Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le Nominalisme de Spinoza
Author(s): Lee C. Rice
Source: Canadian Journal of Philosophy, Vol. 24, No. 1 (Mar., 1994), pp. 19-32
Published by: Canadian Journal of Philosophy
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40231851 .
Accessed: 15/06/2014 19:31
Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .
http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp
.
JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of
content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms
of scholarship. For more information about JSTOR, please contact support@jstor.org.
Canadian Journal of Philosophy is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to
Canadian Journal of Philosophy.
http://www.jstor.org
deSpinoza
LeNominalisme
LEEC. RICE
MarquetteUniversity
Milwaukee,WI 53233
USA
I Résumé
Spinoza semble adopter une position pleinement nominaliste lorsqu'il discue des
notions universelles dans l'Ethique,mais on y trouve aussi plusieurs arguments où,
semble-t-il, des universaux sont présupposés. La solution avancé par plusieurs
commentateurs, y compris Haserot, est que le système spinoziste est d'inspiration
platoniste, et qu'il faut réinterpréter les passages d'apparence nominaliste pour les
accorder avec le platonisme ou l'essentialisme. J'argumente qu'un tel procédé n'est
justifié ni par le texte ni par la structure du système de Spinoza. L'interprétation du
spinozisme que je propose le place dans le cadre logique du nominalisme contem-
porain, à l'instar du système de Nelson Goodman, par exemple.
1 Cette étude fut en partie supportée par une bourse NEH, et aussi par une bourse
de recherche (pour Etienne Barbone, qui m'aida dans les préparations finales du
manuscrit) de la part de l'Université Marquette. Nous sommes reconnaissants à
Thaddeus Burch, S.J., pour son aide et son encouragement. Je voudrais exprimer
ma reconnaissance aux lecteurs ainsi qu'au rédacteur du CanadianJournalofPhiloso-
phy pour leurs critiques et leurs suggestions. Enfin, sans l'encouragement et la
critique toujours sympathique et perspicace d'Etienne Barbone (Marquette Univer-
sity), mes arguments seraient beaucoup plus faibles. C'est moi naturellement qui
reste seul blâmable pour ses fautes, soit de langue soit de raisonnement.
4 Voir, par exemple, Emile Lasbax, La hiérarchiedans l'univers chez Spinoza, 2e éd.
(Paris: Vrin 1926), 104-6. Une espèce de platonisme se trouve aussi dans les inter-
prétations de Martial Gueroult, Spinoza, I: Dieu (Paris: Aubier-Montaigne 1968),
564-8; H. De Dijn, 'How to Understand Spinoza's Logic or Methodology/ Studia
Spinozana3 (1987) 419-30; et R. Lévêque, Le problèmede la véritédans la philosophiede
Spinoza (Strasbourg: Librairie Istra 1923), 83-96.
5 Voir J. Lagrée, 'Clauberg et Spinoza/ en Travaux et documents 2: Méthode et
métaphysique,éd. Groupe de recherches spinozistes (Paris: Presses de l'Université
de Paris-Sorbonne 1989), 19-46; L. Rice, 'Reflexive Ideas in Spinoza/ Journalofthe
History ofPhilosophy28 (1990) 201-11; et Joël E. Friedman, 'An Overview of Spinoza's
Ethics/ Synthèse 37 (1978) 67-105.
7 Voir Diane Steinberg, 'Spinoza's Ethical Doctrine and the Unity of Human Nature/
Journalofthe History ofPhilosophy 22 (1984) 303-24; et Lee Rice, 'Tanquamnaturae
humanae exemplar:Spinoza on Human Nature/ The Modem Schoolman68 (1991)
291-304.
8 Joël Friedman, 'An Overview of Spinoza's Ethics/ pourvoit des arguments som-
maires pour supporter le nominalisme. Voir aussi Waldemar Eichberg, Unter-
suchungen Uber der Erkenntnislehre Spinozas zur Scholastik mit besonderer
BerUksichtigungder Schule Okkams(Leipzig: Robert Noske 1910), 15-38.
11 Voir H.H. Joachim, A Study ofthe Ethics of Spinoza (Oxford: Clarendon Press 1901),
93-7. Joachim insiste enfin que ce n'est que la substance qui soit 'réelle' dans le
système spinoziste, et que les modes individus (les corps et les esprits) sont une
espèce d'illusion: 'In the timeless actuality of the modal sustem, in the completeness
of "natura naturata," there is no individual "essentia" or "existentia" except that
of the whole System.' Voir aussi David Savan, 'Spinoza and Language/ Spinoza,M.
Grene, éd. (Garden City: Doubleday 1973), 60-72.
12 To the nominalist, words other than proper nouns can be signs for things only as
a conséquence of the likenesses of the things; but, in point of accuracy, such words
refer to nothing common in the things, and the classes they supposedly represent
are entia rationis.Since this is the case, there can be no joint assertion of nominalism
and common properties. If one is affirmed, the other is, by définition, denied'
(Haserot, 44).
14 'Since for nominalism particulars alone exist, and logical generalizations are sub-
jective constructs, the chief topics of concern for nominalism are those of knowledge
and truth' (Haserot, 45).
The purport of this whole development is as follows: when universals are excluded
from existent items, reason or rationality is removed from things; it is relegated to
the mind. Once it is enclosed within that confine it is in an epistemological prison
from which it can never escape. The world is made unknowable; metaphysics is
reduced to futility; and man, whatever he may be, is and can be guided only by faith
or practicality. (Haserot, 48)
15 Thèse laws are universals and are implicit in the nature of things. Nominalism
cannot postulate thèse laws as in things without contradicting itself, and as a resuit
it is channeled into semantics and positivism' (Haserot, 58).
16 Voir E2Déf 1: Tar corps, j'entends un mode qui exprime, d'une manière particulière
et déterminée, l'essence de dieu en tant qu'on le considère comme une chose
étendue.'
17 Voir Goodman, 46-55, pour une exposition du calcul d'individus, qui fut développé
en 1917 par Lesniewski. Le primitif de 'recouvrement' ('overlapping') s'emploie
dans le calcul pour construire des individus complexes. J'ai employé une notion
similaire dans mon exposition de la théorie spinoziste de l'individuation en phy-
sique. Voir 'Spinoza on Individuation,' The Monist 55 (1971) 640-59 (réimpression
en Spinoza: Essays in Interprétation,M. Mandelbaum et E. Freeman, éd. [LaSalle:
Open Court 1975], 195-214).
18 'In other words, the nominalist countenances only individuals but may take any-
21 Ici je suis en désaccord avec la traduction (en général excellente) de Robert Misrahi,
qui parle (135) de 'toute propriété commune' pour E2P39; où Spinoza ne dit que,
'in toto commune est et proprium.'
tous les corps ont quelque chose de commun. Spinoza explique dans la
démonstrationde ce lemme que, '[tousles corps]enveloppentle concept
d'un seul et même attribut....Ensuite, ils ont en commun le fait qu'ils
peuvent se mouvoir soit plus vite, soit plus lentement,et, plus générale-
ment, se mouvoir ou être au repos.' Je suggère que le fondement de ce
'quelquechose de commun'n'est ni propriéténi forme commune,mais
qu'il consiste en un lien nomologique:ces choses ont quelque chose de
commun si (et seulement si) il existe des lois (de physique, de psycholo-
gie, etc.) qui décriventleurs activitésde la même manière.En ce sens-là,
les corps et les idées n'ont rien de commun, et le fondement de toute
prédicationde quelquechose de commun reste à l'intérieurde l'attribut
spinoziste, conçu comme individu infini.22
Il ne faut pas prendre mon analyse pour une démonstration(même
provisoire) destinée à soutenir l'intelligibilitéde la doctrinespinoziste
des attributs.Cette doctrine reste assez ambiguë sur plusieurs points,
comme argumenteAquila.23Selon son analyse la tension et l'ambiguité
à l'intérieurde la notion spinoziste de l'attributprovient d'une confu-
sion entre deux conceptionsde l'identité,l'une stricteet l'autresimple-
ment formelle. Même en cette situation pourtantSpinoza se trouve en
compagnie de ces nominalistes contemporainscomme Goodman, qui
remplacent l'identité par une notion d'isomorphisme qui est moins
stricte.24Tout ce que je veux souligner ici, c'est que Spinoza peut bien
23 Voir l'étude citée de Richard Aquila, pour qui les attributs ont un statut équivoque
et générateur de tensions. D'une part ils ne se distinguent pas de la substance, et
sont les constituants ultimes de la réalité. Mais d'autre part ils sont les formes pour
la détermination possible de la substance.
25 CTI,6;CTI,10
26 CM U; CM II, 7
29 E2P40Scholl,E2P48Schol,etE4Préf
30 Mais pas du tout les seuls exemples qu'il donne. Les modes infinis, dont la nature
reste assez obscure dans l'exposition de Spinoza, en fournissent d'autres. En ce qui
concerne la question du nominalisme, ces modes peuvent bien être ignorés; car ils
sont clairement des 'super-individus' dont les modes finis font partie. Voir A.
Rivaud, Les notions d'essenceet d'existencedans la philosophiede Spinoza (Paris: Alcan
1906), 84-7.
C'est de causes semblables que proviennent les notions que Ton appelle universelles,
comme homme, cheval, chien, etc. Dans le corps humain, il se forme ensemble tant
d'images d'hommes, par exemple, que le pouvoir d'imaginer est débordé, sinon
totalement, du moins assez pour que l'esprit ne puisse imaginer distinctement les
petites différences des êtres singuliers....32
31 'Attamen ne quid horum omittam, quod scitu necessarium sit, causas breviter
addam, ex quibus termini transcendentalesdicti suam duxerunt originem, ut ens, res,
aliquid. Hi termini ex hoc oriuntur, quod scilicet humanum corpus, quandoquidem
limitatum est, tantum est capax certi imaginum numeri ... in se distincte simul
formandi; qui se excedatur, hae imagines confundi incipient; et si hic imaginum
numerus, quarum corpus est capax, ut eas in se simul distincte formet, longe
excedatur, omnes inter se plane confundentur' (E2P40Scholl).
32 'Ex similibus deinde causis ortae sunt notiones illae, quae universellesvocant, ut
homo, equus, canis, etc. Videlicet, quia in corpore humano tôt imagines ex. gr.
hominum formantur simul, ut vim imaginandi, non quidem penitus, sed eo usque
tamen superent, ut singulorum parvas différencias ... nequeat ../ (Ibid.).
33 Voir Haserot, 54-8; et aussi Steinberg, 'Spinoza's Ethical Doctrine and the Unity of
Human Nature.' L'analyse de Steinberg ne s'accorde pas avec celle de Haserot en
tous points, mais les différences ne concernent pas de la question de nominalisme.
Pour une critique de cette notion de la nature humaine en ses rapports avec
l'anthropologie spinoziste, voir Lee Rice, 'Tanquamhumanaenaturaeexemplar:Spi-
noza on Human Nature/ Une notion différente de celle que présentent Steinberg et
Nous avons en effet l'habitude de ramener tous les individus de la nature à un seul
genre, qu'on appelle genre suprême; c'est-à-dire à la notion d'être, qui appartient,
absolument parlant, à tous les individus de la nature.... En ce qui concerne le bien
et le mal, ces termes n'indiquent non plus rien de positif dans les choses, considérées
en elles-mêmes, et le bien et le mal ne sont rien d'autre que des modes du penser
ou des notions que nous formons parce que nous comparons les choses entre elles.
(E4Préf)
Le rôle que joue un tel modèle de la nature humaine, bien qu'il soit le
modèle d'un individu, ne seraitpas sans ses propres difficultéspour la
moralespinoziste, mais ces problèmesne nous occupent ici.35
Ce passageest souvent associéà celui de ElP17Schol,où Spinozaparle
de l'essence humaine:
Par exemple un homme est cause de l'existence d'un autre homme, mais non pas
de son essence; car celle-ci est une vérité éternelle; ils peuvent donc, quant à
l'essence, avoir quelque chose de commun, mais ils doivent être différents quant à
Haserot se trouve chez Lucia Lermond, Human Essence in Spinoza's Ethics (Leiden:
E.J.Brill 1988), 45-72. Une revue critique par P.-F. Moreau se trouve dans le Bulletin
de BibliographieSpinoziste 11 (1989) 26-7; et une revue plus favorable par J.T. Cook
se trouve dans les Studia Spinozana4 (1988) 415-19.
34 Bennett, 345-7, examine plusieurs de ces remarques, pour conclure que Spinoza
n'est pas soigneux en ses généralisations sur la nature ou le comportement humains.
35 Mais les suggestions de John Lachs sont pertinentes à une solution générale du
problème d'une théorie morale qui saurait rester fidèle à l'inspiration nominaliste,
et elles ne semblent pas contredire la structure de la morale présentée par Spinoza
en E4 et E5. Voir John Lachs, "The Philosophical Significance of Psychological
Différences Among Humans,' Southern JournalofPhilosophy 29 (1991) 329-39; Lee
Rice, 'Tanquamnaturae humanae exemplar:Human Nature in Spinoza'; et aussi E.
Balibar, Spinozaet la politique(Paris: Presses Universitaires de France 1990), 91-105.
l'existence. Par suite, si l'un cesse d'exister, l'autre n'en périra pas pour autant, mais
si l'essence de l'un pouvait être détruite et devenir fausse, l'essence de l'autre serait
également détruite.
36 'L'essence ainsi déduite n'est pas l'essence singulière de la chose, c'est son essence
universelle ou spécifique, sa nature intime, c'est par exemple l'essence de tout
homme, telle que, si elle est ôtée, tout homme est ôté, et non l'essence singulière de
cet homme-ci ou de cet homme-là, Pierre ou Paul' (Martial Gueroult, Spinoza, II,
l'Ame (Paris: Aubier-Montaigne 1974, 527).
37 'Sed cum omnia singularia, praeter illa, quae a suis similibus producuntur, différant
a suis causis, tam essentiâ quam existentiâ, nullam hinc dubitandi rationem video'
(Ep64, Van Vloten et Land, 3, 206).
IV Conclusion
39 Voir 'Body Essence and Mind Eternity in Spinoza/ Spinoza:Issues and Directions, E.
Curley et P.-F. Moreau, éd. (Leiden: Brill 1990), 85-7.
40 Voir Albert Rivaud: 'Dans ces conditions, le problème des universaux se pose à
Descartes sous un aspect très particulier. La suppression de la matière indéterminée
de la philosophie classique entraîne en apparence l'impossibilité de distinguer
l'élément périssable et l'élément éternel de l'individualité' ('Quelques remarques
sur la notion d'essence dans les doctrines de Descartes et de Spinoza,' Septimana
Sinozana [La Haye: M. Nijhoff 1933], 218).
Spinoza; mais cela est une autre histoire. L'ordremême selon lequel
Spinoza développe l'Ethiquene suggérerait-ilpas qu'on doit résoudre
les problèmesde la morale selon les exigences du nominalismeau lieu
d'approcherleur conciliationdans l'ordreinverse?
Received:September1991
Revised:August 1992