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Nicolas Duvoux
Vrin | « Le Philosophoire »
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Nicolas Duvoux
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C’est donc pour cette raison de fond, mais aussi pour des raisons plus
contingentes liées à nos propres intérêts de recherche que nous avons décidé
d’articuler cette notice bibliographique autour de trois débats. Le premier débat
porte sur l’interprétation de la modernité qui se déploie autour de la querelle de
la sécularisation, un débat dont l’origine intellectuelle remonte à Hegel et qui
traverse l’histoire intellectuelle allemande jusqu’à l’ouvrage de Blumenberg3. Le
second débat porte sur ce que nous appelons un malaise dans la post-modernité :
par ce titre nous unifions les trois recensions d’ouvrages de Lyotard, Rorty et
Taylor parce qu’ils portent selon nous une même interrogation, voire une même
inquiétude sur la dimension du devenir de l’homme en tant qu’être moral dans
un monde sorti de ce qu’Habermas a nommé « le discours philosophique de la
modernité ». Enfin, nous ferons référence à un débat plus centré sur des analyses
de philosophie sociale ou de sociologie dans lequel les ouvrages associés aux
noms d’Ulrich Beck, d’Anthony Giddens d’un côté et de Peter Wagner de l’autre
ressortent par leur capacité à dégager les axes structurants de la configuration
actuelle de la modernité.
Puissent nos lecteurs, quels que soient leurs intérêts spécifiques et les
disciplines dans lesquelles ils mènent leurs recherches, trouver dans cette modeste
notice des ressources propres à décentrer le regard qu’ils ont coutume de porter
sur ce dont ils sont les fils : la modernité. Puissent-ils aussi à travers la sécheresse
de ces quelques notices bibliographiques, lire les controverses et oppositions qui
lient entre elles les thèses en présence.
marquer une rupture entre le passé romain et païen ramené au statut d’Antiquité
et un présent chrétien qui venait d’accéder à la reconnaissance officielle. A cet
endroit, Jürgen Habermas attire notre attention sur le fait que le concept de
« Moderne » doit être différencié du concept de Temps Modernes : « “Moderne”,
on pensait aussi l’être du temps de Charlemagne, au XIIème siècle et à l’époque
des Lumières – c’est-à-dire à chaque fois qu’un rapport renouvelé à l’Antiquité
a fait naître en Europe la conscience d’une époque nouvelle »4. D’autre part,
« le concept profane de temps modernes exprime la conviction que l’avenir a
déjà commencé : il désigne l’époque, qui vit en fonction de l’avenir, qui s’est
ouverte au nouveau qui vient. (…) Ce n’est qu’au cours du XVIIIème siècle que le
seuil historique se situant autour de 1500 a été, en effet, rétrospectivement perçu
comme un renouveau »5.
C’est ainsi au XVIIIème siècle que la conscience a été prise d’une rupture
ayant eu lieu autour du XVème siècle. Cela n’a rien d’étonnant car c’est à cette
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Ces normes sont dotées d’une sorte d’existence objective. Elles sont
irréductibles aux acquis des sciences naturelles et constituent un domaine à part.
Cependant, c’est le propre de l’expérience moderne que de faire l’épreuve du
possible conflit des normes. Car ces normes sont plurielles, elles ressortissent
de plusieurs registres : il y a d’abord les normes particulières, qui guident nos
devoirs envers nous-mêmes et nos proches ; les normes déontologiques qui
ont empire sur nos raisons d’agir et enfin les normes utilitaires destinées à
l’évaluation des conséquences de nos actions. Dans ce contexte, l’hétérogénéité
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La modernité dont nous parle Larmore est une époque qui n’est plus
régie par les Dieux, ni même par une raison humaine infaillible. Il n’est donc
pas d’instance à laquelle nous puissions nous référer pour identifier une conduite
moralement droite. C’est ce qui fait la particularité de l’épreuve morale moderne.
Une difficulté supplémentaire vient du fait qu’il ne suffit pas de connaître le
bien pour le réaliser : ceci constituait déjà une source de conflit moral chez les
classiques, comme disait le poète : « video meliora proboque, deteriora sequor ».
Il est intéressant de noter que cette thèse sceptique sur l’aptitude de l’homme
à la rectitude morale dans la modernité, et ce, malgré la tendance de l’homme
à accomplir le bien général, s’accompagne d’une méfiance certaine envers les
philosophies du sujet dont Larmore rejette explicitement les tenants. Ceux-ci sont
simples. Ils se ramènent à l’idée que la réflexivité de soi est le point de départ
de toutes les certitudes philosophiques. Cette idée est accompagnée d’une place
exorbitante accordée aux considérations d’ordre cognitif et est relayée par la
croyance que le sujet moderne, ayant accédé à la conscience de soi, parviendra à
conduire l’humanité sur la voie du progrès moral.
développe selon ce que Ricoeur aurait appelé une « identité narrative de soi »
dans l’Histoire, et s’auto-présente comme une interprétation totale et englobante
du monde sorti de la Tradition : la Modernité serait une mise en récit ou plutôt une
pluralité de mise en récits, une lutte des récits. Telle est la thèse de Jean-François
Lyotard sur laquelle nous ouvrons le deuxième temps de cette notice.
transformations qui nous préoccupent, que presque tous nos débats les dénaturent
et nous amènent à imaginer des solutions erronées »13. Les phénomènes qui sont
au cœur des interrogations de nos contemporains ne sont pas compris, ce qui a
pour conséquence d’obscurcir les options morales réellement à notre disposition :
« Je soutiens en particulier que nous ne devrions prendre aucune des voies que
recommandent les défenseurs ou les détracteurs purs et durs de la modernité »14.
Dans un article fort synthétique dans lequel il compare Musil et Taylor sur le
thème du malaise de la modernité15, Jacques Bouveresse résume ainsi l’apport du
texte de Taylor à la compréhension de la modernité :
« Taylor distingue trois causes au malaise de la modernité dans son livre. La première est liée
au triomphe de l’individualisme, qui nous a procuré la liberté, au sens moderne du terme,
mais nous a apparemment fait payer pour cela un prix que certains trouvent trop élevé, en
nous coupant de nos anciens horizons moraux. Nous avons conquis l’autonomie, mais nous
avons du même coup perdu la possibilité de nous considérer comme des éléments qui font
partie d’un ordre qui les dépasse, ce qui n’était pas le cas de nos ancêtres. Cette disparition
de la possibilité de se percevoir comme intégré réellement à un ordre social et cosmique qui
transcende les univers individuels a représenté, aux yeux de certains, une perte essentielle,
puisqu’elle n’a laissé subsister pour finir qu’un agrégat d’individus qui poursuivent des
fins essentiellement privées et n’obéissent généralement qu’à des motivations hédonistes
et égoïstes ».
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Nous ne découvrons pas la vérité, mais nous créons des vérités avec le
langage. Et la science comme la démocratie participent de ces langages qui ne
constituent rien de plus que des bataillons de « l’armée mobile de métaphores »
dont se tisse la vérité selon le mot de Nietzsche que Rorty reprend à son compte.
Cette thèse strictement anti-fondationnaliste conduit l’auteur à penser que si le
La grammaires de la modernité 147
projet moderne (The Enlightenment Project) nous a été d’un grand usage, il n’est
plus nécessaire que nous cherchions à le justifier par le recours à des principes
anhistoriques. Les démocraties, nous dit Rorty, peuvent désormais se permettre
de jeter les échafaudages qui leur ont permis de se bâtir.
« ordre d’après la rareté », non pas pour signifier que la fin de la rareté est
envisageable mais pour faire signe vers la possibilité pour la société d’accorder
la prééminence à d’autres valeurs qu’à la rareté économique ou à la recherche de
l’abondance. De plus, de quelque façon que la société évolue et que les individus
se définissent, la modernisation réflexive verra les technologies de l’information
et de la communication prendre le pas sur les structures organisationnelles de
la première modernité. L’éthique cognitive issue de l’analyse logique produira
une éthique esthétique issue d’une interprétation herméneutique : on retrouve
ici l’individualisme expressif mis en lumière par Taylor comme une « source
de moi ». Enfin, l’individu isolé de la première modernité sera resitué dans des
groupes d’appartenance élective.
L’idée cruciale à l’œuvre dans ce livre – sous des aspects très différents
selon que l’on se place du point de vue de chacun des contributeurs – est que la
modernisation réflexive représente un tournant historique dans la direction de
l’énergie dans les sociétés occidentales modernes. Dans la première modernité,
cette énergie était tout entière utilisée à informer le monde naturel et à faire sortir
la société humaine de la tradition alors que dans le contexte de la modernisation
réflexive, le mouvement n’est plus dirigé vers l’extérieur mais retourné vers
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Notes
1
Jean Baudrillard, À l’ombre des majorités silencieuses, ou la fin du social. Paris : Denoël/
Gonthier, « Médiations », 1982.
2
Henri Meschonnic, Modernité, Modernité, Folio Essais 1993.
3
Jean-Claude Monod, La querelle de la sécularisation, Vrin « Débats et Controverses »,
2000.
4
Habermas, 1988, p951.
5
Ibid, p. 6.
6
Ibid, p. 951.
7
Ibid, p. 9.
8
Michaël Vakaloulis, Le capitalisme post-moderne, coll. « Actuel Marx Confrontation »,
2001.
9
Michael Foessel, « La nouveauté en histoire », Esprit, juillet 2000.
10
Un grand Récit est un schéma interprétatif qui constitue une source ultime et non intégrée
de légitimation des projets scientifiques et politiques de la modernité. Il s’agit de narrations
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Pour une réflexion sur l’arrière-plan sociologique de cette conception du savoir, du rôle
de la science et des processus de légitimation, on peut se référer à la thèse marxienne de
Michaël Vakaloulis, 2001, op. cit.
12
J.-F. Lyotard, 1979, p. 37.
13
Taylor, 1994, p. 10.
14
Ibid p. 19.
15
Guy Laforest et Philippe de Lara (dir), « Musil, Taylor et le malaise de la modernité » in
Charles Taylor et l’interprétation de l’identité moderne, Ed. du Cerf, 1998.
16
Rorty, 1993, p. 23.
17
Beck, Giddens, Lash, 1994, p. 2.