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Politiques

et action publiques

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les classiques
du fonds
Armand Colin
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ad
Gilles Massardier
Maître de conférences
à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence

Politiques
et action publiques

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2003

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6
ARMAND COLIN
Le pictogramme qui figure ci-contre mérite une explication. Son

DANGER objet est d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'ave­
nir de l'écrit, particulièrement dans le domaine de l'édition technique
et universitaire, le développement massif du photocopillage.
Le Code de la propriété intellectuelle du 1" juillet 1992 interdit en
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d'enseignement supérieur, provoquant une baisse brutale des achats de
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aujourd'hui menacée.
LE
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Nous rappelons donc que toute reproduction, partielle ou totale, de
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TUE LE LIVRE
éditeur ou du Centre français d'exploitation du droit de copie (CFC,
20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris).

Ouvrage sous la direction de Guy Hermet

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Tous droits de traduction, d' adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour
tous pays.
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© Éditions Dalloz, Paris
Armand Colin, Paris, 2003
Liste des sigles

AFM Association Française contre les Myopathies


ANVAR Agence Nationale de Valorisation de la Recherche
APC Activités Publiques Conventionnelles
BCE Banque Centrale Européenne
BM Banque Mondiale
CCI Chambre de Commerce et d' Industrie
CGP Commissariat Général au Plan
CNG Centre National de Génotypage
CNS Centre National de Séquençage
CEE Communauté Économique Européenne
ClAT Comité Interministériel à l' Aménagement du Territoire
CJCE Cour de Justice des Communautés Européennes

les
cia
CNJA Centre National des Jeunes Agriculteurs

So
DATAR Délégation à l' Aménagement du Territoire

et
es
DG Direction Générale (de la Commission européenne)

qu
mi
DIREN Direction Régionale de l' Environnement

no
co
DRlRE Direction Régionale de l' Industrie et de la Recherche

sE
ue
DUT Déclaration d' Utilité Publique

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EDA Economic Development Administration sJ
ENA École Nationale d'Administration
ce
n

Fonds Européen de Développement Économique Régional


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FEDER
sS

FEOGA Fonds Européen d' Orientation et de Garantie Agricole


de
lté

FMI Fonds Monétaire International


cu
:Fa

PAC Politique Agricole Commune


om

PECO Pays d'Europe Centrale et Orientale


x.c
vo

PPBS Planning Prograrnrning Budgeting System


lar
ho

RCB Rationalisation des Choix Budgétaires


.sc

RGS Rapport Global Sectoriel


uiz

SGAR Secrétariat Général à l' Action Régionalp.


Tpn Traduit par nous
TPE Techniciens des Ponts et Chaussées
UE Union Européenne
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a
Introduction

1. OBJECTIFS, MÉTHODE D'EXPOSITION ET CIBLES DE L'OUVRAGE

L' objectif de ce livre est avant tout pédagogique : faire le point sur une discipline
récente, les politiques publiques, qui traite d ' un objet sans cesse renouvelé, à savoir
les actions collectives productrices de dispositifs concrets de politiques publiques.
Prenons pour définition préalable d' une politique publique celle qui consiste à y
voir des dispositifs tangibles (un budget, du droit, des institutions spécialisées . . . ) qui
régissent un secteur de la société ou une activité (industrie chimique, agriculture, déve­

les
loppement économique . . . ), voire un projet (aménagement routier, ferroviaire . . . ), des

cia
So
dispositifs issus d' une fabrication sociale collective et complexe par des acteurs (indi­

et
vidus, entreprises, associations . . . ) ou groupes d' acteurs (organisations professionnelles,

es
qu
mobilisations sociales plus sporadiques . . . ), et des institutions publiques (nationales,

mi
no
locales) voire des organisations internationales.

co
sE
L ' énigme tissée par les analyses contemporaines des politiques publiques est alors

ue
diq
la suivante : comment ces dispositifs se construisent-ils et se cristallisent-ils ?
uri
sJ
Ce livre présente les deux manières, pour résumer, de faire des politiques publiques
ce

dans les sociétés occidentales. D'une part, la manière classique où les autorités publiques
n
cie
sS

agissent, selon une « finalité choisie », à partir d' objectifs et des moyens définis a
de

priori qui s ' adressent à des « cibles » réceptives (modèle synoptique) . D ' autre part,
lté
cu

la manière renouvelée où les autorités publiques ne possèdent plus le monopole de


:Fa

.;
.
� fabrication des politiques publiques mais doivent, au contraire, « faire avec » une mul­
om

s
x.c

tiplicité d' acteurs qui projettent leurs « finalités vécues » dans le processus de fabri­
vo

]j
lar

cation des politiques publiques (le modèle des ajustements mutuels ou action
-3l
ho
.sc

publique) .
uiz

�� La méthode d' exposition consiste à montrer un glissement dans le passage de la


première manière à la seconde, aussi bien dans la « réalité » que dans les approches
g théoriques des politiques publiques. La démonstration s ' appuie d' une part, sur des des­
.[ criptions empiriques de ces transformations et d' autre part, sur un itinéraire parmi les
� approches théoriques de ces changements.
-§. Sont notamment abordés l ' entrée des « publics » dans l ' arène des politiques
j publiques, les tentatives de transformation de l' État pour s ' acclimater à cette nouvelle
z donne, les phénomènes concomitants de territorialisation et d' européanisation des poli-
8o tiques publiques.
� Ce livre propose aux citoyens, aux divers acteurs des politiques publiques et aux
� étudiants des grandes écoles, des cycles juridiques, sociologiques et de science poli-
2 Politiques et action publiques

tique, une interrogation sur « l' ingouvernabilité » supposée de nos sociétés pour poser
un regard analytique sur les évolutions, à la fois empiriques et conceptuelles en cours.
L ' analyse des politiques publiques concerne donc un vaste public. Le cours
duquel est tirée la trame de ce livre a d' ailleurs été l' occasion de tester les propos qui
suivent auprès de publics très variés : des praticiens français et étrangers dans le cadre
de leur formation continue ou de leur préparation aux concours (fonctionnaires de l' État
et des collectivités locales), des étudiants français et étrangers (du réseau des Insti­
tuts d' Études politiques français et à l ' étranger notamment).
Cependant, praticiens et étudiants ne sont pas les seuls concernés par les trans­
formations en cours de l' action publique : les citoyens désireux de réordonner les pièces
du puzzle en train de s ' emboîter, soucieux du rôle nouveau des autorités publiques
dans nos sociétés occidentales complexes ou encore interrogatifs face au rapport renou­
velé entre État et société, y trouveront leur compte.
Ce livre ne porte pas sur des politiques publiques, mais sur les politiques publiques.
Autrement dit, il ne raconte pas l' histoire de politiques publiques particulières mais
il décrypte les divers mécanismes d' élaboration des politiques publiques . Cette dif­
férence est importante. Il existe en effet deux manières d' analyser les politiques
publiques : l ' une est de s ' atteler à une politique publique ou à un secteur ; l ' autre, et
c ' est la voie choisie dans ce livre, est de généraliser ces études pour tirer un tableau
général. Ces deux approches se complètent bien sûr.
Un travail qui est le résultat d ' un double procédé : d' une part il consiste à « pon­

les
cia
dérer des masses de documents hétérogènes » et d' autre part à faire l' exégèse de textes

So
scientifiques (Latour, 2002) portant sur l' objet politiques publiques. Un travail qui ne

et
es
doit cependant pas faire oublier que les chercheurs cités ici ont dépensé des milliers

qu
mi
d' heures de travail de « terrain » (entretiens semi-directifs avec les acteurs des poli­

no
co
tiques , consultation d ' archives , observation participante...) pour extirper ses « véri­

sE
ue
tés » à la « réalité sociale ». Ce travail de « pondération des masses », inhérent à toute

diq
volonté de synthèse, permet au lecteur d' aller « droit au but », mais il a aussi le défaut
uri
sJ
de réduire la richesse des débats savants. Pour y remédier, on ne peut que recommander
ce
n

au lecteur de se reporter à la richesse empirique et analytique des travaux cités.


cie
sS

Une des difficultés majeures de l' analyse des politiques et de l' action publique est
de
lté

son caractère temporel : les politiques publiques et leurs modes de fabrication sont des
cu
:Fa

objets sociaux en mutation.


om
x.c

Pour être pertinent dans ce contexte, le pédagogue doit donc opter pour une pos­
vo

ture d' exposition hybride : rester classique en relatant les évolutions et les acquis de
lar
ho

la discipline, tout en intégrant des études de cas issues de recherches récentes sus­
.sc
uiz

ceptibles de mettre en lumière ces transformations inédites.


Ce livre conjugue donc deux temps.
D' une part le long terme, avec la volonté de discuter la transformation des
approches savantes des politiques publiques. On commencera par celles qui exposaient
une vision stato-centrée et/ou rationalisante de l ' action des autorités publiques. Puis
on évoquera la redéfinition actuelle de l ' intelligibilité des politiques publiques : elles
sont auj ourd' hui moins centralisées, moins verticales car moins imprégnées de domi­
nation légale rationnelle wébérienne ou de la notion classique de gouvernement; par
contre, elles sont « multi-niveaux », enchevêtrées, concertées, elles retournent plus
de phénomènes d' horizontalisatiort et de négociation entre les multiples acteurs . Au
total, les politiques publiques sont plus complexes et incertaines.
Introduction 3

D' autre part, afin d' administrer la preuve empirique de ces changements, l' intrigue
de ce livre est cousue par le fil fragile, car sans recul, du temps très court. Les études
de cas sont ici d ' un grand secours puisqu' elles autorisent à bâtir des conclusions pro­
visoires et à remonter en généralité à propos des évolutions en cours, alors percep­
tibles grâce à l' observation empirique raisonnée.

2. ÉTUDE DE CAS ET REMONTÉE EN GÉNÉRALITÉ

Nous partirons donc de l' étude rapide du cas de la catastrophe de l ' usine AZF de
Toulouse pour dégager les problématiques actuelles de l ' analyse des politiques et de
l' action publique : l' arrivée des « publics » et d' acteurs de plus en plus pertinents dans
la définition des politiques publiques, le renforcement des institutions européennes et
l' enchevêtrement des niveaux d' action que cela implique, l'univers incertain dans lequel
se fabriquent les politiques publiques, le malaise des autorités publiques dans cet uni­
vers où elles perdent leur monopole présumé de fabrication et de mise en œuvre des
politiques publiques, mais aussi leurs défaillances malgré des programmes d' action
de plus en plus sophistiqués, et enfin l ' impression d' ingouvemabilité qui résulte de
ces éléments .
Le 2 1 septembre 200 1 à 1 0 heures 1 7 , l ' usine AZF-Total-Fina de Toulouse
explose. Le stockage non réglementaire dans un hangar de nitrate d' ammonium est

les
incriminé. Il s ' agit d' une matière classée dangereuse par la directive européenne

cia
« Seveso II » qui impose des conditions de sécurité particulières de son entreposage

So
et
au-delà d ' un certain seuil de présence dans les sites industriels.

es
qu
Cette catastrophe est l ' occasion, pour l' analyste des politiques publiques, de déga­

mi
no
ger cinq phénomènes.

co
sE
I O Le rôle incontestable des autorités publiques dans la structuration formelle des

ue
diq
politiques publiques .
uri
sJ
Une année e t demie avant l ' accident, le 1 0 mai d e l' année 2000, une circulaire de
ce
n
cie

la ministre de l ' Environnement et de l' Aménagement du Territoire destinée aux pré­


sS

fets se félicitait du renforcement de la « prévention des accidents majeurs impliquant


de
lté

des substances ou des préparations dangereuses » suite à l' intégration dans le droit
cu
:Fa

"" français de la directive « Seveso II » du 9 décembre 1 996 et suite à la modification,


:a;
om

� par l' arrêté du 1 0 mai 2000, des décrets du 21 septembre 1 977 et du 20 mai 1 953 rela-
x.c
vo

=> tifs à la nomenclature des installations classées. Cette circulaire fait alors état « d' une
lar

]l étape majeure du renforcement du dispositif réglementaire de prévention des risques


ho


.sc

associés aux activités industrielles impliquant des substances chimiques dange-


uiz

.:::

� reuses ». De fait, les établissements à risques sont l' objet d ' un « système de gestion
� de la sécurité » afin d' amener les exploitants à augmenter le niveau de sécurité dans
g leurs établissements dans le but de minimiser les risques et d'en limiter les conséquences.
Q)
,i Les accidents passés avaient, en effet, révélé qu' ils étaient essentiellement dus à des

-a.
dysfonctionnements institutionnels. Des « études de danger » doivent alors être réa­
lisées, le ministre conseillant aux préfets d' avoir recours à des experts, et les instal­
j lations à risque se voient soumises à des « inspections pluriannuelles ». Par ailleurs,
z les dispositions demandent la mise en œuvre d' une « maîtrise de l' urbanisation », notam­
il
� ment à travers la réglementation sur les permis de construire dans les zones à risque.
� Enfin, le ministre conclut sa circulaire par une injonction aux préfets : « Vous recen­
� serez les cas pour lesquels les études des dangers auront mis en évidence la possibi-
4 Politiques et action publiques

lité d' effet domino entre établissements et entre un établissement et son environne­
ment. Vous me transmettrez au 3 février 2002 . . . » .
Par conséquent, l e s autorités publiques ont bien identifié u n « problème » . U n dis­
positif tangible (textes, injonctions de l' État . . . ) de politique publique de prévention
du risque a été élaboré pour y faire face.
2° L' entrée des « publics » sur la scène des politiques publiques.
Or, une fois survenu le malheureux accident (30 morts, des milliers de blessés et
sans abris, des dégâts matériels considérables), ce dispositif public sévère laisse place
à une mobilisation sociale et à une controverse publique déchaînant les accusations
contre les exploitants de l' usine (le groupe Total-Fina) et les autorités publiques (Direc­
tion régionale de l ' industrie notamment) jugés coupables de négligences dans la sur­
veillance du site et de retards dans le traitement des conséquences de l' accident.
Ainsi, une controverse publique et des conflits s ' engagent.
Premièrement, la presse locale et nationale s ' engage dans une logique suspicieuse
et scandaleuse comme l' expriment ses titres 1. « L' opinion publique » fait son entrée
dans la controverse, non seulement à travers les témoignages des sinistrés mais aussi
à travers les sondages : « 70 % des Toulousains pour la fermeture du pôle chimique »
(La Dépêche, 3 oct. 200 1 ) . Mais l' opinion publique, ce sont aussi des individus mani­
festant régulièrement leur « colère » et nommément cités dans la presse qui se fait
l' écho des « douleurs » de la population : « "Alors ce bruit, c ' est pour qu ' on oublie
pas" est venue dire Annie Rieu qui demande "la fermeture du pôle chimique, des pro­

les
cédures d' urgence pour les fenêtres qui ne sont pas encore réparées, et que Total paie

cia
So
pour les dégâts" » (La Dépêche, « Les sinistrés font bloc », 22 nov. 200 1 ) .

et
es
Deuxièmement, des « collectifs » de sinistrés voient l e j our, mais aussi u n grou­

qu
mi
pement de salariés des entreprises du pôle industriel sud, afin de défendre leurs inté­

no
rêts et accéder à l' espace public où la joute des arguments contradictoires s ' organise:

co
sE
les « publics » se mobilisent. D ' un côté, les salariés de l' usine AZF et du pôle chi­

ue
diq
mique se regroupent dans un collectif (La Dépêche, 23 j anv. 2002) derrière les syn­
uri
sJ
dicats unis pour l ' occasion, pour défendre leurs emplois et le maintien du pôle chi­
ce

mique, faisant valoir la logique économique sur celle de la sécurité. Ils organisent
n
cie

régulièrement des manifestations, dont celle du 15 décembre 200 1 . Objectif avoué :


sS
de

« Nous voulons redémarrer l' usine » (La Dépêche, 2 1 oct. 2001 ) . D ' un autre côté,
lté
cu

les sinistrés se mobilisent également dans des collectifs : « Plus j amais ça, ni ici, ni
:Fa

ailleurs », « Association des sinistrés » . . . jusqu' aux parents d' élèves de la FCPE qui
om
x.c

décident de porter plainte pour « mise en danger de la vie d' autrui » afin de déter­
vo
lar

miner les responsabilités face aux destructions d' écoles causées par le souffle de l ' ex­
ho
.sc

plosion (La Dépêche, 3 oct. 200 1 ) .


uiz

Les exigences sont donc multiples, voire contradictoires : de revendications sur le


traitement des dégâts chez les « sans fenêtre » du voisinage de l'usine, à des appels
plus universels à la vigilance face aux risques industriels, en passant par le maintien
de l ' exploitation industrielle du site chimique.

1. « Incroyable négligence : le plan de l'entrepôt détruit introuvable . . . » (La Dépêche, 24 sept. 200 1 ) ;
« Reconstruction : la grande pagaille » (La Dépêche, 24 oct. 200 1 ) ; « Explosion : pourquoi les pou­
voirs publics n'ont rien vu venir » (La Dépêche, 20 oct. 2001) ; « Les villes ont du mal à se priver
des ressources liées au risque industriel (Le Monde, 20 nov. 2001) ; « Explosion AZF, la note interne
»

qui accuse » (La Dépêche, 30 janv. 2002) . . .


Introduction 5

Émergent alors des volontés de pratiques participatives : un collectif de quartier


déclare comme objectif de « permettre aux gens de prendre directement leur situa­
tion et leur avenir en main », un responsable du collectif déclarant que « les membres
viennent en leur nom propre et ne s ' inscrivent pas dans un débat droite-gauche avec
la mairie » (La Dépêche, 9 nov. 200 1 ) .
Devant c e que l e collectif « Plus j amais ç a » appelle les « beaux discours » e t « le
manque de volonté » (face à la réquisition de logement pour les sinistrés), celui-ci
proclame : « on va réquisitionner nous-même » (La Dépêche, 29 oct. 200 1 ) .
Ces pratiques d e mobilisation e t de contestation s e multiplient : des manifestations,
en passant par des lettres aux responsables politiques nationaux (celle de « Plus j amais
ça » au président de la République par exemple), aux . . . conférences de presse. Le
conflit laisse voir plusieurs facettes : salariés/riverains du pôle chimique (mais notons
qu ' ils peuvent être les mêmes), riverains/autorités publiques locales/autorités natio­
nales, riverains/groupes industriels exploitants du pôle.
Ces conflits croisés reposent sur des argumentations de plusieurs types :
- le premier est le type d' arguments nommé communément NIMBY (not in my
backyard, pas dans mon j ardin) : les élus et les différents collectifs se mobilisent pour
la fermeture du site afin de protéger les riverains ou, a contrario, les salariés se mobi­
lisent pour défendre leur emploi ;
- le second type d' arguments revendique la défense des droits des victimes :
- enfin, le troisième type d' arguments est plus universel : « plus jamais ça, ni ici,

les
cia
ni ailleurs ».

So
Les trois types sont souvent mobilisés simultanément.

et
es
qu
Ainsi, on peut remarquer que plusieurs problèmes, parfois contradictoires, s' en­

mi
no
chevêtrent dans cette controverse publique : celui de la gestion des risques industriels,

co
sE
celui de l ' urbanisme, celui de la gestion de l ' urgence (aides, assurances . . . ), celui de

ue
l ' emploi, et ne font plus qu' un . . . grand malaise médiatique et social.

diq
3° L ' État gère-t-il encore les « extemalités » du marché, ou bien faut-il considé­ uri
sJ
ce

rer que c' est aujourd' hui le marché qui gère les « extemalités » de l' État?
n
cie

Les faits et le dénouement de l'affaire amènent également à une discussion sur les
sS
de

« défaillances » de l' État. Un article de presse intitulé « A qui appartient la décision ? »


lté
cu

(du maintien ou de fermeture du site industriel) (La Dépêche, 2 1 oct. 200 1 ) pointe
:Fa

..,,;
:gj
om

du doigt une des questions fondamentales sur les politiques publiques : sont-ce les entre­
x.c

§ prises et la liberté d'entreprendre qui doivent imposer leurs logiques (la décision appar­
vo
lar

gj tient alors aux entreprises sur la base de leur position sur le marché), ou est-ce la puis­
.�
ho
.sc

sance publique au nom de l' intérêt général (sécurité et environnement) qui doit prendre
uiz

§
. cette décision ? Un haut fonctionnaire local résume bien à la fois le problème et la
s
'" position inconfortable des autorités publiques : « On est dans un écheveau » (La Dépêche,
g 2 1 oct. 200 1 ) .
.� Dans l' affaire AZF, certains faits plaident pour une défaillance de l' État.

-a.
Le premier fait est la difficulté des services déconcentrés de l' État (DRIRE) à contrô-
1er les sites sous leur responsabilité. Selon la DRIRE, faute de moyens suffisants ( 1 6 per­
j sonnes sont chargées de « la police des installations » sur la totalité du territoire de
z la région Midi-Pyrénées), les contrôleurs et les contrôles ne sont pas à la hauteur des
� nécessités pourtant prévues par le dispositif de politique publique (La Dépêche, 20 oct.
� 200 1 ) . De fait, la DRIRE a reconnu ne pas avoir inspecté le site à l' origine de la catas­
� trophe (La Dépêche, 3 oct. 200 1 ) .
6 Politiques et action publiques

Le second fait plaidant pour une défaillance de l' État est que le dénouement de la
polémique survient finalement du marché. La décision de fermer définitivement l'usine
AZF est prise après une réunion du conseil d' administration de Total-Fina qui argue
que la rentabilité lui impose la fermeture (Le Monde, 12 avr. 2002). La pression de
la rentabilité semble éviter, en quelque sorte, une décision des autorités publiques. Ainsi,
on peut poser la question de savoir si d' une intervention de l' État pour gérer les
défaillances du marché que sont les risques et pollutions (voir plus haut les décrets
et circulaire du 10 mai 2000), on ne passe pas à l' intervention du marché pour gérer
les défaillances de l' État (décision longue, manque de moyens).
4° Les politiques publiques sont fabriquées par des niveaux d' action enchevêtrés.
L' exemple AZF soulève un autre point, celui-ci assez peu traité dans la polémique
locale malgré son importance considérable : la présence, en embuscade, du niveau euro­
péen. On l ' a vu, les dispositions du 1 0 mai 2000 résultent de l ' adaptation de la régle­
mentation française à de la directive européenne « Seveso II ». Mais il est intéres­
sant de noter que suite à l ' explosion de l ' usine AZF, le ministre français de
l' Environnement a présenté, dès le 29 octobre suivant la catastrophe, au Conseil des
ministres de l' Environnement de l' Union européenne, un mémorandum pour abais­
ser le seuil de nitrate d' ammonium au-dessus duquel une firme doit être soumise à
la directive « Seveso II » (Le Monde, 1 0 j anv. 2002), proposition qui a d' ailleurs été
acceptée à l' unanimité par les 1 5 ministres de l' environnement.
Mais, le niveau européen n ' est pas extérieur aux « choses ». Il interagit avec les

les
cia
autres niveaux d' action, national et territorial. La « traduction » territorialisée des règles

So
nationales et européennes dans un système d' échange politique complexe (élus

et
es
locaux, mobilisations sociales locales, groupes sociaux locaux, responsables nationaux,

qu
mi
entreprises internationales ou nationales installées localement, règles européennes) est

no
co
une caractéristique des politiques publiques contemporaines.

sE
ue
5 ° La question de l' « ingouvernabilité » des sociétés occidentales .

diq
Défaillances d e l' État e t difficultés pour les autorités publiques e n général d e se uri
sJ
ce

faire entendre, comme le montre le cas AZF, dans le tohu-bohu des « finalités vécues »
n
cie
sS

et des logiques des différentes actions, encastrement de ces logiques et des niveaux
de

d' action (européen, national, local), constituent autant de raisons qui ont poussé cer­
lté
cu

tains analystes à insister sur l' ingouvernabilité comme résultat de la perte des repères
:Fa

et des mécanismes pour « faire tenir » ensemble. D' une certaine manière, le spectre
om
x.c

de l' anomie durkheimienne se paie une seconde jeunesse.


vo
lar

Comment peut-on analyser ce phénomène de mobilisation des « publics » ? Com­


ho
.sc

ment se fabriquent des politiques publiques dans des univers conflictuels ou contro­
uiz

versés ? Quel rôle donner aux autorités publiques dans un tel contexte ? Comment s' ai­
mantent ou, au contraire, se repoussent les différentes logiques d' action ? Finalement,
qu' est-ce qu ' une politique publique ?
Est-ce une intervention des autorités publiques bâtie intentionnellement selon la mise
en branle de leur « finalité choisie » a priori qui détermine un objectif à atteindre avec
des moyens publics et un dispositif tangible de politique publique (personnel, bud­
get, règles formelles . . . ) ? Ou bien, au contraire, est-ce une accumulation d' actions dis­
parates de la part d' acteurs multiples, dont les autorités publiques, agissant selon leur
propre « finalité vécue », actions qui finissent tout de même par produire, a poste­
riori, un système collectif d' action et le dispositif tangible de politique publique qui
lui sied ?
Introduction 7

Au-delà des politiques publiques, c ' est donc une réflexion sur l' ordre social et poli­
tique dans les sociétés occidentales qui se faufile entre les divers types d' analyse des
politiques publiques dont nous disposons aujourd' hui. L' analyse des politiques et de
l' action publique engage l' analyste dans une réflexion sur l' articulation de l' autorité
et de l' action.

3. AUTORITÉ ET ACTION NE FONT PAS BON MÉNAGE: UN DÉBAT RÉCURRENT


ET STRUCTURANT DE L'ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, un débat interne aux sciences
sociales a fait suite à la parution d ' un ouvrage devenu incontournable dans la litté­
rature sur les politiques publiques : L'acteur et le système écrit par les sociologues Michel
Crozier et Erhard Friedberd ( 1977). La première phrase de ce livre pose la question
suivante : « À quelles conditions et au prix de quelles contraintes l ' action collective,
c ' est-à-dire l' action organisée, des hommes est-elle possible ? »
Cette question, que nous savons maintenant primordiale pour l' étude des politiques
publiques, trouve la réponse suivante dans les écrits de ces auteurs : c ' est la capacité
des acteurs à s ' organiser collectivement, à travers leurs stratégies et leurs actions, leurs
ajustements mutuels, dans un système d' action qui résulte du jeu de leurs interactions,
qui institue leur monde social ' .

les
Cependant, si o n peut partager l e programme intellectuel d e M. Crozier e t E. Fried­

cia
So
berg, et de la sociologie des organisations en général, qui consiste à échapper au « rai­

et
es
sonnement totaliste » et à « l' illusion globalisante », il faut relever, par contre, un « point

qu
mi
relativement aveugle » (Jobert, Leca, 1980, p. 1 1 43) dans leur analyse. En se concen­

no
trant sur le pouvoir comme relation et sur l' action horizontalisée ou nivelée, dans des

co
sE
« ordres locaux » (Friedberg, 1993, p. 190), comme mode de construction de la société,

ue
diq
ils en oublient (ou feignent de) en chemin les pouvoirs détenus, c ' est-à-dire les spé­
uri
sJ
cificités du pouvoir politique et des structures sociales propres à chaque société 2. Ils
ce

construisent une oppo s i tion entre « action» et « détention » .


n
cie

Aussi, l a science politique rétorque que les auteurs font fi , dans leur théorie d u pou­
sS
de

voir, d'un élément essentiel qui définit selon eux l' objet de la science politique : « L' ana­
lté
cu

lyse des systèmes politiques globaux, c ' est-à-dire de l' ensemble des normes, méca­
:Fa
om

� nismes et institutions attribuant l' autorité, désignant les leaders, réglant les conflits
x.c

§ qui menacent la cohésion sociale et définissant les principes d' allocation des ressources
vo
lar

gj aux différents secteurs de la société » (Jobert, Leca, 1980, pp. 1125- 1 1 26). Pour J. Leca
-3l et B . Jobert, M. Crozier et E. Friedberg ne traitent pas de l' objet politique. C ' est que,
ho
.sc


uiz

en privilégiant la liberté et les capacités des acteurs, M. Crozier et E. Friedberg auraient


� engagé « un combat opiniâtre [ . . . ] contre tout principe qui prétendrait rendre compte
o
<:
CI)

1
.s;;;
c.
1. Pour une présentation plus exhaustive de ce courant, voir la Section 1 du Chapitre 4 de la pre-
j
z
S 2. Dans un ouvrage plus récent, l'un des deux auteurs, E. Friedberg, développe une approche plus
mière partie.

!i! conciliante vis-à-vis du problème de la « cohérence globale » et de l'autorité. Il nie la capacité de


:!i l' approche organisationnelle, développée avec M. Crozier, à appréhender ces phénomènes : « sim­
!i plement parce qu'elle n'a pas l'outillage pour les mettre en évidence » (Friedberg, 1 993, p. 1 92).
8 Politiques et action publiques

de façon ordonnée du fonctionnement des relations sociales à partir d ' un déterminant


unique ». Pour Crozier et Priedberg, « les finalités choisies [type action rationnelle
de l' État] donnent l' illusion de la rationalité mais elles sont incapables d' apporter une
réponse satisfaisante au problème de l' arbitrage entre finalités contradictoires parce
qu' elles supposent une méta rationalité mythique et inefficace [ . . . ] D ' où la proposi­
tion de concentrer la recherche des finalités au niveau de la base, de ce qui est effec­
tivement vécu » (Jobert, Leca, 1980, pp. 1 1 3 3 - 1 1 34 et p. 1 1 3 8).
La question difficile que pose alors l' analyse des politiques publiques et de l ' ac­
tion publique est de savoir comment faire la part des choses entre, d ' un côté, l ' ac­
tion des individus et des « publics » et leurs « finalités vécues » , les « ordres locaux »
construits par leurs interactions, et d ' un autre côté, les enjeux politiques communs,
le langage politique commun sur des projets, les phénomènes d' agrégation d' intérêts,
la légitimité des pouvoirs, et l' autorité.
Entre action et autorité se trouve l' analyse des politiques et de l' action publique 1 .
O n voit alors s e dégager deux pôles, pas forcément antinomiques d' ailleurs,
d' analyse des conditions de production des politiques publiques. Le premier y voit
uniquement la main d' une régulation globale grâce à des autorités, le second y voit
le résultat des actions des individus (ou plus précisément des acteurs).
Deux types de rationalités des politiques publiques se dessinent :
- d ' un côté une rationalité où un « régulateur central » intervient dans la société
à partir d ' un objectif prédéfini et qui met en œuvre des moyens d' autorité publique

les
cia
pour les atteindre selon une « finalité choisie » a priori (modèle « synoptique ») ;

So
- d'un autre côté une rationalité où un processus d'ajustements mutuels entre acteurs

et
es
bâtit, dans le cours du « jeu » de leurs interactions et actions, un dispositif de poli­

qu
mi
tique publique selon leurs « finalités vécues » (modèle des « ajustements mutuels »).

no
co
E t il est vrai que le champ disciplinaire d e l ' analyse des politiques publiques est

sE
ue
clivé par ce partage : d ' un côté, les tenants du « modèle synoptique » dominé par une

diq
autorité, en l ' occurrence publique, au pouvoir inné et substantiel (droit public, tech­
uri
sJ
niques de rationalisation des choix, planification . . . ) ; d ' un autre côté, les tenants de
ce
n
cie

la société comme articulation et relations entre les actions des acteurs sociaux, où le
sS

pouvoir est constitué en fonction de la capacité de ces acteurs à se faire valoir dans
de
lté

le « jeu » des relations sociales, approche qui exclurait alors tout « fantôme unifica­
cu

teur » ou toute « mythologie du système global » comme le proposent M. Crozier et


:Fa
om

E. Priedberg (Jobert, Leca, 1980, p. 1 1 45) .


x.c
vo

D ' un côté les politiques publiques par l' autorité, d e l' autre, les politiques publiques
lar
ho

par l' action des individus.


.sc
uiz

Cependant, posé ainsi, le débat débouche sur une sorte d' aporie dans la mesure où,
même s ' il paraît clair que des « publics » et leurs « finalités vécues » s' invitent aujour­
d' hui sous les projecteurs de la scène des politiques publiques, les autorités publiques
et leurs ressources spécifiques (droit, légitimité . . . ) structurent encore les dispositifs
de politiques publiques, certainement moins, il est vrai, selon leur « finalité choisie » .
U n glissement théorique e s t donc e n marche dans les approches des politiques
publiques : d' une rationalité instrumentale ordonnée (modèle synoptique classique) vers

1. Se reporter au Chapitre 6 de la seconde partie pour les différentes théories de l'action publique.
Introduction 9

des rationalités limitées enchevêtrées, y compris celles des autorités (modèle des ajus­
tements mutuels) .
Dans c e dernier modèle, l e problème réside alors dans l ' observation d e l ' autorité.
Nous verrons, loin des débats sur la fin de l' É tat, que celui-ci, qui a « plus d ' un tour
dans son sac » 1 de ce point de vue, fait une nouvelle preuve de sa nature changeante :
il est touj ours là, mais autrement. Il conviendra d' observer comment.
La question du changement des politiques publiques est délicate car elle laisse voir
tout à la fois des transformations et de simples recompositions de 1 ' « ancien »2 .

4. DEUX ORDRES POLITIQUES QUI SE CHEVAUCHENT

Le trouble que provoque l' impression d ' illisibilité ou d' ingouvernabilité des poli­
tiques publiques et des actions des gouvernants, la sensation de « fatras » ou de
« désordre » qu' elles laissent percevoir, ne concernent pas seulement le citoyen. Les
acteurs administratifs, politiques et leurs analystes établissent également le constat de
l ' extrême complexité des politiques publiques et des défaillances de l ' État.
Ce livre montre que la raison d'un tel constat est au moins double :
- d' une part, les clés d' entrées conceptuelles dans l ' univers et la compréhension
des politiques publiques se sont transformées, mais restent encore insuffisantes pour
l ' appréhender raisonnablement. En effet, si le « modèle synoptique » classique
d' analyse des Politiques Publiques des années 1950- 1960, qui est à la fois - trop­

les
cia
rationnel et centré sur la puissance publique, a perdu sa crédibilité heuristique, les sché­

So
mas apparus dans les années 1970-80 ( << modèle des ajustements mutuels ») demeu­

et
es
qu
rent encore (trop) « mous » (car basés sur des concepts flous) ou - trop - descriptifs

mi
(car fondés sur des monographies) pour prétendre théoriser les politiques publiques

no
co
contemporaines ;

sE
ue
- d' autre part, il n ' y a rien d' illogique à cela dans la mesure où les transforma­

diq
uri
tions des politiques publiques sont récentes et restent l ' objet soit des angoisses habi­ sJ
ce

tuelle s face aux chose s nouvelle s (peur de la perte de cohérence, des repères . . . ) , soit
n
cie

de constats imprécis, mais en tous les cas, pas encore d' une vision très ordonnée.
sS

Alors ? Est-ce trop tôt pour comprendre ces phénomènes ? Ou bien finalement, comme
de
lté

le propose ce livre, les politiques publiques contemporaines ne seraient-elles que les


cu
:Fa

'Qi témoins d ' un changement assez profond de l ' ordre politique dans les pays occiden­
om

� taux, notamment européens, qui nous demande de quitter les schémas traditionnels
x.c

� d' analyse du polity pour comprendre les transformations en cours ?


vo
lar
ho

: Ne peut-on pas poser l ' hypothèse que nos sociétés vivent un chevauchement entre
� deux ordres politiques en phase de succession ?
.sc
uiz


ca
c:
o
c:
Cl
ïï


"li
1. Nous renversons ici l' ordre des choses posé par E. Friedberg. Si on peut partager l'idée que les
acteurs « ont toujours plus d'un "tour dans leur sac" et réussissent [ ... ] à se jouer au moins partiel­
j lement des régulations les mieux assises, des contraintes et des pressions structurelles apparemment
z
[3
les plus déterminantes » (Friedberg, 1 993, pp. 1 88 - 1 89), il faut souligner aussi que les institutions
étatiques détiennent la capacité de s'adapter aux situations sociales les plus défavorables à leur mode
!ê de régulation classique et menacé : elles transforment leurs rapports à la société et leurs structures
:il internes (voir le Chapitre 6 de la seconde partie de ce livre).
!l: 2. Voir notamment les Sections 1 du Chapitre 4 et 2 du Chapitre 6 de la seconde partie.
10 Politiques et action publiques

1 0 d ' un côté, un ordre politique, héritier de la philosophie politique classique et


de l' histoire d ' un ordre politique étatique, où les autorités publiques et les gouver­
nants, à la fois extérieurs et supérieurs à la société, imposent par le haut une défini­
tion de l' intérêt général et des dispositifs qui doivent régir les secteurs de la société
(la question du pilotage de la société par un ensemble d' institutions ou de personnages
politiques identifiables et censés être cohérents dans leurs objectifs) ;
20 d ' un autre côté, un ordre politique où ces autorités publiques ne seraient plus
que des acteurs parmi d' autres qui négocieraient « par le bas », avec les multiples acteurs
des politiques publiques, des « raisons pour agir », des intérêts généraux et des dis­
positifs de politiques publiques de plus en plus localisés et instables (les pilotages de
la société seraient à la fois assurés par des acteurs, de plus en plus nombreux et à la
pertinence réelle mais nouvelle, impliqués dans les politiques publiques, et par des
procédures de négociation formelles et informelles, souvent longues et chaotiques).
Pour l' analyste, n' est-ce pas au prix d ' un regard moins arc-bouté sur l' ordre appa­
rent et rassurant qu' imposaient des autorités publiques bienveillantes, ordonnatrices
et organisatrices, que les politiques publiques et l' action des gouvernants retrouve­
raient une lisibilité ?

5. PLAN DE L'OUVRAGE

les
1 0 Quels sont les éléments de définition des politiques publiques ? La première par­

cia
So
tie de cet ouvrage, intitulée « des rationalités en politiques publiques, modèle synop­

et
tique et modèle des ajustements mutuels », abordera cette question en passant en revue

es
qu
les réponses qu' y apportent les différentes disciplines qui, par tradition, ont courtisé

mi
no
le s politiques pub liques. Chacune bâtit un paradigme propre qui laisse voir deux types

co
sE
de rationalités gouvernant les politiques publiques. D ' un côté, les théories de la puis­

ue
diq
sance publique et l' économie publique observent une rationalité instrumentale abso­
lue et téléologique, tandis que d ' un autre côté, la sociologie et la science politique uri
sJ
ce

voient un ensemble de rationalités limitées complémentaires et/ou contradictoires dont


n
cie

la rencontre volontaire et/ou impromptue fabrique des dispositifs de politiques


sS
de

publiques :
lté
cu

- la tradition juridique et les disciplines liées à l' étude de l' administration (science
:Fa

administrative, management public) voient dans les politiques publiques une capacité
om
x.c

d' action de la puissance publique sur la société, le plus souvent centralisée par l ' or­
vo
lar

gane étatique, mais dans tous les cas extérieurs et supérieurs à elle dans la tradition
ho
.sc

kantienne, selon une rationalité instrumentale et téléologique (adéquation objec­


uiz

tifs/moyens). Dans la filiation de cette tradition, les politiques publiques résultent alors
d ' un système en boucle où les autorités publiques (qui s ' apparentent à une « boîte
noire » ) octroient unilatéralement des réponses (outputs) à l' expression de demandes
sociales (inputs). Les théories des politiques publiques de la seconde moitié du XX" siècle
sont imprégnées de cette acception systémique : analyse séquentielle, mise sur agenda,
mise en œuvre, mais aussi planification, rationalisation des choix budgétaires . . . (Cha­
pitre 1 ) ;
- l ' économie, discipline dominante dans l' étude des politiques publiques à travers
sa branche publique, dévoile également une rationalité de type instrumental (recherche
du meilleur rapport coût/avantage pour un dispositif) , à ceci près que les biens publics
sont alloués dans la société selon une régulation par le marché (offre/demande/prix)
Introduction 11

et selon le théorème de Pareto, sans pour autant nier la capacité d' intervention de l ' État
(Chapitre 2) ;
- à l' inverse des paradigmes précédents, les sciences sociales (sociologie, science
politique), décryptent les politiques publiques comme un univers complexe et incer­
tain, fait d' affrontements et de coopérations entre les rationalités limitées des diffé­
rents acteurs qui se trouvent mobilisés par les politiques publiques. Ces rationalités
multiples fabriquent des politiques publiques, de manière non linéaire, selon un modèle
incrémental et proche du paradigme de « l' anarchie organisée » cher à la sociologie
des organisations (Chapitre 3 ) .
2° De fait, la seconde partie d e l' ouvrage, intitulée « L' action publique, mutations
empiriques et nouvelles intelligibilités », en répondant à la question de savoir com­
ment se transforment les politiques publiques contemporaines, nous propulsera dans
un univers polycentrique, a priori peu ordonné où la puissance publique, et l ' É tat
en particulier, semble perdre son supposé monopole de la définition et de mise en
œuvre des politiques publiques. Les phénomènes, très remarqués par les travaux
contemporains sur les politiques publiques, de multiplication des acteurs pertinents
(certains ont parlé de « trop plein » ou de « surpeuplement »), ainsi que de prolifé­
ration des logiques de leurs actions et de leurs intérêts, viennent directement concur­
rencer l ' É tat dans la détermination des « raisons pour agir » en politiques publiques,
dans la fabrication et la mise en œuvre des politiques publiques . Les autorités publiques
sont, certes, touj ours dans le jeu, mais parmi d' autres acteurs , négociant et luttant

les
pour faire entendre leur définition de l ' intérêt général et du sens pour agir en poli­

cia
So
tiques publiques .

et
es
Si bien qu' un glissement progressif, mais certain, s ' opère d e la conception clas­

qu
mi
sique des politiques publiques comme action des autorités publiques à celle du gou­

no
co
vernement comme gestion de l' action collective. Ce tournant trouve d' autant plus d'écho

sE
et de brèches où s ' engouffrer que les défaillances de l' État s ' accentuent depuis la fin

ue
diq
du xxe siècle (moindres ressources financières, difficultés d' imposer ses vues et son
uri
sJ
droit . . . ) et qu' il se trouve de plus en plus en décalage par rapport à des évolutions
ce
n

économiques (prégnance du marché) et sociologique (individualisation) .


cie
sS

Sur la base d' exemples de politiques publiques (projets d' aménagements, politique
de
lté

industrielle) il sera loisible d' observer le passage de « l ' ère des technocrates » à la
cu
:Fa

.t: période actuelle d' errance des technocrates dans cet univers polycentrique où ils se

om

voient concurrencés par des « publics » ou des acteurs de plus en plus pertinents dans
x.c


vo

la définition des politiques publiques (Chapitre 4).


lar
ho

-5l
.sc

Reste que, des théories sont mobilisables pour comprendre cet univers polycentrique
uiz

'C:
et la « structuration possible du champ de l' action » : celles qui lient les actions aux
�'" idées ( << référentiels », advocacy coalitions, epistemic communities), celles qui lient
g l' action et le pouvoir (réseaux d' action publique) , et enfin, celles qui lient l ' autorité
.� et l ' action (gouvernance, néo-institutionnalisme) (Chapitre 5 ) .

.r:;
Et l' État dans tout cela ? On aurait tort de le croire éliminé du jeu de la fabrica­
É
c. tion des politiques publiques. L' tat est toujours là, mais autrement. Malgré ses
5 défaillances et ses décalages par rapport à la transformation des politiques publiques,
� on observe des pratiques de négociation avec les différents acteurs des politiques
� publiques et de prise en compte des volontés des usagers des services publics qui mon­
� trent ce qu' il a finalement toujours su faire : s ' adapter. L' État a une nature changeante
� (Chapitre 6).
12 Politiques e t action publiques

3° Enfin, on ne saurait aborder les transformations des politiques publiques sans


s' interroger sur l ' arrivée d ' un acteur particulier : l ' Union européenne, ou de manière
plus large, sur les acteurs macro-régionaux.
Comment interpréter l' impact de l ' intégration régionale dans ces transforma­
tions ?
La troisième partie du livre, intitulée « des politiques publiques européanisées, enche­
vêtrement des niveaux d' action publique », répond à cette question en analysant le
processus grandissant d' intervention de l' Union européenne dans la construction des
politiques publiques. Il sera montré que les politiques publiques se régionalisent plus
qu' elles se mondialisent. Le couple régionalisation/libéralisation paraît plus pertinent
pour expliquer les politiques publiques contemporaines que le couple mondialisa­
tion/libéralisation. L' intégration régionale, celle de l' Europe en tête, participe à
déposséder les États de leur définition providentielle. Qu ' il s ' agisse du renforcement
de 1' « intégration négative » (droit de la concurrence . . . ) qui retire aux États de l' Union
européenne leur cap acité d' intervention économique et sociale, ou qu' il s ' agisse des
difficultés de ces Etats à s ' entendre au niveau européen sur une « intégration posi­
tive » poussée (protection sociale . . . ), ils perdent, au bout du compte, des leviers tra­
ditionnels qui définissaient ce qu' il était convenu d' appeler l ' État providence (Cha­
pitre 7).
Il reste que, dans ce schéma peu flatteur, il serait aventureux de conclure à l' effa­
cement des États. Les institutions européennes contribuent en fait à redistribuer les

les
cartes entre les différents niveaux de gestion et à définir un nouvel ordre politique.

cia
Les divers types d' européanisation des politiques publiques montrent que les institu­

So
et
tions européennes s' imposent comme des acteurs incontournables, mais en même temps

es
dessinent un « style » inédit de politiques publiques fait de niveaux d' action et d'es­

qu
mi
paces enchevêtrés, propices à un polycentrisme et à la négociation, et où la Commission

no
co
européenne doit être définie comme un « espace de compromis » entre tous ces acteurs

sE
ue
(Chapitre 8).

diq
uri
sJ
ce
n
cie
sS
de
lté
cu
:Fa
om
x.c
vo
lar
ho
.sc
uiz
Premi è re partie

Des rationalités
en politiques publiques
« Modèle synoptique»
et « modèle des ajustements mutuels»

les
cia
So
et
es
qu
mi
no
co
sE
ue
diq
uri
sJ
ce
n
cie
sS
de
lté
cu
:Fa
om
x.c
vo
lar
ho
.sc
uiz
14 Des rationalités e n politiques publiques

Cette partie se donne pour objectif de présenter les trois types de rationalités selon
lesquelles les politiques publiques sont pensées et mises en œuvre :
- la rationalité de la puissance publique souveraine, illimitée, instrumentale et des­
cendante, en particulier celle de l' État ;
- la rationalité économique, également illimitée et instrumentale, mais impliquant
à la fois des coordinations par le marché et une régulation étatique ;
- et les rationalités des acteurs multiples de l' action publique, limitées, incrémentales,
polycentriques et négociées.

Introduction

Comment agit-on en politiques publiques ? Autrement dit, quelles rationalités met­


on en œuvre lorsqu ' on « fait » une politique publique ?
Les analystes des politiques publiques s ' interrogent sur l ' existence d' une discipline
« politiques publiques » ( 1 ) dans la mesure où ces trois types de rationalités, pour le

moins différentes, se concurrencent dans les univers intellectuel et pratique des poli­
tiques publiques (2) .

1. QUAND L'ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES


OSCILLE ENTRE UNION ET SÉCESSION DISCIPLINAIRE

les
cia
So
Cette première partie sera l' occasion de voyager dans l' univers des différentes dis­

et
es
ciplines et approches qui, directement ou indirectement, ont contribué à forger l' ana­

qu
mi
lyse des politiques publiques. Elle a pour objectif de circonscrire le champ de défi­

no
co
nition de l' analyse des politiques publiques. On ne peut en effet qu'être frappé par

sE
ue
son caractère hétéroclite. Le recensement des enseignements en la matière montre que

diq
sous le vocable « politiques publiques » se cachent en fait une panoplie d' approches
uri
sJ
et de traditions disciplinaires. Face à cet éclatement, il existe deux postures : l ' unio­
ce
n

niste et la sécessionniste.
cie
sS

1 0 La première pourrait être qualifiée d' unioniste dans la mesure où elle rassemble
de

dans une même aire d' étude des disciplines différentes. En Grande-Bretagne, par
lté
cu

exemple, un rapport parle plus « d' une aire de champs disciplinaires » que d' une dis­
:Fa
om

cipline (Council for National Academie, 1992) ' . Dans ce registre unioniste, certains
x.c
vo
lar
ho
.sc
uiz

1. En Grande-Bretagne, les cours d' analyse des politiques publiques sont le plus souvent appelés
Administration and Public Policy. Dans le même sens, l' ouvrage de Moshe Maor et Jan-Erik Lane,
Comparative Public Administration, Ashgate, Dartmouth, 1 999, cumule une approche double de « l'ad­
ministration publique » dans laquelle il faut entendre d'un côté « l'objet d' étude - qui est le secteur
public et le gouvernement à différents niveaux », et de l'autre « l'expression entend la discipline
elle-même ou la connaissance sur le gouvernement, y compris la variété des théories, des approches
et des concepts » (p. XIII, tpn). Le premier volume de ce très complet recueil d' articles scientifiques
des meilleurs spécialistes d'outre-manche et européens, comprend huit parties qui nous montrent com­
bien l'étude de l'administration publique (public administration) est liée à celle des politiques publiques
(policy): « Perspectives on the nature of comparative public administration », « Perspectives on Public
Policy », « Perspectives on Administrative Policy », « Perspectives on the Structure of Government
and its Scope of Activities », « Perspectives on Public Management », « Perspectives on Bureau­
cratic Roles », « Perspectives on control », « Perspectives on Regulation ».
Des rationalités en politique publique 15

voient dans l ' analyse des Politiques et de l ' Action Publique non pas une discipline
« mais ce qui apparaît le plus approprié aux circonstances, au moment ou à la nature
du problème » (traduit par nous t, Wildavsky,
1 979, p. 1 5). De fait, cette analyse est
avant tout empirique et adaptable à la politique étudiée et à la problématique que l ' on
souhaite y appliquer. Souple et pluridisciplinaire, l ' analyse des Politiques et de l ' Ac­
tion Publique mobilise opportunément des approches disciplinaires et théoriques diverses
pour éclairer, au plus près du terrain, la réalité à laquelle l ' observateur ou le prati­
cien est confronté et qu ' il tente de décrypter pour améliorer sa connaissance ou sa
capacité d' action dans un univers de plus en plus complexe et incertain. Barbara 1. Nel­
son, une politologue américaine, va dans le même sens lorsqu ' elle explique que le
champ d' étude des politiques publiques aux É tats-Unis n ' est pas institutionnalisé :
« L ' hi stoire du champ disciplinaire des politiques publiques est plus l ' hi stoire d ' un
discours que d' une discipline conventionnelle ou d ' un champ défini par des idées , des
institutions, des revues, et un contrôle des ressources clés » 2.

2° Ce diagnostic n' est pas partagé par tous ses collègues aux États-Uni s . Une
deuxième posture serait de type sécessionniste puisque certains plaident, en effet, pour
l ' histoire d' une spécialisation de plus en plus poussée de la discipline politiques
publiques qui, de ce fait, se serait détachée des sciences sociales, pour se concentrer
sur les techniques de résolution des problèmes publics (Dunn, Mac Kelly, 1 992) . C ' est
alors que se profile effectivement une approche très éloignée de la science politique
française mais qu' il est important de relater puisqu'elle traite de la même réalité sociale :

les
il s ' agit des approches, que l ' on peut appeler économico-technico-rationnelles, qui lient

cia
une approche économique standard avec celle classique d' autorités publiques téléo­

So
et
logiquement rationnelles (logique de l ' ajustement fin/moyen, logique de l ' interven­

es
qu
tion top/down) .

mi
no
co
E n fait, ces deux regards se rejoignent sur u n point : l ' interdisciplinarité e t l ' im­

sE
pression de confusion qui en ressort. Du coup, pour les premiers, c ' est une non dis­

ue
diq
cipline, une simple aire d' étude, tandis que pour les seconds, c ' est au contraire une
uri
sJ
discipline autonome et constituée parce que forgeant ses outils propres et un objec­
ce
n

tif premier d' utilité sociale. De fait, la deuxième vision, notamment aux USA, s ' in­
cie

terroge sur les « progrès » de cette science et sur sa capacité à résoudre les problèmes
sS
de

d' action des autorités publiques (voir plus loin les travaux de S . - S . Nagel par
lté
cu

'" exemple ; Dunn, MacKelly, 1992) .


:Fa

'CD
om

� Ici se situe une vraie distinction entre l ' analyse des politiques publiques et de l ' ac-
x.c
vo

::J tion publique, telle qu' elle se développe en France comme sous discipline de la science
lar


ho

al
politique, et cette approche américaine. Premièrement, en France, la discipline s ' ap-
.sc

'5l puie plus sur des outils sociologiques ou une économie qui prend ses distances par
uiz

� rapport à l' économie standard l, et deuxièmement, elle se veut moins normative et se


� donne des airs et des obj ectifs plus scientifiques et moins experts.
o
c
al
,>.
o


J:
a.
j
1.
8 2. B. J. Nelson, « Public Policy and Administration : an Overview », in R. E. Goodin, H.-D. Klin­
Z Dorénavant tpn.

!i! gemann, A New Handbook of Polical Science, Oxford University Press, 1 996, p. 556.
« 3. Voir la Section 2.2 du Chapitre 5 de la seconde partie consacrée à l'économie des conventions
� et à la théorie de la régulation.
_
16 Des rationalités e n politiques publiques

2. QUAND DES RATIONALITÉS SE CÔTOIENT ET SE CONFRONTENT

Deux acceptions de la rationalité en politiques publiques s ' offrent à l ' observateur :


l ' une absolue, instrumentale et téléologique mise en œuvre par l ' État ou sur le mar­
ché, l ' autre limitée, incrémentale et polycentrique, mise en œuvre par une multipli­
cité d' acteurs (2. 1 ) . Reste à savoir si ces acceptions s ' opposent ou se juxtaposent (2.2).

2.1 . Trois catégories et deux acceptions


de la rational ité en politiques publiques

On l ' a dit, il est possible de classer les rationalités des politiques publiques en trois
catégories :
- celles qui se concentrent sur l ' action de l ' État et le rôle de la puissance
publique ;
- celles qui s ' attachent à voir les politiques publiques comme la production et la
distribution de biens publics selon une logique de marché ;
- et, enfin, celles qui insistent sur les transformations actuelles des politiques
publiques 1.

Deux acceptions des politiques publiques s ' offrent alors à l ' analyste :

les
1 0 les deux premières catégories sus mentionnées forgent une première acception

cia
de la rationalité en politiques publiques en faisant la part belle, avec des paradigmes

So
et
certes forts différents, à une rationalité instrumentale à la fois illimitée, téléologique

es
qu
et stato-centrée (État, économie) . La rationalisation de l ' action des autorités publiques

mi
no
est alors à envisager de deux façons.

co
sE
D ' une part, elle a été synonyme de policy, dans le sillage des auteurs classiques

ue
(Weber, notamment dans Économie et société), lorsque l ' administration a été pensée

diq
uri
comme l ' élément rationnel de l ' État dont la fonction est la mise en œuvre des volon­ sJ
ce

tés des élites politiques élues par une administration hiérarchisée et organisée par blocs
n
cie

de compétences.
sS
de

D ' autre part, pour un ardent promoteur et défenseur de la science des politiques
lté
cu

publiques (policy science) comme Harold D. Las swell ( 1 95 1 ), une politique publique
:Fa

consiste en une raison ou un argument rationnel ou une explicitation savante, souvent


om
x.c

d' obédience économique, du « problème » posé ainsi que des solutions


à y apporter.
vo
lar

À la fois « thérapie » aux problèmes (Parsons,


1 995, p. 1 9) et science appliquée, la
ho
.sc

policy science nécessite un savoir spécifique et des experts ou public policy profes­
uiz

sion concrétisée dans des évaluateurs. Il est évidemment loisible de placer également
dans cette catégorie l ' approche économique des politiques publiques qui, mettant en
avant une rationalité de type illimitée et téléologique, place le marché au centre de
son paradigme tout en laissant, paradoxalement, une place centrale à l ' État.

1. Certains auteurs insistent sur d' autres clivages internes à la discipline : « Les modèles inspirés
du public choice soulignent l'implication des intérêts particuliers confrontés à des modèles altruistes
qui se focalisent sur les institutions qui portent l'intérêt général », Moshe Maor et Jan-Erik Lane,
Comparative Public Administration, op. cit, p. XIII.
Des rationalités en politique publique 17

Cette acception stato-centrée/rationnelle est is sue de traditions disciplinaires dif­


férentes conune le droit public et l ' éconorrùe publique par exemple. Si elles sont assem­
blées dans cette partie dans une même acception, c ' est que, dans un sens, et dans ce
sens seulement, elles retournent d ' un regard identique sur les politiques publiques :
une rationalité a priori, une « finalité choisie » et univoque (le droit, le rapport coût/avan­
tage imposé par la rationalité du marché selon une efficience définie a priori selon
des ratios . . . )
à laquelle doit se conformer l ' action ; la centralité d ' un acteur princi­
pal, à savoir l ' autorité publique ; la vision descendante (top/down) des politiques
publiques .
Notons d ' ailleurs que cette représentation d u monde traverse la ligne d e clivage
politique entre libéralisme et interventionnisme. Les dits libéraux se complaisent dans
des discours et des actes fortement teintés de tradition kantienne. La « révolution that­
chérienne » des années 1 980, par exemple, est le résultat d ' un très fort intervention­
nisme d' État, d' un centralisme politique même, conune le résume très bien la formule
de Jeremy Richardson : doing less by doing more ! Nous verrons d' ailleurs que la théo­
rie d' obédience libérale du public choice qui a inspiré les gouvernements « libéraux »
des années 80 ne dépareille pas, très paradoxalement, de cette vision de l ' interven­
tion publique ;

2° la troisième catégorie sus mentionnée forge une seconde acception de la ratio­


nalité en politique publique à la fois lirrùtée, incrémentale et polycentrique, qui décentre
au contraire le regard de l ' analyste vers les « finalités vécues » des multiples acteurs

les
pertinents dans le j eu de la fabrication des politiques publiques . Les rationalités des

cia
acteurs trouvent leurs lirrùtes dans leurs rencontres avec les autres rationalités. Elles

So
et
peuvent être en contradiction et/ou en coopération. Elles résultent en tous les cas des

es
qu
stratégies instables des acteurs puisque guidées par les opportunités de l ' instant pour

mi
no
renforcer leur puissance dans le jeu de leurs interactions .

co
sE
Autrement dit, plutôt que définir les politiques publiques
à partir du fil linéaire de

ue
a priori
la poursuite d ' un obj ectif stable défini selon une rationalité instrumentale et

diq
uri
de type one best way ou best solution, cette seconde acception s ' évertue à voir dans sJ
les p o l i ti qu e s
ce

publiques l ' aj ustement des rationalités multiples, dans l ' action, dans le
n
cie

j eu social chaotique de leur fabrication. Dans cette acception de la rationalité en poli­


sS
de

tiques publiques, sa définition est elle-même enjeu de controverses entre les acteurs .
lté
cu

.tii
:Fa

� 2.2. Juxtaposition ou confrontation des rationalités


om
x.c

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vo

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1ii
lar

Alors que ces rationalités paraîtraient s ' opposer, la « modernité » de l ' une effa­
.�
ho

Cl)
.sc

çant l ' « archaïsme » de l ' autre(2.2. 1 ), il semble plutôt que ces rationalités se juxta­
uiz

:g posent à la fois dans les faits et dans la coexistence des outils intellectuels qui les ana­
� lysent (2.2.2).
<=
o
<=

2.2. 1.
Cl)
'0. Des rationalités opposées

.<:: Pour certains, le clivage entre ces deux acceptions révèle en fait une confrontation
Co
j entre une vision dépassée car étroite des politiques publiques d'un côté, et une approche
z complexifiée et contemporaine des politiques par l' analyse de l ' action d ' un autre côté .
S" Ainsi, nous serions passés en l ' espace d' une trentaine d' années :
� - d' une acception des politiques publiques conçues à partir d' une rationalité et de
� la cohérence d' autorités publiques rationnellement agencées pour « coloniser le futur »
18 Des rationalités en politiques publiques

(Peretti-Watel, 2000, p. 9) grâce à une « finalité choisie », c ' est-à-dire pensées a priori
par rapport à des obj ectifs, et mise en œuvre selon des schémas d' exécution linéaires ;
- à une acception où un jeu d' acteurs, à la fois polycentrique et concurrentiel, dans
lequel se dissolvent les autorités publiques. Ces acteurs sont rationnellement occu­
pés à mobiliser, conjointement mais dans la concurrence, leurs capacités d' action selon
leurs « finalités vécues » .
Bruno Latour résume cette posture en s ' appuyant sur l ' exemple des proj ets d' amé­
nagement : « Naguère, le bureaucrate rassemblait dans sa main les trois pouvoirs : tech­
nique, politique et administratif. C ' était l ' âge de l ' innocence [ . . . ] Une fois l ' instruc­
tion du dossier terminée, on avait en main à la fois la bonne procédure, la meilleure
solution technique et l ' intérêt général. Il ne restait au riverain, réduit à ses intérêts et
à son ignorance, qu ' à négocier des indemnités ou à faire dresser des murs-anti-bruit.
Aujourd' hui, les procédures s ' inventent peu à peu, l ' intérêt général reste à composer
et les solutions techniques s ' ouvrent au milieu des controverses de plus en plus vives »
(Latour, préface à Lolive, 1 999, p. 7).

2.2.2. Des rationalités juxtaposées

Il faut toutefois relativiser cette confrontation entre les deux acceptions de la ratio­
nalité en politiques publiques 1 .
I l n e faut e n effet pas confondre deux mouvements différents :

les
1 ° d ' un côté, les transformations empiriques des politiques publiques où la puis­

cia
So
sance publique semble noyée au milieu de rationalités diverses, dont celles du mar­

et
ché et des « publics » entrés récemment sur la scène des politiques publiques, qui lui

es
qu
retirent son monopole de définition et de mise en œuvre des politiques publiques. Pour

mi
no
lire ce mouvement, une chose est certaine : la seconde acception semble mieux armée

co
pour analyser au plus près les rationalités à l' œuvre dans la fabrication contemporaine

sE
ue
des dispositifs tangibles de politique publique. Elle autorise en effet une lecture conjointe

diq
uri
et articulée des multiples rationalités à l' œuvre : celle de l ' État, celle des marchés et sJ
ce

des acteurs économiques, celles d' autres types d' acteurs (rationalités humanitaires d' as­
n
cie

sociations par exemple . . . ) ;


sS
de

2° d ' un autre côté, le déplacement des outils intellectuels utilisés pour décrire les
lté

rationalités des politiques publiques. On ne doit pas lais ser libre cours à une recons­
cu
:Fa

truction de l ' hi stoire des disciplines. Il ne faudrait pas voir une linéarité dans l ' his­
om
x.c

toire des approches des politiques publiques : des plus stato-centrées rationnelles et
vo

instrumentales aux plus polycentriques incrémentales. En fait, l ' « ancien » et le « nou­


lar
ho

veau » se côtoient dans des mondes parallèles. La vision stato-centrée des politiques
.sc
uiz

publiques proférée par le droit public ne provient pas des mêmes lieux ni modes de
fabrication intellectuelle que l ' économie, mais propose pourtant une vision centrali­
sée et top/down comparable des politiques publiques. Par ailleurs, la sociologie des
organisations, dont on verra le rôle essentiel dans la transformation du regard sur les

1. Pour la lecture d'une étude récente qui tente de concilier les deux approches selon un souci de
compréhension simultanée de « l'efficacité » « de décisions et de mesures, cohérentes au moins inten­
tionnellement » de l' État, et de la complexité des rapports entre l' État et l'action des acteurs sociaux,
on se reportera à Corinne Larue, Analyser les politiques de l 'environnement, L'Harmattan, 2000.
Des rationalités en politique publique 19

politiques publiques, a profilé cette « révolution » dans les années 1 960 alors même
que se développaient parallèlement des approches « anciennes ». Inversement, si les
analyses coûts/avantages connaissent un rythme de production élevé encore de nos
j ours, elles n ' en appartiennent pas moins, à notre sens, à une vision « ancienne » des
politiques publiques.
Cette première partie est donc divisée en trois chapitres. Les deux premiers décri­
vent l' acception des politiques publiques selon la rationalité d'un État dominateur dont
l' intervention organisatrice dans la société repose sur sa rationalité téléologique abso­
lue.
Cette définition des politiques publiques, aujourd' hui classique, comme étant
« l' action des autorités publiques », s ' adosse sur une conception stato-centrée
(moyens et institutions de l ' État), et sur des disciplines savantes et servantes de l ' État
et de la puissance publique (droit public, science administrative . . . ). Dans le même
sens, des conceptions de l' action en politiques publiques (rationalisation des choix bud­
gétaires, analyses séquentielles . . . ) mettent en exergue une rationalité à la fois ins­
trumentale téléologique et stato-centrée de la fabrication et de la mise en œuvre des
politiques publiques (Chapitre 1 ) .
Selon une acception identique, l' économie publique standard voit dans les politiques
publiques le fruit de l ' intervention d ' un État « bienveillant » et « informé », pour
reprendre le langage économique, mais en tous les cas, dominateur et rationnel sur
un marché des biens publics. Cette acception envisage aussi la distribution de biens
publics selon la loi du marché (Chapitre 2).

les
cia
Enfin, dans un troisième temps, a contrario, se sont développées des approches cri­

So
et
tiques de la rationalité téléologique et absolue. La brèche a été ouverte par la socio­

es
qu
logie des organisations qui s ' est attaquée frontalement à l' acception téléologique et

mi
no
illimitée de l' action, en décryptant notamment le processus de décision. La sociolo­

co
gie et la science politique ont, de leur côté, mis à jour les aspects polycentriques des

sE
ue
politiques publiques qui amènent à « écarter délibérément toute survalorisation du pro­

diq
uri
cessus de pilotage » (Commaille, Jobert, 1 998, p. 30) et à « sociologiser l' analyse de sJ
l' État » (Muller, 2000) (Chapitre 3) .
ce
n
cie
sS
de
lté
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sJ
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diq
ue
sE
co
no
mi
qu
es
et
So
cia
les
Chapitre 1

De la rationa lité de l' État

Ce premier chapitre appréhende les politiques publiques par la plus classique et


certainement la plus rassurante des définitions : « l ' action des autorités publiques »
(Meny, Thoenig, 1 989, p. 30). Sont adossées à cette définition des disciplines tradi­
tionnelles de l' ingénierie de la puissance publique et de son bras armé qu' est l' État :
le droit, la science administrative, les finances publiques et le management public (Sec­
tion 1 ) . Cette rationalité instrumentale descendante voit dans l' État un organisme exté­
rieur à la société, qui pense pour elle, pour parler comme Durkheim, et un instrument
de réforme, au nom d ' un intérêt général supérieur déterminé isolément de la société.
Un schéma systémique circulaire adhère à cette vision : les politiques publiques sont

les
cia
alors des réponses apportées par les autorités publiques à des demandes sociales (Sec­

So
tion 2).

et
es
qu
mi
no
1

co
Section

sE
ue
diq
Quand les politiques publiques
uri
sJ
sont adossées à la puissance publique
ce
n
cie
sS
de

Les définitions classiques des politiques publiques s ' appuient sur les ingrédients
lté
cu

traditionnels de la puissance publique ( 1 ) et mobilisent les disciplines qui ordonnan­


:Fa

""

om

cent techniquement cette dernière (2).


x.c

c:
vo

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1ii
lar

Q)
ho

Q) 1. LES POLITIQUES PUBLIQUES COMME ACTION DES AUTORITÉS PUBLIQUES


'3l
.sc
uiz

g

:>

On peut définir les politiques publiques comme « l' action des autorités publiques »
g s' appuyant sur « un programme d' action gouvernementale dans un secteur de la société
Q)
ï5. ou dans un espace géographique : la santé, la sécurité . . . » (Meny, Thoenig, 1 989), ou

�8 encore comme « tout ce que le gouvernement décide de faire ou de ne pas faire » (How-
-a. let, Ramesh, 1 995). Deux conclusions s ' imposent : d' une part les politiques publiques
j s ' ancrent définitivement dans ce que les Anglo-Saxons appellent policy, c ' est-à-dire
� l' action des gouvernants élus et de l' administration, par contraste avec ce que ces mêmes
� anglo-saxons nomment politics, à savoir la phase de la compétition politique en vue
� de la conquête du pouvoir ; d' autre part, selon cette définition, les politiques publiques
� sont donc assimilées aux seules actions des autorités publiques.
22 Des rationalités en politiques publiques

Ces actions sont classiquement répertoriées en quatre types ( 1 . 1 ) dont l ' astreinte
trouve force dans les ingrédients classiques de la puissance publique ( 1 .2).

1 .1 . Une typologie classique des actions de l ' État

Dans la lignée de cette vision stato-centrée, il a été construit des typologies des
politiques publiques dont la plus connue est celle de l ' auteur américain Théodore
L. Lowi ( 1 972). Il évoque quatre types de politiques :
1 ° le premier type, celui des politiques dites constitutives, correspond aux actes de
définition des règles sur les règles. On peut également les appeler « politiques insti­
tutionnelles », c' est-à-dire celles « qui ont pour objet principal la promotion, la trans­
formation ou la désagrégation d' institutions étatiques ou sociétales » (Quermonne, 1 985).
On peut y faire figurer par exemple la décentralisation, tes réformes du Code
pénal . . . ;
2° le second type concerne les politiques réglementaires régissant les comporte­
ments des individus comme ceux ayant trait à la santé (consommation de tabac), aux
conduites disciplinaires (Code de la route) . . . ;
3° le troisième type, est cher aux économistes publics 1 : les politiques distributives.
Il s ' agit d ' un octroi de biens publics par les autorités publiques. Ils peuvent consis­
ter en des biens matériels (ouvrages routiers, services postaux . . . ) ou bien d' autres types
de biens, notamment la réglementation juridique comme celle du droit de propriété

les
(là encore importante pour l' économie publique), ou bien les autorisations et accords

cia
par les autorités publiques pour la réalisation ou la poursuite d' une activité person­

So
et
nelle, industrielle ou commerciale. On trouve, par exemple, dans cette dernière caté­

es
qu
gorie les opérations de certification et de contrôle des normes édictées par les auto­

mi
no
rités, les autorisations de construction, les autorisations de fabrication et de

co
sE
commercialisation (viande animale, j ouets pour enfants . . . ). Les politiques distribu­

ue
tives sont évaluées par l ' économie publique en terme d'efficacité calculée selon des

diq
uri
ratios coûts/avantages ; sJ
ce

4° à l ' inverse, le quatrième type se place délibérément du côté de l ' équité en la


n
cie

matière de politiques redistributives. Il s ' agit ici d' organiser la redistribution des reve­
sS
de

nus dans une société en permettant aux plus démunis, ou au moins munis, d' accéder
lté

à des avantages pécuniaires ou autres selon différents critères (seuil de revenus, nombre
cu
:Fa

d' enfants . . . ) qui permettent la sélection des bénéficiaires. Les politiques sociales repré­
om

sentent l' archétype de ces politiques développées dans la période de l ' après-guerre
x.c
vo

alors que se construisait l' État providence ou assurantiel (Ewald, 1 986 ; Rosanvallon,
lar
ho

198 1).
.sc
uiz

1 .2. Les ingrédients classiques de la puissance publique

Une autre entrée possible pour définir les politiques publiques consiste dans une
acception matérialiste, liée là encore à une vision stato-centrée et à la capacité sup­
posée de l' État à produire du changement dans la société par son intervention
directe. Ses moyens recouvrent les ressources classiques suivantes de la puissance

1. Voir le Chapitre 2 de la présente partie.


De la rationalité de l 'État 23

publique : une administration qui met en œuvre et évalue, un personnel, un budget,


un cadre normatif d' action et, de plus en plus, une expertise adéquate.
Certains auteurs aj outent à ces éléments matériels l ' aspect programmatique (Rose,
Davies, 1 994) qui permet d' insister sur la détermination a priori de l' action à mener.
Matérialisé par les programmes gouvernementaux des partis politiques, cet aspect
demande l ' engagement de moyens d' action qui seront spécifiquement mis en œuvre
pour atteindre les objectifs initiaux des projets (parfois présentés comme étant des
« choix de sociétés »). On rejoint ici le schéma « naturel » déj à évoqué des politiques
publiques définies par l ' action des gouvernants légitimés par le suffrage.
Au service de cette action publique orientée et planifiée souplement, se trouvent
des techniciens de l ' État et ses appendices de « la raison statistique » (la « politique
des grands nombres », Desrosières, 2000) ou de prospection (INSEE, Commissariat
au Plan, DATAR).
En France, par exemple, l ' avènement de « l ' âge du gouvernement décisionnel »
(Rousselier, 2000) est concomitant des tentatives d' équilibrage entre le pouvoir exé­
cutif et législatif sous la quatrième République (décrets-lois notamment), et du pas­
sage à la cinquième République qui avalise le renforcement du rôle et de l ' interven­
tionnisme du premier des ministres dans les affaires publiques (sans parler de la
présidence de la République), ainsi que la « technocratisation » de la structure admi­
nistrati ve (Kessler, Bodiguel, 1 978 ; de B aecque, Quermonne, 1 982 ; Dubois, Dulong,
1 999). Cette tendance se reflète également dans le changement notoire du recrutement

les
des élites politiques gouvernementales, de plus en plus liées à la « technocratie » d' État :

cia
on parle de « l' interpénétration des personnels administratifs et politiques » (de Baecque,

So
et
1 982) et de « la situation charnière des hauts fonctionnaires » dans les cabinets minis­

es
qu
tériels (Bodiguel, Quermonne, 1 982) aux « sommets de l ' État » (Birnbaum, 1 977).

mi
no
Dans le même sens, le cursus honorum des élus, y compris locaux, passe de plus en

co
sE
plus par des stratégies nationales liées à la haute administration et croisées avec les

ue
cabinets et une carrière gouvernementale (Gaxie, 2000) .

diq
Aussi, ces approches stato-centrées des politiques publiques font-elles la part belle uri
sJ
ce

aux définitions matérialistes des politiques publiques portées par les disciplines clas­
n
cie

siquement attachées à l' étude de l ' État.


sS
de
lté
cu

� 2. DISCIPLINES IDENTIFIÉES AUX INSTITUTIONS PUBLIQUES


:Fa
om

"0
x.c

c:
vo

::J

Ces disciplines ont l' avantage de circonscrire les politiques publiques dans leurs
lar

gj
ho

.� aspects les plus physiques ou palpables. Elles se focalisent sur les ressources maté-
.sc

11)

uiz

rielles et j uridiques dont disposent les autorités publiques pour agir. Elles sont donc
<Il stato-centrées dans la mesure où elles vénèrent les ingrédients de la puissance
g publique et ses techniques : le droit public, les finances publiques, la science admi­
.� nistrative, le management public . Bien entendu, il ne s ' agit pas ici de les professer
08 mais de peindre le tableau des représentations sous-j acentes des politiques publiques
.9
.<:: qu' elles impliquent.
Cl.

.3
z 2.1 . Le droit public : u n regard stato-centré sur les politiques publiques
8
� Avec le droit public, les politiques publiques se définissent comme un système de
� normes formelles qui encadrent l' action des acteurs, publics ou non, des politiques
24 Des rationalités en politiques publiques

publiques. Le statut des fonctionnaires, les contrats administratifs, la comptabilité


publique, par exemple, sont autant de règles censées formater, donner un cadre de réfé­
rences et des critères pour guider l' action des fonctionnaires ou des usagers des ser­
vices publics.
« Expression d' une raison aussi transcendante qu' immanente, le droit moderne était
doté d'une puissance normative intrinsèque : parole puissante, il bénéficiait d'un capi­
tal d' autorité qui lui permettait d' obtenir l' obéissance et d' emporter l ' adhésion des
assujettis ; son bien-fondé ne faisait pas question, ne souffrait pas la moindre discus­
sion. Foncièrement marqué par l' unilatéralité, le droit apparaissait comme l ' expres­
sion d ' un ordre hétéronome, auquel il était non seulement impossible de se soustraire,
mais encore nécessaire et juste de se soumettre. "Systérnaticité" et "normativité" étaient
ainsi indissolublement liées » (Chevallier, 2003, p. 1 23).
« Science du pouvoir » (Legendre, 1 992), ou à tout le moins, technique savante
du fonctionnement étatique, le droit public renvoie à une expertise, à des doctrines
élaborées par des spécialistes et à la jurisprudence constitutionnelle et administrative.
Ce n' est pas le caricaturer que de résumer ainsi sa posture : des règles formelles affé­
rentes au fonctionnement des pouvoirs publics (pris ici dans une acception large : gou­
vernement et assemblées auxquels on ajoute administration, services publics, ainsi que
les entités décentralisées), ou bien définissant les principes de leurs actions (délimi­
tation, contenu, critères . . . ) .
Ces règles sont des lois, des décisions judiciaires d'interprétation des lois, des actes
de puissance publique normatifs (souvent unilatéraux), ou des contrats, mais le plus

les
cia
souvent exorbitants du droit commun. Elles sont mises en œuvres par une fonction

So
publique, elle-même réglementée (en terme de statut, de responsabilité . . . ) par des règles

et
es
de droit public dérogatoires aux règles de droit commun du travail, puisqu' unilatérales

qu
mi
(nomination, statut . . . ), qui mettent l' accent sur la hiérarchie des ordres et des actes. Ainsi,

no
co
le pouvoir, au sens de capacité d ' agir (potestas), émane d' autorités contrôlées (consti­

sE
ue
tutionnellement ou administrativement) et agissant au nom de l' intérêt général d' une

diq
communauté, mais qui se voient attribuer un statut supérieur à celui de cette dernière,
uri
sJ
même si la communauté lui donne en dernier ressort sa légitimité. Comme le note Pierre
ce
n

Sadran, « l' Administration s ' écrit avec un grand A, pour signifier à la fois sa supé­
cie
sS

riorité (au nom de l' intérêt général qu' elle porte) et son unité » (Sadran, 1 997, p. 1 4).
de
lté

Cependant, sans entrer dans le débat pourtant fondamental du rapport du droit aux
cu
:Fa

faits, il faut relever que la posture qui consiste à regarder les politiques publiques par
om

la seule fenêtre des normes juridiques impose « l' image d' une administration agis­
x.c
vo

sant dans un monde vidé de ses acteurs, de leurs jeux et de leurs stratégies, mais entiè­
lar
ho

rement fabriquée par des règles et des principes conditionnés et finalisés par les exi­
.sc

gences supérieures de l ' intérêt général [ . . . ] » (Caillosse, 2000) 1 .


uiz

1. Cependant, il faut dire que le droit n'a, en ce sens, rien a envier à la tradition philosophique et
sociologique qui donne à l' État un statut supra-sociétal, si l'on peut dire. Il est autonome par rap­
port à la société dans la mesure où la bureaucratie et son processus décisionnel en font un appareil
de domination sur la société (Weber, 1 97 1 ) peu ouvert à la démocratie (Kelsen, 1 988). T. J. Lowi,
de son côté, fait remonter les débuts de la discipline politiques publiques à l'étude de la législation,
en partant du droit divin jusqu' au droit positif, mais aussi en passant par la délibération dans le droit
moderne. L' auteur conclue à propos du droit : « il y a, alors, un dernier stade appelé Public Policy
signifiant l'intervention de l' administration entre la loi et le citoyen », in T. J. Lowi, « The state in
political science : how we become what we study », op. cit., p. 4 (tpn).
De la rationalité de l 'État 25

De toute évidence donc, cette approche désincarne l' analyse des politiques
publiques pour trois raisons. Tout d' abord, on vient de le relever, les acteurs des poli­
tiques publiques s ' évaporent dans les règles formelles. Ensuite, le droit, pour ingré­
dient important qu' il soit, ne saurait définir seul le cadre et le contenu d' une politique.
Enfm, le polycentrisme de l' action publique condanme l' analyste honnête à questionner
deux notions inhérentes à l' approche j uridique stato-centrée :
1 0 il faut questionner la notion d' intérêt général : celui-ci est-il encore le monopole
de la loi et de l' État ? De nos j ours en effet, « l' intérêt général, formule de légitima­
tion étatique par excellence, n' échappe plus à la controverse, et peut être compris comme
le produit de délibérations et de négociations » (Politix, 1 998, p. 5). Ainsi, « l ' idée
même qu' un intérêt général indifférencié puisse intégrer tous les intérêts particuliers
a perdu de plus en plus sa crédibilité » (Hayward, 1 998) ;
20 il faut questionner la notion de gouvernement : les autorités publiques (politiques
et administratives) peuvent-elles encore changer la société par leurs interventions hété­
ronomes ? Les « publics », de plus en plus entreprenants, n ' y opposent-ils pas la ver­
sion « actionniste » des politiques publiques I ?
n ne s ' agit pas par ces propos de faire du droit une discipline hérétique ou mar­
ginale en matière d' analyse des politiques publiques. Bien au contraire, « la j uridici­
sation du politique » est une question d' actualité (Commaille, Dumoulin, Robert, 2000 ;
Renard, Caillosse, de Béchillon, 2000) Z, et la « démarche pragmatique » adoptée par
le droit de plus en plus négocié et contractualisé, et de ce fait « souple » et « mou »,
montre combien celui-ci sait se conformer à « l' État post-moderne » (Chevallier, 2003,

les
cia
pp. 1 23- 1 30) 3 .

So
n convient de déplacer le regard d' une icône recouverte de la matière juridique mono­

et
es
lithique qui place au centre des représentations du monde l ' auréole sacrée de l' État,

qu
mi
no
vers une fresque réaliste, aux facettes multiples, où le système de normes formelles

co
abandonne son monopole de conformation vertueuse du monde au profit d' une surabon­

sE
ue
dance d' actions velléitaires de la part d' acteurs sociaux « associés-rivaux » (Gaudin,

diq
uri
1 995) qui inventent des proj ets de dispositifs publics. sJ
ce

Cependant, comme le dit Sylvie Trosa, ce déplacement du regard est « un chan­


n
cie

gement culturel important dans un pays dominé traditionnellement par la règle de droit
sS

écrit où le centre fixe des normes que les services se contentent d' appliquer. Un exemple
de
lté

en est donné par le débat au Conseil d' État au moment de l ' élaboration du décret du
cu

� 22 j anvier 1 990 sur l ' évaluation des politiques publiques : ce décret pour la première
:Fa
om

� utilisait le mot "politiques publiques" . Le Conseil d' État a aussitôt demandé de quoi
x.c
vo

:> il s' agissait : pourquoi se préoccuper de "politiques publiques", donc de tout le méca-
lar

gj nisme de mise en œuvre des décisions, alors que les textes définissent ce qui doit être
ho


.sc

fait et que les services sont censés simplement mettre en œuvre ? Une règle ne peut
uiz


as

'"
t:
o
t:

'5. 1. C'est tout le sens des débats actuels sur la « gouvernance » ou encore les « réseaux d'action publique» .
�8 Voir le Chapitre 5 de la seconde partie.
a 2. Nous verrons par exemple dans la Section 3 du Chapitre 8 de la troisième partie combien l' eu­
j ropéanisation des politiques publiques nationales doit à l'intervention de la Cour de justice des Com­
;i munautés européennes. Cependant, l' analyse de ce phénomène repose plus sur la capacités et les stra-

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� 3. Voir à ce sujet la Section 2 du Chapitre 6 de la seconde partie.
que sur une analyse purement juridique.
26 Des ratioTUllités en politiques publiques

qu' être ou enfreinte. Le gouvernement a alors dû expliquer que les décisions centrales
étaient plus réalistes lorsqu' elles prenaient en compte les contraintes et les informa­
tions des managers [des services publics] et que les processus de mise en œuvre étaient
plus complexes qu' une simple application. Les règles sont adaptées, modifiées,
infléchies. L ' histoire ne permet pas encore de dire si l ' ensemble des hauts fonction­
naires français a été sensible à cette leçon de sociologie ; le fait est toutefois qu ' elle
a été à l' origine des décisions interministérielles de modernisation [de l' État] » (Trosa,
1 995, p. 42).
De plus, déplacer le regard ne consiste pas seulement à étudier en amont de la règle
de droit, son processus de fabrication, et en aval, ses usages par les acteurs. Dépla­
cer le regard demande aussi de s ' intéresser aux autres formes d' institutions, non juri­
diques, qui, tout autant que le droit, structurent les politiques publiques : les valeurs,
le sens partagé, les accords informels, les modes de sélection des acteurs pertinents . . .

2.2. La science administrative :


une science de l 'organisation formelle de l'administration

Science elle-même extrêmement éclatée (Chevalier, Lochak, 1 987), la science admi­


nistrative cumule une tradition j uridique européenne de l ' étude de l' administration
publique et une tradition américaine de la sociologie des organisations. Elle peut être
définie comme « l ' étude du fait administratif tendant à connaître les réalités du sys­

les
tème de l' administration publique, à en dégager les préceptes d ' un bon fonctionne­

cia
ment et à en définir les lois d' évolution » (Debbasch, Daudet, 1 992).

So
et
Cette science aborde divers thèmes classiques :

es
qu
1 0 elle analyse les rapports centre/périphérie avec d ' un côté l' organisation de l' ad­

mi
no
ministration centrale (le rôle des directions administratives, des cabinets ministériels,

co
sE
la hiérarchie entre les pouvoirs, le rôle de la haute fonction publique, l ' imbrication

ue
diq
des niveaux administratifs et politiques), et d ' un autre côté, l' administration territo­
riale (la distinction entre les services déconcentrés de l ' État et les administrations des uri
sJ
ce

collectivités locales, la répartition des compétences, de fait et de droit) ;


n
cie

20 la science administrative s ' attache, au-delà des règles formelles , à reconstituer


sS
de

aussi les structures complexes, cohérentes ou non, de l ' administration. Pierre Sadran,
lté
cu

par exemple, note que « le postulat de cohérence doit être revu et corrigé. Mais il serait
:Fa

tout à fait faux de lui substituer son contraire. Non pas l' ordre ou le chaos ; mais l' ordre
om
x.c

et le chaos, simultanément. Fait de paradoxe, l' appareil administratif de l ' État sug­
vo
lar

gère une série d' images contrastées, qui ne sont pas alternatives mais superposées »,
ho
.sc

et à l ' auteur d' évoquer à la fois « le monolithique et la nébuleuse », c ' est-à-dire les
uiz

tendances qui peuvent paraître contradictoires de concentration de l' État et de sa frag­


mentation (Sadran, 1 997, pp. 14 et 35 et s.).
Vue ainsi, l' analyse des politiques publiques revient alors à discerner les implica­
tions du « régime » administratif dans le processus de fabrication des politiques
publiques, de ses fonctionnements et dysfonctionnements de fait.

2.3. Le management public : un ensemble de techniques normatives


pour maximiser les ressources de l ' État

Discipline normative, l' approche managériale dans l' administration publique s ' est
développée dans les années 1 980 autour de l' idée d' efficience, en important les tech-
De la rationalité de l 'État 27

niques et les savoirs du management des entreprises. Un débat s ' est en effet engagé,
dans les années 1 970, à propos des défaillances ifailures) de l ' État (Mayntz, 1 993).
Le dilemme est le suivant : l'espace de l' activité publique a pris une importance consi­
dérable dans le cadre de l ' État providence, mais il lui est régulièrement fait reproche
d' échecs, voire de gaspillage.
Cette question est abordée au-delà des positions idéologiques libérales, comme le
montre le cas français où l ' association « service public », composée de hauts fonc­
tionnaires (de tendance gauche) qui ont intégré les cabinets ministériels pour fomen­
ter les premières réformes de « modernisation » des services publics à la fin des années
1 980 (Chaty, 1 997). n est frappant de voir surgir simultanément des velléités de réformes
profondes de l ' É tat chez des gouvernements de tendances politiques opposées
(Thatcher et Rocard par exemple). Les points communs de ces changements sont la
décentralisation des prises de décision (contrats de service, agences), la responsabi­
lisation des fonctionnaires (calcul de ratios d' efficacité, audit social, gestion prévi­
sionnelle des ressources humaines, évaluation des fonctionnaires . . . ) .
Ces réformes se donnent trois objectifs essentiels :
1 0 d' abord, l' objectif de déterminer les critères de maximisation des ressources finan­
cières face à la crise des finances publiques qui s ' égraine depuis les années 1 970 ;
20 ensuite, ces réformes recherchent l' efficience de l ' action administrative, c ' est­
à-dire l' organisation rationnelle des moyens humains et matériels des services publics
en vue d' atteindre, dans les conditions optimales, un objectif donné. L ' objectif prin­

les
cipal est la satisfaction, au moindre coût, des besoins de plus en plus nombreux, pré­

cia
So
cis, et exigeants de l ' usager consommateur de biens publics (Trosa, 1 995 ; Alecian,

et
Foucher, 1 998). Le management par objectif gagne alors la gestion publique à tra­

es
qu
vers la recherche et l ' application de critères d' excellence (Peters, Waterman, 1 9 82).

mi
no
Par là même, les notions pourtant classiques d' « intérêt public » et de gestion glo­

co
sE
bale des moyens de l' État s ' en trouvent taraudées (Drucker, 1 990) par l ' instauration

ue
diq
de nouvelles règles comptables, plus souples et pluriannuelles ;
30 enfin, les réformes de l ' État s ' attachent à rationaliser le processus décisionnel uri
sJ
ce

en programmant les décisions rationnellement et a priori afin d' éviter le plus possible
n
cie

les « décisions non programmées » (Simon, 1 960) .


sS
de

En ce sens, l' analyse des politiques publiques est celle des critères de maximisa­
lté
cu

.. . tion des ressources de l' administration pour réaliser des programme s à partir d ' un sys­
:Fa

.
� tème décisionnel rationalisé à la fois dans son processus, son contenu et ses objec­
om

§ tifs.
x.c
vo
lar

m
ho

CI)
.sc

-CI)
11)
uiz

..:::
Section 2
�co
1:::
o
Quand les politiques publiques font système
1:::
CI)
15.


-§.
Il est des représentations du monde qui ont la vie dure. C ' est indéniablement le
cas de celle qui consiste à voir dans l ' État un organisme extérieur à la société, qui
j pense pour elle, et intervient pour la réformer au nom d ' un intérêt général supérieur
:i. en réponse à des demandes sociales.
8 Le sens commun, notamment j ournalistique, est imprégné de cette acception sys-
1 témique et top/down des politiques publiques ( 1 ), mais il n' aurait pas de circonstances
..: atténuantes s ' il n' était pas lui-même pénétré, parce qu' héritier, de représentations
28 Des rationalités en politiques publiques

savantes comme l' analyse séquentielle et ses variantes (2), et technocratiques comme
la planification et la RCB (3), inspirées par ce schéma.

1 . PERSISTANCE D'UNE INTERPRÉTATION SYSTÉMIQUE


ET DESCENDANTE DES POLITIQUES PUBLIQUES

Partant d ' un exemple relevé dans la presse ( 1 . 1 ) , ce paragraphe présente le schéma


d ' interprétation auj ourd' hui banalisé, récurrent et souvent implicite des politiques
publiques, à la fois systémique ( 1 .2) et top/down ( 1 .3).

1 .1 . La presse en flagrant délit de perpétuation du schéma stato-centré


et systémique

Un exemple récent de politique publique, parmi tant d' autres, explicite à merveille
ce schéma d ' interprétation des politiques publiques.
Le 15 novembre 1 995, le Premier ministre Alain Juppé présente à l'Assemblée natio­
nale un plan de réforme du système de santé français qualifié d' ambitieux et de « révo­
lution » par le j ournal Le Monde ' . Le quotidien le présente comme un changement
que personne n' avait « osé entreprendre depuis trente ans ». La réforme propose deux
séries de corrections : d' un côté, une redistribution des pouvoirs dans le système de

les
gestion de la sécurité sociale (création d' une convention d' objectifs délibérée au Par­

cia
lement et suppression des élections des administrateurs syndicaux de la « Sécu » au

So
et
profit d' une nomination directe par les syndicats), et d ' un autre côté, la création de

es
qu
dispositifs de réduction du déficit du régime général de la branche santé de la sécu­

mi
no
rité sociale (création d ' un régime universel d ' assurance maladie, passage à quarante

co
sE
ans de cotisation, élargissement de l ' assiette de la cotisation sociale généralisée, condi­

ue
tionnalité de la revalorisation de la rémunération des médecins). Le Monde parle de

diq
uri
« refonte », de « mesures indispensables » '. sJ
ce

Ce même j ournal évoque « la seconde naissance du Premier ministre » A. Juppé


n
cie

qui « retrouve son souffle » politique et « a élargi sa marge de manœuvre » notam­


sS
de

ment en donnant des gages aux critiques de ses amis politiques « balladuriens » 3, ceux
lté

là même qui critiquaient la voie sociale du président Chirac élu en mai de la même
cu
:Fa

année sur un programme de combat contre la « fracture sociale » 4.


om
x.c

Suite à la lecture de son plan à la tribune de l ' Assemblée nationale, le chef du gou­
vo
lar

vernement obtient la confiance du parlement par 463 voix contre 87.


ho
.sc

Tout en notifiant des critiques de la part de l' opposition et des syndicats, ainsi qu' un
uiz

sondage montrant notamment que les personnes interrogées jugent inégalitaires les
efforts demandés pour financer la « Sécu », le journal Le Monde attribue du « cou­
rage » et une confiance retrouvée pour Alain Juppé.

1. Le Monde, 17 novembre 1 995, p. 8.


2 Idem.
3. En fait concurrents politiques issus du même parti (RPR) : E. Balladur est ancien Premier ministre
( 1 993- 1 995) et candidat à l' élection présidentielle de 1 995.
4. Le Monde, op. cit.
De la rationalité de l 'État 29

Aussi, à la lecture de ce j ournal, qui aurait pu prévoir l' abandon de la réforme


quelques semaines plus tard suite à la vague de protestation de l ' hiver 1 995 annon­
ciatrice de la démission du gouvernement Juppé suite à la défaite électorale de sa majo­
rité en 1 997 ?
Ainsi, cet ordonnancement journalistique du monde est-il intéressant dans la mesure
où d' une part, il est pris à contre pied, comme analyste de l' instant présent, par le cours
versatile de 1' « actualité » " et où d' autre part, il propose plusieurs schémas interpré­
tatifs qui ressassent implicitement deux vieux chapelets théoriques et technocratiques
des années 1 950 à 1 970, tous issus d' approches systémiques et stato-centrées.

1 .2. La reproduction du schéma systémique d' Easton

Le premier de ces schémas latents est de type systémique, tel que le fonctionna­
liste D. Easton (trad. française, 1 974 2) a pu l' élaborer dans les années 50 dans sa théo­
rie générale des systèmes 3 . Rappelons rapidement qu' Easton envisageait le système
politique comme une sorte de boucle continue composées de deux types de flux et
d'un système gestionnaire de ces flux. Le premier type de flux est l' arrivée des demandes
sociales ou d' exigences et des soutiens (inputs) jusqu' aux frontières du système poli­
tique. Le second type de flux est les réponses aux doléances (outputs) qui ressortent
du système politique. Ce dernier réside pour sa part dans une « boîte noire » déci­
sionnelle par laquelle transitent exigences et soutiens, et qui régurgite des réponses

les
appropriées aux exigences afin d' assurer la survie du système : la « fonction » assé­

cia
née à l ' État est de répondre aux demandes sociales. L' organisation spatiale de la page

So
et
de journal prise en exemple exprime l' aspect circulaire et linéaire du « système » :

es
qu
départ des demandes et soutiens pour se diriger vers la décision politique et les mesures

mi
no
concrètes à mettre en œuvre, pour revenir, par la voie d ' un sondage, vers les

co
sE
demandes et soutiens .

ue
diq
La première critique que l'on peut faire à cette théorie d u politique est l a trop grande
uri
sJ
coupure instaurée entre un système politique clos (la fameuse « boîte noire ») et son
ce

environnement. Cela laisse place à deux fâcheuses interprétations du politique. Pre­


n
cie
sS

mièrement, il est entouré de frontières qui ne sont franchissables que par les seuls « éclu­
de

siers qui se tiennent aux frontières du système politique » (Easton, 1 974, p. 86) que
lté
cu

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:Fa

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om

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x.c

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vo

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lar

]j
� 1. Vu de la sorte, l'actualité des journalistes est une suite infinie d'interprétations rapides des « évé­
ho
.sc
uiz

:g nements » , de commentaires souvent contradictoires à la longue.


iil 2. Se référer aux schémas de l'ouvrage de Easton (pp. 3 1 et 33) du « modèle de réaction dynamique
5 d'un système politique » .
� 3. I l faut rappeler que, au-delà des critiques que nous adressons à cette théorie d u politique, elle a
ï5. eu le grand avantage d'ouvrir le politique à son environnement : « la vie politique considérée comme

� un système ouvert et adaptable » (Easton, 1 974, p. 1 8 et s.). En effet, dans l'histoire de la science
� politique, les interprétations du politique étaient internistes au sens où le politique expliquait le poli­
j tique : la constitution expliquait les comportements des acteurs politiques, les modes de scrutin expli­
z
g tiques publiques montrent bien que, au contraire, le grand défi de la science politique aujourd'hui
quaient les systèmes de parti, les cabinets ministériels expliquaient les décisions . . . L'analyse des poli­

est d'objectiver le rapport complexe en l' État et la société, ainsi que l'enchevêtrement des acteurs
� et des logiques politiques, économiques, sociales de toutes sortes. En ce sens, l'analyse systémique,
o

� à son époque, a ouvert des voies à nos propos.


30 Des rationalités en politiques publiques

Figure nO 1
Schéma simplifié de l'analyse systémique de D. Easton

'Boîte noire'
Système politique

sont les partis politiques, les élus ou les syndicats ou, si on extrapolait à nos j ours,
les représentants des mouvements sociaux ou des associations. Deuxièmement, le pro­
cessus de formulation des réponses et de mise en œuvre des décisions est autonome
par rapport au reste de la société. Cette dichotomie politique/société laisse alors place
à une architecture hiérarchisée des rapports entre les deux : le système politique, ins­
tance supérieure de direction de la société, administre cette dernière par « attribution
autoritaire » des réponses. Le Premier ministre résout un problème du haut du pupitre
de l ' Assemblée nationale en présentant sa « décision » .

les
cia
L a seconde critique porte sur une fausse évidence : l e schéma systémique présente

So
et
les politiques publiques comme des réponses à des problèmes. Cependant, « au risque

es
qu
de choquer le sens commun, il faut partir [ . . . ] de l' idée selon laquelle les politiques

mi
no
publiques ne servent pas à "résoudre" les problèmes » (Muller, Surel, 1 998, p. 3 1 ).

co
sE
Ceci pour six raisons principalement :

ue
1 ° il s ' avère, premièrement, que tout « problème », même le plus évident, ne se voit

diq
uri
pas attribuer une solution en terme de politiques publiques. Cela supposerait que tout sJ
ce

problème soit considéré comme traitable publiquement ;


n
cie

2° il peut se faire qu' une politique ne résolve pas le problème pourtant ciblé et n' at­
sS
de

teigne pas ses objectifs. Le Premier ministre français de l' époque pourrait en témoi­
lté

gner ;
cu
:Fa

3 ° une politique peut résoudre un problème non ciblé par ses objectifs initiaux ou
om
x.c

ne pas répondre au « problème » ciblé ;


vo
lar

4° la définition du problème qui appelle réponse est elle-même un enjeu social for­
ho
.sc

tement controversé. Par exemple, le journal reprend comme une évidence « naturelle »
uiz

le « problème » économique énoncé par le Premier ministre : les « mesures indis­


pensables » seraient imposées par la contrainte du déficit budgétaire. Les gouverne­
ments n' auraient d' autre choix que de s' aligner sur sa réduction prescrite par la conjonc­
ture économique (moindres rentrées fiscales . . . ). Or, d' autres énonçaient le « problème »
de la sécurité sociale sur la base de l' argument de l' équité, d' autres encore sur la base
d' arguments professionnels . . . ;
5° si l ' on considère que les politiques publiques se définissent par une action, un
processus non linéaire, incrémentaI et complexe où rivalisent et se coordonnent des
acteurs « associés-rivaux », alors, la notion de « problème » n' est plus heuristique :
les « problèmes » se concurrencent, changent selon les conjonctures, les alliances d' in­
térêts. La définition d ' un « problème » est temporelle, plurielle et contingente ;
De la rationalité de l 'État 31

6 ° les solutions préexistent en fait souvent aux problèmes. Patrice Pinell montre
par exemple comment, en France, durant la Première Guerre mondiale, le « problème »
du cancer est apparu comme majeur suite aux nombreux décès de soldats sur le front.
Or, plusieurs années avant la guerre, une communauté scientifique de médecins avait
isolé le « problème » médicalement, sans réussir pour autant à attirer l ' attention des
pouvoirs publics alors qu' elle détenait les « solutions » pour le diagnostiquer. Elle
est donc restée dans l' ombre de ses connaissances scientifiques, et ce n ' est qu ' avec
« l' effet d' optique circonstanciel » des conséquences de la guerre que les « solutions »
de ce groupe de médecins sont devenues une politique publique de traitement du fléau
cancer : développement des recherches, spécialisation médicale, services hospitaliers . . .
(Pinell, 1 992).

1 .3. La représentation topldown des politiques publiques

Le second type de schéma implicitement à l' œuvre dans l ' interprétation j ournaliste
de la réfonne de la sécurité sociale de 1 995 est de type top/down. Ce schéma verti­
cal sur-interprète les autorités gouvernementales et leur volonté, et installe une cou­
pure franche entre la phase de decision making et celle de mise en œuvre. Les « déci­
deurs » politiques et administratifs (top) arrêtent un cadre d' action censé optimiser
les résultats définis a priori. De leur côté, les metteurs en œuvre et les cibles de la
politique publique (down) se confonnent à des instructions et des objectifs par simple
souci de respect de la hiérarchie institutionnelle et de l ' autorité publique. Le passage

les
cia
du haut vers le bas se réalise par la transformation « naturelle » des objectifs déci­

So
et
dés par le haut en moyens mis en œuvre par le bas, et par la substitution de la tech­

es
qu
nique - ce que l ' on appellerait par l' anglicisme « implémentation » à la politique
-

mi
qui est ici cantonnée à la phase décisionnelle. Autrement dit, les enjeux sociaux et

no
co
politiques disparaissent dans la phase de mise en œuvre au profit de la seule gestion.

sE
ue
Alain Juppé, encore une fois, pourrait témoigner de l' inexactitude de ce schéma pour­

diq
uri
tant prégnant. sJ
ce

Les schémas systémiques et top/down ne sauraient donc déchiffrer l ' action publique
n
cie

contemporaine, tout comme les approches « rationnelles » de l ' action publique qui
sS

reposent sur les mêmes implicites. Qu ' il s ' agisse des versions savantes ou techno­
de
lté

cratiques que nous allons évoquer maintenant ou de leur version dérivée j ournalis-
cu

� tique, la politique publique ne s ' y énonce pas en se faisant sur le terrain, elle préexiste
:Fa
om

� à l' exécution. Le « haut » gouverne par la définition et le choix des finalités ainsi que
� l' attribution autoritaire des biens collectifs, le « bas » applique et reçoit par appro­
x.c
vo
lar
ho

� priationlallocation instrumentale, j oue le rôle de simple « cible » pour parler comme


.sc

'$ les experts de l ' État (les évaluateurs des politiques publiques parlent, par exemple,
uiz


al
du « comportement des cibles »).
c
o
c
.� 2 . L'ANALYSE SÉQUENTIELLE
8

� L ' analyse séquentielle a rendu célèbre Charles O. Jones à partir de 1 972. Ce livre
c.
5 n' est pas sans paradoxe. Le premier est que, très critiqué pour la logique linéaire qu' im­
z plique sa vision des politiques publiques, il n ' en a pas moins inspiré la structure de
8 nombreux ouvrages sur les politiques publiques. Le second paradoxe n ' est pas des
� moindres : son contenu est considéré comme ouvrant à des analyses sociologiques et
� politologiques dans la mesure où on lui impute l ' avancée analytique de s ' enquérir du
32 Des rationalités en politiques publiques

processus social de fabrication des politiques publiques au-delà de leur contenu ratio­
nello-technico-économique.
Ainsi, le livre respecte la linéarité suivante (voir la figure n° 2) : les séquences (stages)
de l ' action publique épousent pas à pas les logiques systémiques. Les phases 1 et 2
« émergence du problème » et « solution » ne sont autres qu' une nouvelle formula­
tion du principe « a search process to discover goals » et « the formulation of objec­
tives after search », les phases 2 et 3 ne sont autres que « the selection of objectives
(strategies) to accomplish objectives », tandis que la phase 4 correspond à « the eva­
luation of outcomes » .
D ' une manière générale, l a filiation systémique d e l ' analyse séquentielle a été lar­
gement assurée, faisant d' elle un courant dominant, que cela soit à travers des manuels
de politiques publiques (2 1 ) ou bien de ses prolongements théoriques qui s ' attachent
.

à décrire des séquences particulières : la mise sur agenda (2.2) ou la mise en


œuvre (2.3) par exemple.

2.1 . Une fil iation séquentielle et systémique

Trois manuels, que nous prendrons pour exemple, sont structurés par les séquences
mis à jour par Jones : ceux d' Anderson, de Thoenig et Meny " et de Parsons 2.
On retrouve cet agencement en cinq phases dans le premier ouvrage : 1 . Problem
formation [ . . . ] 2. Fonnulation [ . . . ] 3. Adoption [ . . . ] 4. Implementation [ . . ] 5. Eva­
.

les
luation [ . . . ]. L' auteur justifie cette construction notamment par le fait que « actuel­

cia
So
lement, le policy making (dans le texte) suit souvent chronologiquement les séquences

et
de la liste d' activités donnée plus haut » et celui que « l' approche séquentielle aide

es
qu
à appréhender le flux des actions d'un policy process (dans le texte) » (Anderson, 1 975,

mi
no
pp. 26-27, tpn) .

co
sE
Le second ouvrage, celui de J.-C. Thoenig et Y. Meny, structure sa deuxième par­

ue
tie appelée « analyse », « librement adaptée » à partir du schéma séquentiel de Jones :

diq
uri
« l' émergence des problèmes publics », « la décision publique », « la mise en œuvre », sJ
ce

« l ' évaluation » (Meny, Thoenig, 1 989) (voir la figure nO 2). Déj à, dans un article de
n
cie

présentation de l' analyse des politiques publiques datant du milieu des années 1 980,
sS
de

Jean-Claude Thoenig trouvait des vertus à l' approche séquentielle.


lté

La première vertu recouvre une réelle avancée dans l ' analyse des politiques
cu
:Fa

publiques : « La grille établie par Jones [ . . . ] incite à considérer que, par stratégie volon­
om
x.c

tariste ou par surdétermination structurelle, l' entrée en scène des acteurs à telle ou telle
vo

phase conditionne la nature des programmes d' action, et surtout que cette entrée est
lar
ho

possible à divers moments avant la décision, mais aussi lors de la mise en œuvre et
.sc
uiz

1. Notons que, là encore, aussi relatives que soient les approches, leurs auteurs ont fait partie des
précurseurs de l' analyse des politiques publiques en important en France des problématiques anglo­
saxonnes, et ont ouvert, avec d' autres, un cercle vertueux de recherches sur les politiques publiques.
On peut se reporter aux travaux de J.-C. Thoenig dans les années 1 960 sur le système politico-admi­
nistratif français, ainsi qu' à l' ouvrage de J.-C. Thoenig, J.-P. Dupuy, Sociologie de l 'administration
française, PUF, 1 983, qui a bien des égards annoncent un paradigme comme celui des « réseaux
d' action publique », ou encore J.-c. Thoenig, L 'ère des technocrates, Éd. Organisations, 1 979.
2. Nous aurions pu en choisir d'autres qui s'inspirent des séquences de Jones : par exemple Iris Geva­
May, An Operational approach to Policy Analysis : The Craft. Prescription for Better Analysis, Klu­
wer Academic Publisher, 1 995.
De la rationalité de l 'État 33

Figure n° 2
Le processus des activités gouvernementales selon l'analyse séquentielle

1 � t � t � t �
Identification Formulation Prise Application Évaluation
d'un problème d'une solution de la décision de l 'action de résultats
ou d 'une action

perception élaboration création mise en œuvre réactions


d ' événements des réponses d' une coalition à l ' application
de l ' action

définition étude légitimation gestion et jugement


d ' un problème de solutions de la politique administration sur les effets
choisie

agrégation mise production expression


d' intérêts en conformité d' effets
avec

les
des critères

cia
So
et
organisations

es
des demandes

qu
mi
no
co
sE
ue
représentation

diq
uri
et accès auprès
sJ
des autorités
ce
n

publiques
cie

t t t t t
sS
de
lté
cu

Demande Proposition Politique Impact Action


:Fa

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om

d' action d' une réponse effective sur le terrain politique


"0
x.c

c publique d' action ou ajustement


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0> Résolution
ï5.
o d'un problème


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ou Terminaison
de la politique
0-

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Le processus des activités gouvernementales : un cadre
:::J
o (librement adapté par Jones, 1970)
U
o
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'"
cr:
.. Source .- Y. Meny, J.-c. Thoenig, Politiques publiques, PUF, 1 989, p. 1 5 6 .
34 Des rationalités en politiques publiques

lors de l' évaluation . . . » (Thoenig, 1 985, p. 19). En effet, le postulat selon lequel il existe
un rapport de causalité entre, d' une part, le processus complexe de fabrication (policy
process) et, d' autre part, le contenu concret des dispositifs de politiques publiques, est
un des acquis scientifiques de l' analyse des politiques publiques contemporaines.
En ce sens, la prise en compte par Jones de ce lien entre, d ' un côté, la configuration
d' acteurs à l' œuvre dans les différentes « séquences » de construction d' une politique
et, d'un autre côté, sa structure matérielle fait effectivement figure d' avancée analytique.
La seconde vertu de l' analyse séquentielle relevée par J.-c. Thoenig est celle de
la souplesse : « Pris au pied de la lettre, un tel cadre de référence paraît à la fois linéaire
et formel. Son utilité vient du fait que Jones l' utilise de façon tout à fait souple » (Thoe­
nig, 1 985). Cependant, cette vertu parmÎ théoriquement bien improductive dans la mesure
où le schéma rationnel des séquences se voit anéanti par l ' enchevêtrement des
séquences, l' entrée et la sortie des acteurs du processus, sans pour autant donner les
clefs de la lecture de cette non-linéarité, de cet obscurcissement. « Les phases peu­
vent se chevaucher, se renverser dans leurs séquences chronologiques ou même cer­
taines activités fonctionnelles peuvent ne j amais apparaître lors du processus ». « Il
en va des acteurs comme des activités [ . ] Certains systèmes d' action peuvent être
. .

identiques à chaque phase, les mêmes acteurs étant présents ou absents, les rapports
de pouvoir et les structures de domination aboutissant aux mêmes résultats » (Thoe­
nig, 1 985). On peut alors s ' interroger sur la valeur heuristique de l' analyse séquen­
tielle si le ver se trouve ainsi dans le fruit : les tenants de ce type d' approches recon­
naissent la complexité du policy making, désordonnent l' ordre séquentiel construit dans

les
cia
leur schéma, sans tirer toutes les conséquences théoriques de ce repli.

So
Enfin, le troisième ouvrage, celui de Wayne Parsons 1, reprend également à son

et
es
qu
compte le schéma d'un policy life cycle (Parsons, 1 995, p. 77, cf. figure n° 3). Ce schéma

mi
no
co
sE
ue
diq
Figure nO 3
uri
Schéma systémique et séquentiel du poliey life cycle sJ
ce
n
cie
sS
de
lté
cu

7. Evaluation
:Fa
om
x.c
vo
lar
ho

16 . l
.sc

ImPlementation
uiz

15 . Selection o f policy
Source ,' adapté de Wayne Parsons, Public Poliey, Edward Elgar, 1 995, p. 77.

1. Par ailleurs certainement le meilleur manuel sur les politiques publiques sur le marché actuelle­
ment pour sa précision et son exhaustivité.
De la rationalité de l 'État 35

circulaire est une copie presque conforme de celui de Jones. La justification de Par­
sons est intéressante, car s ' il reconnaît la pertinence des critiques à l' encontre de son
schéma, qu ' il appelle stagist, il rétorque toutefois que son livre « adhère à l ' approche
séquentielle car, étant donné l' éventail des cadres et des modèles pertinents pour l' ana­
lyse, nous avons besoin d ' un outil capable de réduire la complexité dans une forme
plus éclairante » (tpn, de Parsons, 1 995, p. 80).
Quelles sont les principales critiques admises par W. Parsons de son utilisation de
l ' analyse séquentielle ?
1 ° Cette approche ne fournit aucune explication sur le passage d' une séquence à
une autre, ce qui est gênant en effet lorsqu ' on prétend analyser un processus.
2° W. Parsons s ' inscrit dans un regard typiquement top down, pour la même rai­
son, ajouterons-nous, que pour le schéma systémique d' Easton.
3 ° La notion de policy life cycle ignore le processus réel du policy making, à savoir
qu' il est tributaire de multiples niveaux de décision et d' interactions diverses. De fait,
pour évoquer l' exemple de la phase décisionnelle selection ofpolicy option, une ques­
tion surgit : comment isoler cette seule séquence ? La phase de décision est difficile
à disjoindre des autres dans la mesure où la décision résulte du dialogue ou du conflit
entre intérêts et acteurs multiples engagés dans une « adaptation réciproque de leur
conduite » (Mead, 1 963, p. 39), sauf à en rester à la définition institutionnelle de la
décision, c ' est-à-dire la signature d ' un texte juridique par une autorité publique. Cette
phase est d' autant plus difficile à isoler que l' action publique ressemble à « un flux

les
continu de décisions et de procédures dont il faut essayer de trouver un sens » (Mul­

cia
So
ler, 1 990, p. 33), autrement dit à un « flux continu de décisions et d' arrangements ponc­

et
tuels, pris à différents niveaux du système d' action, qu' il faut analyser comme un

es
qu
ensemble de processus décisionnels » (Muller, Surel, 1 998, p. 1 03).

mi
no
Dans le schéma de Jones lui-même (voir figure n° 2), nous retrouvons l ' ensemble

co
sE
des critiques déjà évoquées. La phase décisionnelle occupe physiquement la place cen­

ue
diq
trale : dans la première partie du schéma, le processus est ascendant (de la séquence
de la définition du problème à traiter jusqu ' à celle de la prise en compte par les auto­ uri
sJ
ce

rités publiques) ; dans la deuxième partie du schéma, le processus est descendant


n
cie

(séquence de la mise en œuvre de la politique publique) . Cette conception top down


sS
de

et linéaire se double d ' un isolement du décideur révélateur d' une vision hégélienne
lté

latente du rôle des autorités publiques qui sont censées intervenir indépendamment
cu


:Fa

des autres séquences et acteurs.


om

"Cl
x.c

Le schéma d' interprétation séquentiel et linéaire des années 1 960- 1 970 a « fait des
vo

gj
lar

petits » en ce sens que chacune des séquences a donné lieu à des descriptions détaillées
.�
ho

par des auteurs qui se sont attachés à valider le bien fondé de cette approche : les phases
.sc
uiz

B de « mise sur agenda » et de mise en œuvre notamment.


=>
'"
"
g 2.2. La phase de mise sur agenda
(J)
ci


-5.
Il en est ainsi d' une autre approche qui vient s' adosser à l ' analyse séquentielle en
endossant ses limites : celle de la « mise sur l ' agenda » (Cobb, EIder, 1 972). Dans le
j schéma de Jones, la phase d' analyse concernée par la « mise sur agenda » est la fin
§ de la première séquence : « identification du problème », « accès auprès des autori-
8 tés publiques » .

"
L' objet de l' analyse de la « mise sur agenda » est de comprendre comment un « pro-
� blème », ou une « demande » arrive à devenir une préoccupation des autorités
36 Des rationalités en politiques publiques

publiques ' . Plus précisément, il s ' agit de comprendre comment des questions « pas­
sent en première place » (came to be at the first place) ou encore « pourquoi les gens
importants accordent une attention particulière à un sujet plutôt qu' à un autre » (King­
don, 1 984, p. 2, tpn) .
L' agenda peut-être défini ainsi : « l' ensemble des problèmes perçus comme appe­
lant un débat public voire l' intervention des autorités publiques » (Padio1eau, 1 982,
p. 25), ou encore « la liste des sujets ou problèmes auxquels les autorités gouverne­
mentales, et les acteurs en dehors du gouvernement mais étroitement associés à ces
autorités, accordent une attention particulière à un moment donné » (Kingdon, 1 984,
p. 3 , tpn).
L' agenda peut -être alimenté de plusieurs manières :
1 0 l' agenda peut se remplir du fait de l' auto-saisine obligatoire des autorités publiques
(predictable windows) du fait des compétences qui leur sont attribuées par les textes
(constitution ou lois, obligations budgétaires - every year, like clocwork, the budget
needs attention p. 1 97). L ' agenda suit ici une routine légale rationnelle ;
-

20 l' agenda peut aussi dépendre de la conjoncture (unpredictable windows) : des


demandes sociales se font sentir auxquelles les autorités publiques se doivent de don­
ner une réponse. « Un problème est reconnu, une solution est validée, et le climat poli­
tique devient favorable, le tout en même temps » (Kingdon, 1 984, p. 1 99). Selon P. Gar­
raud, ce second type de processus de mise sur agenda « repose essentiellement sur
l ' action de groupes organisés qui jouent un rôle moteur et s ' efforcent de défendre ou

les
cia
de promouvoir des intérêts socio-professionnels et (ou) une cause plus idéologique » .

So
L' auteur décèle deux processus types d e mises imprévisibles sur l' agenda :

et
es
- dans le premier cas, l' arrivée sur l ' agenda résulte de la « demande sociale consti­

qu
mi
tuée » : un conflit entre les autorités publiques et les groupes organisés sur « la nature

no
co
des solutions », la création volontaire d' événements pour attirer l ' attention des pou­

sE
ue
voirs publics, une forte médiatisation, l'utilisation de l' opinion, une controverse publique

diq
à l ' écart du système politique (Garraud, 1 990, p. 32 ) ;
uri
sJ
- dans le second cas, des « entrepreneurs de politique publique » (policy entre­
ce
n
cie

preneurs) enregistrent et canalisent les demandes pour les faire entrer dans la sphère
sS

publique, pour les imposer sur l' agenda des autorités publiques. « On a décrit des entre­
de
lté

preneurs qui sont disposés à investir leurs ressources - temps, énergie, réputation,
cu
:Fa

argent - pour investir une position dans l ' attente d ' un gain futur sous forme de béné­
om

fices » (Kingdon, p. 1 88, tpn) . L' auteur voit alors trois « qualités » pour les entre­
x.c
vo

preneurs : d' abord, la capacité d' écouter les autres et de parler en leur nom en occu­
lar
ho

pant un poste de décision ; ensuite, celle d' être reconnu pour son capital social, ou
.sc

autrement dit ses ressources résiliaires et ses compétences de négociateur ; enfin, la


uiz

persistance et la ténacité dans l ' action. Le cumul des ressources par les entrepreneurs

1. Philippe Garaud, « Politiques nationales : élaboration de l' agenda », L 'année sociologique, 1 990,
n° 40, p. 27, fait remarquer que « la notion même d'agenda soulève cependant des difficultés et appelle
quelques précisions. Outre son caractère métaphorique qui peut être trompeur, elle tend à induire,
si l'on y prend pas garde, une vision linéaire et quasi chronologique très restrictive. Les différentes
séquences de l'action gouvernementale qu' on distingue ne doivent pas être prises de manière rigide ».
En reprenant l' argument de J. c . Thoenig sur la souplesse des séquences, P. Garraud émet ici une
limite heuristique essentielle de la notion d' agenda.
De la rationalité de l ' État 37

de politiques publiques laisse alors voir un fort processus de sélection sociale pour
occuper ce type de positions entreprenariales.
Au résultat, ces entrepreneurs de politiques publiques recherchent certes leurs propres
bénéfices dans la promotion d' une conception d' une politique publique qu ' ils tentent
d' imposer sur l ' agenda politique, mais pour se faire, ils doivent accomplir un travail
politique d' accouplement de ce que 1. W. Kingdon appelle les différents courants
(streams), autonomes dans leur formation, qui, en ce rejoignant, coaguleront un point
d' entrée sur l' agenda :
1 ° tout d' abord, le courant des « problèmes », c' est-à-dire les différentes manières
dont est pensé un « problème » par les différents groupes et acteurs qui en sont por­
teurs dans la société ;
2° ensuite, le courant des politiques publiques, c ' est-à-dire l' état de l' ensemble des
politiques publiques concernées par les « problèmes » ;
3 ° le courant politique, c ' est-à-dire les débats et l ' état de la compétition internes
au champ politique concernant le « problème » .
L ' entrepreneur d e politiques publiques doit passer expert dans la j onction d e ces
courants à un moment opportun. Kingdon appelle ce moment particulier une « fenêtre
d' opportunité » qui autorise l ' arrivée sur l ' agenda de ce qui mérite d' être discuté et
faire l ' objet d' une politique publique.
Mais finalement, avec cette figure de l ' entrepreneur de politiques publiques,
sommes-nous si éloignés des gardiens (keepers) de David Easton qui surveillent l ' en­

les
trée des revendications pour éviter la surcharge de l' agenda et le « stress » de la ges­

cia
So
tion publique des affaires ?

et
Finalement, la mise sur agenda décrit une sélection des « problèmes » : sélection

es
qu
quant au segment de l ' État destinataire de la demande d' abord, sélection quant à la

mi
no
recevabilité de la demande ensuite, et enfin, sélection quant au moment et au sujet.

co
sE
Brièvement résumée ici, cette approche de la prise en compte des « problèmes »

ue
diq
publics adhère bien à l ' univers descriptif des politiques publiques des années 1 960-
uri
sJ
1 970 imprégné par l' approche systémique d' Easton et doublé d' une vision séquen­
ce
n

tielle de la fabrication des politiques publiques. Cette approche reste fortement


cie
sS

imprégnée de systémisme : des « courants » de demandes étanches qui se rej oignent ;


de

des entrepreneurs qui ne sont autres, comme disait Easton, que des « types de rôle
lté
cu

"" fonctionnellement distincts » des autres rôles du système politique (Easton, 1 974, p. 82),
:Fa

� qui « surveillent les entrées » et « contournent les écluses » (Easton, 1 974, pp. 84 et s.)
om

§
x.c

du passage entre « environnement » et « système politique » et opèrent la « conver-


vo
lar

1ii sion » des exigences du premier à la « frontière » de ce système. Ces « éclusiers »


.*
ho
.sc

montrent que si le système est complexifié de manière non contestable (la figure de
uiz

B l ' entrepreneur est plus complexe, la linéarité et la temporalité sont également sensi­
ffi blement complexifiées avec ce passage par la « fenêtre d' opportunité »), l' analyse n' est
g
c
reste pas moins, dans l ' esprit, assez proche de celle d' Easton puisque deux mondes
.� restent séparés : le système politique et son « environnement ». La notion de mise sur

-a
agenda clive définitivement les acteurs qui « demandent » de ceux qui « répondent »
dans une conception top/down dont les défauts ont déj à été détaillés.
5 Cependant, cette approche pointe du doigt des aspects importants des politiques
� publiques contemporaines :
� 1 ° Cobb et EIder ne sont pas dupes sur la lutte concurrentielle que représente la
� compétition à la fois pour faire savoir le « problème » et pour les faire accéder à une
� définition « publique » .
38 Des rationalités en politiques publiques

2° John W. Kingdon revendique une approche incrémentale des politiques


publiques . Nous le rejoignons aisément lorsqu' il dit à propos de l' approche ration­
nelle qu ' un « tel modèle n' est pas très précisément la réalité ». Il dit avoir observé
dans ses travaux empiriques sur les politiques de santé et de transport aux USA des
symptômes d' incrémentalisme (Kingdon, pp. 83 et s.), c ' est-à-dire des signes d ' ajus­
tements qui ne sont que marginaux dans les comportements courant des « décideurs »
et dans les politiques publiques elles-mêmes. Il se réfère également aux théories de
la sociologie des organisations pour qualifier de « poubelle » (garbage can) le pro­
cessus décisionnel complexe dans les instances américaines (maison blanche . . . ) 1 .

2.3. L a séquence d e mise en œuvre des politiques publiques


ou implementation

La séquence de la mise en œuvre des politiques publiques s ' attache à décrire la


séquence de politiques publiques située entre la décision et les effets de cette poli­
tique sur les « publics » ciblés. L' inconvénient de cette approche est de fabriquer une
rupture factice, entre les décideurs (top), les metteurs en œuvre et les « cibles » (down)
(2.3 . 1 ), qui nie la complexité de l' action conjointe et les aspects multiples et éparses
des décisions (2.3.2).

2. 3. 1. La rupture entre le top et le down

les
cia
So
La phase de mise en œuvre (implementation) mérite également de se voir poser la

et
es
question de savoir comment son isolement serait concevable. Nous le ferons à tra­

qu
vers l' ouvrage de G. C. Edwards qui s' attache exclusivement à l' étude de cette séquence 2

mi
no
et qui la définit comme « la séquence (stage) de politique publique entre l ' établisse­

co
sE
ment d' une politique - vote d' une loi, la signature d'un règlement, l' annonce d' une

ue
diq
décision de justice ou la promulgation d' une règle - et les effets de cette politique
sur les gens qu' elle cible » (Edwards, 1 980, p. 1 , tpn). uri
sJ
ce

Autrement dit, il s ' agit d' une séquence entre le top et le down : « Parce que nous
n
cie
sS

sommes avant tout concernés par la question de savoir comment les décisions sont
de

mises en œuvre et pourquoi elles sont mises en œuvre comme elles le sont, nous allons
lté
cu

voir cette mise en œuvre en partant du haut pour aller vers le bas lfrom the top down).
:Fa

Si nous les regardions de bas en haut - à partir du point de vue des consommateurs
om
x.c

de politique publique - les j ugements de valeur sur les politiques seraient inévitables
vo
lar

[ . . . ] mais pour notre propos, nous sommes moins intéressés par la justice ou la capa­
ho
.sc

cité des politiques à résoudre un problème social que par la question de savoir com­
uiz

ment elles sont mises en œuvre » (Edwards, 1 980, p. 1 2- 1 3 , tpn).


Et à l ' auteur de nous proposer, par exemple, une série de recettes de « communi­
cation » pour « transmettre » aisément des ordres du décideur vers les « metteur en
œuvre » (implementers) sans dénaturer la philosophie de la décision prise par le top
à travers un schéma où la « branche exécutive » ou les tribunaux seraient des « trans­
metteurs », et les implementers seraient des « récepteurs ». Les problèmes évoqués

1. Sur l'incrémentalisme et la « poubelle »,


2. George C. Edwards, Implementing Public Policy, Congressional Quaterly Press, 1 980.
voir le Chapitre 3 de cette partie.
De la rationalité de l 'État 39

vont de la rédaction d' une loi ou d' une décision de justice d' une manière non ambi­
guë (clarety) de façon à ce que les « véritables intentions » (true intentions) conte­
nues dans les « ordres » des « supérieurs » puissent être réceptionnées sans distor­
sion par les échelons inférieurs, à la nécessité de décisions conséquentes (consistency)
entre l' ordre donné et le contexte dans lequel il sera mis en œuvre puisque dans le
cas contraire « lower level government jurisdictions may be confused by inconsistency
at a higher level » (pp. 1 7-5 1 ) .
C e type d e schéma explicatif des politiques publiques cumule tous les reproches
déj à évoqués : sur-interprétation des volontés et de la rationalité des « décideurs » 1 ;
une vision top down qui sur-interprète le rôle des acteurs centraux et publics et qui
annihile toute tentative de prise en compte des choix, stratégies et valeurs des acteurs
« inférieurs », condamnés ici à exécuter techniquement (la conception neutre de la
« vocation » du fonctionnaire que l ' on trouve chez Weber, par exemple) les décisions
politiques (la « conviction » propre au politique chez Weber là encore) ou à les inter­
préter s ' il s ' agit des cibles des politiques 2 ; une vision par trop linéaire enfin qui ne
laisse pas de place à la complexité des relations de pouvoir, à l' enchevêtrement des
pratiques et des logiques, aux « marges de manœuvre » 3 des acteurs et à l' incré­
mentation.

2. 3.2. Complexité de l'action conjointe et multiplicité des décisions éparses

les
Loin de cette conception de la mise en œuvre, Jeffrey L. Pressman et Aaron Wil­

cia
So
davski ont a contrario pris la mesure de l ' inadéquation de ce schéma avec la réalité

et
es
des politiques publiques en étudiant le cas de la mise en œuvre d ' un programme de

qu
mi
no
co
sE
ue
diq
1. Pour une critique plus détaillée de cette vision voir la Section l , Chapitre 3. Voir également B. Hog­
uri
sJ
wood, L. Ounn, « Why "perfect irnplementation" is unattainable », in Michael Hill, The Policy Pro­
ce
n

2. Un courant d'analyse prend le contre pied de cette approche en s'intéressant au niveau d'action
cess. A reader, Harvester Wheatsheaf, 1993, pp. 238-247.
cie
sS
de

des metteurs en oeuvre. Voir sur ce point les articles de M. Lipsky, « Street-Level Bureaucraty : an
lté
cu

introduction » ; B . Hudson, « Michael Lipsky and Street-Ievel bureaucraty : A neglected perspective » ,


� Michael Hill, op. cit. , pp. 379-398. Se reporter aussi à Vincent Dubois, La vie au guichet. Relations
:Fa
om

administratives et traitement de la misère, Économica, 1 999. L' auteur montre que des agents admi­

c:
x.c

nistratifs d' accueil d'un service social réinterprètent le « 1 » de revenu minimum d'insertion, poli­
vo
lar

� tique redistributive de solidarité initialement conditionnée par le retour à l'emploi, mais ici très lar­
ho
.sc

.'" gement élargie à une autre définition de l'insertion. Par exemple, un travailleur social dit : « Moi je
.s ne conçois pas le rôle d'agent d' accueil simplement comme un rôle administratif [ . ] L'insertion,
uiz

.� . .

à c'est pas trouver un travail à tout prix [ . . . ] J'crois qu' insertion c'est avoir la possibilité de regarder
§ quelqu' un en face, de pouvoir dialoguer. Et du fait que nous sommes organisme payeur, [ . . . ] je pense
� que c'est un peu notre rôle d'essayer de les démarginaliser, de leur redonner un peu confiance en
'0. eux. On essaie de voir ce qu'on peut faire, les conseiller, prendre contact avec les assistantes sociales

a
de leur secteur, les associations caritatives . . . » (extrait d'un entretien, p. 1 17), Preuve s ' il en est que
la définition du « problème » insertion se joue dans la mise en œuvre quotidienne de cette politique,
j pendant laquelle s' engagent les « connaissances pré-théoriques » des acteurs sociaux (Berger, Luck­
z
8
mann, 1 986), et ne saurait se ranger une fois pour toutes dans une phase décisionnelle préalable à
la mise en œuvre : les « façons de faire » (les pratiques) et les « raisons pour agir » quotidiennes
c

des acteurs construisent et déplacent le « problème » au fur et à mesure qu'i! émerge, qu'i! fait l'ob­
3. Sur cette notion et sur le paradigme auquel elle renvoie, voir la Section 1 du Chapitre 3.
jet d'un traitement « public » , et qu'une politique publique tente d'y faire face.

40 Des rationalités en politiques publiques

l'Economic Development Administration (EDA) de l ' administration fédérale de


Washington dans la ville d' Oakland en Californie. Ce programme consistait, suite aux
événements de 1 968, à développer les emplois en faveur des minorités ethniques. Le
long titre de l ' ouvrage résume à lui seul l ' univers intellectuel des auteurs : Imple­
mentation. How Great Expectations in Washington are Dashed in Aokland ; Or Why
It 's Amizing That Federal Programs Work At Al! This Being a Saga of The Econo­
mic Development Administration As Told by Two Sympathetic Observers Who Seek
To Build Morais on a Fondation of Ruined Hopes (Pressman, Wildavsky, 1 973).
Dans leur Chapitre 5 intitulé The Complexity of Joint Action, les auteurs dévelop­
pent les arguments expliquant la « probabilité décroissante du succès du programme »
(p. 1 02 et s., tpn). Ils brossent un tableau des acteurs qui participent à la mise en œuvre
(pas moins de 1 5 sont ainsi recensés, dont des institutions portant le même nom mais
à des niveaux d' action différents, notamment EDA) et leurs volontés diverses dans
ce programme (pp. 95-97) . Ils en concluent une surcharge d' acteurs et de perspec­
tives qui mène à une multiplicité de décisions éparses, déconnectées les unes des autres,
et surtout inattendues par rapport à la définition fédérale du programme initial. La « com­
plexité de l ' action conjointe » conduit, dans le cas présent, à l ' échec du programme
d' action.
Les auteurs élaborent, par exemple, une analyse des délais de fabrication des poli­
tiques publiques qui montrent combien l' implementation de celles-ci est dépendante
des trois variables calculables et observables : l ' intensité des intérêts pour ou contre

les
le programme, les ressources des acteurs qui y sont impliqués, et le temps. Ils mon­

cia
trent que plus les intérêts sont forts, plus les ressources des acteurs sont faibles, et

So
et
plus leur délai de réponse est long. « Les délais sont des opportunités perdues disent

es
qu
les auteurs » (p. 1 2 1 ) .

mi
no
Au résultat, les auteurs écornent l ' analyse séquentielle en montrant parfaitement

co
sE
bien :

ue
diq
- premièrement, que la décision ne saurait être le monopole d'un quelconque centre
politique, mais au contraire qu' une politique publique est « un flux continu de déci­ uri
sJ
ce

sions » pour reprendre l ' expression éclairante en la circonstance de Pierre Muller ;


n
cie
sS

- deuxièmement que les ordres et planification d' action du top sont contrariés par
de

les rationalités multiples du Down dont l ' action conjointe, ou disj ointe, contribue à
lté
cu

redessiner les structures du programme.


:Fa
om

Ainsi, s ' il faut reconnaître une vertu pédagogique certaine à l ' analyse séquentielle,
x.c

il faut toutefois conclure qu ' en terme heuristique, elle bloque plutôt qu' elle ne per­
vo
lar

met des avancées dans la lecture de l' action publique contemporaine.


ho
.sc
uiz

Section 3

Quand la rationalité est colonisation avortée du futur

La rationalité dans le cas du Plan et de la Rationalisation des Choix Budgétaires


est très proche de celle décrite par Jürgen Habermas concernant la volonté de maî­
trise des choses dans les sociétés occidentales. Cette rationalité instrumentale ou en
finalité va de concert avec une projection dans l ' avenir, schéma dans lequel se glisse
volontiers la planification souple à la française ( 1 ) ainsi que la rationalisation des choix
budgétaires (2) .
De la rationalité de l 'État 41

1 . L A PLANIFICATION O U L A MAÎTRISE AVORTÉE DU FUTUR

Nous connaissons tous Jean Monnet, premier commissaire général au Plan (CGP)
en France en 1 946. Mais qui connaît Henri Guillaume ou les différents commissaires
au Plan depuis 1 984 ? Autre conjoncture, autre visibilité : la légitimité du Plan, issu
de la nécessaire reconstruction de l' après-guerre, décline au fur et à mesure que l' ou­
verture de l' économie sur l' étranger se confirme et que les acteurs économiques arro­
gent au marché, si ce n ' est la totalité, du moins une part grandissante de la régula­
tion économique. C ' est ce que l ' on a appelé le « tournant néo-libéral » des années
1 980 (Jobert, 1 994) . Si bien que l' existence même du Plan a été sérieusement mise
en cause en 1 986, comme d' ailleurs celle de la DATAR qui incarne un autre grand
dessein, aménageur celui-là (Mazet, 2000). De fait, en catimini, le ministre de la Fonc­
tion publique de l' époque a annoncé le 22 décembre 1 986 sa volonté de supprimer
le CGP pour le remplacer par un « Commissariat à la stratégie » .
Pourtant, dans les années 50 à 7 0 , la dénonciation d e la « dictature d e l ' instant » 1
et une croyance inébranlable dans la capacité de l' État à maîtriser le futur et à effa­
cer « l ' archaïsme de notre équipement et de nos structures de production » (Mon­
net, 1 976), ont amené aussi bien l ' État que les « forces vives » à placer dans la pla­
nification des espoirs j amais véritablement assouvis. Le schéma avait la clairvoyance
de l ' innovation sociale et l ' intelligence de la souplesse. L ' innovation sociale rési­
dait dans ce qui reste d' ailleurs de plus contemporain dans le Plan : un espace de dia­

les
logue entre les divers secteurs économiques et sociaux. La souplesse résidait de son

cia
So
côté dans la voie choisie : une planification non impérative et corrigible tous les trois

et
es
à quatre ans .

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Cependant, l e « tournant néo-libéral », l a décentralisation e t la multiplication des

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acteurs et des lieux de négociation des politiques publiques retiraient au Plan à la fois

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légitimité et efficacité socio-économique. D ' une part, le Plan a en effet été rattrapé

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par ses faiblesses : prévu pour rationaliser les investissements de l ' État dans le temps
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et l ' espace, il est devenu quasi exclusivement un lieu de régulation sociale entre les
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secteurs de la société française, un « tableau d' échange intersectoriel » (Muller, 1 990) 2,


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et n ' a jamais véritablement pu faire voir son efficacité dans la rationalisation des poli­
de

tiques publiques (Muller, 1 990). D ' autre part, ces outils de planification a priori des
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politiques publiques ne prenaient pas en compte le processus complexe de leur construc-


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tion. Il en résulte indéniablement une « planification en crise » (Rousso, 1 987).


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ijl 1. L'expression est de Pierre Massé, Commissaire général au Plan de 1 959 à 1 966, dans un article
g écrit pour le journal Le Monde du 4 novembre 1 986.
� 2. Jacques Delors, ancien membre du CGP dans les années 60, a pu dire à ce sujet dans un entre­


ï5. tien : « Le Commissariat général au Plan est devenu un excellent bureau d'étude ; dans sa bonne période,
il était autre chose. En quoi consistait son rôle ? Laissons de côté les prévisions à cinq ans, les pro­
-a grammations, laissons cela de côté pour un instant de discussion. Ce qui est remarquable dans le Com­
j missariat général au Plan, dans les années où j 'y ai vécu, c' est que nous étions à une sorte de car­
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8 intellectuels, les chercheurs . . . lis se sentaient chez eux. lis venaient nous voir régulièrement. Ils avaient
refour. Tout le monde venait : les acteurs économiques et sociaux, les acteurs locaux, mais aussi les

o l'impression qu'ils pouvaient contribuer à un débat national, on s'enrichissait mutuellement. Ainsi


:;; pouvait-on tâter les pouls de la société » , D. Pélassy, Catherine de Wendel, Guy Hennebal,
� « Europe : régions et communautés contre les nations ? », Panoramiques, 2000, p. 1 2 .
42 Des rationalités en politiques publiques

Le passage de la planification au développement économique local, par exemple,


est de ce point de vue révélateur si ce n' est de la mise au rebut forcée, du moins de
la modification en profondeur de cette conception de la planification. Les économistes
remarquent que « le développement "par le bas" (décentralisé et local) remplace le
développement "par le haut" (étatique et centralisé) . Les districts industriels sont sou­
vent à la base d' une dynamique économique locale » (Benko, Dunford, Heurley, 1 997 ;
voir aussi Pecqueur, 1 996) .
Pierre Teisserenc écrivait en 1 994 que : « Dans le système antérieur, l ' essentiel des
orientations des politiques économiques était du ressort de l ' État et leur application
se réalisait dans le cadre d'un partage de compétences entre celui-ci et les collecti­
vités locales [ . . . ] Les nouvelles politiques de développement sont généralement ini­
tiées par les collectivités locales [ . . ] Ce processus émerge à un moment où les rela­
.

tions entre l' État et les collectivités locales, entre le centre et la périphérie, connaissent
des tensions dans l ' ensemble des pays industrialisés. Demande de décentralisation,
revendication d' une plus grande autonomie des instances locales, contestation des
modèles antérieurs sur fond de crise des finances locales ont encouragé la recherche
de nouvelles règles du jeu et de nouvelles régulations tant au niveau du territoire que
dans les relations du territoire et ses partenaires, qu' il s ' agisse de l' État ou des autres
collectivités territoriales [ . . . ] Ce sont des facteurs "invisibles" tels que les arrange­
ments entre entreprises, le partenariat entre les institutions, la qualification de la res­
source humaine, la volonté des acteurs locaux, etc. qui permettent de justifier la per­
tinence de ces politiques » (Teysserenc, 1 994, pp. 6-8) 1 .

les
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L e c a s allemand d u développement régional, par exemple, confirme l e s deux élé­

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ments relevés dans celui de la France, alors même qu'il reposait déjà sur une struc­

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ture fédérale : d' une part, l' État fédéral a choisi un interventionnisme moindre dans les

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années 80, d' autre part « ce qui a changé dans les politiques régionales n' était pas tant

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leur contenu que leur structure et leur procédure » dans la mesure où d'un côté elles

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« sont interprétées comme ayant une fonction d' intersection qui ne saurait se réduire

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aux seuls aspects économiques et elles demandent une coordination des différentes poli­
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tiques publiques » [ ] , et « dans la mesure où, d'un autre coté, la coopération entre
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les organisations publiques et privées est considérée comme indispensable pour un déve­
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loppement régional plus efficace » (Benz, 1 999, p. 224, tpn).


de

Au résultat, la contractualisation entre partenaires du développement local l ' em­


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porte dans les années 80 sur la planification centralisée. De plus, si une planification
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demeure, c ' est plus du côté de sa contractualisation qu' il faut regarder. L' exemple des
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contrats de plan entre l' État et les régions qui accompagnent la décentralisation de
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l' État français au début des années 1 980 « symbolise une forme d' action publique pri­
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vilégiant la coopération entre les collectivités plutôt que la sujétion d'un acte unila­
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téral » (de Montrichet, 1 999, p. 270) . Mais la coopération ne s ' arrête pas aux seules
collectivités et à l' État, puisque l' article 1 1 de la loi du 29 juillet 1 982 évoque sans
détour « les entreprises publiques ou privées et éventuellement d' autres personnes
morales ». Dans l' esprit du législateur, la négociation et la contractualisation 2 entre

1. Sur ce point on peut se reporter à la discussion plus étoffée de la Section 2.2 du Chapitre 4 de
la deuxième partie du présent ouvrage.
2. Pour une analyse détaillée de la contractualisation des politiques publiques, voir la Section 2.2
du Chapitre 6 de la seconde partie.
De la rationalité de l 'État 43

de multiples acteurs vient donc s' agréger à la planification nationale. Celle-ci est demeu­
rée puisque les contrats de plan servent à « l ' exécution du plan et de ces programmes
prioritaires », dit la loi.

2. LA RATIONALISATION DES CHOIX BUDGÉTAIRES (ReS)


OU L'ÉCHEC D'UNE FORME DE PRÉVISIBILITÉ

La RCB ou son papa américain le Planning, Programming, Budgeting System


(PPBS), peut se définir comme « une méthode de préparation et de suivi du budget
qui part des effets recherchés à long terme des dépenses publiques pour en déduire
les programmes d' action cohérents à long terme, puis, par intrapolation, le contenu
des dépenses annuelles » (Greffe, 1 997, p. 466). Par exemple, deux experts de la RCB
réduisent à sept phases la procédure de RCB (voir encadré ci-joint) .
Les critiques adressées aux procédures de RCB sont les suivantes :
- une conception centralisée et a priori de l' action publique : l' action, les solutions,
et les modalités de mise en œuvre sont définies a priori par des décideurs. Même « éclai­
rés par l' analyse », ces décideurs n' ont de systèmes de choix qu' experts. La RCB « pos­
tule qu'un acteur unique et libre prend la décision et que les objectifs sont définis de
manière très précise (quantifiable) et stable dans le temps » (Monnier, 1 990) ;

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Encadré n°

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Les sept étapes de la RCB

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Procédure en sept phases pour la rationalisation des choix budgétaires sJ
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1 ) Analyse des objectifs :


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Définition de la finalité de l' action entreprise, c' est-à-dire quantification des objec­
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tifs grâce à la mise au point d 'indicateurs chiffrés.


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2) Analyse des moyens :
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Examen de toutes les solutions possibles et recensement des différents moyens


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Ql dont la mise en œuvre permettra de progresser dans le sens des objectifs annon­
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" Identification des phénomènes ou comportements qui se produisent dans un sec­
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teur de vie collective, c ' est-à-dire détermination, si possible par des formules
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mathématiques, des facteurs déterminants .
4) Mise au point de programmes alternatifs :
j Élaboration d' une série de programmes qui seront soumis à l'arbitrage du déci­
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5) Évaluation a priori des programmes :
1 Affectation aux objectifs de « poids » différents selon les priorités .
44 Des rationalités en politiques publiques

6) Décisions :
Le décideur, éclairé par l' analyse chiffrée, se prononce à la fois sur les objec­
tifs à long tenne et sur les moyens.
7) Exécution et contrôle :
Définition d'un dispositif d' exécution et de contrôle pour d' abord communiquer
les objectifs à ceux qui sont chargés de la réaliser sur le terrain, et ensuite pour
mesurer les résultats comparés aux objectifs initiaux (le dispositif doit prévoir
des mesures coercitives).

Source : D' après deux experts de la ReB : H. Lévy-Lambert et H. Guillaume, La rationa­


lisation des choix budgétaires : techniques d 'analyse, PUF, 1 97 1 .

- c e qui conduit à un second reproche : les « ajustements mutuels » et l' action col­
lective qui construisent les politiques publiques sont purement et simplement igno­
rés. La réalité sociale est spoliée au profit d ' un lissage a priori des rapports sociaux
conflictuels ou coopératifs. Est-ce lié à « notre culture intellectuelle [qui] conduit à
donner un statut particulièrement fort aux tâches de conception par rapport aux fonc­
tions opérationnelles [ . . . ] qui a plutôt favorisé le développement de la RCB en France,

les
[et] conduit à minimiser ce qui se passe après la décision », comme le suggère

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l-P. Nioche ? (Nioche, 1 982) ;

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- enfin, on ne saurait oublier la critique virulente de A. Wildavski sur la mise en

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œuvre du PPB S aux États-Unis (Wildavski, 1 996, traduit d ' un texte publié en 1 969

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lorsque l ' introduction du PPB S était discutée aux USA). L ' auteur est sans nuance :

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« Le PPB S discrédite l' analyse des politiques ». Ses arguments sont convainquants et

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tous liés à une critique virulente de la rationalité instrumentale :
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l a projet de changement de technique de mise en œuvre venu d'en haut alors qu' il
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n ' y a pas de fonctionnaires compétents pour les mettre en œuvre si rapidement ;


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20 oubli des valeurs au profit de la technique. La foi quasi naïve dans les techniques
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trouve ses limites. Wildavski dit que dans les faits, « le PPBS est, par nécessité, d' une
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inefficience effroyable. Il ne ressemble à rien autant qu ' un bricolage improvisé dans


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lequel les opérations effectuées n' ont pas beaucoup de rapport avec le produit
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obtenu. Les données qui entrent dans le PPB S sont innombrables et la politique qui
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en ressort est squelettique » (Wildavski, 1 996, p. 260) ;


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30 une critique, d' ordre méthodologique, du PPB S qui nous semble la plus impor­
tante : « Il est difficile d ' assimiler à une analyse sérieuse des politiques publiques la
collecte de masse de données aléatoires » (Wildavski, 1 996, p. 265 ) .
L' avenir a donné raison à l' auteur. L a plupart des pays ont aujourd' hui abandonné
ces procédures de rationalisation : la France en 1 984, la Grande-Bretagne dès 1 979,
et les É tats-Unis, qui en ont pourtant la paternité, ne les utilisent plus guère, si l ' on
peut dire, que pour le Département de la Défense. Comme le remarque Éric Monnier,
« on ne s ' étonnera plus que les méthodes de type RCB aient, à l' origine, été mises
au point par un secteur de l' administration qui échappe en partie à la nécessité de com­
promis avec la société civile : le secrétariat de la défense américaine » (Monnier, 1 990 ;
Wildavski, 1 996, pp. 253-254).

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