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La Grande Rupture plaide pour un retour à la croissance sous une forme nouvelle.
Alors que de plus en plus d’économistes craignent que l’économie mondiale tombe dans une
stagnation séculaire, à la manière du Japon ou de l’Italie, et que d’autres souhaitent la
décroissance des économies face aux enjeux environnementaux, l’essai de LORENZI et
VILLEMEUR propose une troisième voie, celle d’une croissance durable et sociale. Fondée
sur de nouvelles répartitions, au nombre de six, LGR ne s’éloigne cependant pas de l’objectif
de croissance , une « nécessité absolue » selon les auteurs.
En affirmant vouloir réconcilier Keynes et Schumpeter, c’est l’importance de la demande et
de l’offre dans le processus de croissance qu’ils souhaitent souligner. L’essai s’inscrit donc
dans la lignée des travaux portant sur la croissance économique mais renvoie à des champs de
l’économie bien plus larges et s’inscrit ainsi en partie dans le programme de B/L.
LGR n’est ni un pur programme économique ni une simple littérature théorique. L’essai
s’appuie en effet sur des sources historiques et s’aide de réflexions philosophiques,
anthropologiques et sociologiques.
LGR propose de s’interroger sur le sens aujourd’hui accordé au mot de croissance. Car
si elle semblait être un absolue indépassable il y a quelques années (« la croissance est la
religion du monde moderne », Daniel Cohen), elle est de plus en plus remise en question. Les
auteurs rappellent ainsi que la croissance économique n’est pas une fin en soi mais plutôt un
moyen, pour répandre le bien-être dans la société.
Cette nouvelle croissance se doit d’être durable et inclusive. Elle s’appuie sur quatre
éléments novateurs (technologies vertes, innovations numériques, biotechnologies et
découvertes astrophysiques) ce qui la rend plus qu’actuelle. Elle souligne le rôle majeur des
répartitions – notamment celles du revenu et des richesses – qui font ou défont le processus de
croissance.
Surmonter la crise liée au Covid-19 implique de repenser les politiques économiques et
sociales. L’essai des deux économistes tente de tracer les trajectoires d’une sortie optimiste de
la crise. Loin des discours ultra-libéraux - il propose de redonner à l’État son vrai et
primordial rôle dans l’économie – il ne s’éloigne cependant pas de trop des principes
fondateurs de l’économie qui voient dans l’entreprise libre et privée le moteur de l’économie
et in fine de la croissance.
Un débat obsessionnel
Origine de la querelle : la « loi de Say » (« un produit terminé offre dès cet instant un
débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur », Traité d’économie politique)
surproduction / récession / dépression sont impossibles
Le « 5 dollars a day » de Henry Ford en 1914 illustre un modèle d’organisation qui repose sur
la D.
Salaire de ses ouvriers à 5$ par jour au lieu de 3$ en moyenne, tout en réduisant la
journée de travail à 8 heures
La relance par la Demande est théorisée par Keynes dans sa Théorie Générale (1936)
les politiques keynésiennes sont menées jusqu’aux années 1970 (choc pétrolier de
1973)
Walras : la régulation entre offre et demande est automatique sur le marché donc le débat ne
se pose pas
l’épargne est le véritable moteur de la croissance
l’État doit resté à ses fonctions régaliennes (la régulation est automatique)
Les partisans du progrès technique ne s’intéressent pas, eux non plus, au rôle de l’offre ou de
la demande dans le processus de croissance (Braudel, Schumpeter)
Deux types d’investissements distincts (double face de l’investissement oubliée par Keynes)
investissement de capacité : nouveaux marchés / débouchés
investissement de rationalisation : mécanisation / robotisation pour accroître
rentabilité de la production
Deaton et Case, « Rising morbidity and mortality in mid-life among white non-Hispanic
Americans in the XXI century », PNAS, 2015
Ces deux économistes américains s’intéressent à la situation de ceux qui se situent à
l’opposé des « ultrariches »
Contrairement aux prolétaires du XIXème siècle qui ont pu s’unir pour conquérir leurs
droits sociaux, ces oubliés américains de la mondialisation son invisibles et ne se
révoltent pas
Les deux auteurs soulignent que le responsable des conditions de vie misérables de ces
« petits blancs » n’est autre que le faible niveau d’éducation de cette population
Raj Chetty, « Is the United States still a land of opportunity ? Recent trends in
intergenerational mobility », American Economic Rewiew, 2014
L’augmentation des inégalités aux EU fait monter le poids de la « birth lottery »
50 % des Américains nés en 1980 gagnent plus que leurs parents (contre 90 % pour
ceux nés en 1940)
Mobilité ascendante est donc en panne aux EU
De même pour Artus, « Inégalités et croissance : quel sens et quel signe pour la causalité ? »,
Natixis, 2017
«Là où les inégalités sont les plus élevées, la crise ne fait qu’aggraver la baisse de la
croissance qui s’accélère lors de la période suivante »
Smith, dès 1976, remarque dans RDN que les Hollandais gagnent de meilleurs salaires que les
Anglais, tandis que les profits réalisés par les entreprises hollandaises sont inférieurs à ceux
réalisés par les entreprises anglaises
Les auteurs de LGR traduisent ce constat par : « une répartition des revenus favorable
aux salariés stimule la croissance économique. » (et non pas favorable aux profits)
Picketty, dans Le Capital au XXIème siècle (2013), montre que la conjecture économique
américaine s’est dépréciée après 2000 alors même que la prise de profit a explosé (bien au-
dessus d’1/3)
Il établit alors une corrélation statistique entre excès de profits, envolée des inégalités
et faible croissance
Keynes / Galbraith estiment que le capitalisme va tout droit vers une stagnation séculaire
(pour répondre à tous les besoins humains / parce qu’il a atteint le maximum de niveau
technologique)
Le mythe d’une croissance infinie semble se déconstruire peu à peu
Cependant, il faut garder un objectif de croissance à LT pour sortir de la crise et
répondre aux défis sociaux et environnementaux
Hansen mentionne pour la première fois la « secular stagnation » dans Full Recovery or
Stagnation en 1938
Il estime alors que la croissance va rester faible car le niveau d’épargne est supérieur à
celui de l’investissement
Face aux pessimistes, Schumpeter répond par son Capitalisme, Socialisme et Démocratie paru
en 1942
L’entrepreneur / l’innovation peuvent permettre à une économie de renouer avec une
croissance soutenue
Cependant, à LT, il considère que le capitalisme ne survivra pas
Cette analyse sera confirmée par les Trente Glorieuses
« On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de la productivité » (paradoxe de
Solow)
Peur à nouveau présente d’une stagnation séculaire fin 80’s / début 90’s
Gordon, dès « La croissance économique des États-Unis depuis 1870 : une grande vague ? »,
American Economic Rewiew, (1999) puis surtout avec The rise and Fall of American Growth
(2016) montre que la croissance doit faire face à quatre headwinds (vents contraires)
Dividende démographique s’est inversé
Niveau de scolarisation a presque reculé
Explosion des inégalités entre les 1 % et le reste de la population
Explosion du ratio de la dette sur le PIB
De même, Summers annonce au FMI en 2013 que la perspective d’une croissance forte et
durable n’est pas évidente pour les économies occidentales
Menace d’une stagnation séculaire, soit une « situation où l’économie ne parvient pas
à se rapprocher de son potentiel de croissance »
En 2020, ses doutes semblent confirmés : taux d’intérêts proches de 0 / négatifs
Le spectre japonais
Les économies occidentales craignent de tomber dans le piège japonais : une économie en qui
n’arrive pas à se sortir de la déflation / stagnation depuis plus de 30 ans
Crise boursière / immobilière en 1989 et 1991 qui plongent l’économie japonaise dans
la stagnation séculaire (croissance de moins d’1 %/an)
Ni les plans de relance monétaires et budgétaires ni les soutiens massifs aux banques
n’ont permis au Japon d’en sortir (notamment échec des « Abenomics » de Shinzo
Abe)
L’Italie est aussi un parfait exemple du risque de stagnation séculaire qui menace les pays
occidentaux, mais encore plus récent que celui du Japon
5 années de récession après 2008
Record de la part des profits la plus élevée (40%) et taux d’investissement qui
s’écroule
Les deux auteurs entament ici, après avoir fait un tableau de la situation actuelle de
l’économie monde, le développement de leur théorie de la croissance fondée sur les 6
répartitions
Mais pour ce faire, ils doivent d’abord expliquer pourquoi il est à cette heure nécessaire de
changer de paradigme économique et plus globalement de croissance
Ce changement de paradigme est déjà en train de se faire
Revalorisation de l’image de la dette public dans les économies / de l’inflation
Définition de la rupture intéressante donnée par Bairoch : « Dans la longue durée, une rupture
peut être considérée comme un phénomène entraînant des changements très profonds dans un
laps de temps relativement court par rapport à la durée de la phase antérieure »
Les deux auteurs finissent par mettre en évidence, en comparant la situation actuelle à celle de
l’Angleterre de la première révolution industrielle, que le changement de paradigme est
aujourd’hui nécessaire et inévitable, il faut donc se hâter à fonder un nouveau paradigme
d’une croissance forte et durable contre les prévisions d’une fin du capitalisme annoncée par
un Keynes ou un Schumpeter
Pour bâtir cette nouvelle théorie de la croissance, les deux auteurs posent cinq postulats
postulat de la demande effective
postulat de la réaction en chaîne
postulat de la destruction créatrice
postulat des rendements croissants
introduit par Smith et reprit par Young, qu’il juge caractéristique de
l’industrie manufacturière
postulat du capital humain comme facteur de progrès technique
le capital humain n’est pas un facteur de production
« Ce dernier chapitre a pour ambition de trouver une conclusion à cette analyse de la Grande
Rupture »
Les auteurs rappellent ici que la Grande Rupture doit s’inscrire autour de la crise écologique,
qui conduit déjà un grand nombre d’experts et de citoyens à renoncer à la croissance
Il en va de même avec l’explosion des inégalités et la disparition des classes moyennes
(Stiglitz prévoit que la classe moyenne américaine devienne la « toute première ex-classe
moyenne de la planète)
Cette paupérisation avancée dans la majorité des pays développés a des effets
politiques évidents : la montée du populisme
Cette dissolution peut aussi être endogène et venir de l’économie elle-même si elle ne
parvient pas ou plus à se rapprocher ou à augmenter sa croissance potentielle, c’est-à-dire si
elle tombe en stagnation séculaire
Les auteurs proposent ici un tableau récapitulatif de la trajectoire souhaitable en France pour
2050
S’ensuit alors une esquisse des trajectoires souhaitables d’ici à 2050 pour les six répartitions
vues précédemment qu’on peut récapituler dans le tableau suivant
Répartition des revenus -Rétablir partage équilibré entre revenus du capital et du travail
plus favorable au travail -Redonner du PA aux actifs (surtout modestes)
-Augmentations salariales supérieures aux gains de productivité
-Passer d’une part du profit dans les revenus de 33 à 29 % (2050)
Répartition des -Inciter aux investissements d’expansion pour les entreprises,
investissements plus seuls capables de créer des emplois
favorable aux créations -Limiter les investissements de rationalisation
d’emplois
Répartition de l’épargne -Seul l’État est capable d’inciter à la prise de risque
plus favorable aux actifs -Produit financier à LT garantis, avantageux fiscalement ou non
risqués taxés
-La France est ojd au 15ème rang pour l’actif financier net par
ménage
-Créer des placements transgénérationnels (Angus Masson)
-Investissement public à 2 % du PIB
Répartitions des revenus -Revenu des jeunes générations 20 % inférieur au revenu moyen
plus favorables aux jeunes national dans pays de l’OCDE
générations -Il faut progressivement augmenter le revenu de ces jeunes de
20 %
Nouvelle structuration des -Investir dans l’éducation et la formation professionnelle pour
qualifications en hausse renouer avec l’idéal de mobilité sociale
-Porter la part des très qualifiés à 30 % et ceux des peu qualifiés
à 10 % (contre 20% pour les deux catégories aujourd’hui
Répartition en faveur des -Accroître les dépenses de santé de deux points
dépenses sociales -Baisser les dépenses de retraites de deux points (mais elles
continueront d’augmenter)