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III Rôles de la religion

Marx et Engels ont toujours essayé de comprendre et d’analyser les rôles que peuvent
jouer ou que jouent les religions dans les sociétés humaines. L’analyse marxienne de la religion
est structurellement liée à l’analyse de la société capitaliste afin de la comprendre et permettre
aux ouvriers exploités de pouvoir changer radicalement la société. Toutefois le fait que
l’analyse de la religion soit liée à celle de la société capitaliste ne signifie nullement que la
religion n’a aucun rôle, n’a aucune efficacité. Cela atteste simplement que tout est lié au
développement économique, mais que les autres représentations spirituelles ou idéologiques (la
religion par exemple) ont également une certaine autonomie relative, elles ne sont pas passives.
En analysant la religion, Marx et son ami Engels veulent montrer les différents rôles que
peut jouer la religion dans les sociétés humaines. L’analyse de la religion cherche alors à
comprendre, d’une part, les rapports effectifs que les hommes entretiennent avec les
représentations religieuses, et d’autre part, ce qui confère un caractère religieux - à un certain
moment de l’histoire - à certaines attentes et certains espoirs humains. Engels dans quelques-
unes de ses analyses sur l’histoire de la religion, montrera que la religion peut d’un côté être un
instrument de valorisation ou de pérennisation d’une situation donnée et d’un autre côté elle
peut être un moyen de remise en cause de l’ ordre social.
a)   La religion comme instrument de protestation
En analysant les origines du « christianisme primitif », Engels n’a pas manqué de
souligner comment le christianisme a été un moyen de contester l’ordre qui existait dans les
cités dominées par la Rome Antique. La domination romaine a abouti à la séparation entre
citoyens- c’est à dire les Romains - et non-citoyens, une imposition conséquente qui aboutit à
une pauvreté grandissante des territoires soumis et la suppression des anciennes valeurs
traditionnelles.
On assiste à une stratification sociale : riches, hommes libres et esclaves. Le pouvoir
utilisait alors l’armée pour faire obéir les classes composantes de l’empire. Cette domination
rendait la vie difficile. Ainsi les classes qui étaient dans un désespoir total de satisfaction
matérielle, cherchaient une délivrance spirituelle capable de mettre fin à leur désespoir. Cette
délivrance spirituelle finit par prendre une forme religieuse. Elles voyaient dans le christianisme
le moyen de se libérer, de mettre fin au désespoir causé par la domination romaine. Il est ainsi,
comme l’avait souligné Marx, apparu comme le produit d’un monde réel et en même temps la
protestation de ce même monde.
La religion a eu aussi à jouer un rôle contestataire dans la société féodale. La religion -
soulignons-le - dans les luttes entre les serfs et les féodaux a toujours servi aux féodaux. Toute
contestation de l’ordre établi était considérée comme une remise en cause de la religion, une
attaque contre l’Église. Les attaques contre l’ordre établi étaient considérées comme hérétiques
ou comme insurrectionnelles. En Allemagne par exemple, les mouvements dirigés par Thomas
Münzer et Martin Luther ont toujours été considérés comme des contestations de l’Église.
Martin Luther, regroupait dans son mouvement des personnes issues de la bourgeoisie
modérée, des princes, des propriétaires terriens de l’opposition. Ce mouvement voulait la
suppression des privilèges accordés au clergé, un retour aux bases de l’Église. Luther, avant
d’être le porte-parole de la bourgeoisie modérée, était le représentant des masses pauvres et
exploitées. En traduisant la Bible en Allemand et en appelant à un retour au christianisme
primitif très différent de celui de l’époque féodale, Luther avait mis à la disposition des classes
opprimées un instrument de lutte et de contestation.
Thomas Münzer ira plus loin que Luther dans la démarche. Issu du parti contestataire, le
parti des masses opprimées, il refuse catégoriquement certains points majeurs du catholicisme.
Pour lui, la Bible n’est nullement une révélation intouchable, l’enfer n’existe pas, l’au-delà doit
se réaliser sur terre. Ce sont ces principes qui sont à la base de la doctrine de Thomas Münzer.
Une telle doctrine exigeait la suppression des nombreux privilèges des hommes d’église et la
réalisation des promesses de l’au-delà sur terre, la suppression de la propriété privée. Münzer
ne se limitait pas dans ses prêches à attaquer l’Église, il critiquait la noblesse, les propriétaires
qui exploitaient les masses. Ses prêches avaient une dimension politique et avaient conduit à la
destruction de beaucoup d’édifices religieux : insurrection en Alsace, destruction de la Chapelle
à Mellerbach. Cette lutte qui au fond était politique, avait un déguisement religieux. S’il en était
ainsi c’est parce que la religion avait un poids très important et les masses élevaient dans la
religion ne pouvaient réussir à remporter ses combats que si ces derniers avaient un
déguisement religieux.
Durant le moyen-âge, les luttes des masses avaient un déguisement religieux. La
bourgeoisie avait, pour lutter contre l’ordre féodal, habillé son combat d’une dimension
religieuse. La bourgeoisie en luttant contre l’ordre féodal a usé de la religion afin de parvenir à
ses objectifs. C’est le cas avec le calvinisme qui était un dogme qui répondait aux aspirations
de la bourgeoisie montante. C’est pour dire que la bourgeoisie a souvent drapé ses ambitions
politiques sous le manteau de la religion. C’est d’ailleurs en France, seulement avec la
révolution française, que la lutte contre l’ordre féodal a été livrée sur le terrain politique sans
déguisement religieux.
Il faut souligner que le rôle de la religion ne se limite pas seulement à la protestation, à la
remise en cause d’un ordre établi. La religion a souvent été utilisée pour pérenniser une situation
ou plutôt la valider : elle a été parfois un instrument de domination.
b)   La religion comme instrument de domination
La religion dans certaines circonstances historiques est souvent utilisée pour valider ou
justifier un système quelconque. Dans son texte, L’origine de la famille, de la propriété privée
et de l’État, Engels souligne fortement le rôle que l’Église a joué dans la formation et la
consolidation de la classe des grands propriétaires fonciers. Sous la domination romaine,
l’Église détenait d’importants biens fonciers qui ont grandement augmenté avec la conversion
des Francs au catholicisme, car les nouveaux catholiques faisaient d’importantes donations à
l’Église. Tout le monde rendait hommage à l’Église considérée comme le bien suprême,
l’Église faisait travailler peuple pour valoriser ses terres.
La mainmise de l’Église sur la terre ou sur la propriété foncière a renforcé la classe des
hommes libres. L’Église a ainsi permis de transformer les rapports de production. L’Église et
la royauté ont transformé ainsi les rapports et les structures de production. Le pouvoir royal en
acceptant de céder la couronne contre certains avantages, a créé par voie de fait des sujets, des
sujets dociles et dominés. Cette action combinée du pouvoir royal et de l’Église annonce
l’avènement du système féodal.
Engels a ainsi montré l’usage fait de la religion dans le cadre des luttes de classes entre
le prolétariat et la bourgeoisie (exemple de l’Angleterre). La bourgeoisie anglaise faisait usage
de la religion, elle utilisait à dessein la religion pour préserver ses intérêts et légitimer son
pouvoir contre le prolétariat qui aspirait au changement ou à la transformation sociale. Les
bourgeoisies anglaises, françaises et allemandes ont fait recours à la religion dans certaines
situations historiques pour justifier leur domination.

Conclusion
On pourrait affirmer, pour conclure, qu’il n’y a pas une analyse systématique de la
question de la religion dans la pensée de Marx. Toutefois, une telle question traverse la
pensée de Marx. Marx et Engels montrent que la religion n’est nullement le fruit du hasard,
elle est plutôt le reflet de certaines conditions d’existence sociales. Elle exprime soit la non-
maitrise humaine des puissances naturelles soit certaines attentes humaines. Elle n’est pas
alors un ensemble d’inepties. Elle a toujours un fondement explicatif. Marx et Engels
analysent ainsi la religion afin de permettre aux hommes de se désaliéner des phénomènes
religieux mais aussi de toutes les formes de domination et de minimiser leurs répercussions
sur la vie de ces derniers.

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