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Théorie(s) et pratique(s)
Catherine Léger-Jarniou
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Développer la culture
entrepreneuriale
chez les jeunes
Théorie(s) et pratique(s)
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L
a culture sociétale récente tend à visaient à mesurer l’orientation entrepre-
reconsidérer l’entreprise et l’entre- neuriale dans les organisations.
preneur catalyseur de croissance et à Cependant, la notion de culture entrepre-
valoriser la culture entrepreneuriale. Cette neuriale reste floue et recouvre des réalités
recherche vise à comprendre dans quelle diverses dans la mesure où elle vise pour
mesure il est possible de développer la certains à dynamiser l’esprit d’entreprise
culture entrepreneuriale d’une population (OCDE, 1998) alors qu’elle mobilise l’es-
d’élèves ingénieurs. Cette recherche est ori- prit d’entreprendre pour d’autres.
ginale dans la mesure où elle s’inscrit dans Cet article a pour objet de clarifier ces
un champ nouveau, celui de l’acculturation. termes et ces deux visions. En s’inscrivant
En effet de nombreuses études ont été réali- dans une approche qui vise à développer
sées sur la population étudiante, mais l’esprit d’entreprendre de jeunes élèves
celles-ci visaient surtout à évaluer leurs ingénieurs par la formation, le contexte et
intentions, à la suite de Kolvereid et Moen les modalités de déroulement de cette for-
(1997) qui ont cherché à mesurer si le fait mation sont présentés, ce qui permet de pré-
de suivre une formation à l’entrepreneuriat ciser la méthodologie d’enquête et de
pouvait faire une différence, à partir de mettre en évidence quelques résultats. On
deux hypothèses. Les étudiants diplômés en démontre que, par une certaine pédagogie
entrepreneuriat sont plus entreprenants que interactive et ludique fondée sur une straté-
les autres étudiants en gestion était la pre- gie précise, des jeunes ingénieurs peuvent
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tuels et affectifs qui caractérisent un groupe Par ailleurs, l’entrepreneuriat a parfois pris
social ». la forme d’inclinaison entrepreneuriale
La culture peut être envisagée au niveau (Pellissier et Van Buer, 1996), de gestion
individuel mais aussi collectif dans la entrepreneuriale (Stevenson et Jarillo,
mesure où les deux se recoupent par l’ap- 1990) ou encore d’orientation entrepreneu-
partenance d’un individu à une entité cultu- riale (Lumpkin et Dess, 1996).
relle plus globale (normes, système de Au début, la littérature en management
valeurs, etc.). Au niveau individuel, la considérait l’entrepreneuriat comme la
culture regroupe l’ensemble des connais- création d’entreprise et le « problème entre-
sances acquises, l’instruction, le savoir, les preneurial principal » (Miles et Snow,
habiletés et les usages acquis par l’expé- 1978) était de savoir “what business shall
rience. Alors qu’au niveau collectif elle we enter?”.
représente l’ensemble des structures sociales Actuellement encore, deux visions prédo-
et des comportements collectifs caractéri- minent et s’opposent. Pour Berglund et
sant une société (Petit Larousse, 1980). Holmgren (2007), parler d’entrepreneuriat
Selon Hofstede (1980), la culture est une comme d’un phénomène homogène semble
programmation mentale collective propre à encore problématique. La première vision
un groupe d’individus. C’est un système est centrée sur la création de nouvelles
fondamental de valeurs particulières à un organisations et l’identification d’opportu-
groupe ou à une société particulière qui nités existantes (Gartner, 1993 ; Aldrich,
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1. Encourager l’esprit d’entreprise est une clé pour la création d’emplois et l’augmentation de la compétitivité et de
la croissance économique à travers l’Europe, voir “Helping to create an entrepreneurial culture. A guide on good
practices in promoting entrepreneurial attitudes and skills through education”, document de la Commission euro-
péenne, Enterprise Policy, 2004.
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d’essayer de nouvelles choses ou de les monde. Pour l’auteur, une culture entrepre-
faire différemment, simplement parce qu’il neuriale est une culture qui valorise les
existe une possibilité de changement caractéristiques personnelles associées à
(Block et Stumpf, 1992) ; du souhait de l’entrepreneurship soit l’individualisme, la
développer une capacité à composer marginalité, le besoin de réalisation person-
avec le changement et d’expérimenter nelle, la prise de risques, la confiance en soi
des idées et agir avec ouverture et flexibi- et les habiletés sociales ; qui valorise égale-
lité. ment le succès personnel tout en pardon-
La seconde vision est celle qui nous occupe nant l’échec ; qui encourage la diversité et
ici (Léger-Jarniou, 2001a) et qui renvoie au non l’uniformité et qui encourage le chan-
terme d’esprit entrepreneurial ou esprit d’en- gement et non la stabilité.
treprendre par opposition à l’esprit d’entre- La culture entrepreneuriale ne peut être étu-
prise qui renvoie à la première vision ; l’es- diée sans faire référence à la pédagogie qui
prit entrepreneurial pouvant s’inscrire dans permet de la développer. L’enseignement de
des situations d’entreprise mais également l’entrepreneuriat est différent de celui du
en dehors de l’entreprise dans la vie management, du fait qu’il amène à traiter
citoyenne (exemple : le Téléthon). avec « l’équivoqualité » inhérente au
La vision large de l’entrepreneuriat qui démarrage d’une affaire (situations, déve-
nous intéresse ici est plus en relation avec loppement de nouveaux produits et nou-
les attitudes et in fine, le savoir être. On dis- veaux services, de nouveaux marchés et
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des projets s’appliquant au même objet » tion et leadership entre les individus. Un
selon Hadji (1992). indicateur de mesure de la sensibilisation à
Ici, plus que les évolutions chiffrées rele- l’entrepreneuriat a été créé à partir des
vées (tableau 1), il nous intéressait de com- valeurs suivantes : la créativité, la solidarité,
prendre le cheminement de cette évolution, le sens des responsabilités, l’autonomie, la
à partir des propres mots et ressentis des confiance en soi, l’esprit d’équipe, le lea-
élèves pour mesurer si réellement on pou- dership et la ténacité.
vait parler d’évolution. On est d’ailleurs pas très éloigné de l’idée
Parmi les caractéristiques liées à la culture d’orientation entrepreneuriale qui peut être
entrepreneuriales recensées dans la littéra- caractérisée par cinq dimensions que sont
ture2, on trouve le plus souvent les sui- l’autonomie, la capacité d’innovation, la
vantes : innovation, créativité, attitude face prise de risque, la capacité d’anticipation et
à la prise de risque, indépendance, percep- l’agressivité compétitive (Lumpkin et Dess,
tion des opportunités dans l’environnement, 1996).
conscience du statut social de l’entrepre- Parmi toutes ces caractéristiques, dont
neur mais aussi peur de l’échec associée à d’ailleurs certaines se recoupent, il a fallu
« perdre la face », ambition, originalité, faire un choix et les thèmes abordés ont été
projection dans le long terme, doute et pas- centrés sur l’évolution des comportements
sion, accomplissement de ce qui fait sens, et attitudes entrepreneuriales après la for-
aptitude à résoudre des problèmes, leader- mation.
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2. Areius et Minniti (2005), Begley et al. (1997), Busenitz et al. (2000), Davidsson (1995), Kolvereid et Obloj
(1994), Mc Grath et al. (1992), Mc Grath et al. (1992), Rai et Turpin (1998), Shane et al. (1991), Wennekers et al.
(2000).
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Ces résultats montrent une élévation d’un autres par le simple fait qu’ils sont depuis
point ou deux (sur une échelle de sept) sur longtemps « baignés » dans cet univers et
l’ensemble des critères, ce qui laisse envi- que cet environnement et ces conditions les
sager en un temps assez court une augmen- effraient moins que les autres, même si le
tation de la culture entrepreneuriale de cette projet en lui-même est éloigné de leurs pré-
population. Ce qui est encore plus intéres- occupations d’études habituelles à savoir la
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fois on trouve et des fois on ne trouve rien, tation à des problèmes apporte de l’expé-
c’est déstabilisant »). On se retrouve bien rience qui va au fur et à mesure modifier les
dans la position de les mettre dans la situa- aptitudes, les attitudes et la personnalité.
tion de gérer un processus équivoque. Ils L’enquête a montré qu’une telle accultura-
ne sont pas habitués ni à définir eux- tion est possible si plusieurs conditions sont
mêmes leur sujet d’étude, ni à devoir trou- respectées comme la mise en place d’une
ver l’information par leurs propres pédagogie constructiviste, ludique, la créa-
moyens, ni à s’organiser pour obtenir un tion d’un environnement favorisant l’ap-
résultat concret et cela dans des délais prentissage et le développement de la
impartis et courts. Ce qui explique leurs confiance en soi.
scores somme toute assez bas en termes de
créativité (ils sont plus dans une logique de 1. Une nécessaire pédagogie
reproduction de la chose apprise), de capa- constructiviste et ludique
cité à résoudre des problèmes et de leader- Krueger (2007) s’interroge sur les fonde-
ship. La capacité à résoudre des problèmes ments de la pensée entrepreneuriale et les
s’entend ici comme un problème nouveau conséquences que l’on peut envisager en
et complexe dont on ne connaît pas l’abou- matière de pédagogie. Il existe deux
tissement et qui apparaît a priori non modèles fondamentaux en sciences de
structuré, c’est-à-dire à l’opposé des pro- l’éducation : un modèle comportemental et
blèmes habituels à résoudre (mathéma- un modèle constructiviste qui offrent des
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La pédagogie entrepreneuriale est deve- leurs moments de détente jouer aux cartes,
nue plus constructiviste en se centrant de au billard ou à toute autre jeu dans leur
manière explicite sur des scénarios « cafétéria » ou espace dédié. Le caractère
d’experts, en enseignant des pensées incertain du jeu entrepreneurial, qui les
difficiles et contrefactuelles (Saks et effraie parfois au début car ils s’éloignent
Gaglio, 2004), en demandant aux étu- de leurs bases cognitives, les incitent
diants d’être des apprenants auto-dirigés ensuite à se dépasser et à créer leurs propres
(autonomes) et en les forçant à réfléchir « règles du jeu ».
sur leur apprentissage du savoir (Morse et Par ailleurs, ils sont prêts à donner énormé-
Mitchell, 2005). Malgré cela, on pourrait ment d’eux-mêmes s’ils trouvent du plaisir
s’interroger sur le fait de savoir pour dans ce qu’ils font. Ils veulent se sentir bien
quelles raisons ces méthodes pédago- dans leur travail, croire en ce qu’ils font. Ils
giques ne sont pas plus répandues ont des valeurs éthiques5 et sont sensibles
(enquêtes de l’OPPE en France ou du aux entreprises qui les respectent et à l’am-
NCGE en Grande-Bretagne) mais on biance de travail pour partager des valeurs
trouve un élément de réponse dans les communes.
propos de Krueger (2007) que nous parta-
geons pour les mettre en application. La 2. Un environnement favorisant
pédagogie centrée sur les problèmes l’apprentissage
demande aux enseignants de passer d’une Dans ce séminaire, l’élève est acteur (on
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5. « Les jeunes diplômés rêvent de fun et d’éthique » ils « veulent avant tout jouir de la vie, s’amuser ». Ils placent
leur bien-être avant tout, ce qu’on a appelé la génération du « moi d’abord », L’Expansion, n° 674, avril 2003.
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Cela étant, cette étude est limitée à une tion pour évaluer s’ils ont un meilleur
cohorte d’élèves de la même promotion et il emploi ou une autre façon de se comporter
serait intéressant de pouvoir mener des ou encore une meilleure progression de leur
comparaisons. Il serait par ailleurs intéres- carrière que d’autres ingénieurs qui n’au-
sant de suivre dans le temps cette popula- raient pas bénéficié d’un tel séminaire.
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