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Revue africaine de management - African management review

ISSN : 2509-0097
VOL.2 (2) 2017 (PP.19-33)
http://revues.imist.ma/?journal=RAM

Problème de refinancement et de gestion des risques de la finance


islamique : le cas du Maroc
Achibane. Mustapha aet Cherkaoui. Kenzab,
a
Ecole nationale de commerce et de gestion, Kénitra, Maroc
b
Faculté des sciences juridiques economiques et sociales, Salé, Maroc

Résumé
Aujourd’hui, le développement de la finance islamique est indéniable. L’essor de ce compartiment au niveau
mondial suscite plusieurs réflexions sur la logique de fonctionnement de cette finance qualifiée d’équitable.

Considérée pendant de longues années comme spécifique à une certaine éthique, la finance islamique a dépassé
les frontières des seuls pays musulmans pour se propager en Occident où elle est qualifiée de finance
parfaitement globalisée. Cependant, ses principes, sa logique de fonctionnement et la nature spécifique de sa
régulation lui confèrent un statut particulier.

La question de la finance islamique ne laisse pas unanimes les gouvernements des différents pays. Des tentatives
de son introduction à côté de la finance conventionnelle sont à l’ordre du jour. Cependant, de telles introductions
ne sont pas toujours couronnées de succès, d’où la nécessite d’analyses préalables aux conditions de sa réussite.

Mots clés: Finance islamique, produits financiers islamiques, organisme de régulation, risque de liquidité,
gestion des titres, refinancement, soukouks.

Abstract
Today, the development of Islamic finance is undeniable. The growth of this sub-fund at the global level prompts
several reflections on the logic of functioning of this finance qualified as fair.
Considered for many years as specific to a certain ethic, Islamic finance has transcended the borders of Muslim
countries only to spread in the West, where it is described as perfectly globalized finance. However, its
principles, its operating logic and the specific nature of its regulation give it a special status.
The question of Islamic finance does not leave the governments of the different countries unanimous. Attempts
to introduce it alongside conventional finance are on the agenda. However, such introductions are not always
successful, hence the need for analyzes prior to the conditions of its success.

Keywords: Islamic finance, Islamic financial products, regulatory body, liquidity risk, securities management,
refinancing, soukouks.

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1. Introduction

Née en 1975 suite à l’institution de la première banque islamique commerciale à Dubaï, la finance islamique
continue à susciter de nombreuses polémiques autour de ses concepts, sa logique de fondement, ses principes,
ses risques ainsi que ses techniques de régulation.

Définie comme un compartiment de la finance dont les opérations sont régies par les préceptes de la Charia, la
finance islamique est entrée à partir de l’année 2000 dans une phase d‘internationalisation et de globalisation
sans précédent.

En effet, la nature spécifique de la finance islamique, fondée principalement sur la prohibition de l’intérêt, sur le
partage des risques et profits et sur l’interdiction du financement et de l’investissement dans des activités illicites
a séduit beaucoup d’institutions financières dans le monde. Ces développements ont prix différentes formes, de
la simple commercialisation des produits financiers régis par les préceptes de la Charia à l’implantation de
structures financières purement islamiques, en passant par l’ouverture de fenêtres financières islamiques au
niveau des banques conventionnelles.

Au Maroc, l’introduction de la finance islamique n’est pas récente. Des produits financiers qualifiés d’islamiques
et commercialisés par des banques conventionnelles ont déjà vu le jour en 2007. Il s’agit principalement de
produits tels que Mourabaha, Moucharaka ou encore Ijar. Cependant, le manque de communication sur ces
produits ainsi que la fiscalité excessive ont rendu les résultats décevants. A partir de novembre 2014, une loi
bancaire relative à l’introduction de la finance islamique au sein des banques marocaines a été adoptée 1. Dans ce
sens, les banques marocaines, motivées par l’introduction de ces nouveaux produits, dans un environnement
caractérisé par une faible bancarisation de l’économie, ont envisagé différents scénarios stratégiques sur un
marché potentiellement rentable. Du partenariat stratégique avec des banques internationales à la création de
filiales spécialisées, les banques marocaines envisagent différents scénarios afin d’exploiter au mieux ces
nouvelles opportunités financières.

Cependant, d’un point de vue financier, l’essor de la finance islamique est tributaire du niveau de l’épargne
interne, du taux d’aversion au risque des contribuables (arbitrage) et de la profondeur du marché financier.

C’est dans ce cadre que s’intègre notre problématique. En effet, il y a lieu de soulever les contraintes au
développement de la finance islamique au Maroc, dans un environnement caractérisée par la faiblesse de
l’épargne interne, par la faiblesse relative de la liquidité bancaire et par une réduction du rôle du prêteur en
dernier ressort dans le refinancement des banques. Plusieurs questions s’imposent:

 Comment la finance islamique, considérée comme embryonnaire au Maroc pourrait-elle satisfaire le besoin
de liquidité ?
 Quels seront les formes de recours des banques islamiques au marché monétaire ?
 L’épargne nationale pourrait-elle satisfaire le besoin de financement des banques islamiques ?
 Quelle réglementation de la finance islamique à l’échelle du Maroc?
 Enfin, le développement de la finance islamique au Maroc ne serait-il pas freiné par le manque de profondeur
du marché financier ?

Pour répondre à ces questions, un intérêt particulier serait porté d’abord au métier d’intermédiation financière.
L’analyse concernera ensuite les risques spécifiques de la finance islamique. Enfin, un retour sur la logique
réglementaire qui régit la finance islamique serait abordée. La réflexion ne laissera pas sous silence le problème
de conceptualisation de la finance islamique.

Sur le plan méthodologique, l’analyse serait réalisée à partir d’un rapprochement entre les variables qui ont
favorisé l’essor de la finance islamique dans le monde et les conditions préalables à son développement au
Maroc.

1
La loi n° 103.12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés adoptée en novembre 2014 a été publiée au
Bulletin Officiel N° 6328.

20
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Le travail serait donc scindé en quatre principaux points : Une analyse du cadre conceptuel de la finance
islamique, une tentative de son rapprochement à la finance conventionnelle, un retour sur les risques spécifiques
de la finance islamique et enfin, une approche des difficultés de la normalisation réglementaire internationale. La
conclusion retrace un ensemble de conditions préalables au développement de la finance islamique au Maroc,
telles que dégagées des différents niveaux d’analyse.

2. Essai d’approche de la finance islamique : problèmes de Définition et de


conceptualisation
Depuis son émergence, la finance islamique suscite de nombreuses polémiques. La principale polémique
concerne sa définition. Qualifié d’éthique 2, le concept de la finance islamique n’est pas clair. Néanmoins, la
plupart des théoriciens s’accordent à définir la Finance islamique comme une composante du système financier,
ayant des objectifs de rentabilité et d’efficacité et respectant un certain nombre de principes éthiques de la charia.
Ces principes représentent les variables à l’origine de la distinction entre le métier des banques islamiques et
celles conventionnelles. Il s’agit de la prohibition de l’intérêt, du gharar (prohibition de l’aléa majeur), de la
spéculation, de la prise de participation dans des entreprises dont l’activité est en contradiction avec les principes
de l’Islam. Ce système financier islamique se base sur le principe du partage des pertes et des profits entre les
parties. Dans ce sens, les banques sont considérées comme un authentique partenaire aux emprunteurs.

Cette définition théorique renvoie vers une convergence entre l’approche conventionnelle et celle participative.
Ces deux approches se présentent, ainsi, comme des structures ayant pour principe l’interposition entre les agents
à capacité de financement et ceux à besoin de financement afin de procéder à l’allocation optimale des
ressources vers des emplois productifs. La distinction se situe au niveau des mécanismes et procédés adoptés,
c'est-à-dire le travail fourni par les intermédiations financières.

Cet exercice de définition fait ressortir une ambigüité énorme. Ceci s’explique principalement par le fait que la
finance islamique ne se limite pas à l’existence de quelques banques islamiques régies par les préceptes de la
charia ? À quelques produits spécifiques commercialisés par des banques standards et qualifiés d’islamiques afin
de les distinguer de produits standards ? Ou encore à l’institution d’un véritable système financier islamique,
favorisant la collecte des fonds, le financement de l’investissement et la gestion de risque à travers l’offre des
produits financiers diversifiés et négociés sur un marché financier spécifique ?

Par opposition à la finance conventionnelle, la logique éthique de la finance islamique est fondée sur
l’investissement comme moyen de lutte contre la thésaurisation, le partage des pertes et profits, l’adossement à
des actifs tangibles et prône pour la clarté, la transparence et l’équité. Elle interdit de ce fait, l’intérêt ou l’usure,
la spéculation nuisible et le financement d’activités illicites3.

En effet, la finance islamique est avant tout une finance éthique, qui privilégie un système de valeurs bâti sur la
nécessité d’éviter ce qui est interdit, sur un équilibre entre l’intérêt personnel et l’intérêt public, mais aussi sur les
valeurs de l’équité, la transparence, la sincérité Ces valeurs sont d’une importance capitale et doivent se refléter
obligatoirement dans les actes et les transactions. L’islam a, en effet, fait la conquête de l’Asie du sud Est, non
par des troupes militaires mais à travers les commerçants de soie musulmans, ayant ébloui les habitants locaux
par ces valeurs traduites dans leurs transactions.

On peut aussi définir ce concept à partir de ses principes de base. Ces principes peuvent refléter les spécificités
de ce mode de financement. Il s’agit de l’interdiction du prêt à intérêt (le riba), de l’interdiction du risque
excessif (Algharar), l’adossement à des actifs réels et tangibles, le principe de partage des pertes et profits et
l’interdiction des activités illicites, etc.

2
Wadi MZID, la Finance islamique : Principes fondamentaux et apports potentiels dans le financement de la croissance et du
développement, emerging new économics policy makers in the arab mditerranean.
3
AIDIMM, Quels marchés et quelles opportunités pour les banques de détail, Rapport sur la finance Islamique, 2011, P11 et
Abderrazak BELABES, « Épistémologie des principes de la finance islamique », les cahiers de la finance islamique, Ecole
de management de strasbourg, N°2 ; p5.

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La transposition de ces principes en actifs financiers islamiques a engendré l’éclosion de plusieurs produits
spécifiques. On distingue d’une part les instruments de financement en l’occurrence Al Mourabaha 4, Al Salam5,
Al Istisnaa6, Al Ijara7, et d’autre part les instruments participatifs tels que Al Moudharaba 8 et Al Moucharaka9.
On distingue aussi deux concepts, concernant les institutions financières islamiques non bancaires Al Sukuk 10 et
Al Takafoul11.

Cependant, il serait illusoire de croire que la finance islamique serait réservée exclusivement aux musulmans. En
effet, l’essor spectaculaire de la finance islamique, son évolution à deux chiffres depuis le milieu des années
quatre vingt-dix du vingtième siècle et la diversification des produits ont favorisé un phénomène de globalisation
de la finance islamique. Plusieurs pays ont cherché à instaurer et à réglementer des banques islamiques, des
produits financiers islamiques, voire même des instruments de gestion de risques. Ces évolutions viennent en
réponse aux imperfections de la finance conventionnelle, soit comme complément aux produits standards, soit
comme moyen de répondre à des besoins spécifiques.

Il est possible de citer à cet égard le modèle anglais 12 qui continue à fasciner bon nombre de pays notamment la
Belgique et la France et qui en train de se propager à l’échelle européenne. Parallèlement à cela, les produits de
la finance islamique ont connu ces dernières années une véritable diversification. Le développement des
investissements en actions, des investissements en obligations, l’apparition des premiers indices boursiers

4
Al Mourabaha » suppose que le créancier (la banque) achète un actif donné à un prix connu des deux parties pour le compte
de son client. Ensuite, le créancier (la banque) revend cet actif au client moyennant des paiements échelonnés ou non sur une
période donnée, à un prix convenu d'avance entre les deux parties supérieur au prix d’achat.
5
La vente « Al Salam »est une vente à terme, c'est-à-dire une opération où le paiement se fait au comptant alors que la
livraison se fait dans le futur. La Finance Islamique interdit, en principe, la vente d'un bien non-existant car celle-ci implique
le hasard (« gharar »). Mais, pour faciliter certaines opérations, notamment dans l'agriculture, des exceptions ont été
accordées.
6
Al Istisnaa » Ce contrat financier permet à un acheteur de se procurer des biens qu'il se fait livrer à terme. A la différence du
« Salam », dans ce type de contrat, le prix, convenu à l'avance, est payé graduellement tout au long de la fabrication du bien.
Les modalités concrètes du paiement sont déterminées par les termes de l'accord passé entre l'acheteur et le vendeur (en
l'occurrence la banque). Cette structure de financement est essentiellement utilisée dans l'immobilier, la construction navale
et l’aéronautique.
7
Une opération de « Ijara » consiste pour le créancier (la banque) à acheter des biens qu'il loue à un client pouvant bénéficier
de la possibilité de rachat au terme du contrat.
8
"Al Moudharaba" Cette opération met en relation un investisseur "Rab el Mel" qui fournit le capital (financier ou autre) et
un entrepreneur "Moudharib" qui fournit son expertise. Dans cette structure financière, proche de l'organisation de la société
en commandite en France, la responsabilité de la gestion de l'activité incombe entièrement à l'entrepreneur. Les bénéfices
engrangés sont partagés entre les deux parties prenantes selon une répartition convenue à l'avance après que l'investisseur ait
recouvré son capital et que les frais de gestion de l'entrepreneur aient été acquittés. En cas de perte, c'est l'investisseur qui en
assume l'intégralité, l'entrepreneur ne perd que sa rémunération (c'est en ce point que la "Moudharaba" diffère de la société
par commandite).
9
"Al Moucharakah" est la traduction de "association". Dans cette opération, deux partenaires investissent ensemble dans un
projet et en partagent les bénéfices en fonction du capital investi. Dans l'éventualité d'une perte, celle-ci est supportée par les
deux parties au prorata du capital investi. La nature de cette opération s'apparente finalement à une jointventure.
10
"Sukuk" est un produit financier adossé à un actif tangible et à échéance fixe qui confère un droit de créance à son
propriétaire. Celui-ci reçoit une part du profit attaché au rendement de l’actif sous jacent (doit être obligatoirement licite), et
non un taux d’intérêt.
11
Takaful dérive du verbe arabe "KAFALAH" : C’est un concept d’assurance basé sur la coopération et la protection et sur
l’aide réciproque entre les participants. Il est fondé également sur la mutualisation des risques, l’absence d’intérêt
(interdiction du Riba), le partage des profits et des pertes (Moudharaba), la délégation de gestion par contrat d’agence
"Wakala", l’interdiction des investissements illicites "Haram".
12
On parle aujourd’hui de la place financière Islamique en Angleterre qui est devenue le centre de la finance islamique.

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islamique ou encore le développement de la titrisation (Sukuk) sont à cet égard révélateurs. D’après l’OCDE, la
finance islamique représente aujourd’hui 2000 milliards de dollars avec un taux d’évolution de 15% 13.

Afin de favoriser le développement de la finance islamique, différents modèles ont été institués. On peut citer à
ce niveau la création de départements distincts par certaines banques spécialisés en services financiers
islamiques, l’institution de filiales de banques islamiques par les banques conventionnelles dans le cadre de
partenariats avec des banques islamiques étrangères ou encore l’institution de banques islamiques parfaitement
autonomes et évoluant indépendamment de la finance conventionnelle.

Cette approche de la finance islamique reflète l’absence d’une définition universelle de ce mode de financement.
Néanmoins, l’approche théorique peut nous permettre de mieux cerner ce concept. En effet, ce compartiment du
système financier se présente comme un intermédiaire financier, ayant pour vocation l’allocation de l’épargne
vers l’investissement productif.

3. Les spécificités de l’intermédiation financière islamique

Même si les protagonistes de la finance islamique considèrent que l’émergence de ce mode de financement
s’inscrit dans une logique de rupture avec la finance conventionnelle, l’approche théorique le situe par rapport
aux principes de l’intermédiation financière classique.

Certes, la Finance islamique vise le bien être des agents économiques à travers une affectation et une répartition
des ressources rares, conformément aux principes de l’éthique musulmane, mais, l’approche opérationnelle
montre que le principal travail fournit dans le cadre de ce mode de financement concerne la mise en relation des
agents à capacité de financement et ceux à besoin de financement.

Dans ce sens, on doit analyser l’émergence de ce mode de financement comme étant une forme d’intermédiation
financière, ayant pour finalité principale de réduire les problèmes en relation avec l’asymétrie d’information,
principalement les problèmes de l’aléa moral et de la sélection adverse. Dans ce sens, ce compartiment du
système financier doit répondre à un certains objectifs, en l’occurrence le principe de l’équité entre les agents
économiques et celui de la stabilité ou de la solidité du système financier dans sa globalité.

Certes, cette forme d’intermédiation financière est régie par des règles et mécanismes ayant pour fondement les
principes de la charia mais le principe de base obéit à la même logique de l’Intermédiation financière
traditionnelle de Gurly et Shaw. En effet, il s’agit de l’émergence de nouvelles structures agissant dans le cadre
de l’intermédiation financière mais obéissant à la logique traditionnelle à savoir l’intermédiation de
transformation et/ou de négociation.

Cette Intermédiation financière islamique met en relation les agents économiques à capacité de financement et
ceux à besoin de financement sur la base de contrat ayant des caractéristiques reflétant la spécificité de
l’approche islamique en terme d’intermédiation financière.

13
OCDE, Rapport sur la Finance Islamique, 2015 in
http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/2585/Finance_islamique.html#sthash.HYT3H et C puf

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Le principe de base de l’intermédiation financière islamique est l’affectation de l’épargne rare vers
l’investissement productif. Cette mobilisation des ressources doit générer un rendement suffisant afin de garantir
la satisfaction des besoins de l’ensemble des agents intervenants dans le système financier et par interaction une
croissance économique favorable. L’allocation de l’épargne, à travers les intermédiations financières islamiques,
trouve sa spécificité dans la diversité des contrats, régissant la relation des agents à besoin de financement et
ceux à capacité de financement. On distingue entre deux catégories de contrat, en l’occurrence les contrats de
garantie et ceux de confiance.

Chaque catégorie de contrat expose la banque à un niveau de risque déterminé en contrepartie d’un niveau de
rentabilité donné. Cette situation illustre le fait que cette forme d’intermédiation ne se situe pas par rapport à une
approche de rupture avec l’intermédiation conventionnelle. En effet, l’optimisation du couple Risque/Rentabilité
nécessite la définition des différentes combinaisons possibles d’allocations des ressources aux emplois pour
identifier celles les plus rationnelles.

Par ailleurs, l’intermédiation financière participative prétend résoudre le problème des inégalités en termes de
détention d’information entre les détenteurs de projets et les investisseurs. Ceci s’explique par le fait que les
engagements de l’intermédiaire lors d’un partenariat actif ou passif (Musharaka ou Murabaha) représentent
principalement un signal informationnel reflétant la réalité de l’entreprise.

Dans le cadre de l’intermédiation entre épargnants et investisseurs, la banque islamique rempli les fonctions
suivantes :

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 Au niveau de l’actif, les banques islamiques gèrent des comptes d’épargne et des comptes d’investissement.
Ces deux comptes disposent de spécificités particulières :
- Dans le cadre de la gestion du compte d’épargne, la banque dispose de la possibilité d’utiliser ces fonds
pour gérer des risques bancaires, en contrepartie du paiement de revenus aux épargnants en cas de profit.
L’opération est appelée la Wadia et les revenus positifs sont appelés la Hiba.
- Les comptes d’investissement obéissent par contre au principe de la Moudarabah. Dans ce sens, les
comptes d’investissement peuvent être soumis au partage de profits limités, dans le sens où la banque garantit, le
montant principal des dépôts, au déposant qui est considéré ainsi comme un créancier. Ou encore, le déposant et
la banque peuvent être des partenaires, régis par une relation d’agence. On parle alors de compte
d’investissement non limité.
 Au niveau du passif, le partage des profits et des pertes entre la banque islamique et le déposant est le mode
le plus utilisé, notamment la Moudarabah et la Moucharakah, ainsi que des instruments financiers proches des
dettes, à savoir la Mourabahah, le Salam, le Quard Hasan. Cependant, le mode de financement le plus répandu
est la Mourabahah. L’intermédiation financière islamique présente aussi des spécificités en termes des risques
encourus et leur mode de gestion.

4. Risque de liquidité et problème de refinancement des banques

Quelque soit la nature de fonctionnement et des fondements qui guident le métier d’intermédiation, ce dernier
reste assujetti à un ensemble de risques, émanant à la fois du métier lui-même ainsi que de prises de positions
volontaristes de la part des banques.

A cet égard, l’intermédiation conventionnelle suppose un ensemble d’opérations de transformations de taux, des
échéances et de liquidité, soumettant ainsi la banque à des risques qui peuvent entraver l’exercice du métier
d’intermédiation. D’où l’intérêt de l’intervention du prêteur en dernier ressort.

Dans le cadre de l’intermédiation participative, la nature des risques est relativement différente 14. En effet,
contrairement aux banques conventionnelles, les banques islamiques peuvent être exposées à des risques
commerciaux dans la mesure où elles sont obligées de concurrencer les banques conventionnelles par les prix.
De même, les banques islamiques sont également soumises au risque de pertes sur investissement, dans la
mesure où les rendements des actifs physiques sont incertains. Enfin, les banques islamiques courent un grand
risque de liquidité en l’absence d'instruments de couverture, surtout pour les contrats soumis à la relation
d’agence et dans un contexte caractérisé par la faiblesse de la diversification des instruments conformes à la
Charia15.

La relation d’agence est relative à la multiplication des contrats entre la banque considérée des fois comme
principal, dans le cas d’une opération d’investissement et comme agent dans le cas d’opération de dépôts
d’investissement. De même, la liquidité des banques islamiques dépend principalement des différents profils de
maturité des actifs passifs au moment au les marchés interbancaires sont très peu développés16. La liquidité
provient donc de la capacité des banques à collecter l’épargne. Dans le cadre de l’intermédiation bancaire
conventionnelle par contre, la liquidité est le résultat des opérations de transformation et de recours au marché en
cas de besoin. Parallèlement, la distinction ente les comptes de dépôts et les comptes d’investissements n’est pas
très claire. Ces derniers, qui sont par essence destinés à financer les projets d’investissement, ont un statut
difficile à délimiter. D’après les préconisations de l’AAIOFI 17, ces fonds doivent être placés en hors-bilan.
L’alourdissement du hors bilan accentue le risque de liquidité auquel sont exposés les banques. Enfin, les dépôts
d’épargne et d’investissement peuvent créer à tout moment une panique bancaire. En effet, la finance islamique
obéit au même principe de l’intermédiation bancaire conventionnelle. La banque place des fonds dans des projets

14
Cette différence ne contredit en rien les points de similitudes entre l’intermédiation islamiques et conventionnelle citées
plus haut.
15
http://www.performances-strategy.com/imgcommon/banque_d_Affaires_et_finance_islamique.pdf
16
Banque d’Affaires et finance islamique, op.cit.
17 Comité indépendant de la finance islamique en Europe, Traduction des normes charia de l’AAOIFI en français.

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de moyen ou long terme alors que les dépôts sont exigibles à leur terme, ce qui la rend vulnérable en cas de
demande de retrait, au moment où le rôle du prêteur, en dernier ressort, est relativement minime.

Une étude réalisée sur le risque de liquidité des banques islamiques 18 a montré une évolution de la liquidité dans
les bilans des banques où on est passé d’une situation qualifiée de liquidité oisive en 2000 à un manque de
liquidité en 2008 suite aux développements de nouvelles formes d’utilisations de l’épargne. L’étude a soulevé
que pendant cette période les banques islamiques détenaient plus de 40% de liquidité plus que les banques
conventionnelles.

Dans ce cadre, la création en 2009 de l’Intrenational Islamic Liquidity management et du marché monétaire
islamique international ont eu pour ambition de permettre aux banques islamiques de mieux gérer leurs situations
de trésorerie. Le Marché financier international islamique (IIFM) a été créé par les banques centrales et les
autorités monétaires de Bahreïn, de Brunei, de l'Indonésie, de la Malaisie, du Soudan et de la Banque islamique
de développement. Siégeant en Arabie saoudite, c'est une institution dont la mission est l'établissement, le
développement, l'autorégulation et la promotion des marchés de capitaux et monétaires islamiques 19.

Cependant, le recours au marché international pour le financement à court terme des banques a été minime. En
effet, d’après les données du FIM20, malgré l’institution d’un marché monétaire international, la majorité des
échanges entre les banques islamiques se font au niveau du marché monétaire domestique où les échanges ont
représenté en 2014, 74% contre 26% sur le marché international.

Force est de constater que les banques islamiques disposent donc des excès de liquidité, résultat de l’abondance
de l’épargne à la fois dans les pays du Golf que dans les pays d’Asie du sud et où la logique de croissance a été
elle-même fondée sur la collecte l’allocation de l’épargne interne. Le cas de la Malaisie et L’Indonésie sont
révélateurs dans ce cadre.

Les deux graphiques suivants retracent respectivement la situation des banques islamiques dans le monde.

Graphique N°1 : Total bilan des banques islamiques

Source : Graphique confectionné par nos soins à partir des données de Islamic Banking Databases

La lecture du bilan des banques islamiques laisse supposer l’existence d’une situation de surliquidité résultat des
dépôts des clients. En effet, la part des dépôts sur les prêts représente 126%.

Graphique N°2 : Etats des bilans des banques islamiques

18
BEN JEDIDIA KHOUTEM et JLASSI MOULDI, "le risque de liquidité pour une banque islamique : Enjeux et
gestion"Etudes
19
en Economie Islamique Vol. 7, No. 1, Juin 2013 (71-96)
20
International Islamic Liquidity Management, Publications
IMF, op.cit, p15.

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Source : Graphique confectionné par nos soins à partir des données de Islamic Banking Databases

Plusieurs questions doivent être soulevées dans ce cadre :

 S’agit-il d’une stratégie de gestion de risque en relations avec l’activité des banques islamiques et plus
principalement d’un problème de refinancement?
 S’agit-il d’un manque de projet d’investissements productifs ?
 L’excès de liquidité peut être à l’origine du succès de ce mode de financement ?
 S’agit-il d’une volonté de se prémunir contre une crise systémique ?

Au Maroc, la question du refinancement des banques islamiques se pose avec acuité. En effet, le problème de
recours aux pratiques de refinancement de BAM et les difficultés des échanges interbancaires (très peu de
filiales) feront que les banques islamiques devront compter sur le niveau de l’épargne interne, elle-même,
motivée par des possibilités de placement diversifiées, attractives et conformes aux préceptes de l’islam. D’où la
nécessite de se prémunir en liquidité suffisante afin de faire face à des pannes de liquidité. Cependant, les
niveaux d’épargne intérieurs, le manque de diversification des produits islamiques ainsi que le manque de
profondeur de marché pourraient être à la base d’un véritable problème de liquidité qui risquerait d’entraver le
développement de la finance islamique.

Cette situation développe la réflexion vers un ensemble d’interrogations :

 L’expérience marocaine ne risque-t-elle pas d’être vouée à l’échec, résultat d’un problème de refinancement
par la banque centrale ?
 Au moment où les titres à court terme (comptes d’épargne), s’inscrivant dans la logique de la Charia, sont
faibles, comment les banques islamiques peuvent-elles développer des pratiques d’allocation de fonds à court
terme?
 Quelles sont les conditions préalables à l’intervention du prêteur en dernier ressort ? Autrement dit, la banque
centrale est-elle à même capable d’assurer ces besoins de placements en pertes et profits, qui risquent d’être
importants dans un environnement caractérisé par la faiblesse de l’épargne nationale et sous quelles
conditions ?

Parallèlement à cela et afin de diversifier les sources de financement en liquidité, les banques islamiques se sont
lancées dans des pratiques de financement par le marché. Les Sukuks, qui jouent le rôle d’obligations, sont des
produits financiers sans intérêt, adossés à un actif tangible. Ce sont des produits négociables sur le marché
secondaire. Les Sukuks sont également un moyen de mobilisation de l’Epargne. Ils permettent de rémunérer un
placement en évitant l’usage de l’intérêt. Le développement du financement par le marché a visé la création
d’une alternative au financement par les dépôts d’investissement.

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Le graphique suivant retrace la répartition des revenus des banques islamiques par nature.

Graphique N°3 : Répartition des revenus des banques islamiques

Source : Graphique confectionné par nos soins à partir des données du FMI 21, 2014.

Force est de constater que le revenus des opérations de marché restent minimes comparativement au métier
d’intermédiation des banques islamiques. Cependant, même si les émissions des sukuks ne représentent pas la
plus grande source de financement des banques islamiques, ces émissions ont connu une augmentation
spectaculaire, comme le montre le graphique suivant :

Graphique N°4 : Evolution des émissions des soukouks

Source : Graphique confectionné par nos soins à partir des données du FMI 22

D’après des données du FMI, la majorité de ces émissions sont dominées par les banques. Cela représente 80% à
Dubaï et 66% au Qatar.

L’essor de la finance a nécessité également le lancement d’indices islamiques, capables d’assurer une
représentation des banques et des entreprises opérant sous les principes de la charia. Les exemples des
lancements des différents indices représentatifs des entreprises est un exemple éloquent. L’objectif de ces
lancements se justifie par plusieurs considérations :

21
I M F, Islamic Finance: Opportunities, Challenges, and Policy Options, Staff Discussion note, 2015, p13.
22
I M F, Islamic Finance: Opportunities, Challenges, and Policy Options, Staff Discussion note, 2015, p13.

28
M. Achibane et K. Cherkaoui -REVUE AFRICAINE DE MANAGEMENT- VOL.2 (2) 2017 (PP.23-41)

 D’abord un objectif de transparence qui permet aux entreprises et banques islamiques de bénéficier
d’une bonne signature, résultat de la divulgation des résultats financiers ;
 Ensuite, c’est un objectif commercial se focalisant sur l’amélioration de la notoriété des banques
islamiques ;
 Et enfin, un objectif financier en vue de mieux collecter l’épargne et de concurrencer les banques
conventionnelles.

Le cas des indices SAMI, "Socially aware muslim index", lancé en1998, "Sharia Compliant" et de Dow Jones
Islamic Index, est à cet égard révélateur. Le Dow Jones Islamic Market Index (DJIM), reflète les cours des 2700
entreprises, majoritairement appartenant au Dow Jones, mais dont les activités sont compatibles avec les
fondements de la Sharia.

Graphique N°5 : l’évolution de la rentabilité de l’indice sur dix ans.

Source : Graphique confectionné par nos soins à partir des informations publiées par MAC GROW HILL
FINANCIAL23

Il est clair que la représentation de la rentabilité des banques islamiques, via un indice, favorise une bonne
communication financière elle-même gage de la collecte de l’épargne. En effet, que ce soit dans le cadre du
financement par dépôts d’investissements ou par recours au marché, le lancement d’un indice global favorise le
renforcement de la signature et de la cotation des banques tout en leur permettant de bénéficier d’un bon rating.
Une telle cotation développe la notoriété et constitue une arme concurrentielle puissante.

Force est de constater que le développement de la finance Islamique au Maroc, à l’instar des expériences
internationales, reste tributaire du niveau d’épargne intérieure, de la capacité des banques marocaines à se
financer sur le marché monétaire international et à se prémunir contre le risque de liquidité, à leur volonté de
développer des produits islamiques diversifiés, à la qualité des sukuks émis et à la capacité du marché financier à
absorber des demandes de levée de fonds assez importantes. Ce développement reste également dépendant de la
notation financière des banques marocaines sur le marché international ainsi qu’à la disponibilité de projets
d’investissement porteurs. Le lancement d’un indice islamique sur le marché financier marocain pourrait
également renforcer la notoriété et la communication financière des banques islamiques. Ceci étant, quelle est la
nature de la réglementation qui régit la finance islamique ?

23
http://www.djindexes.com/islamicmarket/

29
M. Achibane et K. Cherkaoui -REVUE AFRICAINE DE MANAGEMENT- VOL.2 (2) 2017 (PP.23-41)

5. La réglementation de la finance islamique

La question qui se pose à ce niveau relève de la nature de la réglementation et sa normalisation à l’échelle


planétaire. La question de la normalisation pose également la question des instances capables d’édicter ces
normes et le rôle des banques centrales dans leur application et leur contrôle.

La réglementation bancaire et financière reste un préalable au développement financier. La régulation bancaire,


imposant aux banques conventionnelles le respect de certaines normes qui relèvent de l’exercice de leur activité
d’intermédiation, est considérée comme une condition de stabilité du système financier mondial. Ces normes
prudentielles ont connu plusieurs évolutions pour tenir compte de l’évolution de l’environnement. La
responsabilisation des banques dans la prise de risque et la quantification des engagements bancaires, à partir des
fonds propres, restent les principaux piliers de la réglementation prudentielle. Les ratios prudentiels, appelés
encore ratios de fonds propres, ont évolué depuis Bale I à Bale III, afin d’intégrer les différents aspects des
risques auxquels sont assujetties les banques.

En ce qui concerne la finance islamique, le développement des opérations bancaires à l’échelle internationale et
le recours au marché interbancaire international islamique a nécessité une normalisation de la réglementation, en
vue d’assurer la viabilité du système24. De même, la spécificité de cette réglementation devrait intégrer les
caractéristiques propres à la finance islamique, notamment le caractère relativement risqué des opérations
participatives, la multiplicité des contrats dans les opérations achat-cession, l’interdiction pour les banques à
commercer leurs dettes. Parallèlement à cela, le recours au prêteur en dernier ressort est banni par la charia, du
fait que les avances de la banque centrale sont toujours assorties d’intérêt.

Dans ce cadre, les caractéristiques de la finance islamique et la nécessité de la supervision ont rendu
indispensable l'établissement des normes conventionnelles applicables à tous les systèmes bancaires islamiques.
Il est possible de citer à cet égard l'organisation de comptabilité et d'audit des Institutions financières islamiques
(AAOIFI), crée en 1990 ainsi que l'IFSB, mis en place en 2002, dont l’objet est la mise en œuvre des normes de
réglementation et de supervision des institutions financières. Dans le cadre de la recherche d’une normalisation
avec la réglementation de la finance conventionnelle, des rapprochements avec les comités de bales ont été
réalisés25.

Le respect de l’application de ces normes est-il assuré par un organisme indépendant au niveau local, et quel est
le rôle joué par les banques centrales des différents pays dans la mise en œuvre et le contrôle d’une telle
réglementation ?

D’après des expériences internationales du développement de la finance islamique, différentes formes de


réglementation ont vu le jour, selon que la finance est entièrement ou partiellement participative. Trois formes
d’organisations réglementaires sont à mettre en exergue :

 D’abord des systèmes financiers entièrement participatifs. Les banques centrales érigent dans ce cadre
toutes les lois et les pratiques de fonctionnement des banques conformément à la Charia.
 Ensuite, des pays caractérisés par l’existence d’une réglementation duale. Coexistent dans ce cadre la
réglementation internationale exigée par le comité de Bâle et une réglementation islamique, conforme à la
Charia26. L’application de ces normes est généralement contrôlée et supervisée par les banques centrales des
différents pays.
 Enfin, des pays dans lesquels aucun cadre juridique n’existe. La finance islamique est limitée à la
commercialisation de quelques produits financiers par les banques conventionnelles. Il est possible de citer à cet
égard le cas de la Jordanie, de la Syrie, et de la Lybie.

24
l’étude de l’ IIRF (Institut Islamique de Recherches et de Formation)
25
IMF, op.cit, p17.
26
Ces normes sont édictées par un organisme de régulation, notamment le l’AAOIFI, qui cherche à assurer une
certaines conformité avec les normes internationales.

30
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Dans ce cadre, le rôle des banques centrales dans la mise en œuvre de la réglementation est indéniable quelque
soit la forme d’organisation de la réglementation de la finance islamique. Les exemples de la coexistence des
deux systèmes de régulation sont à cet égard révélateurs . Au Bahreïn, par exemple, la réglementation est assurée
par l'Agence monétaire de Bahreïn, à partir d’une double circulaire islamique et conventionnelle. Les exigences
de fonds propres concernent les deux catégories de structures financières. De plus, chaque banque islamique doit
avoir un Shari'ah bord, conforme aux normes de l'AAOIFI. Il en est de même pour l’expérience de la Malaisie.
La finance islamique est réglementée par la banque centrale. En Indonésie, par contre, les deux réglementations
sont assurées par des organes de régulation séparés.

Pour ce qui est du Maroc, l’introduction de la finance participative a été instituée par la loi N° 103-12 relative
aux établissements de crédit et organismes assimilés27. Cette loi est le fruit d’un travail commun entre l’organe
suprême, le conseil supérieur des Ouléma, et BAM. Cette loi délimite le mode de fonctionnement des banques
participatives, la spécificité des produits financiers notamment Mourabaha, Ijara, Moucharaka, Moudaraba,
Salam et Istisna’a28 ainsi que le mode de collecte des fonds, qui est fixé par la circulaire de BAM, après avis du
conseil supérieur des oulémas.

D’après la dite loi, les établissements de crédit conventionnels, les sociétés de financement, les organismes de
microcrédit ainsi que les banques d’affaires sont habilitées à exercer parallèlement à leurs activité financière
conventionnelle, des opérations de finances participatives après avis de BAM et du comité des établissements de
crédits.

Force est de constater que les activités participatives aux Maroc se verront développer comme des activités
annexes des banques, visant à la fois la réalisation de profit et la diversification du risque commercial.

Il s’agirait dans ce cadre d’implantation de fenêtres de financement participatif, gérées de façon duale par le
conseil supérieur des oulémas, dont le rôle est de contrôler la conformité des opérations avec les préceptes de la
Charia, et Banque AL Maghreb, qui édicte les lois, accorde les agréments et surveille l’exposition aux risques 29 .

A cet égard, les résultats escomptés restent tributaires de l’attractivité des investisseurs pour ce type de
financement, de l’intérêt que pourraient porter les épargnants à ces types de placements et de la capacité des
banques à gérer les risques relatifs à la finance participatives.

Dans ce cadre et afin de protéger l’intérêt des déposants contre une panne de liquidité, la loi30 exige de la part des
institutions financières, l’institution d’une réserve, appelée "Fonds de garantie des banques participatives",
destinée à indemniser les déposants en cas de difficultés financières de la banque.

De même, la loi a institué les conditions préalables des soukouks 31, en élargissant les actifs éligibles à la
titrisation, portant sur des actifs corporels, immobiliers ou mobiliers. La loi portant sur la titrisation des actifs
tangibles de la finance participative au Maroc vise à offrir aux banques de nouvelles sources de financement et
de gestion de risque en transférant un risque de transformation au Marché financier.

27
Bulletin officiel, loi N° 103-12 relative aux établissements de crédit et organismes assimilés, cent quatrième
année N° 6340, 14 Joumada 11 436, 5 mars 2015, pp 11-14.
28 Bulletin officiel, Op. cit, Articles 54, 55,56, 57,58,59,60 et 61.
29 Bulletin officiel, op.cit articles 62, 63 et 64 et 65, p14.
30 Bulletin officiel, op.cit, articles 67 et 68.
31
Bulletin officiel, la loi 33-06 portant sur la titrisation.

31
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6. Conclusion

La réussite d’une finance islamique au Maroc à la lumière de l’expérience internationale est relative à :

 La mise en place d’un cadre réglementaire dual où la banque centrale joue un rôle important en matière de
refinancement des opérations islamiques et en matière de contrôle de conformité ;
 Le lancement d’un indice boursier représentatif des filiales islamiques et des entreprises opérant selon les
préceptes de la charia, en vue de gagner la confiance des souscripteurs pour une meilleure allocation de
l’épargne ;
 La sélection de projet d’affectation de l’épargne, afin d’éviter les pertes sur capital et de gagner la confiance
des déposants ;
 Une bonne communication financière des banques pour dynamiser le marché des sukus, moyen capital pour
le refinancement des banques par le marché ;
 Une information sur les produits islamique en vertu de la communication financière
 Le développement et la communication des produits d’assurance takafoul afin de mutualiser les risques entre
intervenants.

Cependant, il est important de mettre en exergue un certain nombre d’obstacles qui risquent d’entraver le
développement de la finance islamique au Maroc :

 Dans un cadre caractérisé par la faiblesse de l’épargne intérieure, les sukuks doivent représenter une source
non négligeable de financement des banques. Cependant, une telle situation nécessite que l’attractivité de ces
produits soit importante, que le marché financier soit liquide pour absorber des demandes importantes de levée
des fonds.
 La gestion des différents risques dans le cadre de la finance islamqiue passe également par la titrisation des
soukouks, que se soit en matière de moudharaba, de moucharaka ou encore de ijara ; la question de la réussite de
la titrisation au Maroc reste relative à la liquidité du marché, ce qui risque de dissuader les banques pour ce type
d’opération participative dans la mesure ou la gestion du risque par le marché laisse à désirer.
 Les banques marocaines, développant une première expérience avec une relative faiblesse expérimentale en
matière de montage financier, d’ingénierie financière peuvent-elle avoir les mêmes chances d’accès au marché
interbancaire islamique ? le cas échéant, ces dernières se verront imposées des normes d’accès relativement
contraignantes, ce qui risque de dissuader leurs initiatives sur le marché internationale et réduirait par-là même,
leur niveau de liquidité.

32
M. Achibane et K. Cherkaoui -REVUE AFRICAINE DE MANAGEMENT- VOL.2 (2) 2017 (PP.23-41)

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