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Revue Juridique de

l'Environnement

Droit pénal de l'environnement


Marie-José Littmann-Martin

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Littmann-Martin Marie-José. Droit pénal de l'environnement. In: Revue Juridique de l'Environnement, n°2, 1982. pp. 154-169;

doi : https://doi.org/10.3406/rjenv.1982.1721

https://www.persee.fr/doc/rjenv_0397-0299_1982_num_7_2_1721

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DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT

M.-J. LITTMANN-MARTIN
Chargée de conférences à la Faculté de droit de Strasbourg

Le domaine du droit pénal de l'environnement est vaste, et aussi difficile à


définir que les intérêts mêmes qu'il entend défendre. Il englobe, bien
évidemment, la répression des pollutions et nuisances qui affectent l'eau, l'air, le
silence, le sol ; celle des atteintes à la nature par le biais des êtres qui la peuplent,
des plantes, forêts, paysages qui l'animent. Mais il peut aussi annexer certaines
infractions au droit de l'urbanisme, lorsqu'elles altèrent ou détruisent la beauté
d'un site, l'harmonie d'un monument, d'un ensemble urbain ou campagnard.
Cette diversité expliquera le contenu hétérogène d'une telle chronique dont le
choix des thèmes sera commandé par l'actualité judiciaire et législative. Les
observations qui suivent seront consacrées à la répression de la pollution des
eaux fluviales.

LA REPRESSION DE LA POLLUTION DES EAUX FLUVIALES

L'article 434-1 du Code rural est présenté, avec raison, comme le meilleur
instrument de lutte contre la pollution des eaux fluviales (1). L'interprétation
extensive des éléments constitutifs de cette infraction permet une si large
application de ce texte, qu'on la croit facilement sans limites. D'où l'intérêt de
décisions qui rappellent la nécessité de certaines conditions, conditions de fond,
relatives aux éléments constitutifs de l'infraction (A), mais aussi, conditions de
forme, touchant à la poursuite (B).

A) Conditions relatives aux éléments constitutifs de l'infraction


L'article 434-1 du Code rural réprime: «quiconque aura jeté ou laissé
écouler dans les cours d'eau, directement ou indirectement des substances
quelconques dont l'action ou les réactions ont détruit le poisson ou nui à sa
nutrition, à sa reproduction ou à sa valeur alimentaire ». Son application est donc
liée à l'existence d'un déversement nuisible aux poissons et à la réalité de cette
nuisance. Ces questions, fréquemment discutées, n'ont fait l'objet d'aucune

(DM. Despax, Le Droit de l'Environnement. Litec 1980, p. 369 et ss. § 306.


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décision ou évolution marquante, du moins à notre connaissance (2). Nous ne les


évoquerons pas.
Nous retiendrons, en revanche, la détermination du lieu du déversement
toxique, parce que rarement évoqué, l'élément intentionnel du délit, extrêmement
controversé, la désignation du responsable, variable selon les espèces.

a) Le lieu du déversement polluant


La chambre d'accusation de la Cour d'appel de Douai, le 22 avril 1981
(inédit), a exclu l'application de l'article 434-1 du Code rural, après avoir constaté
que le lieu du déversement nocif était un étang, « l'article 427 du Code rural
prévoyant que les dispositions du Titre II du livre III, relatif à la pêche fluviale, ne
sont pas applicables aux enclos aménagés sur les fonds d'eau visés à l'article 401
du même code ». La décision de non-lieu qui suivit cette constatation rappelle
opportunément que l'article 434-1 du Code rural, malgré son vaste domaine
d'application, ne protège pas les eaux closes.
1. - Le texte vise l'écoulement toxique dans les cours d'eau, cet écoulement
pouvant être direct ou indirect. Cette dernière possibilité est exploitée par la
jurisprudence au-delà de ce qu'autorise la règle de l'interprétation stricte des
textes pénaux.
C'est ainsi qu'elle assimila à un cours d'eau, le chenal, la rigole ou le fossé
dans lesquels se déversa la substance toxique, dès lors qu'ils communiquent
avec la rivière et « que les substances nocives n'ont pas été décantées avant
l'arrivée à celle-ci ou qu'elles l'ont été insuffisamment » (3). L'article 434-1 du
Code rural sanctionna le propriétaire d'une porcherie dont les eaux de lavage
rejetées à la rivière avaient détruit des truites d'élevage dans des bassins
approvisionnés par l'eau de cette rivière. Le poisson sauvage vivant dans le cours
d'eau ne semblait pas souffrir de la pollution, et le résultat nocif ne s'était
manifesté que dans les bassins du pisciculteur. L'assimilation d'un bassin
d'élevage à un cours d'eau pouvait sembler hasardeuse. La Cour de cassation
approuva pourtant le recours à l'article 434-1 du Code rural, « car la loi n'exige
pas que la destruction du poisson ait été constatée sur tout le parcours de la
rivière, dès lors qu'il est établi, comme en l'espèce, que le déversement... a
entraîné la mort de certains d'entre eux vivant dans les eaux en provenance de la

(2) La Cour de cassation, le 1 1 avril 1970, D. 1972. J. 1 13, note Despax, a approuvé l'application de l'article
434- 1 du Code rural, au déversement d'eaux résiduaires ayant élevé la température de l'eau, et provoqué la mort du
poisson par asphyxie. Un peu aventureuse eu égard au texte, la répression de la pollution thermique est opportune,
mais elle suppose la destruction du poisson ou l'altération de sa santé, de ses facultés de reproduction. Elle serait
impossible lorsque s'enfuit une espèce avide d'eau glacée, remplacée par d'autres friandes d'un milieu moins
vivifiant. (Sur la pollution thermique, consulter M .Despax, op. cit., p. 374 et ss.)
Si l'on continue à s'inquiéter des méfaits occasionnés par cette forme insidieuse de pollution, et à les chiffrer
(M. Ambroise Rendu, « L'écologie fait ses comptes », journal Le Monde, 23-24 et 25 février 1982, et spécialement,
la première partie de cet article « Les pollutions sont plus coûteuses que le chômage », Le Monde du 23 février
1982), certains pionniers se proposent pourtant, d'exploiter ces eaux réchauffées, tout à fait adaptées à
l'aquaculture (sur les projets d'un «lotissement aquacole » à Gravelines, Le Monde, 24 et 25 janvier 1981).
(3) Crim. 14 novembre 1963, Bull. n° 323 20 février 1957, Bull. n° 175, p. 296 ; 26 juin 1956, Bull. n° 439, p.
895 ; 19 avril 1954, D.1954.J.476. Ajouter pour une extension analogue, Tb. corr. Béthune, 17 septembre 1976,
;

R.J.E. 1977-2, p. 189, note M.-J. Littmann -Martin, décision infirmée pour d'autres motifs, par la Cour d'Appel de
Douai, 25 février 1977, R.J.E. 1977-3, p. 317, note M.-J. Littmann-Martin.
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rivière polluée » (4). Soulignons encore cette volonté d'étendre la notion de cours
d'eau, lieu du déversement, à l'occasion d'infiltrations polluantes dans le sol, qui
vont ensuite empoisonner des cours d'eau. Des poursuites seront possibles,
fondées sur l'article 434-1 du Code rural, ainsi qu'en témoigne l'arrêt Ferrier, du
28 avril 1977 (5). Cette décision, fort critiquée, retint l'attention des
commentateurs, car elle affirmait, brutalement, la nature matérielle de l'infraction à l'article
434-1 du Code rural. Elle contenait un autre aspect intéressant qui fut laissé dans
l'ombre : celui d'une pollution résultant d'une fuite de mazout par une
canalisation corrodée. Les juges du fond constatèrent que « le mazout qui s'était
répandu dans le sol... a continué à polluer la rivière en raison de la nature du
terrain et du régime des pluies », et estimèrent que l'élément matériel de
l'infraction devait être retenu à la charge de Ferrier. Mais ils le relaxèrent pour
défaut d'élément intentionnel. Cette dernière affirmation fut censurée par la Cour
de cassation, qui par ailleurs, ne pouvait qu'approuver, ainsi qu'elle l'avait déjà
fait (6), l'utilisation de l'article 434-1 du Code rural, dans une pollution par
infiltration ayant détruit du poisson.
Mais ces multiples extensions ont en commun ceci : les déversements
toxiques ont été, sont ou seront véhiculés par des eaux libres. Elles ne peuvent
concerner des eaux closes.
2. - La notion d'eau close reste un obstacle théoriquement insurmontable à
l'application de l'article 434-1 du Code rural. Il résulte, ainsi que vient de le
rappeler la Cour d'appel de Douai, de la combinaison des articles 427 et 401 du
Code rural (7). La distinction entre les deux catégories d'eau, les libres et les
closes, est donc fondamentale pour une lutte efficace, ou non, contre leur
pollution.
La jurisprudence s'est employée à déterminer ces notions dans le cadre
général de l'exercice du droit de pêche « lequel n'est réglementé par le Code rural
que dans les eaux libres par opposition aux eaux closes (ou enclos) qui échappent
à la législation (article 401 du Code rural)» (8).
Les Eaux et Forêts préconisèrent une définition rigoriste mais logique : le
critère d'une eau close serait l'absence totale de communication entre les milieux
liquides. Interprétation rejetée par la chambre criminelle qui se fonde sur la libre
circulation ou non des poissons. Une eau close est une eau dont le poisson ne
peut s'échapper, une eau libre, celle que le poisson peut quitter. La Cour de
cassation estime que ces textes ont pour objet, « non le régime des eaux, mais la

(4) Crim. 2 avril 1974, D.1975.J. 180, note Despax. M. Despax développe également cette décision, qu'il
tient à juste titre pour extrêmement significative, dans son ouvrage déjà cité, p. 381, note 50.
(5) J.C.P. 1978-11-18931, note M. Delmas-Marty ; D. 1978, J. 149, note M.-L Rassat ; R.S.C. 1978,
p. 335, obs. A. Vitu.
(6) Crim. 11 février 1953, D. 1954, J. 403.
(7) L'article 401 du Code rural édicté « Nul ne peut exercer le droit de pêche dans les eaux libres, lacs,
canaux, ruisseaux ou cours d'eau quelconques qu'en se conformant aux dispositions du présent titre. » L'article 427
:

du Code rural, placé en titre d'un chapitre II, consacré à la police de la pêche, et d'une section première intitulée,
« dispositions générales et pénales », affirme « Les dispositions du présent titre ne sont pas applicables aux enclos
aménagés sur les fonds d'eau visés à l'article 401 ».
:

(8) M. Léotard, Rép. pén., v° Pêche, n° 8 ; Adde, H. Blin, J. Class. Pénal, Lois pénales annexes, s/ Pêche
fluviale, n° 8 et ss.
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conservation du poisson par la réglementation de la pêche ». Peu importe, donc,


le fait matériel de communication des eaux ; si des obstacles insurmontables
interdisent celle du poisson, l'eau sera qualifiée de close et échappera à la
réglementation sur la pêche, qui pourra donc s'y pratiquer librement (9). Cette
qualification persiste alors même qu'un événement fortuit, telle une inondation,
vient mettre cette eau close en communication avec d'autres eaux, car la Cour de
cassation estime que le régime des eaux closes ou libres ne saurait être modifié
par un facteur accidentel ou exceptionnel (10).
S'agissant de pollution des eaux, ce critère est inadapté. M. Despax fait
observer avec pertinence « qu'il importe peu (pour la notion de cours d'eau), que
les poissons puissent ou non circuler librement, c'est l'écoulement et la
circulation de l'eau, véhicule de la pollution, qui compte » (1 1). L'article 434-1 du
Code rural doit pouvoir s'appliquer lorsqu'une eau polluée, généralement close,
étang, réservoir, vient empoisonner les eaux d'une rivière lors d'une crue, d'une
rupture de vannes ou de digues. Mais la solution affirmation est plus douteuse en
cas de pollution accidentelle entre des eaux habituellement closes, difficilement
assimilables à un cours d'eau. Elle devrait être rejetée pour une eau enfermée de
tous côtés, et l'arrêt de la Cour d'appel de Douai, refusant d'appliquer l'article
434-1 du Code rural est juridiquement correct, encore que la Cour de cassation ne
semble pas s'émouvoir d'une interprétation extensive (12).
On mesure ainsi certaines limites de l'article 434-1 du Code rural, marqué par
sa finalité première, la protection du poisson et non celle de l'eau. Les juridictions
répressives, faisant prévaloir l'intérêt de l'environnement sur le respect de
l'interprétation stricte, se sont affranchies de quelques-unes d'entre elles (13),
mais d'autres demeurent : le déversement de substances toxiques en eau close
en est une illustration. Seule la création d'un délit de pollution autonome
résoudrait cette difficulté (14). Il est vrai qu'elle en créerait d'autres, liées à
l'exigence d'un élément intentionnel, encore que cette difficulté ne soit pas
nettement tranchée dans le cadre de l'article 434-1 du Code rural.

b) L'élément intentionnel
Le 28 avril 1977, la chambre criminelle affirma, sans justification, que
l'infraction à l'article 434-1 du Code rural est qualifiée de matérielle. Cette

(9) Crim. 14 novembre 1930, D.P. 1932. 1.86, et le rapport du conseiller Bourdon; Crim. 22 juin 1955,
D. 1955. J.578 ; Crim. 1»' mars 1961.S. 1961 266 ; cpr. Crim. 1 1 mars 1964, D.1965. J.134, note Rérolle, Bull., n°88,
p. 200.
(10) Crim. 1er mars 1961, S.1961-266, D.1961.J.323 ; Grenoble, 15 décembre 1961, D.1963.J.310, note
Rérolle ; Crim. 23 janvier 1980, Bull. n° 35, p. 82, R.S.C. 1980, p. 979, obs. A. Vitu. Cpr. Angers, 17 mars 1960,
J.C.P. 1960-11-11646, note H. Delpech.
(11) Op. cit., p. 381, §309; En ce sens, Lamarque, «Droit de la protection de la nature et de
l'environnement», L.G.D.J., 1973, p. 781.
(12) Crim. 22 janvier 1980, R.J.E. 1980-2 p. 180, obs. Littmann-Martin. Cette décision ne censure pas
l'application de l'article 434-1 du Code rural à une pollution d'étang par des insecticides. Le pourvoi, il est vrai, ne
s'insurgeait pas contre cette application, et les faits sont insuffisamment relatés pour qu'on en déduise qu'il
s'agissait d'une eau rigoureusement close.
(13) Quant à la nature du déversement, voir supra note 2. Quant à la tendance à considérer l'infraction à
l'article 434- 1 du Code rural, non comme une infraction de résultat, mais comme une infraction formelle réalisée
indépendamment d'un dommage effectif, Douai, 25 février 1977, R.J.E. 1977-3 p. 319 et nos observations.
(14) Sur les projets élaborés à ce sujet, Rapport Vilmorin, « La lutte contre les atteintes à l'environnement »,
Ministère de l'environnement et du cadre de vie, 1981, p. 106.
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négation de tout élément intentionnel ou fautif fut sévèrement critiquée (15), et la


réaction d'auteurs éminents n'est sans doute pas étrangère à l'abandon implicite
d'une jurisprudence discutable.
Il s'effectue dans la discrétion, évitant tout revirement spectaculaire (16).
Une décision du 25 mars 1981 (inédite à ce jour), s'inscrit dans ce cheminement
vers un retour à l'exigence d'une pollution, sinon volontaire, du moins fautive. La
Cour de cassation approuve la condamnation d'un chef d'entreprise et d'un chef
d'équipe, car « des preuves soumises aux débats contradictoires, il résulte à la
charge des demandeurs un défaut de surveillance et de direction ». En l'espèce, le
déversement était volontaire puisque le contenu du camion citerne a été
délibérément rejeté dans la rivière, mais les condamnés n'avaient pas conscience
de la nocivité du liquide car, en elles-mêmes, les matières n'étaient pas
polluantes. En effet, les hydrocarbures et goudrons déversés dans le cours d'eau,
et à l'origine de la pollution, provenaient d'un précédent chargement qu'un
nettoyage insuffisant ou inexistant de la citerne n'avait pas éliminés. Les juges du
fond reprochèrent au chef d'équipe de n'avoir pas vérifié la propreté de la cuve et
surtout, de n'avoir pas interrompu le déversement lorsqu'un pêcheur vint l'avertir
que la rivière se couvrait de résidus huileux. Au directeur fut imputé un manque
d'instructions à son personnel, pour qu'il veille au respect et au contrôle des
mesures de nettoyage. Pour la Cour de cassation, ces faits caractérisent un
comportement fautif justifiant leur condamnation.
L'élément moral du délit visé à l'article 434-1 du Code rural serait donc
suffisamment caractérisé par une faute de négligence ou d'imprudence. La
chambre criminelle adopterait une situation de compromis entre la nécessité d'un
dol général, déterminé par un déversement volontaire de substances que l'on sait
toxiques (17), et la suppression de toute référence à l'intention ou à la faute. Sans
être totalement satisfaisant, car l'assimilation entre pollueur délibéré et pollueur
négligent demeure, il y a là un progrès qui méritait d'être souligné (18).

c) Le responsable
Le salarié n'avait pas nettoyé la citerne et apparaissait comme auteur
matériel de l'infraction, et directement à l'origine de la pollution. Mais il ne semble
pas avoir été impliqué. Furent seules retenues la responsabilité du chef d'équipe
et celle du directeur de l'entreprise. Ce dernier faisait valoir « que sa société
n'étant pas un établissement classé au sens de la loi du 19 décembre 1917, il ne
pouvait encourir une responsabilité pénale du fait d'un manquement imputable à
un employé de l'entreprise non classée ». Il contestait donc le recours à la
responsabilité pénale du fait d'autrui. La Cour de cassation ne répond pas

(15) M.-L. Rassat, D. 1978.J.149 ; M. Delmas-Marty, J.C.P. 1978-11-18931 ; Rapport Vilmorin précité, p. 67.
(16) Crim. 20 décembre 1977, J.C.P. 1978-11-18932, note M. Delmas-Marty; crim. 22 janvier 1980, R.J.E.
1980-2-180, obs. Littmann-Martin.
(17) La Cour de cassation définissait ainsi l'élément intentionnel ; voir par exemple, crim. 27 janvier 1954,
Bull. n°38. Comparer, crim. 27 juillet 1970, Bull. n°25O, p. 597.
(18) Cette jurisprudence répondrait aux vœux de la commission Jung, v° Rapport Vilmorin précité,
fermement approuvés et développés par M. Delmas-Marty, in « Etude des simplifications et de l'harmonisation des
réglementations résultant de la création de catégories d'infractions destinées a la protection de l'environnement »,
étude réalisée pour le M.E.C.V., Mission des Etudes et de la Recherche, par la S.F.D.E. 1981, p. 13 et p. 27.
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directement à cette argumentation et approuve simplement la condamnation
fondée sur une autre faute personnelle caractérisée. Le principe selon lequel la
responsabilité pénale ne peut résulter que d'une faute personnelle est sauf, en
apparence tout au moins. En fait, il est aisé d'imputer une pollution à
l'employeur : soit elle est le résultat d'une organisation défaillante de son
entreprise, il est alors normal que la responsabilité remonte à celui qui dispose
des pouvoirs et des moyens de direction ( 1 9), soit elle est liée au comportement
négligent, imprudent d'un subordonné, et les juges répressifs en déduisent un
manque d'instruction ou un défaut de surveillance, ce qui est beaucoup plus
contestable (20).
Pourtant la mise à l'écart du salarie, auteur matériel de la pollution, n'est pas
toujours systématique. Il arrive qu'il soit inculpé et condamné : ainsi d'un
employé qui procéda, sur l'ordre de son patron, à l'épandage de lisier jusqu'à la
berge d'un ruisseau, provoquant une grave pollution. Le patron, inculpé comme
auteur, fut condamné en qualité de complice sur le fondement de l'article 60 § 1
du Code pénal, qui réprime, sous cette qualification, la fourniture d'instructions
(21).
Le manque d'homogénéité des solutions à ce sujet crée un certain arbitraire
dans la répression du subordonné, arbitraire accentué par l'exercice
discrétionnaire du pouvoir transactionnel confié à l'administration. Celle-ci semble-t-il,
propose surtout une transaction aux responsables de pollutions chroniques, car
les éléments de la négociation inclueront la cessation, ou la réduction de la
pollution par des modifications techniques appropriées. Au contraire, lorsque la
pollution est isolée, accidentelle, nous pourrions dire, artisanale, la transaction
sera moins fréquente ; d'une part, elle serait sans incidence sur la persistance de
la pollution par hypothèse temporaire, d'autre part, elle serait insuffisamment
exemplaire. Une procédure répressive incitera les coupables à une conduite
moins désinvolte à rencontre de l'environnement.
Cette impression, toute personnelle, et qu'il conviendrait d'étayer par des
vérifications auprès de l'administration (22), provient du nombre de décisions

(19) La Cour de cassation affirme alors que, « dans les industries soumises à des règlements édictés dans un
intérêt de salubrité ou de sûreté publique, la responsabilité pénale remonte essentiellement aux chefs d'entreprise
auxquels sont personnellement imposés les conditions et le mode d'exploitation de leur industrie », crim. 27 juillet
1970, Bull. n° 250, p. 597 ; 14 février 1967, Bull. n° 65, p. 151 ; 18 février 1956, Bull. n° 205, p. 369. Compte tenu de
l'interprétation exagérément restrictive de la force majeure, la seule cause d'exonération du chef d'entreprise sera la
délégation de pouvoirs. La Cour de cassation en vérifie la nécessité et l'effectivité, ainsi, crim. 14 février 1973, Bull.
n°81, p. 191 ; 27 juillet 1970, Bull. n° 250, p. 597 et les arrêts cités.
(20) Despax, op. cit., p. 387 et ss., § 312. Signalons pourtant, dans l'affaire que nous évoquons, que les juges
du fond relèvent une condamnation antérieure de l'employeur pour des faits identiques, ce qui démontre un
comportement désinvolte, et (ou), un manque d'autorité coupables de la part du chef d'entreprise.
(21) Trib. corr. Rennes, 25 janvier 1979 (inédit). Pour un cantonnier, auteur matériel de l'infraction, Crim. 12
janvier 1977, Bull. n° 18, p. 43. Le prévenu avait été condamné pour violation de l'article 1" § 2, de la loi du 16
décembre 1964, et de l'article 1" du décret du 15 décembre 1967. La Cour de cassation rectifia cette qualification,
substituant l'article 434-1 du Code rural à la loi du 16 décembre 1964 au motif que l'article 1er, § 2, n'édicte par lui-
même aucune prescription de nature à être penalement sanctionnée. Le condamné invoquait l'excuse d'obéissance
hiérarchique. La Cour de cassation affirma, que « le fait de se conformer aux ordres de ses supérieurs hiérarchiques
ne saurait constituer ni un fait justificatif, ni une excuse permettant d'échapper aux conséquences de l'infraction
commise ». Dans cette espèce, les donneurs d'ordres ne semblent pas avoir été inquiétés.
(22) Le nombre et les modalités des transactions restent confidentiels, et l'accès aux documents est difficile.
Voir pourtant le rapport Vilmorin, cité, p. 71 et les chiffres proposés. Mais ce rapport ne contient aucune précision
quant aux bénéficiaires ou aux exclus de cette procédure.
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relativement importantes appliquant l'article 434-1 du Code rural, à des


cantonniers, des agriculteurs, des éleveurs ayant manié sans prudence des
désherbants, des produits anti-parasitaires, par rapport à celui, très réduit, visant
des industriels responsables de pollutions régulières et organisées. S'il en était
ainsi, la finalité de la transaction, telle qu'elle est présentée (23), ne serait pas
respectée, mais assurerait la protection de l'eau avant tout. De ce point de vue,
en effet, la transaction est préférable à une condamnation fondée sur l'article
434-1 du Code rural car les peines principales qu'il prévoit sont, soit inappliquées
- c'est le cas de l'emprisonnement - , soit insuffisantes, la peine d'amende ne
dépasse pas huit mille francs, somme qui représente un permis de polluer, très
supportable pour une entreprise, même modeste (24). En outre, le juge répressif
ne dispose pas de mesures complémentaires permettant de remédier à la
dégradation de l'environnement par la pollution de l'eau tels, l'ordre d'exécuter
des travaux, la fermeture de l'établissement... On ne saurait trop insister sur
l'urgence d'une réforme en ce sens (25). Mais ces observations sommaires
concernant la transaction, anticipent sur les développements relatifs aux
poursuites.

B) Conditions de forme touchant à la poursuite de l'infraction


Insistons, d'abord, sur les risques d'annulation de toute la procédure,
lorsque les prescriptions de l'article 434-1 alinéa 2 du Code rural ne sont pas
respectées. Rappelons ensuite les conditions sévères exigées pour la recevabilité
de l'action civile exercée par une personne morale.
a) Le respect des prescriptions de l'article 434-1 § 2 du Code rural à peine de
nullité
L'article 434-1 § 2 du Code rural dispose: «En ce qui concerne les
entreprises relevant de la loi du 19 décembre 1917 relative aux établissements
dangereux, insalubres ou incommodes, l'avis de l'inspecteur départemental des
établissements classés est obligatoirement demandé, avant toute transaction ou
poursuite judiciaire sur les conditions dans lesquelles le contrevenant a appliqué
les dispositions de la loi précitée ». On s'est interrogé sur la portée de l'obligation
faite au parquet de consulter l'inspecteur des établissements classés avant la
mise en mouvement de l'action publique. Le texte, en lui-même, ne prévoit
aucune sanction dans l'hypothèse d'une omission ou d'un oubli. Ce qui
n'empêcha pas la Cour de cassation de conclure à la nullité du réquisitoire
introductif et de toute la procédure qui l'avait suivi. « Attendu qu'il résulte du
texte même de cette disposition impérative qu'aucun acte de poursuite ne peut
être effectué et que, notamment, un réquisitoire introductif ne peut être délivré à

(23) Rapport Vilmorin, préc. ; M. Despax, op. cit., p. 396 et ss.


(24) D'autant que les juridictions prononcent rarement l'amende maximale. Pour une constatation, par le
tribunal, de cette insuffisance : Trib. corr. d'Evreux, 13 janv. 77, R.J.E. 3-1978, p. 282, note Littmann-Martin. Un
projet de réforme global du droit de la pêche vient d'être élaboré. Il propose, entre autres modifications, d'aggraver
les peines d'amendes de l'article 434-1 du Code rural. Elles seraient fixées de 3 000 à 120 000 F. Dernières
Nouvelles d'Alsace, le 9 février 1982.
(25) Rapport Vilmorin, préc. p. 114 et ss. ; M.-J. LittmanrirMartin, « Etude des modalités d'extension des
peines complémentaires de caractère céel et plus particulièrement du système des plans de travaux ou plans de
sécurité », étude réalisée pour le M.E.C.V., Mission des Etudes et de la Recherche par la S.F.D.E., 1981, p. 51-p. 95.
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DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT 161

raison de faits de pollution de cours d'eau par une entreprise relevant de la loi du
19 décembre 1917, sans que l'inspecteur départemental des établissements
classés ait été préalablement appelé à donner son avis » (26).
En l'espèce, la Cour d'appel avait tenté de remédier à l'irrégularité en
évoquant, et en ordonnant un supplément d'information afin de recueillir l'avis de
l'inspecteur des établissements classés. La Cour de cassation cassa. La poursuite
n'avait pas été valablement engagée ; le remède procédural imaginé par la Cour
d'appel était inopérant. Etait ainsi anéantie toute une procédure qui s'étendait sur
plusieurs années.
La loi du 6 août 1975 introduisit un article 802 dans le Code de procédure
pénale, article qui bouleverse considérablement le régime des nullités (27).
Désormais, la violation d'une formalité prescrite n'entraîne la nullité que si cette
irrégularité a porté atteinte aux intérêts de la partie concernée par la formalité
transgressée. Ce texte se proposait de limiter les annulations, incitatrices de
procédures dilatoires, dissipatrices de temps, de deniers et d'énergie, sources
d'échec de la répression (28).
L'article 802 du Code de procédure pénale va-t-il modifier la jurisprudence
sanctionnant, par la nullité, l'inobservation de l'article 434-1 § 2 du Code rural ?
La réponse est négative. La position de la Cour de cassation est restée inchangée,
et elle semble respectée par les Cours d'appel. Le fait de ne pas demander l'avis
de l'inspecteur des établissements classés, avant d'engager des poursuites
pénales, est une cause d'annulation de l'acte de poursuite, et de la procédure
ultérieure. Cette jurisprudence, d'un intérêt pratique évident, peut être considérée
avec réserves.
Le 6 février 1979 (inédit), la Cour de cassation approuva un arrêt de la Cour
d'appel de Rennes, déclarant irrecevable la constitution de partie civile d'un
pisciculteur, et annulant toute la procédure à partir du premier acte de poursuite à
rencontre du pollueur, au motif que, s'agissant d'une installation classée, l'avis
préalable de l'inspecteur de ces installations était nécessaire (29). Mais la Cour de
cassation, et pas davantage le pourvoi, ne font référence à l'article 802 du Code
de procédure pénale. La chambre criminelle ne donne aucune justification à son
approbation, qui procède de la simple affirmation (30).

(26) Crim. 9 mai 1974, Bull. n° 169.


(27) G. Stéfani, G. Levasseur, B. Bouloc, Procédure Pénale, Précis Dalloz, 1 1* édit. 1980, p. 557 et ss., § 539
et ss., et les nombreuses références citées; J. Pradel, TU, Procédure Pénale, 2* édit. 1980, p. 467, 1467;
P. Couvrat, «Les méandres de la procédure pénale», D.1976. chron. p. 43; J.Robert, J.C.P. 1975-1-2729;
A.Maurice Hersant, «Réflexions sur l'article 802 C.P.P », D.1976, chron. p. 115, et D.1979, chron. p. 259.
(28) L'arrêt du 9 mai 1974 constate, découlant de la nullité de la procédure, que la prescription est désormais
acquise ; le délai ne pouvait être valablement interrompu par des actes nuls.
(29) Au contraire, le tribunal correctionnel avait condamné le pollueur malgré la prescription de l'article 434-
1, alinéa 2 du Code rural. Cette attitude des juridictions du fond au premier degré est fréquente.
(30) Signalons que les faits de pollution et l'hécatombe de truites d'élevage qu'ils avaient provoquée,
dataient du 6 juillet 1971. Une information contre X fut ouverte. Elle aboutit, le 9 décembre 1974, à l'inculpation du
directeur de la laiterie polluante. Il est évident que l'avis de l'inspecteur des établissements classés ne peut être
demandé que lorsque le pollueur est identifié. La régularité d'une information contre X n'est pas subordonnée à
cette formalité, et pas davantage, la constitution de partie civile contre X... La procédure suivit son cours lent et
majestueux pour aboutir, en 1979, à son annulation, à la déclaration d'irrecevabilité de l'action civile de la victime et
à la condamnation de celle-ci à l'amende et aux dépens.
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162 M.-J. LITTMANN -MARTIN

II en va différemment dans l'arrêt du 13 novembre 1979 (31). Le pourvoi


émanait d'une fédération départementale des associations de pêche et de
pisciculture contre un arrêt qui avait annulé la procédure engagée à rencontre
d'un pollueur, faute d'une demande d'avis formulée à l'inspecteur des
établissements classés. Il faisait valoir qu'aux termes de l'article 802 du Code de
procédure pénale, la nullité ne peut être prononcée que s'il y a eu atteinte aux
intérêts de la personne concernée par l'irrégularité, et qu'une atteinte n'était
nullement démontrée. Le pourvoi prétendait subordonner la nullité à la preuve
d'un grief, subi effectivement par le prévenu. Il proposait donc une appréciation
in concreto du grief. La Cour de cassation répliqua « que les prescriptions de
l'article 434-1 du Code rural n'étant pas prévues dans le seul intérêt de la
répression mais tout autant dans celui de la défense, et l'omission constatée, en
l'espèce, ayant ainsi constitué en soi une atteinte aux intérêts du prévenu, c'est à
bon droit que la cour a écarté l'application de l'article 802 du code de procédure
pénale ». La chambre criminelle encourage ici une appréciation in abstracto de
l'atteinte subie par le bénéficiaire de la formalité oubliée. Elle présume donc que la
non-consultation de l'inspecteur des établissements classés fera toujours grief
au prévenu, quelle que soit l'espèce jugée. Ce dernier n'aura pas à démontrer la
réalité du préjudice. D'où l'importance de cette décision de nature à faire échec à
l'article 802 du Code de procédure pénale.
L'interprétation in abstracto n'est pas prédominante dans le domaine des
nullités (32), encore que la plus grande confusion demeure en dépit des efforts de
classifications effectués par certains auteurs (33).
S'agissant de l'inobservation de l'article 434-1 § 2 du Code rural, la position
de la Cour de cassation a pour résultat d'assurer la pérennité de la jurisprudence
antérieure à l'article 802 du Code de procédure pénaie. Consulter l'inspecteur des
établissements classés conforterait, a priori, les droits de la défense. Ne pas le
consulter est présumé leur nuire et doit entraîner l'annulation des actes de
poursuite, y compris celle de la constitution de partie civile, et de la procédure
ultérieure. Or, curieusement, « l'inspecteur des établissements classés n'a en
aucun cas à donner son avis sur le point de savoir s'il doit être exercé des
poursuites ou accordé une transaction » (34). Son avis n'est déterminant ni pour
le parquet, ni pour les magistrats, et, mieux encore, l'absence d'avis ne met pas
obstacle à la mise en mouvement de l'action publique et au déroulement ultérieur
de la procédure. « Dès lors qu'est constaté l'accomplissement de la formalité
prescrite à l'article 434-1 du Code rural, la cour est fondée à écarter la nullité
alléguée. En effet, si le texte prescrit que l'avis de l'inspecteur des établissements

(31) Bull. n°316, p. 860.


(32) Voir, par exemple, crim. 18 mars 1976, D. 1976.J.548, note Robert, J.C.P. 1976-11-18478, note
P. Chambon ; Crim. 10 novembre 1977, D.1978.J.621 note W. Jeandidier ; Crim. 27 février 1978, Bull. n° 73, p. 179.
Comparer, Lyon 27 janvier 1978, D.1979.391, note P. Strasser.
(33) Stefani, Levasseur et Bouloc, op. cit. et les références proposées; W. Jeandidier, D.1978.J.625 ;
D.1981.J.177, J.C.P. 1981.11.19632 et les références citées; Strasser, préc.
(34) Ceci résulte textuellement de l'article 434-1, alin. 2 du Code rural, dont le sens est précisé par des
circulaires qui rappellent le contenu limité de cet avis. Ainsi, la circulaire du 19 avril 1970, complétée par celle du 14
avril 1980 qui précise les questions que le parquet doit poser. Toutes sont liées exclusivement, à la situation de
l'entreprise vis-à-vis de la loi du 19 juillet 1976. Cf. A. Schwab, « L'article 434-1 du Code rural, procédure de mise en
œuvre et avis de l'inspecteur des installations classées», Mémoire dactylographié, Strasbourg, 1981.
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DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT 163

classés soit préalablement demandé, il ne subordonne pas pour autant


l'ouverture de la poursuite à la réponse de l'administration dont le silence
éventuel ne saurait faire obstacle à l'exercice de l'action publique » (35).
Alors on s'interroge... Comment comprendre qu'une formalité soit exigée à
peine d'anéantissement de toute une procédure alors que son résultat paraît sans
importance ?
Une explication possible serait que la sanction de toute violation de l'article
434-1 alinéa 3 du Code rural, fut une nullité d'ordre public. En effet, ces nullités
échappent à l'article 802 du Code de procédure pénale, et sont donc prononcées
indépendamment de tout grief véritable. Cette qualification justifierait l'absence
de toute référence à l'article 802 du Code de procédure pénale, dans la décision
du 6 février 1979 (36). Elle expliciterait la curieuse rédaction du motif de rejet de
l'arrêt du 13 novembre 1979 : « c'est à bon droit que la cour a écarté l'application
de l'article 802 du Code de procédure pénale » (37), alors que la Cour d'appel avait
sanctionné l'inobservation conformément à l'article 802 du Code de procédure
pénale, après avoir affirmé qu'elle portait atteinte aux droits de la défense (38).
Elle conforterait certaine doctrine affirmant que « le concept d'ordre public,
bastion irréductible à l'article 802, recouvre des règles de nature variée... les unes
déterminent les conditions d'existence et d'exercice de l'action publique, les
autres définissent les fins de non-recevoir auxquelles elle peut se heurter... » (39).
Enfin, elle serait en harmonie avec quelques décisions qui concluent que
« l'absence d'avis de l'inspecteur des établissements classés est un obstacle à la
mise en mouvement de l'action publique » (40).
Mais s'il en était ainsi, si cette nullité était vraiment d'ordre public, pourquoi
relever, ainsi que le fait la chambre criminelle, l'atteinte faite, en soi, aux droits de
la défense lorsque l'avis de l'inspecteur des établissements classés n'est pas
sollicité ? (41). Soit la nullité est d'ordre public, la réalité du grief est indifférente
soit, échappant à cette qualification, elle est soumise à l'article 802 du Code de
procédure pénale et aux conditions qu'il édicté, quant à l'atteinte portée par
l'irrégularité aux intérêts du bénéficiaire. Mais le mélange des deux situations
porte à son comble la confusion dans une matière déjà fort complexe.
M. Despax ne fait aucune référence à l'ordre public. Implicitement, la
formalité est édictée dans l'intérêt du pollueur. « L'attitude du prévenu au regard

(35) Crim. 13 novembre 1979, Bull. n°316, p. 860.


(36) Sur les nullités d'ordre public et leur exclusion probable des prévisions de l'article 802 C.P.P., voir les
références indiquées aux notes 27 et 32. Sur l'absence de toute référence à l'article 802 C.P.P. dans l'hypothèse
d'une nullité d'ordre public, lire.W. Jeandidier, D.1981.J.179 (II) ; J.C.P. 1981-11-19632.
(37) Comparer avec la formule de l'arrêt du 17 avril 1980, J.C.P. 1981-11-19632, note W. Jeandidier.
(38) La rédaction désastreuse de l'article 802 C.P.P. est, en elle-même, source d'ambiguïté. Sur l'un des
aspects de cette déficience textuelle, voir Strasser, D.1979.J.393. Aujoutons ceci : la nullité s'appuyant sur le grief
résultant de l'irrégularité sera prononcée en application de l'article 802 C.P.P. Cf Lyon, 27 janvier 1978, préc. ; le
refus de la nullité pour absence de grief s'appuiera aussi sur l'article 802 C.P.P. ; ainsi, crim. 10 novembre 1977,
D.1978.J.621. Les motivations sont analogues pour des résultats opposés.
(39) Belot, « L'article 802 du Code de procédure pénale », Mémoire dactylographié, Nancy, 1980, p. 19 ;
«L'ordre public et le procès pénal», thèse dactylographiée, Nancy 1980. W. Jeandidier, J.C.P 1981-11-19632.
(40) Colmar, 12 décembre 1980 (inédit).
(41) Crim. 13 novembre 1979, Bull. n°316, p. 860.
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164 M.-J. LITTMANN-MARTIN

de l'application de la réglementation sur les établissements insalubres ou


incommodes doit logiquement être prise en considération pour « doser » la
répression en raison de la bonne ou mauvaise foi du prévenu » (42). Cet argument
est convaincant lorsque l'inspecteur donne effectivement les renseignements
demandés, mais il cesse de l'être quand le silence succède à la demande d'avis.
Notons aussi que cette demande d'avis, présentée comme substantielle pour la
défense, peut donner lieu, soit à des renseignements défavorables, circonstance
qui n'est pas particulièrement heureuse pour le prévenu, soit à des
renseignements favorables, circonstance qui ne constitue pas un obstacle aux poursuites,
le fonctionnement de l'établissement conforme à la réglementation sur les
établissements classés n'étant pas un fait justificatif (43).
« La logique du système issu de la jurisprudence de 1979 reste à découvrir »
fut-il écrit (44)... et la Cour de cassation est en partie responsable de cette
situation puisqu'elle ne qualifie pas clairement la nullité qu'elle prononce.
Trouver un compromis est difficile. L'article 802 du Code de procédure
pénale est critiquable et d'ailleurs critiqué (45) à la fois dans son inspiration et
dans ses applications. Le formalisme est le seul rempart des libertés individuelles,
le contrepoids nécessaire aux pouvoirs du juge ; la nullité, la seule sanction
effective et redoutée de l'inobservation des obligations légales. En conséquence,
toute jurisprudence donnant la primauté au formalisme devrait être approuvée. Et
pourtant... Comment se satisfaire d'un mécanisme qui aboutit à l'anéantissement
de toute une procédure pour un motif relativement mineur, comment encourager
une jurisprudence qui conduit des pollueurs, assistés de conseil compétent, à
demander précipitamment à l'administration des établissements classés une
autorisation d'extension au titre de certaines activités nouvelles, le jour même de
la constatation de l'infraction, alors que la pollution résultait précisément de cette
branche d'activité ? Dans ce cas d'espèce, le prévenu souleva ensuite l'exception
de nullité, fondée sur le fait que les poursuites avaient été engagées sans que soit
sollicité l'avis de l'inspecteur des établissements classés. Le tribunal correctionnel
de Saverne, le 9 janvier 1980 (inédit), rejeta l'exception. Mais le jugement,
vigoureusement motivé pourtant, (46) fut infirmé par la Cour d'appel de Colmar,
le 12 décembre 1980; l'irrégularité constatée mettait obstacle à la mise en
mouvement de l'action publique (47). La Cour d'appel ne s'attarda pas aux
argumentations du tribunal correctionnel, ne s'étonna pas de la coïncidence
étrange entre le procès-verbal de pollution et la demande d'extension de la
branche industrielle polluante.

(42) Op. cit. p. 394.


(43) Crim. 11 avrii 1970, D.1970.J. 113, note Despax. Contra, Peytel, « La pollution de rivière », Gaz Pa/1952-
1-doct.p.2.
(44) A. Schwab, op. cit. p. 59.
(45) La quasi unanimité de la doctrine citée. Ajouter, R. Merle et A. Vitu, Traité de Procédure Pénale, Cujas,
3» édition, 1979, p. 547, § 1 275.
(46) II concluait : « qu'au mois de novembre 1978, la consultation prévue par l'article 434-1 du Code rural ne
constituait pas une formalité essentielle puisque les déversements organiques constatés par les agents
verbalisateurs n'ont aucun rapport avec l'installation au tître de laquelle la Société R. était classée établissement
dangereux, insalubre ou incommode... »
(47) supra, p. 8
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DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT 165

Imposer le respect des formalités de l'article 434-1 alinéa 2 du Code rural, à


peine de nullité systématique, est sans doute excessif. En font les frais, les
victimes, partie civile, impuissantes à faire respecter une formalité qui ne leur
incombe pas, et la collectivité en général, l'anéantissement de toute poursuite
étant désastreux pour une défense efficace de l'environnement (48).
Le maintien sans nuance de la jurisprudence actuelle n'est pas souhaitable.
Un auteur proposa de moduler les effets de l'article 802 du Code de procédure
pénale en renversant la charge de la preuve. La nullité serait prononcée « sauf s'il
est apporté la preuve que l'inobservation n'a pas porté grief à l'inculpé ou à celui
qui demande l'annulation. La preuve de la violation de la formalité incomberait à
ces derniers, il appartiendrait ensuite au Ministère public ou au juge d'instruction
d'apporter la preuve de l'absence de préjudice » (49). Ce système apporterait
d'heureuses modifications. Mais il est inapplicable si la Cour de cassation
considère que la formalité de l'article 434-1 alinéa 2 du Code rural est d'ordre
public, encore faudrait-il l'affirmer clairement.
Devrait-on espérer aussi, une jurisprudence plus accueillante à l'action civile
des associations, ou d'autres personnes morales, telles les communes, en cas de
violation de l'article 434-1 du Code rural ?

b) La recevabilité de l'action civile des personnes morales


On connaît l'hostilité de la Cour de cassation à la prolifération des actions
civiles intentées par les associations devant les juridictions répressives (50).
Soucieuse de préserver le monopole du ministère public en matière de poursuite,
soucieuse, aussi, de défendre l'équilibre du procès pénal et de ne pas accueillir,
aux côtés du parquet, une multitude d'accusateurs privés (51), la chambre
criminelle écarte, fermement, l'action civile des associations lorsqu'elles
invoquent un préjudice associatif en relation avec l'infraction (52).
Mais le législateur est conscient de la vigilance des associations à l'égard
d'actes délictueux qui portent atteinte aux intérêts qu'elles défendent, et du

(48) Une propriétaire d'élevage de truites décimé par une pollution industrielle s'était heurtée, en appel, à la
décision d'annulation des poursuites et de la procédure ultérieure pour inobservation de l'article 434-1 alin. 2 du
Code rural. Elle fit valoir, devant la Cour de cassation que la Cour d'appel, saisie in rem, devait rechercher si le fait de
pollution incriminé, n'était pas susceptible d'une autre qualification pouvant être poursuivie sans l'avis préalable de
l'inspecteur des établissements classés. « Faute d'avoir procédé à cette recherche, la Cour d'appel - prétendait le
moyen - n'a pas épuisé sa saisine et n'a pas légalement justifié l'irrecevabilité de l'action civile ». L'idée était
ingénieuse et devrait être reprise. Malheureusement, dans cette espèce, les textes de substitution proposés étaient
mal choisis et manifestement inapplicables aux faits. La Cour de cassation rejeta le pourvoi car ces qualifications
n'avaient pas été proposées à la Cour d'appel, (condition qui n'est pas nécessaire pour qu'une juridiction rectifie une
qualification), et nécessitaient des éléments constitutifs différents. Ce dernier argument est évidemment
convaincant. La loi du 16 décembre 1964, et le décret du 15 décembre 1967 pourraient être d'une application
précieuse, puisque la régularité des poursuites fondées sur ce texte n'est pas liée à l'avis de l'inspecteur des
établissements classés. Mais son application se heurte à d'autres difficultés, supra, note 21.
(49) Strasser, préc. D.1979. J.394, in fine. Comparer les propositions de D. Mayer, sous crim. 21 octobre
1980, D.1981.J.104.
(50) La bibliographie est extrêmement abondante. Consulter, Stefani, Levasseur, Bouloc, op. cit., p. 168 et
ss, S 160 et les références citées; Merle et Vitu, op. cit. p. 124 et ss., 9 919 et les références citées.
(51) Larguier, « L'action publique menacée », 0.1958. chr. p. 29 ; Granier, « Quelques réflexions sur l'action
civile», J.C.P. 1957.1.1386.
(52) Pour la défense de cet intérêt associatif, L. Bihl, « L'action syndicale des associations », Gaz Pal, 1973.2.
doct. p. 523.
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166 M.-J. LITTMANN-MARTIN

concours précieux qu'elles peuvent apporter à leur répression effective. Il


multiplie donc les textes d'habilitation destinés à faire de certaines associations
des auxiliaires du ministère public (53), en prenant soin, toutefois, de borner le
domaine de leurs interventions (54).
La Cour de cassation est évidemment impuissante à endiguer le flot des
habilitations. Du moins veille-t-elle au respect de leurs limites (55). Cette rigueur
est particulièrement nette s'agissant de l'action civile des fédérations
départementales de pêche. Elle s'infléchit pourtant, vis-à-vis de l'action civile des
associations de pêche et de pisciculture. Un arrêt de la chambre criminelle du 26
février 1980 (inédit), illustre cette distinction mal perçue par la doctrine, bien
qu'elle ne soit pas nouvelle.
Le pourvoi contestait la décision, fondée sur une violation de l'article 434-1
du Code rural (56), d'allouer des dommages-intérêts à des sociétés de pêche et à
la fédération départementale sans motiver cette décision. Il rappelait que les
fédérations de pêche « ne peuvent obtenir des dommages-intérêts qu'autant
qu'elles établissent que le délit incriminé a nécessité un repeuplement dont elles
ont fait les frais », et que « les associations de pêcheurs ne sont recevables à
exercer l'action civile que si elles sont titulaires du droit de pêche- qu'elles
doivent en outre justifier d'un préjudice résultant de l'infraction ».
La réponse de la Cour de cassation est intéressante, car d'une évidente
clarté. Elle approuve l'octroi de réparations aux associations : « II ne résulte pas
des conclusions du prévenu que celui-ci ait contesté que les sociétés de pêche et
de pisciculture constituées partie civile fussent fermière du droit de pêche dans
les portions de rivières atteintes par les déversements... la condamnation à des
dommages-intérêts prenant sa source, en application de l'article 490 du Code
rural, dans les faits constitutifs du délit n'avaii pas à être justifiée par des motifs
spéciaux »... Mais elle casse la partie de la décision attribuant des dommages-
intérêts à la fédération départementale.

(53) Ces habilitations sont fréquentes dans les textes récents, concernant notamment, le droit de
l'environnement. Ainsi, l'article 26, § 5, de la loi du 15 juillet 1975, relative à l'élimination des déchets et à la
récupération des matériaux ; l'article 40 de la loi du 10 juillet 1976, relative à la protection de la nature ; l'article 35 de
la loi du 29 décembre 1979, relative à la publicité, aux enseignes et pré-enseignes ; les articles L. 160-1 et L. 480-1
du Code de l'urbanisme. Ajoutons les articles 2-3 et 2-4 du Code de procédure pénale, résultant de la loi dite
« Sécurité liberté » du 2 février 1981, et l'article 2-2 du Code de procédure pénale, résultant de la loi du 23 décembre
1980. Mais ces nouvelles habilitations n'ont aucun rapport avec le droit de l'environnement.
(54) Seules, les associations de consommateurs bénéficient d'une habilitation extrêmement large, prévue à
l'article 46 de la loi du 27 décembre 1973, dite «loi Royer ». Elles peuvent intervenir pour « tous les faits portant un
préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif des consommateurs », cf. Calais-Auloy, D.1974. chr. pp. 92-93 ;
L. Hartemann, « L'action civile et les infractions à la législation économique après la loi Royer », R.S.C. 1976, p. 339.
Tous les autres textes déterminent expressément les infractions pouvant fonder l'action civile des associations
habilitées, cf. Stefani, Levasssur et Bouloc, op. cit. p. 170, note 2 ; M. Delmas-Marty, sous Crim. 10 novembre 1976,
J.C.P. 1977.11.18709.
(55) Stefani, Levasseur et Bouloc affirment qu'elle va même au-delà des limites législatives, op. cit. p. 170,
note 1, et les exemples cités. Pourtant, une décision du 20 novembre 1980 (Hersan), Bull. n° 309, p. 786, est peut-
être l'indice d'un retour à une position plus légaliste, et, de ce fait, plus favorable aux associations. Un arrêt de
chambre d'accusation avait déclaré irrecevable l'action civile de l'union fédérale des consommateurs, « le non
respect de certaines dispositions de l'ordonnance du 26 août 1944 (sur la presse), ne pouvant causer aucun
préjudice à l'acquéreur de publications périodiques ». La chambre criminelle cassa : « II n'y a pas lieu d'apporter à
l'article 46 de la loi du 27 décembre 1973 des restrictions qu'il ne prévoit pas ».
(56) La Cour de cassation reprend à son compte la citation vicieuse du libellé de l'article 434-1 du Code rural
relative « au déversement de produits chimiques « propres à nuire - de nature à nuire », à la vitalité du poisson »,
alors que le texte incrimine un résultat effectif.
R.J.E. 2/1982
DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT 167

Après avoir rappelé la nécessité que soient réunies les conditions de


recevabilité de l'action civile énoncées à l'article 2 du Code de procédure pénale,
la Cour de cassation constate : « qu'une fédération départementale, n'étant pas
elle-même titulaire du droit de pêche, ne peut obtenir des dommages-intérêts
qu'à la condition d'apporter la preuve qu'elle a subi, du fait du délit poursuivi, un
préjudice personnel et direct, distinct de celui des associations fédérées »,
préjudice non démontré par la Cour d'appel.

On peut donc affirmer que^toute association de pêcheurs obtiendra des


dommages -intérêts liés à une pollution de rivière, dès lors qu'elle est titulaire du
droit de pêche sur la partie polluée (57), aucune autre justification ne lui sera
demandée (58). La fédération départementale, en revanche, doit prouver la réalité
d'un dommage matériel, directement lié à l'infraction. Les juridictions répressives
apprécient sans bienveillance l'existence de ces conditions.

Ainsi, la perte de productivité résultant du fait que le cours d'eau est devenu
et restera moins poissonneux, n'est pas un préjudice dont une fédération
départementale peut demander réparation (59). Pas davantage, l'atteinte faite à
ses attributions de surveillance, de protection du poisson, et de mise en valeur
des eaux douces, énumérées à l'article 3 du décret du 11 avril 1958 (60). De
manière générale, une fédération ne saurait fonder ses droits sur ceux des
associations qui sont obligées d'y adhérer par l'article 4 du décret du 12 juillet
1941 (61). En fait, une seule hypothèse sera génératrice de réparations : des
dépenses d'alevinage pour repeupler la rivière polluée, ou l'anéantissement
d'alevinage effectué par les soins de la fédération (62). Or les missions très
voisines des associations de pêcheurs et des fédérations, telles qu'elles résultent
des textes (63), ne sauraient justifier cette différence de traitement. Une seule
explication en est donnée : les associations sont titulaires d'un droit de pêche, les
fédérations ne le sont pas. C'est pourquoi l'article 490 du Code rural qui prévoit :
« les restitutions et dommages -intérêts appartiennent aux fermiers, porteurs de
licences et propriétaires-riverains, si le délit est commis à leur préjudice... »,
s'applique aux associations, et non aux fédérations. Ce texte semble plus
exigeant que la Cour de cassation puisqu'il fait référence à l'existence d'un
préjudice. Soulignons donc le libéralisme exceptionnel de la Cour de cassation qui

(57) M. Despax, op. cit. p. 404, § 318 et les références ; Crim. 10 décembre 1969, J.C.P. 1970.11.16250, note
H. Blm.
(58) Contra, Stefani, Levasseur, Bouloc, op. cit. p. 168, § 161 ; Nancy, 1" octobre 1975, Gaz-Pal. 1976. 1,
Jur. p. 34, note Soulière.
(59) Crim. 28 février 1957, Bull. n° 209, p. 356.
(60) Crim. 22 juillet 1964, Bull. n° 242, p. 517.
(61) Crim. 16 octobre 1963, Bull. n° 283.
(62) Crim. 22 juillet 1964, Bull. n° 242, p. 518 ; 28 février 1957,Bull. n° 209, p. 356 ; 16 octobre 1963, Bull.
n°283; 21 mars 1962, Bull. n° 139, p. 287; 10 décembre 1969, J.C.P. 1970.11.16250, note H. Blin.
(63) L'article 2, du décret n° 58-434 du 1 1 avril 1958 énonce : « Les associations de pêche et de pisciculture
agréées par le préfet sont habilitées à organiser la surveillance de la pêche et son exploitation, à exécuter, sous
réserve des autorisations nécessaires, les travaux de mise en valeur piscicole et à assurer la protection du poisson ».
L'article 3 du même texte... « Les fédérations départementales ont pour attributions d'assurer la répression du
braconnage, la protection et la reproduction du poisson d'eau douce, et, d'une manière générale, la mise en valeur
des eaux douces ».
RJ.E. 2/1982
168 M.-J. LITTMANN-MARTIN

permet aux associations de pêcheurs d'être efficaces et irremplaçables dans la


lutte contre la pollution des eaux.
Les communes ne sauraient les suppléer, alors même qu'elles prétendent
subir un préjudice touristique en relation directe avec la pollution des eaux.

La Cour de cassation, le 13 novembre 1979 (64), cassa un arrêt qui avait


accordé des réparations à plusieurs communes. Celles-ci, riveraines de l'Aisne
polluée, s'étaient constituées partie civile. Les juges du fond avaient accueilli leurs
prétentions, retenant un certain préjudice matériel (« les touristes et pêcheurs
viennent moins dès lors que la rivière charrie une eau noire et polluée, d'où
diminution de recettes), et surtout un préjudice moral du fait que « les beautés
naturelles de la commune sont gravement atteintes ». La chambre criminelle
estima que « ces motifs ne caractérisent pas l'existence d'un préjudice découlant
directement de l'infraction retenue et susceptible comme tel de donner lieu à
indemnisation par la juridiction pénale ».

La justification de la cour suprême est brève, trop brève peut-être, mais


conforme aux exigences régulièrement formulées quant au lien de causalité en
relation directe avec l'infraction constatée.

Textuellement, l'article 434-1 du Code rural protège le poisson. Le préjudice


invoqué doit être fondé sur la disparition du poisson, ou sur l'altération de sa
santé, de ses qualités à la suite du déversement toxique, l'utilisation de ce texte
comme protecteur de la pureté des eaux ne peut supprimer toutes les séquelles
de ses origines premières (65). La défense des beautés naturelles n'entre pas
dans les prévisions de l'article 434-1 du Code rural (66). Il peut assurer vaille que
vaille la réparation d'un dommage piscicole, mais il est mal adapté à
l'indemnisation d'autres préjudices, agricole, industriel, économique, etc. (67).

Outre l'absence de préjudice direct, la Cour de cassation aurait pu conclure à


l'absence de préjudice personnel, le préjudice invoqué se confondant avec le
préjudice général dont le ministère public assure la réparation. Cette
argumentation est généralement avancée pour justifier l'irrecevabilité de l'action civile d'une

(64) Bull. n° 316, p. 861.


(65) Supra p. 3
(66) L'article 434-1 du Code rural ne protège pas les castors : trib. corr. d'Evreux, 13 janvier 1977, R.J.E.
1978, n° 3, p. 282, note Littmann -Martin ; Rejet de l'action civile d'un éleveur de castors dont l'élevage avait été
décimé par une pollution de rivière ; ni :es bovins, trib. corr. de Béthune, 17 septembre 1976, R.J.E. 1977, n° 2,
p. 189, infirmé par Douai, 25 février 1977, R.J.E. 1977, n° 3, p. 318 et nos observations.
(67) Les juridictions du fond semblent moins rigoristes. Confrontées directement à la réalité, elles accueillent
plus largement l'action civile des victimes, même si leur préjudice n'est pas proprement « piscicole ». Le trib. corr. de
Laval, Gaz. off. pêche, n° 547, doc. n° 635 « condamna le pollueur à réparer le préjudice subi par « les riverains du
cours d'eau pollué, qui souffraient des odeurs nauséabondes s'échappant de ces eaux ». Il est vrai que le pollueur
était aussi condamné pour infraction à la réglementation sur les établissements classés, infraction qui autoriserait la
réparation de semblable préjudice, cf. Oespax, op. cit. p. 403, note 10. Le trib. corr. de Rennes, le 5 février 1979
(inédit), déclara recevables les actions civiles de la D.A.S.S., de la Compagnie générale des eaux, et d'une entreprise,
dans des poursuites pour pollution d'une rivière qui alimentait un château d'eau desservant plusieurs communes en
eau potable. La D.A.S.S. obtint le remboursement des frais d'analyses pour déterminer la substance polluante, la
Compagnie générale des eaux, le remboursement des frais d'analyses et de transport pour aller avertir la population
des risques de consommation de l'eau polluée. Mais là aussi, le jugement fonde sa condamnation sur plusieurs
textes, dont l'article L 4 du Code de la santé publique.
R.J.E. 2/1982
DROIT PENAL DE L'ENVIRONNEMENT 169

commune (68). La Cour de cassation, dans l'arrêt du 13 novembre 1979, ne fait


aucune allusion à la qualité particulière de la victime. On peut le regretter. La
sécheresse de son attendu rappelle, et les limites de l'article 434-1 du Code rural,
et les difficultés pour les personnes morales d'assurer la défense des intérêts
collectifs d'une communauté devant les juridictions pénales (69).
La création d'un délit de pollution autonome pourrait résoudre certaines de
ces difficultés, encore que ses éléments constitutifs seraient relativement
exigeants (70). N'oublions pas que les tribunaux répressifs n'ont pas pour
vocation première d'indemniser les victimes, et que doit être maintenu, dans
certaines limites, ce désir de vindicte qui anime souvent les associations,
préoccupées d'obtenir des sanctions pénales, pour l'exemple (71), face à un
ministère public trop indifférent à certains types d'infractions, telles les atteintes
à l'environnement. L'équilibre du procès pénal et le respect des droits de la
défense sont à ce prix.

(68) Les communes sont irrecevables à se constituer partie civile pour obtenir réparation du préjudice causé
par une contravention à un arrêté municipal. Crim. 5 mai 1954, Bull. n° 160, p. 276 ; 27 juin 1956, Bull. n° 493, p.
903 ; 16 janvier 1975, Bull. n° 20, p. 55. Idem, pour une infraction à la réglementation concernant la pasteurisation du
lait, Crim. 21 février 1957, Bull. n° 189, p. 322 ; idem, pour des infractions au Code de l'urbanisme, Paris, 13 juin
1979, R.J.E. 1980, n° 1, p. 68 et nos observations. Par contre, a été déclarée recevable l'action d'une commune
dans des poursuites contre l'ancien maire, inculpé d'abus de biens sociaux, d'abus de confiance et d'ingérence,
Crim. 16 décembre 1975, bull. n° 279, p. 735 ; idem, dans des poursuites pour infraction aux dispositions d'un arrêté
préfectoral concernant l'écoulement des eaux, cette infraction ayant causé des inondations dommageables aux
propriétés communales, Crim. 11 mars 1980 (inédit).
(69) Nos observations R.J.E. 1980, n°1, p. 73 et ss.
(70) Rapport Vilmorin, précité, p. 106, « Examen de la proposition Ciccolini d'un délit général d'atteinte à
l'environnement»; M. Delmas-Marty, étude citée, supra note 18, p. 25.
(71) Signalons les difficultés juridiques et financières auxquelles donnent lieu l'article 1" de la loi du 3 janvier
1972 et le décret du 30 janvier 1978, qui confère aux associations, le droit de bénéficier de l'aide judiciaire. Ces
problèmes sont remarquablement mis en évidence par une décision du bureau d'aide judiciaire du Tribunal de grande
instance de Marseille, du 12 janvier 1979, Gaz-pal. 1981. 1. jur. p. 71, note A.D. Appréciant le coût global des aides
accordées aux associations, la « charge inutile » en résultant pour l'Etat, l'incitation qu'elles pourraient constituer
pour « des associations réelles ou fictives à exploiter une telle aubaine », le bureau décida de couper court à
l'expérience, et rejeta la demande formulée par l'association d'équipes d'action contre la traite des femmes et des
enfants. Comparer, Bureau supérieur d'aide judiciaire, 27 octobre 1976, D.1978.J.51, note P. Laroche de Roussane.
Notons enfin que la loi du 2 février 1981 introduit plusieurs dispositions destinées à faciliter l'action civile des
victimes. Ainsi, les articles 420-1, 420-2 et 460-1 du Code de procédure pénale qui permettent aux victimes de se
constituer partie civile par lettre recommandée. Sur ces innovations, J. Pradel, « La loi du 2 février 1981, dite
«Sécurité liberté», D.1981, chron. p. 113 et ss., J. Francillon, numéro spécial J. Classeur, n° 1 bis, 1981,
n°221 et ss.

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