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Pen See Critique Et Inter Disciplina Rite
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Résumé
Le développement de la pensée critique est une des compétences visées par le système scolaire. La
pensée critique, qui permet l’ancrage de valeurs et d’attitudes démocratiques spécifiques (liberté,
responsabilité, tolérance), est une problématique multidimensionnelle qui nécessite une approche
interdisciplinaire. Elle peut ainsi prendre en compte la complexité du monde auquel les élèves sont
confrontés tout en offrant un cadre dynamique pour l’exercice de cette pensée au travers de matières
scolaires, des « éducations à… » et, plus particulièrement, l’éducation à la citoyenneté.
Mots-clés
Sens critique, Valeurs civiques, Attitudes, Approche interdisciplinaire, «Éducation à …».
Abstract
The development of critical thinking is one of the skills targeted by the school system. This thinking
allows the integration of specific democratic values and attitudes (freedom, responsibility,
tolerance). It’s a multidimensional problem that requires an interdisciplinary approach to take into
account the complexity of the world to which students are and will be confronted, while providing a
dynamic framework for the exercise of these thinking in, between and through the different school
subjects, “education for...” and, in particular education for citizenship.
Keywords
Critical Thinking, Values, Attitudes, Interdisciplinarity, “Educations for ...”.
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INTRODUCTION
CADRE THÉORIQUE
La pensée critique
Pour agir avec justesse, une personne doit pouvoir se distancer de manière critique des valeurs et
des attitudes qui lui sont transmises afin de les accepter librement. Il est nécessaire que la personne
puisse faire ses choix en connaissance de cause, comme citoyen éclairé. Dans le cadre scolaire, on
parle plutôt de pensée que d’esprit critique (Forges, Daniel & Borges, 2011; Gagnon, 2010). Cela
s’explique par le fait que la pensée est un concept plus dynamique, qui fait davantage droit à l’idée
de développement que le concept d’esprit qui est plus figé et fait droit à l’état de la pensée. La
pensée critique est une compétence souhaitée par de nombreux curricula pour la scolarité
obligatoire et elle fait partie des objectifs de l’UNESCO en matière d’éducation (Gagnon, 2010).
Elle permet à l’apprenant de s’interroger sur les valeurs et les contenus, selon les disciplines, et de
poser un choix raisonné et non pas idéologique ou déterminé uniquement par son contexte social,
politique ou culturel (Jourdain, 2004). Il s’agit bien là d’une compétence exigeante définie comme
un ensemble de savoirs, d’aptitudes, d’attitudes et de capacités qui sont mobilisés de façon adéquate
face à une situation scolaire, professionnelle ou de la vie quotidienne.
Dans le cadre des sciences de l’éducation, il n’existe pas de définition unanime de la pensée
critique. Daniel & al. (2005), Lipman (2003), Ennis (1993), Paul & Elder (2008) et Gagnon (2010,
2011), entre autres, proposent des définitions desquelles nous retenons les éléments suivants : la
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pensée critique s’appuie sur des croyances épistémologiques, le rapport aux savoirs et des critères
qui correspondent à des raisons déterminantes. Elle se développe en un jugement critique dépendant
du contexte social et théorique dans lequel il est élaboré. Elle peut parvenir à une métacognition,
son degré le plus élevé, qui peut amener à un changement dans la pensée elle-même ou dans
l’action.
En considérant la pensée critique comme un processus qui permet de déterminer ce qui semble
digne de foi en termes de connaissances, nous pouvons en proposer la définition suivante :
– La pensée critique est une forme de pensée, individuelle et/ou collective – propre à celui/ceux
qui l’énonce(-nt) – compréhensible dans le cadre d’un dialogue avec soi ou avec les autres
(Heinzen, Ducotterd & Hess, 2009). Le dialogue est ici vu au sens de Lipman (2003) comme un
déséquilibre qui va amener à une avancée dans la réflexion, un approfondissement des
arguments. La pensée critique a pour but d’évaluer des connaissances ou des actes en se basant
sur une démarche réflexive avec des critères raisonnés, sur différentes ressources (cognitives,
personnelles, sociales, matérielles) en tenant compte des critères de choix et des contextes.
– Comme le montrent Forges, Daniel et Borges (2011), la pensée critique se différencie en
plusieurs degrés/modes, plusieurs types d’habiletés intellectuelles : logique, créatif, responsable
et métacognitif. À partir de la distinction que nous avons effectuée entre la praxis et le processus,
nous retenons trois degrés. Le quatrième (responsable) appartient clairement à l’axe de la praxis
puisqu’il considère des réponses liées au comportement moral de soi ou des autres. Voyons les
trois degrés retenus :
- Logique : dans ce premier degré, la pensée est composée par des affirmations, des énoncés
non justifiés, puis s’observe par le passage à une justification grâce à une abstraction ou à
des arguments ;
- Créatif : dans ce degré, la pensée critique se manifeste par la recherche de divergences
d’idées pour les transformer puis les intégrer par synthèse et convergence. Elle s’observe
par le passage d’exemples personnels (des unités) à des relations critiques qui peuvent
amener à un changement de perspective ;
- Métacognitif : la pensée réflexive qui peut aller jusqu’à la correction de sa propre pensée
(autocritique) et de l’action du groupe ou de soi-même.
Daniel et al. (2005) ajoutent à ces modes trois perspectives de sources de la connaissance :
égocentrique (le rapport à soi), relative (le rapport à l’autre) et intersubjective (le rapport à la société
et au monde). Le tableau synthétique suivant croise les modes et les perspectives (Tableau 1). La
définition de la pensée critique est ici développée avec une visée opérationnelle et son aspect
dynamique comme processus (et praxis) la rapproche fortement d’une compétence. Il faudra donc,
pour pouvoir l’évaluer, l’observer en situation et dans un contexte donné ou selon l’expression de
Gagnon dans une «pratique critique» qui est «l’exercice d’une pensée critique en situation» (2010,
p. 470).
La pensée critique
Modes/
Logique Créatif Métacognitif
Perspectives
Égocentrisme Énoncé basé sur Énoncé qui donne du sens à Énoncé relié à une tâche,
l’expérience perceptuelle un point de vue personnel point de vue personnel et
d’un fait particulier. (Unités). particulier.
(Sans justification)
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Relativisme Énoncé basé sur une Énoncé qui donne du sens au Énoncé relié à un point de
généralisation issue de la point de vue d’un pair vue, à la tâche d’un pair.
perception et d'une (relations simples).
première généralisation.
(Justification incomplète et
concrète)
Intersubjectivité Énoncé basé sur le Énoncé qui apporte un sens Énoncé exprimant un
raisonnement simple. divergent. changement de
Justification complète (Relations complexes et perspective du groupe ou
appuyée sur des arguments. transformation) de l’individu
(Conceptualisation) (Correction ou
autocorrection)
Valeurs et attitudes
Un certain nombre de valeurs – celles que l’on considère généralement comme les valeurs
démocratiques – font partie des éléments que l’école doit transmettre conformément à leur plan
d’études. Elles y figurent non seulement parce qu’elles sont incluses dans les normes scolaires, mais
aussi parce que «la survie des valeurs communes dépend largement de l’éducation. C’est un point
que les penseurs classiques de la démocratie ont fort bien étudié. […]. Si les valeurs communes ne
sont pas transmises à l’école, elles sont menacées » (Coq, 2004, p. 30). La valeur est un indicateur
de sens face à ce qui est considéré comme essentiel quant à la direction, à la finalité et à la
signification de ses actions selon ses propres expériences et ses besoins. La valeur implique de
poser un jugement moral, de choisir un certain comportement qui paraît préférable, plus judicieux,
plus juste ou plus adéquat qu’un autre dans une situation donnée. Elle organise une certaine
conception de l’existence et donne du sens aux comportements choisis.
Face aux valeurs, on trouve principalement deux attitudes : universaliste et relativiste.
L’attitude universaliste, issue d’une perspective philosophique, affirme que certaines valeurs sont
valides pour tous les hommes de tous les temps ; l’attitude relativiste, issue d’une perspective plus
sociologique, soutient que les valeurs sont déterminées par une histoire, un contexte, etc., et elle
met en évidence la pluralité des valeurs comme un fait social (Forquin, 2005; Leleux & Rocourt,
2010; Morin, 2006; Mougiotte, 1998; Prairat & Institut universitaire de formation des maîtres).
Notre société ne partage plus un système prédéterminé de valeurs communes, comme cela est le cas
lorsqu’une très grande majorité d’une population adhère à une même religion ou à un même
principe qui est donné ou imposé comme système de valeurs. Aujourd’hui, les citoyens doivent
choisir pour eux-mêmes et pour leur société les valeurs qu’ils désirent défendre. Selon Morin, on
peut parler d’une «crise des fondements éthiques» (2006, p. 27) et les choix que cette crise impose
sont complexes. Pour choisir, il est nécessaire de tenir compte à la fois du bien de l’individu et de
celui de la société, voire de l’humanité, qui ne sont pas toujours en harmonie. Il s’agit d’une éthique
de reliance, qui met en lien et qui est par définition interdisciplinaire, à cheval entre la sociologie et
la psychologie. La valeur primordiale dans un contexte donné ne l’est pas nécessairement dans un
autre. Les conséquences des actes posés selon nos valeurs nous échappent et ne sont pas toujours
prédictibles pour nous et pour les autres avec lesquels nous sommes reliés ; la relation entre la fin et
les moyens d’une action est elle aussi complexe ; les impératifs moraux peuvent être contradictoires
(Morin, 2006). Par exemple, le vote au sein d’une démocratie met en question les valeurs : peut-on
accepter toutes les décisions de la majorité ? Doit-on admettre l’injustice, l’intolérance, le racisme
si une majorité de la population les plébiscite ? On le voit, le choix éthique est complexe et ne se
limite pas à identifier quelles sont les valeurs en jeu : il faut pouvoir décider quelle est la valeur
déterminante dans un contexte particulier, complexe et interdisciplinaire. Par exemple, dans
4
l’éducation, les valeurs de liberté d’expression et de pensée sont fondamentales. Et dans ce sens,
toutes les valeurs n’ont pas le même poids, même si elles sont reconnues sociologiquement : il est
donc nécessaire d’avoir un questionnement métacognitif pour argumenter et déterminer le poids
donné à chaque valeur. De même, l’axiologie qui est établie par une personne, une profession ou
une communauté peut être réorganisée selon chaque situation (Audigier, 1991; Coq, 2004;
Mougiotte, 1998).
À partir de ces éléments, nous pouvons définit la valeur comme :
– un principe qui touche à ce qu’un individu ou un groupe considère comme suprême, lorsqu’elle
est fondamentale et structurante, et donne donc une orientation, un sens pour ses actions et ses
réflexions ;
– organisée au sein d’une axiologie, sous forme hiérarchique, allant de la plus essentielle à celle
qui l’est moins. Toutefois, cette axiologie varie en fonction des contextes et peut être
rééquilibrée en fonction de la situation : il n’y a donc pas lieu d’en déterminer une qui soit
absolue (acception relativiste) ;
– impliquant un choix d’action et un jugement que l’on porte sur ses propres actions et celles des
autres ;
– déterminées par un choix et une réflexion qui peuvent être remis en cause selon les contextes et
les situations (Awais, 2016).
1 La liberté, plus large, se distingue de l’autonomie qui, selon Kant, est la capacité à respecter la loi, et selon les Lumières, une
capacité à se soustraire aux contraintes extérieures.
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principe d’autonomie de la volonté : « La liberté est une propriété de la volonté de tous les êtres
raisonnables » (1992, III/1). Cette autonomie morale qui est, selon Leleux & Rocourt (2010), le
fait de juger par soi-même ou d’avoir sa propre échelle de valeurs raisonnée, nécessite donc
l’autonomie intellectuelle et une pensée critique.
Cette conception de la liberté permet de déterminer la liberté de pensée, de conscience, de religion,
d’opinion et d’expression comme des formes de la liberté raisonnée et volontaire, qui sont
essentielles dans l’éducation. Par définition, ces formes traversent les disciplines, elles sont
interdisciplinaires puisqu’aucune discipline académique ou scolaire ne peut couvrir l’ensemble des
domaines qu’elles abordent et desquelles elles sont issues. Ces libertés sont énoncées dans la
Déclaration universelle des droits de l’homme aux art. 18 et 19 :
«art. 18 : Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa
religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les
pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.
art. 19 : Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne
pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans
considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce
soit.»
Comme l’autonomie, ces libertés peuvent être l’objet d’une éducation dans le sens où une personne
peut apprendre à développer sa capacité à acquérir les connaissances nécessaires et à discerner pour
prendre les décisions adéquates. Sans liberté et autonomie, la pensée critique ne peut pas se
développer. Il est donc indispensable, dans la mesure où l’on souhaite avoir un système scolaire qui
aboutisse à la formation de citoyen responsable, de soutenir le développement et l’expression des
libertés face à des situations complexes et interdisciplinaires qui fasse droit à la réalité. Mais en plus
de ces valeurs, certaines attitudes qui en découlent doivent être promues. Sur la base de Moscovici
(2007) et Legendre (2006), nous considérons l’attitude, face à des personnes ou des situations,
comme une disposition intérieure, un état d’esprit stable, mais pas immuable, acquis et non inné, et
qui incite à évaluer ou à agir favorablement ou défavorablement relativement à ces personnes ou ces
situations. Sur cette base, la responsabilité, la solidarité, la tolérance et le respect qui sont souvent
considérés comme des valeurs, sont plutôt des attitudes étant donné qu’elles se basent sur les
valeurs de liberté, de dignité et d’égalité et qu’elles induisent des comportements (Bègue, 2009).
Notons que ces attitudes sont fondamentales pour développer une pensée critique et pour atteindre
les visées scolaires. La liberté, qui est un droit, implique, comme tous les droits, des devoirs et l’un
d’eux est la prise de responsabilité (Sartre, 1996) : plus une personne est libre, plus elle est
responsable de ses actes. La responsabilité suppose d’avoir conscience du fait qu’un ensemble de
valeurs est attaché à un individu ou à une institution, de jouir d’une certaine liberté qui permet
d’agir sans être entièrement soumis à des obligations externes, d’avoir réfléchi à l’action menée afin
qu’elle ne soit pas seulement le fruit du hasard ou de l’ignorance. De plus, la responsabilité
individuelle ou collective est non seulement liée aux actes posés, mais aussi aux conséquences de
ces actes pour la personne elle-même ainsi que pour les autres, pour les générations à venir, pour
l’environnement. Elle reprend ici le sens de la solidarité. Notons encore que la responsabilité dans
ce sens prend une dimension contextuelle : être responsable implique de tenir compte du contexte
dans lequel la personne agit et d’apporter les nuances dans les jugements et les prises de décision.
En tenant compte de cette dimension solidaire et contextuelle, on peut affirmer par exemple que les
décisions prises aujourd’hui, pour les énergies renouvelables ou non, si elles sont responsables,
doivent tenir compte des conséquences éventuelles pour plusieurs générations. Dans ce type de
situation, on parle de responsabilité prospective qui se distingue de la responsabilité rétrospective –
causaliste et individualiste (Gagnon, 2010; Jonas, 2008; Legrand, 2005).
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Nous distinguons trois modalités de la notion de responsabilité qui s’appuie sur son étymologie
latine (respondere) : « En rappelant que la notion de responsabilité renvoie au verbe ‘répondre’,
plusieurs philosophes (Derrida, 1994; Etchegoyen, 1993; Muller, 1998) ont proposé d’en distinguer
trois modalités, qui correspondent aux trois mouvements de réponse : répondre de, répondre à et
répondre devant » (Charbonneau & Estèbe, 2001, p. 10).
– La responsabilité comme «répondre de» est celle qui correspond à la responsabilité
rétrospective : je fais un choix, j’agis en fonction et je réponds de mes actes en fonction de la loi.
Cette modalité a aussi une fonction identitaire puisque le fait de répondre de ses actes suppose
une réflexivité, une prise de position, une certaine liberté.
– La responsabilité comme «répondre à» est liée à l’interdépendance d’une société vis-à-vis des
personnes ou des personnes les unes par rapport aux autres et en particulier, par rapport aux plus
vulnérables. Cette dimension est donc similaire à la sollicitude et à la solidarité.
– La responsabilité comme «répondre devant» est la responsabilité civique ou citoyenne d’une
personne face aux institutions de la société et de l’État auxquels il appartient. Cette dimension
est donc similaire à celle de la participation, à l’engagement social et politique. Elle peut être
prospective lorsque l’on parle de développement durable par exemple.
La responsabilité est une attitude complexe, mais incontournable, qui a l’avantage de pouvoir
intégrer en son sein les attitudes de solidarité et de sollicitude. Elle suppose aussi une adhésion
préalable aux valeurs de liberté et de dignité de l’individu pour pouvoir être efficiente et va tendre à
des attitudes de tolérance et de respect (Charbonneau & Estèbe, 2001; Chauffaut, 2008; Jourdain,
2004; Pagoni-Andréani, 1999). L’attitude de respect suppose de reconnaître la dignité et l’égalité
des autres personnes. La notion de tolérance est plus ambiguë. En partant d’une étude historique et
philosophique de ce terme, Estivalèzes (2009) montre bien que la tolérance peut être entendue à la
fois comme une abstention (ne pas interdire) ou comme une acceptation d’une pensée, d’une
conduite différente de la sienne. Cette deuxième acception est celle qui en fait une attitude
démocratique, qui permettra de respecter l’autre, d’instaurer un climat pacifique et qui exige une
réciprocité : c’est celle que nous retenons relativement aux questions qui nous occupent ici. Avec
Milot, on peut préciser que cette compréhension implique une dimension épistémique qui
« suppose que l’on considère nos propres convictions comme bonnes et valables pour nous-
mêmes, mais que celles qu’adoptent les autres sont tout aussi bonnes et valables à leurs propres
yeux et qu’il ne nous appartient pas de juger de leur conception de la ‘vie bonne’. » (2005, p. 17)
Morin (2006), quant à lui, montre que la tolérance est nécessaire à trois niveaux :
– Le premier niveau qui reprend la première acception d’Estivalèzes est celui qui respecte le droit
de l’autre à s’exprimer, quel que soit le contenu exprimé.
– Le deuxième niveau qui reprend la seconde acception d’Estivalèzes est démocratique : les
opinions diverses et antagonistes nourrissent le système démocratique.
– Le dernier niveau reprend le principe de Niels Bohr selon lequel le contraire d’une idée profonde
est une autre idée profonde. Il est donc nécessaire de tolérer une idée profonde pour entendre la
vérité qu’elle contient (Morin, 2006, p. 131).
La tolérance et le respect d’autrui amènent à une plus grande volonté de compréhension, à des
concessions réciproques et à une argumentation en cas de désaccord plutôt qu’à des actions
violentes. Notons que l’étude des religions est un des éléments qui permet une meilleure
compréhension réciproque, un dialogue, une lutte contre les stéréotypes et une contribution au
respect et à la tolérance réciproques (Alberts, 2007). Ces différentes valeurs et attitudes
complémentaires sont des éléments clés pour un apprentissage en profondeur : l’élève doit
apprendre à tolérer et à respecter d’autres types de pensées et de vérités scientifiques, afin
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d’apprendre à faire des liens transdisciplinaires, des connexions entre les conceptions disciplinaires,
à articuler ces conceptions et à prendre les éléments qui lui permettent de construire ses propres
concepts. Il pourra ensuite les exprimer et les confronter à leur tour aux concepts de ses pairs et
avec d’autres pensées (Vygotski, 1997).
L’interdisciplinarité
Les différentes disciplines sont susceptibles d’apporter une plus-value explicative et compréhensive
lorsqu’elles sont convoquées et combinées autour d’un même objet d’étude et dans une pratique
coordonnée, en l’occurrence le développement de la pensée critique. L’interdisciplinarité, tout en
mobilisant les différentes compétences disciplinaires, vise à contrer l’isolement, le cloisonnement et
le manque de dialogue inhérents à une spécialisation disciplinaire poussée (Lenoir & Sauvé, 1998;
Perrig-Chiello & Darbellay, 2002; Darbellay, 2005). Comme le précise Morin :
«La discipline est une catégorie organisationnelle au sein de la connaissance scientifique ; elle y
institue la division et la spécialisation du travail et elle répond à la diversité des domaines que
recouvrent les sciences. Bien qu’englobée dans un ensemble scientifique plus vaste, une discipline
tend naturellement à l’autonomie, par la délimitation de ses frontières, le langage qu’elle se
constitue, les techniques qu’elle est amenée à élaborer ou à utiliser, et éventuellement par les
théories qui lui sont propres.» (Morin, 1994, p. 1)
S’ancrer dans l’interdisciplinarité, c’est chercher à construire un savoir local et global à partir d’une
situation précise et intégrer aux savoirs disciplinaires des aspects contextuels et sociaux pour
répondre à une question ou une problématique complexe (Baluteau, 2008; Fourez, Maingain &
Dufour, 2002). Cette démarche est une réaction face à l’atomisation, à l’hyperspécialisation des
savoirs en disciplines et à une certaine perte de sens de la globalité. Or, nous l’avons vu, la pensée
critique, pour se développer et être pertinente, a besoin de cette dimension interdisciplinaire. Le
travail interdisciplinaire propose, afin d’aborder des questions complexes et d’explorer les zones
intermédiaires entre les disciplines, de mettre en œuvre trois principes (Fourez et al., 2002) :
– La finalité : il est nécessaire de savoir quel est le but ou la fonction du système de pensée en
question.
– La globalité : il faut connaître les parties et leurs relations pour avoir accès au tout, à la globalité
d’un système dans une perspective systémique.
– La pertinence : il est impossible d’avoir toutes les informations sur tous les aspects. Une
sélection est nécessaire pour pouvoir déterminer ce qui est pertinent ou non en fonction de la
question posée.
Le but de cette démarche est de parvenir à une nouvelle représentation ou modélisation d’un
concept, d’un événement, etc. par la mobilisation des savoirs de chaque discipline. Fourez désigne
cette modélisation comme un «îlot de rationalité» :
«On fait d’abord appel à l’image d’un “îlot” au milieu d’un océan d’ignorance […]. Pour pouvoir
discuter et décider, il est nécessaire de limiter les informations ou connaissances qu’on mettra en
œuvre. Car vouloir tout connaître, c’est toujours se mettre dans une situation impossible, ne fût-ce
parce que notre temps est toujours limité. […]. On parle d’un îlot de “rationalité” puisque la
sélection des informations et la structuration du modèle qu’est l’îlot a pour but - comme d’ailleurs
toutes les modélisations scientifiques - de permettre une discussion de la situation qui ne se
résume pas en un dialogue de sourds.» (1997, p. 220)
L’îlot de rationalité peut être interdisciplinaire si la représentation ou la modélisation fait appel à la
matrice de plusieurs disciplines qui conservent leur spécificité, mais entrent en discussion, parfois
en confrontation, avec les autres disciplines pour obtenir cette nouvelle représentation dans une
situation particulière et pour résoudre un problème complexe. La démarche pour y parvenir passe
par la formulation d’une problématique, en faisant émerger tous les objets connus et ceux dont il
faut tenir compte, les disciplines à convoquer, pour ensuite pouvoir sélectionner et hiérarchiser les
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plus pertinents et élaborer une représentation complexe (Darbellay, 2005; Fourez & al., 2002). Cette
démarche est une de celles utilisées pour le développement de la pensée critique dans les sciences
de l’éducation, et plus particulièrement par l’éducation en vue d’un développement durable et
l’éducation à la citoyenneté qui, en plus de parvenir à une représentation complexe, insisteront sur
les interactions entre les différentes disciplines, les valeurs et les attitudes.
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généraux pour le domaine des sciences humaines et sociales, comme but pour l’enseignement de
la citoyenneté :
«L’enseignement de la citoyenneté en milieu scolaire s’ouvre aux enjeux de société; elle peut
concerner les problématiques politiques, sociales, environnementales, économiques, religieuses,
culturelles et sportives. Elle englobe un éventail d’activités très diverses (débat, engagement
démocratique au sein de la classe ou de l’établissement par exemple), qu’elle articule avec
l’acquisition de connaissances sur des thèmes en lien avec l’actualité dans la mesure du possible.»
(Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin, 2010, p.
46)
L’Éducation aux droits humains constitue une éducation en soi. Elle s’appuie essentiellement sur
l’histoire du développement des libertés fondamentales jusqu’à l’élaboration de la Déclaration
universelle des droits de l’homme et de la Convention relative aux droits de l’enfant. Elle assure
une bonne compréhension des droits et des responsabilités de chaque individu et propose des
méthodes d’éducation à la paix, d’éducation participative, etc. Selon Audigier (1991), il n’est pas
possible aujourd’hui, dans nos sociétés occidentales, de ne pas connaître ces textes fondamentaux et
qui fondent une bonne partie de nos législations. Si des textes tels que la Déclaration Universelle de
Droits de l’Homme (DUDH) ne reflètent pas nécessairement la réalité des faits, ils posent
néanmoins les principes fondamentaux mis en œuvre dans cette éducation. Le Conseil de l’Europe a
d’ailleurs élaboré une charte concernant cette éducation dont les motifs sont les suivants :
«L’éducation est de plus en plus considérée comme un moyen de combattre la montée de la
violence, du racisme, de l’extrémisme, de la xénophobie, de la discrimination et de l’intolérance.
Cette prise de conscience croissante se traduit par l’adoption de la Charte du Conseil de l’Europe
sur l’éducation à la citoyenneté démocratique et l’éducation aux droits de l’homme par les 47
États membres de l’Organisation. […]. La Charte servira de référence à tous ceux qui s’occupent
d’éducation à la citoyenneté et aux droits de l’homme. Son application devrait inciter les États
membres à prendre des mesures dans ce domaine et, ce faisant, à diffuser de bonnes pratiques et à
améliorer la qualité de l’éducation aux valeurs en Europe et au-delà.» (Conseil de l’Europe, 2011,
p. 42)
Cette éducation doit, elle aussi, être une des dimensions de l’éducation à la citoyenneté puisque la
DUDH est la base, la norme communément acceptée par ces deux formes d’éducation qui mettent
en évidence le fait que nous sommes tous co-citoyens. Et c’est bien l’éducation à la citoyenneté
dans sa forme la moins restrictive qui est devenue un élément incontournable de toutes les réformes
scolaires. Pourquoi cette éducation particulière semble-t-elle aujourd’hui si importante (Audigier &
Tutiaux-Guillon, 2008) ? Face à la violence ambiante et aux diverses crises sociales, l’école est vue
comme le lieu où les élèves devraient apprendre à vivre ensemble, à respecter des valeurs
communes, à coexister entre différentes cultures, religions, etc. «Ainsi, l’accent mis aujourd’hui,
dans beaucoup de programmes sur la formation à l’esprit critique et à la citoyenneté responsable
n’est pas socialement neutre» (Fourez et al., 2002, p. 41). Parallèlement, l’enfant n’a jamais été si
bien considéré et les libertés n’ont jamais été si grandes qu’aujourd’hui (dans les pays occidentaux
en particulier). Selon les programmes de formation, l’école devrait permettre d’atteindre une société
idéale basée sur les droits humains, dont les membres sauraient faire preuve de pensée critique au
travers et entre toutes les disciplines et seraient aptes à se déterminer librement tout en vivant et
promouvant une solidarité et une égalité planétaires. Or, l’école reflète la société : elle n’est ni
meilleure ni pire. Dans une société pluraliste et non homogène, il n’y a plus de valeurs absolues à
transmettre qui sont partagées à large échelle au niveau d’un État et encore moins à l’échelle du
monde. Il convient d’accepter les contradictions et la complexité de notre société, avant de pouvoir
déterminer ce que l’on attend d’un apprentissage à la citoyenneté (Audigier, 2008; Morin, 1999;
Perrenoud, 1997).
Comme dans toutes les «éducations à…», pour parvenir à un résultat, il est nécessaire que les
enseignants soient non seulement formés en termes de connaissances et de savoir-faire
10
disciplinaires et interdisciplinaires, mais aussi qu’ils puissent être des modèles inspirants. Il est
souhaitable qu’ils puissent fonctionner en réseau, concevoir l’établissement comme une
communauté de vie, se comporter en membres d’un corps professionnel, en dialogue avec la société
(Audigier, Crahay & Dolz, 2006; Perrenoud, 2009). On retrouve ici les trois dimensions de
l’éducation à la citoyenneté démocratique (ECD) présentées par Gollob et Krapf dans leur manuel
sur les droits de l’enfant :
« – apprendre sur les droits de l’enfant. Les élèves apprennent à connaître et à comprendre quels
sont leurs droits (connaissance et compréhension). Apprendre «sur» les droits de l’enfant passe par
l’enseignement dans une classe particulière, effectué par un(e) enseignant(e) particulier
(particulière) chargé(e) d’une tâche d’enseignement spécifique ;
« – apprendre par les droits de l’enfant. Les élèves apprennent à mettre en pratique les droits de
l’enfant en tant que principes régissant la vie en classe et la vie au sein de la communauté scolaire
(attitudes, valeurs et compétences);
« – apprendre pour les droits de l’enfant. Les élèves sont encouragés à utiliser effectivement leurs
droits en classe et à l’école. Ils sont ainsi préparés à exercer leur futur rôle de citoyens informés et
actifs au sein d’une communauté démocratique (participation, tant à l’école que dans la vie
adulte). Apprendre dans un esprit conforme aux droits de l’enfant et aux droits de l’homme
(«apprendre par») et apprendre comment participer à la vie de la communauté démocratique
(«apprendre pour») exigent un véritable engagement de la part de l’ensemble de la communauté
scolaire. Tous les enseignant(e)s et chefs d’établissements ont à cet égard un rôle à jouer, de même
que les élèves et les parents d’élèves.
«Les trois dimensions de l’éducation citoyenne démocratique se soutiennent et se complètent l’une
l’autre.» (Gollob & Krapf, 2009, p. 5)
Les trois apprentissages (apprendre sur, par et pour) supposent aussi un travail préalable sur les
représentations des élèves et leurs milieux de vie. En effet, leurs représentations de leurs droits et ce
qu’ils ont entendu dans leurs différents milieux de vie a façonné leur compréhension actuelle de ces
droits qui devra être confortée ou confrontée à d’autres représentations. Ce travail qui fait partie
intégrante du développement de la pensée critique est indispensable pour assurer un apprentissage
des connaissances pluridisciplinaires provenant du monde scientifique qui soit intégré par l’élève
(et pas seulement assimilé le temps nécessaire pour une évaluation). Après ce processus critique,
l’action – comme apprendre par et apprendre pour – prend tout son sens.
Pour pouvoir observer le développement des attitudes attendues telles que la pensée critique et
interdisciplinaire, nous avons observé 10 leçons dans 5 classes différentes en Suisse romande au cours d'une
année scolaire. Le choix s'est porté sur les attitudes car, si les valeurs sont le fondement de ces dernières, il
n'est pas possible de les observer dans le cadre scolaire, alors que les attitudes le sont. L’échantillonnage des
classes participantes est un échantillon utile à partir des autorisations reçues des départements concernés. Les
séances ont été filmées et retranscrites et ont été complétée par une observation naturelle, directe et
médiatisée : nous nous rendons sur place, observons et enregistrons une séquence d’enseignement-
apprentissage ordinaire non manipulée.
Ce type d’observation dans un milieu scolaire implique de pouvoir y être accepté et donc d’avoir une
légitimité et une proximité avec les enseignants. Il est nécessaire d’établir une relation de confiance avec eux
pour qu’ils donnent à voir ce qu’est leur quotidien sans crainte d’être jugés. La présentation de l’objectif de
la recherche, l’entretien préalable et la connaissance du milieu sont donc essentiels pour obtenir cette
confiance et les autorisations requises.
Pour parvenir à analyser les données récoltées, nous avons utilisé, à partir des cadres théoriques, deux
systèmes de catégorisation des contenus que nous avons présentés sous forme de grille d’analyse qui reprend
les éléments théoriques relatifs à la pensée critique interdisciplinaire et la responsabilité observables dans les
interactions entre les enseignants et les élèves. Ces grilles ont été validées par deux autres chercheuses en
science de l’éducation qui a repris les séquences et a appliqué le codage et la grille aux séquences. La
11
différence entre les deux évaluations a été de 0,55 selon le coefficient Kappa ce qui montre un accord
modéré.
LES RESULTATS
12
interdisciplinaire en lui permettant d’être participatif dans la vie scolaire elle-même. L’attitude qui
est attendue chez les élèves se développe alors à travers tous les apprentissages et en lien avec
toutes les disciplines en vue d’une utilisation en dehors de l’école. Pour parvenir à une réelle
éducation à la citoyenneté et au développement de la pensée critique, l’école se doit ainsi d’offrir un
espace démocratique ouvert aux élèves pour qu’ils puissent exercer leurs compétences et leur
capacité d’analyse critique. Il convient finalement de trouver un équilibre entre des méthodes
actives qui, si elles ne sont pas suffisamment liées aux connaissances (inter)disciplinaires, se
révèlent inefficaces, et des méthodes transmissives, nécessaires, mais insuffisantes si elles ne sont
pas réinvesties dans une pratique disciplinaire et interdisciplinaire.
13
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