Vous êtes sur la page 1sur 4

Questions de communication 

5 | 2004
Psychologie sociale, traitements et effets des médias

Jacques THUILLIER, Théorie générale de l’histoire de l’art


Paris, O. Jacob, coll. Sciences et Art, 2003, 178 p.

Marion Duvauchel

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7163
DOI : 10.4000/questionsdecommunication.7163
ISSN : 2259-8901

Éditeur
Presses universitaires de Lorraine

Édition imprimée
Date de publication : 1 juillet 2004
ISBN : 978-2-86480-838-1
ISSN : 1633-5961
 

Référence électronique
Marion Duvauchel, « Jacques THUILLIER, Théorie générale de l’histoire de l’art », Questions de
communication [En ligne], 5 | 2004, mis en ligne le 19 juillet 2013, consulté le 22 septembre 2020. URL :
http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7163  ; DOI : https://doi.org/10.4000/
questionsdecommunication.7163

Tous droits réservés


Notes de lecture

qu’il est souvent impossible d’appliquer dès Jacques THUILLIER, Théorie générale de
lors qu’il y a des sous-traitants étrangers. l’histoire de l’art.
Résulte de ce flou que, aujourd’hui, des Paris, O. Jacob, coll. Sciences et Art,
entreprises ne font du DD qu’un simple 2003, 178 p.
outil d’une stratégie de communication,
alors qu’elles devraient mener un travail de « L’idée hautement déclarée que dans la
fond sur leur raison d’être. Paradoxalement, sculpture française rien ne compte entre
c’est cet usage instrumental du DD qui le Reims et Rodin aurait permis dans les
place dans une vision à court terme et dans années 1950-1980 la destruction sans
une perspective exclusivement financière. remords de quantité de plâtres originaux, de
modèles et même de marbres » (p.17), nous
Ce phénomène serait désespérant si, dans la révèle Jacques Thuillier dans son dernier
seconde partie de l’ouvrage, l’auteur ne ouvrage, Théorie générale de l’histoire de l’art.
livrait pas un véritable dispositif d’évaluation Ce que nous pensons prête donc à consé-
de la performance d’une entreprise. Il quence… L’idée de la responsabilité de l’his-
propose une autre conception de celle-ci à torien de l’art – et de la responsabilité en
travers trois axes : la création de valeurs général – est devenue assez rare pour justi-
devrait se faire au profit de toutes les parties fier un ouvrage de ce type. Jacques Thuillier
prenantes (actionnaires, salariés, clients, affiche d’ailleurs ses affinités : Henri Focillon,
consommateurs, société civile avec les ONG André Chastel. Il annonce ses options intel-
et les associations…), et non plus exclusive- lectuelles – une vision hiérarchique – et ses
ment au profit des actionnaires ; il serait choix affirmés, indépendants des modes.
souhaitable de redéfinir la notion de Nous lui en savons gré. Sa réflexion part
communication (et non d’information) avec d’une question fort banale ou tout simple-
les parties prenantes, ce qui placerait le DD ment traditionnelle : « Qu’est-ce que
à tous les niveaux de l’entreprise, plus seule- l’art » ? Ainsi la recherche d’une définition
ment à celui de l’encadrement, et qui impli- devient-elle prétexte à une enquête philoso-
querait l’ensemble des acteurs, même si cela phique, parfois sommaire, qui situe surtout la
ne se traduit pas par une rentabilité immé- part respective de la philosophie et de l’his-
diate ; on pourrait imaginer de tendre vers toire de l’art dans le débat sur celui-ci qui
un équilibre entre qualité et quantité dans critique les errances de l’une et de l’autre et
les entreprises. Ceci n’est pas envisageable redonne toute sa portée à l’historien d’art.
pour le moment, puisque l’analyse de l’envi-
ronnement et de l’économique est nourrie À l’origine des déboires de l’histoire de l’art :
exclusivement avec des chiffres. une vacance sémantique… Elle est indé-
niable, mais on aimerait pouvoir rappeler
Dans son ensemble, l’ouvrage présente un qu’elle est surtout le fruit de notre igno-
intérêt incontestable pour celui qui souhaite rance, de nos oublis, et de notre incapacité à
avoir une vision concrète du DD ou, plutôt, reprendre la réflexion là où les Anciens l’ont
de la « performance globale » au niveau de arrêtée. Aristote, le premier, s’est employé à
l’entreprise, même si l’on est loin encore de combler ce vide sémantique, et si les philo-
savoir manager clairement le DD, voire créer sophes connaissaient leurs propres trésors,
une fonction de développement durable ils sauraient en faire apprécier toute la
dans les entreprises, ce qu’avait déjà montré, portée. Aristote ôte à l’art ses ailes pour lui
en 2002, le livre d’Olivier Dubigeon (Mettre donner des mains. L’art, la teckne pour lui, ce
en pratique le développement durable, chez le sont les règles, l’art est un habitus, une vertu
même éditeur). Par ailleurs, certains pour- de l’intellect pratique, il est un faire. S’il établit
ront reprocher une redondance dans le un parallèle entre l’art et la nature, et
propos mais, à notre sens, cette redondance distingue le monde de la nature et le monde
participe d’un souci de clarté et de préci- de l’artifice. Distinction centrale dans une
sion, permettant de ne jamais perdre le fil philosophie de la technique, les œuvres de la
conducteur de l’analyse. nature restent supérieures aux œuvres
Jamila Ysati d’art. Parce qu’il établit la dignité du monde
CREM, université de Metz sensible, il conçoit la nature en poète et lui
accorde un statut éminent. Pour Aristote,

408
questions de communication, 2004, 5

l’artiste imite le réel qui est une matière en lien avec des significations. Une analyse de
informée, pénétrée par la forme qui la cons- ce type est efficace, mais elle permet aussi de
titue en réalité, d’où l’éminente dignité de maintenir des hiérarchies. La reproduction
l’art mimétique et de l’artiste engagé dans d’une forme n’est pas de l’art. La photogra-
l’imitation, contre Platon et non à sa suite. phie serait donc une technique, non un art.
Quant à la théorie platonicienne, elle est En revanche, il est plus difficile de suivre l’au-
autrement plus complexe qu’on ne nous la teur dans son analyse des arts premiers.
présente, même si effectivement la dicho- Deux processus sont mis en lumière et en
tomie platonicienne entre raison et poésie relation. Le premier est celui par lequel les
continue de grever la réflexion esthétique. dessins d’enfants, d’adultes imitant les dessins
Platon condamne l’art dans la mesure où il d’enfants, ou les œuvres des fous ont glissé
est incapable d’atteindre la vérité et, plus au statut d’œuvres d’art, tandis que – paral-
gravement encore, peut l’en détourner. Mais lèlement – les œuvres que se réservaient les
il respecte l’artiste. Homère donne du plaisir, musées d’ethnologie passaient sous le nom
mais celui-ci n’est pas un fondement admis- emphatique d’arts primordiaux dans les
sible des jugements de goût : critique princi- sections d’art des musées, avant de gagner
pale de Platon. Si le plaisir est le critère de les salles du Louvre, sous le nom d’arts
l’art, les poètes risquent de régner et de premiers, même lorsqu’il s’agissait d’œuvre
l’emporter sur la raison. Si, de surcroît, ils ne récentes ou contemporaines inspirées par
sont que de trompeurs imitateurs d’imita- des coutumes tribales (pp. 23-24). L’enquête
tion, pernicieux pour la cité, ses vérités et ses se poursuit alors avec Heidegger et surtout
mœurs, il ne reste plus qu’à les chasser de Panofsky. Mais les trois niveaux de significa-
l’État. Du moins le Platon de la République tions qu’il a dégagés ne sauraient cependant
était-il loyal envers les poètes. Il n’ignorait pas épuiser la mystérieuse présence de l’œuvre
que la poésie, aussi longtemps qu’elle reste d’art.
poésie, ne deviendra jamais et ne peut pas Étrange perspective que celle de Jacques
devenir un instrument de l’État et c’est sans Thuillier : « L’homme crée par nature,
doute le suprême hommage qu’il lui rend. comme d’ailleurs l’oiseau crée son nid, l’arai-
Vingt siècles de réflexion philosophique sont gnée sa toile, le castor de véritables villages »
ainsi ramenés à deux grands types de (p. 84). On aimerait pouvoir répondre que
commentaires : l’un qui renverrait « à une l’animal fabrique selon un instinct
sorte de mixte entre la copie des données programmé et que, à ce titre, il ne crée pas.
offertes aux sens et une beauté transcen- Quant à l’homme qui s’entoure de formes
dantale souvent mal définie » (p. 59). L’autre de plus en plus complexes, l’auteur se
qui mettrait l’accent sur la dimension tempo- demande « à partir de quel moment cet
relle, mais avec une ambivalence liée au mot homo-faber devient-il artiste ? ». Premier
temps. C’est beaucoup de dédain pour ces argument : quand il y a un autre car l’art
Anciens qui sont la jeunesse du monde. Ce implique un dialogue… Voire. Certains
n’est pas une vacance sémantique que les artistes ont continué seuls – dans l’ignorance
grands systèmes philosophiques évoqués ou le rejet – une œuvre qui n’a été reconnue
ensuite par Jacques Thuillier ont tenté de comme telle que de manière posthume.
combler, mais c’est un renversement de Second argument : quand il y a une œuvre.
perspective qu’ils ont imposé en faisant de À notre sens, voilà qui est plus convaincant.
l’art une essence, une connaissance et non C’est à partir de la catégorisation instinctive,
plus un faire. presque naturelle, des coordonnées du
Nous en sommes là de notre enquête, temps et du lieu que l’analyse de l’œuvre
quand l’auteur procède à un « renversement d’art est proposée. Elle exclut les grandes
méthodologique » de type husserlien. En constructions hégéliennes. Qui s’en plain-
réalité, il s’agit d’un retour à une notion drait ? L’introduction du temps a permis la
centrale, dédaignée bien à tort, et formulée « dédramatisation » de l’histoire de l’art et
par Henri Focillon, celle de forme : « Le signe le découpage en larges périodes conven-
signifie, la forme se signifie ». Si l’art est une tionnelles : roman, gothique renaissance
forme, il ne s’analyse pas comme telle, mais pour l’architecture, romantisme réalisme,

409
Notes de lecture

impressionnisme pour la peinture et la changements fondamentaux dans les États


littérature. À l’aune du temps, Jacques de l’Europe de l’Est (perestroïka, glasnost)
Thuillier analyse les notions de « styles » – ce qui profite si peu de cette évolution ? De nos
qu’avait d’ailleurs fait Meyer Shapiro – puis jours, les politologues définissent le système
celles d’ « influence », de « motif » (ou d’or- politique de la Russie comme une démo-
nement), et d’« école », avec les problèmes cratie de délégation aux traits prononcés de
que pose chacune de ces notions jusqu’à la régime autoritaire (pp. 41-42 ; pp. 471-472).
notion de « foyer » qui lui paraît répondre Ce constat se fonde sur un changement des
plus précisément aux problèmes d’analyse fonctions et des structures au sein du
que pose l’histoire de l’art. paysage médiatique qu’analyse, pour la
Soyons reconnaissants à un historien de période de l’après-glasnost (1991-2001), et
l’art de l’optimisme, sinon du courage pour la première fois, une politologue et
conceptuel, dont il fait preuve en nous journaliste originaire de l’ex-URSS.
proposant une réflexion dans le cadre d’un Après une présentation du cadre théorique
paradigme qui n’est pas celui de la et méthodologique de son travail, l’auteur
désorientation ou de la fin des paradigmes. esquisse en plusieurs chapitres le cadre
Soyons aussi reconnaissants pour un livre sociétal dans lequel agissent les média russes
documenté, qui sait ce qu’il défend et pose aujourd’hui. Un bref aperçu des mutations
clairement la question du jugement esthé- politiques, depuis la moitié des années 80, et
tique en d’autres termes que ceux des des présidences de Boris Eltsine et de
socio-esthétiques dominantes. Mais nous Vladimir Poutine (pp. 79-90), est suivi d’ana-
sommes en droit de nous étonner devant lyses de la politique médiatique de 1991 à
la naïveté de certains propos : « On ne 2001 (pp. 91-122), de la législation média-
peut s’empêcher de penser qu’il nous tique (pp. 123-147) et de l’évolution de la
manque le recul suffisant pour dégager de publicité (pp. 185-222). Cette partie se
l’énorme production actuelle les éléments termine par une réflexion sur la relation
qui mériteraient réflexion ». C’est vrai, mais entre les magnats des médias, l’État et la
on aimerait cependant moins de démis- liberté de la presse. Le plus long chapitre est
sion. Si la tache est lourde, nous ne dédié à l’analyse structurelle des médias,
sommes pas dénués de moyens concep- suivie d’une évaluation des médias électro-
tuels, à supposer que nous nous en niques dans les campagnes électorales. L’ou-
dotions. vrage se termine par une discussion de
Marion Duvauchel l’image que les journalistes se font d’eux-
IUFM de Valenciennes mêmes, et de l’éthique. Ljuba Trautmann se
fonde sur des entretiens avec grand nombre
Ljuba TRAUTMANN, Die Medien im russischen de publicistes importants (cf. la liste pp. 617-
Transformationsprozess – Akteur oder 620), ainsi que sur des analyses détaillées des
Instrument der staatlichen Politik ? programmes proposés dans les médias
Funktions- und Strukturwandel der russischen imprimés et électroniques. L’auteur ne se
Medien, 1991-2001. contente nullement d’étudier les seuls
Frankfurt am Main, P. Lang, 2002, 620 p. contenus, mais prend en compte les agents
de l’intérieur et ceux qui les influencent.Ainsi
La question que pose l’ouvrage de Ljuba présente-t-elle une très volumineuse analyse
Trautmann – Les médias dans le processus de structurelle et de contenu concernant la
transformation en Russie – Acteurs ou instru- presse écrite, radiophonique, télévisuelle et
ments de la politique de l’État ? Changements l’internet. En utilisant les outils théoriques et
dans les fonctions et les structures des media méthodologiques de la recherche des trans-
russes, 1991-2001 – se situe dans le itions, la théorie des acteurs et le concept
contexte de l’actuelle campagne électorale normatif de « société civile », elle retrace
présidentielle qui se caractérise par une l’évolution des contenus informationnels qui
information unilatérale en faveur de Vladimir passent de la critique politique jusqu’à l’ac-
Poutine. Pourquoi est-ce justement le pays commodation et les met en corrélation avec
dont l’élite politique, regroupée autour de les élections des dix dernières années.
Mikhaïl Gorbatchev, fut à la base de tant de

410

Vous aimerez peut-être aussi