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La Complainte Rutebeuf Version adaptée et abrégée

La Complainte Rutebeuf, Que sont mes amis devenus


ou Que j'avais de si près tenus
CI ENCOUMENCE LA COMPLAINTE RUTEBUEF DE Et tant aimés
SON ŒUL, Ils ont été trop clairsemés
ou Je crois le vent les a ôtés
CI ENCOUMENCE LE DIT DE L’UEIL RUSTEBUEF. L'amour est morte
Ce sont amis que vent me porte
Mss. 7218, 7633, 7615, 198 N.-D. Et il ventait devant ma porte
Les emporta

Avec le temps qu'arbre défeuille


Quand il ne reste en branche feuille
Ne covient pas[1] que vous raconte Qui n'aille à terre
Comment je me sui mis à honte, Avec pauvreté qui m'atterre
Quar bien avez oï le conte Qui de partout me fait la guerre
En quel manière Au temps d'hiver
Je pris ma fame darrenière, Ne convient pas que vous raconte
Qui bele ne gente n’en ière. Comment je me suis mis à honte
Lors nasqui paine, En quelle manière
Qui dura plus d’une semaine,
Qu’el commença en lune plaine[2]. Que sont mes amis devenus
Or entendez, Que j'avais de si près tenus
Vous qui rime me demandez, Et tant aimés
Comment je me sui amendez Ils ont été trop clairsemés
De fame prendre : Je crois le vent les a ôtés
Je n’ai qu’engagier ne que vendre, L'amour est morte
Que j’ai tant éu à entendre Le mal ne sait pas seul venir
Et tant à fère : Tout ce qui m'était à venir
Quanques j’ai fet est à refère[3], M'est advenu
Que qui le vous voudroit retrère
Il durroit trop. Pauvre sens et pauvre mémoire
Diex m’a fet compaignon à Job[4], M'a Dieu donné, le roi de gloire
Qu’il m’a tolu à .i. seul cop Et pauvre rente
Quanques j’avoie[5]. Et droit au cul quand bise vente
De l’ueil destre, dont miex véoie, Le vent me vient, le vent m'évente
Ne voi-je pas aler la voie L'amour est morte
Ne moi conduire. Ce sont amis que vent emporte
A ci dolor dolente et dure, Et il ventait devant ma porte
Qu’à miédi[6] m’est[7] nuiz obscure Les emporta
De celui oeil.
Or n’ai-je pas quanques je vueil ;
Ainz sui dolenz, et si me dueil[8]
Parfondement,
C’or sui en grant afondement[9],
Se par cels n’ai relevement
Qui jusqu’à ci
M’ont secoru la lor merci.
Le cuer en ai triste et noirci[10]
De cest mehaing,
Quar je n’i voi pas mon gaaing.
Or n’ai-je pas quanques je haing[11] ;
C’est mes domages :
Ne sai ce c’a fait mes outrages.
Or devendrai sobres et sages
Après le fet,
Et me garderai de forfet ;
Mes que ce vaut quant c’est jà fet ?
Tart sui méus ;
A tart me sui aparcéus
Quant je sui jà ès las[12] échéus.
Cest premier an
Me gart cil Diex en mon droit san
Qui por nous ot paine et ahan
Et me gart l’âme :
Or a d’enfant géu ma fame ;
Mon cheval a brisié la jame[13]
A une lice ;
Or veut de l’argent ma norrice,
Qui m’en destraint et me pélice[14],
Por l’enfant pestre,
Ou il reviendra brère en l’estre.
Cil dame Diex[15] à qui le fist nestre,
Li doinst chevance[16]
Et li envoit sa soustenance,
Et me doinst encore aléjance
Qu’aidier li puisse,
Que la povretez ne me nuise[17]
Et que miex son vivre li truise
Que je ne fais.
Se je m’esmai je n’en puis mais,
C’or n’ai ne dousaine ne fais,
En ma meson,
De busche por ceste seson.
Si esbahiz ne fu mès hom
Com je sui, voir[18],
C’onques ne fui à mains d’avoir.
Mes ostes veut l’argent avoir
  De son osté[19],
Et j’en ai presque tout osté,
Et si me sont nu li costé
Contre l’yver.
Cist mot me sont dur et diver,
Dont mult me sont changié li ver
  Envers antan[20].
Por poi n’afol quant g’i entan ;
Ne m’estuet pas taner en tan,
Quar le resveil
Me tane assez quant je m’esveil.
Si ne sai se je dorm ou veil,
Ou se je pens,
Quel part je penrai mon despens
Par quoi puisse passer le tens.
Tel siècle ai-gié :
Mi gage sont tuit engagié
Et de chiés moi desmanagié,
Car j’ai géu
Iij. mois, que nului n’ai véu[21].
Ma fame r’a enfant éu,
C’un mois entier
Me r’a géu sor le chantier.
Je me gisoie endementier
En l’autre lit,
Où je avoie pou de délit ;
Onques mès mains[22] ne m’abelit
Gésir que lors ;
Quar j’en sui de mon avoir fors
Et s’en sui mehaigniez du cors
Jusqu’au fénir.
Li mal ne sevent seul venir :
Tout ce m’estoit à avenir
S’est avenu.
Que sont mi ami devenu
Que j’avoie si près tenu
Et tant amé ?
Je cuit qu’il sont trop cler semé ;
Il ne furent pas bien semé[23],
Si sont failli.
Itel ami m’ont mal bailli,
C’onques tant com Diex m’assailli
En maint costé
N’en vi .i. seul en mon osté :
Je cuit li vens les a osté.
L’amor est morte :
Ce sont ami que vens enporte,
Et il ventoit devant ma porte ;
S’es enporta,
C’onques nus ne m’en conforta
Ne du sien riens ne m’aporta.
Ice m’aprent
Qui auques a privé le prent ;
Mès cil trop à tart se repent
Qui trop a mis
De son avoir por fère amis,
Qu’il ne’s trueve entiers ne demis
A lui secorre.
Or lerai donc fortune corre :
Si entendrai[24] à moi rescorre,
Se je l’ puis fère.
Vers les preudommes m’estuet trère[25]
Qui sont cortois et débonère
Et m’ont norri :
Mi autre ami sont tuit porri ;
Je les envoi à mestre Orri[26],
Et se l’i lais ;
On en doit bien fère son lais
Et tel gent lessier en relais
Sanz réclamer,
Qu’il n’a en els rien à amer,
Que l’en doie à amor clamer.
Or[27] pri celui
Qui .iij. parties fist de lui,
Qui refuser ne set nului
Qui le réclaime,
Qui l’aeure et Seignor le claime[28],
Et qui cels tempte que il aime,
Qu’il m’a tempté,
Que il me doinst[29] bone santé,
Que je face sa volenté
Tout sanz desroi.

Mon seignor, qui est filz de Roi[30],


Mon dit et ma complainte envoi,
Qu’il m’est mestiers,
Qu'il m’a aidié mult volontiers :
Ce est li bons quens de Poitiers
Et de Toulouse[31] ;
Il saura bien que cil goulouse[32]
Qui si fètement se doulouse.

Explicit la Complainte Rustebuef, ou Explicit le dit


de l’ueil Rustebuef.

1. ↑ Ms. 7615, Var. Ne cuidiez pas.


2. ↑ Voyez la note 2, page 6.
3. ↑ Les Mss. 7633 et 198 N.-D. remplacent
ce vers, qui est sauté dans le Ms. 7615,
par le suivant :
Et tant d’anui et de contraire.
4. ↑ Ms. 198 N.-D. Var. Jacob.
5. ↑ Ms. 198 N.-D. Var. J’amoie.
6. ↑ Ms. 7633. Var. Qu’endroit meidi.
7. ↑ Ms. 7615. Var. Cuit-je.
8. ↑ Ms. 198 N.-D. Var. De quoi
parfondement me dueil. — Les huit vers
qui suivent manquent dans ce manuscrit.
9. ↑ Ms. 7615. Var. confondement.
10. ↑ Ms. 7633. Var. Mult ai le cuer triste et
marri.
11. ↑ Ce vers est sauté dans le Ms. 7615,
ainsi que le 3e et le 5e de ceux qui le
suivent dans notre texte.
12. ↑ Mss. 7633, 7615. Var. En mes las.
13. ↑ Ms. 7633. Var. Mes chevaux ot brisié
la jambe.
14. ↑ Ces deux expressions sont fort
énergiques ; elles signifient : torturer, et :
arracher la peau.
15. ↑ Ms. 7633. Var. Cil sire Diex. — Ms. 198
N.-D. Var. Ice Seigneur.
16. ↑ Ms. 7615. Var. Provende.
17. ↑ Les Mss. 7633, 7615 et 198 N.-D.
offrent cette variante :
Et que miex mon hosteil conduise.
18. ↑ Voir, vrai, vraiment ; verum.
19. ↑ Le Ms. 198 N.-D. porte la leçon
suivante :
 … De mon hostel.
Il doit bien avoir non hostel :
Celui du roi n’est pas itel ;
 Miex est paié,
Et j’en ai presque tout osté.
20. ↑ Antan, l’année dernière, le temps
passé ; ante annum — Voyez la jolie
pièce de Villon dont le refrain est :
Mais où sont les neiges d’antan ?
21. ↑ Le Ms. 198 N.-D. ne contient pas les six
vers qui suivent celui-ci.
22. ↑ Mains pour moins, ainsi qu’on le
trouve dans le Ms.7633.
23. ↑ Le Ms. 7633 écrit ce mot femrei, et le
Ms. 7615 femei.
24. ↑ Ms. 198 N.-D. Var. Si penseré.
25. ↑ Ms.7633. Var. Vers les bone gent
m’estuet traire. — M’estuet signifie : il
me convient.
26. ↑ Voici les différentes manières dont les
diverses leçons orthographient ce mot :
Ms. 7633, Horri ; Ms. 7615, Hauri ; Ms.
198 N.-D., Ourri. Je suis resté longtemps
incertain sur la signification de ce vers, et
je ne savais trop à quel genre de
personnage il faisait allusion, lorsque la
pièce intitulée Ci encoumance de Charlot
le Juif qui chia en la pel dou lièvre est
venue mettre fin à mes incertitudes. J’en
demande humblement pardon à mes
lecteurs pour Rutebeuf et pour moi, mais
il s’agit tout simplement ici du chef des
vidangeurs de Paris au 13e siècle. À la fin,
en effet, de la pièce que j’ai nommée,
lorsque Guillaume met la main dans la
peau du lièvre où Charlot a fait la
vilonie (expression de Rutebeuf un peu
plus décente que celle qu'il a placée dans
le titre de son fabliau), notre malin
trouvère s'écrie :
Es-vous l’escuier qui ot gans
Qui furent punais et puerri,
Et de l’ouvrage mestre Horri.
Ces vers, rapprochés de ceux de la présente
complainte, ne m’ont laissé aucun doute.
27. ↑ Les neuf vers suivants manquent au
Ms. 7633.
28. ↑ Le Ms. 198 N.-D. remplace ce vers, qui
est sauté au 7615, par le suivant :
Qui Seigneur et ami le claime
29. ↑ Ms. 7615. Var. M’anvoit.
30. ↑ Les huit vers suivants manquent au
Ms. 198 N.-D.
31. ↑ Le comte de Poitiers et de Toulouse se
nommait Alphonse. Il était frère de saint
Louis et, comme lui, fils de Louis VIII. Je
donne quelques détails sur ce prince en
note de la pièce de Rutebeuf intitulée Ci
encoumence la Complainte dou Conte de
Poitiers.
32. ↑ Goulouse, désire ardemment,
convoite ; de goulouser.
C’est de la Povretei Rutebuef. Pauvreté Rutebeuf

Ms. 7633. La pauvreté Rutebeuf


https://www.moyenagepassion.com/index.php/tag/la-
pauvrete-rutebeuf/ Au roi Louis

Je ne sai par où je coumance, Je ne sais par où je commence,


Tant ai de matyère abondance Tant ai de matière abondance
Por parleir de ma povretei. Pour parler de ma pauvreté.
Por Dieu vos pri, frans Rois de France, Par Dieu vous prie, franc roi de France,
Que me doneiz queilque chevance[1] : Que me donniez quelque chevance,
Si fereiz trop grant charitei. Ainsi ferez grand'charité.
J’ai vescu de l’autrui chatei [2] J'ai vécu d'argent emprunté
Que hon m’a créu[3] et prestei ; Que l'on m'a en crédit prêté;
Or me faut chacuns de créance, Or ne trouve plus de créance,
C’om me seit povre et endetei : On me sait pauvre et endetté
Vos r’aveiz hors dou reigne estei[4] Mais vous hors du royaume étiez,
Où toute avoie m’atendance. Où toute avais mon attendance
(…)
Granz Rois, c’il avient qu’à vos faille, Grand roi, s'il advient qu'à vous faille,
A touz ai-ge failli sanz faille : (A tous ai-je failli sans faille)
Vivres me faut et est failliz. Vivre me faut et suis failli.
N’uns ne me tent, n’uns ne me baille : Nul ne me tend, nul ne me baille,
Je touz de froit, de fain baaille, Je tousse de froid, de faim bâille,
Dont je sui mors et maubailliz[9]. Dont je suis mort et assailli.
Je suis sanz coutes et sanz liz ; Je suis sans couverte et sans lit,
N’a si povre juqu’à Senliz. N'a Si pauvre jusqu'à Senlis;
Sire, si ne sai quel part aille : Sire, ne sais quelle part j'aille.
Mes costeiz connoit le pailliz, Mon côté connaît le paillis,
Et liz de paille n’est pas liz Et lit de paille n'est pas lit,
Et en mon lit n’a fors la paille. Et en mon lit n'y a que paille.

Sire, je vos fais asavoir


Je n’ai de quoi do[10] pain avoir :
A Paris sui entre touz biens, Sire, je vous fais assavoîr:
Et n’i a nul qui i soit miens. Je n'ai de quoi du pain avoir.
Pou i voi et si i preig pou ; A Paris suis entre tous biens,
Il m’i souvient plus de saint Pou[11] Et nul n'y a qui y soit mien.
Qu’il ne fait de nul autre apôtre. Ne me souvient de nul apôtre,
Bien sai Pater, ne sai qu’est notre, Bien sais Pater, ne sais qu'est nôtre,
Que li chiers tenz m’a tot ostei, Car le temps cher m'a tout ôté,
Qu’il m’a si vuidié mon hostei Il m'a tant vidé mon logis
Que li Credo[12] m’est dévéeiz, Que le Credo m'est interdit,
Et je n’ai plus que vos véeiz. Et n'ai plus que ce que voyez.
Rutebeuf  (XIIe sciècle)

Explicit.

1. ↑ Chevance  : voyez, pour ce mot, une des


notes de la fin de La paiz Rutebeuf, page 23.
2. ↑ Chatei, bien, fortune, gain, profit ; en bas
latin, catallum.
3. ↑ Créu, donné à crédit.
4. ↑ Ce vers :
Vos r’aveiz hors dou reigne estei,
indique que cette pièce a été composée avant
la fin de la seconde croisade et pendant que
saint Louis était occupé à combattre les
infidèles. Le mot r’aveiz ne peut en effet
s’appliquer à une époque postérieure, puisque
Louis IX mourut en 1270 sans avoir revu la
France, et que son successeur, qui ne se croisa
jamais, ne fit hors du royaume qu’une seule
expédition, celle d’Aragon, en 1284, à laquelle
Rutebeuf fait allusion dans une de ses pièces.
(Voyez celle qui est intitulée De la vie du
monde.) D’ailleurs les quatre derniers vers de
la strophe suivante et l’ensemble de La
povretei Rutebuef prouvent ce point
surabondamment.
5. ↑ Mainie, mesnie, maison, famille, de mansio
6. ↑ Escondire, refuser ; de escondire,
excondicere.
7. ↑ Arainie, accoutumée.
8. ↑ Dans une pièce anonyme, qui se trouve au
Ms. 248, supp. fr., de la bibliothèque du Roi, et
qui est intitulée C’est uns dis d’avarisce, on
rencontre les vers suivants, qui corroborent
singulièrement et presque dans les mêmes
termes les paroles de Rutebeuf :

Chascuns a son donnet perdu :


Li ménestrel sont esperdu * ;
Car nus ne lor veut riens donner.
De don ont esté soustenu :
Maintenant sont souz pié tenu ;
Or voisent aillors sermonner.

C’était précisément le contraire de ce que


faisait saint Louis, car, si l’on en croit La
branche aux royaux lignages,

Viex ménestriex mendians…


Tant du sien par an emportoient
Que nombre ne puis avenir.

On peut recourir aussi pour ce sujet à la pièce


des Taboureors (joueurs de tambours), que j’ai
insérée dans mon recueil intitulé Jongleurs et
Trouvères. (Paris, Merklein, 1835.) Je
terminerai cette note par les vers suivants,
dans lesquels Robert de Blois se plaint de
l’avarice des grands :

Qui porroit ce de prince croire,


s’il n’oïst ou véist la voire,
Qu’au mengier font clorre lor huis ?
Si m’aït Deus, je ne m’en puis
Taire kant dient ci huissier :
« Or fors ! mes sires vuet mangier. »

Voyez aussi sur le même sujet la note A, à la


fin du volume.

* On retrouve ces deux vers dans la pièce de


Rutebeuf intitulée De l’estat du monde ;
seulement ils sont disposés ainsi :

Menesterez sont esperdu ;


Chascuns a son donnet perdu.
9. ↑ Maubailliz, malmené, mis en triste position.
10. ↑ Do pour dou. Le mot est ainsi dans le
manuscrit.
11. ↑ Saint Paul. — Le nom de cet apôtre arrive là
pour former avec le mot pou (peu) qui
précède une espèce de jeu de mots. Cette
plaisanterie se rencontre fréquemment chez la
plupart des auteurs de cette époque ; Gauthier
de Coinsy surtout en abuse étrangement.
12. ↑ Je crois qu’il faut expliquer ici le
mot credo par : crédit, prêt. Le poëte dit qu’il
lui est ôté, interdit (dévéeiz). Voyez la
troisième note de la page 1.
 
Li diz de l’Universitei de Paris
Dit de L'Université de Paris, Le
Ms. 7633.

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Il me faut rimer sur un conflit


Rimeir me convient d’un contens qui a fait et qui fera
Où hon a mainz divers contens dépenser beaucoup d'argent:
Despendu et despendera : les choses en ce monde n'en iront pas mieux
Jà siècles n’en amendera. Les clercs de Paris
Li clerc de Paris la citei (je parle de ceux de l'Université,
(Je di de l’Universitei, en particulier de la Faculté des Arts,
Nouméement li arcien, non pas des hommes d'âge pleins de vertu)
Non pas li preudoms ancien) sont entrés en conflit les uns avec les autres:
Ont empris .i. contans encemble. rien de bon n'en sortira, je crois;
Jà bien n’en vanrra, ce me cemble, il n'en sortira que des maux et des tourments,
Ainz en vanrra mauz et anuiz, c'est ce qui arrive déjà jour et nuit
Et vient jà de jors et de nuiz. Est-ce bien une chose à faire?
Est or ce bien choze faisant ? Le fils d'un pauvre paysan
Li filz d’un povre païsant viendra étudier à Paris;
Vanrra à Paris por apanre : tout çe que son père pourra gratter
Quanques ces pères porra panrre sur un arpent ou deux de terre,
En un arpant ou .ij. de terre, il le donnera tout entier à son fils,
Por pris et por honeur conquerre, pour qu'il se fasse honneur, qu'il se fasse estimer,
Baillera trestout à son fil, et lui, il en reste ruiné
Et il en remaint à escil. Une fois le jeune homme arrivé à Paris
pour faire ce à quoi il s'est obligé
Quant il est à Paris venuz et pour mener une vie honorable,
Por faire à quoi il est tenuz il inverse la prophétie d'Isaïe:
Et por mener honeste vie, ce qui fut gagné par le soc et la charrue,
Si bestorne la prophétie. il le convertit en équipement militaire
Gaaing de soc et d’aréure Il regarde dans toutes les rues
Nos convertit en arméure ; où il peut voir une jolie traînée;
Par chacune rue regarde il regarde partout, partout il traîne;
Où voie la bele musarde. son argent fuit, ses habits s'usent:
Partout regarde, partout muze ; tout est à recommencer.
Ces argenz faut, et sa robe uze : De telles semailles ne sont guère fécondes.
Or est tout au recoumancier. En Carême, quand on doit agir
Ne fait or boen ci semancier de façon à plaire à Dieu,
En quaresme, que hon doit faire ils revêtent un haubert à la place d'une haire
Choze qui à Dieu doie plaire. et boivent jusqu'à en être assommés;
En lieu de haires, haubers vestent, à trois ou quatre
Et boivent tant que il s’entestent. ils font se battre quatre cents étudiants
Si font bien li troi ou li quatre et arrêter les cours de l'Université:
Quatre cens escoliers combatre, n'est-ce pas là un grand malheur?
Et cesseir l’Universitei : Dieu! il n'est pas pourtant de vie si honorable,
N’a ci trop grant aversitei. pour qui aurait envie de bien se conduire,
Diex ! jà n’est-il si bone vie, que celle du véritable étudiant!
Qui de bien faire auroit envie, Ils endurent plus qu'un portefaix,
Com ele est de droit escolier ! dès lors qu'ils veulent étudier sérieusement;
Il ont plus poinne que colier, ils ne peuvent pas songer
Por que il vuelent bien aprendre ; à s'attarder longtemps à table:
Il ne puéent pas bien entendre leur vie est aussi méritoire
A seoir asseiz à la table. que celle de n'importe quel moine.
Lor vie est ausi bien metable Pourquoi partir loin de chez soi,
Com de nule religion : s'en aller dans un pays étranger,
Por quoi lait hon sa région si c'est pour y devenir un fou parfait
Et va en estrange païs, alors qu'on doit apprendre la sagesse,
Et puis si devient foulz naïz, pour y perdre son argent et son temps
et pour faire honte à ses amis?
Quant il i doit aprendre sens ? Mais le mauvais étudiant ne sait ce qu'est
Si pert son aveir et son tens, l'honneur.
Et c’en fait à ces amis honte,
Mais il ne seivent qu’oneurs monte.

Explicit.

Voyez la note S, à la fin du volume, pour les


circonstances qui ont donné naissance à cette
pièce.

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