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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE

L
ET DILTHEY

par Guillaume Fagniez

a littérature philosophique francophone n’a guère prêté atten-


tion aux relations entre les pensées respectives de Wilhelm Dil-
they et de Friedrich Nietzsche, deux philosophes presque
contemporains dont les affinités ont été remarquées en Allemagne il y a
cent ans déjà, et placées sous le signe de la « philosophie de la vie » 1.
Lorsque Max Scheler, dès 1913, rédige un bref essai concernant les « ten-
tatives » contemporaines d’une philosophie qui entend se déployer « à
partir de la plénitude du vécu même de la vie », trois grandes figures
représentent à ses yeux cette « nouvelle direction » de la pensée :
Nietzsche, Dilthey, et Bergson 2. Les attaques de Heinrich Rickert portées
quelques années plus tard contre la « philosophie de la vie » au nom de
la « philosophie des valeurs » identifient les adversaires de cette dernière,
les « philosophes modernes de la vie », sous les mêmes noms de Bergson,
Dilthey, Nietzsche – auxquels viennent s’ajouter ceux de William James
et de Simmel 3. Ceux-ci auraient en commun d’avoir, les premiers, formulé
« la prophétie moderne de la vie » et son « anti-rationalisme » foncier 4.
Une telle caractérisation, toutefois, indique d’entrée de jeu une dif-
férence fondamentale entre les deux philosophes, concernant le rapport
à la science en général et à celle de l’histoire en particulier. Certes, tous
deux entendent en un sens refonder le savoir à l’horizon de la vie ; mais
tandis que du côté de Nietzsche un tel projet implique une mise en cause
radicale des paradigmes scientifiques traditionnels, chez Dilthey l’entre-
prise est, initialement tout au moins, celle d’une critique de la connais-
sance au sens de Kant, impliquant un rapport de complémentarité de la
philosophie et des sciences 5. Dilthey est ainsi un acteur majeur de ce
qu’on a pu appeler le « tournant épistémologique de la philosophie de
l’histoire » 6, intervenu dans le troisième quart du XIXe siècle. Or, loin de
prendre part à un tel « tournant » vers la science historique, Nietzsche
paraît au contraire avoir fourni avec la deuxième des Considérations

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inactuelles « le premier document d’une critique de l’historisme du point


de vue d’une philosophie de la vie », appelé à contribuer décisivement à
un radical « renoncement à l’histoire » (Abkehr von der Geschichte) 7 sur
lequel devait prospérer l’anthropologie philosophique du XXe siècle. C’est
du reste en tant qu’un tel adversaire de la science historique qu’il appa-
raît aux yeux de Dilthey, à la faveur d’un rapport largement unilatéral
puisque pour sa part Nietzsche semble n’avoir guère pris connaissance
des travaux du philosophe de Berlin. Car si Dilthey, qui a entendu parler
de Nietzsche dès 1872 8, tient ce dernier pour le « philosophe le plus pro-
fond d’aujourd’hui »9 et suit sa production d’assez près pour être en
mesure d’en distinguer nettement les grandes phases dès 1898 10, il n’en
considère pas moins la pensée de Nietzsche comme engagée dans une
impasse, et enferrée toujours davantage dans une mise en opposition
intenable de la vie et de l’histoire 11.
Il y a lieu toutefois de postuler, chez Nietzsche comme chez Dilthey,
une interrogation de l’histoire dans la perspective de la vie tout à fait
spécifique, et caractéristique d’un moment philosophique dont l’intérêt
excède peut-être le registre de l’histoire des idées. C’est en tout état de
cause au prisme de cette combinaison originale de la vie et de l’histoire
qu’il conviendra d’aborder le rapport des deux philosophes. Dès lors que,
en toute hypothèse, la radicalisation du paradigme de l’interprétation
– qui paraît marquer l’affinité la plus évidente entre Dilthey et Nietzsche –
procède directement de cette articulation singulière, elle devrait recevoir
du même coup un éclairage approprié. Quant au dégagement effectif
d’une telle articulation, nul doute qu’il requière une accentuation
quelque peu appuyée des convergences entre les deux philosophes. Aussi
gardera-t-on à l’esprit, en guise d’avertissement, le « ne me confondez
surtout pas ! » de Nietzsche 12.

La critique de la métaphysique du point de vue


« psychologique » d’une philosophie de la vie

En première approche, Dilthey et Nietzsche participent tous deux


d’un moment anti-métaphysique de la pensée allemande post-hégé-
lienne, et contribuent à la « fracture révolutionnaire » que représente
l’« humanisation » massive de cette philosophie et son affranchissement
de la référence théologique à un « arrière-monde », à partir de Feuer-
bach au moins 13. Leur commune contestation de la métaphysique peut
en effet d’abord s’entendre comme un rejet de la transcendance au nom
et au bénéfice de l’expérience. Chez les deux philosophes la métaphy-
sique paraît être conçue comme ce qui, dans l’histoire de la pensée, est
venu contester les droits légitimes de l’expérience en mettant à profit

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les angles morts de cette dernière. C’est ainsi que tout « coin obscur de
la connaissance » s’est peuplé de « fantômes » susceptibles de dire le peu
de valeur de la vie 14. Comme Nietzsche, Dilthey présente cet au-delà de
l’expérience comme un espace nocturne d’où la raison, relayée par l’ima-
gination, fait surgir des « ombres » prétendument plus réelles que l’ex-
périence sensible. Et comme lui, il entend déchirer « les toiles d’araignées
métaphysiques tissées entre l’ici-bas et l’au-delà (vom Diesseits zum Jen-
seits) » 15, et reconduire la raison à la stricte dimension de l’immanence
de l’expérience. C’est dans cette sphère de l’expérience que doit se replier
la pensée philosophique si elle entend « comprendre la vie à partir d’elle-
même » 16. Tel est en effet le mot d’ordre central de l’ensemble de la
pensée de Dilthey, dont il convient de noter aussitôt que Dilthey lui-
même l’attribue également à Nietzsche. Dans un texte tardif (1907), Dil-
they, envisageant l’œuvre de Nietzsche dans sa signification historique,
la situe au sein d’une lignée de « philosophes de la vie » qui, renonçant à
toute vaine métaphysique, a les yeux rivés sur « l’énigme de la vie » : « La
vie doit être interprétée à partir d’elle-même », telle serait la « grande
idée » de ces Lebensphilosophen. Certes, Dilthey fustige cette philoso-
phie qui, par manque de méthode, retombe dans l’ornière de la méta-
physique ; mais force est de constater qu’elle entend, à la lettre, s’acquit-
ter de la tâche même que se propose la philosophie de Dilthey 17.
Qui plus est, Dilthey conçoit l’auto-interprétation de la vie avant tout
au titre d’une psychologie, dont il croit initialement, à la lecture de
Humain, trop humain, que Nietzsche lui aussi est en passe de la dévelop-
per. Dans une recension de 1880, Dilthey se réjouit de voir Nietzsche don-
ner congé aux « paralogismes métaphysiques » de Schopenhauer, et s’en-
gager dans une « enquête psychologique qui cherche à se frayer un accès
à la compréhension de la culture en ses principaux phénomènes ». Et
d’ajouter : « C’est avec joie que nous le saluons sur ce chemin où le
conduisent savoir psychologique et recherche historique. » 18 Il est vrai
que Nietzsche appelle sans relâche de ses vœux – en première lecture,
dans un même souci de la Diesseitigkeit de la connaissance – la consti-
tution d’une philosophie renouvelée au fil d’un véritable « travail psy-
chologique », dont le penseur dit que « rien n’est aussi nécessaire » 19.
Toutefois – et sans même évoquer la définition nietzschéenne de la
psychologie comme savoir des sentiments moraux 20 –, la formulation
même de ce point de convergence psychologique est le lieu d’une diver-
gence importante, qui se fait jour à l’occasion de ce qui paraît être l’uni-
que occurrence d’une lecture faite par Nietzsche d’un texte de Dilthey.
L’hypothèse est en effet largement admise par les commentateurs selon
laquelle le jeune philosophe Heinrich von Stein, appartenant à la fois
aux cercles respectifs des proches de Nietzsche et de Dilthey, ait évoqué,

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à l’été 1884 à Sils-Maria, l’enseignement de celui-ci devant celui-là 21. Il


est vraisemblable que H. von Stein ait mis entre les mains de Nietzsche
l’Introduction aux sciences de l’esprit parue l’année précédente. Deux
paragraphes du cinquième livre du Gai savoir, les paragraphes 355 et
366, paraissent témoigner de cette lecture. Dans le premier surtout,
Nietzsche met en garde, comme il le fait du reste dans bien d’autres pas-
sages, contre une psychologie de l’introspection, qu’elle soit courante
ou scientifique, qui fonde son discours sur l’élément familier – « déjà
connu » – de l’intériorité : « Mais les plus circonspects d’entre eux [ceux
qui “disent connaître”] prétendent que le connu tout au moins serait
plus facile à reconnaître que ce qui est étranger : il serait par exemple
plus méthodique de partir du “monde intérieur”, des “faits de cons-
cience”, parce que ce serait là le monde mieux connu de nous-mêmes !
Erreur des erreurs ! » 22

L’allusion à l’Introduction aux sciences de l’esprit est d’autant plus


transparente que Nietzsche souligne l’avantage qu’ont les « sciences
naturelles » – dès lors que leur objet, étranger par principe au sujet
connaissant, n’est le terreau d’aucune illusoire connaissance immédiate –
sur ce qu’il appelle les « sciences antinaturelles » (« unnatürliche Wissens-
chaften »), autrement dit les Geisteswissenschaften. L’allusion va plus
précisément, selon toute vraisemblance, à la seule préface de l’ouvrage,
ce qui ne manque pas, au demeurant, de jeter quelque lumière sur l’in-
justice du propos de Nietzsche. Dans ce texte en effet, Dilthey expose
son programme de fondation autonome des sciences de l’esprit en poin-
tant le rôle fondamental qui y revient à la psychologie. Le « sol ferme »
où peut être ancré l’ensemble des propositions concernant la vie de
l’esprit est fourni par la seule « expérience interne », autrement dit par
les « faits de conscience » dont l’analyse pleinement déployée doit cons-
tituer une authentique « théorie de la connaissance », propre aux
sciences humaines 23. On a affaire ici à ce que Dilthey appelle ailleurs le
« principe de phénoménalité », selon lequel tout ce qui est donné dans
la conscience peut être reçu à titre de fait 24. Or, un tel principe n’implique
nullement la croyance naïve à une transparence de fait de la conscience
à elle-même ; il s’agit bien plutôt d’un paradigme gnoséologique selon
lequel la donation dans la conscience est en dernière instance la forme
de l’accessibilité propre à ce qui est en cause dans les sciences de l’esprit.
Ce principe n’implique pas davantage une valorisation particulière de
l’introspection : tout au contraire, celle-ci se trouve sans cesse sous le feu
de la critique diltheyenne. Nous y reviendrons ; mais notons déjà que la
divergence entre nos deux philosophes, exprimée sans délai du côté de
Nietzsche, relève peut-être d’un malentendu de nature à occulter cer-

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taines convergences plus fondamentales, telles que Nietzsche aurait pu


trouver en Dilthey, au moins en partie, l’un de ces « psychologues » qu’il
cherche vainement en Allemagne 25.
Ce à quoi Nietzsche ne prête pas attention, dans l’Introduction de
1883, c’est que la psychologie a pour vocation à se substituer à la méta-
physique dans son rôle de fondement du savoir. Dilthey conçoit en effet
le rapport entre ces dernières comme essentiellement polémique : la
psychologie doit assumer à l’égard de la métaphysique une fonction
génétique et critique. La métaphysique, selon lui, est certes moribonde,
à l’issue de la « guerre d’extermination » 26 menée contre elle par les
sciences ; mais elle n’est pas morte. Tout au contraire, elle n’a cessé de
procurer sa base à toute tentative de compréhension de la vie par elle-
même. Ainsi, la tâche qui revient en premier lieu à la psychologie est
celle de fouir ce « sol métaphysique » pour y couper à la racine – thème
nietzschéen s’il en est – le « besoin métaphysique » 27. En d’autres termes,
la « décomposition du point de vue métaphysique » doit être achevée
par la recherche de son origine dans l’expérience subjective 28. Le ressort
que Dilthey découvre à un tel besoin signale un point de proximité évi-
dent avec Nietzsche, puisqu’il s’agit de l’« aspiration de la vie à la stabi-
lité », à contre-courant du devenir qui est sa dimension fondamentale 29
– que Nietzsche comprend également par la faiblesse et la quête de sécu-
rité 30. Mais plus significatif sans doute – et caractéristique d’une philo-
sophie de la vie – est la détermination du « vécu » où il convient de recher-
cher l’origine de la métaphysique, c’est-à-dire également la conception
de la subjectivité porteuse d’un tel vécu. Il n’y a en effet de « psychologie
de la métaphysique »31 (Nietzsche) ou de « phénoménologie de la méta-
physique »32 (Dilthey) qu’à la condition de concevoir le vécu comme un
ensemble où s’enchevêtrent les activités traditionnellement distinctes
de la représentation, du sentiment, et de la volonté. Or Dilthey, comme
Nietzsche, ne conçoit pas de représentation qui ne soit en même temps
sentiment et volonté (ou si l’on veut, pulsion) : une représentation puri-
fiée de ses affects est une construction intellectuelle abstraite de l’expé-
rience réelle. Car celle-ci revient non pas à un sujet restreint à sa faculté
de représentation mais à l’homme en tant que « cet être qui veut, qui
sent et qui se représente » 33.
Cette conception d’un « sujet » à partir de toutes les dimensions de
son expérience constitue un levier décisif pour une pensée qui entend
contester la métaphysique. Elle permet de rejeter toute prétention à l’a
priori de concepts tirés du fonds d’un sujet rationnel, et partant de recon-
sidérer radicalement le statut des catégories héritées de la métaphysique.
Aussi bien chez Dilthey que chez Nietzsche, le rapport au monde ne se
laisse plus décrire comme le face-à-face statique et étroitement cognitif

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d’un sujet et d’un objet, mais bien au contraire comme une unité entiè-
rement dynamique : chez l’un comme chez l’autre, c’est bien à partir
d’un point d’ancrage pulsionnel et pratique, et non rationnel et théo-
rique, que le monde se déploie. Nietzsche insiste davantage sur l’aspect
physiologique de la constitution du monde au sein d’un horizon déter-
miné à partir de l’organisme et des besoins qui sont les siens ; mais plus
généralement, sa thèse est bien que « nous soyons dans notre toile
comme des araignées, et quoi que nous y prenions, nous ne pouvons
prendre que ce qui veut bien se laisser prendre dans notre toile »34. La
récusation de l’idée de perception comme réceptivité qui s’ensuit, et l’af-
firmation constante chez Nietzsche d’une compénétration du sensible
et du sens dans l’expérience humaine, conduisent à la mise en relief de
la créativité immanente à l’expérience, et à la détermination de l’Erleben
comme Erdichten 35. De sorte que « ce monde tout entier, c’est nous
autres humains qui l’avons créé » : « Le monde de l’impression sensible
tout entier est la Urdichtung de l’humanité. » 36 Le statut des concepts
fondamentaux de la connaissance se voit dès lors révisé à l’aune de l’éla-
boration du monde menée à partir de « notre œil, inconsciemment poète
et logicien (Dichter und Logiker) tout à la fois » 37. La problématique tra-
ditionnelle de la logique subit ainsi un déplacement majeur. Si « la
logique repose sur des postulats auxquels rien ne correspond dans le
monde réel, par exemple le postulat de l’égalité des choses, de l’identité
de la même chose à des points différents du temps » 38, aucune objecti-
vité ne saurait pour autant lui être octroyée des mains d’un quelconque
sujet universel. La logique est ici pensée comme procédant d’un déve-
loppement organique au sein duquel la métaphysique elle-même – et
tout particulièrement son tropisme « atomiste » – peut être conçue et
recevoir une fonction 39.
Chez Dilthey, c’est au point où l’impulsion de la vie humaine rencon-
tre une résistance que commence le monde extérieur, et c’est dans la
perspective de l’ensemble des aspirations et tendances de la vie que ce
dernier déploie son sens. En d’autres termes, « le monde n’est jamais que
corrélat du soi », et lorsque la vie se fait consciente, le déploiement exté-
rieur d’un monde manifeste simultanément sa propre intériorité : « Aussi
vivons-nous toujours au milieu de symboles » 40. On notera de nouveau
qu’il ne s’agit pas ici d’une « objectivité » purement représentative, mais
bien de la constitution d’un monde dans les termes indissociables de la
représentation, du sentiment et de la volonté, à l’image du sujet dont
les Lebensbezüge animent le monde. Telle est la structure fondamentale
qui revient à la Weltanschauung dont tout esprit est porteur à des degrés
divers : à partir d’une inscription déterminée dans le monde, une « vision
du monde » particulière s’élève, toujours à la fois théorique et pratique,

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qui relève en un sens elle aussi d’une mise en forme première du réel et
partant d’une Dichtung primordiale.
Toute la logique, mais plus précisément l’appareil catégorial élaboré
par la pensée métaphysique d’Aristote à Kant, peut être envisagée
comme participant d’une telle configuration du monde. Car les catégo-
ries ne sont nullement « rationnelles » : elles expriment un rapport au
monde qui procède en dernier ressort de la vie entendue selon toutes
ses dimensions. Cependant, le propre des catégories métaphysiques est
justement d’occulter cette « origine vivante » 41. Pour Nietzsche comme
pour Dilthey, « [l’homme] barre lui-même la route (er steht selber im
Wege) : il recouvre les choses » 42, et la logique est un moment essentiel
de cette obstruction et de ce recouvrement. Ceux-ci procèdent d’une
réflexion du monde au « miroir » de l’intellect 43, qui en donne une image
à la fois stabilisée et atomisée ; aussi l’égalité, l’identité, la causalité, la
substance doivent-elles être mises sur la sellette. Cette dernière, en par-
ticulier, est conçue par les deux philosophes comme l’effet d’une projec-
tion de l’identité à soi dans le monde. La métaphysique, dit Nietzsche,
« croit au moi , au moi en tant qu’être, au moi en tant que substance,
et elle projette sur tous les objets sa foi en la substance du moi – c’est
ainsi que se crée le concept de chose » 44. Un fragment de 1887 précise :
« Le concept de substance, une conséquence du concept de sujet : et non
l’inverse ! » 45 Dilthey pour sa part estime que l’unité du réel, et plus par-
ticulièrement l’unité de l’objet, est chaque fois « empruntée à la structure
de notre vie psychique elle-même », à savoir à la cohésion (Zusammen-
hang) et à l’ipséité (Selbigkeit) qui font « l’unité contenue dans ce qui
caractérise la personne comme vie »46. Or, par un singulier renversement,
le soi, en s’interprétant lui-même à partir du monde extérieur auquel il
a initialement communiqué sa vivante unité, en vient à se comprendre
au prisme de la substance. La vie, originairement flux, processus, activité,
reçoit ainsi une « fermeté rigide » qui lui est étrangère et où elle se
perd 47. La métaphysique revêt ainsi le sens d’une auto-interprétation
aliénante de la vie qui relève non seulement d’un processus psycholo-
gique mais également d’un déploiement historique. Peut-être est-ce jus-
tement, comme le dit Scheler, le mérite de Dilthey et de Nietzsche que
d’avoir, les premiers, envisagé le logos comme « invention grecque », et
ce faisant « historisé » la métaphysique et « l’anthropologie de l’homo
sapiens »48. La « philosophie de la vie » ayant à charge de surmonter l’alié-
nation métaphysique de la vie, devait dès lors nécessairement revêtir
une dimension historique. Cette démarche historique de la philosophie
marque une convergence majeure entre Dilthey et Nietzsche.

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Un « philosopher historique »

Nietzsche, nous l’avons rappelé, s’oppose vigoureusement à toute


psychologie de l’introspection. Celle-ci se meut dans un élément qui non
seulement n’est nullement transparent, mais dont l’opacité, s’agissant
des mobiles de l’action qui intéressent au premier chef le philosophe,
est même presque complète. Or cette opacité est celle d’une surface por-
tée par une profondeur historique, une épaisseur temporelle qu’elle
occulte. Sous-jacente aux faits de conscience, toute une vie déposée et
sédimentée par l’histoire structure le jeu des pulsions qui président à
l’action. Dès lors, il importe de renoncer à toute enquête concernant l’es-
sence de l’homme – qui ne projette jamais que ses caractéristiques étroi-
tement présentes sur un plan intemporel – pour se concentrer, en remé-
diant à la « tare héréditaire des philosophes » qu’est le « manque de sens
historique » (historischer Sinn), sur son devenir : « Tout résulte d’un deve-
nir ; il n’y a pas de données éternelles : comme il n’y a pas de vérités abso-
lues. – C’est par suite la philosophie historique (das historische Philoso-
phiren) qui nous est dorénavant nécessaire, et avec elle la vertu de
modestie. » 49 Aussi la connaissance de soi requiert-elle, de toute néces-
sité, l’ample détour de l’histoire : « L’observation directe de soi-même ne
suffit pas pour se connaître : nous avons besoin de l’histoire, car le cou-
rant aux cent vagues du passé nous traverse ; et nous-mêmes ne sommes
rien que ce que nous éprouvons de cette coulée à chaque instant. […] La
connaissance de soi devient ainsi connaissance universelle des temps
révolus. » 50

La réflexion philosophique est donc une réflexion historique globale


qui doit faire feu de tout le bois qu’une science empirique de l’histoire
est susceptible d’amasser. Nietzsche entrevoit ainsi une historiographie
novatrice, sous la forme d’une histoire de l’expérience humaine – de « ce
qui a donné de la couleur à l’existence » – dans ses aspects délaissés par
l’histoire de l’esprit et de son incarnation dans le seul champ politique.
Toute une série d’objets historiques inédits est envisagée, dont l’histoire
contemporaine s’est depuis lors emparée : le sentiment amoureux, la
piété, le droit pénal, la vie conjugale, etc. 51 Cependant, l’optique de
cette réflexion génétique est encore une fois critique. L’histoire se donne
à voir comme une sédimentation d’erreurs, et se laisse caractériser
comme une vaste conversion ou mutation de l’erreur en vérité, de la
déraison en raison ; de sorte que le « bon historien » « contredit sans
cesse » 52. C’est une telle appropriation critique par l’individu d’un passé
collectif présent en lui-même qui seule peut ouvrir à un avenir 53. L’auto-
réflexion historique produit un degré de conscience nouveau, par lequel

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peuvent être dépassés des degrés antérieurs : « Il faut refaire à grand


pas, comme individu, la marche de l’humanité, et dépasser le but atteint
à ce jour. » 54 Un tel « dépassement » concerne au premier chef la méta-
physique. Celle-ci en effet ne demande pas seulement à être réfutée,
mais requiert l’éclaircissement d’une vaste réflexion historique, selon un
« mouvement rétrograde » (rückläufige Bewegung) qui doit en achever
le dépassement : « Les plus éclairés réussissent tout juste à se libérer de
la métaphysique et à lui jeter en arrière un regard de supériorité : tandis
qu’il est aussi nécessaire ici qu’à l’hippodrome de tourner à l’extrémité
de la piste. » 55
Nous l’avons dit, on trouve chez Dilthey le même rejet de toute
psychologie de l’introspection : « L’homme n’apprend pas ce qu’il est en
ruminant sur lui-même, ni en faisant des expériences psychologiques ; il
l’apprend par l’histoire. » 56 Une telle position, qui met au cœur de la
philosophie une « auto-réflexion historique » (geschichtliche Selbstbe-
sinnung), contient en germe l’inflexion herméneutique de l’œuvre tar-
dive de Dilthey ; mais tout d’abord elle invite cette pensée à se compren-
dre comme une philosophie historique, qui n’est une « philosophie de
l’histoire » qu’au sens précis d’une « recherche historique entreprise dans
un but philosophique et avec des moyens philosophiques » 57. L’auto-
réflexion historique doit déployer une anthropologie à partir des sciences
empiriques de l’homme, sans pour autant que la philosophie prétende
absorber ces dernières, ni bien évidemment qu’elle s’y réduise. C’est
cependant ce détour par la science empirique, dans la mesure où il
requiert une fondation philosophique de ces sciences, qui fait du projet
diltheyen une philosophie historique en un second sens. L’entreprise de
fondation en question exige une critique de la métaphysique, qui se
déploie non seulement sur un plan psychologique, mais également his-
torique. En effet, dès lors que la métaphysique a constitué jusqu’ici le
fondement de toute connaissance de l’homme, et qu’à ce titre elle
demeure, on l’a dit, le sol sur lequel doit s’édifier une théorie de cette
connaissance, il importe de « connaître historiquement la métaphysique
dans son origine, sa puissance et son déclin » ; « car l’humanité ne triom-
phera pleinement de ce grand fait spirituel, comme de tous ceux qui se
survivent à eux-mêmes, mais que notre tradition charrie avec elle, qu’à
partir du moment où elle le comprendra » 58. Ainsi, c’est moins une argu-
mentation logique qui doit être opposée à la métaphysique qu’un effort
de compréhension portant sur l’ensemble des manifestations historiques
du « besoin » métaphysique enfoui en l’âme humaine : la véritable cri-
tique de la métaphysique n’est autre que son histoire. Dès 1883, le livre
II de l’Introduction aux sciences de l’esprit entreprend une genèse histo-
rique de la métaphysique, qui met au jour les processus par lesquels, à la

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faveur d’une auto-interprétation erronée, la vie s’est rendue peu à peu


étrangère à elle-même.
La question ne manque pas de se poser, dès lors, des modalités selon
lesquelles le passé doit être abordé, c’est-à-dire compris et interprété.
Or un principe herméneutique fondamental commun est mis en avant
chez Nietzsche et Dilthey, celui de la vie. Les thèses de la seconde Inac-
tuelle, en particulier de son paragraphe 6, sont bien connues, qui mettent
à bas la « mauvaise mythologie » de l’objectivité historique 59. Le sar-
casme à l’endroit de l’historien « résonateur passif » (nachtönendes Pas-
sivum) 60 vise selon toute vraisemblance Ranke, et son mot fameux :
« Je souhaitais pour ainsi dire effacer mon propre soi et seulement laisser
[…] parler les choses elles-mêmes. » 61 La condamnation par Nietzsche
de la prétendue « abnégation » (Selbstlosigkeit) de l’historien « qui se
laisse vider de sa substance pour se transformer en miroir objectif » 62
déborde toutefois largement l’argumentation épistémologique concer-
nant le récit historique : l’enjeu est ici l’étiolement du soi caractéristique
de la culture instaurée par le « siècle de la comparaison »63 et la rupture
des horizons de connaissance liés à la vie. C’est contre un temps où s’ef-
facent les personnalités, où aucun visage ne se cache plus derrière les
masques du savoir 64, que Nietzsche adopte pour ainsi dire une hermé-
neutique de la vie, plus exactement une herméneutique de l’animation
assez proche de celle de Dilthey – c’est-à-dire le principe selon lequel
toute interprétation doit être menée par et pour la vie présente. La vie
est en effet le moyen même de l’histoire. Dans notre rapport au passé, il
nous faut redonner vie aux œuvres humaines en leur prêtant la nôtre,
et « seul notre sang fait qu’elles peuvent nous parler » 65. Cependant, il
ne peut s’agir de restaurer purement et simplement le passé, de « [parler]
en fantômes à des fantômes » et de simplement « réveiller les morts » 66,
car ainsi, on enterre les vivants. La fin de la connaissance historique est
donc également la vie même, et « nous ne voulons servir l’histoire que
dans la mesure où elle sert la vie »67. Ici s’instaure un cercle caractéristique
d’une philosophie de l’histoire développée du point de vue de la vie : s’il
faut connaître l’histoire à raison seulement de sa stimulation de la vie,
cette connaissance ne peut être initiée que par la vie présente qui seule
anime – ou réanime – le passé. Sans doute un tel cercle n’est-il recevable
que sur la base de la conception de la vie comme force – et en l’occur-
rence comme « force plastique » 68. Car c’est au contact du métabolisme
créateur qu’exprime cette force – ou encore, simplement, pour
« l’homme vivant » – que le phénomène historique libère sa « puissance
historique » et son stimulant – tandis que l’homme de science n’a jamais
affaire qu’à un « objet mort » 69.

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L’interprétation à partir et à la faveur de la vie personnelle présente,


comme condition d’un rapport sain à l’histoire, est justement l’un des
grands axes de l’herméneutique diltheyenne. Au cœur de la « compré-
hension » est à l’œuvre un « revivre », un Nacherleben porté par un mou-
vement intime de celui qui cherche à comprendre, au-delà ou plutôt en
deçà de toute procédure de compréhension « objective », de sorte que
là encore, poète, historien et philosophe partagent ce qui fait l’essentiel
et la part vive de la « science » au sens le plus propre 70. Un passage signi-
ficatif des Beiträge zum Studium der Individualität de 1895-1896 fait
sentir cette proximité avec Nietzsche : « Il n’est pas de procédé scienti-
fique qui pourrait laisser cette reproduction vivante (lebendiges Nach-
bilden) derrière soi comme un moment subordonné. Elle est le sol nour-
ricier où même les opérations les plus abstraites des sciences de l’esprit
doivent sans cesse venir puiser leur force. La compréhension ne peut
jamais être remplacée par un mode rationnel d’appréhension. Il est vain
de vouloir faire comprendre le héros ou le génie en accumulant les cir-
constances de toutes sortes. La voie d’accès qui lui est la plus appropriée
est la plus subjective. Car la plus haute possibilité de saisir ce qu’il a de
puissant (das Gewaltige in ihm) réside dans l’expérience de son influence
sur nous-mêmes, dans la dépendance continuelle de notre propre vitalité
à son égard. Le Luther de Ranke, le Gœthe de Winckelmann, le Périclès
de Thucydide sont nés d’un tel rapport à la puissance de vie (Lebens-
macht) d’un héros. » 71

L’herméneutique historique développée par la seconde Inactuelle


trouve ici un écho sur plusieurs points essentiels : la nécessaire subjectivité
de l’interprétation, le surgissement de l’histoire véritable au sein d’un
rapport d’individu à individu, enfin la compréhension de ce rapport
comme un jeu de forces s’accroissant réciproquement. L’idée est radica-
lisée chez Nietzsche puisque l’histoire y est présentée sur le modèle du
« pont » jeté entre les individus « sur le torrent sauvage du devenir » :
« La tâche de l’histoire est de servir d’intermédiaire entre eux pour, ce
faisant, constamment susciter et soutenir l’éveil de la grandeur. Non, le
but de l’humanité ne peut résider en son terme, mais seulement dans
ses exemplaires supérieurs. » 72 Certes, Dilthey, vivement attentif aux
ensembles culturels au sein desquels surgit la pensée – en cela héritier
de Burckhardt plus fidèle que Nietzsche –, ne pourrait contresigner l’in-
tégralité du propos. Toujours est-il qu’il tient l’individu pour le « centre
de gravité » 73 du monde de l’esprit en général et tout particulièrement
de l’histoire : « L’individu supérieur (bedeutend), écrit-il, n’est pas seule-
ment l’élément fondamental (Grundkörper) de l’histoire, mais il en est,
en un certain sens, la réalité suprême. » 74 Aussi l’opposition est-elle

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

vigoureuse, chez les deux philosophes, à une historiographie qui, comme


celle de Henry Thomas Buckle, prétend dégager des lois du processus
historique. Ce que l’histoire doit avoir en ligne de mire, ce n’est pas la
généralité où la force de la vie se dilue et son sens se délave, mais au
contraire les pôles individuels où force et sens se concentrent à un degré
supérieur 75.
L’ensemble de ces affinités, dont le cœur est schématiquement le
rejet, au nom de la vie, d’une science positive aussi bien que d’une méta-
physique de l’histoire, ne saurait toutefois occulter les divergences fon-
damentales qui séparent ces deux « philosophies historiques », et qui
peuvent être marquées grâce à l’opposition nietzschéenne de la vie et
de la vérité. On le sait, Nietzsche met en cause la pertinence de l’idée
même de vérité en portant au jour les ressorts vitaux de la « croyance
métaphysique » à la vérité 76. Il poursuit jusqu’en ses dernières implica-
tions la thèse selon laquelle toute existence est « existence interpréta-
tive », et qu’ainsi « le monde […] renferme une multiplicité d’interpré-
tations » 77. De sorte que le sens propre de la généalogie, et de son
« philosopher historique », ne peut en aucun cas être compris en dernière
instance comme un recouvrement de ses origines par un sujet. Tout au
contraire, elle a à charge de mettre en évidence l’hétérogénéité, la mobi-
lité, la discontinuité, qui fissurent profondément le rapport de la vie à
son passé ; selon la belle interprétation de Michel Foucault, « si la généa-
logie pose à son tour la question du sol qui nous a vu naître, de la langue
que nous parlons ou des lois qui nous régissent, c’est pour mettre au jour
les systèmes hétérogènes qui, sous le masque de notre moi, nous inter-
disent toute identité ». Le sens historique véritable, dès lors, n’est autre
qu’« une sorte de regard dissociant capable de se dissocier lui-même et
d’effacer l’unité de cet être humain qui est supposé le porter souverai-
nement vers son passé » 78.
Sur ces deux points – éclipse de la vérité devant la vie, dépassement
de la figure traditionnelle du sujet –, Dilthey paraît demeurer en retrait,
comme deux fois victime d’un « cartésianisme persistant » 79. En effet, le
projet de penser la vie à partir d’elle-même ne se départit jamais d’un
projet fondateur à l’égard des sciences de l’esprit, constamment réaf-
firmé par Dilthey. Il n’est pas entièrement illégitime de pointer là, comme
le fait Gadamer, un « manque d’unité » qui condamne l’entreprise dil-
theyenne à l’échec 80. Toujours est-il que la multiplicité des interpréta-
tions de la vie par elle-même est abordée chez Dilthey à l’horizon d’un
tel projet : ce qui importe à ses yeux, c’est de réconcilier cette multiplicité
libérée par la « conscience historique » avec la possibilité de la vérité et
d’une science universelle. C’est justement la fonction de la doctrine
ditheyenne de la vision du monde que de panser la blessure du relati-

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G U I L L A U M E FA G N I E Z

visme par les moyens mêmes de la conscience historique, dont elle est
en quelque sorte le déploiement scientifique. La multiplicité des visions
du monde attestée par l’histoire se laisse en effet réduire à une typologie,
par laquelle la multiplicité se voit contenue dans un « cercle limité » de
« possibilités » qui sont celles des attitudes de la vie par rapport au
monde 81. Si une telle domestication de la prolifération des interpréta-
tions peut avoir lieu, c’est sur la base de la thèse que « nous ne pouvons
apercevoir la pure lumière de la vérité que sous forme de rayons diver-
sement réfractés » 82. En deçà de la multiplicité des interprétations par-
ticulières de la vie règne l’unité de cette dernière : c’est la tâche d’une
« philosophie de la philosophie » que de reconduire réflexivement cette
multiplicité historique à l’unité fondamentale de la vie, qui en cette
démarche atteste sa souveraineté en tant qu’esprit. Le fondement de
cette réconciliation de la relativité et de l’universalité, rétablissant dans
ses droits la science en son paradigme traditionnel, est manifestement
une figure de la subjectivité par laquelle Dilthey se voit tributaire de
l’anthropologie et de l’humanisme modernes. On sait qu’il est revenu
au contraire à Nietzsche de les ébranler radicalement. Mais, pour nous
en tenir au caractère historique du philosopher, on est en droit de s’in-
terroger sur les présupposés téléologiques de cette sorte de pointe auto-
réflexive qu’il atteint chez Dilthey. Ce dernier ne succombe-t-il pas, à son
tour, au modèle hégélien d’une « philosophie de l’histoire » qui en
énonce le sens « comme du haut d’un phare bordant la mer de l’his-
toire » 83 ? Tout en procédant lui aussi à une « déification du devenir » 84,
ne fige-t-il pas ce dernier dans un sens global articulé par la typologie
des visions du monde, se retournant ainsi contre l’historicité foncière de
la vie, par lui pourtant sans cesse réaffirmée ? à tout le moins, une telle
interrogation invite à réviser une certaine représentation convenue de
Dilthey, mais également de Nietzsche, dans leurs rapports respectifs à
l’histoire.

Nature et histoire : chassés-croisés autour


de deux paradigmes

Tentons alors de rebattre les cartes de la schématisation selon laquelle


Dilthey, penseur de l’histoire, pourrait se voir opposé à un Nietzsche pen-
seur pour ainsi dire « anti-historique ». Force est de constater, d’abord,
que Dilthey lui-même, à l’occasion des quelques textes témoignant de
ses lectures de Nietzsche, abonde dans le sens d’une telle mise en oppo-
sition. Cela, notamment, à la faveur d’un premier chassé-croisé, en
retournant à Nietzsche le reproche d’introspection, et qui plus est – tout
comme Nietzsche – au bénéfice d’un « philosopher historique ». S’en

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

remettre à l’introspection comme source de la connaissance de l’homme,


telle fut en effet, selon lui, « la terrible erreur de Nietzsche » 85, dont le
succès auprès de la génération montante serait justement à mettre au
compte de la « récusation de l’histoire » lancée de Bâle. Celle-ci, selon la
lecture de Dilthey, enjoignait de se défaire de « la lourde charge du passé
que nous traînons derrière nous », et ainsi « d’alléger le bagage avec
lequel nous entrons dans le nouveau siècle » 86. Un texte de 1903 syn-
thétise l’argument diltheyen, plusieurs fois repris : « C’est en vain que
Nietzsche chercha, dans la considération solitaire de soi, la nature origi-
naire, et son être dépouillé de l’histoire. Ses peaux, il se les enleva les
unes après les autres. Et que resta-t-il ? Une chose pourtant historique-
ment conditionnée : les traits de l’homme puissant (Machtmensch) de la
Renaissance. Ce que l’homme est, seule son histoire le lui dit. » 87

Par cette tentative, « Nietzsche nous offre l’exemple effrayant de ce


à quoi mènent les ruminations sur soi de l’esprit individuel qui entend
s’emparer en lui-même de l’essentiel ». En effet, « il a cru devoir extraire
de lui-même ce que l’histoire et la communauté y avaient produit ; il se
l’est arraché comme autant de peaux successives » pour retrouver en soi
un ultime « noyau » anhistorique. Mais ce dernier, faussement naturel,
est encore et toujours historique : le surhomme que Nietzsche a « trouvé
en lui » n’est qu’un type humain inspiré par la fréquentation d’Euripide
et de la culture de la Renaissance. Sur cette base sinon fortuite du moins
particulière, Nietzsche « a construit son schéma abstrait de l’homme, son
idéal abstrait et vide » 88.
L’analogie du propos de Dilthey sur Nietzsche et de celui de Nietzsche
lui-même sur la philosophie de son temps est frappante. Afin néanmoins
de préciser le sens du reproche diltheyen, sans doute faut-il rappeler
celui qu’il adresse à la psychologie de Nietzsche, à savoir l’absence de
méthode caractéristique selon lui des Lebensphilosophen. Or cette
méthode est justement la condition sous laquelle la psychologie peut
échapper à l’introspection et se frayer – comme Nietzsche lui-même
entendit le faire – un véritable accès au soi par la médiation de l’histoire.
Selon Dilthey, « l’attitude de Nietzsche à l’égard des sciences réelles » et
notamment sa « méconnaissance de la psychologie comme science » 89
lui interdisent une véritable élucidation de l’émergence des valeurs dans
la vie. Aussi Nietzsche présente-t-il « des hypothèses psychologiques tout
à fait infondées sur les origines des normes éthiques comme autant de
résultats scientifiques ». De la même manière, « il est resté parfaitement
dilettante dans l’exploitation de faits historiques pour comprendre les
ensembles téléologiques de la culture » 90. En d’autres termes, le manque
de méthode de la psychologie nietzschéenne lui interdit de se déployer

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historiquement, à rebours de ses intentions affichées – d’ailleurs initia-


lement saluées par Dilthey 91 –. En lieu et place d’une auto-réflexion tem-
pérée par la science empirique de l’histoire, « la grande misère nietzs-
chéenne du subjectivisme exacerbé » se donne libre cours 92.
Cependant, pouvons-nous nous satisfaire d’un tel tableau – dressé
par Dilthey et validé par l’opinion commune – mettant en scène l’oppo-
sition d’un philosophe fidèle à l’histoire et d’un penseur livré au « sub-
jectivisme anhistorique » 93 ? Incontestablement, Nietzsche subvertit le
paradigme historique dominant dans l’Allemagne du XIXe siècle, de deux
manières au moins. Tout d’abord pour ainsi dire de l’intérieur de l’his-
toire, puisque sa réflexion historique est inclusive d’une physique. Tout
en soulignant la nécessité d’un approfondissement historique de la
psychologie, il ne cesse de se référer à une « préhistoire » rapportant
l’humanité à ses fondements animaux, dont l’ampleur au regard de l’his-
toire serait analogue à celle des parts respectivement inconsciente et
consciente de la vie 94. Aussi n’hésite-t-il pas, transgressant le dualisme
foncier qui se tient à l’arrière-plan des philosophies de l’histoire, à évo-
quer une « histoire naturelle » de l’homme 95, source à laquelle devrait
désormais puiser une psychologie devenue « physio-psychologie ». Dès
lors, l’histoire peut apparaître comme la temporalité propre au vaste jeu
de transferts et de rétroversions du physiologique au psychologique, que
l’historien et le psychologue ont à charge, selon la préface du Gai savoir,
d’enregistrer et d’interpréter à titre d’indices et de symptômes 96. Carac-
téristique de la perspective originale de Nietzsche sur l’histoire est en ce
sens le terme d’incorporation (Einverleibung, auquel il convient de rap-
procher le néologisme nietzschéen de Einverseelung), désignant le pro-
cessus selon lequel les expériences assimilées en viennent à se présenter
à l’œil du philosophe dépourvu de « sens historique » comme les traits
immuables d’une « essence » de l’homme.
La seconde subversion, qui en un sens radicalise la première, est
notamment indiquée par l’historicité même de la conscience historique,
cent fois soulignée par Nietzsche, qui la considère comme un trait carac-
téristique du XIXe siècle 97. Chez Dilthey et chez Nietzsche, ce retourne-
ment de la conscience historique sur elle-même produit des effets exac-
tement inverses. Si tous deux estiment que, par la multiplicité des
perspectives qu’elle ouvre, « l’histoire libère » 98, Dilthey aperçoit la pos-
sibilité d’une synthèse de cette multiplicité par laquelle s’accomplirait la
conscience historique. En revanche, l’horizon de cette multiplicité est
chez Nietzsche le renversement et le dépassement de cette conscience.
Loin d’assurer la vue panoramique d’un sujet en position de surplomb,
cette multiplicité même déporte ce dernier aux marges de l’« objet », du
véritable centre qu’est dès lors la nature, le cosmos anhistorique. L’enjeu,

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

en d’autres termes, est de concevoir l’homme en dehors de l’espace his-


torique – ce devenir dont il prétend être le centre, le commencement et
la fin –, cela en le réinscrivant dans la nature où il peut prendre sens à
partir de la vie comme « volonté de puissance ». Le point de référence
« anhistorique » de la vie – mis en exergue dès la seconde Inactuelle et
appelé à se déployer pleinement comme « éternel retour » – pourrait
ainsi être entendu bien moins comme instance critique de la connais-
sance historique que comme horizon d’un dépassement radical du para-
digme historique 99.
Nul doute qu’il y aurait là un débordement unique d’un des cadres
les plus solides de la pensée allemande du XIXe siècle. Toutefois, il est loi-
sible d’opposer à cette hypothèse de lecture, qui rejoint une certaine
image convenue de Nietzsche, constituée à partir de la seconde Inac-
tuelle, une interprétation relativisant cette tâche nietzschéenne de la
« naturalisation de l’homme » 100. En effet, nous l’avons constaté, les cri-
tiques développées dans le texte de 1874 visent moins l’histoire comme
telle que son hypertrophie et le rapport faussé qui s’est instauré entre la
vie et l’histoire au XIXe siècle. Nietzsche le dit en toutes lettres dans ce
texte : « La vie a besoin de l’histoire. » 101 Et bien souvent, loin de faire
apparaître le sens historien seulement comme une maladie, il le présente
également – et surtout – comme une « vertu » et souligne ses riches pos-
sibilités 102. Ainsi, s’il est vrai que la vie est expressément caractérisée par
Nietzsche comme une « puissance anhistorique » (unhistorische
Macht) 103, il n’en reste pas moins qu’elle se donne à voir comme foyer
central d’une économie intrinsèquement historique. C’est bien dans un
rapport au passé – rapport de limitation en vue d’une animation –, et
surtout dans un rapport à l’avenir – de production et de fondation –
qu’elle prend tout son sens. Si la vie, comme « force plastique », se laisse
situer en un en deçà de l’histoire, elle ne s’actualise et ne se déploie que
comme histoire. Ce qui l’atteste au premier chef, c’est l’articulation du
discours nietzschéen à un « avenir », et son développement – pas seule-
ment, loin s’en faut, dans les lignes bien connues du prologue du Zara-
thoustra – sous le signe de la « transition » (Übergang). Il se comprend
en effet comme un « pont magnétique » (elektrisches Band) tendu « par-
dessus tout un siècle », du passé vers un avenir qu’il entend pleinement
assumer comme sa « nouvelle tâche » 104. En ce sens, il n’est pas illégitime
d’inscrire Nietzsche au sein d’une tradition « historiste » – où il se pourrait
même qu’il incarne une figure de la « radicalisation de l’historisme » –
qui l’apparente assez étroitement à Dilthey 105.
Mais il y a également lieu de s’interroger, à l’instar notamment de
H. Schnädelbach, sur la résurgence « au centre de l’historisme » – à savoir
chez Dilthey – d’une « tendance anti-historiste » où conflueraient anthro-

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pologie naturaliste et métaphysique irrationaliste 106. La proposition est


à l’évidence paradoxale, puisque la défense diltheyenne de l’autonomie
des sciences de l’esprit s’organise, on le sait, autour d’un fossé creusé
entre le « monde de l’histoire » et le règne de la nature, celle-ci demeu-
rant à jamais « muette » et insignifiante pour l’homme 107. Toutefois – et
sans préjudice par ailleurs du sens de cette distinction, souvent entendue
à tort comme ontologique –, l’accès au monde historique et sa compré-
hension paraissent reposer sur un présupposé profondément anhisto-
rique. En effet, c’est bien d’abord parce que dans la science de l’esprit,
sujet et objet de la connaissance partagent une seule et même « vie »,
que l’un peut accéder à l’autre ; de sorte que le fondement même de
l’herméneutique diltheyenne paraît être une métaphysique de la vie aux
accents panthéistes. La typologie censée exprimer les positions de la vie
subjective par rapport au monde confirme – en se déployant en grandes
figures transhistoriques portant au jour une structure psychologique
intemporelle – la référence à un fondement vital universel sous-jacent.
En sorte que la défense même de l’autonomie du monde historique sur
le terrain d’une « philosophie de la vie » paraît conduire Dilthey à un
point de vue « biologique ». En effet, si les sciences de l’esprit reposent
en dernière instance sur la catégorie de Zusammenhang – c’est-à-dire
sur la cohésion tout à fait spécifique de la vie, qu’elles doivent s’employer
à décrire et à « comprendre » –, cette cohésion, paradoxalement, crée
un point de communication entre psychologie et biologie que Dilthey a
lui-même reconnu 108. Cette brèche s’ouvre en particulier au début des
années 1890, lorsque Dilthey, reformulant le problème de la réalité du
monde extérieur en dehors de son cadre traditionnel, théorique et repré-
sentationnel, tente de concevoir l’unité du soi et du monde comme la
rencontre d’une impulsion fondamentale de la vie et d’une résistance
extérieure. Le centre de l’« unité vitale » est ainsi déterminé comme « un
faisceau de pulsions » 109, et l’extériorité comme telle définie comme l’en-
semble des contraintes qui restreignent son champ d’action 110. Tout un
ensemble de concepts biologiques sont mobilisés pour expliciter cette
structure première de la vie, lesquels se déploient semble-t-il à partir du
paradigme de la force : l’être vivant est toujours compris par Dilthey
avant tout comme un foyer d’énergie à partir duquel se déploie son rap-
port au monde. C’est dire si la pensée de Dilthey peut être située tout
autant du côté de Gœthe que de Hegel, et abordée non sans légitimité
dans ses affinités avec Nietzsche et avec l’anthropologie philosophique
allemande née à la fin des années 1920, quand bien même son inscription
dans une filiation herméneutique et idéaliste demeurerait prégnante.
Telle est la raison – on l’aura compris – pour laquelle une confronta-
tion directe des deux œuvres autour du thème de l’herméneutique a été

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

ici délibérément évitée. Tester l’hypothèse de déplacements au sein de


la généalogie convenue de l’herméneutique au tournant des xixe et xxe
siècles – en intégrant par exemple Nietzsche à une histoire qui mènerait
de Dilthey à Gadamer en passant par Heidegger – suppose en effet l’a-
doption préalable d’un tel schéma. Or celui-ci demeure discutable, non
seulement à cause des présupposés téléologiques qu’il renferme, mais
aussi à cause du statut qu’il accorde implicitement à l’herméneutique au
sein de l’œuvre de Dilthey. Sans doute Dilthey est-il, avec Nietzsche, le
grand découvreur d’une existence humaine intrinsèquement herméneu-
tique et d’un perspectivisme généralisé. Toutefois, il convient de rappeler
que c’est tardivement que l’œuvre de Dilthey tire les conséquences pro-
prement herméneutiques de la finitude et de l’historicité de la vie, et
qu’elles sont explicitées essentiellement à travers l’idée du détour histo-
rique de la compréhension de soi. L’immanence caractéristique de l’auto-
compréhension de la vie appelant l’extériorité comme médiation
nécessaire à une telle compréhension, telle est la voie singulière de l’her-
méneutique diltheyenne.
Ainsi, l’essentiel dans le « moment » philosophique que représentent
Nietzsche et Dilthey se trouve peut-être davantage dans les chassés-croi-
sés qui l’animent, entre les paradigmes à première vue diamétralement
opposés de la nature et de l’histoire, et partant dans la remise en cause
de ces derniers, à laquelle il invite. Si les paradigmes de la nature et
de l’histoire ne sont pas dépassés – voire sont en eux-mêmes indépassa-
bles –, comment convient-il aujourd’hui de penser leurs rapports ? Une
articulation nouvelle des concepts de nature et d’histoire est-elle conce-
vable, et sur quels fondements ? Telles sont les questions qui surgissent
de cette confrontation retardée entre Nietzsche et Dilthey. Le tout pre-
mier effet à attendre de cette interrogation serait sans doute un mou-
vement de terrain par lequel la représentation schématique de la diver-
gence de deux lignées de la philosophie allemande, l’une se développant
sur un axe herméneutique rapporté à l’histoire (Dilthey – Heidegger –
Gadamer), l’autre se déployant sur un axe anthropologique orienté sur
la nature (Nietzsche – Plessner – Gehlen), se verrait ébranlée. À tout le
moins, elle serait appelée à une reconsidération en profondeur et à une
interrogation à nouveaux frais.

Guillaume Fagniez

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G U I L L A U M E FA G N I E Z

NOTES

1/ Elles avaient été signalées par Raymond Aron dans sa thèse de 1938 ; cf. La philosophie
critique de l’histoire, nouv. éd. S. Mesure, Paris, Julliard, 1987, p. 14, 102 et 119 sq.
2/ M. Scheler, Versuche einer Philosophie des Lebens. Nietzsche – Dilthey – Bergson, in
Vom Umsturz der Werte. Abhandlungen und Aufsätze, Gesammelte Werke, vol. 3, Bern,
Francke, 1972, p. 311-339.
3/ Cf. H. Rickert, Die Philosophie des Lebens. Darstellung und Kritik der philosophischen
Modeströmungen unserer Zeit, Tübingen, J. C. B. Mohr, 2e éd., 1922, p. 17-34.
4/ H. Rickert, Psychologie des visions du monde et philosophie des valeurs (1920), trad.
franç. A. Larivée et A. Leduc, dans Philosophie, 87, 2005, p. 28.
5/ Cf. G. Scholtz, « Diltheys Philosophiebegriff », in G. Kühne-Bertram, F. Rodi (éds.), Dilthey
und die hermeneutische Wende in der Philosophie, Göttingen, Vandenhoeck &
Ruprecht, 2008, p. 17-18.
6/ H. Schnädelbach, Philosophie in Deutschland 1831-1933, Francfort-sur-le-Main, Suhr-
kamp, 1983, p. 69.
7/ H. Schnädelbach, op. cit., p. 83.
8/ Dans une lettre d’avril 1872, le philologue Otto Ribbeck recommande à Dilthey la lecture
de La naissance de la tragédie « du Bâlois Nietzsche » parue la même année (cf. W. Dil-
they, Briefwechsel, vol. I, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 2011, p. 629-630).
9/ GS, VIII, p. 229 ; Théorie des conceptions du monde, trad. franç. L. Sauzin, Paris, PUF,
1946, p. 277. (Dans ce qui suit, nous citons les Gesammelte Schriften de Dilthey sous
cette forme abrégée GS, suivie de la tomaison. Les tomes I à X sont parus chez B. G.
Teubner à Leipzig et Berlin, les tomes XI à XXVI chez Vandenhoeck & Ruprecht à Göt-
tingen.)
10 / Cf. GS, VIII, p. 199 sq. ; Théorie des conceptions du monde, p. 204.
11 / Sur les différentes phases de la réception de Nietzsche par Dilthey, cf. W. Stegmaier,
Philosophie der Fluktuanz : Dilthey und Nietzsche, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht,
p. 65 sq.
12 / Ecce Homo, Avant-propos, § 1.
13 / Cf. K. Löwith, De Hegel à Nietzsche, trad. franç. R. Laureillard, Paris, Gallimard, 1969.
(Titre original : Von Hegel zu Nietzsche – Der revolutionäre Bruch im Denken des 19.
Jahrhunderts, 1941.)
14 / Humain, trop humain I (HTH), Fragments posthumes (FP), 19 [83] (cf. également 19
[108]).
15 / GS, I, p. 356 ; Œuvres,1 : Critique de la raison historique, trad. franç. S. Mesure, Le Cerf,
Paris, 1992, p. 305-306.
16 / Cf. GS, V, p. 4-5 ; Œuvres 1, p. 39.
17 / Cf. GS, V, p. 369 sq. (Le monde de l’esprit, t. I, trad. franç. M. Remy, Paris, Aubier-Mon-
taigne, 1947, p. 369 sq.), GS, VIII, p. 196 sq. (Théorie des conceptions du monde, p. 246
sq.), ainsi que GS, IV, p. 210 sq.
18 / GS, XVII, p. 390.
19 / HTH, I, FP, 23 [114].
20 / Cf. HTH, I, § 37.
21 / Cette hypothèse a été formulée pour la première fois par J. Kamerbeek ; cf. « Dilthey
versus Nietzsche », Studia philosophica, 10, 1950, p. 52-84. Cf. également G. Misch, « Dil-
they versus Nietzsche. Eine Stimme aus den Niederlanden », Die Sammlung, 7, 1952,
p. 378-395.
22 / Le Gai savoir (GSa), § 355.
23 / Cf. GS, I, p. XVI-XVIII.
24 / Cf. en particulier GS, XIX, p. 58-75.
25 / Cf. HTH, I, Préface, § 8.
26 / GS, I, p. 357 ; Œuvres, 1, p. 306.

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

27 / Cf. GS, I, p. 126 ; Œuvres, 1, p. 289. Sur le « besoin métaphysique » chez Nietzsche, cf.
par exemple HTH, I, § 153 ; FP, 19 [85], FP, 23 [164] et passim.
28 / Cf. GS, I, p. 8 ; Œuvres, 1, p. 161.
29 / Cf. p. ex. GS, V, p. 415 ; Le monde de l’esprit, t. I, p. 414.
30 / Cf. GSa, § 147.
31 / Cf. par exemple FP, XII, 8 [2].
32 / GS, I, p. 395 ; Œuvres, I, p. 348.
33 / GS, I, p. XVIII ; Œuvres, 1, p. 148-149.
34 / Aurore (A), § 117.
35 / A, § 119.
36 / GSa, FP, 14 [8].
37 / GSa, FP, 15 [9].
38 / HTH, I, § 11.
39 / Cf. notamment HTH, I, § 18.
40 / GS, VIII, p. 17 ; Théorie des conceptions du monde, p. 21.
41 / GS, I, p. 401 ; Œuvres, 1, p. 353.
42 / A, § 438.

44 / Considérations Inactuelles (CIn), « La ‫״‬raison‫ ״‬dans la philosophie », § 5.


43 / A, § 121.

45 / FP, XIII, 10 [19]. Cf. également FP, XIII, 9 [98].


46 / GS, VIII, p. 180 ; Œuvres, 1, p. 27.
47 / Cf. GS, XX, p. 204.
48 / Cf. M. Scheler, Mensch und Geschichte, in Späte Schriften, Gesammelte Werke, vol. 9,
Bonn, Bouvier, 1995, p. 125-129 ; L’homme et l’histoire, trad. franç. M. Dupuy, Paris,
Aubier-Montaigne, 1955, p. 28-39.
49 / HTH, I, § 2.
50 / HTH, II ; Opinions et sentences mêlées, § 223. Cf. dans le même sens ibidem., § 185.
51 / Cf. GSa, § 7.
52 / A, § 1.
53 / Cf. le texte important de GSa, § 337.
54 / HTH, I ; FP, 23 [160].
55 / HTH, I, § 20.
56 / GS, V, p. 180 ; Le monde de l’esprit, t. I, p. 186. Cf. également GS, VII, p. 279. Cette
condamnation de l’introspection s’explicite à partir des Idées sur une psychologie des-
criptive et analytique de 1894 ; mais pour autant il paraît hasardeux d’avancer avec
J. Kamerbeek que Dilthey aurait tenu compte du reproche exprimé par Nietzsche dans
le Gai savoir.
57 / GS, I, p. 92 ; Œuvres, I, p. 251.
58 / W. Dilthey, GS, I, p. 125-126 ; Œuvres 1, p. 288.
59 / CIn, II, § 6.
60 / CIn, II, § 6.
61 / L. von Ranke, Englische Geschichte vornehmlich im siebzehnten Jahrhundert, vol. 2,
livre V, Sämtliche Werke, Band XV, 3e éd. 1870, p. 103.
62 / CIn, II, § 8.
63 / HTH, I, § 23.
64 / Cf. CIn, II, § 5.
65 / HTH, II, § 126.
66 / Cf. A, § 159.
67 / CIn, II, préface.
68 / CIn, II, § 1.
69 / CIn, II, § 1.
70 / Cette herméneutique du « revivre », centrale chez Dilthey et d’ascendance romantique,
paraît à la fois omniprésente et peu thématisée chez Nietzsche. Cf. notamment FP, XI,
35 [2] : « … être capable de reproduire (nachbilden) tout cela en soi-même, voilà ce qui
fait le sens historique. »
71 / GS, V, p. 278 ; Le monde de l’esprit, t. I, p. 282.

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G U I L L A U M E FA G N I E Z

72 / CIn, II, § 9.
73 / GS, V, p. 266 ; Le monde de l’esprit, t. I, p. 271.
74 / GS, V, p. 10-11 ; Œuvres 1, p. 20.
75 / Dilthey et Nietzsche ont lu l’Histoire de la civilisation en Angleterre de Buckle dans la
traduction d’Arnold Ruge, le premier dès sa parution en 1861, le second semble-t-il bien
plus tard, en 1887. Cf. GS, XVI, p. 100-106, et la lettre de Nietzsche à H. Köselitz du 20
mai 1887, ainsi que La généalogie de la morale, I, § 4 ; FP, XIV, 16 [39], et surtout CIn,
§ 44.
76 / GSa, § 344.
77 / GSa, § 374.
78 / M. Foucault, « Nietzsche, la généalogie, l’histoire », in Dits et écrits, t. I, Paris, Gallimard,
coll. « Quarto », 2001, respectivement p. 1022 et 1015.
79 / H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode, GW, 1, J. C. B. Mohr, Tübingen, 1990, p. 241.
80 / H.-G. Gadamer, Wahrheit und Methode, loc. cit.
81 / GS, VIII, p. 138 ; Théorie des conceptions du monde, p. 175. Nietzsche évoque également
(Par-delà bien et mal – PBM -, § 20) l’obéissance à « un certain schéma fondamental de
philosophies possibles », mais afin surtout de montrer le « charme » exercé par la gram-
maire sur la pensée.
82 / GS, VIII, p. 224 ; Théorie des conceptions du monde, p. 272.
83 / HTH I, § 238.
84 / Ibidem.
85 / GS, VII, p. 250 ; La vie historique, trad. franç. C. Berner et J.-C. Gens, Villeneuve d’Ascq,
Presses Universitaires du Septentrion, 2014, p. 84-85.
86 / GS, IV, p. 528-529.
87 / GS, VIII, p. 226 ; Théorie des conceptions du monde, p. 274.
88 / Et Dilthey d’ajouter : « Qui peut dire quelle part cette entreprise intimement destructrice
a pu prendre à l’altération de son esprit et à celle de Rousseau ! » (Cf. GS, IV, p. 528-
529.) Dans une lettre à Yorck de mai 1897, on trouve déjà formulée, plus lapidairement,
cette idée : l’homme ne peut « enlever ses peaux et se trouver tel qu’en lui-même (ce
dont Nietzsche est devenu fou) » (Briefwechsel zwischen Wilhelm Dilthey und dem Gra-
fen Paul Yorck von Wartenburg, Halle an der Saale, Max Niemeyer Verlag, 1923, p. 239).
89 / GS, VIII, p. 201 ; Théorie des conceptions du monde, p. 206.
90 / Ibidem.
91 / Cf. la recension déjà citée de Humain, trop humain, in GS, XVII, p. 390.
92 / Cf. GS, III, p. 210.
93 / Cf. J. Figl, « Nietzsche und die philosophische Hermeneutik des 20. Jahrhunderts »,
Nietzsche-Studien, 10/11, 1981/1982, p. 414 sq.
94 / Cf. A, §§ 18, 31, et 312.
95 / Cf. GSa, FP [11] 334, A, § 112 et PBM, 5e section.
96 / Cf. GSa, § 2.
97 / Cf. par exemple Par-delà bien et mal, § 224. C’est en ce sens qu’il faut comprendre un
énoncé nietzschéen à la lettre presque identique à un propos de Dilthey : « Nous sommes
historiques de part en part. » (FP, XI, 34 [73] ; cf. GS, V, p. 275).
98 / GS, VII, p. 252.
99 / Telle est notamment l’interprétation de Karl Löwith ; cf. en particulier « Nietzsche et
l’achèvement de l’athéisme », trad. franç. M. de Gandillac, in Nietzsche aujourd’hui ?,
vol. 2, Paris, Union Générale d’Éditions, 1973.
100 / Cf. GSa, FP, [11] 211.
101 / CIn, § 2.
102 / GSa, § 337.
103 / CIn, § 1.
104 / Cf. HTH, I, FP, 25 [10] et HTH II, OSM, § 179.
105 / Cf. S. Jollivet, L’historisme en question. Généalogie, débats et réception (1800-1930),
Paris, Honoré Champion, 2013, p. 109-131.

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VIE ET HISTOIRE CHEZ NIETZSCHE ET DILTHEY

106 / Cf. H. Schnädelbach, Philosophie in Deutschland 1831-1933, op. cit., p. 277-278. Cette
ligne d’interprétation est défendue par J.-C. Gens ; cf. Éléments pour une herméneu-
tique de la nature, Paris, Le Cerf, 2008, p. 132-161.
107 / GS, I, p. 36 ; Œuvres 1, p. 194.
108 / GS, XIX, p. 345.
109 / GS, XIX, p. 353.
110 / GS, XIX, p. 338-339.

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