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Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 632–637

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Mise au point

Consommation maternelle de cannabis et retard de croissance intra-utérin

Maternal cannabis use and intra-uterine growth restriction


C. Davitian, M. Uzan, A. Tigaizin, G. Ducarme, H. Dauphin, C. Poncelet*
Service de gynécologie–obstétrique, CHU Jean-Verdier, APHP, avenue du 14-Juillet, 93243 Bondy cedex, France

Reçu le 14 avril 2006 ; accepté le 26 juin 2006

Résumé

La consommation de cannabis dans les sociétés occidentales, tout particulièrement chez les adolescentes, est un problème de santé publique.
Les effets du cannabis sur les fœtus de femmes consommatrices, ainsi que le retentissement de cette consommation sur la croissance fœtale, sont
étudiés depuis plusieurs années, par de nombreux auteurs. Le retentissement de cette consommation sur la croissance fœtale a été étudié par de
nombreux auteurs. La plupart des études retrouve un lien entre la consommation maternelle de cannabis et le risque de retard de croissance intra-
utérin (RCIU). Toutefois, ces études présentent de multiples biais, notamment méthodologiques. Le dépistage des patientes consommatrices
devrait être une priorité afin de proposer une prise en charge de la conduite addictive et un suivi adapté des grossesses.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract

Marijuana is the most commonly used illegal drug, especially among young women in Western societies. The effects of cannabis use during
pregnancy have been studied for many years. The vast majority of studies have shown a link between maternal consumption of cannabis and
foetal development. Foetal growth restriction seems to be the major complication of cannabis exposure. Nevertheless, all these studies have
suffered from several methodological biases. The maternal marijuana use should be first and foremost detected in pregnant women for a specific
addiction management and pregnancy follow-up.
© 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Cannabis ; Grossesse ; Retard de croissance intra-utérin

Keywords: Marijuana; Pregnancy; Intra-uterine growth restriction

1. Introduction depuis longtemps pour ses propriétés pharmacologiques et ses


effets adverses à plus ou moins long terme.
Le cannabis est la substance illicite la plus largement Les effets de l’exposition aux substances cannabinoïdes, tels
consommée dans les sociétés occidentales [1], notamment que l’anandamide ou le delta-9-THC (tétrahydrocannabinol)
chez les femmes en âge de procréer. Son utilisation est en aug- sur le développement embryonnaire et l’implantation ont été
mentation depuis ces 30 dernières années. Cette progression de étudiés par Paria sur la souris [2,3]. Un arrêt précoce du déve-
la consommation a conduit le corps médical à se documenter loppement embryonnaire ainsi qu’une diminution du taux
de manière détaillée sur la substance utilisée pourtant connue d’implantation des blastocystes ont été observés chez les souris
exposées. Chez le rat, des études expérimentales contrôlées ont
montré une diminution du poids de naissance chez les
nouveau-nés exposés in utero au cannabis [4,5].
* Auteurcorrespondant.
Adresse e-mail : christophe.poncelet@jvr.aphp.fr (C. Poncelet).

1297-9589/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi:10.1016/j.gyobfe.2006.06.010
C. Davitian et al. / Gynécologie Obstétrique & Fertilité 34 (2006) 632–637 633

Plusieurs auteurs ont étudié, chez la femme, le retentisse- Tableau 1


ment de la consommation de cannabis pendant la grossesse, Facteurs de risques de la consommation de cannabis durant la grossesse.
D’après Fergusson et al. [15]
notamment sur la croissance fœtale. Cependant, les données
Jeune âge
concernant les effets d’une consommation de cannabis durant
Primiparité
la grossesse sur le fœtus restent controversées Cette revue de la Haut niveau d'éducation
littérature a pour but de faire le point sur les résultats disponi- Consommation tabagique
bles. Consommation régulière alcoolique
Consommation régulière de thé et café
Utilisation de drogues illicites
2. Épidémiologie Poids maternel plus faible avant la grossesse

La consommation de cannabis dans les pays occidentaux teurs sont controversés selon les études. Cependant, certains
connaît un essor considérable depuis le début des années facteurs ont pu être identifiés dans l’étude de Fergusson [15].
1990. Le repérage des consommateurs reste cependant difficile : Ils sont résumés dans le Tableau 1.
en effet, la peur des sanctions pénales est un frein à l’aveu de Les patientes exposées auraient un haut niveau d’étude. Les
consommation. primipares sont retrouvées le plus souvent. L’âge jeune semble
En Grande-Bretagne, 13 à 23 % des filles entre 16 et 24 ans également être un facteur significatif. Les polyconsommations,
déclarent consommer du cannabis [6]. En France, 41,2 % des telles que alcool, tabac, café, thé ou autres drogues avant et/ou
adolescentes affirment une consommation de cannabis occa- pendant la grossesse sont significativement plus fréquentes
sionnelle ou régulière [7]. Cependant, il existe indubitablement chez les patientes consommatrices [15].
un manque d’informations concernant la durée et le temps En revanche, aucun élément racial n’est retrouvé comme
d’exposition hebdomadaire. Toutefois, si elle concerne aussi significativement favorisant pour Fergusson et Hurd [15–17].
bien les filles que les garçons, cette consommation semble pro- Pour Day, les femmes de race noire, célibataires, de bas niveau
gresser plus rapidement chez ces derniers. Depuis 2003, elle socioéconomique et d’âge jeune seraient plus à risque [18].
augmente de façon moins importante chez les usagers réguliers Des antécédents de comportements d’addiction doivent, évi-
masculins [8]. demment, alerter les soignants.
En Seine-Saint-Denis, les données sont différentes. Les fil-
les sont aussi nombreuses que les garçons à avoir expérimenté
3. Physiopathologie du système endocannabinoïde
le cannabis (45 versus 46 %) dans la tranche d’âge 17–18 ans.
Cette différence entre les sexes est la plus faible rapportée en
France [9]. Les cannabinoïdes sont des dérivés phénoliques non azotés
Aux États-Unis, la prévalence de la consommation de can- du benzopyranne. Les quatre principaux sont le delta-9-transté-
nabis varie entre 10 et 30 % [10–12]. Durant la grossesse, la trahydrocannabinol (D9-THC), le delta-8-transtétrahydrocanna-
consommation de substances illicites est de 7 pour 1000 nais- binol, le cannabidiol et le cannabinol.
sances [13]. Le pourcentage de patientes déclarant cette Le cannabis est une plante appartenant à la famille des can-
consommation est de 4 %, uniquement. Au sein de cette popu- nabinacées, dont il existe deux variétés : cannabis sativa sativa
lation, dans 75 % des cas, la drogue consommée est le cannabis et cannabis sativa indica. Son principe actif, le delta-9-THC,
et dans les 25 % restants, il s’agit d’autres drogues (cocaïne est situé dans les pieds mâles et femelles. Il peut s’utiliser
etc.) [14]. En Nouvelle-Zélande, 5 % des femmes enceintes sous différentes formes : herbe (marijuana), résine (haschish)
déclarent une consommation, régulière ou occasionnelle, de ou huile. La principale voie d’administration est la voie inha-
cannabis pendant leur grossesse [15]. lée. Il peut plus rarement être ingéré ou injecté par voie paren-
Les études concernant l’épidémiologie de la consommation térale.
de drogues, notamment le cannabis, sont souvent réalisées par D’un point de vue pharmacocinétique, 15 à 50 % du D9-
questionnaires. Même si ceux-ci sont adaptés, il existe un biais THC présent dans la fumée est retrouvé dans le sang. Le pic
de recueil de l’information. La grossesse doit être un moment sanguin est atteint en sept à dix minutes (50–300 ng/ml). Son
privilégié durant lequel le diagnostic doit être réalisé. Dans métabolisme s’effectue par les microsomes hépatiques qui le
l’étude de Slutsker, sur un échantillon de 3200 femmes encein- dégrade en 11-hydroxy-D9-THC et 8-bêtahydroxy-D-9THC.
tes suivies, 5,2 % seulement des femmes enceintes consomma- La forme 11-hydroxy est ensuite transformée en D9-THC-
trices de produits illicites ont été repérées. La moitié d’entre COOH alors que la fraction 8-bêtahydroxy est dégradée en 8-
elles aurait consommé de la cocaïne, de l’héroïne ou des bêta-11-dihydroxy-D9-THC et 8-alphahydroxy-D9-THC.
amphétamines durant leur grossesse. Cependant, la prévalence L’élimination est rénale pour le composé D9-THC-COOH et
du diagnostic augmente lorsque la question de la consomma- digestive pour les autres. Une élimination par les glandes sudo-
tion est régulièrement posée lors des différentes consultations ripares et dans le lait maternel est également retrouvée. La
par le médecin chez les patientes considérées comme à risque demi-vie du composé actif est de huit jours.
[16]. Les endocannabinoïdes, dont les deux principaux sont
Certains profils de patientes doivent faire évoquer la possi- représentés par l’anandamide et l’arachidonoylglycérol, sont
bilité d’une consommation de cannabis. Les éléments évoca- des médiateurs lipidiques dotés d’une action présynaptique
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entraînant une inhibition de l’adénylate cyclase conduisant à La D-9-THC, passe librement la barrière hématoplacentaire
une diminution de la production de l’adénosine monophos- au même titre que les autres substances psychoactives, telles
phate cyclique (AMPc). Cela induit, via l’ouverture des canaux que le tabac, l’alcool et la cocaïne. Sa concentration dans le
K+ et la fermeture des canaux calciques, une inhibition cellu- sang fœtal est au moins égale à celle de la mère. La consom-
laire similaire à celle produite par les opioïdes. Les récepteurs mation de substances cannabinoïdes intervient de manière
aux endocannabinoïdes de type 1 et 2 ont une distribution ubi- péjorative dans l’homéostasie du système endocannabinoïde
quitaire : CB 1 (cannabinoïde) se situe sur les cellules du sys- durant la grossesse.
tème nerveux central [19] et dans certains tissus périphériques, L’utilisation chronique de cannabis pourrait entraîner une
tels que le testicule, l’intestin grêle, la vessie, les vaisseaux diminution de la perfusion utéroplacentaire dont le corollaire
cérébraux (cellules musculaires lisses) et les terminaisons ner- serait un infléchissement de la courbe de croissance fœtale
veuses sympathiques [20]. Les récepteurs CB 2 sont situés sur [24]. Le retard de croissance observé serait dû à un état d’hy-
les cellules de l’immunité [21]. Il s’agit de récepteurs couplés à poxie fœtale chronique. Des modifications des phénomènes de
la protéine G. transfert au niveau de la villosité placentaire pourraient égale-
Kenney, en utilisant la reverse transcriptase PCR (RT-PCR) ment être évoquées. Cela diffère du mécanisme du retard de
et la technique Northern Blot a montré l’existence d’ARNm croissance dû à la consommation de cocaïne qui est expliqué
codant pour les deux types de récepteurs cannabinoïdes dans par un état de déficit nutritionnel entraînant des anomalies du
les cellules placentaires humaines [22]. Park a montré la pré- métabolisme fœtal [25].
sence de récepteurs CB 1 répondant aux médiateurs endo- et
exocannabinoïdes dans toutes les couches du placenta humain 4. Revue de la littérature (Tableau 2)
(notamment dans l’épithélium amniotique, les cellules réticu-
laires et la couche déciduale maternelle) et chez le fœtus. Les Les premières études concernant les effets de la consomma-
endocannabinoïdes sont métabolisés par la FAAH (fatty acid tion de cannabis sur le fœtus datent du début des années 1980.
amine hydrolase), exprimée fortement au niveau de l’épithé- Hingson [26], dans une étude observationnelle réalisée sur une
lium amniotique, la couche déciduale maternelle et le cytotro- cohorte de 1690 femmes enceintes, a montré que les femmes
phoblaste chorionique. Le placenta est donc une cible d’action consommatrices pendant la grossesse avaient cinq fois plus de
des cannabinoïdes [23]. Le lien entre consommation de canna- risques de donner naissance à un enfant dont l’état serait com-
bis et retard de croissance intra-utérin (RCIU) existe chez les parable à celui d’enfant atteint du syndrome d’alcoolisme fœtal
patientes consommatrices et pourrait être relayé par ces récep- (SAF), notamment une hypotrophie de 95 à 139 g selon les
teurs. doses utilisées.
Tableau 2
Revue de la littérature des études relatives aux effets du cannabis sur la grossesse. Toutes les données ont été obtenues après questionnaires adressés aux patientes
Auteurs Nombre de patientes, type d'étude Résultats p
Hingson et al. 1982 [26] N = 1690 Hypotrophie comparable au syndrome d'alcoolisme 95–139 g
Observationnel, rétrospectif fœtal p < 0,01
Linn et al. 1983 [36] N = 12484 Hypotrophie (< 2500 g) 1,07 [0,87–1,31]
Observationnel, rétrospectif 62 consommateurs Diminution du temps de gestation 1,02 [0,82–1,27]
Gibson et al. 1983 [43] N = 7301 RCIU
Observationnel, rétrospectif 36 consommateurs Hypotrophie liée à la prématurité
(≥ 2 fois par semaine)
Fried et al. 1984 [34] N = 84 consommateurs Diminution du temps de gestation 0,8 semaines
Comparatif, prospectif au moins six fois par Pas d'hypotrophie retrouvée
semaine
Hatch et al. 1986 [29] N = 3857 Hypotrophie (< 2500 g) 2,3 [1,3–4,1]
Observationnel, prospectif 9,5 % consommateurs Diminution du temps de gestation (< 37 SA) 1,9 [1–3,9]
Zuckerman et al. 1989 [24] N = 1226 Hypotrophie poids et taille, quel que soit le type 80 g (p = 0,04)
Comparatif, prospectif, avec dépistage urinaire d'usage
associé (27 % urines positives) Variables contrôlées 0,5 cm (p = 0,02)
Shiono et al. 1995 [40] N = 7470 Pas d'hypotrophie retrouvée dans le groupe P : 1,1 [0,9–1,5]
Multicentrique, prospectif 11 % cannabis, « cannabis » T : 1,1 [0,8–1,3]
2,3 % cocaïne
English et al. 1997 [41] N = 32483 (méta-analyse) dix études entre Résultats hétérogènes
1982–1995
Sherwood et al. 1999 [30] N = 807 Hypotrophie (< 2500 g) p = 0,002
Observationnel, prospectif, avec dépistage Diminution du temps de gestation (< 37 SA) p = 0,005
urinaire associé (14,5 % urines positives)
Fergusson et al. 2002 [15] N = 12 129, cohorte, entre 18 et 20 SA Diminution du poids fœtal de 85 g en moyenne p = 0,03
Hurd et al. 2005 [17] N = 139 de cohorte avant 22 SA, avec dépistage Hypotrophie dose dépendante portant sur : poids, 15 g (p = 0,04)
urinaire mesure du pied 0,28 cm (p = 0,04)
N = nombre de patientes, RCIU = retard de croissance intra-utérin, SA = semaines d’aménorrhée.
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Une large étude longitudinale comparative réalisée entre durée de gestation de sept jours, surtout lorsque la consomma-
avril 1991 et décembre 1992 par l’ALSPAC (Avon Longitudi- tion a lieu dès le premier trimestre de la grossesse [31]. Cepen-
nal Study of Pregnancy and Chilhood) sur 12000 patientes dant, les grossesses chez les adolescentes sont plus exposées au
enceintes entre 18 et 20 semaines d’aménorrhée (SA) montre risque d’accouchement prématuré pouvant être lié à un suivi
un effet délétère de la consommation de cannabis sur le poids plus tardif et une poursuite, voire une exagération des condui-
de naissance après ajustement statistique des variables confon- tes addictives [32,33]. Cette étude ne retrouve pas d’effet de la
dantes. Le RCIU concerne les fœtus dont les mères fumaient au consommation de cannabis sur la croissance fœtale, ce qui
moins une fois par semaine. Aucune différence n’est mise en pourrait être expliqué par le faible niveau d’exposition des
évidence concernant les fœtus de mères consommant moins patientes.
d’une fois par semaine Dans cette étude dont la puissance sta- En 1984, Fried, dans son étude prospective comparative réa-
tistique est faible, le repérage des patientes consommatrices de lisée sur un échantillon de 84 femmes consommatrices réguliè-
l’échantillon est fondé sur un questionnaire. La prévalence de res, ne mettait pas en évidence de différence significative sur le
la consommation était de 5 % mais semblait être sous-estimée. poids de naissance des fœtus exposés in utero par comparaison
De plus, la variable confondante tabac n’a pas été contrôlée avec ceux non exposé, après correction des facteurs confon-
[15]. dants [34]. Il confirme ces résultats en 1987 [35]. En revanche,
La récente étude de cohorte de Hurd [27] semble confirmer une diminution significative de la durée de gestation est obser-
l’effet dose dépendant de la consommation précoce de canna- vée dans le groupe exposé au cannabis. Le faible échantillon-
bis pendant la grossesse sur le poids de naissance et la taille du nage de cette étude pourrait expliquer qu’aucune différence
pied des fœtus. Ce dernier élément serait expliqué par la forte significative n’ait pu être mise en évidence. De plus, la teneur
sensibilité des membres inférieurs à l’hypoxie [28]. Cependant, en THC du cannabis consommé en 1984 n’est pas comparable
le périmètre céphalique (PC) et la taille fœtale ne semblent pas aux doses retrouvées actuellement.
être modifiés. Il est à noter que cette étude a été réalisée chez Linn [36], à l’aide d’une étude similaire incluant 12 424
des femmes consultant en vue d’une interruption médicale de patientes, observe un taux d’hypotrophie (OR : 1,07 [0,87–
grossesse, donc avant 22 SA. Cet élément semblerait faire aug- 1,31]) et une diminution du temps de gestation (OR : 1,02
menter le taux d’aveu de consommation. Cela expliquerait éga- [0,82–1,27]), ainsi qu’une augmentation non significative de
lement le fait que le retentissement éventuel sur le PC et la l’incidence des malformations chez les fœtus de femmes
taille des fœtus ne soit pas mis en évidence à ces termes. consommatrices de cannabis durant la grossesse (OR : 1,36
Dans une étude prospective comparant les biométries à la [0,97–1,91]).
naissance d’enfants nés de femmes consommatrices ou non, Le moment durant lequel le fœtus est exposé pendant la
Zuckerman [24] constate une diminution significative du grossesse revêt également une importance particulière. En
poids (–80 g, p = 0,04) et de la taille (–0,5 cm, p = 0,02) de effet, il ne semble exister une différence entre les poids de
naissance des enfants nés de mères consommatrices, quel que naissance des fœtus nés de mères consommatrices et ceux nés
soit le type d’usage et après contrôle des facteurs confondants. de mères non consommatrices, que si cette exposition a eu lieu
Une augmentation du taux de prématurité est également mise durant les deux premiers mois de grossesse [37]. Il est à noter
en évidence. Dans cette étude, les patientes consommatrices que cette étude n’a été réalisée que sur 519 femmes.
sont repérées par l’association interrogatoire et recherche uri- Les enfants exposés aux drogues in utero (opioïdes, cocaïne,
naire, contrairement aux autres études. Cet élément permet de cannabis) semblent avoir des poids de naissance plus faibles
diminuer de manière considérable les biais de recrutement en que ceux non exposés. De plus, la mortalité dans les deux pre-
augmentant le repérage des patientes consommatrices. mières années serait significativement plus élevée dans le
Hatch [29] à l’aide d’un suivi prospectif de 3857 femmes a groupe des enfants exposés et ayant présenté un RCIU. L’étude
trouvé des résultats superposables uniquement chez les femmes d’Ostrea [38] avait l’avantage de s’intéresser à l’étude des
blanches. Ces résultats pourraient s’expliquer par des facteurs nouveau-nés chez qui l’analyse urinaire retrouvait des opioï-
sociaux ou génétiques favorisant un RCIU chez les femmes des, de la cocaïne et du cannabis. Malheureusement, les effets
non caucasiennes. Enfin, cette équipe démontre également des différentes drogues n’ont pas été étudiés de manière indi-
que la consommation occasionnelle serait beaucoup moins ris- viduelle.
quée par comparaison avec la consommation régulière. La consommation de cannabis surajoutée à celle de cocaïne
Sherwood [30] retrouve les mêmes résultats dans son étude paraît affecter de manière plus importante les paramètres de
portant sur 288 femmes enceintes dont la consommation a été croissance des fœtus. Toutefois, l’arrêt de la consommation
mise en évidence par analyse d’un échantillon urinaire. Il cons- du cannabis chez des patientes polyconsommatrices de drogues
tate, lui aussi, une diminution de la durée de gestation et une permet d’observer un effet péjoratif moins sévère sur les para-
augmentation du risque de prématurité. La consommation mètres de croissance des fœtus exposés à la cocaïne seule. Ces
maternelle de tabac semblerait être délétère sur les fœtus, constatations sont similaires à celles observées après l’arrêt de
mais dans une moindre mesure que la consommation de can- la consommation d’alcool et/ou de tabac chez ces femmes [39].
nabis. Shiono publie, en 1995, les résultats d’une étude multicen-
Dans un groupe constitué d’adolescentes enceintes consom- trique prospective réalisée sur 7470 femmes enceintes. Onze
matrices de cannabis, Cornelius retrouve une diminution de la pour cent d’entre elles consommaient du cannabis, alors que
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2,3 % consommaient de la cocaïne. Il n’observe aucun effet naires doivent être sensibilisées à la réalité du problème, avec
adverse concernant le poids de naissance des nouveau-nés, le la possibilité d’une consultation psychiatrique. Chez ces
taux d’accouchement prématuré et le taux d’anomalies placen- patientes, une attention particulière doit être donnée à la sur-
taires dans le groupe cannabis [40]. Il est à noter que cette veillance de la croissance et perfusion fœtales [42]. Enfin, un
étude n’est pas comparative et porte sur un faible échantillon suivi post-partal des nouveau-nés et de la mère doit être pro-
de patientes. De plus, les populations étudiées étaient multi- posé.
ethniques et le recueil d’information ne s’effectuait que par
questionnaire. Références
Enfin, la méta-analyse d’English, publiée en 1997, recense
les résultats de dix études réalisées entre 1982 et 1995 [41]. [1] Black S, Casswell S. Drugs in New Zealand: a survey. Auckland: Alco-
Plusieurs études ont été éliminées à cause de biais. Les résul- hol & Public Health Research Unit; 1990 pp 40.
tats sont controversés. En effet, cette méta-analyse, dont la [2] Paria BC, Dey SK. Ligand receptor signaling with endocannabinoïdes in
méthodologie est critiquable, résume les résultats d’études pre implantation embryo development and implantation. Chem Phys
Lipids 2000;108:211–20.
très hétérogènes et non comparables. [3] Paria BC, Ma W, Andrenyak DM, et al. Effects of cannabinoïds on pre
Les études menées sur ce sujet sont nombreuses et donnent implantation mouse embryo development and implantation are mediated
des résultats contradictoires. De nombreux biais sont cependant by brain type cannabinoïd receptors. Biol Reprod 1998;58:1490–5.
retrouvés : certains d’entre eux sont, malheureusement, impos- [4] Abel EL, Dintcheff N, Day N. Effects of marijuana on pregnant rats and
their offspring. Psychopharmacology (Berl) 1980;71:71–4.
sibles à lever :
[5] Banerjee BN, Galbreath RD. Teratologic evaluation of synthetic delta 9-
tetrahydrocannabinol in rats. Teratology 1975;11:99–101.
● les patientes présentent des antécédents médicaux, des dif- [6] British Crime Survey HO. Social Trends 32, 2000; National Statistics,
férences génétiques et sociales qui peuvent être des facteurs Census. 2002. pp. (http:www/statistics.gov.uk/StatBase).
[7] Chabrol H, Fredaigue N, Callahan S. Epidemiological study of cannabis
favorisants non contrôlables à l’origine de biais de sélection ;
abuse and dependence in 256 adolescent. Encephale 2000;26:47–9.
● le nombre des patientes consommatrices participant aux étu- [8] Beck F, Legleye S, Spilka S. In: Cannabis, alcool, tabac et autres dro-
des est souvent faible, ce qui est à l’origine du manque de gues : usages et évolutions récentes. ESCAPAD. OFDT; 2003. p. 2.
puissance de ces études. De plus, le recueil de l’information [9] Beck F, Legleye S. La consommation de produits psychoactifs à la fin de
ne s’effectue souvent que par questionnaire. Peu d’études l’adolescence en Seine-Saint-Denis. Exploitation départementale de l’en-
quête ESCAPAD 2000–2001, OFDT. 2001. http://www.drogues.gouv.fr.
dépistent les consommatrices par recherche urinaire ;
[10] Linn S, Schoenbaum SC, Monson RR, et al. The association of mari-
● le dosage en delta-9-THC du cannabis utilisé, l’intensité, le juana use with outcome of pregnancy. Am J Public Health 1983;73:
moment de la consommation et/ou l’existence d’une poly- 1161–4.
consommation sont souvent inconnus ; [11] Day NL, Richardson GA. Prenatal marijuana use: epidemiology, metho-
dologic issues, and infant outcome. Clin Perinatol 1991;18:77–91.
● le cannabis est très souvent consommé avec du tabac. Il est
[12] Behnke M, Eyler FD. The consequences of prenatal substance use for the
ainsi difficile d’éviter l’influence de ce facteur confondant developing fetus, newborn, and young children. Int J Addict 1993;28:
sur les résultats retrouvés ; 1341–91.
● la concentration en delta-9-THC du cannabis utilisé ces der- [13] Richardson R, Bolisetty S, Ingall C. The profile of substance-using pre-
gnant mothers and their new borns at a regional rural hospital in New
nières années n’est pas comparable à celle du cannabis uti-
South Wales. Aust N Z J Obstet Gynaecol 2001;41:415–9.
lisé il y a 20 ans du fait des modes de culture et de produc- [14] SAMHSA Substance Abuse and Mental Health Service Administration.
tion différents ; Results from the 2001 National Household Survey on Drug Abuse
● Day [18] attire l’attention sur le fait que les patientes NHSDA Series H-17, DHHS Publication No SMA 02-3758, Rockville,
consommatrices présentent d’emblée davantage de facteurs MD, 2002.
[15] Fergusson DM, Horwood LJ, Northstone K, ALSPAC Study Team.
de risques de RCIU que les patientes non consommatrices :
Maternal use of cannabis and pregnancy outcome. Br J Obstet Gynaecol
dénutrition, suivi obstétrical de mauvaise qualité, dépistage 2002;109:21–7.
moins facile, pathologies prédisposantes etc. [16] Slutsker L, Smith R, Higginson G, et al. Recognizing illicit drug use by
pregnant women: reports from Oregon birth attendants. Am J Public
Health 1993;83:61–4.
5. Conclusion [17] Hurd YL, Wang X, Anderson V, et al. Marijuana impairs growth in mid-
gestation fetuses. Neurotoxicol Teratol 2005;27:221–9.
La consommation de cannabis durant la grossesse semble [18] Day NL, Cottreau CM, Richardson GA. The epidemiology of alcohol,
marijuana and cocaine use among women of childbearing age and pre-
entraîner des effets adverses sur le fœtus, notamment un retard gnant women. Clin Obstet Gynecol 1993;36:232–45.
de croissance intra-utérin. Des études prospectives et compara- [19] Matsuda LA, Bonner TI, Lolait SJ. Localization of cannabinoïd receptor
tives, avec une documentation reproductible du type de pro- mRNA in rat brain. J Comp Neurol 1993;327:535–50.
duits consommés, de la dose hebdomadaire, du début d’expo- [20] Pertwee RG. Pharmacology of cannabinoïd CB 1 and CB 2 receptors.
sition fœtale, et notamment des concentrations en delta-9-THC, Pharmacol Ther 1997;74:129–80.
[21] Munro S, Thomas KL, Abu-Shaar M. Molecular characterization of a
doivent être réalisées afin de conclure définitivement. L’évic-
peripheral receptor for cannabinoïds. Nature 1993;365:61–5.
tion totale des facteurs confondants reste, cependant, difficile. [22] Kenney SP, Kekuda R, Prasad PD, et al. Cannabinoïd receptors and their
La grossesse doit être un moment privilégié pour dépister et role in the regulation of the serotonine transporter in human placenta. Am
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