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Efficacité spécifique de l’acupuncture dans le

traitement de fond de la migraine


Un essai clinique multicentrique mené dans trois centres chinois et publié dans le JAMA Internal Medicine vise à
déterminer l’efficacité de l’acupuncture à long terme (6 mois) dans le traitement de la migraine sans aura. Sont inclus
249 patients de 18 à 65 ans (77 % de femmes) avec les critères l’ International  Headache Society (ISH) : 4 à 8 crises
aigües de migraine par mois les trois derniers mois avec douleur unilatérale, pulsatile, de durée > 4 à 72 heures. Les
patients sont randomisés (randomisation centralisée) en trois groupes :

1. Acupuncture vraie, électro-acupuncture avec choix des points selon les méridiens (fig. 1).
2. Acupuncture factice, vraie électro-acupuncture sur des non-points (fig. 2).
3. Liste- d’attente.

Aucun traitement de fond n’est autorisé durant l’étude et en cas de crise la prise d’ibuprofène 300 est possible. Les
patients tiennent un journal de la migraine. Le critère principal est la fréquence des crises la semaine 16. Les critères
secondaires sont le nombre de jours de crise, la sévérité des crises et la prise médicamenteuse sur 4 semaines
durant les 24 semaines de suivi. Au départ et à 4 semaines sont également auto-évalués la qualité de vie spécifique à
la migraine (MSQoL) et le niveaux d’anxiété et dépression .

Figure 1. Protocoles
d’acupuncture vraie et d’acupuncture factice.
Figure 2. Localisation des quatre non-points .
245 patients sont inclus dans l’analyse. On observe une diminution de la fréquence moyenne des crises dans les trois
groupes à la semaine 16 : une diminution de 3,2 (2,1), dans le groupe acupuncture vraie, de 2,1 (2,5) dans le groupe
acupuncture factice et de de 1,4 (2,5) dans le groupe liste d’attente. La différence est significative entre acupuncture
vraie et les deux autres groupes : acupuncture factice (différence de 1,1 crises ; IC à 95%, 0,4-1,9; P = 0,002) et liste
d’attente (différence de 1,8 crises ; IC à 95%, 1,1- 2,5; P <0,001). Par contre on n’observe pas de différence
significative entre acupuncture factice et liste d’attente (différence de 0,7 crise ; IC à 95%, −0,1 à 1,4; P = 0,07). L’effet
de l’acupuncture vraie se maintient à la fin de l’étude (24 semaines). Les mêmes résultats sont observés sur le
nombre de jour de crise et l’intensité des crises sur la durée du suivi. Une différence en faveur de l’acupuncture est
observée sur la composante émotionnelle de la MSQoL versus acupuncture factice ou liste d’attente.
Figure 3. Évolution de la fréquence moyenne des crises de migraine sur
les 24 mois de suivi dans les trois groupes : acupuncture vraie, acupuncture factice et liste d’attente [1].
7 effets secondaires bénins et spontanément résolutifs ont été observés (5 dans le groupe acupuncture vraie et 2
dans le groupe acupuncture factice) : 3 hématomes sous-cutanés, 3 sensation de picotement au niveau des points de
la tête, et 1 œdème au niveau de la cheville après puncture de qiuxu (40VB). Les perdus de vue ne sont que 1,61%.
L’acupuncture dans la migraine

Il s’agit d’un grand essai de haute qualité publié dans une revue majeure montrant un effet spécifique de
l’acupuncture versus acupuncture factice à long terme dans la migraine. Cette étude confirme les résultats des trois
dernières revues systématiques concluant à une efficacité spécifique de l’acupuncture. La revue de la Cochrane de
2016 concluait également que l’acupuncture était au moins aussi efficace que les traitements de fond
médicamenteux. Une revue récente met en évidence cette fois une supériorité avec moins d’effets secondaires. Dans
une comparaison indirecte il est également montré une supériorité de l’acupuncture versus Propranolol.
Ces données solides et convergentes doivent amener à positionner l’acupuncture comme traitement de fond de
première ligne.
Le protocole d’acupuncture

Le protocole utilise un choix des points modulé selon les méridiens, classique dans les traités de base en
acupuncture. En pratique il s’agit d’une association de points céphaliques constants (20VB + 8VB) et de points distaux
au niveau des méridiens, variables en fonction des formes topographiques de migraine (frontale, temporale, pariétale
ou occipitale).
Fengchi (20VB) et shuaigu (8VB) figurent parmi les trois points les plus utilisés dans les études contemporaines sur
les céphalées, mais également parmi les trois points les plus cités dans la littérature ancienne .

Figure 4. Les dix points les plus fréquemment utilisés dans


392 études cliniques de 1950 à 2008 [9].
Il faut observer qu’une différenciation selon les méridiens ou selon les zheng  ne correspond pas à une
individualisation du traitement. Il s’agit d’une simple segmentation d’une population de patients en fonction de formes
cliniques prédéterminées et limitées en nombre, ce qui est courant en thérapeutique. L’affirmation d’une
individualisation du traitement en médecine chinoise n’est pas justifiée.
La même équipe chinoise avait publié en 2012 une autre étude où les patients étaient randomisés en quatre groupes
avec différents choix de points :

 points du shaoyang classiquement indiqués dans la migraine,


 points du shaoyang non-indiqués, 
 points du yangming  classiquement indiqués, 
 et non-points.

L’étude montrait une absence de différence entre les trois groupes acupuncture, et une différence versus non-points
qui n’apparaissait qu’à 13-16 semaines.
Dans l’étude de 2017 les patients sont traités en fonction de la forme topographique de migraine,  alors qu’en 2012 les
patients sont assignés au hasard, quelle que soit leur forme topographique de migraine, à un traitement axé sur un
seul méridien. Les résultats comparés vont dans le sens de l’intérêt d’un traitement selon les méridiens.

Points spécifiques du shaoyang waiguan (5TR), yanglingquan (34VB), qiuxu (40VB), fengchi (20VB)


Points non-spécifiques du shaoyang luxi (19TR), sanyangluo (8TR), xiyangguan (33VB), diwuhui (42VB)
Points spécifiques du yangming touwei (8E), pianli (6GI), zusanli (36E), chongyang (42E)
Non-points (fig. 2) quatre points : bras (2), avant-bras (1), jambe (1)

Acupuncture factice et vraie acupuncture

L’acupuncture factice utilisée dans l’étude consiste en des non-points (fig. 2), mais avec la même technique de
puncture et la même électrostimulation que dans le groupe expérimental, la seule distinction étant l’absence de
recherche du deqi. Cette acupuncture factice peut difficilement passer comme une intervention physiologiquement
inerte, ce qui a des conséquences sur l’amplitude de l’effet observé de la vraie acupuncture.
Une vraie acupuncture peut être définie 1) comme une stimulation appropriée, 2) en des points appropriés, 3) à une
dose appropriée (durée et nombre de séances). Mais dans une pathologie donnée qu’est-ce qui est réellement
approprié ? On fait facilement le constat de grandes variations de pratique. Dans leur revue de 392 études cliniques
sur la migraine Li Hua-Zhang et al. répertorient pas moins de 197 points distincts utilisés dans les protocoles, même
s’il se dégage un certain consensus. Ces variations de pratique se retrouvent à propos des techniques de stimulation
ou encore de la dose. La « vraie » acupuncture correspond en fait à un ensemble vaste de pratiques et il n’y a pas
lieu de penser qu’elles soient toutes d’efficacité équivalente. Cela pose à nouveau la question centrale de la
détermination du protocole optimal.
Sous le terme générique d’acupuncture factice, on regroupe également différentes interventions qui s’écartent d’une
vraie acupuncture sur un ou deux paramètres (stimulation et/ou points). L’intervention la plus communément admise
comme inerte est une fausse puncture non pénétrante (aiguille placebo rétractable type Streitberger ou Park) sur des
non-points (points non répertoriés comme points d’acupuncture).
Mais concernant la stimulation, dans les études peuvent également être utilisées de vraies aiguilles insérées
superficiellement (acupuncture minimale), ce qui pose question parce que l’acupuncture superficielle est également
une modalité technique d’acupuncture vraie. Une étude a montré logiquement que l’amplitude de l’effet de
l’acupuncture est moindre quand le comparateur utilisé est une acupuncture factice pénétrante par rapport à une
acupuncture factice non pénétrante. Si on reprend l’essai clinique sur la migraine, cela signifie que l’effet de la vraie
acupuncture est minimisé par une comparaison à une vraie électrostimulation sur de non-points. De même en ce qui
concerne le choix des points, il peut être utilisé des points d’acupuncture non indiqués dans une pathologie donnée.
Mais il est difficile de définir la limite entre un ensemble de points qui seraient indiqués (acupuncture vraie) et un
ensemble de points qui seraient non indiqués (acupuncture factice).
Dans une méta-analyse comparant l’acupuncture à une acupuncture factice sont regroupés tous les types
d’acupuncture vraie (plus ou moins efficaces) et tous les types d’acupuncture factice (plus ou moins inertes).  Nous ne
sommes plus du tout dans le cadre de la comparaison d’un médicament utilisé à posologie optimale (déterminée par
les études précliniques) contre un vrai placebo (substance inerte).
L’effet de l’acupuncture versus placebo (acupuncture factice) tend ainsi constamment à être minimisé, ce qui est à
prendre en compte dans l’interprétation des méta-analyses.
Johan Nguyen

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