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La Grande Loge de France vous parle...

GLOIRE
AU
TRAVAIL

Que de chemin parcouru, depuis la souffrance des esclaves acheminant les


lourdes pierres des pyramides à la gloire des Pharaons, sous le fouet des
intendants
A travers l'effort de l'agriculture rudimentaire arrachant à une terre ingrate
une récolte maigre et incertaine, en passant par la taille des pierres pour la
construction des cathédrales, avec l'intermède du servage de la période préin-
dustrielle, où hommes, femmes et enfants étaient condamnés à passer toute
leur vie dans les mines, sur les chantiers, dans des usines primitives et
malsaines, que de chemin parcouru jusqu'à la semaine des cinq-huit, à la sécu-
rité sociale, aux vacances payées, à la retraite assurée Que de chemin par-
couru, également, depuis l'esclave éducateur des nobles antiques, à travers
l'artisanat implacable dans ses exigences humaines, jusqu'à l'époque des ser-
vices, où le travailleur en col blanc l'emporte numériquement sur ses camarades
en salopette bleue, en casque jaune, en vêtements crottés et délavés
Que de chemin parcouru, enfin, depuis l'ouvrage patient de l'artiste tribal.
du chantre public, des poètes et compositeurs oeuvrant à la gloire du Souverain,

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à travers les figures imposantes des créateur6 de chefs-d'oeuvre, jusqu'à nos
fonctionnaires de la production artistique, intellectuelle, politique et écono-
mique

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Tantôt jugement divin à titre punitif A la sueur de ton front... , tantôt


contrainte sociale : Prolétaires de tous les pays... , tantôt action solidaire
pour le bien-être commun : Tout homme a droit au travail... . la notion même
du travail décrite par un seul et même mot se divise en de multiples fractions
et brille de nombreuses facettes. li y a aussi beaucoup d'ombres au tableau.
Encore de nos jours, certains conçoivent le travail comme une charge intolé-
rable et d'autres comme un devoir qui honore celui qui l'accomplit. Encore à
notre époque, des traces d'esclavage, de servage, d'asservissement, d'exploita-
tion sans scrupules se retrouvent à travers le monde, à côté des états d'esprit
les plus ouverts et des motivations les plus altruistes. Toujours dans le monde
qui nous entoure, l'appréciation de ce que réalisent les uns et les autres varie
d'homme à homme, de système à système, de croyance à croyance.
Un seul vocable pour tout cela ? Une seule signification donnée à ce mot
de travail ? Une seule glorification de ce travail comme étant un des attri-
buts les plus nobles de l'être humain ? Cela n'est-il pas étrange, et même
inquiétant ? Cette confusion ne fournirait-elle pas une explication des plus
frappantes des divergences qui séparent les hommes et les peuples, les idéalis-
tes et les matérialistes, les rêveurs et les réalistes ?
Pour comble de confusion, la recherche de quelque conception fondamen-
tale reste aléatoire comment s'y retrouver lorsqu'on sait que les mots fran-
:

çais travail , anglais work et allemand arbeit indiquent des sources


et motivations n'ayant aucun dénominateur commun ?

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Une telle situation ne saurait laisser indifférents les Francs-Maçons qui se


proclament les continuateurs des Maçons opératifs, qui se sont voués à la
Grande OEuvre, qui travaillent à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers, lis
constatent, tout d'abord, qu'il importe peu demployer tel terme plutôt que
tel autre, ouvrier, par exemple, venant du mot oeuvre, ou encore opérateur, lié
au service d'une machine, Ce qui, aux yeux des Maçons, est décisif, c'est
'action, c'est l'effort, c'est la continuité, c'est le savoir-faire, c'est la compré-
iension de ce que l'on fait.

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s Malgré ou peut-être à cause de notre concordance de vues à ce sujet, nous
I- avons à coeur de dissiper tout malentendu qui pourrait naître dans l'esprit d'au-
trui, notamment de gens qui éprouvent le désir d'en savoir un peu plus long sur
la Franc-Maçonnerie, Il n'est pas du tout souhaitable qu'en leur réflexion, des
doutes et des incertitudes s'insèrent et viennent gêner leur approche.
Dans les documents que nous remettons à ceux qui aimeraient s'informer
sur ce qui les attend avant de prendre des engagements, nous déclarons
d'emblée que la Grande Loge de France, du Rite Ecossais Ancien et Accepté,
travaille à la Gloire du Grand Architecte de l'Univers .. Laissant de côté, ici
t et aujourd'hui, ce que signifie le symbole du Grand Architecte de l'Univers, nous
ressentons la nécessité d'en dire davantage sur ce que nous entendons par
travailler et sur ce que comporte pour nous le mot de gloire

I.

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I-
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Dans les rituels que nous employons en France, il arrive, à un certain


moment, que nous glorifions le travail ' : cela pourrait-il signifier, rapproché
de notre symbole de base, que le ' travail « est, en quelque sorte, le Grand
t Architecte ? ou inversement, que le Grand Architecte se manifeste pour nous
sous la forme du travail ? Non. Tel n'est pas notre avis.
L'expression glorification du travail apparaît comme un modernisme
qui a été introduit dans nos rituels à une certaine époque du XIX' siècle où
l'émancipation progressive des classes laborieuses a eu pour corollaire le com-
bat contre ce vieux préjugé aristocratique qui interdisait aux nobles de tra-
vailler «, notamment d'accepter un salaire en contrepartie d'un emploi déter-
miné. Souvenons-nous, à ce propos, qu'il y a un demi-siècle, il était encore
très mal vu que la femme eût un gagne-pain indépendant on disait d'elle
qu'alors elle cessait d'être dame ». Face aux transformations de la société
intervenue depuis la Grande Révolution, la Franc-Maçonnerie se devait de prendre
position en faveur de tous les hommes désireux et décidés d'appartenir aux
classes actives du peuple, et que c'était l'oisiveté, privilège des riches désoeu-
vrés, contre laquelle il importait de s'élever.
En fait nous répétons toujours, et avec conviction, que le travail ennoblit
l'homme, que le travail bien fait comporte en lui-même une récompense pour
celui qui l'accomplit, et que nul ne saurait avoir honte de sa condition sociale.
Le terme de glorifier le travail «, que nous employons pour décrire notre atti-
tude, a sans doute besoin d'être précisé afin de ne prêter à aucune interpré-
tation métaphysique, quasi religieuse, politique ou idéologique nous entendons
par ' glorifier le travail » la création d'un rapport intime entre nous-mêmes
et notre oeuvre, entre ce que nous sommes et ce que nous faisons, entre ce
que nous souhaitons et ce que nous accomplissons. Nous nous sentons ainsi
à la fois fidèles à ce que faisaient nos ancêtres et à ce qu'exigent de nous

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les temps modernes. Par contre, glorifier le Grand Architecte de l'Univers,
c'est, à nos yeux, établir la relation entre chacun d'entre nous et le Grand Tout
à encore, le terme de « respect .' voire de « profond respect » corres-
pond peut-être mieux à ce que nous voulons exprimer en faisant appel à ce sym-
bole. Nous admirons les grandes lois de Univers, et nous essayons de les faire
jouer au profit de 'homme de tout homme.

Cela nous ramène en droite ligne vers les problèmes du monde contempo-
rain. Car il ne nous suffit pas qu'à l'intérieur de notre Ordre, la notion de tra-
vail ne donne lieu à aucun malentendu : nous souhaitons qu'il en soit de
même pour tous les milieux dans lesquels nous évoluons. Or. force nous est
de constater qu'il n'en est rien, qu'on joue sur les mots avec une satisfaction
perverse et qu'il en résulte de graves dangers pour l'avenir de l'humanité.
Que signifie encore, dans le contexte civique d'aujourd'hui, l'expression
courante de .. masses laborieuses ? Personne no saurait nier que des femmes
et des hommes laborieux se retrouvent dans tous les secteurs de la
vie po!itique, que les uns et les autres ' travaillent pour gagner leur vie et
que les cas d'oisiveté sont devenus très rares. Loin de nous de contester qu'il C

existe - qu'il existera peut-être toujours une poignée ou une minorité de t


privilégiés mais il serait injuste de subordonner aux intérêts étroitement C

égoïstes de ceux-ci les besoins et aspirations normales et naturelles de ceux-là.


Il faut parler juste pour être bien compris, pour entraîner une adhésion générale
aux idées qui sont fécondes soulignons donc que le clivage contemporain L

de la société n'est plus déterminé par les activités professionnelles des uns N

ou des autres, mais par la lutte contre les abus commis par une minorité au
détriment d'une majorité. Cela est au demeurant valable pour tous les azimuts
civiques : le critère distinctif pourrait être utilement celui des Francs-Maçons
ici les citoyens qui sont au travail, qui en connaissent et estiment la valeur
et y prennent goût - là-bas ceux qui en font fi, ou qui y voient une corvée.
Or, nous ne sommes pas encore au bout de notre route : car si le travail
ingrat fut effectivement le problème crucial de la première moitié du vingtième
siècle, du moins dans les pays occidentaux, une fraction de plus en plus impor-
tante, de notre vie à nous, est consacrée aux loisirs comme si l'aboutissement
du travail était le non-travail ! Comme si le travail ne trouvait plus sa récom-
pense en lui-même et en son bon accomplissement, mais en son dépassement
et sa relégation en deuxième position I
Là encore, la Franc-Maçonnerie apporte une réponse pour le moins encou-
rageante à ceux qui ont appris à glorifier le travail, c'est-à-dire à lui donner un
sens glorieux. Nos travaux d'Atelier ne se situent-ils pas dans ce que l'horaire

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moderne appelle e temps des loisirs ? Ne sommes-nous pas à l'oeuvre au
moment où notre travail profane est dûment accompli ? N'appliquons-nous pas
les règles de l'exercice parfait d'un métier aux activités volontaires auxquelles
nous nous consacrons ?
e
En d'autres termes, au-dessus du travail pour l'existence matérielle,
l'homme peut trouver un travail à la hauteur de ses besoins spirituels, quel
que soit le sens donné à ce mot. Mais il faut qu'il remplisse les tâches qui
en découlent pour lui avec la même conscience, la même science et la même
volonté de réussir alors il connaîtra aussi la gloire du travail, en quelque sorte
:

au deuxième degré : la satisfaction profonde de l'harmonie entre les intentions


et les réalisations, la joie d'avoir apporté une pierre solide à l'édifice que
l'humanité est en train d'élever pour son propre salut et son propre bonheur.

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Ce n'est donc point un hasard que les Loges maçonniques se réunissent
aux heures où le monde profane se contente d'un repos passif ou de distrac-
n
tions anodines, la recherche du moindre effort l'emportant sur l'aspiration à la
s
haute performance.
a
t Le loisir devient dès lors, pour le Franc-Maçon, le temps qu'il peut et veut
il consacrer à l'accomplissement de tâches librement choisies, à l'exécution de
e travaux auxquels il consacre le meilleur de lui-même, à la poursuite d'objectifs
't qu'il estime dignes d'être choisis pour buts.
L
e Travailler ainsi, entourer ce travail d'une auréole de bonheur, voir dans ce
n bonheur la justification même du travail -- c'est peut-être en cela que le Franc-
s Maçon se croit modestement diffèrent de l'homme profane.
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e JANVIER 1973

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