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QUE SAIS-JE ?

Les entreprises
japonaises
M A S A R U Y O S H I M O R I
Professeur
Université Internationale du J a p o n

D e u x i è m e édition m i s e à j o u r

14e mille
DU MÊME AUTEUR (en langue japonaise)

Idéologies et comportements des entreprises européennes, Tokyo, Diamond-


Sha, 1979.
Idéologies et comportements des entreprises allemandes, Tokyo, Diamond-
Sha, 1982.
L'Europe, son génie et management, Tokyo, Toyo Keizai, 1983.
Idéologies et comportements des entreprises françaises, Tokyo, Diamond-
Sha, 1984.

ISBN 2 13 041494 x

Dépôt légal — 1 édition : 1984


2 édition mise à jour : 1987, novembre
© Presses Universitaires de France, 1984
108, boulevard Saint-Germain, 75006 Paris
PRÉFACE

Lecteur, qui abordez l'ouvrage du professeur Ma-


saru Yoshimori, vous avez bien de la chance car c'est
un régal pour l'esprit qui vous est offert.
Cette étude sur la gestion des entreprises japonaises
aurait pu être signée d'un Occidental, grand connais-
seur des mœurs nippones ; tout aussi bien, on pouvait
concevoir qu'elle fût l'œuvre d'un Japonais connais-
sant son sujet. En fait, elle est mieux que cela : un
double miroir en quelque sorte, où un Japonais par-
faitement authentique regarde d'une certaine manière
sa propre culture avec l'œil d'un Occidental averti ;
par ailleurs la réflexion — au sens littéral du terme —
d'un Japonais avisé qui mesurerait l'originalité spé-
cifique de l'Occident par rapport à ses propres ra-
cines. Cette double démarche constitue une perfor-
mance exceptionnelle. Elle n'était pas à la portée du
premier venu. Mais le professeur Yoshimori s'est
nourri à toutes les sources de l'humanisme ; il connaît
admirablement la langue et la culture françaises et
pareillement ce qui a été allemand ou britannique
dans l'apport occidental. Du même coup, le voilà
capable de prendre à l'égard du style proprement ja-
ponais de management un recul, une distance qui ne
pouvaient être le fait que d'un esprit assez éloigné
du Japon par les tribulations de sa carrière, mais
toujours essentiellement japonais par la finesse, la mo-
destie naturelle et les mouvements du cœur.
L'ouvrage du professeur Yoshimori confronte notre
style de gestion et celui des entreprises japonaises
avec tellement de clarté, de logique et de rigueur
qu'on en vient à se demander si l'auteur n'est pas
un arrière-petit-neveu de Descartes, s'il n'est pas à
son insu devenu quelque peu Français. Mais cette
impression, lecteur, n'est qu'une apparence.
A y regarder de plus près, vous découvrirez que
la comparaison n'est pas un affrontement, pas da-
vantage une véritable synthèse. Bien plutôt une juxta-
position qui mêle l'ineffable, qui balance et qui com-
plète dans une savante harmonie. C'est une transpo-
sition, d'une infinie délicatesse, du « Kinkaku-Ji »
— du pavillon d'or — de Kyoto, cet accord parfait
entre l'architecture et le jardin, l'esquisse et l'émo-
tion, ce qui est signifié de manière tangible et le plus
important, qui ne saurait être dit.
Et cela, seul un Japonais pouvait le faire.
René MAURY,
professeur à l'Université de Montpellier 1.
INTRODUCTION

L'ENVIRONNEMENT DES AFFAIRES

I. — L'espace vital et l'esprit


du capitalisme

« La civilisation japonaise est la civilisation du


client (customer civilization) », dit R. Richie, spécia-
liste américain du Japon. « Au Japon, un client n'est
pas un roi, il est un dieu. Un vendeur, par contre,
est un paria », remarque un industriel allemand qui
dirigea la filiale japonaise d'une société allemande
pendant des années. Ces observations sont exactes et
pertinentes. La société japonaise est peut-être une des
plus compétitives parmi les pays industrialisés, y com-
pris même les Etats-Unis. Il ne serait pas exagéré de
dire que dans peu de pays l'esprit du capitalisme est
aussi développé et accepté qu'au Japon. Il se carac-
térise par un respect absolu des besoins des consom-
mateurs et des utilisateurs, le goût du risque et l'ab-
sence presque totale du complexe vis-à-vis du profit
et la poursuite sans borne de la part du marché et la
croissance du chiffre d'affaires.
La concurrence est acharnée non seulement entre
les entreprises mais aussi entre les individus qui es-
saient d'améliorer leurs chances de succès en entrant
dans de meilleures écoles ou universités, ou en accé-
dant à un poste plus élevé dans l'entreprise. Cet état
d'esprit rend les Japonais et les entreprises japonaises
extrêmement dynamiques, innovateurs et sachant en
toute occasion s'adapter.
C'est un lieu commun de constater que le Japon
est un pays surpeuplé. Pourtant, il faut se pencher
sur cette question car le manque d'espace vital est
la plus grande contrainte que subissent les activités
économiques de ce pays. Sur une superficie totale
de 380 000 k m (soit deux tiers de la France), il y
a actuellement 118 millions d'habitants ; ce qui re-
présente une densité de population de 311 habitants
par kilomètre carré (soit trois fois plus qu'en France).
Cette comparaison n'est cependant pas vraiment si-
gnificative, car 20 % seulement du territoire japonais
est exploitable sur le plan économique, le reste du
pays étant recouvert de montagnes. Au Japon, la den-
sité de la population dans les zones habitables, d'après
les calculs du P Koike de l'Université de Nagoya,
est 6,6 fois plus forte que celle de la France. Si le
rapport population/surface utilisable chez les Japo-
nais était appliqué à la France, la population fran-
çaise serait de 360 millions au lieu des 54 millions
d'habitants qui ont été recensés dernièrement.
Cela revient à dire en fait que l'on vit beaucoup
moins bien au Japon qu'en France. Plus concrète-
ment, le manque d'espace vital se manifeste dans ce
pays tout particulièrement par le coût prohibitif du
logement et de tous les biens immobiliers. C'est une
des principales raisons de l'acharnement des Japonais
au travail, tout d'abord pour accéder à la propriété,
et ensuite pour payer le crédit du logement, bien sou-
vent jusqu'à l'âge de la retraite.
II. — La mentalité japonaise

1. Conception de l'individu. — La spécificité la plus


frappante du peuple japonais est l'absence relative
de conscience de son propre ego. Il ne serait pas
exagéré de dire que la plupart des différences de pen-
sées et de comportements entre les Japonais et les
Français se situeraient aux antipodes sur ce point,
étant donné l'individualisme qui semble si marqué
chez les Français.

2. L'origine de l'individualisme. — On dit généra-


lement que les Grecs anciens furent le premier peuple
qui sut se détacher de l'environnement physique et
social pour se saisir en tant qu'identité unique et in-
dépendante. Pour la première fois dans l'histoire de
l'humanité, l'homme se libère de son environnement
et commence à le considérer avec objectivité et dé-
sintéressement. C'est la première révélation de la
conscience du « moi », du respect de l'individu et
du sens aigu de la liberté individuelle. C'est aussi le
premier cas de la dichotomie et du dualisme si carac-
téristique de la civilisation occidentale. Les Japonais,
comme d'autres peuples asiatiques, n'ont jamais coupé
le cordon ombilical les reliant à la nature et à la so-
ciété. Et même aujourd'hui, ils s'identifient avec elles
pour en faire partie intégralement et ne se considèrent
pas comme une entité distincte et autonome. Pour
un Japonais, être membre de la communauté sociale
est un élément des plus sécurisants. L'homme occi-
dental, au contraire, tient à préserver son identité
propre et ressent plutôt comme une contrainte l'in-
fluence exercée par le groupe auquel il appartient.
3. Mode de perception. — Le « miracle grec »
marque également la première étape du rationalisme
occidental qui pourrait se définir comme une obser-
vation objective des phénomènes physiques et sociaux
effectuée dans le but d'en dégager des lois applicables
de façon universelle. La faculté du raisonnement lo-
gique et abstrait y contribue largement. Cela a permis
à l'Occident de réaliser un développement sans égal
des sciences et technologies. Par contre, les Japonais
ont toujours cherché à s'identifier avec l'environne-
ment et à s'unir à lui, comme le montrent les schémas
ci-après. Ils sont comme des poissons plongés dans
l'eau, et en tant que tels, ils n'arrivent pas à en ap-
précier la qualité. La relation symbiotique des Japo-
nais avec la nature n'a pas favorisé le développement
des sciences naturelles et, par conséquent, de la civi-
lisation industrielle jusqu'à une époque récente. Selon
le P Nakamura, les Japonais s'attachent en particu-
lier aux phénomènes spécifiques et concrets, mais
éprouvent une difficulté à édifier un système de con-

Fig. 1. — Conception de l'individu

Source : Schéma inspiré d'Erich Jantsch, Design for Evolu-


tion, New York, George Braziller, 1975, p. 98.
naissances abstraites (1). Cela pourrait expliquer par-
tiellement le sens prononcé du réalisme et du prag-
matisme chez les Japonais au détriment de principes.

4. Attitude face au destin. — Les civilisations de


l'Antiquité grecque et de l'Occident sont très mar-
quées par une conception humaniste qui place l'huma-
nité au centre de l'univers et s'évertue à améliorer
ses conditions d'existence. Les Occidentaux se carac-
térisent par leur goût du dépassement et le désir de
progrès. On peut citer à titre d'exemple les mythes
d'Icare ou de Prométhée. C'est une civilisation du
défi. Au contraire, les Japonais ont été conditionnés
par le bouddhisme qui enseigne l'abandon des désirs
et des plaisirs ainsi que l'acceptation du statu quo
comme moyen d'accéder au bonheur. Désirs et
plaisirs constituent, selon la doctrine bouddhique,
les sources de toute souffrance humaine, comme le
symbolisent les 108 coups de cloches des temples
sonnés traditionnellement au réveillon du nouvel an
japonais. On pourrait opposer l'homme résigné japo-
nais à l'homme révolté occidental.

5. Normes de comportement. — Il est bien connu


que l'individualisme occidental s'est trouvé renforcé
par l'apport du judaïsme. Selon cette doctrine, les
individus se sentent, dans l'accomplissement de, leurs
tâches,directement responsables devant Dieu. Pénétré
de la croyance hébraïque, l'individu se comporte en
tant qu'entité pleinement consciente de soi et respon-
sable de ses actes. Au Japon, au contraire, l'assujet-

(1) Hajime Nakamura, The Ways of Thinking of Eastern Peoples, East


West Center Press, Honolulu, 1964, p. 350-406.
tissement de l'individu aux normes du groupe s'ac-
centue avec l'introduction, vers le VIII siècle, du confu-
cianisme venant de la Chine. Les préceptes essentiels
de cette philosophie reposent,entre autres, sur la piété
filiale, le respect de la hiérarchie, la loyauté absolue
envers les supérieurs, le maintien de l'harmonie des
relations humaines, une politesse formalisée ainsi que
le rejet de toute révolution politique. Adopté par les
autorités publiques depuis son apparition au Japon,
le confucianisme a profondément influencé les Japo-
nais dans leurs comportements sociaux et leurs rela-
tions humaines. Pour eux, l'individualisme est sou-
vent considéré, même à l'heure actuelle, comme syno-
nyme d'égoïsme, et assimilé à une notion suspecte,
incompatible avec l'ordre social et la pensée tradi-
tionnelle. Selon le P Nakamura, c'est l'entière confor-
mité aux normes du groupe qui prévaut au Japon (2).

6. Individu et groupe. — Il s'agit maintenant d'exa-


miner les rapports entre individus et groupe au Japon
et en Occident. D'après Ferdinand Tônnies, socio-
logue allemand, les organisations se répartissent en
deux catégories : communauté (Gemeinschaft) et so-
ciété ( Gesellschaft)
La « communauté » est une organisation fondée
sur la « volonté » organique, c'est-à-dire sur des don-
nées affectives et les sentiments partagés par les mem-
bres d'un même groupe, soit uni par des liens de
sang (famille), soit constitué par des relations de voi-
sinage (village). Ce sentiment d'appartenance au même
groupe renforce l'esprit de solidarité, le consensus et
l'harmonie dans les relations sociales. Dans une com-

(2) H. Nakamura, op. cit., p. 407-530.


TABLEAU 1. — Comparaison des mentalités japonaises
et occidentales

munauté donnée, l'intérêt général l'emporte sur l'in-


térêt particulier. L'individu n'agit et ne pense qu'en
tant qu'élément d'une même totalité organique. La
« société » quant à elle, est constituée par des per-
sonnes mues par une « volonté réfléchie », c'est-à-dire
par des intérêts personnels impliquant évaluation, ré-
flexion, compromis et décision. Au sein d'une « so-
prises qui n'ont pas pratiqué cette politique. Cepen-
dant, lorsque le chiffre d'affaires s'est mis à baisser,
ce qui fut généralement le cas après 1973, les entre-
prises les plus endettées ont été plus pénalisées en
termes de marge sur le chiffre d'affaires et de renta-
bilité des capitaux propres, que celles qui étaient
moins endettées.

type="BWD" 7. — Part de l'autofinancement


dans l'ensemble de financement en investissement
d'équipement (secteur industriel, %)

Source : Banque du Japon, Rapport spécial, n° 100, mai 1982.


CHAPITRE IV

LES STRATÉGIES

Une stratégie donnée est la réponse que l'on peut


apporter à la question fondamentale qui se pose à
toutes les entreprises : quels produits ou services
faut-il proposer à quel marché, et que faut-il faire pour
assurer la compétitivité durable de l'entreprise ? Une
analyse des produits japonais qui ont conquis une
part de marché importante sur le plan international
permet de dégager un certain nombre de traits carac-
téristiques des stratégies japonaises. Ces produits sont
divisés en deux catégories ; celle qui se distingue
par une vitesse de mutation technologique relative-
ment importante, et celle dont le niveau technologique
a déjà atteint le stade de maturité, ne laissant que
peu de possibilités à des innovations supplémentaires.
Dans le premier groupe entrent des produits relati-
vement récents tels que le magnétoscope, la montre
à quartz, la chaîne Hi-Fi, l'appareil photo, la com-
mande numérique, etc. Le deuxième englobe des pro-
duits plus ou moins traditionnels tels que l'automo-
bile, les motocycles, les bateaux, la fermeture à glis-
sière, le roulement à bille, le matériel de construc-
tion, etc. Une différence essentielle au niveau straté-
gique entre ces deux catégories de produits est que
la première est axée tant sur l'innovation du produit
que sur l'innovation du procédé de fabrication, tandis
que la dernière vise principalement l'innovation du
procédé.

1. Commercialisation rapide et innovations conti-


nuelles. — Le premier point qui caractérise les pro-
duits japonais dont la technicité et le rythme d'inno-
vation technologique sont élevés est la rapidité avec
laquelle le potentiel commercial d'une nouvelle tech-
nologie est identifié et exploité. Le deuxième type de
stratégie réside dans le fait d'améliorer continuelle-
ment un nouveau produit même après son lancement
sur le marché. Cette action est menée dans le souci
de différencier les produits pour maintenir la compé-
titivité. On a vu apparaître successivement de nom-
breux nouveaux modèles, par exemple des montres
à quartz incorporant, seules ou en combinaison, les
fonctions suivantes : calculatrice, réveil, alarme, son-
nerie périodique, chronomètre, affichage des fuseaux
horaires, etc.

2. Innovation dans le procédé de fabrication. — Des


innovations ou des améliorations constantes ne peu-
vent pas assurer la compétitivité à long terme, car
il y a toujours des imitateurs. Dans le domaine du
matériel Hi-Fi, par exemple, une position de mono-
pole due à une innovation tout à fait originale a une
durée maximum d'un an environ, selon la source pro-
fessionnelle. Les fabricants japonais font face à cette
situation en recourant à deux stratégies : innovations
constantes pour distancer les concurrents, comme il
a été expliqué plus haut, et innovation dans le procédé
lui-même, c'est-à-dire l'innovation dans la méthode
et les moyens de production afin de baisser les prix
de revient, de réduire le cycle de production et les
délais, et enfin d'améliorer la qualité du produit. L'in-
novation dans le procédé est la stratégie qui est à
l'origine de tous les produits japonais dont il est ques-
tion ici, indépendamment de la vitesse d'innovation
des produits.

3. Economies d'échelle. — La compétitivité des pro-


duits japonais qui ont une position importante sur
les marchés internationaux est basée sans exception
sur la stratégie des économies d'échelle. La rationalité
de cette stratégie réside dans le fait que le coût unitaire
de production est abaissé en fonction du développe-
ment du volume de production. C'est dans cette op-
tique que la stratégie d'innovation du procédé prend
toute son importance. La compétitivité en matière de
prix se trouve ainsi singulièrement accrue. La taille
importante du marché intérieur japonais a certaine-
ment favorisé cette stratégie, mais il faut souligner
que la plupart des produits ont été conçus dès l'origine
à l'intention des marchés internationaux en fonction
desquels le volume de production a été déterminé.

4. L'ouverture internationale. — Une stratégie axée


sur un grand volume de production exige que les pro-
duits soient commercialisés dans le monde entier.
L'intégration de la dimension internationale devient
alors un élément tout à fait prioritaire de la politique
de l'entreprise. Dans cette perspective, le marché inté-
rieur est considéré comme une partie du marché mon-
dial. Cette orientation internationale va conditionner
toutes les actions de l'entreprise depuis la conception
du produit jusqu'au service après-vente, en passant
par la détermination du volume de production.
M. Honda, le fondateur de la Société Honda, a bien
exprimé cette orientation lorsqu'il déclara que l'on
ne peut pas être numéro un au Japon si l'on n'est
pas numéro un sur le marché mondial. Ces principes
ont sans doute permis à la Société Honda d'occuper
la position la plus importante sur le marché mondial
avec 48 % de part du marché dans les motocycles.
5. L'importance accordée à la part du marché. —
Pour la plupart des entreprises japonaises, l'accrois-
sement de la part de marché est un des objectifs pri-
mordiaux. Elle est donc l'indicateur fondamental qui
fait apparaître la fiabilité générale de l'entreprise et
aussi la confiance du public à son égard. Cette grande
attention accordée à la part de marché occupée n'est
qu'une autre facette de la stratégie orientée vers la
production à grande échelle. Détenir la plus grande
part de marché signifie qu'on est à même de fabriquer
au coût le plus bas et donc de résister le mieux à la
concurrence des prix. On peut même dire que les
entreprises japonaises n'hésitent pas à sacrifier la ren-
tabilité à court terme pour s'implanter sur un nouveau
marché. En ce qui concerne le marché japonais, les
plus grands producteurs en terme de part du marché
ont su maintenir leur position malgré l'effort consi-
dérable déployé par les concurrents. C'est le cas pour
l'automobile, les motocycles, certains secteurs alimen-
taires tels que bière, café soluble, mayonnaise, etc.
Il a été d'ailleurs empiriquement démontré qu'il y a
une étroite corrélation entre la part de marché et la
rentabilité de l'entreprise (1).

(1) Par exemple, R. D. Buzzell et al., Market Share, a Key to Profita-


bility, Harvard Business Review, janvier-février 1975.
6. Diversification. — Enfin, une comparaison avec
plusieurs pays révèle que la diversification est moins
poussée au Japon que dans les pays occidentaux (2).
Cela s'explique également par le taux de croissance
économique élevé du Japon qui a permis aux entre-
prises japonaises de voir se développer leur activité
sans avoir recours à la stratégie de diversification.
Dans une économie dont le taux de croissance s'est
ralenti, il est probable que les diversifications sous
toutes leurs formes augmenteront. Il s'agit là de diver-
sifications internes, et non pas externes, car le rachat
d'une société existante par un groupe ou une autre
société ne se fait pas avec la même facilité au Japon
qu'en Occident. Les impératifs de croissance interne
ont donc pour effet d'intensifier la concurrence, car
le nombre des concurrents se trouve ainsi augmenté.

7. Les stratégies de marketing. — A) Segment du


marché visé. — Les produits japonais sont conçus et
proposés au nombre le plus élevé possible de segments
géographiques et socioprofessionnels afin d'augmen-
ter le chiffre d'affaires et de satisfaire les besoins des
consommateurs sur le plan du choix des produits.
Cependant, l'effort principal est porté sur la moyenne
de gamme qui généralement assure le plus grand
chiffre d'affaires. Cela n'empêche pas que le haut et
le bas de la gamme soient également proposés. Ainsi
la gamme de produits est généralement plus étendue
par rapport aux concurrents étrangers.
B) La stratégie des prix. — On distingue deux stra-
tégies en matière de prix : stratégie de pénétration
(2) H. Yoshihara et al., Stratégies de diversification des entreprises japo-
naises (en japonais), Tokyo, Nihon Keizai Shimbun, 1981, p. 57.
et stratégie d'écrémage. La première consiste à s'adres-
ser aux segments les plus larges moyennant des prix
facilement abordables et même agressifs. La deuxième,
par contre, vise des segments de population plus aisés
avec des prix plus élevés. Généralement, c'est la stra-
tégie de pénétration qui caractérise les firmes japo-
naises. Cette stratégie s'accorde parfaitement avec
celle qui insiste sur la part du marché et celle basée
sur la production en grande série. Dans un certain
nombre de cas, le rapport qualité/prix s'inscrit direc-
tement dans cette stratégie du prix.

8. Accent sur la rentabilité et la stabilité. — Con-


trastant de façon frappante avec la stratégie de crois-
sance poursuivie pendant les années antérieures à 1973,
les entreprises japonaises mettent aujourd'hui plus
l'accent sur la rentabilité et la stabilité que sur la
croissance. Ce changement de stratégie se traduit par
la réduction de la taille de l'entreprise, notamment
du personnel. De nombreuses entreprises ont sus-
pendu les nouveaux recrutements, ou même réduit le
personnel et les cadres existants. Un autre phénomène
récent est la tendance à rembourser les emprunts ban-
caires, motivée premièrement par le manque d'oppor-
tunités d'investissement, et deuxièmement par la vo-
lonté de réduire les charges financières. Ce mouve-
ment témoigne clairement de la préoccupation des
dirigeants d'affaires japonais au sujet de la stabilité
de l'entreprise exprimée en terme de part accrue des
capitaux propres.

9. Recherche et développement. — L'accroissement


des capitaux propres est possible dans une large me-
sure par l'augmentation des bénéfices non distribués.
Ceci exige que la rentabilité soit améliorée et/ou que
le chiffre d'affaires soit augmenté. L'essentiel est donc
de développer des produits qui soient suffisamment
compétitifs et différenciés pour assurer des marges
bénéficiaires supérieures à celles réalisées par les
concurrents. On peut donc dire que la recherche-
développement sera la clé des stratégies de survie des
industries et de l'économie japonaise. De tels efforts
seront dirigés vers les nouveaux produits à haut
contenu de connaissance, d'information et de techno-
logie au lieu des produits traditionnels qui contiennent
une part importante de main-d'œuvre et de capitaux.
Cette nouvelle attitude des dirigeants d'entreprises
signifie un changement fondamental de comporte-
ment ; au lieu de la concurrence menée uniquement
au niveau des prix, c'est maintenant une concurrence
qui consiste à effectuer une importante différenciation
des produits grâce à la recherche et développement.
Cette stratégie semble être la seule solution permet-
tant d'absorber les coûts élevés d'énergie, de main-
d'œuvre, d'investissements écologiques et l'inflation.
CONCLUSION

La contribution du management japonais aux en-


treprises françaises, c'est peut-être qu'il leur fait et
leur fera découvrir leurs propres « modèles » en France
même. Il nous a été démontré ces dernières années
que partout une entreprise réussit pour les mêmes
raisons. La clé de la réussite est la correspondance
entre le marché et le produit. Cela exige que l'entre-
prise soit toujours à l'écoute du marché et que les
prix, la qualité, les délais de livraison et le service
après vente de ses produits restent compétitifs. Cette
compétitivité ne saurait être durablement assurée
que si le délai de passage de la conception à la commer-
cialisation est réduit et que des innovations de pro-
cédés sont constamment recherchées et mises en
œuvre. En outre, une mondialisation des activités
sera nécessaire pour bénéficier pleinement du jeu des
économies d'échelle. Ce sont des hommes qui conçoi-
vent et exécutent les stratégies. La motivation et
l'adhésion du personnel sont donc primordiales. Elles
sont suscitées par son autonomie, sa responsabili-
sation, sa formation et sa participation aux décisions,
à l'information et aux résultats de l'entreprise. En
fin de compte, c'est le chef d'entreprise qui détermine
la destinée de l'entreprise. Sa légitimité et son leader-
ship dépendront grandement de sa transparence, de
son courage, de son dynamisme et de son sens de
responsabilité devant la communauté de son en-
treprise.
Par sa performance et sa vitalité, l'entreprise japo-
naise continue de susciter l'intérêt sur le plan inter-
national. Il est peut-être grand temps d'essayer d'ap-
précier la qualité du management japonais à sa juste
valeur. Nous pensons que l'entreprise n'est pas une
finalité en soi, mais que c'est un moyen pour amélio-
rer les conditions d'existence, avant tout, de ses tra-
vailleurs. Lorsque nous examinons l'entreprise japo-
naise sous cet aspect, nous sommes obligés de constater
que sa « réussite » a été réalisée dans une grande
mesure par des sacrifices de la part de ses employés.
Sacrifices sous forme de longue durée du travail, de
très peu de congés payés effectivement pris, de qualité
de logement lamentable, de protection sociale insuf-
fisante, de séparations familiales suite à des mutations
imposées, etc. Une telle entreprise peut-elle être consi-
dérée comme un « modèle » ? La réponse est évidem-
ment non. Pourtant c'est la réalité de la plupart des
entreprises japonaises.
Que va-t-il se passer alors, quand un jour les Japo-
nais auront atteint un niveau de vie semblable à celui
des Occidentaux ? Leur réussite sur ce plan-là boule-
versera les deux fondements qui ont fait du Japon
ce qu'il est aujourd'hui : l'éthique du travail et la
cohésion sociale. Déjà les signes précurseurs appa-
raissent : indépendance, voire détachement vis-à-vis
de l'entreprise, souci de l'intérêt particulier aux dé-
pens de l'intérêt collectif, désintégration des cellules
familiales, valorisation des loisirs au détriment du
travail pour ne citer que quelques phénomènes.
Si les Japonais n'échappent pas au sort économique
qui a été réservé aux Européens et ces dernières an-
nées, aux Américains, le déclin relatif de l'industrie
japonaise paraît difficilement évitable. Reste à savoir
ce que les Japonais auront accompli avant que ce
destin ne se dessine.
BIBLIOGRAPHIE

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