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Qu’est-ce qu’une

réserve de pétrole ?

En 1970, les réserves de pétrole, publiées par les

compagnies pétrolières (y compris les

compagnies d’état, voire plus bas), représentaient

30 fois la consommation annuelle du moment,

laquelle était de l’ordre de 2,4 milliards de tonnes

d’or noir par an. Les réserves publiées valaient

donc environ 72 milliards de tonnes de pétrole

cette année-là (ou encore 530 milliards de barils).

En 2010, après avoir consommé environ 125

milliards de tonnes de pétrole depuis 1970, soit

quasiment deux fois plus que les réserves

publiées en 1970, les nouvelles réserves publiées

par les compagnies pétrolières (à nouveau, y

compris les compagnies nationales, qui en

détiennent 90%) s’élèvent à environ 180 milliards

de tonnes (ou encore 1330 milliards de barils),

soit de l’ordre de 40 fois la consommation de

2010. Les réserves, c’est apparemment bien plus

fort que la multiplication des petits pains : plus on

en consomme, plus il y en a !

Comment avons-nous pu avoir cet apparent

miracle, qui est que les réserves ont pu ainsi

croître et multiplier au fur et à mesure que nous

les consommions, alors que la Terre est finie ? La

réponse à cette énigme apparente tient dans la

définition des réserves publiées, qui ne

représentent pas la totalité du pétrole extractible

que nous offre la planète, auquel cas cette valeur

ne pourrait à l’évidence que diminuer, mais juste

une partie de ce dernier. Plus précisément, pour

l’essentiel des opérateurs pétroliers, ce qui est

publié correspond aux réserves prouvées, qui est

du pétrole :

situé dans des gisements déjà en

exploitation ; les gisements déjà découverts

mais non encore exploités en sont exclus,

et a fortiori les gisements non encore

découverts,

qui sortira sans qu’il soit nécessaire que les

ingénieurs mettent au point des procédés

qui n’existent pas encore ; ces réserves

prouvées ne tiennent donc pas compte

d’hypothétiques progrès futurs de la

technique,

qui sortira avec les hypothèses les plus

prudentes faites sur les propriétés

physiques du gisement – encore appelé

réservoir, même si l’objet n’a rien de

commun avec un réservoir de voiture, qui

sont sa taille (ou son volume), la porosité de

la roche et la qualité de la communication

entre les pores, le pourcentage moyen de

pétrole dans la roche, la viscosité du pétrole

contenu, la température et la pression

interne du réservoir, et encore quelques

paramètres qui conditionnent fortement la

quantité de pétrole extractible,

dont l’exploitation est rentable sans qu’il

soit nécessaire que le prix du baril

augmente.

De manière évidente, toutes choses égales par

ailleurs, exploiter un gisement (c’est-à-dire

extraire du pétrole de ce gisement) diminue les

réserves prouvées associées à ce gisement. Pour

que les réserves augmentent alors même que l’on

sort du pétrole du sol, il est donc nécessaire que

« en même temps » il y ait quelque chose qui

contribue à les augmenter. La première idée qui

vient à l’esprit est généralement qu’il y a des

découvertes de nouveaux gisements dont la mise

en exploitation augmente les réserves. Si ces

découvertes sont suffisamment importantes, les

réserves prouvées augmentent alors plus vite par

ce biais qu’elles ne diminuent à cause de

l’extraction.

Mais il n’y a pas que les découvertes qui peuvent

permettre aux réserves d’augmenter. Il y a aussi

toutes les réévaluations du gisement qui sont

faites après la découverte de ce dernier et qui

conduisent à considérer qu’il contient en fait plus

de pétrole extractible que « l’idée que l’on s’en

faisait » au moment de la mise en exploitation

(rappelons qu’une réserve prouvée n’est pas la

totalité du pétrole contenu dans le réservoir, ou le

gisement, mais juste l’évaluation qui est faite de la

fraction qui sortira de manière certaine, et que

cette information est indissociable de la date à

laquelle elle est faite).

Avant de disserter sur les bonnes ou mauvaises

raisons de faire de telles réévaluations, il n’est

peut-être pas inutile de commencer par rappeler

ce qu’est un réservoir de pétrole, qui encore une

fois ne ressemble en rien à un réservoir de

voiture, malgré l’emploi – à tort – du même terme

(et des conséquences désastreuses que cela a

pour certains décideurs qui n’y passent pas plus

de temps que cela). Pour les hydrocarbures, un

tel « réservoir » désigne une roche poreuse, le

plus souvent du calcaire, du grès ou du sable (ou

toute autre roche sédimentaire avec des petits

trous), enfouie à des centaines ou des milliers de

mètres sous terre, et dont les porosités ou

interstices contiennent des choses diverses, dont

la précieuse « huile » (c’est ainsi que les pétroliers

appellent le pétrole) en proportions variables.

Cette roche poreuse peut avoir une forme

« bizarre », et par exemple constituer un réseau

qui ressemble bien plus à corail ou aux branches

d’un arbre qu’à une forme bien compacte, genre

cube ou un œuf, et donc ne pas être commode du

tout à forer, ce qui rend « intéressantes » les

discussions sur la fraction extractible du pétrole

contenu. Le plus souvent, la roche poreuse

contient aussi de l’eau (située sous le pétrole) et

du gaz (situé au-dessus), ce dernier contribuant à

la pression interne du réservoir. La proportion

d’huile dans la roche (pour la partie qui en

contient) peut aller de quelques % à quelques

dizaines de %, et ce pourcentage peut fortement

varier d’un bout à l’autre du réservoir. Enfin la

viscosité de cette « huile » se promène entre celle

de l’eau et celle du bitume.

Dans les autres caractéristiques d’un réservoir de

pétrole qui le différencient fondamentalement

d’un réservoir de voiture, il y a le débit : ce

réservoir met des millions d’années à se remplir,

et pour le vider partiellement les hommes vont

mettre quelques dizaines d’années à un siècle.

Une fois que nous avons compris cela, alors il est

relativement facile de comprendre qu’au moment

de la découverte d’un gisement, savoir combien

de pétrole le gisement en question pourra fournir

du début à la fin de son exploitation peut

meubler quelques discussions animées !

Découvertes, vous avez dit découvertes ? De fait,

avant de faire sortir du pétrole du sous-sol, il y a

une petite formalité à remplir qui n’aura échappé

à personne : il faut commencer par savoir où il se

trouve, ce satané résidu de plancton. Et localiser

du pétrole, cela commence par… une image sur

un sismographe. La première étape de la

recherche de pétrole consiste en effet à réaliser

des échographies un peu particulières au-dessus

des bassins sédimentaires (le pétrole ne peut se

former que là où il y a eu des étendues d’eau

permettant le développement du plancton ou des

petites algues, donc des bassins sédimentaires) :

on fait exploser des charges de dynamite à la

surface du sol, ce qui envoie de puissantes ondes

sonores vers le sous-sol, puis on analyse avec un

appareil qui s’appelle un sismographe les échos

obtenus par réflexion sur les diverses limites de

couches géologiques en sous-sol.

L’analyse de ces échos permet en premier lieu de

savoir si, selon toute probabilité, il y a du liquide

(qui transmet différemment les ondes sonores)

dans le sous-sol ou pas. Mais à ce stade il est hors

de question d’évaluer de manière fine la présence

d’une quantité donnée de pétrole, et encore

moins de la fraction qui pourra être extraite si du

pétrole est présent.

Exemple d’image obtenue par analyse sismique du sous-

sol. Il faut un oeil exercé pour savoir transformer cette

image en la présence éventuelle de pétrole, et combien !

Les analyses sismiques sont maintenant

exploitées en trois dimensions, ce qui donne des

images déjà un peu plus faciles à interpréter.

Exemple d’image obtenue par analyse sismique en trois

dimensions.

Cette image donne une bonne idée de la forme de la

roche poreuse, mais ne dit toujours pas ce que l’on va

trouver dedans exactement.

Sur la base des analyses sismiques réalisées, la

compagnie qui explore peut décider d’aller « un

cran plus loin ». Ce cran supplémentaire, c’est un

forage d’exploration. Il faut donc faire un trou

dans la formation rocheuse pour remonter une

carotte, c’est-à-dire une colonne de roche

représentative de ce qui a été traversé. Cette

carotte sera analysée, pas nécessairement sur

place, pour voir de quel type de roche il s’agit, s’il

y a effectivement quelque chose qui ressemble à

du pétrole dedans, etc. Des capteurs divers

seront aussi descendus dans le puits

d’exploration pour mesurer tout un tas de

paramètres (pression, température, pH,

conductivité électrique, et j’en passe).

A ce stade, du pétrole sera trouvé… une fois sur

six (dit autrement 5 fois sur 6 le forage

d’exploration est « sec », c’est-à-dire qu’il n’y pas

de pétrole dans la formation rocheuse dans

laquelle on fait le trou). Il est encore prématuré

de dire combien le gisement en contient

exactement. La formation rocheuse qui s’appelle

le réservoir peut être très inhomogène d’un bout

à l’autre et bien malin qui peut dire combien la

carotte est représentative de l’ensemble, et c’est

encore plus vrai si la formation géologique en

question fait des dizaines voire des centaines de

km de long. Qu’à cela ne tienne, il n’y a qu’à faire

un trou tous les 100 mètres ! En théorie c’est une

excellente réponse, mais en pratique les finances

de la compagnie pétrolière ne le supporteraient

pas longtemps : un forage d’exploration coûte

quelques millions de dollars, voire 10 fois plus en

conditions un peu sportives (offshore profond,

régions polaires, etc).

Coût d’un forage d’exploration en fonction de la

profondeur et des conditions en surface.

Source : Pierre-René Bauquis, Total Professeurs

Associés, 2008

Décider de forer pour mettre en exploitation doit

donc se faire sur la base d’un nombre limité de

forages d’exploration.

Mais si les forages d’exploration sont

suffisamment prometteurs, alors le gisement est

mis en exploitation, avec des puits dits…

d’exploitation (qui coûtent beaucoup plus cher),

qui servent à extraire du réservoir la plus grande

fraction possible du pétrole qui s’y trouve. A ce

moment, et à ce moment seulement, on peut

commencer à parler de réserves prouvées. Pour

le gisement mis en exploitation celles-ci sont

évaluées sur la base des analyses sismiques, des

analyses réalisées au moment des forages

d’exploration, et du débit des premiers puits

d’exploitation.

Pour chacun des paramètres pris en compte

(volume de la roche-réservoir, porosité,

perméabilité, pression, viscosité, etc) il y a, à

l’évidence, une fourchette d’incertitude, parce que

ces caractéristiques sont connues à distance via

des analyses ou prélèvements, pas en se

promenant dans la roche-réservoir comme les

héros de Jules Verne. Le volume de la roche-

réservoir peut donc être compris entre tant et

tant, la porosité moyenne entre tant et tant, la

viscosité entre tant et tant, etc.

Tous ces paramètres dimensionnent soit la

quantité de pétrole dans la roche-réservoir (ce qui

s’appelle le « pétrole en place »), comme par

exemple la porosité, soit la fraction qui pourra

être extraite, comme par exemple la perméabilité

(la facilité de communication entre pores), ou

encore la pression ou la viscosité de l’huile. Les

réserves prouvées sont alors obtenues en

mettant à la valeur la plus défavorable possible

tous les paramètres pris en compte, ce qui

correspond à du pétrole qui a 100% de

probabilité d’être extrait, ou à peu près. Il existe

d’autres « réserves », qui sont évaluées en même

temps, simplement en donnant d’autres valeurs

aux mêmes paramètres :

les réserves 2P (prouvé + probable)

correspondent à ce qui sortira « de la

manière la plus probable » du début à la fin

de l’exploitation du gisement (en langage

mathématique, donc monstrueusement

barbare, c’est l’espérance mathématique du

pétrole extractible). C’est à l’évidence plus

que le prouvé (le prouvé c’est le minimum

garanti qui sortira) et c’est généralement

sur cette valeur, non publiée, mais calculée

en même temps que le prouvé, que les

opérateurs pétroliers prennent leurs

décisions d’investissement. Ces réserves

sont encore appelées réserves ultimes,

parce qu’elles représentent la meilleure

estimation possible du total de ce qui finira

par sortir du réservoir concerné. Elles sont

périodiquement réévaluées – à la hausse

ou à la baisse – en fonction de la

production passée, de l’amélioration des

techniques, de l’amélioration de la

connaissance du réservoir, etc.

les réserves 3P (prouvé + probable +

possible) correspondent à ce qui pourrait

sortir « au maximum » ; c’est donc la limite

supérieure que l’on obtient en mettant tous

les paramètres à la valeur la plus favorable

possible. A peu de choses près, la

probabilité que le pétrole extrait de

l’ensemble des champs mondiaux

corresponde aux réserves 3P de ces

champs est aussi élevée que celle de

gagner au loto !

Ce graphique illustre, sur un cas « pour l’exemple », les

différentes valeurs associées aux différentes réserves

pour un même gisement.

En mettant tous les paramètres aux valeurs les plus

défavorables, il sortira 1 milliard de barils, en les

mettant tous à la valeur la plus probable, il en sortira

1,7 milliard (soit 70% de plus), et en mettant tous les

paramètres à la valeur la plus optimiste possible, il en

sortirait 4 milliards de barils (soit 4 fois plus !).

Source : Yves Mathieu IFP, Juin 2004

Les réserves prouvées, qui sont souvent les

seules à être publiées, ne désignent donc pas la

totalité de ce qui existe sous terre, ni même ce

qui finira par sortir de la manière la plus probable

des réservoirs non encore épuisés (ce qui

correspond au 2P), mais seulement la fraction de

ce pétrole encore sous terre qui sortira de

manière certaine ou quasi-certaine des réservoirs

exploités aujourd’hui, avec les techniques

disponibles d’aujourd’hui (ou dans un futur

proche et prévisible), et avec un coût d’extraction

prévisible qui reste inférieur ou égal au prix de

vente présent (ou d’un futur proche et prévisible).

Si nous passons maintenant à une zone

géologique dans son ensemble (un pays, le

monde, un continent…), le graphique ci-dessous

présente d’une autre manière la différence entre

les différentes sortes de réserves.

Différentes sortes de réserves.

Notons à nouveau que les réserves dépendent de

manière cruciale du taux de récupération, c’est-à-dire

du rapport entre le pétrole présent dans le réservoir

au début de l’exploitation (qui peut ne jamais être

connu avec précision ! ), et la partie qu’il sera possible

de remonter du début à la fin de l’exploitation (et qui

ne sera connue qu’à la fin de l’exploitation). Ce taux

est donc le mieux connu… lorsque le réservoir cesse

d’être exploité.

Toutes les réserves, y compris les réserves

prouvées, relèvent d’une appréciation subjective

et temporelle par nature.

Et une évidence désormais est que toutes ces

réserves ont vocation à être périodiquement

recalculées, parce que :

toutes choses égales par ailleurs

l’exploitation en cours les fait diminuer (il

n’y a pas de miracle : extraire du pétrole

d’une roche réservoir diminue la quantité

qui reste dans la roche !)

mais il y a de nombreuses manière de les

réalimenter :

de nouveaux gisements peuvent être

découverts puis mis en exploitation,

et alors, sans changer les conditions

techniques ou économiques, cela

conduit à augmenter les réserves

prouvées,

les techniques d’extraction peuvent

s’améliorer, ce qui, en pratique,

signifie que nous pourrons récupérer

à l’avenir une part plus importante du

pétrole contenu dans les réservoirs.

Actuellement ce taux est évalué à

35% en moyenne : toute amélioration

de ce taux de 1% – c’est-à-dire en le

passant de 35% à 36%, puis de 36% à

37%, etc – augmente les réserves de

3% environ.

les conditions économiques peuvent

changer : si le prix de vente du

pétrole est de 20 dollars le baril, cela

n’a pas de sens pour les compagnies

pétrolières de chercher à extraire du

pétrole avec un coût d’extraction de

25 dollars le baril, même si les

quantités qu’elles pourraient ainsi

extraire sont potentiellement très

importantes. Si le baril passe à 60

dollars alors les gisements où le coût

d’extraction est de 25 dollars le baril

vont rentrer dans les réserves, pour

la fraction techniquement

récupérable bien sûr.

la quantité de « pétrole en place »

peut être revue à la hausse, parce

que le volume du réservoir est revu à

la hausse, et plus généralement il

peut y avoir des réévaluations à la

hausse pour les divers paramètres

qui servent à dimensionner le pétrole

en place.

enfin la raison peut être…

mystérieuse ! Nous verrons plus bas

que les compagnies pétrolières

(nationales) des différents pays du

Golfe Persique déclarent facilement

des réserves prouvées en croissance

ou constantes, alors qu’il n’y a ni

découvertes significatives, ni

amélioration significative des

procédés d’extraction, ni

réévaluations significatives des

propriétés physiques des réservoirs

(qui sont généralement très anciens,

voir plus bas).

Il est alors normal de se demander si

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