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SINCÉRITÉ ET HARMONIE

Extraits tirés de Grammaire de diction française, de Georges Le Roy

1- LA COMPOSITION
• Tout morceau à dire doit être composé et faire un tout dont les
diverses parties sont nettement distinctes.
• Le développement d’une même idée doit être groupé en une série de
phrases où la même inflexion générale sera répétée. Ces groupes
sont dits couplets.
• Des changements de ton doivent annoncer le passage d’un couplet à
un autre, d’une idée à une autre.
• La composition d’un texte consiste également à distinguer les
couplets les plus importants au point de vue de l’idée ou du
sentiment général. Les parties les plus importantes devront être
mises en lumière par l’intensité de la pensée.
• Le déblaiement consiste à placer dans l’ombre les passages les moins
importants (les redites, par exemple). Il se caractérise par un timbre
plus bas et une allure légèrement plus rapide que celle des passages
importants.
Exemple de composition :
LES IMPRÉCATIONS DE CAMILLE, Corneille

Rome! l’unique objet de mon ressentiment !

Rome à qui vient ton bras d’immoler mon amant !

Rome qui t’a vu naître, et que ton cœur adore !

Rome enfin que je hais parce qu’elle t’honore !

Puissent tous ses voisins, ensemble conjurés,

Saper ses fondements encor mal assurés !

Et, si ce n’est assez de toute l’Italie,

Que l’orient contre elle à l’occident s’allie ;

Que cent peuples unis des bouts de l’univers


Passent pour la détruire et les monts et les mers !

Qu’elle-même sur soi renverse ses murailles,

Et de ses propres mains déchire ses entrailles !

Que le courroux du ciel, allumé par mes vœux

Fasse pleuvoir sur elle un déluge de feux !

Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre,

Voir ses maisons en cendre, et tes lauriers en poudre,

Voir le dernier Romain à son dernier soupir,

Moi seule en être cause, et mourir de plaisir !

2- LE MOUVEMENT (ou rythme)


• En diction, le mouvement est un entraînement progressif résultant
d’une animation croissante et dont l’intensité doit correspondre à sa
finale.
• On doit distinguer, au moment du travail de ponctuation et de
composition, quels sont les mouvements généraux et particuliers que
l’on doit suivre.
• Chaque couplet (voir la composition des Imprécations de Camille) a
généralement un mouvement particulier. Le mouvement provient en
effet du développement d’une idée ou d’une émotion.
• En aucun cas, le mouvement ne doit être pris pour la rapidité. Nous
lisons ou récitons toujours trop vite. Les mots sont le signe de la
pensée, ils ne peuvent être prononcés avant que celle-ci les ait
inspirés. Quand vous pensez aller trop lentement, c’est souvent là
que vous commencez à ne plus aller trop vite!
• Le mouvement a de l’importance dans la traduction de nos émotions.
L’indignation, la colère, la haine, l’ambition débordante s’expriment
souvent en des mouvements rapides. Au contraire, la quiétude, la
résignation, le renoncement, la sage philosophie se traduisent par
des mouvements sans précipitations. (Bien entendu, les nuances sont
nombreuses.)
3- LA SENSIBILITÉ
• La sensibilité est la faculté de traduire en temps voulu les différentes
émotions humaines.
• Ne pas imiter l’émotion d’autrui : c’est dans notre propre cœur que
nous devons trouver votre sensibilité.
• Chaque émotion a une expression qui lui est propre. Soyez précis.
Exemples :
L’expression de l’interjection « Ah! » est importante. Elle doit être émise
dans l’expiration du souffle et correspondre aux divers sentiments que
nous éprouvons.
Ah! (qu’il fait beau! Que je suis heureux!)
Ah! (prenez garde!)
Ah! (j’ai peur)
Chercher l’expression juste des phrases suivantes; répéter chacune d’elles
plusieurs fois.
Bien-être :
Vivent les nuits d’été pour faire un bon voyage! Vivent les nuits de juin, et
vivre l’espérance!
Soulagement :
La mal dont j’ai souffert s’est enfui comme un rêve. MUSSET
Dignité :
L’éclat de mes hauts faits fut mon seul partisan. CORNEILLE
Colère contenue :
Un bruit assez étrange est venu jusqu’à moi,
Seigneur, je l’ai jugé trop peu digne de foi. RACINE
Indignation :
J’aimerais mieux, plutôt qu’être à ce point infâme,
Vil, odieux, pervers, misérable et flétri,
Qu’un chien rongeât mon crâne au pied du pilori! V. HUGO
Menace :
Je crois que vous venez d’insulter votre reine! V.HUGO
Douleur de la séparation :
Pour jamais! Ah! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce mot cruel est affreux quand on aime? RACINE
Désespoir et supplication :
Ah! Seigneur, arrêtez! Que prétendez-vous faire?
Si vous livrez le fils, livrez-leur donc la mère! RACINE

• Les émotions se regroupent en trois foyers de sensibilité, en trois


centres physiques : le cerveau (émotion cérébrale, la moins
profonde), le cœur et les entrailles (émotion des plus profondes, la
plus impérieuse et la plus spontanée).
• Certaines émotions viennent plutôt des sens, comme la douleur
physique ou la sensualité.
Exemples :
La faim :
J’avise une cuisine au soupirail ardent
D’où la vapeur des mets aux narines me monte. V. HUGO
Le frisson :
… D’où vient que je frissonne?
Quelle horreur me saisit?... RACINE
• Il importe d’exprimer l’émotion convenable au personnage qui
l’éprouve. Il faut tenir compte de son âge, de son tempérament, de
son rang social, etc.

4-LA VALEUR DES MOTS


• Le mot en soi ne signifie rien pour le diseur. La signification doit
venir de l’ensemble de la phrase et de l’idée qu’elle exprime. Donc, il
n’existe pas de manière arrêtée de dire les mots eux-mêmes.
• L’expression à porter sur un mot peut être précisément opposée à
celle qui semble se dégager de ce mot pris en lui-même. Par
exemple, le mot printemps, dit par un malade pour qui le retour de
cette saison sera mortel.
• Il arrive qu’un mot renferme plus de sens que ceux qui l’entourent et
devient donc un mot de valeur. Ce mot peut être mis en relief. Mais
attention de ne pas appliquer des mots de valeur dans chaque
phrase, systématiquement. L’abus du mot de valeur rendrait enlève
tout naturel.
Exemples de mots de valeur :
Le sujet :
Et la louange est dut au lieu du châtiment
Quand la vertu produit ce premier mouvement. CORNEILLE
Un complément :
Puissé-je de mes yeux y voir tomber ce foudre! CORNEILLE
Un adjectif :
Que voulez-vous de moi, flatteuses voluptés? CORNEILLE

Un pronom :
C’est à vous, s’il vous plaît, que ce discours s’adresse. MOLIÈRE
Un verbe :
Que tu sais bien, Racine, à l’aide d’un acteur,
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur! BOILEAU
Un adverbe :
Je l’évite partout, partout il me poursuit. RACINE
Une conjonction :
Je n’ai pas dit celui-ci ou celui-là, mais celui-ci et celui-là.
Plusieurs mots :
Dieu les frappe pour nous avertir. BOSSUET
Les mots indiquant une rectification :
Ce n’est pas par la dépense que l’on se fait valoir, c’est par la façon de
dépenser.
Tout mot pittoresque :
Non, vous serez, ma foi, tartuffiée. MOLIÈRE
Le même mot lorsqu’il est répété :
Rome, l’unique objet…
Rome, à qui vient ton bras…
Les mots indiquant une gradation :
Vous ne donnez qu’un jour, qu’une heure, qu’un moment. RACINE
Les mots dont la mise en valeur ajoutent à la clarté de la phrase :
Et j’aurais, quand j’y pense,
Tort de vous détourner d’une telle alliance. MOLIÈRE
5-LES TEMPS
• Les choses les plus importantes sont celles qu’on ne dit pas.
• Lorsqu’une pensée ou une émotion sont créées, un temps peut durer
relativement long s’il est « meublé » par la pensée.
• Le temps est un arrêt dans les mots pendant lequel la pensée, loin de
disparaître, doit se préciser ou évoluer.
• C’est principalement lorsqu’une pensée se précise, lorsqu’un
sentiment va faire place à un autre ou encore lorsqu’il y a une
hésitation qu’il convient de faire un temps.
Exemples de temps :
(Œdipe roi, Sophocle)
À qui donc, mieux que toi, pourrais-je me confier?... (un
temps :Changement complet de pensée suivi de « Voyons, je ne suis pas
fou!) J’eus pour père Polybe de Corinthe et pour mère la Dorienne Mérope.
(Un temps : Œdipe se ressaisit) Je passais pour le premier des citoyens deu
pays lorsqu’il m’arriva une aventure, surprenante à la vérité, mais qui ne
méritait pas que je la prisse à cœur comme je fis. (Un temps : La pensée
continue un moment. « Dieux! Pourquoi l’ai-je tant prise à cœur! » Œdipe
rassemble ses idées et commence son véritable récit.) Au milieu d’un repas,
un homme…

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