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Belgique Politique \

m !l y a quelques jours, le bourgmestre


de Dinant a renoncé à son mandat.
La violence exercée contre lui sur le Web
y a contribué.
m L'avènement d'outils comme Twitter
ou Facebook a provoqué de nouveaux
modes de communication politique.
Ceux-ci sont à double tranchant.

Les élus craquent ©


sous la pression
des réseaux sociaux Depuis les smartphones,lestv

e problème est aussi ancien que l'existence


des réseaux sociaux: la violence verbale et
parfois même les menaces physiques dont -
“Le débat démocratique en ligne est un je
font preuvecertains mécontents à l'égard
Entretien Frédéric Chardon Dansl’évolution actuelle, je pointerais entre autres sophe allemandJiirgen Habe:
des élus poussent ces derniers à jeter .
l'émergence de néologismes commele “doxing”, qui des de la démocratie délibéra
l'éponge. Tout récemment,c'était le bourgmestre
N icolas Baygert est spécialiste de la communi- consiste à révéler des informations qui permettent décisions, NdIR).
de Dinant, le CDH Axel Tixhon, qui annonçait
cation politique.Il constate un accroissem ent d'identifier une personne sur le Web avec des don-
mettre fin à son engagementpolitique. Sa justifi-
de la violence enligne contre les élus. Il estime nées précises. Il y a aussile “dogpiling”, cette utopie Inversement, des mandataire
cation? Préserver sa santé, qui vacillait. La gestion
toutefois que les mandataires doivent s’imposer qui consiste à transformer Internet et les réseaux en ternet.Ils tendentle baton p
de crise qui a suivi les inondations l’a mis à
-unediscipl ine numérique. À trop vouloir s’exposer "un “Safe Space”, un espace sûr pour les minorités, un Il y a un rajeunissementtr
l'épreuve. Mais les attaques qu’il a subies sur In-
sur les réseaux sociaux, notamment de manière lu- espace où elles neseraient pas dominées. Pour cela, personnel politique et l’a
ternet ont fortement contribué à sa démission, t en ligne est effectué par un grand de ce qu’on pourrait appele
trois ans après son arrivéeà l'hôtelde ville. dique, on ouvrela porte à son propre cyberharcèl e- un harcèlemen
ment. nombre de comptes qui s’acharnent alors sur uneci- liticiens influenceurs”: l’él
Le cas d’Axel Tixhonestloin d’être isolé.Surles ble qui peut être une personnalité unesorte de “community
réseaux sociaux tels que Twitter ou Facebook, la politique, par exemple. Toutcela par- qui gère sa marque sur la
vindicte est devenue la nouvelle norme. Les La virulence des critiques sur les ré-
seaux sociaux contre les mandataires ticipeà la fameuse “cancelculture”. plan de communication :
moindresfaux pas des ministres, des députés, de lisé. En Belgique francophc
n'importe quel décideur public, sont passés au politiques est-elle en augmentation?
Il y a uneplus grande exposition des Dans ce climat, vouloir mener une car- a moins d’espace médiatiq:
crible par de nouveaux censeurs, souvent anonÿ- rière politique et assumer ses positions pour les mandataires qu’e
mes. Par conséquent,le personnel politique cra- mandataires sur les différentes plate-
JEAN LUC FLEMAL ©

formes. Par conséquent, ils s'offrent est donc devenu bien plus périlleux que c’est aussi un moyen d’obts
que,et c’est humain. x par le passé? pital sympathie.
Pensons notamment à l’ancienne coprésidente . davantage aux retours négatifs ou
toxiques. On l’observe dans l’espace Oui. Avec un nouveau dilemme qui
d’Écolo, Zakia Khattabi, désormais ministre fédé- dE
se pose pour les mandataires: être ou Certains élus semblent passe
rale de l'Environnement, qui a fini par quitter francophone: il y a une radicalisation
des camps sur les : réseaux ‘
sociaux Nicolas Baygert - ne pas être sur les réseaux sociaux... . leur page Facebook,il est vr:
Twitter en 2019 après avoir vécu un bombarde- Car il y a un coût certain à ne pas y Je constate un changement
mentsur le Web. Elle confiait alors recevoir par dans une atmosphère plus violente Spécialiste en communication
qu’il y a cing ou dix ans. L'activisme politique, professeur à 'Ihecs être présent, surtout pour ceux qui nalités politiques très acti
moments des centaines de messageset de notifi-. et à Science Po Paris ne pourraient avoir de visibilité via tualité pour proposersur I
cations enragées par minute. Après un an de __enligne peut produire beaucoup de une classique conférence de presse, drage en adéquation avecle
dégâts. L’activisme spontané du genre à
pause, elle est finalement redevenueactive sur La pression est très claire. Je pense no- -les deviennent a la fois
“MeToo” ou “Black Lives Matter” est clairement en par exemple.
Twitter, mais y fait profil bas afin de se préserver. à la démissio n du ministre germanophone propres actions et des su:
expansion. Il n’est plus véritablem entlié à uneorga- tamment
Le climat sur la Toile semble se détériorer. Afin nement Harald Mollers en 2020. 1] s'était une communication inst
nisation politique, mais plutôt à des engagemen ts de l'Enseig
de décortiquer ce phénomèneinquiétant, La Li- de la politique car les attaquessu biessur lesré- souvent épidermiques où
és, et cela induit une exposition aux criti- retiré
bre a interrogé Nicolas Baygert, expert en Com- décentralis
sociaux étaient devenue s insupport ables pour lité ne sont pas toujours E
ques qui peuvent venir de toute part. : seaux
munication et professeur à l'Thecs et à Science Po
lui. Onle voit, avec les réseaux sociaux, on est loin de l'inverse d’une discussion
Paris.
FC Comment procèdent ces nouveaux activistes ? l'utopie habermassienne del’espace public (le philo- dualisation des communic

La Libre Belgique - lundi 23 août 2021


SHUTTERSTOCK
aux élus... Certains d’ entre eux récoltent toutefois la monnaie de leur pièce. -
Depuis les smartphones,les tweets des “trolls” peuvent faire beaucoup de mal
(

est un jeu de dupes”


parallèlement, une mise au second plan des partis poli- Commentles élus s’adaptent-ils 4 cette violence?
sophe allemand Jürgen Habermas estimait que les métho- Quandelles voient qu’il y a un effet de buzz, certaines
des de la démocratie délibérative fondentla légitimité des tiques.
personnalités vont déminer, se préparer davantage
décisions, NdlR).
Les réseaux sociaux sont un défouloir. Qu’est-ce que cela pour ne pas être dans le chemin de cette mobilisation.
dit de nous et de notre démocratie? Toutefois, d’autres élus utilisent les réseaux sociaux
Inversement, des mandataires se mettent en scène sur In- commedes sociologues, afin detenter desentir l’'émo-
ternet. Ils tendentle bâton pourse faire battre, non? Je nesais plus qui a dit que Trump était le président des
gens qui publient des commentaires tion du momentsur le Web et, ensuite, d’incarner cette
Il y a un rajeunissement très clair du foule sentimentale numérique. Les mandataires doi-
personnel politique et l'avènement “Les réseaux sociaux dans les articles de presse en lignes. ventfaire leur autocritique. Certains ontatteint un tel
À Les réseaux sociaux dévoilentla face
de ce qu’on pourrait appeler des “po- et cela niveau d'exposition sur ces plateformes, un tel niveau
liticiens influenceurs”: 2l'élu devientEd SONCONÇUS POUT sombre de certains individus
2 SA
d’accessibilité, que cela peut créer un engrenage toxi-
aa, ne
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aoee ee ls, animes ture qui nous confronte aux points de


que.Il y a dela naïvetéà croire queces vitrines de mar-
ques politiques pourront être tenues sans être tou-
communication individua- conflictue
fstenneancophonety parune dynamique vbsded.
plan de chées par le cyberharcèlement, qui débouche parfois
3 sur un burn outpolitique.
9 °
pour les mandataires qu’en Flandre, dexcommunication tupération. Les réseaux sociaux, et
surtout Twitter, sont’ des matrices Finalement, les réseaux sociaux ne sont-ils pas plus dange-"
c’est aussi un moyen d’obtenir du ca- permanente. 2
d'indignation. C'est leur “business reux pour la démocratie que bénéfiques ?
pital sympathie. Ce qui esteffectivement dangereux,c’est qu’on a délé-
model”. Les réseaux sociaux sont con-
cus pour être des espaces conflictuels et polémiques, guéle principe même dela régulation du débat public
Certains élus semblent passerl’essentiel de leur temps sur aux Gafam. On l’a bien vu lors des dernières élections
animés par une dynamique d’excommunication per-
leur page Facebook,il estvrai...
manente,et les mandataires sont en première ligne. Le américaines lorsque le compte du Président en exer-
Je constate un changementde temporalité: les person- cice, Donald Trump, avait été supprimé.Il y a des ques-
nalités politiques très actives vont s'emparer de l’ac- débat démocratique en ligne est un jeu de dupes. At-
tention, les débats politiques à la télévision relèvent tions à se poser au niveau européen: à quel point laisse-
tualité pour proposer sur les réseaux sociaux leur ca- t-on à ces entreprises privéesle soin de dicterle tempo:
drage en adéquation avec leur ancrage idéologique. El- depuis longtemps d’une juxtaposition de postures et
pas d’un dialogue.Sur Internet, toutefois, il y a une ag- politique et le cadre même du débat public? Elles ont
les deviennent à la fois les chroniqueurs de leurs peut-être d’autres idées en tête que defavoriser.
propres actions et des sujets chauds. Cela implique gravation dela conflictualité. On a l'impression de dé-
couvrir tout cela aujourd’hui. Cela mefait rire quand je l'émergence d’une agora respectable... Il faut aussi in”
une communication instantanée, des monologues viter les mandataires qui ont décidé d'investir de ma: _
souvent épidermiques où le second degré et la subti- vois que Facebook veut sévir par rapport à tel ou tel
comptealors que son modèle économique favorise les nière omniprésente les réseaux sociaux à un peuplus
lité ne sont pas toujours présents... C'est exactement de discipline politique. ;
l'inverse d’une discussion argumentée. Cette indivi- chocs des ego entre personnes qui ont été au préalable
dualisation des communicationspolitiques provoque, fanatisées dans leur point de vue! |

lundi 23 août 2021 - La Libre Belgique En

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