
rouler les gens dans la farine. Tu étais d’accord pour prendre les rênes du pouvoir quand
on allait renverser Saye Zerbo en 1982. Le coup d’État opéré, tu te débines, et c’est à moi
qu’échoit la gestion du pays. Moi qui n’avais aucune troupe à commander, me voilà
brusquement capitaine du navire Burkina sans m’y être préparé. Et dix mois après toi et ta
bande vous me renversez. Ça me fait mal jusqu’à la moelle…

SANKARA : C’était donc ça ton objectif : te venger de ma personne ? Sois logique : tu dis
que Sankara est un héros, mais il n’était ni ange ni démon. T’ai-je déjà dit que je me
faisais passer pour un ange ? Et puis, où est le lien entre le héros, l’ange et le démon ?
Ou bien, veux-tu me dire que toi, comme tu n’es pas un héros, tu un es ange? Bon ! Mon
Cher Commandant, moi personnellement, je ne te condamne pas a priori. Comme tu le
constates toi-même, c’est le peuple qui fait ma bagarre à ma place.

Jean-Baptiste, que tu le veuilles ou non, toi et moi sommes unis par un pan de l’Histoire.
Pourquoi dans ton livre on ne trouve aucune des mes photos ? Même pas une photo où
toi et moi on a posé ensemble ? Est-ce pour dire que tu m’en veux à tel point que je suis
indigne de voir ma photo figurer dans ton livre ? Et puis, dans ton livre, on découvre une
part de mensonge, pardon, une erreur, rien qu’à la quatrième de couverture où tu écris :
« …la Haute-Volta, rebaptisée Burkina Faso après le 4 août 1984… » Mon Commandant,
la Haute-Volta a été rebaptisée Burkina Faso dès le 4 août 1984, et non APRÈS. Le
communiqué y relatif a été diffusé dès le 2 août 1984, stipulant qu’à partir du 4 août 1984,
le pays s’appellerait Burkina Faso. Drapeau, hymne national, devise, tout a été rebaptisé
à partir du 4 août 1984, pas après.

Et puis, Jean-Baptiste, on a de la peine à te comprendre. On dirait que tu t’es trompé


d’adversaire quand tu écris qu’il s’était trouvé une organisation qui « a activement
contribué à l’installation du pouvoir le plus autocratique et le plus sanguinaire que notre
pays ait connu avec tous les signes caractéristiques, les actes et les stigmates d’une

/
dictature oligarchique ». Cela ressemble-t-il au régime du CNR ? Ne te trompes-tu pas de
régime ? Moi je ne dirais pas que c’est un mensonge, mais une erreur d’appréciation, une
erreur monumentale tout de même…

Tu soutiens aussi qu’en définitive, ton régime a accompli une performance assez rare
dans nos pays. Est-ce parce que « absolument rien n’a été retenu ni contre toi-même ni
contre aucun de tes ministres » que ton régime en dix mois a accompli un exploit dont
personne ne parle, même pas à l’extérieur ? Que dis-tu du bilan ou des acquis des quatre
années de révolution, un bilan fait par ceux qui m’ont tué pour mettre fin à mon régime ?

Tu soutiens que l’Histoire a été falsifiée, sans dire par qui, quand, où…Au cas où tu disais
vrai, es-ce moi qui l’ai fait ? Je n’ai écrit aucun livre de mon vivant. Tu écris par ailleurs :
« Ce récit est aussi l’occasion pour moi de solliciter le pardon de tous ceux à qui j’ai pu,
consciemment ou inconsciemment, faire du mal. » Je m’inclus dans ce lot, car,
consciemment ou inconsciemmenttu m’as grièvement blessé. Je te pardonne donc.

Mon Commandant, sais-tu que par ta faute, ton image en a été profondément écorchée ?
On a du mal à te reconnaitre, tellement que ton image a été malmenée, traînée à travers
les ronces des réseaux sociaux, dans la boue, la poussière.Et je me demande si ta
clinique « Notre Dame de la Paix » dispose d’un plateau technique en mesure de réparer
cette image que j’aurais souhaitée intacte. Peut-être qu’une évacuation à l’extérieur pour
une chirurgie plastique serait la bienvenue.

J’ai des instances, mon Commandant, d’où je ne peux pas parcourir ton livre pour le
moment. Mais rassure-toi, je prendrai le temps de lire « ta PART DE VÉRITÉ » et si cela
m’enchante, je te répondrai. Dans le cas contraire, la victoire que j’ai remportée sans me
battre, sans te combattre personnellement me suffit largement.À quand le tome 2 de ton
livre ? Qui en sera le préfacier ? Le général Diendéré ? C’est lui et son unité qui m’ont
accompagné dans la nuit du 4 août 1983 pour ma proclamation de prise de pouvoir. Où,
sera-ce LonaCharles Ouattara, cet homme qui ne porte pas la révolution dans son cœur
mais qui ne me charge pas de tous les péchés d’Israël ? Hein, mon Commandant ?…

JBO : « En toute vérité », Capitaine, en réalité, je te le dis, MA PART DE VÉRITÉ, je l’ai


écrit et j’assume. Je sais que je serai la personnalité la plus controversée. Mais ce qu’il
faut savoir, Capitaine, dans la vie…

…………………………………………………………………………………………………

Pan ! pan ! pan ! Pararara !pararara ! pan ! pan ! Takatakataka !… Ce sont les rafales
et autres coups de feu du champ de tir d’un camp qui me réveillent. J’étais allé
rendre visite à un ami dont le domicilie est à proximité du champ de tir d’une
caserne. Je me réveille en sursaut, n’étant pas habitué à ce genre de vacarme. Je
regarde l’écran de mon vieux portable de marque Nokia : il est 3 heures du matin.
Tiens, tiens ! 3 heures du matin ??? Et nos soldats s’entrainent au tir ? au tir
nocturne ? C’est rassurant, car les gens qui nous attaquent le font à n’importe
quelle heure : dans la journée, dans la nuit, au petit matin. Non seulement nos
soldats ne veulent plus se laisser surprendre, mais ils veulent aussi être aptes à
faire face à l’ennemi, quel que soit le moment. Courage, nos braves FDS. Donfin-
Bééni vous protège.

Les rêveries de Gnindé Bonzi

Fiction/Humour/Histoire

Articles similaires

/
COUP D’ETAT DU 4
AOUT 1983 : Comment le
Président Jean-Batispte
Ouédraogo a été renversé
(https://netafrique.net/38- (https://netafrique.net/ma- (https://netafrique.net/coup-
ans-apres-la-revolution- part-de-verite-jean-baptiste- detat-du-4-aout-1983-
lancien-president-jean- devrait-il-se-taire/) comment-le-president-jean-
baptiste-ouedraogo-publie- «Ma part de vérité», Jean- batispte-ouedraogo-a-ete-
Baptiste devrait-il se taire ?
ma-part-de-verite/) renverse/)
(https://netafrique.net/ma-part-
38 ans après la Révolution, de-verite-jean-baptiste-devrait- COUP D’ETAT DU 4 AOUT
l’ancien President Jean il-se-taire/) 1983 : Comment le Président
Baptiste Ouédraogo publie « janvier 29, 2020 Jean-Batispte Ouédraogo a été
Ma part de vérité » Dans "Burkina Faso" renversé
(https://netafrique.net/38-ans- (https://netafrique.net/coup-
apres-la-revolution-lancien- detat-du-4-aout-1983-
president-jean-baptiste- comment-le-president-jean-
ouedraogo-publie-ma-part-de- batispte-ouedraogo-a-ete-
verite/) renverse/)
janvier 27, 2020 août 26, 2018
Dans "Burkina Faso" Dans "Burkina Faso"

(http://cres-edu.org)

Copyright © 2018 by Negro1er. Netafrique

(https://www.calcul-pagerank.fr/)

Vous aimerez peut-être aussi