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Les pratiques sociales de référence

Les origines du concept

Le concept de pratique sociale de référence fut élaboré par la recherche en didactique, pour la construction des enseignements, sous la houlette de Jean-
Louis Martinand, dans les années 1980. A l’origine de cette notion, il y a une étude de l’enseignement de la technologie au collège qui, depuis les années
1960, avait fortement évolué. Il était passé d’un enseignement divisé en exercices systématiques de dessin technique accompagnés d’apprentissages
centrés sur des objets isolés (le targettisme), à des modules axés sur des domaines d’activités scientifiques et techniques tels que la photographie, l’
électronique, avec la réalisation d’objets techniques. Pour Jean-Louis Martinand (1989), le caractère authentique des pratiques techniques scolairement
organisées était essentiel pour répondre aux visées éducatives de cet enseignement. Il ne s’agissait pas de concevoir un enseignement professionnel ou
bien de construire des apprentissages systématiques, ni de proposer des activités distantes des réalités industrielles car on se serait éloigné des
conditions d’une initiation technique authentique. Martinand interrogea alors les liens entre les buts et les contenus de l’enseignement avec les tâches et
les qualifications existantes en dehors de l’école. Le concept de pratique sociale de référence lui fournit un outil pour questionner les activités scolaires en
les comparant avec les réalités qu’elles voulaient faire découvrir. Il fonctionnait comme guide d’analyse des contenus, de critique et de proposition. L’idée
de référence consistait à localiser les concordances et les différences entre deux situations, dont l’une (la pratique industrielle par exemple), était l’objet de
l’enseignement, et possédait une cohérence qui devait être transposée dans l’école.

1. Définition

Pour Jean-Louis Martinand (Astolfi, J-P., Darot, E., Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J., 2008), les pratiques sociales de référence
correspondent à des activités objectives de transformation d’un donné naturel ou humain (pratiques). Elles concernent l’ensemble d’un secteur
social, et non des rôles individuels (sociales). Enfin, la relation avec les activités didactiques n’est pas d’identité. Il y a terme de comparaison (de
référence). Il existe une grande variété de pratiques sociales : recherche scientifique, ingénierie, production industrielle, activités domestiques,
culturelles, politiques, idéologiques… N’oublions par la pratique de référence d’enseignement qui risque de s’enfermer et de se scléroser si elle
constitue sa propre pratique de référence. Il peut être utile de repérer la variété de pratiques sociales utilisant une même notion scientifique et d’
examiner dans chaque cas les caractéristiques particulières de cette notion. Par exemple, l’idée de productivité d’un écosystème peut être ainsi
envisagée à partir de l’agriculture, de l’exploitation forestière, ou bien encore de l’élevage. Cette variété de pratiques sociales prises comme
référence pour des activités scolaires conduit à une diversification des formules canoniques telles que les proposent les manuels (Astolfi, 1989).

1. Les pratiques sociales de référence interrogent les pratiques scolaires

Les pratiques sociales permettent d’interroger les pratiques scolaires en posant les questions suivantes (Astolfi, 1989) :

Dans quel domaine ancre-t-on l’enseignement ?


Quelle question décide-t-on de mettre au travail ?
Quelles images de la science, de ses activités et de ses acteurs véhicule-t-on ?
Quels instruments matériels et intellectuels mobilise-t-on ?
Quel savoir a-t-on produit au cours et au terme de l’activité ?

Selon Jean-Louis Martinand (1989), avec la notion de pratique sociale de référence, nous questionnons l’écart entre les pratiques possibles et les
activités scolaires, mais aussi les choix que nous effectuons dans différentes pratiques, ainsi que la cohérence entre les buts et les moyens une
fois les choix effectués. Par conséquent nous pouvons interroger les ressemblances et les dissemblances entre pratiques scolaires et
extrascolaires.

Les pratiques sociales de référence sont donc des outils essentiels pour penser les propositions d’enseignement dans leur nature et leur
signification sociale, l’idée forte étant celle des références de l’enseignement. L’intervention didactique consiste à discuter les contenus scolaires
et leur choix. Ceci est essentiel dans l’élaboration des programmes, car cette intervention définit la discipline dans ses fondements, sa
construction et ses fondements. Mais une discipline vit, évolue et se transforme par les interventions des enseignants notamment. Nous avons vu
que les pratiques de référence étaient associées à la technologie au départ. Cela s’est retrouvé dans les programmes de 1997 qui reposaient sur
l’élaboration de scénarios (une interprétation scolaire des activités techniques) dans des situations de travail issues du service marketing, du
service bureau d’études ou bien encore technico-commercial de l’entreprise … tout en évitant une parcellisation trop grande qui aurait rendu
illisibles les pratiques. La cohérence des scénarios pouvait se lire au niveau des élèves (ce qu’ils font, les tâches, ressources, compétences
développées), ou alors par rapport aux visées fondamentales avec l’authenticité des pratiques mises en scène dans la classe. Par la suite, le
concept de pratique sociale de référence s’est attaché à des confrontations avec les problèmes spécifiques et les élaborations théoriques dans d’
autres domaines éducatifs et disciplines d’enseignement, en particulier l’éducation physique et sportive, l’éducation musicale, l’histoire, la
géographie, le français.

Lors de l’émergence du concept, une réflexion fut menée au niveau de la formation des enseignants de technologie. Celle-ci reposait sur le fait
que les futurs enseignants devaient devenir des spécialistes de leur discipline, en y maîtrisant tous les contenus. Or cette conception posait les
problèmes du volume de savoirs à acquérir et du temps à y consacrer. Jean-Louis Martinand (1989) pensa qu’il était préférable de réfléchir à la
relation aux contenus. C’est pourquoi il proposa que dans le cadre de leur formation initiale, les enseignants puissent disposer d’éléments
opérationnels de pratiques de référence, y compris sous forme de stages, repris en parallèle avec la constitution de savoirs professionnels.

N’oublions pas un débat important qui porte sur les rapports entre la didactique et l’axiologie. Quelles références sollicite-t-on dans l’
enseignement ? Il existe en effet un lien entre les visées éducatives et les choix de référence de l’enseignement.

Une fausse opposition


Au début des années 1980, sensiblement à la même époque que la naissance des pratiques sociales de référence, Yves Chevallard introduisit
dans la didactique la notion de transposition didactique. On a souvent opposé les deux concepts alors qu’ils sont fondamentalement distincts,
étant nés dans des didactiques disciplinaires différentes (technologie et mathématiques). En fait ils coexistent et peuvent être considérés comme
complémentaires. La transposition didactique ne s’intéresse qu’au savoir, et plus précisément au savoir savant. Car selon Chevallard, le savoir
enseigné à l’école est issu exclusivement du savoir savant. Pour Martinand, la construction des contenus d’enseignement ne saurait s’en tenir à
une simple réduction descendante d’un savoir universitaire survalorisé. Il existe en effet une grande variété de pratiques sociales, la recherche n’
étant qu’une pratique de référence parmi d’autres. En fait, transposition didactique et pratiques sociales de référence sont complémentaires si l’
on s’interroge sur la construction des savoirs. Par exemple, un exercice de trigonométrie proposé à des collégiens pourra être envisagé
strictement dans son contenu mathématique, mais aussi dans sa signification sociale qui le fera apparaître comme un vestige de l’enseignement
des pratiques d’arpentage. Nous venons de constater l’aspect primordial de la nature du savoir pour la transposition didactique. Par contre, si l’on
se penche sur les pratiques sociales de référence, les rôles sociaux et les pratiques ont la même importance que la nature du savoir. Cette
tension entre savoir et pratique sociale est encore débattue à l’heure actuelle.

Un exemple : l’utilisation des pratiques sociales de référence dans l’enseignement de la gymnastique au collège

Voyons comment une pratique sociale de référence, à savoir la gymnastique sportive de compétition, peut guider une pratique scolaire, en l’
occurence un cours d’éducation physique et sportive au collège.

1.

Source : L’enseignement de la Gymnastique Sportive


un exemple : le collège Jd Plantes de Poitiers
Nous pouvons relever des différences dans la pratique scolaire par rapport à la pratique sportive de compétition :

Une pratique des agrès moins cloisonnée


Un choix d’agrès restreint dans le nombre et les dimensions du fait de contraintes matérielles et temporelles
Une exigence moindre dans les caractéristiques strictes des agrès (type, hauteur)
Une adaptation de la difficulté des enchaînements et des figures à réaliser en fonction du niveau des élèves
Le respect de l’intégrité physique des élèves
Une notation différente

Néanmoins, pour donner du sens aux apprentissages, l’élève est bien confronté à une réalité et à la transmission des fondements culturels de l’
activité gymnique. Cette référence à une pratique sociale légitime et fonde l’EPS en tant que discipline d’enseignement et débouche sur l’
élaboration de compétences spécifiques à cette activité : piloter son corps dans l’espace, maîtriser la prise de risque, assumer sa silhouette et
être initié à une activité de production de formes techniques et esthétiques. Importer et sélectionner les savoirs constitutifs d’une activité culturelle
sont bien des étapes primordiales à la construction des activités scolaires pour envisager le passage d’objet culturel à celui d’enseignement.

Conclusion

Les concepts de pratiques sociales de référence et de transposition didactique occupent une place centrale au niveau de l’enseignement, ce
dernier étant un métier de double compétence ancré dans ces deux notions. La maîtrise de la transposition didactique fait partie des savoir-faire
professionnels d’enseignement qui comportent des connaissances et savoir-faire sur les objectifs et contenus de programme, ainsi qu’une
compétence dans les démarches pédagogiques. Les pratiques sociales de référence, quant à elles, occupent une place dans l’élargissement de
la notion de transposition didactique. Elles sont des modèles, des sources qui inspirent les activités scolaires et permettent d’en limiter les écarts
et les dérives. Elles permettent en outre d’apporter une expertise lors de la construction des programmes ou de la formation des enseignants.
Enfin, l’intérêt se trouve aussi au niveau de l’élève qui peut découvrir la réalité et modifier ses représentations.

Bibliographie

Astolfi, J-P., Darot, E., Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J. (2008). Mots-clés de la didactique des sciences. Bruxelles : De Boeck.

Lebeaume, J. (2001). Pratiques socio-techniques de référence, un concept pour l'intervention didactique. Dans A. Rouchier (Ed.), Le génie
didactique (pp. 127-142). Bruxelles : De Boeck

Martinand, J-P. (1989). Pratiques de référence, transposition didactique et savoirs professionnels en sciences techniques. Les sciences de l’
éducation, pour l’ère nouvelle, 2, 23-29.

Martinand, J-P. (2003). La question de la référence en didactique du curriculum. Investigacoes em Ensino de Ciências, 8, 125-130.

Reuter, Y., Cohen-Azria, C., Daunay, B., Delcambre-Derville, I. et Lahanier-Reuter, D. (2013). Dictionnaire des concepts fondamentaux des
didactiques. Bruxelles : De Boeck

Ghiringhelli, R.-P. (2006). : L’enseignement de la Gymnastique Sportive en collège : un exemple collège du Jardin des Plantes de Poitiers. En
ligne sur le site http://ww3.ac-poitiers.fr/eps/apsa/gym_rpg/index.htm (consulté 4 mars 2015)

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