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Publications de l'École française

de Rome

Un courant socialiste original : les maximalistes italiens dans


l'émigration (1926-1940)
Michel Dreyfus

Résumé
De 1922 à 1940 le mouvement socialiste italien offre la particularité d'être divisé en deux partis. Le Parti socialiste italien
maximaliste, bien que menant une existance distincte de l'Internationale ouvrière socialiste, ne reste pas sans liens
internationaux. Il cherche à dépasser tout aussi bien le «réformisme» de la IIe Internationale que le «sectarisme» de
l'Internationale communiste et se fait le défenseur de la reconstitution de l'unité ouvrière et du socialisme révolutionnaire.
Composante originale de l'émigration antifasciste italienne, le Parti maximaliste connaît cependant des difficultés au sein
de cette émigration même s'il participe à tous ses combats. Son histoire semble se conclure par un échec mais on
n'oubliera pas que le mouvement ouvrier dans son ensemble connaît une très grave crise à la veille de la Seconde guerre
mondiale qu'il n'a pas su éviter.

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Dreyfus Michel. Un courant socialiste original : les maximalistes italiens dans l'émigration (1926-1940). In: Les Italiens en
France de 1914 à 1940. Sous la direction de Pierre Milza. Rome : École Française de Rome, 1986. pp. 169-193.
(Publications de l'École française de Rome, 94);

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MICHEL DREYFUS

UN COURANT SOCIALISTE ORIGINAL :


LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION
(1926-1940)

«Je crois que le maximalisme est le phénomène le plus


caractéristique d'inintelligence politique dans le mouvement ouvrier et socialiste.
Les maximalistes italiens (Serrati, etc.), l'ILP (Maxton), le PSOP
français (Marceau Pivert), les indépendants allemands (Crispien, etc.) se
ressemblent comme des frères, ils représentent tous un stade inachevé
de l'évolution de la conscience politique ouvrière et socialiste, un arrêt de
cette évolution».
Ce jugement sans appel est énoncé par Angelo Tasca en novembre
19391. Sans discuter ici de son bien fondé, on remarquera que Tasca, à
juste titre, relie le Parti socialiste italien maximaliste à un courant
international auquel appartiennent bien d'autres partis, le POUM espagnol
étant sans doute le plus connu d'entre eux. Cette liaison est un des trois
éléments qui contribuent à donner au Parti socialiste italien
maximaliste son originalité durant toute son existence qui se déroule de
l'avènement du fascisme aux débuts de la Seconde guerre mondiale. L'histoire
antérieure du socialisme italien, particulièrement pendant la Première
guerre mondiale, l'appartenance du PSIm à l'émigration antifasciste en
France sont les deux autres composantes qui expliquent les principales
caractéristiques de ce Parti. En faisant apparaître les modalités selon
lesquelles ces trois éléments s'interpénétrent, s'influencent, nous
présenterons un tableau général des socialistes italiens maximalistes dans
l'émigration2.

1 Cf. Carnets (inédits) conservés à la Fondazione G. Feltrinelli. Pourtant A. Tasca se


prononce pour un rapprochement avec les maximalistes lors du dernier congrès du PSI
(Paris, juin 1937).
2 L'histoire du PSIm a jusqu'ici peu retenu l'attention des historiens. G. Arfé dans sa
170 MICHEL DREYFUS

On sait que, dès le 26 juillet 1914, les socialistes italiens se


prononcent dans l'Avantil en faveur de la neutralité absolue des organisations
ouvrières face au conflit qui va éclater quelques jours plus tard.
Contrairement à la majorité des partis de la IIe Internationale, les
socialistes italiens refusent toute «Union sacrée» même si cette politique de
neutralité provoque d'importants remous dans leurs rangs et se trouve
rejetée en particulier par Mussolini, bientôt exclu du Parti. Avec le Parti
socialiste suisse, les italiens organisent les conférences internationales
contre la guerre de Zimmerwald et Kienthal où 38 délégués venus de
11 pays signent un Manifeste contre l'Union sacrée, même si dès cette
date ils se divisent en une gauche désireuse de «transformer la guerre
impérialiste en guerre civile» et une droite voulant «imposer» la paix
«aux gouvernements impérialistes».
Cette position originale, trop connue pour être plus longuement
rappelée ici, a d'importantes conséquences sur le mouvement ouvrier
italien. À l'inverse de ce que connaissent la plupart des sections de la IIe
Internationale, le Parti socialiste italien n'a pas à affronter de violentes
luttes internes sur son attitude pendant la guerre et ses responsabilités
vis-à-vis de cette dernière. Il est vrai que la situation révolutionnaire
que connaît l'Italie, les grèves et occupations d'usines pendant les
années 1919-1922 posent de nouveaux problèmes au socialisme italien.
Après la création du Parti communiste à Livourne (en janvier 1921), les
bolcheviks cherchent à gagner la majorité du Parti socialiste où une
aile de «gauche» est prête à rejoindre la IIIe Internationale, sans pour
autant accepter intégralement les vingt et une conditions. Cette
situation entraîne au sein du Parti socialiste débats, luttes de tendance puis
scission. Lors du congrès du Parti à Rome en octobre 1922, les maxima-
listes excluent par 32100 voix contre 29100 l'aile «réformiste» opposée
à toute discussion avec les communistes3. Les exclus s'organisent en un

Storia dell'Avanti1, traite essentiellement de l'histoire de la section italienne de l'IOS ce qui


est également le cas de S. Colarizi : // PSI in exilio 1926-1933, dans Storia contemporanea,
n° 1, marzo 1974, ou de L. Di Lembo dans son étude très fournie: L'organizazzione dei
socialisti in Francia dans L'emigrazione socialista nella lotta contro il fascismo (1926-1939)
Firenze, 1982. On se rapportera à l'étude de S. Sozzi : // Partito socialista italiano
massimalista in esilio ed Elmo Simoncini (Dino Mariani), dans Antifascisti romagnoli in esilio,
Firenze, 1983, p. 185-333. Nous nous permettons également de renvoyer à notre article :
Le scelte internazionali del Partito socialista massimalista italiano, dans Rivista di storia
contemporanea, n°2, aprile 1984, p. 237-259.
3 F. Pedone, // PSI nei suoi congressi, voi. IH, 1917-1926, Milano, 1963, p. 60.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 171

Parti socialiste unitaire des travailleurs italiens (PSULI). Ainsi, à partir


de cette date, le socialisme italien est divisé en deux branches aux
forces numériques sensiblement égales - situation originale en regard de
celle de l'ensemble du socialisme européen. Aux élections d'avril 1924
les maximalistes obtiennent avec 360 000 voix 22 élus, alors que les
unitaires receuillent 420 000 voix. Dès cette époque, certains dirigeants
maximalistes parmi lesquels Pietro Nenni, envisagent une réunification
du socialisme italien.
C'est donc un mouvement ouvrier très morcelé qui affronte
pendant quatre ans la consolidation du fascisme et plus particulièrement la
très grave crise politique qu'entraîne l'assassinat de Matteotti. Si la
politique de l'Aventin se solde par un échec, la division du mouvement
ouvrier en trois composantes principales, sans compter les anarchistes,
y contribue pour beaucoup. À partir de 1926, toute possibilité
d'opposition légale au régime est supprimée. Le 9 novembre la Chambre vote la
déchéance des 120 députés que les partis d'opposition ont encore pu
faire élire. Pour un nombre massif d'anti-fascistes italiens contraints à
l'exil, la France est terre d'asile.
Jusque dans les derniers mois de 1926, bien qu'au prix de difficultés
grandissantes les maximalistes ont pu faire paraître leur journal Y
Avanti! Cette situation prend fin en novembre, date à laquelle les locaux du
Parti, à Milan, sont pris d'assaut par les fascistes. Aussi la direction du
Parti décide son transfert à Paris4 même si une structure - sans doute
très réduite - est maintenue en Italie. Le 10 décembre 1926 paraît à Paris
le premier numéro de la nouvelle série de Γ Avanti! Cet exil que les
émigrés espèrent être de courte durée s'achèvera pour la plupart d'entre
eux avec la Seconde guerre mondiale : deux décennies principalement
marquées par une progression généralisée des régimes forts fascistes,
nazis ou inspirés par eux. Victime principale peut-être de cette
progression, le mouvement ouvrier ne saura pas surmonter ses divergences
pour y faire face. Le développement des dictatures en Europe ne se
ramène pas uniquement à la division du mouvement ouvrier mais force
est bien de reconnaître que cette division facilite l'avènement des
régimes forts. Elle est pourtant combattue, bien qu'avec des forces
insuffisantes par le Parti socialiste italien maximaliste. Comment et avec qui,
c'est ce que nous allons maintenant examiner.

4 Elle est constituée des militants suivants : Ugo Coccia, Giorgio Salvi, Giovanni
Bordini, Siro Burgassi, Alfredo Masini, Gino Tempia. Il existe aussi une Fédération en Suisse.
172 MICHEL DREYFUS

L'impossible unité d'action : 1926-1933

Pas plus que dans les autres pays d'Europe, le mouvement ouvrier
italien n'échappe au début des années vingt, à un grand schisme. La
création de la IIIe Internationale entraîne, moins de deux ans plus tard,
la constitution du Parti communiste d'Italie. Comme partout ailleurs,
socialistes et communistes s'organisent en deux camps hostiles. Mais
cette présentation resterait incomplète si elle passait sous silence un
courant original, distinct des deux grandes Internationales ouvrières et
qui, avec des fortunes variables et sous des appellations diverses,
perdure de la fin de la Première guerre mondiale jusqu'au début de la
Seconde. À partir de décembre 1920 se constitue principalement autour
des socialistes indépendants allemands, de la SFIO, et des socialistes
autrichiens, l'Union des partis socialistes pour l'action internationale
(UPS)5, plus connue par le sobriquet sous lequel l'affublent ses
adversaires : l'Internationale deux et demie, refuse de reconnaître comme un
fait acquis la division entre socialistes et communistes et, au nom du
socialisme révolutionnaire, tente de la surmonter. L'UPS rejette «... la
seule application des méthodes démocratiques comme le fait
aujourd'hui ce qu'on appelle la IIe Internationale. . . (et) . . .l'imitation
servile des méthodes de la révolution paysanne et ouvrière de Russie
comme le veut l'IC»; elle se définit comme une «association des partis
socialistes qui poursuivent la réalisation du socialisme par la conquête
du pouvoir politique et économique par la voie de la lutte
révolutionnaire des classes». Enfin l'UPS se déclare résolue à «travailler de toute
son énergie. . . à la réalisation de l'unité du mouvement socialiste». En
avril 1922, quelques mois seulement avant le Congrès de Rome, elle
arrive à organiser à Berlin une conférence des trois Internationales
mais cette initiative reste sans lendemain. Les derniers mois de son
existence se caractérisent principalement par son rapprochement avec
la IIe Internationale, puis, en mai 1923 la fusion avec elle au congrès de
Hambourg, d'où naît l'Internationale ouvrière socialiste.
Si les maximalistes n'ont jamais adhéré à l'UPS, idéologiquement et
politiquement, ils sont très proches de ce courant qui renvoie dos à dos
le «réformisme» socialiste et le «sectarisme» communiste. Le socialis-

5 Cf. A. Donneur, Histoire de l'Union des partis socialistes pour l'action internationale,
Genève, 1967.
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me révolutionnaire défendu par les maximalistes tout au long de leur


histoire s'inspire directement de celui de l'UPS. Mais sa disparition
n'entraîne pas l'extinction de ce courant même si ses forces
internationales s'en trouvent considérablement réduites. Avec des groupes
d'importance inégale le socialisme révolutionnaire se maintient sous la
forme d'un Bureau international des partis socialistes révolutionnaires
constitué dès juillet 1923 auquel les maximalistes vont bientôt se rallier
et y jouer un rôle important.
C'est précisément pendant ces quelques mois (fin 1922-début 1923)
que les communistes italiens essayent de gagner la majorité des
maximalistes qui, de leur côté, caressent l'espoir de pouvoir adhérer à la IIIe
Internationale sans passer sous les fourches caudines des vingt et une
conditions. Vaines tentative! Les pourparlers sont définitivement
rompus pendant l'été 19236. Cette rupture laisse toute latitude aux
maximalistes pour rallier le groupement international qui, tant sur le thème de
l'unité ouvrière que du socialisme révolutionnaire, défend des thèses
analogues aux siennes. Dès décembre 1924 les maximalistes participent,
à Berlin, à une conférence internationale des partis du Bureau où sont
définis les principes suivants : rejet de la IIe Internationale devenue
«par suite de la politique de ses chefs de plus en plus un instrument de
consolidation du capitalisme et de sauvegarde de l'ordre social actuel»
mais aussi de la IIIe Internationale «en pleine décomposition»; lutte
pour une «Internationale, instrument de combat de la classe ouvrière
pour la conquête du pouvoir et la réalisation du socialisme (qui) reste
aujourd'hui comme au temps de Zimmerwald le vœu le plus cher des
masses révolutionnaires et des partis» sur les mots d'ordre suivants :
«- unité révolutionnaire de la classe ouvrière sur le terrain
national et international;
- pas d'action commune ni en temps de paix ni en temps de
guerre avec les classes des partis bourgeois»7.

La lutte pour l'unité, la défense du socialisme révolutionnaire cons-

6 Cf. L'Avanti!, passim, par exemple : La questione italiana davanti all'Executivo della
IIIe Internazionale, 4 juillet 1923. Cf. également l'Égalité, organe de l'Union socialiste
communiste française et membre du Bureau international, n°29, 1er août 1923 : Le PSI rejette
les conditions de Moscou - ce qui est entériné par le Comité directeur du Parti lors de sa
réunion du 25-27* août 1923.
7 Une conférence internationale des partis socialistes révolutionnaires, dans Bulletin du
Bureau international d'information des partis révolutionnaires-socialistes, 15 juillet 1925.
174 MICHEL DREYFUS

tituent la base du programme des maximalistes italiens. Ce programme


réaffirmé de très nombreuses fois dans YAvanti!, repose sur les
postulats suivants :
- analyse de l'État comme instrument de domination de la classe
bourgeoise sur la classe prolétarienne;
- incompatibilité absolue entre démocratie bourgeoise et
démocratie socialiste, l'une étant la «négation» de l'autre;
- nécessité absolue pour le prolétariat de conquérir le pouvoir
par la révolution violente;
- affirmation de la dictature du prolétariat comme «moment
nécessaire pour l'abolition des différences de classe, l'abolition des
rapports de production qui reposent sur elles et l'abolition de tous les
rapports sociaux qui correspondent à ces rapports de production»8.

La condamnation sans appel des seules méthodes démocratiques


pronées par les «réformistes» de la IIe Internationale va de pair avec le
rejet des méthodes «bureaucratiques», «caporalistes» de
l'Internationale communiste qui veut exporter dans le monde de façon autoritaire
des méthodes qui certes ont triomphé en Russie mais doivent être
adaptées aux réalités politiques et sociales de chaque pays. Au sein du
mouvement ouvrier le sectarisme a eu des conséquences dramatiques.
Il a provoqué une division qui a entraîné une paralysie générale du
prolétariat. Il faut donc travailler à la reconstitution de l'unité ouvrière,
sur la base d'un socialisme révolutionnaire épuré de tout «réformisme»
au travers d'une nouvelle organisation dégagée de toutes les erreurs du
passé, différente donc de la IIe Internationale. Ainsi, les maximalistes se
font les tenants d'un socialisme révolutionnaire assez proche de celui
qu'ils ont défendu avant 1914 puis maintenu hors de la politique
d'Union sacrée.
Jusqu'en 1933 ces thèses sont exposées de nombreuses fois par les
maximalistes, tant dans les colonnes de l 'Avanti! qu'au cours des
réunions du Bureau international dans lequel ils prennent un poids
grandissant. Du 25 au 30 décembre 1925 se tient dans la banlieue
parisienne, à Saint-Ouen, une nouvelle conférence internationale du Bureau à
l'issue de laquelle Angelica Balabanova, la militante la plus en vue du

8 Nell'imminenza del congresso; II Manifesto al Partito della maggioranza della


Direzione. L'unita socialista deve essere nel socialismo rivoluzionario, dans Avanti!, 18 settembre
1926.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 175

parti, est élue secrétaire générale. Un Manifeste vibrant en faveur de


l'unité du prolétariat international est adopté9.
Ce souci unitaire apparaît constamment dans les prises de position
des maximalistes. Quelques semaines après la conférence de Saint-
Ouen, le Parti donne son adhésion au Comité syndical anglo-russe10,
non sans réticences d'ailleurs de sa minorité conduite par P. Nenni. Ce
Comité a été créé un an plus tôt, à l'occasion de la grande grève des
mineurs britanniques par certains dirigeants de la tendance «de droite»
du parti bolchevik avec l'accord de Staline, pour «faire un bout de
chemin» avec les dirigeants des Trades Unions britanniques. Il correspond
sans doute à une tentative plus générale de rapprochement des
dirigeants de l'Internationale communiste avec l'aile «réformiste» du
mouvement ouvrier, tentative qui est rejetée sans ménagements par l'IOS
qui ne sait ou ne veut y voir qu'une manœuvre.
En dépit de la possibilité d'un cours plus «modéré» de l'IC et de ses
sections, l'unité d'action reste un leurre. On le voit bien l'année
suivante, quelques semaines seulement après le transfert de la direction du
Parti en France. C'est en effet le 27 mars 1927 qu'est formée à Paris la
Concentration antifasciste11. Elle rassemble outre les deux partis
socialistes italiens, le Parti républicain, la Confédération générale des
travailleurs et la Ligue italienne des droits de l'homme. Elle se donne pour
but «une alliance du prolétariat international et des partis
démocratiques des travailleurs italiens» et commence à publier un journal, La
Libertà à partir du 1er mai 1927. Le Parti communiste se refuse à
rejoindre la nouvelle organisation. C'est vraisemblablement à son initiative
ainsi qu'à celle de l'Internationale communiste qu'est alors créé un
«Bureau pour l'étude du fascisme»12. Il est soutenu par des
intellectuels de nombreux pays qui se prononcent au même moment en faveur
de la Ligue contre l'impérialisme, émanant elle aussi du mouvement

9 Cf. Avanti!, passim, du 25 décembre au 5 janvier 1926.


10 L'adesione al Comitato anglo-russo per l'unità sindacale, dans Avanti!, 10 mars 1926.
Cf. aussi L'adhésion des maximalistes italiens au Comité anglo-russe, dans La
Correspondance internationale, mars 1926, n° 38, p. 358-359. Cette question a soulevé des
discussions au sein du Bureau international, cf. Les dangers du front unique anglo-russe, dans
Bulletin du Bureau, op. cit.
11 Cf. S. Fedele, Storia della Concentrazione antifascista, 1927-1934, Milano, 1976.
12 Cf. AN F 7 13460: «Les intellectuels contre le fascisme». L'appel est signé par
O. Lehmann-Russbuldt.
176 MICHEL DREYFUS

communiste international. Ce Bureau dont l'activité reste peu connue


veut «organiser la protection des masses contre le gouvernement de
terreur de Mussolini». Il ne semble pas que les maximalistes aient
jamais été en rapport avec lui. Cependant au sein de la Concentration
les tensions se multiplient entre maximalistes et unitaires. Ces derniers,
plus faibles alors numériquement et organisationnellement, investissent
cette organisation de masse que les maximalistes quittent finalement en
avril 1930 13.
À la fin des années vingt, dans un contexte difficile, le PSIm
poursuit sa défense de l'unité politique et syndicale du prolétariat. Lors
d'une nouvelle réunion tenue à Paris en décembre 1927, il en réaffirme
la nécessité. Cette initiative est violemment critiquée par
l'Internationale communiste H. Cela s'explique par sa stratégie : l'adoption de la ligne
«classe contre classe» entérinée quelques mois plus tard lors de son VIe
congrès entraîne une politique de critique du «social-fascisme». Dans
cette attaque, les socialistes de gauche et parmi eux les maximalistes ne
sont pas épargnés, bien au contraire. On ne s'étonnera pas dans ces
conditions, que le Bureau international des partis socialistes
révolutionnaires toujours animé par A. Balabanova soit affaibli, même s'il
organise une nouvelle conférence internationale à Francfort les 1er et 2
décembre 192915.
L'impasse politique dans laquelle se trouve le socialisme
révolutionnaire - l'unité semble plus que jamais renvoyée aux calendes
grecques - explique sans doute la grave crise que traverse le Parti socialiste
maximaliste à partir de 1928 qui se solde par la défection d'une aile
importante de militants autour de Pietro Nenni. Avec U. Coccia, ce
dirigeant s'est déjà prononcé pour une réunification avec les unitaires lors
du premier congrès du parti à l'extérieur en janvier 1928, mais, mis en
minorité, il a démissionné de Y Avanti! dont A. Balabanova assure alors
la direction. La Fédération suisse défend également des thèses très «fu-
sionnistes» à ce congrès suivi avec la plus grande attention par les
unitaires16. Le débat entre «fusionnistes» et «antifusionnistes» (principale-

13 Cf. S. Fedele, Storia della Concentrazione, op. cit., p. 73.


14 La manœuvre des réformistes de gauche, dans Pravda, 5 avril 1928, reproduit dans
la Correspondance internationale, 1928, n° 37, p. 477-478.
15 La Conferenza del Bureau dei Partiti socialisti rivoluzionari a Francfort, dans Avanti!
n°47, 15 décembre 1929.
16 Dans le compte rendu qu'il fait du congrès, Modigliani écrit notamment : « Le Parti
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 177

ment regroupés autour d'A. Balabanova) fait rage pendant les deux ans
qui suivent; il est tranché au congrès de Grenoble, où selon les
unitaires, la direction maximaliste n'hésite pas à exclure deux fédérations et
une centaine de militants pour conserver la majorité 17. La scission
existe déjà de fait et ce sont deux congrès séparés qui se tiennent à
Grenoble. Les f usionnistes s'accordent avec les unitaires pour créer, en juillet
1930 au congrès d'unification de Paris, le Parti socialiste italien, section
italienne de l'Internationale ouvrière. S'il est difficile d'estimer avec
précision le nombre de militants qui rejoignent les unitaires, il n'est pas
niable, en tout cas, que le Parti socialiste maximaliste sort gravement
affaibli de cet épisode. 1930 représente un tournant dans l'histoire
comparée des deux organisations et marque la date précise où les
exunitaires l'emportent définitivement sur le plan numérique et organisa-
tionnel - ce qui était tout le contraire seulement trois ans auparavant.
L'aide de l'Internationale ouvrière socialiste, incontestablement plus
efficace que celle du Bureau international des partis socialistes
révolutionnaires explique sans doute ce résultat mais le travail accompli par
les unitaires dans la Concentration depuis sa création y contribue aussi
pour beaucoup. Cette différence de comportement vis-à-vis de cette
organisation de masse qu'est la Concentration illustre bien les
conduites dissemblables des deux partis dans l'émigration. Peut-être est-elle
l'expression d'une faiblesse fondamentale du Parti socialiste italien
maximaliste : dans quelle mesure en effet la défense du socialisme
révolutionnaire «traditionnel» d'avant 1914, ne s'accompagne-t-elle pas

maximaliste - surtout dans le Midi de la France a beaucoup travaillé soit avec les
socialistes unitaires, soit avec la SFIO », Le socialisme italien et la marche à l'unité, dans Nouvelle
revue socialiste, n°21, 15 janvier-15 février 1928.
17 Cf. Les socialistes italiens vers l'unité article non signé dans Nouvelle revue
socialiste, n°31, 15 avril- 15 juin 1930, selon lequel une majorité se serait déclarée en faveur de
l'unité et pour cette raison aurait encouru les foudres de la direction. La majorité aurait
pris acte du fait que « réformistes et maximalistes ne représentent que deux aspects
également périmés de la lutte des classes dans la phase de la conquête des libertés publiques et
dans la période de pouvoir qui a suivi la guerre » et aussi que «... le Parti socialiste
italien et le Parti socialiste des travailleurs italiens qui ont en commun le but immédiat de la
conquête de la démocratie politique et le but final de la création de la société socialiste
doivent s'unir pour faire à nouveau du Parti socialiste le guide aimé et respecté de la
classe ouvrière ». Rien n'est dit sur la IIIe Internationale. Sur cet épisode, cf. S. Fedele,
Storia della Concentrazione . . ., op. cit., p. 59-73.
178 MICHEL DREYFUS

chez les maximalistes d'une certaine incapacité à s'adapter aux


conditions très spéciales de l'émigration?
Plus généralement, quel bilan peut-on tirer du socialisme des
maximalistes comme de celui du Bureau internationnal au début des années
trente? Le socialisme révolutionnaire semble avoir complètement
échoué, et ne plus qu'être l'expression d'un passé révolu dont un petit
groupe de militants aurait la nostalgie. Comme l'âge d'or de l'unité
socialiste paraît lointain! Le projet politique des maximalistes - la
défense du socialisme révolutionnaire, l'unité ouvrière - est
quotidiennement démenti par les faits. Le programme du parti qui insiste sur le
refus de tout compromis et toute collaboration avec la bourgeoisie et
qui prône la lutte pour le pouvoir et contre la guerre, selon des
méthodes distinctes de celles de la IIIe Internationale, semble aussi dépassé
qu'illusoire. Certes, le contexte particulier de l'Italie fasciste interdit
aux socialistes italiens toute possibilité d'une pratique analogue à celle
d'autres partis de l'IOS qui, depuis 1920, ont considérablement «revu»
ce programme en Angleterre, en Allemagne, en Autriche et dans les
pays Scandinaves notamment. Contrairement à ces derniers les
socialistes italiens n'ont pu «se compromettre» avec la réalité mais l'adhésion
des ex-unitaires à l'IOS est, sans nul doute, l'expression d'un accord
avec ces pratiques. Il s'accompagne d'ailleurs d'une tentative de
renouvellement de la pensée socialiste à laquelle les maximalistes restent
étrangers. Au-delà des programmes des deux partis les raisons
péronnelles et psychologiques interviennent également : il est impossible
pour Angelica Balabanova, la principale personnalité du parti, membre
du Bureau socialiste international en 1914, de revenir dans une
organisation internationnale, qui dans sa majorité, n'a pas su défendre la
pureté du socialisme révolutionnaire pendant la Première guerre
mondiale; le poids du passé explique largement son «anti-fusionnisme»
militant, viscéral pourrait-on dire. Sa méfiance envers la IIIe
Internationale n'est pas moindre : en tant que premier secrétaire de cette
organisation, elle a été bien placée pour en connaître le fonctionnement et en
être profondément dégoûtée18. Aussi la recherche de points communs
autour desquels pourrait se faire l'unité d'action va de pair chez elle
avec une méfiance profonde et non dissimulée.

18 Cf. son témoignage: My life as a rebel, New- York, 1938 ainsi que Ricordi di una
socialista, Roma, 1948.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 179

Tous ces facteurs contribuent à accroître l'isolement des maxima-


listes. Quelles que soient les tentatives d'unité d'action qu'ils proposent
aux communistes, ils sont généralement traités par eux en ennemis
plus redoutables que les militants de l'IOS. Les choses ne vont pas
mieux du côté de cette dernière où l'on n'affecte de voir dans le PSIm
et ses organisations sœurs qu'un ensemble de groupuscules qui par
manie scissionniste refusent l'unité socialiste19. Soumis aux attaques
des deux principaux courants politiques du mouvement ouvrier, les
maximalistes se trouvent alors dans une situation très délicate : ils
apparaissent comme les défenseurs d'un socialisme caduc et ne
parviennent que difficilement à s'adapter aux conditions particulières de
l'émigration. Pourtant l'évolution de la situation politique va justifier
certaines de leurs positions et contribuer à leur renforcement au
niveau national et international. En septembre 1932 ils donnent leur
adhésion au Congrès d'Amsterdam contre la guerre où l'influence
communiste est prédominante20 et auquel l'IOS refuse de participer même
si dans plusieurs pays de petits groupes de socialistes de gauche
surmontent cette interdiction21. À partir de l'année suivante, cependant, le
contexte politique va se modifier profondément.

Le socialisme révolutionnaire, 1933-1940

1933 représente un tournant dans l'histoire du monde : l'arrivée de


Hitler au pouvoir signifie la fin de l'après-guerre mondiale et la
marche vers un nouveau conflit même si cette évolution n'est alors
perceptible que pour quelques voix isolées22. Les conséquences en sont égale-

19 L'IOS remarquait lors de son 2e congrès : « La force répulsive de Moscou est


devenue si grande qu'un groupement particulier est en train de se constituer : l'Internationale
des expulsés», IIe congrès de l'IOS (Bruxelles, 1925), p. 127.
20 Cf. Il congresso contro la guerra, lettre d'adhésion signée A. Balabanova, dans
Avanti!, n°20, 4 settembre 1932, ainsi que // congresso contro la guerra, dans Avanti!, n°21, 11
settembre 1932.
21 Cf. Monde, juillet-août 1932, passim, et notamment la polémique entre Henri
Barbusse, figure de proue du congrès, et Fritz Adler, secrétaire de l'IOS.
22 « Le délai qui nous sépare d'une nouvelle catastrophe européenne est déterminé
par le temps nécessaire au réarmement de l'Allemagne. Il ne s'agit pas de mois mais il ne
s'agit pas non plus de dizaines d'années. Quelques années suffisent pour que l'Europe se
180 MICHEL DREYFUS

ment immenses pour le mouvement ouvrier. Ce dernier connaît plus


que jamais des divisions qui ont des conséquences catastrophiques en
Allemagne. Les appels à l'unité du Bureau international des partis
socialistes révolutionnaires trouvent toute leur justification. Dès le 4
février 1933 a lieu à Paris une réunion de plusieurs partis socialistes de
gauche n'appartenant pas à l'IOS à laquelle sont aussi présents le PSIm
et son organisation sœur française, le Parti d'unité prolétarienne23. Ils
se mettent d'accord sur la nécessité d'organiser dans les plus brefs
délais une conférence mondiale de «toutes les organisations ouvrières
afin de mener à bien la lutte contre le fascisme». Un texte rappelant
que «sociaux-démocrates, communistes, révolutionnaires socialistes
indépendants» sont «frappés de façon identique par les coups de la
réaction» et que devant cette situation il faut aboutir à une «nouvelle et
sincère unité d'action des organisations ouvrières qui pourra peut-être
conduire à une unité d'organisation effective de tous les travailleurs»
est envoyé aux deux Internationales24. . . qui ne se donnent même pas
la peine de répondre.
À partir d'une réflexion sur les événements d'Allemagne et leurs
conséquences, les maximalistes - et leurs alliés internationaux -
infléchissent progressivement leurs analyses. Jusqu'alors, critiquant la
politique des deux Internationales ils se sont efforcés de dépasser le
réformisme des socialistes et les méthodes bureaucratiques et autoritaires
des communistes, d'en rejeter les aspects négatifs et d'intégrer ses côtés
positifs. À partir de 1933 ils approfondissent leur critique vis-à-vis de la
politique des deux Internationales et, de plus en plus, en viennent à
dénoncer leur faillite totale, leur échec complet. N'ayant pas pu
surmonter leurs divergences pour réaliser l'unité d'action contre le
fascisme, les Internationales portent une lourde responsabilité qu'il faut
mettre en lumière. Il devient illusoire de croire qu'elles soient encore
capables de jouer un rôle efficace. Aussi, les maximalistes italiens comme le

trouve de nouveau précipitée dans la guerre si Hitler n'est pas arrêté à temps par les
forces de l'Allemagne elle-même», L. Trotsky, Qu'est-ce que le national-socialisme, 10 juin
1933, dans Écrits, (3), 1928-1940, Paris.
23 Cf. Le iniziative internazionali, Avanti!, n° 6, aprile 1933. Ces partis sont le Parti
ouvrier norvégien, l'Independent Labour Party anglais, le Parti socialiste indépendant de
Hollande, le Parti socialiste ouvrier d'Allemagne et le Parti socialiste ouvrier indépendant
de Pologne.
24 Cf. New Leader, 6 février 1933.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 181

courant international auquel ils se rattachent envisagent de plus en


plus la construction d'une nouvelle organisation révolutionnaire du
prolétariat25. Tout en continuant à défendre les thèses du socialisme
révolutionnaire ils projettent la création d'une Internationale.
Bien que lente, cette évolution est régulière. En juin 1933 encore,
les maximalistes ne refusent pas catégoriquement l'unité d'action avec
une organisation de masse proche du mouvement communiste. C'est
ainsi qu'ils donnent leur adhésion au Comité international contre la
guerre et le fascisme qui, un peu moins d'un an après le congrès
d'Amsterdam, tient une nouvelle réunion à Paris, salle Pleyel26. Cette
volonté unitaire n'empêche pas une grande méfiance vis-à-vis du Parti
communiste. On le voit bien quelques mois plus tard quand un groupe
de militants partisans d'un rapprochement plus poussé avec le PCI est
exclu par la direction du PSIm en décembre 193327. Les sections de
Vénissieux et de Beausoleil suivent alors les exclus qui pour la plupart
adhèrent au PCI.
Nous avons déjà relevé le dédain avec lequel l'IC et l'IOS ont
accueilli les propositions du Bureau international et de ses partis
affiliés en faveur de l'unité d'action. Elles en viennent pourtant à lui
rendre un hommage tout à fait involontaire en repensant ce problème en
des termes entièrement nouveaux. Tirant la leçon des événements
d'Allemagne, puis d'Autriche et de France en février 1934, l'IC abandonne
en quelques mois l'orientation qui fut la sienne depuis son VIe congrès
pour s'engager dans ce qui va être la politique du Front populaire. Cet-

25 Cf. Il problema della nuova Internazionale, dans A vanti! 1 luglio 1934; Può una
nuova Internazionale condurre all'unità, dans Avanti!, 22 luglio 1934. Les maximalistes ont
également participé les 27 et 28 août 1933 à Paris à une conférence internationale de
partis socialistes n'appartenant pas à l'IOS où cette question fut débattue.
26 «II Convegno a voti unanimi ha riconfirmata l'adesione data al Congresso di
Amsterdam per la lotta contro la guerra, come pure l'adesione al congresso antifascista europeo
tenutosi à Parigi-», dans PSI, Bollettino interno, luglio 1933. Cette adhésion s'accompagne
de modalités précises définies par la direction : « È evidente che questa attività da parte
dei compagni non dovrà in alcun modo intralciare a comunque diminuire quella che noi
dobbiamo costantemente svolgere in favore del nostro partito e dell'ai vanti!»
27 Ils sont battus au IVe congrès (Paris, 4-5 juin 1933) par 387 voix contre 22.
(Rapport de police des 2 et 7 juin 1933, ACS, CPC). Selon ce même rapport ce groupe aurait
été «largement financé» par les communistes. Les exclus protestent en vain dans un
Bollettino degli aderenti al PSIm in difesa del Fronte unico e dei Comitati d'azione contro la
guerra, n°2, gennaio 1934 : «Carloni, Rafolo, Salvi exclus du PSI par lettre recommandée
(12 décembre 1933) de la direction du parti».
182 MICHEL DREYFUS

te stratégie est progressivement adoptée par toutes ses sections, avec


des rythmes parfois différents. Un pacte d'unité d'action est signé entre
le PCF et la SFIO le 27 juillet 1934 suivi d'un pacte analogue entre le
PCI et le PSI adhérent à l'IOS, le 10 septembre 1934.
Cette conjonture imprévue va obliger les maximalistes à se
redéfinir. Elle semble leur donner, partiellement du moins, raison dans leurs
prises de position antérieures en faveur de l'unité. Dans un premier
temps, sans oublier leurs critiques de la politique des deux
Internationales, les maximalistes veulent signer ce pacte. Ils se heurtent à un
double refus du PCI et su PSI et ne peuvent s'y rallier28. L'organisation
française proche des maximalistes, le PUP connaît au même moment
une situation identique jusqu'en 1936 où la majorité de ce parti se
résignera à une «fusion» avec la SFIO qui ressemble fort à une
absorption.
Ce refus mais aussi les bases sur lesquelles se fait l'unité d'action -
la politique de Front populaire - va obliger les maximalistes, comme
leurs alliés, à approfondir leurs analyses. Aussi participent-ils à une
nouvelle réunion internationale organisée conjointement par le Bureau
international des partis socialistes révolutionnaires et l'Internationale
Arbeitsgemeinschaft (IAG), l'autre groupement des partis socialistes
«de gauche», non adhérents à la IIe Internationale et constitué depuis
1932. À l'issue de cette réunion tenue du 11 au 15 février 1935 à Paris
et, le dernier jour, à Saint-Denis le fief de J. Doriot exclu depuis juin
1934 du Parti communiste, les deux organismes décident de se
dissoudre et de s'unifier en une nouvelle organisation internationale, le
Bureau international d'unité socialiste révolutionnaire (BIUSR) plus
connu parfois sous le nom de Bureau de Londres29.
Le socialisme de gauche doit-il œuvrer à l'unité totale de la classe
ouvrière ce que semblent commencer à faire à leur manière IC et IOS?
Faut-il au contraire travailler à l'unité socialiste révolutionnaire de la
classe ouvrière que ne peuvent réaliser les deux Internationales
existantes dans la mesure où leur politique a fait faillite? Bien qu'hésitant
entre les deux perspectives, les socialistes de gauche tendent de plus en

28 Cf. Bollettino interno della direzione del PSIm, octobre-novembre 1934, à propos du
pacte d'unité et du rejet du PSIm.
29 Cf. Un passo verso l'unità proletaria. La conferenza dei partiti socialisti rivoluzionari,
dans A vanti!, n°3, marzo 1935.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 183

plus vers la seconde. Les débats s'organisent autour de deux questions


principales : la construction d'une nouvelle Internationale et la lutte
contre la guerre. Sur le premier point les maximalistes se prononcent,
comme la majorité des participants à la conférence, pour la résolution
suivante proposée par le Sozialistische Arbeiter Partei allemand (SAP) :
« Considérant la faillite de la IIe et de la IIIe Internationale, la conférence
estime que le mouvement révolutionnaire et international des
travailleurs ne possède pas aujourd'hui une direction en laquelle il investit sa
confiance et qu'il est indispensable de créer une telle direction, c'est-à-
dire de former une véritable internationale prolétarienne. La conférence
pense que cette internationale ne peut être que l'aboutissement' d'un
processus historique et se constituera par l'union des éléments
révolutionnaires appartenant ou non aux deux Internationales existantes».
« Pour accélérer la formation d'une telle Internationale qui, seule pourra
réaliser l'unité sur des bases révolutionnaires, les partis dont la
conférence se compose décident :
1) de concentrer leurs forces pour le développement d'actions
internationales;
2) d'utiliser toutes possibilités de coordination des forces prêtes à
l'action à une échelle internationale d'édifier, par là le 'groupement
international des travailleurs'30.

Une résolution présentée par le SAP en faveur d'une action


internationale contre la guerre est également adoptée. Des pourparlers ont
lieu avec des «représentants de différents partis de la IIe
Internationale», le dernier jour à Saint-Denis et il est décidé la création d'un Comité
mondial contre la guerre dont l'activité semble avoir été très réduite.
C'est pourtant sur cette question que, comme l'ensemble de
l'émigration antifasciste italienne, les maximalistes vont devoir se mobiliser
quelques mois plus tard à l'occasion de l'invasion italienne en Éthiope
en septembre 1935. Sans doute pour la dernière fois de leur existence
ils adhèrent à une organisation qui regroupe l'essentiel de ces forces
politiques. Le 1er septembre 1935 ils rejoignent le Comité international
pour la défense du peuple éthiopien où se retrouvent parmi beaucoup
d'autres la LIDU, la CGIL, Giustizia et Libertà, le Parti socialiste section
de l'IOS, l'organisation des Patronati italiens victimes du fascisme, le
Parti républicain et le Parti communiste italiens31. La Charte du Comité

30 ID.
31 Cf. Défense du peuple éthiopien et de la paix, organe du Comité international pour
la défense du peuple éthiopien et de la paix, n° 6 spécial, novembre 1935.
184 MICHEL DREYFUS

international pour la défense du peuple éthiopien et de la paix


s'organise autour des trois points suivants :
«Défense du droit international et des institutions qui le régissent pour
régler les rapports et les différends aujourd'hui inévitables entre les
divers états. Défense de la SDN dans la mesure où elle saura être à la
hauteur de sa mission qui est de réaliser avec tous ses moyens la paix et
de protéger chaque peuple contre l'agresseur.
«Défense du peuple éthiopien dans son existence et son indépendance. Il
faut nier qu'on puisse accomplir œuvre de civilisation au moyen de la
guerre. Il faut nier aussi le droit d'effectuer des marchandages sur le dos
des peuples. De même, Défense du peuple italien dont le prestige et la
force dans le monde seraient ruinés par une aventure sanglante et
déshonorante».
«Défense de la paix, idéal de toute l'humanité après le désastre de la
dernière guerre : la défense de la paix sans laquelle la crise qui désole le
monde s'aggraverait inévitablement jusqu'à la catastrophe»32.

En acceptant cette Charte, les maximalistes reconnaissent le


système de sécurité collective dans le cadre de la SDN ce qui est
contradictoire avec leur refus explicite de toute collaboration avec la
bourgeoisie, la SDN représentant selon eux une forme de domination
impérialiste. Mais l'adhésion du PSIm au Comité n'est pas sans réserves comme
en témoigne la déclaration suivante qu'il signe avec les autres partis
adhérents du BIUSR le 1er octobre :

«Le BIUSR prévient les ouvriers et leurs organisations du grave danger


de guerre. Il leur fait remarquer que la résistance à cette menace est
sérieusement compromise par la IIe et la IIIe Internationale.
La plupart des partis attachés à l'IOS soutient la défense nationale sous
le capitalisme et continue à répandre des illusions sur la SDN. En fait,
l'IC fait pression pour l'unité nationale avec les classes gouvernantes des
pays capitalistes alliés à l'URSS et encourage les systèmes de paix
collective dans le cadre du capitalisme.
Le BIUSR appelle les prolétaires à refuser toute unité nationale avec la
classe capitaliste ou des gouvernements capitalistes et à se préparer pour
l'action révolutionnaire de masse contre la guerre. Le BIUSR affirme
que les résultats révolutionnaires d'octobre en URSS ne peuvent être pré-

32 Id. Cf. également Dossiers Duchene, Organisations antifascistes, G F Δ Rés. 82.


Consultable à la Bibliothèque de documentation internationale contemporaine (BDIC).
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 185

serves que par le développement d'une politique et d'une action


révolutionnaire de tous les pays»33.

Créé avec le soutien de la plupart des organisations ouvrières et de


gauche34, le Comité international de défense du peuple éthiopien veut
mobiliser l'opinion mondiale contre le fascisme italien, soutenir la SDN
dans son action contre les «fauteurs de guerre» et organiser le boycott
des armes et des munitions envers l'Italie. Malgré ses appuis
considérables, son activité qui ne semble guère s'être poursuivie au-delà du début
de l'année 1936 se solde par un échec35. De nouveaux événements
internationaux d'importance vont interpeller les maximalistes : ils ont pour
nom Front populaire, guerre d'Espagne et Procès de Moscou.
Dès septembre 1935 les appuis internationaux des maximalistes se
sont encore renforcés par l'adhésion au BIUSR du POUM espagnol dès
sa constitution. C'est en septembre également que se constitue la
Gauche révolutionnaire de la SFIO qui, sans adhérer formellement au
Bureau, noue immédiatement des relations très étroites avec lui.
L'apparition conjointe de ces deux organisations est l'expression du
développement des luttes ouvrières qui se manifeste dans ces deux pays.
Comme les autres socialistes révolutionnaires, les maximalistes
prennent position sur la politique du Front populaire. Doivent-ils être
l'extrême gauche de ces Fronts ou faut-il au contraire condamner «la
collaboration de classe» qui les sous-tend? Et dans tous les cas, comment
influer sur les événements?
Tout en réaffirmant leur volonté d'adhésion au pacte d'unité
d'action dont ils ont été écartés, les maximalistes se prononcent pour l'unité
«organique» du prolétariat, la création d'un nouveau parti sur les bases
du socialisme marxiste, le refus de toute collaboration de classe, la
prise du pouvoir du prolétariat par la lutte révolutionnaire et le
«principe» de la dictature du prolétariat comme «régime transitoire et
exceptionnel pour la défense de la révolution et la transformation intégrale

33 Cf. Revolutionary socialist bulletin, organe du BIUSR, octobre 1935.


34 Sur l'attitude des Internationales ouvrières, cf. G. Procacci, Le Internazionali e
l'agressione fascista all'Etiopia, dans Annali, 1977, p. 7-172.
35 Dès le début 1936, le PSIm prend ses distances vis-à-vis du Comité : tout en se pn>
nonçant pour les sanctions, «il met en garde le prolétariat international contre les
illusions sur leur efficacité. Il réaffirme la nécessité d'un accord entre les diverses forces du
prolétariat international pour le boycottage du fascisme par les organisations ouvrières ».
Bollettino interno del PSIm, janvier- février 1936, n° 1.
186 MICHEL DREYFUS

du régime capitaliste en régime socialiste». Ce programme bien


différent de celui du Front populaire ne peut avoir, on l'imagine, de
répercussions immédiates en Italie.
L'absence de perspectives immédiates dans leur patrie explique la
passion avec laquelle les maximalistes - comme la très grande majorité
des émigrés antifascistes - suivent les événements d'Espagne à partir
de l'été 1936. Quelles que soient les divergences existant sur l'analyse
de la situation, la volonté de se battre contre des forces ouvertement
soutenues par Mussolini est partagée par tous comme l'exprime avec
tant de force le slogan de Carlo Rosselli : «Aujourd'hui en Espagne,
demain en Italie». Dès le début du conflit les maximalistes condamnent
vigoureusement la non-intervention prônée par le gouvernement de
Léon Blum et mettent l'accent sur les conséquences internationales de
la guerre d'Espagne, expression manifeste de sa dynamique interne.
Contrairement à ce que prétendent les IIe et IIIe Internationales la lutte
qui se déroule alors en Espagne n'est pas une lutte entre fascisme et
démocratie mais une lutte révolutionnaire dont l'enjeu est la victoire du
socialisme ou du fascisme et qui concerne le prolétariat mondial dans
son ensemble. En Catalogne, comme dans d'autres provinces
espagnoles, les ouvriers se battront avec dix fois plus d'énergie pour défendre
le nouvel ordre qu'ils sont en train de construire - leur ordre - plutôt
que pour soutenir une démocratie bourgeoise dont ils ne tireront que
de maigres bénéfices. La poursuite de la guerre, la victoire future
dépendront en dernière analyse, de l'approfondissement du processus
révolutionnaire : guerre et révolution doivent être menées de pair.
Cette analyse est approuvée par Dino Mariani, membre de la
direction du PSIm lors d'une conférence internationale organisée par le
BIUSR à Bruxelles du 31 septembre au 2 octobre 193636. Cet accord
politique s'accompagne d'une aide militante et matérielle. Des militants
du parti s'engagent dans la colonne Lénine37, la colonne internationale

36 Cf. Vers le socialisme mondial. La révolution espagnole. L'action contre la guerre, le


fascisme et l'impérialisme. Compte rendu du Congrès socialiste révolutionnaire de
Bruxelles. . ., édité par le POUM pour le BIUSR, 1936.
37 Selon un rapport de police du 9 septembre 1936 il y a déjà 30 italiens dans les
colonnes du POUM (maximalistes et trotskystes, ces derniers sans doute en nombre très
réduit). Appunto n° 441/0320003, 4 agosto 1936. ACS, CPC, F. Bogoni, cité par S. Sozzi, op.
cit., p. 273. Sur l'accord du PSIm et du BIUSR sur la guerre d'Espagne, cf. PSI, Bollettino
interno, novembre-décembre 1936.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 187

du POUM; la présence d'un fort contingent d'émigrés italiens explique


la publication pendant quelques mois en 1937 d'un organe en italien
par ce parti : La rivoluzione spagnuola3*.
On aurait cependant tort de croire que la lutte contre le
franquisme se fait dans l'unité complète. Bien au contraire. Dès l'été 1936 le
premier des «grands» procès de Moscou qui donne le signal d'une lutte
violente, à l'échelle internationale des communistes contre tous les
oppositionnels quels qu'ils soient, provoque de profonds remous au
sein du mouvement ouvrier. Assimilé à tort à un parti trotskyste, le
POUM est au centre de ces attaques que certains de ses militants - et
parmi eux Andres Nin, le plus connu - paieront de leur vie.
Sur cet épisode dramatique, la SFIO et le PSI, pour des raisons de
politique générale - Front populaire oblige - restent à peu près muets.
Dès le 4 septembre 1936, les maximalistes, comme les autres partis
adhérents du BIUSR, prennent position39. Tout en reconnaissant en
l'Union soviétique un état ouvrier, ils dénoncent toute forme de
terrorisme, expriment leur inquiétude devant le procès des Seize, affirment
ne pouvoir accepter les confessions faites au procès par les accusés
dans des circonstances suspectes. Enfin les maximalistes demandent la
construction d'une commission d'enquête composée de représentants
des diverses tendances du mouvement ouvrier afin d'examiner les
accusations portées contre Trotsky et se déclarent prêts à participer à cette
commission.
Cette position est à nouveau réaffirmée deux mois plus tard, lors
de la Conférence de Bruxelles40. Il ne fait' pas de doute en tout cas que
cet épisode contribue à creuser un peu plus le fossé entre le PCI et le
PSI d'une part et les maximalistes de l'autre et qu'il explique sans
doute leur rapprochement avec Giustizia e Libertà ainsi que les anarchistes
à partir de juin 193741. Ces derniers sont aussi victimes des attaques
communistes que ce soit en Espagne (C. Berneri, G. Rosini) ou plus tard
aux États-Unis (Carlo Tresca)42.

38 Cf. La rivoluzione spagnola, publicazione quindicinale del POUM, 4 numéros parus


de mars à avril 1937 (consultables à la BDIC).
39 Cf. New Leader, 4 septembre 1936.
40 Cf. Vers le socialisme mondial. . ., op. cit.
41 Cf. par ex. : Dichiarazione d'intesa fra il PSI e i gruppi anarchici italiani, dans
XAvanti!, η° 14, 1er août 1937.
42 Cf. Les procès de Moscou dans le monde, dans Cahiers Léon Trotsky, n° 3, spécial,
188 MICHEL DREYFUS

Ainsi la guerre d'Espagne dont l'issue est prévisible dès 1938


pousse irréversiblement les maximalistes à défendre un socialisme
révolutionnaire distinct de la politique du Front populaire, également en
échec à cette date. Que peuvent alors faire ces socialistes
révolutionnaires face à un nouveau conflit mondial menaçant?
Le mouvement ouvrier a été traumatisé dans son ensemble par le
choc, l'effrondrement que représente pour lui la Première guerre
mondiale. Les analyses qu'il fait à partir de 1937/38 sont inspirés par les
débats et l'expérience qu'il a connus à partir de 1914. Bien
qu'apparaissant dans un contexte tout à fait différent, les notions de bellicisme, de
pacifisme et de défaitisme révolutionnaire découlent d'analyses qui
précèdent la Révolution d'Octobre. Ces notions qui sont réexaminées
dans ce contexte nouveau entraînent au sein d'un même parti des
prises de positions contradictoires sur le problème de la guerre et de la
paix. Au sein du socialisme de gauche les maximalistes affrontent cette
question lors d'une nouvelle conférence internationale tenue à Paris en
février 193843. Il n'est plus possible d'espérer ramener la IIe
Internationale sur le chemin de la lutte des classes. Quant à l'IC elle est devenue
une organisation «réformiste, instrument de la bureaucratie stalinienne
réactionnaire». La tâche de l'heure consiste à rassembler toutes les
forces révolutionnaires sur les bases suivantes : action de classe à la base
de la lutte contre le capitalisme; rejet du social-patriotisme en temps de
guerre comme en temps de paix; rejet de toute forme de «paix civile
avec la bourgeoisie»; défense de la révolution espagnole et du POUM;
défense de l'Union soviétique dans le but de «sauvegarder ce qui peut
encore l'être des conquêtes d'Octobre». Le PSIm comme la majorité des
partis présents se prononce pour le défaitisme révolutionnaire.
Quelques mois plus tard lors de la crise de Munich le BIUSR tente de mettre
sur pied un Front ouvrier international contre la guerre dont on trouve
trace jusqu'en décembre 1941 à Mexico sous la forme d'un Manifeste
aux ouvriers de tous les pays au terme duquel figure la signature du
PSIm44. Le dernier numéro de YAvanti! est paru en mai 1940 et le parti

juillet-septembre 1979. La position du BIUSR a été l'objet de violentes polémiques avec


Trotsky et les trotskystes.
43 Cf. A new hope for world socialism. The resolutions adopted at the Revolutionary
socialist congress. February 19th-25th 1938, édité par the International Bureau for
revolutionary socialist unity.
44 Cf. El socialismo revolucionario ante la guerra. El frente obrero internacional contro
la guerra, Mexico, 1941.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 189

n'a qu'une existence et une activité des plus réduites pendant la guerre
où il disparaît en tant qu'organisation. Pourtant ce courant original du
socialisme italien se reconstitue à partir d'août 1943 sous la forme du
PSIUP. Mais ceci est une autre histoire.

Effectifs, implantation des maximalstes

À partir de diverses sources, et parmi elles les rapports de police


conservés au Casellario Politico Centrale45, il est possible de mieux
cerner la physionomie - les effectifs et l'implantation du PSIm - à partir
de 1926 date charnière à laquelle ce parti se réorganise dans
l'émigration. Mais sait-il s'y adapter? Est-il en ces circonstances capable de
modifier sa structure et son fonctionnement ou reste-t-il, en France,
prisonnier de ses vieux modèles, de ses anciens archétypes? Bien qu'il
soit difficile de répondre avec précision, il semble que le PSIm soit plus
un parti dans l'émigration qu'un parti de l'émigration comme en
témoigne par exemple son échec dans la Concentration. On peut aussi se
demander jusqu'à quand subsistent des relations avec l'Italie : s'il est
parfois fait mention de contacts suivis avec des camarades restés au
pays on ne dispose à l'heure actuelle d'aucune information précise.
Ainsi, l'histoire du PSIm à partir de 1926 en Italie reste entièrement à
écrire - dans la mesure où elle a existé. Cette césure complète entre un
parti réorganisé en France et des noyaux - mais que sont-ils
exactement? - restés en Italie contribue certainement à l'affaiblissement
général du parti.
On ne peut donc avancer ici que des chiffres concernant
l'émigration. D'entrée une évidence nous frappe : l'énorme décalage entre la
masse globale des émigrés italiens en France et la faiblesse des effectifs
des partis - et parmi eux le PSIm - qui s'efforcent de structurer cette
émigration.
Selon S. Fedele, le chiffre total des adhérents «n'était certainement
pas supérieur à 2500-3000 inscrits» parmi lesquels «150-200 militants»
particulièrement actifs à la fin de 192746. Selon un rapport de la
direction du parti47, le parti regrouperait un millier d'adhérents dont un

45 Je remercie ici É. Vial qui m'a fait bénéficier de ses fructueuses recherches dans ce
fonds essentiel en me transmettant de nombreux documents qui y sont conservés.
46 Cf. S. Fedele, Storia. . ., op. cit., p. 12.
47 Cf. Rapporto della direzione del PSI del novembre 1927, cité par L. Lembo, L'orga-
190 MICHEL DREYFUS

tiers seulement réside en France. À cette date YAvanti! a 1500 abonnés.


Le parti compte trois fédérations dans le «Centre» (la région
lyonnaise), la Côte d'Azur et le Nord ainsi qu'en Suisse, en Belgique et en
Argentine. Au total une trentaine de sections plus une trentaine de
groupes dans les divers pays d'Europe. Mais le parti est alors en pleine
réorganisation.
Ces effectifs ont un peu augmenté quelques années plus tard. Lors
du IVe congrès à l'extérieur (Paris, 4-5- juin 1933), le rapport moral est
approuvé par les camarades résidants en France, par 387 voix contre
22 48. Le parti dispose alors d'une Fédération parisienne, d'une autre en
banlieue (avec de fortes sections à Aubervilliers et Sartrouville) et de
quatre en province (Centre, Var et Bouches du Rhône, Côte d'Azur et
Sud-Ouest). En 1934 le parti totalise 684 adhérents dans le monde49; en
1937 un peu moins de 500 dont 253 pour la France (42 à Paris et 90 en
banlieue) et 229 dans le monde, dont 180 en Argentine50. À la veille de
la Seconde guerre enfin, les effectifs remontent à environ 600 dont 265
en France répartis dans une fédération à Paris (42), une en banlieue
(90) et six en province : Meurthe-et-Moselle (Auboué), Centre, Bouches-
du-Rhône, Côte d'Azur, Var, Loire Atlantique. Des groupes existent
également en Grande-Bretagne, en Tunisie, aux Etats-Unis (où réside
depuis 1936 Angelica Balabanova) en Suisse, en Belgique, au Luxembourg
et surtout en Argentine où le chiffre de 180 est à nouveau avancé51.
Pendant toutes ces années le tirage de Y Avanti! oscillerait entre 3000 et
4000 exemplaires, mais on ignore le nombre de militants restés en
Italie.
Ainsi, en dépit des variations qui ont pu se produire, après 1926, le

nizzazione. . ., op. cit., p. 231. Rappelons que les congrès du PSIm en France ont été les
suivants : Marseille (8-9 janvier 1928), Grenoble (16-17 mars 1930), Lyon (27-28 mars
1932), Paris (4-5 juin 1933), Saint-Ouen (30-31 décembre 1934), Boulogne-sur-Seine (5-7
juin 1937).
48 Rapport sur le IIe Congrès, Paris, 1933.
49 Cf. Rapport de police du 22 novembre 1934 ainsi que le Rapport sur le Ve Congrès
(Saint-Ouen) où il est fait mention de 684 inscrits, «20 de plus que l'an dernier».
50 Cf. Rapport sur le VIe Congrès (Boulogne-Billancourt). Selon un rapport de police
du 9 septembre 1936 le PSIm aurait compté alors 400 adhérents dont 200 en règle pour
leur cotisation. L1 Avanti! aurait tiré à 4000 exemplaire dont 3000 vendus mais quasiment
pas en Italie. La totalité des cotisations passe dans le salaire des deux permanents du
parti, Mariani et Andrich.
51 Cf. Relazione sull'attività del PSI massimalista, 1939.
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 191

PSIm n'a sans doute guère dépassé le millier d'adhérents de par le


monde, ce qui est évidemment fort peu. En 1927 les unitaires
n'auraient pas regroupé plus de 500 adhérents52. Renforcés par la
réunification de 1930, ils comptent jusqu'à 3500 militants en 193853. Les
communistes italiens dans l'émigration auraient été environ 2000 de 1923 à
1925, 1600 à leur niveau le plus bas en 1931, puis 1800 en 1932. En
1931 encore les effectifs totaux du PCI auraient été de 5600 membres54.
Tous ces chiffres sont très faibles en regard du nombre total d'émigrés
italiens en France55.
Les points forts du parti correspondent dans l'ensemble aux zones
de forte émigration italienne : Var, Bouches-du-Rhône, Côte d'Azur,
Sud-Ouest et région lyonnaise. Dans deux autres régions, le Nord et la
Lorraine, les résultats sont moins satisfaisants. Enfin une mention
spéciale doit être faite à Paris et sa banlieue - ce qui s'explique par
l'importance de la population ouvrière dans la région parisienne mais aussi
par les liaisons internationales du PSIm dont nous avons déjà évoqué
l'organisation «sœur» française. Rappelons ici que l'Union socialiste-
communiste constituée en mai 1923 de deux scissions du PC (fin 1922
et début 1923) adhère au Bureau international dès sa création.
Transformée en Parti socialiste-communiste en 1927, elle fusionne en
décembre 1930 avec une nouvelle scission du PC, le Parti ouvrier paysan
(POP) pour former le Parti d'unité prolétarienne (PUP). Dans leur
majorité les cadres de ces partis sont d'anciens dirigeants communistes
impliqués avant tout dans le travail municipal mais qui, écartelés à un
moment donné entre les exigences de leur mandat électif et le projet
révolutionnaire du parti auquel ils appartiennent, finissent par rompre
avec ce dernier. La plupart d'entre eux se trouvent en banlieue et
disposent d'un certain pouvoir au niveau municipal56. Ils peuvent donc
venir en aide aux émigrés italiens, leur fournir travail, logement, etc. . .

52 Cf. L. Lembo, L'organizzazione . . ., op. cit., p. 232.


53 Cf. L. Lembo, L'organizzazione. . ., op. cit., p. 238.
54 F. Valenti, Le Parti communiste français et les immigrés italiens de 1923 à 1932,
p. 91 à 94.
55 En 1921 on compte 451 000 immigrés italiens en France, 760 000 en 1926 et 808 000
en 1931 selon l'Annuaire statistique de la France. Cité par F. Valenti, op. cit., p. 92.
56 Cf. M. Dreyfus, Dissidences communistes et implantation municipale en banlieue
parisienne, 1920-1940 (Communication présentée au colloque Henri Sellier tenu à Sures-
nes du 24 au 26 novembre 1983).
192 MICHEL DREYFUS

On trouve souvent mention dans les publications de l'USC puis du PUP


de ces rapports fraternels entre les deux organisations ce qui, sans nul
doute contribue à expliquer cet aspect particulier de l'implantation du
Parti socialiste italien maximaliste.

*
*

L'histoire du PSIm se solde apparemment par un échec. Son projet


politique global - la reconstitution de l'unité du prolétariat sous le
drapeau du socialisme révolutionnaire - ne s'est pas réalisé. À l'exception
d'une brève période de cinq ans de 1934 à 1939 le mouvement ouvrier
politique et syndical a dépensé une énergie considérable dans des luttes
fratricides. À partir d'août 1939 et du pacte germano-soviétique il est
plus divisé et désorienté encore qu'il ne l'avait été depuis deux
décennies. Le socialisme révolutionnaire défendu par le PSIm apparaît bien
plus dans les années 1930 comme la réminiscence d'un passé peut-être
glorieux que comme une réalité politique existante. Ce parti d'émigrés
survit dans l'émigration sans arriver à maintenir suffisamment de liens
avec la classe ouvrière italienne. Incapable de repenser sa stratégie, ses
alliances, son fonctionnement, ses structures, son échec semble patent.
Et pourtant. . . Sans nier toutes ces faiblesses, il est cependant
nécessaire de nuancer un tel bilan. Par ses liaisons internationales, le
PSIm se trouve au cœur de l'émigration politique européenne et en
contact avec de nombreux groupes émigrés qui, comme lui, ont été
contraints de se réfugier en France, cette plaque tournante de
l'émigration politique européenne. Son appartenance au BIUSR dont l'audience
bien méconnue actuellement ne saurait être retracée ici se fait au
moment même où les deux «grandes» Internationales ouvrières, ces
colosses aux pieds d'argiles, connaissent elles-mêmes une très profonde
crise qui s'achève par leur disparition. Numériquement forte, l'IOS,
selon son propre secrétaire général devient incapable à partir de 1933
de répondre aux problèmes de l'heure. En 1939, F. Adler estime que
l'organisation dont il a été depuis sa constitution l'un des principaux
dirigeants est politiquement morte57. Les résultats ne semblent pas plus

57 F. Adler s'est exprimé dans deux documents rédigés l'un en 1939, l'autre en 1940,
publiés par Herbert Steiner sous le titre : L'Internationale socialiste à la veille de la IIe
LES MAXIMALSTES ITALIENS DANS L'ÉMIGRATION 193

brillants pour l'IC la même année. Tout jugement historique sur le


PSIm doit être replacé dans ce contexte plus général de crise profonde
du mouvement ouvrier. Envisagé comme courant italien ou
international, le maximalisme, si sévèrement condamné, nous l'avons vu par
Angelo Tasca, est un révélateur de cette crise, l'expression particulière
de difficultés rencontrées par la classe ouvrière italienne et
internationale à l'époque sans doute la plus tragique de son histoire.

Michel Dreyfus

Guerre mondiale. Cf. Le Mouvement Social, n° 58, janvier-mars 1967. Cf. aussi sur la crise
de l'IOS l'ouvrage collectif fondamental paru récemment sous la dir. d'E. Collotti, E. CoL-
LOTTi, L'Internazionale operaio e socialista tra le due guerre, dans Annali Feltrinelli, 1983-
1984, Milan.

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