SH Les Cles de La Memoire

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SocioLoGie
GéoGraphie
orGaniSation
L’afrique,
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50 anS après
Les héritierS,
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Les clés de la
L’homme qui critiquait L’amour

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SCIENCES HUMAINES
mémoire
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Directeur De publication Mensuel – N° 264 – Novembre 2014 – 5,50 €
Jean-François Dortier
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8 à 19 ActuAlité
Mélina El Mehdi - Sylvie Rilliot
réDaction
réDactrice en chef
Héloïse Lhérété - 03 86 72 17 20 Organisations - Travailler de nuit est-il nocif ?
réDacteur en chef aDjoint Portrait - Éric Fourneret, un philosophe à l’hôpital
Christophe Rymarski - 03 86 72 07 10
20 à 25 c omprendre
conSeillère De la réDaction
Martine Fournier
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(chef de rubrique Lire)
L’Afrique, continent fantasmé
Jean-François Marmion - 03 86 72 07 09
26 à 29 e ntretien Avec …
Xavier Molénat - 03 86 72 17 30
(chef de rubrique Le point sur…)
Maud Navarre - 03 86 72 07 16
Laurent Testot - 03 86 72 17 31 Ruwen Ogien
correSponDante Scientifique
Martha Zuber L’homme qui critiquait l’amour
Secrétariat De réDaction
et réviSion
Renaud Beauval - 03 86 72 17 27
Brigitte Oudin 30 à 51 dossier Mikkel Ostergaard/Panos/Rea
Direction artiStique
Brigitte Devaux - 03 86 72 07 05 Les clés de la mémoire
iconographie Coordonné par Héloïse lHérété
Laure Teisseyre - 03 86 72 07 12
Documentation
Alexandre Lepême - 03 86 72 17 23
32 Où se situe la mémoire ?
Jean-François dortier
Site internet
Éditorial : Héloïse Lhérété
heloise.lherete@scienceshumaines.com
34 À quand remontent nos premiers souvenirs ?
Clément Quintard
MarC olano
clement.quintard@scienceshumaines.com
Webmestre : Steve Chevillard
steve.chevillard@scienceshumaines.com 36 Jusqu’où la famille nous conditionne-t-elle ?
marketing - communication GeorGes CHapoutHier
Directrice commerciale et marketing
Nadia Latreche - 03 86 72 07 08
promotion - DiffuSion
38 D’où vient la sensation de déjà-vu ?
Patricia Ballon - 03 86 72 17 28 FabriCe GuillauMe
publicité
L’Autre Régie 28, rue du Sentier - 75002 Paris
40 Huit questions sur la mémoire
Tél. : 01 44 88 28 90 alain lieury
DiffuSion
44 À quoi sert d’oublier ?
• En kiosque : Presstalis
Contact diffuseurs : À juste titres
Benjamin Boutonnet - 04 88 15 12 40 FranCis eustaCHe
• En librairie : Pollen/Dif’pop - 01 40 24 21 31
éDitionS ScienceS humaineS

46 Les principaux troubles de la mémoire
Véronique Bedin - 03 86 72 17 34 points de repère
Patricia Ballon - 03 86 72 17 28
ServiceS aDminiStratifS 48 Le passé pour seul horizon ? DR

reSponSable aDminiStratif
et financier entretien aveC François HartoG
50 Et demain ? Vers une mémoire augmentée ?

Annick Total - 03 86 72 17 21
comptabilité
Jocelyne Scotti - 03 86 72 07 02 réMi sussan
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prépreSSe
Natacha Reverre - sh.reverre@wanadoo.fr
52 à 57 r éférence
impreSSion Les Héritiers, cinquante ans après
Corelio printing Au sommaire
conception graphique et
du prochain numéro
conception De la couverture 58 à 69 l ire Livre du mois, livres, revues
Isabelle Mouton
Couverture : Benjamin Pautrot/ La négociation
Joséphine Brault (pianiste)
Titres et chapôs sont de la rédaction.

70 AgendA
Commission paritaire : 0517 K 81596
ISSN : 0996-6994
Novembre 2014 ScienceS HumaineS 3
Un encart « Le Monde des Religions » et un encart N° 264
« Rue des Etudiants » sont posés sur un partie des
abonnés
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« Moi par exemple*, j’ai économisé
23 000 € sur mon crédit immobilier,
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sans compter les assurances
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Intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement non exclusif inscrit à l’Orias sous le n° 07030069 (www.orias.fr). Économie moyenne de 9 000 € pour
l’achat d’un monospace en 2013 auprès de Aramis et Auto-IES, partenaires de la MAIF. MAIF, société d’assurance mutuelle à cotisations variables – CS 90000 – 79038 Niort
cedex 9. Filia-MAIF, société anonyme au capital de 114 337 500 € entièrement libéré, RCS Niort B 341 672 681 – CS 20000 – 79076 Niort cedex 9. Entreprises régies par
le Code des assurances.
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éditorial
Les ruses de la mémoire

Et dans l’éternité je ne m’ennuierai pas… précisément d’avoir feuilleté ce livre à la
Le livre de souvenirs que vient de publier librairie des Belles Lettres, accroché par je
l’historien Paul Veyne est un petit bijou ne sais plus quelle idée, je me souviens de
d’intelligence et d’humanité. L’auteur, l’avoir acheté puis rangé sur un rayon de
toujours malicieux, présente ses mémoires bibliothèque, sans le lire, avec l’idée que j’y
comme un simple « document d’histoire reviendrai le moment venu. Puis le temps a
sociale et humaine à l’usage des curieux ». passé, et je l’ai oublié. Venez visiter
Dès la première page, il annonce l’état de Or, en reprenant ce vieux livre ces derniers le site www.
son patrimoine et le montant de sa retraite jours, j’ai eu la surprise de découvrir qu’il sciences
de professeur au Collège de France était entièrement annoté de ma propre main ! humaines.com.
(4 500 euros par mois). Au fil du récit, il De nombreux paragraphes étaient soulignés ; Participez à
l’espace
livrera quelques confidences intimes. des notes étaient écrites par moi. J’avais donc
d’échanges et
Malgré la déformation de son visage, il a déjà lu attentivement ce livre sans en avoir
d’idées.
toujours su séduire de belles femmes. aucun souvenir. Plus surprenant : ce livre
Pendant des années, il forme un ménage à d’entretiens recoupe presque entièrement les
trois avec son épouse et sa maîtresse. Il mémoires qui viennent de paraître. Les
raconte aussi par le menu quelques mêmes thèmes (sa découverte de l’histoire,
moments d’« extases » quasi mystiques ses années d’études, son entrée au Collège de
restés gravés à jamais dans son esprit. France, son amitié avec Michel Foucault, son
Au-delà de l’histoire personnelle, le récit admiration pour René Char…) y sont traités
présente des idées saisissantes. P. Veyne avec des formulations parfois presque
nous raconte par exemple la naissance de sa identiques. Tout cela m’était totalement sorti
vocation d’historien : enfant, il découvre de l’esprit !
une amphore romaine dans un champ ;
c’est ainsi que naît, aussitôt, sa passion pour Et P. Veyne, me suis-je demandé, se
les mondes engloutis. C’est l’occasion d’une souvient-il d’avoir déjà raconté cela ? Sa
réflexion : ce qui passionne le plus les mémoire est oublieuse comme la nôtre. Le
humains, ce sont les choses totalement nom de tel empereur lui échappe, mais il
inutiles (comme les collections de timbres, peut réciter des paragraphes entiers de
l’alpinisme ou l’épigraphie). poèmes qu’il n’a lus qu’une ou deux fois. Il se
souvient avec un luxe de détails d’épisodes
En refermant le livre, j’étais séduit et marquants (des moments de transe), en
ébloui. J’ai commencé à en parler autour de inhibe d’autres (le suicide de son fils). Il
moi, j’ai donné mon exemplaire à une réécrit maintes fois les mêmes épisodes (ses
amie ; j’en ai racheté un autre pour avoir ce liens avec M. Foucault ou R. Char), les
livre près de moi, y revenir plus tard, le transformant sans doute au passage.
garder en mémoire… De mon côté, j’avais oublié l’histoire de
Puis, en rangeant le livre auprès des autres P. Veyne déjà lue dans un livre précédent.
volumes de l’auteur dans ma bibliothèque, Heu reu s ement , le s l i v re s re s tent ,
mon regard a croisé Le Quotidien et dépositaires de nos fragments de vie,
l’Intéressant, un livre d’entretiens publié secours de nos fragiles mémoires.
par l’historien en 1995. Je me souviens Jean-François Dortier
n
t.
r
rt Novembre 2014 ScienceS HumaineS 5
r N° 264
14 16:04 SHUM264_04_05.indd 5 01/10/14 14:47

NICOLAS
COURRIER DES LECTEURS JOURNET
Du bon usage Un de nos lecteurs, Philippe Poinsot, chercheur en

économie (Le Plan C , Mon petit éditeur, 2014) nous
du « point Godwin » adresse une remarque à propos de l’article
de Jean-Vincent Holeindre « Les leçons d’une paix ratée »
Dans un livre récemment paru (Sciences Humaines, n° 260, juin 2014).
(recension p. 60), François de Smet
fait grand cas d’une « loi de Godwin », 1918 : une paix ratée ?
formulée en 1990 par un avocat du
même nom, et qui dit précisément
B ien que non historien, je voudrais réagir à cet article dont le chapeau – « Tous
les traités ne font pas la paix : celui de Versailles, trop humiliant pour l’Alle-
magne, contenait en germe la guerre mondiale suivante » – est pour moi révé-
E
D
L’
ceci : « Plus une discussion online lateur de votre partialité. En effet, vous vous placez du côté des vaincus et plus
dure longtemps, plus la probabilité particulièrement du côté de l’Allemagne impériale. Vous reprenez le leitmotiv de
Fr
d’y trouver une comparaison avec l’humiliation allemande qui sera exploité par Erich Ludendorff et les nazis. Or, Le
la guerre de 1914 a été sale et les Allemands ont enfreint plusieurs lois de la De
les nazis ou avec Hitler s’approche guerre : violation de la neutralité (belge), massacre de populations civiles (soup-
Un
au
les
de 1. » En réalité, cette probabilité çonnées d’aider les militaires), emploi de gaz toxiques (armes chimiques), etc.
aut
info
en 2
existait depuis longtemps et, dès Leur territoire a été épargné, contrairement à la France. (…)L’état de l’économie déb
1951, le philosophe Leo Strauss avait allemande était préoccupant, mais les États-Unis ont beaucoup prêté et investi Les
dans la nouvelle république d’Allemagne. C’est la crise financière de 1929 qui

identifié la reductio ad Hitlerum a précipité la crise politique en Allemagne et favorisé l’avènement des nazis… 5,9
comme un moyen pratique de Les nazis ont par surenchère été les seuls responsables de la Seconde Guerre 4
en n
clouer le bec à un adversaire. Mike européenne puis mondiale, le traité de Versailles étant devenu obsolète par la -:HS
Godwin, lui, constatait que le débat suspension des réparations, la fin de l’occupation de la Ruhr et sa remilitarisa-
tion autorisée. ■
y perdait immédiatement en qualité, D'EP EdA 30 F
et proposait d’attribuer un « point Réponse :

Godwin » à tout internaute reconnu Voilà que notre correspondant fait grief à Sciences Humaines de reprendre un
coupable de ce forfait alors que le sujet argument nazi… Mérite-t-il un « point Godwin » ? En fait non, car les nazis ont
effectivement beaucoup tiré parti du thème de l’injustice faite à l’Allemagne.
ne s’y prêtait pas. Sciences Humaines Mais le premier à dénoncer le poids excessif des réparations imposées au
devrait-il en décerner un ? Voyez grand vaincu de la guerre de 1914-1918 n’était ni nazi, ni même allemand,
plutôt… ■ mais un économiste britannique plutôt célèbre nommé John Maynard Keynes.
NICOLAS JOURNET En 1920, dans un best-seller intitulé Les Conséquences économiques de la paix, il
prédit que cette dette de 132 milliards de marks-or mettra l’économie alle-
mande à genoux. Ce qui se vérifie dès 1922 et entraîne la cessation provisoire
des paiements. En outre, suite au traité de Versailles, l’Allemagne a perdu

Le tweet du mois 15 % de son territoire, 10 % de sa population, toutes ses colonies, a dû livrer
Je lis un article de @SH_mag qui dit ou détruire tout son armement et renoncer à posséder une armée de plus de
que l’humanité est « aujourd’hui plus 100 000 hommes. En 1920, une partie de la rive droite du Rhin est occupée par
pacifiée que jamais ». On ne doit pas vivre les Alliés, et en 1923, la Ruhr est investie par les Français et les Belges. Pour ce
dans le même monde… qui est de l’humiliation, un coup d’œil à cette vidéo de la BBC sur l’occupation
de la Ruhr (www.youtube.com/watch?v=h-7YCcZUXmw) en dira plus qu’un
CLÉMENT @NOSFERALIS
long discours. L’hyperinflation du mark suivra immédiatement cet épisode
Réponse @SH mag plutôt malheureux d’une « paix » qui n’en portait que le nom. ■ N. J.
Statistiquement, c’est pourtant vrai :
150 000 morts violentes par an dans le
monde entre 1945 et 1990, 55 000 en
2010. Il est vrai qu’en 2012, ce nombre
ÉCRIVEZ-NOUS !
a augmenté. ■ Vous souhaitez réagir à ce numéro, contacter un journaliste
ou soulever un débat ? Écrivez-nous à l’adresse suivante :
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6 SCIENCES HUMAINES Novembre 2014 E

N° 264
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école,
Union européenne, et bien d’autres sujets pauvreté, Parents-enfants : d’importants détaillants culturels (Virgin,
Chapitre)
etetde difficultésé
les sociét
de droit Dominique Polton
au cœur des préoccupations des Français
encore sont vers une nouvelle filiation ? actuelles de la FnacQuest ion
révèlent les mutations
le même temps, les principaux sites de vente
du commerce du livre. Dans
. Quelles sont diversifiés (mono-paren-
Depuis 40 ans, les modèles familiaux se sont en ligne connaissent une
les réformes à mener ? Les arguments
autres s’affrontent. « Entrez dans l’actu »
des uns et des taux, recomposés, homoparentaux...). Or,
ils ne sont pas tous protégés croissance rapide et bouleversent nos
Assiste-t-on pour autant à la disparition
habitudes de consommation. Claire Neirinck
n du droit aux réalités sociales
vous apporte des
informations objectives, factuelles et chiffrées juridiquement. Des demandes d’adaptatio
rents, coparents), ouverture ries ? Ne disposent-elles pas d’atouts suffisants Martine Gross
lente et inéluctable des librai-
, organisées émergent – statut des tiers (beaux-pa elles l’ont fait par le passé, à l’arrivée de
pour survivre, comme
en 24 thèmes, pour vous orienter et déchiffre à l’identité des donneurs
r les principaux de l’AMP aux couples de femmes, accès Pour répondre à ces questions, « Place
ces nouveaux concurrents ?
débats qui agitent la société française. très vifs. Toutes ques-
de gamètes, GPA – et suscitent des débats l’analyse d’un auteur spécialiste.
au débat » vous propose
que certains souhaiteraient
tionnent l’organisation actuelle de la filiation
Les rédacteurs de la Documentation française s vers une nouvelle filiation ?
ont réalisé cet ouvrage. « dénouer » de la procréation. Allons-nou Vincent Chabault est maître de conférence
la société ? Pour répondre à s en sociologie à l’université
Le droit doit-il accompagner l’évolution de Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité et membre
les analyses différentes du Centre de recherche
ces questions, « Place au débat » vous propose sur les liens sociaux (Cerlis-CNRS). Sa thèse
Claire Neirinck Martine Gross
d’une juriste et d’une sociologue. sur la Fnac a été distinguée
5,9990€ € 0€
Dominique Polton
en 2009 par le prix Le Monde de la recherche
7,9
universitaire.
et professeur de droit privé à
Claire Neirinck est agrégée des universités
Diffusion l’université de Toulouse I Capitole.
en sciences sociales au CNRS. Diffusion
5,99 €
Direction de l’information ingénieure de recherche
is
Martine Gross est Direction de l’information

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La documentation Française
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tour d’un sujet.
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Les politiques de l’éducation en Une jeunesse France
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La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation de l’École consti-
La loi du 8 juillet 2013 pour la refondation
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tue le dernier jalon de la longue histoire des politiques de à retracer. Au
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le lecteur curieux
depuis 30 ans (1955 -2014)
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sont invités à parcourir plus de deux cents ans d’histoire de l’École, des décrets fondateurs du Premier
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Lydie Heurdier est docteur en sciences
Olivier Galland
de l’éducation (laboratoire
Lydie Heurdier est docteur en sciences de l’éducation (laboratoire ESCOL, université Paris 8 Vincennes – Saint-Den Bernard Roudet
à partir de
is).
ESCOL, université Paris 8 Vincennes – Saint-Denis). Antoine Prost est professeur émérite (université
Philippe Poirrier
Paris 1 Panthéon –
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Antoine Prost est professeur émérite (université Paris 1 Panthéon – Sorbonne).
Sorbonne). Diffusion
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ACTU
org a nisations
Travailler de nuit
est-il nocif ?
Le travail de nuit progresse en France. Les salariés
concernés sont souvent motivés par une rémunération
attractive, mais la médaille a un revers : des risques
pour la santé et un délitement de la vie sociale.
Ouvriers travaillant de nuit à l’entretien
S
e lever tôt, trop tôt, se coucher qualifiés des industries de process sont des voies ferrées de la ligne D du RER.
tard, subir des insomnies : de trop les cinq familles professionnelles les plus
nombreux actifs accumulent au fil concernées.
du temps une « dette de sommeil ». Les Autre révélation de l’enquête de la Dares : le travail ne peut excéder 8 heures consé-
Français dorment, en moyenne, 7 h 47, 18 les salariés de la fonction publique tra- cutives, et 40 heures mensuelles. Par ail-
minutes de moins qu’il y a 25 ans – et même vaillent plus fréquemment la nuit que ceux leurs, les travailleurs de nuit bénéficient
50 minutes pour les 15-17 ans. Certains du privé. Alors qu’ils constituent 22 % de d’une protection médicale particulière.
travailleurs se retrouvent dans une situation l’ensemble de l’emploi salarié, ils sont 30 %
particulièrement vulnérable : les travailleurs
de nuit. C’est à eux que s’est intéressée la
à travailler de nuit. Par contre, il n’existe pas
de différence notable entre salariés en
Sommeil et
Dares dans une étude récente. Combien CDD ou en CDI, contrairement à ce que connexion sont-ils
sont-ils ? Quels risquent leur activité noc- l’on aurait pu spontanément penser, et les compatibles ?
J
turne fait-elle peser sur leur santé ? apprentis, stagiaires et bénéficiaires de ohn Crary, professeur
contrats aidés sont plutôt épargnés par ce d’esthétique à l’université de
Un travailleur sur six type d’horaires. À l’inverse, les intérimaires, Columbia, se demande dans son
Premier enseignement de cette étude : eux, les subissent plus souvent. Sans sur- dernier livre (1) quel sens le sommeil
le travail de nuit a littéralement explosé prise, ce sont les moins de 30 ans qui sont peut encore avoir dans des
en France au cours des vingt dernières surreprésentés. Pour les femmes, vivre en économies modernes qui valorisent
années. Censé être « exceptionnel », il couple avec enfant réduit fortement la pro- un homme perpétuellement
concerne aujourd’hui pas moins de 3,5 mil- babilité d’occuper ce type d’emplois. Ce connecté, dont la vie s’étale 24/7
lions de personnes, soit plus d’un salarié n’est pas le cas pour des hommes dans la (24 heures sur 24, sept jours sur
sur six – dont la moitié à titre régulier. C’est même situation familiale. sept), dont les objets électroniques
un million de salariés en plus qu’au début restent toujours « en veille », encore
des années 1990. Perturbations sociales et toujours dédié à la production et à
La différence entre les sexes est marquée. et sanitaires la consommation. S’endormir
Les hommes sont nettement plus exposés À autres caractéristiques comparables, serait-il alors l’ultime acte de
au travail nocturne : un homme sur cinq les salariés qui travaillent la nuit ont une résistance au capitalisme ? La thèse
occupe ce type d’emploi, contre moins de rémunération plus élevée. Ils peuvent fait débat, mais a le mérite d’ouvrir
10 % des femmes. Les horaires atypiques aussi recevoir des repos compensateurs, un débat philosophique sur notre
sont surtout concentrés dans le secteur en fonction de leur convention collective ; usage du temps. n r.c.
tertiaire : les conducteurs de véhicules, a minima, ils doivent disposer d’au moins
(1) Jonathan Crary, 24/7. Le capitalisme à l’assaut
les policiers et militaires, les infirmières et 11 heures de repos consécutif après leur du sommeil, Zones, 2014.
aides-soignantes, ainsi que les ouvriers période de travail nocturne. Sauf exception,
8 ScienceS HumaineS Novembre 2014

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ACTU
La réglementation
du travail de nuit
E n principe, tout salarié peut être
amené à travailler de nuit. Seule
exception : les jeunes mineurs pour
lesquels ce type d’horaires est, en
principe, interdit. Le recours au
travail de nuit, qui se situe
généralement entre 21 heures et
6 heures, est en principe
« exceptionnel » et doit être justifié
par la « nécessité d’assurer la
continuité de l’activité économique »
et des services d’utilité sociale.
C’est pourquoi il doit être mis en
place sous certaines conditions.
Est alors considéré comme
Hamilton/Rea
travailleur de nuit tout salarié qui
accomplit soit, selon son horaire de
travail habituel, au minimum trois
heures dans la période de nuit, à
À partir de plusieurs études allant dans supplémentaires ou de dépassement des
raison de deux fois par semaine au
le même sens, le Conseil économique, temps impartis étant moins réalisables que
social et environnemental (Cese) a rendu pour les salariés de jour), des tensions moins ; soit un nombre minimal de
un rapport soulignant les dégâts du tra- avec leurs collègues ou le public plus fré- 270 heures accomplies pendant
vail de nuit. Liste non exhaustive : le tra- quentes (surtout dans les emplois de la une période de 12 mois consécutifs
vail de nuit entraîne des perturbations fonction publique, qui les amènent à être (sauf accord spécifique
de la vie sociale et familiale des salariés plus souvent au contact d’une population d’entreprise). n r.c.
(d’autant qu’ils sont plus souvent amenés en détresse), et des risques d’accidents du
à travailler le week-end), et fait peser de travail plus nombreux.
nombreux risques sur leur santé. À court Ces contraintes se traduisent par un sen-
terme, on peut voir apparaître des troubles timent plus fréquent d’usure profession- rythmes humains et sociaux des travail-
du sommeil et digestifs et un déséquilibre nelle : les travailleurs de nuit sont significa- leurs concernés.
nutritionnel ; à plus long terme, des risques tivement plus nombreux à penser qu’ils ne Plus fondamentalement, ces études
cardiovasculaires accrus, une usure pré- « tiendront » pas jusqu’à leur retraite (43 % posent une question qui concerne tous les
maturée de l’organisme, et même, selon d’entre eux, contre 27 % pour l’ensemble salariés subissant des horaires atypiques :
des études, dont l’une menée par le Circ des salariés). à l’heure où la flexibilité apparaît dans le
(Centre international de recherche sur le discours public comme l’un des leviers de
cancer), une probabilité accrue de cancer, Un meilleur encadrement ? la lutte contre le chômage, ne serait-il pas
liée à une exposition nocturne à la lumière Faut-il alors encadrer davantage le tra- temps d’interroger sérieusement la place
qui fait baisser la production des défenses vail de nuit ? C’est ce que préconise le du travail dans nos existences ? Afin que
immunitaires. Cese, qui propose notamment de limiter les contraintes qui soient liées à son exé-
De plus, les professionnels concernés les mesures dérogatoires permises par les cution soient le moins nocives pour notre
doivent subir des conditions de travail accords de branche. De plus, la notion santé et, au-delà, notre vie sociale. n
nettement plus difficiles que les autres de « continuité de l’activité économique » renauD chartoire
salariés : ils sont soumis à des facteurs qui constitue la justification du recours au
de pénibilité physique plus nombreux (la travail de nuit pourrait être mieux définie,
Dares, « Le travail de nuit en 2012 », août 2014.
plupart des équipes en 3 x 8 se situant afin de limiter les abus. Le repos com-
François Édouard, « Le travail de nuit : impact sur les
dans l’industrie), une pression tempo- pensateur devrait aussi être augmenté, conditions de travail et de vie des salariés », rapport du
relle plus forte avec de fortes contraintes afin de réellement prendre en compte Conseil économique, social et environnemental »,
de productivité (les possibilités d’heures les effets nocifs du travail de nuit sur les août 2010.

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ACTU
psychologie
Se déconnecter accroît notre empathie

L e débat actuel concernant
l’impact du numérique sur
les relations sociales n’en finit
vous pourriez perdre d’impor-
tantes capacités relation-
nelles », conclut-elle. Il est, en
pas de rebondir. Une étude de effet, inquiétant de constater
l’université de Californie à Los que des différences appa-
Angeles (UCLA), publiée fin raissent au bout de seulement
août 2014, indique que se cou- cinq jours, étant donné que les
per d’Internet et plus générale- adolescents sont connectés à
ment des écrans pourrait déve- longueur de temps et pendant
l o p p e r n ot r e c a p a c i té à des années… « Les interactions
décrypter les émotions. Pour réelles restent nécessaires, y
parvenir à cette conclusion, les compris en compléments des
chercheurs ont séparé deux échanges que l’on peut avoir
groupes d’adolescents : les uns sur les réseaux sociaux », insiste
Fotolia
n’avaient plus aucun accès au la psychologue Patricia M.
Web ni à la télé durant cinq Greenfield, directrice du labo-
jours ; les autres pouvaient la même habileté au début de baux sur un écran de la même ratoire qui a dirigé l’étude. Peut-
continuer à se connecter aussi l’expérience ; mais à la fin, ceux façon que dans la vraie vie », être qu’il ne suffit pas de chatter
souvent que d’habitude. Au qui ont été déconnectés font alerte ainsi la chercheuse Yalda pour communiquer… n
début et à la fin de l’expérience, beaucoup moins d’erreurs que Uhls, principale auteure de Fabien trécourt
chaque jeune a, par ailleurs, été les autres ! l’étude. Un regard fuyant, une
évalué sur sa capacité à identi- De là à supposer que les nou- voix hésitante… Ces éléments
Yalda Uhls et al., « Five days at outdoor
fier des émotions, en reconnais- velles technologies sapent ont beaucoup d’importance
education camp without screens
sant une expression de visage notre empathie, il n’y a qu’un dans les échanges réels. « Si improves preteen skills with nonverbal
triste, heureuse, inquiète… Ver- pas. « Vous n’apprenez pas à vous ne communiquez pas emotion cues », Computers in Human
dict : les deux groupes montrent décrypter les indices non ver- régulièrement en face à face, Behavior, vol. XXXIX, octobre 2014.
Êtes-vous procrastinateur… ou précrastinateur ?

O n connaît les procrastina-

teurs qui remettent tout au
l e n d e m a i n , te r g i v e r s e n t ,
le coût mental des listes de
tâches à accomplir (« tu dois
faire ceci, faire cela »).
deux seaux remplis d’eau. Celui
de droite est le plus proche de
la personne (mais le plus loin du
allègent leur charge mentale :
celle qui consiste à maintenir le
cerveau en alerte (« va chercher
repoussent, décalent et ren- En somme, ils se jettent sur le but), l’autre est proche de la fin l e s e a u »). Vo i l à c e q u e
voient à plus tard ce qu’ils pour- travail qui arrive afin de se libé- (mais loin de la personne). D. Rosembaum appelle la pré-
raient faire le jour même. rer l’esprit. Pour minimiser leur effort, les crastination : la tendance à faire
Mais depuis peu, un nouveau D. Rosembaum et son équipe participants auraient intérêt à tout de suite ce que l’on pour-
mal est apparu : la précrastina- de l’université de Pennsylvanie attendre d’être au bout de l’al- rait avantageusement repous-
tion. Le psychologue David ont mis au jour cette tendance lée pour prendre le seau le plus ser à plus tard… n
Rosembaum, qui vient de à la précrastination à l’aide proche du but. Or, la plupart Jean-François Dortier
publier une étude sur les « pré- d’expériences assez simples. font le contraire et s’emparent
crastinateurs », désigne ainsi L’une d’entre elles consiste à tout de suite du seau le plus David Rosenbaum, Lanyun Gong et
demander à des étudiants de proche, quitte à le transporter Cory Adams Pott, « Pre-Crastination.
ceux qui ont tendance à se jeter
Hastening subgoal completion at the
sans attendre sur la consigne transporter un seau le long sur une distance plus longue.
expense of extra physical effort »,
nouvelle. Ceux-là réagissent à d’une allée. À droite et à gauche Ce faisant, ils augmentent leur Psychological Science,
une forme de stress particulier : de l’allée se trouvent placés charge physique mais ils vol. XXV, n° 7, juillet 2014..

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ACTU
Le suicide est contagieux Ennemis de classe

à l’adolescence
O n décrit souvent les adolescents comme des êtres
influençables. Une récente étude sur les
C omment le jugement d’au-
trui se développe-t-il chez
l’enfant ? Vaste question que se
âge de la part de l’école et de
leurs parents : être bon élève et
se laver les mains.
comportements suicidaires corrobore cette idée. Quand un disputent sociologues et Le troisième registre est celui
membre de son entourage a tenté de mettre fin à ses jours, psychologues. de l’apparence physique (« elle
Wilfried Lignier et Julie Pagis, est grosse, il est moche… »).
un adolescent a plus de risques de développer des
eux, sont allés voir sur le terrain, Or, ces jugements enfantins ne
pensées suicidaires, voire d’essayer à son tour de se et ont interrogé, dans leur cadre sont pas distribués au hasard :
donner la mort. Deux chercheurs en sociologie de scolaire, une centaine d’enfants ils recoupent assez souvent
âgés de 6 à 11 ans. Qui est ami les origines sociales et eth-
l’université de Memphis se sont penchés sur les données
avec qui, qui déteste qui, et sur- niques des enfants, (« il est noir
de l’enquête nationale longitudinale sur la santé des tout pour quelles raisons ? Les et je n’aime pas le noir »). De
collégiens et des lycéens aux États-Unis. Les auteurs ont résultats ne sont pas statistique- ce tableau rapide, les auteurs
ment chiffrés, mais tout de même tirent deux conclusions. D’abord
pris soin de se concentrer sur les jeunes qui n’avaient pas
révélateurs. Tout d’abord, à ces que ces jugements ne sont pas
déclaré de comportements suicidaires lors de la première âges-là, les « meilleurs copains » exempts d’une influence envi-
vague de l’enquête, en 1994-1995. Ils ont surveillé appartiennent rarement à l’autre ronnementale adulte. Ensuite
l’apparition de telles conduites un an et six ans après la sexe. Rien de bien étonnant. que, sous leurs dehors enfan-
tentative de suicide d’un proche.

À la lueur des résultats, les garçons apparaissent moins
vulnérables que les filles : dans les mêmes circonstances,
la probabilité de développer des comportements
suicidaires est plus grande pour ces dernières. L’hypothèse
des auteurs ? Elles seraient plus affectées car elles ont
tendance à construire des relations plus intimes avec leur
entourage et font davantage preuve d’empathie. Pour les

filles comme pour les garçons, l’effet de contagion s’avère
également plus fort face à l’acte désespéré d’un ami,
Fotolia
plutôt qu’à celui d’un membre de la famille. D’autres

recherches ont mis en évidence le mouvement important
d’identification aux pairs, caractéristique de l’adolescence, Plus intéressant : pour exprimer tins et ludiques, ces vocabu-
des jugements négatifs sur leurs laires critiques trahissent une
qui accompagne les efforts de différenciation vis-à-vis de
petits camarades, les enfants perception naissante des dif-
l’entourage familial. Enfin, après la tentative de suicide d’un puisent dans trois registres. férences sociales, ethniques
proche, l’effet sur les comportements des jeunes étudiés Il y a d’abord les performances et culturelles, distinctions aux-
scolaires (« il a des zéros, il fait quelles les enfants en bas âge
est durable : il persiste au moins un an et s’estompe de
des bêtises, ou à l’inverse, elle échappent généralement… n
manière significative sous six ans. n est trop intelligente ») et l’hygiène nicoLas Journet
auréLia DescaMPs (« il pue, il pète et il est sale »).
Wilfried Lignier et Julie Pagis,
Ces catégories correspondent
Seth Abrutyn et Anna S. Mueller, « Are suicidal behaviors contagious « Inimitiés enfantines. L’expression
in adolescence ? Using longitudinal data to examine suicide suggestion », aux injonctions quotidiennes précoce des distances sociales »,
American Sociological Review, vol. LXXIX, n° 2, avril 2014. que reçoivent les enfants de cet Genèses, n° 96, septembre 2014.

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ACTU
tr aVail
La ruée vers l’artisanat Pourquoi

les chercheurs
C’ est une tendance silencieuse, mais emblématique de l’évolution de notre rapport
au travail : un nombre croissant de profs, d’ingénieurs ou de commerciaux quittent
leur métier pour devenir ébénistes, bijoutiers ou souffleurs de verre. Une sociologue,
s’expatrient
Anne Jourdain, a mené l’enquête auprès de ces artisans d’art reconvertis. Selon elle,
leur motivation est d’abord défensive : ils commencent par fuir un métier qui ne les
satisfait plus. De nombreux enquêtés expriment ainsi une impression « d’incomplétude »
D e plus en plus fréquents, les stages
postdoctoraux conduisent dans cer-
taines disciplines à des séjours à l’étranger
au travail, qui se cristallise autour de l’absence de production personnelle concrète. après la thèse. Une enquête qualitative de
Claudia, ancienne cadre reconvertie à la céramique à 45 ans, explique ainsi : « Au bout de l’Apec montre que certains jeunes docteurs
dix ans, j’en ai eu marre. Parce qu’il n’y avait rien de concret à la fin de la journée. C’était prolongent leur expatriation, notamment en
beaucoup de bla-bla au téléphone. Je ne créais rien. » Autre motivation régulièrement raison de facteurs économiques : difficulté à
avancée : l’absence de perspective d’évolution, qui constitue une source de souffrance. trouver un emploi en France, besoin d’enri-
Choisir l’artisanat d’art, a contrario, permet de devenir indépendant, et ainsi de rejeter chir son CV, intérêt professionnel et scienti-
une hiérarchie par laquelle on ne se sent pas suffisamment reconnu ou valorisé. C’est fique… L’étranger exerce, en outre, un attrait
aussi une façon de reprendre la main sur ses horaires, et de mieux concilier vie profes- spécifique. Plus de la moitié des jeunes
sionnelle et vie familiale. interrogés indiquent que les conditions pro-
fessionnelles et scientifiques, dont un niveau
de rémunération en général plus élevé, ont
eu une influence dans leur choix de mobilité.
Cependant, les conditions sont souvent plus
précaires, en particulier parce que la péren-
nité des emplois proposés est incertaine.
Finalement, ce sont souvent les facteurs
personnels et familiaux qui déclenchent le
retour au pays.
Faut-il pour autant s’alarmer d’une « fuite des
cerveaux ? » Deux chercheurs de Sciences
67 % Po modèrent le débat en utilisant deux bases

de données récentes (réalisées respective-
des artisans d’art ment par la Banque mondiale et l’OCDE).

français sont des reconvertis,
majoritairement d’anciens Certes, les jeunes les plus diplômés sont
cadres ou professions ceux qui quittent le plus la France : 2,1 %
intellectuelles
pour les titulaires d’un doctorat, contre
supérieures.
0,04 % pour les non-diplômés – 52 fois plus.
iStock/Getty
Cela dit, les auteurs soulignent que, com-

parativement à la plupart des autres pays, le
nombre de départs est faible. Il est, par ail-
Enfin, la sociologue souligne les vertus psychiques du travail artisanal : forger un objet leurs, important de valoriser leur expérience
esthétique est une manière de se forger une estime de soi. Alors que dans la plupart des à l’étranger pour faire revenir ces diplômés
entreprises, la part de créativité personnelle est réduite à portion congrue, « l’artisanat français. n
d’art offre aux reconvertis la possibilité de produire une “œuvre”, et donc de se forger christine Leroy
une identité positive pour soi ».
Ce type de reconversion pourrait continuer à prendre de l’ampleur, d’autant plus qu’il
Apec/Irédu, « La mobilité internationale des diplômés de
est facilité par diverses institutions, telles que le système de formation professionnelle
doctorat français », avril 2014.
continue et les dispositifs d’aide à la création d’entreprise. n Pierre-Henri Bono et Étienne Wasmer, « Y a-t-il un
héLoïse Lhérété exode des qualifiés français », LIEPP Policy Brief, n° 10,
Anne Jourdain, Du cœur à l’ouvrage. Les artisans d’art en France, Belin, 2014. mars 2014.

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ACTU
société
20 ans de bonheur !
«S i je vous dis “être heureux”,
à quoi pensez-vous ? » Telle est
la question posée par des chercheurs
d’une frugalité volontaire chez les
Français. De plus en plus de
consommateurs affirment vouloir
bonne place, 6e en 2013 contre 10e en
1993. La réussite sociale a été
remplacée par la réalisation de soi
du Credoc en 1993 puis de nouveau en privilégier la qualité à la quantité : symbolisée par des termes tels
2013. L’évolution des réponses est produits durables, respectueux des qu’« épanouir », « joie », « tranquillité »
significative : les termes « loisir », hommes et de l’environnement, etc. Une dernière évolution rend compte de
« vacances », « liberté », « temps », Parallèlement, un terme a tendance à l’importance croissante que revêt le
« soleil » prennent de plus en plus disparaître quand on parle de bonheur : lien social. Ainsi, le mot ami qui se
d’importance. « Après le bien-être celui de réussite. Dans les classait 40e en 1993 s’est hissé
matériel, l’argent, la réussite sociale années 1990, la réussite était incarnée à la 10e place. Quant à l’amour, il
et la sécurité physique, d’autres par les jeunes cadres dynamiques et la progresse de la 24e à la 12e place. Sans
préoccupations prennent ainsi « réussite sociale était associée à la doute peut-il encore faire un effort ! n
de l’importance : le temps libre, mise en avant d’objets comme les christoPhe ryMarsKi
la réalisation de soi et plus voitures, les montres, les vêtements à la
généralement le sens de la vie », notent marque bien visible… » Ce déclin de la
Nicolas Siounandan, Pascale Hébel et Justine
ainsi les trois chercheurs. Cette réussite comme constituant du Colin, « En marge de la crise : émergence d’une
tendance se traduit notamment dans la bonheur n’est pas une remise en cause frugalité choisie », Consommation et modes de vie,
consommation, avec le développement du travail, qui apparaît toujours en n° 266, avril 2014.
18 h 30 Accueil par Hervé COUTEILLE,

20 h 30 Président du Cercle Condorcet d’Auxerre
SOIRÉE D’OUVERTURE
JEUDI 6
Michel WIEVIORKA, Etienne KLEIN
NOV
9 h 00 PASSÉ-PRÉSENT
18 h 30 Président de séance : Pascal DIBIE
Jean BAUBEROT, Michel MORINEAU
SAURONS-NOUS VIVRE ENSEMBLE ?

Présidente de séance : Héloïse LHERETE

Yann ALGAN, Marc FLEURBAEY, Philippe FREMEAUX
CRITIqUES DE LA RAISON TECHNOSCIENTIfIqUE

VEND Présidente de séance : Monique DAGNAUD
Jean-Michel BESNIER - Françoise THIBAULT - Dominique LEGLU
7 NOV
qUESTIONS DE CONfIANCE
Président de séance : Philippe LAZAR
Monique CASTILLO, Joël ROMAN , Alberto TOSCANO
9 h 00
18 h 00 ETHIqUE, HUMANISME & DROITS DE L’HOMME
Président de séance : Patrice ROLLAND
Rony BRAUMAN, Véronique FOURNIER, Valentine ZUBER
PRÉVOIR… ET APRèS ?
Présidente de séance : Nobutaka MIURA
Ariel COLONOMOS, Hervé LE BRAS, Daniel INNERARITY
Contact et inscription : sylvain.joliton@wanadoo.fr
GÉOPOLITIqUES DE L’AVENIR
SAM Président de séance : Daniel REISZ
8 NOV Jean-Pierre DOZON, Michel FOUCHER, Franck GALLAND
DEMAIN…qUELLES GUERRES ? qUELLE POLITIqUE ?

Q04448_JOLITON_affiche40x60.indd 1
Partenaire 08/09/14 14:42
Président de séance : Roger LESGARDS

Jean-Vincent HOLEINDRE, Pascal PERRINEAU

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ACTU
sociologie
Moins de pilules,
moins de contraception ?
La pilule est de plus sociaux les plus défavorisés.
en plus délaissée, Une tendance connexe impor-
au profit de moyens tante est l’utilisation du stérilet
chez les femmes jeunes ,
de contraception moins
puisqu’entre 2010 et 2013, le
fiables… et moins recour s à cet te méthode
coûteux. contraceptive est passé de
2 % à 5 % chez les femmes de
20-24 ans et de 8 % à 16 %
L e recours à la contraception
reste la norme, en France,
chez les femmes qui sou-
chez celles de 25-29 ans,
cette évolution concernant
aussi les femmes sans enfant
Michel Gaillard/Rea
haitent poursuivre une activité pour cette dernière tranche
professionnelle (seules 3 % d’âge.
n’en utilisent pas). Cependant, Au final, on assiste à une plus
on perçoit depuis le début des grande diversité aujourd’hui
années 2000 une évolution un impact : pour preuve, alors Méthodes des pratiques contraceptives,
importante dans les choix de que 40 % des pilules utilisées naturelles même si la pilule reste le pre-
méthodes contraceptives. en 2010 étaient de 3 e ou 4 e Ce phénomène s’est traduit par mier moyen de contraception BU
Tout d’abord, la pilule est moins générations, cette proportion une plus forte utilisation des utilisé. Son image a cependant
utilisée. Ainsi, si au début du est passée à 25 % en 2013. autres moyens contraceptifs, été écornée par les récents
XXI e siècle, 55 % des femmes la Mais cette explication est insuf- tels que le stérilet (+ 1,9 point), débats sur ces effets secon-
prenaient, elles ne sont plus fisante, car cette relative désaf- le préservatif (+ 3,2 points) et daires : si 44 % des femmes en
que 41 % aujourd’hui. Les fection pour la pilule s’inscrit d’autres méthodes comme les 2010 étaient tout à fait d’ac-
débats récents autour des dans un mouvement plus dates (rapports en dehors des cord avec l’idée selon laquelle
effets nocifs des pilules de 3e ancien lié au souci croissant, périodes de fécondabilité) ou le « la pilule permet aux femmes
et 4e générations, ainsi que leur chez certaines femmes, d’éviter retrait (+ 3,4 points), aux effets d’avoir une sexualité plus épa-
non-remboursement depuis le s contrac eptifs à ba se pas toujours fiables. nouie », elles ne sont plus
mars 2013, ont évidemment eu d’hormones. D’ailleurs, sur les dernières aujourd’hui que 37 % à le pen-
années, on s’aperçoit que l’as- ser. De manière révélatrice, ce
pect financier a pu jouer dans sont les jeunes femmes qui se
ces choix, car ce sont surtout reconnaissent le moins dans
les femmes en situation finan- cette proposition. n r.c.
cière diffi cile, jeunes et sans
diplômes qui ont opté pour des
méthodes « naturelles » moins
efficaces. Il se développe ainsi
une véritable inégalité sociale
face à la contraception, qui Nathalie Bajos, Mylène Rouzaud-
pourrait donner lieu dans les Cornabas, Henri Panjo, Aline Bohet,
Caroline Moreau et l’équipe Fécond,
années à venir à une recrudes-
« La crise de la pilule en France :
cence des grossesses non vers un nouveau modèle contraceptif ? »,
désirées dans les milieux Population et sociétés, n° 511, mai 2014.

N° 264
rde2014_
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ACTU
portr ait
Un philosophe à l’hôpital
Éric Fourneret mène demande du président de la
des « enquêtes République et ouvrant à la voie à
philosophiques » en « l’assistance médicalisée pour
terminer sa vie dans la dignité ».
milieu hospitalier.
L’Agence de biomédecine le
Pour lui, la réflexion sollicite également pour étu-
éthique suppose dier les arrêts de traitements
d’interroger dans le cadre d’un prélèvement
d’organe à cœur arrêté. « Ça
les expériences des
n’est pas autorisé en France,
principaux concernés explique-t-il, car il y a potentiel-
– soignants et soignés. lement un conflit d’intérêts entre
le fait de laisser survenir un arrêt
A bstraite, la philosophie ?
Pas forcément. De plus en
cardiaque, sur décision médi-
cale, et celui de pouvoir sauver
Evgenios Levin
plus de philosophes choisissent quelqu’un d’autre grâce à un
un terrain de recherche permet- prélèvement d’organe. »
tant de s’immerger dans le Cette étude s’efforce d’établir
concret. C’est le cas d’Éric comment les professionnels de
Fourneret, lauréat en 2014 des encore Grenoble. « Je confronte apprécie la critique de la géné- santé perçoivent cette pratique
Trophées de l’éthique décernés mes expériences aux concepts ralité et le souci du détail. Il se et s’ils y sont favorables. « La
par la fondation Ostad-Elahi. philosophiques supposés y nourrit également de sociologie plupart sont demandeurs d’un
Attaché de recherches à l’uni- répondre. » qualitative, celle de Max Weber regard extérieur sur ce qu’ils
versité Paris-V, spécialiste Ça n’a pas toujours été le cas. Au ou d’Erving Goffman notam- font, constate plus générale-
d’éthique médicale et de ques- début de ses études, É. Four- ment, pour apprendre à recueillir ment É. Fourneret. Quelques-
tions liées à la fin de vie – eutha- neret a constamment « la tête et exploiter des données. « Je uns peuvent se montrer hostiles
nasie, don d’organe… – É. Four- dans les livres et les articles ». Il m’efforce de faire cohabiter à la remise en question de leurs
neret mène des « enquêtes s’inspire massivement du prin- l’analytique et l’existentiel », méthodes, se sentir vulnérables
philosophiques » en milieu hos- cipisme de Tom Beauchamps résume-t-il aujourd’hui. sur un terrain plus conceptuel,
pitalier. Il y passe plus de temps et James Childress, puis de la mais nos échanges restent enri-
qu’en bibliothèque, pour discu- déontologie d’Emmanuel Kant, Observation chissants pour tout le monde. »
ter avec les médecins, les infir- l’utilitarisme de John Stuart Mill sur la fin de vie Dans un futur proche, il aimerait
miers, les patients et leurs et l’éthique de la vertu d’Aris- Cette double approche se s’immerger dans les commis-
familles. « J’ai besoin de m’im- tote… Des proches, adeptes retrouve dans sa thèse, présen- sions contrôle des pays qui ont
prégner de cette atmosphère et de sciences « dures », l’encou- tée en 2010 : L’Euthanasie à la légalisé l’euthanasie, afin d’étu-
de ces échanges », explique-t-il. ragent cependant à vérifier ses croisée des sciences humaines dier la façon dont les décisions
Il vient ainsi de passer trois ans hypothèses sur le terrain. « Ça et sociales. Pourquoi fait-elle y sont prises. « J’ai obtenu leur
dans des services de pédiatrie, a été un choc, se souvient-il. toujours débat ?, qui sera suivie accord, s’enthousiasme-t-il, il ne
pour nourrir ses recherches sur Mes théories m’ont soudaine- d’un essai similaire sur la fin de me manque plus que le finance-
l’annonce d’une pathologie à ment paru incomplètes : non vie. Son pragmatisme attire en ment. » Menée par un universi-
risque vital faite à un jeune pas inutiles, mais ne pouvant outre l’attention des instances taire, une telle étude serait une
adulte ou à un adolescent. Il est pas ramasser toute la diversité décisionnaires et des pouvoirs première en France. n F.t.
également membre de comités du réel. » Le jeune thésard se publics : É. Fourneret participe
d’éthique en centre hospitalier, plonge alors dans les textes de ainsi à l’élaboration du rapport Éric Fourneret, Choisir sa mort. Les
à Chambéry, Saint-Marcellin ou Ludwig Wittgenstein, dont il Sicard en 2012, rédigé à la débats de l’euthanasie, Puf, 2012.

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ACTU
Nietzsche sur YouTube

K arl Marx chez Mario Bros, Platon dans la caverne de
Zelda… Bienvenue dans 8-bit Philosophy ! Cette série de
vidéos sur Internet vulgarise avec humour des théories
philosophiques grâce à des détournements de jeux vidéo
des années 1980-1990. Le surhomme de Friedrich
Nietzsche devient le Megaman de Nintendo, René Descartes
affronte le « malin génie » de Castelvania, et l’individu libre de
Jean-Paul Sartre se retrouve dans un jeu de rôle (RPG) où
l’on doit choisir entre différentes actions… Hilarant et
cependant rigoureux sur le fond, chaque clip dure un peu
Napkin Note
plus de trois minutes ; dix épisodes ont ainsi été imaginés à
ce jour par la boîte de production audiovisuelle Napkin Note,
basée aux États-Unis. Celle-ci s’offre d’ailleurs un joli coup
de pub : chaque vidéo a été vue entre 50 000 et 500 000 fois depuis avril dernier ! Comme quoi la
bonne vulgarisation peut rencontrer un certain succès lorsqu’elle s’approprie la culture pop en
vogue sur le Web ! n F.t.
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ACTU
écono mie
À qui profitera le papy-boom ?

C’ est un fait acquis : au
fameux baby-boom des
années 1960 succède un papy-
69 ans en 2009 était la plus
forte dans le Limousin (27 %
de la population active occu-
boom qui correspond à la sortie pée), en Auvergne, en Corse
de ces générations du marché et en Bourgogne (26 %) ; à
du travail. Entre 2010 et 2020, l’inverse, le Nord-Pas-de-
près d’un salarié sur trois, soit Calais, l’Alsace et les Pays de
près de 8 millions de personnes, la Loire (23 %) se trouvent en
Marta Nascimento/Rea
aura pris sa retraite, ce qui libé- fin de liste. Les emplois ne se
r e r a q u a n t i t é d ’e m p l o i s libéreront donc pas également
– 705 000 par an entre 2016 sur l’ensemble du territoire. De
et 2020… à condition que les même, tous les secteurs d’ac-
entreprises concernées les tivité ne seront pas identique-
réaffectent. Quels sont ces ment concernés : c’est dans moins concernés : coiffeurs, conjoncturelle (faillites d’entre-
emplois qui vont potentiellement le domaine des services à la esthéticiens, emplois dans prises, plans sociaux, délocali-
devenir vacants ? personne et aux collectivités l’hôtellerie et la restauration, sations, et, à l’inverse, création
Tout d’abord, géographique- (employés de maison, aides à caissiers, mais aussi métiers d’activités et d’emplois liés à de
ment, toutes les régions ne domicile, aides ménagères, de l’informatique… nouveaux débouchés générés
seront pas logées à la même assistantes maternelles…) que S i c e s p r oj e c ti o ns nou s par l’innovation). n r.c.
enseigne, en fonction de la l’on trouvera le plus d’emplois donnent une tendance, il est
part des « seniors » dans leur libérés, ainsi que dans les cependant difficile d’en inférer
Nathalie Delattre, « Dans toutes les
population active. Ainsi, la part métiers de la fonction publique. des conclusions sur l’évolu- régions, des départs massifs de fin de
de ceux qui avaient un emploi Les métiers employant le plus tion du chômage, tant celle- carrière d’ici 2020 », Insee Première,
et qui étaient âgés de 50 à de main-d’œuvre jeune seront ci dépendra de la situation n° 1508, juillet 2014.
La précarité énergétique touche les classes moyennes

50
à 125 millions d’Européens propriétaires occupants », affirme la précarité énergétique qui leur sont
seraient concernés par la la politologue Rachel Guyet. adressées ». Ils ne bénéficient pas
précarité énergétique (ceux qui Selon cette chercheuse, les politiques de l’aide à laquelle ils pourraient
consacrent plus de 10 % de leurs anglaises de ciblage des populations prétendre et payent davantage que
revenus à l’énergie). L’impossibilité concernées sont mal appropriées, et les autres usagers. En France, il a fallu
d’obtenir un chiffre plus précis montre laissent de côté une part importante attendre juin 2014 pour que soit voté au
combien le phénomène est mal des foyers. Pire, ces foyers seraient Parlement le « chèque énergie » destiné
pris en compte par les différents pays victimes d’une double peine. Les à aider « les ménages les plus modestes
de l’Union européenne. Pour nombre dispositifs de lutte contre la précarité en situation de précarité énergétique ».
d’entre eux, la précarité énergétique est énergétique sont financés par des Au niveau européen, seul un texte
le plus souvent assimilée à la pauvreté, taxes prélevées sur les factures de tous enjoint les États membres à développer
comme en Allemagne, en Pologne ou les consommateurs. Or, « les précaires des programmes en faveur des
en Hongrie par exemple. Pourtant « les énergétiques qui souffrent en général « consommateurs vulnérables ».
données collectées en France et en de logements mal isolés, tendent à À suivre donc… n c.r.
Grande-Bretagne montrent qu’une consommer davantage et donc à
Rachel Guyet, « La précarité énergétique en Europe :
partie des précaires énergétiques relève contribuer de manière disproportionnée approche comparative », P@ges Europe,
de catégories plus larges, y compris des au budget des politiques de lutte contre La Documentation française, juillet 2014.

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Comprendre l’humain et la société
Touche pas à ma vague !
U ne vague, ça n’est qu’un mouvement pendulaire
appliqué à une masse d’eau : pas facile d’y planter
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un panneau « propriété privée ». Et pourtant ça se fait…
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Mais l’intérêt financier n’est pas la seule raison étranGers
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du hui (clan), vous prieront d’aller planer ailleurs. Motif ? ouI, je m’abonne 1 an à
Sciences Humaines et je reçois en
La vague hawaïenne appartient aux Hawaïens et à leurs
cadeau le hors-série ci-contre.
amis. Un « localisme » qui, paraît-il, s’exerce aussi sur Je règle aujourd’hui
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certains spots de Bretagne, réservés donc aux Bretons. Option + 2 hors-séries par an €
Il existe, enfin, une façon plus symbolique de Par avion €
s’approprier une vague convoitée. C. Guibert présente le

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i-joint mon règlement de € par :
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cas de deux communes basques qui se disputent
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le nom de la houle qui balaye la baie.
Date et signature obligatoires :

La déferlante se forme à Guéthary et meurt à Bidart. Expire le
Cryptogramme
L’appellera-t-on « vague de Guéthary » ou « vague de (3 derniers chiffres CB)
Bidart » ? La question se pose dès que l’on organise des Bulletin à compléter et à retourner avec votre règlement
dans une enveloppe NON AFFRANCHIE à l’adresse :
compétitions. Les surfeurs, eux, la nomment Sciences Humaines - Libre Réponse 60 546 - 89 019 AUXERRE CEDEX
« Parlementia » d’après la falaise qui domine le littoral. La nom
querelle picrocholine n’est pas pour autant réglée, car le Prénom
société
fait de baptiser la vague serait, aux dires des édiles
adresse
locaux, un enjeu touristique avéré.
Que ce soit par intérêt, par goût de l’entre-soi cP ville
ou par souci d’image, les bonnes raisons de s’emparer Pays
courriel
d’un paquet de molécules d’eau en mouvement
cycle
ycle et filière
ne manquent pas. n n.J. Profession
Christophe Guibert, « Les vagues de surf : des convoitises différenciées », abonnez-vous par téléphone au 03 86 72 07 00
Terrain, n° 63, septembre 2014. Paiement par CB code 264

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Comprendre
L’Afrique,
continent fantasmé
Les réactions suscitées par l’épidémie d’Ebola le montrent :
l’Afrique effraie autant qu’elle fascine,
comme si elle méritait un traitement à part dans la mondialisation.
L’
Sylvie Brunel
épidémie d’Ebola qui Professeure de géographie à Paris-Sorbonne. frontières et de la longue durée de l’incu-
sév it en A f r ique de bation, pendant laquelle le malade est
l’Ouest depuis six mois non seulement non contagieux, mais
oblige à repenser nos celle des mesures de… rétorsion de la totalement asymptomatique.
repré s ent at ion s de communauté internationale, effrayée de Pourquoi ce traitement spécifique à
l’Afrique. L’image donnée par les médias, cette propagation. Comme on parquait l’Afrique ? Dans Bowling for Columbine,
en effet, enferme à nouveau le continent hier à l’écart du monde les lépreux, les le réalisateur Michael Moore se gaussait
dans une sorte de fatalité de la malédic- cholériques ou les pestiférés, Ebola fait déjà de la diabolisation des abeilles
tion, qui tranche singulièrement avec les ressurgir des réflexes d’un autre âge : « tueuses » venues d’Afrique. Le cœur des
visions enthousiastes de ces dernières mettre l’Afrique en quarantaine pour se ténèbres n’est jamais très loin. Pourtant,
années. L’Afrique émergente vient une prémunir de la contagion. ce continent ne mérite pas un traitement
nouvelle fois de s’effacer, pour laisser spécifique, d’autant que son gigantisme
place à ce perpétuel ostracisme, comme Une extraordinaire rend difficile toute généralisation à son
si, telles les sept plaies d’Égypte, tous les hétérogénéité sujet : 54 pays, plus d’un milliard d’habi-
malheurs du monde ne pouvaient que Pourtant, cette maladie, malgré ses tants, 30 millions de km 2 , l’Afrique
l’affliger. Les compagnies aériennes ont manifestations effrayantes et l’absence occupe près du quart des terres émergées
suspendu leurs vols, les séjours touris- de traitement, est en réalité beaucoup du globe. Les superficies réunies de la
tiques et les manifestations sportives moins contagieuse que toutes celles qui Chine, de l’Inde, de l’Europe de l’Ouest et
sont annulés, même à des milliers de se diffusent par aérosols, comme la des États-Unis ne suffiraient pas à la
kilomètres de l’épicentre de la maladie. tuberculose ou la grippe : pour la contrac- recouvrir entièrement !
Les entreprises des industries extrac- ter, il faut être en contact direct avec un Des déserts sahariens aux forêts congo-
tives, desquelles dépend largement le fluide corporel d’un malade (les 5 S : laises, des petits États insulaires très
décollage économique, évacuent leurs sang, sperme, salive, selles, sueur). Elle développés comme Maurice aux pays les
cadres, promettant au continent l’entrée est bien moins meurtrière que le palu- plus pauvres du monde comme la Cen-
inévitable dans une phase de récession disme (660 000 morts par an), le sida (le trafrique ou le Niger (en dépit de res-
dont il mettra de nombreuses années à se double) et demande juste une réponse sources minières colossales), comment
relever. La crise alimentaire a déjà concer tée de la communauté mettre dans le même sac des civilisa-
commencé à frapper les régions touchées internationale pour être enrayée : plus de tions, des paysages et des niveaux de
par le blocus mis en place autour d’elles. moyens pour les soignants, ne plus dia- dé v elopp ement s i hét érogène s ?
L’Afrique subit ainsi une double peine : boliser les malades, tentés de fuir plutôt L’Afrique, ce sont les géants géogra-
celle de la maladie, qui a déjà tué près de que de se retrouver parqués dans des phiques que sont l’Algérie méditerra-
trois mille personnes et continue de mouroirs, bref la coopération plutôt que néenne et saharienne, 2,4 millions
s’étendre parce que le personnel soi- le cordon sanitaire. Espérer dresser des de km2, ou la République démocratique
gnant est débordé et manque de moyens, barricades étanches est, en outre, tout à du Congo, 2,3 millions de km2, le géant
payant le premier tribut à la mortalité, et fait illusoire en raison de la porosité des démographique qu’est le Nigeria équato-

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Comprendre
Les Masaïs vivant dans

la réserve nationale du Masaï
Peter Rigaud/Laif/Rea
Mara au Kenya ont appris à

cultiver leur exotisme
à des fins touristiques.

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Comprendre
L’AfRiqUE Deux lignes de fracture essentielles

COMME MENACE
Pour les États-Unis, l’Afrique
représente une menace pour la
sécurité mondiale, démographique,
sanitaire et terroriste, dont il faut
contenir les maux sur le continent.
Les chefs d’État africains eux-mêmes
cultivent cette image,
qui leur permet de recevoir des
financements abondants, des
conseillers militaires
et des armes – dont ils se servent
surtout pour se protéger de leurs
voisins, perçus comme autant
d’envahisseurs potentiels. Le
panafricanisme a encore des efforts à
faire. L’Europe, comme les États-Unis,
voit grandir avec inquiétude la tache
de chaos en plein Sahara qu’a
suscitée le renversement de Kadhafi
en 2011. La ligne de contact entre
l’Afrique musulmane des éleveurs
nomades et l’Afrique chrétienne et
animiste des cultivateurs est devenue
une zone d’affrontement traversant le
continent d’ouest en est : Libye,
Centrafrique, nord du Mali, nord du
Nigeria, est du Soudan, Soudan du
Sud, Somalie sont des États ou des
territoires déliquescents qui
débordent sur leur environnement
régional. Les mouvements rebelles
qui y prospèrent terrorisent les
populations civiles dans des zones de

non-droit. Boko Haram au Nord-Est
du Nigeria vient de décréter à son
tour le califat islamique et détient
encore les 200 lycéennes enlevées
en mars 2014, dont, après des
mobilisations sporadiques qui
tenaient plus de l’autopromotion que
d’une réelle implication, le monde
semble s’être désintéressé.
L’Armée de résistance du seigneur
(LRA), chassée d’Ouganda, tient le
Nord de la Centrafrique grâce aux
enfants soldats. Les shebabs
(tribunaux islamiques) règnent Légende cartographie
dans le Sud de la Somalie

et déstabilisent le Kenya n S.B.

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Comprendre
rial et tropical humide, 170 millions ment vrai puisque frappé du sceau de ventions militaires et de la charité huma-
d’habitants, mais aussi les petites îles de l’expérience. nitaire. Près de la moitié de la population
Sao Tome-et-Principe, 200 000 habitants, Pourtant, ceux qui prétendent tout savoir africaine vit toujours dans la grande
du Cap-Vert, 500 000 habitants, des de l’Afrique parce qu’ils ont passé de lon- pauvreté, principalement en milieu rural
Comores, 900 000. L’Afrique réunit à la gues années au Sénégal, au Gabon ou en et dans les pays en guerre. C’est l’Afrique
fois l’Afrique du Sud, pays émergent, dont Côte d’Ivoire, ne la connaissent pas plus de la faim, des désastres sanitaires, du
le climat au Cap rappelle celui de la Pro- que ceux qui ont vécu à Monrovia, Kam- manque d’accès à l’eau potable et à l’as-
vence, un PNB de près de 400 milliards pala ou Lilongwe. sainissement, de la violence, des viols, de
de dollars et un revenu par habitant de Les premiers connaissent une parcelle la grande précarité et d’une forte vulné-
12 000 dollars, mais aussi la RDC équato- d’Afrique, celle de l’espace francophone, rabilité face aux aléas naturels, dont la
riale, dont le revenu par habitant ne encore très lié à l’histoire de la colonisa- densification démographique tend à
dépasse pas 400 dollars, l’Érythrée semi- tion française. exacerber l’impact. Tout se passe comme
aride et le Burundi des grands lacs, où il Les seconds ont une autre pratique de si Ebola était venu renforcer cette repré-
reste inférieur à 500 dollars… l’Afrique, une autre expérience. Ils ne sentation-là, accréditant l’image d’un
Nul autre continent ne déchaîne pour- racontent pas la même histoire, ils ne continent maudit.
tant autant de passions et d’affronte-
ments. Il y a ceux qui « connaissent
l’Afrique », ceux qui « aiment l’Afrique », et
parlent pas le même langage.
Ses trois visages

2 L’Afrique exotique
Pourtant, il existe une autre Afrique,
prétendent tout savoir à son sujet. Et les Trois représentations de l’Afrique se che- encore bien présente, celle de l’exotisme,
autres, à qui tout droit de s’exprimer est vauchent et se superposent ainsi dans la des parcs naturels et des populations
dénié. Les premiers y ont généralement mondialisation. dites « authentiques ». Celle-là est perçue
vécu. Toute leur vie pour les « vieux Afri-
cains ». Quelques années pour les expa-
triés et les coopérants humanitaires. Le
1 L’Afrique de la misère
En proie au chaos et à la désespérance,
comme une immense réserve d’élé-
phants, où l’on se précipite pour photo-
graphier les villages de cases et les
résultat est le même : personne n’a le droit l’Afrique des réfugiés, des déplacés et de gorilles, admirer les fameux « big five » (le
de donner un avis différent du leur, forcé- la prédation reste du ressort des inter- lion, le léopard, le buffle, le rhinocéros,
LE POidS dES CHOix EffECtUÉS

Trop souvent invoquées économiques et sociaux. Le de l’indonésie, qui a profité – n’ont pas résisté à la
pour justifier toutes les rapport Pearson, produit par de cette manne pour logique de la consommation
errances d’aujourd’hui, la la Banque mondiale en s’industrialiser. L’absence de à outrance et de
traite et la colonisation, aussi 1969, qualifiait même la ressources naturelles a l’endettement excessif. Le
controversées et Corée du Sud conduit la Corée du Sud à miracle ivoirien s’est mué en
douloureuses soient-elles, d’« indéveloppable », miser sur la qualification mirage dans les
ne peuvent plus, plus de contrairement à la Corée du de sa main-d’œuvre pour années 1980, puis en
soixante ans (deux Nord qui avait conservé sur rattraper son retard à naufrage quand les
générations !) après les son territoire les ressources marche forcée. Pays-atelier affrontements pour le
indépendances, servir à minières et le potentiel de l’Occident, elle a su pouvoir ont ruiné le pays. il
justifier les situations industriel. remonter la filière industrielle se remet aujourd’hui
actuelles : à l’image de ce quarante ans plus tard, tout en renforçant son lentement d’une guerre civile
qui s’est passé dans les indonésie et Corée du Sud marché intérieur. Certes, elle qui a duré dix ans et laissé
autres régions, ce sont sont émergents, voire a été massivement aidée, ouvertes bien des plaies :
d’abord les choix effectués émergés, et même mais l’Afrique aussi. Et elle a nationalité, ivoirité, question
qui déterminent les destins convergent dans le cas de la subi une colonisation au foncière, tensions dans les
contrastés des 54 pays seconde, dont le niveau de moins aussi violente. En campagnes, insécurité des
africains. La Côte-d’ivoire et vie est celui de l’Occident Côte-d’ivoire, les choix périphéries. Est-ce le poids
la Corée du Sud, le Nigeria développé. Les autres ont visionnaires de félix de l’histoire qui explique les
et l’indonésie, dans les régressé. Le pétrole a tué Houphouët-Boigny – « la différences de trajectoire ?
années 1970, présentaient l’agriculture du Nigeria, révolution est un mot qui a un Non, mais les choix
les mêmes indicateurs quand il a été la providence r de trop : il nous faut évoluer » effectués, oui. n S.B.

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Comprendre
l’éléphant). La multiplication des parcs

naturels, sous la surveillance sourcil-
leuse des grandes ONG de l’environne-
ment, confronte le monde rural, qui ne
possède pas ses terres, à la menace de la
conservation.
L’Occident manifeste ainsi à l’égard de
l’Afrique ce que l’on pourrait appeler le
« syndrome de Tarzan », qui consiste à
cultiver la certitude de sa compétence
gestionnaire face aux peuplades indi-
gènes. L’Afrique figure le paradis perdu et
bénéficie de financements croissants, à
travers des dispositifs tels que l’extension
Mikkel Ostergaard/Panos/Rea
des aires protégées, la protection des
forêts tropicales, ou les crédits attachés à
la REDD (réduction des émissions liées à
la déforestation et à la dégradation).
Les antagonismes entre l’approche
sociale et économique, qui vise à relan- Deux jeunes Éthiopiennes à la mode sortant d’une boutique du quartier chic
cer la productivité paysanne pour lutter d’Addis-Abeba, capitale de l’Éthiopie.
contre la pauvreté et l’insécurité alimen-
taire dans les campagnes, et l’approche du monde, avec un milliard de personnes donner des avantages comparatifs excep-
environnementale des territoires afri- qui ne demandent qu’à pouvoir travailler tionnels dans la mondialisation.
cains, où sévit ce que la politologue et consommer, enjeu géopolitique de Pourtant, l’engouement que suscite le
Marie-Claude Smouts qualifie d’« oligo- premier plan dans l’accès aux matières continent est tout aussi caricatural que
pole mondial de la conservation », font de premières, avec des gisements d’énergie l’était le catastrophisme à tous crins des
l’Afrique un exemple emblématique des et des réserves de terres sans égal, quinze ans qui ont suivi la fin de la guerre
contradictions du développement l’Afrique qui dispose à elle seule non froide, avec l’effondrement en dominos
durable, dont les trois piliers, produire, seulement du tiers des ressources natu- de la plupart des États, minés par la crise
répartir, préserver, rendent souvent relles mondiales mais aussi de réserves de la dette, les rivalités politiques
conflictuels l’usage des territoires et les de terres colossales, semblait cette fois internes, l’instauration brutale du multi-
stratégies d’acteurs. « partie », et très bien partie… avant partisme sous l’influence des bailleurs
3 L’Afrique émergente Ebola. Disposer de la moitié des terres

arables inemployées dans le monde est
de fonds, la baisse drastique de l’aide
publique au développement. Car les
Une troisième Afrique est récemment un atout précieux à l’heure où l’agricul- lignes de faiblesse qui fracturent l’Afrique
apparue dans les représentations, celle ture devient un secteur stratégique, alors demeurent identiques à celles qui
d’un continent qui semble enfin être en que les rendements, encore très faibles l’avaient mis à bas après l’euphorie
train de décoller, avec des taux de crois- – moins d’une tonne de céréales à l’hec- postindépendance.
sance à deux chiffres et des investisse- tare contre dix en France – laissent espé- Pour qu’un phénomène de croissance soit
ments étrangers directs qui rappellent rer un potentiel d’accroissement de la durable, il faut en effet l’accompagner par
c e u x de l a C h i ne au début de s production qui pourrait mettre durable- des politiques de redistribution. En
années 2000, l’intégration de l’Afrique du ment le tiers de la population qui souffre Afrique, l’ampleur et l’accroissement des
Sud dans le fameux BRICS (Brésil, Russie, toujours de la faim à l’abri de l’insécurité inégalités internes créent des tensions
Inde, Chine et Afrique du Sud), le renver- alimentaire. sociales fortes, avivées par l’essor des
sement des flux de migrations entre réseaux de communication et d’informa-
Portugal et Angola, un désendettement Que fait le continent de tion, qui mettent directement en contact
exemplaire (120 % du PIB en 2004, moins la maîtrise des raretés ? des univers autrefois cloisonnés. Les
de 20 % en 2010), une classe moyenne Le continent africain présente ainsi l’im- Africains « du dedans », principalement
équivalente à celle de l’Inde (300 millions mense avantage de disposer de ce que l’un citadins, qui ont accès à la mobilité choi-
de personnes), plus de 700 millions de de ses meilleurs connaisseurs, le banquier sie, autant à l’étranger que sur le conti-
téléphones portables en circulation… franco-béninois Lionel Zinsou, qualifie de nent même, et qui disposent des moyens
Grenier potentiel du monde, futur atelier « maîtrise des raretés », ce qui devrait lui de vivre comme leurs homologues du

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Comprendre
reste du monde, vivent sur une autre pla- lignes de faiblesse demeurent : les pay-
nète que ces « Africains du dehors » que u sans sont toujours aussi mal traités, les
sont les ruraux et les exclus des bidon-
villes. Deux tiers de la population conti-
Les citadins vivent bureaucraties plus lourdes que jamais,
malgré l’éphémère désétatisation lors de
nuent de dépendre des ressources natu- sur une autre planète la crise de la dette ; face à une démogra-
relles. Or le réservoir rural s’accroît plus phie galopante (+ 2,6 % par an), les villes
rapidement que les villes, malgré la crois- que les ruraux et absorbent de façon illusoire le trop-plein
sance rapide de ces dernières années.
500 millions de paysans manquent de
les exclus de main-d’œuvre sans pouvoir offrir un
avenir à ces millions de jeunes qui arri-
tout et vivent dans l’insécurité foncière et des bidonvilles. vent chaque année sur le marché du tra-
économique, à la merci des caprices du vail et rechignent à repartir dans les
ciel, aggravés par le changement clima- u campagnes, où les excès du climat pèsent
tique. Dans les villes, des milliers de plus lourd que par le passé parce que ces
jeunes cherchent désespérément un dernières se sont densifiées sans vrai-
emploi. Et les familles continuent de faire ment se moderniser.
des enfants pour pallier l’absence de sys- écologique, un discours qui plaît tant aux Alors l’Afrique est-elle si bien partie ? Est-
tèmes de protection sociale et le lourd Occidentaux qu’ils sont prêts à vitrifier le elle si bien partie quand la manne des
tribut payé à la mortalité des moins de 5 continent à grands frais – sauf lorsqu’il financements, quels qu’ils soient, se
ans (plus d’un enfant sur dix). s’agit d’exploiter le pétrole –, justifient le déverse de façon aussi inégale ? Sera-t-
Le chaudron démographique bouillonne déploiement d’un discours victimaire qui elle capable de mettre en œuvre des
ainsi dans un continent où l’urbanisation conduit à rejeter sur l’extérieur et le passé politiques sociales dignes de ce nom,
accélérée constitue plus le symptôme des la responsabilité des erreurs de gestion celles qui ont permis de bâtir des États
difficultés agricoles que la conséquence interne. Hier perçue comme un recours, la providence dans les pays développés, au
de la modernisation agraire. Alors que Chine subit à son tour l’ostracisme et les lieu d’exploiter la rente humanitaire ?
l’explosion démographique de l’Europe accusations de pillage, comme s’il fallait à Pourra-t-elle mettre réellement en œuvre
au xIxe siècle s’est traduite par le départ tout prix trouver des boucs émissaires. le panafricanisme, si exalté dans les dis-
de 50 millions de migrants, cette sou- cours de ses dirigeants, mais rarement
pape de sécurité est refusée à une Afrique Les lignes de faiblesse appliqué sur le terrain, surtout quand il
en voie de densification rapide. demeurent s’agit de dépêcher des forces africaines
Dans les villes, où deux tiers de la popu- En 1962, René Dumont prophétise dans d’interposition armées pour empêcher la
lation a moins de 25 ans, les jeunes un ouvrage publié au Seuil et qui a été contagion de certains conflits ? n
rongent leur frein. Le secteur informel réédité en 2012 que L’Afrique noire est mal
fournit toujours deux tiers des emplois. partie. Il avait perçu, derrière les grands
La pauvreté côtoie au quotidien l’inso- discours de progrès, la pluviosité abon- Pour aller Plus loin
lente richesse des nantis qui bunkérisent dante et l’euphorie de la construction des
leurs privilèges dans les beaux quartiers. jeunes nations africaines, les lignes de
La rancœur des laissés-pour-compte les faiblesse qui minaient ces dernières :
rend prompts à enfourcher toutes les négligence à l’égard des paysans, aspira-
révoltes. tions rivales au leadership, fragilité des
Dans les campagnes, l’insécurité ali- frontières, poids des bureaucraties… Les
mentaire précarise des millions de per- illusions messianiques ne risquaient-
sonnes qui ne demanderaient qu’à saisir elles pas de se fracasser sur la réalité peu
les opportunités économiques… si elles glorieuse du faible niveau de formation
leur étaient offertes. des élites – la colonisation avait façonné
Mais voilà, dans trop de pays encore, la des exécutants, n’envoyant à l’université
corruption et le clientélisme minent les que quelques rares « évolués » ? Les
perspectives de développement durable : concurrences féroces entre des terri-
une part significative des financements toires trop exigus pour être viables ne
abondamment déversés sur l’Afrique compromettaient-elles pas l’avenir, dans
continue d’être détournée au profit d’une un continent balkanisé par un décou-
élite qui cumule tous les privilèges. La page fondé sur des critères de souverai- Sylvie Brunel publie ce mois-ci
L’Afrique est-elle si bien partie ?
diplomatie climatique et la sanctuarisa- netés européennes concurrentes ?
aux éditions Sciences Humaines.
tion des territoires au nom de l’urgence Un demi-siècle plus tard, les mêmes

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Entretien
Ruwen ogien
est directeur de
recherches au CNRS,
formé à l’anthropologie
et spécialiste de
philosophie éthique.
Il a récemment publié
L’État nous rend-il
meilleurs ? (Gallimard,
2013), La guerre aux
pauvres commence à
l’école (Grasset, 2012)
et Philosopher ou faire
Kristiina Hauhtonen
l’amour (Grasset, 2014)

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Entretien
RencontRe avec Ruwen ogien
L’homme
qui critiquait
l’amour
Le philosophe Ruwen Ogien Vous êtes surtout connu pour vos travaux sur
la morale et la liberté… Pourquoi vous intéresser à
décortique le sentiment amoureux l’amour aujourd’hui ?
Certaines raisons sont très personnelles, liées à des
et dénonce le puritarisme ambiant. expériences heureuses ou malheureuses, comme
Décapant ! toujours lorsqu’il est question d’amour… Mais il existe
aussi un lien avec mes précédents livres, car notre
vision de l’amour n’est pas détachée de nos repré-
C
sentations politiques et morales. J’ai voulu mettre en
uisinez une lotte rôtie pour un philo- évidence la fonction conservatrice, puritaine et anti-
sophe stoïcien, offrez-lui du filet mignon sexuelle des « éloges de l’amour » qui prolifèrent à notre
ou de la caille farcie, il n’y verra qu’un époque, en philosophie comme dans les magazines
repas de « cadavres », comme le résu- psychologiques à grand tirage. Sous le prétexte de
mait Marc Aurèle. Ruwen Ogien renoue parler d’amour, ces éloges ont tendance à enterrer la
avec cette posture critique proprement philoso- liberté sexuelle dans ses aspects corporels, juridiques
phique en s’attaquant à l’amour dans son dernier et sociaux comme si c’était une relique du passé. Dans
essai. Dénonçant les éloges automatiques et les la plus pure tradition moraliste, cette vision oppose
injonctions normatives associées, il estime en effet la liberté vraie, celle d’agir dans le sens supposé du
que la conception dominante de ce sentiment mas- bien et du juste, à la liberté illusoire, celle de suivre
querait une idéologie hostile à la liberté individuelle ses désirs, qu’elle désigne sous les noms péjoratifs de
et à l’épanouissement personnel ! C’est d’ailleurs tout licence ou de débauche…
l’enjeu de son dernier essai, Philosopher ou faire
l’amour (Grasset, 2014) : montrer, de façon argu- Défendre l’amour serait donc réactionnaire ?
mentée et dépassionnée, que notre sentimentalisme L’éloge de l’amour, enrobé d’une couche épaisse de sen-
sert souvent de point d’appui à diverses formes de timentalisme kitsch, a toujours été un genre populaire.
répression et d’exclusion sociales… On peut être Mais ce qui me paraît nouveau aujourd’hui, c’est que
d’accord ou non avec ces thèses ; mais si la fonction ce sentimentalisme sert souvent de point d’appui pour
première de la philosophie est la remise en question rejeter l’individualisme moderne et le modèle social
de préjugés, et l’adoption d’une posture sceptique « néolibéral ». On retrouve ce schéma chez des auteurs
face aux idées reçues, l’approche de R. Ogien ne lais- a priori très différents, issus de la droite conservatrice
sera personne indifférent. ou de la gauche radicale, d’Alain Finkielkraut à Alain

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Entretien
Badiou (1). Pour tous ces philosophes, l’individua- de côté sur un tel sujet, et choisir entre « philosopher
lisme aurait contribué à la destruction du lien social, ou faire l’amour », comme vous le glissez en titre ?
à l’anéantissement du souci pour autrui, à l’affaiblis- La philosophie, avec ses concepts abstraits et ses sché-
sement général de la volonté de vivre ensemble, etc. Il mas de pensée généraux, peut-elle saisir ce qu’il y a de
aurait imposé le règne de l’individu égoïste, dépolitisé, charnel, de sensuel, d’émotionnel, de particulier dans
inconstant, « zappeur », consommateur compulsif, chaque histoire d’amour ? Pour certains penseurs,
affairé à la satisfaction de ses désirs les plus immédiats, la réponse est clairement « non ». Ils estiment que la
les plus bassement matériels. Il faudrait donc retrouver poésie, la nouvelle, le cinéma, le roman sont des genres
ce qui peut faire « lien » avec les autres, revaloriser les bien mieux adaptés pour parler d’amour, en raison
mouvements de l’âme « désintéressés », renforcer ce qui de leur absence de prétention théorique et de leur
«
pourrait remettre dans le cœur des citoyens le goût des sensibilité aux aspects corporels, singuliers, de toute
belles choses, de la constance, de la durée, de la fidélité, activité humaine. Ils considèrent que la philosophie
de la communauté. De tous ces points de vue, l’amour de l’amour est vaine, parce qu’elle fait disparaître ce
semble être un remède parfait. qu’elle cherche à expliquer : le caractère unique de
chaque rencontre amoureuse, l’intensité des émotions
qu’elle suscite (3). Je suis, pour ma part, en désaccord
La critique du libertinage, complet avec ces affirmations… Personne ne semble
penser, en effet, que philosopher sur la nostalgie, la
du sexe pour le sexe, de la liberté finitude ou l’ennui conduira nécessairement à appau-
des désirs, aussi virulente à droite que dans vrir ces sentiments, à les remplacer par des généralités
intellectuelles. Personne (à part quelques stoïciens),
la gauche radicale, est avant tout puritaine. ne semble croire que réfléchir rationnellement sur la
souffrance ou la solitude aboutira à les faire disparaître
L’amour ne peut-il pas être conçu de nos vies (ce que l’on pourrait regretter par ailleurs).
comme une ouverture à l’autre et à la vulnérabilité Pourquoi n’en irait-il pas de même pour l’amour ? La
de notre prochain ? connaissance de l’amour ne doit pas être nécessai-
Ce discours n’est pas indéfendable. Mais il a pour rement aussi intuitive, spontanée, émotionnelle que
moi un défaut important. Il masque le fait que l’éloge l’amour lui-même.
de l’amour sert à justifier publiquement le refus de
toute innovation normative en matière de mariage, de Pourquoi critiquez-vous particulièrement
sexualité ou de procréation. Il exclut le dépassement l’idée que le sexe sans amour serait de moindre
du couple dans le polyamour (cette pratique qui part valeur ? C’est une conception qui vous semble
du principe que l’on peut aimer plusieurs personnes dominante aujourd’hui ?
en même temps avec la même intensité), la remise en L’idée que le sexe sans amour serait de moindre
cause de la domination de l’amour hétérosexuel par valeur présente deux aspects que je conteste : moral et
la quête bisexuelle ou transgenre, le « no sex » ou le psychologique. Pour les moralistes, la sexualité sans
célibat assumés, la généralisation des contrats sexuels amour transformerait les partenaires en objets, « en
(relations sadomasochistes, prostitution, etc.), et le citrons qu’on jette après les avoir pressés » ou en « rôti
développement de nouveaux modes d’accès au « mar- de porc qu’on mange pour apaiser sa faim » selon les
ché sexuel » via les sites de rencontre sur Internet… images d’Emmanuel Kant (plus compétent en cuisine
Les sociologues appellent ces nouvelles pratiques qu’en sexe, semble-t-il). Autrement dit, les relations
des « sexualités négociées » (2). On peut les défendre sexuelles supposées sans amour seraient profondé-
comme des formes d’amour qui ont leur place auprès ment malsaines, dégradantes, contraires à la « dignité
des anciennes. Si nous avons du mal à l’accepter, c’est humaine ». Cette idée s’est répandue et transformée
probablement parce que nous respectons, parfois en chemin. Il en existe désormais une version non
sans le savoir, une certaine tradition en philosophie plus morale, mais psychologique. Il faudrait préférer
de l’amour qui est moralisatrice, en ce sens qu’elle le sexe avec amour au sexe sans amour, car l’amour
voudrait imposer une certaine conception du bien ou rendrait les relations sexuelles plus heureuses, plus
de la perfection humaine intellectualiste au détriment gratifiantes, plus satisfaisantes physiquement et
des autres, plus corporelles. psychologiquement. C’est pourquoi, au-delà de tout
moralisme, le sexe avec amour serait bon et le sexe
Vous parlez d’amour très froidement, de façon sans amour mauvais. Mais cette hypothèse manque
presque clinique. Peut-on mettre ses sentiments de soutien empirique.

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Entretien
Vous envisagez l’idée contraire d’ailleurs… Certes, ces conceptions ne sont pas en nombre infini,
Il existe en effet des raisons de penser que l’amour est et rien ne nous interdit d’essayer de les évaluer selon
un obstacle plus qu’une contribution à une relation certains critères, d’éliminer les plus mauvaises et de
sexuelle satisfaisante. Quand l’amour s’en mêle, le désir conserver provisoirement celles qui résistent à l’examen.
sexuel perdrait son évidence et sa simplicité. L’amour Mais il en reste suffisamment de bonnes pour justifier
pourrait même contribuer à inhiber le désir sexuel. C’est mon scepticisme à l’égard de la possibilité d’aboutir à une
du moins ce qu’affirment les théories, souvent d’inspi- définition de l’amour qui pourrait faire l’unanimité. En
ration freudienne, qui opposent les stéréotypes de la tout cas, mon objectif dans ce livre n’était certainement
« maman » (du côté de l’amour) et de la « putain » (du côté pas de proposer une définition de l’amour plus correcte,
du sexe), aucune conciliation n’étant pensable entre plus en adéquation avec la vérité de l’amour que les pré-
les deux. Les humoristes le font souvent remarquer : cédentes. Je laisse bien volontiers cette tâche à ceux qui
le meilleur sexe, c’est le sexe pour le sexe, le sexe sans croient qu’une telle définition pourrait être découverte.
amour. Woody Allen est un spécialiste d’aphorismes sur
ce thème. Certains font désormais partie de la sagesse Vous évoquez abondamment l’amour selon…
populaire : « Le sexe sans amour est une expérience Johnny Hallyday, Whitney Houston,
vide. Oui, mais parmi les expériences vides, c’est l’une Édith Piaf, Stromae ! Que vous apporte la chanson
des meilleures » ; « Est-ce que le sexe est sale ? Oui, mais populaire ?
seulement quand il est bien fait », etc. En réalité, l’argu- C’est l’un des matériaux non philosophiques qui, avec
ment psychologique disant que le sexe avec amour est les résultats d’études scientifiques, me permettent
plus gratifiant que le sexe sans amour n’est pas vraiment d’identifier ce que j’appelle les idées de base ou les intui-
fondé. Il est donc nécessaire d’envisager une autre hypo- tions de base de l’amour : « Aimer est plus important
thèse. Celle que je propose est politique. La critique du que tout », « l’amour est au-delà du bien et du mal », il
libertinage, du sexe pour le sexe, de la liberté des désirs, dure nécessairement, ne serait l’objet d’aucune décision,
aussi virulente à droite que dans la gauche radicale, est d’aucune raison, et porterait sur un être jugé irrempla-
avant tout puritaine (4). Elle nous empêche de penser çable… La chanson populaire a le mérite de les exprimer
que l’amour est parfaitement concevable en dehors de de façon particulièrement claire et directe. Avec ses
tout asservissement à l’idée du couple fidèle, obstiné, banalités déprimantes et ses fulgurances poétiques, elle
durable, éternel, etc. L’amour pourrait perdre ce sens offre des ressources de pensée non négligeables.
ascétique, religieux, élitiste qui s’est imposé à travers
les figures de l’amour romantique ou moral. Il pourrait Ces références montrent aussi votre souci
devenir physique, éphémère, démocratique. d’interpeller le grand public. Pensez-vous que la
philosophie puisse changer les mentalités ?
Est-ce une façon de renouer avec la pensée critique Dans le domaine des affaires humaines, la philosophie
des philosophes classiques – Socrate, Nietzsche… ? ne cherche pas nécessairement à changer les mentali-
J’essaie en effet de faire revenir la voix critique dans le tés. Elle peut être profondément conservatrice, être au
débat philosophique autour de l’amour. C’est une voix service des dominants. Elle peut aussi être pompeuse,
étouffée dans la philosophie récente par l’éloge, la glo- grandiloquente, se nourrir de clichés, d’affirmations
rification, la louange sans nuance ou distance. sans preuve et d’arguments d’autorité. Plutôt que de me
confronter à ce corpus qui me déprime complètement,
Quelle serait votre définition de l’amour au final ? je préfère l’ignorer et m’adresser à ce que vous appelez
J’essaie surtout de montrer pourquoi il est si difficile de le large public, avec des mots simples et des arguments
définir l’amour. Deux types de définitions s’opposent : clairs, dans la mesure où j’arrive à les formuler bien sûr ! n
conatives (aimer, c’est vouloir le bien de l’autre) et ProPos recueillis Par Fabien TrécourT
affectives (aimer, c’est jouir de la présence de l’autre).
Personnellement, il me semble que ces deux définitions
(1) alain Badiou (avec Nicolas Truong), Éloge de l’amour, Flammarion,
sont défectueuses. On peut aimer sans vouloir le bien 2009 ; Luc Ferry, La Révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque,
de l’aimé. On peut aimer quelqu’un sans jouir de sa pré- Plon, 2010 ; Alain Finkielkraut, Et si l’amour durait ?, Stock, 2011.
sence. La quête d’une définition de l’amour qui saisirait (2) Dossier « Sexualités négociées », Ethnologie française, 2013/3.
sa « véritable nature » (son « essence ») a peu de chances (3) Martha nussbaum, La Connaissance de l’amour. Essais sur la
philosophie et la littérature, 1991, rééd. Le Cerf, 2010 ; Roland Barthes,
d’aboutir. Le fait qu’il existe une multitude de concep-
Le Discours amoureux, Séminaire à l’EPHE (1974-1976), suivi de
tions concurrentes de l’amour, et qu’il semble impossible Fragments d’un discours amoureux, inédits, Seuil, 2007
de trancher entre elles avec les méthodes philoso- (4) alain Badiou, « L’amour, une aventure obstinée », Le Monde,
phiques habituelles me renforce dans cette conviction. 9 novembre 2012.

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Colin Anderson/Getty/Blend
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DOSSIER
Les clés de
la mémoire Dossier coorDonné par Héloïse lHérété
P
uissante, elle fait surgir toire complexe où l’on commence à se
d’une simple odeur un repérer.
continent de souvenirs. Une science de la mémoire est en train
Fragile, elle joue des de voir le jour, passionnante. Elle four-
tours, ment, s’effrite par- nit déjà les clés pour mieux com-
fois et nous abîme alors. La mémoire prendre nos mémoires – car nous en
est notre faculté la plus précieuse. avons plusieurs –, leurs lignes de
Sans elle, pas d’apprentissage, pas failles, leurs béquilles possibles et
d’imaginaire, pas d’identité. Sans leurs progrès potentiels. Ce dossier fait
mémoire, nous ne sommes plus rien. le point sur ces nouveaux savoirs.
Comment agit-elle ? Où se situe-t-elle ? Mais il ne s’en contente pas. Car si la
Pourquoi sommes-nous inégaux face mémoire façonne notre identité, elle

à elle ? D’où vient l’impression de déjà- n’a pas le pouvoir de tracer notre ave-
vu ? De trou noir ? Pourquoi la perd- nir. C’est là que les sciences humaines
on ? Sur toutes ces questions, la ont leur mot à dire, aux côtés des neu-
recherche a considérablement pro- rosciences : elles nous invitent à réflé-
gressé. Motivés par les politiques de chir à la juste place à accorder au
lutte contre Alzheimer, des milliers de passé, à ses trop-pleins et à ses trous,
chercheurs sont partis explorer la dans nos vies personnelles comme à
jungle de nos neurones, une combina- l’échelle collective. n
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Les clés de
la mémoire
Où se situe la mémoire ?
Nos souvenirs ne se logent pas seulement dans le cerveau.
Ils s’incrustent dans chaque cellule de notre corps et, au-delà, dans toutes
les mémoires externes que l’homme se façonne depuis la préhistoire.
Nous vivons dans un bain de mémoire.
jEAN-fRANÇOIS dORTIER
F
ermez les yeux et songez à un Essayez de vous souvenir de ce que vous Ce que l’on appelle les « mémoires » (de
souvenir d’enfance. Il m’en avez fait hier après-midi : cela suppose travail, long terme, déclarative, procédu-
rev ient person nel lement une petite gymnastique intellectuelle qui rale) ne sont pas comme des pièces d’un
quelques-uns de l’école mater- mobilise la mémoire de travail, que l’on moteur de voiture que l’on pourrait isoler
nelle. Je suis assis à une petite table (avec situe dans le cortex frontal. Ce « travail de les unes des autres en leur attribuant une
un encrier en porcelaine incrusté) et mémoire » demande de la concentration, fonction particulière. Chaque « mémoire »
j’apprends à lire : devant moi, un livre du raisonnement (voyons, hier, on était est en fait une façon de décrire des fonc-
ouvert avec une image de pipe, et cette quel jour ?), la sélection d’informations… tions… Au début du XXe siècle, William
phrase en couleur : la pipe de papi. À ce stade, mémoire et réf lex ion James parle ainsi de « mémoire à court
D’autres bribes de souvenirs reviennent s’entremêlent. Mais activer les souvenirs terme » pour décrire la capacité à se sou-
en chaîne. Dans la cour de récréation, suppose aussi de faire resurgir des scènes venir d’une liste de mots ou de chiffres
il y a deux grands platanes et les feuilles qui font appel aux aires visuelles (la cour que l’on garde quelques secondes en tête
jonchent le sol. Toujours dans la cour, de l’école maternelle) et déclencher des après les avoir entendus. Au fil du temps,
avec un ballon, je tombe, je saigne du émotions (où intervient l’amygdale, située cette mémoire est devenue « mémoire de
genou, j’essaie de ne pas pleurer. à proximité de l’hippocampe). Cette travail », et couvre un champ d’autres apti-
Où se trouvent logés ces souvenirs ? émotion va mettre en branle d’autres tudes cognitives bien plus large (concen-
Quelque part dans mon cerveau sans souvenirs associés à l’enfance. Et les idées tration, attention, résolution de problèmes
doute, mais où exactement ? Existe-t- et images vont tout à coup surgir en complexes).
il des neurones où seraient gravés les fonction du processus analogique qui est
souvenirs du passé et que l’on pourrait l’un des moteurs de la pensée (1). ● La mémoire n’est pas dans
localiser comme sur les pages d’un livre le cerveau Bien que non localisable
d’une immense bibliothèque intérieure ? ● Il existe plusieurs mémoires en un lieu précis, il nous semble tout de
La mémoire n’est pas localisable dans un même que la mémoire est entièrement
● Il n’y a pas de « centre de la endroit précis du cerveau pour une autre distribuée dans le cerveau. C’est une
mémoire »En fait, nos souvenirs raison : il n’existe pas une mais plusieurs erreur !
d’enfance, ceux des personnes connues, mémoires (p. 36). Au fil des recherches, L e cor ps tout ent ier possède ses
des objets, des connaissances générales les psychologues ont appris à distinguer mémoires : il existe une mémoire des
n’ont pas une localisation précise dans le la mémoire déclarative (celle des souve- cellules (l’information génétique qui est
cerveau. Certes, l’hippocampe, ce petit nirs conscients), la mémoire procédurale conservée dans l’ADN) (2), des muscles
noyau cérébral niché au cœur du système (celle des savoir-faire), la mémoire séman- (ils gardent le souvenir des entraîne-
limbique joue un rôle déterminant dans tique (qui porte sur des connaissances ments passés) (3), du système immu-
l’enregistrement des nouveaux souvenirs : générales : les pommes, les montres ou nitaire (qui réagit différemment après
une lésion de l’hippocampe entraîne de les chevaux…), et les connaissances épi- avoir connu une première infection).
graves amnésies dites rétrogrades (p. 46). sodiques qui portent sur les événements Cette mémoire corporelle, bien qu’igno-
Mais on ne saurait dire pour autant que particuliers (ma montre m’a été offerte par rée et inconsciente, est essentielle pour
l’h ippoca mpe est le « siège de la C.), la mémoire de travail et la mémoire de nous permettre d’évoluer dans notre
mémoire » : il ne fait qu’enregistrer et non long terme. Le découpage des différents environnement. Sans elle, nous serions
stocker ni récupérer les informations. En types de mémoire diffère selon les spé- comme d’éternels nouveau-nés, devant
fait, les souvenirs se trouvent distribués en cialistes, parce qu’ils n’étudient pas les chaque jour redécouvrir le monde qui
plusieurs lieux et connectés entre eux. fonctions cognitives sous le même angle. nous entoure, réapprendre à voir, sen-

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Clément Quintard
tir, marcher, reconnaître un objet et le ordinateurs et de l’écriture : les abori- riques, aux milliards de textes, d’images,
prendre en main… gènes d’Australie dessinent les longues vidéos que l’on stocke dans les cerveaux
Nos mémoires excèdent aussi notre corps. pistes du désir sur des écorces d’arbre (4). artificiels qui nous environnent. La
Chacun de nous parsème autour de lui L’archéologue Francesco d’Errico parle de mémoire est partout, la cognition « dis-
des mémoires externes : dans un agenda, SAM (système de mémoire) pour désigner tribuée », et nos cerveaux se connectent
dans le carnet d’adresses de son télé- tous les artefacts (gravures, objets) que en permanence à ces lieux de mémoire
phone, sur des Post-it, dans son ordina- les hommes de la préhistoire utilisaient pour en retrouver les traces.
teur, dans les tiroirs de son bureau, etc. comme support bien avant l’écriture (5). Ces mémoires externes sont plus que
Nos cerveaux ne vivent pas en vase clos. Puis, avec l’essor des techniques, les de simples prothèses de notre cerveau.
Il y a bien longtemps que les humains ont mémoires externes se sont étendues aux Chaque cerveau humain possède des
appris à s’équiper de mémoires externes, livres, aux photos, au cinéma, aux monu- mémoires, est immergé dans un corps
qui existaient bien avant l’invention des ments, aux musées, aux données numé- qui possède les siennes. Et l’ensemble est
plongé dans un milieu culturel qui le met
au contact avec d’autres cerveaux, objets,
l’habituation, une mémoire du corps documents, écrans, qui en permanence
La forme la plus élémentaire dans tout le monde vivant. un pigeon réactivent et reformatent les souvenirs
de mémoire est l’habituation. ou une biche, craintifs par nature du passé.
Elle apparaît chez tous les êtres vivants et effrayés par une détonation, C’est ainsi qu’en allant revoir la cour
dotés d’un système nerveux, même très finiront par s’habituer d’école de mon enfance grâce à Google
élémentaire. Prenez l’aplysie, un petit si les détonations se poursuivent St reet v iew, j’ai découver t que les
mollusque, sorte de limace marine, sans conséquence. le bébé humain beaux platanes étaient en fait de vieux
qui possède moins de 1 000 neurones reconnaît, mémorise les visages, marronniers. n
(939 exactement !). les voix, et s’y habitue. on finit tous
l’animal possède un petit siphon, qui par oublier que l’on a appris ce
(1) Nicolas Journet (coord.), dossier « l’analogie, moteur
lui permet d’aspirer l’eau. Si on appuie que l’on connaît le mieux.
de la pensée », Sciences Humaines, n° 215, mai 2010.
sur le siphon, son ventre se contracte. l’habituation intervient au niveau du (2) Frédéric Berger, « la mémoire d’une cellule », Pour
Mais si on répète l’opération plusieurs système nerveux le plus élémentaire, la science, n° 81, octobre-décembre 2013.
fois, le siphon se contracte de moins sans même qu’il y ait besoin d’un (3) Marie-Neige Cordonnier, « la mémoire des
en moins : l’animal s’est habitué. cerveau. au demeurant, l’aplysie muscles », Pour la science online, 30 août 2010.
(4) Joël Candau, Anthropologie de la mémoire,
l’habituation est une forme n’a pas de cerveau. n j.- f.d.
armand Colin, 2005.
d’apprentissage… Cette forme de Éric Kandel, À la recherche de la mémoire. Une (5) Carlo Severi, « l’univers des arts de la mémoire.
mémoire élémentaire est répandue nouvelle théorie de l’esprit, odile Jacob, 2007. anthropologie d’un artefact mental », Annales. Histoire,
sciences sociales, 2009/2.

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Les clés de
la mémoire
Jasper James/Getty
À quand remontent
nos premiers souvenirs ?
Les bébés développent très tôt une mémoire qui leur permet de reconnaître
des sons ou des personnes proches. Toutefois, les souvenirs
ont du mal à s’inscrire durablement avant l’âge de 3 ans. Pourquoi ?

mARC olANo
L
es premiers épisodes de vie désormais la maturation tardive des cher. À partir de 8 ou 9 mois, l’enfant peut
dont nous nous souvenons fonctions cognitives. aller chercher des œufs de Pâques dans le
datent en général de l’école Lorsque le bébé vient au monde et qu’on jardin. Il a donc en mémoire une repré-
m at e r ne l le . D e l’é p o q ue lui présente une musique qu’il a enten- sentation de ce qui l’attend. Autour de
d’avant, il persiste parfois de simples due dans le ventre de sa mère, il réa- 2 ans, il développe le langage, donc une
images difficiles à dater. Ce phénomène git plus fortement que lorsqu’on lui fait mémoire des mots et de la syntaxe. Puis,
nommé « amnésie infantile » préoccupe écouter des sons qu’il ne connaît pas. il acquiert des savoirs sur le monde et
depuis fort longtemps les psychologues Dès la naissance, le bébé a donc déjà développe sa mémoire dite sémantique.
de tous bords. Si, pour Sigmund Freud, une forme de mémoire de reconnais- L’enfant n’a de cesse de questionner son
ce voile noir sur nos premières années sance. Très vite, il développe la mémoire entourage. Par ce biais, il accumule de
de vie permettait surtout de dissimuler procédurale, le « savoir comment », qui nombreuses connaissances en peu de
une sexualité qualifiée de débridée chez consiste à se rappeler des gestes utiles temps. Néanmoins, la mémoire auto-
le petit enfant, les chercheurs évoquent pour réussir un jeu ou apprendre à mar- biographique, celle qui concerne les

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événements dans lesquels il est person- Le souvenir doit aussi être racontable,
Dès 9 mois !
nellement impliqué peine à se mettre ce qui suppose, d’un côté, l’acquisition
en place. Jusqu’à 3 ans, les petits ont du du langage, de l’autre, la possibilité de Des souvenirs partiels, notamment
mal à conserver des souvenirs d’évé- le partager avec d’autres. Le langage se visuels, pourraient être anciens et
nements vécus, même s’il s’agit de faits développe à peu près en même temps remonter jusqu’à l’âge de 9 mois.
marquants, comme la naissance d’un que la conscience de soi, c’est-à-dire aux C’est à cet âge que survient
frère ou d’une sœur ou d’un anniversaire. alentours des 2 ans, les compétences ce que Jean Piaget a appelé « l’objet
sociales un peu plus tard, essentiellement
permanent ». Un bébé commence à
Des souvenirs flous devenant à partir de l’entrée à l’école maternelle.
chercher son jouet si on le cache
progressivement plus solides La mémoire autobiographique apparaît
Une des raisons principales de la fragilité au fur et à mesure que l’enfant apprend à derrière un coussin (ou autre
des premiers souvenirs tient au fait de investir le langage pour relater ses expé- écran). Des spécialistes de la
l’immaturité du système nerveux central riences. C’est en racontant aux autres ce mémoire, comme Alain Lieury,
du petit enfant. Celle-ci rend aléatoire les qui lui arrive que la trace mnésique du y voient un indice de la naissance
connexions neuronales assurant la stabi- souvenir va se consolider afin de persister de la mémoire imagée. n h.l .
lité de la trace mnésique. Car pour qu’un parfois jusqu’aux dernières années de
souvenir persiste, il doit être perceptible la vie. Jusqu’à l’âge de 3 ans, les enfants
et racontable : l’enfant doit être en mesure ont besoin de se remettre dans le même souvenirs rapportés par des adultes se
d’adopter un point de vue extérieur à la contexte, de retrouver des objets ou per- situent en général aux alentours de 3 ans
situation qui lui permette d’en saisir le sonnes présents à l’époque pour se rap- et demi. Or, en demandant à des enfants
sens. Or, ces compétences ne se mettent peler un événement. Puis avec les années, de 5 ans de se souvenir de leurs premiers
en place que très progressivement. C’est ils apprennent à mémoriser de plus en faits et gestes, la psychologue s’est aperçue
seulement à 2 ans que l’enfant commence plus vite avec de plus en plus de détails. Ils que ceux-ci rapportent des souvenirs bien
à développer une représentation de soi. peuvent alors se remémorer des souvenirs antérieurs. Ils arrivent à remonter jusqu’à
Les tout premiers souvenirs rapportés indépendamment du contexte dans lequel la période des 18 mois. Seulement, ces pre-
semblent d’ailleurs correspondre à cette ils se trouvent. miers souvenirs souffrent d’imprécisions
période où l’enfant commence à se per- en ce qui concerne les personnes pré-
cevoir comme un être unique. Pour le Les petits oublient sentes, les lieux et les relations de causalité.
psychologue Patrick Perret, « ce n’est que Pour la psychologue américaine Patricia Par conséquent, ces toutes premières
lorsque cette représentation explicite de Bauer, qui a mené une enquête récente sur images ont tendance à s’effacer avec
soi est pleinement constituée que l’enfant le sujet (2), l’amnésie infantile s’explique l’âge. Lorsque l’on réinterroge les mêmes
est en mesure d’organiser sa mémoire des aussi par un phénomène d’oubli fréquent enfants aux alentours de 8 ou 9 ans, la
événements dont il a fait personnellement chez les enfants jusqu’à l’âge de 7 ans. plupart ont en effet oublié ces premiers
l’expérience (1) ». Comme évoqué plus haut, les premiers souvenirs. Ils remontent moins loin dans
le temps, mais leurs récits comportent
plus de détails et sont mieux construits.

De la mémoire vécue à la mémoire parlée Leurs souvenirs laissent donc une trace
Pour Sigmund Freud, l’enfant oublie va développer une communication dite plus solide.
pour réprimer des premiers souvenirs « digitale », un langage verbal capable de À défaut de souvenirs personnels de nos
liés à sa sexualité infantile et qui, en transmettre des informations précises et premiers pas dans la vie, nous devrons
grandissant, deviennent inadmissibles des idées. D’après p. Golse, au cours donc nous contenter des récits de nos
à ses yeux. ces souvenirs refoulés du développement, l’enfant va proches, de photos et, grâce au progrès,
viendraient alors constituer l’inconscient « traduire » ses premières expériences de plus en plus souvent de vidéos. Mais
de l’enfant et seraient susceptibles de vécues en langage digital. or, « chaque ceux-ci, hélas, ne remplaceront jamais
resurgir dans les rêves, par exemple. fois qu’il y a traduction ou passage d’un notre propre film de la vie. n
le psychanalyste français pierre Golse état à un autre, il y a toujours perte (1) ».
reprend cette théorie freudienne pour le psychanalyste, ces pertes, (1) Patrick Perret, « l’amnésie infantile :
sous un autre angle. des événements vécus mais non les perspectives tirées de la psychologie
avant de parler, l’enfant utiliserait une racontables, resteront nichées développementale », Devenir, vol. XXiii, 2011/4.
(2) Patricia J. Bauer et Marina Larkina,
communication dite « analogique » faite dans l’inconscient de l’enfant. n m.o.
« The onset of childhood amnesia in childhood.
d’éléments non codés et véhiculant (1) Bernard Golse, « entre neurosciences et a prospective investigation of the course and
essentiellement des affects. plus tard, il psychanalyse », Adolescence, n° 80, 2012/2. determinants of forgetting of early-life events »,
Memory, novembre 2013.

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Les clés de
la mémoire
Jusqu’où la famille
nous conditionne-t-elle ?
Nous avons plusieurs mémoires. Si nos gènes nous prédisposent
à en privilégier certaines, notre environnement familial
exerce une influence bien plus importante.
gEORgES cHAPOUTHIER
L’
Neurobiologiste et philosophe, directeur de
étude des mémoires animales en subiront, dans leur vie ultérieure, de
recherche émérite au CNRS, il est l’auteur,
nous montre qu’il n’y a pas, entre autres, de Biologie de la mémoire (odile grandes influences. Si elles s’appuient
dans l’espèce humaine, une Jacob, 2006) et, avec Frédéric Kaplan, sur des prédispositions, les mémoires
seule, mais des mémoires L’Homme, l’animal et la machine (Biblis, 2013). humaines sont donc largement du
(encadré). La mémoire humaine est une domaine de l’acquis : on parle alors de
sorte de mosaïque de capacités très diffé- le jeu des prédispositions. D’autre part, modifications « épigénétiques ». L’apti-
rentes, apparues au cours de l’évolution une petite fille que l’on forcera à la cou- tude à acquérir des conditionnements ou
chez nos ancêtres animaux (1). Ces diffé- ture ou un gaucher de naissance que des empreintes, à mémoriser des règles
rents types de mémoire peuvent donner l’on obligera à écrire avec la main droite ou des épisodes de vie est au départ géné-
aux individus, à l’intérieur même d’une
famille, des profi ls mnésiques particu-
Louis de Carrogis de Carmontelle (1717-1806),
liers et variés. Wolfgang Amadeus Mozart en concert
avec son père Léopold et sa sœur Nannerl,
Inné et acquis à Paris, novembre 1763.
Comme la plupart des phénomènes
biologiques, les mémoires comprennent
des bases innées et des processus acquis.
Il existe des prédispositions, large-
ment innées et génétiques, à certaines
mémoires. Ainsi, au sein d’une même
famille, un enfant sera spontanément
doté par certaines mémoires procédu-

rales : il se révélera, dès son jeune âge,
particulièrement adapté à des acquisi-
tions gestuelles comme l’apprentissage
de la marche, du vélo ou d’un instrument
de musique. Tandis qu’un autre présen-
tera des aptitudes particulières dans
certaines mémoires épisodiques, par
exemple, auditives ou visuelles.
Mais il existe des éléments beaucoup
plus importants que ces prédispositions :
la manière dont on éduque les enfants
peut ainsi avoir des conséquences consi-
dérables sur leurs aptitudes mnésiques
Musée Condé, Chantilly
et, sur leur mode de vie ultérieur. D’une

part, parce que toute mémoire s’entraîne,
se développe avec l’exercice, qui peut
accroître ou, au contraire, combattre

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tique, mais ce que l’on apprend ou ce de
quoi l’on s’imprègne (pour l’empreinte) NoS DiFFÉReNteS MÉMoiReS
reste épigénétique, donc acquis.
Au sein d’une même famille, les parents Parmi ces mémoires, on distingue, très schématiquement, des mémoires
peuvent ainsi modifier les différentes inconscientes, dites implicites ou procédurales, qui concernent les gestes ou
mémoires de leurs enfants, davantage les habitudes, et des mémoires conscientes, dites explicites ou déclaratives,
pousser un enfant vers le sport ou vers qui concernent les modes de pensée et les souvenirs.
les études, donnant ainsi volontairement Les mémoires procédurales
plus de poids aux mémoires procédu- l L’habituation à un stimulus fait que vous ne vous réveillez
rales ou déclaratives. D’autres parents plus au son habituel de votre réveille-matin, dont vous avez
insisteront sur des mémoires différentes. (trop) mémorisé les caractéristiques.
Mozart avait sans doute des prédispo- l Les conditionnements font que nous sommes capables
sitions à la mémoire musicale, mais le
Document Chapouthier/CNRS
d’apprendre inconsciemment d’innombrables actions
fait d’avoir grandi dans une famille très automatiques comme la marche, la nage, la frappe sur un
portée sur la musique a certainement eu clavier d’ordinateur, etc.
une influence considérable. l Les empreintes constituent des sortes d’adoptions très
fortes d’un goût précoce, comme l’attrait d’un visage
Un cerveau toujours humain, une attirance pour les animaux,
juvénile pour jouer encore ou une répulsion pour quelque chose, comme le goût d’un Un poussin, qui a acquis
L’aspect acquis, épigénétique, des une empreinte à un ballon de
aliment particulier. Notre attachement, si important, à notre
caoutchouc, adopte ce ballon
mémoires est d’autant plus important propre espèce humaine est une empreinte. Des enfants comme sa mère. Certes, la
dans l’espèce humaine que l’homme sauvages, élevés par des animaux, apprennent à prédisposition à l’empreinte est
conserve, durant toute sa vie, des carac- innée, mais les caractères du
se reconnaître et à se comporter comme les animaux
parent adoptif (ici le ballon)
tères juvéniles, non seulement dans son par lesquels ils ont été « imprégnés ». sont acquis.
corps de singe nu aux grands yeux (2),
mais aussi dans la très grande plasticité Les mémoires déclaratives
l Les mémoires de règles (mémoire sémantique) font que nous apprenons
juvénile de son cerveau, qui lui permet
d’apprendre, de manière considérable à obéir à de nombreuses règles, notamment sociales, mais aussi que nous
jusqu’à un âge avancé, grâce à ses cent effectuons toutes sortes de comportements en prévoyant leurs résultats.
l Les mémoires des souvenirs, des épisodes de la vie (mémoire épisodique). Ce
mille milliards de connexions neuro-
nales. Ces capacités extrêmes de mémo- sont elles que nous avons tendance à appeler spontanément notre « mémoire ».
l La mémoire autobiographique nous permet, tout au long de notre vie, de nous
risation se manifestent notamment dans
l’importance du jeu. rappeler qui nous sommes. elle nous donne une identité individuelle au cours du
La plupart des animaux jouent seu- temps. elle combine des éléments sémantiques et des souvenirs épisodiques.
l enfin signalons que les aptitudes sensorielles donnent des aspects particuliers aux
lement quand ils sont jeunes, afin de
exclusive de IOANA VETISAN (ioanajipa@yahoo.com) - 08-11-2014
mettre au point et de mémoriser leurs souvenirs épisodiques qui sont, selon les cas, plus visuels, plus auditifs ou plus
comportements ultérieurs d’adultes. olfactifs. n g.c.
Les hommes, eux, jouent tout le temps.
Que l’on songe à l’importance des jeux
sportifs ou des jeux de hasard, mais aussi famille, et l’extrême modification épi- génétique, les familles de musiciens ou
au fait que des activités humaines essen- génétique possible des performances de médecins.
tielles, comme la création artistique, mnésiques. Les mémoires humaines À côté des processus innés de l’hérédité
la recherche scientifique ou l’activité peuvent ainsi s’adapter à tout. Ces effets darwinienne, les mémoires témoignent
sexuelle, comprennent une part non épigénétiques pourraient même être de processus culturels qui conservent,
négligeable de jeu. Les mémoires prodi- transgénérationnels : on peut ainsi ima- par rapport à la transmission génétique,
gieuses de l’espèce humaines résultent giner que le mode de vie des grands- une relative autonomie. n
donc de la combinaison des aptitudes parents puisse, par des apports cultu-
d’un cerveau surpuissant et de sa grande rels transmis entre générations, affecter
plasticité juvénile (3). le mode de vie de leurs petits-enfants et (1) Georges Chapouthier, « La Mémoire en
Condé, Chantilly
mosaïque », in Jean-François Dortier (dir.), Le Cerveau

Ce ca ractère juvéni le du cer veau leurs aptitudes de mémoire, sans passer
et la Pensée, Éditions Sciences Humaines, 2014.
la propriété
humain serait pour beaucoup dans l’ex- nécessairement par la transmission (2) Desmond Morris, Le Singe nu, Grasset, 1967.
trême variété des adaptations possibles génétique des prédispositions. Ainsi
Ce document est Musée
(3) Georges Chapouthier et Françoise Tristani-

des mémoires au sein d’une même pourraient s’expliquer, de manière épi- Potteaux, Le Chercheur et la Souris, CNRS, 2013.

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Les clés de
la mémoire
D’où vient la sensation

de déjà-vu ?
Étranges, les phénomènes de déjà-vu fascinent depuis longtemps.
Des neurologues ont découvert récemment qu’une anomalie de fonctionnement
du cortex rhinal pourrait en être la cause.
FABRICE GUILLAUME
A
vez-vous éprouvé la curieuse Docteur en neuropsychologie, enseignant- une maladie connue pour affecter la
chercheur à l’université d’Aix-Marseille.
sensation d’avoir déjà vécu mémoire, rapportent avoir vécu le déjà-
l’instant présent ? Alors que vu au cours d’une crise d’épilepsie (5). Le
vous festoyez entre amis ou déjà-vu épileptique semble en revanche
que vous arrivez dans un aéroport pour dérait que la perception et la mémo- plus long que le déjà-vu éprouvé par le
la première fois, vous éprouvez soudain risat ion étaient deu x événements reste de la population. L’hypothèse d’une
la certitude de revivre cette scène. Envi- simultanés. La fatigue ou l’inattention perturbation temporaire du système
ron deux tiers d’entre nous ont éprouvé pourraient alors désynchroniser ces mnésique est donc privilégiée.
ce sentiment, qualifié tantôt de « déjà- mécanismes, de façon momentanée. Les investigations se penchent actuel-
vu », d’« illusion d’avoir été là avant » ou Ce qui est perçu semble alors reconnu. lement sur une région du cerveau qui
encore de « paramnésie ». est très active lors des expériences de
Si on en trouve des descriptions dans les Inattention de la perception familiarité ou la détection de nouveautés
textes anciens et dans de nombreuses L’idée de Bergson était visionnaire car dans une scène visuelle. Le cortex rhinal
langues, le terme a été proposé pour la il reste difficile aujourd’hui encore de qui entoure l’hippocampe serait ainsi
première fois par le médecin français poser clairement la frontière entre ce directement impliqué dans le déclenche-
Émile Boirac en 1876 (1). Il oppose alors qui relève de la perception et ce qui ment du déjà-vu. Quand son fonctionne-
le déjà-vu au « jamais vu » qui renvoie, relève de la mémoire. On sait main- ment est momentanément perturbé, on
lui, au sentiment d’étrangeté éprouvé tenant que la fatigue, l’état de stress ne perçoit plus le caractère nouveau de
face à une situation, une personne ou un ou l’anxiété accroissent le déclenche- la situation présente, d’où une illusion de
objet familier. Comme toute croyance, ment du déjà-vu. L’explication selon familiarité.
le phénomène cherche assidûment sa laquelle il s’agirait d’un défaut atten- L’expérience de déjà-vu révèle aussi le
justification. Paco Rabanne le consi- tionnel suggère que le déjà-vu résulte caractère associatif de notre mémoire.
dère comme « la preuve des vies anté- d’une perception inattentive de la scène Lorsque je me remémore ma semaine
rieures (2) ». Sigmund Freud le consi- vécue suivie d’une seconde perception, de vacances de l’année dernière, je me
dérait avant lui comme une preuve de plus attentive et consciente que la pre- souviens des échanges, des rencontres,
l’existence des rêves prémonitoires (3). mière. Le déjà-vu relèverait ainsi de la et de certaines des expériences que j’ai
Jadis envisagée comme un don de reconnaissance d’une scène récemment vécus alors.
voyance, l’expérience de déjà-vu est perçue, mais de façon inattentive ou
désormais examinée sous un jour nou- subconsciente. Familiarité contextuelle
veau. Une démystification progressive Les neurologues étayent une hypothèse Ces épisodes se rattachent à un instant
s’opère, d’abord grâce aux recherches similaire. Les informations provenant précis du passé. Si, par la suite, je me
dans le domaine de la psychologie de de notre environnement suivent diffé- trouve dans une situation comportant
la mémoire, ensuite dans le domaine rents chemins corticaux. Les messages certaines similitudes, avec les mêmes
des sciences du cerveau. Différentes qui parviennent normalement de façon personnes ou dans un même lieu, la
propositions demeurent, qu’il s’agisse simultanée à notre conscience pour- situation est propice au déclenchement
d’un défaut d’attention, d’une atteinte raient ainsi se voir désynchronisés par du déjà-vu. De la même manière, lorsque
neurologique momentanée, ou encore un délai de traitement plus long dans un j’éprouve ce sentiment dans un aéroport
d’un dysfonctionnement de la mémoire. des deux chemins corticaux. Les sujets où je me trouve pour la première fois,
Le philosophe Henri Bergson (4) consi- souffrant d’épilepsie du lobe temporal, c’est peut-être parce que j’ai aperçu ce

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Valentine Vermeil/Picturetank
même aéroport dans un de mes films Les modèles actuels de la mémoire dis-
préférés. Il suffit parfois de quelques socient la familiarité automatique de
détails pour réactiver un souvenir et la récupération consciente. La récupé-
ainsi déclencher la sensation de déjà- ration consciente peut être active en
vu. Ce dernier pourrait donc provenir l’absence de familiarité, comme c’est (1) Émile Boirac, « Correspondance (lettre à l’éditeur) »,
de l’occurrence de plusieurs éléments le cas pour la sensation de « jamais vu » Revue philosophique, 1876.
(2) Propos extraits du « duel » entre Paco Rabanne et
familiers (amis, lieu, événement, gestes, où le sujet recherche en vain dans sa
Mac Lesggy sur la page Internet de VSD : « L’intuition
paroles, personnes, objets, vêtements, mémoire. Réciproquement, le sentiment est-elle forcément liée au surnaturel ? ».
parfums, etc.) qui se retrouvent dans la de familiarité peut être ressenti en l’ab- (3) Sigmund Freud, Psychopathologie de la vie
scène présente. C’est la force de fami- sence de récupération consciente, ce qui quotidienne, 1901, rééd. Gallimard, coll. « Folio », 2010.
liarité de ces éléments qui, par addition, est le cas du déjà-vu où la situation nous (4) Henri Bergson, Matière et Mémoire, 1939, rééd.
Flammarion, coll. « GF », 2012.
engendrerait le phénomène. Le fait que est familière sans que l’on sache pour-
(5) Fabrice Bartolomei et al., « Cortical stimulation
l’on retrouve de nombreux éléments quoi. Les distorsions de notre mémoire study of the role of rhinal cortex in déjà vu and
familiers lors des expériences de déjà-vu demeurent un terrain fertile pour mieux reminiscence of memories », Neurology, vol. LXIII, n° 5,
conforte cette hypothèse. comprendre son fonctionnement. n septembre 2004.

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Les clés de
la mémoire
Huit questions
sur la mémoire
ALAIN LIEURY
Professeur émérite de psychologie cognitive à l’université Rennes,
il est reconnu comme l’un des grands spécialistes français de
la mémoire. Il a écrit une vingtaine d’ouvrages dont, récemment,
Le Livre de la mémoire (Dunod, 2013).
1Pourquoi Les premières études spécial, mais moins efficace chez nous les humains, par
rapport aux mots ou images. Trente odeurs variées sont
les souvenirs sont-ils sur la mémoire
(Catherine et Victor utilisées (citron, café, tomate, cire…) et leur pouvoir de
souvent associés Henri en 1896) ont récupération de souvenirs autobiographiques est comparé
souvent montré que à des mots ou images correspondants (un citron, du café…).
à des émotions ? les souvenirs qui nous Les mots et les images ont un pouvoir d’évocation similaire
restent de notre enfance (20 %) mais moins de souvenirs sont évoqués par les odeurs
sont attachés en général à des émotions fortes, comme la (14 %). S’il n’est pas douteux que des odeurs spécifiques
joie, mais plus souvent encore à des émotions négatives rappellent des souvenirs, ils ne sont que très peu, sans doute
comme une peur intense, la honte... Pour une part, l’épisode moins d’une dizaine chez la plupart d’entre nous, alors que
accompagné d’une émotion forte se détache mieux des les souvenirs associés à des photos ou de la musique sont très
autres épisodes ; c’est la raison pour laquelle on se rappelle nombreux. Plus que son odeur, c’est peut-être la vue de la
mieux des « premières », premier amour, une remise de prix madeleine qui fut efficace.
ou de médaille pour un sportif, pièce de théâtre, voyage à
l’étranger. Mais un autre mécanisme, biologique celui-ci,
explique aussi l’effet des émotions. Dans le cerveau, près
de l’hippocampe qui permet l’enregistrement des choses
nouvelles, est attachée une autre structure, l’amygdale
(ne pas confondre avec les amygdales qui sont dans la
bouche). L’amygdale a pour fonction d’associer le contexte
de l’événement (le lieu par exemple) à l’émotion. Lorsque
l’événement suscite une émotion forte (comme la colère

ou la peur…), des molécules spéciales sont envoyées à
l’hippocampe qui enregistre mieux.
DR
2 Les souvenirs Dans l’un de ses romans,

3 D’où vient le mot sur
sont-ils mieux rappelés Marcel Proust raconte
comment l’odeur d’une
Zut, comment
par les odeurs ? madeleine trempée dans

le bout de la langue ? s’appelle-t-il ? Il vous
est certainement arrivé,
du thé lui rappelle des notamment après des
souvenirs d’enfance. En fonction de ce genre d’observations vacances, de saluer un collègue ou une connaissance et de ne
anecdotiques, on pourrait croire que la mémoire des odeurs plus vous souvenir de son prénom. De même pour les noms
est puissante mais en réalité, notre mémoire olfactive s’avère des stars du cinéma et de la chanson, qui nous échappent bien
plutôt décevante. Une expérience de Lorna Goddard, Linda souvent. Ce mot pourtant, on le connaît, il est prêt à sortir, on
Pring et Nick Felmingham (2005), de l’université de Londres, dit qu’il est « sur le bout de la langue »… Le mystère s’éclaircit si
confirme que le pouvoir de récupération des odeurs est l’on sait que la mémoire est subdivisée en plusieurs systèmes,

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4 D’où vient Lorsque je participe
l’impression àradio, une émission de
des auditeurs
de trou noir ? racontent souvent un
épisode de ce genre :
« J’entre dans une pièce pour chercher un livre.
Dring !!! Coup de téléphone, je réponds et c’est
le trou noir. Que venais-je faire dans cette
pièce ? » Pas de panique, tout est normal,
c’est la mémoire à court terme.
C’est en effet une découverte très récente
(sachant que les Grecs de l’Antiquité
s’intéressaient déjà à la mémoire) que d’avoir
mis en évidence une mémoire spéciale qui
ne dure que quelques secondes, 20 à 30
secondes. Par exemple, une liste de 15 mots
familiers (bateau, horloge, citron…)
doit être mémorisée et des jeunes de 20 ans
n’en rappelleront qu’environ 7,
c’est la capacité de la mémoire à court terme.
Mais si l’on empêche le rappel immédiat
en faisant faire autre chose pendant 30
secondes (parler, calculer…),
le rappel ne sera plus que de 50 % et parfois
même ce sera l’oubli total. C’est l’oubli à
court terme. Pour une seule information
(ce que je viens faire dans une pièce),
l’oubli peut donc être total…
DR
5 Faut-il stimuler Après Maria Montessori

appelés « modules ». Les mots, en particulier, qui attira l’attention sur le
sont principalement stockés dans deux mémoires, la mémoire
son cerveau pour manque de stimulations
lexicale pour le graphisme et la phonologie, et la mémoire une bonne mémoire ? des jeunes enfants des
sémantique pour le sens. Sachant qu’il existe aussi une quartiers déshérités,
mémoire des images et une autre pour les visages, de nombreuses recherches américaines montrèrent
le « mot sur le bout de la langue » provient du fait qu’il y a l’importance extrême des stimulations précoces dans le
activation du visage mais que l’accès à la bibliothèque des mots développement de l’intelligence, notamment les travaux sur
(mémoire lexicale) est indisponible. Souvent c’est parce qu’un l’environnement enrichi et l’environnement appauvri. Mark
mot similaire vient à sa place. Une fois par exemple, cherchant Rosenzweig et ses collègues ont élevé deux groupes de rats
l’un des deux doubleurs de Starsky et Hutch, dès la naissance, soit dans un environnement « appauvri »,
le mot « baladin » me venait constamment à l’esprit or le nom petite cage avec un biberon d’eau pour trois rats, soit dans
de l’acteur était « Balutin » et cherchant le nom de l’actrice des un environnement enrichi dans une grande cage avec 12
derniers Star Wars (Nathalie Portman), rats, des objets différents (échelle, roue…). Les rats ayant été
c’était le nom de Nicole Kidman qui s’imposait. élevés dix semaines dans cet environnement enrichi ont de

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Les clés de
la mémoire
meilleurs cerveaux (cortex plus épais, neurones plus gros, motrices. Faire du vélo, conduire une voiture, nager… font
etc.). Toutes ces recherches attestent de l’extrême importance donc partie de cette mémoire procédurale basée sur d’autres
des stimulations précoces. systèmes du cerveau (corps striés) et notamment le cervelet
Depuis ces études, les environnements des établissements qui serait le siège des automatismes, marcher, manger… Ces
pour enfants sont enrichis sur le plan des formes et automatismes bien consolidés par des milliers de répétitions
des couleurs, peintures voyantes et variées, affiches, sont très solides et ne s’oublient quasiment pas (même si la
jouets agrémentent désormais les crèches et les services performance en elle-même baisse).
hospitaliers pour enfants… Plus tard, l’environnement
familial et surtout l’école constituent les meilleures sources
7Quels sont les

de stimulation du cerveau. Attention cependant, dans la
vie d’un rat ou d’une souris, une semaine vaut à peu près un Tout apprentissage ou
an pour les humains. Donc dix semaines équivalent chez souvenir correspond sur
nous au niveau baccalauréat. Ce ne sont donc pas quelques
mécanismes de le plan du cerveau à des
minutes d’exercices proposés dans des jeux de gymnastique l’apprentissage ? connexions entre neurones,
du cerveau (magazine ou jeux vidéo) qui vont développer un peu comme les connexions
votre cerveau mais de longues années de formation. électriques dans votre maison. Or ces connexions
L’école et les activités professionnelles sont donc le meilleur ne s’établissent pas par magie, mais se construisent
gage d’un cerveau de formule 1. À la retraite, les jeux biologiquement par la poussée (comme des racines de
sont faits, il suffit de continuer à se faire plaisir avec les plantes) de milliers de ramifications, les dendrites. La
occupations de son choix. loi des neurones, c’est donc la répétition. Il faut donc
revaloriser la répétition mais qui peut prendre plusieurs
formes selon les mémoires.
Pour ce qui concerne la mémoire procédurale, notamment
les apprentissages sensori-moteurs, c’est la répétition
avec parfois des milliers de répétitions, sport, conduite
automobile, etc. Pour la mémoire des mots et des textes,
celle-ci contient deux « bibliothèques » spécialisées :
la mémoire lexicale pour la carrosserie des mots et la
mémoire sémantique pour leur sens. Pour ces deux
mémoires, les méthodes sont bien différentes.
La mémoire lexicale est la bibliothèque de la carrosserie
des mots. Cette carrosserie est composée de l’orthographe
(qui vient des mémoires visuelles), de la phonologie
(qui vient de la mémoire auditive), de la prononciation
Fotolia
(mémoire vocale) et de l’écriture (mémoire motrice

graphique). La principale méthode est le fameux

apprentissage par cœur, qui mérite d’être réhabilité. Il
6 Pourquoi faire du Dans l’ensemble, les

faut en général (tout dépend de la difficulté phonétique et
orthographique) un nombre de répétitions moitié moindre
vélo ne s’oublie pas ? apprentissages sensori-
moteurs, comme faire du
que le nombre de mots à apprendre : dix répétitions pour
vingt mots. Si les mots sont difficiles phonétiquement, il
vélo, nager, conduire, ne faut les subdiviser en syllabes pour mieux les apprendre,
s’oublient jamais car ils dépendent d’un système de mémoire Xénophon, mycélium. C’est particulièrement le cas en
différent de celui qui s’occupe des connaissances, mots ou chimie pour les molécules complexes, comme le fameux
images. En effet, des chercheurs avaient découvert que des acide désoxyribonucléique en acide-désoxy-ribo-nucléique
personnes (non âgées) ayant des lésions de l’hippocampe (ribo étant la contraction d’un sucre, le ribose)…
(blessures de guerre, etc.) pouvaient néanmoins mémoriser La mémoire sémantique tout au contraire enregistre des
des apprentissages moteurs, mais sans s’en rendre compte abstractions, des idées, des concepts. Sa structure est
consciemment. Le neuropsychologue Larry Squire a donc hiérarchique comme dans une arborescence ; par exemple,
fait une distinction entre deux grands systèmes de mémoire, un aigle est classé dans la catégorie des oiseaux,
la mémoire déclarative, qui est la mémoire consciente elle-même classée dans la catégorie des « vertébrés »
des mots, images et visages et par ailleurs la mémoire puis des animaux. Pour apprendre sémantiquement il faut
procédurale qui concerne la mémoire des habitudes faire des fiches bien structurées, des plans, des schémas,

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des arborescences. Pour comprendre, il faut également est peu convaincant. Car à l’inverse, d’autres recherches
répéter mais la répétition sémantique est plus subtile et se fait comparant réellement l’effet de la recherche documentaire
par la multiplication des épisodes, méthode que j’ai appelée sur Internet ou sans ordinateur, montrent des effets
« apprentissage multiépisodique » : la lecture du cours, celle équivalents. David Cook du collège de médecine à
du manuel, un documentaire télévisé ou sur YouTube, la Rocherster et ses collègues de l’université McMaster
recherche sur Internet sont autant d’épisodes pour enrichir à Hamilton au Canada ont montré que c’est surtout le temps
la mémoire sémantique. Le cours de l’enseignant, si passé à la recherche (sur Internet ou non) qui est décisif
passionnant qu’il soit, ne constitue qu’un seul épisode ! dans l’apprentissage.
Bref, Internet ou bibliothèque, plus vous passez de temps
à rechercher des documents et meilleur sera
l’apprentissage. Par ailleurs, une recherche utilisant la
8 Faut-il craindre En 2011, dans un article publié

résonance magnétique (Small et al., 2009), explore l’activité
cérébrale de seniors (55-76 ans) et ne montre aucune
la revue Science, différence dans de nombreuses
un effet Google ? dans Betsy Sparrow et ses collègues aires impliquées dans le langage,
ont fait grand bruit en affirmant qu’il y aurait un « effet la mémoire, lecture, etc. (régions
Google » sur notre mémoire : on mémoriserait moins occipitale, temporale et pariétale
bien les informations si on sait qu’elles sont facilement gauche…) dans un groupe qui
accessibles. Mais cette expérience, très médiatisée, n’est découvre Internet et dans un
en réalité pas si probante. En effet, cette étude n’a pas groupe habitué à naviguer.
comparé recherche sur Internet et recherche classique (en En revanche, le groupe des
bibliothèque, dictionnaire, etc.) : habitués a une activation plus
B. Sparrow et son équipe se sont seulement concentrées intense dans des zones impliquées dans des tâches
sur des expériences concernant la mémorisation de faits complexes, raisonnement, mémorisation (cortex frontal,
mémorables (ex. : l’explosion de la navette Columbia hippocampe). Bref, tout indique que la recherche
en février 2013), que les participants écrivent dans un Internet permet au moins autant d’activité cérébrale
ordinateur. Parmi les deux expériences (sur quatre) les plus que la recherche classique.
convaincantes, l’expérience 2 montre que les informations D’ailleurs, nous avons étudié l’impact des loisirs,
sont mieux mémorisées lorsque l’on a annoncé qu’elles notamment numériques, chez les adolescents sur
seraient effacées (29 % de rappel) que lorsque l’on a annoncé les performances scolaires et cognitives avec de très
que les informations seraient sauvegardées par l’ordinateur nombreux tests (mémoire des connaissances, maths,
(19 %). On mémorise effectivement mieux quand on pense lecture, raisonnement) dans une enquête du ministère
ne pas avoir l’information sous la main (« aux bouts des de l’Éducation nationale (Depp) sur un grand échantillon
doigts » est l’expression de B. Sparrow). Mais une autre représentatif de 27 000 adolescents français (14 ans)
expérience (expérience 3) tend à prouver l’inverse. du collège (3e). Parmi les activités et loisirs, la navigation sur
Trente propositions sont à mémoriser et l’on présente deux Internet a des effets favorables sur plusieurs tests, jusqu’à
tâches de reconnaissance. Dans la première, + 25 % pour la mémoire des connaissances.
les participants doivent reconnaître si une phrase altérée Pour l’instant donc, non seulement il ne faut pas craindre
correspond à la proposition qui a été mémorisée. un effet Google, mais il faut tirer partie de ces nouvelles
Si l’information a été déclarée sauvegardée dans un dossier, sources de connaissance que nous apportent nos
les participants la reconnaissent un peu moins (85 %) compagnons virtuels.
que si on leur dit que l’information a été effacée (93 %),
ce qui est conforme avec l’expérience 2 ; mais la différence Pour en savoir plus
Betsy Sparrow, Jenny Liu et Daniel M. Wegner, « Google effects on memory.
est très faible. Si les élèves savaient à 85 % leur leçon,
Cognitive consequences of having information at our fingertips », Science,
ils auraient 17/20 ! De plus, les résultats s’inversent dans la vol. CCCXXXIII, 2011.
deuxième tâche de reconnaissance : lorsque l’on repasse Alain Lieury, Sonia Lorant et Françoise Champault, « Loisirs numériques et
les propositions en demandant si elles ont été déclarées performances cognitives et scolaires : une étude chez 27 000 élèves de la 3e des
sauvegardées ou effacées, les participants reconnaissent collèges », Bulletin de psychologie, n° 530, 2014/2.
David Cook, Anthony J. Levinson et Sarah Garside, « Time and learning
mieux les informations sauvegardées dans des dossiers
efficiency in Internet-based learning. A systematic review and meta-analysis »,
(66 %) que celles qui ont été déclarées effacées (51 %). Advances in Health Sciences Education, vol. XV, n° 5, décembre 2010..
Cette fois, c’est un effet favorable qui contredit les résultats Gary Small et al., « Your brain on Google. Patterns of cerebral activation during
précédents : on retient mieux les informations qui ont été Internet searching », The American Journal of Geriatric Psychiatry, vol. XVII, n° 2,
sauvegardées. En conclusion, cet « effet Google » février 2009.

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Salvador Dalí, Fundació Gala-Salvador Dalí/ADAGP, Paris, 2014
Salvador Dalí (1904-1989), Printemps nécrophilique (1936).
À quoi sert d’oublier ?

Mémoire et oubli sont indissociables : c’est en sélectionnant des souvenirs,
donc en oubliant certains d’entre eux, que nous construisons notre identité.
Francis EustachE
D
Directeur de recherche à l’Inserm et
e prime abord, l’oubli semble à l’université de Caen, directeur d’études reconsolidation qui témoignent de la
l’ennemi de la mémoire. Il à l’EPHE, il a écrit ou coécrit, entre autres, labilité des traces mnésiques, particu-
Les Chemins de la mémoire (Le Pommier, 2012),
est en effet renforcé par le Conscience, mémoire et identité (Dunod, 2013)
lièrement sensibles aux interférences.
passage du temps et exa- et Mémoire et Oubli (Le Pommier, 2014). Le rôle du sommeil est souligné comme
cerbé dans différentes maladies. Nous gage de stabilité et de cohésion de cette
mesurons l’importance de la mémoire, durables et malléables, a donné lieu à mémoire faisant l’objet d’une actualisa-
ses fonctions adaptatives, identitaires, divers développements en philosophie. tion et d’une synthèse permanente.
sociales, du fait de la prévalence accrue Par exemple, les relations entre mémoire Au-delà, cette thématique « mémoire
des pathologies neurodégénératives, et identité sont au cœur de la phénomé- et oubli » se trouve renouvelée du fait
comme la maladie d’Alzheimer. Ainsi, la nologie : certains aspects de la mémoire de changements technologiques et
mémoire et son corrélat négatif dans ce participent à la construction de l’identité sociaux, dont certains se sont accentués
cadre, l’oubli, deviennent des sujets de personnelle. A contrario, l’identité guide récemment. Il en est ainsi des nouvelles
réflexion et de préoccupation dans nos le tri dans les représentations mnésiques. technologies de l’information et de la
sociétés. Cette vision de la phénoménologie a communication. L’utilisation massive
En dehors de ce contexte particulier où apporté une coloration particulière à la d’Internet contribue à modifier le rap-
l’oubli est un symptôme, les deux termes recherche en psychologie et en neuros- port entre mémoire interne et mémoire
« mémoire » et « oubli » vont de pair. La ciences cognitives ces dernières années. externe, avec des conséquences poten-
nécessité de l’oubli pour construire des La neurobiologie décrit, quant à elle, tielles sur notre façon même de penser.
représentations mnésiques, à la fois les mécanismes de consolidation et de Une autre évolution marquante vient de

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Les clés de
la mémoire
la sociologie et de l’histoire, qui montrent sation est essentiel, guide de l’oubli du

que le grand récit, qui traduit l’identité superflu et trame de nos connaissances L’ENFER DE
sociale d’un peuple ou d’une nation, se sur le monde et sur nous-mêmes, ponc- L’HYPERMNÉSIE
construit à partir de différents méca- tuées de souvenirs emblématiques de
Se souvenir de tout, tout le temps :
nismes qui renforcent ou annihilent telle période ou de tel changement dans
tel est le fardeau des
l’importance de certains événements notre itinéraire de vie.
hypermnésiques. Les souvenirs
avec comme conséquence leur mémori-
– y compris douloureux –
sation ou leur oubli (p. 48). Vers une nouvelle science
déferlent en permanence dans
de la mémoire ?
la tête et envahissent le quotidien.
Le gradient de Ribot Hermann Ebbinghaus, l’un des initia-
On parle d’« hypermnésie
Dès la fin du XIXe siècle, le philosophe et teurs de la psychologie expérimentale en
autobiographique »,
physiologiste français Théodule Ribot Allemagne à la fin du XIXe siècle, a inventé
car les personnes concernées se
avait consacré un livre aux maladies la mesure de la mémoire. Il rapporte des
souviennent de tous les éléments
de la mémoire (1881). Ce qu’il nomme faits qu’il résume dans la courbe de l’ou-
les concernant, mais sans
la loi de régression deviendra la loi du bli, d’abord très pentue, puis s’estompant
se révéler plus douées que
« gradient de Ribot » : le récent s’efface au fi l du temps. Différents facteurs ont
la moyenne pour apprendre
avant l’ancien. Elle montre la construc- une influence sur cette courbe de l’oubli.
un poème ou un digicode. ■ h.L .
tion changeante de nos mémoires per- Certains sont physiologiques, comme
sonnelles. Publié dans la Revue philo- le sommeil et ses différents stades et
sophique de la France et de l’étranger, mécanismes, d’autres sont psycholo- cerveau prospectif. D’autres pathologies
créée et dirigée à l’époque par T. Ribot, giques ou psychosociaux comme les de la mémoire aident à comprendre les
l’article du neuropsychiatre russe Sergei schémas, structures mentales impli- mécanismes de la mémoire et de l’oubli.
Korsakoff, paru en 1887, est considéré quées dans l’organisation de nouvelles Dans l’hypermnésie autobiographique
comme le texte fondateur de la neuro- informations en mémoire. Leur rôle est (encadré ci-dessus), le patient est capable
psychologie de la mémoire. À partir de ainsi de favoriser la consolidation du de relater plusieurs événements sur-
la description de patients amnésiques, souvenir, mais également de faciliter venus un jour précis plusieurs années
atteints de ce qui sera nommé ultérieu- l’oubli. Progressivement, des méthodo- auparavant. Ces capacités de mémoire
rement un syndrome de Korsakoff, l’au- logies ont été élaborées pour explorer inhabituelles rappellent le vrai travail de
teur met en scène plusieurs découvertes les mécanismes mêmes de l’oubli et la mémoire, constitué de tri, de synthèse
majeures comme le fait que les traces leur effet sur la mémoire. Le cadre théo- et d’oubli. Une autre pathologie qui prend
des impressions récentes subsistent rique s’est lui aussi enrichi. La mémoire une place importante dans cette réflexion
chez ces malades dans la vie psychique n’est plus simplement tournée vers le est l’état de stress posttraumatique : un
inconsciente. passé mais elle est devenue anticipation individu est victime ou le témoin impuis-
Des travaux récents, menés chez des du futur et projection dans l’avenir. Le sant d’un événement traumatique où la
patients atteints d’une pathologie de patient K. C. traité par Endel Tulving puissance émotionnelle modifie en pro-
la mémoire, montrent que différents est emblématique de cette découverte fondeur et durablement le travail de syn-
types de distorsions, atteignant le duo puisqu’il a permis de façonner le concept thèse et de distanciation de la mémoire.
« mémoire et oubli », conduisent à des de mémoire épisodique et de poser les Aujourd’hui, l’évolution majeure est la
profils de troubles de mémoire très diffé- jalons de ceux de mémoire du futur et de possibilité de croiser des conceptions
rents. Ainsi, le gradient de Ribot, au détri- théoriques fortes et des méthodologies
ment des souvenirs récents, se trouve dans des disciplines qui paraissaient
Mots-clés
confirmé dans la maladie d’Alzheimer, très éloignées. La problématique de la
mais un « gradient inversé », au détriment Le processus sémantique voit mémoire est individuelle, d’où l’apport
des souvenirs anciens, est observé dans des souvenirs épisodiques (« Je me souviens des neurosciences, mais elle est aussi
très bien de notre première rencontre »)
la démence sémantique, autre patholo- sociale et sociétale. Elle est également,
se transformer en savoirs généraux sur
gie neurodégénérative. Au-delà de leur soi-même, sans leur charge émotionnelle
et de plus en plus, technique et technolo-
intérêt clinique, ces résultats suggèrent initiale (« Notre première rencontre date gique. Comment opèrent et interagissent
que les souvenirs épisodiques ont tende… »). tous ces processus ? Cette question
dance à perdre des éléments contextuels sert de socle à la nouvelle science de la
et à se sémantiser, mémoire et oubli La mémoire prospective concerne mémoire, en ce qu’elle a de plus innovant
le futur : nous devons, par exemple, nous
œuvrant pour la construction synthé- souvenir de ce que nous devons dire ou faire
au plan scientifique, et d’indispensable
tique de nos différentes représentations dans des délais plus ou moins proches. pour une réflexion citoyenne et éthique
en mémoire. Ce processus de sémanti- sur l’homme ■

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POINTS DE
Les principaux troubles d
Le « patient HM » Deux catégories D’amnésies
Henry Molaison (1926-2008) n Les amnésies antérogrades désignent l’incapacité
fut longtemps connu par de former de nouveaux souvenirs. Les sujets
ses seules initiales. Après « n’impriment pas » ce qui se passe depuis
avoir subi une ablation l’apparition de l’amnésie. Ils oublient les activités
de ses lobes temporaux, réalisées récemment ; ils reposent cinq fois la même
dans l’espoir de guérir question car ils ne se souviennent pas avoir entendu
son épilepsie, il s’était la réponse. En revanche, leurs souvenirs antérieurs
retrouvé incapable de sont tout à fait préservés. Ce type d’amnésie se
mémoriser quoi que ce soit. retrouve souvent en début de maladie d’Alzheimer.
Une psychologue, Brenda Il correspond à une lésion de l’hippocampe.
Milner, le suivit pendant des n Les amnésies rétrogrades, au contraire, recouvrent
décennies : à chacune de la difficulté de se rappeler des souvenirs antérieurs
leurs rencontres, il pensait à l’apparition de l’amnésie (lésions plus larges dans
DR
la voir pour la première fois. le « circuit de Papez », une suite de structures

Pour lui, le monde s’était interconnectées dans la même région limbique).
arrêté au début des années 1950. Il était vaguement conscient Le sujet ne se souvient plus de certains pans entiers
d’avoir des problèmes de mémoire, mais n’en souffrait pas. de son passé. Dans les cas les plus sévères,
Poli et social, il n’avait aucun autre trouble cognitif. il oublie qui il est.
Il est mort sans soupçonner qu’il était l’un des plus célèbres
patients du monde depuis 55 ans.
L’amnésie du voyageur
Elle a été observée chez des voyageurs ayant absorbé
Alzheimer et les maladies un médicament voué à minimiser les effets du décalage
neurodégénératives horaire. L’intéressé ne peut plus rien mémoriser, et a oublié
son passé récent. Le trouble se prolonge une journée
L’une des particularités des patients atteints d’Alzheimer… environ.
est qu’ils oublient qu’ils oublient, et ont donc tendance
à minimiser leur problème (c’est ce que l’on appelle

l’« anosognosie », terme rendu célèbre, malgré lui, par Jacques
Chirac). Leur amnésie, en début de maladie, concerne
essentiellement les événements et activités vécus dans les
jours, les heures ou les minutes qui précèdent. Ils peuvent
continuer à jouer parfaitement au bridge ou au piano,
mais sans conserver le moindre souvenir de leur soirée !
Le diagnostic repose sur des tests neuropsychologiques,
mais aussi sur la mise en évidence d’une atrophie de
l’hippocampe. Progressivement, les lésions touchent
l’ensemble des fonctions cognitives – langage, calcul, gestes,
reconnaissance des objets, des personnes, de l’espace… La
démence fronto-temporale finit par rendre le comportement
du sujet méconnaissable. Les démences se manifestant par
des troubles moteurs comme les maladies de Parkinson et
de Huntington, la paralysie supranucléaire progressive, la
iStockphoto
dégénérescence cortico-basale… entraînent également des

troubles de la mémoire.

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E REPERES
s de la mémoire
Les amnésies ce qui est normaL
psychogènes Chef du service de
neuropsychologie à l’Hôpital
Ce type d’amnésie est la neurologique de Lyon, Bernard
conséquence d’un traumatisme croisile assure une « consultation
psychologique, comme une mémoire » destinée à diagnostiquer
agression ou un accident. Dans les précocement la maladie d’alzheimer.
cas les plus spectaculaires, le sujet Dans son dernier livre (1), il rappelle
va jusqu’à oublier son identité : qu’il existe des formes d’oubli tout à
àil ne sait plus qui il est, comment fait normales :
il s’appelle, où il habite, qui sont
n oublier des détails (une date) ou
ses parents, etc. Aucune lésion
des faits accessoires (place des
cérébrale ne permet d’expliquer
clés ou des lunettes). en revanche,
ces troubles, qui sont le plus
oublier des événements entiers
souvent transitoires. Un indice
récents (visite d’un proche,
– un nom de personne ou de lieu,
promenade en ville…) doit alerter.
par exemple – permet parfois de
n Les oublis qui surviennent après
débloquer l’accès aux souvenirs.
plusieurs heures ou plusieurs
L’hypnose est aussi sollicitée pour
BSIP
jours, et non de manière

retrouver la mémoire.
instantanée (sauf par inattention). il
suffit de se faire répéter une fois
Le « syndrome de Korsakoff » l’information pour l’« imprimer ».
n L’oubli des noms propres concerne
À la fin du XIXe siècle, le neurologue russe Sergueï Korsakoff observa que des
des personnes peu connues
malades alcooliques chroniques ne parvenaient plus à enregistrer de choses
(cousins lointains, célébrités). La
nouvelles, provoquant ainsi une amnésie grave. On sait maintenant que
réponse est souvent sur le bout de
l’alcool, qui tue les cellules, fait mourir en premier l’hippocampe. Cette partie
la langue.
du cerveau est un peu l’archiviste de la mémoire : elle permet de répertorier
n ces petits oublis n’ont pas de
les informations nouvelles en mémoire comme un bibliothécaire le ferait de
retentissement sur l’autonomie,
nouveaux livres. Attention donc d’en prendre soin !

d’autant que les personnes
concernées ont des stratégies
L’ictus amnésique adaptées (agenda, listes, etc.)
n en consultation, la personne
idiopathique surestime ses difficultés. un

malade d’alzheimer, au contraire,
D’autres formes d’amnésies sont plus légères
les sous-estime.
et passagères. L’ictus amnésique, fréquent,
est une amnésie brutale qui survient chez des
(1) Bernard Croisile, Alzheimer. Que savoir ? Que
personnes d’une cinquantaine d’années ou
craindre ? Qu’espérer ?, odile Jacob, 2014.
davantage. Pendant l’épisode, le sujet présente
un oubli de ses souvenirs récents et pose des
questions répétitives. C’est le cas de ce chirur-
gien qui brutalement ne sait plus qui il est, ni où
il est, ni qui il opère… mais finit parfaitement
son travail. Très impressionnante, mais pas
À lire sur scienceshumaines.com
• « Les différents type d’amnésie »
grave, cette amnésie dure quelques heures et Pascale Piolino, professeure de
UFD
disparaît sans séquelles. neurospsychologie à l’université Paris-V.

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Les clés de
la mémoire
Q U E S TI O N S À F R A N ÇO I S H A R TOG
Le passé pour seul horizon ?

Commémorations, patrimoine, mémoires réinventées, parfois conflictuelles…
L’époque est prise dans une avalanche mémorielle.
Le passé deviendrait-il l’ultime recours pour la construction des identités ?
Le passé semble plus que jamais
célébré et sollicité aujourd’hui. L’historien François
Comment interpréter cette focalisation Hartog est un observateur
attentif de la manière dont
contemporaine sur la mémoire ?
les sociétés occidentales
Depuis plus de trente ans, nous sommes
appréhendent le temps.
entrés dans une ère mémorielle. C’est
Ce directeur d’études à
en 1984 que paraît le premier volume l’EHESS, ancien élève de
des Lieux de mémoire (dirigés par Pierre Jean-Pierre Vernant, a
Nora) qui avait – déjà – pour projet de publié en 2002 un
faire une histoire de la mémoire. Un ouvrage qui a marqué la
nouveau rapport au passé s’est instauré communauté historienne
à partir de cette époque. Les jeunes (Régimes d’historicité.
adultes, nés dans les années 1970-1980, Présentisme et expé-
n’ont d’ailleurs connu que ce contexte et riences du temps, Seuil).
Il y montrait comment le
ne comprennent pas toujours les change-
rapport au passé a varié
ments qui se sont opérés.
au fil des âges. En 2013,
La littérature de ces dernières décennies
il publie Croire en
témoigne bien de cette vague. On connaît l’histoire (Flammarion),
Philippe Matsas/Flammarion
le succès du livre de Jonathan Littell dans lequel il poursuit sa

(Les Bienveillantes, 2006) dans lequel réflexion sur les relations
on est dans une écriture mémorielle, entre identité, mémoire et
puisque l’auteur utilise tout une série histoire.
d’archives pour construire son roman.

Dans Les Disparus (2007), Daniel Men-
delsohn, auteur juif américain né dans brations du débarquement des Alliés ou d’Algérie). Certains invoquent
les années 1960, part à la recherche de la de la libération de Paris. Les commémora- un « droit à la mémoire »,
famille de son grand-oncle en Ukraine tions deviennent une stratégie de commu- d’autres un « devoir de mémoire »…
en réalisant une reconstruction histo- nication pour les hommes politiques qui Le point de départ de ce surgissement de
rique d’une époque qu’il n’a pas connue. tentent de réactiver un modèle historique la mémoire est l’extermination des Juifs
Et l’on pourrait en citer bien d’autres… devenu obsolète, consistant à vouloir pendant la Seconde Guerre mondiale.
Alors que la mémoire traditionnelle opé- tirer des leçons de l’histoire. Quant à la De cette conjoncture est née la notion
rait par transmission, d’une génération valorisation du patrimoine, elle comporte de « devoir de mémoire », à l’égard de
à l’autre, tous ces auteurs reconstruisent un fort enjeu économique avec la multi- ceux qui n’ont pas pu témoigner de ce
des mémoires de manière volontaire et plication des mémoriaux, des spectacles qu’il leur était arrivé. Puis cette revendi-
délibérée. historiques, des parcours de mémoire, etc. cation est devenue une sorte de slogan
Les commémorations sont l’expression qui s’est banalisé. Face à cela, d’autres
publique et institutionnelle de ce phéno- On a vu aussi apparaître ont répondu en réclamant un « droit à
mène. On assiste à une avalanche de ces des revendications mémorielles la mémoire », des siens, des groupes,
manifestations, comme on a pu le voir au contradictoires (par exemple, pieds des minorités… D’où le déploiement
mois d’août 2014 avec les multiples célé- noirs et harkis dans la guerre de cette vague mémorielle en quête de

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mémoires oubliées, disparues, empê- Notre rapport au passé a-t-il changé ?
chées. La mémoire se retrouve alors du Comment l’envisageait-on avant cette La route, cinquante
côté des victimes, des humiliés, des sans- ère mémorielle que vous décrivez ? ans plus tard !
voix, et l’histoire fait figure de « mémoire De l’Antiquité au xvIIIe siècle, le modèle Cinquante ans séparent la route de
officielle ». est celui de l’Historia magistra (for- Jack Kerouac de celle
Dans les pays de l’Est, notamment, occu- mule de Cicéron). C’est le passé qui sert de Cormac McCarthy.
pés par les Allemands, puis par les Sovié- d’exemple et auquel on se réfère. L’imita- Dans les années 1960 le livre de
tiques, des villages, des familles ont été tion des ancêtres est privilégiée. Kerouac (On the Road) met en
divisés. Les conflits de mémoire sont Une transformation du rapport au temps scène un univers qui célèbre la
encore très douloureux pour les généra- commence à se faire jour à la fin du vitesse et la liberté. Des beatniks
tions actuelles. Il est plus que probable xvIIe siècle, avec la querelle des anciens volent des voitures pour filer sur
qu’ils jouent un rôle dans les événements et des modernes. Les modernes se récla- les autoroutes, se débrouillent pour
actuels en Ukraine. ment du progrès. Le passé est dès lors vivre et le font sans inquiétude,
La mémoire est conflictuelle par défi- dépassé et le futur devient la préoccu- car le futur semble assuré.
nition, elle revendique l’authenticité, pation première. C’est ce que j’appelle La Route de McCarthy est un roman
la fidélité, mais on sait très bien que le « régime moderne d’historicité », dans qui vient après l’apocalypse. Les
beaucoup de mémoires sont fausses ou lequel l’Europe (des savants et des intel- autoroutes sont détruites, le seul
partielles. L’historien se doit de respecter lectuels) entre à la fin du xvIIIe siècle. La véhicule utilisé par le père et son
ces paroles, dans leur registre, mais il est Révolution française en est un repère fils est un caddie de supermarché
amené à donner, par ses recherches, un majeur. Au xxe siècle, le communisme déglingué. L’espoir en l’avenir
autre éclairage. D’où l’opposition entre poussera au plus loin cette marche (for- a disparu. n M.F.
mémoire et histoire. Mais il ne s’agit pas cée) vers un « avenir radieux ». La lumière d’après François Hartog, Croire en l’histoire,
de remplacer l’une par l’autre. L’une vise est rouge et elle éclaire le présent et le Flammarion, 2013.
la fidélité, l’autre la vérité. passé. Ce régime moderne s’inscrit entre
ces deux dates symboliques : 1789 et
L’État doit-il légiférer sur la mémoire 1989. La chute du mur de Berlin et la fin l’instantanéité. Le présent est devenu le
comme cela a été le cas pour les lois de l’empire soviétique sonnent le glas de seul horizon. Il est difficile de se projeter
mémorielles promulguées au début des cette forme de croyance dans le futur. dans le futur après les événements du
années 2000 sur l’esclavage, la xxe siècle (la Shoah notamment) qui ont
colonisation, le génocide arménien ? Aujourd’hui, nous serions dans un fait vaciller l’idée d’un progrès possible
Cette manière de faire est une particula- modèle « présentiste ». de l’humanité. En Occident, avec les pré-
rité française, dans laquelle le législateur Qu’entendez-vous par là ? occupations écologiques, le futur com-
s’inscrit dans le devoir de mémoire et Avec la révolution de l’information, nous mence à être perçu comme une menace
également dans la repentance. L’histo- sommes passés dans des sociétés de ou même porteur de destruction. Un
rien ne peut y être favorable, car l’État ne avenir fermé, un passé perçu comme une
peut dicter ce qui deviendrait alors une série de catastrophes et de crimes… Le

véritable histoire officielle, comme on en présent se trouve refermé sur lui-même
a connue dans certains régimes. et devient son propre horizon.
La première loi de ce type était la loi La mémoire constitue alors un recours
DR
Gayssot (1990) qui condamnait l’expres- pour échapper à cet enfermement. Com-
sion du négationnisme dans l’espace mémorations, mémoire et patrimoine
public, ce qui n’obligeait pas le juge à sont des notions pour temps de crise.
se faire historien mais simplement à On pourrait certes y voir une tentative
condamner le délit s’il est avéré. Les de revenir à l’ancien régime de l’histoire
lois suivantes sont différentes, car elles comme maîtresse de vie (historia magis-
sont purement déclaratives sans volet tra), sauf que le rapport au temps dans
pénal. Et d’ailleurs, comment envisager nos sociétés n’est plus le même. Chacun
des réparations pour les descendants puise à sa guise dans le passé. Dans le
d’esclaves, à supposer que l’on puisse monde occidental, la mémoire est deve-
déterminer qui en fait partie ? Ces lois nue un repère pour des identités en souf-
sont simplement une manifestation très france, le symptôme d’une incertitude
forte de ce moment mémoriel que nous sur ce que nous sommes. n
vivons. ProPos recueillis Par Martine Fournier

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Les clés de
la mémoire
Et demain ? Vers
une mémoire augmentée ?
Capturer l’intégralité de son existence et la stocker sur un disque dur ?
Les technologies permettent déjà d’assouvir ce fantasme.
C
RÉMI SUSSAN
omment et jusqu’où peut- Journaliste spécialisé dans les nouvelles Il y a quelques années, Microsoft avait
on augmenter sa mémoire ? technologies, il a publié, entre autres, sorti SenseCam, un appareil photo que
Dans l’A ntiquité et à la Optimiser son cerveau, Fyp, 2009. l’on portait autour du cou et qui prenait
Renaissance, le fameu x automatiquement une quinzaine de
« art de la mémoire », dans photos par seconde. La SenseCam n’est
lequel on projetait sur un lieu imaginaire existence. Mais posséder de gros disques plus commercialisée aujourd’hui, mais
des symboles de ce que l’on souhaitait durs ne suffit pas. Comment enregistrer certains travaillent à la remplacer par un
mémoriser, a connu un grand succès. l’énorme masse de données qui constitue simple smartphone. Et d’autres produits
Plus récemment, avec l’avènement des une existence ? Évidemment, pour ce se placent sur ce créneau, comme Narra-
théories scientifiques, on s’est intéressé faire il faudrait être muni de capteurs : en tive Clip. Demain, un tel système pourra
aux jeux vidéo, à des produits chimiques premier lieu d’une caméra portable, tou- être intégré à des périphériques de réalité
divers, des smart drugs, et même il y a jours en fonction, et susceptible de capter augmentée comme les Google Glasses.
peu à des technologies plus expérimen- tout ce que nous voyons et entendons. La Dans le futur, on peut imaginer cou-
tales, comme la stimulation magnétique camera Go Pro, que l’on peut porter sur pler le flux de données audio et vidéo
transcrânienne… Mais pour ceux qui soi, pourrait en être considérée comme avec des enregistrements de capteurs
sont soucieux de dépasser complètement le prototype, mais la durée de sa batterie physiologiques qui repéreraient nos
les limites de la condition humaine, le en rend l’usage limité pour le lifelogging. rythmes cérébraux, le taux de résistance
meilleur moyen de conserver nos souve-
nirs, d’obtenir une supermémoire, c’est
de confier cette dernière aux machines. L’UPLOADING : NOTRE CERVEAU TÉLÉCHARGÉ !
Encore plus étrange (mais plus vie), Hans Moravec n’hésite pas
L’âge du lifelogging ancienne) que l’idée de « reconstruction imaginer la possibilité d’incorporer des
Il existe déjà un mouvement, nommé de la personnalité », la thèse de souvenirs et donc l’identité de

le « lifelogging », qui consiste à mettre l’uploading imagine la possibilité de personnes différentes et même
au point les technologies assurant la transférer l’ensemble des connexions d’animaux ou de créatures non
capture complète de notre vécu ou, pour synaptiques de notre cerveau vers un humaines : nous pourrions bénéficier
employer l’expression que son principal support informatique, sauvegardant ainsi de l’expérience d’un dauphin,
promoteur, l’ingénieur de Microsoft, Gor- ainsi pour toujours l’ensemble de nos d’une chauve-souris…
don Bell, a empruntée à Paul Verhoven, souvenirs et notre personnalité. Une autre option envisageable serait de
favoriser le « total recall ». Aujourd’hui, Une fois accompli l’uploading, de créer des copies de soi (une fois
les disques durs et la mémoire de masse nouvelles portes s’ouvrent, en plus de devenu un fichier informatique, rien n’est
sont devenus si puissants et si peu oné- l’immortalité potentielle. Pourquoi ne plus facile) qui vivraient chacune des
reux que, dans un futur assez proche, pas agir sur notre mémoire comme on expériences différentes avant d’être
on pourrait imaginer de capturer l’inté- « hackerait » un logiciel ? Non seulement refusionnées au sein d’une seule
gralité de notre expérience, de notre on oublierait ce que l’on souhaite individualité. Mais bien sûr, nous voilà
naissance à notre mort. Selon G. Bell, il oublier, mais on pourrait tout aussi bien loin de ce que la science et la
devrait être possible d’acheter vers 2020 créer de nouveaux souvenirs. Dans son technologie permettent aujourd’hui…
des disques durs de 250 terabytes pour livre Mind Children (traduit en français et complètement en dehors de l’humain
une centaine de dollars, ce qui permet- sous le titre étrange de Une Vie après la au sens où nous l’entendons ! n R.S.
trait aisément d’archiver la totalité d’une

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La Neurocam est une petite caméra
portable qui détecte vos émotions et,
tout en analysant les ondes du cerveau,
enregistre automatiquement
les moments les plus intéressants.
Neurocam
électrique de la peau, nos battements avance bien plus lentement que dans la ensemble de souvenirs associé à une
cardiaques…, pour associer nos états création de supports de mémoire ou de matrice de personnalité.
internes avec les stimuli du monde exté- capteurs.
rieur enregistrés par la vidéo. Il existe Pour des aficionados comme G. Bell, pos- Personnaliser le matériau
déjà de nombreux capteurs de ce genre séder une telle « mémoire augmentée » Parmi les adeptes de cette future tech-
dans le commerce, et sur ce point le aurait un impact révolutionnaire : cela nologie, on mentionnera William Bain-
lifelogging rejoint un autre mouvement nous permettrait d’apprécier objective- bridge, coauteur en 2001 du fameux
geek, le Quantifed Self, qui cherche à ment notre comportement ; on pourrait rapport sur les technologies NBIC (nano-
mesurer l’ensemble de nos activités et évaluer par exemple combien de temps technologie-biotechnologie-informatique
paramètres physiologiques, plus à des nous nous tenons assis, avec qui nous -cognition) soumis à la National Science
fins de fitness que pour multiplier nos passons le plus clair de notre temps… Une Foundation (équivalent américain du
capacités mémorielles. recherche conduite avec la SenseCam CNRS), qui popularisa les idées du « trans-
Enfin, on aura peut-être de moins en montre ainsi que les sujets mangeaient humanisme ». W. Bainbridge a récem-
moins besoin de capteurs. Une grande entre 10 % et 17 % de calories de plus qu’ils ment publié chez Springer un ouvrage
partie de notre histoire personnelle est le croyaient. Plus curieux encore : dans sur le sujet, Personality Capture and Emu-
conservée sur le cloud : c’est toute notre une autre étude, on a séparé des sujets en lation. Dans cette optique, le lifelogging
vie en ligne, nos mails, nos navigations deux groupes, les uns tenant un journal fournirait le matériau de base, tandis
sur Internet… Et cela ne va aller qu’en aug- et les autres disposant d’une SenseCam. qu’un système de questionnaires servi-
mentant ! Plus nos vies seront virtuelles et Non seulement les possesseurs de l’ap- rait à mettre au point l’intelligence arti-
plus le total recall deviendra facile… pareil se rappelaient plus aisément les ficielle possédant les traits de caractère
événements récents que ceux ayant tenu propres à la personne « reconstruite ».
Classer et rechercher un journal, mais en plus ils réussissaient Mais à l’origine de l’idée, on rencontre
Mais enregistrer, archiver, ne suffit mieux les tests de mémoire sans rapport une fois de plus G. Bell, qui dès 2000 avait
pas. Encore faut-il classer, retrouver. avec l’expérience en cours ! En bref, il sorti en compagnie d’un autre chercheur
Peut-être est-ce là le plus gros défi posé semblerait que le lifelogging ait amélioré de Microsoft, Jim Gray, un document pour
aux chercheurs en mémoire cyberné- leur mémoire « naturelle ». Microsoft Research appelé modestement :
tique : car il s’agira de créer des espèces Jusqu’où peut aller le total recall ? Jusqu’à « Immortalité numérique » (digital immor-
de moteurs de recherche, capables de l’immortalité ? C’est le fantasme de ses tality). Auparavant, le « pape des hippies »,
fouiller aussi bien les textes que les adeptes. Il suffirait de créer une intelli- Timothy Leary, avait entrepris, alors qu’il
sons ou les images, et susceptibles de gence artificielle dans laquelle on stocke- se savait atteint d’un cancer incurable, de
repérer les données, de les indexer, et de rait tous nos souvenirs, et dont les traits numériser l’ensemble de ses souvenirs et
les mettre en relation les unes avec les de personnalité seraient modelés sur archives, en spéculant qu’un jour il serait
autres : ce qui suppose une intelligence notre caractère. Car, selon cette théorie, possible de les associer à une intelligence
artificielle, un domaine dans lequel on l’identité ne serait autre chose qu’un artificielle. C’était en 1995 ! n

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référence
Les Héritiers,
cinquante ans après
Véritable best-seller de la sociologie française, Les Héritiers,
de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron, mettait en lumière le poids
des transmissions culturelles familiales dans la fabrique des inégalités scolaires.
Cinquante après, ce diagnostic est-il toujours valable ?
X avier Molénat
E
n octobre 1964, un petit relles et leurs conditions de vie, tests
opuscule de 116 pages de maîtrise de la langue d’enseigne-
(hors annexes) paraît aux ment, observations, entretiens… Une
éditions de Minuit. Deux diversité d’approches qui ne donne que
jeunes sociologues, Pierre plus de force à la conclusion majeure
Bourdieu et Jean-Claude de l’ouvrage : les facteurs économiques
Passeron, y rendent compte d’une série (revenus, soutien des parents, nécessité
d’enquêtes sur un thème ne prêtant a de travailler en sus des études…) ne suf-
priori guère à l’emballement : les étu- fisent pas à expliquer, comme on le croit
diants et la culture. Cinquante ans plus souvent à l’époque, « que les taux de “mor-
tard, Les Héritiers est devenu l’un des talité scolaire” puissent différer autant
best-sellers de la sociologie française avec entre les classes sociales ». Ce que P. Bour-
plus de 100 000 exemplaires vendus (1), dieu et J.-C. Passeron mettent en évi-
un titre devenu une expression courante dence, c’est que les classes sociales sont
et une thèse largement vulgarisée sur le Les Héritiers, de Pierre Bourdieu
inégales face aux savoirs que requiert,
rôle de « l’héritage culturel » (notion que et Jean-Claude Passeron, est paru aux sans le demander explicitement, le sys-
cet ouvrage introduit) dans la production Éditions de Minuit en octobre 1964. tème d’enseignement.
des inégalités scolaires et, partant, des Les données d’enquête montrent ainsi que
inégalités sociales. Comment expliquer les étudiants issus des classes supérieures
un tel succès ? éliminait les enfants des classes défavo- fréquentent davantage les théâtres, les
P. Bourdieu le reconnaît lui-même : le risées, on a essayé de dire pourquoi il en concerts, les musées, le cinéma. Pour les
livre « ne disait rien d’extraordinaire ». était ainsi (2) ». deux sociologues, c’est de la famille que
Le constat de l’inégale longueur des viennent ces inégalités : « Les étudiants
scolarités selon le milieu d’origine, qui Une enquête rigoureuse favorisés ne doivent pas seulement à leur
ouvre le livre (on ne retrouve alors que Pour ce faire, les deux sociologues vont, milieu d’origine des habitudes, des entraî-
6 % de fils d’ouvriers dans l’enseignement de manière tout à fait nouvelle pour nements et des attitudes qui les servent
supérieur), était déjà bien établi par les l’époque, s’appuyer sur tout l’arsenal des directement dans leurs tâches scolaires ; ils
démographes. méthodes des sciences sociales : calcul en héritent aussi des savoirs et un savoir-
L’originalité des Héritiers c’est, selon innovant de la probabilité d’accès aux faire, des goûts et un “bon goût” », bref une
P. Bourdieu, d’avoir « dégagé les méca- études supérieures, traitement secon- familiarité avec les savoirs, les savoir-
nismes qui sont au fondement des obser- daire de données administratives sur être et les savoir-faire que valorise le sys-
vations empiriques : on ne s’est pas l’origine sociale des étudiants, enquêtes tème scolaire. Les étudiants des classes
contenté de dire que le système scolaire statistiques sur leurs pratiques cultu- populaires, eux, n’en sont pas totale-

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Haut et court
Jeunes acteurs du film de Laurent Cantet Entre les murs (2008).

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référence
des Héritiers qui a été la plus diffu-

LES COMPLICES SOCIOLOGUES sée et débattue. Dans la France des
années 1960 où les effectifs de l’ensei-
« Bourdieuetpasseron » : dans les années 1960, gnement supérieur ne cessent de croître
les noms de ces deux sociologues n’en font et où l’éducation est perçue comme
presque qu’un, étant donné le succès des livres un facteur majeur de progrès social, le
qu’ils écrivent ensemble : Les Héritiers bien regard désenchanteur de P. Bourdieu et
entendu, mais aussi Rapport pédagogique et J.-C. Passeron est un véritable coup de
communication (avec Monique de Saint-Martin, tonnerre, en particulier après mai 1968.
1965), Le Métier de sociologue (avec Jean-Claude Avec la publication de La Reproduc-
Chamboredon, 1968), sans oublier leur ouvrage tion (1970), qui systématise les analyses
le plus connu, La Reproduction (encadré p. 55). présentées dans Les Héritiers (encadré
Marta Nascimento/Rea
Tous deux ont des trajectoires similaires – en lien p. 55), mais aussi Une société sans école
avec les analyses qu’ils développent. Nés en 1930, d’Ivan Illich (1971) et L’école capitaliste
provinciaux (Pierre Bourdieu est originaire en France de Christian Baudelot et Roger
des Pyrénées-Atlantiques, Jean-Claude Passeron Establet (1972), ce regard alimente un
Pierre Bourdieu (1930-2002). des Bouches-du-Rhône), d’origines plutôt vif débat sur les finalités de l’école et sa
modestes (le premier est fils de facteur, réforme (3). Il contribue à mettre la ques-
le second d’instituteur), ils entrent tous les deux à tion des inégalités au cœur de la sociolo-
l’École normale supérieure et réussissent ce qui gie de l’éducation, qui devient – du moins
était alors le concours le plus prestigieux en France – un champ de recherches
du système scolaire : l’agrégation de philosophie. foisonnant.
Convertis par la suite à la sociologie,
ils seront tous les deux collaborateurs de Raymond étudiant : un métier à part
Aron à la Sorbonne avant d’intégrer l’EHESS. Pourtant, à la lecture des Héritiers, on
Leur collaboration cessera néanmoins au début est surpris de constater que cette par-
des années 1970, P. Bourdieu continuant tie n’occupe… guère plus d’un tiers de
d’explorer avec le succès que l’on sait les diverses l’ouvrage. Les deux autres chapitres,
logiques de la domination sociale, jusqu’à sa mort visiblement moins lus, nous plongent
en 2002. J.-C. Passeron se consacrera, dans une sorte d’ethnographie de la
lui, à la sociologie de la culture (Le Savant condition étudiante, vue comme une
BSA
et le Populaire, avec Claude Grignon, 1989) « expérience irréelle et ludique ». Dressant,

Jean-Claude Passeron.
et à l’épistémologie (Le Raisonnement sociologique, à la manière de Max Weber, l’idéal-type
1991), ce qui lui donne notamment l’occasion de ce que serait « la conduite étudiante
d’exprimer, dans ces deux domaines, parfaitement conforme à la rationalité »,
ses désaccords avec celui qui fut pendant dix ans les deux sociologues montrent qu’elle
son coauteur. n X.M. consisterait à « organiser toute l’action
présente par référence aux exigences de
la vie professionnelle et à mettre en œuvre
ment dépourvus, mais ils dépendent en l’élite est une conquête, chèrement payée ; tous les moyens rationnels pour atteindre,
la matière entièrement de l’institution pour les autres, un héritage qui enferme dans le moins de temps possible, et le plus
scolaire. Or P. Bourdieu et J.-C. Passe- à la fois la facilité et les tentations de la parfaitement possible, cette fin explici-
ron soulignent que, paradoxalement, facilité ». Par ailleurs, ces inégalités sont tement assumée ». En comparaison, la
cette dernière dévalorise ce qu’elle ne perçues comme des différences indivi- réalité du métier d’étudiant s’écarte de
transmet pas elle-même ! Le meilleur duelles, naturelles, ce qui renforce leur toute rationalité. L’affranchissement des
exemple étant l’adjectif « scolaire » qui, efficacité. D’un côté, elles découragent rythmes de la vie familiale et profession-
sous la plume des enseignants, en vient à l’ambition des familles les plus éloignées nelle conduit en effet à un « usage libre et
désigner non pas un travail conforme aux de la culture scolaire (« l’école, c’est pas libertaire du temps » qui transforme sur
attentes de l’institution mais au contraire son truc »). De l’autre, elles légitiment les un mode romantique le temps des études
portant la marque du manque de « vir- « privilèges culturels » des enfants bien nés, en « aventure intellectuelle ». « J’ai une
tuosité », de « talent », dans le maniement « transmués d’héritage social en grâce indi- peine inouïe à m’imposer une discipline,
des références culturelles. Bref, « pour viduelle ou en mérite personnel ». une méthode de travail », dit ainsi l’un
les uns, l’apprentissage de la culture de C’est cette partie de l’argumentation des étudiants interviewés. « Les images

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les plus illogiques du travail » prospèrent l’appel des sociologues, en conclusion,
LA REPRODUCTION.
ainsi dans un monde universitaire qui à l’invention d’une « pédagogie ration-
Éléments pour une théorie
fait de l’apprentissage non plus un moyen nelle », qui expliciterait les « exigences
du système d’enseignement (1970)
de se préparer à un métier, mais une réciproques des enseignants et des ensei-
fin en soi : « Si l’étudiant en philosophie gnés » et mettrait en œuvre « l’organi- Reprenant les enquêtes
ne s’apparaît pas et ne peut s’apparaître sation des études la mieux faite pour sur l’éducation – dont
comme futur professeur de philosophie, permettre aux étudiants des classes défa- Les Héritiers – menées
c’est qu’il a besoin d’oublier cet aboutisse- vorisées de surmonter leur désavantage ». par Pierre Bourdieu,
ment pour y atteindre. » Permettant ainsi de « livrer à tous cet Jean-Claude Passeron et
La relation pédagogique entre les étu- ensemble de “dons” sociaux qui consti- leurs collègues dans les
diants et l’enseignant se fonde bien tuent la réalité du privilège culturel ». années 1960,
davantage sur le charisme de ce der- La Reproduction leur
nier, sa virtuosité et sa capacité à être un Un constat périmé ? donne, comme l’indique
« maître à penser », que sur ses talents de À sa sortie, le livre fut tièdement accueilli son sous-titre, un tour
pédagogue. Selon P. Bourdieu et J.-C. Pas- par la communauté scientifique. Si on nettement plus théorique. Le livre
seron, un professeur qui s’astreindrait à reconnaissait l’indéniable originalité introduit notamment le concept de
enseigner les techniques du travail intel- de la thèse, on reprochait l’absence de violence symbolique. Les
lectuel (définition des concepts, éléments dimension historique dans les analyses : sociologues désignent par là « tout
de rhétorique et de logique, manière les inégalités mises en évidence ont-elles pouvoir qui parvient à imposer des
d’établir une fiche ou de constituer une toujours existé ? Par ailleurs, comment significations et à les imposer
bibliographie) « abdiquerait son autorité généraliser à tout le système scolaire une comme légitimes en dissimulant les
de “maître” pour apparaître aux yeux analyse portant, il faut le rappeler, sur les rapports de force qui sont au
des étudiants atteints dans leur image seuls étudiants de lettres ? fondement de sa force », ajoutant
d’eux-mêmes comme un maître d’école Une question on ne peut plus actuelle, par cette opération « sa propre force
égaré dans l’enseignement supérieur ». étant donné les bouleversements qu’a aux rapports de force ».
Ce mépris partagé de la pédagogie, de connus l’enseignement : mise en place du Pour P. Bourdieu et J.-C. Passeron,
l’explicitation des méthodes de travail et collège unique (1975), élargissement de « toute action pédagogique est
des principes de jugement professoral l’accès au baccalauréat, « massification » objectivement une violence
explique, selon eux, le rapport propre- de l’enseignement supérieur, diversifi- symbolique ». Lorsque, par exemple,
ment magique à l’examen que déve- cation des filières, déclin du prestige des un élève issu des classes
loppent les étudiants : notes jamais relues études de lettres en faveur des études populaires dit « je ne suis pas bon
(« d’ailleurs c’est illisible », témoigne une scientifiques… De nombreux chercheurs en français », il reconnaît comme
étudiante), « révision fiévreuse » la veille ont alors voulu sortir du cadre jugé trop légitime l’enseignement qui lui est
du jour fatidique, rites de pronostication écrasant offert par le couple Les Héritiers/ prodigué en la matière, et se rend
des sujets, stratégies de placement de la La Reproduction. Ils se sont alors intéres- responsable de son échec.
copie après celle d’un cancre… sés aux différences de performance entre Il méconnaît par là le fait qu’il est
professeurs, ou entre établissements. moins armé que les enfants des
La défense d’une D’autres, comme François Dubet, se classes dominantes pour maîtriser
« pédagogie rationnelle » sont intéressés, à partir d’observations et un savoir que ces derniers
Cette critique de « l’irrationalité » du d’entretiens, à « l’expérience » subjective acquièrent largement via
cursus universitaire vient approfondir des élèves, en refusant de la réduire au l’éducation familiale.
la critique des inégalités devant l’école produit de l’héritage familial et des iné- La Reproduction, qui laisse
menée par P. Bourdieu et J.-C. Passeron. galités entre classes sociales (4). D’autres transparaître une vision nettement
Selon eux, ces inégalités ne se jouent pas encore se sont penchés sur les politiques plus fataliste et implacable des
seulement dans les décalages ou affi- éducatives, ou plus récemment sur la inégalités devant l’école que
nités entre culture familiale et culture manière dont les modifications de la Les Héritiers, a connu également
scolaire, mais également dans les moda- carte scolaire peuvent engendrer des un grand succès. À tel point que le
lités mêmes de l’enseignement, puisque comportements stratégiques chez les second ouvrage, pourtant antérieur,
« les étudiants des classes cultivées sont parents. sera rétrospectivement lu comme
les mieux (ou les moins mal) préparés à Le constat des Héritiers n’est-il donc pas une illustration empirique
s’adapter à un système d’exigences diffuses définitivement daté ? En fait, si l’on a de la théorie développée
et implicites puisqu’ils détiennent, impli- changé d’époque, les logiques décrites dans le premier. n X.M.
citement, le moyen d’y satisfaire ». D’où semblent être toujours à l’œuvre. D’une

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référence
Trois quesTions à… sTéphane Bonnéry y
« Les inégalités, un point aveugle pour l’école »

Vous avez participé récemment à un l’habitude de poser à leurs enfants des
vaste séminaire interlaboratoire (1) questions rhétoriques (« Comment ça
intitulé « Cinquante après s’appelle ? »), de solliciter leur avis de
Les Héritiers ». Pouvez-vous nous dire manière fondée (« Qu’en penses-tu ?
quels en étaient les objectifs ? Qu’est-ce qui t’amène à le penser ? »), les
Ce séminaire a réuni des chercheurs préparant d’autant mieux aux appren-
de différentes générations, notamment tissages scolaires, alors que cela se fait
des jeunes qui n’ont pas été les élèves plus rarement quand les parents n’ont
de Pierre Bourdieu ou de Jean-Claude pas fait d’études. Or, cela reste un point
Passeron, qui souhaitaient se ressaisir aveugle pour l’école ; cette « indifférence
des enjeux que soulevait cet ouvrage. Il aux différences », comme le disait déjà
y a notamment dans ce livre un mariage Les Héritiers, reste une source majeure
ambit ieu x d’enquêtes empiriques d’inégalités.
variées – quantitatives (statistiques, Par ailleurs, depuis une quinzaine
questionnaires) et qualitatives (entre- d’années, s’est développé un autre fac-
tiens, observations) – venant appuyer teur d’inégalités, qu’avaient effleuré P.
Pierre Pytkowicz
un propos théorique. S’inspirer de cet Bourdieu et J.-C. Passeron : les exigences

ouvrage est un moyen de monter en dénivelées, c’est-à-dire le fait de se rési-
généralité à partir des constats que les gner à donner des tâches « plus faciles »
différentes recherches cumulent. Les aux élèves en difficulté. Autrement dit :
Héritiers parvenait également à articu- Stéphane Bonnéry puisque c’est difficile, n’enseignons pas
ler une sociologie de la culture et de sa Maître de conférences en sciences de la même chose à tous (par exemple, les
transmission, une sociologie de l’école l’éducation à l’université Paris-VIII, programmes de la scolarité obligatoire
et des questions pédagogiques, une membre du laboratoire Circeft/Escol, divisent ce qui relève du « socle com-
il a notamment publié
sociologie de l’engagement et une socio- mun » et ce qui est optionnel).
Comprendre l’échec scolaire. Élèves en
logie des classes sociales. Là encore,
difficultés et dispositifs pédagogiques
c’est une piste pour éviter aujourd’hui (La Dispute, 2007).
Vous proposez par ailleurs une
l’hyperspécialisation de la recherche. « sociologie de la pédagogie »
Les Héritiers peut donc à bien des égards qui s’intéresse aux dispositifs
inspirer la recherche aujourd’hui. d’apprentissage mis en œuvre au

aujourd’hui, celle de jeunes issus de quotidien dans les classes d’école.
Mais l’analyse ne correspond-elle pas classes sociales différentes, confrontés En quoi Les Héritiers est-il
à un état dépassé du système scolaire ? à des contenus et des modes de rai- utile à cette tâche ?
Évidemment, l’école et l’université ont sonnements attendus qui sont ensei- Effectivement, en mettant en évidence
profondément changé. Outre la massi- gnés comme s’ils étaient familiers de l’importance de la « pédagogie impli-
fication et l’allongement des scolarités, chacun. Pourtant, les attendus de la cite » – selon le terme de P. Bourdieu et
notamment au sein des classes popu- culture savante continuent à ne pas J.-C. Passeron –, autrement dit ces « pré-
laires, les contenus enseignés se sont être transmis dans toutes les familles. requis » de l’enseignement que l’école
nettement complexifiés. Il y a cinquante Certains parents font mettre la table n’enseigne pas, Les Héritiers invitent à
ans, on demandait aux élèves de cours à leur enfant simplement pour qu’ils traquer la fabrique des inégalités dans
moyen de connaître par cœur la vie de donnent un coup de main ; d’autres, l’ordinaire des manières de faire classe.
Louis XIV ; aujourd’hui, ils doivent maî- inversement, y trouvent également Par exemple, en CM2, lors d’une séance
triser le concept d’absolutisme ! l’occasion de travailler la latéralisation de géométrie que j’ai observée (2), les
Reste que les outils théoriques pro- (« la fourchette se met à gauche, le cou- élèves sont invités à découper des
posés dans Les Héritiers sont toujours teau à droite »). Ces derniers parents, triangles sur une feuille photocopiée, à
pertinents pour analyser la situation plus souvent diplômés, ont sans doute les plier et à les coller dans les colonnes

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référence
part, d’un point de vue statistique, on s’occupent guère du travail person-

sait en effet que les inégalités scolaires se nel, se contentant de donner de vagues
sont davantage déplacées que résorbées, orientations en fin de cours (« vous pou-
les classes supérieures se réfugiant dans vez essayer de terminer la démonstra-
les filières les plus prestigieuses (classes tion »). Surtout, n’envisageant pas les
d’un tableau selon qu’ils ont aucun, un préparatoires, grandes écoles, méde- étudiants autrement que comme futur
ou plusieurs axes de symétrie. Comme cine…) alors que les classes populaires collègue s’engageant dans de longues
c’est de plus en plus souvent le cas, ce parvenaient enfin à entrer à l’univer- études, ils ne semblent pas concevoir
qui est présenté comme une activité sité – non sans grandes difficultés (taux leur rôle autrement que celui d’une
manuelle est implicitement supposé d’abandon élevés en premier cycle) –, ou « sensibilisation à une posture intellec-
enclencher une activité intellectuelle : se contentaient de cursus courts (5). tuelle ou l’enclenchement d’une voca-
il ne s’agit pas seulement de coller les D’autre part, l’importance de la transmis- tion ». Loin des attentes, sans doute plus
triangles, mais de les classer. Or, aussi sion d’un héritage culturel, inégal selon pragmatiques, d’un public qui pour
évident que ce passage puisse paraître, l’origine sociale, n’est pas démentie. Des l’essentiel ne dépassera pas le niveau
tous les élèves sont loin de pouvoir l’opé- recherches sur les cas atypiques de réussite licence – s’il n’a pas échoué avant…
rer, car il est resté non formulé : pour les en milieu populaire, ou à l’inverse d’échec Les transformations du système scolaire
manuels qui modèlent les séances et d’héritiers (6), ont conduit à nuancer le depuis cinquante ans appellent donc un
pour les enseignants qui les utilisent, caractère systématique de cette transmis- constat lampedusien : tout a changé…
l’opération va souvent de soi. sion : la présence ou non d’une culture de Mais rien – ou si peu – n’a changé. C’est
On remarque qu’à la fin de l’exercice, l’écrit (listes, agendas, calendriers) au sein pourquoi le livre continue de figurer
l’enseignant sollicite d’abord les élèves du foyer, d’un « climat de confiance », d’un parmi les incontournables de la sociolo-
les plus fragiles, pour de simples ques- intérêt des deux parents pour la vie sco- gie de l’éducation – voire de la sociologie
tions de constat (« ces triangles ont laire de l’enfant font des différences « toutes tout court. Comme le note F. Dubet,
un axe de symétrie »), puis les élèves choses égales par ailleurs ». Mais c’est encore il n’existe toujours pas d’autre théorie
connivents, seuls en mesure d’identifier là une façon de montrer combien la trans- « aussi large et cohérente », « qui soit à
les savoirs attendus (« ce sont tous des mission reste cruciale, tant les apprentis- la fois une théorie de l’école, une théorie
triangles isocèles donc j’en conclus que sages scolaires continuent de s’appuyer de la mobilité sociale, une théorie de la
les triangles isocèles ont pour propriété sur des savoirs que l’école ne transmet pas société et une théorie de l’action (8) ». Les
d’avoir un axe de symétrie »). « L’indif- (entretien ci-contre). Héritiers, un jeune quinquagénaire qui
férence aux différences » et les attentes ne fait pas son âge. n
dénivelées peuvent donc cohabiter au Le charismatique disparu
sein des mêmes pratiques enseignantes. Concernant enfin la relation entre étu-
C’est pourquoi, à mon sens, l’appel final diants et enseignants, les choses ont (1) Philippe Masson, « Premières réceptions et
diffusions des Héritiers (1964-1973) »,
des Héritiers à l’invention d’une pédago- davantage évolué. La sociologue Joëlle
Revue d’histoire des sciences humaines, n° 13,

gie rationnelle, qui travaillerait à lever Burgin, qui a observé des cours de 2005/2.
les implicites et à faire acquérir à tous les première année d’université dans des (2) Pierre Bourdieu, « Retour sur la réception des
dispositions nécessaires aux apprentis- disciplines variées, montre que le pro- Héritiers et de La Reproduction », Inter, n° 82, 2002.
sages, n’a rien perdu de son actualité et fesseur « charismatique », virtuose du (3) Louis Weber, « Les Héritiers et La Reproduction
dans les débats des années 60-70 », Savoir/agir,
des tentatives pour la mettre en œuvre, verbe dédaignant les attentes de son
n° 17, 2011/3.
à rebours des logiques actuelles, pour- public, a pour ainsi dire disparu (7). Tous (4) François Dubet et Danilo Martuccelli, à l’école.
raient aider les enseignants. n ceux qu’elle a pu observer se soucient au Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil,1998.
ProPos recueillis Par X.M. contraire de la bonne compréhension (5) Voir le dossier « Les classes populaires dans
de l’auditoire. Prenant soin de vérifier l’enseignement supérieur », Actes de la recherche
en sciences sociales, n° 183, 2010/3.
les préacquis, ils proposent, sauf excep-
(6) Bernard Lahire, Tableaux de famille. Heurs et
tion, des cours structurés, font usage de malheurs scolaires en milieux populaires, rééd. Seuil,
documents imprimés, de diaporamas. Ils coll. « Points », 2012 ; Gaëlle Henri-Panabière, Des
(1) Stéphane Bonnéry, « D’hier à aujourd’hui, les enjeux encadrent soigneusement les étudiants, héritiers en échec scolaire, La Dispute, 2010.
d’une sociologie de la pédagogie », Savoir/agir, n° 17, (7) Joëlle Burgin, « Regard sur le travail
dictant parfois les cours, supervisant les
septembre 2011. des enseignants universitaires 50 ans après
(2) Stéphane Bonnéry, « Scénarisation des dispositifs
exercices lors des travaux dirigés, « ras-
Les Héritiers », communication au séminaire « 50 ans
pédagogiques et inégalités d’apprentissage », surent, encouragent, valorisent souvent les après Les Héritiers », Paris, 5 juin 2014.
Revue française de pédagogie, n° 167, avril-juin 2009. réponses et prestations étudiantes ». (8) François Dubet, « Le sociologue de l’éducation »,
Mais leurs efforts s’arrêtent là : ils ne Le Magazine littéraire, n° 369, octobre 1998.

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Livre du mois
Portrait de l’historien
en écrivain
À la littérature, la fiction et la subjectivité. Aux sciences sociales, le factuel et l’objectivité.
Et si cette partition, née à l’époque scientiste, nuisait à la compréhension du passé ?
Martine Fournier
P endant longtemps, un grand

partage a régné entre les
sciences sociales et la littéra-
pel du Goulag) qu’à travers de
pesantes études académiques ?
en France et déportés pendant
l’Occupation. Une quête per-
sonnelle alliée à une enquête
ture. Un partage qui perdure
encore aujourd’hui, « une struc-
turation de l’imaginaire savant »
C’ est à une rude tâche que
s’attelle l’historien Ivan
Jablonka : réconcilier un couple
historique, écrite à la première
personne, qui lui valut son habi-
litation à diriger des recherches
qui suppose une incompatibilité interdit mais qui, de tout temps, avec félicitations du jury.
entre la science, réservée au a entretenu des liaisons clan-
factuel alors que la littérature ne
serait que fiction. Pourtant, lire
un livre de sociologie sur la
destines. Autrement dit, marier
les sciences sociales (l’histoire,
la sociologie, l’anthropologie) et
D epuis l’Antiquité, explique
I. Jablonka avec force
détails, les tenants d’une historia
condition de vie des pauvres la littérature, en montrant que la nuda, « sobre, simple et directe »
demande parfois un effort méri- rigueur de la méthode n’interdit (selon Jean Bodin, philosophe
tant, alors qu’un roman sur le pas la création littéraire et que de la Renaissance) combattent
même sujet, avec son intrigue, les premières auraient tout à y l’histoire-éloquence, l’histoire-
ses personnages et le point de gagner : « Contribuer par l’écri- panégyrique (défendue par
vue de l’auteur nous aura peut- ture à l’attrait des sciences Cicéron), hagiographique
L’Histoire est être plus marqués et plus ins- sociales peut être une manière lorsqu’elle élève des monu-
une Littérature truits. Et beaucoup d’entre nous de conjurer le désamour qui les ments aux princes, romantique
contemporaine n’ont-ils pas alimenté leur culture frappe à l’université comme lorsqu’avec Jules Michelet, elle
manifeste pour historique de somptueux dans les librairies », mentionne- exalte le sentiment national…
les sciences sociales
romans ? Walter Scott et son t-il. Mais c’est au XIXe siècle que
Ivan Jablonka
Ivanhoé, Honoré de Balzac et Passionnante réflexion historio- s’opère la « grande séparation ».
Seuil, 2014, 340 p., 21,50 €. ses Chouans, Émile Zola et ses graphique, très concrètement En pleine ère scientiste, des his-
mineurs de la révolution indus- exposée à l’aide d’innombrables toriens comme Gabriel Monod,
trielle (Germinal), Marguerite exemples, ce livre est en fait le Charles-Victor Langlois ou
Yourcenar et le monde des soubassement théorique d’un Charles Seignobos dressent le
empereurs romains (Mémoires précédent. Dans son Histoire programme d’une histoire positi-
d’Hadrien)… N’avons-nous pas des grands-parents que je n’ai viste, qui se limite à établir des
mieux compris les horreurs de la pas eus (2012), I. Jablonka se faits, expulse le « je » de l’auteur et
Shoah à travers les récits de livrait à la reconstitution de la vie prône un point de vue universel.
Primo Levi ou de Claude Lanz- de ses grands-parents qu’il n’a L’histoire devient une méthode
mann, l’enfer des goulags avec jamais connus, couple de Juifs visant un discours de vérité.
Alexandre Soljenitsyne (L’Archi- polonais communistes réfugiés Devenue discipline universitaire,

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Livre du mois
P rof i l des historiens et des philo-

sophes comme Paul Veyne,
u
Jacques Rancière, Paul Ricœur « L’intelligence du passé a besoin d’intrigue,
ou Michel de Certeau montrent
que « l’intelligence du passé a
de mise en scène, de descriptions,
besoin d’intrigue, de mise en de portraits et de figures de style. »
scène, de descriptions, de por-
traits et de figures de style. » u
Outre-Atlantique, Hayden White
Hermance Triay
initie le linguistic turn, courant a besoin d’imagination archi- térature du réel » est née à la fin
selon lequel l’histoire n’est qu’une vistique, d’originalité concep- du XXe siècle.
construction discursive parmi tuelle, d’audace explicative, Reportages, enquêtes, témoi-
Ivan Jablonka
d’autres. Un tel discours fournit, d’inventivité narrative. » gnages, récits de vie fleurissent
né en 1973, Ivan Jablonka par son relativisme, des armes La froide objectivité du savant, sur les rayons des librairies,
est professeur d’histoire à aux négationnistes. Des histo- par exemple, n’est qu’illusion. « Le offrant une véritable compré-
l’université Paris‑XIII. riens comme Carlo Ginzburg ou mode objectif, fondé sur l’expul- hension du monde, du progrès
Il dirige la collection Roger Chartier montent alors au sion du “je”… est une fiction de ou de la misère, du crime ou du
du Seuil « la librairie du front pour réaffirmer la mission méthode : personne n’ignore que terrorisme… Nous connaissons
XXI e siècle ». Sa thèse de recherche de vérité qui fonde c’est l’historien qui parle, décrit, la société américaine et ses vio-
d’habilitation à diriger des le travail historien. Il n’empêche énonce… », pour répondre à une lences à travers les romans d’un
recherches – sommet de la qu’en tentant d’assimiler l’histoire question qu’il se pose. Philip Roth ou d’un James Ellroy.
consécration académique à une fiction, la « cuve acide du L’implication personnelle du Tom Wolfe, auteur du Bûcher
dans l’université française – linguistic turn » prolonge la chercheur ne doit pas être élu- des vanités, best-seller qui
est en fait le récit d’une méfiance des historiens pour dée, mais au contraire reposer décrivait l’euphorie de l’argent
quête et d’une biographie tout ce qui ressort du narratif. sur une description de sa posi- facile dans les années 1980, se
familiale. L’Histoire des tion. Le « je » est « une modestie réclame de ce nouveau genre
D
grands-parents que je n’ai e grands historiens du épistémologique » qui permet de littéraire et la creative non-fic-
pas eus (Seuil, 2012) a été XXe siècle pourtant ne se le situer, de repérer sa filiation et tion est enseignée dans les uni-
plusieurs fois primé. sont pas privés d’user de « la son système de valeurs. versités américaines.
Il vient de publier charge démonstrative de la Et l’auteur élargit ce constat à Les temps sont mûrs, conclut
L’Histoire est une littérature littérature ». En pleine période toutes les sciences sociales. I. Jablonka, pour de nouvelles
contemporaine. Manifeste des Annales, Georges Duby Dans Tristes Tropiques (1955), écritures du savoir qui réconci-
pour les sciences sociales livrait un portrait de Guillaume Claude Lévi-Strauss raconte lient sciences sociales et littéra-
(Seuil, 2014). le Maréchal (1984) qui se lit son enfance, la préparation de ture, mais aussi productions
comme un roman de cap et son voyage, ses sentiments qui audiovisuelles ou autres témoi-
d’épée. Et dans son Histoire oscillent entre enthousiasme et gnages sur le Web. Il n’est que
elle veut s’ériger en véritable de la Méditerranée au temps ennui, ses anecdotes d’aventu- de citer l’initiative de l’historien-
science. Exit les « microbes litté- de Philippe II, Fernand Brau- rier. Trente ans plus tard, le sociologue Pierre Rosanvallon
raires » qui polluent la connais- del offrait une fresque gran- grand anthropologue se deman- « Raconter la vie » dont les livres
sance pure (on est en pleine diose, avec mise en intrigue, dera s’il n’y a pas livré dans ce et le site proposent « un roman
époque pasteurienne). L’histoire métaphores et autres procé- livre une vérité plus grande que vrai de la société d’aujourd’hui ».
méthodique sonne « l’adieu à la dés littéraires. dans ses ouvrages plus théo- Et l’on pourrait multiplier les
littérature », qui va marquer les Dans sa longue partie consa- riques « parce qu’il a réintégré exemples. Sous-titré « Manifeste
esprits jusqu’à nos jours. crée au raisonnement histo- l’observateur dans l’objet de pour les sciences sociales »,
Dans les années 1980, de vifs rique, I. Jablonka veut dépous- son observation ». l’ouvrage d’I. Jablonka, offre un
débats resurgissent à propos de siérer les pratiques de la La littérature ne se prive pas non stimulant programme pour les
l’usage du récit en histoire et recherche. « L’histoire est avant plus de faire de l’histoire, de jeunes générations de cher-
dans l’ensemble des sciences tout une manière de penser, l’anthropologie, de la sociolo- cheurs… Le lecteur ne s’en
sociales. En France notamment, une aventure intellectuelle qui gie… Pour I. Jablonka, « une lit- plaindra certainement pas ! n

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Livres
Sociologie
«P lus une discussion en

ligne dure longtemps,
plus la probabilité d’y trouver
Smet, le point Godwin est aussi
le symptôme de l’impuissance
des démocraties actuelles à se
démocratiques un peu fatigués,
F. de Smet met en garde : « Le
nouveau totalitarisme n’aura
une comparaison impliquant les passer de la figure du mal plus, demain, les atours d’une
nazis ou Hitler se rapproche de absolu. Comme un épouvantail, petite moustache et d’une
un. » Telle est la proposition les spectres du nazisme et de la mèche. Il ne s’appellera certai-
énoncée par avocat new-yorkais Shoah se dressent encore, nement plus nazisme ou fas-
nommé Mike Godwin. Devenue signes de notre impuissance à cisme. Mais il prendra à coup
une loi qui porte son nom, sa dépasser l’opposition définitive sûr l’image de la force. Il se pro-
formule reprend en fait une idée du bien et du mal, nostalgiques posera de replier le chaos du
avancée par le politologue Leo que nous serions d’un partage monde sur une ou deux idées
Strauss dès 1953, la reductio ad radical des valeurs. Avec Hitler, simples (…). Et, une fois encore,
reductio Hitlerum, procédé qui consiste au moins, les choses étaient sa séduction sera
Ad hitlerum à clouer le bec d’un interlocuteur simples, quand bien même irrésistible. » n
une théorie du en assimilant son argumentation d’autres génocides ont été Thierry Jobard
point Godwin aux thèses du national-socia- depuis perpétrés. Selon l’auteur,
françois de smet lisme. Rapprocher une opinion le point Godwin est également À signaler
Puf, 2014, 164 p. 15 €. de celle des nazis, c’est à la fois le signe d’un refoulement par le ZonArds
la disqualifier et couper court à politiquement correct d’une peur une famille de rue
toute discussion, marquant la de la meute, de la force brute sur tristana Pimor
limite au-delà de laquelle on ne laquelle s’est appuyé le nazisme Puf, 2014, 218 p., 22 €.
peut plus parler. Cette limite, pour prendre le pouvoir. Or les PArents-enfAnts : vers
donc, est ce que l’on appelle le forces brutes n’ont pas disparu, une nouvelle filiAtion ?
« point Godwin », soit pour l’évi- simplement recouvertes qu’elles Questions de droit et
de société
ter, soit pour le franchir et bas- sont par un vernis de démocra-
claire neirinck et martine Gross
culer alors dans l’émotionnel et tie. Face aux incertitudes, aux La Documentation française,
l’irrationnel. Selon François de doutes, face à l’ennui de régimes 2014, 190 p., 7,90 €.
À la veille de la récente
Coupe du monde au Brésil,
directement centré sur le fiasco
de la Coupe 2010.
garde biberonnée à la fierté
populaire et ces jeunes pousses
les sondages faisaient encore À partir de données de seconde plus proches du quartier que de
le constat d’une fracture entre main, ils entreprennent de l’usine.
l’équipe de France de football déconstruire l’idée d’une « crise Ces tensions se ressentent au
et l’opinion. morale » du football français et sein de l’équipe de France
Revenant sur cette impopularité font l’historique de ses muta- – « miroir de la société fran-
atténuée depuis par le succès tions. Ils dressent le portrait çaise » – et expliquent, selon eux,
relatif des Bleus, Stéphane d’un milieu déboussolé par la les nombreuses turbulences
Beaud et Philippe Guimard mondialisation, dans lequel les qu’elle a traversées ces dernières
posent une question simple : ce joueurs sont mis face à des années.
divorce était-il imputable, enjeux financiers qui les Au final, la conclusion des
comme le suggéraient les dépassent. auteurs est formelle : le foot
Affreux riches
médias, aux joueurs eux-mêmes Ils évoquent également l’origine français n’est pas particulière-
et méchAnts ?
ou à des facteurs plus géné- sociale des footballeurs et la ment en crise. Il est juste en ten-
un autre regard
raux ? Dans Affreux, riches et transition d’un recrutement tradi- sion entre son berceau national
sur les Bleus
méchants, les deux sociologues tionnel en milieu ouvrier vers une et les mutations provoquées par
stéphane Beaud et
Philippe Guimard développent les conclusions surreprésentation des jeunes de son développement et son
La Découverte, 2014, formulées dans un précédent cités. En résulte un choc des rayonnement international. n
278 p., 12,50 €. livre, Traîtres à la Nation, plus ethos inévitable entre une vieille Tomas sTaTius

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Livres
à part entière de la famille, il dans ce petit ouvrage sont

a cessé d’être un nombreuses et diverses.
domestique pour entrer dans l’une d’entre elles semble
À signaler
le cénacle des animaux de plus particulièrement chère
compagnie », explique le à son auteur. la relation lA jeune socioloGue
urBAine frAncoPhone
sociologue. la place du fusionnelle qu’entretient retour sur la tradition
chien évolue, et un véritable avec le canidé la frange la et exploration
de nouveaux champs
marché cynophile s’est mis plus précarisée de la jean-Yves Authier,
en place. « Le bien de population fait l’objet d’une Alain Bourdin et
marie-Pierre lefeuvre (dir.)
consommation “chien” analyse plus détaillée. dans Presses universitaires de
Lyon, 2014, 240 p., 20 €.
possède (…) une valeur la rue, c. Blanchard en a été
les mAîtres
commerciale, qui varie le témoin, le chien peut les ABAndonnés de
exPliQués à lA réPuBliQue
leurs chiens suivant les races, les retrouver un rôle essentiel : vie et mort
essai de sociologie époques, les pays et les il est, pour certains routards, des Amérindiens
de Guyane française
canine modes. » le phénomène sdf et autres précaires, un Yves Géry, Alexandra
christophe Blanchard
atteint des sommets : un « compagnon naturel qui leur mathieu et christopher
La Découverte, 2014, Gruner
158 p., 14 €. véritable délire semble permet de survivre ». n
Albin Michel, 2014, 340 p.,
entourer l’animal de marie deschamps 22,50 €.
compagnie. depuis
«Y orkshire, labrador,
bichon à poil frisé,
quelques années, des hôtels
COLLOQUE
DES ANIMAUX
pour chien voient le jour. en
husky, pitbull ou rottweiller, 2012, un d Pet hotel a
la population canine
française dépasse en France
ouvert en plein cœur de
manhattan : 50 chambres
ET DES HOMMES
les 7 millions d’individus. » HÉRITAGES PARTAGÉS,
coûtant de 79 à 200 dollars
c’est, écrit christophe
FUTURS À CONSTRUIRE
la journée. sur place :
Blanchard, le « triomphe de télévision à écran plat,
l’animal de compagnie ». il lecteur dvd, parc de jeux et LE 27 NOVEMBRE 2014, À PARIS

n’en a pourtant pas toujours même salon de manucure
été ainsi. historiquement, pour griffes. Au Brésil, ce INTRODUIT PAR BERTRAND HERVIEU,
différentes tâches ont été SOCIOLOGUE ET VICE-PRÉSIDENT DU CGAER
sont les love hotels, sorte
confiées aux chiens : garde, Une réflexion philosophique, historique et anthropologique
de maisons de passe pour sur la pluralité des relations que notre société entretient
chasse, traction. mais la gent canine, qui avec les animaux.
aujourd’hui, « le chien s’est fleurissent. Pour une Quels futurs pour ces relations en prenant en compte à la fois
les devoirs des sociétés vis-à-vis des animaux et nos relations
complètement cinquantaine de dollars, les nourricières, réelles, imaginaires et symboliques ?
métamorphosé. Il est maîtres peuvent ainsi laisser
exclusivement un artefact de POUR AVOIR LE PROGRAMME ET S’INSCRIRE :
s’ébattre leur « progéniture »
www.lemangeur-ocha.com
luxe et d’agrément dans une canine en toute discrétion,
société devenue sous l’œil averti des En partenariat avec
suffisamment prospère pour tenanciers du lieu,

ne plus avoir à compter sur biologistes ou vétérinaires.
sa force de travail. Membre les pratiques évoquées

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Livres
PSychologie
C hercheur en psychologie de
l’enfant, Olivier Houdé
peaufine au fil des années sa
qui permet de faire barrage aux
erreurs de la pensée spontanée
et de laisser la place à la réflexion.
intelligent. Le problème, c’est que
rien n’est jamais gagné : « le déve-
loppement de l’intelligence est
théorie du développement cogni- Cette capacité d’inhibition, qui biscornu, dynamique et acci-
tif. Comment éviter les erreurs de s’observe aujourd’hui grâce à denté », écrit le chercheur. Biais
raisonnement qui, de la petite l’imagerie cérébrale, se traduit cognitifs, stéréotypes, croyances
enfance à l’âge adulte, conduisent par un développement et une sont toujours en embuscade,
à tomber dans les pièges que activation du cortex préfrontal. aussi bien dans le raisonnement
nous tend notre cerveau ? Le Voici des années qu’O. Houdé de l’enfant que dans les « déci-
psychologue Daniel Kahneman a l’étudie dans ses laboratoires sions absurdes » de l’adulte, bien
identifié deux systèmes de pen- avec d’autres chercheurs, chez décrites par le sociologue Chris-
APPrendre sée : le premier plus rapide est les nourrissons et à tous les âges tian Morel, ou même dans les
à résister guidé par l’intuition mais peut de la vie. choix économiques qui mena-
olivier houdé
produire des erreurs, le second, Dans ce petit livre qui intéressera cent la planète de destruction…
Le Pommier, 2014,
94 p., 10 €. plus lent, fait appel à la logique beaucoup de parents, il explique Bref, à tous les âges, la résis-
(Système 1/Système 2. Les deux très pédagogiquement en quoi tance cognitive doit, selon l’au-
vitesses de la pensée, Flamma- l’inhibition est un élément indis- teur, s’exercer, et cela sera d’au-
rion, 2012). Pour O. Houdé, il faut pensable du développement tant plus aisé que l’on aura pris
prendre en compte un troisième cognitif. Autrement dit, résister l’habitude dès l’enfance de bien
facteur dans l’aptitude à raison- aux heuristiques de jugement la faire fonctionner. n
ner juste : la capacité d’inhibition, rapide, c’est apprendre à être marTine Fournier
ScienceS du l A ng Age
s exe, sexualité, érotisme, pornographie,
pornèmes (termes proprement
pornographiques), pornonymes (pseudo des
apparaît comme un lieu de vente et de lecture,
mais également un espace de création et de
diffusion de la littérature pornographique.
acteurs et des réalisateurs de x), le l’analyse des blogs des professionnels de la
vocabulaire abonde et se multiplie pour parler pornographie donne accès à des récits à la
de nos corps et des rapports sexuels, choses première personne, acteurs précieux pour qui
les plus ordinaires de la vie. cependant, parler veut s’intéresser sérieusement à cet univers.
de sexe et de pornographie produit toujours « Plutôt qu’une pornographisation condamnable
un sentiment contradictoire, mêlant rejet et et condamnée, l’extension de la pornographie
envie, empreint de pensées normatives. la via le Web et les outils et objets semble
tâche que s’est donnée la linguiste marie-Anne permettre en effet une intégration de la
le discours Paveau est de comprendre ce que dit le sexualité à la vie humaine, sous toutes ses
PornoGrAPhiQue discours pornographique, en se tenant à formes, et en particulier les moins normatives. »
marie-Anne Paveau l’écart de tout jugement de valeur. si la Par la technopornographie, les êtres sexuels
La Musardine, 2014,
pornographie est un discours, il existe donc un que nous sommes peuvent vivre au grand jour
394 p., 18,50 €.
registre pornographique et celui-ci est amené leur sexualité hors de la morale qui la
à évoluer rapidement en lien avec les condamne. la pornographie est donc une
nouvelles technologies. l’essor des livres question éminemment politique et son étude
numériques et le Web 2.0 ont entraîné une l’éclaire sous un jour nouveau, qui peut à
extension et une diversification des discours terme faire bouger les choses. n
et des productions pornographiques. l’internet morgan donoT

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Livres
SociÉTÉ
Favoriser
sont pas uniquement des l’attention au travail,
contraintes, mais aussi les
conditions de l’identité de
éviter la dispersion :
chacun. En refusant un nouvel enjeu managerial
d’accepter ses propres
limites, l’humanité ne saura, Mercredi 3 décembre - Paris
selon eux, se construire un Journée animée par :
destin à sa mesure, mais se
Jean-François DORTIER
retrouvera jouet et produit de
l’histoire, de la science et du
marché. 9 h 30 – 10 h 45
nos limites Pour étayer leur thèse, les
• Cerveau et attention :
Pour une écologie auteurs convoquent un large
que sait-on aujourd’hui ?
intégrale corpus de références, de
Jean-Philippe LACHAUX, directeur de recherche à
Gaultier Bès, Georges Bernanos à Simone l’INSERM, centre de recherche en neurosciences de
marianne durano et Weil en passant par la culture Lyon. Dominique BOULLIER, chercheur au Médialab et
Axel norgaard rokvam populaire et la science- responsable de la pédagogie numérique, Sciences Po.
Le Centurion, 2014, fiction. Ce petit livre doit être
112 p., 3,95 €.
lu comme une réponse à la 11 h - 12 h 45
tendance de certains
• Comment mobiliser l’attention au travail
P eut-être vous souvenez-
vous des Veilleurs, ce
mouvement en marge des
partisans des OGM, du
transhumanisme ou de la
GPA – et de diverses causes
dans un contexte « multitâches » ?
Caroline DATCHARY, sociologue, Université de Toulouse.
« manifs pour tous », se défendues au nom du Catherine GALL, directrice des recherches, Steelcase
Workspace Futures. Richard DROUIN, directeur Environ
réclamant d’une jeunesse progrès – à présenter ces
nement de travail, Bouygues Telecom (à confirmer).
croyante et soucieuse manipulations, qui soulèvent
d’éthique ? Cet essai, écrit des questions éthiques
14 h -15 h 30
par trois veilleurs, se veut à la complexes, comme des
fois bilan et manifeste. Cela avancées incontestables. • Comment maîtriser la surcharge
dit, de mariage pour tous il On regrette cependant que la informationnelle ?
n’est pas question. Le livre ligne claire et simple du livre Les réponses organisationelles.
surprend au contraire par une laisse peu de place à la Michel KALIKA, professeur des universités, Université Paris
posture que l’on pourrait nuance, ce qui laisse Dauphine. Benoît DONON, Responsable veille sociale,
qualifier d’« anarchist tory » l’impression que, pour les qualité de vie et santé au travail, RFF. Anne-Françoise
MARZIO, directeur Organisation et Transformation, Crédit
(anarcho-conservatrice) ou, si auteurs, l’aspiration à
Agricole SA.
l’expression a un sens, de l’émancipation et au progrès
« situationniste-chrétienne » : techniques est
15 h 45 - 17 h
les auteurs ont élargi leur intrinsèquement dangereuse.
point de vue en présentant Or le danger vient sans doute • Quels dispositifs pour susciter de
une critique ambitieuse de la davantage de la confiance nouvelles formes d’attention et de
société postmoderne et de béate que certains leur coopération ?
son rapport à l’humain en accordent. n
Claire BEYOU, senior executives development programs
général. Selon les auteurs, en emmanuel casaJus director, Université d’entreprise, Total Laurent CHOAIN,
s’appuyant sur le mythe d’un DRH, Mazars Louis- Pierre GUILLAUME, Knowledge
individu autodéfini et sans management officer, Schneider Electric.
cesse soucieux de
s’émanciper, un tel projet de
Programme détaillé, conditions
de participation sur demande :
société oublierait que les
déterminismes culturels ne formations@scienceshumaines.fr
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Livres
hiSToir e
L e point de départ de cette

enquête historique est un
fait divers. Par une nuit de
time soit noble, qu’elle ait été
enlevée de nuit dans son
espace domestique fait figure
mier fils après qu’il a rédigé en
sa faveur un testament dans
lequel il lui cédait quasi intégra-
f é v r i e r 13 2 8 , u n g r o u p e de circonstances aggravantes. lement ses biens. Serions-nous
d’hommes armés pénètre à Pour les historiens francs-com- en présence d’une médiévale
l’intérieur du château de Saint- tois du XIXe siècle, la chose est Messaline ?
Laurent-la-Roche, dans le Jura, entendue : Huguette de Sainte- Reprenant les documents dis-
s’empare du seigneur, Étienne Croix est un modèle de perfidie ponibles, Michelle Bubenicek se
de Saint-Dizier, le mène au châ- féminine, enjôleuse, traîtresse livre, par-delà les siècles, à une
teau de son frère Guillaume, à et cupide. Recourant à la phy- e n q u ê te p a l p i t a n te . B i e n
Alièze où il est retenu prisonnier s io gnomonie , en vo gue à entendu, nous ne nous dirons
durant trois jours. Le quatrième, l’époque, ils n’hésitent pas à rien des résultats auxquels elle
il est assassiné et son corps compléter les sources dispo- aboutit avec érudition et préci-
meurtre jeté dans le fossé d’un bois voi- nibles par leurs propres projec- sion. Ajoutons qu’à travers
Au donjon sin où il sera retrouvé deux ans tions, plus proches du roman l’étude de ce cas peu banal,
l’affaire huguette plus tard. L’enquête diligentée que de la vérité historique. Pro- c’est toute une société et ses
de sainte-croix par le seigneur du défunt, jections largement empreintes intrigues politiques qui resur-
michelle Bubenicek Jean II de Châlon-Auxerre, de sexisme au demeurant, car gissent, faites d’alliances, de
Puf, 2014, 246 p. 21 €. conduira rapidement à soup- les faits ne s’arrêtent pas là. mariages et d’accommode-
çonner le frère et surtout la Dix ans plus tard, la même ments entre familles nobles, à
femme de la victime, Huguette Huguette sera suspectée d’avoir une époque où le lien féodal se
de Sainte-Croix. Que cette vic- fait abréger les jours de son pre- fragilise. n T. J.
à l’heure où l’humanité vit au rythme de

la culture-monde, où un fait isolé peut
l’affecter tout entière, l’histoire semble peser
émotions ont été aussi très souvent
instrumentalisées, nourries, quitte à exagérer
la réalité. ce fut le cas de la réaction unanime
peu de poids face à une véritable dilatation des puissances européennes lors du siège
du présent. le passé peut paraître lointain. des légations étrangères à Pékin (1900),
les vingt-six historiens réunis dans cet aux intérêts divergents, mais tout à coup
ouvrage mettent en œuvre une manière solidaires contre la menace chinoise pesant
singulière de le faire revivre : par le rappel des sur leurs ressortissants. les émotions ont pu
émotions soulevées lors d’événements aussi être volontairement dissimulées,
internationaux des xixe et xxe siècles. Au fil de comme lors de la répression du soulèvement
contributions qui décrivent la débâcle de la de mai 1967 aux Antilles. Ainsi se donne à
campagne de russie (1812) ou dévoilent les voir toute l’ambiguïté de ce matériau qu’est
mémoires
coulisses de la déclaration schuman (1950), l’émotion, entre authenticité et fabrication.
et émotions
Au cœur de ce regard porté sur les émotions, qu’elles Quoique toujours partie prenante de la réalité
l’histoire soient contemporaines des faits ou fixées historique, l’émotion doit être manipulée avec
des relations dans les mémoires, fait apparaître précaution par l’historien : rappeler les
internationales ressemblances et différences. la mémoire turbulences passées de la construction
Antoine marès et d’Auschwitz, à la fois identitaire et européenne peut aider à relativiser les
marie-Pierre rey (dir.) internationalisée, sur laquelle s’appuient passions europhobes d’aujourd’hui. réactiver
Publications de la
encore de nombreux discours politiques, inlassablement l’indignation suscitée par les
Sorbonne, 2014,
336 p., 35 €. situe l’émotion au croisement du privé et du accords de munich est plus risqué. n
public, de l’intime et du récit collectif. mais les clémence nasr

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Livres
droiT
la justice. Dit autrement, Comprendre l’humain et la société
la promotion de la justice pour
les violations passées « multiplie
les chances, pour une société
donnée, d’avancer vers un
avenir libre et pacifié ». PSYCHOTHÉRAPIES,
Issu d’un récent colloque
rassemblant chercheurs et MODE D’EMPLOI
experts internationaux, l’ouvrage
collectif dirigé par Kora Andrieu
et Geoffroy Lauvau se propose
de mettre cette justice
Quelle justice transitionnelle à l’épreuve de
Pour les PeuPles la philosophie politique
en trAnsition ? appliquée. Il s’agit donc
démocratiser, d’interroger des cas concrets
réconcilier, pacifier de transition (Libye, Irak,
Kora Andrieu et Tunisie, Argentine, Cambodge,
Geoffroy lauvau (dir.) Afrique du Sud…) à partir des
Pups, 2014, 402 p., 18 €. grandes catégories issues de
la philosophie politique (justice,
«Q uand les armes parlent,

les lois se taisent »,
écrivait Cicéron. Mais qu’en
droit, réconciliation, liberté,
paix). Mais il s’agit
réciproquement de faire
est-il quand, inversement, à la le chemin inverse : c’est-à-dire
suite d’une guerre civile, les interroger la justice
armes se taisent, et qu’il faut transitionnelle à partir
redonner voix et corps aux lois ? des données des expériences
Sur quels principes, à partir de historiques. C’est ce parti pris
quelle base sociopolitique et dynamique qui fait tout l’intérêt
selon quelle mémoire des de ces contributions,
événements fonder la possibilité très diverses par leurs

d’une réconciliation nationale ? approches (politique, juridique,
Questions abstraites à portée sociologique, philosophique) et
pratique : que faire des Khmers par leurs exemples. La justice
rouges du Cambodge ? transitionnelle n’y est pas
Que faire des forces fidèles à seulement traitée sur le plan
Kadhafi défaites par les rebelles philosophique, mais s’ouvre et
et leurs soutiens étrangers s’informe au contact
agissant sous commandement des pratiques réelles et
Chez votre marchand de journaux
de l’Otan ? La justice des données des sciences
transitionnelle a charge de sociales. Ainsi, l’entretien final
répondre, en théorie comme en avec Alain Renaut vient
pratique, à ces questions. à point nommé montrer qu’en
À la fois institution et concept, matière de pensée politique, Commande par téléphone au :
elle repose sur le postulat on ne saurait déduire 03 86 72 07 00
fondamental suivant : la paix ne les catégories d’analyse
Sur Internet :
saurait se satisfaire de l’oubli, de principes abstraits. n
www.scienceshumaines.com
elle réclame léo Fabius

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Livres
PhiloSoPhie
C omment en finir avec

Emmanuel Kant ? Les
bornes imposées à la connais-
pensable dans sa réalité « en
soi » par la seule raison : le
« réalisme spéculatif » est le
tion de possibilité de toute
expérience : l’accord a priori
qui lie d’emblée pensée et
sance par Critique de la rai- nom donné à cette philoso- expérience. Mais d’où vient
son pure peuvent-elles être phie en train de se faire jour. cet a priori ? S’il conditionne
franchies par la pensée Plus prudente, C. Malabou fait notre expérience sans pour-
contemporaine ? Peut-on rai- le point. Sortir réellement de tant en dériver, est-il inné ou
sonnablement abandonner le l’horizon ouvert par le « trans- acquis ?
transcendantal ? Après L’Ave- cendantal » kantien suppose Ni l’un ni l’autre, répond
nir de Hegel publié il y a vingt d’apprécier exactement ce C. Malabou. Son dialogue
ans, Catherine Malabou, pro- qu’il en coûte. Pour avoir com- avec Kant autant qu’avec la
fesseure à l’université Kings- mencé avant nous et notre neurobiologie contemporaine
AvAnt demAin ton, livre désormais l’avenir de pensée, le monde pourrait-il l’amène à reconduire le trans-
épigenèse Kant. La philosophie conti- nous être complètement indif- cendantal à une « épigenèse » :
et rationalité nentale de demain s’annonce férent ? Nous serait-il pos- de même que l’embryon, la
catherine malabou en rupture avec la Critique. sible de penser ce monde formation de la raison se
Puf, 2014, 338 p., 21 €. Plus question de limiter la por- dans son absolue contin- développe sans plan ni ori-
tée de la pensée à une relation gence comme le soutient le gine, tout au long de la vie. Le
nécessaire entre un sujet et philosophe français Quentin transcendantal est mort, dit-on ?
un objet. Meillassoux (Après la finitude, Vive le transcendantal ! n l.F.
Le « monde » est de nouveau 2006) ? Et si oui, pourquoi
alors ne nous apparaît-il pas À signaler
si contingent ? Face à ce pro- lA jeune socioloGue
blème, Avant demain procède dictionnAire chic de
au sauvetage in extremis du PhilosoPhie
transcendantal kantien. Celui- frédéric schiffter,
ci désigne non pas ce qui est éditions Ecriture, 2014, 284
p., 29,95 €.
transcendant mais la condi-
Des premiers apprentissages aux savoirs scolaires
c
e manuscrit inachevé de Paul

feyerabend (1924-1994),
2014
Les premiers pas à l’école génial et controversé historien
(2 à 6 ans) des sciences, est en fait une
4
novembre Agnes FLORIN
histoire du regard humain sur la
nature à travers « le mythe, la
Impact de l’école maternelle sur le philosophie et la science ». mais,
développement de l’enfant. écrit P. feyerabend, « le mythe
L’école maternelle favorise t-elle la anticipe la science, la science
construction de l’identité ? présente des traits
mythologiques, et si parfois la
philosophie, la science et le
PhilosoPhie de mythe coexistent pacifiquement,
Conférence le 4 novembre de 18h30 à 19h30 lA nAture il leur arrive souvent de se
Université Paris Descartes Paul feyerabend contester mutuellement le droit à
12 rue de l’École de Médecine - Grand amphithéâtre. Seuil, 2014, 350 p.,
l’existence ». n
Programme complet et inscriptions : www.conferences.ffpp.net 28 €.
nicolas JourneT

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Livres
les études de médecine et

de biologie, menées par trois
« taxinomistes précoces » :
« Un ouvrage
François Bernier, Buffon et
Carl von Linné. Il montre la
comme on
naturalisation croissante
du terme : « L’histoire du
aimerait en lire
concept ferait la transition
d’une approche en termes
plus souvent. »
de lignages à une approche
naturaliste. » On passerait Jean-François Marmion,
d’une conception de la race Le Cercle Psy
comme filiation, réelle ou
l’invention supposée (par exemple, la
de lA rAce race de Caïn), à la recherche
des représentations de caractéristiques physiques
scientifiques aux similaires (craniométrie).
exhibitions populaires « Selon cette lecture,
nicolas Bancel,
l’application de la “race” aux
thomas david
et dominic thomas (dir.) humains serait première et
La Découverte, 2014, s’étendrait à partir de ce cas
440 p., 27 €. d’espèce à l’ensemble du
règne animal. » Elle se déploie
également au niveau
C omment est né le
concept de race ?
Pourquoi s’est-il imposé
international, comme en
témoignent les usages
savants et populaires de la
au XIXe siècle, dans la notion en Europe, en Afrique
communauté scientifique ou encore, ce qui est moins
comme dans la société ? connu, en Russie, en Asie
Telles sont les questions et au Japon. L’ouvrage permet
auxquelles répond cet de comprendre la circulation

ouvrage collectif dirigé par des savoirs à cette époque,
trois historiens, spécialistes tout en montrant les liens
de la période coloniale et entre l’anthropologie
des migrations. Une vingtaine physique et les lieux
de contributions explorent d’exhibition de groupes
la généalogie de la notion de ethniques. Les forains,
race à partir du XVII e siècle, notamment, auraient participé 880 pages,
l’internationalisation à la diffusion du discours 314 entrées,
du concept et ses usages, raciste hors de l’espace
jusqu’au XXe siècle, lors scientifique en exhibant des 251 auteurs.
des manifestations culturelles hommes qualifiés de
(expositions internationales, « sauvages » ou de « chaînons
zoos humains, musées). manquants ».
Parmi les contributions Une imposante bibliographie
notables, celle de Thierry permet d’approfondir
Hoquet revient sur genèse le sujet. n
de la notion de race dans maud navarre

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Livres
inTer nATionA l
Si le nez de Cléopâtre eut été plus court…

Q ue se serait-il passé si napoléon avait
remporté la bataille de Waterloo ? Que
se serait-il passé si l’archiduc d’Autriche
réactionnaire où, sous couvert d’une mise
à jour de possibles alternatives, ses
défenseurs laissent bien souvent
n’avait pas été assassiné à sarajevo en transparaître leur vision conservatrice de
juin 1914 ? Que serait-il arrivé si l’armée la société. ensuite, ces histoires ont
allemande avait gagné la bataille de tendance à faire fi des forces sociales et
leningrad durant la seconde Guerre économiques qui pèsent sur le cours des
mondiale ? ce type de spéculations est événements. elles tiennent également très
ancien. déjà Pascal écrivait que si le nez de peu compte de ce que les documents
cléopâtre avait été plus court, la face de la historiques nous font découvrir.
terre aurait changé. mais ces spéculations, Par exemple, si les sarrasins n’avaient pas
qui relèvent d’un genre appelé « histoire été arrêtés à Poitiers par charles martel,
Altered PAsts contrefactuelle », n’ont jamais été prises au il est peu probable que l’europe entière
counterfactuals sérieux par les historiens. Pendant serait devenue musulmane : les sources de
in history longtemps, elles n’ont d’ailleurs pas eu l’époque indiquent en effet que l’expansion
richard j. evans d’autre prétention que de divertir ou d’offrir arabe était en train de s’essouffler. Quel
Little-Brown, 2014, une leçon de morale. intérêt y a-t-il donc à spéculer sur une
208 p., 20 €. Pourtant, selon l’historien richard evans, europe musulmane à partir de l’hypothèse
tout change dans les années 1990, en d’une victoire des sarrasins à Poitiers ? Plus
particulier dans le monde anglophone. fondamentalement, r. evans reproche à
l’ambition de l’histoire contrefactuelle est l’histoire contrefactuelle son incohérence.
désormais de mettre à jour des alternatives celle-ci prend pour point de départ un
vraisemblables à ce qui s’est réellement moment de l’histoire réelle où une décision
passé. cette nouvelle prétention s’appuie est prise, où un événement se produit, où
sur l’idée que l’histoire est une succession une rencontre se réalise, etc. et à partir de
À signaler d’événements contingents et que les ce moment, présenté comme contingent et
third reich décisions ou actions de certains qu’elle imagine donc autre, elle extrapole
victorious.
personnages, quand ce ne sont pas de petits une longue suite d’événements d’où,
Alternative decisions of
World War ii,
aléas de la vie quotidienne, jouent un rôle paradoxalement, toute idée de contingence
Peter G. tsouras, déterminant dans le déroulement de ces est éliminée. Qu’une bataille soit gagnée
Presidio Press, 2008. événements. les historiens qui pratiquent ce plutôt que perdue et l’histoire des
type d’histoire manifestent ainsi leur décennies, voire des siècles suivants semble
disAster At
stAlinGrAd. aversion pour l’idée de déterminisme devoir suivre une orientation bien précise où
An Alternate history, historique, dans laquelle beaucoup voient aucun aléa ne vient enrayer l’enchaînement
Peter tsouras, l’expression d’une vision de l’histoire de type des événements. Ainsi, bien qu’elle prétende
Frontline Books, 2013. marxiste. rejeter le déterminisme historique, l’histoire
à sa place, ils mettent en avant le libre contrefactuelle est la première à le
arbitre des acteurs historiques et réintroduire dans ses scénarios alternatifs.
la contingence des événements. le problème est que, cette fois-ci,
or, pour r. evans, qui passe en revue dans il n’y a plus de données empiriques pour
ce livre la plupart des essais où elle est comprendre pourquoi ces événements se
pratiquée, cette histoire contrefactuelle sont produits. on est donc dans un simple
est d’une utilité très limitée pour la jeu de l’esprit, duquel l’historien n’a rien
compréhension du passé. d’abord, elle a à apprendre. n
le tort de véhiculer une idéologie Thomas lepelTier

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Revues
Terrain RÉSEAUX
N° 63, 2014, 148 p., 20 €.
TrenTe ans : l’âge de réseaux
« attendre »
regard tour à tour rétrospectif due selon laquelle les NTIC se
Il existe, rappelle Christian Brom- et prospectif sur ses domaines supplanteraient à la vie sociale
berger, au moins deux sortes de spécialité. Au cœur du pro- ordinaire. Ils montrent qu’au
d’attentes : situationnelles jet scientifique de Réseaux, un contraire, il y a continuité entre la
(attendre quelque chose) et exis- questionnement : comment les « sociabilité en face-à-face et
tentielles (s’attendre à quelque NTIC (nouvelles technologies celle médiatisée par les outils de
chose). Dans un cas comme de l’information et de la com- communication ». La sociabilité
dans l’autre, ce temps mort ne munication) et la société se numérique a tendance à favoriser
dépend pas de nous. Est-il pour transforment-elles mutuelle- les liens faibles (amis Facebook,
autant un mode purement passif ment ? Comment la technique collègues LinkedIn, etc.), mais
d’exister ? Pas forcément, car une et ses usages, les médias et cela ne se fait pas nécessaire-
attente « se meuble », comme le leurs publics, se co- ment au détriment des liens forts
Réseaux, n° 184-185, 2014,
montre le cas des sectes milléna- construisent-ils dans notre (parents, amis, etc.) qui restent
360 p., 30 €.
ristes qui se démènent à l’an- monde en réseau ? d’ailleurs les étalons de mesure
nonce d’une apocalypse. L’attente Si cette livraison anniversaire fait de la qualité du lien social. Dans
du demandeur d’asile, du prison-
nier, du soldat n’est pas non plus F ondée en 1983 par deux
sociologues de la commu-
nication, Patrice Flichy et Paul
la part belle à l’entreprise, à la
citoyenneté et à la culture, c’est
sur le thème de la sociabilité que
l’imaginaire collectif, les liens
faibles restent souvent associés
à des relations artificielles et
inactive, comme il est décrit dans
cette livraison de Terrain. Alors Beaud, la revue Réseaux. Tech- le lecteur non spécialiste trou- opportunistes, ce qui pour les
qu’attendre nous semble de plus nologie, communication, socié- vera les contributions les plus auteurs pose problème tant
en plus irrationnel et insuppor- té fête ses 30 ans. Elle publie remarquables. Les articles de cette image est en « décalage
table, il était temps de revenir sur pour l’occasion un numéro Dominique Cardon et Zbigniew avec la réalité des pratiques rela-
le sujet, pour lui redonner l’épais- double fait de douze contribu- Smoreda puis de Michel Gros- tionnelles des internautes ». n
seur qu’il mérite. tions originales qui portent un setti reviennent sur l’idée répan- Émile Gayoso
VingTième siècle
N° 123, 2014, 267 p., 23 €. les caHiers des breuses questions qui parcourent acTes de
« Histoire des sensibilités amériques laTines ce numéro. la recHercHe en
au xxe siècle » N° 75, 2014, 215 p., 18 €. sciences sociales
Christophe Grangier ouvre un « modes de ciTés N° 204, 2014, 140 p., 16 €.
gouvernement en Haïti N° 59, 2014, 194 p., 18 €. « les espaces de
vaste chantier d’étude en coor-

après le séisme de 2010 » « marx politique » l’entre-soi »
donnant ce numéro spécial sur
l’histoire des sensibilités, publié Les déficiences du système poli- En quoi la pensée politique de L’entre-soi s’oppose aux prin-
à l’occasion des trente ans de la tique haïtien sont certes dues aux Karl Marx est-elle actuelle ? Le cipes d’une société démocra-
revue Vingtième siècle. Si les faiblesses constitutionnelles et à propos du théoricien pourrait tique et égalitaire. Il fait craindre
sciences cognitives et biolo- la corruption, mais un autre acteur paraître dépassé tant les révolu- le communautarisme. Comment
giques s’intéressent souvent à pèse sur l’échec de la reconstruc- tions du XXe siècle ont montré se crée et s’entretient la non-
l’univers des sens, le thème tion d’Haïti : la coopération inter- leurs limites. Pourtant, les mixité ? Des habitants de ban-
reste marginal en histoire. Ce nationale. En mettant systémati- impasses du capitalisme rendent lieue résidentielle qui protègent
numéro apporte une contribu- quement l’État à l’écart, elle le plus que jamais nécessaires les leur cadre de vie privilégié à la
tion majeure grâce à des articles prive de ressources et renforce alternatives. Une dizaine de défense de l’accès au logement
consacrés à la lutte contre le l’accaparement des richesses du contributions abordent l’émanci- dans les quartiers d’habitat
bruit pendant les trente glo- pays par une petite élite. Com- pation humaine, la démocratie, le social, en passant par les actions
rieuses, aux métamorphoses du ment, dans ce contexte, favoriser socialisme scientifique ou encore politiques en faveur de la diver-
sentiment amoureux en temps le développement de l’État ? la crise et le dépassement du sité sociale, le numéro révèle les
de guerre ou encore à l’émer- Comment faire coopérer des capitalisme. Elles invitent à (re) fondements de l’entre-soi, parmi
gence d’une intolérance aux acteurs inter/transnationaux et découvrir la doctrine de Marx lesquels le contrôle de ceux qui
exécutions sur la place publique. locaux ? Voici deux des nom- pour comprendre. peuvent y accéder. n

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Agenda
Du 30 octobre au 18 janvier 2015
lparis 2e
la mémoire traversée
Paysages et visages de la Grande Guerre
mande peut choquer le profes-
Du 29 octobre au sionnel qui se souvient des faits Les œuvres présentées sont l’expression d’auteurs issus de multiples
1er novembre horizons, tant géographiques que culturels. Cette diversité nourrit les
abusifs, il ne peut pourtant se
l lille dialogues visuels qui vont se répartir dans l’exposition en trois sé-
contenter d’une prise de position
Frontières et identités : idéologique sur ce sujet. Com- quences ; un découpage porté par une scénographie originale qui
repères dans un monde ment réfléchir collectivement à magnifie le propos en même temps qu’elle tire parti de la particularité
en mouvement des espaces d’Éléphant Paname.
cette décision ? En prenant en
La mondialisation de l’économie, Éléphant Paname, 10, rue Volnay
compte quels facteurs ? Quels
de l’industrie et des sciences, la Tél. : 01 49 27 83 33.
sont les risques d’une reprise de
mobilité des personnes invitent contact@elephantpaname.com
contact ? Quelles difficultés www.elephantpaname.com
tous les habitants du monde à tra-
peuvent émerger si l’on refuse
verser les frontières physiquement
des contacts à une victime qui
ou virtuellement. Parallèlement, les ENS, 46, all. d’Italie. religieux ? Où va la médecine
les souhaite ? Quel sens peut-on
inégalités de richesse entre les Tél. : 05 57 97 19 19. quand sa fin n’est plus seulement
donner à ces rencontres (ou à
p ay s p o u s s e n t d e s m i l l i o n s www.congres-cancersexualité.
le soin, mais de multiples applica-
l’absence de rencontre) ? Quel comm-sante.com
d’hommes et de femmes à tenter tions extramédicales ? Sans taire
est le travail à réaliser en amont
leur chance en dehors de leur pays ce que la technique lui apporte, la
avec l’auteur pour que cela pro-
de d’origine. Les repères clas- Du 19 au 21 novembre raison médicale peut-elle être
fite à l’enfant ?
siques et historiques des identités l la seyne-sur-mer
Asiem, 6, rue Albert-de-Lapparent. exclusivement technicienne ? Al-
et des frontières sont questionnés. Tél. : 08 00 90 18 97. expérience et pratique lons-nous passer d’une médicali-
Ces dernières changent de nature info@parole.be des récits de vie sation de l’être humain à sa tech-
en devenant plus ou moins per- www.parole.be
L’individu est le produit d’une his- nicisation ?
méables. Des replis identitaires toire dont il cherche à devenir le
Les 6 et 7 novembre Collège des Bernardins,
semblent gagner du terrain dans sujet » (Vincent de Gaulejac). 20, rue de Poissy.
l lyon 7e
certaines zones. Congrès Sietar Avec ce séminaire d’implication, Nathalie Moysan, tél. : 01 53 10 41 92.
2014. iiies rencontres nathalie.moysan@
chacun est invité à faire l’expé-
Université catholique, 83, bd Vauban. cancer et sexualité collegedesbernardins.fr
L’intimité et rience de la démarche des récits www.collegedesbernardins.fr
Barbara Mattison, tél. : 06 19 44 69 81.
secretariat@sietar-france.org la sexualité dans de vie dans sa double dimension :
http://sietarfrancecongres.com
les cancers digestifs individuelle et collective. Sémi-
naire animé par Philippe Bigot Du 18 novembre
L’objectif de ces rencontres n’est au 1er février 2015
Le 23 octobre (psychologue, directeur de
pas de transformer les partici- l paris 7e
l’école des métiers de l’accom-
l paris 7e pants en sexologues mais de bri-
pagnement professionnel l’éclat des ombres
la reconstruction du ser le silence en favorisant les L’art en noir et blanc
Convergence RH) et Alex Laine
lien auteur-victime échanges entre professionnels de
(philosophe, docteur en sciences des îles Salomon
après l’inceste santé afin de mieux identifier les
de l’éducation). Les œuvres emblématiques des îles

est-elle possible ? vulnérabilités et les stratégies à Florence Le Roux, tél. : 04 98 01 60 50.
Il est souvent demandé d’organi- mettre en place (traitement, infor- Salomon – comme les figures de
info@convergencerh.com.
ser, à la demande de l’auteur, du mation, formation et organisation). w ww.convergencerh.com
proue des canots de guerre, les reli-
parent non protecteur et/ou de Ces rencontres s’inscrivent aussi quaires, les monnaies de plumes ou
l’enfant lui-même, une reprise de dans une démarche de qualité les armes – sont aujourd’hui bien
contact entre l’enfant abusé et des soins et des pratiques profes- Du 20 au 22 novembre connues des amateurs. Parcourant
son parent abuseur. Si cette de- sionnelles. l paris 5e les provinces occidentales, orien-
technique, promesses tales et les enclaves polynésiennes,
et utopies : cette exposition présente la façon
retrouvez l’agenda complet où va la médecine ? dont les objets matérialisent, par leurs
sur www.scienceshumaines.com Les progrès considérables ac- caractéristiques techniques et vi-
complis par la médecine grâce à suelles, les relations entre les hu-
Si vous souhaitez faire connaître une manifestation,
la technique, s’ils sont porteurs de mains, et entre les humains et les
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promesses, posent des questions entités non humaines.
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renaud beauval (sh.agenda@wanadoo.fr) devient-il une prétention de salut, nathalie.mercier@quaibranly.fr
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N° 264
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MAGAZINES ScIENcES huMAINES
ScIENcES huMAINES (mensuel)
Prix unitaire : 5,50 € hors frais de port
25 ❑ Les défis des sciences humaines 138 ❑ Les troubles du moi 204 ❑ Démocratie. Crise ou renouveau ?
50 ❑ Tiers-monde : la fin des mythes 139 ❑ Les mondes professionnels 205S ❑ Changer sa vie
57 ❑ Où va le commerce mondial ? 140 ❑ Les nouvelles frontières de la vie privée 206 ❑ Repenser le développement
62 ❑ L’esprit redécouvert 141 ❑ La force des passions 207 ❑ La nouvelle science des rêves
67 ❑ Nouveaux regards sur la science 142 ❑ L’éducation, un objet de recherches 208S ❑ L’enfant violent. De quoi parle-t-on vraiment ?
71 ❑ Comment nous voyons le monde 143 ❑ Cultures et civilisations 209 ❑ L’art de convaincre.
80 ❑ Les sciences humaines 144 ❑ Les mouvements sociaux 210 ❑ Le travail en quête de sens.
sont-elles des sciences ? 145 ❑ Voyages, migration, mobilité 211S ❑ Le clash des idées : 1989 à 2009
82 ❑ La lecture 146 ❑ Hommes, femmes. Quelles différences ? 212 ❑ De l’enfant sauvage à l’autisme.
83 ❑ Du signe au sens 147 ❑ Où en est la psychiatrie ? 213 ❑ L’énigme de la soumission
84 ❑ Médiations et négociations 148 ❑ Contes et récits 214 ❑ L’ère du post-féminisme
85 ❑ Nouveaux modèles féminins 149 ❑ Les nouveaux visages de la croyance 215 ❑ L’analogie moteur de la pensée
86 ❑ La liberté 150 ❑ Amitié, affinité, empathie… 216S ❑ Les épreuves de la vie
87 ❑ L’émergence de la pensée 151 ❑ Aux origines des civilisations 217 ❑ Les secrets de la séduction
88 ❑ Anatomie de la vie quotidienne 152 ❑ À quoi sert le jeu ? 218 ❑ La littérature : fenêtre sur le monde.
89 ❑ Violence : état des lieux 153 ❑ L’école en débat 219S ❑ À quoi pensent les enfants ?
90 ❑ L’imaginaire contemporain 155 ❑ Où en est la psychanalyse ? 220 ❑ L’autonomie, nouvelle utopie ?
91 ❑ L’individu en quête de soi 156 ❑ Où va la famille ? 221 ❑ Imaginer, créer, innover…
92 ❑ Les ressorts de la motivation 157 ❑ Qui sont les travailleurs du savoir ? 222S ❑ 20 ans d’idées, le basculement
93 ❑ Échange et lien social 158 ❑ Les nouvelles formes de la domination 223 ❑ Le retour de la solidarité
94 ❑ La vie des groupes au travail 224 ❑ La course à la distinction
95 ❑ Aux frontières de la conscience 159 ❑ Pourquoi parle-t-on ? L’oralité redécouverte 225 ❑ Sommes-nous rationnels ?
96 ❑ Le destin des immigrés 160 ❑ Dieu ressuscité 226S ❑ Le monde des ados
97 ❑ Rêves, fantasmes, hallucinations 161S ❑ Enquêtes sur la lecture 227 ❑ Conflits au travail
98 ❑ Apprendre 163 ❑ La sexualité est-elle libérée ? 228 ❑ L’état, une entreprise comme une autre ?
99 ❑ Normes, interdits, déviances 165 ❑ Où est passée la société ? 229S ❑ Nos vies numériques
100 ❑ Les sciences humaines 166 ❑ De Darwin à l’inconscient cognitif 230S ❑ Pourquoi apprendre ?
101 ❑ La parenté en question 167S ❑ La pensée éclatée 231 ❑ Tous accros ?
102 ❑ Les récits de vie 169 ❑ L’intelligence collective 232 ❑ Comment être parent aujourd’hui ?
103 ❑ L’altruisme 170 ❑ Qui a peur de la culture de masse ? 233S ❑ Et si on repensait TOUT ?
104 ❑ Un monde de réseaux 171 ❑ Les émotions donnent-elles sens à la vie ? 234 ❑ Inventer sa vie
106 ❑ Les sagesses actuelles 172 ❑ La lutte pour la reconnaissance 235 ❑ Les identités sexuelles
107 ❑ Souvenirs et mémoire 173 ❑ Art rupestre 236 ❑ Dans la tête de l’électeur.
108 ❑ Homme/animal : des frontières incertaines 174 ❑ Qu’est-ce que l’amour ? 237S ❑ Qui sont les Français ?
109 ❑ Les logiques de l’écriture 175S ❑ Agir par soi-même 238 ❑ Comment naissent les idées nouvelles ?
110 ❑ Cultures 176 ❑ Comment devient-on délinquant ? 239 ❑ Peut-on ralentir le temps ?
111 ❑ L’école en mutation 177 ❑ Le souci des autres 240S ❑ L’imaginaire du voyage
112 ❑ Les hommes en question 178S ❑ La guerre des idées 241S ❑ L’intelligence peut-on augmenter nos capacités ?
113 ❑ Freud et la psychanalyse aujourd’hui 179 ❑ Travail. Je t’aime, je te hais ! 242 ❑ Le travail. Du bonheur à l’enfer
114 ❑ Travail, mode d’emploi 180 ❑ 10 questions sur la mondialisation 243 ❑ L’autorité. Les nouvelles règles du jeu
115 ❑ Les nouvelles frontières du droit 181 ❑ Le nouveau pouvoir des institutions 244S ❑ 2012-2013. Les idées en mouvement
116 ❑ L’intelligence : une ou multiple ? 182 ❑ Conflits ordinaires 245 ❑ Vivre en temps de crise
117 ❑ Autorité : de la hiérarchie à la négociation 183 ❑ Imitation 246 ❑ Le langage en 12 questions
118 ❑ La pensée orientale 184 ❑ Les lois du bonheur 247S ❑ Violence Les paradoxes d’un monde pacifié
119 ❑ La nature humaine 185 ❑ Des Mings aux Aztèques 248 ❑ Comment pensons-nous ?
120 ❑ L’enfant 186 ❑ Que vaut l’école en France ? 249 ❑ La fin de l’homme ?
121 ❑ Quels savoirs enseigner ? 187 ❑ D’où vient la morale ? Quand les migrants changent le monde
122 ❑ Le changement personnel 188 ❑ Faut-il réinventer le couple ? 250 ❑ Faut-il se fier à ses intuitions ?
123 ❑ Criminalité 189S ❑ Géographie des idées. 251 ❑ L’ère culinaire 15 questions sur l’alimentation
124 ❑ Société du risque 190 ❑ Au-delà du QI 252S ❑ Générations numériques des enfants mutants ?
125 ❑ Organisations 191 ❑ Inégalités : le retour des riches 253 ❑ Écrire Du roman au SMS
126 ❑ Les premiers hommes 192 ❑ Enseigner : L’invention au quotidien 254 ❑ Reprendre sa vie en main
127 ❑ Le monde des jeunes 194 ❑ Les animaux et nous. 255S ❑ La bibliothèque des idées d’aujourd’hui
128 ❑ Les représentations mentales 195 ❑ Le corps sous contrôle 256 ❑ L’Individu Secrets de fabrication
129 ❑ La fabrique de l’information 196 ❑ Nos péchés capitaux 257 ❑ Apprendre par soi même
130 ❑ La sexualité aujourd’hui 197 ❑ Les rouages de la manipulation 258 ❑ Le climat fait-il l’histoire ?
132 ❑ Le souci du corps 198 ❑ Les neurones expliquent-ils tout ? 259S ❑ Psychologie de l’enfant état des lieux
133 ❑ Les métamorphoses de l’état 199 ❑ Psychologie de la crise . 260 ❑ Peut-on vivre sans croyances ?
134 ❑ La littérature, une science humaine ? 200S ❑ Pensées pour demain 261 ❑ Devenir garçon, devenir fille
135 ❑ Manger, une pratique culturelle 201 ❑ Les troubles de la mémoire 262 ❑ 15 questions sur nos origines
136 ❑ Les nouveaux visages des inégalités 202 ❑ Pauvreté. Comment faire face ? 263 ❑ Éduquer au 21e siècle
137 ❑ Les savoirs invisibles 203 ❑ École. Guide de survie. 264 ❑ La mémoire en 10 questions
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1 ❑ L’origine des cultures 16 ❑ Les ressorts invisibles de l’économie 31 ❑ Histoire des psychothérapies
2 ❑ La moralisation du monde 17 ❑ Villes mondiales 32 ❑ L’amour un besoin vital
3 ❑ Les nouvelles psychologies 18 ❑ France 2010 33 ❑ Vers un nouveau monde
4 ❑ France 2006 19 ❑ Les pensées vertes 34 ❑ L’art de penser
5 ❑ L’origine des religions 20 ❑ Les troubles mentaux 35 ❑ Le bonheur
6 ❑ Peut-on changer la société ? 21 ❑ Freud, droit d’inventaire 36 ❑ Changer le travail
7 ❑ Psychologie 22 ❑ Consommer
8 ❑ L’enfant du 21e siècle 23 ❑ Apprendre à vivre
9 ❑ L’origine des sociétés 24 ❑ L’histoire des autres mondes
10 ❑ Les grandes questions de la philosophie 25 ❑ Affaires criminelles
11 ❑ Entre image et écriture 26 ❑ Guide des cultures pop
12 ❑ Malaise au travail 27 ❑ Transmettre
13 ❑ Paroles d’historiens 28 ❑ L’histoire des troubles mentaux
14 ❑ Idéologies 29 ❑ Un siècle de philosophie
15 ❑ Les psychothérapies 30 ❑ Les penseurs de la société
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7 ❑ La grande histoire de la psychologie 8,50 € 4,50 € 15 ❑ L’œuvre de Pierre Bourdieu 8,50 € 4,50 €
8 ❑ Comprendre Claude Lévi-Strauss 8,50 € 4,50 € 16 ❑ La philosophie en quatre questions 9,80 € 4,50 €
9 ❑ Les grands philosophes 8,50 € 4,50 € 17 ❑ De la pensée en Amérique 8,50 € 4,50 €
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8 ❑ Régions et mondialisation 35 ❑ Les sciences de la cognition Prix unitaire : 8,50 €
10 ❑ Qui sont les Français ? 36 ❑ Qu’est-ce que transmettre ? hors frais de port - 124 pages
11 ❑ Les métamorphoses du pouvoir 37 ❑ L’art
14 ❑ Vers la convergences des sociétés ? 38 ❑ L’abécédaire des sciences humaines
17 ❑ La mondialisation en débat 39 ❑ La France en débats
VIENT DE PARAÎTRE
18 ❑ L’histoire aujourd’hui 40 ❑ Former, se former, se transformer
19 ❑ La psychologie aujourd’hui 41 ❑ La religion
21 ❑ La vie des idées 43 ❑ Le monde de l’image
22 ❑ L’économie repensée 44 ❑ Décider, gérer, réformer
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23 ❑ Anthropologie 45 ❑ L’enfant (hors abonnement)
24 ❑ La dynamique des savoirs 46 ❑ L’exception française
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25 ❑ À quoi servent les sciences humaines ? 47 ❑ Violences hors frais de port - 160 pages
26 ❑ La France en mutation 48 ❑ La santé
28 ❑ Le changement 49 ❑ Sauver la planète ?
29 ❑ Les nouveaux visages du capitalisme 50 ❑ France 2005
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1 ❑ Les psys vus par leurs patients 6 ❑ Les vertus de la manipulation 11 ❑ La nouvelle science des rêves 1 ❑ Toute la psycho de A à Z
2 ❑ Trop d’enfants chez le psy ? 7 ❑ Les dessous du sexe 12 ❑ TCC Les meilleures thérapies ? 2 ❑ Qui sont (vraiment) les psychologues ?
3 ❑ Quand la tête soigne le corps 8 ❑ Addictions 13 ❑ Muscler son cerveau
4 ❑ Le bébé, sa vie, son œuvre 9 ❑ Maladies mentales 14 ❑ La nébuleuse des « dys »
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