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1.

Quel Brentano ?
1Traiter de manière adéquate le triangle Brentano-Aristote-
Heidegger signifie d’abord éviter tout anachronisme. D’où la
question préalable : quel est le rapport de Brentano à
l’aristotélisme ? Autrement dit, et plus précisément : peut-on
qualifier sa pensée d’aristotélicienne ? Et en quelle mesure ?
 1 Psychologie vom empirischen Standpunkt (Leipzig, Duncker &
Humblot, 1874) ; Hamburg, Meiner, 1973 [ (...)

2En effet, l’œuvre de Brentano est caractérisée par deux centres


de gravité, par deux intérêts philosophiques différents, qui ont
donné lieu a une influence bifurquée de sa pensée. D’une part, il y
a l’intérêt pour la psychologie. Comme on sait, Brentano la
conçoit en termes de psychologie descriptive – ou psychologie
phénoménologique, distinguée de la psychologie génétique – et il
ne lui assigne plus la tâche traditionnelle d’une spéculation sur
l’âme pensée comme substance simple et immortelle, mais celle
d’examiner à l’aide de critères scientifiques uniquement les
phénomènes psychiques. Il parle – utilisant une expression
paradoxale tirée de l’Histoire du matérialisme (Geschichte des
Materialismus) d’Albert Lange – d’une « psychologie sans âme »,
et dans sa  Psychologie du point de vue empirique,  il essaie de la
fonder comme discipline scientifique1.
3D’autre part, Brentano cultive un autre intérêt qui ressort de son
appartenance déclarée à la tradition aristotélico-scolastique :
l’intérêt pour la métaphysique et ses grandes questions
traditionnelles. Grâce à une connaissance excellente du   corpus
Aristotelicum, qu’il avait étudié à fond et traité dans une série de
travaux, il développe une doctrine de l’être et des catégories tout
à fait originales.
 2 « Mein Brentano ist der des Aristoteles ! », Cf. Martin
Heidegger, Seminare, Gesamtausgabe, vol. 15 (...)

4Sur ce double esprit qui vivifie la recherche philosophique de


Brentano il y a un témoignage important, celui de Heidegger. Au
début de sa formation philosophique Heidegger eut l’occasion de
s’occuper de l’œuvre brentanienne, tant de son côté aristotélicien
que de sa psychologie descriptive, et dans ses confessions
autobiographiques il est revenu plusieurs fois sur ce point.
Notamment à l’occasion d’un séminaire sur les   Recherches
logiques de Husserl, qui eut lieu en 1973 à Zähringen, chez lui,
Heidegger raconta aux participants qu’il avait commencé son
chemin philosophique avec le même philosophe quel Husserl, à
savoir Brentano. Mais à la différence de Husserl, qui était parti de
la  Psychologie du point de vue empirique,  lui-même il avait
commencé à s’intéresser à la philosophie par la lecture de la
dissertation  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach
Aristoteles [De la signification multiple de l’étant selon Aristote ].
À ce propos Heidegger observa avec un sourire malicieux : « Mon
Brentano, c’est celui d’Aristote ! »2.
 3 Cf. Roderick M. Chisholm, Brentano and Meinong
Studies, Amsterdam, Rodopi, 1982, p. 3-16.

 4 Voir Barry Smith, The Legacy of Franz Brentano, Chicago et


Lassalle, Open Court, 1994 ; Jocelyn Ben (...)

5Or, jusqu’à il y a quelque temps, on avait reconnu les mérites de


Brentano plutôt dans le domaine de la psychologie, notamment de
la « perceptologie », que dans celui de l’ontologie. Mais depuis
quelques années un courant philosophique d’orientation
analytique a valorisé la doctrines des catégories et l’ontologie de
Brentano. Le premier à le faire a été Roderick Chisholm 3, suivi par
Rudolf Haller qui a situé sa redécouverte du Brentano dans le
contexte d’une reconstruction des origines de la philosophie
autrichienne, enfin ceux qu’on a appelés les trois « philosophes
de Manchester » : Kevin Mulligan, Peter Simons et Barry Smith. Ils
soulignent la valeur méthodologique de l’exigence brentanienne
d’atteindre en philosophie la même rigueur que les sciences
naturelles, de contrôler le langage philosophique afin d’éviter
l’emploi des pseudo-concepts, enfin la tentative d’élaborer une
ontologie « réiste » – selon la définition de Tadeuzs Kotarbinski
(un élève de Kasimir Twardowski, à son tour élève de Brentano) –
se basant sur un « détournement du non-réel » (Abkehr vom
Nichtrealen) d’après lequel seulement les choses (res)
individuelles, dans leur présence temporelle ponctuelle, peuvent
être dites réelles, et au contraire tout étant qui n’a pas ce
caractère (tels que les  entia rationis, les choses passées ou
futures) est exclu du domaine de la réalité 4. Leur tendance est de
décrocher la pensée de Brentano soit de la phénoménologie
husserlienne, qui aurait développé l’analyse brentanienne des
phénomènes psychiques dans une direction non-scientifique,
prétendant entrer dans la vie de la conscience et dans ses
contenus noético-noématiques selon une démarche
transcendantale. Ce nouveau brentanisme analytique voudrait
également séparer l’ontologie brentanienne de toute
compromission avec la théologie, la distinguant par là également
de la métaphysique aristotélicienne.
 5 Voir la monographie fondamentale de Mauro Antonelli, Alle radici
del movimento fenomenologico. Psic (...)

6Tout en reconnaissant le caractère stimulant de cette démarche,


du point de vue historico-philosophique, il me semble qu’elle ne
rend pas justice à la pensée de Brentano dans son intégrité, dans
son appartenance déclarée à la tradition aristotélico-thomiste et
sa place historique à l’origine du mouvement phénoménologique.
Certes, la pensée de Brentano ne se laisse réduire ni à cette
tradition ni à cette situation, mais il ne fait aucun doute que deux
âmes vivent en elle : celle du fondateur de la psychologie
phénoménologique et celle du métaphysicien à l’ontologie
d’inspiration aristotélicienne5.
 6 Franz Brentano, « Die Habilitationsthesen » (1866), in Id., Über
die Zukunft der Philosophie, mit A (...)

 7 Ce terme se trouve chez Oswald Külpe, mais également chez


Theodor Gustav Fechner, Hermann Lotze et (...)

 8 « Brentanos waren uns zu sehen nach Vulpera gekommen und


ebenso sein Wiener Bruder, mit dem ich phi (...)

7À ce propos il faut dire un mot sur la déclaration


programmatique bien connue de Brentano dans sa quatrième
thèse pour l’habilitation à l’enseignement universitaire. Il y
déclare que la véritable méthode de la philosophie ne peut être
que celle des sciences naturelles :  vera philosophiae methodus
nulla alia nisi scientiae naturalis est 6. Cette thèse va apparemment
dans la direction d’une philosophie anti-métaphysique conçue
comme  ancilla scientiae. En réalité, à bien y regarder, elle n’est en
rien une déclaration contre la métaphysique en faveur de
l’empirisme et du positivisme. Sa cible polémique ce sont plutôt
les constructions spéculatives de l’idéalisme, contre lesquelles
Brentano exprime effectivement l’exigence que la philosophie
procède dans son domaine de la même rigueur que les sciences
naturelles, et donc qu’elle évite dans le traitement de son objet
toute considération étrangère et hétérogène à celui-ci. En ce sens,
même la métaphysique doit procéder selon l’idéal d’une méthode
scientifique rigoureuse. Comme Oskar Kraus le raconte, à
l’occasion de la discussion orale de sa thèse Brentano essaya de
montrer comment même la philosophie première d’Aristote se
sert de la méthode des sciences naturelles et comment même la
métaphysique doit devenir ce qu’on appela à l’époque, par un
intéressant néologisme, une « métaphysique inductive »7. De
plus : Brentano se proposait de conclure sa  Psychologie avec un
dernier livre où il aurait voulu démontrer l’immortalité de l’âme.
En ce sens il faut rappeler l’avis de Dilthey qui dans une lettre à
son ami le comte Paul Yorck von Wartenburg de l’automne 1882
lui raconte d’une visite de la famille Brentano, se souvenant de
Franz comme d’un métaphysicien scolastique : « Les Brentano
étaient venus nous voir à Vulpera, y compris son frère de Vienne
avec lequel j’ai philosophé. Il est resté un  métaphysicien
médiéval »8.
 9 Je renvois sur ce point à ce que j’ai écrit dans « Il problema della
coscienza del tempo in Brentan (...)

8Quant aux motifs qui lient la pensée de Brentano à la


phénoménologie, il faut dire d’une part qu’il prit ses distances de
Husserl, notamment en ce qui concerne la question du temps, à
propos de laquelle Brentano disait que son élève avait endossé les
vêtements que lui-même avait cessé de porter 9. Mais, de l’autre
côté, sa distinction entre les phénomènes psychiques et les
phénomènes physiques – qu’il introduit à l’aide du critère de
l’intentionnalité fondant par là contre les tendances de la
psychophysiologie de son époque la possibilité d’une psychologie
philosophique (dite aussi descriptive ou phénoménologique) – le
situe au début de l’histoire du mouvement phénoménologique.
9Dans les considérations suivantes j’essaierai d’esquisser un
aperçu de la compréhension brentanienne de l’être et de sa
doctrine des catégories. Une tâche qui est compliquée par le fait
que Brentano emprunte sa démarche à Aristote, mais développe,
sollicité par son intérêt spéculatif, une ontologie tout à fait
originale, qui se réclame d’Aristote mais qui finalement – comme
je voudrais montrer – s’en écarte considérablement.
2. L’aristotélisme berlinois, le
nouvel esprit scientifique et la
psychologie
 10 Cf. Stefano Poggi, I sistemi dell’esperienza. Psicologia, logica e
teoria della scienza da Kant a W (...)

10Pour comprendre la doctrine brentanienne des catégories il faut


d’abord la situer dans son contexte historico-philosophique,
évoquant que l’atmosphère générale de l’époque était marquée
par l’exigence de redonner à la philosophie un caractère
scientifique et que ce renouveau fut mis en oeuvre suivant le
paradigme scientifique offert par la psychologie, qui allait
conquérir, dans l’Allemagne de la seconde moitié du XIX  siècle, la e

position de discipline fondamentale10.


 11 Cf. Maurizio Mangiagalli, « Il circolo filologico di Berlino e la
riscoperta del pensiero aristotel (...)

11Brentano interpréta ce renouveau selon l’esprit de l’aristotélisme


dans lequel il s’était formé à l’école de Adolf Trendelenburg
(1802-1872), qui à l’Université de Berlin s’était opposé à Hegel
reprenant les études de philologie classique de Schleiermacher et
Boeckh et contribuant à la tradition de l’aristotélisme berlinois
avec des représentants célèbres tels qu’Immanuel Bekker (1785-
1871), Hermann Bonitz (1814-1888), Valentin Rose (1829-1916),
Hermann Karl Usener (1834-1905), Hermann Diels (1848-1922)
et Werner Jaeger (1888-1961)11.
 12 « Die verachteten Kommentare eines Thomas von Aquin konnten
einige der dunkelsten Lehrpunkte im Ari (...)

12Brentano étudia à fond la pensée d’Aristote à partir de sa thèse


de doctorat présentée  in absentia à Tubingue sous l’intitulé  Von
der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach
Aristoteles (Herder, Freiburg, 1862). Elle est dédiée à son maître
Trendelenburg, dont Brentano toutefois ne suit pas la lecture
kantienne d’Aristote. Il s’approche plutôt de l’interprétation
scolastico-thomiste – soit dit en passant, en 1864 il prend les
voeux dans le cloître des dominicains à Graz – et il déclare   apertis
verbis sa préférence pour Thomas d’Aquin :  Aristoteles sine
Thoma mutuus est. Il écrit en outre à l’adresse des interprètes
modernes : « Les commentaires méprisés d’un Thomas d’Aquin
étaient en mesure de bien mieux saisir le sens et d’envisager bien
plus profondément les raisons de quelques uns des points de
doctrine les plus obscurs d’Aristote que nos modernes
historiens. » Et à l’égard de Trendelenburg : « Dans mon  Multiple
signification de l’étant selon Aristote, j’ai exposé cela pour le
principe de la division des catégories en telle sorte que
Trendelenburg, qui avait tout particulièrement étudié la chose et
polémisé abondamment contre mon traité, se déclara
persuadé »12.
 13 Die Psychologie des Aristoteles, insbesondere seine Lehre υom
νοῦς ποιητικός, Mainz, Kirchheim, 186 (...)

 14 Sur la controverse avec Zeller, éclatée à cause des


considérations critiques de Brentano dans la Ps (...)

13De même dans la thèse présentée pour obtenir la   venia legendi,


La psychologie d’Aristote, en particulier sa théorie
du νοῦς ποιητικός13, il montre son originalité par rapport à
Trendelenburg et à des spécialistes d’Aristote de son temps tels
que Christian Brandis, Félix Ravaisson, Ernest Renan et Eduard
Zeller, essayant une reconstruction systématique de la théorie
aristotelicienne de l’âme. Ici, et en général, son intérêt principal
est adressé moins à la restitution philologique qu’à la solution
théorique des problèmes abordés, ce qui le conduit parfois à
forcer les textes – comme dans le cas de l’essai   Sur l’action du
dieu d’Aristote  [Über das Wirken des Aristotelischen Gottes]
publié à la fin de la thèse d’habilitation, qui sera à l’origine d’un
différend avec Eduard Zeller14.
14En effet, l’explication avec Aristote fournit à Brentano le fil
conducteur pour mettre en place une recherche philosophique
orientée sur les choses elles-mêmes. La pensée d’Aristote devient
pour lui le modèle d’une recherches philosophique fidèle à l’esprit
et la méthode scientifique. En ce sens il n’hésite pas à intégrer
l’aristotélisme avec l’idée de science du positivisme (notamment
de Comte et de Stuart Mill). Ce qui explique le caractère de ses
recherches dans le domaine de la psychologie, où il pratique cet
idéal de science, et qui permet de voir la connexion entre ses
deux champs d’intérêt autrement séparés, la psychologie et
l’ontologie.
15Aristote devient donc le guide pour obtenir la rigueur
scientifique que Brentano – suivant la nouvelle conscience critique
de son temps – ne voit pas dans les constructions métaphysiques
du dernier idéalisme. En accord avec l’exigence méthodique de
son époque, Brentano veut se débarrasser des concepts idéalistes,
abstraits et vides, s’appuyant uniquement sur les faits de
l’expérience (Erfahrungstatsachen).
16Dans ce cadre, la psychologie reçoit une position éminente dans
le système des sciences. Elle devient une discipline fondamentale
et fondatrice, dont l’importance s’étend au dehors de son champ
épistémique spécifique. Par exemple dans les sciences historiques
– où s’affirme surtout grâce à Dilthey l’idéal d’un savoir
scientifique, objectif et rigoureux – elle est regardée comme
discipline paradigmatique dans la discussion sur la méthode
adéquate à la fondation de l’étude de l’histoire. Mais en
philosophie également, elle devient une discipline fondamentale,
jouant ici un rôle déterminant dans l’éclaircissement de la
constitution de l’expérience, dans l’explication de la connaissance
scientifique et même dans l’explication de ce que c’est la validité
logique. Le grand débat  pro et contra le « psychologisme » – qui
caractérise la discussion philosophique jusqu’au seuil du
XX  siècle – donne l’idée de l’importance de ce phénomène.
e

 15 Je renvois à l’approfondissement de la question que j’ai fait


dans : « War Franz Brentano ein Arist (...)

17La  Psychologie du point de vue empirique  se situe dans ce


contexte historique, où Brentano intègre la discussion autour de
la fonction philosophique fondatrice de la psychologie avec la
redécouverte d’Aristote15. Pour ce qui concerne en particulier le
fondation épistémologique de la psychologie, le facteur
déterminant est l’application de l’investigation de type naturaliste
au domaine du psychique. Les phénomènes psychiques
deviennent un objet d’observation et d’analyse scientifique au
même titre que les phénomènes physiques. Ce qui détermine la
naissance de la psychologie comme science ayant pour objet
la  psyché non plus comme substance simple mais comme la
totalité des phénomènes psychiques. Dans sa   Psychologie du
point de vue empirique, Brentano met au point pour la première
fois les problèmes concernant le concept, la méthode, les tâches
de cette nouvelle discipline, transformant la   psychologia
rationalis de type métaphysique dans une science fondé sur
l’expérience.
18Mais comment faut-il analyser la  psyché sur des fondements
scientifiques, c’est-à-dire sur des fondements contrôlables et
vérifiables ? Dans le système idéaliste des sciences philosophiques
– suivant Hegel – on confiait cette analyse à la phénoménologie,
l’héritière de la  psychologia rationalis. La nouvelle démarche
consiste en ceci, que l’on soumet à une analyse empirico-
scientifique non pas la  psyché, qui comme substance spirituelle
ne se laisse pas observer, mais les modalités dans lesquelles elle
se manifeste dans ses effets physiologiques. L’observation
empirico-scientifique de ces effets est la voie pour arriver à
établir les lois du psychique. Ce qui fait qu’au début la
psychologie scientifique est conçue et se développe comme
psychologie physiologique ou psychophysiologie. Les  Éléments
de psychophysique  [Elemente der Psychophysik, 1860] de
Theodor Gustav Fechner, et les  Principes de psychologie
physiologique  [Grundzüge der Physiologischen
Psychologie, 1873] de Wilhelm Wundt, qui précèdent d’un an
la  Psychologie de Brentano, sont les exemples les plus connus qui
témoignent l’effort d’assigner à la psychologie un statut
scientifique.
19Dorénavant la psychologie est considérée – selon la dite formule
paradoxale d’Albert Lange, reprise par Brentano – comme une
« psychologie sans âme ». Le domaine psychique – le mental, la
pensée, la conscience – est conçu comme l’objet d’une analyse
scientifique séparé du monde extérieur. Cette séparation
correspond évidemment à la séparation cartésienne entre   res
cogitans et  res extensa, à la différence près que le psychique
n’est plus considéré comme une substance spirituelle mais
comme l’ensemble des phénomènes accessibles à la perception
interne. En tant qu’homogènes à la conscience, ces phénomènes
sont considérés présents à l’esprit d’une évidence que Brentano
déclare « directe et non illusoire » (unmittelbar und untrügerisch)
– donc non pas d’une évidence simplement phénoménal comme il
arrive pour la perception externe. Brentano déduit donc de
l’homogénéité entre la perception interne et les phénomènes
psychiques l’évidence plus certaine de ceux-ci.
 16 On comprend donc pourquoi Brentano insiste sur la question de
l’immortalité de l’âme, une doctrine- (...)
20La tâche de la psychologie n’est plus par conséquent d’établir
les lois de la manifestation du psychique dans le physique, mais
de reconnaître et de classifier les faits de la vie psychique selon
un critère adéquat et homogène à la nature du psychique.
La  Psychologie du point de vue empirique  classifie les
phénomènes psychiques en trois classes : représentations,
jugements, émotions. Le premier livre définit la psychologie
comme discipline scientifique, le deuxième donne une classement
des actes psychiques. Brentano avait prévu quatre livres ultérieurs
qu’il n’arriva pas à écrire : le livres III-IV-V auraient dû traiter les
propriétés et les lois de trois types de phénomènes psychiques.
Un dernier livre aurait dû s’occuper de la connexion entre le
psychique et le corps pour établir finalement s’il y a une
continuation de la vie psychique après la dissolution du corps. Ce
qui suggère que le point de vue empirique ne signifie pas pour
Brentano de renoncer à traiter des questions métaphysiques 16.
21L’idée méthodologique selon laquelle la psychologie se fonde
sur des bases empiriques ne signifie donc pas que cette science
doive se borner aux faits empiriques, mais plutôt qu’elle doit
partir d’eux et que l’expérience doit être sa source première,
quoique non unique. Il déclare ainsi :
 17 « Die Aufschrift, die ich meinem Werke gegeben, kennzeichnet
dasselbe nach Gegenstand und Methode. (...)

L’intitulé que j’ai donné à mon œuvre la désigne d’après l’objet et la


méthode. Mon point de vue en psychologie est empirique : l’expérience
est ma seule maîtresse ; mais je partage avec d’autres la conviction
qu’une certaine intuition idéale est très bien conciliable avec un tel
point de vue.17

22Il s’agit donc de s’en tenir à l’expérience et a sa description


phénoménologique rigoureuse, au lieu de dériver la connaissance
du psychique à travers un processus de spéculation, d’idéalisation
ou de construction. La classification et l’analyse « empiriques »
des phénomènes psychiques doivent suivre une voie d’accès
originaire pour entrer dans leur champ d’objets, autrement dit
elles doivent s’en tenir à la nature et à l’essence même du
psychique.

3. La doctrine de la polysémie
de l’être et les catégories
23Quant à la doctrine de l’être, il faut distinguer entre la
reconstruction brentanienne de la doctrine d’Aristote, d’une part,
et le projet brentanien d’une ontologie ou doctrine des catégories,
qui se base largement sur Aristote, mais qui ouvre une
perspective tout à fait autonome.
 18 La valeur de cet ouvrage est témoignée par les traductions qu’on
en a fait dans les derniers temps  (...)

24L’originalité de Brentano vient au jour déjà dans sa dissertation


de doctorat  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach
Aristoteles18. En dépit du jeune âge de l’auteur, il ne s’agit pas
seulement d’un travail de présentation, mais d’une tentative de
structurer et de résoudre les apories de la difficile doctrine
aristotélicienne de la polysémie de l’être. Un travail, donc, qui
occupa tout de suite une place importante dans les études
aristotéliciennes de l’époque et qui a conservé intacte sa valeur.
25En fait, Brentano entreprend un aperçu concis mais très efficace
de la théorie aristotélicienne de l’être, à partir de la célèbre
affirmation que l’étant se dit selon des significations multiples (τὸ
ὂν λέγεται πολλαχῶς) et essayant de trouver un critère pour
articuler et déterminer cette multiplicité. Comme on sait, la
particularité de cette doctrine consiste en ceci : que l’être, tout
ayant des significations multiples, ne se dit ni selon une
homonymie absolue (il n’est pas multivoque selon le hasard,
ὁµώνυµον ἀπὸ τύχης) ni selon une synonymie complète (il n’est
pas univoque, συνώνυµον ἀπλῶς). Sa polysémie se situe entre
ces deux extrêmes : il est multivoque selon un certain critère
(ὁµώνυµον ἀπὸ διανοίας).
 19 Voir les études fondamentales de Jean-François Courtine, Les
catégories de l’être. Études de philos (...)

26On connaît la solution scolastique du problème : c’est la


doctrine de l’analogia entis. L’être n’est ni univoque ni plurivoque,
mais il se dit selon des significations multiples articulées et
coordonnées selon une analogie. La polysémie de l’être est donc
réglée par l’unité de l’analogie. Mais la doctrine de la   analogia
entis est assez controversée soit dans son contenu théorique soit
dans son origine historique, et elle attend encore une étude qui
fasse définitivement clarté19.
27Dans sa monographie Brentano présente une analyse
systématique des significations multiples de l’être, les
reconduisant à quatre significations fondamentales, donc
réduisant le πολλαχῶς à un τετραχῶς. Mais quelles sont-elles ?
Et dans quel ordre et selon quelle organisation réciproque faut-il
les concevoir ? Il y a là un premier problème. Car Aristote affirme
la polysémie de l’être en plusieurs occurrences, notamment dans
les livre Gamma, Delta, Epsilon et Zeta, et à chaque fois il en
donne une articulation différente : Dans le livre Gamma (2, 1003 b
6 sqq.) il distingue quatre types d’étants :
1. Les étants qui sont des substances (οὐσίαι).
2. Les étants qui possèdent une existence déterminée et accomplie
mais qui n’ont pas une subsistance propre (πάθη οὐσίας,
ποίοτητες, ποιητικά, γεννητικά).
3. Les étants en mouvement en tant qu’ils vont vers la génération
(ὁδὸς εἰς οὐσίαν) ou vers la corruption (εἰς ϕθοράν). Ce sont des
étants qui existent au dehors de l’esprit, réels, mais qui n’ont
aucune existence déterminée et accomplie.
4. Les étants qui ne possèdent aucune forme d’existence au dehors
de l’esprit, à savoir les privations (στερήσεις) et les négations
(ἀποϕάσεις). En ce sens même du néant on peut dire qu’il « est »,
et qui serait en ce sens l’étant au statut le plus faible.

28Dans le livre Delta (7, 1017 a sqq.) la quadripartition est


effectuée suivant un autre critère. Il y a ici :
1. le ὂν κατὰ συµβεβηκός et le ὂν καθ’ αὑτό
2. celui-ci est identifié au ὄν κατά τὰ σχήµατα τῆς κατηγορίας,
3. le ὂν ὡς ἀληθές,
4. le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ.

29Dans le livre Epsilon (2, 1026 a sqq.) la quadripatition est


foncièrement la même, mais elle est modifiée de la manière
suivante. On y trouve :
1. le ὂν κατὰ συµβεβηκός,
2. le ὂν ὡς ἀληθές,
3. le ὂν κατὰ τὰ σχήµατα τῶν κατηγοριῶν,
4. le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ.

30Au début du livre Zeta (1, 1028 a 10 sqq.) il y a une autre


articulation encore, qui est effectuée διχῶς :
1. la première signification est celle du τί ἐστιν et du τόδε τι,
2. la seconde est celle de la qualité (ποιόν), de la quantité (ποσόν)
et des autres déterminations catégoriales.

31Or, Brentano considère comme déterminante et complète


l’articulation proposée dans le livre Epsilon, et il la prend comme
base pour son exposition, analysant pourtant dans sa dissertation
la signification catégoriale de l’être comme la dernière et comme
la plus importante. D’où la distribution des chapitres de son livre.
Après le chapitre d’introduction, il traite :
1. dans le chapitre II : le ὂν κατὰ συµβεβηκός,
2. dans le chapitre III : le ὂν ὡς ἀληθές,
3. dans le chapitre IV : le ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ,
4. dans le chapitre V : le ὂν κατὰ τὰ σχήµατα τῶν κατηγοριῶν.
 20 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, p. 5.

32Or, Brentano déclare que la doctrine de la polysémie de l’être


est la porte d’accès à la métaphysique20. Mais toutes les
significations de l’être ne ressortissent pas de plein droit à la
métaphysique. Seules les significations authentiques qui
constituent l’objet de la métaphysique au sens propre. Et donc la
tâche préalable est celle de séparer les significations authentiques
des celles inauthentiques.
 21 Cf. Brentano, Über Aristoteles, op. cit., p. 155 sqq.

33Mais quel est le critère pour ce faire ? En d’autres termes :


comment établir ce qui appartient au domaine métaphysique et ce
qui en est exclu ? Le critère adopté est celui du « réel » (distingué
de l’« objectif », terme par lequel Brentano indique ce qui existe
uniquement dans la dimension mentale). Seul l’étant réel – à
l’exclusion du mental – est à plein titre l’objet de la métaphysique,
tandis que ce qui existe seulement dans la pensée ne possède pas
une dignité métaphysique. Par conséquent la métaphysique est
définie soit comme « science de l’étant en tant qu’étant »
[Wissenschaft vom Seienden als Seiendem] soit comme « science
du réel en tant que réel » [Wissenschaft vom Realen als Realem ]21.
Et seulement l’étant selon les catégories et l’étant en acte et en
puissance sont des significations authentiques qui entrent de
plein droit dans l’investigation métaphysique. Par contre l’étant
par accident et l’étant comme vrai n’y entrent pas. L’étant par
accident car il n’existe pas en soi, mais uniquement par les biais
d’un autre, l’étant comme vrai car il n’existe que dans la pensée.
34En outre, parmi les significations authentiques de l’être,
Brentano considère celle selon les figures catégorielles comme
étant la principale et la déterminante. Ce qui implique que la
doctrine de l’être se laisse foncièrement reconduire à la doctrine
des catégories, notamment à la doctrine de la substance (οὐσία)
conçue comme la première catégorie. L’ontologie est donc
ousiologie : l’être est re(con) duit dans l’horizon de la substance,
et la substance dans l’horizon du catégoriel.
35Ce qui soulève des questions : quel est en effet le rapport entre
l’être et les catégories ? Qu’est-ce que la catégorialité de l’être ?
Peut-on dire que la significativité de l’être soit entièrement
réductible à la dimension catégoriale ? Ou y-a-il des dimensions
de l’être qui ne se laissent pas réduire à celle-ci ?

4. La « déduction »
brentanienne des significations
de l’être
 22 Immanuel Kant, Kritik der reinen Vernunft, A 81, B 107.

36L’aspect les plus original de l’interprétation brentanienne, qui


fut remarqué déjà à l’époque, est l’effort de trouver un fil
conducteur qui permette de considérer la table des significations
catégorielles de l’être non pas comme un catalogue casuel, mais
comme une classification systématique. Contre la critique
kantienne selon laquelle Aristote aurait recueilli sa table des
catégories de manière rhapsodique et par hasard 22, Brentano
essaie de montrer que les multiples significations catégorielles de
l’étant peuvent être déduites du concept unitaire de l’être en tant
qu’elles dérivent de son articulation systématique, sans qu’elle
soient pourtant conçues comme des espèces d’un genre unique.
37Cet effort a évidemment une valeur polémique. Il est adressé
contre les trois interprétations dominantes à l’époque,
celle  logique, celle  linguistico-grammaticale et
celle  ontologique, avec lesquelles il est en débat. Ce sont
notamment :
1.
 23 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, cit., p. 76.

 24 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden


nach Aristoteles, cit., p. 80.

Celle de Christian August Brandis (Handbuch der Geschichte der


griechisch-römischen Philosophie, 6 vol., 1835-66) et de Eduard
Zeller, qui dénient la nécessité d’établir un principe pour une
déduction rigoureuse, et qui soutiennent  une interprétation
logique : les catégories ne sont pas des concepts réels, mais
uniquement les schèmes dans lesquels les concepts réels doivent
être ordonnés et catalogués. Elles offrent les aspects ou les
perspectives d’où chaque objet possible doit être considéré. Elles
forment donc la structure, le  Fachwerk, par lequel on distingue et
on classifie les objets23. Cette interprétation sous-estime selon
Brentano la dimension ontologique des catégories, qui ne sont pas
uniquement des concepts, mais également les genres suprêmes de
l’être24.
2.
 25 « Zunächst fehlt eine Erklärung über den Ursprung der
Kategorien. Man sieht nicht, woher sie kommen (...)

 26 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden


nach Aristoteles, p. 184, 200.

Celle de Adolf Trendelenburg (De Aristotelis


categoriis, 1833 ;  Elementa logicae Aristoteleae, 1836 ;  Geschichte
der Kategorienlehre, 1846), Franz Biese (Die Philosophie des
Aristoteles, 1835) et Hermann Waitz, qui soutiennent l’origine
grammaticale des catégories. Donc  une interprétation linguistico-
grammaticale. Les catégories sont notamment les concepts
suprêmes considérés par rapport au jugement comme des prédicats
possibles. Trendelenburg avait notamment essayé de montrer la
connexion interne qui subsiste parmi les catégories suivant la
structure du langage comme critère déterminant, et il l’avait cernée
en particulier dans les connexions grammaticales entre le sujet,
l’attribut, le prédicat, le verbe et l’adverbe, qui préfigurent celle
logique. Les catégories ont donc une origine grammaticale, et elles
sont engendrées par l’articulation du jugement dans ses parties qui
peuvent subsister même au dehors du jugement (τὰ ἄνευ
συµπλοκῆς). Ce fut d’ailleurs Trendelenburg qui reprit et relança
l’objection kantienne selon laquelle la table aristotélicienne des
catégorie serait casuelle. Il remarque à ce propos : « Il manque
d’abord une explication de l’origine des catégories. On ne voit pas
d’où elles viennent et où elles vont. C’est pourquoi Kant les a
considérées comme ‘ramassées’ et Hegel comme une simple
‘collection’ »25. Brentano ne refuse pas cette interprétation, mais il
en souligne l’unilatéralité26.
3. Celle d’Hermann Bonitz (Über die Kategorien des
Aristoteles, 1853) et d’Heinrich Ritter, qui est  une interprétation de
type ontologique : les catégories sont les genres suprêmes de l’être,
indépendamment de la possibilité qu’ils soient des prédicats. Elles
constituent les significations réelles de l’être obtenues par
induction, afin d’organiser les représentations empiriques.

38Se rapprochant de cette troisième interprétation, Brentano


propose de considérer les catégories comme :
1. des concepts réels,
2. des significations analogiques de l’être articulées selon l’analogie
de proportionnalité et selon l’analogie par rapport au même terme,
3. les genres suprêmes de l’être,
4. les prédicats suprêmes de la substance première.
 27 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, chapitre V, par. 12, 13 (...)
39Le point crucial de l’interprétation brentanienne est la tentative
de contester l’objection kantienne reprise par Trendelenburg,
montrant qu’on peut bien trouver chez Aristote un critère pour la
classification des catégories : il consisterait dans une
« déduction » de celles-ci à partir du concept d’être 27. Bien
qu’Aristote n’en fasse jamais mention, Brentano suppose donc
que la division des catégories ait été faite selon une déduction
diairétique. Il serait impensable – voici son argumentation –
qu’Aristote, ayant la possibilité d’une preuve syllogistique (πίστις
διὰ συλλογισµοῦ) se soit servi seulement d’une preuve inductive
(πίστις διὰ τῆς ἐπαγωγῆς). En plus l’expression qui revient
plusieurs fois « les catégories qui furent partagées » (αἱ
διαιρεθεῖσαι κατηγορίαι,  An.
prior. I, 37 ;  Top. IV, 1 ;  de
anima I, 1, 402 a 24 ; 5, 410 a 14) suggère explicitement une
dérivation ou division des catégories à partir de l’être. Elles
seraient donc établies par les biais d’une véritable partition de
l’être (διαίρεσις τοῦ ὄντος).
40Il faut pourtant préciser le sens de « déduction ».  Deduktion est
le terme employé chez Kant pour indiquer le processus qui fournit
l’épreuve de l’origine et de l’articulation des catégories, et
précisement au sens d’un  Beweis des Rechtsanspruchs, donc au
sens juridique de « légitimation » ou « justification ». Kant
distingue en outre la  Deduktion de l’Exposition, qui est
uniquement l’indication du contenu. « Déduction des catégories »
signifie alors justification transcendantale – pas empirique et pas
métaphysique – de leur origine à partir des formes du jugement.
 28 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, p. 4 sq, 96 sq., 135.

41Brentano a sans doute présent à l’esprit l’emploi kantien du


terme, sauf que dans sa déduction il ne prend pas son départ du
jugement mais du concept général d’être pour le partager dans
ses significations multiples : comme si l’être était un genre et ses
significations multiples ses espèces. La possibilité de déployer la
métaphysique comme science de l’être – ou science du réel –
dépend de la possibilité que l’être exerce par rapport aux
différentes catégories la même fonction d’un genre, sans pourtant
l’être28. Cette fonction serait garanti par l’analogie.
42Pour le comprendre, il faut rappeler la quadripartition de la
polysémie de l’être du livre Gamma, que nous citons dans la
traduction donnée par Brentano lui-même :
 29 « Einiges wird Seiendes genannt, weil es Substanz, anderes, weil
es Eigenschaft der Substanz, wiede (...)

Telle chose est dite un étant parce qu’elle est une substance, telle autre
parce qu’elle est une propriété de la substance, telle autre encore parce
qu’elle est un acheminement vers la substance, ou une corruption de la
substance, ou une privation des formes substantielles, ou une qualité
de la substance, ou bien parce qu’elle est une cause efficiente ou
génératrice soit d’une substance soit de ce qui est nommé relativement
à une substance, ou enfin parce qu’elle est une négation de quelqu’une
des qualités d’une substance, ou de la substance même. C’est
pourquoi nous disons que même le non-être est, il  est non-être.29

43Dans ce passage, il est évident que la signification


fondamentale à laquelle les autres doivent être reconduites est la
substance, laquelle est donc l’étant au sens véritable et premier.
La substance est donc le sujet légitime de la métaphysique. Les
autres significations de l’être sont « étant » dans la mesure où
elles se rapportent à la substance, autrement dit elles dérivent
leur existence de l’être de la substance, qui est le substrat des
toutes les autres déterminations catégorielles. Or, ce qui offre
d’après Brentano un critère pour déduire la table des catégories à
partir du concept de l’être substantiel ce sont les modalités
différentes selon lesquelles les catégories sont dans la substance,
donc les modalités d’inhérence des catégories dans la substance.
44Comment effectue Brentano sa déduction ? Voici ce qu’il déclare
à propos de cette opération :
 30 « Der deduktive Beweis für die Kategorieneinteilung muß
beginnen mit dem Unterschiede zwischen Subs (...)

La preuve déductive de la subdivision des catégories doit commencer


par la différence entre substance et accident. La première n’admet pas
de plus ample subdivision, tandis que la seconde se laisse répartir dans
les deux classes des accidents absolus et des relations, la première de
ces deux classes se subdivisant à son tour en inhérences, affections et
circonstances extérieures.30

45C’est-à-dire : Brentano déduit du concept général de l’être les


deux modes fondamentaux de l’étant :
1. l’être de la substance (οὐσία) et
2. l’être de l’accident (συµβεβηκός).

46La première modalité n’est pas susceptible de divisions


ultérieures, tandis que la deuxième, l’être accidentel, peut être
articulée selon des modalités successives, à savoir :
2.1) les accidents absolus ou affections (πάθη),
2.2) les relations (τὰ πρός τι).
47Les affections, à leur tour, se rapportent à la substance :
2.1.1) en tant qu’elles sont « en elle », « inhérentes »,
ἐνυπάρχοντα : c’est le cas du ποσόν et du ποιόν ;
2.1.2) en tant qu’elles concernent des mouvements (ποιεῖν et
πάσχειν) ;
2.1.3) en tant qu’elles sont tirées de quelques chose d’extérieur
comme τὰ ἔν τινι (πού et ποτέ).
48Brentano obtient par cette déduction systématique la table
complète des catégories : οὐσία, ποσόν, ποιόν, ποιεῖν, πάσχειν,
πού, ποτέ, πρός τι.
49L’unité analogique des catégories – qui sont dites en relation à
une unité et selon une certaine nature (πρὸς ἓν καὶ µίαν τινὰ
ϕύσιν), donc suivant une homonymie non accidentelle (ἀπὸ
τύχης) mais intentionnelle (ἀπὸ διανόιας), qui se situe entre la
synonymie ou univocité et l’homonymie totale réduite au hasard –
est interprétée selon une acception forte, où les catégories
indiquent des modalité d’être dans la substance ( Existenzweisen,
Inhärenzen, Inexistenzen).
50Quoique l’être ne soit pas un genre, il possède selon Brentano
une unité analogique serrée, jouant en tant que tel la fonction
d’un terme unitaire compréhensif par rapport à ce qui existe
comme inhérent à lui, et ceci d’une façon comparable aux
différences spécifiques qui existent dans un genre dont elles
constituent l’articulation. « Comparable » mais non pas identique,
car :
 31 « Die Einteilung in die Kategorien ist die Einteilung keiner
synonymen, sondern einer analogen Einh (...)

La division en catégories n’est pas la division d’une unité synonymique,


mais analogue ; par conséquent elles ne sont pas déterminées dans
leurs parties singulières par des différences spécifiques, mais par des
modes d’existence spécifiques, par le rapport différent à la substance
première dont les catégories sont prédiquées.31

51En ce sens Brentano déclare :


 32 « Es gibt so viele Kategorien, als es Weisen gibt, in denen die
Dinge in ihrem Subjekte existieren  (...)

Il y a autant de catégories qu’il y a de façons pour les choses d’exister


en un sujet.32
 33 Cf. Brentano, Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden
nach Aristoteles, chapitre V, par. 14.

52Cette solution laisse transparaître des influences scolastiques


évidentes – Brentano remonte au demeurant explicitement à saint
Thomas33 – qui apparaissent en toute clarté dans la tendance
implicite à concevoir l’être comme le terme ultime auquel
l’analogie des étants se rapporte et à partir duquel les autres
déterminations catégoriales peuvent être déduites, comme si
l’être était un genre – hypothèse qui doit être présupposée dans
toute tentative de diviser les catégories à partir de l’être. Ce qui
fait que Brentano donne l’impression d’aller contre l’interdiction
explicite d’Aristote, mais en réalité ne le fait pas. Il évite en effet
de réduire l’être à un genre, car il connaît bien l’interdit d’Aristote
et il ne veut pas le violer. Donc il échappe à la difficulté concevant
les différences entre les catégories non pas comme différence
spécifiques (spezifische
Differenzen), qui résulteraient de
l’articulation d’un genre, mais comme différentes modalités
d’existence (Existenzweisen).

5. L’issue dans l’univocité


53Pierre Aubenque, dans son livre classique sur  Le problème de
l’être chez Aristote, a souligné les limites de la déduction
brentanienne des catégories à partir de l’être. Il objecte à
Brentano :
1. Qu’Aristote présente les catégories comme les significations
multiples de l’être  par soi…, ce qui exclut que les catégories autres
que l’essence soient les divisions de l’être  par accident ;
2. Que les catégories autres que l’essence ne peuvent être
considérées comme des divisions de l’accidentalité, parce que
l’accident ne se laisse pas connaître, ni par conséquent diviser [...] ;
3.
 34 P. Aubenque, Le problème de l’être chez Aristote, Paris, PUF,
1962, p. 197.

Que la classification de Brentano confond  distinction de sens


et  division. D’une façon générale, une division de l’être supposerait
qu’il fût un genre, ce qu’Aristote nie constamment. Cette seule
considération suffit… à ruiner toute tentative pour chercher un
principe de classification des catégories.34

54Quant au premier point, en vérité Brentano ne mêle pas l’être


par accident et les catégories comme accidents qui sont inhérents
à la substance.
55Quant au deuxième point, il faut dire qu’il ne s’agit pas de
diviser ou de connaître l’accidentalité dans ses contenus casuels
imprévisibles, mais de déterminer le concept d’être accidentel par
rapport à l’être essentiel, et d’en préciser les différentes
manifestations et modalités.
56C’est avec la troisième critique qu’Aubenque cerne – me
semble-t-il – le véritable problème qui affecte la déduction
brentanienne des catégories, et il me semble que du point de vue
aristotélicien Aubenque a raison : il est impossible d’organiser à
partir de l’être une déduction systématique de ses significations.
57On peut y ajouter en outre que le dernier Brentano, développant
ses recherches ontologiques, aboutira à la thèse que l’être est un
concept doué d’une unité forte et qu’il se dit au fond dans un
sens univoque. Certes, il serait fatal qu’exploiter cette thèse
conclusive pour interpréter sa pensée de jeunesse, projetant donc
l’adhésion du dernier Brentano à la   univocatio entis sur le
premier, qui est encore fidèle à la théorie thomiste de l’ analogia
entis. Toutefois, son interprétation jointe à la tentative d’une
déduction diairétique des catégories révèle une tendance dont les
conclusions finales sont la manifestation la plus explicite.
6. L’influence sur Heidegger
 35 Cf. M. Heidegger, Préface, in W. Richardson, Heidegger,
Through Phenomenology to Thought, The Hague (...)

58Heidegger fut influencé – comme lui-même le déclare 35 – par la


lecture de la dissertation de Brentano, qu’il entreprit dès la fin de
ses années de lycée. Face à l’exposition brentanienne de la
doctrine aristotélicienne de la polysémie de l’être, il se posa
bientôt le problème du fondement de cette polysémie dans la
forme de la question suivante : si l’étant se dit selon des
significations multiples, y-a-t-il un sens fondamental, une unité
de l’être, à laquelle cette plurivocité peut être reconduite comme à
son fondement ? Par la suite, comme on sait, Heidegger reprendra
le problème dans une question encore plus radicale, celle de la
différence ontologique : y-a-t-il par delà les étants un être
différent d’eux ?
59La lecture de l’interprétation brentanienne d’Aristote est donc
déterminante non seulement pour orienter l’intérêt philosophique
du jeune Heidegger vers la problématique de l’être, mais aussi
bien pour le conduire a focaliser le problème de l’ontologie dans
les termes d’une interrogation qui sollicite la multiplicités des
étants pour envisager la question de l’être et de son unité.
60En d’autres termes : Heidegger s’intéresse très tôt à la position
du problème de l’être présentée par Brentano, mais il ne s’arrête
pourtant pas à la solution brentanienne. Il ne partage pas la
réduction de l’ontologie à l’ousiologie, car elle signifie à ses yeux
la contrainte de l’être dans les limites du catégorial. Et c’est
justement dans la direction opposée qu’il oriente sa recherche :
franchir les limites du catégorial et ouvrir le problème de l’être
dans toute son amplitude et sa profondeur.
61Dans le cours du semestre d’été 1931 il résume sa critique à la
conception traditionnelle en ces termes :
 36 « Man hat aus dem obigen Satz von Met. E 1 Anf. schon im
Mittelalter geschlossen, die erste leitend (...)

Dès le Moyen Âge, on a tiré de la proposition du début de   Met. E 1 que


la première signification fondamentale dominante de l’être en général –
y compris pour les quatre modes pris ensemble, et non seulement pour
l’un et sa multiplicité – était l’ousia, que l’on a pris l’habitude de
traduire par ‘ substance’. Comme si l’être possible, l’être réel et l’être
vrai devaient être reconduits à l’être au sens de la substance. Au
XIX  siècle, on a été (et surtout Brentano) d’autant plus tenté de le faire
e

que l’être, l’être possible, l’être réel avaient été reconnus comme étant
des catégories. C’est donc une opinion très répandue que la doctrine
aristotélicienne de l’être est une ‘doctrine de la substance’.36

62Il faut se poser alors la question : la doctrine aristotélicienne de


l’être est-elle réductible à une ousiologie ? Certainement oui, si en
tant que métaphysique elle doit s’occuper uniquement des
significations authentiques, c’est-à-dire réelles, de l’être, ce qui
semble être le cas dans l’interprétation du jeune Brentano. Mais,
au delà de celles-ci, Brentano considérera plus tard également les
significations « inauthentiques », « objectives », synsémantiques,
copulatives, qui deviendront de plus en plus importantes dans sa
réforme de la doctrine aristotélicienne des catégories, et qui
seront traitées davantage par ses élèves tels que Husserl, Marty,
Meinong.
 37 Je me permets de renvoyer à mes travaux : Heidegger e
Brentano, Padoue, Cedam, 1976 ; « La disserta (...)

63Étant donnée la réduction ousiologique de l’ontologie dans la


thèse de doctorat, l’intéressant est de voir comment Heidegger
exploite le problème posé par Brentano pour déployer à partir
de 1919 une nouvelle lecture phénoménologique d’Aristote et
pour tracer son chemin philosophique original. Insatisfait par la
solution ousiologique – que Brentano lui-même dépassera –
Heidegger dégage dans les cours des années vingt une recherche
systématique visant à établir laquelle parmi les quatre
significations des l’être peut avoir la fonction de signification
fondamentale. La centralité de la question de la vérité dans ces
cours montre à l’évidence qu’il croit pouvoir la cerner dans la
signification de l’étant comme vrai (ὂν ὡς ἀληθές), tandis que
plus tard, à partir des années trente, il essayera de la voir dans
l’étant selon la puissance et l’acte (ὂν δυνάµει καὶ ἐνεργείᾳ). Ce
que j’ai essayé de montrer plus en détail ailleurs 37.
NOTES
1 Psychologie vom empirischen Standpunkt (Leipzig, Duncker &
Humblot, 1874) ; Hamburg, Meiner, 1973 [réimpression de l’édition
de 1924]. Pour la citation de Lange cf. vol. I, p. 16. La distinction entre
psychologie descriptive ou psychognosie et psychologie génétique
n’est pas encore formulée avec clarté dans la  Psychologie de 1874,
mais Brentano opère déjà avec elle. Sur ce problème Brentano donna
plusieurs cours (sous l’intitulé de  Psychognosie) en 1887/88, 1888/89
et 1890/91 ; ces cours ont été publiés sous le titre  Deskriptive
Psychologie, éd. Roderick M. Chisholm et Wilhelm Baumgartner,
Hamburg, Meiner, 1982. Brentano écrivait en 1895 à propos de cette
distinction : « Meine Schule unterscheidet eine  Psychognosie und
eine  genetische Psychologie (in entfernter Analogie zur Geognosie und
Geologie). Die eine weist die sämtlichen letzten psychischen
Bestandteile auf, aus deren Kombination die Gesamtheit der
psychischen Erscheinungen wie die Gesamtheit der Worte aus den
Buchstaben sich ergibt. Ihre Durchführung könnte als Unterlage für
eine  characteristica universalis, wie Leibniz und vor ihm Descartes sie
ins Auge gefaßt haben, dienen. Die andere belehrt uns über die
Gesetze, nach welchen die Erscheinungen kommen und schwinden »
(Meine letzten Wünsche für Österreich, Stuttgart, Cotta, 1895,
p. 34). Sur les caractères et la tâche de la psychologie descriptive cf.
Wilhelm Baumgartner, « Die Rolle der deskriptiven Psychologie Franz
Brentanos am Beispiel der Wahrnehmung », dans :  La scuola di
Brentano, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 5-25.

2 « Mein Brentano ist der des Aristoteles ! », Cf. Martin


Heidegger,  Seminare, Gesamtausgabe, vol. 15, Frankfurt a. M.,
Klostermann, 1986, p. 385-386. Comme on verra, Heidegger a tout à
fait raison de se réclamer du Brentano aristotélicien, mais il faut quand
même dire que dans son premier livre, la thèse de doctorat  Die Lehre
vom Urteil im Psychologismus (1913), il consacre un chapitre important
de son travail au Brentano psychologue.

3 Cf. Roderick M. Chisholm,  Brentano and Meinong


Studies, Amsterdam, Rodopi, 1982, p. 3-16.

4 Voir Barry Smith,  The Legacy of Franz Brentano, Chicago et Lassalle,


Open Court, 1994 ; Jocelyn Benoist,  Phénoménologie, sémantique,
ontologie. Husserl et la tradition logique autrichienne,  Paris, Puf,
1997 ;  Id. (éd.), « Brentano et son école », dans :  Les Études
philosophiques, janvier-mars 2003.

5 Voir la monographie fondamentale de Mauro Antonelli,  Alle radici del


movimento fenomenologico. Psicologia e metafisica nel giovane Franz
Brentano, Bologna, Pitagora, 1996 (éd. allemande :  Seiendes,
Bewußtsein, Intentionalität im Frühwerk von Franz Brentano,  Freiburg
et München, Alber, 2001).

6 Franz Brentano, « Die Habilitationsthesen » (1866), in Id.,  Über die


Zukunft der Philosophie, mit Anmerkungen hg. von Oskar Kraus, neu
eingeleitet von Paul Weingartner, Hamburg, Meiner, 1968 [première
édition : Leipzig, Meiner, 1929], p. 136-137. Il ajoute égalemente la
thèse :  Philosophia neget oportet, scientias in speculativas ac exactas
dividi posse  ; quod si non recte negaretur, esse eam ipsam jus non
esset.

7 Ce terme se trouve chez Oswald Külpe, mais également chez


Theodor Gustav Fechner, Hermann Lotze et Eduard von Hartmann. Cf.
les notes d’Oskar Kraus dans Franz Brentano,  Über die Zukunft der
Philosophie, p. 166, 168. Dans ce texte, qui contient un exposé
de 1893, Brentano revient sur la quatrième thèse (IVI, p. 30 sqq.).

8 « Brentanos waren uns zu sehen nach Vulpera gekommen und


ebenso sein Wiener Bruder, mit dem ich philosophiert habe. Er ist
ein  mittelalterlicher Metaphysiker geblieben »,  Briefwechsel zwischen
Wilhelm Dilthey und dem Grafen Paul Yorck von Wartenburg 1877-
1897, Halle a. S., Niemeyer, 1923, p. 26.

9 Je renvois sur ce point à ce que j’ai écrit dans « Il problema della
coscienza del tempo in Brentano », dans :  Vittorio Benussi nella storia
della psicologia italiana, éd. G. Mucciarelli, Bologna, Pitagora, 1987,
p. 65-104 ; « The Experience of Temporal Objects and the Constitution
of Time-Consciousness by Brentano », dans :  The Objects and its
Identity, Dordrecht, Kluwer, 1989, p. 127-39 ; « Coscienza del tempo e
temporalità della coscienza da Brentano a Husserl », dans :  Magazzino
di filosofia, 2, 2001, n. 4, p. 45-71.

10 Cf. Stefano Poggi,  I sistemi dell’esperienza. Psicologia, logica e


teoria della scienza da Kant a Wundt, Il Mulino, Bologna, 1977.

11 Cf. Maurizio Mangiagalli, « Il circolo filologico di Berlino e la


riscoperta del pensiero aristotelico nella seconda metà del secolo XIX »,
dans :  L’atto aristotelico e le sue ermeneutiche, Roma, Herder, 1990,
p. 201-229.

12 « Die verachteten Kommentare eines Thomas von Aquin konnten


einige der dunkelsten Lehrpunkte im Aristotelischen System viel
richtiger in ihrem Sinn und viel tiefer in ihren Gründen erfassen als
unsere modernen Historiker » ; « In meiner  Mannigfachen Bedeutung
des Seienden nach Aristoteles habe ich dies für das Prinzip der
Kategorieneinteilung in einer Weise dargetan, daß Trendelenburg, der
die Frage ganz besonders studiert hatte und gegen den meine
Abhandlung ganze Bogen polemisierte, sich für überzeugt erklärte », F.
Brentano,  Über Aristoteles, cit., p. 13.
13 Die Psychologie des Aristoteles, insbesondere seine Lehre υom νο ῦς
ποιητικός, Mainz, Kirchheim, 1867.

14 Sur la controverse avec Zeller, éclatée à cause des considérations


critiques de Brentano dans la  Psychologie des Aristoteles à propos de
la  Philosophie der Griechen de Zeller, cf. l’introduction de Rolf George
dans Franz Brentano,  Aristoteles Lehre vom Ursprung des
menschlichen Geistes, Hamburg, Meiner, 1980 [première édition :
Leipzig, Veit, 1911], qui réunit  Über den Creatianismus des
Aristoteles [première édition : Wien, Tempsky, 1882] et les répliques de
Brentano. Voir encore : Rolf George, « Brentano’s Relation to
Aristotle », dans : Roderick M. Chisholm et Rudolf Haller (éds.),   Die
Philosophie Franz Brentanos. Beiträge zur Brentano-Konferenz Graz, 4.
-8. September 1977, Amsterdam, Rodopi, 1978, p. 249-266 ; Enrico
Berti, « Zeller e Aristotele »,  Annali della Scuola Normale Superiore di
Pisa, s. III, vol. XIX, 3, 1989, p. 1233-54. Brentano publia
également  Aristoteles und seine Weltanschauung, Leipzig, Quelle &
Meyer, 1911, réédité avec une introduction de Roderick M. Chisholm,
Hamburg, Meiner, 1977. D’autres écrits sur le Stagirite ont été publiés
postumes par Franziska Mayer-Hillebrand dans la  Geschichte der
griechischen Philosophie, Bern et München, Francke, 1963, p. 215-
309, et par Rolf George :  Über Aristoteles. Nachgelassene
Aufsätze, Hamburg, Meiner, 1986.

15 Je renvois à l’approfondissement de la question que j’ai fait dans :


« War Franz Brentano ein Aristoteliker ? Zu Brentanos und
Aristoteles’Psychologie als Wissenschaft », dans :  Die Brentano. Eine
europäische Familie, éds. Konrad Feilchenfeldt et Lucio Zagari,
Tübingen, Niemeyer, 1992, p. 129-45.

16 On comprend donc pourquoi Brentano insiste sur la question de


l’immortalité de l’âme, une doctrine-pilier dans la psychologie
rationnelle traditionnelle. Cf. Brentano,  Psychologie vom empirischen
Standpunkt, cit., vol. I, préface et p. 21 sqq. (sur l’immoralité de l’âme
chez Platon et Aristote), et p. 105-106 (sur la méthode à suivre dans
l’investigation de l’immortalité de l’âme). La position de Brentano sur
ce dernier problème est assez claire : « Auch bei der Untersuchung
über die Unsterblichkeit wird das Verfahren ein deduktives sein, und
die Deduktion auf allgemeine Tatsachen sich stützen, die in früheren
Erörterungen induktiv festgestellt wurden. Die Forschung [...] wird
offenbar einen neuen Charakter annehmen müssen. Sie wird einerseits
nicht umhin können, auf einige Gesetze der Metaphysik, mehr als es
sonst eine phänomenale Psychologie tut, Rücksicht zu nehmen ; und
andererseits wird auch von den Ergebnissen der Physiologie hier mehr
noch als in den früheren Untersuchungen Anwendung zu machen sein.
[...] ob es uns freilich möglich sein wird, durch Induktion auf
psychischem Gebiete allgemeine Tatsachen zu finden, welche für eine
Deduktion zur Entscheidung der Unsterblichkeitsfrage die Prämissen
liefern ; ob wir nicht genötigt sein werden, so tief in die Metaphysik
einzugehen, daß der sichere Pfad in unbestimmten, haltlosen
Träumereien sich verliert ; ob nicht auch die Tatsachen, welche wir der
Physiologie zu entlehnen haben, bei dem jetzigen Zustande dieser
Wissenschaft, auf allzuwenig Vertrauen Anspruch machen können : –
das sind Fragen, die wohl nicht mit Unrecht aufgeworfen werden
dürften, über die aber hier zu entscheiden nicht des Ortes ist ».

17 « Die Aufschrift, die ich meinem Werke gegeben, kennzeichnet


dasselbe nach Gegenstand und Methode. Mein Standpunkt in der
Psychologie ist der empirische : die Erfahrung allein gilt mir als
Lehrmeisterin : aber mit anderen teile ich die Überzeugung, daß eine
gewisse ideale Anschauung mit einem solchen Standpunkte wohl
vereinbar ist ».  Ibid.

18 La valeur de cet ouvrage est témoignée par les traductions qu’on en
a fait dans les derniers temps :  On the Several Senses of Being in
Aristotle, ed. and transl. Rolf George, Berkeley, University of California
Press, 1976 ;  Les significations de l’être, trad. de Pascal David, Paris,
Vrin, 1992 ;  Sui molteplici significati dell’essere secondo
Aristotele, trad. it. di Stefano Tognoli, a cura di Giovanni Reale, Milano,
Vita e Pensiero, 1995.
19 Voir les études fondamentales de Jean-François Courtine,   Les
catégories de l’être. Études de philosophie ancienne et
médiévale, Paris, PUF, 2003.

20 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, p. 5.

21 Cf. Brentano,  Über Aristoteles, op. cit., p. 155 sqq.

22 Immanuel Kant,  Kritik der reinen Vernunft, A 81, B 107.

23 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, cit., p. 76.

24 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, cit., p. 80.

25 « Zunächst fehlt eine Erklärung über den Ursprung der Kategorien.


Man sieht nicht, woher sie kommen und wohin sie gehen. Daher ist es
geschehn, daß Kant sie für “aufgerafft” und Hegel für eine bloße
“Sammlung” ansah », Adolf Trendelenburg,  Geschichte der
Kategorienlehre, Berlin, Bethge, 1846, p. 10, où l’objection est pourtant
tout de suite relativisée.

26 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, p. 184, 200.

27 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, chapitre V, par. 12, 13, 14.

28 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, p. 4 sq, 96 sq., 135.

29 « Einiges wird Seiendes genannt, weil es Substanz, anderes, weil es


Eigenschaft der Substanz, wieder anderes, weil es ein Weg, der zur
Substanz führt... oder weil es die Substanz, oder etwas von dem, was in
Beziehung auf die Substanz ausgesagt wird, hervorbringt oder erzeugt,
oder weil es eine Negation von etwas Derartigem oder von der
Substanz selbst ist. Daher sagen wir auch, es  sei das Nichtseiende ein
Nichtseiendes, Aristote,  Met. IV 2, 1003 a 33 sqq. », traduit par P.
David d’après la traduction de Brentano dans   Von der mannigfachen
Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 6, Brentano,  Les
significations de l’être, op. cit., p. 21.

30 « Der deduktive Beweis für die Kategorieneinteilung muß beginnen


mit dem Unterschiede zwischen Substanz und Accidenz. Die erstere
wird keine weitere Untereinteilung zulassen, das letztere zunächst in
die zwei Klassen der absoluten Accidenzien und der Relationen, und
die erstere von diesen wieder in die der Inhärenzen, Affectionen und
äußerlichen Umstände zerfallen », Brentano,  Von der mannigfachen
Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 148 ; trad. P. David,  op.
cit., p. 147.

31 « Die Einteilung in die Kategorien ist die Einteilung keiner


synonymen, sondern einer analogen Einheit, und sie werden folglich
nicht durch spezifische Differenzen, sondern durch spezifische
Existenzweisen, durch das verschiedene Verhältnis zur ersten
Substanz, von der die Kategorien prädiziert werden, in ihren einzelnen
Gliedern bestimmt werden », Brentano,  Von der mannigfachen
Bedeutung des Seienden nach Aristoteles, p. 113.

32 « Es gibt so viele Kategorien, als es Weisen gibt, in denen die Dinge
in ihrem Subjekte existieren »,  Ibid. ; trad. P. David, p. 113.

33 Cf. Brentano,  Von der mannigfachen Bedeutung des Seienden nach


Aristoteles, chapitre V, par. 14.

34 P. Aubenque,  Le problème de l’être chez Aristote, Paris, PUF, 1962,


p. 197.

35 Cf. M. Heidegger,  Préface, in W. Richardson,  Heidegger, Through


Phenomenology to Thought, The Hague, Nijhoff, 1963, p. XI, et  Zur
Sache des Denkens, Tübingen, Niemeyer, 1969, p. 81.

36 « Man hat aus dem obigen Satz von  Met. E 1 Anf. schon im
Mittelalter geschlossen, die erste leitende Grundbedeutung des Seins
überhaupt – auch für die vier Weisen zusammen, nicht nur für die eine
und deren Mannigfaltigkeit – sei die  ousia, was man mit “Substanz” zu
übersetzen pflegt. Als müßte auch das Möglichsein und Wirklichsein
und Wahrsein auf das Sein im Sinne von Substanz zurückgeleitet
werden. Im 19. Jahrhundert hat man (vor allem Brentano) dazu um so
mehr geneigt, als inzwischen Sein, Möglichsein, Wirklichsein als
Kategorien erkannt worden waren. Es ist daher eine landläufige
Meinung, die Aristotelische Lehre vom Sein sei eine “Substanzlehre” »,
M. Heidegger,  Aristoteles, Metaphysik IX, 1-3, Von Wesen und
Wirklichkeit der Kraft, Gesamtausgabe vol. 33, Frankfurt a. M.,
Klostermann, 1990, p. 45.

37 Je me permets de renvoyer à mes travaux :  Heidegger e


Brentano, Padoue, Cedam, 1976 ; « La dissertation de Franz Brentano
et son influence sur la formation philosophique du jeune Martin
Heidegger », dans :  Proceedings of the World Congress on
Aristotle. Thessaloniki August 7-14, 1978, Athens, 1982, p. 48-
52 ;  Heidegger e Aristotele, Padoue, Daphne, 1984 ; « Dasein comme
praxis. L’assimilation et la radicalisation heideggerienne de la
philosophie pratique d’Aristote », dans :  Heidegger et l’idée de la
phénoménologie, Dordrecht, Kluwer, 1988, p. 1-41 ; « La question du
logos dans l’articulation de la facticité chez le jeune Heidegger, lecteur
d’Aristote », dans : J. F. Courtine (éd.),  Heidegger 1919-1929. De
l’herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, Paris,
Vrin, 1996, p. 33-65 ; « Le fonti del problema dell’essere nel giovane
Heidegger : Franz Brentano e Carl Braig », dans : Costantino Esposito et
Pasquale Porro (éd. s),  Heidegger e i medievali, Turnhout, Brepols,
2001 (“Quaestio” 1, 2001), p. 39-52. Voir également Ion Tanasescu,
« Das Sein der Kopula oder was hat Heidegger bei Brentano versäumt »,
dans :  Studia phaenomenologica, 2, 2002, p. 97-123.

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