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DEGEAD 1ère année, année universitaire 2015-2016

Université Paris Dauphine

Examen final macroéconomie


Guillaume Daudin, Eric Leblanc et Lise Patureau
10 mai 2016 - Durée : 2h
Remarques à faire dans l’amphi
Pour la question 3 de l’exercice : il ne faut pas prendre en compte l’équation 3 pour le
calcul
Pour la question 6 de l’exercice : l’équilibre de CT est bien E1
Pour la question 6)b) de l’exercice : les autorités mènent la même politique que dans la
question 5 (plutôt que 6)

Document, téléphone portable et calculatrice interdits. On attend des réponses soigneusement


justifiées, notamment en termes d’interprétation économique. Il en est tenu compte
explicitement dans la notation. Le barème est donné à titre indicatif et est susceptible de
modification.

I. Questions de cours (6 points)

2 points par question

Répondre à chacune des questions suivantes en 6 lignes maximum pour :


1. Pourquoi est-ce que les ménages acceptent-ils de déposer de l'argent rémunéré
à 1% sur un compte sur livret alors que les banques prêtent aux entreprises à
plus de 5% ?
Il y a trois éléments de réponse. -0,5 point pour ceux qui manquent -0,5 points si c’est confus,
mal expliqué, qu’il y a un faux sens, etc. Donc s’il n’y a qu’un argument bien expliqué, c’est 1
point. S’il n’y a rien, c’est 0 bien sûr.
- Coûts de mise en place
- Risque
- Maturité ou liquidité
2. Pourquoi y a-t-il contradiction entre les intérêts des actionnaires et les intérêts
du public (déposants, créditeurs et état) dans la gestion du bilan des banques ?
Rappeler la formule qui relie RoE, coefficient de rentabilité et effet de levier. Les actionnaires
veulent un RoE le plus grand possible. A coefficient de rentabilité donné, ils veulent donc
utiliser à plein l’effet de levier pour qu’il soit le plus grand possible (ie réduire la part des
capitaux propres dans le bilan).
De l’autre côté, la banque détient des fonds propres pour réduire la probabilité de devenir
insolvable. En cas de pertes sur les actifs, un grand effet de levier peut entraîner des pertes
supérieures aux capitaux propres, ce qui fait perdre de l’argent aux créditeurs, aux déposants
et à l’État (qui garantit les déposant et veux éviter la faillite). Il y a donc tension entre la
rentabilité de la banque et sa solvabilité.
Si la tension entre RoE et risques pour les non-actionnaires est expliquée : 1 point
Si l’explication de l’effet de levier est bonne : 1 point
3. Expliquez ce qu’est la verticalisation de la courbe de Phillips et ce qui peut
l’expliquer dans le cadre d’un modèle d’OG-DG.
La verticalisation de la courbe de Philips est la disparition du trade-off entre l’inflation et le
chômage (1 point)

1
Elle peut s’expliquer par la verticalisation de la courbe d’OG, par exemple parce que les
salaires s’ajustent immédiatement à l’inflation par l’indexation (1 point. Toute explication
tournant autour de la fin des rigidités nominales peut marcher donner le point)

II. Exercice (8 points)

On suppose le modèle de l’offre globale – demande globale suivant. On raisonne dans le


cadre du modèle OG-DG où le salaire nominal est fixé en début de période puis fixe dans le
court terme.
(1)
(2)
(3)
Avec g la dépense publique, T les impôts forfaitaires, m l’offre de monnaie. Ces trois
variables de la politique économique sont décidées de manière discrétionnaire et exogène par
les autorités publiques.
p représente le niveau général des prix et y la production, w le salaire nominal et e le prix de
l’énergie, y0 et yn sont des constantes positives, yn s’interprétant comme le produit naturel.
Par ailleurs, l’économie est importatrice d’énergie et elle prend donc le prix de l’énergie
comme une donnée exogène.
Tous les paramètres (, , , ) sont constants et positifs.

1) Quelle équation exprime l’offre globale de long terme ? Comment s’explique-t-elle ? (0,5
point – 2 lignes maximum)
Equation 3. (0,25 point) L’OG de long terme est déterminée par le stock des facteurs de
production et le niveau du progrès technique. C’est-à-dire, il n’y a pas de relation entre la
production offerte par les entreprises et le niveau des prix (0,25 point).

2) Quelle équation exprime l’offre globale de court terme ? Comment s’explique-t-elle ? (0,5
point – 2 lignes maximum)
Equation 2.(0,25 point) L’OG de court terme est réduite par le prix des inputs et augmentée
par le prix de vente. La relation croissante entre offre globale et niveau des prix à court terme
s’appuie sur l’existence d’une certaine forme de rigidité ; par exemple, les salaires nominaux
rigides ; valoriser le fait que l’intuition économique est donnée. (0,25 point)

Sur ces deux questions 1 et 2 : sanctionner – 0.25 s’il n’y a pas d’explication économique.

3) Déterminez les valeurs d’équilibre de court terme de p et de y (notées pE et yE) en fonction


des variables exogènes et des paramètres. Représentez l’équilibre global de court terme
dans un plan (y,p), qu’on appellera E0. On supposera que cet équilibre correspond aussi à
une situation où l’économie est au produit naturel. (1 point)
Il faut poser (0,25 points pour la démarche)

En posant que la première ligne est égale à la 2e, on obtient :


et
2

0,25 pour chaque résultat d’équilibre.
et
0,25 point pour la représentation graphique

4) L’économie fait face à un choc sur le prix de l’énergie, qui augmente brutalement (soit, e
>0) de manière non anticipée. On néglige l’effet sur l’offre global de long terme pour
l’instant.
a) A partir de vos résultats de la question 3, déterminez l’effet du choc sur les variables
prix et production à l’équilibre global de court terme (soit, la valeur des
multiplicateurs yE/e et pE/e). (0,5 point)
On a : yE/e=-/((+ ) et pE/e= /((+ ) 0,25 point chacun
Donner les points tant que c’est cohérent avec la réponse du 3.
Ils n’ont pas besoin d’une démonstration rigoureuse.

b) Représentez la situation dans le plan (y,p) (on appellera E1 l’équilibre de court terme
après le choc sur le prix de l’énergie), en faisant apparaitre la différence par rapport à
l’équilibre initial. Commentez précisément les effets du choc sur l’équilibre global en
termes économiques. (1 point – 4 lignes maximum)
0,5 points pour la représentation graphique. Attention, il faut que le graphique explicite bien
l’équilibre de départ et l’équilibre d’arrivée.

Explication :0.5 point. L’augmentation des prix de l’énergie rend la production moins
rentable (à salaire nominal rigide) : la courbe d’offre se déplace vers la gauche. Les
entreprises baissent leur production = excès de demande de biens, qui pousse toutes choses
égales par ailleurs le niveau des prix à la hausse. On a donc un nouvel équilibre global
caractérisé par un niveau des prix plus élevé et un niveau d’activité plus faible = stagflation.

5) Supposons que les autorités publiques ont deux objectifs, maintenir l’activité au niveau du
produit naturel et maintenir le niveau des prix au niveau associé à E0, que l’on qualifiera
de « prix cible ».
a) Comment les autorités peuvent-elles rétablir la production au niveau du produit naturel
sans attendre l’ajustement de long terme ? (0,5 point - 2 lignes maximum)
Les autorités peuvent rétablir la production en augmentant la demande en jouant sur g, T ou
m 0.25 pour la réponse « brute ».
0.25 point pour le mécanisme économique : hausse de G, effet direct, baisse de T, hausse de C
et/ou de I, hausse de M, effet Pigou hausse des composantes de la demande globale.

b) En utilisant l’un des outils à leur disposition, elles rétablissent la production au niveau
du produit naturel. On appelle E1’ cet équilibre. Expliquez graphiquement ce qu’il
s’est passé (y,p) (0,5 point - 2 lignes maximum)
Déplacement de la courbe de demande vers la droite. Pour éviter la période de transition
entre E1 et E0, mener une politique de stabilisation pour éviter le chômage et la récession, en
stimulant la demande globale de biens.

3
0,25 points pour le graphique + 0.25 point pour l’explication.

c) Expliquez en utilisant un graphique les conséquences de ces actions sur les prix de
long terme (0,5 point - 4 lignes maximum)
Cette action va augmenter les prix, instantanément et de manière en fait permanente. On voit
sur le graphique que nous sommes maintenant à un nouvel équilibre de long terme, où le
niveau des prix est plus élevé. Le choc pétrolier provoque déjà un excès de demande de biens,
qui pousse le niveau des prix à la hausse. La politique de stabilisation renforce l’excès de
demande de biens (en augmentant la demande globale). Donc, dès la période du choc
pétrolier en présence de politique de stabilisation, on a une forte hausse du niveau des prix.
Dès lors que la politique de stabilisation atteint son but (stabiliser y au niveau naturel), alors
le nouvel équilibre E’1 est « stable », c’est-à-dire que cette augmentation des prix est
permanente.

6) Nous supposons maintenant que le choc sur prix de l’énergie réduit le produit naturel à
y’n. Il se trouve que le nouvel équilibre de court terme est aussi le nouvel équilibre de long
terme.
a) Quelle est la valeur de y’n en fonction de e et yn ? (0,5 point)
Il «suffit» de reprendre le calcul de 4.a. y’n =yn -/((+ ).e. Donnez les points tant que
c’est cohérent avec la réponse du 4.a. Vous pouvez donner 0,25 s’ils écrivent . y’n
=yn+(yE/e) e

b) Les autorités ne se rendent pas compte du changement du produit naturel et mènent la


même politique que dans la question 6. Graphiquement, vont-elles êtres surprises par
les effets de la politique à court terme ? Et par les effets à long terme ? (1.5 points - 6
lignes maximum)

Graphique : 0.75 point. 0.5 pour le choc pétrolier qui fait déplacer ET l’offre globale de
court terme ET l’offre globale de long terme. 0.25 pour placer ensuite le déplacement de AD
avec la politique de stabilisation.

Explication : 1 point. Elles ne vont pas être surprises par les effets à court terme : les prix et
le produit vont augmenter (0,25 points)
Elles vont être surprises par les effets à long terme (0.5 points) : comme l’économie n’est pas
sur l’équilibre de long terme après le choc de demande (E’1 n’est pas le vrai équilibre de
long terme dans ce contexte), on est en situation d’excès de demande, chômage en dessous du
chômage naturel, pression à la hausse des salaires nominaux, ce qui toutes choses par
ailleurs, réduit l’offre globale ; la courbe d’offre globale va se déplacer vers la gauche. Les
prix vont continuer à augmenter et le produit va baisser, jusqu’à revenir au niveau E1

c) En quoi vos résultats permettent-ils de comprendre les effets des politiques de relance
au regard de l’expérience historique des années 1970 dans les pays industrialisés ? (1
point - 4 lignes maximum)
Dans les années 1970, les autorités ont vu dans les chocs sur la courbe d’offre (progrès
technique prix de l’énergie) des chocs temporaires alors qu’ils étaient permanents. Leurs
relances ont donc créé de la stagflation.

4
III. Analyse de document (6 points)

1. Quelle est la thèse de Robert Gordon ? (1 point - 3 lignes maximum)


La thèse de Robert Gordon est qu’il va y avoir un ralentissement durable et significatif de la
croissance américaine (0,5 point). Détails pertinents (chiffres exacts (0,8 ou 0,9% ou liste des
canaux (0,5 point)

2. Expliquez l’argument de Gordon sur le rôle du ralentissement du progrès technique en


utilisant les résultats du modèle de Solow (avec au moins une équation ou un
graphique) (8 lignes hors équation ou graphique, 1,5 points)
Dans le modèle de Solow, le taux de croissance de long terme dépend uniquement du taux de
progrès technique (0,5 point)
Graphique ou petit calcul à partir du modèle de Solow pour le montrer). (0,5 point)
Gordon pense que le progrès technique va ralentir dans les prochaines années. Cela devrait
donc réduire le taux de croissance (0,5 point)

3. Expliquez l’argument de Gordon sur le rôle des heures travaillées par tête en termes de
comptabilité de la croissance (8 lignes hors équation ou graphique, 1,5 point)
Dans l’approche par la comptabilité de la croissance, celle-ci est égale à la somme des taux
de croissance des inputs/entrants dans la production (pondérée par leur part dans la
production). (0,75 point) – C’est peut-être un peu dur.
Le nombre d’heures travaillées par tête va baisser à cause des évolutions démographiques
(baisse du nombre de travailleurs par tête) et du nombre d’heures travaillées par travailleurs,
notamment à cause de la croissance du temps partiel (0,75 points)
Le but est de montrer qu’ils sont capables de mettre en relation des connaissances extérieures
avec le texte plutôt que de commenter le texte.

4. William Janeway (https://www.project-syndicate.org/commentary/why-economic-


growth-is-not-over-by-william-janeway/french) pense que Gordon sous-estime le rôle
de l’Etat dans la détermination du taux de progrès technique. Donnez un argument
allant dans son sens (1 point - 6 lignes maximum)
Gordon ne mentionne l’État que pour son rôle négatif (endettement ou encouragement du
travail partiel par la législation sociale) (cet argument n’est pas explicitement demandé, il
peut être négligé) Pourtant, l’État peut aussi encourager les études (en subventionnant les
dettes des étudiants ou en subventionnant les études directement), encourager la R&D (crédit
d’impôt pour la recherche, par exemple) ou même faire de la recherche lui-même (origine de
l’internet dans le secteur de la recherche publique…). Un seul argument suffi pour avoir les 1
point, à condition que cela soit expliqué sans faux-sens, confusion, etc. Sinon, juste 0,5 point.

5. Donnez un argument autre que ceux de Gordon ou que celui discuté ci-dessus qui va à
l’encontre ou qui soutient de la thèse de Gordon (8 lignes maximum, 1 point)
C’est à vous de juger de la qualité des arguments.
Par exemple : Gordon sous-estime le rôle de long terme des TIC. Historiquement, il n’y a pas
de raison de penser que nous sommes au bout de l’exploitation des possibilités de croissance
qu’elles offrent.
En revanche, compter 0 si la réponse s’appuie sur un argument de court terme (cela va
relancer la demande).

5
Ou : Par définition, nous ne sommes pas capables de prédire quand est-ce qu’une nouvelle
vague d’innovation va se développer. Les nanotechnologies ou autre ont le potentiel de
révolutionner les méthodes de production
Ou : Gordon ne discute pas des problèmes écologiques. L’épuisement des ressources de la
planète et la nécessité de lutter contre le changement climatique vont entraîner des coûts
considérables qui vont empêcher la continuation de la croissance
Les arguments de court terme (sur la crise, etc.) ne sont pas valables

Robert Gordon et la fin de la croissance américaine

http://www.blog-illusio.com/article-la-croissance-americaine-est-elle-epuisee-
110200234.html 20 février 2014, Martin Anota

Les plus récentes théories de la croissance économique suggèrent que celle-ci est un phénomène
cumulatif ; une fois amorcée, elle tend à se perpétuer elle-même. Robert Gordon (2012) a suscité de
nombreuses réactions, pour la plupart hostiles, en prédisant un ralentissement durable et significatif
de la croissance américaine. Ce faisant, il mettait en question ce qui beaucoup considéraient comme
une évidence : rien n’assure que la croissance économique soit un phénomène illimité dans le temps.
Le taux de croissance annuel du PIB américain a en effet atteint en moyenne 2 % entre 1891 et 2007.
Mais désormais, selon les estimations de Gordon (2014), le taux de croissance annuel moyen s’élèvera
ces prochaines décennies à 1,3 % pour la productivité du travail, à 0,9 % pour la production par tête,
à 0,4 % pour le revenu réel par tête des 99 % des ménages les moins aisés et à 0,2 % pour le revenu
disponible de ces mêmes ménages. Les Etats-Unis renoueraient finalement avec la stagnation
économique dans laquelle était plongés l’ensemble des pays avant la Révolution industrielle ; la
période de croissance qui débuta avec cette dernière n’aura été qu’une parenthèse historique, non
reproductible. En dressant un portait aussi sombre de l’avenir économique des Etats-Unis, Gordon
accrédite par là la thèse d’une grande stagnation (great stagnation) développée par Tyler Cowen.

Gordon (2012), comme Cowen, faisait du ralentissement de l’innovation la principale cause de


l'affaiblissement de la croissance potentielle ; les inventions les plus faciles à mettre en œuvre ont
déjà été mises à jour et l’économie buterait tout simplement aujourd’hui sur un manque d’inspiration.
Gordon suggérait toutefois que six autres dynamiques, indépendantes du processus d’innovation,
allaient également contribuer à réduire la croissance à long terme. Gordon (2014) considère à présent
que ces six « vents contraires » auront un plus grand impact sur la trajectoire future du PIB américain
que le ralentissement de l’innovation.

Premièrement, les changements démographiques vont se traduire par une baisse du nombre d’heures
travaillées par tête. Le taux de fertilité a été particulièrement élevé entre 1946 et 1964, si bien que la
majorité des baby boomers vont prendre leur retraite entre 2008 et 2034. Même si le taux de
chômage et le taux d’emploi reviennent à leurs niveaux de 2004, soit respectivement 5,5 % et 94,5
%, le nombre d’heures travaillées par tête risque tout de même de diminuer en raison de la baisse du
nombre d’heures travaillées par travailleur et du déclin du taux d’activité. En effet, en raison des
dysfonctions propres à la protection sociale aux Etats-Unis, les entreprises sont incitées à embaucher
à temps partiel, afin d’éviter de payer les coûts d’assurance sociale. Au final, ces changements
démographiques devraient se traduire par une baisse de 0,3 point de pourcentage le taux de
croissance annuel moyen.

Deuxièmement, le niveau d’éducation, après avoir augmenté pendant plusieurs décennies, stagne
désormais à un plateau. Par exemple, le pourcentage de jeunes qui disposent d’un diplôme du
secondaire est passé de 10 à 80 % entre 1900 et 1970, puis il a diminué pour atteindre 74 % en
2000. De plus, l’accès à l’éducation et plus particulièrement aux études universitaires devient de plus
en plus difficile, comme le dénote notamment l’explosion de la dette étudiante (student debt). Alors
qu’elle constituait un moteur central de la croissance économique au cours du dernier siècle en
générant de substantiels gains de productivité, l’éducation contribuera moins à la croissance au cours

6
des prochaines décennies. En l’occurrence, la stagnation du niveau d’éducation devrait réduire de 0,2
point de pourcentage le taux de croissance annuel moyen.

Troisièmement, les inégalités vont continuer à s’accroître. La part du revenu national détenue par les
1 % des ménages les plus aisés atteignait des niveaux extrêmes entre 1913 et 1929. Elle a fortement
diminué entre les années cinquante et le début des années soixante-dix. Elle augmente à nouveau
depuis la fin des années soixante-dix et retrouve aujourd’hui les valeurs qu’elle atteignait au début du
vingtième siècle. Au cours des dernières décennies, la croissance du revenu réel des 99 % des
ménages les moins aisés a été inférieure d’un demi-point à la croissance moyenne de l’ensemble des
revenus. En 2012, le revenu réel médian des ménages américains était inférieur à son niveau de
1998. Si cette tendance se poursuit, la hausse des inégalités devrait à l’avenir se traduire par une
baisse de 0,5 point de pourcentage le taux de croissance annuel moyen pour les 99 % des ménages
les moins aisés.

Quatrièmement, les administrations publiques sont fortement endettées et, dans un contexte de faible
croissance économique, la dette publique va continuer à augmenter plus rapidement que le PIB. La
hausse à long terme du ratio dette publique sur PIB va tôt ou tard pousser les autorités publiques à
accroitre les recettes fiscales et/ou réduire les prestations sociales pour ramener le ratio sur une
trajectoire plus soutenable. Or une telle consolidation budgétaire ne manquera pas de peser en retour
sur la croissance économique et de réduire le revenu disponible des ménages. Elle devrait réduire de
0,2 point de pourcentage le taux de croissance annuel moyen du PIB par tête.

Ces dynamiques démographique, éducative, distributive et fiscale devraient ensemble contribuer à


réduire de 1,2 point de pourcentage le taux de croissance annuel moyen. Alors que ce dernier s’élevait
à 2 % entre 1891 et 2007, il devrait atteindre 0,8 % au cours des prochaines décennies pour les 99 %
des ménages américains les moins aisés. Si le PIB par habitant suivait à long terme la même tendance
qu’entre 1891 et 2007, c’est-à-dire s’accroissait en moyenne de 2 % par an, il atteindrait environ
200.273 dollars en 2077, c’est-à-dire quadruplerait en l’espace d’un siècle (cf. graphique). Mais, en
raison des quatre vents contraires et de leur impact sur la croissance économique, le PIB par tête
devrait finalement s’élever aux alentours de 86.460 dollars en 2077.

GRAPHIQUE PIB par tête américain avec et sans vents contraires (en dollars 2009)

source : Gordon (2014)

7
[…]

Gordon conclut enfin son travail prospectif en se penchant sur l’innovation et son impact sur la
trajectoire future du PIB. Il reconnaît, comme de nombreux auteurs, que le progrès technique joue un
rôle majeur dans la croissance des pays avancés et il affirme pour sa part que le ralentissement du
premier contribuera à la faiblesse de la seconde. Il ne lui est toutefois pas nécessaire de conjecturer
que le progrès technique ralentira dans un avenir proche pour que ses prévisions pessimistes
deviennent réalité, précisément parce qu’un tel ralentissement a eu lieu il y a quatre décennies. Au
cours de la deuxième révolution industrielle, c’est-à-dire de la fin du dix-neuvième siècle jusqu’à 1972,
la productivité a augmenté assez rapidement pour doubler tous les 29 ans. Mais le taux de croissance
annuel moyen de la productivité du travail a diminué de 0,8 points de pourcentage au cours des
quatre décennies suivantes. La croissance de la productivité a certes significativement augmenté entre
1996 et 2004, mais cette performance n’est pas reproductible, si bien que cette période aura été
unique dans l’histoire. Le boom de la fin des années quatre-vingt-dix s’explique par un déclin
exceptionnel du prix du matériel informatique et une hausse toute aussi exceptionnelle de la part du
PIB consacrée à l’investissement dans les technologies de l’information et de la communication (TIC).
Ces dépenses d’investissement ont chuté avec l’effondrement de la bulle internet en 2000, mais la
croissance de la productivité est restée forte jusqu’en 2004, suggérant un délai entre l'acquisition des
nouvelles technologies et la pleine exploitation de leur potentiel (ce qui expliquerait notamment le
paradoxe relevé par Solow à la fin des années quatre-vingt).

La révolution informatique aura donc accéléré la croissance de la productivité durant à peine une
décennie, une performance particulièrement décevante au regard des huit décennies de gains de
productivité de la deuxième révolution industrielle. Les trois inventions les plus décisives sont
apparues en l’espace de trois mois en 1879 : Thomas Edison a inventé l’ampoule électrique, Karl Benz
a mis au point un moteur à allumage électrique et David Edward Hughes a réussi à envoyer des ondes
sur une distance de plusieurs centaines de mètres. A la différence de la révolution des TIC, la
deuxième révolution industrielle fut multidimensionnelle, puisqu'elle vit l'émergence d'inventions aussi
diverses que l’électricité, l’eau courante, les véhicules motorisés, la radio, la télévision, la santé
publique, etc. Toutes ces inventions sont apparues en même temps, en l’occurrence entre 1880 et
1929. Au final, les progrès économiques observés jusqu’à 1972 consistèrent principalement à
développer des inventions subsidiaires et complémentaires celles apparues au tournant du siècle.

[…]

Références

BYRNE, David M., Stephen D. OLINER & Daniel E. SICHEL (2013), « Is the information technology revolution over? »,
Réserve fédérale, finance and economics discussion paper, n° 2013-36.

BRYNJOLFSSON, Erik, & Andrew MCAFEE (2014), The Second Machine Age, Norton.

COWEN, Tyler (2011), The Great Stagnation: How America Ate All the Low-Hanging Fruit of Modern History, Got Sick, and
Will (Eventually) Feel Better.

GORDON, Robert J. (2012), « Is U.S. economic growth over? Faltering innovation confronts the six headwinds », National
Bureau of Economic Research, working paper, n° 18315, août.

GORDON, Robert J. (2014), « The demise of U.S. economic growth: restatement, rebuttal, and reflections », National
Bureau of Economic Research, working paper, n° 19895, février.

MOKYR, Joel (2013), « Is technological progress a thing of the past? », in Vox.EU.org, 8 septembre.

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