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9/2/2015 Image 

and Narrative ­ Article

Online Magazine of the Visual Narrative ­ ISSN 1780­678X

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  Issue 21. L'Affiche contemporaine : Discours, supports, stratégies

Figures de l'affiche : La rhétorique de
l'image/texte dans l'affiche française
Author: David Scott 
Published: March 2008
Abstract (E): The poster, which began in the 18 th century as little more
than a carefully typographed notice, began in the 19 th century to enrich itself
with visual or pictorial elements. It was only at the start of the 20 th century
however that the poster transformed itself into a truly integral combination of
textual and visual elements. From this time onward, the poster was no longer a
text plus image or an image plus text but an image­text and a certain
rhétorique de l'image­texte established itself. These new figures in turn called
for new strategies of reading following a logic that only began to be theorised
in the 1960s. The aim of my paper is to answer the following questions: what
are the elements of this rhétorique de l'image­texte ? What is at stake in the
word­image relation within the poster? Why was this new rhetoric inaugurated
only at the beginning of the 20 th century? Finally, to what particular publicity
needs and demands does it answer?
Abstract (F): Si l'affiche française, qui au début de l'ère moderne (fin XVIII e
siècle) n'était qu'une annonce ou un texte, s'enrichit d'éléments visuels ou
picturaux au cours du XIX e siècle, ce n'est qu'au début du XX e siècle qu'elle
se transforme en une combinaison vraiment intégrale d'éléments textuels et
visuel. À partir de ce moment, l'affiche n'est plus un texte plus image ni une
image plus texte mais un texte/image et une rhétorique de l'image/texte
s'instaure. Ces nouvelles figures de l'affiche appellent à leur tour de nouvelles
stratégies de lecture suivant une logique qui ne sera théorisée qu'à partir des
années 60. Le but de cet article sera d'essayer de répondre aux questions
suivantes : quels sont les éléments de cette rhétorique de l'image/texte ? Quels
sont les enjeux du rapport texte/image à l'intérieur de l'affiche ? Pourquoi cette
rhétorique s'inaugure­t­elle au début du XXe siècle ? Finalement, quels sont les
besoins principaux de publicité auxquels elle répond ?
keywords: Barthes, rhetoric of the image, textual/visual articulation, reader­
response, hands, logo, rébus

To cite this article:

Scott, D. Figures de l'affiche : La rhétorique de l'image/texte dans l'affiche
française. Image [&] Narrative [e­journal], 21 (2008). 
Available: http://www.imageandnarrative.be/affiche_contemporaine/scott.htm

 
L'affiche française, qui au début de l'ère moderne (fin XVIII e siècle) n'était
qu'une notice ou un texte, commença au cours du XIX e siècle à s'enrichir
d'éléments visuels ou picturaux. Au début, ce furent des éléments picturaux qui
illustraient le texte de l'affiche ; plus tard, pendant l'ère des affichistes/artistes
tels que Chéret et Toulouse­Lautrec, l'affiche devint elle­même un tableau auquel
des éléments de texte étaient pour ainsi dire surajoutés. Ce ne fut qu'au début du
XX e siècle que l'affiche se transforma en une combinaison vraiment intégrale
d'éléments textuels et visuels.

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fig. 1, Joost Schmidt, Affiche exposition Bauhaus (1923)

À partir de ce moment, l'affiche n'était plus un texte plus image ni une image plus
texte mais un texte/image dont les éléments internes, comme dans un
idéogramme, étaient, du point de vue du sens, indissociables. À ce moment
crucial du développement de l'affiche moderne, insuffisamment remarqué
jusqu'ici, une certaine rhétorique de l'image ­ ou plutôt une rhétorique de
l'image/texte ­ s'instaura, rhétorique qui allait répondre aux nouvelles figures que
l'affiche en tant que texte/image était vouée à créer. Ces nouvelles figures de
l'affiche appelleraient à leur tour de nouvelles stratégies de lecture suivant une
logique qui ne sera théorisée qu'à partir des années 60 (Barthes). Le but de mon
intervention sera d'essayer de répondre aux questions suivantes : quels sont les
éléments de cette rhétorique de l'image/texte? Quels sont les enjeux du rapport
texte/image à l'intérieur de l'affiche? Pourquoi cette rhétorique apparaît­elle au
début du XX e siècle? Finalement, quels sont les besoins principaux de la publicité
auxquels elle répond?

Mais avant de répondre à ces questions, essayons d'abord de différencier notre
position vis­à­vis du concept de rhétorique de l'image de celle esquissée par
Roland Barthes dans son essai, encore célèbre, de ce titre publié dans
Communications de 1964. Pour aller vite, quoique Barthes admette près du début
de son exposé, que le message linguistique constitue l'un des trois principaux
messages livrés par l'image publicitaire qu'il analyse ­ les deux autres étant
l'image dénotée et l'image connotée ou symbolique (c'est­à­dire les deux côtés du
message visuel) ­ il tend à analyser ces trois éléments séparément. Certes il
souligne la connivence qui fait fatalement de toute image une image­texte, en
constatant " qu'il n'est pas très juste de parler d'une civilisation de l'image : nous
sommes encore et plus que jamais une civilisation de l'écriture, parce que
l'écriture et la parole sont toujours des termes pleins de la structure
informationnelle " (Barthes, p. 43).

Mais il ne répond pas à l'appel de cette constatation en élaborant justement une
rhétorique de l'image­texte qui, comme j'essaierai de le montrer, expliquerait la
contamination mutuelle des éléments textuels et visuels au c�ur de l'image
publicitaire. Barthes se limite plutôt à souligner les deux fonctions principales du
message linguistique par rapport au message iconique (double) : l'ancrage et le
relais. Le rôle de l'ancrage est de diriger le lecteur entre les signifiants de l'image,
pendant que le relais, fonction utilisée surtout dans les dessins humoristiques ou
les bandes dessinées, est un fragment d'un syntagme plus général qui " assure
l'unité du message à un niveau supérieur : celui de l'histoire " (Barthes, p. 45). De
même, tandis que pour Barthes une rhétorique constitue d'abord " un ensemble
de connotateurs ", la " face signifiante d'une idéologie " (Barthes, p. 49), pour moi
elle garde encore sa fonction d'agent de persuasion, qui, justement se renforce en
synthétisant les éléments textuels et visuels qui constituent l'image.

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Je commencerai par esquisser une très rapide historique de l'évolution de l'affiche
pour souligner en particulier la manière dont les éléments textuels et visuels
s'intègrent. Au début de l'ère moderne (XVII­XVIII e siècles), l'affiche primitive
n'était qu'un avis officiel ou un texte. Même ici, cependant, l'utilisation de
différentes tailles et formes de caractères typographiques renforçait le potentiel
visuel du message. D'autres annonces de cette époque, utilisaient un écusson ou
autre motif iconique pour marquer, pour ainsi dire, le statut " annonce " du texte
et pour attirer l'�il de l'observateur. Avec le perfectionnement au début du XIX e
siècle des processus susceptibles de réunir texte et image sur la même planche ­
tels que la lithographie et la gravure sur bout de bois ­ l'affiche se transforma
d'une manière radicale : à partir de ce moment, l'image devint aussi importante ­
parfois même plus importante ­ que le texte lui­même, celui­ci se réduisant pour
laisser " parler " l'image qui l'accompagnait. Ainsi dans une affiche qui fait la
publicité du journal républicain La République (1848), mis à part le grand titre, ce
sont les éléments picturaux de l'image ­ figures humaines, drapeau tricolore ­ qui
constituent l'essentiel du message. On note d'ailleurs ici comment l'un des
principaux éléments picturaux de l'image ­ le drapeau tricolore ­ devient lui­même
le support d'un texte : ainsi est inscrit sur le " blanc " du bleu, blanc, rouge le
message républicain " Liberté, Égalité, Fraternité ".

fig. 2, André Gill, Affiche électorale (1879)

Un élément crucial du développement d'un rapport intégral entre texte et image à
l'intérieur de l'affiche sera la manière dont les éléments visuels commenceront à
s'agencer suivant une logique textuelle (syntaxique et linéaire) pendant que les
éléments textuels se disposeront d'une manière plus spatiale ou picturale (fig. 1).
Ainsi dans une affiche électorale de 1879 (fig. 2), on lit l'image de gauche à droite
comme si c'était un texte. Les éléments picturaux ­ ​
les candidats républicain et
monarchiste respectivement ­ se disposent d'une manière linéaire et logique et
constituent une espèce de phrase picturale. En même temps les éléments textuels
qui clarifient les images ­ surtout l'injonction " CHOISISSEZ " ­ sont disposés
d'une manière à la fois textuelle et visuelle. Ainsi le mot " CHOISISSEZ " est non
seulement placé dans une position logique ou syntaxique entre les deux entités
grammaticales qui constituent l'objet du choix, mais aussi disposé, en caractères
majuscules gras en diagonale , ce qui souligne ou indique d'une manière fort
visuelle l'injonction qui constitue le message principal de l'affiche. Il est à noter
qu'une disposition diagonale d'élément textuel transforme celui­ci fatalement en
élément iconique et devient ainsi signe de l'affiche (figs. 1 et 5).

On peut déduire de cette rapide démonstration trois tendances profondes de
l'affiche moderne. D'abord, quand texte et image se rencontrent sur une même
feuille pour articuler un message publicitaire ou de propagande, ils tendent de
plus en plus ­ subissant une espèce de contamination mutuelle ­ à emprunter au
système opposé des éléments d'articulation et de structuration. Ainsi le texte,
dont le statut sémiotique primaire est symbolique et arbitraire, commence à se
transformer en icône, c'est­à­dire en une image qui, profitant d'une certaine
liberté spatiale, tend à reproduire en partie la forme de son objet. De l'autre côté,
l'image commence à se fragmenter pour faciliter une disposition plus logique ou
syntaxique des éléments spatiaux qui la constituent. Deuxième tendance : cet
échange réciproque de caractéristiques ou de dispositions formelles entre texte et

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image mène à une intégration de plus en plus indissociable des éléments qui
constituent l'affiche : mot et image suivent une double logique, logique qui est à la
fois syntaxique et picturale, textuelle et visuelle (fig. 1). Le rapport
complémentaire établi entre texte et image au cours du XIX e siècle, se
transforme donc à partir du XX e en une synthèse originale qui deviendra celle du
texte/image ou image/texte. Troisième tendance : cette intégration inédite
d'éléments textuels et visuels sur un même support ou à l'intérieur d'un même
format instaurera une nouvelle rhétorique du texte/image. Cette nouvelle figure
prendra la forme d'une rhétorique de persuasion qui tirera une partie essentielle
de sa puissance du double niveau d'articulation ou de communication opératoire
dans l'affiche moderne. Ce sera donc le but de l'affiche moderne de séduire le
récepteur de son message en faisant appel à la fois à son évaluation, en tant que
lecteur, de la logique du message, et à son appréciation, en tant qu'observateur,
du charme à la fois de l'aspect visuel du message et de la manière dont les deux
aspects, textuels et visuels, se réunissent pour opérer leur magie. Ainsi, dans une
certaine mesure, l'affiche devient un jeu (fig. 3). C'est en entrant dans ce jeu que
le récepteur tire une partie de son plaisir et c'est en proposant ce plaisir ludique
que l'affiche tire du récepteur une certaine adhésion au message, au produit ou à
la marque qu'elle promeut. C'est le but du reste de mon exposé d'examiner d'un
peu plus près les enjeux de ces tendances et la manière dont l'affiche se structure
pour en exploiter le potentiel rhétorique.

fig. 3, Bell, L'Engrenage fatal (1932)

Examinons donc d'abord la construction et l'articulation des éléments internes qui
constituent l'image/texte. Souvent ils sont tirés des arts visuels avant­gardistes du
début du XX e siècle ­ cubisme, futurisme, constructivisme ­ arts qui à leur tour
empruntent à l'affiche publicitaire des stratégies et des structures de
communication visuelle. Ainsi, collage, montage, superposition, substitution,
juxtaposition et autres moyens d'agencement formel sont parmi les moyens les
plus efficaces pour créer un rapport intégral entre texte et image ­ que ce soit
dans le tableau ou dans l'affiche. Une nouvelle rhétorique de l'image commence
donc à être élaborée par les arts visuels ainsi que par la publicité précisément au
moment de l'ère moderne où, avec l'accélération de la vie, le développement de
produits à une échelle industrielle et l'urbanisation de la vie sociale, les messages
doivent être communiqués de plus en plus rapidement et faire face à une
compétition médiatique de plus en plus intense. Nous trouvons donc les
techniques et les astuces plastiques qu'un artiste d'avant­garde tel que Fernand
Léger utilise pour faire imposer ses images dans le contexte d'un monde industriel
et urbain ­ surtout celles qui promeuvent une certaine économie de l'expression ­
reprises par les graphistes de l'affiche. Par exemple la simple superposition,
exploitée par Léger dans ses tableaux des années 20, est reprise par Cassandre
dans ses affiches des années 30, comme par exemple, Wagon Bar (1932) où les
trois propositions verbales groupées en bas de page ­ " wagon bar " ; " restaurez­
vous " ; et " consommations ­ petits repas " ­ trouvent leur réplique dans les trois

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groupes d'éléments visuels ­ fragment de bogie de train ; siphon, bouteille et
verres ; pain. L'emboîtement élégant et économe au niveau visuel des prestations
de consommation et les précisions correspondantes au niveau textuel des
services offerts par le wagon­bar constituent chacun à son niveau des éléments
décisifs de persuasion.

fig. 4, Paul Devaux, Vichy (c. 1930)

Dans son affiche de 1930 promouvant la station thermale de Vichy (fig. 4), Paul
Devaux propose une formule texte/image encore plus économe. Ici, il y a quatre
niveaux de représentation picturale auxquels est surajouté finalement le message
textuel " VICHY ". S'établit donc en quelque sorte une syntaxe picturale mise en
abyme où le mot clé " VICHY " donne la réplique aux images qui se succèdent en
un ordre logique d'échelle grandissante : la fontaine qui signifie à la fois l'eau et
les thermes de Vichy ; la carte de France, pays où est située la ville avec ses
bains thermaux et qui souligne son importance nationale ; le globe qui signifie la
réputation mondiale de la ville des eaux ; et finalement les cercles concentriques
ou ondulations dont les couleurs, qui évoluent en une gamme qui passe du blanc
(fraîcheur de l'eau) au bleu intense (chaleur du ciel), évoquent d'une manière
abstraite les plaisirs sains du lieu. Il est à noter ici que la structure de l'affiche
dans son ensemble est exactement celle du logo et que l'image de Vichy évoquée
pourrait en effet devenir la marque de la ville. Nous verrons plus loin comment ce
rapport étroit entre le logo et l'affiche sera exploité par la publicité, pour
promouvoir, non seulement le produit ou le service à vendre, mais aussi le logo
pour son propre compte en tant que signe de marque (pour le logo voir Scott,
1993 et Heilbrunn).

Dans l'affiche de propagande anti­communiste de Bell de 1932 (fig. 3), déjà
évoquée, la proposition textuelle est plus complexe et appelle une proposition
picturale proportionnellement compréhensive. Le point de départ de la proposition
texte/image ici est un jeu de mots/jeu d'images sur le concept de l'engrenage. Ici
l'engrenage politique trouve sa réplique dans l'engrenage mécanique où l'homme
se trouve embrouillé dans le premier cas au sens idéologique, dans le second
littéralement : ainsi quand le Cartel socialiste français emboîte le pas au
communisme soviétique, le pignon français s'emboîte dans le pignon russe ; le
résultat au niveau physique ou littéral d'une telle éventualité est évoqué d'une
manière fort graphique dans l'affiche où on voit le corps et les vêtements de
l'homme sur le point de se laisser entraîner par l'engrenage des pignons ; le
résultat idéologique ou historique de cette éventualité est évoqué par les
fragments de texte ­ RUINE, GUERRE, MISÈRE ­ qui d'une manière symétrique
sont expulsés de l'autre côté de l'engrenage. Nous retrouvons donc établie ici,
comme dans l'affiche de 1879 (fig. 2), l'expression d'une conception logique qui
est fonction d'une relation symbiotique entre les éléments textuels et visuels.

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L'aspect ludique de cette proposition est souligné par le côté humoristique de
l'image où on voit l'homme pour ainsi dire attrapé dans un engrenage de sa
propre fabrication. En même temps, le côté grave du message est souligné par la
peine sentie sans doute par le récepteur qui voit sa propre image impliquée dans
une situation pénible. C'est ainsi qu'une certaine rhétorique de persuasion se
manifeste à travers l'image/texte.

L'utilisation du montage photographique, surtout dans l'affiche de propagande,
peut mettre encore plus en valeur le potentiel persuasif du message idéologique.
Ainsi dans une affiche célèbre de Jean Carlu de 1937 émise par les Républicains
espagnols, la présentation en forme de photo d'une victime des bombardements
madrilènes rehausse l'identification du récepteur avec la jeune fille ; car la photo,
étant un signe indiciaire aussi bien qu'iconique, renforce le sentiment d'horreur
que l'observateur sent devant la mort d'innocents civils. La manière dont la ligne
diagonale en rouge sang, qui souligne la proposition " BOMBES SUR MADRID ",
coupe le front de la jeune fille est surtout choquante. Elle exprime d'une manière
efficace l'idée de la traînée de sang que les avions militaires allemands survolant
l'Espagne laissent derrière eux. Comme c'était le cas avec l'affiche de Bell (fig. 3),
tous les éléments textuels et visuels se réunissent ici pour créer un message
intégral qui appelle l'attention et demande l'adhésion du lecteur/ observateur.

fig. 5, Cassandre, L'Intransigeant (1925)

La conscience du graphiste des procédés qu'il utilise en construisant son message
est souvent mis en évidence par l'affiche elle­même qui, dans les mains des
grands artistes de l'affiche tels que Cassandre ou Jean Carlu, devient une espèce
d'allégorie de ses propres opérations sémiotiques. Ainsi, dans son affiche pour le
journal L'Intransigeant (fig. 5), Cassandre montre comment la publicité propose,
comme le journal politique, un message intransigeant qui frappe l'attention et
attire l'adhésion du lecteur/ observateur en fournissant une image/proposition
séductrice et persuasive. Ici donc, comme l'allégorie du journal L'Intransigeant qui
prend la forme d'un visage humain à la bouche ouverte, l'affiche est une
image/texte qui parle et dont l'éloquence est justement une fonction de la
coordination des éléments textuels et visuels qu'elle intègre. Ainsi Cassandre se
permet­il de couper le titre même du journal que l'affiche promeut pour mieux
l'intégrer dans un schéma visuel tandis que, à leur tour, les fils télégraphiques,
symbolisant la télégraphie rapide des opinions et des événements que le journal,
comme l'affiche, assure, entrent en un rapport de tension dynamique avec les
caractères typographiques (pour une analyse perspicace de cette affiche, voir
Fresnault­Deruelle, pp. 103­109).

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fig. 6, Cassandre, Thomson (1931)

Puisque l'affiche est avant tout un signe indiciaire, indiquant un produit, un
service, un point de vue idéologique ou tout simplement une marque, la main ou
le doigt qui indique, maintes fois repris par la publicité, devient pour ainsi dire un
signe de l'affiche. Ainsi dans sa publicité pour Thomson de 1931 (fig. 6),
Cassandre élabore tout un jeu de correspondances autour de la main en tant que
mot aussi bien qu'en tant que signe visuel. La superposition du mot " THOMSON "
sur la main bleue, premier motif visuel de la composition, établit le lien non
seulement entre les deux éléments ­ Thomson égale la main (­d'�uvre), le coup
de main qui facilite les besognes domestiques ­ mais aussi entre les deux
systèmes ­ textuels et visuels ­ qui, en se coordonnant, assurent la transmission
efficace du message. En entrant dans le jeu de mots textuel/visuel main/main­
d'�uvre le lecteur/observateur branché ne peut pas manquer de se laisser
entraîner par l'engrenage des éléments proposés.

fig. 7, Jean Carlu, Stop'em to sell'em (1947)

Un exemple encore plus frappant et explicite de l'allégorisation du rôle de la main
comme motif/motivation de l'affiche est fourni par la célèbre affiche de Jean Carlu
Stop'em to sell'em (fig. 7) conçue pour le Subway de New York. Ici le message ­

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Arrêter les clients pour leur vendre des objets ou des services ­ est exprimé d'une
manière visuelle en n'utilisant que le simple motif de la main. Ici celle­ci fait deux
signes au récepteur/observateur : la main blanche au centre, comme dans un
signe routier, dit " STOP " ou " Arrêtez " ; par contre, les trois mains ensemble,
mises en un rapport de quasi superposition, donnent l'impression de bouger et
constituent ainsi littéralement un signe de la main , signe qui attire l'attention du
passant. Ainsi cette feuille géniale de Carlu nous montre comment la main et
l'affiche arrivent à la fois à interpeller et à arrêter l'observateur.

fig. 8, Fritz Bühler, Roget et Gallet (1948)

Le potentiel séducteur de la main ou du doigt indiciaires est illustré encore plus
clairement par une affiche de Fritz Bühler de 1948 pour Roger & Gallet (fig. 8). Ici
nous voyons comment l'affiche se permet de réduire au strict minimum l'image
visuelle, ne retenant que la bouche et la main gantée de la femme qui applique
sur ses lèvres ourlées du rouge Roger & Gallet. Ces fragments visuels deviennent
donc comme des éléments de phrase grammaticale que l'affichiste coordonne
selon un schéma strictement logique : ainsi la main (sujet) applique le rouge à
lèvres (verbe) sur la bouche de la femme (l'objet). Il n'est besoin de nulle autre
précision. En même temps l'affiche, comme celles de Cassandre et de Jean Carlu,
constitue une allégorie des pouvoirs de séduction de la publicité : la belle main
gantée indique à l'observateur l'objet du désir en en cernant ses contours avec du
rouge.

Il devient évident donc que le développement au XX e siècle de l'affiche en tant
que texte/image est accompagné par l'élaboration plus ou moins consciente de la
part du graphiste d'une rhétorique de l'affiche ainsi que d'une taxinomie de motifs.
Pour la plupart, ces nouvelles formes et formules texte/image ­ dont les répliques
au niveau microcosmique sont le sigle, le logo et la marque ​
­ reproduisent celles
employées déjà depuis longtemps par l'écriture : ce sont au niveau formel les
figures traditionnelles de la métaphore et de la métonymie et, au niveau de la
lettre ou du mot, des formes mixtes telles que l'idéogramme et le rébus (jeu
construit autour d'éléments textuels et visuels). Dans mes recherches dans ce
domaine au long de la dernière décennie, j'ai pu analyser la structure interne de
ces figures. Ainsi en comparant les logos Air France et British Airways/BOAC
(Scott, 1993, pp. 109­127) j'ai pu approfondir le fonctionnement de la métaphore
visuelle ; en examinant les affiches de boxe, j'ai pu évaluer le rôle du poing ganté
en tant que métonymie de la main (Scott, 1996, pp. 85­97) ; et dans des affiches
promouvant le train et l'automobile à travers le motif de la vitesse, j'ai pu relever
la présence du rébus (Scott, 1997, pp. 270­278).

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fig. 9, Abram Games, Far better travel by BOAC (1951)

Avant de passer à une analyse rapide du rôle du rébus à l'intérieur de l'affiche
moderne, je voudrais montrer comment la logique du rébus et celle du logo sont
intimement liées ­ parfois même le logo est un rébus. Ce rapport intime
logo/rébus se manifeste le plus clairement là où le logo lui­même remplit la
fonction d'un indice non seulement du produit ou du service proposé mais aussi
d'une consigne de lecture du message visuel de l'affiche. Ainsi dans une affiche
BOAC de Abram Games (fig. 9), le logo Speedbird se transforme en flèches
signalétiques qui, en montant l'escalier roulant pour entrer dans l'avion, indiquent
au lecteur/observateur la direction qu'il doit suivre pour lire le message. En
suivant les flèches, le lecteur/observateur débouche sur une carte du monde où la
flèche/logo continue d' indiquer à la fois la bonne direction pour lire le message et
la direction suivie par les avions BOAC en parcourant le monde. Encore un
exemple d'intégration quasi complète par le signe visuel d'une syntaxe verbale où
l'affiche, dans son ensemble, se construit comme un jeu de société dans lequel la
pleine participation du lecteur/observateur est assurée par le plaisir que celui­ci
en tire.

fig. 10, Affiche politique (1967)

Pour conclure, donc, je reviens à cette figure de l'affiche qui en un sens est

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fondamentale, quoique le plus souvent cachée, soit par les habitudes de lecture,
soit par l'évidence même du message proposé par l'affiche. Je parle ici du rébus,
figure ludique dans laquelle une phrase est construite de fragments de mots, de
lettres et d'images picturales. En un sens, presque toute affiche est un rébus dans
la mesure où l'image visuelle centrale trouve sa pleine articulation et son sens
précis par le biais des mots ou des lettres qui l'accompagnent. Ainsi dans une
affiche politique de 1967, c'est la main, superposée sur le mot " vous " (fig. 10),
qui explique comment le rebus opère ­ c'est­à­dire par un processus de
substitution. Dans les fameuses affiches britanniques de propagande de la
Première Guerre mondiale, c'était le doigt du général Kitchener qui était le
substitut visuel du mot " vous " adressé au récepteur/conscrit éventuel du
message. Dans une autre affiche anglaise de conscription de 1914 (fig. 11) c'est
le mot " chapeau " qui est substitué dans un jeu humoristique par tout un étalage
de canotiers, képis et autres couvre­chefs, la position centrale du képi militaire
répondant à la question posée par l'affiche : quel chapeau faut­il porter ?
Finalement dans une affiche de style cubiste de 1927 signée Mackill Wilmink (fig.
12), le mot qui manque au message proposé est justement celui de la locomotive
dont l'image fonce à toute vitesse vers le lecteur/observateur. C'est ce même
procédé qui est utilisé aujourd'hui par les réclames Marlborough ou Benetton où il
y a une absence complète de texte ­ excepté dans le cas de Benetton ou la
marque joue le rôle d' ancrage (pour utiliser le terme de Barthes). Ici la stratégie
de l'affiche contemporaine est d'appeler le lecteur/observateur lui­même, censé
être très sophistiqué en tant que lecteur de signes, à fournir l'ancrage, le
fragment de texte ou de contexte qui rendrait intelligible le message de l'affiche.

fig. 11, Affiche anglaise de conscription (1914)

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fig. 12, Mackiel Wilmink, Lloyd Rapide Marseille (1927)

Pour terminer j'essayerai de fournir une rapide réponse à la dernière question
posée au début de mon exposé, à savoir : quels sont les besoins principaux de la
publicité auxquels une rhétorique de l'image/texte répond? Nous savons au moins
depuis Cassandre que l'affiche doit être un " message plastique ", comprenant
rapidité d'appréhension, impact, présence visuelle et persuasion. Plus récemment
la promotion du logo ou de la marque autant que d'un message commercial
ponctuel devient un desideratum. Il me semble que l'affiche arrive le mieux à
répondre à ces demandes multiples et complexes en créant un jeu basé plus ou
moins directement sur le rapport texte/image sur lequel la construction du
message publicitaire est fondée. Si en effet le lecteur/observateur entre dans ce
jeu et y trouve du plaisir, il sera fatalement persuadé sinon d'acheter le produit ou
le service, du moins d'accorder une certaine reconnaissance à la marque par
laquelle ceux­ci sont proposés. C'est donc en élaborant et en jouant sur une
rhétorique du texte/image que l'affiche répond le mieux au défi de la publicité
moderne.

Bibliographie
 

Barthes, Roland, " Rhétorique de l'image ", Communications , 4 (1964), 40­51.

Cassandre, Henri Mouran. Cassandre (Genève : Skira, 1985).

Deledalle, Gérard, Théorie et pratique du signe : Introduction à la sémiotique de
Charles S. Peirce (Paris : Payot, 1979, 1996).

Fresnault­Deruelle, Pierre, L'Image placardée : Pragmatique et rhétorique de
l'affiche (Paris : Nathan, 1997).

Gervereau, Laurent, La Propagande par l'affiche (Paris : Syros­Alternatives,
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________ , Les Images qui mentent : Histoire du visuel au XX e siècle (Paris :
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Guillemin, Alain, La Politique s'affiche. Les Affiches de la politique (Didier
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Heilbrunn, Benoît, Le Logo (Paris : Presses Universitaires de France, " Que sais­
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Moles, Abraham A., L'Affiche dans la société urbaine (Paris : Dunod, 1970).

Schneider, Danièle , La Pub détourne l'art (Genève : Éditions du Tricorne, 1999).

Scott, David, " Métaphore et métonymie visuelles : l'exemple de l'affiche de
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278.

Weill, Alain, Affiches politiques et sociales (Paris : Somogy, 1995).

   

 
David Scott est Professeur de Français à l'Université de Dublin, Trinity College,
où il tient une chaire personnelle en Études textuelles et visuelles. Auteur de livres
dans le domaine de l'histoire de l'art ( Paul Delvaux: Surrealizing the Nude ,
1992), de la relation texte­image ( Pictorialist Poetics , 1988), de la sémiotique (
European Stamp Design: A Semiotic Approach , 1995; Semiologies of Travel ,
2004), il a présenté en 2002 en collaboration avec Protée un dossier intitulé
Sémiologie et herméneutique du timbre­poste. Boxeur amateur, son livre L'Art et
l'esthétique de la boxe paraîtra fin 2007.

dscott@tcd.ie

   
   

   
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