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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Approches récentes de l'Afrique Byzantine


P.A. Février

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Février P.A. Approches récentes de l'Afrique Byzantine. In: Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°35, 1983.
pp. 25-53;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1983.1980

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1980

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Abstract
Three recent works by Denys Pringle, Jean Lassus and Jean Durliat lead one to reconsider, using
archeological documentation — monuments and inscriptions — the conclusions that were reached at
the end of the last century, by Charles Diehl. Among the problems that are raised, there is firstly the
question of the Byzantine fortresses and enclosures of more or less great size that included large
inhabited quarters under the Early Roman Empire : what can one infer from them regarding the history
of the town, its topography and its institutions ? Moreover, the places of worship of the 5th and 6th, and
even 7th, centuries are more and more well-known, and through the constructions or embellishments a
history of exchanges with other parts of the Mediterranean is outlined. In the same way, the analysis of
pottery found in various coastal sites, compels one to ponder the extent of these relations. All these
elements lead one to perceive more clearly that the town of the Maghrib in the Byzantine era did not
perhaps experience the deep recession which was often too easily imagined.

Résumé
Résumé Trois travaux récents de Denys Pringle, Jean Lassus et Jean Durliat invitent à revoir, à partir
de la documentation archéologique — monuments et inscriptions — les conclusions auxquelles était
parvenu, à la fin du siècle dernier, Charles Diehl. Parmi les problèmes soulevés, il y a d'abord celui des
forteresses byzantines et des enceintes de plus ou moins grande ampleur qui ont inclus de larges
quartiers habités sous le Haut-Empire : que peut-on en tirer pour l'histoire de la ville, de sa topographie
comme des institutions ? Par ailleurs, sont de mieux en mieux connus les lieux de culte des Ve - VIe
voire VIIe siècles et à travers les constructions ou embellissements s'esquisse une histoire des
échanges avec le reste de la Méditerranée. L'analyse de céramiques trouvées en divers sites du littoral
force, de la même façon, à s'interroger sur l'ampleur de ces relations. Autant de pistes qui incitent à
mieux percevoir que la ville du Maghreb à l'époque byzantine ne connaît peut-être pas la profonde
récession que l'on imagine trop aisément.
Revue de l'Occident Musulman et de la Méditerranée, 35, 1983-1.

APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE

par Paul-Albert FÉYRIER

Une barre de calcaire par dessus les ruines d'un forum, un rectangle de pierres
qui s'inscrit au loin sur un arrière-plan de monts enneigés, un jeu de tours crénelées à
la limite de la steppe et d'un massif montagneux aux parois dénudées, parfois— plus
modestement — des blocs alignés, noyés par les terres accumulées mais révélés par le
monticule qu'elles forment en plein milieu d'une plaine, telle est l'Afrique du milieu
du Vie siècle, telle qu'elle se révèle dans le sol, que ce soit à Madauros, Thamugadi
ou Ksar Lemsa comme dans le Belezma ou au sud de l'actuelle Barika. Quelques
inscriptions placées dans ces murs ou la lecture de Procope et Corippe — des récits de
combats, agencés pour exalter le héros de l'histoire ou les résultats d'une politique —
complètent une information purement archéologique. Et cela pouvait paraître
donner une image exacte et assez complète des provinces reconquises à partir de 533
et chèrement pacifiées. Mais, dès le départ, il était clair que les étapes ultérieures de
la présence byzantine risquaient de rester quelque peu dans l'ombre. Le livre de
Charles Diehl, paru en 1896, en apporte la preuve, ne serait-ce que du fait de la part
qui est donnée à Justinien et à son oeuvre (1).
Cette abondance de documentation ne pouvait manquer de créer un
déséquilibre, tant pour le devenir de l'Afrique que pour le siècle qui précède la conquête. Car,
face à cette richesse de textes et monuments, on ne pouvait mettre en balance que
l'ampleur du discours augustinien. Et le «dernier reflet de la civilisation romaine»,
comme dit Charles Diehl dans sa conclusion, n'apparaissait dès lors que comme un
répit entre le royaume vandale «si faible», qui «eût bien vite cédé la place à la
sauvagerie berbère», et une arrivée des Arabes, «catastrophe qui a fait disparaître les
derniers vestiges de la culture romaine». Les introductions comme les conclusions,
parfois aussi des remarques incidentes, font souvent apparaître les présupposés
idéologiques des historiens, car il n'est pas de recherche neutre. Mais on ne prend pas
garde, souvent, au fait que l'interprétation même des monuments les plus
prestigieux d'une époque risque de pâtir autant d'une analyse que du regard porté sur un
passé ou un futur dont on n'a pas su reconnaître tant la richesse que ce qu'il doit à
une tradition. Et dans le cas de la reconquête byzantine de l'Afrique —j'aurai
l'occasion de le suggérer et peut-être de le démontrer—, cela est particulièrement
net, d'autant que les travaux de Christian Courtois, s'ils sont parvenus à détruire des
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mythes (2), n'ont pas fait le tour de tous les documents qui pouvaient étayer sa
thèse (3) et sont antérieurs à diverses recherches qui contribuent à mieux évaluer ce
siècle de présence barbare (4) ou l'émergence des principautés berbères dans la
partie occidentale de l'ancienne Maurétanie (5). Il ne me semble pas davantage que
l'on ait cherché à savoir ce qui, du passé antique, faisait partie de la civilisation
islamique.
Aussi est-il important de mieux regarder — c'est-à-dire d'analyser de façon plus
précise, mais aussi de repenser— les documents sur lesquels Charles Diehl s'est
fondé. Trois études récentes, toutes trois relatives aux fortifications byzantines,
pourront servir de point de départ à une réflexion; Mais — il me faut le dire dès le
début — ce serait mutiler l'information et fausser l'interprétation de cette période
que de réduire le champ d'observation à de tels documents. Aussi m'efforcerai -je de
présenter les résultats d'enquêtes parfois partielles, parfois plus élaborées, faites à
partir d'autres séries de documents archéologiques. Il manquera une réflexion sur les
textes littéraires eux-mêmes : elle n'a pas été menée et, dans un article qui ne veut
être qu'un bilan critique et raisonné, il n'est pas possible d'aborder cet aspect des
sources.

DE QUELQUES TRAVAUXRÉCENTS

L'Afrique byzantine de Charles Diehl, parue en 1896, se présente comme le


prolongement de deux missions menées sur le terrain aux printemps de 1892 et 1893 (6).
Denys Pringle, dans une thèse soutenue à Oxford (7), a entendu reprendre l'examen
des monuments étudiés tant par Diehl que par Stéphane Gsell (8). L'enquête, qui a
été menée non sans difficultés, a été voulue globale et elle été conçue comme devant
déboucher sur une histoire des défenses et une contribution à l'histoire militaire des
provinces reconquises. Alors que Diehl a tenu à limiter son analyse à ce siècle et
demi, Stéphane Gsell tentait, dans cette même dernière décade du XIXe siècle de
proposer une vision plus globale de la présence de Rome, ce qui devait aboutir en
1911 à son monumental Atlas archéologique de l'Algérie, préparé par de nombreuses
prospections que complétaient les travaux des brigades topographiques de l'armée
commencés à la fin du Second Empire mais qui n'ont pris de valeur — au moins pour
les archéologues — qu'à partir de 1881. Les deux projets de Diehl et de Gsell étaient
donc différents dans leur finalité et cela n'est pas sans importance pour la suite de
mes reflexions et pour ce que suggère le travail de Pringle.
Le jeune archéologue anglais a donc revu des sites, relu les textes, repris des
descriptions anciennes lorsqu'il y était contraint et ce sur l'ensemble du territoire
algérien et tunisien, des anciennes provinces de Maurétanie césarienne et sitifienne, de
Numidie Proconsulaire, Byzacène et Tripolitaine. Le projet était vaste ; trop ample
peut-être, car les recherches dans le Maghreb ne peuvent vraiment progresser de
façon définitive que par un nouvel examen rigoureux de quantité de monuments,
souvent vus superficiellement, par le passé, ou jugés en fonction d'à priori que la
recherche ultérieure n'a pas cru devoir retenir. Je dis seulement cela non pour mettre
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en cause la recherche de Deny s Pringle qui n'a p"as pu toujours être ce qu'il aurait
souhaité, mais pour que le lecteur qui ne connaît pas les monuments dont il sera
question ou qui n'a pas l'usage des techniques archéologiques perçoive certaines
limites de cette enquête, comme de bien d'autres — à commencer par celles que je
pourrais faire.
L'ouvrage de Pringle se scinde en deux volumes. Le premier contient un
chapitre d'histoire militaire, que suit un deuxième sur l'organisation de l'armée : y est
abordé le problème des fortifications, vu par le biais de la stratégie. En conclusion de
ces chapitres, vient une réflexion plus large sur le contexte de cette activité :
«refortification and renovation». Suit un chapitre sur les techniques de construction. A ces
synthèses, sont jointes des listes et surtout des monographies de forteresses du Vie
siècle, de celles qui ne sont peut-être pas des fortifications officielles (ou
d'interprétation douteuse), ou encore de celles qui n'appartiennent pas au Vie siècle. Est joint un
corpus des inscriptions relatives aux fortifications et aux militaires. Un second
volume regroupe les notes, une riche bibliographie, des plans, mais que je regrette de
trouver redessinés et non mis à des échelles identiques, enfin des photographies. La
matière est donc riche.
Tout différent est le volume que, la même année 1981, vient de donner Jean
Durliat (9). C'est là une partie de sa thèse de Ille cycle (10) et, de façon judicieuse,
ont été extraites les dédicaces d'ouvrages de défense qui sont présentées avec une
illustration, une lecture et un commentaire. Suivent des pages sur les mécanismes
administratifs et sur la vie sociale que ces documents laissent entrevoir : à l'arrière de
cette réflexion se place une connaissance des textes relatifs à l'Orient byzantin, et
aussi aux territoires récupérés dans la péninsule italique, voire sur le littoral des
Espagne. Expérience qui est essentielle, car s'il est vrai qu'il faut toujours être
sensible aux spécificités africaines, il est vrai aussi qu'il est dangereux — tant pour les VI-
Vlle siècles que pour d'autres moments — de négliger ce qui découle de l'insertion
de ces provinces dans un ensemble plus vaste, voire dans la longue durée. La prise en
compte de ces données différentes, parfois même antagoniques, peut susciter des
discussions ; mais cela a l'avantage de faire progresser la connaissance, dans un
domaine où les certitudes acquises sont encore éparses.
De 1981 aussi est datée la publication de Jean Lassus qui a examiné la
forteres e byzantine de Thamugadi (11). Ouvrage d'autant plus méritoire que l'auteur n'a
pas suivi les dégagements commencés en 1938 (ou 1939) et achevés à la veille de la
guerre d'indépendance, non plus que les quelques travaux complémentaires
ultérieurs. Les nombreuses visites de celui qui a été le directeur des Antiquités de
l'Algérie jusqu'en 1964, l'intérêt qu'il n'a cessé de porter à ce site et à ce monument,
l'examen minutieux des constructions visibles comme des rares photographies
anciennes et des comptes rendus sommaires des travaux menés par Charles Godet,
ne peuvent faire oublier les conditions déplorables dans lesquelles le travail a été
mené, sous la responsabilité de l'architecte en chef des Monuments historiques, et
par des hommes, certes très dévoués, mais non rompus aux techniques d'une fouille
rigoureuse. Cela doit être rappelé, même si pareille situation était courante sur
l'ensemble des bords de la Méditerranée, ne serait-ce que pour faire mesurer
certaines des difficultés auxquelles Jean Lassus s'est trouvé confronté et les limites d'une
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interprétation. Les deux séjours passés à Timgad en 1967 et 1975 ont permis de
préciser les descriptions, de prendre de bonnes photographies et surtout de faire effectuer
des relevés précis qui font regretter que l'on ne dispose pas —sinon rarement —
ailleurs de documents aussi sûrs.

A PROPOS DE THAMUGADI ET D'EXEMPLES ANALOGUES

Je partirai donc de cette forteresse précisément connue et dans laquelle j'ai


passé aussi de longues heures, tant en discutant avec Jean Lassus qu'en essayant de
réfléchir sur son oratoire chrétien, ainsi que sur le temple de l'Aqua Septimiana qui
m'intéressait aussi pour l'enseignement que j'assurais alors à la faculté des Lettres
d'Alger.
La forteresse a quasiment la forme d'un rectangle, renforcé par quatre tours
d'angle et une tour au milieu de chaque face, la tour septentrionale tournée vers la
ville protégeant la porte principale d'accès. A quoi s'ajoutent des poternes prévues
au sud, à l'est et à l'ouest — cette dernière ayant été rendue sans objet, semble-t-il,
par les constructions intérieures (12). On verra que c'est au sud et à l'est que deux
inscriptions de Solomon ont été trouvées jadis. L'espace interne couvre une surface
d'environ 0,70 ha, qui se partagent de la façon suivante :
— à l'est, plusieurs rangées de pièces construites en grand appareil se
présentent alignées, parfois adossées les unes aux autres. Certains de ces alignements sont
accompagnés d'un portique. Certaines de ces pièces s'ordonnent tout au long des
parois internes des courtines ; d'autres se placent le long de ruelles disposées ouest-
est. Ces pièces, d'environ 4,40 sur 2,60 m, ont des sortes de niches, sur un de leurs
côtés ; plusieurs fois, dans ces placards, subsistent des auges ;
— à l'ouest, la structure des bâtiments est plus complexe :
. tout près de l'entrée, des bains construits en briques,
. au delà, vers le sud, un bloc de quatre pièces que Jean Lassus attribue à l'Etat-
major,
. puis l'oratoire (ou chapelle), elle aussi faite de briques,
. enfin, entre ces diverses constructions et le mur occidental, une nouvelle série de
pièces en grand appareil alignées de part et d'autre d'une ruelle, peut-être sans
communication avec le nord.
La description et l'interprétation de ces constructions est rendue délicate par le
fait que les plans anciens, en particulier celui qui a été dressé en 1946 - 1947, comme
les quelques photographies retrouvées, ont montré à Jean Lassus que l'état que nous
voyons actuellement est le résultat de remaniements postérieurs aux dégagements
modernes. De là, des difficultés considérables pour comprendre exactement ce qui
se passait autour de la piscine du temple sévérien, donc en plein milieu de cette
partie occidentale du chantier, et pour imaginer les cheminements anciens, tout
comme la façon dont certains niveaux du Haut Empire avaient pu être utilisés. Car
tout le temple n'a pas été détruit, et certains murs sont, à l'évidence, réutilisés dans
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la fortification byzantine. Je signale, entre autres, le problème, non soluble à l'heure


présente, des alignements de pièces dans la partie occidentale et leur relation avec
les autres espaces, architecturalement semblables, de la zone orientale de la
forteres e. Ou encore celui de l'accès à l'oratoire qui possède un baptistère dans l'annexe de
la nef latérale gauche, au niveau de l'abside : ce qui implique une fonction liturgique
qui n'est pas liée uniquement à la synaxe eucharistique (13). Jean Lassus a pensé
pouvoir surmonter la difficulté en supposant des passerelles de bois qui auraient
relié ce qu'il appelle «l'Etat-Major» avec l'étage du narthex ; mais cela ne lève pas
toutes les difficultés. Ne pouvant reprendre un examen sur place et pensant que cela
est devenu difficile du fait des aménagements modernes, je préfère laisser la
discussion ouverte et ne proposer aucune solution.
Bien que ces considérations techniques ne soient pas sans importance pour une
histoire religieuse — et donc pour l'histoire tout court de l'Afrique, de son
organisation administrative comme de la vie spirituelle, puisqu'une chapelle dans un camp
renvoie automatiquement à cela —, il importe surtout de s'interroger sur la
restitution de ces «casernements» —je reprends la formule de Jean Lassus — et sur
l'interprétation de ces constructions, sur leur fonction originelle, comme sur leur devenir
qui a pu évoluer dans le temps. Jean Lassus n'a-t-il pas noté, d'une analyse
architecturale, que le projet initial qui se lit sur les parements internes des courtines ne
correspond pas à la réalisation ultérieure, c'est-à-dire, ni au plan, ni à l'élévation de
ces casernements.
Ces casernements ne paraissent pas avoir été menés à leur terme ; ils
manquent, en effet, d'une façon différente de part et d'autre d'une des ruelles, la
deuxième en partant du nord. Cela ne semble pas être le résultat d'une destruction
postérieure, et Jean Lassus parle bien de terrain que la construction byzantine
semble avoir renoncé à occuper. Aussi ce fait et l'absence de toute trace d'escalier
incite à rejeter — au moins provisoirement — l'hypothèse, qui ne pouvait manquer de
venir à l'esprit, à cause de l'importance de ces structures — d'étages, même en
matériaux légers. A quoi servaient donc ces pièces qui se ressemblent ?
Jean Lassus a eu entre les mains une première version du travail de Denys
Pringle qui avait envisagé la possibilité de loger là dedans chevaux et cavaliers, et il
n'a pas caché les difficultés qu'il ressentait. Mais il ne me paraît pas être resté assez
ferme devant des hypothèses qui ne me semblent fondées que sur des lectures de
textes théoriques, sans rapport en tout cas avec Thamugadi, ou sur une certaine idée
— non démontrée — sur la taille des chevaux de l'Afrique antique. Je ne suis guère
spécialiste des écuries, et je n'ai pas passé de temps aux abords des champs de
course. Mais j'attendrai pour être convaincu que l'on ait fait l'expérience de faire
entrer des chevaux dans de telles «écuries» et de les y faire vivre. Pour une fois, plus
plausible me paraît l'hypothèse d'André Berthier, faite à propos de l'établissement
agricole d'Oued Athemnia qui retrouve, dans une vaste salle allongée, avec une
rangée d'auges médianes, quelque chose pour abriter des animaux (14). J'ajouterai
que ce problème des salles à auges et celui des cellules à auges, alignées de part et
d'autre d'une cour dans l'enceinte de la basilique martyrologique de Theveste (15), a
fait beaucoup couler d'encre, et que la discussion n'a pas conduit à un consensus. Et
encore dans ce dernier cas, les choses me paraissent-elles plus simples et je me rallie
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volontiers à l'hypothèse d'une hôtellerie, suggérée par Jiirgen Christern.


Ces remarques ne sont pas inutiles, car se pose la question : Qui, sous Solomon
et plus avant dans le temps, a séjourné, de façon durable ou temporaire — pourquoi
pas ? —, dans un tel édifice ? Les inscriptions de Thamugadi, vers lesquelles je devrai
revenir ultérieurement (16), sont les seules à pouvoir être datées avec précision, soit
entre le 1er août 539 et le 31 juillet 540, c'est-à-dire soit au moment où Solomon
engagea ses opérations contre les Maures, soit dans les mois suivants qui voient se
dérouler des opérations militaires, que les historiens me semblent bien en peine de
situer avec une parfaite précision. Toutes les autres inscriptions, soit du fait de leur
caractère fragmentaire, soit de par leur contenu ne sont datées que par le nom de
Justinien et Theodora et par celui de Solomon. Cette donnée me paraît devoir être
prise en compte pour comprendre l'oeuvre réalisée à Thamugadi et pour ne pas
extrapoler les informations fournies par la fouille à d'autres sites. D'autant que —j'y
reviendrai — bien des différences sont suggérées par une simple analyse du terrain.
Je n'excluerai donc pas, à priori ici, l'hypothèse d'une véritable caserne de
soldats ; mais je pense qu'il faut — tant à cause de la date que de l'histoire ultérieure
du site, laisser la porte ouverte à d'autres interprétations. Jean Durliat a souligné le
fait que «certains castra étaient des casernes d'un type particulier où l'on stockait du
matériel militaire... mais où personne ne vivait, puisque les soldats-paysans
résidaient chez eux et ne se rassemblaient que pour partir à la guerre». Je note aussi,
bien qu'il s'agisse d'un document tardif et donc sujet à caution, que pour
Mohammed Ibn Youçof, cité par El Bekri (17), le château de Tobna — c'est ainsi que
traduit De Slane —, énorme édifice de construction ancienne, est bâti en pierre et
couronné par un grand nombre de salles voûtées— il semble bien s'agir du fort
byzantin — ; il sert de logement aux officiers qui administrent la province. Je sais
bien qu'il est toujours dangereux de regarder une région à partir d'un site que le
hasard a fait fouiller — et c'est le cas de Thamugadi. Mais j'ai été surpris par quelques
faits. D'abord par ce jugement rendu par le gouverneur de Numidie, Domitius
Zenophilus, le 13 décembre 320, à l'occasion d'une affaire qui ne concerne pas la
ville : il s'agit du procès de l'évêque de Cirta Silvanus accusé d'avoir été traditor et
d'autres crimes. Sans doute était-il logique que l'affaire fût tranchée hors du siège de
cet évêque. Mais pourquoi n'avoir pas choisi Lambaesis qui avait été bien plus
illustre et naguère capitale de la Numidie ? Pour l'éviter ? peut-être. Mais l'explication
est-elle satisfaisante ? je n'en suis pas certain (18). Je rappelle aussi que le nom de
Thamugadi apparaît dans le titre d'un procurateur équestre du Ille siècle, chargé
d'une regio qui englobe deux autres grandes villes, Theveste et Hadrumetum (19).
Pour en rester avant la conquête vandale, je signale que si la liste des clerici, c'est-à-
dire du clergé de la cité me paraît normale, le nombre des milites qui ont pu entrer
dans les bureaux est très élevé — 79 face 168/188 noms de Yordo— , soit par
l'importance de la ville, soit par la présence de bureaux qui dépendaient du consularis
Numidiae, soit par les deux raisons (20). Dernier élément à verser au dossier, outre la
mention du nom de la ville dans Procope, la construction d'un lieu de culte par le dux
de Tigisis, avant 647. Tous ces éléments doivent être pris en compte pour
comprendre les fonctions possibles — autres que strictement militaires — de la forteresse, au
moins après la campagne de Solomon.
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Je resterai sur l'interprétation de la forteresse de Thamugadi, en m'arrêtant un


peu longuement sur les inscriptions trouvées en 191 1, près de la poterne méridionale,
en 1940, en remploi dans le mur oriental, ce qui indique des remaniements
ultérieurs, là encore au voisinage d'une poterne, enfin, à une date indéterminée, peut-
être près de la porte septentrionale où un fragment se trouve encore. Ces trois pierres
sont différentes par leur forme — la dernière est un linteau que l'on peut donc
imaginer immédiatement au dessus de l'ouverture ; les autres sont des plaques destinées à
être incluses dans un mur —, mais d'une gravure semblable ; le texte est identique.
On y lit la même formule après la date : edificata est a fundamentis cibitas TamOga-
diensis. Si l'on reprend l'inventaire dressé par Jean Durliat, on peut faire plusieurs
constatations. Nous avons trois inscriptions latines — de la porte principale et des
poternes, vraisemblablement — et seulement latines. Il n'y a pas de pierre avec un
texte grec et latin comme il en est à Bordj Hellal ou à Madauros, ni de fragment de
texte grec isolé comme à Thagura ou Sufes (21). Le terme cibitas ou ciuitas désignant
une construction de Solomon se retrouve à Zabi et de façon indubitable ; avec
quelque chance, à Capsa ; et dans les deux cas, il accompagne la formule a
fundamentis (22). Par contre, il est restitué à Theveste, comme à Madauros. A Sétif, il y a
de fortes chances pour que le terme civitas désigne non l'oeuvre de Solomon mais la
ville antérieure : antiquam c [iuitatem, peut-on lire sans qu'il y ait de doute sur la
dernière lettre, si du moins je sais lire sur la photographie comme j'ai su le faire sur la
pierre (23). Quant à la traduction grecque, elle semble devoir être pojlis (24).
J'ai souvent hésité sur le sens à donner à civitas, surtout lorsqu'il est
accompagné de la formule a fundamentis qui évoque une construction complète. A regarder le
traité Des édifices de Procope, je suis tenté de suivre Jean Durliat lorsqu'il pense que,
dans l'esprit des ingénieurs et des officiers de l'armée de Solomon, construire un mur
de défense c'est construire ou restaurer la ville et lui donner la parure digne d'elle. Je
reviendrai sur ce point en disant un mot sur le texte de Procope en conclusion. On
peut aussi se demander s'il n'y a pas une emphase destinée à frapper l'imagination de
ceux qui voient l'oeuvre et la pierre. Je me suis parfois demandé si le mot ciuitas
n'aurait pas subi un glissement de sens et en serait venu à désigner la seule
forteresse. Dans ce cas, il faudrait penser qu'à Thagura c'est le texte latin qui est le
premier et que pojlis en est une traduction quelque peu inadéquate. J'ai été renforcé
dans cette idée par l'inscription beaucoup plus ample, versifiée, de Cululis (25) où
précisément les mots arces, urbs, moenia ont été utilisés. Mais je me dis aussi que le
style même de l'inscription, si différent des autres documents, sobres, ne permet pas
une comparaison : deux formulaires différents ont été mis en oeuvre, par les lettrés
d'une part, par des militaires de l'autre. Aussi avouerai-je mon incertitude, d'autant
plus aisément que j'ai, en son temps, attiré l'attention sur la valeur symbolique du
rempart...
Une série de forteresses présentent un plan comparable à celui de Thamugadi,
que ce soit celle de Sitifis (1,69 ha, attribuable à Solomon), celle prévue à Madauros
(0,24 ha, certainement de Solomon à cause de l'inscription toujours en place sur la
porte), peut-être celle de Gadiaufala, plus petite encore (0,16 ha mesurés à
l'intérieur) et dont Gsell s'est demandé (26) si l'inscription retrouvée en fragments
dispersés lui devait revenir. D'autres forteresses de plan carré ou le plus souvent
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rectangulaire, à tours d'angles, sont d'aspect semblable, mais elles n'ont pas, à ce
jour, donné d'inscription, ou sont plus tardives, comme Anastasiana bâtie sous le
règne de Tibère II (578-582). Mais dans aucun cas on ne sait comment restituer le
plan intérieur ni donc la fonction.
La construction de Thamugadi a été implantée, loin du centre de la ville, bien
au sud, à l'emplacement d'un sanctuaire des eaux et donc d'une source qui a pu
guider le choix, et sans doute à la limite septentrionale de la nécropole sud, soit à plus
d'un demi-kilomètre à vol d'oiseau du forum. Nous avons une très grande difficulté,
du fait de l'ancienneté des fouilles, des restaurations aussi qui ont — c'est leur côté
positif— conservé quelque chose de l'aspect de l'habitat, mais ont modifié bien des
détails, du fait aussi de l'absence d'études récentes sur la plupart des monuments, en
particulier chrétiens, de la ville, pour restituer la vie, tant au Ve qu'aux Vie ou Vile
siècles. Nous ne sommes pas aidés par les inscriptions, curieusement absentes à une
époque tardive (27) ; cette rareté des funéraires contraste avec le grand nombre de
lieux de culte, voire de nécropoles prospectées. En ville même, plusieurs basiliques
ont été dégagées ou sont reconnaissables, chacune avec son baptistère, que ce soit la
basilique du quartier nord-ouest, celle implantée sur deux îlots et une rue au nord du
forum, celle que l'on a souvent appelée, à tort, du monastère occidental, ou encore
celle qui s'appuie contre la colline voisine du capitule et qui a beaucoup souffert du
passage d'un oued. A quoi s'ajouterait, mais pour d'autres fonctions, les basiliques
cémétériales, parmi lesquelles celle du duc de Tigisis, Jean. A l'exception de cette
dernière, aucun lieu de culte n'est daté ; et les remaniements possibles n'ont pas fait
l'objet d'un examen. Situation d'autant plus regrettable que le décor sculpté, très
modeste, de ces lieux de culte — comme ceux d'une très large région de la
Numidie — n'a guère permis d'observations comparables à celles qui ont été
proposées pour Theveste, Thelepte ou Sufetula ; et à la différence d'une ville comme
Cuicul, il n'est pas possible d'étudier la mosaïque tardive. Aussi, tant pour l'habitat
que pour les lieux de culte, en est-on réduit à des hypothèses fragiles. Il y a donc une
spécificité régionale qui masque — en l'absence de fouilles — une vie qui ne peut
avoir manqué d'exister, mais qui s'est organisée et manifestée différemment par
rapport à d'autres villes. Le silence des textes ou de certains documents ne peut être
invoqué — j'insiste sur ce point, parce que trop souvent on l'oublie — contre un
devenir urbain ou, à plus forte raison, rural. Les documents épigraphiques ou
archéologiques obéissent à des lois que, très souvent, nous ignorons.
Ceci n'est pas un plaidoyer pour tricher avec une réalité et tenter de justifier à
tout prix le rôle de la ville, d'une ville que Solomon aurait trouvée déserte (28) et
qu'il aurait reconstruite : edificata est afundamentis, comme répètent les inscriptions
de la forteresse. Ce qui a entrainé Charles Diehl (29), sur la foi des premiers rapports
de travaux, à présenter une image des reconstructions qui n'a guère de chances d'être
correcte, mais qui a eu longue vie et que l'on retrouve jusque dans le plus récent des
guides. Le remploi dans la forteresse byzantine d'inscriptions — voire parfois
d'éléments architecturaux — ne signifie pas que l'agglomération ait été livrée au pillage.
C'est là un fait de tous les temps — et je n'en donnerai pour preuve que, dans cette
ville même, les matériaux de remploi qui ont servi pour la gravure de l'album des
décurions, clerici et milites ; ou les textes du code théodosien.
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 33

La pauvreté de nos sources ne peut donc être interprétée, pour le Vie siècle,
comme un signe du déclin, non plus que pour le Ve ou le IVe. En fait, l'interprétation
des documents archéologiques, très rares, est des plus malaisées ; et je voudrais le
montrer en reprenant le cas d'une autre forteresse de Solomon, celle de Madauros, à
laquelle j'ai déjà consacré quelques lignes (30). Depuis les travaux menés sur le site
par l'architecte Charles Joly et l'étude qu'en a donnée Stéphane Gsell (31) — il ne
faut pas oublier cette réalité de la recherche en Algérie : une fouille contrôlée par le
haut personnage qu'était l'architecte des Monuments historiques et le travail
scientifique que devait faire après, non sans difficulté, le savant —, on sait qu'une forteresse
a été commencée par Solomon. Son mur de façade, tourné au sud-est, se dresse sur le
forum dont il coupe près d'un tiers et sur une rue qui y débouchait. Le mur sud-ouest
a été partiellement réalisé jusqu'au niveau du théâtre qui devait être englobé ; mais
ce mur n'a pas été achevé, car l'on n'a retrouvé que les fondations de l'angle ouest et
rien n'a été bâti vers le nord. Le projet initial a donc été abandonné et ultérieurement
seul le théâtre a été inclus dans une muraille, son mur extérieur servant de limite à la
défense.
Pour Stéphane Gsell, ce changement de parti est expliqué par une «situation
militaire inquiétante, qui put même devenir critique», ce qui «exigeait sans doute le
prompt achèvement de cet ouvrage défensif». Cela ne peut être qu'une hypothèse,
qui me gêne d'autant que je me méfie systématiquement de ces constructions que
l'on dit souvent faites à la hâte, pour faire face à un danger. Se posent pour Madauros
plusieurs problèmes : celui de la date précise, celui du coût, celui du mode de
financement de telles oeuvres, celui enfin de sa fonction. Toutes questions qui sont posées
et restent sans réponse précise. Pour Charles Diehl, au lendemain de la reconquête
byzantine, n'était contrôlée que la partie septentrionale du Constantinois : Tigisis,
Gadiaufala, Madauros, Tipasa, Thagura constituant une ligne de places fortes, un
front face aux Berbères insoumis des hautes Plaines et de l'Aurès (32). Jean Durliat a
montré qu'épigraphiquement on ne pouvait rattacher les inscriptions que nous
connaissons à la premièreThamugadi'préfecture du prétoire de Solomon, en particulier à cause
de nos inscriptions de (33). Donc une part de l'argumentation qui
pouvait sous-tendre l'opinion de Gsell tombe.
Je me pose d'autres questions. Je constate d'abord que la ville, au moins du
nord au sud, à en juger par les mausolées conservés, était peu étendue, et le champ
de ruines vu par photographie aérienne n'infirme pas cela. Stéphane Gsell a été très
surpris des faibles dimensions du théâtre et il a noté que le forum est bien moins
étendu que celui de Thamugadi — et cela est vrai aussi si l'on fait la comparaison avec
celui d'Hippo Regius. La ville, illustrée par ses écoles, par sa culture que révèlent
autant les inscriptions métriques que le renom d'Apulée, était donc une
agglomération d'importance secondaire sous le Haut Empire. Cela n'expliquerait-il pas,
partiellement au moins, que la cité ait pu faire face avec difficulté à la demande
impériale d'une fortification. Les murailles de l'époque de Solomon ont été bâties
sur le forum ; mais une large partie de l'espace découvert est resté libre, tout comme
les galeries sud-est et nord-est, sur lesquelles s'ouvrent une basilique, la curie et une
autre salle. Les bases des portiques ont été retrouvées en place, comme le montrent
et le plan de Joly et quelques photographies anciennes, sauf aux abords immédiats
34 P.A. FEVRIER

de la muraille. Je suis donc conduit à me demander si une vie municipale ne se


poursuivait pas sur la partie du forum restée libre, et s'il ne faut pas imaginer des
bricolages pour raccorder ce qui subsistait des portiques avec la courtine. Le niveau de
circulation — la porte même que surmonte le texte de Solomon le suggère — est resté
celui des origines, et le léger ressaut que dessine le mur est suffisamment bien
appareillé pour qu'il ait pu n'être qu'un élément de décor. Le théâtre lui-même me paraît
bien — à cause de tout ce qui y a été retrouvé même des parties hautes — avoir été
conservé sans modification. Et je vois même une difficulté dans les circulations : il
n'y a qu'une petite porte qui relie l'espace de l'ancien forum, maintenant dans les
murs byzantins, et une des salles annexée à la scène (34).
Ces remarques que je présente sans avoir pu revoir le monument depuis
quelques années, en me fondant seulement sur les descriptions et photographies
anciennes ou récentes, m'interrogent à la fois sur l'environnement de la forteresse et
donc sur la ville, et sur la fonction de celle-ci. J'en viens à me demander s'il ne s'est
pas écoulé un temps long entre le projet partiellement réalisé sous Solomon et
l'inclusion du théâtre. Dans cette hypothèse, il n'y a pas à proprement parler de
forteresse, mais une façade monumentale sur un lieu public. Et par derrière, entre les
courtines et le théâtre, une cour et quelques constructions qui peuvent avoir servi de
magasins ou d'entrepôts pour diverses choses. En tout cas, la comparaison avec
Thamugadi n'aurait aucun sens.
La forteresse de Thugga, non datée par une inscription (35), m'inspire des
remarques quelques peu analogues. Cette petite enceinte (0,26 ha) inclut et le capitole
avec la place, qui s'étend immédiatement devant lui, et le forum avec quelques-unes
de ses annexes. Denys Pringle, reprenant une opinion déjà avancée par Claude
Poinssot, pense que le forum disparaissait au Vie siècle sous une masse importante
de remblais. Cela peut trouver appui sur le niveau de la porte septentrionale voisine
du capitole ; mais cela n'explique pas les ouvertures qui conduisent tant à la tour
nord qu'au bastion sud et qui apparaissent sur diverses photographies. Aussi, sous
bénéfice de vérification, je m'interroge sur l'interprétation à donner à cette situation.
D'autant plus que dépend de la lecture de ces ruines l'image que l'on peut se faire
d'une vie municipale.
L'enjeu, en effet, de discussions apparemment techniques, est d'ordre
historique : qu'en était-il de la vie des curies municipales et des institutions qui en dérivent,
tant dans la période vandale qu'après la reconquête ? L'existence, encore sous les
derniers rois vandales, révélée en particulier par l'épitaphe d'un flameri perpetuus
chrétien, mort à Ammaedara en 526 (36), et d'autres épitaphes tardives de flamines
ou de sacerdotales, forcent à induire l'existence d'une structure municipale que
l'épigraphie de type traditionnel — dédicaces, bases de statues... — ne laisse plus
apparaître. Là encore, le silence de certains types de documents occulte une réalité et
il n' est pas impossible que l'image même que l'on s'est faite des institutions
urbaines en Afrique n'ait eu quelque influence sur la lecture même des ruines.
Si j'ai supposé que la citadelle de Sitifis a pu être bâtie, elle aussi, sur le forum
— c'est de fait pure conjecture, qui repose seulement sur l'existence d'un vaste
temple détruit par les hommes de Solomon et du théâtre connu par des observations
du XIXe siècle (37) —, je me suis bien gardé d'en tirer des conséquences sur la vie
institutionnelle.
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 35

Quoi qu'il en soit, un cas comme celui de Madauros où le théâtre semble bien
être resté intact, ou celui de Thugga qui a gardé un temple fort peu adapté à des
casernements du type de ceux de Thamugadi, ou encore la forteresse de Tubernuc à
laquelle Pringle pense pouvoir rattacher une inscription du règne de Tibère (578-
582) (38) et où se trouvent incluses trois cellae (ou plus) d'un temple, ainsi que
nécessairement la cour qui les précédait, montrent que ces constructions byzantines
ne répondent pas du tout au schéma intérieur qui est révélé à Thamugadi. Ce qui me
paraît donc devoir être un élément essentiel pour l'interprétation.
Très différente aussi est la petite forteresse de Ksar Lemsa, dégagée par Khaled
Belkhodja (39) à partir de 1966 : de part et d'autre d'une allée centrale, ont été
disposées des pièces diverses qui elles, sont toutes postérieures — semble-t-il — à la
construction des courtines et qui sont en matériau différent (murs en moellons
scandés par des hastes de pierre). L'ensemble s'est bien appuyé sur une construction plus
ancienne, dont subsiste la vaste citerne maintenant dégagée au pied du mur oriental.
Etait-elle visible au Vie siècle ? Je le pense d'autant plus volontiers qu'une
adduction d'eau — venant sans doute d'un captage éloigné — contourne la tour nord-est. La
fonction défensive de l'ensemble en est renforcée, du moins vers l'est ; mais, dans le
même temps, il faut bien constater que la forteresse pouvait être aisément privée
d'eau.
Pringle pense que cette oeuvre pourrait avoir été réalisée sous l'empereur
Maurice (582 -602), à cause d'une inscription trouvée «à un kilomètre à l'est d'Aïn
Lemsa, à peu de distance de Ksar Boudja», c'est-à-dire de notre forteresse (40). Mais
la chose reste très douteuse ; Belkhodja n'avait pas envisagé cette possibilité, et Jean
Durliat, en restituant le singulier turr(im), se montre aussi dubitatif.
Il existe deux sites pour lesquels il est indubitable que l'époque byzantine
marque une rupture radicale dans l'organisation de la partie de l'espace urbain consacré
traditionnellement à la vie municipale. Le premier est celui de Diana Veteranorum,
où le fort byzantin — non daté et non fouillé, sinon en quelques points de sa
périphérie — est placé au voisinage immédiat du forum. Au centre de celui-ci — de façon très
cohérente avec le paysage ancien —, a été construite une basilique chrétienne que
l'on s'accorde à considérer comme tardive, bien qu'elle soit occidentée (41). Les
rapports — très sommaires — des dégagements faits vers 1930 (42) montrent que des
constructions où entraient des inscriptions en remploi ont été retrouvées, et en
particulier que les dallages des portiques du forum ont été refaits à basse époque. Mais
cela reste très vague et surtout mal daté. Plus intéressantes sont les observations
faites par Roger Guéry sur le forum d'une localité sise entre Thysdrus et Usila, à Bararus
(Rougga) (43). Le Forum de cette petite agglomération a été partiellement envahi par
des "constructions que la stratigraphie tendait à placer au plus tôt à la fin du Vie
siècle. Et de cette zone vient un trésor de monnaies dont les plus récentes ont été
frappées à Carthage en 647.
Ce rapide bilan — résumé trop technique, j'en conviens, mais indispensable
pour faire percevoir la difficulté des explications — montre que l'historien n'est pas à
son aise pour interpréter des recherches anciennes et quelques travaux récents, pour
donner un sens à des documents aussi épars et aussi mal datés. Les différences —
vues sous l'angle de la topographie — sont nettes entre deux villes pourtant relative-
36 P A. FEVRIER

ment proches, telles Diana Veteranorum et Thamugadi. Que dire lorsque l'on ne sait
précisément où situer la forteresse par rapport aux bâtiments publics de la ville
antique ? Ou lorsque les édifices tardifs offrent tant de différences de structure interne ?

DE QUELQUES ENCEINTES ÉTENDUES

En continuant à faire le tour de ces forteresses dont l'espace intérieur s'est


trouvé dégagé, nous sommes conduits devant deux cas très différents des précédents :
ceux de Sabratha et de Lepcis Magna.
La situation la plus claire est celle de Sabratha. Une muraille de 740 m de long,
tracée d'un point à l'autre du rivage, inclut un petit peu moins de 9 ha, c'est-à-dire
une partie seulement de l'habitat antique. C'est un mur en grand appareil que le
traité sur les Édifices de Procope attribue à Justinien. A l'intérieur est le forum. Sur
sa limite méridionale était une basilique civile à double abside ; celle-ci a cédé la
place à une basilique chrétienne qui n'occupe qu'une partie de l'espace (44). A
l'extrémité du portique du forum a trouvé place un baptistère que Ward-Perkins
attribuait à l'époque byzantine. Près de cette basilique, ainsi que vers la cour du
temple d'époque antonine (45), une nécropole s'est développée, dont de nombreuses
inscriptions ne peuvent remonter qu'au Vie siècle (46). Quelques tombes ont aussi
gagné le forum. Cela veut-il dire que celui-ci a perdu sa fonction originelle ?
Ici un développement incident s'impose. La règle de la sépulture à l'extérieur
de l'habitat est respectée sous le Haut Empire, et l'inscription du pantomime
Vincentius de Thamugadi en est le témoignage écrit (47). Cependant, dans le dernier
quart du IVe siècle, à Sitifis, en même temps que le quartier nord-ouest prend un
aspect urbanisé et que, sans doute, le rempart est édifié, deux basiliques funéraires
sont construites ; les sépultures les plus anciennes sont datées de 378 et de 389 (48).
D'autres basiliques du Ve siècle, comme celle d'Hippo Regius (49), traduisent le
même fait en pleine ville, dans le Ve siècle. Les publications de Noël Duval pour
Sufetula (50) et Ammaedara (51) apportent d'autres documents pour les Ve et Vie
siècles (52). Il est vrai que, dans tous ces cas, les sépultures sont dans les basiliques.
Mais comme un phénomène identique se constate en Gaule au début du Vie siècle,
au moins, et que l'évolution ultérieure conduit à la multiplication des tombes, par
exemple devant la cathédrale ou à ses abords immédiats, puisque ces espaces sont
restés ou devenus lieux de la vie publique, je ne vois aucune raison d'éliminer la
possibilité d'une vie politique sur le forum de Sabratha, de l'autre côté duquel, par
rapport à la basilique chrétienne, se trouvait la curie.
Et pourquoi ne pas imaginer que les temples continuaient à dresser leurs
frontons de part et d'autre de ce forum, vers l'est et l'ouest ? Il y a suffisamment de
temples encore debout dans le Maghreb et ailleurs pour que l'hypothèse soit
vraisemblable. Ce qui conduit à restituer un paysage monumental, pour le Vie siècle,
quelque peu différent de celui auquel on s'attendrait.
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 37

Derrière la curie, entre celle-ci et la mer, une autre basilique, du Vie siècle, a
été construite. Si l'on ajoute à cela le temple de l'époque antonine et un autre temple
à cour qui lui fait face, on s'aperçoit que la moitié environ de l'espace enclos de mur
était occupé par des édifices publics. Et encore tout n'est-il pas fouillé, ni publié... Y
avait-il donc la place à l'intérieur de ces murs pour un habitat ? Sans aucun doute.
Mais pour la totalité de l'habitat ? J'en doute, surtout lorsque je vois un groupe de
basiliques chrétiennes, à l'est de la muraille, mais dans un quartier proche de la mer.
La présence de baptistères et la complexité de cet ensemble aide à aller dans ce sens,
et les inscriptions funéraires ou tombes qui ont été trouvées, ici ou là, ne peuvent
suffire, comme je viens de le montrer, à écarter la suggestion.
Lepcis Magna offre une situation voisine. La difficulté réside dans l'existence
de deux tracés d'enceinte, non datés, et dans les conditions de dégagement des
ruines. On dispose d'un passage de Procope qui attribue des dommages causés à la ville
tant au sable qu'aux tribus indigènes (53), et qui fait l'éloge de la construction de
murs par Justinien. Pringle pense que la muraille la plus vaste, longue de 4 km,
tracée d'un point du rivage à l'autre de façon à inclure le port, est la plus ancienne,
mais que l'autre, aussi d'époque byzantine, n'en est pas très éloignée dans le temps,
du fait de sa technique de construction. Cette dernière n'a que 2,5 km environ.,
Pringle propose donc une surface de 44 ha pour la première et de 28 pour la seconde,
ce dont il faut, semble-t-il, exclure le port lui-même, si mes calculs sont exacts. Il est
à noter que la dernière enceinte est conçue pour isoler d'une part le vieux forum,
centre de la vie municipale avec la basilique et la curie, et les temples les plus
anciens, toujours important aux Ille et IVe siècles, même si le forum sévérien a
conservé davantage de textes épigraphiques, et d'autre part ce même forum sévérien
et la basilique transformée en lieu de culte chrétien. Près du forum ancien, une
basilique a été construite qui ne peut être antérieure au Vie siècle. La situation est ici
particulièrement intéressante parce que dans l'axe de cette basilique, en plein milieu
du forum, isolé, a été dressé le baptistère, qui s'intercale donc entre la basilique
civile et les temples. Ici aussi des tombes ont trouvé place aux abords de ces lieux de
culte, particulièrement dans le dallage du forum. Mais ce dallage n'a pas été ruiné,
car les dalles avec épitaphes s'y sont insérées comme dans le pavement d'une
basilique (54).
A Lepcis donc et à Sabratha, une grande part de la muraille sert à protéger ou
isoler des édifices publics, à usage profane ou religieux, voire à fonction
économique, comme le port de Lepcis. La résidence du dux limitis Tripolitanae provinciae
(55), attestée dès 534, et l'autre ville de la province présentent donc une organisation
de l'espace comparable et elles posent les mêmes problèmes relatifs à l'habitat,
actuellement insolubles, faute de fouilles.
Ce constat amène à s'interroger sur d'autres enceintes assez vastes, parfois
irrégulières. Parmi elles, celle de Theveste qui n'a pas moins de 7,5 ha et qui inclut des
bâtiments publics, dont le temple toujours debout, dit de Minerve, et sans doute le
forum. Ou encore telle d'Ammaedara qui, elle, n'a que 2 ha et demi.
Cette dernière ville est intéressante puisque plusieurs de ses monuments
viennent d'être étudiés par Noël Duval (56). Je note deux choses. La première est que
dans l'enceinte même, accolée à elle, est une petite basilique à tribunes : elle doit
38 P.A. FEVRIER

jouer un rôle semblable à celle de Thamugadi, celui de la chapelle de la forteresse.


La seconde est que cette fortification laisse en dehors d'elle le capitole dont les deux
colonnes, debout au siècle dernier, font supposer qu'il restait un élément du paysage
à la fin de l'Antiquité, ainsi que le forum et un marché. Extérieure aussi est la grande
basilique de Melleus dont un des autels — celui qui était placé dans les dernières
travées — avait reçu des reliques en 568/569. On a enterré dans ce lieu de culte, dont
la fonction exacte nous échappe, mais qui est très éloigné des nécropoles connues.
Nous voilà de nouveau renvoyés au problème des rapports entre la muraille et
l'habitat. •
Au moment où j'achevais les fouilles de Sitifis et où je tentais un bilan des
observations que j'avais pu faire en examinant essentiellement le terrain situé dans
la partie nord-ouest de la ville antique, tant les quartiers urbanisés après le milieu du
IVe siècle que ceux proches de la citadelle byzantine, plus anciens, j'étais amené à
réfléchir sur les textes arabes qui mentionnent toujours une ville, au moins jusqu'au
début du Xe siècle — El Bekri la dit ruinée par les Ketama — (57) et aussi sur le plan
que donnait Ravoisié. Celui-ci (58) indique une «enceinte du bas empire romain», de
forme oblongue, et qui prend appui sur la citadelle de Solomon à partir de ses angles
nord-ouest et sud-est. Cette ligne de murs se développe sur près de 1 300 m, en
englobant une dizaine d'hectares, la citadelle byzantine étant comprise à l'intérieur.
J'avais remarqué que sur les bords, et à quelque distance du fossé sec qui
accompagnait un mur très tardif— celui-là même que Delamare et Ravoisié ont dessiné —, se
trouvaient des silos ; je n'ai pu malheureusement en fouiller aucun. Mais Roger
Guéry, poursuivant mes travaux, a pu étudier une zone du temple détruit pour faire
face à la citadelle, et il avait reconnu là des niveaux médiévaux, avec de la céramique
modelée et des lampes du type de celles que l'on trouve dans les fouilles de la Kalaa
des Banu Hammad. J'étais donc conduit à penser que la muraille vue au XIXe siècle,
loin d'être une construction de la fin de l'Antiquité, devait être reportée à une
époque plus tardive. Elle englobe une ville médiévale. Cela a été depuis démontré
par les fouilles entreprises après l'abandon des terrains par les militaires. Et on peut
attendre de beaux résultats des stratigraphies très complexes qu'une tranchée —
malencontreuse mais heureusement arrêtée — a fait apparaître. Une série de
sondages a donc été programmée, et Anissa Mohamedi s'y était consacrée depuis quelques
années (59). La mort vient d'interrompre son oeuvre, au moment même où je rédige
cet article.
Entre la ville arabe ainsi définie, sans doute pour le Ville siècle et au-delà, et la
ville si vaste du IVe siècle, faudrait-il supposer qu'il n'y a qu'une citadelle byzantine
et un habitat de peu d'importance ? Je n'ose le croire, bien que je ne sois pas parvenu
à identifier des niveaux byzantins là où je travaillais, c'est-à-dire à deux cent mètres
environ vers le nord-ouest, mais dans des terrains très profondément perturbés par
des tranchées militaires.
A Theveste, la forteresse byzantine sert d'appui à une enceinte que le capitaine
Moll a pu reconnaître dans les premiers temps de la présence française, avant toutes
les modifications que la ville a connues. Elle paraît avoir une longueur de 2
kilomètres et demi et couvrir une cinquantaine d'hectares, dont les 7,50 ha de la forteresse
de Solomon. Moll pensait la construction byzantine ; Gsell (60) la croyait plus récen-
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 39

te, ce qui me paraît très plausible. Une seule fouille récente a été tentée dans cette
surface ainsi délimitée. A partir de 1965, le Service des Antiquités a commencé de
dégager un amphithéâtre, et nous avons eu la bonne fortune de constater que l'arène
avait été habitée (61). La plus ancienne occupation n'est datable que par une phase
d'abandon postérieure au début du Vie siècle. Ce niveau de destruction était
recouvert par une épaisse couche de terre cendreuse, qui pourrait correspondre à une
occupation par des nomades ou semi-sédentaires, qui n'ont pas laissé de murs bâtis.
L'analyse des fragments carbonisés a donné la date 900 + ou - 150. Quoiqu'il en soit
donc de la date de construction de la vaste muraille, il est certain que l'amphithéâtre,
rendu difficile d'accès par la fermeture de deux galeries du grand axe, était un lieu
habité entre le Vie et le Xe siècle.
La situation de Theveste n'est pas sans rappeler celle que décrit El Bekri, en
faisant référence à Mohammed ibn Youçof (62) : «Le château de Tobna, énorme édifice
de construction ancienne, est bâti en pierre et couronné par un grand nombre de
chambre voûtées ; il sert de logement aux officiers de la province et touche au côté
méridional du mur de la ville» ; celui-ci est décrit comme étant fait de briques. Je me
demande si on ne pourrait pas rapprocher ces fortifications des indices relevés au
début de la colonisation à Calama (63). Je sais bien que l'archéologie ou la
photographie aérienne font apparaître des enceintes vastes et assez anciennes ; mais l'idée
peut être lancée. Il est urgent, en effet, de rechercher les liens qui ont existé entre la
ville antique et la ville médiévale.
J'ajouterai une dernière remarque à propos de la topographie de ces villes — en
laissant à plus tard le moment de parler d'autres constructions, prises en compte par
Pringle ou par d'autres, comme les fortins byzantins. Toutes les villes n'ont pas eu de
forteresse byzantine, ni de l'époque de Solomon, ni des règnes qui ont suivi celui de
Justinien. C'est le cas de Sufetula, où ce qui a été pris pour une muraille tardive n'est
qu'un remaniement du mur périmétral de l'area du capitole, et où les constructions
de lieux de culte, en ville et dans la nécropole, au Vie voire au Vile siècle, ne
manquent pas — que ce soit la basilique des saints Gervais, Protais et Tryphon ou
celle des saints Sylvain et Fortunatus (63). Bulla Regia n'a pas non plus de forteresse
reconnue, et pourtant les deux basiliques du groupe episcopal doivent être placées à
l'époque byzantine.

DES LIEUX DE CULTE CHRÉTIEN

Les études récentes consacrées à des lieux de culte chrétien ont permis
d'enlever à l'époque byzantine un certain .nombre de constructions — c'est le cas de la
basilique martyrologique de pèlerinage de Theveste, que Jurgen Christern et moi
nous accordons à placer au début du Ve siècle — ou de mieux en situer d'autres
pendant la période vandale, ce qui a paru longtemps impensable, et force donc à une
révision des conditions de la création artistique, comme dans d'autres régions
soumises aux Barbares et à des Ariens.
40 P.A. FEVRIER

II est des villes où cette création se manifeste quantitativement. Noël Duval a


ainsi pu proposer de placer à l'époque byzantine plusieurs des sanctuaires de
Carthage (65). Certains sont dans la ville : il en va ainsi de la basilique qu'il appelle
de Dermech I — la mieux connue, depuis Paul Gauckler —, de Dermech II et peut-
être de Dermech III, trois basiliques voisines les unes des autres, auxquelles Wassila
Baïram-Ben Osman et Liliane Ennabli viennent d'ajouter le monastère de Bigua qui
a reçu des remaniements et un décor nouveau de mosaïques (66). Un peu plus au
sud, les fouilles de l'université de Michigan et surtout celles de l'équipe tunisienne
(67) ont fait voir, par dessus une basilique à trois nefs, un remaniement considérable
qui a doublé la surface couverte, et entraîné l'édification d'un baptistère,
transformation qui ne paraît pas antérieure au Vie siècle. Dans les nécropoles, il faut surtout
signaler l'énorme ensemble de Damous el-Karita, peut-être la basilica Majorant,
ainsi que Bir Knissia. Il n'y a donc guère de lieux qui ne soient marqués par l'époque
byzantine. Ce qui est vrai de la capitale de la province l'est aussi de villes diverses
que nous connaissons par des fouilles limitées : Bulla Regia, Sufetula, Sabratha,-
Lepcis magna ont déjà été citées et la liste n'est pas close.
Ce qu'il faut souligner, c'est l'apparition de types de plans nouveaux ou
d'élévations originales par rapport au plan traditionnel de la basilique à nef centrale et nefs
latérales — en nombre variable —, couvertes ou non de tribunes relativement basses.
En 1965, Jurgen Christern avait noté une transformation dans les basiliques à
tribunes entre le Ve et le Vie : un plus grand élancement de supports et parfois
l'introduction de coupole (68). Quelques années plus tard, lui-même (69) et Noël Duval
montraient l'importance de l'apparition du transept et donc d'un plan qui se veut
cruciforme, avec une coupole à la croisée. Par ailleurs, l'étude de la basilique marty-
rologique de la nécropole orientale d'Ammaedara, dite basilique de Candidus (70),
comme la comparaison avec la basilique du Kef, dite Dar el-Kous (71), montraient
l'introduction de voûtes d'arêtes sur les collatéraux. C'est là aussi chose nouvelle,
dans des lieux de culte où seules, jusqu'alors, des charpentes recouvraient les divers
espaces. Une plus grande complexité et une réelle diversité apparaissent aussi dans
l'architecture des absides, dont la calotte est renforcée de nervures qui retombent sur
des colonnades, comme dans la basilique de la citadelle d'Ammaedara et au Kef. Des
solutions aussi recherchées ont donné des résultats comparables à l'abside de Rusgu-
niae (peut-être) et à Thabarka. Ajoutons que l'adoption de plans complexes pour les
cuves baptismales — polylobées — apparaît comme une invention du Vie siècle (72).
Ce que l'on sait des mosaïques tombales (73), ou des pavements introduits dans
des édifices forcément tardifs à cause de leur architecture a conduit à mieux
distinguer la production de l'époque byzantine de celle des périodes antérieures — encore
qu'il reste toujours des difficultés pour placer, avec des arguments dirimants,
certains décors dans le Ve siècle ou un début du Vie vandale — et montre la variété
des ateliers. Ainsi, par exemple, un groupe paraît se détacher en Proconsulaire ou
Byzacène, de Carthage à Bulla Regia et Sufetula ou Ammaedara ; un autre se localise
sur le littoral : Sidi Habich, Sfax, El Mouassat, Iunca, La Skhrira, Hergla. Et cela,
tout comme le récent examen des mosaïques de Cyrénaïque (74), incite à ne plus
hésiter à abaisser la date de mosaïques de Numidie, comme par exemple celles de la
basilique sud du groupe episcopal de Cuicul (75).
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 41

DES AUTRES PRODUCTIONS ARTISTIQUES


ET DES ÉCHANGES ÉCONOMIQUES

Des mosaïques des lieux de culte, je suis tenté de passer au décor d'autres
édifices publics, et surtout à celui de la maison. La très récente publication des mosaïques
de Thuburbo maius montre que la basilique du marché a subi des remaniements,
postérieurs aux années 420/430 peut-être de plusieurs décades : de nouvelles
mosaïques ont été placées sur un remblai qui contenait des monnaies vandales et de la
sigillée D du Ve siècle. Sous une mosaïque de la basilique du forum de Caesarea, une
monnaie force aussi à situer des remaniements après la première décade du Ve
siècle (76). Cela est peu, mais si l'on pense que, voici une vingtaine d'années, rares
étaient ceux qui osaient proposer des dates avancées dans le IVe siècle et combien
fortes étaient les résistances, on mesure le chemin parcouru. Aussi suis-je sûr,
malgré ce que je peux lire encore dans la compilation de Katherine Dunbabin (77),
frileusement attachée à une vulgate qui passe de mode, qu'il sera bientôt possible de
situer des décors de maisons, non seulement dans le Ve — ce qui se fait déjà — mais
dans le Vie siècle.
Il y a, heureusement, un secteur de la documentation archéologique où l'audace
s'est révélée payante et où des certitudes s'ébauchent. Aux trois livres de Denys
Pringle, Jean Lassus et Jean Durliat, il faut joindre celui de Nourredine Harrazi (78).
Après une étude des chapiteaux de la Zitouna de Tunis, ce chercheur a fait
l'inventaire sérieux des chapiteaux de la grande mosquée de Kairouan. Dans cette arche
admirable, étalée depuis la première moitié du IXe siècle dans la steppe, la plus
grande part du décor taillé dans le marbre est antique, et près de la moitié des chapiteaux
réemployés — qu'il s'agisse de ceux composites ou corinthisants à feuilles
d'acanthes, épineuses ou dentelées, de ceux à acanthes gonflées par le vent ou encore à
figures animales, de chapiteaux-impostes — trouve son répondant ou son équivalent
dans l'Orient, où bien là où les ateliers de Constantinople ont exporté. Ces oeuvres
importées se placent soit vers la fin de l'époque vandale, soit lorsque Byzance étend sa
domination sur l'Afrique. Si bien qu'avec Harrazi on ne parvient pas à saisir une
rupture en 533. Cela tient pour une part à la tendance de nombreux archéologues
qui, avec raison, se refusent à des datations trop précises, ou tirent des conclusions
arbitraires de faits historiques d'une histoire événementielle. Cela doit tenir aussi au
fait qu'il y a un long courant d'échanges sur les rives de la Méditerranée, une
Méditerranée qui n'est ni coupée par l'empire maritime vandale, ni scindée entre
deux mondes, celui des Barbares et celui de la nouvelle Rome. M. Fulford (79) a
souligné, à partir d'observations faites sur le site de Carthage, le poids que
représentent les amphores venues d'Orient sur le site, à partir de la fin du Ve et dans la
première moitié du Vie siècle. Le phénomène n'est pas propre au Maghreb, puisque
Françoise Villedieu, argumentant à partir de fouilles et de comptages de céramiques
faits pour le site de Porto Torres en Sardaigne (Turris Lisibonis) (80), a suivi la même
42 • P.A. FEVRIER

courbe ascendante. De même à Rome, vers le milieu du Ve siècle, une première


analyse, faite par Clementina Panella (81), du matériel fourni par la fouille de
Patrizio Pensabene, au temple de la Magna mater sur le Palatin, montre cette
concurrence de l'Orient et les amphores africaines en passe d'être dépouillées de leur
monopole.
En manière de boutade — mais d'une boutade qui veut faire réfléchir—, j'en
viens à me demander si la reconquête militaire n'a pas été précédée par une
reconquête économique, tout comme la conquête de l'Afrique par Scipion a été
précédée par les importations de céramique à vernis noir venues de terres soumises déjà à
Rome. Et d'une autre façon, je me dis que les vers écrits par un Florentinus, à la
gloire de Thrasamund (496 - 523), sont autre chose qu'un simple artifice littéraire :
«A lui seul il détient tout ce que l'univers peut offrir de meilleur, les incomparables
joyaux qui brillent de leurs feux chez le Parthe inacessible, les sables rutilants qu'en
Lydie on arrache au Pactole, les tissus aux mille couleurs que l'on teint chez les
Sères...» (82).
Des importations, il y en a donc, plus variées que ne le laisseraient supposer les
seuls objets trouvés dans les fouilles et ceux dont la nature permet la conservation —
marbres, objets fabriqués pour contenir des marchandises, vaisselle de table ou de
cuisine, verres. Mais que donne l'Afrique, en dehors de l'huile qu'évoque le même
poème de Florentinus et qu'elle envoyait abondamment dans des amphores, depuis
plus de trois siècles vers Rome et les provinces (83), ou du vin (84), ou du blé ? Et
que donne-t-elle au Vie siècle ? Il n'est pas encore possible d'apporter des
informations quantitatives — les problèmes de méthodes d'interprétation sont complexes —,
ni même bien datées. Il n'est pas encore possible de se mettre d'accord sur les
variations que l'on constate à partir de sites ou de strates très diverses et éparses. Mais
quelques indices doivent être dès à présent relevés, pour faire apparaître que
l'Afrique du Vie siècle donne, et donne en particulier vers la Méditerranée
occidentale.'
Je relève par exemple que les derniers travaux effectués sur le chantier de la
Bourse à Marseille, c'est-à-dire dans une corne du port qui s'est envasée tardivement
et où des constructions ont pu être établies sur des vases consolidées d'un nouveau
rivage, ainsi qu'aux abords immédiats, près de la rue qui entre dans la ville à travers
l'enceinte hellénistique — encore à cette époque-là debout, du moins à mon
sens — (85), montrent que les sigillées D africaines sont toujours présentes au Vie
siècle et que le «commerce maritime de Marseille— ainsi s'exprime Michel
Bonifay — paraît ne subir aucun fléchissement, au moins jusqu'au milieu du Vie
siècle». La prudence s'impose en effet parce que les strates plus récentes ont été
emportées par les remaniements médiévaux et modernes. A Porto Torres (86), où
pourtant les couches tardives sont moins riches que celles contemporaines de la
destruction de greniers et l'établissement d'un mur de défense au milieu du Ve siècle,
des formes tardives de sigillée D (Vie et même Vile siècles) ont été recueillies. Il
semble en être de même à Sperlonga (87), mais il est assez difficile de tirer des
informations précises et surtout pertinentes de ces sites ruraux qui paraissent connaître
une crise en Occident, précisément à cette période. Si bien que la raréfaction de
céramiques africaines utilisées pour la table risque de traduire seulement une situation
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 43

européenne. Plus difficile est l'utilisation des lampes d'origine africaine (88). Leur
présence est assurée, mais est-ce au Ve ou au Vie ? et dans quelle quantité ?
Ces résultats précis, qui vont permettre de mesurer l'importance et les limites
du travail de Hayes (89), se multiplieront certainement dans les années à venir.
L'étude de cette vaisselle de table devra être reliée à celle des amphores — et à celle
de leurs concurrentes orientales — et c'est là la seule voie qui nous permettra de
juger de la vitalité de l'Afrique byzantine. Encore faudra-t-il qu'à ces enquêtes
menées en Europe ou en Orient viennent s'ajouter des fouilles faites au Maghreb.
Nous commençons d'entrevoir la situation dans certains quartiers de Carthage,
comme ceux fouillés à la périphérie de la ville antique, tout près de la vaste nécropole
septentrionale et de la basilique de Damous el-Karita. La fouille italienne fait voir un
abandon relativement généralisé des îlots jusqu'alors habités — ou du moins habités
depuis le Ile siècle — à partir de la reconquête, l'implantation de tombes, en même
temps que la restauration de l'enceinte de Théodose (90). Par contre, près du rivage,
l'équipe allemande a montré les nombreux remaniements des Vie - Vile siècles, qui
n'altèrent pas le quadrillage colonial, et ce malgré les bouleversements des couches
supérieures (91). L'îlot de l'Amirauté, au centre du port circulaire (92), a connu lui
aussi des remaniements, que Henry Hurst a proposé de placer à l'époque de Justi-
nien, voire plus tard ; reste à interpréter la présence de tombes dans cette zone. Ces
rapports préliminaires devront être regroupés et il faudra du temps avant que l'on
puisse vraiment passer à l'interprétation historique du devenir de la ville, à une
époque tardive. D'expérience, je sais combien il est difficile, même sur des sites
moins étendus, de parvenir à une lecture cohérente (ou encore à des lectures
différentes) d'un site urbain où les couches de la fin de l'Antiquité comme du Haut Moyen
Âge sont rarement protégées par des strates ultérieures et ont subi de très graves
dommages. Cela me semble vrai aussi pour Carthage, à en juger par les discussions —
trop partielles, il est vrai — que j'ai pu avoir avec des fouilleurs. Je viens de voir, en
peu d'années, se modifier fondamentalement la vision d'un port important comme
celui de Marseille ou d'autres villes plus modestes, et ma prudence — souvent
critiquée — devant des reconstructions trop belles — a tendance à se renforcer. Je sais
aussi que les céramiques ou certains matériaux qui se conservent aisément ne
peuvent être les seules sources d'une connaissance du milieu.
Il y a, je pense, une autre raison à cette prudence d'un historien qui essaie,
depuis des années maintenant, de suivre la trace des traditions antiques et qui nie le
concept de décadence — fidèle en cela à la leçon reçue de son maître (93) — : j'ai vu
reculer les limites de nos connaissances et j'ai vu confirmer les hypothèses que je
présentais, au milieu des réticences de beaucoup, sur le IVe et le début du Ve siècle.
Aussi voudrais-je que l'on évite de faire maintenant de l'époque byzantine en
Afrique une fin.

DE QUELQUES TRANSFORMATIONS
DANS L'HABITAT URBAIN ET RURAL

Carthage n'est pas l'Afrique, et la capitale d'une région si vaste et multiforme


n'est peut-être pas le lieu privilégié — si tant est qu'il en est — pour une réflexion sur
44 P.A. FEVRIER

le devenir de ces villes. L'interrogation qui vient obligatoirement à l'esprit est celle
qui ne cesse de préoccuper les historiens depuis de nombreuses décades : que sont
devenues ces villes avec la conquête arabe ? Dans quel état se trouvaient-elles au
moment où les premiers arrivants se présentèrent devant elles ? Qu'en firent-ils ?
A lire, il est vrai, avec un certain nombre de présupposés, nés d'une analyse
d'historiens médiévaux ou de l'Antiquité, les géographes arabes dans les traductions
qui me les font connaître, j'ai toujours eu l'impression qu'ils ne nous révélaient de la
ville qu'ils avaient vue, quelques siècles après la conquête, ou que des descriptions
leur faisaient connaître, qu'une image typée et réductrice. Qu'ils étaient obligés de
laisser de côté bien des sites. Mais aussi qu'ils sentaient bien — sauf exceptions
parfois relevées— l'héritage du passé antique.
Autre chose est la continuité d'occupation d'un espace ; autre chose est la façon
de l'organiser. Et lorsque l'on ne dispose pas de fouilles stratigraphiques et lorsque la
documentation est très éparse, il reste la possibilité de dégager quelques aspects
d'une typologie. Nous avons déjà vu apparaître un des aspects de la ville : la présence
du rempart, d'époque toujours indéterminée, que ce soit à Sitifis, Calama ou
Theveste, et à Tubunae. Peut-être aussi sa non-existence : à Sufetula ou Ammaedara.
Essayons maintenant d'entrer dans l'habitat lui-même.
A Sufetula, en bordure de la rue antique qui conduit du centre vers l'arc
d'époque tétrarchique, non loin de la basilique des Saints Gervais, Protais et Tryphon et de
thermes très tardifs, sont trois constructions rectangulaires, appelées communément
fortins. Dans les deux dont Noël Duval a donné le plan (94), on distingue chaque
fois deux structures dissemblables : un noyau médian avec un puits de lumière et
des pièces disposées autour, et une enveloppe de pierres de taille sans ouverture, ce
qui conduit à restituer un escalier qui conduisait à l'étage. Deux étapes dans la
construction — ce que suggère la ressemblance des organisations spaciales — ou deux
périodes ? Peu importe, dans la mesure où l'on n'a pu donner d'arguments
stratigraphiques pour une date. Des constructions semblables — du moins par leur aspect
extérieur — Gnt été signalées à maintes reprises par le passé, ou restent encore
visibles, dans l'attente d'une fouille. Cela a été noté en d'autres secteurs à Sufetula, mais
toujours à une certaine distance de l'arc de triomphe, et aussi à Ammaedara ou à
Bulla Regia. Dans ce dernier cas, Denys Pringle reste très dubitatif. Gsell a signalé
des constructions identiques, parmi lesquelles le «fort» d'Aquae Caesaris avoisinant
la source thermale (95) : c'est un carré de 14 m de côté qui regroupe huit pièces,
autour d'un neuvième espace qui pourrait être à ciel ouvert. Les constructions de
Sufetula ont 24/20 m ou 22/22.
Jean Lassus, en publiant le fort de Thamugadi, n'a pas voulu laisser de côté une
construction en grand appareil de 29 m sur 25, faite de deux espaces accolés — 29/11
et 21/13, 5 - coupés par des murs de refend, de techniques différentes. Au voisinage
est une fontaine, faite de remplois. Je n'ai jamais vu de raison de rattacher cet
ensemble au fort de Solomon. J'y ai toujours vu une maison, ce qui n'est pas l'opinion de
Jean Lassus, qui y voit une dépendance de la citadelle. Le texte qui nous est donné
n'apporte pas de preuve et je maintiens ma première lecture.
Les découvertes d'Ammar Mahjoubi à Henchir el-Faouar (Belalis maior) (96)
me confortent dans cette vue. Dans la partie nord du site, la grande basilique a cédé
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 45

la place à un «fortin» grossièrement rectangulaire (38,80 ou 34, 20 sur 27 et 26, 50 m),


dont l'entrée est au sud, vers le centre de la ville antique, et non vers la plaine que ce
quartier domine. Cette construction présente un plan intérieur difficile à restituer,
du fait des travaux antérieurs aux campagnes de fouilles des années 1965 et
suivantes. On y devine cependant une grande cour qui occupe tout l'angle nord-est et des
pièces aux fonctions indéterminées. On est là devant une construction postérieure à
la conquête arabe, puisque la basilique est effacée, et occupée jusqu'aux époques
fatimide et ziride. Immédiatement à l'ouest, deux autres bâtiments rectangulaires, à
cour centrale, ont été reconnus qui témoignent, malgré l'absence de sondages
profonds, des remaniements du quartier.
Denys Pringle a fait le rapprochement entre les bâtiments de Sufetula et des
fermes rurales, souvent elles aussi perçues comme fortifiées. Je n'entends pas ici
entrer dans cette question complexe de ces constructions, car cela devrait faire
l'objet d'une étude globale et précise ; et l'enquête devrait être menée en faisant
abstraction de tout ce qu'une littérature érudite nous a laissé à la fin du XIXe ou au tout
début du XXe sur l'insécurité des campagnes, tant pour les débuts de la colonisation
romaine que pour la fin de l'Antiquité. Bornons-nous à constater que nous
apercevons, à partir de ces maisons tardives, une restructuration de l'espace urbain, qui
n'est plus fait de maisons juxtaposées ou regroupées en îlots, selon les axes d'un
quadrillage plus ou moins régulier, de façon dense, mais qui fait éclater l'espace habité
en une série de constructions, souvent séparées les unes des autres. Cela est donc
clair, dans le cas d'Henchir el-Faouar, pour les premiers siècles de l'Hégire ; mais
nous ne pouvons pas savoir si ce n'est pas l'héritage d'une situation plus ancienne qui
aurait, dès le Vie ou le Vile siècle de l'ère chrétienne, modelé — au moins par
endroits ou dans certains sites — la vie urbaine d'une façon nouvelle. Est-ce le signe
d'une ruralisation ? La question doit être posée.
Avant de passer à d'autres modifications de la ville, je voudrais m'attarder
quelque peu sur les constructions rurales de type voisin, que les travaux de Denys
Pringle et de Jean Durliat invitent à considérer.
Sur le site de Ksar Lemsa, a été trouvée en 1888 une inscription de l'époque de
l'empereur Maurice (582-602) : trois frères (97) Maximianus, Stephanus et Mellosus
ont édifié une (?) tour : Ediflkbimus turr (im)... Edifikberunt III f (ratres)
Maximianus, Istefanus et Mellosus. Dans la région au sud de Tebessa, à Henchir Bou Sboa, un
certain Masticana, à l'époque de l'évêque Faustinus, a construit une munitio du
fundus (98). Enfin, à Ain Ksar, entre Casae et Lamiggig (i ?) (99), sur la route de
Lambaesis à Constantina, plusieurs personnes se sont associées pour construire un
castrum : hic k(a)st(rum) consent [i] e(n) tes sibi cives istius loci ...de suis pr(o)p(riis)
laborib(us) fecerunt. Suit une liste de noms disposés par colonnes, mais que, d'une
façon curieuse, Jean Durliat ne veut pas lire colonne par colonne. Or cela a une
importance, car à la fin de la première colonne se voient les lettres CAMPIDVCT qu'il
faut développer en campiduct(or). Jean Durliat lit donc, en fin de liste, Victorin(us)
campiduct(or), alors que je lirais beaucoup plus volontiers — et de façon logique — :
Gudulo... Dom(i)n(i)c(us), Campiduct(or), ... Victorin(us), Guntari ... Je ferais donc
de ce mot non un titre mais un nom comme les autres. Et je ne verrais là que des
paysans habitant un locus, dépendant donc d'un chef-lieu de cité inconnue et non
46 P.A. FEVRIER

quelques paysans groupés sous l'autorité d'un gradé. Quant au Focas — Focas magis-
ter fecit — , Durliat en fait le lapicide ou le maçon ou plutôt le maître d'oeuvre. Je ne
puis m'empêcher de penser au titre si souvent utilisé sous l'empire, en Afrique, pour
désigner le responsable d'une entité administrative, par exemple dans les castella de
la confédération cirtéenne.
Jean Durliat a noté que le terme de turris — qui mériterait une étude plus ample
dans le contexte du Maghreb antique, voire en dehors — s'applique à autre chose
qu'une fortification ou à une partie d'une défense. De même le mot castrum ne
recouvre pas obligatoirement un poste militaire. Et je suis dès lors amené à penser
à une construction, comme celle qui est mentionnée, dans la confédération
cirtéenne, dans une région très urbanisée et où la campagne ne semble pas être menacée.
Une dame Caelia Maxima, clarissima femina, a chargé un actor de rang servile de
construire turres salutem saltus (100). Une autre turris perfecta a été élevée dans un
domaine du Sud tunisien (101). Je pense aussi à l'allure fortifiée que le propriétaire
de la ferme du Nador, entre Tipasa et Caesarea, le flamine perpétuel, M. Cincius
Hilarianus, a cru devoir donner à la façade septentrionale de sa résidence
rurale (102). J'y adjoindrai l'inscription que le perfectissime M. Aurélius Vasefan (?)
a fait placer dans ses domaines: castrant ...laboribus suis ... perfecit (103).
Il y a là une continuité dans le vocabulaire qui paraît traduire une similitude de
situation, à laquelle il faudrait être attentif, car j'ai toujours été méfiant devant le
terme de ferme fortifiée ou de fortin, qui sert à désigner quantité de constructions de la
région de Tbessa (104). Mais revenons-en à la ville tardive.
Je veux verser au dossier un dernier document qui révèle des modifications
différentes de celles qui ont été précédemment envisagées. Dans les premières
années de ses interventions à Tipasa, Jean Baradez (105) a constaté que l'esplanade
du temple situé en contre-bas de la colline du forum et en bordure du décumanus
principal avait subi de nombreux remaniements. Les plans alors dressés n'ont pas été
publiés et sont restés dans les archives du Service des Antiquités. On s'aperçoit que
à'
Varea du temple a cédé la place une basilique chrétienne à trois nefs (106). Puis,
des murs sont venus couper tout cet espace, en débordant même sur la voie. La
basilique a été cancellée et si certains éléments, comme des piliers, sont restés en
place — tout comme le sont restés les murs du péribole du temple —, un habitat a pris
le relai. Habitat non daté, mais qu'il est difficile de situer avant le Vile siècle. On
aurait donc une situation comparable à celle d'Henchir el-Faouar — destruction
d'une basilique chrétienne —, mais la structure même du quartier n'en paraît pas
modifiée sensiblement : les deux rues qui se coupent à angle droit semblent toujours
exister dans cette dernière phase, non datée stratigraphiquement. Et de l'autre côté
de la rue nord-sud, il semble possible de voir des remaniements aussi importants, à
l'intérieur d'un autre îlot. Ainsi donc, dans une ville où la céramique byzantine
tardive ne paraît pas manquer, à en juger du moins d'après les quelques pièces
conservées dans le musée, mais où l'on ne savait rien d'une occupation plus récente,
ces remaniements doivent pris en compte.
Partant des restes les plus spectaculaires de la présence byzantine en Afrique,
j'ai été conduit à considérer d'autres espaces de cette histoire. Mais il aura été clair
que l'enquête n'en est encore qu'à ses débuts. Certes, une archéologie fondée sur les
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 47

monuments peut apporter beaucoup, mais elle doit être complétée par d'autres
recherches. Elle est aussi insuffisante qu'une archéologie qui entend souvent
aujourd'hui faire fi des monuments les plus prestigieux ou de leur décor, soit encore
des textes. Pour approcher une réalité où nos sources sont si pauvres, et où les
schémas d'interprétation sont remis en cause, il importe de se servir de tout ce qui
peut tomber sous la main. A la condition de bien percevoir le degré de validité de ces
séries documentaires hétérogènes.
Ce qui vient d'être dit vaut essentiellement pour la ville, unique objet — par
force — de bien des analyses. Or cette ville est vue par les auteurs anciens ou
modernes à partir de certains a priori qui ne sont dangereux que si on oublie qu'ils existent.
Or, notre vision de l'Afrique byzantine — et particulièrement des villes, lieux de
l'exercice du pouvoir et de sa manifestation nécessaire — a été fortement marquée
par le traité de Procope sur les Edifices, et par ses récits de guerre, comme par la
Johannide de Corippe. L'Afrique découverte par Procope de Césarée, après les
campagnes auxquelles il a participé contre les Perses, est une réalité qui lui était
étrangère. Sa position auprès de Bélisaire, puis de Solomon, ont fait de ce lettré un
observateur indispensable. Mais il a certainement été surpris, lui qui venait du front
oriental, de l'absence de murailles dans les villes. Et il lui faut donc attribuer cela
aux Vandales (107) soucieux de tenir le pays, alors que bien des agglomérations
devaient leur aspect de ville ouverte à leur extension ancienne. Si elles avaient
parfois gardé un rempart — signe de leur importance et de leur fonction — cela était
dû à l'ampleur des programmes d'un moment, car souvent les murs primitifs avaient
disparu sous des remaniements. Avoir une muraille, avoir une défense, exister, cela
était tout un pour ce nouveau venu, à la fois parce qu'il était l'héritier d'une tradition
classique et parce que la vie auprès des militaires lui était devenue naturelle. Sa
vision de la ville est donc une vision déterminée par une stratégie du pouvoir comme
de la défense.
Il serait intéressant de cerner aussi la façon dont Charles Diehl a compris son
travail. Denys Pringle a bien vu l'intérêt d'une telle approche ; mais une étude des
sources de Diehl lui-même et des contacts qu'il a eus reste à faire. Je note l'intérêt
qu'il a pris aux observations d'un officier du Génie installé à Tbessa, le capitaine
Moll (108), dont il cite un long passage, celui précisément relatif au «réseau des
fortifications byzantines établies de tous côtés» et à la politique de Solomon. Or Moll
publiait ces pages en 1860 - 1861, trente ans avant Diehl. L'oeuvre de Diehl elle-
même a été possible par la soumission de la Tunisie : une dizaine d'années à peine
s'est écoulée lorsqu'il se met à parcourir le terrain en demandant l'aide des
administrateurs et des militaires. Il faudrait s'interroger sur l'effet de cette tournée des
popotes. Tout aussi important est l'impact de l'amitié — il y fait allusion dans son
introduction — de René Coudray La Blanchère qui, mettant à profit son expérience
algérienne, tout comme le faisaient, à leur façon, les officiers envoyés de l'autre côté
de la frontière, écrivait une histoire de l'hydraulique fort opportunément tournée
vers l'Enfida — et donc vers la société franco-africaine qui commençait à la mettre en
valeur. Les discussions n'ont pas dû manquer avec René Cagnat qui, en 1893,
faisaient sortir des presses son Armée romaine de l'Afrique. Diehl a été sensible à la
différence entre cette oeuvre des 1er - Ile - IHe siècles et ce qu'il était amené à res-
48 P.A. FEVRIER _

tituer — cette série de lignes de défenses conduites jusque dans la Tunisie


septentrionale —, et Denys pringle a eu beau jeu de montrer que cela ne pouvait être une
explication. Diehl, tout comme Cagnat et bien de leurs contemporains, n'a pu voir les
fondations urbaines ou les enceintes qu'en fonction d'une stratégie militaire. Et cela
et la lecture de Procope ne pouvaient que conduire à une vision de l'Afrique dont la
cohérence a rarement été mise en doute, jusqu'à ces dernières années.
Bien des raisons m'ont poussé à une remise en cause d'une histoire trop
préoccupée par les problèmes militaires. Il y a une stratégie du pouvoir de Rome, comme
de celui de Byzance, dans la mise en place d'un réseau urbain ou sa consolidation,
dans le développement des activités économiques ou l'extension des terres cultivées.
Mais cette stratégie passe par d'autres voies qu'un simple quadrillage militaire.
La vision que Diehl a eue de l'Afrique byzantine — «un dernier reflet de la
civilisation romaine ; sans Justinien, le royaume vandale, si faible, eût bien vite cédé la
place à la sauvagerie berbère» — a une importance non seulement pour ce siècle et
demi de domination par l'Orient, mais pour son devenir ultérieur. A centrer
exclusivement une histoire sur des révoltes maures ou sur un réseau défensif, on en vient
automatiquement à ne plus percevoir la ville dans sa diversité, maintenant
reconnaissable à travers bien des indices archéologiques. Et donc à ne pas
comprendre les premiers siècles de l'Hégire. Car si l'étude de l'Afrique (109) passée sous
l'autorité de Byzance importe à la connaissance de l'Antiquité, elle n'en demeure pas
moins indispensable pour l'intelligence d'un avenir (110) qui arrache ces provinces
aux rivages septentrionaux de la Méditerranée, à Rome et à la Gaule et à leurs
prolongements. Le discours de l'historien n'est jamais neutre, mais il peut aider à
plus de lucidité pour approcher la réalité d'un temps qui n'a pas cessé d'être nôtre. A
sa façon, un jeune poète disait déjà l'enjeu politique de toute l'histoire du Maghreb :
Nascitur Arabiis ingens in collibus infans
et dixit levis aura : Nepos est Me Iugurthae (Rimbaud).

NOTES

(1) Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, histoire de la domination byzantine en Afrique (533 • 709)
Paris, 1896.
(2) Chr. Courtois, Les Vandales et l'Afrique, Paris, 1955.
(3) Je ne citerai, en m'inspirant d'une remarque d'H.-I. Marrou, que la mise à l'écart de textes
de l'Anthologie latine. Or ces documents sont d'une importance capitale pour restituer la culture
classique à la cour des derniers souverains vandales. Des collègues historiens et latinistes de Montpellier
préparent une étude de certains de ces textes, dont ils m'ont fait part oralement.
(4) L'article de Noel Duval, «Observations sur l'urbanisme tardif de Sufetula», dans Les cahiers
de Tunisie, t. 12, 1964, p. 87 - 103, marque une étape dans la réflexion archéologique pour cette
période. On aura recours aux ouvrages qu'il a écrits ultérieurement, et dont je citerai certains plus loin. Sur
les institutions, voir A. Chastagnol et N. Duval, «Les survivances du.culte impérial dans l'Afrique du
Nord à l'époque vandale», dans Melanges d'histoire ancienne offerts à William Seston, Pans, 1974
p. 87-118.
(5) A l'article de J. Carcopino, dans Rev. des et. anc. , t. 46, 1944, p. 94 - 120 et au livre de Chr.
Courtois, s'ajoutent les observations que l'on peut tirer de J. Marcillet-Jaubert, Les inscriptions d'Alta-
va, Aix -en-Provence, 1968 et la thèse de Fatima Kadra, Les Djedars, monuments funéraires berbères de
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 49

la région de Frenda (wilaya de Tiaret, Algérie occidentale), soutenue à Aix (Université de Provence), et
dont il faut espérer que l'impression en cours sera menée à bonne fin.
(6) Ch. Diehl, «Rapport sur deux missions dans l'Afrique du Nord (avril -juin 1892 et mars -
mai 1893)», dans Nouv. arch, des missions, t. 4, 1893, p. 285-434.
(7) D. Pringle, The Defence of Byzantine Africa from Justinian to the Arab Conquest. An account
of the military history and archaeology of the African provinces in the sixth and seventh centuries, Oxford
( = BAR int. 99), 1981.
(8) St. Gsell, Les monuments antiques de l'Algérie, t. H, Paris, 1901, p. 344-395. .
(9) J. Durhat, Les dédicaces d'ouvrages de défense dans l'Afrique byzantine, Rome, 1981. Ce qui
dispense d'utiliser le relevé de Pringle.
(10) En a été extrait J. Durhat, «La lettre L dans les inscriptions byzantines d'Afrique» dans
Byzantion, t. 49, 1979, p. 156 - 174. Ce qui a suscité un article très sévère de N. Duval, «Comment
distinguer les inscriptions byzantines d'Afrique, un problème de méthode», dans Byzantion, t. 51,
1981, p. 511 -532. Voir aussi J. Durliat, «Écritures écrites et écritures épigraphiques, le dossier des
inscriptions byzantines d'Afrique», dans Studi medievali, 3e s., t. 21, 1980, p. 19-46.
(11) J. Lassus, La forteresse byzantine de Thamugadi, fouilles à Timgad 1938-1956, I, Pans,
1981. Le tome II, confié à M. Le Glay, donnera les inscriptions et la description du temple.
(12) Sur ces poternes, partiellement bouchées ou fermées, voir des photographies données par
J. Lassus, p. 92 - 93, fig. 61-63. Mais on rapprochera utilement, par exemple cette fig. 63 du plan de la
page 25, fig. 9, qui doit être daté après 1946 - 1947, parce que je possède la photographie d'un état des
constructions adventices situées à l'ouest des pièces 63 et 67 des «casernements» de Jean Lassus. Or
ce plan de la p. 25 est réutilisé pour donner le plan hors-texte et donc faire figurer des murs qui
n'existent plus (ou n'ont jamais existé ?) : voir fig. 24 p. 63 et fig. 63, p. 93. La raison de mon doute est la
suivante : figure en amorce, dans les fondations, un mur sous la poterne. Un exemple à ajouter aux
difficultés d'interprétation. Un autre : l'escalier de la fig. 44 p. 77 a de fortes chances d'être moderne : c'est
l'accès au point le plus élevé du monument.
(13) Je me sépare en cela de J. Lassus, p. 156, car je ne puis penser que l'on rebaptisait les
hérétiques au Vie siècle en Afrique, après tant de querelles sur le dit-point, après 312 et avant.
(14) A. Berthier, «Établissements agricoles antiques d'Oued Athmenia», dans Bull, d'arch.
alg., t. I. 1962 - 1965, p. 7 - 12. J'ai vu moi-même le site.
(15) J. Chnstern, Dasfrùhchnsthche Pilgerheiligtum von Tebessa, Wiesbaden, 1976, p. 90-94.
On lira avec intérêt les remarques de N. Duval et J.-C. Golvin, «Haidra à l'époque chrétienne IV : les
monuments à auges et les bâtiments similaires» dans CRAI 1972, p. 133 - 172 et particulièrement p.
168 ; voir aussi dans MEFRA, «Antiquité», t. 84, 1972, p. 675 - 719 (avec Y. Duval) et t. 88, 1976, p.
929-959.
(16) J. Durliat, Les dédicaces..., p. 47-53, numéro 19.
(17) Description de l'Afrique septentrionale, trad. Mac Guckin De Slane, rééd. 1965 qui reprend
celle d'Alger, 1911-1913, p. 108, numéro 124.
(18) Gesta apud Zenophilum, éd. C. Ziwsa, CSEL, t. 26, p. 185 - 197.
(19) H.-G. Pflaum, Les carrières procuratonennes équestres sous le Haut-Empire romain, Paris,
1961, t. III, p. 1094 (CIL VIII, 2757) ; penser aussi au P. Iulius Liberahs, étudié par J. Gascou dans
Ant. afr., t. 14, 1979, p. 189-196.
(20) A. Chastagnol, L'album municipal de Timgad, Bonn, 1978, p. 33 -39. Je me sépare des
interprétations sur les clenci à cause des textes conciliaires de même époque, en particulier c. 5 et 10
du Concile de Carthage de 345-348, éd. C. Munier, CC, t. 149, p. 6 et 8.
(21) J. Durliat, Les dédicaces, numéro 2, p. 9-11 ; numéro 6, p. 18-21 ; numéro 10, p. 25-26 ;
numéro 14, p. 35 -37.
(22) Ibid., numéros 12 et 13, p. 25-35 ; numéro 24, p. 57-59.
(23) Ibid. , numéro 23, p. 55 - 57. J'ai revu la pierre et fait la photographie donnée à la page 56,
tout comme les autres photographies du même recueil qui proviennent d'Algérie.
(24) Ibid., numéro 10, p. 26.
(25) Ibid., numéro 15, p. 37-42.
(26) St. Gsell, Les monuments..., t. II, p. 369.
(27) Ce problème m'a déjà préoccupé : «Évolution des formes de l'écrit en Afrique du Nord à la
fin de l'Antiquité et durant le Haut Moyen Âge», dans Tardo antico e Alto Medioevo, Rome, 1968, p.
50 P.A. FEVRIER

204 - 206 ( = Ace. naz. dei Lmcei, anno CCCLXV, quaderno numéro 105). Je suis surpris de la
disparition, avec la fin du IVe siècle, de toute une série de documents qui abondaient sur les places publiques
ou les monuments d'Afrique. Je ne pense pas que cela signifie rupture dans les constructions ou dans
la vie municipale ; cela indique plutôt une modification dans les conditions de transmission de l'écrit
ou dans la manière de le concevoir. J'ai essayé de le suggérer dans une communication restée
dactylographiée lors du Colloque de l'Institut Gramsci, qui a eu heu à Naples en octobre 1982. Je pense en
particulier que l'importance prise par le décor en mosaïque — sur le sol et les parois — est un élément à
prendre en compte.
(28) Procope, De aed. , VI, 7. Sur ce texte J. Desanges, «Un témoignage peu connu de Procope
sur la Numidie vandale et byzantine», dans Byzantion, t. 33, 1963, p. 41 -69.
(29) L'Afrique..., p. 382-383.
(30) «Permanence et héritages de l'Antiquité dans la topographie des villes de l'Occident
durant le Haut Moyen Âge», dans Sett, di studio del centro it. di studi sull'alto medioevo, XXI, Topogra-
fia urbana e vita cittadina sull'alto medio evo m Ocadente, Spoleto, 26 aprile - 1 maggio 1973, Spolète,
1974, p. 107, article absent de la bibliographie, pourtant très abondante, de Pnngle.
(31) St. Gsell et Ch. A. Joly, Khamissa, Mdaourouch, Announa, seconde partie, Mdaourouch,
Pans, 1922, p. 126-132.
(32) L'Afrique..., p. 73-74.
(33) Les dédicaces..., p. 97, note 13.
(34) Elle apparaît même bouchée sur une vieille photographie donnée par St. Gsell, pi. III, 2,
alors qu'actuellement l'ouverture existe. J'ai pensé un instant que le niveau du sol du théâtre avait pu
être surélevé par des remblais, mais se poserait toujours le problème du passage entre l'ancien forum
et un terrassement qui serait alors en contre-haut.
(35) Cl. Poinssot, Les ruines de Dougga, Tunis, 1958, p. 40 - 41 ; voir pourtant sa photographie
aérienne pi. VI et les vues données par D. Pnngle, pi. Lib, Lllb et LlIIb.
(36) A. Chastagnol et N. Duval, «Les survivances du culte impérial dans l'Afrique du Nord à
l'époque vandale», dans Mélanges. . . W. Seston, p. 97 - 100 ; N. Duval et Fr. Prévôt, Recherches
archéologiques à Haidra, I, Les inscriptions chrétiennes, Rome, 1975, p. 273-277, numéro 413.
(37) P.-A. Février, A. Gaspary, R. Guéry, Fouilles de Sétif (1959 - 1966). Quartier nord-ouest,
rempart et cirque, Alger, 1970, p. 85, et plan de Ravoisié, p. 84, dit par erreur de Delamare. Ce dernier a
donné le même plan mais sans datation pour cette muraille.
(38) J. Durliat, Les dédicaces..., p. 87-88, numéro 37.
(39) Kh. Belkhodja, «Ksar Lemsa», dans Africa, t. II, p. 313-348.
(40) J. Durliat, Les dédicaces..., p. 77-78, numéro 30.
(41) N. Duval, «Études d'architecture chrétienne nord-africaine. V. La «basilique de Zana»,
dans MEFRA, t. 89, 1977, p. 849 -873.
(42) M. Christofle, «Rapport sur les travaux de fouilles et consolidations effectuées en 1927,
1928 et 1929 par le Service des Monuments Historiques de l'Algérie», Alger, 1930, p. 79 - 84.
(43) R. Guéry, C. Mornsson, H. Slim, Recherches archéologiques franco-tunisiennes à Rougga,
III, Le trésor de monnaies d'or byzantines, Rome, 1982 ; R. Guéry, «L'occupation de Rougga (Bararus)
d'après la stratigraphie du forum», communication au congrès de Perpignan des sociétés savantes tenu
en 1981, à paraître.
(44) Dernier bilan : N. Duval, Les églises africaines à deux absides. Recherches archéologiques
sur la liturgie chrétienne en Afrique du Nord, t. H, Inventaire des monuments-interprétation, Pans, 1973,
p. 275 - 278. Voir aussi J.-B. Ward-Perkins et R G. Goodchild, «The Christian Antiquities of Tripohta-
nia», dans Archaeologia, t. 95, 1953, p. 7-15.
(45) R. Bartocini, «II tempio Antoniniano di Sabratha», dans Libya ant., t. I, 1964, p. 37 - 40.
On notera la présence de graffites grecs et arabes sur les parois de la cella, ce qui laisse supposer que le
monument était bien debout jusqu'à une époque avancée dans le temps.
(46) Comme l'a noté N. Duval dans le texte cité note 41. «The Inscriptions of Roman Tripolita-
nia», numéros 196-204, 207-208, 210-213, 218, 220, 223.
(47) J. Bayet, dans Libyca, t. 3, 1955, p. 104 - 105 = A. Ep. 1956, numéro 122.
(48) P.-A. Février, Fouilles de Setif. Les basiliques chrétiennes du quartier nord-ouest, Paris,
1965, p. 78 et 105.
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 51

(49) Après E. Marec, Monuments chrétiens d'Hippone, Paris, 1958, p. 51 - 95 ; sur la datation, P.-
A. Février, «Les sources épigraphiques et archéologiques et l'histoire religieuse des provinces
orientales de l'Afrique antique», dans Corsi di cultura sull'arte ravennate e bizantma, Ravenna, 1972, p. 146 -
150 et N. Duval, La mosaïque funéraire dans l'art paléochrétien, Ravenne, 1976.
(50) N. Duval, Les églises africaines à deux absides. . . Recherches archéologiques à Sbeitla, I,
Les basiliques de Sbeitla à deux sanctuaires opposés, Paris, 1971, p. 222-238.
(51) Voir l'ouvrage cité à la note 36.
(52) J'ai abordé ce point dans l'article cité note 30, p. 121 -123.
(53) De Aed., VI, 4.
(54) On en trouve une bonne illustration dans R. Blanchi Bandinelli, et G. Caputo et E.
Vergara Caffarelli, Leptis magna, Rome, 1963, fig. 96.
(55) Cod. just. , I, 27, 20.
(56) Aux ouvrages déjà cités, ajouter le guide réalisé avec Fr. Baratte, Haidra, les ruines
d'Ammaedara, Tunis, 1974.
(57) Description..., p. 154-155.
(58) Cité note 37.
(59) A. Mohamedi, «Informations sur les découvertes récentes en céramique médiévale
effectuées à Sétif (Algérie)», dans La céramique médiévale en Méditerranée occidentale, Pans, 1980, p. 219 -
220.
(60) Atlas archéologique de l'Algérie, Paris, 1911, feuille 29, p. 6-7.
(61) R. Lequément, Fouilles à l'amphithéâtre de Tébessa (1965 - 1968), Alger, 1979.
(62) Cité note 17.
(63) Atlas archéologique de l'Algérie, feuille numéro 8, p. 18 - 19 : ce rempart paraît se rattacher,
comme celui de Sitifis, à la forteresse. A propos de celle-ci, je noterai qu'elle contenait, dans un de ses
angles, de grands thermes qui ne devaient pas être détruits et qui paraissent avoir déterminé un
changement de parti au cours de la construction, si l'on accepte, avec Pringle, que l'ensemble de la
muraille est de même époque. De ces thermes, il est sans doute fait état dans l'inscription de Solomon
(J. Durliat, Les dédicaces..., p. 11 - 14, numéro 13) et il est question d'une poterne en ce lieu, ce qui
laisserait supposer que là se trouvait un accès à ces bains.
(64) N. Duval et Fr. Baratte, les ruines de Sufetula, Sbeitla, Tunis, 1973, p. 99 - 101 et 104 - 108.
(65) N. Duval, «Études d'architecture nord-africaine», dans MEFR Antiquité, t. 84, 1972, p.
1072-1125.
(66) W. Baïram-Ben Osman et L. Ennabli, «Note sur la topographie chrétienne de Carthage :
les mosaïques du monastère de Bigua», dans Revue des et. aug., t. 28, 1982, p. 3 - 18.
(67) L. Ennabli, «Rapport sur la fouille du monument jouxtant la maison des auriges grecs à
Carthage», dans CEDAC Carthage, bull. 4, nov. 1981, p. 29-45.
(68) J. Christern, «Emporenkirchen in NordAfrika», dans Akten des VII intern. Kongresses fur
christliche archàologie, Trier, S -II September 1965, Rome - Berlin, t. I, p. 407-425.
(69) J. Christern, «Ostrômische Kirchen in NordAfrika», dans Byzantimsche Zeitschrift, t. 62,
1969, p. 287-290.
(70) N. Duval, «Les églises d'Haidra. Les églises dites de Melleus, de Candidus et la «chapelle
vandale», dans CRAI, 1969, p. 419-429.
(71) N. Duval, «Les églises d'Haïdra.III. L'église de la citadelle et l'architecture byzantine en
Afrique», dans CRAI, 1971, p. 136 - 166.
(72) N. Duval, «Les baptistères d'Acholla (Tunisie) et l'origine des baptistères polylobés en
Afrique du Nord», dans Ant. afr., t. 15, 1980, p. 329-343.
(73) N. Duval, La mosaïque funéraire dans l'art paléochrétien, Ravenne, 1976. N. Duval et P.-A.
Février, «Le décor des monuments chrétiens d'Afrique», dans Actas del VIII congreso intern, de
arqueologia cristiana, Barcelona, 5 - II octubre 1969, Barcelone-Rome, 1972, p. 26-30 ; D. Parrish,
«The mosaic of Theodoulos from Sousse», dans Ant. afr., t. 16, 1980, p. 229-239.
(74) E. Alfbldi-Rosenbaum et J. Ward-Perkins, «Justinianic Mosaic Pavements, dans Cyrenai-
can Churches, Rome, s.d..
(75) P.-A. Février, «Remarques sur les mosaïques de basse époque à Djemila», dans Bull, de la
soc. nat. des ant. de France, 1965, p. 85 - 92.
52 P.A. FEVRIER

(76) Corpus des mosaïques de Tunisie, Thuburbo majus, les mosaïques de la région du forum,
Tunis, 1980, p. 15 - 19. Information fournie à S. Ferdi, Inventaire des mosaïques de Cherche! (Algérie),
thèse de doctorat de Ille cycle, Aix, 1982, p. 295 - 296.
(77) K. Dunbabin, The mosaics of Roman North Africa, Oxford, 1978.
(78) N. Harrazi, Les chapiteaux de la grande mosquée de Kairouan, (thèse de Ille cycle, Aix,
1979), Tunis, 1982.
(79) M. Fulford, «Carthage : Overseas Trade and the Political Economy, c. AD 400 - 700», dans
Reading Medieval Studies, t. 6, 1980, p. 68 - 80. Ce chercheur m'a passé, en juin 1982, un texte
dactylographié : «Pottery Imports of Carthage : the long term view c. 200 BC - AD 650».
(80) Fr. Villedieu, La fouille de l'enceinte romaine tardive de Turns Lisiboms et les structures
antérieures, thèse de Ille cycle, Aix, 1982.
(81) Je dois à l'amitié de Clementina Panella et d'Andréa Carandini d'avoir un premier
inventaire de cette céramique présentée lors du colloque de Naples de l'Institut Gramsci (octobre 1982).
Grâce à eux, j'ai pu de même connaître divers rapports parallèles sur d'autres sites.
(82) Anthologia latina, t. 1.1, éd. A. Riese, Leipzig, 1894, c. 376, v. 10 - 12, p. 288. J'utilise la
traduction de mes collègues de Montpellier déjà citée. Ce texte avait retenu mon attention : voir
l'article cité note 27 p. 3, et une contribution à l'histoire de l'Afrique vandale qui n'a jamais paru ...
' (83) A. Carandini, «Produzione agncola e produzione ceramica nell' Africa di età impériale»,
dans Studi mise, numéro 15, Rome, 1969-1970, p. 97- 119.
(84) R. Lequément, «Le vin d'Afrique à l'époque impériale», dans Ant. afr., t. 16, 1980,
p. 185-193.
(85) M. Bonifay, «Fouilles récentes sur le chantier de la Bourse : niveaux de l'Antiquité tardive
et du Haut Moyen Âge», dans Lettre d'information du Centre de Recherches Archéologiques,
Archéologie du Midi méditerranéen, 3, 1981, p. 37-48.
(86) Cité note 80.
(87) L. Sagui, «Ceramica afncana dalla villa diTibenoaSperlonga», dans MEFR Antiquité, t. 92,
1980, p. 471-525.
(88) Un état des questions et un inventaire par A. Ennabli, Lampes chrétiennes de Tunisie
(musées du Bardo et de Carthage), Paris, 1976. Une analyse globale a été présentée par L. Anselmino et
C. Pavolini, lors du colloque déjà cité de Naples.
(89) J. Hayes, Late Roman Pottery, Londres, 1972 ; id., A. Supplement ..., Londres, 1980, que
l'on complétera lorsque sera diffusé le volume supplément à VEnciclopedia dell'arte antica, sorti en
juin 1982.
(90) «Scavi a Cartagine : rapporto prehminare délie campagne 1973 - 1977», à paraître dans
Studi mise.
(91) Fr. Rakob, dans CEDAC, Carthage, bull. 2, juin 1979, p. 21 -29 ; id., «Deutsche Ausgra-
bungen in Karthago», dans 150 Jahre deutsches archàologisches Institut, 1829 - 1979, Mayence,
p. 121-132.
(92) H. Hurst, dans The Antiquaries Journal, t. 55, 1975, p. 1 1 - 40 ; t. 56, 1976, p. 177 - 197 ; t.
57, 1977, p. 232-261 ; t. 59, 1979, p. 19-49. Voir aussi les bulletins parus du CEDAC Carthage.
(93) H. I. Marrou, dans Christiana tempora, Rome, 1978, p. 3 - 47.
(94) N. Duval et Fr. Baratte, Les ruines de Sufetula, p. 92 - 98.
(95) St. Gsell, Les monuments..., t. II, p. 388-389.
(96) A. Mahjoubi, Recherches d'histoire et d'archéologie à Henchir el-Faouar (Tunisie), Tunis,
1978, p. 371-387 et 451.
(97) J. Durhat, Les dédicaces. . . , p. 77 - 78, numéro 30.
(98) Ibid., p. 80 - 83, numéro 32.
(99) Ibid. , p. 70 - 77, numéro 29.
(100) CIL VIII, 19328.
(101) CIL VIII, 22774.
(102> CIL VIII, 20924.
(103) CIL VIII, 21531 (en 339).
(104) P.-A. Février, «Conditions économiques et sociales de la création artistique en Afrique à
la fin de l'Antiquité», dans Corso di cultura sull'arte ravennate e bizantina, Ravenna, 1970, p. 166 - 168
avec une photographie de ces fermes.
APPROCHES RÉCENTES DE L'AFRIQUE BYZANTINE 53

(105) J. Baradez, dans Revue afr., t. 105, 1961, p. 221 -223.


(106) Un plan de la basilique a été donné par P.-A. Février, dans Adas del Vlllcongr. intern, de
arq. crist., pi. CXXXVI, fig. 30, et par N. Duval.
(107) De Aed. VI, 6.
(108) Ch. Diehl, L'Afrique..., p. 172.
(109) Penser aux bilans qui ont précédé le mien : Chr. Courtois, «De Rome à l'Islam», dans
Rev. africaine, numéros 390 - 391, 1942, p. 24 - 55 et K. Belkhodja, dans Rev. de l'Occident musulman,
n.s., 1968, p. 55-65.
(110) Une thèse de Ille cycle est restée inédite sur le passage de l'Antiquité au Moyen Âge, vu à
partir des sources arabes : P.-L. Cambuzat, L'évolution des cités du Tell en Ifrîkiya du Vile au Xle siècle,
(soutenue devant l'Université de Nanterre).

Résumé

Trois travaux récents de Denys Pringle, Jean Lassus et Jean Durliat invitent à revoir, à partir de
la documentation archéologique — monuments et inscriptions — les conclusions auxquelles était
parvenu, à la fin du siècle dernier, Charles Diehl. Parmi les problèmes soulevés, il y a d'abord celui des
forteresses byzantines et des enceintes de plus ou moins grande ampleur qui ont inclus de larges
quartiers habités sous le Haut-Empire : que peut-on en tirer pour l'histoire de la ville, de sa
topographie comme des institutions ? Par ailleurs, sont de mieux en mieux connus les lieux de culte des Ve -
Vie voire Vile siècles et à travers les constructions ou embellissements s'esquisse une histoire des
échanges avec le reste de la Méditerranée. L'analyse de céramiques trouvées en divers sites du littoral
force, de la même façon, à s'interroger sur l'ampleur de ces relations. Autant de pistes qui incitent à
mieux percevoir que la ville du Maghreb à l'époque byzantine ne connaît peut-être pas la profonde
récession que l'on imagine trop aisément.

Abstract

Three recent works by Denys Pringle, Jean Lassus and Jean Durliat lead one to reconsider,
using archeological documentation — monuments and inscriptions — the conclusions that were
reached at the end of the last century, by Charles Diehl. Among the problems that are raised, there is
firstly the question of the Byzantine fortresses and enclosures of more or less great size that included
large inhabited quarters under the Early Roman Empire : what can one infer from them regarding the
history of the town, its topography and its institutions ? Moreover, the places of worship of the 5th and
6th, and even 7th, centuries are more and more well-known, and through the constructions or
embellishments a history of exchanges with other parts of the Mediterranean is outlined. In the same
way, the analysis of pottery found in various coastal sites, compels one to ponder the extent of these
relations. All these elements lead one to perceive more clearly that the town of the Maghrib in the
Byzantine era did not perhaps experience the deep recession which was often too easily imagined.

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