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Canadian Journal of Philosophy

Le Nominalisme de Spinoza
Author(s): Lee C. Rice
Source: Canadian Journal of Philosophy, Vol. 24, No. 1 (Mar., 1994), pp. 19-32
Published by: Canadian Journal of Philosophy
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40231851 .
Accessed: 15/06/2014 19:31

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CANADIAN JOURNAL OF PHILOSOPHY 19
Volume 24, Number 1, March 1994, pp. 19 - 32

deSpinoza
LeNominalisme
LEEC. RICE
MarquetteUniversity
Milwaukee,WI 53233
USA

I Résumé

Spinoza semble adopter une position pleinement nominaliste lorsqu'il discue des
notions universelles dans l'Ethique,mais on y trouve aussi plusieurs arguments où,
semble-t-il, des universaux sont présupposés. La solution avancé par plusieurs
commentateurs, y compris Haserot, est que le système spinoziste est d'inspiration
platoniste, et qu'il faut réinterpréter les passages d'apparence nominaliste pour les
accorder avec le platonisme ou l'essentialisme. J'argumente qu'un tel procédé n'est
justifié ni par le texte ni par la structure du système de Spinoza. L'interprétation du
spinozisme que je propose le place dans le cadre logique du nominalisme contem-
porain, à l'instar du système de Nelson Goodman, par exemple.

A cause de ses implicationspour l'interprétationdu système spinoziste,


la question du statut et de la nature des universaux reste un problème
essentieldans le textede Spinoza.1Si Spinozaétaitréalisteou platoniste,2

1 Cette étude fut en partie supportée par une bourse NEH, et aussi par une bourse
de recherche (pour Etienne Barbone, qui m'aida dans les préparations finales du
manuscrit) de la part de l'Université Marquette. Nous sommes reconnaissants à
Thaddeus Burch, S.J., pour son aide et son encouragement. Je voudrais exprimer
ma reconnaissance aux lecteurs ainsi qu'au rédacteur du CanadianJournalofPhiloso-
phy pour leurs critiques et leurs suggestions. Enfin, sans l'encouragement et la
critique toujours sympathique et perspicace d'Etienne Barbone (Marquette Univer-
sity), mes arguments seraient beaucoup plus faibles. C'est moi naturellement qui
reste seul blâmable pour ses fautes, soit de langue soit de raisonnement.

2 Le platonisme, sans connexion à la philosophie historique de Platon, s'oppose ici


au nominalisme. Au lieu de platonisme le mot réalisme s'emploie souvent dans la
philosophie médiévale. Pour le sens moderne des termes nominalisme et platon-
isme, voir Nelson Goodman, The Structure of Appearance, 2e éd. (Indianapolis:
Bobbs-Merrill 1966), 37-46.

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20 LeeC.Rice

sa philosophie serait tout autre que s'il était nominaliste.La hiérarchie


des trois types de connaissanceque nous présente Spinoza dans la 2e
partiede VEthique(E2P40Schol2)3 pourraitdeveniren fin de comptechez
le platoniste une échelle de formes presque néoplatoniciennes,4tandis
qu'elle resteraitpour le nominalisteune taxonomiede degrés d'activité
de l'esprit.5
La question de nominalisme touche également celle de la naturedes
attributsdivins chez Spinoza,6et aussi le sens des passagesdans YEthique
ou il parlede la 'naturehumaine.'7Dans cetteétude je ne veux pas traiter
de la questionde la naturehumaine(saufen passant),et celle de la nature
des attributesne se traiteraque d'une façon sommaire.Ici la question
principale,question posée à la sémantique spinoziste, sera celle de la
nature des universaux. Je veux proposer que la lecture strictement
nominalistede Spinozaest correcte,en m'accordantavec les suggestions

3 Je préfère l'édition des OeuvresComplètespar J. Van Vloten et J. P. N. Land (Benedicti


de Spinoza opéraquotquotrepertasunt. 3e éd. 4 tomes. [La Haye: M. Nijhoff 1914]) à
celle de Cari Gebhardt (Opéra,im Auftrag der HeidelbergerAkademieder Wissenschaf-
ten. 4 tomes. [Heidelberg: Cari Winters Verlag 1925]). Une nouvelle édition critique,
en train de rédaction en l'Hollande, ressemblera de près à celle de Van Vloten et
Land. La traduction française est de moi, mais je me suis servi de la traduction
excellente de L'Ethique,introduction, traduction, notes et commentaire par Robert
Misrahi (Paris: PUF 1990). Toute référence à l'Ethiqueest interne. E2P13Cor est le
corollaire à la proposition 13 de la 2e partie, etc. Autres abbréviations: Démonstra-
tion), Schol(ie), App(endice), et Déf(inition).

4 Voir, par exemple, Emile Lasbax, La hiérarchiedans l'univers chez Spinoza, 2e éd.
(Paris: Vrin 1926), 104-6. Une espèce de platonisme se trouve aussi dans les inter-
prétations de Martial Gueroult, Spinoza, I: Dieu (Paris: Aubier-Montaigne 1968),
564-8; H. De Dijn, 'How to Understand Spinoza's Logic or Methodology/ Studia
Spinozana3 (1987) 419-30; et R. Lévêque, Le problèmede la véritédans la philosophiede
Spinoza (Strasbourg: Librairie Istra 1923), 83-96.
5 Voir J. Lagrée, 'Clauberg et Spinoza/ en Travaux et documents 2: Méthode et
métaphysique,éd. Groupe de recherches spinozistes (Paris: Presses de l'Université
de Paris-Sorbonne 1989), 19-46; L. Rice, 'Reflexive Ideas in Spinoza/ Journalofthe
History ofPhilosophy28 (1990) 201-11; et Joël E. Friedman, 'An Overview of Spinoza's
Ethics/ Synthèse 37 (1978) 67-105.

6 Voir Richard Aquila, 'States of Affairs and Identity of Attributes in Spinoza/


Midwest Studies in Philosophy8 (1983) 161-79; Charles Jarrett,"TheLogical Structure
of Spinoza's Ethics, Part 1/ Synthèse 37 (1978) 15-66; Stanley Martens, 'Spinoza on
Attributes/ Synthèse 37 (1978) 107-11; Gueroult, 141-53; et Lasbax, 125-36.

7 Voir Diane Steinberg, 'Spinoza's Ethical Doctrine and the Unity of Human Nature/
Journalofthe History ofPhilosophy 22 (1984) 303-24; et Lee Rice, 'Tanquamnaturae
humanae exemplar:Spinoza on Human Nature/ The Modem Schoolman68 (1991)
291-304.

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Le Nominalismede Spinoza 21

de plusieurs interprètes,8pour rejeter non seulement les arguments


explicites d'autres, mais aussi les hésitations de deux commentateurs
récents.10

II Nominalisme comme déraison

C'est Haserotqui nous offre l'argumentle plus détaillé en support d'un


platonisme spinoziste, argument qui s'étend enfin à deux fourchons.
Premièrementil tire du nominalisme en tant que doctrine logique une
liste de conséquencesphilosophiques, et il s'agit, d'après son analyse,
des conséquencesque nulle espèce de nominalisme ne sache éviter. Si
ces conséquences,nous dit-il, étaient pleinement rejetéespar Spinoza,
alors il s'ensuivrait que son système ne serait pas nominaliste.
DeuxièmementHaserotexaminedes passagesreprésentatifsoù Spinoza
donne l'apparenced'adopter une position nominaliste, en nous pro-
posant une interprétationqui serait plus en accord avec la lecture
platonistequ'il soutient.
Il y a sans doute une prémisse métalogiqueet supprimée dans un tel
procédé,celle de la cohérencegénéraledu système spinoziste, au mini-
mum la cohérencede la métaphysiqueet de la théoriede la science avec
la structurelogique du système, car il y a des commentateursqui, tout
en acceptantle sens nominalisted'un grand nombre de passages dans
le texte de Spinoza, reconnaissent que ces passages sont en pleine
contradictionavec le platonismemétaphysiqueavoué de Spinoza.11Ces

8 Joël Friedman, 'An Overview of Spinoza's Ethics/ pourvoit des arguments som-
maires pour supporter le nominalisme. Voir aussi Waldemar Eichberg, Unter-
suchungen Uber der Erkenntnislehre Spinozas zur Scholastik mit besonderer
BerUksichtigungder Schule Okkams(Leipzig: Robert Noske 1910), 15-38.

9 Francis S. Haserot, 'Spinoza and the Status of Universals/ PhilosophicalReview 59


(1950) 469-92 (réimpression dans Studies in Spinoza, P. Kashap, éd. [Berkeley:
University of California Press 1972], 43-67). C'est à cette réimpression que mes
références se portent en ce qui suit. Voir aussi l'étude de Diane Steinberg citée
ci-dessus.

10 Jonathan Bennett, A Study of Spinoza's Ethics (Indianapolis: Hackett 1984); et Alan


Donagan, Spinoza (Chicago: University of Chicago Press 1988)

11 Voir H.H. Joachim, A Study ofthe Ethics of Spinoza (Oxford: Clarendon Press 1901),
93-7. Joachim insiste enfin que ce n'est que la substance qui soit 'réelle' dans le
système spinoziste, et que les modes individus (les corps et les esprits) sont une
espèce d'illusion: 'In the timeless actuality of the modal sustem, in the completeness
of "natura naturata," there is no individual "essentia" or "existentia" except that
of the whole System.' Voir aussi David Savan, 'Spinoza and Language/ Spinoza,M.
Grene, éd. (Garden City: Doubleday 1973), 60-72.

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22 LeeC.Rice

interprètestrouventSpinoza coupable d'une contradictionà l'intérieur


de son texte, en montrant qu'un texte spécifique se trouve en pleine
opposition à quelqu'autre. Mais la direction que prend Haserot se
différenciequelque peu de cette espèce de critique;car, selon lui, ce ne
sont pas les deux textes de Spinoza qui s'opposent, mais en définitive
les conséquencesd'un texte et la position expriméedans un autre.Selon
la premièresortede critiqueon ne peut disculperSpinozaqu'enarguant
que l'interprétationdes textes (ou du moins d'un des textes) n'est pas
correct.Pour contrerla critiquede Haserot,il conviendraitde mettreen
question les conséquences qu'il réclame comme inévitables pour le
nominalisme.
Selon Haserot tout nominalisme doit affirmer la nonexistence de
propriétés communes. En disant que deux choses ont quelque traiten
commun,le nominalistene parle que d'une similaritéentre elles.12Il y a
pourtantune confusion dans son exposition. Le nominalistepeut bien
parlerde deux choses ayant une propriétécommune;mais, en parlant
ainsi, il parle de deux choses et aucunementde trois(c'est-à-direqu'il
n'existe aucune propriété,distinctedes choses, qui la 'possèdent').Il ne
s'agit pas d'un langage qui contiennedes prédicats,en effet,mais plutôt
du statutontologiquede ces prédicatsdans le système.13C'està dire que
la similarité,chez le nominalisme,se réduit à une relationbinaireentre
deux individus, et nullement à une relation ternaireimpliquantdeux
choses individuelles et une troisièmepropriétégénérale.
Mais il ne s'ensuit point de ce qui précède que le nominalismen'ait
aucune place pour les généralisationsuniverselles, bien que Haserot
affirme le contraire.14 La conséquence qu'il tire de son analyse, que le

12 To the nominalist, words other than proper nouns can be signs for things only as
a conséquence of the likenesses of the things; but, in point of accuracy, such words
refer to nothing common in the things, and the classes they supposedly represent
are entia rationis.Since this is the case, there can be no joint assertion of nominalism
and common properties. If one is affirmed, the other is, by définition, denied'
(Haserot, 44).

13 'But is there no further restriction on the admissible predicates? May a nominalistic


language contain even so platonistic-sounding predicate of individuals as "belongs
to some classes satisfying the function F"? Strangely enough it may - so long as
we take this string of words as a single predicate of individuals.... The distinction
between nominalism and platonism thus dépends not upon what predicates of
individuals are employed, but upon what values are admitted for the variables'
(Goodman, 38).

14 'Since for nominalism particulars alone exist, and logical generalizations are sub-
jective constructs, the chief topics of concern for nominalism are those of knowledge
and truth' (Haserot, 45).

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Le Nominalismede Spinoza 23

nominalisme est essentiellement une doctrine épistémologique, est


également fausse, mais ne nous intéresse pas ici. Pour les nominalistes
du moyen âge, par exemple, l'épistémologie n'était pas centrale,mais
plutôt l'éthique.Et pour les nominalistescontemporains(par exemple,
Goodman), c'est l'ontologie qui importe plus que la gnoséologie. Je
dirais que l'épistémologie devient plus centrale dans le platonisme,
parce que l'introduction de nouveaux types d'êtres exige alors des
mécanismesplus développés afin d'expliquerla possibilité même de la
connaissancehumaine.
Ladifficultéprincipaleavec l'expositionde Haserotréside dans le fait
que la position nominalistequ'il décritne semble pas avoirété soutenue
telle quelle par aucun philosophe, ou du moins l'auteur ne nous en
donne aucun exemple historique:

The purport of this whole development is as follows: when universals are excluded
from existent items, reason or rationality is removed from things; it is relegated to
the mind. Once it is enclosed within that confine it is in an epistemological prison
from which it can never escape. The world is made unknowable; metaphysics is
reduced to futility; and man, whatever he may be, is and can be guided only by faith
or practicality. (Haserot, 48)

Pour Haserot, semble-t-il,l'universalitésous quelque forme que ce


soit implique le platonisme ontologique, même s'il s'agit de l'univer-
salitédes lois de la natureou de la logique.Il nous dit que le nominalisme
ne peut pas poser ces lois comme 'dans les choses'1 sans expliquer en
effet la significationd'une telle expression. Spinoza nous dit en E2P38
qu'il y des traits qui sont communs à toutes choses, affirmantensuite
dans son corollaire:'IIsuit de là qu'il existe certainesidées, autrement
dit certainesnotions communes à tous les hommes;car ... tous les corps
s'accordenten certaineschoses qui ...doivent êtreperçuespartous d'une
manièreadéquate,c'est-à-direclaire et distincte.'Il y a par conséquent
un vrai sens selon lequel on peut attribuerl'extension, par exemple, à
toute chose étendue. Mais chez Spinoza l'extensionpour autant qu'elle
soit universelle n'est pas réelle, et l'extension pour autant qu'elle soit
réellen'est point universelle;et c'est précisémentcet aspectde la pensée
de Spinoza que néglige Haserot.

15 Thèse laws are universals and are implicit in the nature of things. Nominalism
cannot postulate thèse laws as in things without contradicting itself, and as a resuit
it is channeled into semantics and positivism' (Haserot, 58).

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24 LeeC.Rice

Précisons.Pour Spinoza l'extension est un attributde la nature-dieu


qui exprimeune essence infinie et éternelle,16Cela revientà dire qu'elle
ne saurait être un prédicatdes choses particulièresdans le système
spinoziste, mais plutôt un attribut('expression')de la substance. Les
choses particulièresne possèdent pas l'extension (en ce sens) comme
propriétécommune, mais de fait elles en sont de vraies parties.Spinoza
anticipeici le nominalismecontemporain,selon lequel le rapportdu tout
à ses parties remplace le rapportplatoniste entre une propriétéet les
Selon Spinoza,il y a aussi un sens tout à fait
choses qui y 'participent.'17
différent selon lequel on peut concevoir l'extension comme propriété
commune de toutes les choses étendues:

c'est-à-dire superficielle et comme nous l'imaginons, ou bien comme substance, ce


qui ne peut se faire que par l'entendement. Si nous appréhendons la quantité telle
qu'elle est donnée dans l'imagination, ce que nous faisons souvent avec plus de
facilité, nous la trouverons finie, divisible, et composée de parties; mais si nous
sommes attentifs à ce qu'elle est dans l'entendement, et si nous la connaissons
comme une substance, ce qui est très difficile, alors nous reconnaîtrons qu'elle est,
comme nous l'avons déjà démontré, infinie, unique et indivisible. (ElP15Schol)

Maisune telle idée inadéquateet faussede l'imaginationne semble-t-elle


pas correspondre exactement à la notion haserotienne d'une loi qui
existerait'dans les choses'?
Il faut par conséquent distinguer nettement entre la nonexistence
d'universauxdans un système nominalisteet l'existencede mécanismes
logiques qui pourraientbien remplircertainesfonctionsque remplissent
les universauxdans le platonisme.Commedit Goodman,le nominaliste
ne peut accepterque les individus comme existants,mais il reste libre
d'acceptertelle ou telle chose comme individuelle ce qui veut dire que
le choix entre individus primitifs comme base du système reste lui-
même hors système.18On pourraitpeut-êtreparerma critiquede Hase-

16 Voir E2Déf 1: Tar corps, j'entends un mode qui exprime, d'une manière particulière
et déterminée, l'essence de dieu en tant qu'on le considère comme une chose
étendue.'

17 Voir Goodman, 46-55, pour une exposition du calcul d'individus, qui fut développé
en 1917 par Lesniewski. Le primitif de 'recouvrement' ('overlapping') s'emploie
dans le calcul pour construire des individus complexes. J'ai employé une notion
similaire dans mon exposition de la théorie spinoziste de l'individuation en phy-
sique. Voir 'Spinoza on Individuation,' The Monist 55 (1971) 640-59 (réimpression
en Spinoza: Essays in Interprétation,M. Mandelbaum et E. Freeman, éd. [LaSalle:
Open Court 1975], 195-214).

18 'In other words, the nominalist countenances only individuals but may take any-

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Le Nominalismede Spinoza 25

rot en insistantsur le fait que le sens que je donne à nominalisme,étant


tout à fait formalisteet moderne,n'a rien à voir avec le sens 'normal'du
mot. Mais Haserot ne nous parle pas d'un autre sens, et Spinoza lui-
même anticipesurbeaucoupde points l'analysemoderne.Dans le Traité
de la réformede l'entendement, par exemple, il nous dit:

En vérité les choses singulières changeantes dépendent si intimement et si essen-


tiellement, pour ainsi dire, de ces choses fixes, que sans celles-ci elles ne peuvent ni
être ni être conçues. Aussi ces choses fixes et éternelles, quoiqu'elles soient sin-
gulières, seront tout de même pour nous, à cause de leur omniprésence et leur
puissance énorme, comme des universaux ou des genres pour la définition des
choses singulières changeantes, ainsi que les causes prochaines de toutes choses.19

Une confusionsemblableà celle de Haserots'insèreaussi, je crois, dans


l'analyse de Parkinson,qui prétend établir une distinction entre les
universauxfaux de l'imaginationet les universauxvrais de la raison.20
Les attributsspinozistes peuventfonctionnerdans le système en partie
comme fonctionnentles universaux dans un système platoniste;mais
cela ne veut pas dire que ces attributssoient universaux. Spinoza lui-
même rejetteune telle conclusiondans le Traité.
La plupart des commentateursqui proposent deux sortes d'univer-
saux dans le système spinoziste font appel aux propositions38 et 39 de
la deuxième partiede l'Ethique,où Spinozaparle de 'ce qui est commun
à toutes choses et se trouve égalementdans la partieet dans le tout' (illa,
quae omnibus communia, quaequeaeque in parte ac in toto sunt).21Cette
notion de 'ce qui est commun' reste assez obscure, mais en E2P39Cor
Spinoza nous renvoie au deuxième lemme suivant E2P11,qui dit que

thing as an individual. Whether a System is nominalistic dépends not upon whether


the entities admitted are in fact individuals (whatever that might mean) but upon
whether they are construed in the System as individuals - that is, upon whether
the System always identifies with one another entities that it générâtes out of exactly
the same sélections from among those admitted entities that it does not generate
out of others' (Goodman, 39). Bien entendu ce n'est pas constater qu'un tel choix
soit déraisonné, mais constater qu'il dépend de considérations pragmatiques.

19 Tractatusde intellectusemendatione,Van Vloten et Land, 1, 31 (ma traduction).

20 G.H.R. Parkinson, Spinoza's Theoryof Knowledge(Oxford: Clarendon Press 1954),


166-8. Une distinction semblable se présente aussi chez Alan Donagan, Spinoza
(Chicago: University of Chicago Press 1988), 50-2, et chez Lucia Lermond, TheForm
ofMan: Human Essencein Spinoza's Ethics (Leiden: E.J.Brill 1988), 53-6.

21 Ici je suis en désaccord avec la traduction (en général excellente) de Robert Misrahi,
qui parle (135) de 'toute propriété commune' pour E2P39; où Spinoza ne dit que,
'in toto commune est et proprium.'

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26 LeeCRice

tous les corps ont quelque chose de commun. Spinoza explique dans la
démonstrationde ce lemme que, '[tousles corps]enveloppentle concept
d'un seul et même attribut....Ensuite, ils ont en commun le fait qu'ils
peuvent se mouvoir soit plus vite, soit plus lentement,et, plus générale-
ment, se mouvoir ou être au repos.' Je suggère que le fondement de ce
'quelquechose de commun'n'est ni propriéténi forme commune,mais
qu'il consiste en un lien nomologique:ces choses ont quelque chose de
commun si (et seulement si) il existe des lois (de physique, de psycholo-
gie, etc.) qui décriventleurs activitésde la même manière.En ce sens-là,
les corps et les idées n'ont rien de commun, et le fondement de toute
prédicationde quelquechose de commun reste à l'intérieurde l'attribut
spinoziste, conçu comme individu infini.22
Il ne faut pas prendre mon analyse pour une démonstration(même
provisoire) destinée à soutenir l'intelligibilitéde la doctrinespinoziste
des attributs.Cette doctrine reste assez ambiguë sur plusieurs points,
comme argumenteAquila.23Selon son analyse la tension et l'ambiguité
à l'intérieurde la notion spinoziste de l'attributprovient d'une confu-
sion entre deux conceptionsde l'identité,l'une stricteet l'autresimple-
ment formelle. Même en cette situation pourtantSpinoza se trouve en
compagnie de ces nominalistes contemporainscomme Goodman, qui
remplacent l'identité par une notion d'isomorphisme qui est moins
stricte.24Tout ce que je veux souligner ici, c'est que Spinoza peut bien

22 II ne s'agit ici que d'une esquisse provisoire, car le problème de la 'communauté'


qu'impose un attribut aux modes finis qui en relèvent reste compliqué. La direction
de solution que je propose ici est semblable à celle proposée par Diana Steinberg
(mais limitée à la conception de la nature humaine) dans 'Spinoza's Ethical Doctrine
and the Unity of Human Nature/ Journalofthe History ofPhilosophy22 (1984) 303-24.
Voir aussi mon étude, Tanquam Naturae Humanae Exemplar,' TheModem School-
man 68 (1991) 291-304. La proposition de traiter ce qui est 'commun' comme à la fois
propositionel et nomologique semble aussi permettre d'éviter la plupart des
problèmes que rencontre Goodman avec la relativité de la similitude. Voir son
étude, 'Seven Strictures on Similarity/ dans Problemsand Projects (Indianapolis:
Bobbs-Merrill 1972), 437-46. Enfin je dois à Etienne Barbone la prise de conscience
du fait qu'une telle notion de 'communauté nomologique' est tout à fait conforme
à l'usage que fait Spinoza de la notion de 'ce qui est commun entre les hommes'
pour fonder le contrat social (voir E4P37Schol2). Voir E. Barbone, 'Virtue and
Sociality in Spinoza,' étude inédite, Marquette University (à paraître).

23 Voir l'étude citée de Richard Aquila, pour qui les attributs ont un statut équivoque
et générateur de tensions. D'une part ils ne se distinguent pas de la substance, et
sont les constituants ultimes de la réalité. Mais d'autre part ils sont les formes pour
la détermination possible de la substance.

24 Goodman, 13-21, où il s'agit d'un 'isomorphisme extensionnel.'

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Le Nominalismede Spinoza 27

restertout à fait cohérenten affirmantune ontologie nominalisteoù les


attributsremplissentplusieurs des fonctions associées avec les univer-
saux dans les systèmes platonistes.Par conséquent,la premièrepartie
de l'analyse que nous offre Haserot n'atteintpas son but; et il n'existe
pas de méthode facile pour soutenir un platonisme spinoziste. Il faut,
après tout, examinerles textes;et c'est à ces textes qu'il nous faut aussi
consacrernotre attention.

III Essence et Universalité

Haserot avoue qu'il y a du moins une douzaine de passages dans


l'oeuvre de Spinoza qui ont un air explicitementnominaliste. De ces
passages, deux se trouvent dans le CourtTraité?5deux dans les Pensées
métaphysiques?6trois dans le Traitésur la réformede l'entendement?7deux
dans les lettres,28et le reste dans l'Ethique?9Parce qu'il n'y a pas de
grande différence parmi les douze, et aussi parce que le texte de
E2P40Schollest le plus étendu, on peut bien suivre Haserot dans l'ex-
amen de ce passage.
Le début du scolie donne un petit sommairedes 'notionscommunes'
dont il s'agissaitdans les propositionsimmédiatementprécédentes.J'ai
argumentédéjà que Spinoza prend ses notions pour des idées d'indi-
vidus (et, parconséquent,pour des idées individuelles),c'est-à-direque
les attributsmêmes en sont des exemples.30Mais les causes des idées
désignées comme transcendentaux,poursuit Spinoza, sont tout autres
que la raison adéquate.Ces termes (comme être, chose, quelque chose,
etc.) proviennentdu fait que le corps humain, étant tout à fait limité en
son pouvoir,ne peut formersimultanémentqu'uncertainnombred'im-

25 CTI,6;CTI,10

26 CM U; CM II, 7

27 TdIE, Van Vloten et Land, 16, 24, et 30

28 Ep2 (Van Vloten et Land, 6) et Ep56 (192)

29 E2P40Scholl,E2P48Schol,etE4Préf

30 Mais pas du tout les seuls exemples qu'il donne. Les modes infinis, dont la nature
reste assez obscure dans l'exposition de Spinoza, en fournissent d'autres. En ce qui
concerne la question du nominalisme, ces modes peuvent bien être ignorés; car ils
sont clairement des 'super-individus' dont les modes finis font partie. Voir A.
Rivaud, Les notions d'essenceet d'existencedans la philosophiede Spinoza (Paris: Alcan
1906), 84-7.

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28 Lee C. Rice

âges. Si le nombre des images excède cette capacité,les images com-


mencentà se confrondre,se fondanttotalementles unes avec les autres.
Dans une telle situation l'esprit humain imagine les corps d'une façon
confuse et sans aucune distinction,les réduisantdans le cadred'un seul
attributou prédicat.Une telle connaissance,insiste Spinoza,est toujours
inadéquate.31 Et alors Spinoza ajoute:

C'est de causes semblables que proviennent les notions que Ton appelle universelles,
comme homme, cheval, chien, etc. Dans le corps humain, il se forme ensemble tant
d'images d'hommes, par exemple, que le pouvoir d'imaginer est débordé, sinon
totalement, du moins assez pour que l'esprit ne puisse imaginer distinctement les
petites différences des êtres singuliers....32

Spinozaparleici des 'notionsque l'on appelle universelles/et non pas de


'plusieursnotions qui prétendentêtreuniverselles,'ou de quelquechose
de semblable.On ne trouve pas la moindre suggestion qu'il ne s'agisse
que des exemples inacceptables faisant partie d'un ensemble plus
étendu (c'est-à-direles 'vrais universaux' dont parlent Haserot et les
autres)dont la plupartdes membresseraientadéquats.
On ne peut échapperune telle conséquencequ'en trouvantquelque
partdans le texte l'exempled'une véritableidée universelle.Lecandidat
le plus souvent sélectionné pour cet honneur douteux seraiten effet la
nature humaine. Existe-t-il,à part la notion universelle 'homme' dont
Spinoza atteste la fausseté, une seconde notion universelle qui serait,
elle, tout à fait adéquate?Certainsl'affirment.33
Spinozaparle frèquem-

31 'Attamen ne quid horum omittam, quod scitu necessarium sit, causas breviter
addam, ex quibus termini transcendentalesdicti suam duxerunt originem, ut ens, res,
aliquid. Hi termini ex hoc oriuntur, quod scilicet humanum corpus, quandoquidem
limitatum est, tantum est capax certi imaginum numeri ... in se distincte simul
formandi; qui se excedatur, hae imagines confundi incipient; et si hic imaginum
numerus, quarum corpus est capax, ut eas in se simul distincte formet, longe
excedatur, omnes inter se plane confundentur' (E2P40Scholl).

32 'Ex similibus deinde causis ortae sunt notiones illae, quae universellesvocant, ut
homo, equus, canis, etc. Videlicet, quia in corpore humano tôt imagines ex. gr.
hominum formantur simul, ut vim imaginandi, non quidem penitus, sed eo usque
tamen superent, ut singulorum parvas différencias ... nequeat ../ (Ibid.).

33 Voir Haserot, 54-8; et aussi Steinberg, 'Spinoza's Ethical Doctrine and the Unity of
Human Nature.' L'analyse de Steinberg ne s'accorde pas avec celle de Haserot en
tous points, mais les différences ne concernent pas de la question de nominalisme.
Pour une critique de cette notion de la nature humaine en ses rapports avec
l'anthropologie spinoziste, voir Lee Rice, 'Tanquamhumanaenaturaeexemplar:Spi-
noza on Human Nature/ Une notion différente de celle que présentent Steinberg et

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Le Nominalismede Spinoza 29

ment de la 'naturehumaine'ou de 'l'essencehumaine'dans l'Ethique,et


Bennetta raison de se plaindreque les remarquesde Spinoza à ce sujet
soient souvent assez lâches.34Un passage typique, et typiquementcité à
l'appui d'une espèce de platonisme,se trouve dans la Préfacede E4,où
Spinozanous dit qu'il faut former'une idée de l'homme qui soit comme
un modèle de la naturehumaine auquel nous puissions nous référer.'
Loin de fournir un exemple de la nature humaine conçue comme
adéquatepar Spinoza,ce texte-cine me semble pas supporterla lecture
platoniste. Car, avant de parler de cette idée qui nous servirait de
modèle, Spinoza répète son analyse des termesuniversels avec presque
le même langage qu'auparavant:

Nous avons en effet l'habitude de ramener tous les individus de la nature à un seul
genre, qu'on appelle genre suprême; c'est-à-dire à la notion d'être, qui appartient,
absolument parlant, à tous les individus de la nature.... En ce qui concerne le bien
et le mal, ces termes n'indiquent non plus rien de positif dans les choses, considérées
en elles-mêmes, et le bien et le mal ne sont rien d'autre que des modes du penser
ou des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles.
(E4Préf)

Le rôle que joue un tel modèle de la nature humaine, bien qu'il soit le
modèle d'un individu, ne seraitpas sans ses propres difficultéspour la
moralespinoziste, mais ces problèmesne nous occupent ici.35
Ce passageest souvent associéà celui de ElP17Schol,où Spinozaparle
de l'essence humaine:

Par exemple un homme est cause de l'existence d'un autre homme, mais non pas
de son essence; car celle-ci est une vérité éternelle; ils peuvent donc, quant à
l'essence, avoir quelque chose de commun, mais ils doivent être différents quant à

Haserot se trouve chez Lucia Lermond, Human Essence in Spinoza's Ethics (Leiden:
E.J.Brill 1988), 45-72. Une revue critique par P.-F. Moreau se trouve dans le Bulletin
de BibliographieSpinoziste 11 (1989) 26-7; et une revue plus favorable par J.T. Cook
se trouve dans les Studia Spinozana4 (1988) 415-19.

34 Bennett, 345-7, examine plusieurs de ces remarques, pour conclure que Spinoza
n'est pas soigneux en ses généralisations sur la nature ou le comportement humains.

35 Mais les suggestions de John Lachs sont pertinentes à une solution générale du
problème d'une théorie morale qui saurait rester fidèle à l'inspiration nominaliste,
et elles ne semblent pas contredire la structure de la morale présentée par Spinoza
en E4 et E5. Voir John Lachs, "The Philosophical Significance of Psychological
Différences Among Humans,' Southern JournalofPhilosophy 29 (1991) 329-39; Lee
Rice, 'Tanquamnaturae humanae exemplar:Human Nature in Spinoza'; et aussi E.
Balibar, Spinozaet la politique(Paris: Presses Universitaires de France 1990), 91-105.

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30 LeeCRice

l'existence. Par suite, si l'un cesse d'exister, l'autre n'en périra pas pour autant, mais
si l'essence de l'un pouvait être détruite et devenir fausse, l'essence de l'autre serait
également détruite.

Ce texte est difficile à interpréter,mais l'argument y présente deux


éléments qui semblent s'opposer directement à la lecture platoniste.
D'abord, il ne s'agit pas de deux choses qui partagent une essence
commune,mais plutôt deux choses et deux essences ('si l'essencede l'un
pouvait être détruite... l'essence de l'autre...').Deuxièmement,Spinoza
ne nous dit pas que les hommespartagentune essence commune, mais
que leurs essences sont similaires Çsecundumessentiamprorsus convenire
possunt'), et que deux hommespourraient bien s'accorder de cette
manière,ce qui n'est pas dire que tousles hommes doivents'accorderde
la sorte. La lecture de Gueroult,selon laquelle Spinoza parleraitd'une
essence non-singulièreet commune à tous les hommes,36est suivie en la
plupart de ses détails par Haserot,mais une telle lectureest tout à fait
sans justification.Spinoza éclaircitlui-même sa propre notion de l'es-
sence (humaine)en écrivantle 29 juillet 1675à Schuller.Son correspon-
dant lui avait demandé si une chose pourraitêtreproduiteparune autre
qui en diffère aussi bien par l'essence que par l'existence. Et Spinoza
répond que, 'tous les êtres singuliers, à l'exclusion de ceux qui sont
produits par des êtres semblables,diffèrentde leurs causes aussi bien
par l'essence que par l'existence.'37Le commentairede Rivaud sur ces
passages ne sauraitpas être plus exact:

Par exemple l'existence d'Adam se distingue de l'existence d'un autre homme,


précisément par les mêmes caractères qui distinguent l'essence d'Adam de tout
autre essence. De là suit d'abord que chaque existence, tout comme chaque essence,
est quelque chose de particulier, d'individuel, de concret. On ne peut concevoir ni
l'essence ni l'existence par le moyen d'une idée générale, comme celle de l'être en
essence ou de l'existence.38

36 'L'essence ainsi déduite n'est pas l'essence singulière de la chose, c'est son essence
universelle ou spécifique, sa nature intime, c'est par exemple l'essence de tout
homme, telle que, si elle est ôtée, tout homme est ôté, et non l'essence singulière de
cet homme-ci ou de cet homme-là, Pierre ou Paul' (Martial Gueroult, Spinoza, II,
l'Ame (Paris: Aubier-Montaigne 1974, 527).

37 'Sed cum omnia singularia, praeter illa, quae a suis similibus producuntur, différant
a suis causis, tam essentiâ quam existentiâ, nullam hinc dubitandi rationem video'
(Ep64, Van Vloten et Land, 3, 206).

38 Albert Rivaud, Les notions d'essenceet d'existencedans la philosophiede Spinoza (Paris:


Alcanl906),54

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Le Nominalismede Spinoza 31

On peut pourtantse demanderquelles conditionsdeuxhommes pour-


raient s'accorderen leurs essences; car, même si Spinoza nous dit que
leurs essences sont en général différentes,il avoue aussi qu'ils peuvent
s'accorder('convenuepossunt')de ce point de vue. Bennetta raisonici en
constatant que les discussions où Spinoza se sert de telles notions
manquentde rigueur.Lasuggestion de WallaceMatson,39qu'il s'agirait
d'un exemple tel celui des jumeauxmonozygotiques,ne me semble pas
s'éloigner de l'esprit de la discussion que nous offre Spinoza. Et si la
lecture de Matson est consistante avec l'argument de Spinoza, il suit
qu'une lectureplatonisten'en est pas la conséquenceinévitable.

IV Conclusion

La lecturede ceux qui voient dans la philosophie de Spinoza une sorte


de platonismetire son originesmoins du le texte même de l'Ethiqueque
d'une certaineespèce d'argumentation:Spinoza seraitplatoniste parce
que le nominalismemême est déraisonnable,ou parcequ'ildevraitenfin
adopter une telle position pour éviter telle ou telle contradiction.Mais
Rivaud a peut-êtreraison de constaterque le platonisme et l'essential-
isme sont également inconvenables pour Spinoza comme pour Des-
cartes,pour autantqu'iln'existepas dans leurs systèmes métaphysiques
de base pour supporterla notion platonisted'universalité.40 Mieux vaut
donc reconnaîtrela position de Spinozacomme pleinementnominaliste
d'inspirationet de développement.Dans cette perspective,une analyse
comme celle d'A.E.Taylor, pour qui les 'incohérences'du spinozisme
apparaissentessentiellementdans les rapportsentre son nominalisme
et sa morale, serait plus juste. Je crois toutefois que les difficultés que
Taylor,ou tout autre platoniste,prétend y trouver résultent de la per-
spective platonisteplus que de tels défauts à l'intérieurdu système de

39 Voir 'Body Essence and Mind Eternity in Spinoza/ Spinoza:Issues and Directions, E.
Curley et P.-F. Moreau, éd. (Leiden: Brill 1990), 85-7.

40 Voir Albert Rivaud: 'Dans ces conditions, le problème des universaux se pose à
Descartes sous un aspect très particulier. La suppression de la matière indéterminée
de la philosophie classique entraîne en apparence l'impossibilité de distinguer
l'élément périssable et l'élément éternel de l'individualité' ('Quelques remarques
sur la notion d'essence dans les doctrines de Descartes et de Spinoza,' Septimana
Sinozana [La Haye: M. Nijhoff 1933], 218).

41 A.E. Taylor, 'Some Incoherencies in Spinozism,' Mind 46 (1937) 137-58, 281-301


(réimpression en Studies in Spinoza,P. Kashap, éd. [Berkeley: University of Califor-
nia Press 1972], 189-211, 289-309)

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32 LeeC.Rice

Spinoza; mais cela est une autre histoire. L'ordremême selon lequel
Spinoza développe l'Ethiquene suggérerait-ilpas qu'on doit résoudre
les problèmesde la morale selon les exigences du nominalismeau lieu
d'approcherleur conciliationdans l'ordreinverse?
Received:September1991
Revised:August 1992

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