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Dépénalisation et décriminalisation réaménagement ou de substitution impliquées

dans les phénomènes de décriminalisation ou


de dépénalisation. Sans pouvoir ici tendre à
de l’usage des drogues : tenants l’exhaustivité, une première option concerne la
légalisation, qui consiste en la reconnaissance
et aboutissants juridique d’un comportement et la liberté de
l’accomplir. La légalisation d’un comportement
Christine Guillain* suppose sa décriminalisation préalable, mais la
légalisation et, dès lors, sa décriminalisation,
La journée d’études organisée par la Société d’addictologie francophone avait pour peuvent être partielles. Ainsi, l’usage de drogues
objectif de présenter la Charte “Pour une autre politique des addictions”. Partant du peut être légalisé uniquement à l’encontre des
majeurs et non des mineurs. La légalisation n’im-
constat – maintes fois répété – de l’échec de la guerre à la drogue, elle propose de réviser
plique pas nécessairement un devoir de l’État de
la loi de 1970 afin de dépénaliser l’usage de drogues. La présente contribution tente mettre à disposition “les moyens qui permettent
de définir les notions complexes que sont la décriminalisation et la dépénalisation l’exercice de cette liberté” (5). On pense ici à la
pour ensuite s’interroger sur les différents modèles susceptibles de les remplacer. légalisation de l’usage de cannabis qui ne serait
pas accompagnée d’une prise en charge par l’État
Comme nous le verrons, ces processus de retrait du champ pénal ne sont pas toujours de sa production et de sa commercialisation.
synonymes d’adoucissement de la répression1. La réglementation est la reconnaissance
juridique d’un comportement, mais assortie
de conditions visant à en limiter l’exercice et
à continuer à en assurer le contrôle, mais par
Dépénalisation et pénales à l’égard d’un comportement déterminé
d’autres voies que le pénal. La réglementa-
(3), préservant l’interdit pénal de toute mise en
décriminalisation : essai question. Une distinction doit cependant être
tion implique la légalisation, mais, à nouveau,
de clarification celle-ci peut être partielle. Plusieurs modalités
faite entre la dépénalisation relative et la dépé-
de contrôle sont possibles dans le cadre d’une
nalisation absolue. La dépénalisation relative
La décriminalisation est le processus tendant réglementation. Le contrôle peut s’exercer sur
consiste en une désescalade de la peine au sein
non seulement à la suppression de l’application la qualité de produits ou de services, comme
du système pénal. Ce processus est caractéris-
tique de la plupart des changements opérés dans en témoignent, par exemple, les lois opérant
de toute sanction pénale à l’égard d’un compor-
le champ des drogues, qu’il s’agisse, pour l’usage un contrôle sur les médicaments ou, dans cer-
tement déterminé, mais encore à la suppres-
de drogues ou des comportements entourant cet tains pays, sur les dispositifs de distribution et
sion de son statut même de crime, c’est-à-dire
usage, de diminuer la peine d’emprisonnement, d’échange de seringues. Le contrôle peut ensuite
d’infraction pénale (3). Ainsi, la décriminalisa-
de la remplacer par une peine d’amende ou par s’exercer sur les personnes qui délivrent un
tion de l’usage de drogues signifie que ce com-
un traitement médical. Ces peines, considérées produit ou un service via l’exigence d’une licence
portement ne donne plus lieu ni à poursuites ou d’une autorisation, comme le fait d’envisager,
ni à condamnation pénale. La réaction sociale comme plus douces, viennent se substituer à
l’emprisonnement, mais constituent toujours dans le cadre d’une réglementation du cannabis,
peut néanmoins prendre d’autres formes que sa distribution en pharmacie ou via des centres
le pénal, comme l’illustre la loi portugaise du des sanctions pénales à l’encontre d’un compor-
tement qui reste incriminé dans la loi pénale. spécialisés.
19 novembre 2000 qui a abrogé les dispositions La fiscalisation consiste en une taxation qui se
de la loi sur les drogues qui criminalisaient l’usage La dépénalisation absolue aboutit, en revanche,
à la suppression pure et simple de la peine et veut dissuasive. Toujours en Hollande, l’absence
de même que la détention et l’acquisition en vue de décriminalisation et de légalisation n’em-
d’usage de drogues. Les comportements visés équivaut dès lors à la décriminalisation selon
l’adage “pas d’infraction sans peine3”. pêche nullement une taxation des coffee shops
restent cependant prohibés, mais constituent et, comme le souligne M. van de Kerchove, “le
dorénavant des infractions administratives du Une dernière distinction porte sur la dépénali-
sation/décriminalisation de droit, inscrite dans législateur s’accommode parfois très bien de cette
ressort de commissions administratives qui contradiction” (6).
peuvent imposer des amendes administratives la loi et opérant automatiquement, et la dépéna-
ou des traitements thérapeutiques2. lisation/décriminalisation de fait, facultative en
La dépénalisation, quant à elle, est le processus ce qu’elle est laissée au pouvoir d’appréciation Substitution ou réamé-
tendant à réduire l’application de sanctions
des organes d’application de la loi. Ainsi, une nagement : des modèles
circulaire peut recommander aux policiers et
au procureur de se montrer plus tolérants à divers
l’encontre de certains comportements comme
* Christine Guillain est professeur à l’université Saint-Louis l’usage de cannabis. Ces changements ne s’ins- Au terme de ce premier tour d’horizon, on
(Bruxelles, Belgique). Elle y a défendu une thèse de doc- crivent pas dans la loi, mais dans les pratiques constate l’extrême diversité des processus de
torat en vue de l’obtention du titre de docteur en sciences
et doivent dès lors se lire comme la traduction dépénalisation et de décriminalisation, puisque
juridiques sur le thème : “Les facteurs de criminalisation et des dizaines de variantes sont envisageables pour
les résistances à la décriminalisation de l’usage de drogues d’une dépénalisation de fait.
en Belgique. Du contrôle international aux préoccupations chaque comportement pénalement incriminé qui,
sécuritaires”. de surcroît, peut différer selon les systèmes juri-
1 Voir l’ouvrage remarquable de M. van de Kerchove (1), Dépénaliser et décrimi- diques. Cette complexité explique que, malgré des
ainsi que “Criminaliser, décriminaliser l’usage de drogues” (2).
2 Le juge portugais Leandro a précisé la politique portu- naliser : et après ? tentatives de clarification, la dépénalisation dans
guaise au cours de cette journée. Nous publierons son le champ des drogues reste marquée du sceau de
intervention dans notre prochain numéro (4). Une réflexion sur la dépénalisation ou sur la la confusion. Mais, dans le même temps, une telle
3 Ce qui peut expliquer la confusion fréquente entre les
termes de dépénalisation et de décriminalisation, outre le
décriminalisation ne peut faire l’impasse sur diversité témoigne aussi de l’importante marge
fait que, en droit anglo-saxon, le terme “dépénalisation” est les modèles susceptibles de les remplacer. Il de manœuvre qui s’ouvre aux États ainsi qu’aux
synonyme de “décriminalisation”, en droit français. nous faut envisager les différentes formes de acteurs chargés de la mise en œuvre des lois.

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Pourtant, comme le constate la Charte, malgré naire de l’usage de drogues, l’usager n’est plus instruments de politique criminelle, le plus
les multiples recommandations et propositions, uniquement un délinquant, mais doit aussi être souvent sous forme de circulaires. Pour
l’interdit pénal continue à marquer le champ des considéré comme un malade, sujet de soins. La diverses raisons4, les États ont fait le choix de
drogues, et seules certaines formes de désesca- dépendance aux drogues donnera ainsi nais- ne pas toucher aux incriminations légales en
lade pénale sont autorisées. En d’autres mots, sance, dès les années 1970, à une série de dis- se contentant d’aménager leur politique des
peu de pays s’aventurent sur la voie de la décri- positifs permettant aux usagers d’échapper à poursuites.
minalisation pour privilégier des processus de une répression pure. L’on pense notamment aux C’est notamment le cas en Belgique, à travers
dépénalisation qui empruntent 2 voies majeures : différentes formes d’injonction thérapeutique. l’adoption de plusieurs directives de politique
d’une part, la substitution de mesures théra- Cela n’est pas sans poser problème. criminelle en 19985, en 20036 ou encore en
peutiques aux peines privatives de liberté et, Premièrement, si ces dispositifs s’inscrivent 20057, demandant aux polices et aux parquets
d’autre part, l’aménagement de la politique des dans le cadre d’opérations de dépénalisation, de se montrer particulièrement tolérants à
poursuites. ils n’en favorisent pas moins une extension l’encontre de la détention de cannabis. Ainsi,
considérable du contrôle social à des actes ou la dernière directive du 25 janvier 2005 prescrit
Derrière la dépénalisa- à des situations qui n’étaient pas spécialement d’accorder “la priorité la plus faible dans la poli-
ou pas totalement appréhendés par le système tique des poursuites” à la détention de cannabis
tion, des velléités pénal : “À partir du moment où le système de à des fins d’usage personnel8, donnant carte
répressives ? contrôle social ne vise pas à ’réprimer’ des actes, blanche au parquet pour opérer un classement
mais à détecter les symptômes d’une déficience du dossier pénal. On peut cependant à nouveau
La question qu’il convient maintenant de se poser qu’il s’agit de traiter, il est logique, en effet, que se poser la question de savoir si, sous couvert de
consiste à savoir si, sous couvert de dépénalisa- cette attitude adopte une forme de plus en plus dépénalisation, on n’aboutit pas à une re-péna-
tion, ne se cachent pas des velléités de répression préventive et s’étende à des situations de plus en lisation de certains comportements incriminés,
accrue qui, loin de compromettre la répression, plus diversifiées” (9). Il ne s’agit alors plus tant voire à une pénalisation de comportements non
vont au contraire la renforcer. En effet, le fait de de sanctionner un acte pénal que de mettre fin incriminés. En effet, si la directive se veut dépé-
parler “constamment de systèmes de remplace- à un comportement déviant. Ces systèmes de naliser la détention en vue d’usage de cannabis,
ment pourrait laisser entendre que la dépéna- remplacement peuvent en outre développer cette dépénalisation est directement atténuée, le
lisation implique toujours un rétrécissement du des mécanismes de désignation, de correction parquet pouvant prendre en considération des
système pénal lui-même” (7). Or, les changements à l’égard des auteurs de tels comportements qui circonstances telles que des “troubles à l’ordre
opérés dans le cadre de la dépénalisation peuvent peuvent parfois s’avérer plus stigmatisants, plus public” pour exercer des poursuites. Ces troubles
avoir des effets multiples, notamment en termes infamants, plus excluants que le pénal. visent la détention de cannabis dans un établis-
d’extension du contrôle social et d’accroissement Deuxièmement, “il apparaît que de nombreux sement pénitentiaire ou dans une institution
de la sévérité, qu’il ne faudrait pas minimiser. En actes, tant qu’ils sont passibles de sanctions de protection de la jeunesse, la détention dans
ce sens, “la question qui se pose n’est pas tellement pénales, restent en fait impunis, alors qu’ils un établissement scolaire ou similaire ou dans
de savoir si on dépénalise ou non” (8), mais de suscitent plus facilement le prononcé effectif ses environs immédiats. Selon les termes de la
connaître les effets de ces systèmes de rempla- des mesures d’éducation ou de traitement qui directive, il s’agit “de lieux où les élèves se ras-
cement. sont censées les remplacer” (9). Ces mesures semblent ou se rencontrent, tels qu’un arrêt de
étant présentées comme des faveurs, puisqu’il transport en commun ou un parc proche d’une
À travers le modèle s’agit avant tout d’aider les usagers, les acteurs école”. La notion de “troubles à l’ordre public”
judiciaires tout comme les usagers de drogues s’entend aussi lorsqu’il y a détention ostentatoire
médical : une fausse dans un lieu public ou un endroit accessible au
devraient pleinement y souscrire. L’alternative
alternative ? est cependant loin d’être absolue et continue à public, comme un hôpital. La directive entend
se déployer à l’intérieur ou à l’ombre du système ainsi poursuivre l’usage de drogues, au travers
En matière d’usage de drogues, le modèle pénal pénal : le non-respect de mesures de remplace- des comportements qui ne constituent pas
sera essentiellement concurrencé par le modèle ment déclenche le plus souvent l’intervention toujours des infractions pénales, autorisant la
médical : dans une vision paternaliste et protec- pénale, celle-ci se trouvant alors tout simple- mobilisation versatile de l’instrument pénal. En
tionniste prônant une approche multidiscipli- ment déplacée en dernier ressort. somme, il ne s’agit plus tant de se focaliser sur
Loin de se substituer à la sanction pénale, ces sanc­ l’infraction, ni de penser en termes de gravité
tions viennent au contraire s’y superposer, par­ sociale de l’acte commis, mais de réagir à un
4 De nombreux États se disent notamment contraints par
leurs obligations internationales. Sans pouvoir ici entrer ticipant ainsi à la diversification des modes comportement en fonction de son degré de
dans le détail, cette “résistance” au changement semble pénaux de prise en charge de l’usage de drogues déviance ou de la menace à l’ordre public qu’il
plus dictée par des motifs politiques que juridiques. plutôt qu’à leur transformation ou à leur réduc- constitue, donnant lieu à une individualisation
5 Directive commune relative à la politique des poursuites
tion. On assiste ainsi “moins à un rétrécissement plus négative que positive de la peine.
commune en matière de détention et de vente au détail
de drogues illicites, 8 mai 1998. Cette directive n’a pas du système pénal qu’à un redéploiement de celui-
fait l’objet d’une publication dans le Moniteur belge, mais ci […] en vue d’accroître son efficacité dans cer- Conclusion
est consultable sur le site du SPF Justice (http://www.just. tains domaines privilégiés” (7).
fgov.be/index_fr.htm) sous la référence “Circulaire COL
5/98 du Collège des procureurs généraux près les Cours Malgré la diversité des processus qui s’offrent
d’appel”. La politique des pour- aux États pour opérer la dépénalisation, voire
6 Directive ministérielle relative à la politique des poursuites
la décriminalisation, de comportements incri-
en matière de détention et de vente au détail de drogues suites : plus de tolérance minés, et malgré l’éventail des systèmes de
illicites du 16 mai 2003. Moniteur belge du 2 juin 2003.
7 Directive commune au ministère de la Justice et au Col- pour plus de contrôle ? remplacement, le “compromis pénal” adopté
lège des procureurs généraux, relative à la constatation, en matière de drogues se maintient et, si sa
l’enregistrement et la poursuite des infractions en matière Les changements opérés en matière de drogues légitimité est questionnée à différentes reprises,
de détention de cannabis du 25 janvier 2005. Moniteur
belge du 31 janvier 2005.
sont timides et la majorité des modifica- cela ne suffit pas à le faire vaciller.
8 Seule la détention, et non la consommation de drogues, tions apportées au contentieux des drogues Certes, des formes de désescalade pénales sont
constitue une infraction en Belgique. ne s’inscrira pas dans la loi, mais dans des introduites et les États s’autorisent quelques

23 Le Courrier des addictions (15) ­– n ° 1 – Janvier-février-mars 2013


opérations de dépénalisation en substituant qu’une perspective de dépénalisation très 2. Guillain C. Criminaliser, décriminaliser l’usage de
aux sanctions d’emprisonnement des mesures partielle pour, en contrepartie, renforcer le drogues : une histoire sans fin. Dans : Tulkens F, Car-
de traitement et de réhabilitation, ou en amé- contrôle pénal sur divers types d’usages jugés tuyvels Y, Guillain C, eds. La peine dans tous ses états.
Hommage à Michel van de Kerchove. Bruxelles : Lar-
nageant leur politique des poursuites afin d’au- problématiques. cier, 2011:317-36.
toriser les autorités judiciaires à se montrer Reste à espérer que la Charte contribue à sortir 3. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:311.
plus tolérantes à l’encontre des usagers de l’usage de drogues de l’addiction pénale dans 4. Leandro A, Patricio L. La politique publique du
drogues. Mais, les avancées sont timides et laquelle elle est plongée depuis des siècles. v Portugal en matière de drogues : mythes et réalités. Le
restent marginales par rapport à l’option lar- Courrier des addictions 2011;13(2):24-5.
Références bibliographiques 5. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:335.
gement répressive adoptée face à un conten- 6. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:345.
tieux qui concentre les peurs de la société. 1. Van de Kerchove M. Le droit sans peines. Aspects
de la dépénalisation en Belgique et aux États-Unis, 7. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:382.
Par ailleurs, les mesures de remplacement ne Bruxelles. Bruxelles : Publications des Facultés uni- 8. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:353.
doivent pas faire illusion : elles ne consacrent versitaires Saint-Louis, 1987. 9. van de Kerchove M. Op. cit., 1987:359.

vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv
Symposium Reckitt Benckiser la prescription réelle : 7 personnes ont été réincarcérées durant cette période,
dont 4 avaient une prescription de Suboxone®. Sur les 3 autres prescriptions
sur les addictions aux opiacés en prison de BHD, 2 sont dues au fait que le médecin prescripteur à l’extérieur de la
À l’occasion du 10e Congrès national des unités de consultation
v et de soins ambulatoires (UCSA), organisé par l’Association des prison ne connaissait pas la Suboxone®. Globalement, la prescription de ce
médicament n’a entraîné ni augmentation des dosages, ni rejet, et a été bien
professionnels de santé exerçant en prison (APSEP), qui s’est déroulé les 7 et acceptée par les patients.
8 février à Montpellier, le laboratoire Reckitt Benckiser Pharmaceuticals
a convié les congressistes à un symposium : “Addictions aux opiacés en
milieu carcéral : regard sur une nouvelle alternative”. À cette occasion, le SiX Français sur dix ont déjà soufflé
Dr Fadi Meroueh, chef de service de l’unité sanitaire de la maison d’arrêt de
Villeneuve-lès-Maguelone (700 à 800 détenus), a fait part de son expérience dans le ballon
Présentés dans le cadre de la 40e Matinée scientifique de l’Ins-
de plus de 15 ans dans la prise en charge de l’addiction en milieu carcéral et
présenté de nouvelles perspectives thérapeutiques. En effet, la prévalence v titut de recherches scientifiques sur les boissons (Ireb) de juin
des addictions en milieu carcéral est particulièrement élevée, allant dernier, les résultats de son Observatoire 2012 “Les Français et l’alcool” *,
de 30 à 60 % en fonction des produits concernés (alcool, tabac, cannabis, largement consacré à l’alcool au volant, montrent que 6 Français sur 10
héroïne, cocaïne, etc.). Actuellement, la prise en charge de ces patients (74 % des hommes) ont déjà été soumis à un test d’alcoolémie de la part
est hétérogène, et dépend de la taille des établissements pénitenciers, de des forces de l’ordre. Chez les hommes âgés de 25 à 34 ans, plus de 1 sur
la structure sanitaire et de l’implication du personnel. 2 (55 %) avait déjà testé volontairement son alcoolémie, contre 31 % dans
Or, selon le dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et des l’ensemble de la population. Une prudence qu’il convient d’encourager,
toxicomanies (OFDT), la part des détenus bénéficiant d’un traitement puisque plus de la moitié (53 %) des Français déclarait avoir, au moins une
de substitution se situe entre 8 % et 9 %. Pendant l’incarcération, ce chiffre fois dans les 2 dernières années, pris le volant en étant très fatigué (49 %),
diminue car, dans un certain nombre d’établissements, les traitements ne ou après avoir trop bu (17 %), pris des tranquillisants (7 %), ou consommé
sont pas toujours poursuivis, contrairement à ce que prévoit la loi du 18 jan- du cannabis (2 %). L’étude a été conduite en avril 2012, à quelques semaines
vier 1994, instaurant l’équivalence des soins en milieu libre et en milieu de l’entrée en vigueur de l’obligation de disposer d’un éthylotest dans son
fermé. Le taux d’interruption de traitements a fortement baissé entre 1998 et véhicule (le 1er juillet 2012). cinquante pour cent des personnes interrogées
2004, mais il concerne toujours plus de 1 traitement sur 10 (données DGS/ ignoraient alors le taux légal d’alcoolémie (0,5 g d’alcool par litre de sang)
DHOS). Aussi l’un des enjeux actuels est-il de repérer systématiquement les et un tiers pensaient, à tort, qu’on peut éliminer cette quantité d’alcool en
personnes dépendantes, de leur proposer une prise en charge globale ou moins de 3 heures (il faut, en réalité, 4 à 5 heures en moyenne). En revanche,
une orientation, de leur permettre, dans et à leur sortie de prison, de béné- près de 6 Français sur 10 (57 %) situaient bien à 2 verres le seuil au-delà
ficier d’une prise en charge équivalente à celle des patients “hors des murs”. duquel le risque d’être en infraction est le plus probable. Positif également :
Jusqu’à présent, les professionnels de santé disposaient de 2 options thé- 9 Français sur 10 déclaraient appliquer systématiquement ou souvent le
principe du conducteur désigné (“celui qui conduit ne boit pas”) lors des
rapeutiques, la buprénorphine haut dosage (BHD) et la méthadone. Avec
sorties en groupe. En effet, parmi les Français qui sortent en voiture et sont
l’arrivée de Suboxone®, le panel thérapeutique s’enrichit et permet aux
consommateurs de boissons alcoolisées, les trois quarts (72 %) déclaraient
professionnels de santé de proposer à leurs patients un traitement ne pré-
appliquer “systématiquement” ce principe et 15 % le pratiquer “souvent”.
sentant pas d’intérêt s’il est injecté ou sniffé et ayant un moindre attrait
Plus généralement, les questions pratiques sur l’alcool, régulièrement posées
en termes de trafic. Le Dr Fadi Meroueh a ainsi mis en place une prise en
depuis 2006, montrent une légère progression des connaissances. Ainsi,
charge innovante de ses patients détenus en leur proposant ce traitement.
l’abstinence pendant la grossesse obtient son meilleur score en 2012 avec
En mai 2012, il a également lancé une étude auprès des patients pris en charge
79 % des Français qui conseillent à une femme enceinte de ne pas boire du
avec cette nouvelle thérapeutique, pour évaluer leur ressenti et comment
tout. À noter que 90 % des 18-24 ans, et notamment 96 % des jeunes femmes
celui-ci “impacte” la poursuite de leur prise en charge à la sortie de prison, en de cet âge, savent qu’il ne faut pas du tout consommer d’alcool pendant
cas de réincarcération : 55 patients ont bénéficié du traitement par Suboxone® la grossesse. En revanche, la connaissance des seuils de consommation à
pendant cette période, et 31 ont accepté de répondre au questionnaire admi- moindre risque reste faible : les seuils masculins et féminins ne sont connus
nistré par une éducatrice spécialisée. Soixante-quinze pour cent ont apprécié respectivement que par 28 % et 38 % des personnes interrogées.
le goût ; 19 l’ont sniffé au moins une fois, mais 14 n’ont jamais recommencé
(effet désagréable, et, pour certains, goût citron non apprécié) ; 3 patients ont * L’enquête de l’Observatoire Ireb “Les Français et l’alcool” est conduite périodiquement
depuis 2006 auprès d’un échantillon représentatif de Français âgés de 18 ans et plus dans
essayé l’injection i.v., 2 ne recommenceraient pas (sensation de mal-être) ; le cadre d’une enquête Omnibus. Elle dresse un état actualisé des connaissances, des opi-
2 ont vendu une partie du médicament, mais n’ont pas réussi à le revendre ; nions et des attitudes des Français vis-à-vis de l’alcool tout en mesurant leur évolution.
75 % des patients “demanderaient” de la Suboxone® à leur sortie. Concernant Pour toute information/inscription, tél. : (0)1 48 74 82 19 ; email : ireb@ireb.com

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