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TD Agriculture durable

Master 1 Politer 2020/2021


Sylvie Mostaert

A partir de la lecture du cours et d'autres sources d'informations, présentez les facteurs qui seraient à prendre
en compte dans une évaluation de risques de pollution de l'eau par les nitrates / par les produits
phytosanitaires, à l'échelle d'un bassin versant de quelques centaines de km 2.

L’évaluation des risques de pollution de l’eau par les nitrates et les produits phytosanitaires est à l’interface de
nombreuses préoccupations : aménagement du territoire, santé et salubrité publiques, protection des
biodiversités, activités économiques et agricoles.
Pour autant, cette évaluation, du fait de la multiplicité des indicateurs à prendre en compte, et de la difficulté
à les combiner précisément, est souvent l’amalgame de plusieurs modèles théoriques, d’observations de
terrains différenciés et de la sensibilité des chercheurs à telle ou telle problématique particulière.
La particularité des pollutions aux nitrates et phytosanitaires est qu’elles sont des pollutions dites diffuses,
c’est-à-dire dont il est particulièrement difficile d’identifier la zone d’origine, la période d’arrivée au sol, les
chemins d’écoulement et le temps de transfert. Cela étant dit, on considérera ici les pollutions provenant du
lessivage des fertilisants agricoles sur les parcelles cultivées, des effluents d’élevage et des engrais minéraux,
que l’écoulement se fasse par voie superficielle (ruissellement) ou souterraine (infiltration).
Dans ce contexte, il est peu évident de « tracer » la pollution et d’évaluer son ancienneté, c’est-à-dire à la fois
la résilience des sols et le temps de renouvellement des nappes, mais surtout de prévoir l’impact précis, au fil
du temps, de telle ou telle utilisation de telle ou telle molécule.

I. Vulnérabilités des milieux aux risques de pollution des eaux

On appelle vulnérabilité intrinsèque, la susceptibilité d’un sol, d’un milieu, d’être atteint par un polluant, mais
uniquement par le prisme des caractéristiques de ce milieu quant aux transferts d’eau, pris comme vecteur des
polluants.
La vulnérabilité spécifique du milieu, quant à elle, prend en compte les caractéristiques du milieu déjà
évoquées (richesse du sol en matière organique, la présence ou non de conditions permettant l’oxydo-réduction
des polluants, le pH) corrélées aux propriétés des polluants (voir ci-dessous).

A. Eléments de compréhension

Notamment lors des pluies, l’importance du ruissellement des eaux de surface va influer sur la vitesse de
migration des polluants vers l’aval, et entrainer leur étalement progressif bien au-delà de la zone d’origine de
la pollution. Ce phénomène naturel peut être accentué ou diminué selon, en particulier, la structure du sol et la
topographie du bassin versant.
Ainsi, une nature limoneuse, argileuse ou calcaire du sol le rendra plus ou moins perméable et sujet à
l’infiltration : un sol très perméable facilitera la pénétration de l’eau dans le sol et l’écoulement par infiltration,
tandis qu’un sol peu perméable bloquera cette infiltration, et favorisera ce ruissellement, dit hortonien, ainsi
que l’érosion hydrique. Cette perméabilité du sol s’ajoute à sa battance, c’est-à-dire la création d’une « croûte »
rendant d’autant plus inefficace l’infiltration 1.
De même, la perméabilité du substratum, sous-jacent, permettra l’infiltration vers les aquifères, ou au contraire
favorisera le stockage de l’eau polluée par le sol, accélérant sa saturation.

1Kobus H. et Zilliox L., Hrsg. Eds. Contamination des eaux souterraines par les nitrates. Actes du colloque franco-allemand, 6/10/88,
Stuttgart (Université de Stuttgart et Université Louis-Pasteur de Strasbourg).
Cette perméabilité du sol et du substratum aura par ailleurs pour conséquence de rendre plus ou moins
vulnérable les nappes phréatiques : ainsi les nitrates ne se dégradent pas et peuvent perdurer des décennies
dans les nappes « libres », c’est-à-dire surplombées par un milieu très peu perméable, en empêchant leur
passage en nappe dite captive. Dans ce contexte, on peut assister à un phénomène de dénitrification, c’est à
dire de transformation des nitrates en azote gazeux par action microbienne, rendant la pollution d’autant plus
diffuse.
En outre, l’importance de la pente accélèrera tout à la fois le ruissellement et l’absence d’infiltration, l’eau
n’ayant pas le temps nécessaire pour pénétrer les couches inférieures avant son déplacement par inertie.
De façon similaire, un débit important du cours d’eau permettra la dilution et donc la baisse de toxicité des
produits phytosanitaires. A l’inverse, dès lors que le débit baisse, on constatera des concentrations de polluants
plus importantes.
A ces éléments topographiques s’ajoutent :
- des éléments climatiques : l’état d’humidité du sol, l’importance des précipitations, voire le taux
d’humidité ambiant rendant peu efficace l’évapotranspiration peuvent entrainer une saturation du sol
en eau. Cette saturation minorera l’infiltration des eaux et polluants, et augmentera leur ruissellement
vers les cours d’eau en aval.
- Des éléments liés à la végétation : la densité du couvert végétal, la diversité des variétés et essences
présentes, les conditions de décomposition en humus, favoriseront à l’inverse l’infiltration dans les
couches inférieures et limiteront la battance et l’érosion hydrique.

B. Impacts sur l’évaluation des risques de pollution

D’emblée, on comprend l’importance d’une cartographie topographique et d’une étude pédologique très
précises, permettant d’appréhender la prévalence de chaque facteur sur le bassin versant concerné. Par
extension, on comprend encore davantage la difficulté d’obtenir une telle précision pour l’ensemble du
territoire.
Au regard des facteurs relevant des sols que nous venons d’indiquer, le bassin versant par sa polystructure peut
donc être considéré comme une « cascade » de zones de rétention des eaux (et donc de leur infiltration
potentielle) ou de transfert rapide (par ruissellement).
Sa bonne connaissance doit permettre d’identifier une somme de facteurs influençant la sensibilité du bassin
versant aux pollutions aux nitrates et phytosanitaires.
A l’étude, on pourra donc déterminer les parcelles dites « particulièrement sensibles » (réagissant rapidement
aux pollutions, mais retournant rapidement à leur état initial par la migration des polluants vers l’aval,
autrement appelées systèmes mobiles, et qui présentent un faible coefficient de rabattement des polluants :
fortes pentes, nappes karstiques, sol pauvre…) et les systèmes dit « stables », c‘est à dire relativement
indifférents aux polluants : sols riches, faible pente, présence de forêts rivulaires, etc.
En seconde intention, les facteurs liés aux milieux détermineront souvent la présence de transferts mixtes,
rendant encore plus difficiles l’évaluation précise des risques de pollution 2 : aux transferts superficiels (dus
au ruissellement diffus ou concentré, aux écoulement latéraux de sub-surface et aux dérives atmosphériques),
et aux transferts souterrains (infiltration, drainance et échanges sub-surface entre aquifère), s’ajoutent souvent
des transferts mixtes, coexistant soit dans l’espace (juxtaposition spatiale), soit dans le temps
(alternance/concomitance temporaire ou permanente)

II. Vulnérabilités liés aux usages et aux produits phytosanitaires


A. Pression anthropique

Pour évaluer les risques de pollutions des eaux à ces molécules, il est important d’observer les facteurs-activités
humaines (ici agricoles), et les facteurs-conséquences, induits par ces pratiques sur les vulnérabilités des
milieux. On pourra parler ici de vulnérabilité « opérationnelle » liée aux pratiques culturales susceptibles
d’amplifier ou d’atténuer les risques de transfert.

2 Rapport d'étude. Convention Onema-Irstea 2013. 52p. + ann. 7p, CATALOGNE C., CARLUER N., IRSTEA
Ainsi, par nature, la culture intensive et conventionnelle de blé générera davantage de pollution aux nitrates et
phytosanitaires que la culture de petits fruits en agroforesterie ou en permaculture, et ce, à plusieurs titres :
- l’aménagement des parcelles (superficie, présence ou non de haies, de talus, de bois, richesse du sol,
etc.) va modifier la structure des sols, leur perméabilité et leur capacité de stockage. La présence de
haies, de talus, de bois permettrait à l’inverse de maintenir un effet de tampon hydraulique freinant les
transferts rapides par ruissellement, et limitant l’érosion hydrique.
- le travail du sol entraine un tassement ou la création de sillons, qui, s’ils sont parallèles à la pente, vont
faciliter l’écoulement superficiel ; à l’inverse, la prairie, la présence de bocages offrent de meilleures
conditions d’infiltration ;
- la mise en place de dispositifs de drainage, et plus largement d’aménagements hydrauliques, modifient
la topographie du bassin versant en supprimant des talus et en creusant les fossés.
- à l’inverse, la mise en place de dispositifs d’irrigation passant par le prélèvement renforcé d’eau en
contexte de basse pluviométrie et de faible débit entraine la concentration des toxiques dans l’eau.
- à la marge, la densité d’occupation des sols dans le cas des fermes d’élevage intensif et des fermes
maraichères hors sol
Pour autant, même les pratiques agricoles n’utilisant que des intrants non synthétiques peuvent générer des
pollutions azotées : les apports excessifs d’azote dans le sol, qu’il soit minéral ou organique, fragilisent
l’écosystème de la même manière. Ce n’est donc pas aux pratiques globales qu’il faut s’attacher, mais bien
aux modalités d’utilisation des intrants : des apports trop fréquents, trop importants, sur des périodes trop
humides, vont fragiliser l’équilibre des sols et des nappes, entrainant par exemple l’eutrophisation du milieu.
De même, les flux de pollution s’observent plus souvent en hiver, car la végétation est moins abondante, et
l’azote minéral n’est donc plus consommé par les plantes. Plusieurs mois après, ce sont les résidus de cet azote
minéral et la minéralisation de l’azote organique du sol qui entraineront un lessivage de la substance en post-
récolte.
En bref, les facteurs à prendre en compte à l’échelle d’un bassin versant et liées à la pression anthropique
seront a minima les superficies des surfaces agricoles utiles ou en prairie, la présence de cours d’eau à
proximité, ou de système d’irrigation, les itinéraires culturaux qui induiront parfois des sols nus tout l’hiver,
la présence d’animaux d’élevage, les pratiques d’assolement, de traitement et d’épandage, le maintien de
bandes végétalisées et les variétés cultivées.

Par souci de précision, il convient de mentionner que les pollutions par le phosphore, si elles relèvent en partie
des engrais minéraux et des effluents d’élevage, sont également dues aux rejets des eaux usées urbaines en
aval. La détermination des teneurs liées à tel ou tel usage est ainsi très difficile, lorsque zones d’élevages denses
et grandes agglomérations sont à proximité.

B. Comportement des nitrates et produits phytosanitaires

D’autres facteurs se cumulent à la pression anthropique pour évaluer le risque de pollution des eaux. En effet,
la gravité du risque doit pouvoir être mesurée en termes de gravité, de récurrence, voire de récence.
Ainsi, le comportement des molécules induira par lui-même des risques plus ou moins forts de pollutions, plus
ou moins graves et plus ou moins pérenne. A titre illustratif, l’azote peut prendre différentes formes chimiques
(ammoniac, nitrite, nitrate), et reste très soluble dans l’eau : il peut facilement, en cas d’infiltration, contaminer
les eaux souterraines.
Sa vitesse de migration dans l’eau en fait également une molécule particulièrement contaminante par
ruissellement. A la fois, il se dégrade peu dans le temps, ce qui peut permettre un processus de dénitrification
microbienne dans de bonnes conditions (abondance de carbone en saison humide notamment). A titre
d’exemple également, l’isoproturon, herbicide du blé, migre à la même vitesse que l’eau : en cas de couple
pluie abondante/pics de débit, le polluant va donc se propager très rapidement dans le reste du bassin versant.
En outre, les polluants n’ont pas tous les mêmes propriétés de sorption et de désorption, or la sorption entraine
une effet mécanique d’atténuation des concentrations dans l’eau, et un ralentissement de la migration.
Un facteur supplémentaire à prendre en compte dans l’évaluation des risques de pollution est le facteur-temps :
la vitesse de dégradation des molécules, évaluée par le temps de demi-vie, qu’il s’agisse de nitrates ou de
produits phytosanitaires, est propre à chaque agent. Cette demi-vie peut aller de quelques jours à plusieurs
années, ce qui influencera les valeurs de contamination que l’on pourra relever.
A cet égard, il doit être précisé que si dégradation il y a, cela n’entraine pas de façon automatique la baisse de
la toxicité : certains produits dérivés, c’est-à-dire dégradés à plus d’une demi-vie et difficilement quantifiables,
peuvent être tout aussi nocifs : les métabolites sont le symbole de ce facteur-temps : elles sont présentes en
quantité minime, peu évaluées, mais ont des propriétés contaminantes à faible dose en l’absence de traitement
adapté des eaux, y compris des eaux de consommation humaine 3.

III. Approche intégrée des facteurs d’évaluation : discussion


Il existe pléthore de modèles (PRADO, RGBM, RISK, DRASTIC...) et d’indicateurs pour tenter de classifier
les facteurs à prendre en compte dans l’évaluation des risques de pollution des eaux par les nitrates et les
produits phytosanitaires4.
On le voit bien, la complexité des facteurs pouvant influer sur l’évaluation des pollutions se retrouvent dans la
multiplicité des méthodes de diagnostic, fondés sur l’observation 5 : ainsi, le modèle PRADO (pré-diagnostic
du risque d’altération des eaux), réunit 13 facteurs agissant plus ou moins selon le type de transfert potentiel
de nitrates et/ou de produits phytosanitaires, ce qui représente sont intérêt : il tient compte des superposition
ou juxtaposition des niveaux de risques les plus élevés. Idem pour la méthode RISK (roche, infiltration, sol et
karsification) à laquelle on peut ajouter utilement des modèles d’analyse des pressions agricoles (de type
ARTHUR). D’autres modèles dédiés au type d’aquifère (Drastic,Disco) permettent d’affiner la prévalence de
tel ou tel indicateur (épaisseur de la zone non saturée en eau, degré de karsification, discontinuités…).6

En tout état de choses, chacun de ces modèles vise à proposer, en complément d’autres, une approche intégrée
de ces facteurs et de ces risques.
Ainsi, à tout le moins, une approche intégrée des facteurs à l’échelle d’un bassin versant doit tenir compte
d’éléments portant sur :
- La sensibilité/la vulnérabilité des structures, des milieux et des systèmes hydrologiques (sols,
topographie, cheminement de l’eau) du bassin
- La capacité d’absorption, de ralentissement du ruissellement et de l’infiltration de la végétation (haies,
forêts, prairies, bocages…)
- Le potentiel d’altération de ces capacités et sensibilités liés aux pratiques agricoles dans leur ensemble
- La résilience du système hydrologique (temps de transfert entre versant et cours d’eau, temps de
renouvellement des nappes, etc
- Les propriétés physico-chimiques des molécules polluantes, pour autant que l’on puisse les déterminer
et les quantifier.
- A l’échelle du bassin, les corrélations de ces différents facteurs 7 (transferts mixtes ou non, fréquence
d’utilisation, aménagements paysagers, climats, etc)
- On peut ajouter l’existence ou non de politiques publiques pouvant amener une modification des
comportements.

En 2017, des chercheurs de l’INRAE ont tenté de concilier, à l’échelle d’un bassin versant, la qualité
d’indicateurs de prévision des risques de pollution liés au composant chimique, au milieu pédologie et
atmosphérique, et aux techniques et itinéraires culturaux 8.
Il en ressort que le croisement de ces indicateurs, pour le plus complet possible qu’il soit…, n’intervient que
peu dans la réalité de la prédiction des risques, sauf à pouvoir multiplier les données d’étude pour en extraire
un modèle « générique » applicable à tous les bassins versants.

3 Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail relatif à l’évaluation de la
pertinence des métabolites de pesticides dans les eaux destinées à la consommation humaine, 30 janvier 2019
4 Juan, G., et Voltz, M. (2018). Fiches de renseignement sur les outils de la recherche pour réduire les pollutions de l’eau par les

pesticides. Document annexe au référentiel, convention INRA-AFB. 440 p.


5 Bardy M., Lagacherie P., Laroche B., Duigou N., Girot G., et al.. Connaissance des sols sur les aires d’alimentation de captages.

Innovations Agronomiques, INRAE, 2017, pp.153-170. 10.15454/1.5137825851268264E12. hal-01608369


6 Protection des captages d’eau potable : Etudes de bassin d’alimentation de captage, Mémoire DA-IDEA - Auteurs : EL-MELIK

Marine , 2015 AgroParistech


7
Rapport scientifique ECCOTER, Les mesures agroenvironnementales à enjeu « eau/pesticides » : Evaluation environnementale et
économique de l’impact de modifications des pratiques agricoles par modélisation intégrée à partir de scénarios d’évolution ; Vernier
F., Rousset S., Guichard L., Kuentz V., Leccia O., Lescot J.M., Minette S., Petit K., Scordia C., Tinland K.
8Bockstaller C., Pierlot F., Marks-Perreau J., Réal B., Constant T., etal.. Evaluation de la qualité prédictive d’indicateurs pesticides de

transfert vers les eaux: le projet EQUIPE. Innovations Agronomiques, INRAE, 2017, 59, pp.25-39. 10.15454/1.513784868270021E12.
hal-01675813

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