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REVUE PROJET - MONDE

Faim zéro. En finir avec la faim


dans le monde
Bruno Parmentier - La Découverte, 2014, 256 p., 19 €

Le chiffre annuel de la faim est tombé en septembre : 805 millions d’individus en


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souffrent dans le monde, l’immense majorité vivant dans des pays en développement
. C’est dire la terrible actualité du livre de Bruno Parmentier, ingénieur et économiste,
directeur pendant dix ans du Groupe École supérieure d’agriculture d’Angers. Cette
vaste synthèse est particulièrement accessible. L’effort pédagogique est manifeste : la
clarté de l’exposition est complétée par quelques tableaux, une vingtaine d’encadrés
permettant de faire le point sur le classement mondial de l’alimentation d’Oxfam,
l’« intensification écologique » de l’agriculture développée par la recherche française
ou encore l’agroécologie urbaine de La Havane. À cela s’ajoutent quelques anecdotes
personnelles. Faim zéro est la suite d’une autre synthèse, publiée en 2007, qui a fait
date : Nourrir l’humanité. Les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXI e siècle (La
Découverte).

« La faim est politique, son éradication aussi. » Cette assertion, qui introduit l’ouvrage
et revient au cours du propos, en donne la clé de voûte. Le choix du mot « faim » n’a
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rien d’anodin et le titre lui-même constitue une sorte d’appel politique. Il se réfère
naturellement au programme « Fome Zero » mis en place au Brésil sous la présidence
de Lula da Silva (2003-2010), véritable politique nationale, coordonnée et
intersectorielle, associant la société civile, incarnée dans des institutions et un cadre de
redevabilité clair. Les résultats furent probants : réduction de la malnutrition infantile
de 61 % entre 1999 et 2009, réduction de la pauvreté rurale de 15 %, etc. Mais le titre
renvoie aussi au « Défi Faim Zéro », lancé par le secrétaire général des Nations unies
en juin 2012. On peut regretter qu’il n’en soit fait qu’une description, sans dire que
cette initiative, par son caractère très général et non contraignant, relève surtout de
l’effet d’annonce. Si l’auteur insiste sur le caractère politique de la faim, il rate sans
doute les multiples enjeux liés à la quantification même du phénomène, au niveau

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national comme au niveau international. Les chiffres ont en effet des répercussions en
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termes de politiques publiques mais aussi de médiatisation . En revanche, les aspects
socio-culturels sont bien pris en compte, quoiqu’à un niveau très global, qu’il s’agisse
de la culture professionnelle des acteurs engagés, de la déconsidération de
l’agriculture, de la « culture du gâchis » dans les sociétés occidentales, des attitudes
face aux technologies ou encore de l’incompréhension des techniciens face aux
solutions mises en œuvre localement et relevant d’une autre rationalité que la leur.

Dans Nourrir l’humanité, Bruno Parmentier avait écrit quelques pages sur ce « nouveau
droit de l’homme » que constitue le droit à l’alimentation. Il y consacre cette fois, à
raison, un chapitre entier. Il revient sur la genèse institutionnelle et intellectuelle de ce
droit, présent dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et dans le Pacte
international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), précisé par les
instances onusiennes et détaillé dans les « Directives volontaires » pour la réalisation
progressive du droit à l’alimentation (2004). Il explique à quel point la mise en œuvre
concrète de ce droit reste l’un des grands défis du XXI e siècle, distinguant trois idées
forces susceptibles d’améliorer la situation : accorder la plus grande attention, au-delà
de la production, aux questions d’accès à l’alimentation ; partir de la situation des
victimes de la faim pour co-construire une réponse adaptée ; légiférer afin de rendre
ce droit contraignant et effectif. Ces propositions sont reprises des travaux d’Olivier De
Schutter, le précédent rapporteur spécial des Nations unies, qui a préfacé ce livre.

Si le propos en reste parfois à des généralités et mériterait plus d’analyses, Bruno


Parmentier prend position dans quelques-uns des grands débats contemporains, sur
les questions d’augmentation de la production agricole (questions maintes fois
reprises) ou les interventions d’urgence (dernier chapitre). Il juge que le soutien à « une
agriculture familiale, solidaire et agroécologique, avec des circuits courts de
commercialisation » est primordial dans la lutte contre la faim. Les solutions qui
viendraient du commerce international ou des progrès de la technique, remises à leur
juste place, sont ainsi évaluées à l’aune des 2,6 milliards d’agricultrices, d’agriculteurs
et de leur famille, premières victimes de la faim. Les conclusions en découlent : la
libéralisation des échanges agricoles – l’auteur relève qu’elle est promue par le Brésil !
– n’empêche aucunement la faim ; les grands acteurs privés s’en accommodent
d’ailleurs très bien, « quand ils ne la provoquent pas » ; les agrocarburants de première
génération sont qualifiés d’« erreur historique » ; les OGM actuels ne sont pas une
solution (l’auteur n’écarte pas la possibilité qu’une seconde génération puisse l’être,
mais souligne le risque majeur des situations monopolistiques et du brevetage du
vivant dans ce domaine). Par ailleurs, s’impose « un changement volontariste des
habitudes alimentaires au Nord » (notamment une réduction de la consommation de
viande) même si l’on ne voit pas comment y parvenir collectivement. L’agriculture

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écologiquement intensive et ses déclinaisons, à commencer par l’agroécologie, sont au


cœur des révolutions nécessaires pour parvenir à un monde sans faim. L’auteur
s’inscrit ici explicitement dans le sillage de Michel Griffon, dont le remarquable ouvrage
de vulgarisation, Nourrir la planète. Pour une révolution doublement verte (2006), insistait
sur le fait que l’équité doit être une préoccupation constante.

Ainsi l’alimentation apparaît-elle comme notre bien commun ; elle relève


fondamentalement d’un problème de justice sociale. Dès lors, la faim ne dépend pas
uniquement de l’action des États mais aussi de « la conscientisation croissante des
populations, la multiplication des initiatives locales, les pressions conjuguées des
citoyens et l’implication concrète de nouveaux acteurs ». Son éradication participe de
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la progression du « principe démocratie ».

À lire aussi sur Revue-Projet.com

Notre Question en débat « Agriculture : écologie pour


tous ? »

1 Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), État de l’insécurité alimentaire dans le
monde 2014.

2 Pierre Janin, « Crise alimentaire mondiale. Désordres et débats » , Hérodote, n°131, 2008, pp. 6-13 [disponible sur
Cairn.info].

3 Voir le dossier « Surveiller et nourrir. Politique de la faim » , Politique africaine, n°119, 2010.

4 Sandra Laugier et Albert Ogien, Le principe démocratie. Enquête sur les nouvelles formes du politique , La
Découverte, 2014, 283 p.

Jean Vettraino
27 October 2014

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