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Séquence 1 : La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle

Représentations du « frêle esquif » de la vie dans la poésie lyrique du Moyen


Âge au XVIIIème siècle
Problématique : Comment la poésie lyrique opère-t-elle une sublimation de la mort ?

Texte : Chénier, « La jeune Tarentine », Les Bucoliques (1788)

Le poème « La jeune Tarentine » évoque la mort de Myrto, jeune Sicilienne censée rejoindre son amant pour son
mariage. Au cours du voyage, elle meurt noyée dans les flots marins.

Doc.1 : Tapisserie d’Aubusson ou de Beauvais (XVIIIème siècle)


1
Pleurez, doux alcyons ! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis2, doux alcyons, pleurez !
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine3 !
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine4 :
Là, l’hymen5, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Dans le cèdre enfermé sa robe d’hyménée,
Et l’or dont au festin ses bras seraient parés,
Et pour ses blonds cheveux les parfums préparé.
Mais, seule sur la proue6, invoquant les étoiles,
Le vent impétueux7 qui soufflait dans les voiles
L’enveloppe ; étonnée et loin des matelots,
Elle crie, elle tombe, elle est au sein des flots.
Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine !
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d’un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par ses ordres bientôt les belles Néréides8
L’élèvent au-dessus des demeures humides,
Le portent au rivage, et dans ce monument
L’ont au cap du Zéphyr9 déposé mollement ;
Puis de loin, à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas ! autour de son cercueil :
« Hélas ! chez ton amant tu n’es point ramenée ;
Tu n’as point revêtu ta robe d’hyménée ;
L’or autour de tes bras n’a point serré de nœuds;
Les doux parfums n’ont point coulé sur tes cheveux. »

André Chénier, « La jeune Tarentine », Les Bucoliques


(1788)
Doc.2 : Alexandre Schoenewerk, La Jeune Tarentine (1871),
Statue en marbre, Musée d’Orsay, Paris
Séquence 1 : La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle
1. Alcyons : oiseaux de mer mythiques. 2. Thétis : nymphe marine, mère d’Achille. 3. Tarentine : originaire de Tarente, ville de
Sicile. 4. Camarine : port de Sicile. 5. Hymen (ici) : mariage. 6. Proue : avant d’un navire. 7. Impétueux : violent, fougueux. 8.
Néréides : nymphes marines (naïades). 9. Cap du Zéphyr : cap situé entre Tarente et Camarine.

Texte : Saint-Amant, « Plainte sur la mort de Sylvie », Les Œuvres du sieur de Saint-Amant (1629)

Orthographe ancienne Orthographe modernisée

Ruisseau qui cours après toy-mesme, Ruisseau qui cours après toi-même
Et qui te fuis toy-mesme aussi, Et qui te fuis toi-même aussi,
Arreste un peu ton onde ici Arrête un peu ton onde1 ici
Pour escouter mon dueil extresme ; Pour écouter mon deuil extrême.
Puis, quand tu l’auras sceu, va-t’en dire à la mer Puis, quand tu l’auras su, va-t’en dire à la mer
Qu’elle n’a rien de plus amer.
Qu’elle n’a rien de plus amer2.
Raconte-luy comme Sylvie,
Raconte-lui comme Sylvie,
Qui seule gouvernoit mon sort,
A receu le coup de la mort Qui seule gouverne mon sort,
Au plus bel age de la vie, A reçu le coup de la mort
Et que cet accident triomphe en mesme jour Au plus bel âge de la vie,
De toutes les forces d’Amour. Et que cet accident triomphe en même jour
De toutes les forces d’Amour.
Las ! je n’en puis dire autre chose,
Mes souspirs trenchent mon discours. Las3 ! je n’en puis dire autre chose,
Adieu, ruisseau, repren ton cours Mes soupirs tranchent mon discours.
Qui non plus que moy ne repose ; Adieu, ruisseau, reprends ton cours
Que si, par mes regrets j’ay bien pu t’arrester, Qui, non plus que moi, se repose4 ;
Voilà des pleurs pour te haster. Que si, par mes regrets, j’ai bien pu t’arrêter,
Voici des pleurs pour te hâter5.
Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, « Plainte sur la
mort de Sylvie », Les Œuvres du sieur de Saint-Amant
Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, « Plainte sur la
(1629)
mort de Sylvie », Les Œuvres du sieur de Saint-Amant
(1629)

1. Onde (ici) : eau, flot. 2. Amer (ici) : triste, voire douloureux. 3. Las : Hélas. 4. « Qui, non plus que moi, se repose » : qui, tout
comme moi, ne peut pas se reposer. 5. Hâter (ici) : faire reprendre rapidement son cours.
Séquence 1 : La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle

Texte : Charles d’Orléans, « Las, mort qui t’a fait si hardie… », Ballades et rondeaux (vers 1440)

Orthographe modernisée 1. « Qui t’a fait si hardie » : qui t’a permis. 2. « Car j’aime
mieux prochainement mourir » : Car je préfère mourir
Las ! Mort, qui t’a fait si hardie1 bientôt. 3. « De tous biens était garnie » : elle était comblée
De prendre la noble princesse de tous les bienfaits. 4. Fausse (ici) : hypocrite, pernicieuse. 5.
Qui était mon confort, ma vie, Rudesse : brutalité, dureté. 6. « Si prise l’eusses en vieillesse,
Mon bien, mon plaisir, ma richesse ! ce ne fût pas si grande rigueur » : Si tu l’avais prise dans sa
Puisque tu as pris ma maîtresse, vieillesse, je ne t’en tiendrais pas tant rigueur. 7. Hâtivement :
Prends-moi aussi son serviteur, rapidement, tôt. 8. Liesse : joie, bonheur. 9. À largesse :
Car j’aime mieux prochainement généreusement, en quantité. 10. « Qu’elle ne soit pas
Mourir2 que languir en tourment, longuement » : afin qu’elle ne reste pas longtemps.
En peine, souci, et douleur !

Las ! De tous biens était garnie3


Et en droite fleur de jeunesse !
Je prie à Dieu qu’il te maudie,
Fausse4 Mort, pleine de rudesse5 !
Si prise l’eusses en vieillesse,
Ce ne fût pas si grande rigueur6 ;
Mais prise l’as hâtivement7,
Et m’a laissé piteusement
En peine, souci, et douleur !

Las ! Je suis seul, sans compagnie !


Adieu ma Dame, ma liesse8 !
Or est notre amour départie,
Non pourtant, je vous fais promesse
Que de prières, à largesse9,
Morte vous servirai de cœur,
Sans oublier aucunement ;
Et vous regretterai souvent
En peine, souci, et douleur !

ENVOI
Dieu, sur tout souverain Seigneur,
Ordonnez, par grâce et douceur,
De l’âme d’elle, tellement
Qu’elle ne soit pas longuement10
En peine, souci, et douleur !

Charles d’Orléans, « Las, mort qui t’a fait si hardie… »,


Ballades et rondeaux (vers 1440)

La ballade en poésie

-Issue du latin ballare, qui signifie « danser », la ballade est une forme poétique fixe. Elle est particulièrement en
vogue au cours du Moyen Âge, et notamment aux XIVème et XVème siècles (Christine de Pisan, Charles d’Orléans,
François Villon…).
-L’origine lyrique et musicale de la ballade la prédispose à célébrer l’amour, mais le genre s’empare également de
Séquence 1 : La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle
sujets philosophique ou moraux. Sa structure lui permet en effet d’interroger la destinée humaine.
-Il existe deux formes de ballades : la grande ballade et la petite ballade.

Texte : Ronsard, « Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose… », Les Amours, 2ème partie : « Sur la mort de
Marie » (1578)

« Sur la mort de Marie » est un poème commandé à Ronsard par le roi Henri III suite au décès de sa maîtresse Marie
de Clèves. En l’écrivant, Ronsard en profite pour rendre hommage à une autre Marie, dont il était lui-même
amoureux, morte elle aussi prématurément.

Orthographe ancienne Orthographe modernisée

Comme on voit sur la branche au mois de May la rose Comme on voit sur la branche au mois de Mai la rose
En sa belle jeunesse, en sa premiere fleur En sa belle jeunesse, en sa première fleur
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur, Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur,
Quand l’Aube de ses pleurs au poinct du jour l’arrose : Quand l’Aube de ses pleurs au point du jour1 l’arrose :

La grace dans sa fueille, et l’amour se repose, La grâce dans sa feuille, et l’amour se repose,
Embasmant les jardins et les arbres d’odeur : Embaumant2 les jardins et les arbres d’odeur :
Mais batue ou de pluye, ou d’excessive ardeur, Mais battue ou de pluie, ou d’excessive ardeur3,
Languissante elle meurt fueille à fueille déclose : Languissante4 elle meurt feuille à feuille déclose :

Ainsi en ta premiere et jeune nouveauté, Ainsi en ta première et jeune nouveauté,


Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté, Quand la terre et le ciel honoraient ta beauté,
La Parque t’a tuée, et cendre tu reposes. La Parque5 t’a tuée, et cendre tu reposes6.

Pour obseques reçoy mes larmes et mes pleurs,


Pour obsèques reçois mes larmes et mes pleurs,
Ce vase plein de laict, ce panier plein de fleurs,
Ce vase plein de lait, ce panier plein de fleurs,
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.
Afin que vif, et mort, ton corps ne soit que roses.
Ronsard, « Comme on voit sur la branche au mois de
Ronsard, « Comme on voit sur la branche au mois de Mai
May la rose… », Les Amours, 2ème partie : « Sur la mort
la rose… », Les Amours, 2ème partie : « Sur la mort de
de Marie » (1578)
Marie » (1578)

1. « Au point du jour » : à l’aube, aux aurores. 2. Embaumer : parfumer, diffuser une odeur agréable. 3. Ardeur (ici) : désir
amoureux. 4. Languissante : faible, mourante. 5. Parque : déesse infernale qui coupe le fil de la vie dans la mythologie antique. 6.
Reposer signifie ici mourir.
Séquence 1 : La poésie du Moyen Âge au XVIIIème siècle

Doc.1 : Ronsard, Les Amours, éd. d’Art H. Piazza (1926)

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