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Grèce: prêter n’est pas donner  

Jean Pisani‐Ferry et André Sapir 

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March 25, 2010 

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Un  mois  et  demi  après  que  les  chefs  d’Etat  européens  ont  décidé,  le  11  février,  de faire  acte  de 
solidarité  avec  la  Grèce,  le  débat  sur  le  principe  et  les  modalités  d’une  éventuelle  assistance  à 
Athènes n’est toujours pas clos. Il n’a cessé de gagner en intensité, mais aussi en confusion, si bien 
qu’on  ne  sait  toujours  pas  si  l’Union  européenne  s’apprête  à  intervenir,  si  l’on  en  viendra  à  faire 
appel  au  FMI,  ou  bien  encore  si  l’Union  agira  en  appui  d’un  programme  du  FMI.  Cette  incertitude 
témoigne de vifs désaccords entre Européens sur la  gouvernance économique face aux crises.    

La résistance à une assistance à la Grèce est particulièrement vive en Allemagne, où de nombreuses 
voix se sont  élevées contre un « renflouement » jugé contraire aux  traités européens. L’inquiétude 
allemande  se  comprend :  lorsqu’elle  a  accepté  de  substituer  l’euro  au  mark,  et  de  faire  l’union 
monétaire  avec  des  pays  moins  vertueux  qu’elle,  l’Allemagne  a  demandé  une  double  garantie : 
contre  le  risque  inflationniste,  par  l’indépendance  de  la  banque  centrale ;  et  contre  le  risque  de 
devoir subventionner les Etats défaillants, par la clause du traité qui interdit toute coresponsabilité 
sur les dettes publiques.  

Ces  deux  garanties  font  partie  du  contrat  fondateur  et  les  remettre  en  cause  serait,  pour  les 
Allemands,  rompre  avec  des  engagements  essentiels.  La  cour  constitutionnelle  de  Karlsruhe  a 
d’ailleurs indiqué dans son arrêt sur l’Union économique et monétaire que celle‐ci n’était conforme à 
la loi fondamentale que pour autant que l’euro garantissait la stabilité monétaire. Au demeurant, la 
clause de non‐coresponsabilité est parfaitement fondée. En l’absence d’union politique, chaque Etat 
doit rester responsable de ses dettes.   

Mais  non‐coresponsabilité  ne  signifie  pas  non‐assistance.  Lorsque  le  FMI  prête  de  manière 
conditionnelle à un Etat, il ne se porte pas garant de ses dettes et n’effectue aucun don à son profit. 
Au  contraire,  il  prête  avec  intérêt  et  en  tire  un  revenu  (c’est  l’essentiel  des  ressources  du  Fonds). 
L’Union  pourrait  en  faire  de  même  pour  ses  membres  sans  mettre  en  cause  le  principe  de  non‐
coresponsabilité.  

Une  difficulté  se  présente  cependant :  le  traité  européen  prévoit  (dans  son  article  143)  une 
assistance  financière  sous  forme  de  prêts  aux  Etats  membres  de  l’Union,  mais  il  en  exclut 
explicitement les participants à l’euro. L’Union a ainsi pu prêter  à la Roumanie ou à la Hongrie (en 
appui à des programmes FMI), mais elle ne peut utiliser cette disposition pour prêter à la Grèce. Cela 
semble conforter l’idée que non‐coresponsabilité et non‐assistance sont un seul et même principe.  

Cette lecture est cependant erronée. C’est pour une toute autre raison que les pays de la zone euro 
ont  été  exclus  par  le  traité  de  Maastricht  du  bénéfice  de  l’assistance  financière  de  l’Union.  Ainsi 
qu’en attestent les négociateurs de l’époque, la discussion à l’époque portait sur les prêts de balance 
des paiements et il semblait évident qu’une fois dans l’union monétaire, la notion même de balance 
des  paiements  disparaîtrait  (comme  c’est  le  cas  entre  les  régions  d’un  même  pays).  Les  pays  de  la 
zone euro ont ainsi été exclus du bénéfice des prêts de balance des paiements pour la simple raison 
qu’il semblait inimaginable qu’ils puissent en avoir besoin.  

A l’expérience, les difficultés peuvent cependant persister en régime de monnaie unique. Ce ne sont 
pas  à  proprement  parler  des  problèmes  de  financement  de  déficit  extérieur,  mais  ce  sont  bien 
néanmoins des problèmes de financement sur les marchés internationaux des capitaux. Il serait donc 
logique  de  faire  sauter  la clause  qui  discrimine  entre  pays  de  la zone  euro  et  pays  hors  zone  euro, 
tout en maintenant inchangé le principe de non‐coresponsabilité.  

Ce n’est pas possible aujourd’hui, à traité inchangé. Mais cela indique la voie à suivre. Pour demain, 
elle  consiste  à  modifier  cette  disposition  du  traité.  Pour  aujourd’hui,  elle  consiste  à  fournir  une 
assistance  sous  la  forme  de  prêts  bilatéraux,  en  appui  à  un  programme  du  FMI,  seul  à  même  de 
fournir sans délai le cadre indispensable pour une intervention coordonnée au sein de la zone euro. 
Le tout peut et doit se faire sans prendre aucune coresponsabilité sur la dette grecque.  

La  solution  est  donc  à  portée  de  la  main,  pourvu  que  l’Allemagne  se  rallie  à  une  lecture  plus 
rationnelle du traité, et accepte de faire la distinction entre prêter et donner.    

Jean Pisani‐Ferry et André Sapir sont respectivement directeur et senior fellow de Bruegel, centre de 
recherche et de débat sur les politiques économiques en Europe 

        

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