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ESSAIS

DE MONTAIGNE

Étude de l'œuvre
PAR
BRUNO ROGER-VASSELIN
AGRÉGÉ DE LETTRES CLASSIQUES

H HACHETTE
Éducation
Le lecteur tirera profit de nombreux développe-
ments complémentaires, relatifs à l'œuvre de Montaigne,
qu'il trouvera dans l'édition des Essais, assurée par le
même auteur, au sein de la collection « Classiques
Hachette» (n° 54, 1994), sous la double forme d'un
livre de l'élève et d'un Dossier du professeur, auxquels
sont faits ici de nombreux renvois.

Illustration de couverture : Florence Quintin.

© Hachette Livre, 1995 - 43, Quai de Grenelle - 75905 PARIS


CEDEX 15.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés
pour tous pays.
I.S.B.N. 2.01.166902.2
POURQUOI LIRE
LESESSAISAUJOURDH
' UI ?
Montaigne est un écrivain majeur de la littérature mon-
diale, et le fait qu'il soit devenu une sorte d'institution ne doit
pas rendre sa lecture rébarbative comme un pensum. Sa réflexion
est toujours actuelle, parce qu'il s'est toujours interrogé sur la
portée intemporelle et permanente des événements ou débats
auxquels il réfléchissait. L'obstacle de la langue du XVI siècle,
trop souvent jugé décisif à notre époque, risquerait de masquer
ce premier intérêt des Essais. Il faut abandonner l'image du sage
ennuyeux, se rendre compte de la fraîcheur, de la vivacité de cet
homme et de son langage. Lui-même disait : « Les lieux et les
livres que je revois me rient toujours d'une fraîche nouvel-leté » (I,
9, Des menteurs). En abordant une telle œuvre, on se trouve en
présence d'un esprit curieux de tout, qui tente d'assumer pleine-
ment son engagement dans une période de découvertes et de
conquêtes géographiques, de troubles civils et religieux, dans
des modes de vie dont il perçoit toute la relativité, et qui, en
même temps, tente de dépasser ces données européennes de son
temps en les mettant à l'épreuve de la distance et de la durée,
c'est-à-dire en les comparant à d'autres temps et d'autres lieux.
C'est le rôle des incessantes citations et références aux Anciens,
à Rome et à la Grèce classique, mais parfois aussi à la postérité,
au Nouveau Monde, à la Chine, dont le texte est émaillé. Savoir
si ce que l'on vit est dû au caractère de la nature humaine, ou
seulement aux circonstances, et comment se fait le partage entre
ces deux types d'explication, voilà, semble-t-il, en quoi consiste
la démarche de Montaigne
Un second intérêt pour le lecteur de cette fin de siècle,
friand de mouvement, de vitesse et d'improvisation savamment
concoctée, est de découvrir derrière « l'embrouillure » des
Essais, avec leur liste hétéroclite de chapitres (57 et 37 pour les
deux premiers livres parus en 1580, 13 beaucoup plus étendus
1. Montaigne, ainsi, est bien un artiste qui combine les marques de l'éternel
(réflexion sur l'homme) et du transitoire (les hommes du XVI siècle), conformé-
ment à la définition, donnée ultérieurement par Baudelaire, de la « modernité ».
pour le troisième paru huit ans plus tard), une structure très
solide. « Ce n'est pas tant la force et la subtilité que je demande,
comme l'ordre », écrit-il dans l'essai De l'art de conférer (III, 8).
La composition de l'œuvre est, en effet, concertée pour rendre
hommage à Étienne de La Boétie, l'ami unique, et à Pierre
Eyquem, « le meilleur père qui fut onques [jamais] », à travers
les charpentes du premier et du second livre.
Quant au troisième livre, il met en relief deux autres attraits
des Essais : l'autoportrait et l'étalement des rédactions sur une
vingtaine d'années. L'autoportrait était déjà présenté dans l'avis
Au lecteur de 1580 comme une priorité : « Car c'est moi que je
peins. » Mais il restait timide, limité à de rares chapitres et géné-
ralement rattaché à des questions de morale, comme s'il avait du
mal à s'assumer pour lui-même (état A : 1580). Au contraire,
au cours du troisième livre et à travers les premières additions
(état B : 1588) aux deux premiers, la peinture du moi se déve-
loppe pour atteindre un point d'orgue dans l'essai final, De l'ex-
périence (III, 13). Et elle va, dans une large mesure, nourrir tous
les ajouts qui, après l'édition de 1588, enrichiront encore les
trois livres jusqu'à la mort de l'auteur en 1592. Autrement dit,
plus le temps passe, plus l'écriture de Montaigne se fait person-
nelle. Cette écriture mouvante, à l'image d'une pensée mobile
s'efforçant de maintenir en équilibre les plateaux de sa balance
en une époque de violence et de débordements, notamment par
l'interrogation du « Que sais-je ? », est une des caractéristiques
de Montaigne. En retouchant son texte, il cherche :
1) à coller à la réalité de son siècle précaire et agité ;
2) à vérifier la fidélité de son autoportrait à ce qu'il se sent
vraiment être année après année ;
3) à éviter les contrefaçons ou rééditions sauvages qu'est
susceptible de provoquer tous les sept ans - à chaque échéance
de ce qu'on appelait alors les « privilèges royaux » - la perte
de la propriété littéraire de son t e x t e
1. Le système des privilèges royaux (cf. George Hoffmann, « Les "Ajouts " et le
système des privilèges », colloque « Éditer les Essais de Montaigne », Sorbonne,
Paris, janvier 1995) permettait au pouvoir politique d'exercer une censure sur les
publications, car le privilège, c'est-à-dire le droit d'imprimer une œuvre et de la
mettre en vente, n'était accordé qu'après examen de son contenu par une commis-
sion de spécialistes (souvent théologiens de la Sorbonne), et permettait, en même
temps, d'offrir contre les plagiats une protection juridique à durée déterminée -
en l'occurrence sept ans - à l'ouvrage auquel le privilège s'appliquait. Pour obtenir
un nouveau privilège, il fallait entièrement renouveler la teneur de l'ouvrage
concerné. D'où les indications, sur le frontispice de l'édition de 1588 des Essais,
des « plus de six cents additions » apportées aux deux premiers volumes à côté
du troisième livre qui sortait cette année-là ; et, de même, les « mille additions »
- contenues dans le fameux « exemplaire de Bordeaux » - qui serviront de base
à l'obtention d'un nouveau privilège pour l'édition posthume de 1595, établie par
la « fille d'alliance » de Montaigne, Marie de Gournay.
L E

CONTEXTE

IMMÉDIAT
ytpe="BWD" Événements historiques Événements culturels

1533 Exécution de l'Inca Atahualpa par les Mariage du dauphin, le futur Henri II,
hommes de Pizarro. avec Catherine de Médicis.
1536 Exécution d'Anne Boleyn. Michel-Ange commence la fresque du
Arrivée de Calvin à Genève. Jugement dernier.
1539 Ordonnance de Villers-Cotterêts. Loyola fonde la Compagnie de Jésus.
1547 Mort d'Henri VIII et de François I Naissance de Cervantès.
1554 Le futur Philippe II d'Espagne épouse À Genève, Michel Servet a été exécuté
Marie Tudor. l'année précédente.
1557
1558 Mort de Charles Quint. Du Bellay, Les Regrets.
1559 Paix du Cateau-Cambrésis. Le Primatice nommé surintendant des
Mort d'Henri II. Bâtiments royaux.

1562 première
Massacre guerre de Religion.
des huguenots à Vassy : Ronsard, Discours des misères de ce temps.
1563 Assassinat du duc François de Guise. Fin du Concile de Trente (1562-1563).
1565 Philibert Delorme construit les Tuileries.
1568 Emprisonnement de Marie Stuart.
1569 Troisième guerre de Religion : Coligny, Camoens, Les Lusiades.
chef du parti protestant depuis la mort Mercator dresse sa carte du monde.
de Condé, marche sur Paris.
1570 Édit de Saint-Germain: liberté de culte Mort de Philibert Delorme.
pour les protestants.
1571 Philippe II, vainqueur des Turcs à Palladio, Traité d'architecture.
Lépante. Coligny, conseiller du roi. Le Tasse, la Jérusalem délivrée.
1572 Massacre de la Saint-Barthélemy Ronsard, La Franciade.
(24 août). Début de la quatrième guerre Amyot, traduction des Œuvres morales de
de Religion. de Plutarque.
1574 Mort de Charles IX ; avènement Arrivée, en France, de la troupe italienne
d'Henri III. Cinquième guerre de Religion des Gelosi («Commedia dell'arte»).
(nov. 1574-mai 1576).
1575
1576 Paix de Monsieur, très favorable aux Publication du Discours de la servitude
protestants : formation de la première volontaire sous le titre Contr'un par les
Ligue. protestants.
1577 Paix de Bergerac (septembre). Édit de Jean de Léry, Histoire d'un voyage fait
Poitiers (octobre). en la terre du Brésil, autrement dite
Amérique.
1580 Prise de Cahors par Henri de Navarre. Bernard Palissy, Discours admirables de la
nature des eaux et des fontaines.
1581 Les Provinces Unies des Pays-Bas
proclament leur indépendance.
1582 Grégoire XIII institue le calendrier Odet de Turnèbe, Les Contents, comédie.
grégorien.
1583

1585 Reprise de la guerre (huitième et Mort de Ronsard.


dernière).
1588 Journée des Barricades (12 mai): Tintoret, Le Paradis.
Henri III quitte Paris aux mains des
ligueurs.
Exécution d'Henri de Guise et de son
frère le cardinal Louis de Guise.
1589 Mort de Catherine de Médicis. Caravage, Bacchus.
Assassinat d'Henri III.
1592 La Ligue fait régner la terreur et le Shakespeare, Richard III.
fanatisme dans Paris assiégé. Naissance de Jacques Callot.
1595 Guerre contre l'Espagne (→ 1598).
ytpe="BWD"conseiller des Finances.
ypte=B
"WD"et œuvre de Montaigne Dates
Naissance de Michel de Montaigne (28 février). Mis en nourrice dans un hameau 1533
de bûcheron, il passe ses premières années à la campagne.
Montaigne, confié à un pédagogue allemand, apprend selon une méthode originale 1535-
le latin avant le français. 1536
Entrée au collège de Guyenne à Bordeaux, l'un des premiers de France. 1539
Montaigne étudie le droit à Toulouse. 1547
Montaigne est nommé conseiller à la Cour des Aides (cour de justice des affaires 1554
fiscales) de Périgueux.
Entrée comme conseiller au Parlement de Bordeaux. 1557
Début d'une amitié unique avec Étienne de La Boétie, de trois ans son aîné. 1558
Voyage à Paris : Montaigne suit le nouveau souverain, François II, à Bar-le-Duc, 1559
où il voit l'autoportrait de René d'Anjou.
Montaigne suit la Cour au siège de Rouen où il rencontre les indigènes évoqués dans 1562
l'essai Des Cannibales (I, 31).
Mort de La Boétie (18 août). 1563
Mariage de Montaigne avec Françoise de La Chassaigne, fille d'un collègue au 1565
Parlement de Bordeaux.
Mort de Pierre Eyquem. 1568
Accident de cheval où Montaigne, tombé dans le coma, a cru mourir. 1569
Montaigne publie la traduction de La Théologie naturelle de Raimond Sebond.

Montaigne vend sa charge de conseiller au Parlement de Bordeaux. 1570


Montaigne se retire en son château où il fait peindre deux inscriptions solennelles 1571

Début de la composition des Essais. 1572


s u r les murs de sa «librairie».
Participe à la reprise de Fontenay-le-Comte aux protestants. Il est chargé de mission 1574
par le duc de Montpensier auprès du Parlement de Bordeaux.

Lecture des Hypotyposes de Sextus Empiricus. 1575


Montaigne fait frapper à son effigie une médaille portant l'emblème de la balance et 1576
la devise : « Que sais-je ? »

Montaigne devient gentilhomme de la Chambre du roi de Navarre. 1577

Publication des deux premiers livres des Essais à Bordeaux (mars). Voyage à la Cour, 1580
puis en Suisse, Bavière, Italie: séjour à Rome.
Séjour à Lucques. Montaigne apprend son élection à la mairie de Bordeaux 1581
(septembre) et regagne la France à la demande expresse d'Henri III.
Deuxième édition bordelaise des Essais avec quelques additions inspirée du voyage 1582
(édition rattachée à l'état A du texte).
Réélection à la mairie de Bordeaux. Rôle de négociateur entre le parti d'Henri III 1583
et celui d'Henri de Navarre.
Peste à Bordeaux et dans la région : Montaigne quitte son château pour quelques 1585
temps. Il a commencé la rédaction du troisième livre des Essais.
Voyage à Paris. Sur la route, il est détroussé : on lui vole, puis on lui rend son 1588
manuscrit. Publication du troisième livre des Essais avec de considérables additions
aux deux premiers (état B). À Paris, par représailles contre l'arrestation d'un ligueur,
il est embastillé quelques heures puis libéré à la demande de la reine-mère.

Nouveaux ajouts aux Essais sur son exemplaire (aujourd'hui appelé « l'exemplaire 1589
de Bordeaux ») en vue d'une autre édition.
Mort de Montaigne dans son château (13 septembre). 1592
Édition posthume des Essais à Paris, par les soins de Pierre de Brach et de la «fille 1595
d'alliance» de Montaigne, Marie de Gournay.
ÉCRIRE, PENSERETVIVRE
AUTEMPSDEMONTAIGNE1
La vie de Montaigne (1533-1592) se déroule sur les deux
derniers tiers du XVI siècle. Il a donc connu, dans son
« enfance », c'est-à-dire avant la trentaine, la période optimiste
de la Renaissance. C'est, en poésie, le temps de l'école de Lyon
avec Louise Labbé, Maurice Scève, Pernette du Guillet ; puis
celui de la Pléiade avec Ronsard, Joachim du Bellay, Jacques
Peletier du Mans, Rémi Belleau... Les Valois-Angoulême sont
des souverains somptueux, en particulier François I qui règne
de 1515 à 1547, et auquel succède son fils, Henri II, jusqu'en
1559. Cette dernière date marque également, par le traité du
Cateau-Cambrésis signé trois mois avant la mort accidentelle
d'Henri II, la fin des guerres d'Italie.
En somme, la première moitié de la vie de Montaigne se
situe dans « le beau seizième siècle ». Le fond de franchise et de
liberté, que garderont toujours les Essais, tient à cette influence
des années de jeunesse. Alors ont fleuri tous les livres de Rabe-
lais, parus entre 1532 et 1554, mais aussi L'Heptaméron de Mar-
guerite de Navarre (publication posthume, 1558) et la littérature
narrative des Noël du Fail : Propos rustiques (1547), Bonaven-
ture des Périers : Nouvelles récréations et joyeux devis (1558), et
autres anonymes Comptes du monde adventureux (1555). Du Bel-
lay a publié sa Défense et Illustration de la langue française en
1549 ; Jacques Amyot, sa traduction des Vies parallèles de Plu-
tarque en 1558. En art et en architecture, Léonard de Vinci, Pri-
matice et le Rosso se sont installés en France, où les deux
derniers ont décoré le château de Fontainebleau. Les Clouet et
Corneille de Lyon ont déjà produit la plupart de leurs portraits,
si caractéristiques de la manière française du XVI siècle. Pierre
Lescot commence, en 1559, les travaux du Louvre. Dix ans plus
tôt, Jean Goujon a terminé la fontaine des Innocents érigée

1. Pour un exposé plus substantiel sur la question, cf. notre Dossier du professeur,
pp. 29 à 47.
LECTURES

DE

L'ŒUVRE
CRITIQUES ETJUGEMENTS
Outre les commentateurs mentionnés dans notre livre de
l'élève (pp. 69 et 281 à 289), on peut signaler, parmi les auteurs
importants, plusieurs jugements intéressants.
Friedrich Nietzsche apprécie la liberté d'esprit de Mon-
taigne et sa pensée stimulante et ouverte, débonnaire envers ses
propres contradictions comme envers celles d'autrui et de toutes
choses :
Qu'un tel homme ait écrit, vraiment la joie de vivre sur terre
en a été augmentée. Pour moi au moins, depuis que j'ai fait la
connaissance de cette âme libre et forte entre toutes, je me sens
obligé de dire ce qu'il dit lui-même de Plutarque : « Je ne le puis
racointer [revoir] que je n'en tire cuisse ou aile. C'est à lui que je
m'attacherais si l'on me donnait pour tâche de faire de cette terre
un chez-soi. »
Nietzsche, Considérations inactuelles, « Schopenhauer éducateur »,
§ 2, trad. franç. de P Rusch, « Folio Essais », Gallimard, 1992.
Valery Larbaud s'attarde sur l'art des citations :
Il y a un art de la citation, et chez nous Montaigne semble le
posséder au suprême degré : cela se reconnaît au fait qu'on n'en
voudrait supprimer aucune, à tel point que texte et citations se
commentent et s'éclairent mutuellement, et s'additionnent. [...]
Un beau vers, une phrase bien venue, que j'ai retenus, que je
me suis souvent récités, c'est comme un objet d'art ou un tableau
que j'aurais achetés : un sentiment - où entrent à la fois la vanité
du propriétaire, l'amour propre du connaisseur et le désir de faire
partager mon admiration et mon plaisir - m'engage à les montrer,
à en faire parade, comme vous dites. Et même si, par un effort
d'humilité, je parvenais à étouffer ce sentiment, deux raisons me
feraient passer outre et me décideraient à maintenir mes citations.
L'une regarde surtout le présent, le lecteur d'aujourd'hui,
celui auprès de qui je n'ai accès que parce que je suis son contem-
porain et qu'il trouve mes livres parmi les nouveautés chez son
libraire. je souhaite que celui-ci, cet amateur du « vient de
paraître », ce suiveur de la mode, s'il a des loisirs, aille plus loin,
remonte plus haut dans les domaines de la littérature. [...]
L'autre raison regarde l'avenir, c'est-à-dire mon ouvrage en
lui-même, dans une sorte d'absolu où il me plaît de l'imaginer entre
les mains d'un petit nombre de lettrés pour lesquels « contem-
porain » et « moderne » et « vient de paraître » sont sans prestiges,
et qui peut-être me liront comme j e lis Heroët et Jean de Lingendes
et les quatrains de Pierre Mathieu et les poésies de Pierre Patrix.
Considérée à ce point de vue, une citation bien choisie enrichit et
éclaire le paragraphe où elle paraît, comme un rayon de soleil enri-
chit un paysage : les rayons des fins d'après-midi dessinant, préci-
sant, embellissant même des paysages nus et monotones comme les
monts de l'Épire vus de la mer ou de la baie de Corfou.
Larbaud, Sous l'invocation de saint Jérôme,
3 partie : « Technique », Gallimard, 1946.

Stefan Zweig insiste sur l'ouverture au m o n d e , que mani-


feste n o t r e écrivain :
Ainsi l'attitude de Montaigne face à la vie, comme celle de tous
les libres penseurs, aboutit à la tolérance. Celui qui revendique pour
lui-même la liberté de pensée reconnaît le même droit à chacun, et
personne ne l'a mieux respecté que lui. Il ne recule pas d'effroi devant
les cannibales, ces Brésiliens comme celui qu'il a rencontré à Rouen,
parce qu'ils ont mangé des hommes. Il dit clairement et calmement
qu'il trouve cela bien moins important que de torturer des hommes
vivants, de les tourmenter et de les martyriser. Il n'est pas de
croyance ou d'opinion qu'il refuse de prime abord, et son jugement ne
se laisse troubler p a r aucun préjugé : « Je n'ai point cette erreur com-
mune de juger d'un autre selon que j e suis. » Il met en garde contre la
violence et la force brutale qui, plus que tout, peuvent gâter et insen-
sibiliser une âme en soi bien faite.
Stefan Zweig, Europäisches Erbe, S. Fischer Verlag, 1960, trad. franç.
partielle de J.-J. Lafaye et E Brugier, in Montaigne, « Quadrige »,
PUF, 1992.

H u g o F r i e d r i c h , é m i n e n t s p é c i a l i s t e d e s é c r i v a i n s d e la
Renaissance, s o u l i g n e le c ô t é dilettante d e M o n t a i g n e :
Montaigne lui-même se donne volontiers l'air d'avoir mauvaise
mémoire. Il s'applique à faire figure de dilettante qui feuillette au
petit bonheur les livres de sa bibliothèque et note ou oublie selon son
caprice ses trouvailles de hasard. Mais cette attitude (par laquelle il
se défend en homme du monde du soupçon de pédantisme), non plus
que le désordre avec lequel il déverse tout ce qu'il a de culture, ne
peuvent faire illusion : il est versé à fond dans la tradition littéraire.
Il va chercher la citation convenable, l'exemple approprié, avec une
sûreté qui n'appartient qu'au fin lettré. S'il dispose si aisément de sa
vaste richesse intellectuelle, et s'évertue pourtant à donner l'impres-
sion qu'il ne fait qu'en jouer, c'est sa situation historique qu'il carac-
térise p a r là même : pleine encore de la conscience de la tradition, elle
voudrait, tout en ménageant celle-ci, s'en affranchir. Le sens huma-
niste de l'autorité et l'affirmation moderne de l'individu essaient de
trouver leur équilibre.
Hugo Friedrich, Montaigne, chap. II : « Tradition et culture », A. Francke Verlag,
1949, trad. franç.de R. Rovini, Gallimard, 1968, réed. « TEL » 1984.
Enfin Claude Lévi-Strauss, qui peut être mis ici à contribu-
tion pour mieux mesurer l'apport de Montaigne à l'anthropolo-
gie moderne dans les chapitres Des Cannibales (I, 31) et Des
coches (III, 6), souligne :
Si l'Occident a produit des ethnologues, c'est qu'un bien puis-
sant remords devait le tourmenter, l'obligeant à confronter son
image à celles des sociétés différentes dans l'espoir qu'elles réfléchi-
ront les mêmes tares ou l'aideront à expliquer comment les siennes
se sont développées dans son sein.
Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, chap. 38, Plon, 1955.

A D A P T A T I O N S

Parmi les adaptations théâtrales de l'œuvre de Montaigne,


ou les travaux pour la scène relatifs à sa vie, on peut citer :
- Compagnie Jean-Pierre Andréani, Histoire d'un cavalier :
Michel de Montaigne, avec Philippe Bertin, Axel Petersen, Ber-
nard Ferreira, Festival d'Avignon, été 1990.
- Groupe Beaux Quartiers, Montaigne (d'après les Essais),
mise en scène de Thierry Roisin, avec Daniel Kenigsberg et les
acteurs manipulateurs Stéphane Combe, Nathalie Guillot, Pedro
Barreto, accompagnés d'Agnès Raina à la flûte et de Samuel
Maître à la clarinette, Cité internationale universitaire de Paris,
du 4 au 29/02/1992.

On signalera également les numéros spéciaux de journaux


comme Le Point, n° 1040, 22/08/1992, L'Express (« Six week-
ends littéraires et épicuriens », n° 2 : En Aquitaine avec Mon-
taigne, été 1994), et tous les documents parus à l'occasion du
quadricentenaire de la mort de l'écrivain en 1992.
B I L A N S E T

PISTES DE

LECTURE
1 Les trois livres des Essais Héraclite et Que philosopher c'est
apprendre à ourir.
c o m p o r t e n t respectivement :
C De l'amour, Considérations sur les
A 57, 37 et seulement 13 cha-
causes de la grandeur des Romains
pitres. et de leur décadence, Splendeurs et
B tous 45 chapitres. Misères des courtisanes.
C tous 20 chapitres.
6 Ceux du second livre ont
2 Le premier livre comporte
pour titres :
c o m m e thèmes généraux :
A De l'inconstance de nos actions, De
A l'amitié, l'éducation et le Nou-
veau Monde. l'exercitation, De la présomption et
Du démentir
B la paillardise, la ripaille et la
B Du contrat social, Apologie de
fameuse description de l'abbaye Socrate, De l'institution oratoire et
de Thélème.
De l'éminente dignité des pauvres
C les guerres de Religion et le mas-
dans l'Église.
sacre de la Saint-Barthélemy
(24 août 1572).
C De l'affection des pères aux
enfants, De la ressemblance des
3 Le second a p o u r thèmes : enfants aux pères, Apologie de Rai-
mond Sebond et De la liberté de
A les fourberies des valets, les conscience.
femmes savantes et les pré-
cieuses ridicules.
7 Ceux du troisième livre :
B la paternité, la liberté intellec-
tuelle et la tolérance religieuse.
A Des fiacres, Des cloches, Considé-
ration sur Cicéron et De l'utile et
C la recherche du temps perdu,
l'angoisse de la création et la de l'agréable.
mémoire involontaire. B De la diversion, De la physiono-
mie, De trois commerces et Sur des
4 Le troisième livre a pour vers de Virgile.
thèmes : C Du repentir, De la vanité, De l'ex-
périence et Des coches.
A les joies de la vie au grand air et
du voyage.
8 La formule « parce que c'était
B la carrière politique de Mon-
lui, parce que c'était moi » est
taigne et son renoncement à
« l'incommodité de la grandeur ».
tirée du chapitre :
C l'importance du corps et la A De l'amitié.
recherche du bonheur. B D e l'exercitation.
C De l'expérience.
5 Les p r i n c i p a u x chapitres du
premier livre o n t p o u r titres : 9 Le thème de l'autoportrait,
A De l'amitié, De l'institution des annoncé par l'avis Au lecteur,
enfants et Des Cannibales. se développe surtout dans les
B De l 'oisiveté, De Démocrite et chapitres :
A De la présomption et De l'expé- une raison que par-dessus une
rience. autre. »
B Des Cannibales et Par divers C « Quel que je sois, je le veux être
moyens on arrive à pareille fin. ailleurs qu'en papier »
C De l'exercitation, De la vanité et
De ménager sa volonté. 14 L'une de ces trois phrases
n'est pas de Montaigne :
1 0 Le thème du Nouveau Monde
A « L'homme est né libre et partout il
est principalement traité est dans lesfers. »
dans les chapitres : B « C'est ici un livre de bonne foi,
A Coutume de l'île de Céa et Un trait lecteur. »
de quelques ambassadeurs. C « Tout cela ne va pas trop mal :
B Des Cannibales et Des coches. mais quoi, ils ne portent point de
C De l'usage de se vêtir, De l'ivrogne-
hauts de chausse ! »
rie et De trois bonnes femmes.
15 L'une de ces trois phrases
1 1 À l'intérieur de ce thème, les n'est pas de Montaigne :
peuples décrits par Mon- A « Moi, qui ne manie que terre à
taigne sont : terre, [je] hais cette inhumaine
A les Tupinambas, les Aztèques et
sapience qui nous veut rendre
les Incas. dédaigneux et ennemis de la cul-
B les Mayas et les Olmèques.
ture du corps. »
C les Sikhs, les Tamoules et les B « Selon le sage Salomon, sapience
Guinéens. n'entre point en âme malivole et
science sans conscience n'est que
ruine de l'âme. »
1 2 La théorie que défend Mon-
taigne à l'égard des Indiens C « En ce genre d'étude des Histoires,
il faut feuilleter sans distinction
d'Amérique se résume à :
toutes sortes d'auteurs, et vieils et
A la source de richesse que repré- nouveaux, et banagouins et Fran-
sente l'esclavage pour les Euro- çais, pour y apprendre les choses
péens. de quoi diversement ils traitent. »
B l'idée que les Européens n'ont
pour seule supériorité sur les 16 L'expression « états A, B, C »
indigènes que la force des armes désigne :
et du mensonge. A les 3 positions successives adop-
C l'idée que la polygamie est tées par Montaigne sur les ques-
bonne pour la santé des femmes. tions d'argent.
B les 3 couches du texte des Essais
1 3 L'une de ces trois phrases
correspondant aux dates de
n'est pas de Montaigne : 1580, 1588 et 1592.
A « Et pourtant elle tourne... » C les 3 partis qui courtisèrent
B « unefemme déraisonnable, il ne Montaigne durant les guerres de
coûte non plus de passer par-dessus Religion.
1 Les dates de Michel de Mon- B au collège de Guyenne à Bor-
deaux.
taigne sont : C à l'université de Toulouse.
A 1504-1584.
B 1522-1579. 9 Il a rencontré Étienne de
C 1533-1592. La Boétie :
A en 1544.
2 Montaigne était : B en 1557.
A l'aîné de sa famille. C en 1563.
B le cadet de sa famille après la
mort d'une petite sœur en bas 10 Montaigne n'a eu :
âge. A qu'une fille, Léonor.
C le troisième, mais ses deux aînés B qu'un fils, Alphonse.
moururent en bas âge. C aucun enfant.

3 Il avait : 1 1 La Boétie et le père de Mon-


A 3 frères et 1 sœur. taigne sont morts respective-
B 4 frères et 3 sœurs. ment :
C 3 sœurs et 1 frère. A en 1563 et 1568.
B en 1565 et 1570.
4 Montaigne était d'origine : C en 1568 et 1574.
A juive.
B arabe. 1 2 Montaigne a fait une
C franc-comtoise. carrière :
A d'avocat au barreau de Paris.
5 Le père de Montaigne s'appe- B de capitaine dans la garde muni-
lait : cipale de Périgueux.
A Paul Auster. C de juge au Parlement de Bor-
B Pierre Eyquem. deaux.
C Ramon Eyquem. 1 3 Il a pris sa retraite :
6 Montaigne a passé ses pre- A en 1568 à la suite d'un accident
mières années : de cheval.
A à la cour de France. B en 1570 à la suite d'un échec
B à la cour de Navarre. dans sa vie professionnelle.
C dans un hameau de bûcherons. C en 1574 à la suite d'une affaire
de mœurs.
7 La langue maternelle de Mon-
1 4 Montaigne a publié en 1569
taigne était : la traduction française de la
A le périgourdin.
B le latin. Theologia naturalis sive liber
creaturarum, œuvre de :
C le français.
A Raimond Sebond.
8 Montaigne a fait ses études : B Martin Luther.
A au collège de Coqueret à Paris. C Jean Calvin.
1 5 Montaigne se décide à écrire siècle et conservée depuis à la
les Essais : bibliothèque municipale de Bor-
deaux.
A pour rendre hommage à son C l'éducation catholique donnée à
père et à Étienne de La Boétie. François Mauriac par sa mère
B pour surmonter sa propre peur bordelaise, grande lectrice de
de la mort.
Montaigne.
C pour financer les travaux de son
château. 20 Montaigne voyagea :
1 6 Les rois de France sur le A en Allemagne, Suisse et Italie
avec l'un de ses frères en 1580-
trône durant la composition 1581.
des Essais sont successive- B en Amérique avec Nicolas
ment : Durand de Villegagnon en 1557.
A François Ier, Henri II et C en Chine lors du tour du monde
François II. de Vasco de Gama en 1524.
B Henri II, François II et
Charles IX. 21 Montaigne était plutôt fier
C Charles IX, Henri III et Henri IV d'arborer :
A le collier de l'ordre de Saint-
1 7 Les Essais de Montaigne Michel
comportent trois livres, parus B la bulle authentique de citoyen-
de son vivant : neté romaine.
A en une fois. C la médaille, portant la devise
B en deux fois. sceptique « Que sais-je ? » et
C en trois fois. l'emblème de la balance.

1 8 Après sa mort, la première 22 Sur le plafond de sa « librai-


édition posthume des Essais rie », Montaigne avait fait :
a été faite en 1595 par sa A tracer un décor de « grotesques,
« fille d'alliance » : qui sont peintures fantasques
A Marguerite de Navarre.
n'ayant grâce qu'en la variété et
B Marie de Gournay.
étrangeté ».
C Louise Labé. B graver des inscriptions grecques
et latines.
1 9 L'expression « exemplaire de C peindre les armoiries du roi de
Bordeaux » désigne : Navarre, futur Henri IV, qui lui
rendit visite en 1584.
A Montaigne lui-même, particuliè-
rement populaire auprès de ses 23 Montaigne est mort :
administrés quand il fut maire A à cheval lors de la bataille de
de Bordeaux entre 1581 et Moncontour.
1585. B dans son lit entouré des siens.
B l'édition corrigée de la main de C seul dans sa chapelle, terrassé
Montaigne, retrouvée au XVIII par une apoplexie.

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