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Mélanges de l'École française

de Rome. Moyen-Age

« Rendre un culte aux anges à la manière des Juifs» : quelques


observations nouvelles d’ordre historiographique et historique
Michel-Yves Perrin

Résumé
L’accusation d’angélolâtrie portée contre les Juifs dans l’antiquité est ici réexaminée d’un double point de vue : d’une part,
on met en évidence le rôle capital des controverses religieuses des XVIIe-XVIIIe siècles dans la constitution de cet objet
historiographique. D’autre part, on enrichit le dossier d’un nouveau témoignage issu de la Rome du IVe siècle, et l’on
souligne la rareté de cette incrimination, qui ne procède pas toujours de l’association des pratiques juives à la magie. Dès
lors, il convient de replacer l’analyse dans le cadre plus large de l’examen de la luxuriante efflorescence angélique qui
caractérise nombre de courants du judaïsme au tournant de l’ère commune.

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Perrin Michel-Yves. « Rendre un culte aux anges à la manière des Juifs» : quelques observations nouvelles d’ordre
historiographique et historique. In: Mélanges de l'École française de Rome. Moyen-Age, tome 114, n°2. 2002. pp. 669-
700;

https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9883_2002_num_114_2_9247

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MICHEL-YVES PERRIN

«RENDRE UN CULTE AUX ANGES


À LA MANIÈRE DES JUIFS»

QUELQUES OBSERVATIONS NOUVELLES D’ORDRE


HISTORIOGRAPHIQUE ET HISTORIQUE *

En 1739, un libraire d’Utrecht, Matthys Visch, publiait un imposant in-


quarto de plus de mille pages intitulé Commentarius de angelis, dû à la
plume d’un docteur en philosophie et théologie, professeur ordinaire d’as-
tronomie et de physique expérimentale à la faculté de la ville, nommé Ja-
cob Odé (1698-1751)1. De cet ouvrage qui constitua en terre protestante jus-
qu’à la fin du XIXe siècle et, en quelques cas, le début du suivant, une ré-

* Ma gratitude va à Evyatar Marienberg (McGill University, Montréal) et à


Jean-Marc Daul (Rome) qui m’ont amicalement procuré copie d’articles introu-
vables à Paris. Elle s’adresse également aux responsables des bibliothèques de l’Al-
liance israélite universelle (Paris), de l’Institut Catholique (Paris) et du Pontificio Is-
tituto Biblico (Rome) qui m’ont aimablement autorisé à accéder à leurs fonds.
1
J. Odé, Commentarius de angelis, Utrecht, Matthys Visch, 1739 (2e éd., ibid.,
1755). Quelques années plus tôt, en 1732, Odé avait présidé à huit disputationes
theologicae de angelis à l’Université d’Utrecht. Sur l’auteur, voir J. Chr. Adelung-
W. Rotermund, Fortsetzung und Ergänzungen zu Christian Gottlieb Jöchers Allgemei-
nen Gelehrten-Lexikon, worin die Schriftsteller aller Stände nach ihrer vornehmsten
Lebensumständen und Schriften beschrieben werden, Brême, 1816 (rééd., Hildes-
heim-Zürich-New York, 1998), V, p. 923, s. v. Ode Jacob [le Commentarius est ici
étrangement daté de 1734 (sic)]; P. C. Molhuysen, J. P. Blok et L. Knappert, Nieuw
nederlandsch biografisch woordenboek, V, Leyde, 1921, p. 382-383, s. v. Odé (Jaco-
bus). Odé ne figure ni dans J. P. De Nie-Joosjes, Biographisch woordenboek van pro-
testantsche godgeleerden in Nederland, La Haye, 1919-1949 (l’ouvrage n’a pas été
continué après l’article Linden), ni dans les cinq volumes parus à ce jour de D. Nau-
ta et al., Biographisch lexicon voor de geschiedenis van het nederlandse protestan-
tisme, Kampen, 1978-2001. Il faudra attendre 2011 pour disposer d’une histoire de
l’université d’Utrecht (cf. M. Wingens, Stand van zaken van de projecten geschied-
schrijving van de Nederlandse Universiteiten, januari 2001, dans Nieuwsbrief univer-
siteitsgeschiedenis. Lettre d’information sur l’histoire des universités, 2001
(http://www.kuleuven.ac.be/archief/studgen/nbr/2001–1/Bijdragen.htm).

.
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férence inexpugnable de presque toute étude sur les anges 2, la neuvième et


avant-dernière section 3 porte de cultu angelorum et s’applique à retracer
l’histoire et les développements de cette «superstition papiste». Cette pé-
nultième partie faisait écho à la Theologia gentilis et physiologia christiana
de Geerard Jan Vos (1577-1649), le grand Vossius, qui avait tenté de dévoi-
ler, près d’un siècle plus tôt, l’origine et les progrès de l’idolâtrie 4 : en effet
avant d’examiner ce qu’il en fut du culte des anges dans le christianisme,
des prohibitions scripturaires et patristiques aux pratiques des hérétiques
et des papistes, Odé envisageait l’histoire de ce culte chez les païens et chez
les Juifs.
Une telle prise en considération des usages et croyances juifs n’avait, à
cette date, rien d’inédit, mais s’inscrivait dans le sillage d’une polémique
qu’avait contribué à enfler , plus d’un demi-siècle auparavant, en 1675 très
exactement, la publication du premier tome de la Bibliotheca Magna Rabbi-
nica du cistercien et scriptor hebraicus de la Bibliothèque Vaticane, Giulio
Bartolocci (1613-1687) 5. En effet dans la notice qu’il consacrait à Éliézer

2
Voir par exemple, H. Cremer, s. v. Engel, dans Realencyklopädie für protestan-
tische Theologie und Kirche, 3e éd., Leipzig, 1898, V, p. 364-372, ou W. Lueken, Mi-
chael. Eine Darstellung der jüdischen und der morgenländisch-christlichen Tradition
von Erzengel Michael, Göttingen, 1898, p. 12 n. 1, 14 n. 3-4, 48 n. 2, etc.
3
J. Odé, Commentarius de angelis, cit. n. 1, p. 896-993.
4
G. J. Vossius, De theologia gentili et physiologia christiana; sive de origine ac
progressu idolatriae; deque naturae mirandis, quibus homo adducitur ad Deum, Libri
IV, Amsterdam, Jan et Cornelis Blaeu, 1641. Une nouvelle édition, dédiée à Colbert,
parut en 1668 avec l’adjonction de cinq livres inédits, tirés des papiers de son père
par Isaac Vossius. [cf. C. S. M. Rademaker, Life and work of Gerardus Joannes Vos-
sius (1577-1649), Assen, 1981 (Respublica Literaria Neerlandica, 5), p. 291, 306-309,
351, 368-369]. Odé se réfère à cet ouvrage dès l’ouverture du chapitre ici considéré
(Commentarius de angelis, p. 897).
Pour le débat sur l’idolâtrie à l’époque moderne, voir C. M. N. Eire, War against
the idols : the reform of worship from Erasmus to Calvin, Cambridge, 1986;
F. Schmidt, Les polythéismes : dégénérescence ou progrès?, dans Id. (éd.), L’impen-
sable polythéisme. Études d’historiographie religieuse, Paris, 1988, p. 13-91 (part.
p. 20-22); R. H. Popkin, The crisis of polytheism and the answers of Vossius, Cud-
worth and Newton, dans J. E. Force et R. H. Popkin (éd.), Essays on the context,
nature and influence of Isaac Newton’s theology, Dordrecht-Boston-Londres, 1990
(Archives internationales d’histoire des idées, 129), p. 9-25; M. Mulsow, John Seldens
De diis Syris : Idolatriekritik und vergleichende Religionsgeschichte im 17. Jhdt, dans
Archiv für Religionsgeschichte, 3, 2001, p. 1-24. G. G. Stroumsa, John Spencer and the
roots of idolatry, dans History of religions, 41, 2001, p. 1-23.
5
I. Bartolocci da Celleno, Qiryat Sefer. Bibliotheca Magna Rabbinica. De Scripto-
ribus, et scriptis hebraicis, ordine alphabetico hebraice et latine digestis. Pars Prima,
Rome, Typographia Sacrae Congregationis de Propaganda Fide, 1675. L’œuvre

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 671

Ha-Kalir 6, un auteur de piyyutim aussi célèbre que mystérieux, dont on


s’accorde généralement aujourd’hui à placer le floruit à la fin de l’antiquité
tardive, l’érudit catholique citait une litanie des anges attribuée à ce poète
et utilisée jusqu’il y a peu, notait-il, dans les synagogues ashkénazes. Ce té-
moignage ajouté à d’autres lui fournissait l’occasion et le moyen de réfuter
les affirmations du philosophe séfarade et controversiste antichrétien Jo-
seph Albo (c. 1380-1444) qui, au deuxième livre de son Traité des principes,
avait exprimé une ferme condamnation de l’invocation des anges 7. Des
considérations similaires de Maïmonide (1135-1204) dans ses Hilkhot Avo-
dah Zarah, une section du premier livre du Mishneh Torah dédiée à

comporta au total quatre volumes et fut achevée en 1693 par Carlo Giuseppe Imbo-
nati. Un reprint en a été publié par la maison d’édition, Gregg, à Farnborough, en
1965-1968. Sur Bartolocci, voir G. Garbini, s. v. Bartolocci, dans Dizionario biografi-
co degli Italiani, VI, Rome, 1964, p. 669-670, et M. Silvera, Rashi et l’étude du peuple
juif dans la Bibliotheca Magna Rabbinica de Giulio Bartolocci, dans G. Sed-Rajna
éd., Rashi 1040-1990. Hommage à Ephraïm E. Urbach. Congrès européen des Études
juives, Paris, 1993, p. 507-522 (ici, p. 508-509).
6
I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 192-216. Sur Éliézer Ha-Kalir, voir Encyclopedia
Judaica, X, Jérusalem, 1971, s. v. Kallir, Eleazar, col. 713-715, et P. Lenhardt, s. v. Ka-
lir, Eleazar, dans Biographisch-Bibliographisches Kirchenlexikon, III, Herzberg, 1992,
col. 967-968. Sur les pyyutim, voir L. J. Weinberger, Jewish hymnography. A literary
history, Londres-Portland, 1998 (The Littman library of Jewish civilization), part. p. 1-
72; H. Sivan, From Byzantine to Persian Jerusalem : Jewish perspectives and Jewish/
Christian polemics, dans Greek, Roman and Byzantine studies, 41, 2000, p. 277-306
(ici, p. 279-282).
7
I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 197-198 : Hanc angelorum invocationem contra
antiquissimum Iudaeorum placitum, et universae Synagogae dogma respuit Ioseph Al-
bo in Ikarim lib. 2 cap. 28. (...). Cui respondetur : quod antica synagoga, sicut et eccle-
sia catholica, orationem non dirigebat ad angelos, vel sanctos, sed ad Deum. Neque vir-
tutem per angelorum nomina vetus synagoga respiciebat, sicut nec Ecclesia Catholica,
sed eos orabat tanquam Dei dilectos et administratorios spiritus, in ministerium mis-
sos propter eos, qui hereditatem capiunt salutis. (...). Fuit haec perpetua Synagogae
sententia, quam usque ad hodiernum diem retinet, quamvis indoctiores Iudaei, ut ali-
quid semper contra Ecclesiam Catholicam dicere videantur, illam negent. – Voir Jo-
seph Albo, Sefer ha-{Ikkarim II, 28 (I. Husik, Sefer ha-{Ikkarim. Book of Principles by
Joseph Albo, critically edited on the basis of manuscripts and old editions and provided
with a translation and notes, II, Philadelphie, 1930, p. 172-186 (ici p. 184-185) : «This
shows the error of those who mention the names of the angels for the power which
they exert in their personal capacity. But this is precisely what is forbidden in the
commandment : “Thou shalt have no other gods before Me”, as we said before. The
origin of the error is because there are certain prayers of ancient authorship contai-
ning special names of angels. Hence they thought that it is permissible to include all
the names in the prayer. But it is not so. No name may be mentioned in the prayer
except those which are peculiar to God, but no other».

.
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l’idolâtrie 8, et d’Isaac Abravanel (1437-1508) en son Ro’sh Amanah 9, étaient


également visées10.
Bartolocci n’était certes pas le premier hébraïsant chrétien11 à prêter
attention aux développements du Sefer ha-{Ikkarim consacrés aux anges :
au cœur de sa Theologia Iudaeorum (1647), en une partie intitulée de cultu
angelorum et de dirigendis ad eos precibus, le catholique bordelais Joseph de
Voisin (c. 1610-1685)12 avait déjà mené un ample examen critique des déve-

8
Les Hilkhot Avodah Zarah forment la section IV du premier livre du Mishneh
Torah, le commentaire sur le Deutéronome de Maïmonide, intitulé Livre de la
connaissance : voir Moïse Maïmonide, Le livre de la connaissance, traduit de l’hébreu
et annoté par V. Nikiprowetzky et A. Zaoui. Étude préliminaire de S. Pinès, 2e éd., Pa-
ris, 1985, p. 229-237.
9
I. Abarbanel, Le principe de la foi ou la discussion des croyances fondamentales
du judaïsme, traduit par M. Le Grand Rabbin Mossé, Avignon, 1884, chap. XII,
p. 79-92. Nous n’avons pu consulter M. Kellner, Rosh Amana. The principles of faith
by Don Yitzhak Abravanel, Ramat-Gan, 1993.
10
I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 206.
11
À la synthèse classique de G. F. Moore, Christian writers on Judaism, dans
Harvard theological review, 14, 1921, p. 197-254, et au précieux répertoire de
M. Steinschneider, Christliche Hebraisten. Nachrichten über mehr als 400 Gelehrte,
welche über nachbiblisches Hebräisch geschrieben haben, Hildesheim, 1973 – il s’agit
d’un reprint des articles parus dans la Zeitschrift für hebräische Bibliographie, 1-4,
1896-1901, dont on trouvera une mise à jour dans le tableau constitué par R. Loewe,
s. v. Hebraists, Christian, dans Encyclopedia Judaica, VIII, 1971, col. 9-71 –, on ajou-
tera la présentation de F. E. Manuel, The broken staff. Judaism through Christian
eyes, Cambridge, 1992, part. p. 66-161, et les actes (à paraître) des colloques Sixth An-
nual Gruss Colloquium in Judaic Studies. Hebraica Veritas? Christian Hebraists,
Jews, and the study of Judaism in Early Modern Europe. May 1-3, 2000. University of
Pennsylvania. The Center for advanced Judaic studies d’une part, et d’autre part, The
11th Summer School in Jewish studies. Jews and Judaism through the eyes of ‘others’.
Hebrew University of Jerusalem. Institute for advanced studies. June 26th-July 4th, 2001
(part. la communication de E. Carlebach, Jews and Judaism and the Protestant Refor-
mation).
12
J. de Voisin, Theologia Iudaeorum Sive Opus, in quo rem ipsam, quae nunc
Christiana religio nuncupatur, etiam apud Antiquos fuisse, prius quam Christus veni-
ret in carne, ex Hebraeorum libris ostenditur. Errores vero, quos post natum Christum
Iudaei per fraudem, et malitiam attulerunt, coarguuntur. Tomus Primus. De Deo et
proprietatibus eius, Paris, Mathurin Henault-Jean Henault, 1647, p. 55-105 (part.
p. 55-80 et 97) qui vise à réfuter Joseph Albo, Sefer ha-{Ikkarim II, 28; III, 18 et IV,
16-17 [cf. I. Husik, Sefer ha-{Ikkarim... cité n. 7, II, p. 184-185; III, p. 159-167, et IV,
p. 147-150]. Joseph Albo, que De Voisin cite curieusement toujours sous la forme au-
thor libri de fundamentis sans jamais l’identifier plus précisément, est de loin l’auto-
rité juive la plus fréquemment mentionnée dans la Theologia Iudaeorum; un index
spécifique lui est consacré. – Voisin définissait sa visée en ses termes (ibid.,
p. XLIX) : Iudaei partim nobiscum sentiunt, partim a nobis opinionum, ut et fidei dis-
sensione discrepant. Et eam quidem partem, quae est de iis, quae nobiscum communia

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 673

loppements de Joseph Albo sur le sujet des anges et de leur invocation. Et


quelques années plus tôt, le grand Vossius lui-même, un arminien, traitant
de religioso bonorum spirituum cultu au premier livre de sa Theologia genti-
lis, avait fait appel au Sefer ha-{Ikkarim, pour expliquer que le culte des
anges était la plus ancienne forme d’idolâtrie13. Il empruntait très vraisem-
blablement cette référence au commentaire linéaire aux Hilkhot Avodah
Zarah, dont Dionysius Vos (1612-1633), l’un de ses fils, mort prématuré-
ment à vingt et un ans, avait accompagné sa traduction de ce texte de Maï-
monide14 : Vossius fils y avait glosé le précepte du Rambam interdisant de
rendre un culte à toute créature, «qu’il s’agisse d’un ange, d’une sphère ou
d’un astre», à l’aide de Joseph Albo15.
Une telle valorisation du témoignage du Sefer ha-{Ikkarim relatif aux

habent, nemo adhuc, quod sciam, attigit. Sur Voisin, voir L. Moréri, Le grand diction-
naire historique ou le Mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, Nouvelle édition
de 1759, reprint, Genève, 1995, X, p. 696-697.
13
G. I. Vossius, De theologia gentili et physiologia christiana... cité n. 4, lib. I,
cap. IX, p. 64-69 (ici p. 64) : A latreı¥a malorum spirituum ad venerationem venio bo-
norum. Quos ab hominibus prius fuisse cultos per est verisimile. Sane Iosephus Albus
lib. III in Icarim cap. XVIII arbitratur, hanc omnium antiquissimam fuisse idola-
triam, quod homines angelis cultum statuerint tanquam mediatoribus et sequestris in-
ter se, et Deum. Sed enim hic etiam honor universe dominatur Deuteron. VI. 13. item
X. 20.
14
D. Vossius, R. Mosis Maimonidae. De idolatria liber, cum interpretatione lati-
na, et notis, Amsterdam, Jan et Cornelis Blaeu, 1641, p. 20-23 citant Joseph Albo, Se-
fer ha-{Ikkarim III, 18 et II, 28 à propos de Maïmonide, De idolatria, II, § 1 (M. Maï-
monide, Le livre de la connaissance... cité n. 8, p. 229). Cet ouvrage fut édité en ap-
pendice à la Theologia gentilis de Vossius père (cf. supra n. 4). Sur la place décisive
que tiennent aux XVIIe siècle le De idolatria et d’autres ouvrages maïmonidiens, tel le
More Nevukhim, le «Guide des égarés», dans la querelle sur les origines des poly-
théismes, voir M. Mulsow, op. cit. n. 4, p. 7-8. Il manque une étude sur l’influence de
Joseph Albo.
15
Sur l’interprétation de Vossius fils et son positionnement religieux, voir
A. L. Katchen, Christian Hebraists and Dutch Rabbis. Seventeenth century apologetics
and the study of Maimonides’ Mishneh Torah, Cambridge, 1984 (Center for Jewish stu-
dies. Harvard Judaic texts and studies, 3), p. 161-235 et 287-290, part. p. 229-231 (avec
le compte rendu de R. Popkin, dans American Historical Review, 91, 1986, p. 415-
416). On notera l’estime dont jouit le Sefer ha-{Ikkarim chez Hugo Grotius qui fut un
proche des Vossii et un correspondant de De Voisin [cf. E. Rabbie, Hugo Grotius and
Judaism, dans Id. et H. J. M. Nellen (éd.), Hugo Grotius – Theologian. Essays in Ho-
nour of G. H. M. Posthumus Meyjes, Leyde-New York-Cologne, 1994 (Studies in the
history of Christian thought, 55), p. 99-120; W. Schlessinger et L. Schlesinger, Sefer
Iqqarîm = Buch Ikkarim. Grund und Glaubenslehren der mosaischen Religion. Von Jo-
seph Albo. Nach den ältesten und correctesten Ausgaben in’s Deutsche übertragen,
Francfort-sur-le-Main, 1844, p. XV, n. 2. Je remercie Béatrice Caseau (Paris IV) de
m’avoir procuré copie de cette rarissime édition].

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674 MICHEL-YVES PERRIN

anges, en l’état de nos recherches inédite jusqu’alors16, signait l’émergence


d’un nouveau sujet d’intérêt dans le cercle des hébraïsants chrétiens17 et ré-
pondait à certaines exigences de la controverse religieuse entre les dif-
férentes formes de christianisme dans l’Europe moderne. En effet au fil des
polémiques entre l’Église romaine et ses adversaires réformateurs, la ques-
tion de l’intercession des saints, et par là-même – subsidiairement à vrai
dire18 –, de la légitimité de l’invocation des anges, avait acquis une grande
importance, car elle mettait en jeu la conception de l’unique médiation du

16
Quoique le Sefer ha-{Ikkarim jouît d’une grande notoriété chez les hébraïsants
chrétiens, les passages relatifs aux anges ne semblent pas avoir retenu l’attention jus-
qu’à Vossius fils. Il suffit pour s’en convaincre de lire l’ouvrage de polémique anti-
juive que le catholique Gilbert Génébrard (1537-1597) consacra en 1566 à la réfuta-
tion de textes de Joseph Albo, David Kimchi et un auteur anonyme; des anges il n’est
nullement question : G. Génébrard, R. Iosephi Albonis, R. Davidis Kimhi et alius
cuiusdam hebraei anonymi argumenta, quibus nonnullos fidei christianae articulos
oppugnant. G. Genebrardo ba. Theologo interprete. Ad eorum singulas disputationes
eiusdem interpretis responsa, in quibus multa de Deo, de Tribus divinitatis hypo-
stasibus, de Christo, Eucharistia, lege, Evangelio et mysteriis similibus, quorum no-
menclaturam extrema pagina exhibet pertractantur. Liber vel illo solo utilis, quod mul-
ta adversus recens Trinitariorum dogma, hoc infoelici aevo, in Lituania et Polonia de
tribus divinis essentiis atque diis excitatum, declaret, Paris, Martin Le Jeune, 1566.
17
Les différents ouvrages d’hébraïsants chrétiens consacrés à une présentation
d’ensemble des Juifs, antérieurs à la Theologia Iudaeorum de De Voisin, que nous
avons pu consulter, n’envisagent pas le problème des anges : voir A. Margaritha, Der
gantz jüdisch Glaub mit sampt eyner grüntlichen und wahrhafftigen anzeygunge aller
satzungen, ceremonien, gebeten, heimliche und öffentliche Gebreuch, deren sich die Jü-
den halten durch das gantz jar mittschönen und gegründten argumenten wider yrhen
glauben, 2e éd., Leipzig, Melchior Lotther, 1531; B. C. Bertram, De Politia iudaica,
tam civili quam ecclesiastica, iam inde a suis primordiis, hoc est, ab Orbe condito, re-
petita, 2e éd., Genève, Eustache Vignon, 1580; C. Sigonio, De Republica Hebraeorum
Libri VII, Bologne, Giovanni Rossi, 1582; J. Butorf le Père, Synagoga Judaica : Das
ist, Jüden Schul : Darinnen der gantz jüdische Glaub und Glaubensubung, mit allen
Ceremonien, Satzungen, Sitten und Gebräuchen, wie sie bey ihnen ... im Brauche, auss
ihren eigenen Bücheren und Schrifften ... grundlich erkläret, Jetzt erstmals ... an Tag
gegeben, Bâle, Sebastian Henricpetri, 1603 (reprint, Hildesheim, Olms, 1989);
P. Cunaeus, De Republica Hebraeorum Libri III, Leyde, Louis Elzevier, 1617 (reprint,
Florence, Centro Ed. Toscano, 1996). Voir également, en attendant la publication de
sa thèse, Y. Deutsch, «A View of the Jewish Religion». Conceptions of Jewish practice
and ritual in Early Modern Europe, dans Archiv für Religionsgeschichte, 3, 2001,
p. 273-295.
18
Dans les controverses entre catholiques et protestants, la question du culte
des anges fait rarement l’objet d’un traitement spécifique, mais constitue le plus
souvent un élément secondaire de la dispute sur le culte des saints : voir infra n. 19-
20.

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 675

Christ défendu par chaque parti. Selon la logique argumentative propre à


ces débats, des dossiers scripturaires (Gn 18, 2; 19, 1; 48, 16; Nb 22, 31; Jos 5,
14-15; Ac 10, 25-26; 14, 15; Col 2, 18; Apoc 19, 10; 22, 8-9 spécialement) et pa-
tristiques (Justin, I Apologie 6; Origène, Contre Celse VIII; Augustin, Cité de
Dieu VIII, 25, etc.) avaient été élaborés et enrichis au cours des décennies
pour défendre19 ou ruiner 20, au gré des exégèses, le bien-fondé, en régime
chrétien, du culte des anges, et, le cas échéant, en définir les modalités.
Or, en de telles disputes, la référence juive pouvait être doublement
sollicitée, sans d’ailleurs qu’un usage fût exclusif de l’autre 21. Soit, selon une
tradition hérésiologique bien enracinée, l’adversaire doctrinal chrétien
était assimilé au Juif et la controverse antijuive servait à alimenter la polé-
mique interne au christianisme : tel fut le motif qui poussa l’hébraïsant ca-
tholique Gilbert Génébrard (1537-1597) à traduire et réfuter des extraits du
Sefer ha-{Ikkarim, de David Kimchi (1160-1235) et d’un maître juif anonyme
pour lutter contre les courants antitrinitariens en Pologne et en Lituanie 22.
Soit – et c’était là un phénomène nouveau lié à l’essor de l’hébraïsme chré-

19
Voir l’exposé de référence du jésuite Robert Bellarmin (1542-1621), De contro-
versiis christianae fidei, adversus huius temporis haereticos, Lyon, Jean Pillehotte,
1602, I, Septima controversia generalis. De ecclesia triumphante, Lib. I, De beatitudine
et canonizatione sanctorum, p. 1454-1490.
20
Un exemple, éloquent par son ampleur et l’autorité que lui confère la person-
nalité de son auteur, se trouve dans les Loci theologici de Johann Gerhard (1582-
1637), l’un des pères de l’orthodoxie luthérienne crédité par ailleurs de l’invention du
terme «patrologie» (cf. B. Altaner et A. Stuiber, Patrologie. Leben, Schriften und
Lehre der Kirchenväter, 8e éd., Fribourg-en-Brisgau, 1978, p. 1; F. L. Cross et E. A. Li-
vingstone (éd.), The Oxford dictionary of the Christian Church, 3e éd., Oxford, 1997,
s. v. Gerhard, p. 666-667) : voir J. Gerhard, Loci theologici cum pro adstruenda veri-
tate tum pro destruenda quorumvis contradicentium falsitate per theses nervose solide
et copiose explicati. Opus praeclarissimum novem tomis comprehensum denuo juxta
editionem principem accurate typis exscriptum adjectis notis ipsius Gerhardi posthu-
mis a filio collectis editionibus ann. 1657 et 1776 collatis paginis editionis Cottae in
margine diligenter notatis. Indicibus generalibus post G. H. Mullerum adauctis addita
denique vita Io. Gerhardi. Editio altera cui praefatus est Fr. Frank, Leipzig, 1885, VIII,
§ 96-98, p. 66-68, et § 370-427, p. 279-324.
21
Aux références citées aux n. 11 et 23, on adjoindra R. Po-Chia Hsia, Christian
ethnography of Jews in Early Modern Germany, dans R. B. Waddington et A. H. Wil-
liamson (éd.), The expulsion of the Jews : 1492 and After, New York-Londres, 1994,
p. 223-235; M. Friedrich, Die evangelische Theologie des konfessionellen Zeitalters
und ihre Sicht des Judentums, dans H. Lehmann et A. C. Trepp (éd.), Im Zeichen der
Krise. Religiosität in Europa des 17. Jhdts, Göttingen, 1999 (Veröffentlichungen des
Max-Planck-Instituts für Geschichte, 152), p. 225-242 (ici p. 236 et suiv.); A. Sutcliffe,
Hebrew texts and protestant readers : Christian, Hebraism and denominational self-
definition, dans Jewish studies quarterly, 7, 2000, p. 319-337.
22
Voir supra n. 16.

.
676 MICHEL-YVES PERRIN

tien au temps des Réformes –, catholiques et protestants de toutes obé-


diences rivalisaient pour exhiber des témoignages issus de la Synagogue en
faveur de leurs thèses respectives 23. En effet du réformé Paul Büchlein
(1504-1549) à l’oratorien Richard Simon (1638-1712), pour ne citer que
quelques figures emblématiques, s’était diffusée la conviction que les pra-
tiques et doctrines juives, souvent considérées comme immuables au fil des
siècles, en tout cas pour ce qui concerne le judaïsme rabbinique 24, pou-
vaient éclairer celles de la primitive Église avec laquelle chacun prétendait
s’accorder 25. D’abord convoqués pour la compréhension des textes scriptu-
raires, les Judaica furent mis à profit en d’autres questions disputées. C’est
ainsi que le témoignage juif fut invoqué, au cours du XVIIe siècle, pour la
première fois à notre connaissance en l’état présent de nos investigations 26,
dans la querelle sur la légitimité du culte des anges.

23
La querelle sur la chronologie de l’apparition des points voyelles en hébreu en
fournit un très bel exemple : voir P. T. Van Rooden, Theology, biblical scholarship
and Rabbinical studies in the seventeenth century. Constantijn L’Empereur (1591-
1648) professor of Hebrew and theology at Leiden, Leyde-New York-Copenhague-
Cologne, 1989 (Studies in the history of Leiden University, 6), p. 222 et suiv.; St.
G. Burnett, From Christian Hebraism to Jewish studies. Johannes Buxtorf (1564-1629)
and Hebrew learning in the seventeenth century, Leyde-New York-Cologne, 1996 (Stu-
dies in the history of christian thought, 68), p. 203-239.
24
Les innovations des cabalistes sont souvent dénoncées.
25
Sur Paul Büchlein (= Paul Fagius), voir J. Friedman, The most ancient testi-
mony. Sixteenth-Century Christian-Hebraica in the Age of Renaissance nostalgia,
Athens (Ohio), 1983, p. 99-118, et Id., The myth of Jewish antiquity : new Christians
and Christian-Hebraica in early modern Europe, dans R. H. Popkin et G. M. Weiner
éd., Jewish Christians and Christian Jews. From the Renaissance to the Enlighten-
ment, Dordrecht-Boston-Londres, 1994 (Archives internationales d’histoire des idées,
138), p. 35-55 (ici, p. 46-47). Pour Richard Simon, voir J. Le Brun et G. Stroumsa
(éd.), Les Juifs présentés aux chrétiens. Cérémonies et coutumes qui s’observent au-
jourd’hui parmi les Juifs par Léon de Modène, traduit par Richard Simon, suivi de
comparaison des cérémonies des Juifs et de la discipline de l’Église par Richard Simon,
Paris, 1998, p. 11 (§ XV de la Préface de R. Simon à Léon de Modène) : «Ce grand
nombre de bénédictions et d’actions de grâces, que les Juifs ont accoutumé d’em-
ployer au commencement et à la fin de toutes leurs actions, sert beaucoup à faire en-
tendre quantité de passages de saint Paul, où il parle des louanges et remerciements
que nous devons faire incessamment à Dieu (...) Il y a encore beaucoup d’autres
choses de cette nature qui ne se peuvent bien expliquer que par l’usage et la coutume
des Juifs». Cette préface date de la deuxième édition de l’ouvrage en 1681.
26
Ni Bellarmin, ni Gerhard, ni aucun des controversistes, catholiques ou protes-
tants, antérieurs à De Voisin, dont nous avons pu consulter les œuvres – je dois à l’a-
mitié de Jean-Robert Armogathe (EPHE) d’utiles références –, n’invoquent des auto-
rités rabbiniques, à l’exception de Vossius. L’enquête historiographique ici menée ne
semble pas avoir été entreprise auparavant.

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 677

Si l’usage de la référence juive à de telles fins polémiques reste géné-


ralement implicite chez les Vossius ou De Voisin, tel n’est pas le cas dans la
Bibliotheca Magna Rabbinica. Bartolocci conjoint les deux modalités de
l’appel au judaïsme, à la fois repoussoir et modèle, en cherchant à mettre
en évidence une rupture dans l’histoire des pratiques et croyances juives,
opposant les antiques aux modernes, et soutenant que les anciens Juifs, à
l’égal de l’Église romaine, rendaient un culte aux anges et ne l’avaient aban-
donné que «pour plaire aux Novateurs d’Allemagne» 27. La polémique anti-
protestante prenait ici le relais de celle dirigée contre les Juifs et débou-
chait sur la constitution d’un nouvel objet historiographique : De cultu an-
gelorum qui apud Judaeos obtinuit.
En un temps où la querelle des historiens servait l’éristique théolo-
gique 28, les notations de Bartolocci ouvrirent une confrontation aussi éru-
dite que passionnée, dont la chronique critique fait encore défaut. Il fau-
drait ici, sans aucunement viser à l’exhaustivité, citer les noms, célèbres ou
moins connus, de Richard Simon 29, de Johann von Lent 30, un professeur
ordinaire de langues orientales et d’histoire ecclésiastique à l’Académie

27
I. Bartolocci, op. cit. n. 5, p. 206 : Quicquid sit, certum est Auctorem esse anti-
quissimum, qui usum invocandi Sanctos Angelos ab antiqua Synagoga didicit, et ad
posteros in Precatione allata transmissit, quem fere usque ad nostra tempora Synagoga
Germanica retinuit; hodie tamen amplius non est in usu, fortassis, ut Novatoribus, qui
Sanctorum invocationem è medio tollere adnixi sunt, rem gratam facerent in Germa-
nia. (cf. ibid., p. 201 : même raisonnement à propos de l’intercession des saints). Op-
poser les anciens aux modernes est un procédé éculé de la polémique antijuive : voir
G. F. Moore, Christian Writers on Judaism... cité n. 11, p. 201-202.
28
Sur l’usage de l’argument historique dans les controverses religieuses au
temps des Réformes, voir, par exemple, P. Polman, L’Élément historique dans la
controverse religieuse du XVIe siècle, Gembloux, 1932 (Universitas Catholica Lovanien-
sis. Dissertationes ad gradum magistri in Facultate Theologica consequendum
conscriptae. Series II, 23); B. Neveu, L’érudition ecclésiastique du XVIIe siècle et la
nostalgie de l’Antiquité chrétienne, repris dans Id., Érudition et religion aux XVIIe et
XVIIIe siècles, Paris, 1994, p. 333-363; Id., Archéolâtrie et modernité dans le savoir ec-
clésiastique au XVIIe siècle, ibid., p. 365-383; J.-L. Quantin, Le catholicisme classique
et les Pères de l’Église. Un retour aux sources (1669-1713), Paris, 1999 (Collection des
études Augustiniennes. Série Moyen Âge et Temps modernes, 33).
29
R. Simon, Comparaison des cérémonies des Juifs et de la discipline de l’Église
cit., n. 25, p. 12-13 (Préface de 1681), 149-150, 152-154 (qui condamne les cabalistes
comme novateurs, et reprend la thèse de Bartolocci sans le citer).
30
J. von Lent, Emunah shel Yehudim Acharonim. Seu De moderna theologia Ju-
daica, Herborn, Johann Nikolaus Andreae, 1694, chap. VIII, p. 279-287, où faisant
fond en particulier sur Joseph Albo et Abravanel, l’auteur déclare : Quare solius Dei
invocationem non solum valde urgent Iudaei passimque auditoribus suis commen-
dant, imoque ipsis inserunt articulis fidei fundamentalibus, verum contra cultum An-
gelicum graviter damnant, Ecclesiamque Romanam Idolatricam propterea appellant

.
678 MICHEL-YVES PERRIN

protestante de Herborn, du luthérien Johann Heinrich May l’Aîné (1653-


1719) 31, du huguenot exilé aux Provinces-Unies, Jacques de Beauval de Bas-
nage (1653-1723) 32, du gallican Louis Ellies Du Pin enfin (1657-1719) 33 qui
publia une édition controuvée de l’Histoire des Juifs de Basnage où ces der-
niers étaient crédités de s’adonner au culte des anges. C’est au terme de
cette dispute, dont il n’a été possible ici que de dresser une épure 34, que s’é-
lève le monument de Jacob Odé.
L’auteur du Commentarius de angelis, qui rassemble avec acribie les
fruits de plusieurs décennies de labeur savant et d’ardeur polémique,

(p. 282; cf. p. 534-544). On ne semble posséder aucune notice biographique dévelop-
pée sur cet auteur.
31
J. H. May, Synopsis Theologiae Judaicae, veteris et novae, in quâ Illius Veritas
Hujusque Falsitas Ex. S. Hebraeo Codice, et ipsis Judaicae Gentis Scriptoribus, Anti-
quis et Novis, per omnes locos theologicos solide juxta ac perspicue ostenditur. In pri-
vato Collegio explicata atque publicis disputationibus ventilata, Giessen, Henning
Müller, 1698, Locus IV, sectio I, § IV, p. 72-74, où l’auteur polémique contre De Voi-
sin et Bartolocci. Voir K. Dienst, s. v. May, Johann Heinrich, dans Biographisch-
bibliographisches Kirchenlexikon, V, Herzberg, 1993, col. 1103-1105.
32
J. Basnage, Histoire des Juifs depuis Jesus-Christ jusqu’à présent. Contenant les
dogmes des Juifs; leur confession de foi; leurs variations; et l’histoire de leur religion,
depuis la ruine du temple jusqu’à présent. Pour servir de suplément et de continuation
à l’histoire de Joseph, Rotterdam, Reinier Leers, 1707, III, Livre IV, § X, p. 145-153
(«Si les Juifs invoquent les Anges»). Sur Basnage, voir C. Cerny, Theology, politics
and letters at the crossroads of European civilization : Jacques Basnage and the Bay-
lean Huguenot refuges in the Dutch Republic, Dordrecht-Boston, 1987 (Archives inter-
nationales d’histoire des idées, 107).
33
[Anonyme], Histoire des Juifs depuis Jesus-Christ jusqu’à présent. Contenant
les dogmes des juifs; leur confession de foi; leurs variations; et l’histoire de leur religion,
depuis la ruine du temple jusqu’à présent. Pour servir de suplément et de continuation
à l’histoire de Joseph, Paris, Louis Roulland, 1710, IV, Livre VI, § X, p. 153-166 («Du
Culte des Anges par les Juifs»). Sur ce théologien, voir J. Gres-Gayer, Un théologien
gallican, témoin de son temps : Louis Ellies Du Pin (1657-1719), dans Revue d’histoire
de l’Église de France, 72, 1986, p. 67-121. L’article de B. De Negroni (Les ciseaux du
censeur. Un découpage orthodoxe de l’histoire des Juifs de Basnage de Neauval, dans
Revue de synthèse, III, 1990, p. 397-422) est décevant. – Basnage répondit à son faus-
saire dans un nouveau volume intitulé L’Histoire des Juifs réclamée et rétablie par son
véritable auteur Mr Basnage contre l’Édition anonyme et tronquée, qui s’en est faite à
Paris chez Roulland, 1710. Avec plusieurs Additions, pour servir de VIe tome à cette his-
toire, Rotterdam, Fritsch et Böhm, 1711, p. 33-53.
34
On notera que, sauf erreur, Johann Andreas Eisenmenger (1654-1704) – cf.
F. W. Bautz, s. v. Eisenmenger, dans Biographisch-bibliographisches Kirchenlexikon,
I, Herzberg, 1990, col. 1481-1482 –, dans son influent ouvrage de polémique antijuive
Entdecktes Judenthums, II. Teil, Königsberg, 1711, n’évoque pas cette controverse,
dans les pages qu’ils consacrent aux anges (cf. chap. VII, p. 370-408 : «In diesem Ca-
pitel wird angezeigt was die Juden von den guten Engelen lehren»).

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 679

conclut, malgré ses sympathies théologiques, que «les Juifs aux premiers
temps de l’Église chrétienne ne furent pas étrangers au culte des anges», et
que Basnage erre à force d’esprit de système 35. Entérinant la discontinuité
historique que Bartolocci avait mise en évidence entre Juifs anciens et mo-
dernes, Odé dressait un catalogue des sources, essentiellement patris-
tiques, attestant un «culte des anges» au sein du judaïsme des débuts de
l’ère commune. La constitution d’un tel dossier sanctionnait l’émergence
d’un nouvel objet historiographique que «la République des Lettres» légua
à «l’Âge des savants».

*
* *

De la destinée de ce legs scientifique, les premières pages de la disser-


tation que Wilhelm Lueken (1875-1961) 36, un disciple de Wilhelm Bousset
(1865-1920) et de l’encore inchoative Religionsgeschichtliche Schule 37,
consacra en 1898 au culte de l’archange Michel dans les traditions juives et
celles de l’Orient chrétien, permettent de prendre la mesure 38. Si Odé et
Bartolocci sont toujours cités 39, si sources antiques et documents médié-
vaux consécutifs à l’essor de la Cabale se côtoient encore, mais dans une

35
J. Odé, Commentarius de angelis... cité n. 1, p. 924 : Deinde Iudaeos primis Ec-
clesiae christianae seculis a cultu angelorum non alienos fuisse deprehendimus. Sur
Basnage, voir ibid., p. 927 : sed cum hic et alibi contendat, Judaeos nullo umquam
tempore adorasse angelos, in eo procul dubio fallitur.
36
Sur Lueken, voir la notice de M. Wolfes dans Biographisch-bibliographisches
Kirchenlexikon, XVIII, Herzberg, 2001, col. 844-851. Pour des tentatives de mise à
jour partielle de cette dissertation, voir J. P. Rohland, Der Erzengel Michael. Arzt und
Feldherr : Zwei Aspekte des vor- und frühbyzantinischen Michaelkultes, Leyde, 1977
(Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte. Beiheft, 19), et D. D. Hannah, Mi-
chael and Christ : Michael traditions and angel christology in early Christianity, Tübin-
gen, 1999 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe, 109).
37
Sur Bousset, voir J. M. Schmidt, s. v. Bousset, dans Theologische Realenzyklo-
pädie, VII, Berlin-New York, 1981, p. 97-101; voir aussi G. Lüdemann, s. v. Religions-
geschichtliche Schule, ibid., XXVIII, Berlin-New York, 1997, p. 618-624, et l’introduc-
tion de J.-M. Tétaz à E. Troeltsch, Histoire des religions et destin de la théologie, Pa-
ris-Genève, 1996 (Ernst Troeltsch. Œuvres, 3), p. XXXVII-LV, ainsi que, dans le
même volume, le texte de E. Troeltsch, La dogmatique de l’«École de l’histoire des Re-
ligions», p. 331-375.
38
W. Lueken, Michael... cité n. 2, part. p. 4-12 et 62-63. Dans la bibliographie,
ce livre enverra bien vite à l’oubli le Commentarius de angelis, puisqu’il acquiert le
statut de synthèse autorisée en deçà de laquelle il est inutile de remonter, comme en
témoigne, par exemple, E. Lucius, Les origines du culte des saints dans l’Église chré-
tienne, trad. fr., Paris, 1908, p. 163-167.
39
W. Lueken, op. cit. n. 2, p. 11-12, 40, 48, etc.

.
680 MICHEL-YVES PERRIN

perspective renouvelée, issue de l’anthropologie religieuse des Lumières 40,


qui vise à mettre en évidence une immutabilité de la «superstition popu-
laire» à travers les siècles 41, si par là-même le sens de la dynamique histo-
rique issu des polémiques des XVIIe-XVIIIe siècles court le risque d’être
perdu, l’ouvrage témoigne aussi pour l’enrichissement considérable du dos-
sier de «l’angélolâtrie juive» dans l’antiquité que la Wissenschaft des Juden-
tums 42, d’une part, et, d’autre part, l’histoire des origines chrétiennes, ont
commencé à susciter. Textes rabbiniques et midrashiques d’un côté 43,
pseudépigraphes de l’Ancien Testament de l’autre 44, permettent aux savants
de prendre conscience de la luxuriante efflorescence angélique qui caracté-
rise la plupart des courants du judaïsme de l’époque hellénistique et ro-
maine. Le livre de Daniel, dont la rédaction finale est à situer au milieu du

40
Voir les très pertinentes remarques critiques de P. Brown, Le culte des saints.
Son essor et sa fonction dans la chrétienté latine, trad. fr., Paris, 1984, p. 25-35.
41
W. Lueken, op. cit. n. 2, p. 2-4, part. p. 3 : «Nimmt man noch hinzu, dass die
niedere Religion, in die auch der Michaelglaube gehört, der Aberglaube des Volkes,
wenn man so will, viel weniger Schwankungen im Laufe der Geschichte ausgesetzt
ist als die Religion der führenden Geister, so ergiebt sich, dass die jungen Quellen
sehr wohl verwertbar sind zur Darstellung eines alten Volksglaubens».
42
I. Schorsch, From text to context : the turn to history in modern Judaism, Ha-
nover (New England), 1994 (Tauber Institute for the Study of European Jewry Series,
19).
43
Pour une présentation de ces sources, voir H. L. Strack-G. Stemberger, Intro-
duction au Talmud et au Midrash, trad. fr., Paris, 1986.
44
C’est à Johann Albert Fabricius (1668-1736) que l’on doit cette dénomination :
voir J. A. Fabricius, Codex pseudepigraphus Veteris Testamenti, collectus castigatus,
testimoniisque, censuris et animadversionibus illustratus, Hambourg-Leipzig, C. Lie-
bezeit, 1713. Une deuxième édition augmentée paraîtra en 1722. August Friedrich
Gfrörer (1803-1861), dans sa monumentale Geschichte des Urchristenthums. I. Das
Jahrhundert des Heils, Stuttgart, 1838, p. 64-109 – par ailleurs un admirable témoin
de la convergence entre histoire des origines chrétiennes et Wissenschaft des Juden-
tums (cf. p. 5 et suiv.) –, semble avoir été le premier savant à prendre véritablement
en considération les pseudépigraphes de l’Ancient Testament pour l’étude du ju-
daisme antique (cf. G. F. Moore, op. cit. n. 11, p. 224) : dans le Commentarius de an-
gelis (cité n. 1, p. 325-328 et 665-668), par exemple, Odé traitait le Premier Livre d’Hé-
noch comme un texte chrétien de l’époque subapostolique, et non comme un texte
juif des temps hellénistiques selon la chronologie proposée par Fabricius (op. cit.,
p. 199-208) et d’autres savants. Pour une histoire de la recherche sur ces textes, voir
R. A. Kraft, The Pseudepigrapha in Christianity, dans Tracing the threads : studies in
the vitality of Jewish Pseudepigrapha, Atlanta, 1994, p. 55-86 (mise à jour disponible
sur Internet : http://ccat.sas.upenn.edu/rs/rak/publics/pseudepig/sntsnew.htlm). –
On trouvera une présentation et une traduction française annotée de nombre de ces
documents dans A. Dupont-Sommer et M. Philonenko (éd.), Écrits intertestamen-
taires, Paris, 1987, p. LIX-CXLVI et 461 et suiv.

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 681

IIe siècle 45, devient le symbole de ce mouvement, puisqu’il est le premier


des écrits vétérotestamentaires, dans l’ordre chronologique, où des anges
sont pourvus d’un nom, Gabriel, l’ange de la révélation (Dn 8, 16 et 9, 21),
Michel, l’ange préposé à Israël (Dn 10, 13-21).
Un autre groupe de sources participe de cette révolution documen-
taire : l’essor de l’égyptologie favorise la multiplication des découvertes de
papyrus magiques 46 où fleurissent les noms d’anges juifs 47, souvent dans un
cadre syncrétique il est vrai, mais aussi, en certains cas, dans un contexte
dépourvu de toute théocrasie 48. Si les amulettes, pierres gravées et tablettes
de plomb 49 connues depuis la Renaissance n’avaient pas eu une telle portée

45
Voir J. J. Collins, s. v. Daniel, Book of, dans The Anchor Bible Dictionary, II,
New York-Londres-Toronto-Sydney-Auckland, 1992, p. 29-37.
46
Pour l’histoire de la recherche, voir W. M. Brashear, The Greek magical papy-
ri : an introduction and survey; annotated bibliography (1928-1994), dans Aufstieg und
Niedergang der Römischen Welt, II. 18. 5, Berlin-New York, 1995, p. 3381-3684. Le
corpus de K. Preisendanz et al., Papyri Graecae Magicae. Die griechischen Zauberpa-
pyri, Leipzig-Berlin, 1928-1931 (2e éd. révisée par A. Henrichs, Stuttgart, 1973-1974) a
été augmenté par R. W. Daniel – F. Maltomini, Supplementum magicum, I-II, Opla-
den, 1990-1992 (Papyrologica Coloniensia, 16/1-2). Voir aussi H. D. Betz (éd.), The
Greek magical papyri in translation including the demotic spells, 2e éd., Chicago, 1992,
qui offre une traduction du corpus de Preisendanz (nos I-LXXXI) grossi de nouveaux
documents (nos LXXXII-CXXX-PDM); M. W. Meyer et R. Smith, Ancient Christian
magic. Coptic texts of ritual power, 2e éd., Princeton, 1999.
47
Voir, par exemple, W. M. Brashear, The Greek magical papyri..., n. 46,
p. 3426-3428, et infra n. 53.
48
Sur l’histoire de ces concepts, voir M. Tardieu, Leçon inaugurale au Collège de
France faite le vendredi 12 avril 1991, Paris, 1991; Id., dans Annuaire du Collège de
France, 91, 1990-1991, p. 493-496; ibid., 92, 1991-1992, p. 501-506.
49
Voir R. Wünsch, Inscriptiones Atticae Euclidis anno posteriores, Pars III.3,
Berlin, 1897, et A. Audollent, Defixionum Tabellae quotquot innotuerunt tam in grae-
cis orientis quam in totius occidentis partibus prater atticas in Corpore Inscriptionum
Atticarum editas, Paris, 1904, avec les mises à jour, pour les inscriptions grecques, de
D. R. Jordan, A survey of Greek Defixiones not included in the special Corpora, dans
Greek, Roman, and Byzantine studies, 26, 1985, p. 151-197, et, New Greek curse tablets
(1985-2000), ibid., 41, 2000, p. 5-46. Le corpus préparé par ce dernier savant n’a pas
encore été publié. Voir aussi R. Kotansky, Greek magical amulets : the inscribed gold,
silver, copper and bronze lamellae, Part I : published texts of known provenance, Opla-
den, 1994 (Papyrologica Coloniensia, 22/1); C. Bonner, Studies in the magical amulets
chiefly Graeco-Egyptian, Ann Arbor-Londres, 1950 (University of Michigan Shedies.
Humanistic series, 49); A. Delatte et Ph. Derchain, Les intailles magiques gréco-égyp-
tiennes, Paris, 1964; P. Zaroff, Die antiken Gemmen, Munich, 1983 (Handbuch der Ar-
chäologie, 4), p. 349-362; E. Zwierlein-Diehl, Magische Amulette und andere Gemmen
des Instituts für Alterungskunde der Universität zu Köln, Opladen-Wiesbaden, 1992
(Papyrologica Coloniensia, 20); S. Michel, Bunte stein-dunkle Bilder : «Magische
Gemmen». Magische Gemmen als Zeugnisse antiken volkslaubeins, Munich, 2001;

.
682 MICHEL-YVES PERRIN

épistémologique, c’est probablement pour avoir été regroupées depuis le


XVIe siècle sous le qualificatif erroné de «gnostiques» et avoir été canton-
nées au domaine de l’hérésiologie 50, même si Cornelius Agrippa (1486-
1535), en 1530, dans son De incertitudine et vanitate omnium scientiarum et
artium liber avait déjà noté, pour les dénoncer, des parallèles frappants
entre certaines doctrines gnostiques et des traditions cabalistiques 51. De
l’impact de cette émergence des sources relatives à la magie antique té-
moigne, en 1898 également, l’ouvrage fondateur de Ludwig Blau (1861-
1936) 52, où sont mis en relation les deux phénomènes concomitants de
l’omniprésence des anges dans la littérature juive de l’époque hellénistico-
romaine et de l’abondance des invocations angéliques dans les sources ma-
giques, juives ou non 53. L’association si fréquente dans les sources païennes

S. Michel, Die magischen Gemmen im Britischen Museum, horsg. von P. v. H. Zaroff,


Londres, 2001. L’étude de J. Gager, Curse tablets and binding spells from the ancient
world, Oxford-New York, 1992, est très utile.
50
Voir C. Bonner, Studies in the magical amuletes..., p. 1-2; M. Tardieu, Histoire
du mot «Gnostique», dans Id. – J.-D. Dubois, Introduction à la littérature gnostique. I.
Collections retrouvées avant 1945, Paris, 1986 (Initiations au christianisme ancien),
p. 30-32.
51
H. Cornelius Agrippa von Nettesheim, Opera, Lyon, Beringi Frères, s. d. (c.
1600) (reprint with an Introduction by R. H. Popkin, Hildesheim-New York, 1970), t.
II, De incertitudine et vanitate scientiarum..., cap. XLVII De Cabala, p. 98-102 (ici, p.
102).
52
L. Blau, Das altjüdische Zauberwesen, Strasbourg-Budapest, 1898 (reprint,
Berlin, 1914; Wesnead, 1970; Graz, 1974), part. p. 96-117 et 128-146. Sur l’auteur, voir
A. Scheiber, s. v. Blau, dans Encyclopedia Judaica, IV, Jérusalem, 1971, col. 1076. Sur
l’importance historiographique de cet ouvrage, voir G. Veltri, Magie und Halakha.
Ansätze zu einem empirischen Wissenschaftsbegriff im spätantiken und frühmitte-
lalterlichen Judentum, Tübingen, 1997 (Texte und Studien zum antiken Judentum,
62), p. 3-18.
53
L’étude des références juives, angéliques en particulier, dans les sources ma-
giques antiques a été l’objet de nombreux travaux; au bilan dressé par W. M. Bras-
hear pour les papyri (cf. supra n. 46) et aux considérations classiques de E. R. Goo-
denough, Jewish symbols in the Greco-Roman period, II, The archaeological evidence
from the diaspora, New York, 1953 (Bollingen Series, 37), part. p. 153-295 on ajoutera
pour les études les plus récentes : M. Smith, The Jewish elements in the magical papy-
ri, dans Society of biblical literature. Seminar papers series, 25, 1986, p. 455-462 [re-
pris dans Id., Studies in the cult of Yahweh, II, Leyde, 1996 (Religions in the Graeco-
Roman world, 130/2), p. 242-256]; Id., A Note on some Jewish assimilationists : the
angels, dans Journal of ancient near eastern society, 16-17, 1984, p. 207-217 = Id., Pa-
gan dealing with Jewish angels : P. Berlin 5025b, P. Louvre 2391, dans Studii Clasice,
24, 1986, p. 175-179 [repris, dans Id., Studies..., p. 235-241]; D. Sperber, Magic and
folklore in Rabbinic literature, Ramat-Gan, 1994 (Bar-ilan studies in near eastern lan-
guages and culture), p. 81-114 (Jewish angel names in magical texts, especially Semisei-
lam; Some Greek magical terms in Rabbinic literature; some Rabbinic themes in magi-

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 683

antiques entre judaïsme et magie – il suffit de citer la présentation ré-


currente de Moïse comme un magicien 54 – trouvait ici un saisissant écho.
Le siècle qui suivit les exposés de Lueken et de Blau ne fut pas avare
en renouvellements de la documentation : aux filons déjà repérés et dont
l’exploration continue, s’ajoutent manuscrits de la mer Morte 55, codices
gnostiques de Nag Hammadi 56, textes magiques juifs 57, du Sefer ha-Ra-
zim 58 à la littérature des Hekhalot 59 sans oublier les textes de la Geniza

cal papyri); D. E. Aune, s. v. Iao, dans Reallexikon für Antike und Christentum, XVII,
Stuttgart, 1996, col. 1-12; G. Veltri, Jewish traditions in Greek amulets, dans Bulletin
of Judaeo-Greek studies, 18, Summer 1996, p. 33-47 (compte rendu du corpus de
R. Kotansky, cité n. 49); H. D. Betz, Jewish magic in the Greek magical papyri (PGM
VII. 260-71), dans P. Schäfer et H. Kippenberg (éd.), Envisioning magic. A Princeton
Seminar and Symposium, Leyde, 1997 (Studies in the history of religions, 75), p. 45-63
[repris dans Id., Antike und Christentum. Gesammelte Aufsätze, IV, Tübingen, 1998,
p. 187-205]; P. S. Alexander, Jewish elements in gnosticism and magic c. CE 70 –
c. CE 270, dans W. Horbury, W. D. Davies et J. Strudy (éd.), The Cambridge history
of Judaism. III. The early Roman period, Cambridge, 1999, p. 1052-1078 et 1210-1219;
A. Leonas, The septuagint and the magical papyri : some preliminary notes, dans Bul-
letin of the International Organization for septuagint and cognate studies, 32, 1999,
p. 51-64; G. Bohak, Greek, Coptic and Jewish magic in the Cairo Genizah, dans Bulle-
tin of the American Society of papyrologists, 36, 1999, p. 27-44.
54
Voir J. Gager, Moses in Greco-Roman paganism, Nashville-New York, 1972
(Society of biblical literature. Monograph series, 16), p. 134-161, et M. Simon, Verus Is-
rael. Étude sur les relations entre chrétiens et Juifs dans l’empire romain (135-425), 2e
éd., Paris, 1964, p. 394-431.
55
Voir F. García Martínez et E. Tigchelaar, The Dead Sea scrolls : study edition,
Leyde-Grand Rapids, 2000, et sur les représentations des anges à l’œuvre dans ces
textes, qui ne forment pas un corpus unitaire, J. J. Collins, Powers in Heaven : god,
gods, and angels in the Dead Sea scrolls, dans J. J. Collins et R. A. Kugler éd., Religion
in the Dead Sea scrolls, Grand Rapids, 2000, p. 9-28.
56
Voir J. M. Robinson, The Coptic Gnostic library : a complete edition of the Nag
Hammadi codices, Leyde-New York, 2000.
57
Voir P. S. Alexander, Incantations and books of magic, dans E. Schürer, The
history of the Jewish people in the age of Jesus Christ (175 BC – AD 135). A new English
version revised and edited by G. Vermes, F. Millar and M. Goodman, III-1, Édim-
bourg, 1986, p. 342-379.
58
Voir M. A. Morgan, Sefer Ha-Razim : the Book of the mysteries, Atlanta, 1983
(Society of Biblical literature. Texts and translations, 25). Nous n’avons pu consulter
l’édition très critiquée de Mordechaï Margalioth (= Margulies), Sefer ha-Razim, Jéru-
salem, 1966 (en hébreu).
59
Voir P. Schäfer et al., Synopse zur Hekhalot-Literatur, Tübingen, 1981 (Texte
und Studien zum Antiken Judentum, 2); P. Schäfer, Geniza-Fragmente zur Hekhalot-
Literatur, Tübingen, 1984 (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 6); M. S. Co-
hen, The Shi}ur Qomah : texts and recensions, Tübingen, 1985 (Texte und Studien
zum Antiken Judentum, 9); P. Schäfer, G. Reeg et K. Herrmann, Konkordanz zur
Hekhalot-Literatur, Tübingen, 1986 (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 12-

.
684 MICHEL-YVES PERRIN

du Caire 60, coupes magiques de la Babylonie sassanide 61, pour ne men-


tionner que l’essentiel. Dans cette transformation documentaire, qui per-
met de toujours mieux appréhender la croissante saturation angélique
qui marque nombre de sources issues des communautés juives des bords
de la Méditerranée orientale au tournant de l’ère commune, et qui af-
fecte en profondeur l’étude de l’angélologie juive 62 – il faut à l’évidence
enlever à l’expression tout ce qu’elle peut évoquer de systématique –, le
seul point fixe reste le dossier de textes essentiellement patristiques prê-
tant aux Juifs un «culte des anges». Hormis un extrait pertinent d’une
version syriaque de l’Apologie d’Aristide publiée pour la première fois en

13); Id. et al., Übersetzung der Hekhalot-Literatur, 4 vol., Tübingen, 1987-1995 (Texte
und Studien zum Antiken Judentum, 17; 22; 29; 46); K. Herrmann, Massekhet Hek-
halot : Traktat von den himmlischen Palästen. Edition, Übersetzung, Kommentar, Tü-
bingen, 1994 (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 39). Voir aussi l’étude fort
utile pour le présent propos de R. M. Lesses, Ritual practices to gain power. Angels,
incantations, and revelation in early Jewish mysticism, Harrisburg, 1998 (Harvard
theological studies, 44), qui offre une présentation circonstanciée de la «littérature
des Palais», ainsi que des problèmes d’édition et d’assignation chronologique et géo-
graphique qu’elle soulève (voir en part. p. 1-55 et 369-370, où l’auteur conclut à une
œuvre en mouvement clairement attestée aux Ve-VIe siècles).
60
L. H. Schiffmann et M. D. Swartz, Hebrew and Aramaic incantation texts
from the Cairo Genizah : selected texts from Taylor-Schechter Box K1, Sheffield, 1992
(Semitic texts and studies, 1); P. Schäfer et S. Shaked, Magische Texte aus der Kairoer
Geniza, 3 vol., Tübingen, 1994-1999 (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 42;
64; 72).
61
J. Naveh et S. Shaked, Amulets and magic bowls. Aramaic incantations of late
Antiquity, Jérusalem, 1985 (3e éd., 1998); Id., Magic spells and formulae. Aramaic in-
cantations of late Antiquity, Jérusalem, 1993; P. Gignoux, Incantations magiques sy-
riaques, Louvain, 1987 (Collection de la Revue des études Juives) [avec la recension de
S. Brock, dans Journal of Jewish Studies, 40, 1989, p. 121-124]; J. B. Segal, Catalogue
of the Aramaic and Mandaic incantation bowls in the British Museum, with a contri-
bution by E. C. D. Hunter, Londres, 2000. Nous n’avons pu consulter D. Levene, A
corpus of magic bowls. Incantation texts in Jewish Aramaic from late Antiquity, New
York, 2001 (Kegan Paul Jewish Studies). Cette documentation est généralement as-
signée aux IVe-VIIe siècles. Voir aussi R. M. Lesses, Exe(o)rcising power : women as
sorceresses, exorcists, and demonesses in Babylonian Jewish Society of late Antiquity,
dans Journal of the American Academy of religion, 69, 2001, p. 343-375.
62
Voir tout particulièrement P. Schäfer, Rivalität zwischen Engeln und Mens-
chen. Untersuchungen zur rabbinischen Engelvorstellung, Berlin-New York, 1975
(Studia Judaica. Forschungen zur Wissenschaft des Judentums, 8); M. Mach, Entwic-
klungsstadien des jüdischen Engelglaubens in vorrabbinischer Zeit, Tübingen, 1992
(Texte und Studien zum Antiken Judentum, 34), et S. M. Olyan, A thousand thou-
sands served them. Exegesis and the naming of angels in ancient Judaism, Tübingen,
1993 (Texte und Studien zum Antiken Judentum, 36).

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 685

189163, il n’a connu nul autre enrichissement depuis les débats de l’âge
classique. En témoignent éloquemment la dissertation de Wilhelm Lue-
ken 64, et plus encore, un important article trop vite tombé dans l’oubli du
savant anglican Arthur Lukyn Williams (1853-1943) 65, qui dressa un rele-
vé commenté de ces textes. Or à ce catalogue, il est ici possible d’ajouter
une nouvelle entrée, un document curieusement passé inaperçu au fil
des siècles, et quelques remarques qui complètent les observations faites,
il y a plus de trente ans, par Marcel Simon (1907-1986) 66.

*
* *

Le premier témoignage de portée non disputée relatif à la dénoncia-


tion de «l’angélolâtrie juive» se trouve dans la Prédication de Pierre (ou Ke-
rygma Petrou), un texte chrétien, probablement de la première moitié du IIe
siècle, qui n’est connu qu’à l’état de fragments 67. L’extrait ici pertinent est
cité pour la première fois, au rapport d’Origène, par Héracléon, un gnos-
tique, disciple de Valentin, originaire d’Alexandrie, mais qui fut, semble-t-
il, actif en Occident dans la seconde moitié du IIe siècle 68. Commentant le
passage de l’Évangile de Jean où Jésus, au puits de Jacob, dit à la Samari-
taine (Jn 4, 22) : «Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas; nous,
nous adorons, ce que nous connaissons, car le salut vient des Juifs», Héra-
cléon, au dire d’Origène, veut interpréter contre toute évidence du contex-
te, «vous», comme signifiant «les Juifs et les païens», et il invoque en fa-
veur de sa thèse la Prédication de Pierre dont Origène donne une forme ré-
sumée 69. Le même passage est cité, cette fois-ci intégralement, à la fin du

63
Voir infra n. 72-74.
64
Voir supra n. 2.
65
A. L. Williams, The cult of the angels at Colossae, dans Journal of theological
studies, X/37, April 1909, p. 413-438 (ici, p. 426-428).
66
Voir M. Simon, Remarques sur l’angélolâtrie juive au début de l’ère chrétienne,
dans Comptes Rendus de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, 1971, p. 120-134
[repris dans Id., Le Christianisme antique et son contexte religieux. Scripta Varia, II,
Tübingen, 1981 (Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament, 23),
p. 450-464].
67
Voir M. Cambe, Prédication de Pierre, dans F. Bovon et P. Geoltrain (éd.),
Écrits apocryphes chrétiens, I, Paris, 1997, p. 3-22.
68
Sur Héracléon, voir J.-D. Dubois, s. v. Valentin. École valentinienne, dans Dic-
tionnaire de spiritualité, XVI, Paris, 1994, col. 149-150.
69
Origène, Commentaire sur Jean, XIII, 17, 104 (éd. et trad. C. Blanc, Paris, 1975
[Sources chrétiennes, 222], p. 86-87. Cf. frag. 4b, éd. M. Cambe, op. cit. n. 67, p. 16-
17) : «nous nous bornons à remarquer que ce livre (d’Héracléon) rapporte, comme
provenant de l’enseignement de Pierre, qu’il ne faut ni adorer (proskyneı̃n) comme

.
686 MICHEL-YVES PERRIN

IIe siècle ou au tout début du IIIe siècle, par Clément d’Alexandrie 70 qui per-
met de connaître le contexte plus large de cet extrait : il s’agit d’une exhor-
tation de Pierre aux chrétiens sur la vraie religion qui renvoie dos à dos
Grecs et Juifs, et impute à ces derniers, qui observent scrupuleusement un
calendrier de fêtes religieuses (cf. Ga 4,9), un «culte des anges et des ar-
changes», ces entités étant ici assimilées aux astres selon une perspective
bien attestée dans certaines sources juives de l’époque hellénistique et ro-
maine 71. Il est à noter que ni Clément ni Origène ne commentent cette cita-
tion.
Un deuxième témoignage est constitué par un passage d’une version
syriaque de l’Apologie d’Aristide, délivrée à Athènes probablement en 124-
126, qui ne figure pas dans les autres versions grecque et arménienne
conservées à ce jour 72. Au terme d’une toute récente – et semble-t-il, provi-
soire – analyse de l’ensemble du dossier, Bernard Pouderon, Marie-José

les Grecs, qui accordent créance à des objets matériels et rendent un culte (latrey¥on-
tav) à des morceaux de bois et à des pierres, ni révérer la divinité à la manière des
Juifs, puisque, eux qui croient être seuls à connaître Dieu, l’ignorent, rendant un
culte aux anges, au mois et à la lune (mh¥te kataù Ioydaı¥oyv se¥bein toù ueı̃on, eßpeı¥per
kaıù ayßtoıù mo¥noi oıßo¥menoi eßpı¥stasuai ueoùn aßgnooỹsin ayßto¥n, aßgge¥loiv kaıù mhnıù kaıù
selh¥nq)».
70
Clément d’Alexandrie, Les Stromates. Stromate VI, 41, 1-3 (éd. et trad. P. Des-
courtieux, Paris, 1999 [Sources chrétiennes, 446], p. 142-143. Cf. frag. 4b, éd.
M. Cambe, op. cit. n. 67, p. 15-16) : «Les Grecs et nous-mêmes, nous avons, dit-on
généralement, connu le même Dieu, quoique de manière différente; c’est ce qu’il
ajoute encore en disant : “N}adorez pas non plus à la manière des Juifs : tout en
croyant être les seuls à connaître Dieu, ils ne le connaissent pas, car ils rendent un
culte aux anges et aux archanges, au mois et à la lune (Mhdeù kataù Ioydaı¥oyv se¥be-
sue. kaıù gaùr eßkeı̃noi mo¥noi oıßo¥menoi toùn ueoùn ginw¥ skein oyßk eßpı¥stantai, latrey¥ontev
aßgge¥loiv kaıù aßrxagge¥loiv, mhnıù kaıù selh¥nq). Si la lune ne se lève pas, ils ne célèbrent
ni le sabbat, qu’ils appellent la première fête, ni la nouvelle lune, ni les Azymes, ni la
Fête du Grand Jour”».
71
Voir M. Mach, Entwicklungsstadien des jüdischen Engelglaubens... cité n. 62,
p. 173-184; H.-G. Gundel, Weltbild und Astrologie in den griechischen Zauberpapyri,
Munich, 1968 (Münchener Beiträge zur Papyrusforschung und antiken Rechtsges-
chichte, 53), passim. L’ouvrage de K. von Stuckrad, Das Ringen um die Astrologie. Jü-
dische und christliche Beiträge zum antiken Zeitverständnis, Berlin-New York, 2000
(Religionsgeschichtliche Versuche und Vorarbeiten, 49), est généralement décevant
(voir cependant, p. 174-178 et 512-532). Voir également A. Scott, Origen and the life
of the stars. A history of an idea, Oxford, 1991 (The Oxford early Christian studies), pas-
sim.
72
Voir J. R. Harris, The apology of Aristides on behalf of the Christians from a Sy-
riac Ms. preserved on Mount Sinaï, Cambridge, 1891 (Texts and studies, 1), p. (22)-
(23) (texte) et p. 48 (traduction).

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 687

Pierre et Bernard Outtier, qui en préparent l’édition pour la collection des


Sources chrétiennes, jugent probable que la version syriaque réalisée au IVe
ou au Ve siècle dérive d’une seconde rédaction grecque intervenue à une
date inconnue entre le milieu du IIe siècle et le Ve siècle 73. Après avoir lon-
guement traité des dieux des païens, l’auteur aborde plus rapidement le
culte juif; il précise : «Or donc, ils se sont eux aussi écartés de la connais-
sance exacte, pensant en conscience rendre un culte (peulhin) à Dieu. Car
dans leur genre de pratiques, c’est aux anges et non à Dieu qu’ils rendent
un culte, observant les sabbats et les néoménies, les azymes et le grand
jeûne, le jeûne, la circoncision et la pureté des aliments – toutes choses que
d’ailleurs ils n’observent pas parfaitement» 74. On note la parenté d’inspira-
tion entre ce texte et l’extrait de la Prédication de Pierre évoqué plus haut 75.
Un troisième témoignage est donné par le philosophe platonicien et
polémiste antichrétien Celse, entre 160 et 240 environ, possiblement dans
les années 170, en un lieu inconnu (Rome, Alexandrie, ou ailleurs) dans
deux fragments de son Discours véritable cités dans la réfutation qu’Ori-
gène en fit en 248 76. Le premier extrait, le plus court, lie sobrement angélo-

73
Voir B. Pouderon, M.-J. Pierre et B. Outtier, À propos de l’Apologie d’Aristide.
Recherches sur un prototype commun aux versions syriaque et arménienne, dans Re-
vue des sciences religieuses, 74/2, 2000, p. 173-193. Voir aussi M.-J. Pierre, Annuaire
de l’École pratique des hautes études. Section des sciences religieuses, 103, 1994-1995,
p. 315-318; 106, 1997-1998, p. 355-357; 107, 1998-1999, p. 321-324.
Dans une toute récente étude, B. Pouderon (Aristide et les Juifs. À propos d’Apol.
14,2 Ba., dans Studia Patristica, XXXVI, Papers presented at the Thirteenth Inter-
national Conference on patristic studies held in Oxford 1999, Louvain, 2001, p. 76-86)
attribue le passage ici pertinent à la version primitive de l’Apologie. La publication
que l’on espère prochaine du volume des Sources chrétiennes permettra d’envisager
la question dans son ensemble.
74
Nous reprenons ici la traduction donnée dans l’article de B. Pouderon, Aris-
tide et les Juifs... cité n. 73, p. 82, qui serre de plus près le texte syriaque que celle de
Harris, cité n. 72. Je remercie Muriel Debié (CNRS) de m’avoir fait l’amitié d’exami-
ner le rendu de ce texte.
75
Ce passage repose à notre sens sur l’assimilation des astres aux anges, et non
sur le thème du don de la Loi par l’intermédiaire des anges (cf. M. Simon, Re-
marques sur l’angélolâtrie... cité n. 66, p. 455-456 et 458-459; Contra M.-J. Pierre, An-
nuaire... cité n. 73, 107, 1998-1999, p. 322).
76
Sur Celse, voir M. Frede, Celsus philosophus platonicus, dans Aufstieg und
Niedergang der Römischen Welt, II. 36. 7, Berlin-New York, 1994, p. 5183-5213;
J. Whittaker, s. v. Celsus, dans Dictionnaire des philosophes antiques, II, Paris, 1994,
p. 255-256; A. Le Boulluec, Vingt ans de recherches sur le Contre Celse, dans Discorsi
di verità. Paganesimo, giudaismo e cristianesimo a confronto nel Contro Celso di Ori-
gene, Rome, 1998 (Studia Ephemeridis Augustinianum, 61), p. 9-28.

.
688 MICHEL-YVES PERRIN

lâtrie et magie 77 ; le second 78, plus prolixe, repose implicitement sur l’équi-
valence entre «anges» et «démons» attestée dès le tournant de l’ère
commune 79, et fait clairement allusion à des évocations démoniaques, soit
sous la forme d’une vision, soit dans le cadre d’un rêve. Il est à noter qu’Ori-
gène s’érige en faux contre cette accusation et la juge absurde 80, alors
même qu’il connaît et admet la légitimité de l’invocation des noms divins
ou angéliques pour effectuer des exorcismes 81.
Le quatrième témoignage dans l’ordre chronologique est celui qu’il est
ici proposé d’ajouter à l’antique dossier. Il s’agit d’un anathématisme qui fi-
gure dans les canons d’un concile romain probablement réuni fin 377 / dé-
but 378 par l’évêque Damase (366-384) – d’où le nom de Tomus Damasi
sous lequel est connu ce document – pour condamner en pleine crise

77
Origène, Contre Celse I, 26 (éd. et trad. M. Borret, Paris, 1967 [Sources chré-
tiennes, 132], p. 144-145) : «Voyons comment Celse qui se vante de tout savoir accuse
calomnieusement les Juifs, quand il dit : «Ils vénèrent les anges et s’adonnent à la
magie à laquelle les initia Moïse» (ayßtoyùv se¥bein aßgge¥loyv kaıù gohteı¥a∞ proskeı̃suai,
hüv oΩ Mwÿsh̃v ayßtoı̃v ge¥gonen eßjhghth¥v).
78
Origène, Contre Celse V, 6 (éd. et trad. M. Borret révisée, Paris, 1969 [Sources
chrétiennes, 147], p. 24-27) : «Ensuite il a ce passage sur les Juifs : “Voici un premier
trait surprenant chez les Juifs : ils vénèrent le ciel et les anges qui s’y trouvent (toùn
meùn oyßranoùn kaıù toyùv eΩn t√de aßgge¥loyv se¥boysi) mais les parties du ciel les plus res-
pectables et les plus puissantes, le soleil, la lune et les autres astres, étoiles fixes et
planètes, ils n’en ont cure; comme s’il était admissible que le tout soit dieu et que ses
parties ne soient pas divines; ou que l’on rende un culte suprême à des êtres accos-
tant, dit-on, je ne sais dans quelles ténèbres, ceux qu’aveugle une magie suspecte ou
qui voient en rêve des fantômes indistincts (hû toyùv meùn eßn sko¥tw ∞ poy eßk gohteı¥av oyßk
oßruh̃v tyflw ¥ ttoysin hû di8 aßmydrw̃n fasma¥twn oßneirw
¥ ttoysin eßgxrı¥mptein legome¥noyv
ey® ma¥la urhskey¥ein), tandis que ceux qui prédisent avec tant de clarté et d’éclat pour
tout le monde, par qui sont administrés les pluies, les chaleurs, les nuées et les ton-
nerres que les Juifs adorent (bronta¥v, a©v proskynoỹsin), les éclairs, les fruits et tous
les produits de la terre, ceux par qui Dieu se révèle à eux, les hérauts les plus ma-
nifestes d’en haut, les véritables messagers célestes (toyùv w Ω v aßlhuw̃v oyßranı¥oyv aßgge¥-
loyv), on les tienne pour rien!”».
79
Voir, par exemple, B. Bakhouche, Anges et démons dans le Commentaire au
Timée de Calcidius, dans Revue des études latines, 77, 1999, p. 260-275.
80
Voir Origène, Contre Celse V, 8 et 9 (éd. citée n. 78, p. 32 et 34).
81
Voir Origène, Contre Celse I, 24-25 (éd. citée n. 77, p. 132-134); V, 45 (éd. citée
n. 78, p. 128-132). Voir J. Dillon, The magical power of names in Origen and later pla-
tonism, dans R. Hanson et H. Crouzel (éd.), Origeniana Tertia : Third International
Colloquium for Origen studies (University of Manchester, september 7th-11th, 1981),
Rome, 1985, p. 203-216 [repris dans Id., The Golden chain. Studies in the development
of platonism and christianity, Aldershot, 1990 (Collected studies series, 333), XXIII).
Voir aussi M. Fédou, Christianisme et religions païennes dans le Contre Celse d’Ori-
gène, Paris, 1988 (Théologie historique, 81), p. 264-281.

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 689

arienne des erreurs d’ordre trinitaire 82 : «Si quelqu’un suppose qu’en disant
Dieu, le Père, Dieu, le Fils, Dieu, l’Esprit saint, on parle de dieux au pluriel,
et non que l’on dit ainsi Dieu en vertu de l’unique divinité et de l’unique
souveraineté que nous croyons et savons être du Père et du Fils et du Saint
Esprit; si d’autre part, en excluant le Fils ou l’Esprit saint, il estime que
c’est ainsi que seul le Père est dieu, ou croit que c’est ainsi qu’il n’y a qu’un
seul dieu, il est hérétique en tout, bien plus c’est un Juif, parce que, si le
nom de «dieux» a été imposé et donné par Dieu aux anges et à tous les
saints 83, en revanche, quand il est question du Père et du Fils et de l’Esprit
saint, en vertu de leur unique et égale divinité, c’est le nom, non pas de
dieux au pluriel, mais de Dieu au singulier, qui nous est donné à voir et à
entendre afin que nous croyions, puisque c’est seulement dans le Père et le
Fils et le Saint-Esprit que nous baptisons et non aux noms des archanges
ou des anges, comme les hérétiques ou les juifs ou même ces fous de
païens» 84.
Si, dans cet extrait, les procédés classiques de la réduction hérésiolo-
gique de l’adversaire doctrinal – ici, l’arien radical – au païen ou au juif

82
Sur ce concile, sa datation et le Tome de Damase, voir Ch. Pietri, Roma Chris-
tiana. Recherches sur l’Église de Rome, son organisation, sa politique, son idéologie de
Miltiade à Sixte III (311-440), Rome, 1976 (Bibliothèque des Écoles françaises d’A-
thènes et de Rome, 224), I, p. 833-840 et 873-880.
83
L’anathématisme fait ici appel à une exégèse bien attestée dans la littérature
patristique, qui pouvait prendre appui sur I Co 8, 5-6, selon laquelle les évocations
de «dieux» présentes dans certains Psaumes sont à référer, soit aux anges [cf. Ps.
(LXX) 49, 1; 94, 3; 135, 2], soit à des hommes [cf. Ps (LXX) 81, 6] : voir, par exemple,
Augustin, Cité de Dieu, IX, 23 (éd. B. Dombart et A. Kalb, Paris, 1959 [Bibliothèque
augustinienne, 34], p. 410-416).
84
Tomus Damasi, XXIV (C. H. Turner, Ecclesiae Occidentalis Monumenta Iuris
Antiquissima, Oxford, 1899, p. 292-293) : Quod si quis putat, [Christi] Patrem Deum
dicens et Deum Filium eius et Deum sanctum Spiritum, deos dicere et non, propter
unam diuinitatem et potentiam quam credimus et scimus Patris et Filii et Spiritus
Sancti, ita dicit Deum; subtrahens autem Filium aut Spiritum sanctum ita solum aes-
timet Deum Patrem dici, aut ita credit unum Deum : hereticus est in omnibus, immo
Iudaeus, quod nomen deorum in angelis et sanctis omnibus a Deo est positum et dona-
tum, de Patre autem et Filio et Spiritu sancto propter unam et aequalem diuinitatem
non nomen deorum sed Dei nobis ostenditur adque indicitur ut credamus : quia in
Patre et Filio et Spiritu sancto solum baptizamur et non in archangelorum nominibus
aut angelorum, quomodo heretici aut iudaei aut etiam pagani dementes. Turner a pu
établir que la version latine de ce texte connu par de très nombreux documents –
voir, par exemple, Arnobe le Jeune, Conflictus Arnobii et Serapionis 4, 12, 4-32 [éd.
F. Gori, Turin, 1993 (Corona Patrum, 14), p. 260-265] – est l’originale. Voir égale-
ment R. Riedinger, Der Tomos des Papstes Damasus (CPL 1633) im Codex Paris. Gr.
1115, dans Byzantion, 54, 1984, p. 634-637.

.
690 MICHEL-YVES PERRIN

joue à plein comme dans l’anathématisme précédent 85, il est à noter que
l’invocation des puissances angéliques est référée d’abord aux hérétiques 86,
et aux juifs, et fait très vraisemblablement écho à l’accusation de pratiques
magiques 87.
Un dernier témoignage issu du Commentaire sur Matthieu que Jérôme
a composé à Bethléem en 398 commente le verset «Et moi, je vous dis de
ne pas jurer du tout, ni même par le ciel» (Mt 5, 34), en ces termes : «Cette
très mauvaise habitude de jurer par les éléments les Juifs l’ont toujours
eue, comme les prophètes le leur ont fréquemment reproché. Celui qui
jure, soit il révère, soit il chérit ce par quoi il jure. Dans la loi il est prescrit
de ne pas jurer sinon par le Seigneur notre Dieu. Les Juifs en jurant par les
anges et Jérusalem et le temple et les éléments révéraient d’un honneur et
d’un hommage qui n’est dû qu’à Dieu des créatures et des choses char-
nelles» 88. Si Jérôme parle au passé, il convient de remarquer que la men-

85
Tomus Damasi, XXIII (C. H. Turner, op. cit. n. 84, p. 291-292) : Si quis de
Patre et Filio bene senserit de Spiritu autem non recte habuerit, hereticus est, quod
omnes heretici de Filio [Dei] et Spiritu [sancto] male sentientes in perfidia iudaeorum
et paganorum inueniuntur. Sur un tel procédé hérésiologique, voir A. Le Boulluec,
La notion d’hérésie dans la littérature grecque chrétienne (IIe-IIIe siècles), Paris, 1985
(Collection des Études augustiniennes. Série Antiquité, 110-111), p. 124-127, 314-316,
465 n. 110.
86
Cf. Irénée de Lyon, Adv. haer. II, 32, 5 (éd. A. Rousseau et L. Doutreleau, Pa-
ris, 1982 [Sources chrétiennes, 294], p. 342) évoquant le vrai chrétien qui, à la dif-
férence des gnostiques, «ne fait rien au moyen d’invocations angéliques (inuocatio-
nibus angelicis), ni d’incantations (incantationibus), ni de tout autre curiosité dépra-
vée, mais qui, de façon pure et ouvertement dirige ses prières vers Dieu qui a tout
fait, et invoquant le nom de notre Seigneur Jésus Christ, accomplit des miracles
pour rendre service aux hommes et non pour les séduire».
87
Sur les invocations et adjurations comme caractéristiques des pratiques ju-
gées magiques dans l’antiquité, voir R. Kotansky, Incantations and prayers for Salva-
tion on inscribed Greek amulets, dans C. A. Faraone et D. Obbink (éd.), Magika Hie-
ra. Ancient Greek magic and religion, New York-Oxford, 1991, p. 107 et suiv.; Id.,
Greek exorcistic amulets, dans M. Meyer et P. Mirecki (éd.), Ancient magic and ritual
power, Leyde-New York-Cologne, 1995 (Religions in the Graeco-Roman world, 129),
p. 243-277; R. M. Lesses, Ritual practices to gain power... cité n. 59, p. 279-365.
88
Jérôme, Commentaire sur Matthieu I, 5, 34 (éd. D. Hurst et M. Adriaen, Turn-
hout, 1969 [CCL, 77], p. 32-33) : Hanc per elementa iurandi pessimam consuetudinem
semper habuere Iudaei sicut prophetalis eos frequenter arguit sermo. Qui iurat, aut ue-
neratur aut diligit eum per quem iurat. In lege praeceptum est ut non iuremus nisi per
Dominum Deum nostrum. Iudaei per angelos et urbem Hierusalem et templum et ele-
menta iurantes, creaturas resque carnales uenerabantur honore et obsequio Dei. – Ori-
gène [In Matthaeum commentariorum series 110 (26, 63-64) : 2e éd. par U. Treu, Ber-
lin, 1976 [GCS 57. Origenes XI], p. 229-230] – ou son adaptateur antique (cf. A. Bas-
tit, Que penser de la version latine ancienne du commentaire sur Matthieu d’Origène,

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 691

tion des anges constitue un ajout significatif au texte de Matthieu, et peut


se référer à des pratiques proches des adjurations magiques.

*
* *

Dès Basnage et Odé 89, de tels témoignages ont été rapprochés, pour y
servir de gloses autorisées, d’un lieu scripturaire classiquement utilisé dans
la dénonciation de «l’idolâtrie» de l’Église romaine, un passage de l’Épître
aux Colossiens 90 que la tradition antique, à la différence des modernes, at-
tribua unanimement à Paul 91, et qui constitue depuis une lettre de Jérôme
adressée vers 407 à l’une de ses correspondantes gauloises dénommée Alga-
sia, l’une des principales cruces du corpus paulinien 92. Augustin, répondant

dans Euphrosyne, 29, 2001, p. 193-200; E. Crisci, dans Jahrbuch der österreichischen
Byzantinistik, 38, 1988, p. 110) –, citant le même verset de Matthieu, offre un texte
parallèle, mais les anges y sont remplacés par les démons (cf. M. Simon, Verus Is-
rael... cité n. 54, p. 426 avec une citation tronquée) : Si enim iurare non licet quan-
tum ad euangelicum Christi mandatum, uerum est quia nec adiurare alterum licet.
Propterea manifestum est quoniam princeps sacerdotum inlicite Jesum adiurauit, qua-
muis uideatur per Deum uiuum adiurasse. Quaeret aliquis si conuenit uel daemones
adiurare : et qui respicit ad multos qui talia facere ausi sunt, non dicet non sine ratione
fieri hoc. Qui autem aspicit Jesum *** imperantem daemonibus, sed etiam potestatem
dantem discipulis suis super omnia daemonia, et ut infirmitates sanarent, dicet quo-
niam non est secundum potestatem datam a Saluatore adiurare daemonia : iudaicum
enim est. Hoc, etsi aliquando a nostris tale aliquid fiat, simile fit ei quod a Salomone
scriptis adiurationibus solent daemones adiurari. Sed ipsi, qui utuntur adiurationibus
illis, aliquotiens nec idoneis constitutis libris utuntur : quibusdam autem et de He-
braeo acceptis adiurant daemonia.
89
Voir J. Basnage, L’Histoire des Juifs... cité n. 33, p. 43; J. Odé, Commentarius
de angelis... cité n. 1, p. 935-951.
90
Col 2, 18 (B.-K. Aland, et al., Novum Testamentum graece, 27e éd., Stuttgart,
1993, p. 512) : mhdeıùv yΩmãv katabrabeye¥tw ue¥lwn eßn tapeinofrosy¥nq kaıù urqskeı¥a∞ tw̃n
aßgge¥lwn a© [mhù ?] eΩo¥raken eßmbatey¥wn, eıßkh̃ fysioy¥menov yΩpoù toỹ nooùv th̃v sarkoùv ayß-
toỹ. Pour les versions vieilles latines, voir H. J. Frede, Epistulae ad Philippenses et ad
Colossenses, Fribourg, 1966-1971 (Vetus Latina. Die Reste der lateinischen Bibel,
24/2), p. 434-437. Pour une utilisation polémique de ce texte, voir, par exemple, Jean
Calvin, In epistolam Pauli ad Colossenses commentarius, éd. H. Feld, Genève, 1992
(Ioannis Calvini. Opera omnia. Series II. Opera exegetica veteris et novi Testamenti,
XVI), p. 383-385 et 435-438. La première édition de ce commentaire date de 1548.
91
Voir M. Barth et H. Blanke, Colossians. A New translation with introduction
and commentary, New York, 1994 (The Anchor Bible, 34B), p. 114-126.
92
Jérôme, Ep. 121, 10 (J. Labourt, Saint Jérôme. Lettres, VII, Paris, 1961, p. 46-
55) où le Strydonien déclare vouloir s’efforcer parafrastikw̃v sensus euoluere, et tri-
cas inplicati eloquii suo ordini reddere et iuncturae (p. 47). Pour la date et le contexte
de cette lettre, voir H. Crouzel, Les échanges littéraires entre Bordeaux et l’Orient au

.
692 MICHEL-YVES PERRIN

entre 414 et 416 à Paulin de Nole qui l’interrogeait sur le sens de ce verset
dont il dit n’avoir rien pu comprendre 93, partage tout à fait les sentiments
de Jérôme 94, et les modernes, depuis au moins Baronius qui jugeait le pas-
sage perdifficilis 95, sont jusqu’à aujourd’hui du même avis. À l’interrogation
sur la construction même de la phrase, voire sur l’éventuelle présence d’une
corruption du texte reçu, s’ajoute une difficulté que rencontrent tous les
commentateurs, même les Pères grecs qui ne semblent guère embarrassés
par la syntaxe de ce passage, touchant le sens et la portée de ce verset 96. Les
hypothèses avancées par les exégètes modernes, même à leur insu, ne sont
souvent que des développements des éclaircissements prodigués par les
Anciens. À défaut de pouvoir apporter ici quelque élément décisif pour une
intelligence renouvelée de ce texte, on se bornera à évoquer brièvement les
gloses antiques.
Jérôme interprète ce passage à la lumière d’un extrait du discours
d’Étienne dans les Actes des Apôtres (VII, 41-42) : «Ils façonnèrent un veau
en ces jours-là, offrirent un sacrifice à cette idole et célébrèrent joyeuse-

IVe siècle : saint Jérôme et ses amis aquitains, dans Revue française d’histoire du livre,
6, 1973, p. 301-326 (ici, p. 319-326).
93
Paulin de Nole, Ep. 50, 12 (éd. G. Hartel révisée par M. Kamptner, Vienne,
1999 [CSEL, 29], p. 414). Pour les dates, voir J. Desmulliez, s. v. Paulinus (Meropius
Pontius), dans Ch. et L. Pietri (éd.), Prosopographie chrétienne du Bas-Empire. II. Ita-
lie (313-604), Rome, 2000, p. 1630-1654 (ici, p. 1643).
94
Augustin, Ep. 149, 23-30 (éd. A. Goldbacher, Vienne-Leipzig, 1904 [CSEL, 44],
p. 368-376).
95
C. Baronius, Annales ecclesiastici denuo excusi et ad nostra usque tempora per-
ducti ab Augustino Theiner, Bar-Le-Duc, 1864, I, Petri annus 16. Christi 60, § 15 :
Haud facilis captu est locus iste, sed perdifficilis quidem, qui et absque exacta peritia
rerum gestarum illorum temporum superari non possit.
96
Voir R. Yates, ‘The worship of angels’ (Col 2 : 18), dans The expository times,
97/1, oct. 1985, p. 12-15, et C. E. Arnold, The Colossian syncretism. The interface bet-
ween Christianity and folk belief at Colossae, Tübingen, 1995 (Wissenschaftliche Un-
tersuchungen zum Neuen Testament. 2. Reihe, 77) [avec le compte rendu de A. T. Lin-
coln, dans Journal of theological studies, n. s., 48, 1997, p. 205-209].
Parmi les multiples dissertations théologico-philologiques défendues au XVIIIe
siècle dans des universités protestantes de l’Europe du Nord et portant sur Col 2, 18,
qu’il nous a été possible de consulter à la Bibliothèque nationale de France, l’une,
d’un savant aujourd’hui, semble-t-il, bien oublié, soutenue le 22 décembre 1773, se
signale par sa remarquable clarté et acribie : Peter Grape, Disputatio Academica ex-
plicans notionem Verbi katabrabey¥ein Coloss. II : 18...., Uppsala, J. Edman, s. d.
L’auteur y rapprochait l’usage qui est fait par Paul du verbe eßmbatey¥ein d’un passage
de Xénophon, Banquet IV, 27 : ayßton de¥ se, eßgw ù eı®don naıù toùn Apo¥llw, o™te paraù t√
grammatistq̃ eßn t√ ayßt√ biblı¥w∞ aßmfo¥teroi eßmbatey¥ete¥ ti ktl. Mais la leçon eßmbatey¥ete¥
ti a été athétisée quelques années plus tard par le philologue Johann Carl Zeune au
profit de eßmastey¥ete¥ ti, et ce verdict entériné par les éditeurs successifs de Xénophon

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 693

ment l’œuvre de leurs mains. Alors Dieu, en retour, les livra au culte de l’ar-
mée du ciel, comme il est écrit dans le livre des prophètes (Amos 5, 25-27)»,
et considère que le verset vise les Juifs soumis aux observances de la Loi 97.
Certains commentateurs modernes, qui partagent la même ligne hermé-
neutique, très minoritaire, ajoutent que le thème de la promulgation de la
Loi par les anges est bien attestée au tournant de l’ère commune, comme
en font foi Paul lui-même dans l’Épître aux Galates (3, 19) ou l’Épître aux
Hébreux (2,2) 98. Il faudrait donc interpréter la dénonciation de la urqskeı¥a
tw̃n aßgge¥lwn comme relevant de la polémique antilégaliste. La plupart des
exégètes des IVe-Ve siècles, tels l’Ambrosiaster, Jean Chrysostome, ou Au-
gustin 99, jugent que l’épître a une double visée : les Juifs à l’évidence, mais
aussi les païens comme le prouve la dénonciation de la philosophie (Col
2,8); dès lors il convient de repérer les versets qui s’appliquent aux pre-
miers et ceux qui concernent les seconds : si Col 2, 17 attaque à l’évidence
les Juifs, Col 2, 18 a pour objectif les païens, et par conséquent ce passage
n’a pas de pertinence pour le dossier de l’angélolâtrie juive100. Sévérien de
Gabala († 431), dont un commentaire n’est malheureusement conservé que
de façon très fragmentaire dans des chaînes exégétiques, semble tenir une
position plus originale, puisque l’une des deux recensions du prologue in-
dique très clairement que le skopo¥i de la lettre est de dénoncer l’obstacle
que les anges peuvent éventuellement constituer pour accéder à Dieu, tant
pour les païens – qui font l’équivalence entre les dieux et les anges101 –, que

(cf. F. Ollier, Xénophon. Banquet. Apologie de Socrate, 2e éd., Paris, 1972, p. 56). Je
dois à l’amitié de Gauthier Liberman (Paris X-IUF) de précieuses observations sur ce
point.
97
Jérôme, Ep. 121, 10, cité n. 92, p. 50-55. Voir déjà Novatien, De cibis iudaicis
5, 18 (CCL, 4, éd. G. F. Diercks, Turnhout, 1972, p. 99, l. 51-60).
98
Voir, par exemple, O. Everling, Die paulinische Angelologie und Dämonologie.
Ein biblisch-theologischer Versuch, Göttingen, 1888, p. 99-100, ou M. -J. Pierre, An-
nuaire... cité n. 73, 107, 1998-1999, p. 322.
99
Voir Ambrosiaster, Commentarius in epistulam ad Colosenses 2, 18-19 (éd.
H. J. Vogels, Vienne, 1969 [CSEL, 81], p. 189); Jean Chrysostome, In epistulam ad
Colossenses homiliae (PG 62, 301A; 339A et 343-344) – sur ces homélies, voir P. Allen
et W. Mayer, Chrysostom and the preaching of Homilies in series : a new approach to
the twelve Homilies in Epistulam ad Colossenses (CPG 4433), dans Orientalia chris-
tiana analecta, 60, 1994, p. 21-39 –; Augustin, Ep. 149, 23-30 (cité n. 94).
100
Voir l’efficace formulation de l’Ambrosiaster, éd. cité, p. 189, l. 27-29 : sur-
sum de Iudaeis dicit, quia et ipsi sub elementis serviunt, non elementis, hoc loco de pa-
ganis. Sur cet auteur qui écrit à Rome sous l’épiscopat de Damase (366-384), voir la
notice que nous avions donnée à Ch. et L. Pietri (éd.), Prosopographie chrétienne du
Bas-Empire. I. Italie (313-604), Rome, 1999, p. 102-104.
101
Voir G. Madec, s. v. Angelus, dans Augustinus-Lexikon, I, Bâle, 1986-1994,
col. 305.

.
694 MICHEL-YVES PERRIN

pour les Juifs, et qu’en conséquence l’Épître aux Colossiens s’applique aux
uns et aux autres102. Théodoret de Cyr103 enfin, dans la première moitié du
Ve siècle, explique que l’épître vise un culte local des anges comme l’at-
testent un canon du concile de Laodicée104 qui s’est déroulé probablement
au cours du IVe siècle, et la construction, à son époque, de sanctuaires à
l’archange Michel. Cette explication par des considérations régionales a la
faveur d’exégètes modernes de plus en plus nombreux qui mettent en pa-
rallèle ce verset et les nombreuses inscriptions relatives à des anges païens
ou fruits d’un syncrétisme pagano-juif, retrouvées en Asie Mineure105.

*
* *

Au bilan, cette récapitulation des sources relatives à l’accusation d’an-


gélolâtrie portée dans l’antiquité contre des Juifs révèle d’abord les ambi-
guïtés et l’hétérogénéité du dossier. S’il n’est guère possible d’assigner une
place déterminée à Col 2, 18, tant ce texte demeure un nœud de questions
disputées, les autres composantes de l’ensemble ici considéré ne peuvent
être ramenées à une même origine. La polémique antilégaliste qui inspire
le Kerygma Petrou et l’Apologie d’Aristide n’a guère de point commun avec
le Discours véritable de Celse qui lie clairement angélolâtrie et magie106.
Seuls des textes chrétiens postérieurs paraissent prolonger cette dernière
dénonciation. Eu égard à l’assignation chronologique probable de la polé-

102
Voir K. Staab, Pauluskommentare aus der griechischen Kirche aus Katenen-
handschriften gesammelt, 2e éd., Munster, 1983, p. 314-316 (colonne de droite). En re-
vanche les fragments conservés de l’exégèse de Col 2, 17-18 (ibid., p. 324-325) ap-
pliquent Col 2, 17 aux Juifs, et le verset suivant, aux païens. Sur les deux recensions
de ce commentaire, voir K. Staab, ibid., p. XXX-XXXV. Sur Sévérien de Gabala, voir
S. Voicu, s. v. Sévérien de Gabala, dans Dictionnaire de Spiritualité, XIV, Paris, 1990,
col. 752-763, et K. H. Uthemann, s. v. Severian von Gabala, dans Biographisch-bi-
bliographisches Kirchenkexikon, IX, Herzberg, 1995, col. 1487-1504.
103
Théodoret de Cyr, Interpretatio Epistulae ad Colossenses (PG 82, 614A et
620D).
104
Voir P.-P. Joannou, Discipline générale antique (IIe-IX siècle), I/2, Grottaferra-
ta, 1962 (Pontificia Commissione per la redazione del codice di diritto canonico orien-
tale. Fonti, IX), p. 127-155 (ici, canon 35, p. 144-145 : o™ti oyß deı̃ xristianoyùv eßg-
katalipeı̃n thùn do¥jan toỹ ueoỹ kaıù thùn eßkklhsı¥an ayßtoỹ, kaıù aßgge¥loyv oßnoma¥zein kaıù
syna¥jeiv poieı̃n, a™per aßphgo¥reytai). On notera que le canon 36 interdit aux clercs
d’être magiciens, ou fabricants de charmes, ou astrologues, tandis que les canons 29,
37 et 38 condamnent des pratiques judaïsantes.
105
C’est la thèse défendue par C. E. Arnold, The Colossian syncretism... cité
n. 96.
106
Nous nous séparons ici de M. Simon (Remarques sur l’angélolâtrie... cité
n. 66, p. 454-455) qui relie les propos de Celse à sa connaissance du christianisme.

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 695

mique du philosophe, qui correspond, semble-t-il, à la période de grand es-


sor de la diffusion des références juives, et particulièrement angéliques,
dans les sources magiques de la Méditerranée romaine107, il y a là comme
un écho très significatif autant que rare.
Dès lors, on mesure mieux combien les sources non juives ne cap-
turent qu’une mince frange des expressions multiples de l’efflorescence an-
gélologique dont témoignent les sources juives contemporaines, essentiel-
lement orientales. La moisson de textes rabbiniques et midrashiques attes-
tant une polémique à l’égard des diverses manifestations d’un «culte des
anges» (représentation, offrande, invocation, vénération), qu’a pu recueillir
Peter Schäfer108, a une ampleur bien supérieure à celle du dossier de textes
précédemment examiné. Aussi conviendrait-il sans doute de réorganiser la
section des histoires du judaïsme antique traditionnellement dédiée à l’an-
gélolâtrie autour des sources émanant des milieux juifs eux-mêmes : une
telle opération aurait l’immense avantage heuristique de délivrer l’analyse
d’une perspective trop étroite et trop liée aux catégories théologiques chré-
tiennes et à leur histoire109, pour faire justice à cette forme très singulière

107
Si la datation des sources conservées soulève généralement de grandes diffi-
cultés – voir les introductions aux corpus mentionnés n. 49 –, le problème de la
chronologie de l’introduction des emprunts juifs dans les sources magiques non
juives, ou en contexte syncrétique, n’a guère retenu l’attention. Il est vrai qu’il est
parfois difficile de définir le milieu de production de tel ou tel document. Au mieux
a-t-on pris en compte les seuls papyri magiques dont la majorité est à assigner à une
époque tardive : voir les remarques de M. Smith, The Jewish elements in the magical
papyri... cité n. 53; G. Bohak, The impact of Jewish monotheism on the Greco-Roman
world, dans Jewish studies quarterly, 7, 2000, p. 1-21 (ici, p. 4-7) – G. Bohak (Univer-
sité du Michigan) est l’organisateur d’une exposition intitulée Traditions of magic in
late Antiquity visible sur Internet : http://www.lib.umich.edu/pap/magic/ –; C. A. Fa-
raone, Ancient Greek love magic, Cambridge, 1999, p. 16, qui souligne combien le
premier siècle avant l’ère commune constitue un tournant dans l’histoire de la magie
dans le monde méditerranéen, avec l’apparition de phénomènes de syncrétisme
entre traditions grecques, romaines, juives, syriennes et égyptiennes. Un dépouille-
ment du corpus d’amulettes trouvées in situ réunies par R. Kotansky, op. cit. n. 49,
montre une croissance forte de ce type de théocrasies dans les documents assignés
au IIe siècle et aux siècles suivants.
108
P. Schäfer, Rivalität zwischen Engeln und Menschen... cité n. 62, part. p. 67-
72. Voir, par exemple, le célèbre extrait de Tosefta Hullin 2, 18 (cf. J. Neusner, The
Tosefta translated from the Hebrew. Fifth division Qodoshim, New York, 1979, p. 73) :
«He who slaughters for the sake of the sun, for the sake of the moon, for the sake of
the stars, for the sake of the planets, for the sake of Michael, prince of the great host,
and for the sake of the small Shilshul [sic!], lo, this is deemed to be flesh deriving
from the sacrifices of corpses».
109
Comme il a été depuis longtemps reconnu, les distinctions culte de dulie vs
culte de latrie sont ici anachroniques : cf. M. Simon, Remarques sur l’angélolâtrie...

.
696 MICHEL-YVES PERRIN

de monothéisme, un «monothéisme dynamique»110, qui caractérise nombre


de courants du judaïsme du tournant de l’ère commune.
L’autre face d’un telle mutation épistémologique est la mise en évi-
dence, ce que notait déjà Arthur Lukyn Williams en une remarque qui n’a
guère été relevée111, de la rareté des témoignages extérieurs prêtant aux
Juifs un «culte des anges». Le développement des travaux consacrés à l’an-
tijudaïsme chrétien au fil des siècles dans les terres d’expression latine et
grecque112 permet d’ajouter que cette accusation semble très circonscrite

cité n. 66, p. 451-452. Voir aussi K. H. Jobes, Distinguishing the meaning of Greek
verbs in the Semantic domain for worship, dans Filología neotestamentaría, 4, 1991,
p. 183-191; L. Robert, Études épigraphiques et philologiques, Paris, 1938 (Bibliothèque
de l’École des hautes études. Sciences historiques et philologiques, 272), p. 226-235.
110
J’emprunte l’expression à Moshe Idel que je remercie vivement pour des re-
marques en ce sens. Si l’étude de A. F. Segal, Two powers in heaven. Early Rabbinic
reports about Christianity and Gnosticism, Leyde, 1977 (Studies in Judaism in late An-
tiquity, 25) se situe encore dans une perspective historiographique classique, qui voit
dans le judaïsme hellénistico-romain un «monothéisme strict», des travaux récents,
souvent attachés à déterminer les conditions d’émergence des premières christolo-
gies, ont conduit à une profonde révision d’une telle doctrine : voir en particulier
P. Hayman, Monotheism. A misused word in Jewish studies?, dans Journal of Jewish
studies, 42, 1991, p. 1-15; L. T. Stuckenbruck, Angel veneration and Christology. A stu-
dy in early Judaism and in the Christology of the Apocalypse of John, Tübingen, 1995
(Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament. 2 Reihe, 70); L. W. Hurta-
do, One god, one Lord : early Christian devotion and ancient Jewish monotheism, 2e
éd. révisée, Édimbourg, 1999 (1re éd., 1988), et les objections de R. Bauckham, God
crucified. Monotheism and Christology in the New Testament, Carlisle, 1998 (Didsbury
Lectures, 1996); M. Mach, Concepts of Jewish monotheism during the Hellenistic peri-
od, dans The Jewish roots of christological monotheism. Papers from the St. Andrews
Conference on the historical origins of the worship of Jesus, Leyde-Boston-Cologne,
1999 (Supplements to the Journal for the study of Judaism, 63), p. 21-42; L. T. Stuc-
kenbruck, Worship and monotheism in the Ascension of Isaiah, ibid., p. 70-89;
N. Deutsch, Guardians of the gate. Angelic vice regency in late Antiquity, Leyde, 1999
(Brill’s Series in Jewish studies, 22).
111
A. L. Williams, op. cit., n. 65, p. 428. M. Simon, par exemple, qui ne semble
pas connaître l’article de Williams, peut écrit dans Verus Israel (cité n. 54, p. 402),
après avoir cité Celse, Col 2, 18, l’Apologie d’Aristide et le Kerygma Petrou : «On pour-
rait glaner à travers la littérature chrétienne antique d’autres citations de même
sens. Le témoignage, plus éloquent encore, des textes magiques les éclaire et dis-
pense de les multiplier» (sic!).
112
Dans une bibliographie pléthorique, voir les travaux d’ensemble suivants :
B. Blumenkranz, Les auteurs chrétiens latins du Moyen Âge sur les Juifs et le ju-
daïsme, Paris, 1963; Gli ebrei nell’Alto Medioevo, Spolète, 1980 (Settimane di studio
del Centro italiano di studi sull’Alto Medioevo, 26); la série d’études de G. Dagron et
V. Déroche, dans Travaux et mémoires, 11, 1991, p. 17-380; S. Krauss, The Jewish-
Christian controversy from the earliest times to 1789. I. History, edited and revised by

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 697

dans le temps : Jérôme, dans son Commentaire sur Matthieu, au début du


Ve siècle, paraît en être le dernier témoin. Si diffusé qu’ait pu être le Tome
de Damase, il n’a pas suscité de gloses actualisantes de son dernier anathé-
matisme. Quand bien même la dénonciation des pratiques magiques attri-
buées aux Juifs ne cesse d’être reprise et modulée sous des formes an-
ciennes et nouvelles au cours de l’antiquité tardive et du moyen âge113,
quand bien même les caractères de la langue hébraïque continuent à être

W. Horbury, Tübingen, 1995 (Texte und Studien zum antiken Judentum, 56); O. Li-
mor et G. C. Stroumsa (éd.), Contra Iudaeos. Ancient and medieval polemics between
Christians and Jews, Tübingen, 1996 (Texts and studies in medieval judaism, 10);
J. Cohen (éd.), From witness to witchcraft : Jews and Judaism in medieval Christian
thought, Wiesbaden, 1996 (Wolfenbütteler Mittelalter-Studien, 11); H. Schreckenberg,
Die christlichen Adversus-Judaeos-Texte und ihr literarisches und historisches Umfeld
(1.-11. Jh.), 4. überarbeitete und ergänzte Auflage, Francfort-sur-le-Main, 1999 (Euro-
päische Hochschulschriften. Ser. 23. Theology, 172); Annali di storia dell’esegesi, 16/2,
1999 (Giudaismo e antigiudaismo); A. Külzer, Disputationes Graecae contra Iudaeos.
Untersuchungen zur byzantinichen antijüdischen Dialogliteratur und ihrem Judenbild,
Stuttgart-Leipzig, 1999 (Byzantinisches Archiv, 18) [avec la recension de P. Speck,
dans Jahrbuch der österreichischen Byzantinistik, 50, 2000, p. 341-356]; P. Andrist,
Pour un répertoire des manuscrits de polémique antijudaïque, dans Byzantion, 70,
2000, p. 270-306. Pour des études de cas, voir, par exemple, N. De Lange, Origen and
the Jews : studies in Jewish-Christian relations in third century Palestine, Cambridge,
1976 (University of Cambrige. Oriental publications, 25); J. Neusner, Aphrahat and
Judaism : the Christian-Jewish argument in Fourth Century Iran, Leyde, 1971 (Studia
post-biblica, 19); B. Blumenkranz, Die Judenpredigt Augustins : ein Beitrag zur Ges-
chichte der jüdisch-christlichen Beziehungen in den ersten Jahrhunderten, Paris, 1973
(Collection des Études augustiniennes. Série antiquité, 56). Voir aussi infra n. 116.
113
Voir J. Trachtenberg, Jewish magic and superstition. A study in folk religion,
New York, 1939, passim; Id., The devil and the Jews. The medieval conception of the
Jew and its relation to modern antisemitism, New Haven, 1944, p. 55-75. On trouvera
dans la légende de Théophile d’Adana, qu’il faut peut-être assigner aux VIe-VIIe
siècles, un récit d’une consultation magique effectuée auprès d’un Juif qui fait appa-
raître à l’hippodrome le diable siégeant, entouré d’hommes vêtus de manteaux qui
émettent des sons désordonnés (eßjaı¥fnhv deıßknysin ayßt√ fantası¥av tinaùv, aßnurw ¥ poyv
xlanidofo¥royv fainome¥noyv kaıù fwnaùv aßta¥ktoyv aßfie¥ntav kaıù eßn me¥sw
∞ ayßtw̃n toùn a¶r-
xonta toy¥twn kauh¥menon). D’invocation des anges, il n’est pas ici question : voir
G. N. Sola, Il testo greco della leggenda di Teofilo di Adana, dans Rivista storico-critica
delle scienze teologiche, 3, 1907, p. 835-848 (ici, p. 839-840). Pour d’autres recensions
[cf. F. Halkin, Bibliotheca hagiographica graeca, 3e éd. augmentée, Bruxelles, 1957
(Subsidia hagiographica, 8a), III, Appendix IV, no 2, p. 178-179], voir Id., dans Rivista
storico-critica delle scienze teologiche, 4, 1908, p. 258-280 (ici, p. 263, l. 13-18 : des-
cription plus détaillée des daı¥monev); dans A. Jubinal, Œuvres complètes de Rutebœuf
trouvère du XIIIe siècle recueillies et mises au jour pour la première fois, II, Paris, 1839,
p. 331-357 (ici, p. 334-336 et 345-348). Je remercie vivement Vincent Déroche
(CNRS) de m’avoir signalé ce fort intéressant document.

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698 MICHEL-YVES PERRIN

souvent perçus comme des signes magiques114, quand bien même enfin les
représentations angéliques connaissent un développement sans égal dans
la littérature des Hekhalot et d’autres textes magico-religieux115, nulle trace

114
Voir l’impressionante continuité que révèlent Lucien de Samosate, Alexandre
le Pseudoprophète, 13 (M. Stern, Greek and Latin authors on Jews and Judaism, II, Jé-
rusalem, 1980, no 373, p. 222-223 : oΩ deù fwna¥v tinav aßsh¥moyv fueggo¥menov, oıüai ge¥noin-
to a¶n Ebraı¥wn hû Foinı¥kwn, eßje¥plhtte toyùv aßnurw ¥ poyv oyßk eıßdo¥tav o™ti kaıù le¥goi); Jé-
rôme, Ep. 75, 3 (J. Labourt, Saint Jérôme. Lettres, IV, Paris, 1954, p. 35) : ceteraque
magis portenta quam nomina, quae ad imperitorum et muliercularum animos conci-
tandos, quasi de hebraicis fontibus hauriunt, barbaro simplices quosque terrentes sono,
ut quod non intellegunt plus mirentur (à propos de pratiques «gnostiques»); Miracles
de Saint Démétrios. Recueil de Jean, 1er miracle, 15 (P. Lemerle, Les plus anciens re-
cueils de miracles de Saint Démétrius et la pénétration des Slaves dans les Balkans, I,
Paris, 1979, p. 61 : e¶fh tinaùv grammaùv eßkeı̃se diagra¥fein kaıù aßsterı¥skoyv kaıù hΩmiky¥klia
kaı¥ tina e™tera sxh¥mata, gra¥mmasin e™braı̈koiv kaıù oßno¥masin aßgge¥lwn aßgnw ¥ stwn toı̃v pol-
loiı̃v e¶swue¥n te kaıù e¶jwuen perigegramme¥na). Dans ce dernier texte, du VIIe siècle, si-
gnalé par H. Maguire (Magic and the Christian image, dans Id., Byzantine magic,
Washington, 1995, p. 51-71, ici p. 62), il s’agit de la description d’une amulette magique
(cf. A. D. Vakaloudi, Deisidaimonı¥a and the role of apotropaic magic amulets in the early
byzantine Empire, dans Byzantion, 70, 2000, p. 182-210) : caractères hébraïques et
noms d’anges inconnus sont mentionnés, de manière sobrement technique, sans que
l’invocation des puissances célestes soit référée spécifiquement aux Juifs.
115
Faute de pouvoir envisager ici le débat sur la pertinence de l’opposition reli-
gion vs magie, nous nous contentons de cette iunctura, et renvoyons aux travaux de
P. Schäfer, Magic and religion in ancient Judaism, dans Envisioning magic... cité
n. 53, p. 19-43; G. Veltri, Magie und Halakha... cité n. 52; R. M. Lesses, Ritual prac-
tices to gain power... cité n. 59; F. Graf, La magie dans l’antiquité gréco-romaine, Pa-
ris, 1994 (avec le débat afférent publié dans Numen. International review for the his-
tory of religions, 46, 1999, p. 291-325); W. Fauth, Götter- und Dämonenzwang in den
griechischen Zauberpapyri. Über psychologische Eigentümlichkeiten der Magie im Ver-
gleich zur Religion, dans Zeitschrift für Religions- und Geistesgeschichte, 50, 1998,
p. 40-60; J. N. Bremmer, The birth of the term ‘magic’, dans Zeitschrift für Papyrologie
und Epigraphik, 126, 1999, p. 1-12; G. Cunningham, Religion and magic. Approaches
and theory, New York, 1999; M. W. Dickie, Magic and magicians in the Graeco-
Roman world, Londres-New York, 2001, p. 18 sq. et 124 sq. Voir aussi les actes des
colloques : M. Meyer et P. Mirecki (éd.), Ancient magic and ritual power, Leyde-New
York-Cologne, 1995 (Religions in the Graeco-Roman world, 129); Envisioning magic...
cité n. 53; D. R. Jordan, H. Montgomery et E. Thomassen (éd.), The world of ancient
magic. Papers from the first International Samson Eitrem Seminar at the Norvegian
Institute at Athens 4-8 May 1997, Bergen, 1999 (Papers from the Norwegian Institute
at Athens, 4); P. Mirecki et M. Meyer (éd.), Magic and ritual in the ancient world,
Leyde-Boston-Cologne, 2002 (Religions in the Graeco-Roman world, 141). . On trou-
vera d’autres références dans la bibliographie donnée dans A. Moreau et J.-C. Tarpin
(éd.), La magie. Actes du Colloque international de Montpellier 25-27 mars 1999, IV,
Montpellier, 2000, que l’on complètera pour le domaine sémitique par S. Ribichini,
La magia nel Vicino Oriente antico. Introduzione tematica e bibliografica, dans Studi

.
RENDRE UN CULTE AUX ANGES À LA MANIÈRE DES JUIFS 699

supplémentaire de l’antique accusation n’a pu être identifiée : les Juifs sont


vilipendés pour adjurer les démons, non les anges. Ni Jean Chrysostome,
qui attaque avec vigueur la magie juive116, ni Augustin, qui dénonce tout
culte des anges portant atteinte à l’unique médiation du Christ117, n’al-
lèguent «l’angélolâtrie juive». Si le refus de l’ange de l’Apocalypse de se lais-
ser adorer (Apoc. 19, 10; 22, 8-9) est sans cesse rappelé, jamais, en l’état de
nos recherches, les Juifs ne sont mis en cause ni d’éventuelles séductions
judaïsantes incriminées. Le discours vise toujours les chrétiens. La raison
la plus obvie en est à chercher en l’essor du «culte des anges» dans l’orbis
christianus antique et médiéval à partir des IVe-Ve siècles118. En témoigne
éloquemment Grégoire de Tours qui ouvre son In gloria confessorum sur
un De virtutibus angelorum : l’invocation des anges est désormais une pra-
tique chrétienne légitime119.
Michel-Yves PERRIN

epigrafici e linguistici sul Vicino Oriente antico, 15, 1998, p. 5-16; voir aussi B. An-
karloo et S. Clark (éd.), Witchcraft and magic in Europe, Philadelphie, 1999-2002.
116
Voir R. L. Wilken, John Chrysostom and the Jews. Rhetoric and reality in the
late 4th century, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1983 (The Transformation of the clas-
sical heritage, 4), p. 83-88 [en part. Adversus Iudaeos homilia VIII, 7 (PG 48, 937-938)
prononcée à Antioche en 387 : cf. A. Monaci Castagno, I giudaizzanti di Antiochia :
bilancio e nuove prospettive di ricerca, dans G. Filoramo et C. Gianotto (éd.), Verus
Israel. Nuove prospettive sul giudeocristianesimo. Atti del Colloquio di Torino (4-5 no-
vembre 1999), Brescia, 2001 (Biblioteca di cultura religiosa, 65), p. 304-338]; W. Pra-
dels, R. Brändle et M. Heimgartner, The sequence and dating of the series of John Cry-
soston’s eight dicourses adversos Judaeos, dans Zeitschrift für Christentum, 6, 2002,
p. 90-110.
117
Voir G. Madec, s. v. Angelus, dans Augustinuslexikon... cité n. 101, col. 314.
On y ajoutera le témoignage du Sermon Dolbeau 26, part. 13-16 et 47-48 [F. Dolbeau,
Augustin d’Hippone. Vingt-six sermons au peuple d’Afrique, Paris, 1996 (Collection des
Études augustiniennes. Série Antiquité, 147), p. 100-102 et 126-128]. Je remercie
M. Claude Lepelley d’avoir attiré mon attention sur ce texte.
118
Voir le très riche dossier rassemblé par J. Michl, s. v. Engel, dans Reallexikon
für Antike und Christentum, V, Stuttgart, 1962, col. 53-258 (part. col. 109-258), et Th.
Klauser, ibid., col. 258-322; D. Keck, Angels and angelology in the Middle Ages, New
York-Oxford, 1998; G. Peers, Subtle bodies. Representing angels in Byzantium, Ber-
keley-Los Angeles-Londres, 2001 (The transformation of the classical heritage, 32).
119
Grégoire de Tours, Liber in gloria confessorum 1 (M.G.H. Scriptores rerum Me-
rovingicarum, I-2, éd. B. Krusch, Hanovre, 1885, p. 299, l. 7-11) : Tandem, inspirante
Domino, conuersus ad uasculum, nomina angelorum sanctorum, quae sacrae docent
lectiones, super aditum eius deuote inuocat, ut uirtus eorum paruitatem hanc in abun-
dantiam conuertere dignaretur, ne operariis defeceret quod haurirent. On comparera
ce texte avec l’extrait de l’Aduersus haereses d’Irénée de Lyon cité supra n. 86 et on
saisira la différence des temps.

.
700 MICHEL-YVES PERRIN

Addendum historiographique :

Avant même le débat ouvert par la Bibliotheca Magna Rabbinica de Bartolocci,


les passages de la Theologia Iudaeorum de De Voisin relatifs au culte des anges (cf.
supra n. 12) avaient reçu un essai de réfutation dans deux disputationes publiques te-
nues en 1661 par le luthérien Johann Saubert der Jüngere (1638-1688) : voir J. Sau-
bert, Be’chêm Chama’yim. An Angeli sint adorandi ex Judaeorum mente Disputatio
prior : Publicè habita mense Junio MDCLXI. Respondente Johanne Conrando Omeis,
Norimberg. Superioris Circuli Rhenani Statibus à Secretis, postea tempore expeditionis
adversus Turcam Vindaebonae beatè defuncto, et, Id., Be’chêm Chama’yim. An Angeli
sint adorandi ex Judaeorum mente Disputatio posterior : Publicè proposita mense Ju-
lio MDCLXI. Respondente Johanne Goës, Westfalo, Philos. et Opt. Art. Magistro et Or-
thodoxae Christi Ecclesiae sub episcopatu Onasbrugensi Pastore, nunc beatè defuncto,
reprises dans Id., Palaestra theologico-philologica, Sive Disquisitionum Academica-
rum Tomus Singularis, Altdorf, Johann Heinrich Schönnerstaedt, 1678, resp., p. 31-
51 et 52-65. L’auteur précise ainsi son propos (p. 32) : Quandoquidem autem illi (scil.
Pontificii) in dogmatibus suis probandis etiam ad Judaeorum consensum haut raro
provocent, eruemus in praesens paulò ampliori studio Ebraeorum de ANGELORUM
ADORATIONE mentem. Il y fait grand usage du Sefer ha-‘Ikkarim. Ces disputationes
ne semblent pas, sauf erreur, avoir été connues de Bartolocci.

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