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sor ozys e
Cette droite
qui n'aime pas la France
Parangon/Vs
Paul Ariès
Misère
du sarkozysme
Cette droite
qui n'aime pas la France
Parangon/Vs
Du même auteur
© ParangonIVs, 2005
Pour Catherine
À mes filles
Elles méritent une autre France que celle du sarkozysme
Introduction
Sarkozy, nous voilà!
« Notre peuple mérite qu'on se fie à lui et. qu'on le mette dans la
confidence. » (Marc Bloch)
5
Pourquoi un tel dés amour de la France?
« Je ne suis pas réductible à la seule doctrine libérale, ni même à la
seule droite. » (Nicolas Sarkozy, Le Monde, 8 septembre 2005) 1
sont pour l'essentiel disponibles dans leur intégralité soit sur le site de l'UMP
ou celui des jeunes de l'UMP, soit sur le sarkozyblog.free.fr
6
rapport de force moins favorable aux puissants. La gauche institu-
tionnelle sous-estime gravement la menace de la contre-révolution
conservatrice, ne voulant pas croire que le vent a provisoirement
tourné. Nous avons donc choisi d'illustrer abondamment notre
démonstration par des propos de Nicolas Sarkozy, mais aussi des
courants proches ou voisins. Nous avons concédé une large place
aux thèses les plus éculées de certains fondateurs du libéralisme
pour montrer que ce « grand bond en arrière 1 » n'est pas seulement
économique, mais aussi idéologique.
Cet ouvrage permet de comprendre, au-delà de la fameuse guerre
des chefs de l'UMP avec laquelle on nous amuse, comment ce « fils
d'immigré clandestin» est devenu un parfait apparatchik prêt à
toutes les alliances, à tous les mauvais coups et à toutes les trahi-
sons. Il interroge aussi les mensonges, les non-dits, les erreurs et les
fautes d'un hIler dont la biolégende, savamment construite, trahit
une part de son fonctionnement névrotique.
9
turage de la révolution néo-conservatrice, il n'en est pas sa version
tricolore.
En effet, la révolution néo-conservatrice n'est, contrairement à ce
que pense Barbara Koehn l, ni une réaction face à l'échec du capi-
talisme, ni un projet pour le sauver. Il s'agit de la résurgence de tout
un courant de philosophie politique des XVIIIe et XIXe siècles, mar-
qué par le refus des Lumières et de la Révolution française.
La révolution néo-conservatrice manifeste le désir de considérer
que les trois grandes périodes ouvertes du siècle des Lumières, de
la Révolution française et de la Révolution d'octobre ne seraient
que des parenthèses que l'on pourrait refermer.
C'est aussi et surtout l'idée que ces trois parenthèses auraient une
même origine territoriale et intellectuelle : cette France historique
que vomissent les libéraux; cette France qui n'a de cesse de faire
exception pour mieux éclairer le monde; cette France de la Mar-
seillaise que chantaient les étudiants hongrois ou chinois face aux
chars.
11
elle a sa culture. IJAllemagne a fait la preuve de sa capacité à se
relever, car elle est un seul peuple. En France, la victoire du sarko-
zysme équivaudrait à ce que fut celle de Vichy: non pas une façon
de couper les fils pour retisser un autre vêtement (comme la Révo-
lution sut le faire avec l'Ancien Régime), mais une véritable rupture
avec l'Histoire.
La raison en est simple: la révolution néo-conservatrice qui balaie
aujourd'hui la planète est la suite de celle née au XVIIIe siècle contre
le modèle français. Le sarkozysme est le bâtard de plusieurs siècles
de combats acharnés, toujours recommencés, contre la philosophie,
la culture et la politique françaises.
l3
renonçant à toute référence à la décadence pour afficher un opti-
misme face à la modernité.
Cette révolution affiche aussi, tout autant que la contre-révolution
actuelle, la volonté et la capacité d'être présente au monde. Cet opti-
misme et ce volontarisme nouveaux dans les milieux contre-révolu-
tionnaires ne marquent en rien un ralliement aux thèses humanistes
ou à la république. Bien au contraire, car derrière des notions nou-
velles comme la régénération, la résurrection, le réalisme, l'éner-
gie, etc. se joue la possibilité de l'emporter. Il serait possible d'en
finir, cette fois définitivement, avec les conséquences des Lumières
et de 1789 car, l'histoire étant cyclique, un nouvel âge approcherait.
Ce courant contre-révolutionnaire présente un autre point commun
avec l'actuel puisqu'il constituera une nébuleuse forte de plus de 400
organisations et clubs de réflexion et sera doté de près de 500 revues.
Cette primauté accordée au travail idéologique en fera des gram-
sciens avant l'heure : ils savent que la guerre entre les classes et les
peuples se gagne avant tout dans les têtes. De grands intellectuels
comme Arthur Moeller van den Bruck, Oswald Spengler, les frères
Jünger, Carl Schmitt, Thedor Fritsch, Ernst Niekisch, etc. portent ce
mouvement 1.
Cette deuxième révolution conservatrice échouera avec la défaite
du nazisme, mais beaucoup de ses émules continueront de travailler
dans l'ombre. Carl Schmitt, principal juriste du Troisième Reich,
deviendra l'une des références obligées du courant néo-conservateur
américain de la fin du xxe siècle.
Certains ouvrages comme Chevaucher le Tigre 2 de Julius Evola,
qui se qualifiait lui-même de « surfasciste », nourriront des généra-
tions d'activistes d'extrême droite européens. Il serait bien surpre-
nant que le conservateur Patrick Devedjian et le libéral Alain
Madelin n'en fissent pas leur livre de chevet lorsqu'ils péroraient res-
pectivement à la direction d'Occident et du GUD3.
14
La contre-révolution actuel1e est donc la continuation de cette
guerre des mêmes contre les mêmes, tout comme les combats actuels
pour l'émancipation prolongent ceux des générations passées 1. Nous
sommes les descendants des nègres marrons et de l'esclave romain
Spartacus.
:8historien Heinrich August Winkler a publié dans Die Zeit, en
juin 2003, une critique sanglante des thèses des « straussiens » et
autres champions de cette révolution néo-conservatrice qui ravage
actuellement la planète. Son article porte en sous-titre : « Une révo-
lution conservatrice menace l'héritage historique mondial de l' Amé-
rique, l'Europe doit maintenant se mettre en avant pour défendre les
valeurs occidentales. »
Winkler note que « le néo-conservatisme américain n'est pas une
simple copie de la révolution conservatrice allemande, mais dans leur
schéma de pensée ami-ennemi, ce sont de dignes disciples de Carl
Schmitt ».
On pourrait débattre de certains détails, mais l'essentiel est dit: la
révolution conservatrice en cours est la continuation de la révolution
conservatrice allemande qui, elle-même, prolongea la contre-révolu-
tion européenne, née en réaction à la lecture française de la philoso-
phie des Lumières. Les « néo-cons » ont donc toujours la France dans
leur ligne de mire.
15
:Cidée est originelle et sera suivie d'effets: la meilleure façon
désormais de combattre l'héritage français serait de le court-circui-
ter, en faisant comme si la Révolution française et la philosophie
des Lumières n'avaient jamais existé, ou n'avaient été qu'un épi-
phénomène intéressant uniquement le « vieux » continent.
Russell Kirk propose six nouvelles thèses pour forger un nouveau
conservatisme : la croyance en un ordre moral et transcendant, le
goût du pluralisme social, le sens de la hiérarchie, l'amour des cou-
tumes et des traditions, le culte de la propriété privée, la méfiance
à l'encontre des idéologies réformistes et l'attachement au principe
de continuité historique.
:Coriginalité de ces thèses n'est pas évidente. On reconnaît ce qui
deviendra l'ossature du sarkozysme : les valeurs de travail, de res-
pect et de patrie.
Cette nouvelle vague hérite de la précédente le refus d'une vision
en terme de décadence et, de ce fait, elle ne propose pas un retour
aux valeurs de la féodalité, mais une marche « forcée » vers une
« nouvelle société ». Ce refus d'un conservatisme réactionnaire est
argumenté de façon brillante ... mais singulière. Les Américains ne
pourraient idéaliser les sociétés traditionnelles, puisque le féoda-
lisme et l'aristocratie seraient étrangers à l'Amérique.
Le « conservatisme réactionnaire » serait donc une importation
exotique contraire à l'esprit de liberté inhérent au projet américain.
Kirk implore ses amis conservateurs de suivre les conseils de
John Adams (1735-1826), premier président des États-Unis qui, dès
1787, dans sa Defense of the Constitution, fustigeait ce maudit
rousseauisme et appelait à dénoncer l'importation des « idées fran-
çaises ». La messe est dite: la révolution conservatrice américaine
assume toujours la même haine de la France, mais elle l'exprime
désormais sous la forme d'un déni. Les Lumières et la Révolution
de 1789 seraient des non-événements.
Les néo-conservateurs ne cesseront pourtant jamais de lire leur
propre histoire à travers ce scénario: les méchants sudistes auraient
incarné la Révolution française, contrairement aux bons nordistes,
beaucoup plus proches des Britanniques.
La contre-révolution en marche
Deux épisodes vont précipiter l'Histoire.
Tout d'abord, la débâcle américaine au Vietnam, qui convainc de
nombreux intellectuels que les États-Unis seraient menacés non
plus seulement par un ennemi extérieur (le communisme et les
mouvements tiers-mondistes), mais aussi par un ennemi intérieur,
représenté par la contre-culture (libération des mœurs, féminisme,
mouvement gay, mouvements sociaux, etc.). Les coupables sont
bien vite identifiés: il s'agit bien sûr des philosophes des Lumières,
en raison de leur relativisme en matière de valeurs. La France est
ouvertement accusée, avec l'Italie, d'être le talon d'Achille de
l'Occident. À cette même époque, certains se préparent dans
l'ombre, avec notamment les réseaux gladio, à déstabiliser les
démocraties pour y établir des dictatures.
De nombreux intellectuels organisent la reconquista idéologique
des États-Unis en luttant contre les forces subversives désormais
connues.
La première charge est conduite par la chambre de commerce des
États-Unis. Elle publie, en août 1972, un mémorandum confidentiel
intitulé Attaque contre le système amériCain de la libre entreprise.
Ce document, connu sous le nom de Manifeste Powell, se borne à
établir un constat, laissant à d'autres la responsabilité d'envisager
des solutions.
La Commission trilatérale se met aussitôt au travail et publie, en
1975, sous la direction de Zbiegniew Brezinzki, son fameux
17
rapport intitulé La Crise de la démocratie. Elle y préconise un
meilleur contrôle des médias. Le futurologue américain Samuel
Huntington constate que le développement de la démocratie
conduit à une extension de la sphère gouvernementale en raison des
demandes croissantes des acteurs sociaux, ce qui provoquerait un
déclin de l'autorité gouvernementale. Il conseille donc « un plus
grand degré de modération dans la démocratie » et préconise de
mettre l'accent sur d'autres sources d'autorité non démocratiques.
On croit souvent que tout aurait commencé politiquement avec
l'élection de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan. Le sarko-
zysme a, cependant, une filiation beaucoup plus sanglante, car la
révolution néo-conservatrice remportera sa première victoire poli-
tique avec le coup d'État militaire du général Augusto Pinochet, le
Il septembre 1973, contre le président Allende. Le Chili, avec ses
30000 morts, sera le laboratoire économique et social, mais aussi
culturel et politique, des « Chicago Boys », ces jeunes diplômés de
l'université de Chicago qui avaient pour leader emblématique Mil-
ton Friedman 1.
Si les pays du Sud sont les premières victimes, cette révolution
conservatrice a, depuis, essaimé dans de nombreux pays du Nord
sous des visages très variés : blairisme, schrôderisme, berlusco-
nisme, aznarisme, etc. Elle s'est aussi implantée dans les pays de
l'Est (avec l'effondrement du bloc soviétique, puis à travers la
vague des diverses révolutions « orange »).
Le sarkozysme est l'importation de cette contre-révolution
conservatrice. Il n'est donc pas seulement une machine de guerre
contre la « vieille» droite gaulliste, mais contre la France et toute
sa conception historique de l'État-nation. La façon dont le sarko-
zysme s'est imposé dans la tête des Français n'est pas sans rappe-
ler la manière dont les conservateurs ont triomphé aux États-Unis.
18
assurer l'hégémonie du dogme libéral sur le plan économique et du
dogme conservateur sur le plan moral. Quelques centaines de per-
sonnes tout au plus ont suffi à faire basculer les représentations des
élites et les réflexes conditionnés des foules. I:histoire de ce coup
d'État intellectuel a été déjà largement retracée, aussi examinerons-
nous seulement comment le sarkozysme a pu s'imposer en France.
19
brillants et ayant le plus de succès ont aujourd'hui plus de chances
d'être socialistes, alors que ceux qui ont des idées plus conservatrices
sont fréquemment des médiocrités 1. »
20
exemple, les publicitaires, les conférenciers, les écrivains etjourna-
listes. Hayek le concède volontiers: il n'est même pas nécessaire
«de posséder une connaissance spéciale quelconque, ni d'être spé-
cialement intelligent », mais « il y a peu de choses que l'homme
ordinaire apprenne sur les événements ou les idées en dehors de la
médiation de cette classe 1 ».
Les« marchands d'idées de seconde main» doivent faire la répu-
tation des intellectuels libéraux en les invitant massivement dans
leurs émissions ou leurs journaux. Hayek avance enfin son argu-
ment massue : la bataille des idées ne peut être gagnée que si l'on
gagne préalablement celle de l'imaginaire, ce qui suppose d'impo-
ser des images structurantes, c'est-à-dire des représentations du
monde qui fournissent les conditions favorables à la réception des
opinions libérales.
Hayek est convaincu que l'imaginaire occidental est formaté par
les idées socialistes, il est donc inutile de prendre le pouvoir dans
les faits avant de le prendre dans les têtes, et il ne sert à rien de
développer une argumentation fine tant que les idées maîtresses ne
sont pas les bonnes.
La conclusion s'impose: « Les courants d'opinion de toute
époque sont donc essentiellement un ensemble d'idées générales
préconçues d'après lesquelles l'intellectuel juge l'importance des
nouveaux faits et opinions 2 • » Il faut réfuter les « idées mères»
socialistes et leur substituer les « idées mères » libérales.
Hayek ne fut pas le seul à faire une priorité de la conquête des
esprits. La philosophe-romancière et gourelle de l'objectivisme,
Ayn Rand, qui inspira tant Anton LaVay pour écrire sa fameuse
Bible satanique 3 n'aura de cesse d'insister sur le fait que le combat
politique se gagne d'abord dans le champ philosophique, voire poé-
tique. Comment expliquer, au-delà de la simple provocation, que
celle qui fut involontairement la source principale d'inspiration du
chef de l'Église de Satan soit aussi l'idole de la très grande majo-
rité des conservateurs et libéraux? Il existe dans le monde entier
des organisations élitistes qui poursuivent son œuvre. La France
compte aussi une Ayn Rand Society qui travaille avec l'Association
des libertariens (bien connue pour son activisme antisyndical) et
avec le Parti Constitutionnel dont le programme politique se réduit
1 Ibidem.
2 Ibidem.
3 Paul Ariès, Satanisme et vampyrisme, Golias, 2004.
21
à prôner l'adoption de la constitution américaine en France.
Le gourou de« Tradition-famille-Propriété », Plinio Corrêa de Oli-
veira fera également de la domination des esprits la condition de la
victoire totale. Nous avons traité de son idéologie extrémiste et mon-
tré son implication politique dans le coup d'État contre Allende 1.
Les partisans de la révolution conservatrice ne cesseront jamais de
« chevaucher ce tigre », comme les y invitait le philosophe Julius
Evola pour réaliser avant la politique une métapolitique et avant la cul-
ture une métaculture.
22
Anthony Fischer, qui créera une centaine d'instituts dans le monde à
partir de sa base américaine, le Manhattan Institute de New York'.
Sir Anthony Fischer rencontre, dès 1945, Friedrich von Hayek qui
le persuade de financer la mise en place des think tanks pour soutenir
la révolution conservatrice. La Société du Mont-Pèlerin leur servira
de base arrière. Sir Fischer crée dès 1955 l'International Center for
Economie Policy Studies (rCEPS) avec le soutien du futur directeur
de la CIA, William Casey. Il aidera les libéraux du monde entier à
mettre en place leurs propres think tanks.
Ce réseau de propagande est implanté aujourd'hui dans plus d'une
quarantaine de pays2, Les objectifs sont communs, même si chacun
s'adapte aux conditions idéologiques locales: légitimer la destruction
totale de l'État-providence, favoriser le démantèlement de tous les ser-
vices publics, permettre l'éloignement des pauvres des centres villes,
combattre le féminisme, accusé d'être responsable de la décadence
des mœurs, récuser les accusations de racisme, démontrer que les
noirs sont responsables de leur situation et qu'ils sont leurs propres
adversaires, réaffirmer la primauté de la famille, refaire de la religion
le fondement du lien social, etc.
Les plus gros think tanks américains sont : l'American Enterprise
Institute, le Hoover Institute, la Cato Foundation, la Heritage Founda-
tion. Ils ont des budgets de plusieurs dizaines de millions de dollars et
salarient des centaines de chercheurs 3.
The Dream and the Nightmare (1993), Myron Magnet promeut comme alter-
native globale à l'État-providence le conservatisme compassionnel; le livre de
Seymour Fliegel, Miracle in East Harlem (1993), dénonce l'éducation natio-
nale et fait de la « liberté scolaire» la condition de la réussite éducative des
enfants défavorisés. Ces ouvrages sont le plus souvent des commandes passées
à des idéologues conservateurs par les plus grands think tanks.
, Paul Labarique, « Le Manhattan Institute, laboratoire du néo-
conservatisme », www.voltairenet.orgiarticle 14881.html, 15 septembre 2004.
2 Ibidem.
3 II en existe de très nombreux autres plus petits, qui font office de grenadiers
voltigeurs de la pensée conservatrice, comme le Capital Research Center à
Washington, auteur d'une étude contre l'association Attac, le Manhattan Insti-
tute, qui s'est spécialisé dans le « marketing d'idées conservatrices» et est à
l'origine de la thèse des méfaits des aides sociales. On doit citer aussi la Free
Market Foundation, l'Economic Freedom of the World, la Future of Freedom
Foundation, le Ludwig von Mises Institute, l'Institut Molinari, la Margaret
Thatcher Foundation, etc.
23
L'importation du modèle en France
La France a un lourd retard dans le développement de cette
guerre idéologique. On peut en voir des symptômes non seulement
dans la résistance d'une partie de la droite au sarkozysme triom-
phant, mais aussi dans l'échec du référendum sur le Traité consti-
tutionnel européen et dans le traitement plus critique que la presse
semble réserver, désormais, aux provocations langagières de Nico-
las Sarkozy.
Les libéraux expliquent ce retard par l'absence d'une « vraie »
droite en France. La première tentative d'envergure de riposter à la
victoire idéologique du « socialisme» est venue du milieu des chefs
d'entreprises, avec la transformation du« vieux» syndicat patronal
en une machine de guerre idéologique. La fondation du Medef
n'est, en effet, rien d'autre que la volonté d'en finir avec une cer-
taine impuissance idéologique de la (fausse) droite française. Le
baron Seillière a ainsi transformé, en quelques années, le syndica-
lisme patronal en un mouvement idéologique et politique capable
de remplacer la droite défaillante, puisque incapable - selon lui -
de se démarquer d'une gestion sociale-libérale. Ses initiatives, dans
le cadre de son projet de refondation sociale, dépassent de beau-
coup le champ de l'entreprise pour toucher toute la société.
Le Medef s'est très vite doté d'une équipe d'idéologues et
conduit, désormais, ses combats d'idées comme de véritables cam-
pagnes de marketing. On se souvient par exemple de ses affiches
« Bac, mention emploi ».
Il est vrai qu'Ernest-Antoine SeiIIière, arrivé (selon le mot de son
prédécesseur) en kiUer à la tête du CNPF, y développa une concep-
tion de la société en rupture avec celle de ses anciens dirigeants
comme Ceyrac, Chotard ou Gandois.
~ancien patron du Medef doit sans doute beaucoup moins cette
approche à son passage par Sciences Po et l'ENA qu'à la formation
qu'il reçut au Center for International Affairs (CFIA), fondé par
Henry Kissinger pour accueillir des diplomates étrangers et leur
rendre sympathique la cause des États-Unis 1. Laurence Parisot,
élue présidente du Medef en juillet 2005, appelle pour sa part les
chefs d'entreprises à devenir les nouveaux hussards de la répu-
blique.
On constate, également, depuis dix ans, l'apparition de quelques
grands laboratoires d'idées qui fonctionnent sur le modèle améri-
1 www.medef.fr/stagingimedialupload!I080_FICHIER.pdf
24
cain. Il ne s'agit plus de clubs de réflexions et de débats comme feu
la Fondation Saint-Simon, mais de véritables machines de propa-
gande dont le premier souci n'est plus lajustesse de l'analyse, mais
son efficacité propagandiste, sa capacité à séduire plus qu'à
convaincre. Le dispositif s'éloigne des schémas universitaires clas-
siques pour se rapprocher de celui du marketing, voire (mais est-ce
différent?) de la guerre psychologique.
On dit souvent que le sarkozysme n'aurait pu prendre racine en
France sans l'aide des journalistes des grands médias, mais c'est
oublier le rôle plus discret, mais tout aussi fondamental, de ces
think tanks français, indispensables pour gagner à la cause de la
«révolution conservatrice)} les grands leaders d'opinion. À charge
pour eux, ensuite, de vendre avec ces idées du Nicolas Sarkozy.
Le principal propagandiste opérant aujourd'hui en France est
l'Institut Montaigne dont les travaux alimentent les débats des cou-
rants libéraux. Ce vecteur de propagande a été fondé par Claude
Bébéar, président du Conseil de surveillance d'AXA, conseiller
officieux de Balladur et donné pour proche de l'Opus Dei 1. I.:Ins-
titut Montaigne est soutenu par de grandes entreprises privées fran-
çaises. Le seul antécédent français de même facture serait le
fameux club Massiac, chargé de défendre les intérêts des colons
lors de la Constituante ... afin de la rendre insensible aux arguments
de la« société des amis des Noirs )}2.
I.:Institut Montaigne est à l'origine de la plupart des thèses qui
impulsent désormais la vie idéologique (plus qu'intellectuelle) de
la « droite de droite» : concept de minorités visibles, débats sur le
communautarisme, réforme de l'État, etc.
25
fondés par Alain Madelin, VInstitut Euro92, fondé également par
Madelin pour redécouvrir et étudier les racines de la tradition euro-
péenne (avec le soutien de grands dirigeants d'entreprises comme
ceux de Hewlett Packard, Sodexho, Elf Sanofi, Groupe André, Club
Med, et la participation de personnalités comme Jean-Pierre Raffa-
rin), l'Institut de Fonnation Politique (fonnation de haut niveau en
partenariat avec des think tanks américains), SOS éducation (contre
le monopole éducatif public), le Cercle Frédéric Bastiat, fondé en
1990 par Jacques de Guenin, l'association Contribuables associés,
forte de 100000 membres, présidée par Alain Mathieu, l' associa-
tion Action libérale, Sauvegarde des retraites (contre le gaspillage
étatique), l'Institut de l'entreprise (base de ressources pour influen-
cer les enseignants), Catallaxia (réseau des libéraux fédéralistes
européens), l'Institut la Boétie, etc.
La Fondation pour l'Innovation Politique, créée par Jérôme Mon-
nod, conseiller de Chirac, dirigée par Franck Debié (géographe à
l'ENS), ne fait naturellement pas partie des réseaux qui alimentent
le sarkozysme. Nicolas Sarkozy lui coupera les vivres dès sa prise
de pouvoir à l'UMP.
Ces groupes fonctionnent largement en réseau national et même
international. VInstitut Turgot bénéficie par exemple du soutien de
Gary Becker (prix Nobel d'économie, mais aussi ancien président
de la Société du Mont-Pélerin). Il est lié à l'Institute of Economic
Affairs qui fut le laboratoire du thatchérisme. Euro 92 s'enorgueillit
d'être en relation avec plus de 250 autres think tanks, etc.
La droite française reste pourtant sous-équipée en laboratoires
idéologiques. VInstitut Montaigne a donc convoqué, en avril 2005,
un grand colloque pour en comprendre les raisons et y porter
remède!.
27
que « les Français ont raison de désespérer », le bon Raffarin aura
eu quelques difficultés à faire partager sa « positive attitude ».
28
Cet indice prend en compte des critères comme la liberté du com-
merce, la charge fiscale, les interventions gouvernementales, la sta-
bilité de la politique monétaire, la liberté de l'investissement
étranger, la flexibilité des salaires, le respect des droits de pro-
priété, etc.
Une bonne réglementation contre la publicité, des services
publics efficaces, un réel encadrement des banques, une loi en
faveur de la réduction du temps de travail, une augmentation du
SMIC ou un impôt sur la fortune, et la place de votre pays chute!
Vidée de cet indice a été lancée par l'économiste libéral Milton
Friedman. Si vous avez un modèle social à la française, si vous avez
un État-providence développé, si votre État-nation est puissant. ..
bref, si vous ressemblez un peu trop à la France, sachez que vous
avez déjà perdu. Si en revanche vous adoptez le modèle fiscal amé-
ricain, le modèle social chilien, vous deviendrez bien vite le chou-
chou de nos experts.
La Banque mondiale publie également ses propres classements
des pays. Elle mesure, pour cela, la qualité de l'accueil qu'ils réser-
vent aux entreprises. Un rapport de 2005 donnait la Nouvelle-
Zélande en tête parmi les vingt pays les plus favorables aux
entreprises, suivie de près par les États-Unis, Singapour, Hong
Kong, l'Australie, etc. La France ne figurait même pas dans ce pal-
marès. Elle se retrouvait « au rang des économies du tiers-
monde 1 ». Elle était dépassée en 2004, pour certains critères, par le
Kenya, le Nicaragua, le Zimbabwe, etc.
Il faut admettre que, si vous croyez encore au sérieux de nos éco-
nomistes, c'est un coup à vous donner sacrément le bourdon. Mais
si chaque bulletin de santé négatif vous réjouit, vous êtes prêt pour
devenir un battant du sarkozysme.
Ne vous réjouissez pas trop tout de même, il est parfois des résur-
rections étonnantes.
Ilibre.org.
2 Éditions Perrin, 2003.
29
phases de décadence et de redressement. La cause de cette incurie
serait, selon lui, nos institutions politiques, jugées débilitantes.
Baverez entend cependant ne pas céder au pessimisme, car le déclin
annoncé ne serait pas un processus irréversible et inéluctable, mais
un processus volontaire, donc réversible.
Les critiques contre sa thèse viendront d'abord et surtout de son
propre camp. Ce qui prouve, une fois encore, l'anéantissement de
la pensée de gauche.
La France aura même droit à son faux débat entre libéraux
concurrents.
Olivier Duhamel, après s'être fait griIIer sur la ligne d'édition en
publiant avec quelques semaines de retard Le Désarroi français J.
lance la polémique : la France ne serait pas en déclin mais en crise
d'adaptation. Elle aurait de nombreux atouts, même si elle reste
« encroûtée dans le socialisme », puisque 1'« on est passé de 4 à
5,1 millions de fonctionnaires! »
Chistorien Jacques Marseille, qui publie La Guerre des deux
France, celle qui avance et celle qui freine 2, rétorque doctement à
ses deux confrères que « la France ne tombe pas, eIle se scinde en
deux ». Il y a une France du front qui doit supporter le conserva-
tisme d'une France de l'arrière. La France qui tombe serait la
France de l'ère industrielle (celles des prolos). Cautre France va
bien: depuis 30 ans, l'espérance de vie s'est accrue, le niveau de
vie a quasiment doublé, la productivité est parmi les plus fortes au
monde, etc.
Chistorien du colonialisme, qui se définit comme un anarcho-
libéral, invite lui aussi à barrer à droite :
« Je constate que les grandes réformes ont été portées par des
conservateurs. Qui s'est préoccupé de l'extinction du paupérisme?
Napoléon III. Qui a posé les bases des retraites? Bismarck. Qui a vrai-
ment fondé l'État-providence? Les libéraux britanniques John May-
nard Keynes et lord Beveridge 3. »
Baverez avait récusé par avance les critiques que l'on pourrait lui
porter. A ceux qui seraient tentés, comme Duhamel, de rétorquer
que la France est en crise comme le reste de l'Europe, comme
1 Plon, 2003.
2 Plon, 2004.
3 Jacques Marseille, propos recueillis par Pierre-Antoine Delhommais et Alain
Faujas, in Le Monde de l'économie du 31 mars 2004, reproduit sur le site hero-
dote. net
30
l'Asie ou les États-Unis, il explique que ce n'est pas comparable.
Pourquoi? Mais parce que c'est la France! A ceux qui, comme
Jacques Marseille, démontrent que ses chiffres sont faux, Baverez
rétorque que le déclin français n'est pas seulement économique, et
qu'il faut aussi considérer le reste. À ceux qui lui opposent les tra-
vaux officiels ou les positions de ses « amis » politiques, Baverez
rétorque que l'État français et la droite française sont incapables de
reconnaître les faits en raison de leurs vieux mythes jacobins.
31
« Cette égalisation n'est qu'une des grandes chimères au nom des-
quelles la France se ruine. C'est la chimère de l'égalité, chimère révo-
lutionnaire par excellence; les hommes et les femmes étant créés par
Dieu différents et complémentaires, il est vain de vouloir les rendre
semblables les uns aux autres 1. »
Cette idée que la France serait allergique aux réformes est une
vieille lubie que l'on entendait avant la Révolution française. La
monarchie ne serait pas parvenue à se réformer. .. car sa structure
politique s'y opposait. Ce blocage serait dû aux conditions de la fin
de la grande guerre civile du xW siècle. La monarchie absolutiste,
sous prétexte d'empêcher le retour de la guerre des religions et
d'imposer la paix, aurait donné à l'État un poids et une place qui
auraient ensuite bloqué toute évolution. La réforme se serait donc
faite, en France, dans le champ politique et pas simplement reli-
gieux. Cette réforme aurait transposé les Lumières au plan institu-
tionnel : la France en serait malade depuis.
« Il est bien dommage que l'on ait attendu les toutes dernières
heures de la campagne et le résultat des élections pour expliquer aux
Français que le vrai choix qu'ils avaient à faire pour l'Europe était
33
entre deux modèles : le modèle français et le modèle anglo-saxon.
Notre président a fortement suggéré que l'un était paré de vertus, et
l'autre de vices. » (Jacques Garello, in libres.org)
34
Bretagne en 2002, alors <).u'il était supérieur de 25 % en 1975),
autant de faillites qu'aux Etats-Unis, fuite des cerveaux, etc.
VInstitut France Stratégie explique plus prosaïquement que la
France aurait perdu le goût du travail. Mais est-ce vraiment la faute
du sentiment d'insécurité sociale qui bloquerait les énergies, ou
n'est-ce pas plutôt celle du culte que nous vouons à la « société
assurantielle », dans laquelle le souci de sécurité augmente à
mesure que les facteurs de vulnérabilité s'éloignent?
Claude Reichman, président du Mouvement pour la Liberté de la
Protection Sociale (MLPS), collaborateur du Cercle Bastiat, égrène
quelques autres griefs :
35
«Il Y a urgence à mener à bien des réformes [ ... ] Nous étions habi-
tués, en France, à la drogue douce de l'inflation, au contrôle des prix,
à une bourse minimaliste, à des exportations plafonnant à 18 % du pro-
duit intérieur brut. Nous étions une sorte d'Union soviétique qui aurait
réussi 1. »
36
La faute au régicide
Ce désamour de la France n'est jamais aussi visible qu'à propos
de 1789-1793. Les visions se font alors très noires, comme celles
d'Alain Besançon ou de Philippe Raynaud.
Alain Besançon n'est pas n'importe qui: académicien, membre
de l'Institut, directeur d'études à l'EHESS, membre du comité de
rédaction de la revue Commentaire, membre de l'Institut d'Histoire
Sociale!, membre de la New Atlantic Initiative (Nouvelle Initiative
Atlantique), fondée sous les auspices de l' American Enterprise Ins-
titute dans le but d'intégrer les États de l'Europe centrale et orien-
tale à l'OTAN. Cet homme sérieux peut être considéré comme un
précurseur du sarkozysme. Il met en avant le rôle de la peur dans
l'incapacité de la France de se réformer.
Mais de quoi la France aurait-elle peur?
Les Français resteraient marqués par le souvenir de plusieurs tra-
gédies. Besançon recense quatre périodes durant lesquelles l'État
français aurait retranché une partie de ses sujets (citoyens) de la
communauté politique : lors de la spoliation et l'exil des protestants
de 1685, lors de la spoliation et l'exil des nobles au moment de la
révolution, lors de la spoliation et l'exil des congrégations reli-
gieuses suite aux lois anticléricales, lors de la spoliation et de l'ex-
clusion des juifs après les décrets de 1940. La France connaîtrait
aujourd'hui une cinquième grande vague de spoliation. Elle s'en
prendrait en effet à son élite économique, obligée de fuir à son tour.
Notre historien note les signes d'infamie et de disgrâce dont on
affublerait nos « riches ». S'il ne fallait en citer qu'un, ce serait,
bien sûr, l'instauration de cet abominable Impôt sur les Grandes
Fortunes, en 1982, puis sa pérennisation sous l'appellation d'Impôt
de Solidarité sur la Fortune.
Besançon voit l'origine de la dangerosité politique de la France
dans « le mouvement sans-culotte, sectionnaire, jacobin extrême
qui s'est emparé de Paris en 1792 ... Ce noyau se dilate et se
contracte, sans rallier la sympathie accrue d'au moins un dixième
du corps politique français ... Il donne son éthos barricadier au
maigre syndicalisme français 2. »
Le professeur de sciences politiques de l'université Paris 2, Phi-
lippe Raynaud, est aussi un collaborateur de la revue Commentaire.
1 Officine créée en 1949 par George Albertini et soutenue par la CIA, pour
combattre le communisme en France.
2 Alain Besançon, « Pourquoi les Français ont-ils peur? », texte reproduit et
conunenté in Cahier n° 22, Institut France Stratégie.
37
Il explique que l'échec de la France ne tient pas seulement à la faute
des gouvernants, sinon il suffirait de changer les princes et de
prendre (peut-être) Nicolas Baverez comme conseiller:
39
État comme le garant de sa liberté et non comme un obstacle. Cette
France où l'absolutisme royal ne fit que préparer le jacobinisme et
où même la droite se veut étatique. Cette France où l'on entre en
politique comme en religion et où la division entre la gauche et la
droite prime, depuis si longtemps, sur celle entre religions.
La droite antirépublicaine a toujours fait semblant de ne pas com-
prendre pourquoi l'État français a pris, historiquement, une forme
centralisatrice. Les révolutionnaires en feront même le premier
article de la Constitution de 1793 en écrivant solennellement que
« la république est une et indivisible ».
La souveraineté appartient à la nation pour qu'aucune section du
peuple ni aucun individu ne puissent légitimement s'en attribuer
l'exercice. La France a toujours redouté sa division, car elle sait que
son unité est particulièrement fragile faute d'être culturellement
homogène. Elle ne fut donc jamais une réalité « transcendante »,
mais un produit de l'Histoire. Là où les Allemands ne forment pas
une nation, mais un peuple qui s'est toujours accommodé de l'exis-
tence d'une multitude d'États, où les Italiens partagent une même
culture, rendant longtemps inutile l'existence d'un État, la France
se reconnaît historiquement dans et par son État. Elle constitue
donc l'idéal-type de l'État-nation. Jusqu'au XIe siècle, on parle de
roi des Francs puis, à partir de Louis VI, on commence à parler de
Royaume de France. La royauté se donne donc déjà comme la
nation tout entière.
Un État centralisé se développe, avec une succession de grands
ministres comme Sully, Richelieu, Mazarin et Colbert en qui les
libéraux voient leur principal bouc émissaire puisqu'il serait res-
ponsable du retard industriel de la France. Cet État s'appuiera,
après 1789, sur la centralisation garante de son indivisibilité. On
utilisera désormais indifféremment les termes de république et de
nation.
40
France: le blocage de l'industrie par Colbert - il faudra attendre le
xxe siècle pour s'en remettre; le blocage des finances publiques par
un impôt trop important, depuis Sully, que dénonçait déjà en 1697
Boisguilbert; le blocage de la société, en raison des droits de
douane que vilipendait dès 1750 Vincent de Gournay, l'inventeur de
la fameuse formule du « laissez faire, laissez passer »; le blocage
de l'économie, du fait, selon Turgot, d'un dirigisme et d'une régle-
mentation excessifs; le blocage de la finance par la réglementation
du crédit, que dénonçait déjà durant la Révolution française Dupont
de Nemours.
On comprend, dès lors, que les « économistes» aient été opposés
à la monarchie, puis à la Révolution française, avant de s'opposer à
Napoléon et à de Gaulle.
Le roman national
La France entretient, de par son histoire, d'étranges rapports avec
son passé. Notre roman national remplit une fonction
identitaire, puisqu'il permet d'affirmer une continuité quasi biolo-
gique au fil des siècles. Le sarkozysme ne peut épouser ce roman
faute d'admettre le modèle français.
Ainsi, à défaut d'avoir une continuité territoriale ou une unité
culturelle, la France a toujours dû se donner une figure hùmaine.
Cette « France, la doulce », que contait au XVIe siècle Du Bellay,
empruntera ensuite de multiples visages: ceux de Jeanne d'Arc et
de Marianne, de Victor Hugo, de Pasteur, de Jean Moulin. Ceux
41
également de Manoukian et de l'Affiche rouge. Michelet en tirera
son fameux enseignement: « VAngleterre est un Empire, l'Alle-
magne, une race, la France est une personne. »
Le roman de la gauche
Le roman de la droite
«Je n'imagine pas Jeanne d'Arc mariée, mère de famille et, qui sait,
trompée par son mari. » (Charles de Gaulle)
42
Georges Mandel contre Jeanne d'Arc, Napoléon, de Gaulle
Régis Debray le demandait dans son ouvrage 1 : que resterait-t-il
de la droite sans ces trois héros?
Dis-moi, Sarkozy, quel grand homme tu commémores, et je te
dirai quel avenir tu nous prépares. Dis-moi quelle est ta mémoire,
on saura quel est notre futur!
Le 'sarkozysme serait-il la revanche des émigrés de l'Ancien
Régime? De Sarkozy le Hongrois à Balladur le Turc en passant par
le prince polonais Poniatowski, cette « droite de droite » semble
vouloir violenter l'histoire.
Une partie de la droite n'a d'ailleurs jamais longtemps hésité à se
ranger aux côtés de nos pires ennemis contre « l'exception fran-
çaise ». Du Manifeste de Brunswick, rédigé par le marquis de
Limon en juillet 1792 (par lequel ce général Commandant en chef
des forces coalisées menaçait Paris d'« une exécution militaire »),
en passant par les « Versaillais» préférant s'incliner devant Bis-
marck et lui livrer, avec l'Alsace et une partie de la Lorraine, plus
d'un million et demi de Français pour mieux mener la guerre au
peuple de Pari.s, jusqu'à la trahison du Maréchal Pétain.
Ces mauvais coups avaient traditionnellement pour conséquence
immédiate de réveiller le peuple, même si la gauche restait parfois
longuement sonnée. Ainsi, le Manifeste de Brunswick déclencha
l'émeute du 10 août 1792, qui entraîna la fin de la royauté; l'écra-
sement de la Commune de Paris devait nourrir pour plus d'un siècle
non seulement la théorie, mais l'imaginaire du « temps des
cerises »; la capitulation devant Hitler devait pousser de Gaulle à
désobéir et à lancer l'Appel du 18 juin et les premiers résistants à
manifester le 14 juillet.
Le sarkozysme ne semble pas provoquer le même réveil au sein
de la gauche. Les mauvaises langues pourraient en conclure qu'un
moribond ne bondit plus.
Il n'est pas nécessaire d'être Jacques Chirac pour soutenir qu'une
certaine droite a toujours été en France le parti de l'étranger (lui
parlait des « giscardiens »). Le général de Gaulle, lui-même, sera
bien obligé de l'admettre:
« Nous avons battu les Allemands, nous avons écrasé Vichy, nous
avons empêché les Communistes de prendre le pouvoir et l'OAS de
détruire la république. Nous n'avons pas pu apprendre à la bourgeoisie
le sens nationaP. » .
43
Pascal Salin, économiste distingué, ancien président de la Société
du Mont-Pèlerin (1994-1996), cofondateur de l'Institut Turgot, pré-
sident fort contesté du jury d'agrégation en économie, propose, ni
plus ni moins, de « désétatiser la nation ». Derrière les enjeux de la
privatisation rampante se trouvent aussi des positions
idéologiques : la nation, selon notre libéral en chef, relève simple-
ment d'un sentiment individuel et c'est donc à tort que les États
l'auraient « étatisée» en créant l'État-nation 1.
44
« Georges Mandel est d'abord une personnalité d'exception. Une
intelligence hors du commun que jamais on ne contesta. Une ténacité
qui, loin d'être un avantage, en effraya plus d'un. Les faibles de tous
bords n'ont jamais aimé et encore moins pardonné d'avoir à leur côté
de tels contre-exemples. On n'apprécie guère les irréductibles quand
on se voit soi-même par trop malléable»; « Sa vie durant, il lui faudra
agir. Agir pour vivre. Agir sans mesure. Agir enfin pour transcender un
physique souvent décrit comme ingrat et surtout pour porter le poids
de ses origines juives»; « On sait l'aversion ou l'incapacité qu'avait
Mandel à accepter d'être enrégimenté dans un appareil partisan»; « Si
Mandel compte des adversaires dans les rangs de ses amis supposés, il
trouve à l'inverse des alliés objectifs dans les troupes de ses ennemis
potentiels»; « I.:heure approche où Mandel va devoir quitter définiti-
vement Clemenceau. La rupture ne sera pas morale, encore moins cul-
turelle ou politique. Elle sera tout simplement physique. Elle n'en sera
pas moins brutale, douloureuse, pénible pour Georges Mandel qui
devra apprendre à vivre seul, tel un orphelin, et à se battre pour lui, tel
un homme d'État. À compter de ce jour, il sera à son compte»; « De
ce jour, Mandel ne sera plus jamais le collaborateur de personne. Seize
années durant, il aura servi, joué les utilités, assumé toutes les
besognes, même les plus ingrates. Cette période est désormais révo-
lue»; « Mandel est libre. il ira jusqu'à s'en enivrer»; « Il y a la pen-
sée de Georges Mandel et les arrière-pensées; il y a l'action au grand
jour et la manœuvre souterraine, il y a le dit et le non dit»; « Il aimait
à rechercher dans la vie des autres des enseignements pour son quoti-
dien. Il rêvait aux destins qu'il lisait, imaginant qu'un jour son tour
viendrait aussi. »
47
droite beaucoup plus à droite, il est aussi une révocation des trois
mémoires constitutives de notre nation. À ce titre, il se trouve hors
de nos frontières et s'inscrit difficilement dans nos filiations.
Pourquoi la droite?
Cet affrontement ancestral est l'une des énigmes de notre his-
toire. À quelle date faut-il faire remonter ce partage? Quelle est la
nature réelle de cette opposition : possédants contre prolétaires,
croyants contre infidèles?
Il faut prendre au sérieux la volonté de Nicolas Sarkozy de se
vouloir « libre }}. Il en fera même le titre de l'un de ses ouvrages 1.
Cette « liberté » dont il se prévaut n'est pas seulement une affir-
mation de son orientation économique libérale .. Elle est d'abord
d'ordre politique. Sarkozy se veut libre à l'égard de l'héritage de la
droite française, voire de la France. Cette liberté est davantage celle
du renégat et de l'apostat que du chenapan. Il y a quelque chose qui
tient du parricide dans son parcours politique. Sarkozy trahira
Charles Pasqua avant de trahir Jacques Chirac.
Cette liberté est donc bien celle de sa désaffiliation à l'égard de
ces traditions. La « droite décomplexée» n'est donc pas simple-
ment une droite plus dure. C'est une métamorphose de la droite
française à laquelle la gauche semble incapable de répondre en rai-
son de sa propre mutation. Cette « droite décomplexée )} a pour
contrepartie nécessaire une France invertébrée, une France affadie.
48
La « droite décomplexée » échappe à notre classement. Où se
serait-elle située, en 1815, lorsqu'il fallut choisir de nouveau entre
l'Ancien Régime et la Révolution, en 1905, lorsqu'on dut trancher
entre la foi et les Lumières, ou en 1935, lorsqu'il fallut prendre
position pour fascisme ou socialisme?
La droite décomplexée est un abus de langage. Elle n'appartient
pas à notre mémoire. Le sarkozysme traduit la volonté de faire
prendre à la France le chemin qu'elle refusa à plusieurs reprises au
cours de sa très longue histoire.
Cette « droite décomplexée» n'est-elle pas également un abus de
mémoire pour désigner une droite livrée à la révolution néo-conser-
vatrice?
1 Plon. 2000.
2 Ghislaine Ottenheimer, Jean-Pierre Piotet, par exemple.
49
trop française. Il n'a de cesse également de faire juger cette« droite
française » par les droites mondiales et de faire condamner la
France par les autres pays. Il court la planète des milliardaires et
multiplie les rencontres avec les chefs de partis de la « droite dure»
pour bien marquer son ancrage : celui d'une droite résolument à
droite, une droite ouvertement libérale, une droite à l'aise dans son
occidentalité et sa judéo-chrétienté.
Cette « droite décomplexée» idéale serait finalement une simple
section locale d'une internationale néo-conservatrice dont le cœur
battrait aux États-Unis. Cette thèse rejoint la notion d'Euricains tel-
lement à la mode. La droite française deviendrait un banal parti
conservateur comme la nation française deviendrait enfin une
nation équivalente aux autres. Elle serait un« site» parmi d'autres,
sans aucun grand dessein politique.
Les méchantes langues seraient tentées de dire que Nicolas Sar-
kozy se verrait finalement très bien en petit caporal d'une nouvelle
classe dirigeante mondiale. On pourrait alors lui opposer la célèbre
formule du général de Gaulle : « Vous êtes un homme politique.
C'est bien. Il en faut. Mais, en certaines circonstances, les hommes
politiques doivent savoir se hausser au niveau des hommes d'État. »
Le débat sur la crise de l'Université est symptomatique de cette
approche: la France devrait participer à la formation de la nouvelle
élite mondialisée. Claude Bébéar offre une nouvelle fois cette belle
perspective aux jeunes générations: donner à la France la mission
de façonner l'Europe à l'image des États-Unis, mais dans une ver-
sion catholique plutôt que protestante.
Sarkozy est également tenté de donner quelques gages. Peu après
sa conquête de l'UMp, il promettait une droite française illuminant
le monde:
« Le peuple de droite n'a pas le moral. Pour tout dire, il a perdu l' es-
poir. La victoire de Chirac et de l'UMP en 2002 n'a apporté qu'un ren-
forcement du socialisme en France 3. »
51
droite et gauche m'horripilent. la vraie distinction se trouve entre deux
France, entre la France exposée, qui est dans le mouvement, et une France
abritée, qui freine. » La droite doit donc « aller à fond dans les réformes
essentielles: les retraites [ ... ] le système de santé [ ... ] l'éducation natio-
nale [... ]Ia création d'emplois [ ... ] Quand comprendra-t-on enfin que la
dépense keynésienne est facteur d'inégalités? Que les ouvriers sont les
premiers perdants dans les systèmes de retraites et de santé actuels parce
qu'ils cotisent pour les riches? Que les aides aux entreprises vont à celles
qui n'en ont pas besoin? Que la recherche française fonctionne mal parce
que l'université n'est pas assez sélective? [ ... ] Parce que nos concitoyens
rêvent toujours d'un commissaire au plan, d'un contrôle des prix et de
créations massives d'emplois par l'État. Parce que 86 % des jeunes son-
dés souhaitent être fonctionnaires. Parce qu'il y a dans ce pays une haine
pour l'entreprise et que l'ascenseur social est en panne. Parce que nos
syndicats sont faibles et archaïques. Parce que ceux qui prétendent incar-
ner le parti de l'intelligence continuent à rêver d'un grand soir. Parce que
les privilèges de la fonction ont remplacé ceux de la naissance [... ] Mon
conseil? À droite toute 1 ! »
52
Sarkozy navigue à vue dans le cadre de cette stratégie de reposi-
tionnement. La malheureuse affaire de la Turquie en est un bon
exemple avec la tentative d'importation en France de la thèse du
« choc des civilisations ».
53
jamais cessé de trahir le libéralisme. Comme toute vraie trahison,
celle-ci serait d'ailleurs native. La France aurait pu être libérale, car
elle eut quelques grands penseurs comme Mme de Staël, Constant,
Tocqueville, Bastiat, mais quelque chose en elle résistait, qui serait
finalement elle-même. Si la droite française n'est pas de droite, ce
serait faute d'authenticité libérale.
Une campagne idéologique de grande envergure est conduite
depuis plusieurs années à l'intérieur des rangs de la (fausse) droite
pour la convaincre de changer son imaginaire. Il serait épuisant de
recenser tous les articles et ouvrages qui se sont donnés pour but de
refonder idéologiquement la droite française et son libéralisme.
I:articulation entre les livres de Lucien Jaume et de Pascal Salin
sera suffisante.
Alors que Lucien Jaume consacre son traité à déboulonner le
libéralisme français l, Pascal Salin consacre un ouvrage majeur à
fonder ce que doit être le vrai libéralisme 2. Salin donne trois piliers
au libéralisme : la liberté, la propriété et la responsabilité. La thèse
est simple: pas de liberté sans propriété et la propriété comme fon-
dement de la responsabilité.
Le maréchal Salin propose quelques pistes pour passer du
XX" siècle, siècle de l'irresponsabilité, au XXIe siècle, siècle de la
responsabilité individuelle: la privatisation totale de l'espace et des
rues sur le modèle des rues privées qui existaient autrefois, la créa-
tion d'un véritable marché des droits à construire, la privatisation
totale de l'enseignement, la désétatisation absolue de la nation, la
suppression du droit du travail, etc.
Guizot.
2 Libéralisme, op. cit.
54
Cette thèse fait fureur depuis la parution du livre de Lucien
Jawne : L'Individu effacé ou le paradoxe du libéralismefrançaïs 1.
I.:opposition à cette thèse ultra-libérale viendra une fois de plus
des rangs de la droite. Jean-François Revel s'insurge et se porte à la
défense des libéraux français, certes tous plus ou moins étatistes et
dirigistes, mais cependant tellement partisans de la liberté indivi-
duelle. Pour Lucien Jaume, la seule bonne question est de savoir
pourquoi la France est incapable de faire reculer véritablement
« l'usurpation étatique» ?
Ce serait parce que ce point de vue libéral lui est totalement
étranger. Il faudrait donc rompre avec toute la tradition française
pour devenir un vrai libéral. Le libéralisme français se seiait can-
tonné au domaine philosophique en raison d'une haine tenace du
marché, alors que chez les Anglais et les Écossais, il aurait été non
seulement immédiatement politique, mais aussi économique et
social.
I.:opposition entre deux libéralismes range la France du mauvais
côté. La thèse de Lucien Jawne est claire: les libéraux français ne
sont pas de vrais libéraux, mais de véritables étatistes ni honteux ni
repentants. Guizot serait le modèle du « faux» libéral français puis-
qu'il ira jusqu'à faire l'éloge de Napoléon sans être pour autant
excommunié par ses frères en libéralisme. Le libéralisme français
est donc un faux libéralisme sous de multiples aspects qui le ren-
dent totalement impropre à la consommation intellectuelle.
Le libéralisme français n'aurait rien compris à ce que doivent être
des rapports « sains » entre la « société civile » et le vil État. Cette
thèse se trouve aujourd'hui à la base du sarkozysme le plus ordi-
naire et le plus concret. C'est par elle que l'on justifie l'éloge de la
« société civile », c'est-à-dire non seulement la bonne société des
élites, mais aussi la France des communautés et des « minorités
visibles ». C'est par elle aussi que l'on justifie les grands travaux
qui visent à rabaisser l'État au rang de simple « veilleur de nuit ».
La France a, aux yeux des sarkozyens, une tare congénitale: celle
d'être par excellence la nation d'une fusion mortelle entre la
« société civile» et l'État. Les Français auraient depuis des lustres
un imaginaire centralisateur qui leur ferait sacrifier les « libertés»
à la dévotion d'une unité nationale imaginaire. Il leur aurait pour-
tant suffi de lorgner de l'autre côté de la Manche pour se débarras-
ser de cette funeste vision du monde. Les Britanniques : voilà un
grand peuple qui a su reconnaître les particularités locales!
1 Op. cit.
55
Ce dérapage français ne devrait rien aux circonstances, puisqu'il
serait le fruit d'une option philosophique dont les racines plonge-
raient profondément dans ces deux tares nationales que sont l'ab-
solutisme royal et le catholicisme.
Les Français tisseraient depuis plus de mille ans leur histoire avec
le même fil: on pourrait remonter, sans risque d'être dépaysé, du
gaullisme au bonapartisme, puis de la Révolution française aux
pratiques monarchistes absolutistes et, enfin, de la doctrine poli-
tico-théologique de Bodin à la théologie médiévale.
Les libéraux français ne comprendraient pas ce que doit être le
droit. Les vrais libéraux savent, eux, que la loi exprime l'ordre
spontané: ils descendent de Hume et d'Adam Smith, pour qui la
défense des hiérarchies naturelles et de l'économie de marché sert
de Constitution. Faute d'être des Anglais, ou mieux des Écossais,
les « faux libéraux» à la française aiment s'imaginer que la loi est
une norme artificielle surgie de leurs cerveaux féconds. :e école
libérale française voue donc un culte bien hexagonal à la Raison.
Elle a foi dans l'homme, la belle affaire! :ehomme serait, selon leur
maître Kant, capable de loi, c'est-à-dire non seulement de légiférer,
mais de s'y soumettre.
D'où cette prétention malsaine de la loi française à vouloir incar-
ner la volonté générale, alors que tous les vrais libéraux savent se
contenter de faire interpréter par les juges des droits effectifs selon
le bon vieux modèle britannique.
La conséquence ne se serait pas fait attendre : nos « faux libé-
raux » français se sont mis à croire en la loi pour libérer l'homme
et à considérer, avec Locke, que la loi serait une condition de la
liberté humaine et civique.
Laissons les Français s'amuser avec Lacordaire, puisqu'ils
croient qu'entre le fort et le faible, le riche et le pauvre, c'est la
liberté qui aliène et la loi qui libère. Laissons-les parler de liberté
du renard dans le poulailler et vénérer des lois générales et abs-
traites.
Les vrais libéraux sauraient, eux, grâce à Jeremy Bentham (1748-
1832), que « toute loi est un mal car toute loi est une atteinte à la
liberté)} 1, puisqu'elle est et ne peut être qu'une limite au droit natu-
rel (au premier chef duquel le droit de propriété).
Les Français seraient de « faux libéraux », car ils auraient déve-
loppé une foi dans la politique et dans l'État pour transformer leur
propre vie. Ce faux libéralisme aurait accouché d'une « révolution
56
continue », tout au long du XIX" siècle, entre la bourgeoisie et le
peuple et les restes de l'Ancien Régime. La révolution aurait été
faite en France contre la noblesse, y compris par une partie de la
monarchie (cf. : le rôle de Philippe-Égalité). I:État absolutiste
aurait misé sur la bourgeoisie pour contrer la noblesse, ce qui aurait
engendré la naissance d'une noblesse d'État spécialisée dans la
gestion des services administratifs et judiciaires.
Le vrai libéralisme serait celui de l'Angleterre, où la révolution
aurait été menée contre l'État pour la défense des grandes libertés
locales. Cette conquête des libertés résulterait de l'alliance entre les
barons et le peuple contre la royauté. La révolution anglaise se
serait faite contre le roi, donc contre le dirigisme étatique.
Les Français seraient de « faux libéraux », car ils seraient fonda-
mentalement souverainistes. Ayant considéré l'État (royal puis
jacobin) comme la source de droits valables pour tous, ils en
seraient venus à combattre le pluralisme, leur faux libéralisme les
conduisant à supprimer tout ce qui menace l'unité.
Cette sacralisation du pouvoir serait à mettre en relation avec
l'existence d'un État gallican. Le libéralisme serait, selon Jaume,
une critique de la notion même de souveraineté nationale. De
Locke à Montesquieu et Tocqueville, et de Constant à Guizot ou
Hayek, l'objet du gouvernement devrait être de mettre les citoyens
en état de se passer de son secours. Jaume ajoute que le vrai libé-
ralisme en politique a pour idéal le « gouvernement de la liberté »,
c'est-à-dire la recherche d'institutions politiques permettant à la
liberté humaine de se gouverner elle-même:
57
La thèse est limpide: le jacobinisme ne serait pas un accident lié
à la révolution française, car il serait ontologiquement ou intrinsè-
quement français.
La France ne pouvait renoncer à l'absolutisme sans sacrifier le
prestige de l'État. Ce refus d'en finir avec un État centralisé aurait
détourné la vindicte populaire contre les vrais amis du peuple,
c'est-à-dire les possédants: « Leur courroux s'est dirigé contre les
possesseurs et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire,
ils n'ont songé qu'à le déplacer 1. » Depuis, les idées socialistes
seraient en France comme un poisson dans l'eau.
Les Français seraient de « faux libéraux» car ils auraient trans-
féré sur l'État-nation les « valeurs» assurées partout ailleurs par les
Églises (charité, etc.). Le grand problème des « faux libéraux »
français serait donc de croire que la société puisse être autre chose
que la somme d'individus particuliers. Il en aurait résulté le culte
de l'État, mais .aussi la séparation de l'Église et de l'État, contrai-
rement à la Grande-Bretagne où le chef de l'État est aussi le chef
d'une Église. La France aurait finalement fait le mauvais choix
entre ces deux souverainetés rivales que sont l'État et l'Église l'É-
tat s'étant accaparé l'intérêt général associé à l'État-providence.
Les Français seraient de « faux libéraux» car ils auraient foi dans
les bienfaits de l'État-providence, qui aboutirait pourtant à un
abaissement de l'individu et à un rehaussement de l'État. Alexis de
Tocqueville s'interrogeait déjà: « Une telle puissance bienveillante
pourra-t-elle laisser aux individus une part de jugement et d'initia-
tive? » (cité par Lucien Jaume).
Les vrais libéraux sauraient, eux, que la vraie solidarité ne peut
être que volontaire et individuelle. C'est pourquoi ils prônent
aujourd'hui le « conservatisme compassionnel ».
Ce courant théorique tient donc pour acquis que la droite française
serait une « fausse » droite, puisque le libéralisme français aurait
toujours été un « faux» libéralisme, dès lors que son but aurait été
de concevoir un libéralisme par l'État et non contre l'État.
58
La droite française ne pouvait être qu'une fausse droite et le libé-
ralisme français qu'un faux libéralisme, dès lors que la conception
même de l'individualisme développée en France était fondamenta-
lement erronée et dangereuse.
Cette thèse, proposée par Hayek, fait remonter encore plus loin la
cause du « mal français »2. La France aurait originellement une
vision totalement erronée, et surtout dangereuse, de l'individua-
lisme en raison de la mauvaise influence du rationalisme cartésien,
des encyclopédistes, de Rousseau et des physiocrates.
Cette tare française serait à l'origine à la fois du nationalisme
français, de son dirigisme et de son attraction irrésistible pour la
révolution. Le faux individualisme à la française serait, selon
Hayek, le cousin germain du socialisme.
Si le faux individualisme est intrinsèquement français, le bon
individualisme est britannique.
Le mauvais individualisme expliquerait une idée aussi funeste
que celle du contrat social. :Chomme pourrait choisir rationnelle-
ment ses lois comme fondement même de toute société. Cette pente
est dangereuse pour tout vrai libéral, car si l'on commence par
accepter l'idée que la société doit se soumettre à la raison, on finit
par condamner le capitalisme, par 'favoriser le féminisme, etc.
:Chomme n'est pas doté de raison suffisante pour espérer pouvoir
diriger ainsi ses affaires. Refuser le culte de la Raison serait une
façon de couper le gazon sous les pieds de tout dirigiste, interven-
tionniste et keynésien en herbe.
Le bon individualisme postule au départ l'incapacité crasse des
hommes à s'entendre et à passer un « contrat en bonne intelli-
gence ». On perçoit immédiatement les avantages de cette thèse: si
le fondement de la société ne peut être le contrat social cher à Rous-
seau, c'est-à-dire la raison politique des républicains français, il ne
reste pour fonder la société que le bon vieux système de propriété
privée.
Le véritable individualisme est donc antirationaliste pour ne
jamais sombrer dans le travers politique qui consiste à vouloir
changer les lois naturelles au nom de pseudo-principes universels
comme l'égalité ou la fraternité.
Le mauvais individualisme est un mélange d'anthropocentrisme
et de rationalisme, puisqu'il croit possible de changer la face du
monde en se mettant d'accord sur des lois.
2 Vrai etfaux individualisme, conférence prononcée à l'University College,
Dublin, le 17 décembre 1945, traduction François Guillaumat. Reproduit sur
herve.dequengo.free.frlHayekIHayek2 .htm
59
Le vrai individualisme, parce que conscient des limites de l'esprit
individuel, ne peut adopter qu'une attitude d'hwnilité face aux pro-
cessus impersonnels et aux lois naturelles. La nature a voulu qu'il y
ait des riches et des pauvres, pourquoi vouloir violer ses règles?
S'il ne fallait citer qu'un seul fautif, ce serait, bien sûr, Descartes,
dont l'impact sur Rousseau et la Révolution française aurait été
considérable. Descartes aurait distillé l'idée diabolique selon laquelle
l'Histoire serait le produit d'actions délibérées.
Le bon individualisme est affaire de méthodologie, et non de foi
dans l'homme. Il est celui de l'amour de soi et de la défense des inté-
rêts personnels (ceux des eaux glacées du calcul égoïste), mais ce qui
existe est le résultat inattendu des actions individuelles. Hayek admet
cependant que cet égoïsme ne soit pas étroit et qu'il puisse englober
la famille et les amis. Au dieu-marché de réaliser ensuite la synthèse.
Hayek se défend de tout voisinage avec l'anarchisme car, contrai-
rement aux penseurs libertaires, le libéral ne croit pas en la raison. Ils
ont seulement en commun la haine de l'État, mais pour des motiva-
tions toutes différentes. Ce que le libéral refuse dans l'État, ce n'est
pas le gendarme (<< le veilleur de nuit») mais la prétention de faire
reposer la société sur la raison, donc sur la loi. Ce serait là un crime
de lèse-libéralisme, car jamais la vraie liberté ne pourrait passer par
le droit:
«Il ne peut y avoir de liberté si l'État n'est pas limité à des types d'ac-
tion particulière, mais peut user de son pouvoir à discrétion pour servir
des objectifs particuliers 1. »
60
Le vrai individualisme ne prône pas l'obéissance à un supérieur
(comme la loi) mais la sownission à un ordre social antérieur à la
volonté du législateur. Là où le « faux individualisme» prône le dis-
sensus, le vrai libéralisme conduit à la conformité volontaire.
Hayek le dit à sa manière toujours forte et limpide:
« Je suis avant tout persuadé que lorsque ce sont les intérêts d'une
catégorie économique particulière qui sont enjeu, l'opinion majoritaire
sera toujours l'opinion réactionnaire 2. »
1 Ibidem.
2 Ibidem.
Chapitre 5
La France du sarkozysme
63
Les sarkozyens conséquents reconnaissent volontiers que la
démocratie française est de plus en plus mise à mal par la crise de
l'État républicain. Les thèses que leur soufflent les partisans de la
révolution conservatrice, et même les libéraux, ont cependant de
quoi inquiéter tout bon démocrate. Ils considèrent que le dévelop-
pement de l'État-providence serait néfaste, car il conduirait auto-
matiquement à une surenchère démagogique. Ils voient dans la
démocratie un simple moyen inefficace, voire illégitime. Enfin,
l'échec de la démocratie politique rappelle à leur bon souvenir la
vieille thèse libérale anti-étatiste qui les oblige à opter pour un État
minimaliste ou, mieux encore, à entreprendre de « désétatiser »
totalement la société. Nous sommes donc loin de Dominique de
Villepin rappelant lors de son discours d'investiture que « notre
nation s'est construite autour de l'État» (Discours à l'Assemblée
Nationale du 9 juin 2005).
Démocratie = corruption
La démocratie conduirait à la corruption.
Comment la France, championne du monde de l'État-providence,
pourrait-elle, dès lors, ne pas devenir une république bananière?
Brigitte Henri, en publiant Au cœur de la corruption 4, a fait les
1 in Le Monde du 21 juin 2004.
2 Texte publié dans le Journal ofPolitical Economy, LXII, 1954, et sans cesse
reproduit depuis sous le titre « Vote et marché» in site herve.dequengo.free.fr.
3 Paul Ariès, Petit Manuel anti-pub, GoIias, 2004.
4 Éditions nO 1,2000.
65
délices des libéraux. Son tableau particulièrement sombre des
mœurs politico-affairistes françaises montre que, loin d'être un
accident inévitable, la corruption serait l'indice d'un pourrissement
généralisé du système politique français.
Les sites Internet libéraux se complaisent à reprendre en boucle
les études de Transparency International qui classent la France
parmi les pays les plus corrompus. Ce classement se concentrant
exclusivement sur la corruption dans le secteur public, et celui-ci
étant particulièrement développé en France, le biais méthodolo-
gique est évident puisqu'il pénalise notre pays, même avec un taux
de fraude équivalent aux autres. Ce classement s'effectue égale-
ment en tenant compte des seules affaires connues et du degré de
corruption ressenti, bref, une nation dont les mécanismes de
contrôle permettent de coincer les fraudeurs et dont la culture ne
tolère pas la fraude se trouve pénalisée.
L espoir des libéraux réside dans le développement de la « société
civile », seule capable - c'est bien connu - de combattre efficace-
ment toute forme de corruption.
www.libres.orglfrancais/dossiers/corruptionlcorruption34504.htm
66
« Dans la plupart des démocraties contemporaines, le droit de pro-
priété est malmené: l'État confisque l'argent gagné, il s'attaque aux
patrimoines, détruit les fortunes et les héritages, il réduit gravement la
liberté d'entreprendre, d'échanger et de contracter l . »
67
Démocratie = socialisme
Les sarkozyens n'ont pas toujours la chance d'être des Hans Her-
mann Hoppe pouvant s'écrier librement « À bas la démocratie! 1 ».
eéconomiste Hans-Hermann Hoppe, l'un des patrons de l'Insti-
tut Ludwig von Mises (l'un des think tanks américains), enseigne à
l'université du Nevada à Las Vegas. Ce philosophe libertarien n'a
pas seulement le sens des formules qui font le bonheur des ban-
quets, il a également des idées très définitives: la démocratie serait
une mauvaise chose, car elle conduirait ipso facto à l'égalitarisme.
Ce constat établi pour la France serait plus vrai encore à l'échelle
mondiale. La globalisation sonne donc le glas de la démocratie,
sauf à accepter de disparaître :
1 À bas la démocratie, Enterprise and Education, 1995, texte traduit par Fran-
68
reconnaître qu'il existe une nette distinction entre ceux qui paient des
impôts (les exploités) et ceux qui les consomment (les exploiteurs)!. »
Pour les libéraux, les choses sont sûres : si les tendances actuelles
se poursuivent, on ne risque rien en disant que l'État-providence
occidental, c'est-à-dire la démocratie sociale, s'effondrera tout
comme le « socialisme oriental» s'est effondré à la fin des années
quatre-vingts.
Voilà qui ne pourrait que réjouir le grang Michael Novac, profes-
seur à Harvard, ancien ambassadeur des Etats-Unis, titulaire de la
chaire d'économie à l'American Enterprise Institute puisque, lui
aussi, ne voit plus qu'un seul obstacle à la victoire totale du capita-
lisme : l'existence d'un État-providence.
Hans Hermann Hoppe n'est, cependant, pas encore à court d'argu-
ments pour dénoncer cette vérole qui saperait les fondements de la
civilisation occidentale :
« La débâcle actuelle est, elle aussi, le produit des idées. Elle est le
résultat d'une acceptation massive, par l'opinion publique, de l'idée de
démocratie. Aussi longtemps que cette adhésion est dominante, la catas-
trophe est inévitable; et il n'y aura pas d'espoir d'amélioration même
après qu'elle sera arrivée. En revanche, si on reconnaît que l'idée démo-
cratique est fausse et perverse - et les idées, en principe, on peut en
changer instantanément -la catastrophe peut-être évitée »; « la tâche
essentielle qui attend ceux qui veulent renverser la vapeur et empêcher
la destruction complète de la civilisation est de dé-légitimer l'idée de la
démocratie, c'est-à-dire de démontrer que la démocratie est la cause
fondamentale de la situation actuelle de dé-civilisation rampante 3• »
1 Ibidem.
2 Ibidem.
3 Ibidem.
69
La solution pour rompre avec la démocratie serait, selon Hans
Hermann Hoppe, de renouer avec l'esprit des fondateurs des États-
Unis qui entretenaient plutôt l'idée d'une « aristocratie naturelle»
dont ils pensaient faire partie. Cette « république aristocratique »
serait à l'opposé de la république de la canaille dont la France
serait, bien sûr, le prototype le plus accompli.
La démocratie aurait beaucoup d'autres défauts. Christian
Michel, économiste, conférencier au Cercle Bastiat, lui reproche
d'être un rejeton des Lumières et de Descartes, puisqu'elle repose
sur l'idée que le peuple est souverain, ce qui serait dénué de sens:
70
chefs de famille, ou les personnes sachant lire et compter avaient le
droit de vote, il n'y aurait guère plus d'atteinte au principe que dans le
cadre des limitations actuellement admises 35. »
35 Ibidem.
36 Ibidem.
37 Ibidem.
38 Ibidem.
71
Les conclusions qu'en tire Hayek peuvent apparaître comme très
actuelles:
72
Mais comme le caractère démocratique d'un pouvoir ne peut être
considéré comme un critère absolu puisqu'une majorité peut spolier
une minorité (les créateurs de richesses), Salin propose de changer
nos outils d'analyse ...
La question fondamentale ne serait pas le caractère démocratique
ou non d'un régime, mais la légitimité de son action politique au
regard des droits naturels. Bien d'autres systèmes seraient alors pré-
férables à notre vieille démocratie. Salin s'interdit de donner des
« solutions magiques» pour« limiter la démocratie» (sic), mais il
propose cependant quelques pistes : développer les systèmes de
contrôle non démocratiques comme la mise en concurrence, l'ex-
pertise ou encore le pouvoir judiciaire, imposer des majorités quali-
fiées pour les lois, développer la décentralisation, encourager la
société civile, développer les associations, etc.
1 Donald Zoll in National Review, 16 décembre 1969, cité par Pierre Dom-
mergues, Le Monde Diplomatique, « Un autoritarisme à visage démocra-
tique », mai 1981.
2 Brian Murphy et Alan Wolfe, « Democracy in Disarry », Kapitalistate, nO 8,
p. 16; et Alan Wolfe, The limils ofLegitimacy, Free Press, 1977.
73
dilemme «Will democracy kill democracy? » (<< lorsque la démo-
cratie tue la démocratie ») qui reprend la vieille thèse des conser-
vateurs français du XIXe siècle: « La légalité nous tue '. »
Samuel Huntington et Michel Crozier développent la notion de
« crise de la gouvernabilité 2 ». ];époque est à considérer que la
crise de la démocratie impose d'adopter de « nouveaux méca-
nismes de contrôle social » permettant d'aller vers un gouverne-
ment plus autoritaire, donc plus efficace 3. Les auteurs
recommandent diverses mesures comme la restauration de l' auto-
rité, la restriction sévère des dépenses publiques, la réduction de
l'activité syndicale, la défense de l'ordre, la remise en vigueur de la
discipline familiale, le retour à une plus grande moralité, notam-
ment sexuelle, le changement de politique d'immigration, la réha-
bilitation du patriotisme, etc.
Les attentats terroristes du Il septembre 2001 vont permettre aux
États forts de sortir des cartons tout un programme de restrictions
des libertés publiques et individuelles afin de mieux contrôler la
démocratie. La France de Sarkozy ne fera pas exception.
74
non seulement ils sont convaincus que la démocratie conduirait
automatiquement au socialisme, mais ils restent persuadés, avec
Hayek, que l'État ne vaudrait guère mieux, sauf à être réduit au
simple rôle de « veilleur de nuit».
75
roi fort), la lutte contre l'occupant anglais était donc, pour elle,
secondaire.
Le danger serait de rejouer aujourd'hui le même jeu avec d'autres
cartes en s'imaginant que ce dont la France manque cruellement
serait d'un homme fort (Sarkozy) et non point d'un État fort.
76
un intennédiaire, on s'adresse à l'État, et chaque classe, tour à tour,
vient lui dire : "Vous qui pouvez prendre loyalement, honnêtement,
prenez au public, et nous partagerons" »; «le pillage réciproque n'en
est pas moins pillage parce qu'il est réciproque: il n'en est pas moins
criminel parce qu'il s'exécute légalement et avec ordre 1. »
IJÉtat américain tient, lui, le beau rôle puisqu'il refuserait les chi-
mères des Lumières et veillerait au respect des traditions, c'est-à-
dire des lois naturelles. Les pauvres sauraient qu'ils ne peuvent
espérer collectivement une amélioration de leur sort, sauf à parve-
nir individuellement à être de gentils petits méritants :
'Ibidem.
2Ibidem.
3 Ibidem.
77
pourvoir à la défense commune, accroître le bien-être général et assu-
rer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, décré-
tons, etc." Ici, point de création chimérique, point d'abstraction à
laquelle les citoyens demandent tout. Ils n'attendent rien que d'eux-
mêmes et de leur propre énergie 1. »
Il faut bien se mettre dans la tête que ce que nos libéraux contes-
tent ce n'est pas que l'État ait le monopole de la violence légitime
(Max Weber), mais qu'il ait le monopole du vol légal.
À mort l'État!
Les libéraux les plus audacieux proposent d'avancer vers la dis-
parition de tout État. Hayek, lui-même, voyait dans l'étatisme « la
route de la servitude » et du collectivisme.
Salin prend des accents guerriers :
1 Ibidem.
2 Pascal Salin, op. cit., p. 70.
3 Le Figaro, Il juin 2003.
78
personnel, de le priver de son propre droit, fondé sur d'autres
valeurs que celles de la propriété.
Ce démantèlement de l'Etat doit concerner tous les domaines :
industriel, financier, économique, policier, militaire, sanitaire, cul-
turel, éducatif, etc. J;appareil répressiflui-même a en effet vocation
à être privatisé. François-René Rideau, chercheur-informaticien,
porte-parole des libertariens français, reprend, par exemple, dans
un article intitulé «Des polices privées», l'argumentaire habituel 1•
Il explique que la façon dont la France traite le problème de l'insé-
curité est une fuite en avant dans le « toujours plus d'État ». Cette
politique serait inefficace, car l'insécurité ne serait pas un problème
de moyens policiers, mais le symptôme que le système français est
pourri. La seule solution serait de généraliser des polices privées
car dans ce domaine, comme dans tous les autres, la concurrence
(entre milices) serait plus efficace. François-René Rideau reven-
dique enfin « le droit de porter les armes » et « la liberté indivi-
duelle d'organiser sa propre défense» :
79
pourquoi le FMI publie désormais dans son rapport World Econo-
mie Outlookune analyse des institutions politiques et juridiques qui
constitueraient des facteurs de prospérité. La nouveauté est réelle,
puisqu'il ne s'agit plus d'expliquer la croissance économique à
l'aide de facteurs de production comme le travail ou le capital, mais
par le choix des institutions. Les bonnes institutions sont bien sûr
celles qui organisent la libre-concurrence et la flexibilité; les mau-
vaises institutions sont, par exemple, les réglementations les plus
diverses, l'existence d'un droit du travail contraignant, une faible
protection de la propriété privée, etc.
Cette thèse rejoint celle de Sylvain Gallais, économiste à l'uni-
versité de Tours. S'interrogeant sur la crise de civilisation qui
conduit à des comportements imprévoyants et infantiles, il en
impute la responsabilité à la remise en cause du sacro-saint droit de
propriété lié au système de démocratie représentative. Le principal
piège serait l'extension du droit public au détriment des droits pri-
vés : cette « constitutionnalisation du droit» typiquement française
serait la cause véritable du processus de décivilisation en Europe.
Cette critique rejoint celle de Christian Atias, juriste, professeur
de droit, conférencier au cercle Bastiat, qui dénonce également ver-
tement cette tendance bien française à constitutionnaliser tous les
débats juridiques. Il lui oppose la tradition des pays anglo-saxons
régis par un droit privé concret, car né de la tradition : mieux vau-
drait donc privatiser le droit constitutionnel que constitutionnaliser
le droit privé, parce que cette dernière pratique aboutit à ruiner les
bases de la famille, des contrats et de la propriété.
On ne s'étonnera plus que l'Institut Montaigne affiche un mépris
pour le droit public et propose son démantèlement ainsi que celui
des tribunaux administratifs. Cette guerre des systèmes juridiques
est aussi l'un des fronts sur lequel les néo-conservateurs s'opposent
à toute notre histoire nationale.
La France sarkozyenne
81
chacun peut réclamer en faisant la queue à un guichet. C'est mieux: c'est
un droit, un droit que l'on mérite à la sueur de son front. » (Nicolas Sar-
kozy, septembre 2005)
82
Ce sarkozysme a une apparence : le projet de restaurer la souvèrai-
neté du peuple qui aurait été confisquée par une petite élite composée
de fonctionnaires, d'enseignants, de professions libérales, etc. Il a une
réalité : asseoir le pouvoir de la seule France qui compte, celle, bien
sûr, des élites économiques (que l'on sait menacées), des proprié-
taires, des diverses communautés et enfin des Églises.
83
lieu des chefs d'entreprise, des petits patrons, de l'ensemble des
acteurs de l'économie, peut-être aussi des cadres de la société civile
lorsqu'ils ne pactisent pas avec le« pays légal ».
La pièce maîtresse pour comprendre cette idéologie est un épais
rapport de l'Institut Montaigne consacré à la crise actuelle de l'État
républicain. Le blocage de la France y est décrit comme celui d'une
représentation politique en total déphasage. Son Parlement serait sté-
rilisé par son homogénéité: trop de fonctionnaires, notamment d'en-
seignants, trop de professions libérales, notamment de médecins. Pas
assez, en revanche, de certaines catégories comme les femmes, les
jeunes, les personnes issues de l'immigration, etc. Mais le citoyen
attentif sent bien que le véritable problème est ailleurs: la France pra-
tiquerait une véritable discrimination contre ses élites économiques.
La thèse de Besançon sur cette exclusion bien française reprend,
ici, du service. Avouons que si l' obj ectif est de tordre le cou à un État
français jugé trop et mal présent, alors, effectivement, la grande
réforme de l'État devrait consister à changer la représentation natio-
nale que se donnent les Français.
Cette France de Sarkozy n'est pas la nôtre. Ce n'est plus la France
riche de ses 36 000 villages et de ses paysages, mais un simple site
économique, cher aux grandes sociétés apatrides.
85
cain des années soixante-dix, lorsqu'elle se regardait dans une glace,
elle voyait une noire, pas une femme.
Le sarkozysme joue donc un jeu particulièrement dangereux, parce
que le communautarisme des uns produit celui des autres et qu'ap-
pliqué à la France, jl constitue une arme de destruction de la répu-
blique.
87
La grande ruse de Nicolas Sarkozy est de faire croire qu'il critique
l'establishment, alors qu'il est au pouvoir depuis des lustres. Il joue
à l'anti-système, alors qu'il campe au cœur même de ce système:
«Si on écoute le petit milieu, ce n'est jamais le moment [ ... ] dans les
années quatre-vingts, il ne fallait pas parler d'immigration. Moyennant
quoi, on a supporté - je dis "supporté" au sens ... M. Le Pen [sic].
Ensuite M. Jospin, il ne fallait pas parler de sécurité, ça ne faisait pas
bien, ça faisait pas bien pour qui? Ensuite quand je suis venu à France 2
faire le débat avec ce M. Tariq Ramadan, il y a eu tout un tas de pro-
testation en disant "il ne fallait pas débattre". Il ne faut jamais parler de
rien. Après, ne vous étonnez pas que personne ne regarde vos émissions
politiques et que personne ne vienne voter si on ne parle de rien. Ce
n'est jamais le moment. Moi, je pense que c'est le moment de regarder
les forces de notre pays, qui sont immenses, et les problèmes, et d'es-
sayer d'y apporter des solutions»; « Est-ce que dans une république on
a le droit d'avoir ses propres convictions et est-ce que c'est à ce point
insupportable d'essayer de dire : "la Constitution européenne, la
réponse est oui et l'élargissement sans fin de l'Europe, la réponse est
non". » (France 2, le 14 janvier 2005); « Je resterai un homme libre»;
« On ne me fera pas rentrer dans ce conformisme de la pensée unique» ;
« Ensemble, on va rajeunir la vie politique. Elle en a besoin. On va
montrer que l'on peut apporter du sang neuf, des idées nouvelles et un
peu de joie. » (Nicolas Sarkozy aux jeunes militants de l'UMP réunis
dans une discothèque branchée la veille de son sacre.)
88
autre côté, il se donne la figure d'un franc-tireur. Lui seul oserait
dire ce que les autres taisent. Bref, Sarkozy, c'est lui tout seul contre
tous les autres.
89
s'exile en Autriche, puis en Allemagne, à l'arrivée des Russes en
1944. Pal, qui a fait ses études en Suisse, passe clandestinement la
frontière. Il s'engage dans la légion étrangère pour cinq ans, mais il
est réformé en 1948, avant son départ pour l'Indochine, par un
médecin militaire d'origine hongroise.
Pal, devenu Paul Sarkozy, épouse en 1949 Andrée Mallah, étu-
diante en droit et fille d'un chirurgien juif de Salonique. Il devient
directeur artistique chez Boussac, puis publicitaire. Le couple aura
trois enfants, Guillaume (1952), Nicolas (1955) et François (1958).
Paul Sarkozy quitte en 1959 le domicile conjugal. La mère reprend
ses études et devient avocate. Paul aura deux autres mariages et
d'autres enfants. Le jeune Nicolas suit sa scolarité au cours privé
Saint-Louis de Monceau. Cette institution du 17e arrondissement
passe pour être « la plus chic de Paris », puis ce sera le lycée Chap-
tal et de nouveau Saint-Louis.
Nicolas Sarkozy fait ses études à Nanterre pour devenir avocat.
Entre temps, il adhère, en 1974, à l'UDR dont il devient le respon-
sable du secteur «jeunesse» à Neuilly-sur-Seine. Il est repéré par
Charles Pasqua. Après la démission de Chirac de son poste de Pre-
mier ministre de Giscard, le 26 août 1976, l'UDR se transforme en
RPR : le jeune Sarkozy est chargé des grands « spectacles » chira-
quiens. Il devient, dès lors, un apparatchik du RPR, spécialisé dans
les shows, et fait fonction de «jeune de service» parmi les caciques
du gaullisme. Il est élu à 22 ans, alors qu'il est à Science Po,
conseiller municipal. Il accomplit son service national à l'État-
major de l'armée de l'air.
Sarkozy se rallie à Chirac « contre le parti de l'étranger» (UDF).
Il se marie en 1982 avec la fille d'un pharmacien corse dont il a
deux enfants. Pasqua est son témoin de mariage. Il profitera pour-
tant de son hospitalisation pour lui voler la succession d'Achille
Peretti comme Maire de Neuilly-sur-Seine. Premier magistrat jus-
qu'en 2002 de cette ville des« plus que riches », il privilégie, selon
sa biographe Anita Hausser, l'aspect visible: rues propres, par-
terres floraux, etc.
Il est élu Conseiller général, en 1985, face à Marie-Caroline Le
Pen. Pasqua, peu rancunier, le nomme Conseiller pour les risques
majeurs (1986). Le cabinet de consultant Krief, chargé de travailler
l'image des jeunes loups de la droite, lui fait bientôt rencontrer
Jean-Pierre Raffarin. Désigné en 1980 comme patron du Comité de
soutien des jeunes pour Chirac, il reçoit l'investiture du RPR pour
être député en 1988. Ses biographes retiennent qu'il n'assure à
l'Assemblée que le strict minimum, consacrant son temps à sa ville
90
et à l'appareil du RPR.
Sarkozy est de tous les combats, mais toujours du côté du plus
fort : il prend ainsi position contre l'opération des « jeunes » du
RPR qui tentent de s'emparer de sa direction pour« moderniser»
le gaullisme. Il est alors paradoxalement un frein à l'évolution de la
droite.
Sarkozy n'est pas à cette époque un réel dirigeant au sens où il ne
fait pas l'Histoire, mais il sait être là lorsqu'on a besoin de quel-
qu'un. On peut lui reconnaître, en revanche, très tôt, ce don de
savoir éliminer ses concurrents sans état d'âme. Sarkozy est un
killer au sang froid.
Entre-temps, il a divorcé et s'est remarié en 1989 avec Cécilia. Il
négocie courageusement en 1993 avec le preneur d'otage (Human
Bomb) lors de la prise d'otages dans l'école maternelle de sa ville.
Il est nommé ministre du Budget et porte-parole du gouvernement
en 1993. La même année, Philippe Seguin qualifiera la politique du
gouvernement Balladur de « véritable Munich social ».
Sarkozy fait désormais partie des proches de Jacques Chirac. Il
se lie même d'amitié avec sa fille Claude.
Sarkozy va connaître alors deux échecs importants: il s'engage
en 1995 aux côtés d'Édouard Balladur contre Chirac, puis perd les
élections européennes de 1999, puisque la liste qu'il conduit avec
Alain Madelin arrive derrière celle de Pasqua-de Villiers.
La dissolution de l'Assemblée, en permettant le retour de la
gauche au pouvoir, lui donne paradoxalement la possibilité de se
refaire. Alain Juppé, successeur désigné de Chirac, est en proie à la
justice. Sarkozy est donc enfin premier-ministrable, mais, comme
le note Anita Hausser, il commet une grossière erreur d'analyse
puisqu'il croit pouvoir être nommé à Matignon après la réélection
de Chirac en 2002, alors que ce dernier, voulant rassembler toute la
droite au sein de l'UMP, ne peut choisir un Premier ministre issu du
RPR. Le gouvernement Raffarin le voit passer du poste de ministre
de l'Intérieur à celui, beaucoup moins facile, de ministre de l'Éco-
nomie. Il doit démissionner pour prendre la direction de l'UMp,
Chirac annonçant qu'on ne peut être à la fois ministre et chef de
parti. Véchec au référendum européen conduit Chirac à le rappeler
au Ministère de l'Intérieur, tout en conservant la tête de l'UMP.
Le pessimisme sarkozyen
« Nous vivons dans un monde où tout le monde n'a pas les mêmes
scrupules, où tous les coups peuvent être donnés et où, pour abattre
91
quelqu'un, on utilise tous les procédés. Rien ne me détournera de la
route que j'ai choisie. » (Nicolas Sarkozy)
92
autres, qui ne peuvent exister que dans le milieu national et disparais-
sent quand le pays est détruit 1. »
93
que la dette de la France est de 1 100 milliards d'euros. [ ... ] Mitterrand
"nous a donné le cancer" 1. »
94
se dégrade, ce n'est pas un modèle économique impossible, ce n'est
pas l'illusion qu'il faut fonder tous nos espoirs sur la croissance
économique, ce n'est pas l'incapacité des politiques à représenter
les aspirations du peuple. La France est en crise, mais elle serait en
crise d'elle-même, pas du capitalisme, pas du productivisme, pas de
la globalisation.
Le sarkozysme installe la France dans une crise de nerfs perpé-
tuelle. Sarkozy fait mine de regarder loin devant, mais il regarde,
comme les autres, dans son rétroviseur. Ce serait la faute à notre
modèle social, la faute à 93.
Au pouvoir, Nicolas Sarkozy ne pourrait que brutaliser la nation.
Il transformerait la France en radeau de la Méduse, car que serait-
elle si elle perdait sa spécificité et son identité? ;
Nicolas Sarkozy rêve de transformer la France en hypocon-
driaque. Ce défaitisme de bon aloi au sein de nos élites constitue un
Munich politique. À la démoralisation de la nation ne peut que suc-
céder son agenouillement. Les solutions sont nécessairement à
importer.
Le vrai tour de force de Sarkozy et des siens est redoutable:
puisque si la France se trouve dans un état aussi piteux, ce serait
parce que l'État-Moloch serait resté sourd, depuis des siècles, aux
élites économiques. De là son arrogance, sa suffisance presque
physique. Il veut donner le sentiment que, là où Chirac ou Jospin
« blablatent », lui parle « vrai ».
Mais Sarkozy confond le parler vrai et le parler fort.
Son discours politique témoigne d'un mouvement progressif de
désaffiliation idéologique avec la droite classique. Il va capter le
registre de vocabulaire de la réforme et du changement pour mieux
faire table rase de l'histoire nationale.
Il n'hésite pas à tenir un discours politique dépolitisé. Parler et
agir ne sont, chez lui, que des outils de communication. Il organise
la banalisation d'une rhétorique populiste traditionnelle. Il joue la
carte de l'épuisement des grandes idéologies et refuse systémati-
quement les grands récits collectifs de son propre camp. Son
discours est tout autre, puisqu'il n'a de cesse de transformer en res-
sources la critique du politique et le ressentiment des citoyens. Son
discours est dégoulinant d'idées simples, de fausses provocations,
de suggestions communautaires, de propos dépolitisateurs, etc.
Mais Sarkozy n'est qu'un faux briseur de tabous ou, au mieux, un
briseur de faux tabous. Il est le champion des fausses
évidences, comme son fameux « travailler plus pour gagner plus ».
95
Le mage noir de la politique
« Elle est là, la clef du nouveau modèle français que j'appelle de mes
vœux. Un modèle où le nivellement, l'égalitarisme, le saupoudrage
n'auront plus leur place, un modèle où le travail sera la base de tout,
en étant récompensé, encouragé, favorisé. Un modèle où l'on n'éprou-
vera plus aucun complexe à rémunérer davantage celui qui travaille le
plus et en même temps à aider davantage celui qui cumule le plus de
handicaps. »(Nicolas Sarkozy)
96
Comme le disait Charles Péguy : « Être peuple, il n'y a
encore que ça qui permette de n'être pas démocrate 1. »
L'épisode Balladur
Balladur impose ses hommes : Nicolas Bazire et Nicolas Sar-
kozy. Son programme est très simple : ne rien faire qui puisse le
rendre impopulaire afin de préparer sa victoire aux présidentielles,
Balladur propulse Sarkozy au sommet de l'État alors qu'il n'a
aucun fait d'armes à son actif. Sa seule expérience est celle de
maire de Neuilly, une ville de 60000 habitants. Mais ils ont conclu
un pacte: Sarkozy doit l'aider à conquérir l'Élysée contre Jacques
Chirac. La droite va vivre durant des mois avec cette conjuration de
traîtres.
IJatmosphère au sommet de l'État est véritablement celle du
complot. Les hommes de Balladur forment une petite équipe. Avec
Jean-Marie Messier, qui fut son collaborateur aux finances et qui
supervisera les privatisations avant de se reconvertir dans les
affaires, avec les scandales et les échecs cuisants que l'on connaît.
Avec Nicolas Bazire, qui lui fut recommandé par Messier pour
organiser les colloques de son association « pour le libéralisme
populaire ». Nicolas Sarkozy n'est, quant à lui, accepté dans l'en-
tourage de Balladur que pour sa connaissance fine des coulisses du
RPR. Cependant, Balladur a fait de Sarkozy un « prince » en le
nommant, à 35 ans, ministre du Budget et porte-parole du gouver-
nement.
Si ce gouvernement ne conduit certes pas une grande politique -
on lui doit cependant la suppression de l'Impôt sur les Grandes For-
tunes et la restauration de l'anonymat sur les transactions - Balla-
dur restera en revanche comme l'homme des grands dîners
mondains en smoking.
Pourquoi ce qui fut impossible avec Balladur deviendrait-il pos-
sible avec Sarkozy? Est-ce simplement une affaire d'hommes? En
quoi le style « chaussures à clous» plairait-il davantage aux Fran-
çais que le style « chaise à porteurs» ?
1 In Victor Marie, comte Hugo, 1910.
97
Le sarkozysme orléaniste
Les Trois glorieuses ont accouché de la bourgeoisie louis-philiparde
et de son fameux slogan : « Enrichissez-vous. » Les Trente piteuses
accoucheront du sarkozysme et de sa devise : « Travail, Respect,
Patrie ».
La comparaison avec l'orléanisme est-elle vraiment justifiée?
Souvenons-nous: la France subit en septembre 1870 une débâcle
militaire. La république est proclamée, mais elle reste dominée pen-
dant près d'une dizaine d'années par des monarchistes. I;orléanisme
est le symbole du ralliement d'une bourgeoise libérale à la république
faute de mieux. On accepte la république pour stabiliser la politique et
l'économie. La France valait bien une messe. Les affaires valent bien
l'adoption du drapeau tricolore.
I; orléanisme connaît cependant un glissement rapide à droite. TI
devient l'expression typique de la bourgeoisie d'affaires: un gouver-
nement à bon marché loin des fastes de la monarchie, un État chargé
de faire prospérer la « maison France ».
La bourgeoisie développe parallèlement le goût du luxe privé pour
effacer le mépris dont elle fut longtemps humiliée. C'est le fameux
« enrichissez-vous par le travail et l'épargne », selon la célèbre for-
mule prêtée à Guizot. Les deux principes de l'orléanisme sont l'ordre
et la liberté. Cette société de petits propriétaires et de notables laisse
entrouverte la porte de l'ascension sociale aux« capacités ».
I;orléanisme est en fait une tentative de conserver les droits indivi-
duels acquis en 1789 tout en les incorporant et en les soumettant aux
lois naturelles qui assurent l'ordre social. Le pouvoir de l'État y est
cependant plus légitimé par les corps intermédiaires (on dirait aujour-
d'hui la société civile) qu'il contrôle que par l'individu qui serait
censé l'instituer. Guizot le dit fort bien: « Le pouvoir est un fait qui
passe sans contradiction de la société dans le gouvernement. » Bref,
la société n'est pas faite d'individus, mais de groupes d'intérêts parmi
lesquels une nécessaire nouvelle aristocratie.
Le sarkozysme est donc bien un retour de l' orléanisme mais, là où
ses ancêtres regardaient vers l'Angleterre, lui regarde les États-Unis.
98
Marie Le Pen. Ses défenseurs utilisent un texte de Murray Rothbard 1
pour expliquer que la « démagogie» a du bon, puisqu'elle permettrait
non seulement de faire bouger les choses, mais aussi de mobiliser le
peuple par les émotions.
!;idéologue libéral Constant Rémond défend son champion:
« Dans le mot "populisme", il y a le mot ''peuple''. Si c'est cela, être
populiste que de s'adresser prioritairement au peuple, Nicolas Sarkozy a
raison d'être populiste [... ] Avec Nicolas Sarkozy, le peuple saura
reprendre le flambeau d'une marche victorieuse contre les blocages cor-
poratistes de notre pays, il saura balayer les certitudes d'une pensée
unique relevant d'un "Ancien Régime" condamné par les faits, il saura
abattre les dernières idoles élitistes pour obtenir le droit d'être, enfin,
écouté. Vive le populisme 2 ! »
99
Cette tentation populiste se produirait, selon Dorna, lorsqu'à la des-
truction des liens affectifs entre la nation et ses membres succéde-
rait la froideur technocratique des gouvernants, d'où ce besoin d'un
chef charismatique, seul capable d'entretenir des relations horizon-
tales. Tous les sondages montrent malheureusement qu'une majo-
rité de Français souhaite l'émergence d'un« chef fort » 1 :
1 Sofres, 1997.
2 Alexandre Doma, op. cit.
3 On lira notamment Ghislain Waterlot, La Tentation populiste en Europe, La
Découverte, 2003, p. 81.
100
Sarkozy tient son succès de sa capacité à refonnuler les questions
politiques de façon à faire appel à la rancœur sociale. Sarkozy est
un faux réaliste, c'est-à-dire qu'il ne part pas d'une analyse objec-
tive des situations, mais des frustrations, des angoisses, des pho-
bies, des névroses de l'électeur moyen. Il est, sur ce point encore,
confonne au tableau que les politologues dressent du populisme :
« Ah bon, Bernadette Chirac dit que je suis "un petit salaud qui a du
talent"? Pourquoi petit? C'est injurieux. » (Nicolas Sarkozy, in Le
Figaro du 21 novembre 2003)
« S'ils me font chier, je m'en vais. C'est aussi simple que ça. »
(Nicolas Sarkozy in Le Figaro du 28 novembre 2003)
1 On lira aussi Guy Hermet, Les Populismes dans le monde, Fayard, 2001,
pp. 50-51.
101
combattre, lui préfère les victimes aux auteurs d'infractions, il pré-
fère aussi ceux qui bossent aux fainéants, les demandeurs d' em-
plois aux faux chômeurs, etc. Sarkozy venge les travailleurs floués
par les chômeurs. Il venge aussi les boursicoteurs spoliés par les
Rmistes.
Sarkozy se donne pour un homme de conviction. Il ne donne
pourtant pas l'exemple. Il fait la leçon. Il est un spécialiste des récu-
pérations opportunistes. Il déblatère de la « doxa » à tout va et surfe
sur les vagues porteuses.
102
Le leader populiste se veut, comme Nicolas Sarkozy, « libre» :
Le style Sarkozy
« La seule chose qui a compté à mes yeux, c'est que je sois un fer-
ment d'unité et non un élément de division. » (Nicolas Sarkozy)
2 Ibidem, p. 97.
103
On dit souvent que le style fait l'homme. Il existe incontestable-
ment un style Sarkozy. Le monarque se démarque habituellement
par la lenteur. Sarkozy est, à ce titre, éminemment moderne. Il s'est
composé un personnage de BD : sautillant, colérique, gueulard, qui
cesserait d'exister s'il ne courait (trépignait) pas.
Le choix de ses mots n'est pas innocent: « y'a qu'à », « faut-
que », etc. Son phrasé vient aussi épauler sa terminologie et sa ges-
tuelle. Ce bougisme est-il sa façon de compenser un vide
idéologique?
Sarkozy sait être, avant tout, une image : il lui faut donc faire du
bruit, de grands mouvements, des déclarations tonitruantes. Il a
besoin du reflet de son image dans le miroir des médias pour exis-
ter. Cette posture enfantine a quelque chose de très régressif. On
pourrait presque parler d'une réduction de soi à l'image. Sarkozy
veut occuper l'écran comme pour s'imposer aux autres. Il ne sup-
porte pas les atteintes à sa personne (deux jeunes en ont fait l'ex-
périence pour avoir été condamnés à un mois de prison ferme pour
l'avoir insulté). Il devient très vite agressif et méchant. Il y a beau-
coup de violence contenue chez lui.
104
Entendons-nous bien: ce qui fait problème n'est pas le caractère
trop spectaculaire mais le contenu même de cette mise en scène.
Quelle représentation du pouvoir Nicolas Sarkozy veut-il don-
ner? Suffit-il de répéter, comme lui, dans son discours, à l'instar
d'un enfant «je veux» pour devenir un nouveau Clemenceau ou de
Gaulle? Quelle conception se fait-il de sa fonction à travers ce
spectacle? Assurément rien de monarchique et encore moins de
républicain.
Ce grand show ne sert qu'à vendre du Sarkozy. Est-ce là la nou-
velle image que veut donner l'UMP? Que penser de ce traitement
marketing pour un (futur) chef d'État? Ce degré zéro de la ritualité
politique est peut-être très en vogue outre-manche, mais il consti-
tue un viol de la culture politique française.
Si l'objectif de Sarkozy était de faire comprendre qu'il voulait
tourner la page Juppé et celle du gaullisme, c'est totalement réussi.
Son objectif est, ne l'oublions jamais, de transformer l'UMP pour
faire de ce « faux » parti de droite un parti vraiment à droite et de
le verrouiller.
Un petit florilège de ses déclarations « amicales » suffirait à
prouver que cette « révolution culturelle » semble pour le moins
offensive:
105
est: comment choisira-t-elle ce candidat? Je souhaite que ce soit par
la démocratie et un vote le plus large possible. »
«Il est très important de dialoguer avec les syndicats, mais il est plus
important encore de ne pas se couper de l'opinion publique. » (Nico-
las Sarkozy, Le Figaro du 30 juin 2005)
106
Jean-Michel Gaillard, Julien Dray, Malek Boutih ou Jean-Pierre
Jouyet?
Ce sarkozysme de « gôche » est, de toute façon, un atout décisif
pour Sarkozy car en désarmant sa gauche il ne laisse, face à lui, que
la vieille droite. Il faut que la gauche soit bien malade pour ne pas
davantage être capable que la droite de l'envoyer dans les cordes.
109
Chapitre 1
Le sarkozysme contre la liberté
Le sarkozysme et la loi
111
un échec cuisant puisque son usage de la police la rend si souvent
antipathique. Le but de la police n'est pas d'être détestée ou crainte,
même dans les banlieues, mais tout banalement de faire respecter
les règles de vie. Le bilan des Brigades Anti-Criminalité est
effroyablement négatif puisque, dans un État démocratique, la loi
doit être appliquée sans que les citoyens (y compris la jeunesse)
aient à craindre quoi que ce soit de la part de leur police.
Le sarkozysme est donc bien une façon de rapetisser l'État non
seulement dans sa mission d'État-providence, mais également dans
ses fonctions de législateur et d'État-gendarme.
Il doit, comme tous les courants politiques, choisir entre deux
conceptions de la loi. eidée n'est pas nouvelle et fut reprise par
Frédéric Bastiat dans son célèbre texte intitulé La Loi :
La loi juste serait celle qui défend collectivement ce que les per-
sonnes défendraient autrement, individuellement, pas davantage ni
mieux. La loi ne devrait jamais chercher à changer le cours des
choses, c'est-à-dire l'ordre du monde, car non seulement elle
deviendrait alors un instrument du vol, mais elle conduirait la
société à la décadence.
La loi doit être un instrument d'ordre et non de réforme.
1 Extraits des Œuvres complètes, 1863, Tome IV; pp. 342-393, disponible sur
le site bastiat.org/fr/la_loi.html
112
défendre, même par la force, sa Personne, sa Liberté, sa Propriété, plu-
sieurs hommes ont le droit de se concerter, de s'entendre, d'organiser
une Force commune pour pourvoir régulièrement à cette défense. Le
droit collectif a donc son principe, sa raison d'être, sa légitimité dans
le Droit individuel!. »
« C'est bien simple. Il faut examiner si la Loi prend aux uns ce qui
leur appartient pour donner aux autres ce qui ne leur appartient pas. Il
faut examiner si la loi accomplit au profit d'un citoyen et au détriment
des autres, un acte que ce citoyen ne pourrait accomplir lui-même sans
crime. [ ... ] La spoliation légale peut s'exercer d'une multitude infinie
de manières, de là une multitude infinie de plans d'organisation:
tarifs, protection, primes, subventions, encouragements, impôt pro-
gressif, instruction gratuite; droit au travail, droit au profit, droit au
salaire, droit à l'assistance, droit aux instruments de travail, gratuité du
crédit, etc. 2 »
! Ibidem.
2 Ibidem.
113
charges ne sont en rien des facteurs décisifs, quoi qu'en dise Nico-
las Sarkozy. La haine du droit du travail est compréhensible pour
qui ne cherche pas à protéger le faible, mais à défendre les droits du
propriétaire.
« Voilà que ceux qui veulent défendre la famille seraient des rin-
gards et que ceux, comme moi, qui sont contre le PACS seraient contre
les homosexuels! Je n'accepte pas ce procès en sorcellerie! »;« De
grâce, ne touchons pas à la famille, ne touchons pas à notre code civil,
ne touchons pas au droit de la famille»; « la famille, c'est un homme,
une femme, des enfants ou bien un homme et une femme 2 .»
www.liberalia.comlhtm/cm_obeiclois.htm.
2 Nicolas Sarkozy, Grand Jury RTLlLe Monde, LCI, 22 septembre 1998.
114
« I.:explosion délinquante a eu lieu en période de croissance écono-
mique, c'est-à-dire lorsque les revenus des ménages croissent, que le
chômage est rare, et donc à un moment où les occasions de promotion
sociale et professionnelle sont plus fréquentes qu'aujourd'hui 1. »
115
Ce relativisme culturel serait dû à la philosophie allemande : le
marxisme comme le freudisme en seraient les deux formes extrêmes.
La gauche intellectuelle serait bien sûr responsable de sa victoire.
Comme elle est la fille des Lumières, il faudrait donc les rejeter.
Le débat sur le bien commun a des enjeux pratiques immédiats.
Claude Rochet, professeur à l'université d'Aix-Marseille, publie par
exemple, Gouverner par le bien commun I • Le sous-titre Précis d'in-
correction politique à l'usage des jeunes générations, en pastichant le
célèbre ouvrage de Raoul Vaneigem, indique directement le sens de
son attaque: il s'agit de s'en prendre aux vieux débris de la pensée
post-soixante-huitarde. Claude Rochet, après avoir rappelé que « les
idées gouvernent le monde et les bonnes idées donnent de bons
fruits », propose un nouveau capitalisme organisé, encadré et régulé
par un État fort.
Ce postulat va nourrir le débat sur le traitement de la délinquance:
Le sarkozysme et l'éducation
« Oui, j'accuse le baccalauréat de préparer, comme à plaisir, toute la
jeunesse française aux utopies socialistes, aux expérimentations
sociales. » (Frédéric Bastiat)
116
Aucun domaine n'est plus sensible en France que la question de
l'école car la république voulut en faire un instrument d'égalité. Nico-
las Sarkozy ne l'ignore pas lorsqu'il prend position sur ce dossier ou
lorsque ses adjoints partent violemment à l'assaut de la forteresse. On
aurait tort, cependant, de garder le nez collé contre le tableau noir car
un minimum de recul historique permet de mieux saisir les enjeux
immédiats, mais aussi le fond, de la pensée libérale.
Nicolas Sarkozy est beaucoup moins moderne qu'on ne le pense
lorsqu'il s'en prend à cette école où 1'« on fait n'importe quoi» :
. «:VÉducation nationale n'est gratuite que parce qu'elle est financée par
le produit des impôts de ceux qui travaillent. ils sont en droit d'exiger en
retour qu'on ne fasse pas n'importe quoi dans nos lycées ou que la fac ne
soit pas un lieu pour seulement attendre que la vie se passe. » (Nicolas Sar-
kozy, discours au congrès de l'UMP, 28 novembre 2004, le Bourget)
Baccalauréat et socialisme
Les mêmes, qui accusent aujourd'hui l'école de manquer à son
devoir en inculquant le relativisme et en oubliant les trésors de l'hu-
manité, condamnaient l'école du XIXe siècle parce qu'elle enseignait
les Humanités et inculquait aux enfants l'amour des lettres antiques.
On peut se demander finalement si ce que les libéraux abhorrent
n'est pas seulement l'école pour le peuple. Peut-être préfèrent-ils, en
inversant la belle formule de Victor Hugo, ouvrir des prisons (privées
bien sûr) pour fermer des écoles?
Frédéric Bastiat est célèbre pour avoir proposé à l'Assemblée un
amendement pour la suppression des grades universitaires, qui avaient
à ses yeux le triple inconvénient d'uniformiser l'enseignement, de
l'immobiliser et de lui imprimer la direction la plus funeste qui soit,
c'est-à-dire celle du socialisme.
Notre champion du libéralisme ne fait jamais dans la demi-mesure :
117
vol, même de l'homme [ ... ] Pour nous faire une idée de la morale
romaine, imaginons, au milieu de Paris, une association d'hommes
haïssant le travail, décidés à se procurer des jouissances par la ruse et
la force, par conséquent en guerre contre la société [ ... ] Le monde
ancien a légué au nouveau deux fausses notions [ ... ] Vune : que la
société est un état hors de nature, né d'un contrat [ ... ] Vautre, corol-
laire de la précédente: que la loi crée des droits [ ... ] Or, remarquez-le
bien, ces deux idées forment le caractère spécial, le cachet distinctif du
socialisme 1. »
1 Frédéric Bastiat, extrait des Œuvres complètes, Tome IV, pp. 442-503, in site
bastiat.org/fr/baccalaureacecsocialisme.htrnl
2« Le Baccalauréat entre mythe et réalité »,juin 2001, in site
www.libres.org/francais/archives/societe/archiisociete_062001/baccalaureaCs
253.htm.
118
garde rapprochée, dire que son rêve serait de privatiser totalement
l'Éducation nationale:
119
bureaucratie publique, qui travaille pour elle-même et qui étouffe le
développement 1. »
Le sarkozysme et la religion
« Il faut lutter contre tous les intégrismes, y compris l'intégrisme
laïque»; « Une laïcité moderne, enfin débarrassée des relents de sec-
tarisme hérités de l'histoire tumultueuse des relations entre l'État et les
religions dans notre pays. » (Nicolas Sarkozy)
120
Le but du sarkozysme est d'instaurer une société d'ordre et pas
nécessairement, de prime abord, une société religieuse. Nicolas Sar-
kozy semble cependant convaincu, depuis la réélection de George
W. Bush, que cette carte est la seule capable de redonner durablement
la main à la droite. il entend donc réveiller des forces endormies
depuis les lois de séparation de l'Église et de l'État, voire bien avant.
Il ne faut jamais oublier que la France est le pays européen où l'on
déclare le moins croire en Dieu 1. La pratique religieuse y est, plus
encore que la foi, particulièrement faible. Cette situation est iden-
tique chez les catholiques, les protestants, les juifs et les musulmans.
Le sarkozysme rame donc à contre-courant. Il lui faut violenter l'es-
prit français pour espérer pouvoir faire de la religion une idée neuve.
La mouvance libérale a toujours été fascinée par la question reli-
gieuse, même si elle hésite entre l'indépendance revendiquée (à la
française) et l'idée de la nécessité du religieux (à l'américaine).
Alexis de Tocqueville le disait de façon très claire:
122
L'éloge du fondamentalisme religieux
Frère Sarkozy a en fait une conception bien pauvre du fait reli-
gieux. Non content d'en faire un banal facteur « d'apaisement col-
lectif et de stabilité sociale» (une sorte d'opium du peuple à la
façon de Marx), il se livre à un douteux éloge du fondamentalisme
religieux :
124
car il pourrait ramener un peu de paix sociale dans certains quar-
tiers. Est-ce une offre de sous-traitance, déjà bien préparée par cer-
taines municipalités qui achètent la tranquillité auprès de
fondamentalistes? Est-ce la raison pour laquelle Sarkozy n'a pas
craint de faire la courte échelle aux« barbus» de l'UOIF en les ins-
titutionnalisant à la hasarde? Les « frères » se sont certes (provi-
soirement) cassé la figure en raison de leur incapacité à gérer
«démocratiquement» leur victoire. Les tentatives d'auto-justifica-
tion de Sarkozy sont franchement paradoxales:
125
soutien au sujet du vote de la loi contre les signes religieux à
l'école?
Le principe même de cette démarche était d'ailleurs inacceptable:
depuis quand un ministre d'État demande-toit à un chef religieux, de
surcroît étranger, de légitimer un vote des députés français? La
réponse du cheik, Mohamed Sayyed Tantaoui, fut d'ailleurs très loin
d'être une victoire pour la république ou la cause des femmes. Non
seulement il a soutenu que le voile serait une obligation divine pour
la femme musulmane, mais il a déplacé le débat sur un terrain qui
n'est pas celui des valeurs humanistes universelles mais de la diplo-
matie:
«Est-ce que l'idéal républicain peut répondre à toutes les questions que
se pose l'horrune? Qui osemit le dire? [... ] les valeurs républicaines
n'ont pas la prétention, car ce n'est pas leur domaine, de répondre à cette
question essentielle: tout cela a-t-il Wl sens? »
Halte là! Que veut nous dire Sarkozy? On sait déjà grâce à lui qu'il
n'y a de véritable lien social que religieux, on découvre maintenant
qu'il n'y aurait de morale que religieuse:
127
« La morale républicaine ne peut répondre à toutes les questions ni
satisfaire toutes les aspirations. La vie spirituelle constitue générale-
ment le support d'engagements humains et philosophiques que la
république ne peut offrir, elle qui ignore le bien et le mal. »
130
Le crime répondrait au contraire à un banal calcul économique.
Les mêmes auteurs considèrent, d'ailleurs, que l'amour et l'amitié
s'expliqueraient également par un calcul coût-avantage.
Il suffirait d'augmenter le coût du crime pour le faire disparaître:
« Le crime est devenu un métier plus attrayant au fur et à mesure
que la punition est devenue moins probable et moins sévère [ ... ] les
crimes contre la propriété diminuent quand les châtiments sont plus
probables et plus sévères. » Gary S. Becker propose tout un pro-
gramme pour faire baisser les crimes, notamment chez les jeunes
de 15 à 24 ans plus enclins, selon lui, à violer la loi: renforcement
des forces de police, développement de peines plus lourdes, exemp-
tion des jeunes des lois sur le salaire minimum car « ces lois élimi-
nent les jeunes non qualifiés du marché °du travail et augmentent
leur taux de chômage. A son tour, ce chômage incite les jeunes à
s'engager sur la voie du crime, et particulièrement des crimes
contre la propriété 1 ».
131
« Pas un centimètre carré de notre république ne doit rester une zone
de non-droit. » (France 2, 9 décembre 2002).
1 Titre d'un ouvrage collectif paru aux Éditions mille et une nuits, 2002.
132
« Nous sommes passés à côté de ce drame », a-t-il déclaré devant la
Commission parlementaire, excluant avoir voulu minimiser la réa-
lité sanitaire.
« Une généralisation des flash balls marque une escalade des mesures
sécuritaires »; « Le gouvernement privilégie les effets d'annonce et les
opérations coups de poing. »
On sait que les libéraux ont souvent criminalisé les milieux popu-
laires au cours de l'histoire, mais on croyait cette époque révolue.
Nicolas Sarkozy a établi de nouvelles « classes dangereuses » en
désignant à la vindicte les prostituées, les mendiants, les sans-
papiers, les squatters et les «jeunes », au besoin en créant de toutes
pièces de nouveaux délits.
Sarkozy conduit une véritable politique de père gribouille der-
rière une apparence de père fouettard :
134
Les prostituées sont par définition coupables
VOffice central pour la répression de la traite des êtres humains
estime entre 15000 et 18 000 le nombre de prostituées en France,
dont 63 % environ d'étrangères. 10 000 environ travaillent sur
Paris. Vobjectif avancé par Sarkozy serait de juguler le proxéné-
tisme. Mais pourquoi s'en prendre, dans ce cas, directement aux
prostituées en faisant du racolage passif un nouveau délit passible
de prison?
La loi Sarkozy, loin de réduire l'influence des proxénètes, est sur-
tout accusée par les associations spécialisées d'avoir augmenté la
clandestinité et rendu les conditions d'exercice plus insupportables.
Cette répression est surtout ciblée contre les prostituées étrangères.
Il y aussi le développement de nouvelles formes de prostitution
plus clandestines: explosion des salons de massage, usage d'Inter-
net, etc.
135
les propos moralisateurs ou démagogiques. Elle est également poli-
tiquement efficace, car elle légitime, par avance, toutes ses lois
liberticides et sa reprise des thèmes de l'extrême droite.
« Les victimes ont leur mot à dire quand on relâche des assassins,
des criminels ou des délinquants. »
137
contrairement aux autres leaders politiques, tous adeptes de ces
« abstractions» si françaises. Il faut pourtant croire que, sur ce ter-
rain comme sur d'autres, Sarkozy est inspiré par le mauvais génie
de la révolution néo-conservatrice américaine, car chacun de ses
combats épouse fortement ses positions.
Nicolas Sarkozy ferait-il du néo-conservatisme sans le savoir ou
pire encore sans le dire?
La critique de l'égalité n'a pas été immédiatement frontale. Les
néo-conservateurs s'en sont pris d'abord à la notion de pauvreté. La
logique de ce discours est connue. Sans théorie de la pauvreté, il
n'est pas possible d'en parler. Et s'il n'existe pas de pauvreté com-
ment peut-il y avoir un État-providence censé la combattre?
La critique de l'égalité est venue juste après cette première vic-
toire. Les néo-conservateurs ont expliqué que l'égalitarisme
menace dès lors que l'on veut une égalité de résultats, puis ils ont
déboulonné l'idée d'égalité de moyens. Ils s'en sont ensuite pris au
concept même d'égalité, jugé économiquement stupide, politique-
ment dangereux et moralement abscons. Ils se sont finalement posé
la question de savoir s'il est légitime de condamner ceux qui remet-
tent en cause l'idée d'égalité humaine. Le racisme est, selon cer-
tains, une idée comme une autre, antipathique certes mais
inséparable du droit de propriété. Les premiers travaux pratiques
ont suivi : nouvelle politique en matière d'immigration choisie,
débat sur les discriminations positives, projet de désétatiser totale-
ment l'école et la sécurité sociale, etc.
138
mesures dont on sait qu'elles sont fausses J. »
139
existe dans les pays riches. Ils vont une fois de plus s'en tirer avec une
pirouette acrobatique. La pauvreté serait la conséquence directe de
l'existence de l'État-providence:
140
vreté, la pauvreté à plus ou moins deux ans ou dix ans, etc.
Le critère de la pauvreté économique serait de toute façon insuffi-
sant car il ne tient pas compte d'autres richesses comme l'indépen-
dance, le nombre d'enfants, la joie de vivre, les projets
individuels, etc.
La seule solution serait donc de suivre Hoppe lorsqu'il prone son
option « antifondamentaliste » en matière de pauvreté : toute idée de
pauvreté étant aléatoire, l'idée même de la combattre relèverait donc
d'un pur dogme.
Cette option permet de s'en prendre aux analyses de la pauvreté aux
États-Unis, jugées symptomatique des erreurs intellectuelles de la
gauche. Lisons le philosophe Guy Millière, conférencier au cercle
Bastiat:
141
sociaux, une immense machine à fabriquer des riches, y compris chez
les pauvres. C'est bien connu, les Français seraient, eux, envieux et
jaloux des plus riches qu'eux. Lorsqu'ils passent devant une belle
demeure, ils ne se disent pas comme les Américains « si je travaille
beaucoup, je pourrai, un jour, me l'offrir », tout juste s'ils ne ressor-
tent pas de leur chaumière leurs fourches et leurs faux. Il faut croire
que c'est un atavisme français depuis les jacqueries du Moyen-Âge.
Salauds de pauvres!
« Je suis favorable à la creation d'un contrat de travail unique et à
l'instauration de contreparties au versement de minimas sociaux. Il ne
faut pas non plus s'interdire de réfléchir à un système de sanctions pour
les chômeurs qui refusent plusieurs offres d'emploi. » (Nicolas Sarkozy)
«Les sans-travail sont des personnes qui n'ont plus assez de ressort
pour chercher un travail, soit parce qu'elles font de la dépression, soit
parce qu'elles ont un problème de drogue ou d'alcoolisme, ou des défi-
ciences mentales légères 1. »
1 Ibidem.
2 Ibidem.
142
« On pourrait dire que les ouvriers ont une espérance de vie plus
faible parce qu'en général, ils surveillent moins leur régime alimen-
taire, ils sont dans des régions où l'on boit sec, et on ne va pas volon-
tiers "au docteur" '. »
143
« IJégalitarisme souffre d'une confusion philosophique typique. Si
nous savons que nous croyons en l'égalité, en revanche, nous ne parais-
sons pas être capables de dire ce qu'est l'égalité 1. })
La critique de l'égalitarisme
Cette charge contre l'égalité est la plus fréquente, même si elle
s'avère superficielle. Sarkozy ne cesse de s'en plaindre comme
d'une calamité. Nous serions menacés d'égalitarisme:
144
« La sagesse populaire tient pour juste que celui qui travaille dur
gagne mieux sa vie que celui qui en fait le moins possible [... ] Si la
justice sociale tend à "corriger" ces inégalités-là, alors, disons-le tout
net, elle tourne le dos à la justice tout court, du moins à la justice
"méritocratique" 1. »
« Le fait que je sois riche ou pauvre ne peut être tenu pour juste ou
injuste [ ... ] Considéré en soi mon état est bon ou mauvais, mais ni
juste ni injuste [ ... ] Peut-on adresser à la société le reproche qu'elle est
injuste? Ceci est très douteux 2.»
145
Ce discours anti-égalitaire n'est que la reprise d'une tradition de
négation de la question sociale. Sarkozy se rue sur les thèses anglo-
américaines avec la même fougue que la droite orléaniste lors-
qu'elle se rua, en son temps, sur le fameux discours au cours duquel
Gambetta déclara: « Il n'y a pas une question sociale. Il y a une
série de problèmes à résoudre 1. » On sait que cette formule devint
très vite « il n'y a pas de question sociale ».
Ce refoulement de la question sociale est un vieux réflexe libéral
qui permet d'opposer à sa propre responsabilité celle des victimes
de sa politique. La thèse est connue : personne ne peut se déchar-
ger sur autrui de la charge de sa propre existence, sauf dommage
causé par un tiers.
Cette négation de la question sociale recycle infine la vieille ren-
gaine réactionnaire selon laquelle les relations d'inégalités seraient
non seulement naturelles, mais providentielles parce qu'elles tisse-
raient le lien social. Autrement dit : les pauvres ont besoin des
riches pour pouvoir vivre.
Cette vision erronée de l'égalité serait une maladie typiquement
française. Depuis 1789, il existerait deux façons de traiter la ques-
tion sociale. Soit en instaurant des obligations sanctionnables juri-
diquement (comme le droit du travail), soit en postulant des
obligations morales non susceptibles, bien sûr, de sanctions juri-
diques (un patron fait ce qu'il peut) mais en veillant à ce que la
« société civile » puisse développer librement ses bonnes œuvres
(cf. : conservatisme compassionnel).
IJidéologue atlantiste Armand Lafferère le dit autrement : le
choix français de « l'égalité plutôt que de la liberté» serait une
erreur. Il y aurait moins de liberté en France qu'ailleurs, mais pas
moins d'inégalités qu'aux États-Unis. Les inégalités françaises
seraient différentes: avantages alloués par l'État ou les collectivi-
tés locales, privilèges reconnus à la classe politico-administrativo-
associativo-syndicale, etc. 2
146
ferait des inégaux en fonctionnant à rebours. Cette thèse est soute-
nue par David Friedman dans son article « Robin des bois est un
vendu! ». Les pauvres seraient tellement bêtes, qu'ils finiraient
toujours par financer les riches. On cite généralement, pour preuve,
les études supérieures et l'Opéra:
« Vidée d' "égaliser les chances" ne fait pas que stimuler la politisa-
tion (au-delà du niveau généralement impliqué par les autres formes de
socialisme) [ ... ] Toute politique de distribution doit avoir une clientèle
pour la promouvoir et la défendre [ . .. ] Ainsi, dans un système d'éga-
lisation des revenus et des patrimoines, comme dans celui d'une poli-
tique de revenu minimum, ce sont principalement les pauvres qui
soutiennent la politisation de la vie sociale. Comme ils se trouvent en
147
moyenne faire partie de ceux dont les capacités intellectuelles et
notamment verbales sont relativement faibles, cela conduit à une vie
politique qui manque singulièrement de raffinement intellectuel, pour
rester modéré. En gros, la vie politique tend à être parfaitement
ennuyeuse, stupide et atterrante, au jugement même d'un nombre
considérable des pauvres eux-mêmes 1. »
148
« stupide}) de Proudhon (la propriété, c'est le vol) pour inscrire au
fronton de nos centres commerciaux la nouvelle devise de la société
sarkozyenne : l'égalité, c'est le vol!
Cette chimère de l'égalité économique commencerait à polluer les
esprits dès que l'on parle de redistribution sociale et même simple-
ment de revenu national :
1Ibidem.
2 In « Le racisme comme leurre de la démocratie sociale », in site
aleric.c1ub.fr/fiLracisme.htm
149
Pascal Salin soutient, quant à lui, que si l'on veut interdire le
racisme, il faut interdire aussi l'amitié. Bigre!
150
veut le champion de« l'immigration choisie ». Ce terme, qui sert à
introduire l'idée de quotas inspirée des États-Unis, permet tout sim-
plement de saper les fondements de nos plus grandes valeurs juri-
diques. Dominique de Villepin a bien vu le piège tendu par Nicolas
Sarkozy, c'est pourquoi, avant de céder, il a dans ce domaine
réaffirmé son hostilité à ce système contraire « à notre tradition
républicaine ». Preuve que les vents sarkozyens soufflent particu-
lièrement fort du côté de la droite.
L'immigration choisie
« On connaît des exemples d'États qui ont défini des quotas d'im-
migration diversifiés par nationalité d'origine ou par profession, mais
ces mesures sont généralement considérées comme discriminatoires et
l'on préfère donc - comme cela est le cas en France - des mesures
d'ordre général l . »
1 Ibidem, p. 239.
2 Ibidem.
151
Ce thème reprend, en apparence, tous les vieux poncifs contre les
immigrés, accusés de coûter trop cher, d'être responsables de l'in-
sécurité, d'un islam terroriste, etc. Il constitue l'une des principales
victoires du libéralisme dur.
I.:argumentaire en faveur de cette nouvelle conception de l'immi-
gration a été développé par Hans Hermann Hoppe.
Il fustige donc d'abord les libéraux qui se croient obligés de bais-
ser la garde face à l'immigration pour rester de chauds partisans du
libre-échangisme. Ils n'auraient tout simplement pas compris que le
libéralisme concerne les biens, pas les hommes. Hans Hermann
Hoppe refuse toute analogie entre libre-échange et libre-immigra-
tion, puis entre limitation des échanges et limitation de l'immigra-
tion car les phénomènes ne seraient pas de même nature, les
personnes humaines pouvant bouger d'elles-mêmes et non les
objets. Hoppe explique que puisque chacun admet que le commerce
des biens et services suppose nécessairement l'invitation du (futur)
propriétaire, la vraie question n'est pas d'être pour ou contre l'im-
migration mais de se demander si ce déplacement répond à une invi-
tation d'un propriétaire. Une autre question sera ensuite de
déterminer qui peut inviter un étranger et quel rôle doit être concédé
à l'État-gendarme.
152
l'État, mais à chacun des propriétaires privés considéré isolément.
:Vadmission d'un immigré sur la propriété de quelqu'un n'impli-
querait pas celle de résider ou de se déplacer sur celle d'autrui :
1 Ibidem, p. 230.
2 Hoppe, « Pour le libre échange et une immigration limitée », article tiré du
Symposium sur l'immigration publié par The Journal of Libertarian Studies,
Volume 13 (2), été 1998, traduction par Hervé de Quengo, in site
herve.dequengo.free.frlHoppelHoppe l.htrn
3 Pascal Salin, Libéralisme, op. cit., p. 233.
153
Les perspectives radieuses que nous dépeint François-René
Rideau ne sont guère plus réjouissantes pour des citoyens encore
attachés aux valeurs de l'humanisme.'
155
e objectif de Sarkozy n'est pas seulement de faire marcher à fond
la machine à expulser, mais d'en finir avec la conception française
de l'immigration.
Une page d'histoire permettra de comprendre les enjeux.
La différence entre les Français d'origine (<< naturels ») et les
étrangers (<< aubains ») vivant en France sera durant très longtemps
incertaine. N'oublions jamais que les étrangers sont très présents
durant l'Ancien Régime: pensons à la garde écossaise du roi et aux
ministres étrangers, comme le Suisse Necker.
Le droit d'aubaine attribua longtemps aux seigneurs les biens des
étrangers après leur mort. Ce droit sera confisqué par Charles VI en
1386. La monarchie multiplie alors les naturalisations pour déve-
lopper une politique d'immigration.
La France ne connaîtra la première vague de xénophobie qu'avec
les graves revers militaires et les troubles intérieurs de 1793.
eétranger est vu alors comme antirépublicain et aux ordres de
l'aristocratie. Cette thèse du complot est suscitée par le ralliement
d'une partie de la noblesse aux armées étrangères. Souvenons-nous
que l'année d'avant, en août 1792, la France adoptait un décret qui
déclarait Français les philosophes et les combattants de la liberté du
monde entier (paine, Bentham, etc.).
Ne sont-ce pas, aujourd'hui, les mêmes puissants qui, en organi-
sant la concurrence des peuples entre eux, suscitent la peur du
plombier polonais?
Depuis l'Affaire Dreyfus, les positions étaient relativement
stables : les populistes de droite jouaient la carte sécuritaire pour
séduire les groupes sociaux les plus touchés par la crise; la gauche
invoquait les droits de l'homme et revendiquait un traitement égal
entre les Français et les immigrés.
Nicolas Sarkozy fait beaucoup plus fort que le général Boulanger
qui, le premier, utilisa l'hostilité populaire envers les étrangers pour
gagner des élections, puisqu'il espère obtenir non seulement le vote
des « blancs », mais aussi celui de la population immigrée. Cette
victoire de Sarkozy serait cependant acquise au prix de la cassure
de la France en de multiples communautés ethniques et religieuses.
Le débat actuel sur l'intégration des immigrés masque les véri-
tables enjeux. La bataille de slogans n'arrange rien. Entre un vieux
slogan nationaliste comme « la France aux Français» et un slogan
antiraciste insipide comme « nous sommes tous des immigrés, pre-
mière, deuxième, troisième génération », Sarkozy peut en effet
aisément jouer les trouble-fête:
156
« On s'aperçoit que notre système d'intégration est en panne - j'ose
le dire - que des Français qui sont nés en France, qui avaient des
grands-parents étrangers, se sentent, c'est un comble, moins bien inté-
grés et plus victimes de discrimination que leurs grands-parents qui
sont arrivés. » (Nicolas Sarkozy)
« Il faut refuser tout aux juifs comme nation et accorder tout aux
juifs comme individus. Il faut qu'ils ne fassent dans l'État ni un corps
politique ni un ordre; il faut qu'ils soient individuellement citoyens. »
157
Le concept de discriminations positives
159
tion de la discrimination positive ethnique dans les entreprises
(L'Entreprise et l'égalité positive).
Deux propositions ont été largement discutées : permettre aux
jeunes issus des quartiers sensibles d'accéder aux postes de catégo-
rie C de la fonction publique en étant dispensés de passer les
concours; menacer les entreprises de leur imposer la diversité du
recrutement si celle-ci ne progresse pas d'ici deux ans.
160
Cette notion est une façon habile, car faussement généreuse, de
contourner la loi du 6 janvier 1978 relative aux données sensibles
comme la « race» ou« l'origine ». Elle obligerait chaque salarié à
déclarer s'il appartient ou non à une minorité visible. Des systèmes
de quotas favoriseraient notamment l'emploi des enfants d'immi-
grés à Bac + 2 et Bac + 5.
Ce concept est directement inspiré du modèle canadien où il
désigne les «personnes qui ne sont pas de race blanche ».
Les jeunes de banlieue seraient d'abord membres de « minorités
visibles » (basanés, blacks, etc.) On reconnaît là la volonté de
manipuler les identités : le « beur » plutôt que le « Rmiste », le
« nègre» plutôt que l'OS, etc.
1 Claude Bébéar, Quelle ambition pour la France?, op. cit., pp. 40-41.
2 Ibidem, p. 41.
162
Notre idéologue est très clair sur ce point: il n'est même pas
nécessaire que les immigrés parlent le français :
1 Ibidem, p. 42.
Chapitre 3
Le sarkozysme contre la fraternité
165
alors que nous avons tant besoin d'eux pour secourir les pauvres.
Le véritable objectif de cette funeste idée de fraternité ne serait-il
pas d'empêcher les pauvres de former de nouveaux« bataillons de
propriétaires»? Avant de chercher qui peut avoir intérêt à voler les
pauvres, sabrons joyeusement l'idée de fraternité!
La notion de fraternité renvoie à l'idée de lien de parenté entre
frères et sœurs, mais elle prend son sens véritable dans la création
de liens de solidarité entre des individus n'appartenant pas à la
même cellule familiale.
La fraternité est donc plus exigeante que la solidarité, car elle
signifie qu'on ne choisit pas d'être solidaires, c'est-à-dire de se
reconnaître des devoirs de frères et sœurs.
166
« La Fraternité, en définitive, consiste à faire un sacrifice pour
autrui, à travailler pour autrui. Quand elle est libre, spontanée, volon-
taire,je la conçois, et j'y applaudis. J'admire d'autant plus le sacrifice
qu'il est plus entier. Mais quand on pose au sein d'une société ce prin-
cipe, que la fraternité sera imposée par la loi, c'est-à-dire en bon fran-
çais, que la répartition des fruits du travail sera faite législativement,
sans égard pour les droits du travail lui-même, qui peut dire dans quelle
mesUre ce principe agira, de quelle forme un caprice du législateur
peut le revêtir, dans quelles institutions un décret peut du soir au len-
demain l'incarner)?»
) Ibidem.
2 Ibidem.
167
« Comme il sera admis en principe que l'État est chargé de faire de
la fraternité en faveur des citoyens, on verra le peuple tout entier trans-
formé en solliciteur [ . .. ] Tout s'agitera pour réclamer les faveurs de
l'État. Le Trésor public sera littéralement au pillage. Chacun aura de
bonnes raisons pour prouver que la fraternité légale doit être entendue
dans ce sens : « Les avantages pour moi et les charges pour les autres. »
Veffort de tous tendra à arracher à la législature un lambeau de privi-
lège fraternel. Les classes souffrantes, quoique ayant le plus de titres,
n'auront pas toujours le plus de succès; or, leur multitude s'accroîtra
sans cesse, d'où il suit qu'on ne pourra marcher que de révolution en
révolution '. »
«Nous nous opposons à vous, dès l'instant que vous faites interve-
nir la loi et la taxe, c'est-à-dire la contrainte et la spoliation; car, outre
que ce recours à la force témoigne que vous avez plus de foi en vous
, Ibidem.
2 Ibidem.
3 Ibidem.
168
que dans le génie de l'humanité, il suffit, selon nous, pour altérer la
nature même et l'essence de ce dogme dont vous poursuivez la réali-
sation 1. »
169
car elle créerait des créances des pauvres sur les riches et réduirait les
seconds à l'esclavage :
« De leur côté, que pensent les pauvres? Que les riches peuvent payer.
Qu'ils en ont les moyens, puisqu'il en subsiste quoique la pression fiscale
ne cesse de s'alourdir. Et qu'il faut bien qu'il y ait quelque chose d'im-
moral à l'aisance financière, puisque l'État lui-même, puissance tutélaire,
incarnation officielle de ce qui est juste, prélève sans vergogne sur ceux
qui en jouissent. En un mot que le riche, c'est l'ennemi, et la pauvreté, une
calamité naturelle. I;impôt progressif aigrit les pauvres. Et eux aussi, il les
déresponsabilise 2• »
Dieu, la nature et l'économie ont voulu qu'il y ait des riches et des
pauvres pour que les riches puissent faire travailler les pauvres et leur
donner ainsi une possibilité de rédemption par le travail et l'effort, par
le mérite et l'épargne. La cause de la justice sociale serait donc diabo-
lique, elle enfermerait les pauvres dans leur triste situation et les
condamnerait à l'éternelle pauvreté.
« On est pauvre pour deux raisons seulement, soit on n'est pas assez
productif, soit on est volé [... ] un individu peut n'être pas productif parce
qu'il ne se soucie pas de l'être, il a d'autres priorités dans la vie que de
gagner de l'argent. Ou alors il est trop jeune, inexpérimenté et mal préparé
au travail. Ou encore il souffre d'un handicap physique ou mentaP. »
170
Christian Michel prend des accents encore plus sarkozyens pour
expliquer que la cause suprême de la pauvreté, ce sont ces lois qui
empêchent les pauvres (et notamment les plus jeWles) de « tra-
vailler plus pour gagner plus» :
13 Ibidem.
14 François Guillaumat, « Voleurs de pauvres », in site
www.liberalia.comlhtmlf~voleucde_pauvres.htm
15 Frédéric Bastiat, Le Journal des économistes, op. cit.
171
Christian Michel, dans un autre style, soutient également que l'É-
tat-providence servirait d'abord à traquer les riches et à les mainte-
nir sous la botte de l'État:
« Plus que toute autre nation, la nôtre est ainsi susceptible de se lais-
ser entraîner sur la pente fatale de 1'hyper-redistribution par une fisca-
lité débridée dans la perspective de la réduction des inégalités. Parce
que la France est ce qu'elle est, le risque est grand que s'engloutisse
dans le mirage de la justice sociale, via l'impôt, l'ensemble de notre
corpus de références 2. »
173
les riches peuvent être généreux puisque eux seuls savent vraiment la
valeur de l'argent qu'ils donnent:
« Seuls les capitalistes, grands et petits, sont généreux, parce que seuls
ils connaissent la valeur du temps et de l'argent, et ils la respectent!. »
! Ibidem.
2 Ibidem.
3 Ibidem.
174
Ces hérétiques utilisent la revendication de la justice sociale pour
légitimer le crime des « puissants » contre les « faibles » :
175
La fable est connue: un essaim d'abeilles vit dans la paix et
l'opulence matérielle d'une ruche magnifique. Mais les abeilles
religieuses déplorent l'absence de sens moral des abeilles buti-
neuses (travailleuses). Jupiter, informé, par les religieuses, décide
de rendre les abeilles honnêtes, ce qui va provoquer la fin de la
ruche: les serruriers font faillite, car il n'est plus besoin de fermer
les portes puisque le vol a totalement disparu, les gardiens se
retrouvent également au chômage, car faute de larcins et de crimes,
il n'y a plus de prisonniers. La misère se répand, jusqu'à l'effon-
drement de la ruche: les abeilles retourneront vivre dans les arbres.
La morale de l'histoire est limpide: loin d'être combattus par des
lois scélérates, les défauts de chacun doivent être utilisés pour le
bonheur de tous. Ces vices privés peuvent tenir la place de vertus
publiques. Ainsi l'égoïsme, moralement condamnable, est écono-
miquement indispensable pour la société.
Cette Fable des abeilles contient en germe toute l'anthropologie
des libéraux. De Smith à Sarkozy, chacun pense que la quête de la
vertu est antiéconomique. Ce n'est que dans la mesure où chacun
fait primer son intérêt personnel sur l'intérêt général que le bonheur
existe. La solution à ce paradoxe serait, bien sûr, la fameuse « main
invisible » imaginée par Adam Smith.
Cette thèse a été reprise et amplifiée par Ayn Rand dans La ~rtu
d'égoïsme. Pour Hayek, l'harmonie n'est ni naturelle ni artificielle:
elle résulte simplement de l'action des hommes qui ne savent pas
ce qu'ils font. La seule alternative serait de s'en remettre à la solu-
tion imaginée par Hobbes avec son État-Leviathan.
lï6
quelques circonstances atténuantes. Ce sera, du moins, l'occasion
d'entendre leurs justifications.
« Notre prochain que nous devons aimer n'est pas le pauvre mais le
riche secourable»; « Pourquoi aiderais-je quelqu'un parce qu'il est
dans la misère? la misère est à combattre. Rien de ce qu'elle touche ne
doit devenir aimable à nos yeux 1. »
Cet amour des riches est souvent la face avouable d'une haine de
classe. Philippe Manière prend des accents de procureur général
pour accuser la France de mal aimer ses riches :
« La France n'aime pas les riches. Ce n'est pas son moindre défaut.
Car les riches ont mille qualités que n'importe qui aperçoit en un clin
d'œil s'il veut bien passer outre le préjugé envieux où nous conduit une
pente naturelle mais néfaste 2. »
177
Les Français sont jaloux parce qu'en France on n'apprend pas à
devenir riches, mais à partager leurs biens. Les Anglais sont un
peuple industrieux et entreprenant. Les Français restent des parta-
geux pilleurs de châteaux. On peut appeler cela de l'atavisme ou de
l'endoctrinement.
Philippe Manière, en hussard du capital, enseigne donc toutes les
raisons que nous avons d'aimer nos maîtres.
Nous devons, tout d'abord, aimer les riches car ils nous font vivre.
Sans riches, personne ne gaspillerait en une nuit au casino beaucoup
plus que la totalité des revenus d'une vie; sans riches, les sans-
domicile ne trouveraient jamais de caviar dans les poubelles des
beaux quartiers; sans riches, Neuilly-Ia-ville-des-plus-que-bourge
ne serait qu'une triste banlieue et Sarkozy qu'un fils d'immigré :
« Les riches, d'abord, nous font vivre. Gagnant plus que les autres, ils
consomment plus que les autres. Or la consommation des uns, c'est le
revenu des autres [ ... ] Plus on est riche, plus on dépense et, donc, plus
on fait vivre le reste de la population 1. »; « Chérissons donc les riches
et défendons leurs intérêts contre l'État, non pas pour leur faire plaisir,
mais pour maximiser notre propre intérêt 2 ••• »
Les pauvres doivent enfin aimer les riches parce qu'ils sont, par
rapport à eux, des modèles de perfection : « Les riches contribuent
bien plus aux avancées de la pensée. Voltaire était riche. Tocqueville
1 Ibidem, p. 129.
2 Ibidem, p. 132.
3 Ibidem.
178
était riche. Victor Hugo aussi. » Manière cherche ensuite à qui pro-
fite cette haine. La réponse fuse immédiatement, tant elle est évi-
dente; seuls les fonctionnaires ont intérêt à ce qu'il y ait moins de
riches, car cela augmente leur propre pouvoir :
« Les autres, tous ceux, Dieu merci encore majoritaires, qui vivent
dans et de l'économie marchande, ont au contraire intérêt à ce que les
riches s'enrichissent, pas à ce que l'État prospère 1. »
« C'est parce que l'enrichissement leur est interdit que la richesse est
insupportable à ceux qui n'en jouissent pas, et qui ne sauraient en jouir
par procuration faute de pouvoir fantasmer, pour l'avenir, sur la leur
propre 2 • »
1 Ibidem, p. 13l.
2 Ibidem, p.135.
3 Ibidem, p.136.
179
Le sarkozysme et la société de petits propriétaires
«Nous ferons de la France un pays de propriétaires. Le rêve de pro-
priété doit être accessible pour tous, y compris pour les petits salaires.
Cessons de culpabiliser le patrimoine, la propriété, la promotion
sociale. » (Nicolas Sarkozy, le 12 mai 2005)
180
pour être civilisés : « Les Barbares qui menacent la société ne sont
point au Caucase ni dans les steppes de la Tartarie : ils sont dans les
faubourgs de nos villes manufacturières. » La bourgeoisie doit pour
cela se mobiliser : « Il serait bien temps, vraiment, de vouloir
repousser l'ennemi après l'avoir reçu dans la place 1. » Vessentiel
est dit : la classe ouvrière est bien l'ennemi du système.
Le bon Saint-Girardin entrevoit alors deux solutions. La première
est la guerre de classe, mais la « populace » peut être victorieuse.
Vautre solution consiste à la priver totalement de ses droits poli-
tiques tout en adoptant des lois pour que les prolétaires deviennent
massivement des propriétaires. On reconnaît là le fondement du
suffrage censitaire.
Alexis de Tocqueville le disait avec force dès 1835 : « Vesprit
français est de ne pas vouloir de supérieur. Vesprit anglais est de
vouloir des inférieurs 2. » Saint-Sarkozy ne propose pas aujourd'hui
autre chose: il faut civiliser la barbarie ... en créant un monde de
petits propriétaires.
181
Martin Olasky publie, en 2000, la bible du conservatisme com-
passionnel : Compassionate Conservatism. I1homme est présenté,
parfois, comme un « gourou encombrant », car ce conseiller de G.
W. Bush est non seulement un ancien marxiste et un ex-athée, mais
il n'hésite pas à livrer parfois sa pensée. Ce professeur de journa-
lisme à l'université du Texas et chercheur à l'Institut Action voit les
choses en grand, mais sans négliger certains « détails ». Oui, l'ob-
jectif du conservatisme compassionnel est bien d'abattre le mur
entre l'État et la religion afin que les Églises prennent en charge les
programmes sociaux. Non, il n'est pas opposé à ce que la sciento-
logie et la WICCAN (organisation de sorcellerie) bénéficient, pour
cela, d'un financement public. Bill Clinton n'avait-il pas lui-même
qualifié le programme de la scientologie de lutte contre la drogue
des plus efficaces?
Le président Bush a donc fait du conservatisme compassionnel
l'autre face de son plan de paupérisation de la population et de
démantèlement de l'État:
182
permettre de déculpabiliser les riches et de culpabiliser les pauvres.
Le conservatisme compassionnel se donne pour premier objectif
que les pauvres cessent d'être envieux et jaloux des riches, qu'ils
cessent de croire qu'ils ne sont pour rien dans leur situation, qu'ils
passent également de la situation d'irresponsabilité et d'assistanat
à celle de devoir et de respect. Le conservatisme compassionnel
doit mettre au cœur de son action des valeurs communes à l' en-
semble des religions, et non pas des options sociales ou politiques.
Bush le dit clairement :
« Je conduirai le pays vers une culture qui valorise la vie, la vie des
personnes âgées et des malades, la vie des jeunes, et la vie des enfants
non nés '. »
183
toute recherche d'une quelconque « troisième voie ». Il prônait le
respect de la propriété et de la liberté économique. Ce ralliement
fut très bien accueilli par le camp libéral.
Philippe Nemo, professeur de philosophie à l'ESC de Paris, spé-
cialiste de Hayek, conférencier du cercle Bastiat, explique dans
Libéralisme et christianisme 1 que le libéralisme serait directement
issu du christianisme.
Jean Duchesne expose, dans Vingt siècles. Et après? 2, les racines
chrétiennes des grands principes des démocraties modernes. La
démocratie serait issue du protestantisme, mais d'un protestantisme
dissident. Alors que dans les pays protestants européens on aurait,
au contraire, assisté à une véritable appropriation du pouvoir reli-
gieux par les souverains (donc l'État). Les « puritains» du « nou-
veau monde », en séparant le politique du religieux, n'auraient
d'ailleurs fait que reprendre les éléments de base du christianisme.
Jean Duchesne considère que le catholicisme serait aujourd'hui
plus à même de défendre la démocratie que le protestantisme, car
ce dernier aurait tendance à se diviser sans fin et à dissoudre la
question sociale et morale dans la permissivité.
184
Les arguments avancés en faveur de ce démantèlement de l'État
social français tiennent peu aux arguties financières servies habi-
tuellement aux grands médias: ce ne sont ni l'ampleur du déficit
de la sécurité sociale ni les questions démographiques qui viennent
en premier, mais des motifs idéologiques.
On ne cesse de nous expliquer que l'État-providence développe-
rait une solidarité sans amour car « les gestes de la solidarité ne
sont pas la solidarité ». Il serait donc une « pornographie de la soli-
darité» :
185
moitié de son paquetage. Deuxio : cet archétype de la solidarité est
plutôt bancal car non seulement le pauvre grelotte, mais lui aussi.
Décidément: rien ne vaut la sécurité sociale!
186
les fonnes de solidarité privée contre la solidarité publique. On
pourrait ainsi créer une concurrence « saine » entre prestataires,
puis rendre à la bonne « société civile » le terrain de la charité
monopolisé par l'État jacobin :
187
accompagné le développement de l'État-providence. La logique de
l'assurance aurait remplacé celle de l'assistance, qui prévalait durant
le Moyen-Âge. Vélément fondateur de cette véritable révolution au
sein de notre anthropologie aurait été, selon Ewald, la loi de 1898 sur
les accidents du travail. Ils furent en effet définis comme un risque
contre lequel il fallait obligatoirement s'assurer et le législateur a
confié à l'État la tâche de répartir les charges de ce mécanisme. La
sécurité sociale, fondée sur ce même principe de solidarité, aurait
créé une dépendance entre chômeurs et actifs, retraités et actifs,
malades et bien portants, etc.
Le sociologue Numa Murard estime que ce système assurantiel
(<< un pour tous, tous pour un ») serait vécu comme une obligation
et non comme un acte volontaire de solidarité.
Ce mécanisme fonctionnerait, par ailleurs, selon un principe tota-
lement contraire à l'esprit du capitalisme qui resterait « le chacun
pour soi ». Valtemative consiste à redévelopper les solidarités
actives contre les solidarités contraintes. Pierre Rosanvallon mobi-
lise l'un des concepts des altermondialistes qui, avec Polanyi, accu-
sent le capitalisme d'avoir désenchâssé l'économique du social
puisqu'il parle, lui, de « réencastrer la solidarité ».
Ce « réencastrage de la solidarité» (la fin de la sécurité sociale)
passerait par une critique de l'État-providence dans ses résultats et
dans son principe. Il passerait également par de nouvelles formes de
socialisation transversale. Ce point de vue rejoint celui du grand
futurologue américain Alvin Tomer qui voit dans les sectes une
façon de compenser la perte des identités collectives et indivi-
duelles.
Cette « réévaluation du rôle de l'État» explique que les sarko-
zyens de tous pays concentrent leurs efforts pour démolir ce qu'ils
nomment les grands dogmes étatistes: l'idée que la gestion publique
serait meilleure gue la gestion privée, la pseudo-efficacité des aides
sociales, etc. VEtat-providence construirait une économie fermée
peu adaptée à une véritable « société ouverte », c'est pourquoi sa
capacité de régulation serait aléatoire voire illusoire, c'est pourquoi
les libéraux espèrent que les contribuables se révoltent enfin contre
la fiscalité et les prélèvements sociaux.
Ralf Dahrendorf distingue trois attaques contre l'État-providence.
Vopposition « bleue », c'est-à-dire la nouvelle droite conservatrice,
conduirait la révolte de l'individu contre la bureaucratie, l'opposi-
tion « rouge » prônerait encore davantage d'égalité réelle et l' oppo-
sition « verte» remettrait en cause notre mode de vie.
188
VÉtat-providence serait responsable de dysfonctionnements
redoutables, puisqu'il engendrerait de dangereuses trappes à pau-
vreté et à chômage : les programmes d'aides ne réduiraient pas le
nombre des assistés, mais fixeraient une clientèle stable. Gilles
Lipovetsky explique ainsi que l'État-providence aurait transformé
les Français en « assistés permanents ». IJÉtat-providence serait
également responsable du développement des inégalités sociales. Il
créerait en effet une « contre-redistribution sociale » au sens où,
selon Philippe Bénéton, la consommation de biens publics ne ferait
que répéter et renforcer les inégalités sociales. eÉtat paierait ainsi
pour les loisirs des riches cultivés qui seuls fréquentent biblio-
thèque, musées et opéras. Alain Mine a popularisé en France cette
idée que l'État-providence fonctionne à rebours, plus de quinze ans
après qu'une partie de l'extrême gauche en ait fait ses choux gras!.
Le nec plus ultra de la critique de l'État-providence nous vient
naturellement des États-Unis, où l'école du public choice explique
que l'essor des interventions publiques répondrait non pas à l'inté-
rêt général, mais à l'intérêt particulier de certains groupes
sociaux comme les élus, les fonctionnaires et les syndicalistes.
Gloire au marché 1
Cet effacement programmé de l'État-providence n'inquiète pas
nos joyeux sarkozyens, car ils ont désormais deux solutions alterna-
tives à proposer. Tout d'abord la « glorification» sans limites du
marché: l'histoire aurait établi la supériorité de la régulation par le
marché sur le plan économique et social. La cause de l'échec du
modèle français serait son refus de s'en remettre au dieu-marché. La
crise s'expliquerait par la déréglementation de l'économie sous l'ef-
fet des interventions de l'État. La solution consisterait donc à priva-
tiser totalement les services publics. Sarkozy y pense, Sarkozy y
travaille, Sarkozy est là !
1 Christian Baudelot, Roger Establet, Qui travaille pour qui?, Maspero, 1975.
189
la « société civile », il va devoir rendre gorge et libérer les bons pro-
priétaires. Puisque notre vie sociale a été placée sous tutelle éta-
tique, il faut maintenant rendre à la société civile son existence
propre face à l'État. Nous devons reconstituer de véritables institu-
tions civiles autonomes et responsables. Nous devons transférer des
missions à la « société civile» pour affaiblir l'État.
Le sarkozysme et la fIScalité
La façon dont la révolution néo-conservatrice est parvenue, en
quelques décennies, à refaire de la question de l'impôt un débat poli-
tique essentiel est significative du ketchup qui a coulé dans nos
têtes. Les libéraux font mine de ne se révolter que contre la lourdeur
de l'impôt et non contre son principe, mais il suffit pourtant de faire
un petit tour du côté de l'Histoire pour se rendre compte qu'ils pour-
suivent un très vieux combat.
Philippe Manière, en publiant sa diatribe contre l'impôt, renoue
avec un vieux courant réactionnaire 1. Sa haine de la fiscalité prouve
qu'il n'ignore rien de la place de l'impôt dans notre histoire natio-
nale et dans le processus de constitution de la France. Il sait qu'il est
possible de mobiliser à bon compte ce sentiment antirépublicain.
On ne parle pas innocemment « d'oppression fiscale » et on ne
juge pas l'impôt « confiscatoire », voire « punitif », sans vouloir
suivre volontairement les pas de ceux qui, durant les siècles passés,
refusaient l'impôt. Il suffit de le lire pour découvrir que les raisons
apparentes cachent des motifs moins avouables :
190
Philippe Manière n'hésite pas à tordre les faits pour les faire entrer
dans son système. Il fait semblant de croire que le refus de l'impôt
serait récent et s'expliquerait par son volume. Cette thèse sympa-
thique est totalement fausse.
Ce n'est pas parce que la fiscalité serait trop forte que des Philippe
Manière ont toujours râlé contre l'impôt. I:argument de la spoliation
vise le principe même de l'impôt et non pas seulement son rende-
ment marginal :
« BÉtat nous laisse une part certes sans cesse plus petite du gâteau,
mais le gâteau est toujours plus gros 1. »
Un antiflScalisme viscéral
La question de l'impôt partage, depuis deux siècles, la droite et la
gauche. Le principe d'un impôt sur le revenu fut longtemps le prin-
cipal point d.e friction depuis que les républicains en avaient fait une
priorité avec le fameux « discours de Belleville» de Gambetta. La
première tentative d'imposer un tel impôt date d'ailleurs du gouver-
nement radical de Léon Bourgeois (1895-1986).
La chute de son gouvernement en reportera.1'adoption, mais ce
projet restera le cheval de bataille des radicaux jusqu'à la Première
Guerre mondiale. Joseph Caillaux reprend l'idée en 1911 et écope
d'une campagne de presse haineuse, lancée par Le Ftgaro, qui abou-
tit au drame de l'assassinat de son directeur de cabinet, M. Calmette,
par Mme Caillaux. La gauche continue pourtant à en faire son thème
de campagne, en 1914, avec l'abrogation de la loi des trois ans.
Le principe d'un impôt sur le revenu est enfin acquis juste à la
veille de la Première Guerre mondiale, mais le déclenchement des
hostilités en diffère l'application. La gauche radicale est alors
encore hostile à toute idée d'impôt sur le capital pour ne pas porter
atteinte au patrimoine, donc à la sacro-sainte propriété privée.
1 Idem, p. 15.
191
Ce paradoxe ne serait bien sûr qu'apparent, car un État gounnand
serait presque fatalement un État impécunieux 1.
La charge de l'impôt serait injuste : ce seraient toujours les
mêmes qui payent. Ce fardeau serait imposé par la prise en charge
d'une masse de gens qui ne produirait pas ou très peu mais recevrait
d'importantes subsides publiques. La cause de la «justice sociale»
devrait donc être délégitimée pour faire tomber ce mythe abscons,
mais tellement français, de la redistribution sociale.
La fiscalité française rendrait nos propres valeurs évanescentes et
virtuelles: même l'amour si français de l'État ne pourrait plus jus-
tifier le « racket fiscal» contraire aux deux valeurs fondatrices que
sont la liberté et le droit de propriété.
192
que celui payé par le pauvre. On le suivra donc dans ses petites pro-
positions pour une fiscalité de classe.
Il constate tout d'abord que l'impôt qui fait le plus mal est celui
sur le revenu. Ce dernier est pourtant l'un des plus faibles du
monde, rapporté au revenu national. La raison de ce paradoxe est
simple: les ménages pauvres en sont exonérés. Conséquence: ceux
qui restent assujettis voient la note grimper puisqu'il faut « faire
payer les riches ». Manière ajoute que « cette très grande masse
d'exonérés pose au pays des problèmes nombreux, et pas seulement
d'ordre financier l ».
Philippe Manière s'emporte aussi contre le « déplafonnement »
pour les cotisations sociales, car il offre un meilleur rendement
pour les pauvres, or, « rien ne dit que les riches sont plus malades
que les pauvrès, ni qu'ils ont plus de risques d'être au chômage 2 • »
Le système français de protection sociale serait donc scandaleu-
sement redistrlbutif puisque les pauvres en tirent un meilleur ren-
dement que les riches. Ils cotisent beaucoup moins pour des
prestations équivalentes. Chacun ne paie donc pas seulement pour
ses propres risques ...
On retrouve les mêmes thèses, mais avec un peu plus de prudence
sémantique, dans le Rapport Ducamin 3, commandé par Nicolas
Sarkozy. On y apprend que la France entière, celle qui se lève tôt et
travaille durement, souffre de notre fiscalité, et non pas seulement
les riches:
« TI n'y a pas que les très riches qui sont très ponctionnés . .. ce qui
signifie que le problème de la pression fiscale n'est pas seulement,
comme on le dit parfois, un problème de nantis 4 • »
Qui osera dire après cela que Nicolas Sarkozy serait le président
des Français de Neuilly-sur-Seine et des grands patrons du
CAC40?
Le grand problème de notre fiscalité serait d'ailleurs non pas
technique ou financier, mais économico-moral :
193
« Le contribuable français a donc de bonnes raisons de penser que
ce sont toujours les mêmes qui paient, et que ce sont toujours les
mêmes qui reçoivent les subsides 1. »
« r.:État croit bien faire en aidant les moins nantis, mais, en réalité,
il les enferme dans cette pauvreté en rendant extrêmement peu attirante
sur le plan pécuniaire toute évolution vers le haut»; « Pour des mil-
lions de français qui se situent en bas de l'échelle sociale ne surtout pas
augmenter son revenu devient une priorité, presque une obsession»;
«Le système français enferme sciemment des centaines de milliers de
personnes dans la pauvreté et l'assistance 2. »
1 Ibidem.
2 Ibidem.
194
« Si l'impôt, c'est l'État, les raisons de l'impôt sont donc celles de
l'État. Et l'impôt n'est légitime que si les actes de l'État le sont,
puisque leurs vocations respectives se confondent. »
197
temps. Le Travail n'aura jamais été, depuis un sièc1e, aussi fidèle à
l'idée de labor. La Patrie détricotée va devoir nouer de nouvelles
alliances avec l'Oncle Sam et lui obéir le petit doigt sur la couture
du pantalon. Le Respect a de beaux jours devant lui, mais ses sujets
de prédilection seront d'abord la Famille, la Religion et surtout la
Propriété.
Chapitre 1
Le sarkozysme et le culte du Travail
200
Cette situation désastreuse serait responsable non seulement du blo-
cage de la croissance, mais aussi des problèmes économiques et
sociaux dont souffrent « le site France » et ses élites économiques. Il
serait donc temps de remplacer ce droit du travail exploiteur par un
droit de l'entreprise libérateur. Salin explique notre incapacité à « sau-
ver » les patrons par l'existence même du système démocratique :
I:idée que la France ne travaillerait plus assez est l'un des grands
thèmes préférés des partisans de la thèse « décIiniste ». Ils ont fait
naturellement de la loi des 35 heures leur bouc émissaire. Non seule-
ment il est faux de dire que la réduction du temps de travail aurait eu
des effets négatifs mais, de plus, il est tout aussi erroné de laisser
dire que les Geunes) Français ne voudraient plus travailler. Les
chiffres parlent d'eux-mêmes contre ces positions idéologiques.
Philippe Askenazy3 montre que le volume annuel de travail oscil-
lait, entre 1990 et 1996, autour de 21,5 milliards d'heures. Après le
passage aux 35 heures, il fluctue entre 22 et 22,5 milliards d'heures.
1 Ibidem, p. 419.
2 Christian Michel, « Que faire des gens riches? », op. cit.
3 Économiste et chercheur au CNRS.
201
On constate donc un excédent de travail qui représente entre 350000
et 700000 emplois.
Le chercheur poursuit en démontrant que, même sur le plan indivi-
duel, il est faux de dire que le temps de travail est passé de 39 à
35 heures. En effet, la plupart des entreprises ont réduit le temps de
travail sous les lois Aubry 2, donc en incluant les pauses dans le cal-
cul. La baisse effective du temps de travail n'est donc plus de Il %
mais de 5 à 6 %, c'est-à-dire qu'on est passé véritablement de 39 à
37 heures. D'autre part, seule la moitié des Français est concernée, ce
qui donne finalement une baisse moyenne d'heures travaillées de 3 %.
Ce montant est absolument équivalent au Canada où, malgré l'ab-
sence d'une telle loi, la durée de travail a baissé de 3 %1.
Ainsi, non seulement les Français ne travaillent pas moins, mais ils
travaillent, globalement, beaucoup mieux car plus efficacement. La
France conserve la meilleure productivité du monde par heure de tra-
vail, soit une performance bien meilleure que celle des États-Unis, du
Japon, sans même parler de la Grande-Bretagne. Les entreprises ont
d'ailleurs massivement boudé les facilités apportées par la loi Fillon
pour contourner la loi sur les 35 heures.
Nicolas Sarkozy dénonce le malthusianisme des partisans des
35 heures qui croiraient que le travail est une chose rare, donc à par-
tager. TI est vrai qu'il préfère mille fois le malthusianisme des salaires :
il faut croire qu'il pense que la masse salariale est une chose rare qu'il
faudrait partager en petites miettes selon le mérite de chacun.
Cette absurdité économique n'excuse pas ses erreurs juridiques.
Nicolas Sarkozy fanfaronne en promettant à ceux qui le voudraient
qu'ils pourront « travailler plus pour gagner plus ».
Remarquons tout d'abord que des millions de personnes ne deman-
dent pas à travailler davantage, mais simplement à trouver un vrai
emploi. Notons aussi que Sarkozy ne semble pas connaître les aug-
mentations de salaires qui font gagner plus en ne travaillant pas davan-
tage. Notre ex-ministre de l'Économie fait ensuite semblant d'ignorer
ce principe fondamental du droit du travail, selon lequel le salarié est
subordonné à son employeur. C'est donc lui seul qui a le pouvoir de
décider de faire ou de ne pas faire accomplir des heures supplémen-
taires. Le refus du salarié peut même être une faute justifiant un licen-
ciement.
li y a déjà place pour 13 heures supplémentaires de travail par
semaine, puisque la durée maximale théorique est de 48 heures. Sar-
202
kozy ne peut ignorer que les salariés français effectuent déjà un
énorme travail supplémentaire, souvent non rémunéré, ou en dessous
du tarifmajoré légal, notamment dans les secteurs de l'hôtellerie, de
la restauration, des transports, du nettoyage, de l'agriculture, des ser-
vices, de l'industrie, de l'encadrement, etc. N'oublions pas, enfm, que
la France a un taux d'accidents du travail particulièrement élevé, ce
qui prouve que les salariés travaillent véritablement et connaissent une
réelle souffrance au travail.
203
dénoncé la « diabolisation » dont le travail serait victime, si même
le pire travail ne serait finalement pas mieux que le loisir habituel :
204
bas de gamme : déqualification des postes, augmentation des formes
précaires, concentration des salaires autour du SI\lIC, etc.
Cette politique n'a pas réglé le problème du chômage, mais a fait de
l'emploi une angoisse pour des millions de salariés ou d'étudiants. La
seule alternative serait de réintroduire dans le secteur salarial normal
toute une série d'activités socialement utiles pour lesquelles la société
doit payer, faute de quoi le travail perdra toute valeur. La baisse de son
coût est économiquement une mauvaise chose, car elle conduit au
gaspillage du travail.
Cette dévalorisation du travail salarié a été de pair avec la thèse de
« la fm du travail» très à la mode à la fm du XX" siècle. Selon les par-
tisans de cette thèse, le grand problème serait que la société repose sur
la valeur du travail alors qu'elle tue le travail 1•
205
Travailler plus pour gagner moins
«Gagner plus parce qu'on travaille plus. » (Nicolas Sarkozy)
206
Les seniors au boulot
Peu importe que le fait de travailler cinq ans de plus soit une absur-
dité, l'économie a ses raisons que le sarkozysme comprend. On se
prépare, dans les prochaines années, à un grand « battage» idéolo-
gique et à de fortes mesures pour remettre les vieux au boulot: fini
les préretraites et les mises en retraite d'office à 60 ans, il va falloir
réapprendre à trimer dur et beaucoup plus longtemps. Cidéal sarko-
zyen n'est pas simplement un retour en arrière, lorsque tant de sala-
riés attendaient tranquillement l'âge de pouvoir enfin vivre :
207
moments de la vie, mais de développer des politiques de réinsertion
incitatives au retour à l'emploi (bref, de copier le modèle alle-
mand).
«Ce n'est pas un acquis social que de considérer que l'on peut, cer-
tains jours, bloquer le fonctionnement d'un service public de transport
en commun sans être tenu à un service minimum»; « Ce que propose
la gauche, c'est que l'usager s'adapte au service public. Ce que nous
proposons, c'est que le service public s'adapte à l'usager [... ] cela sup-
pose enfin de mettre en place le service minimum garanti [ ... ] Les
salariés qui travaillent et les entreprises qui les attendent n'ont pas
besoin - en moyenne - d'un train sur trois les jours de grève, mais d'un
service complet aux heures de pointe sur toutes les lignes, qui permette
d'aller à son travail et d'en revenir dans des conditions normales et
dignes. C'est cela le service minimum garanti. » (Nicolas Sarkozy)
210
ticiables, obligés d'attendre des années des décisions de justice?
Quel respect pour les victimes, lorsque les condamnés ne peuvent
effectuer leur peine faute de place? Quel respect pour les taulards,
lorsqu'ils s'entassent à six par chambre, sans espoir de retrouver
une place dans la société après avoir purgé leur peine? Quel respect
pour les malades, obligés de patienter faute de place? Quel respect
pour le personnel hospitalier surchargé de travail, incapable de
pouvoir traiter les malades comme il le voudrait faute de moyens,
quel respect pour les profs avec des effectifs d'élèves trop nom-
breux, quel respect pour les générations futures alors que votre
course à la croissance détruit chaque jour un peu plus la planète,
saccage nos modes de vie, nos traditions, nos cultures, notre patri-
moine, etc. ?
Le seul respect absolu dont peut se prévaloir historiquement le
courant auquel Nicolas Sarkozy appartient est celui du droit de pro-
priété. Il suffit pour s'en convaincre de relire les Pères fondateurs
du libéralisme. On peut aussi regarder de l'autre côté de l'Atlan-
tique. Les défenseurs du sacro-saint droit de propriété avaient,
certes, dû mettre du vin dans leur ketchup, durant près d'un siècle,
mais on les entend de nouveau chanter les vertus de la « société de
propriété )}. Tout le reste ne serait, aux yeux de nos vrais libéraux,
que pure foutaise.
211
« Dans un pays comme les États-Unis, où l'on place le droit de pro-
priété au-dessus de la loi, où la force publique n'a pour mission que de
faire respecter ce droit naturel, chacun peut en toute confiance consacrer
à la production son capital et ses bras. Il n'a pas à craindre que ses plans
et ses combinaisons soient d'un instant à l'autre bouleversés par la puis-
sance législative. Mais quand, au contraire, posant en principe que ce
n'est pas le travail mais la loi, qui est le fondement de la Propriété, on
admet que tous les faiseurs d'utopies imposent leurs combinaisons d'une
manière générale et par l'autorité des décrets 1. »
212
« Le luxe peut être nécessaire pour donner du pain aux pauvres: mais,
s'il n'y avait point de luxe, il n'y aurait point de pauvres 1. »
213
XIXe siècle. La grande politique est affaire de mots, c'est-à-dire
d'imaginaire. Aussi les « néo-cons» doivent-ils une fière chandelle
aux experts des grands think tanks américains, qui sont parvenus à
forger ce merveilleux terme de « société de propriété » capable de
faire bouger les choses.
La « société de propriété» est un concept qui contient tout le libé-
ralisme puisqu'il permet d'affirmer que la propriété (privée natu-
rellement) serait la solution à tous les problèmes de l'humanité.
Dan Bartlett, proche collaborateur de G.w. Bush, est le véritable
théoricien de ce concept. Directeur de communication de la Maison
Blanche, il explique que la « société de propriété » serait la réponse
évidente à la question toute simple : « Est-ce que je fais plus
confiance à moi-même ou au gouvernement?»
La réponse ne fait aucun doute pour Mathieu Lainé!. Cet idéo-
logue cherche à convaincre la « vieille » droite Gamais assez à
droite) de l'intérêt de cette révolution sémantique. La « société de
propriété » serait fondée, selon lui, sur l'idée « qu'une personne
voue une attention et un soin plus grands à ses propres affaires
qu'aux affaires d'autrui » (sic). Mathieu Lainé poursuit par une
exaltation sans nuance de la responsabilité : « Chacun prend le
contrôle de sa propre destinée : les patients contrôlent leur assu-
rance maladie, les parents choisissent l'éducation de leurs enfants
et les employés constituent librement leur retraite. » La « société de
propriété » est une merveilleuse « société de liberté ».
De ce « mieux vaut compter sur soi que sur les autres » au « cha-
cun pour soi », on devine que le chemin est particulièrement court :
les positions antifiscalistes et antiredistributistes sont donc
logiques.
:VEtat reste « cette grande fiction sociale à travers laquelle cha-
cun s'efforce de vivre aux dépens des autres 2 », sauf à devenir avec
la « société de propriété » cet « État minimum » qui considère que
« l'argent gagné par les citoyens est leur propriété et qu'il sera
mieux géré par eux-mêmes que par ses propres agents 3. » La
« société de propriété » serait tournée vers les individus. Elle s'op-
poserait à la « société de contrôle », soumise à toujours plus de
réglementation et confiante dans la bienveillance de l'État (sic).
214
Soyons juste : les adeptes de. la « société de propriété » ne sont
pas simplement des bigots des thèses vieillottes du grand Bastiat.
Leur « société de propriété» penriettrait d'aller beaucoup plus loin
et plus vite dans la privatisation généralisée de tout ce qui existe sur
terre mais aussi dans les eaux, dans le ciel et au cœur même de l'hu-
main.
Notre système juridique franco-européen. serait très en retard.
Tout devrait être privatisable ou, mieux encore, appropriable : l'eau,
le fond des océans, les lacs, l'espace aérien, les couloirs aériens, les
rues, les places, les quartiers, les villes, les cellules saines, les cel-
lules malades, les nations, l'immigration, les prisons, les armées,
les polices, la justice, la monnaie, l'écologie, les règles sociales, les
connaissances, les semences, la vie, etc.
Les avantages seraient incalculables, selon Linda et Morris Tan-
nehiIl. Leur prose est suffisamment forte pour se suffire à elle-
même. Écoutons-les:
Sans doute, chers lecteurs, êtes-vous choqués par cet « enfer cli-
matisé » que nos idéologues du grand capital nous préparent. Ras-
surez-vous, votre cas désespéré est bien connu de leurs spécialistes.
Vous avez tout simplement peur d'être confrontés à votre bassesse
1 Linda et Morris Tannehill, The Market for Liberty, Fox and Wilkes, 1973.
215
et à votre condition de sous-hommes et de parasites asociaux. C'est
pourquoi vous vous opposez à la liberté des surhommes proprié-
taires :
1 Ibidem.
2 Mathieu Lainé, op cit.
216
Vidée lui est venue des États-Unis où Bush a fait de la « société
de propriété» l'un des piliers principaux de sa campagne électo-
rale. Il s'agit « d'encourager les gens à posséder quelque chose:
leur maison, leur entreprise, leur plan de couverture sociale ou une
partie de leur plan de retraite 1. »
Sarkozy reprend à son compte cette idéologie, mais en l'adaptant
à cette vieille culture française et à son attirance pour la « pierre ».
Il a donc imaginé de favoriser les transmissions sans devoir payer
de droits, ainsi que les possibilités d'acquérir son bien immobilier.
On ne s'appesantira pas sur le caractère inégalitaire de ces
mesures qui prouvent que le sarkozysme réel est toujours aussi
réactionnaire.
La grande arnaque de Nicolas Sarkozy est de laisser croire que sa
réforme serait profitable à tous (du PDG de société transnationale
jusqu'au Rmiste). Il se prévaut, pour cela, du patrimoine moyen
français de 100 000 euros. Cette moyenne statistique est une belle
entourloupe, car la moitié des successions porte sur un montant
inférieur (moins de 55000 euros) et 10 % seulement des succes-
sions excèdent 200 000 euros Les contribuables qui bénéficient des
mesures Sarkozy ne viennent donc pas des milieux ,populaires ni
même des couches moyennes. Dans ma jeunesse, on aurait parlé
avec raison d'une politique de classe.
Un deuxième mensonge est de laisser croire que l'héritage serait
le fruit du travail de toute une vie, alors qu'il s'agit d'une accumu-
lation de richesses sur plusieurs générations. Or la France souffre
d'une concentration du patrimoine beaucoup plus forte qu'à
l'étranger : 10 % des plus riches détiennent 40 % du patrimoine
national, 50 % en représentent 10 % et les 1% les plus riches entre
14 et 20 %.
Sarkozy explique que le patrimoine serait une meilleure protec-
tion, dans cette « société du risque », que nos vieux « droits
sociaux ». Cette thèse est absurde puisque les droits à pension que
les générations futures devront assurer aux ménages aujourd 'hui
salariés s'élèvent à 300000 euros (2004) alors que le patrimoine
moyen de ces mêmes ménages est de 140000 euros 2.
217
Société de propriété ou retour à l'analité?
« I:État français est trop endetté et les Français ne le sont pas assez.
Parce qu'il faut arrêter de complexer les gens avec l'endettement. Un
jeune couple qui s'endette pour acheter un appartement, il croit en
l'avenir, il crée de la richesse. Une famille qui achète une nouvelle voi-
ture ou de l'électroménager, elle donne du travail à son voisin. Nous ne
sommes pas une économie de rentiers ni de petits épargnants. » (Nico-
las Sarkozy, France 2)
2004.
218
liste »... Soyons sérieux: la société de propriété privée ne s'oppose
pas à une dictature socialo-étatique, mais à la « société de propriété
sociale ». Le sociologue Robert Castel a démontré comment la pro-
priété sociale a permis d'accorder une sécurité aux non-bourgeois et
aux non-propriétaires en faisant de l'État un réducteur de risques. Le
socialisme a longtemps cherché à attacher des droits sociaux à la
condition du travailleur afin de lui permettre d'accéder ainsi à la pro-
priété sociale (système de retraites par répartition, mutuelles, etc.).
Ce système est aujourd'hui en crise du fait de la marche forcée
vers la globalisation, mais aussi d'évolutions démographiques très
lourdes. Le sarkozysme voudrait assurer la sécurité civile (la paix
dans la ville) sans prendre en compte l'insécurité sociale. La seule
alternative crédible est de transférer ces droits du salarié à la per-
sonne.
219
argent sur des comptes personnels fonctionnant sur le modèle des
entreprises privées de retraite.
Les libéraux français ne font pas exception, loin s'en faut. Eux
aussi visent, à moyen terme, la destruction du système actuel de
retraite. Ils parlent de mettre « fin au monopole de la sécurité
sociale ». La bataille des mots a déjà commencé, puisqu'ils parlent
de rendre « la liberté d'assurance» aux Français'.
Claude Reichman appelle à « construire une société de
propriété» pour que le secteur privé ne soit plus contraint de nour-
rir l'État et l'hydre sociale. Alors que la compétition internationale
obligerait à éliminer la mauvaise graisse, la France ferait l'in-
verse avec ses « Il % de temps de travail en moins» et ses « gâte-
ries sociales qui font d'elle le paradis des paresseux 2 • »
La première étape de ce parcours du parfait libéral serait de se
débarrasser de la sécurité sociale qui a fait le malheur de la France.
C'est la condition obligée du passage vers la « société de pro-
priété ».
Le droit de propriété est sacré, mais pas trop tout de même. Une
question turlupine depuis pas mal de temps les libéraux: puisqu'un
bien appartient au premier qui se l'approprie, comment faire en cas
de contestation? Je ne parle pas des contentieux ordinaires, puis-
qu'on nous promet, pour cela, des juges-arbitres privés. Qu'en est-
il en revanche des contestations plus difficiles, comme celle des
Indiens face aux colonisateurs-dépouilleurs blancs par exemple?
Les néo-conservateurs ont trouvé dans les travaux de David Fried-
man 3 une réponse satisfaisante : le chercheur estime que 5 % seu-
lement de la richesse nationale des États-Unis correspondent à une
appropriation originelle. Il ne serait donc pas possible de s'intéres-
ser aux conditions initiales de formation de la propriété puisque
rechercher, dans ce cas, le propriétaire « légitime » ferait plus de
mal que de bien.
Dieu fait vraiment bien les choses pour certains possédants!
« Je vais redevenir le patron de ceux qui ont fait des enquêtes sur
moi. Certains doivent mal dormir depuis qu'ils savent que je reviens. »
(Nicolas Sarkozy)
Uincompréhension de la patrie
« Écoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le
chant du malheur. C'est la marche funèbre des ombres que voici. À
côté de celles de Carnot avec les Soldats de l'An II, de celles de Victor
221
Hugo avec les Misérables, de celles de Jaurès veillées par la Justice,
qu'elles reposent avec leur long cortège d'ombres défigurées. Aujour-
d'hui,jeunesse, puisses-tu penser à cet homme, comme tu aurais appro-
ché tes mains de sa pauvre face informe du dernier jour, de ses lèvres qui
n'avaient pas parlé: ce jour-là, elle était le visage de la France. » (Dis-
cours d'André Malraux pour l'entrée de Jean Moulin au Panthéon)
222
Francie Occidentale qui regroupe des pays de langues romanes
issues du bas latin. Mais la France est alors davantage la propriété du
roi qu'une entité politique ou culturelle indépendante de la personne
royale. IJÉtat central fut donc plus qu'ailleurs créateur de la nation.
Le mythe de Clovis
Ce mythe rejoint celui de Clovis, qui substitue à une généalogie
païenne une généalogie chrétienne car, à la descendance du sang, il
oppose celle du baptême. Sa conversion au christianisme en 498 est
essentielle en raison du thème de la Sainte-Ampoule contenant le
Saint-Chrême, cette huile apportée du Ciel sous forme de colombe
pour son baptême. Le sacre du roi de France prend un autre sens que
celui des autres monarques. Le roi de France est chrétien par défini-
tion, il est le défenseur de la foi. Ce mariage du Trône et de l'Autel
fera de saint Rémi le saint patron des Gaulois.
I:Évêque Rémi, devenu saint Rémi, éclipse saint Michel. Cette
France naissante sera financée par l'Église (la régale). Cette France,
parce qu'elle se veut la « fille aînée de l'Église », ne pourra tolérer
la richesse et la puissance de l'Église. La crise débute avec saint
Louis, qui voit l'Église comme un ordre de frères mendiants alors
qu'elle menace son pouvoir. Le conflit éclate sur le terrain fiscal en
1247 : le roi veut obtenir des « décimes» sans devoir passer par le
pape. La crise va s'envenimer avec Philippe le Bel (son petit-fils), roi
très chrétien, mais foncièrement anticlérical. Il élabore avec ses
juristes la thèse de l'antériorité du pouvoir politique: avant même
l'existence d'un clergé, « il y avait un roi de France ayant la garde de
223
son royaume ». Bref, il est interdit à l'Église de faire sortir l'argent
(de l'Eglise) de France. Le pape Boniface VIII parle d'appeler le
peuple à la désobéissance, mais finit par capituler. Le roi de France
pourra désormais lever des décimes sans passer par le pape.
Une nouvelle crise va cependant bientôt éclater avec l'affaire
Bernard Sais set, du nom de cet Évêque arrêté par le roi parce qu'il
prêche la révolte dans le Midi, sous prétexte de refuser la canoni-
sation de Saint-Louis qui serait en enfer. Le pape dresse alors offi-
ciellement la liste des fautes du roi, lequel lui répond en diffusant
un résumé caricatural des thèses papales.
Le chancelier Pierre Flote lit, le 10 avril 1302, à Notre-Dame, une
déclaration rappelant la prérogative du roi sur l'Église. Cette
grande assemblée de prélats, docteurs, barons, représentants des
villes, etc. constituera les premiers états généraux. Ils entérineront,
bien sûr, les thèses royales: le roi de France est soumis à Dieu, mais
nullement au pape. Le conflit s'internationalise: le Il juillet 1302,
les milices flamandes infligent à la chevalerie française un vrai
désastre lors de la« bataille des éperons d'or ». Pierre Flote meurt.
Le roi réagit par un violent réquisitoire contre le pape qu'il
accuse d'hérésie, simonie, sodomie, idolâtrie, népotisme, etc. Un
Concile est convoqué à Paris pour juger le pape. Ce dernier veut
délier les sujets du roi de leur serment de fidélité.
La crise prend alors une dimension rocambolesque avec l'affaire
d'Anagni et la tentative du meurtre du pape par Colonna. Puis c'est
la légende de la gifle donnée par Nogaret au pape. La mort de Boni-
face permettra un lent règlement. Le pape aurait été ainsi un ins-
trument involontaire du triomphe de l'Etat monarchique et de la
« laïcité» à la française.
I.:Église de France est vaincue et enchaînée à l'État naissant. On
parle pour la première fois d'Église gallicane.
224
les actes judiciaires. En 1653, la monarchie impose la fondation de
l'Académie française. Cenjeu est alors d'utiliser le français comme
langue d'État (de Cour) contre le latin. Le combat contre les patois
sera l'œuvre de la Ille République. Peu importe alors la langue du
peuple (contrairement à l'Allemagne), car le français est conçu
comme une langue politique.
Est-il dès lors surprenant que la langue française soit devenue un
objet de risée? Que son enseignement laisse autant à désirer? Que
les maréchaux du sarkozysme, comme Claude Bébéar, en relativi-.
sent l'importance au point de considérer que sa maîtrise par des
immigrés n'est vraiment pas une nécessité? Pourquoi continuer à
parler français, alors que le breton (merci TF1 !) ou l'anglo-améri-
cain existent?
Les mythes français sont à terre. Mais quelle autre légende dorée
le sarkozysme peut-il mobiliser pour convaincre les générations
présentes d'agir afin de sauver la planète et les générations futures?
On nous parle effrontément de « grandeur de la France », mais c'est
la défense de l'Occident, face à la« guerre des civilisations », qui
structure aujourd'hui tout ce courant de la contre-révolution.
Et si au lieu d'être des Français nous étions des «Euricains »)? Le
tour serait joué et l'on pourrait oublier à jamais ce fameux
dimanche du 27 juillet 1214 où, à Bouvines, les Capétiens défendi-
rent, les armes à la main, la France naissante. On pourrait oublier
aussi tous les états généraux, ceux de Notre-Dame contre l'Évêque
de Rome, ceux de Versailles, en 1789, contre les privilèges de
l'aristocratie. On pourrait pardonner enfin l'exécution du roi, le
21 janvier 1793, cet acte de violence symbolique considérable
auquel les historiens reconnaissent une force sacrilège insoupçon-
nable aujourd'hui. Le sarkozysme rampant est bien une nouvelle
tentative pour contraindre la France à lâcher les fils de son histoire
millénaire.
225
ont été perpétrés en son nom durant toute notre histoire. On a ainsi
adopté l'abject « Code Noir» pour que nos colonies esclavagistes
prospèrent et pour la grandeur de la France. Il fallait laisser Drey-
fus au bagne parce que l'honneur de l'armée était plus important
que la justice. Il fallait commettre, ou laisser commettre, des crimes
en Afrique au nom de la défense des intérêts supérieurs de l'État
français. Il fallait accueillir sans broncher le président chinois qui
foule les droits de 1'homme. Faut-il pour autant en abandonner
l'idée, comme si l'on devait renoncer à la justice parce qu'elle est
si souvent injuste?
La grandeur de la France ne passe pas seulement par le fait de
venir comme Chirac en cravate chez Bush, alors que tous les autres
présidents sont en bras de chemise et col ouvert. La grandeur d'un
pays se mesure en fait à son indépendance. Une nation qui se donne
les moyens de sa souveraineté alimentaire est plus grande que celle
qui accepte sa soumission.
La grandeur de la France serait, aujourd'hui comme hier, une
ambition démesurée par rapport à nos faibles moyens. La France
aurait mieux à faire que d'utiliser sa capacité de nuisance. I1écono-
miste Jacques Garello l le dit fermement:
226
Vindépendance de la France? Pire qu'une foutaise! Un manque-
ment à la solidarité avec le seul grand État qui compte :
227
« De Gaulle aurait voulu ouvrir une troisième voie utopique entre
URSS et USA. Nous n'aurions servi en fait que l'impérialisme sovié-
tique, auquel nous avons offert nos amis africains et asiatiques sur un
plateau l . »
228
Disneyland. C'est aussi l'Occident des croisades et du bon colo-
nialisme. Cette stratégie impose une révision de nos alliances (le
choix d'Israël contre le monde arabe) au nom de l'axe atlantique. À
n'en pas douter, pour certains, l'organisation de l'islam de France
est, au mieux, une tentative de le neutraliser car il ne serait pas
digérable, au pire une stratégie pour pousser les communautés
juives et chrétiennes à se constituer en tant que telles.
229
« néo-cons» se qualifieraient d'ailleurs de « hard-wilsonians ». Ils
disent n'avoir aucune illusion sur les institutions internationales et
jugent nécessaire, pour que les États-Unis puisse exporter leur
modèle, qu'ils soient la seule super-puissance. Il faudrait donc, à
leurs yeux, empêcher tout développement de puissances régionales
concurrentes.
230
bibliques : « Adam et Ève avaient deux fils, Caïn et Abel; ainsi
commence l'histoire de l'humanité 1. »
I:ennemi n'est pas un simple adversaire, parce qu'il est un dan-
ger vital. Il n'y a pas avec lui d'arrangement possible ni de règle-
ment juridique. Le conflit armé est donc la seule perspective
réaliste.
Schmitt ne croit pas en l'existence de guerre moralement juste.
Une guerre est seulement nécessaire si elle concerne un vrai
ennemi. Le droit ne peut être fondé que sur la puissance (rapport de
force). Il faut un État total (fort dans la nouvelle terminologie) pour
une guerre totale. Schmitt établit finalement un nouveau triptyque:
ennemi total, guerre totale, État total.
1 Ibidem.
231
J'ers la guerre des civilisations
La notion de guerre des civilisations est popularisée après l' ef-
fondrement de l'Union soviétique pour combler un vide. Les États-
Unis, devenus subitement seule hyperpuissance, ont besoin d'une
nouvelle idéologie mobilisatrice alors que la thèse de la fin de
l'Histoire entretient l'illusion d'une paix durable possible et contri-
bue donc à désarmer l'Amérique.
Cette thèse interprète les derniers conflits existants comme les
soubresauts d'arrière-garde de sociétés archaïques incapables de
s'adapter assez vite à la marche glorieuse vers le marché. Les États-
Unis doivent les éduquer et, au besoin, les gendarmer, mais ils ne
seraient en aucune façon en guerre contre eux. Cette thèse n'est
donc pas aussi simpliste qu'on a pu le dire.
La thèse du choc des civilisations offre une autre lecture. Les
conflits existants ne seraient pas des accidents mais des symptômes
de divisions beaucoup plus profondes et indépassables.
Cette thèse n'est pas un simple contrecoup du Il Septembre puis-
qu'elle est propagée, depuis 1964, par Bernard Lewis, universitaire
anglais enseignant aux États-Unis depuis 1974. Ce proche de Paul
Wolfowitz explique « les racines de la colère musulmane » par la
jalousie des peuples orientaux face à « l'héritage judéo-chrétien»
et face à leur propre échec. Samuel Huntington popularisera la for-
mule de « choc des civilisations» beaucoup mieux que ne l'avait
fait Lewis. Cet ancien expert en contre-insurrection durant la
guerre du Vietnam, désormais directeur de l'Institut d'Études Stra-
tégiques de Harvard, est un spécialiste de la propagande. Il conçoit
d'abord ce concept comme une attaque contre Francis Fukuyama et
sa thèse de la fin de l'Histoire. La chute de l'URSS ne marquerait
pas la fin de l'Histoire, mais seulement celle des querelles idéolo-
giques avec la gauche. Les différences de cultures vont désormais
diviser le monde. Les États-Unis doivent donc se préparer à affron-
ter militairement les civilisations rivales que sont par exemple l'Is-
lam ou l'Asie.
Un choc décisif pourrait survenir à tout moment entre elles. Une
vraie guerre aurait d'ailleurs commencé le 11 Septembre : le
monde arabo-musulman ayant attaqué le monde judéo-chrétien, la
seule perspective serait son écrasement, puisque ce conflit oppose-
rait la civilisation à la barbarie.
Cette notion de « guerre des civilisations » a connu aussitôt un
grand succès, parce qu'elle correspondait aux intérêts des milieux
militaro-industriels. Elle était pain béni pour les forces religieuses
232
fondamentalistes chrétiennes, offrait un défouloir aux exaspéra-
tions sociales, justifiait à la fois le renforcement de l'État policier
et les économies nécessaires sur les budgets sociaux, armait idéo-
logiquement le camp de la révolution conservatrice, et prenait
appui aussi sur la mémoire profonde des mobilisations ancestrales
de type religieux.
G. W. Bush ne se priva d'ailleurs pas d'utiliser l'expression
« croisade du Bien contre le Mal» lors de la guerre contre l'Irak.
Un danger existe que se constitue un axe Benoît XVIJG.w. Bush
puisque, la communauté hispanique étant majoritaire, le catholi-
cisme romain sera la religion du nouvel empire. r: objectif commun
serait d'exclure l'Islam d'Europe pour faire entrer le continent dans
cette « guerre des civilisations ».
La façon dont Édouard Balladur introduit en contrebande en
France la thèse du choc des civilisations donne à réfléchir. Cette
guerre opposerait bien l'Occident au reste du monde. Les musul-
mans jaloux seraient nos adversaires (ennemis?), même si une
majorité d'entre eux désire vivre en paix. Le modèle laïque d'inté-
gration serait donc totalement dépassé. II faudrait en fmir avec la
vieille culpabilisation de l'Occident:
233
persuasion). II ne s'agit plus de convaincre ses ennemis de sa supré-
matie militaire: il faut les anéantir, de façon préventive, grâce à une
« puissance dure ».
Le concept de « puissance douce» a été développé par Joseph
S. Nye 1. Il propose, dans son ouvrage Soft Power: The Means to
suecess in World Polities}, d'adopter une« puissance douce» beau-
coup moins coûteuse, et finalement tout aussi efficace, que la
« puissance dure ». Il définit la « puissance douce» comme la capa-
cité à obtenir ce que l'on désire en attirant l'autre au lieu de le
menacer, voire de le tuer. Cette stratégie est fondée sur la foi dans
les arguments et la politique. Les experts considèrent cependant
que Cléopâtre faisait déjà de la puissance douce lorsqu'elle attirait
ses adversaires dans son lit.
La « puissance dure» est fondée sur la coercition militaire et éco-
nomique. Elle passe nécessairement par des affrontements.
234
Comment combattre l'anti-américanisme français?
Les néo-conservateurs considèrent que la victoire passe, avant
même celle des armes, par la défaite idéologique de l'anti-américa-
nisme. On comprend, dès lors, que tant d'amis des États-Unis se
soient chargés, depuis quelques années, de combattre l'anti-améri-
canisme et, d'autre part, que la France soit particulièrement criti-
quée et combattue puisqu'elle est, aux yeux des « néo-cons », la
base arrière de ce fléau.
La haine de la France
Les milieux conservateurs américains ne sont pas en reste. Ils
cultivent un esprit antifrançais pour le moins décapant.
John 1. Miller et Mark Moleskyl ont publié ainsi un livre qui
connait un très grand succès·: Notre plus vieil ennemi: histoire des
relations désastreuses de l'Amérique avec la France 2.
Lorsqu'on connaît le sens exact du qualificatif d'ennemi chez les
émules de Carl Schmitt, on peut ressortir nos fusils et la grenaille.
Cet ouvrage est totalement révisionniste tant il réécrit l'Histoire: la
France aurait toujours été l'ennemi public nO 1 des États-Unis,
depuis la guerre d'indépendance jusqu'à la guerre en Irak. Les
Français n'auraient depuis longtemps qu'une idée en tête: nuire
aux États-Unis. Ils auraient encouragé les soulèvements d'Indiens,
Napoléon III aurait tenté d'instaurer un gouvernement fantoche au
Mexique, etc.
On rappellera que la France, et pas seulement Lafayette, ont mas-
sivement soutenu les indépendantistes américains. D'abord en
1776, avec un soutien logistique officieux à travers le blocus
anglais puis, officiellement, après l'accord de 1778 avec Benjamin
Franklin. Ainsi la flotte française contribua, en 1781, à la victoire
de Yorktown, laquelle mit fin à la guerre d'indépendance et débou-
cha, en 1783, sur l'accord de paix signé à Paris avec la Grande-Bre-
tagne. La France avait .certes des arrière-pensées, puisqu'elle
prenait ainsi sa revanche sur le Traité de Paris imposé à la France
par l'Angleterre en 1763.
Les riches colons Américains feront très vite des yeux doux à
l'Angleterre, et oublieront vite les Français morts pour eux. Napo-
léon tentera d'amadouer les États-Unis en leur vendant la Loui-
siane, puis en leur cédant, au total, quatorze États. Napoléon III
235
affichera sa neutralité durant la guerre civile entre 1861 et 1864. La
France gaulliste, échaudée par les projets impérialistes des Améri-
cains, marquera son indépendance avec sa sortie de l'OTAN, la fer-
meture des bases militaires installées en France et une politique
systématiquement indépendante (mais non hostile) dans tous les
domaines. Cette France, fière de son indépendance, entretiendra
pourtant de bonnes relations avec les présidents Kennedy et Nixon.
Cette France reste, selon ses dires, engluée dans son carcan diri-
giste, dans son amour de l'État-patron et de l'État-providence.
Que cette french bashing (haine de la France) sévisse aux États-
Unis est une chose dangereuse lorsqu'on connaît les théories amé-
ricaines en vogue, mais qu'elle prenne pied dans l'hexagone est
plus troublant et d'un exotisme franchement moins sympathique.
Passons sur Claude Bébéar qui estime que « la France n'est plus
écoutée dans le monde 2 » et qui ne voit nulle part de grands pro-
jets. Le seul futur qu'entrevoit pour la France le patron de l'Institut
Montaigne, c'est qu'elle devienne « le porte-parole du rêve euro-
péen », mais d'un rêve européen qui serait le rêve américain.
Bébéar francise son propos: avec la brutalité américaine en moins.
Oublions aussi Alain Minc et son ton faussement optimiste :
236
aussi à être une nation semblable à nos voisins dans le traitement de la
question sociale ainsi qu'à ramener nos ambitions en matière poli-
tiques à des dimensions plus modestes, cela ne signifie pas tirer un
trait sur l'ambition française 1. »
237
contre le fait que son discours dérogeait à celui de la diplomatie
française:
238
diplomatiqùe du verbe sans proposer d'alternative crédible.
Romain Geiss2 ajoute:
Le sarkozysme et l'Europe
Nicolas Baverez possède des dons de visionnaire remarquable.
Bien avant l'échec au référendum sur le Traité constitutionnel euro-
péen, il mettait en garde les gouvernements : « La France est
aujourd'hui le maillon faible de l'Europe 5• »
239
Baverez n'a pourtant que partiellement raison, car tout dépend de
quelle Europe il s'agit. Si le projet européen est de mettre à bas son
modèle social tout comme son modèle politique et national, alors,
oui, les Français l'ont prouvé, ils sont de mauvais élèves du libéra-
lisme.
Les stratèges de la Fondation pour l'innovation politique le savent
bien, en politique, « unir, c'est toujours diviser ». On agrège un
peuple qu'en le distinguant d'un autre:
La question turque
Nicolas Sarkozy joue sans cesse de la peur d'une dilution de
l'Europe. Sa thèse est simple : si la Turquie était européenne, ça se
saurait. Ses arguments sont directement sortis de la note de l'Insti-
tut Montaigne de décembre 2004 de Michaël Cheylan2 et Philippe
Manière « Europe et Turquie: mariage ou pacs? ».
Sarkozy choisit le « PACS », plutôt que le bon vieux mariage. Il
sait que derrière la question de la Turquie se joue en réalité toute la
stratégie méditerranéenne de la France.
Édouard Balladur l'aidera dans son combat en déposant un amen-
dement pour permettre à l'Assemblée nationale d'exercer un droit
de contrôle en matière européenne.
La droite chiraquienne refusera, car les analyses divergent.
Franck Debié, directeur général de la Fondation pour l'Innovation
Politique explique qu'il n'y a pas de menace musulmane. Les par-
tisans de la « guerre des civilisations » mènent donc un mauvais
combat dont la France sortirait perdante:
240
« Les travaux récents montrent cependant que le terrorisme islamiste
n'est pas une nouveauté absolue [ ... ] Il n'a pas un caractère massif
Aussi meurtrières qu'elles soient, il s'agit de petites cohortes 1. »
241
névrose du libéralisme honteux et des illusions de la Troisième voie.
VEurope doit s'affirmer, s'afficher, se revendiquer du modèle qu'elle
partage avec l'Amérique : sa singularité, sa richesse, ses lendemains
l'y ramènent 1. »
L'esprit euricain
Les réseaux libéraux ont lancé une grande offensive sur le thème
de l'esprit euricain qui serait « notre identité à nous les Européens
d'Amérique ou Européens d'Europe» :
« Sarko l'Américain»
« Certains en France m'appellent Sarkozy l'Américain, j'en suis
fier. Je suis un homme d'action, je fais ce que je dis et j'essaie d'être
pragmatique. Je partage beaucoup des valeurs américaines. » (Nicolas
Sarkozy devant le Comité Juif américain, 26 avril 2004)
242
comme s'il s'agissait, pour vous, de donner des garanties. Votre
« américanisme» n'est pas seulement la manifestation d'une incli-
naison personnelle pour les États-Unis.
Elle est le symptôme d'un infléchissement pro-américain de toute
une partie de la droite. Serait-ce que son ralliement à la révolution
néo-conservatrice rendrait « cette droite de droite » soudainement
davantage américano-compatible?
« Pourquoi je parle des États-Unis? C'est pas parce que je suis fas-
einé par le modèle américain, peu m'importe, je ne vais pas passer mes
243
vacances aux États-Unis et je n'ai pas envie de m'installer là-bas. Mais
enfin, on ne peut pas m'en vouloir d'aimer mon pays et de vouloir le
meilleur pour lui plutôt que de prendre exemple sur ce qui ne marche
pas. » (Nicolas Sarkozy 4 avril 2005)
244
co-auteur avec Claude Bébéar du Courage de réformer, est en effet
membre du conseil d'administration de l'Association d'amitié
franco-israélienne. Il voit incontestablement dans les États-Unis la
lumière qui éclaire avantageusement le monde :
« Sarko l'Israélien»
La question israélienne constitue un excellent terrain pour qui
veut remettre en cause toute la politique internationale de la France.
Sarkozy entretient depuis des années des relations suivies avec cer-
tains dignitaires de la communauté juive et avec l'État d'Israël. Il
s'est même découvert opportunément un ancêtre juif.
Il faut, pour comprendre les enjeux, peser aussi bien le vote juif
en France que l'importance symbolique de la question d'Israël.
Le Wall Street Journal du 14 avril 2003 a fait état de rumeurs
selon lesquelles Dominique de Villepin aurait déclaré que l'admi-
nistration Bush se trouvait sous l'influence directe d'Ariel Sharon.
245
une nouvelle preuve d'un véritable fossé entre la France et Israël.
Certaines institutions juives françaises et l'État d'Israël n'auront de
cesse, dans ce contexte où Chirac apparaît comme un véritable
adversaire, de dénoncer la multiplication des agressions antisémites
en France et la soi-disant faiblesse de la réaction des pouvoirs
publics français. Israël tente même de provoquer un vaste flux
d'émigration de la population juive de France.
Sarkozy va donc tout faire pour apparaître à la fois comme l'ami
d'Israël et celui des États-Unis, car il est convaincu que ces deux
questions ne sont que les deux faces d'une même problématique.
247
on restait trop insensible à votre souffrance, et qu'à tout le moins vous
n'aviez pas toujours ressenti notre compassion. Alors soyons clairs: la
France n'a jamais transigé et ne transigera jamais avec la sécurité d'Is-
raël »; « Derrière la question de la Turquie, c'est en fait toute la pro-
blématique de nos rapports avec la Méditerranée. C'est la raison pour
laquelle je milite pour des partenariats privilégiés avec les pays de la
région, au premier rang desquels j'inscris Israël. Cette solution me
semble bien préférable à celle de l'adhésion à l'Union européenne. »
(Nicolas Sarkozy, conférence d'Herzliya, 16 décembre 2004)
248
Il serait intéressant d'étudier le rôle qu'aurait pu jouer dans ce rap-
prochement l'Union des Patrons et Professionnels Juifs de France
(UPJF). Ce lobby particulièrement actif a conclu un accord avec
l'AlC (American Jewish Committee, groupe de pression pro-israé-
lien ayant notamment appelé au boycott du Festival de Cannes en
2002). VAJC, qui fournit une aide financière à l'UPJF, est dirigé
par Jack Rosen, souvent décrit comme « le juifle plus proche de
G.W Bush ». Un article publié par l'UPJF, le 27 août 2004, faisait
le point sur les implications juives américaines dans la politique
française . On y apprenait que les efforts du lobby juif pro-israélien
alimentaient, chez certains dirigeants juifs français, l'inquiétude
d'un retour de bâton. Vambassadeur d'Israël en France aurait
même mis en garde contre les conséquences négatives s'il s'avérait
que des groupes juifs américains cherchent à influencer la politique
française. Varticle de M. Perelman ajoutait: « Ce serait une catas-
trophe si de l'argent juif américain finançait une campagne électo-
rale française '. » VUPJF appelait cependant les Juifs à s'impliquer
davantage dans les élections françaises et annonçait qu'elle ne sou-
tenait aucun parti en tant que tel mais des femmes et des hommes
qui présentent une image équilibrée d'Israël et qui luttent active-
ment contre l'antisémitisme. Nicole Guedj, ex-ministre UMp, avo-
cate, militante communautaire, cofondatrice de l'UPJF, déclarait
dans Le Point du 17 mars 2005 :
1 Cité in site UPJF (Union des Patrons et des Professionnels Juifs de France),
Israeli Envoy. « féxed by Rôle of us
Jews in France ».
249
çaises: le conflit s'exprime depuis sur de nombreux points, tant de
politique intérieure qu'internationale, à court, moyen et long terme.
La rencontre de Sarkozy avec Tom Cruise, ce VRP de luxe de la
scientologie, nous semble s'expliquer par ce changement brutal des
alliances. Quand Chirac refusait de recevoir l'homme-lige de la
scientologie, Sarkozy donnait le maximum d'écho médiatique à sa
rencontre. Le véritable destinataire de ce signe de bonne volonté
est, à n'en pas douter, non pas le patron de la scientologie, mais
celui de la Maison Blanche.
Conclusion
Lesarkozysme contre la France
251
signification toute particulière pour la France, en raison de sa très
longue histoire, puisqu'elle la priverait (peut-être définitivement)
de ses ressources propres.
1111mllll lllll~111I1
9 782841 9 01449
ISBN 2-84190-144-0
& 973735.4
13€