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Texte 1 

: Lai d’yonec, extrait du vers 317 à 385 :


Marie de France
Une jeune femme, mal mariée, est amenée à vivre un amour adultère avec un amant au pouvoir
merveilleux  : il vient lui rendre visite, métamorphosé en vautour pour passer inaperçu. Juste avant
notre extrait, Muldumarec a été pris au piège par le mari jaloux. La dame va poursuivre son amant et
accéder à un monde merveilleux pour le retrouver.

« Elle voit le sang et la plaie,


Et s’en alarme et s’en effraie.
Il lui dit alors : « Douce amie,
Pour votre amour je perds la vie.
J’avais dit ce qui adviendrait :
Votre apparence nous perdrait. »
Elle, à ces mots, s’évanouissant
Est comme morte un long moment.
Il la console avec douceur :
Il faut qu’elle oublie sa douleur
Elle est enceinte d’un enfant,
Un fils de lui, preux et vaillant,
Qui sera sa consolation.
Yonec : tel sera son prénom.
Il les vengera, elle et lui,
Car il tuera son ennemi.
Pour l’heure, il ne peut s’attarder :
Sa plaie ne cesse de saigner.

A grand-douleur est-il parti.


Elle, dans un cri l’a suivi
S’élançant par une croisée.
Miracle qu’elle ne soit tuée :
Il y a bien vingt pieds de haut
Au lieu d’où elle a fait le saut !
Et, nue sous sa chemise, allant,
Voici qu’elle a suivi le sang,
Le sang rouge qui gouttelait
Sur le sentier qu’elle empruntait.
Elle est restée sur ce sentier
Jusqu’à une butte élevée
Où s’ouvrait une entrée béante
De ce sang clair toute sanglante.
Plus avant elle ne voit rien
Mais, comme elle se doute bien
Que son ami y est entré,
Bien vite elle y a pénétré.
Nulle lumière à cet endroit :
A force d’avancer tout droit,
Voici qu’enfin elle est sortie
Et trouve une belle prairie.
Suivant la trace à travers pré,
Elle s’approche d’une cité
Cerclée de remparts alentour :
Il n’est maison, salle ni tour
Qui ne semble toute d’argent,
Si riches sont les bâtiments.
Devant le bourg sont les marais,
Les bois en défens, les forêts.
De l’autre côté, vers la tour,
Court la rivière qui l’entoure.
Toutes les nefs arrivent là :
On y voit plus de trois cents mâts.
La porte aval n’est pas fermée :
La dame entre dans la cité,
Suivant le sang clair, le sang chaud,
A travers bourg, jusqu’au château.
Nul ne lui parle, pas une âme :
Elle ne voit homme ni femme
Au palais, dans la grande salle,
Le sang a constellé les dalles.
En une belle chambre entrant,
Un chevalier y voit dormant,
Mais ne le reconnaissant pas,
Vers une autre chambre elle va,
Une grande chambre où un lit
Porte un chevalier endormi.
L’ayant à son tour traversée,
Dans la troisième elle est entrée.
C’est là qu’est couché son ami. »
Marie de France, Lai d’yonec, Les Lais, 1180
Par une croisée : une fenêtre
Vingt pieds de haut : 6 à 7 mètres
Plus avant : plus loin
Les bois en défens  : entrée interdite et lieu de chasse réservée
Nefs : bateaux
La porte aval : la porte en bas

Texte 2 : « Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie »


Louise Labé
Je vis, je meurs ; je me brûle et me noie ;
J’ai chaud extrême en endurant froidure :
La vie m’est et trop molle et trop dure.
J’ai grands ennuis entremêlés de joie.

Tout à un coup je ris et je larmoie,


Et en plaisir maint grief tourment j’endure ;
Mon bien s’en va, et à jamais il dure ;
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène ;


Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,


Et être au haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.
Louise Labé, Sonnets, 1555
Grief  : tourment
Je verdoie  : je reverdis comme une plante soumise à de brusques changements de temps
Inconstamment  : avec inconstance
Heur : présage, hasard

Texte 3 : « Quand vous serez bien vieille »


Pierre de Ronsard
Quand vous serez bien vieille, au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle.

Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,


Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre et fantôme sans os :


Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.


Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
Pierre de Ronsard, Sonnets pour Hélène, 1578
Dévidant et filant : travaillant la laine pour en faire un fil
Oyant  : écoutant, entendant
Au bruit  : renommée, réputation, gloire
Par les ombres myrteux  : au milieu d’un bois de myrte, plante qui symbolise les sépultures des amants
N’attendez à demain  : ne repoussez pas à demain ce que vous pouvez faire aujourd’hui

Texte 4 : « Celui que l’amour range à son commandement »


Philippe Desportes
Celui que l'Amour range à son commandement
Change de jour en jour de façon différente.
Hélas ! j'en ai bien fait mainte preuve apparente,
Ayant été par lui changé diversement.

Je me suis vu muer, pour le commencement,


En cerf qui porte au flanc une flèche sanglante,
Depuis je devins cygne, et d'une voix dolente
Je présageais ma mort, me plaignant doucement.

Après je devins fleur, languissante et penchée,


Fuis je fus fait fontaine aussi soudain séchée,
Epuisant par mes yeux toute l'eau que j'avais.

Or je suis salamandre et vis dedans la flamme,


Mais j'espère bientôt me voir changer en voix,
Pour dire incessamment les beautés de Madame.
Philippe Desportes, Les Amours de Diane, 1573

Mainte  : nombreuse
Muer : changer
En cerf : allusion à Actéon
Je devins cygne : la légende dit que le cygne chante à l’approche de la mort
Dolente : plaintive
Je devins fleur : allusion aux amants qui se transforment en fleurs comme Narcisse ou Adonis
Salamandre  : animal mythique réputer vivre dans le feu
Me changer en voix  : allusion à la nymphe Echo que son désespoir amoureux transforme en voix

Texte 5 : « La nuit m’est courte et le jour trop me dure »


Joachim du Bellay
La nuit m’est courte, et le jour trop me dure,
Je fuis l’amour, et le suis à la trace,
Cruel me suis, et requiers votre grâce,
Je prends plaisir au tourment, que j’endure.

Je vois mon bien, et mon mal je procure,


Désir m’enflamme, et crainte me rend glace,
Je veux courir, et jamais ne déplace,
L’obscur m’est clair, et la lumière obscure.

Vôtre je suis et ne puis être mien,


Mon corps est libre, et d’un étroit lien
Je sens mon cœur en prison retenu.
Obtenir veux, et ne puis requérir,
Ainsi me blesse, et ne me veut guérir
Ce vieil enfant, aveugle archer, et nu.
Joachim du Bellay, L’Olive, 1549
Cruel me suis : je suis cruel envers moi-même
Requiers : implore, demande
Déplace : change de place
Ce vieil enfant : le dieu Amour, vieux parce qu’il existe depuis toujours

Texte 6 : « Mignonne, allons voir si la rose »


Pierre de Ronsard
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil,
A point perdu cette vesprée
Les plis de sa robe pourprée,
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place,
Las, las ses beautés laissé choir !
Ô vraiment marâtre Nature,
Puisqu'une telle fleur ne dure
Que du matin jusques au soir !
Donc, si vous me croyez, mignonne,
Tandis que votre âge fleuronne
En sa plus verte nouveauté,
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à cette fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Pierre de Ronsard, A Cassandre, Odes 17, 1545
Déclose : aujourd’hui «  déclos » 
Cette vesprée : ce soir
Marâtre : mauvaise mère
Fleuronne : fleurit, est en fleur

Texte 7 : « Au cœur d’un val émaillé tout au rond »


Pierre de Ronsard
Au cœur d’un val émaillé tout au rond
De milles fleurs de loin j’avisai celle
Dont la beauté dedans mon cœur se cèle,
Et les douleurs m’apparaissent au front.

Des bois touffus voyant le lieu profond,


J’armai mon cœur d’assurance nouvelle,
Pour lui chanter les maux que j’ai pour elle,
Et les tourments que ses beaux yeux me font.

En cent façons, déjà, déjà ma langue


Avant-pensait les mots de sa harangue,
Jà soulageant de mes peines le faix,

Quand un centaure envieux sur ma vie


L’ayant en croupe au galop l’a ravie,
Me laissant seul, et mes cris imparfaits.
Pierre de Ronsard, Les Amours, sonnet 177, 1552
Au cœur d’un val émaillé tout au rond : au centre d’une vallée colorée parsemée
J’avisai : j’aperçus, je regardai
Au front : terme qui suggère la métamorphose d’Actéon en cerf
Avant-pensait les mots de sa harangue : réfléchissait aux termes de son prochain discours
Faix  : fardeau
Un centaure envieux sur ma vie : un centaure jaloux de celle qui est toute ma vie. Le centaure est une créature
mythique hybride, corps de cheval et torse d’homme.

Texte 8 : « Si c’est, Madame, et de jour, et de nuit »


Pierre de Ronsard
Si c'est aimer, Madame, et de jour, et de nuit
Rêver, songer, penser le moyen de vous plaire,
Oublier toute chose, et ne vouloir rien faire
Qu'adorer et servir la beauté qui me nuit :

Si c'est aimer que de suivre un bonheur qui me fuit,


De me perdre moi-même et d'être solitaire,
Souffrir beaucoup de mal, beaucoup craindre et me taire,
Pleurer, crier merci, et m'en voir éconduit :

Si c'est aimer que de vivre en vous plus qu'en moi-même,


Cacher d'un front joyeux, une langueur extrême,
Sentir au fond de l'âme un combat inégal,
Chaud, froid, comme la fièvre amoureuse me traite :

Honteux, parlant à vous de confesser mon mal !


Si cela est aimer : furieux je vous aime :
Je vous aime et sait bien que mon mal est fatal :
Le cœur le dit assez, mais la langue est muette.
Pierre de Ronsard, « Madrigal », Sonnets pour Hélène, 1578
Crier merci  : demander grâce

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