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Réanimation 2002 ; 11 : 567-74

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S1624069302003158/CNF

TEXTE DE CONSENSUS

Coagulations intravasculaires disséminées (CIVD) en


réanimation : définition, classification et traitement
(à l’exception des cancers et hémopathies malignes)

Jury du consensus : P.E. Bollaert*, D. Annane, H. Aube, J.P. Bedos, A. Cariou,


D. du Cheyron, M. Gainnier, B. Guillois, G. Hilbert, T. Lecompte, A. Legras, P. Lutun

INTRODUCTION Question 5 : quelle stratégie adopter en fonction des


situations cliniques ?
Reconnues depuis plus de 50 ans dans la pratique
L’ensemble des recommandations formulées par le
médicale, les CIVD n’ont cessé de susciter débats et
jury et le niveau de preuves sur lesquelles elles s’appuient
controverses. Les maladies qui les provoquent sont
ont été classés en fonction des règles suivantes : Society
diverses et très fréquentes dans les unités de réanima-
of Critical Care Medicine Rating System for Strength
tion. Leur définition reste imprécise. Leur rôle pronos-
of Recommendation and Quality of Evidence Suppor-
tique propre est difficile à apprécier. Les moyens
ting the References, 1997.
thérapeutiques des CIVD sont nombreux, en raison
notamment du développement récent de molécules Le score d’évaluation des références était le suivant :
modulatrices de l’hémostase. Les indications thérapeu- a : études prospectives, contrôlées et randomisées ;
tiques restent cependant incertaines. Ces raisons ont b : études non randomisées, comparaisons simultanées
justifié l’organisation par la Société de réanimation de ou historiques de cohortes ;
langue française, d’une Conférence de Consensus ; elle c : mises au point, revues générales, éditoriaux et étu-
s’est déroulée à Lille le 10 octobre 2001. des substantielles de cas en série publiés dans des revues
avec comité de lecture et révisés par des experts exté-
Les cinq questions posées au jury sont les rieurs ;
suivantes : d : publications d’opinions telles que monographies ou
publications d’organisations officielles dans des jour-
Question 1 : quelle définition et quelle classification naux ou des livres sans comité de lecture et sans révision
doivent être utilisées en pratique clinique ? par des experts extérieurs.
Question 2 : quelles sont les situations cliniques à Le score pour les recommandations se composait de
risque de CIVD ? trois niveaux :
Question 3 : quels sont les moyens cliniques et bio- – niveau 1 : recommandation justifiée en elle-même
logiques du diagnostic ? par des preuves scientifiques indiscutables ;
Question 4 : quels sont les moyens thérapeutiques et – niveau 2 : recommandation justifiée par des preuves
leurs indications spécifiques ? scientifiques et le soutien consensuel des experts ;

*Correspondance et tirés à part : Service de réanimation médicale, hôpital central, 54035 Nancy cedex, France.
Adresse e-mail : pe.bollaert@chu-nancy.fr (P.E. Bollaert).
568 Texte de consensus

Figure 1. Concept de syndrome d’activation systémique de la coagulation (SASC).

– niveau 3 : recommandation ne reposant pas sur des manifestations cliniques et de CIVD clinique lorsqu’il
preuves scientifiques adéquates mais soutenue par les existe des manifestations hémorragiques ou ischémi-
données disponibles et l’opinion des experts. ques. La CIVD est dite compliquée lorsque ces mani-
Ces scores sont indiqués entre parenthèses dans le festations engagent le pronostic fonctionnel ou vital ou
texte. si elle s’associe à une ou plusieurs défaillances d’organe.

Question 1 : quelle définition et quelle Implications pour la pratique


classification doivent être utilisées en pratique Le jury retient :
clinique ? – comme témoin indirect de la formation excessive de
thrombine : l’élévation des D-dimères ;
La coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) est – comme témoin de la consommation excessive de
un syndrome acquis secondaire à une activation systé- plaquettes : le purpura, un saignement diffus et la baisse
mique et excessive de la coagulation rencontré dans de du nombre de plaquettes ;
nombreuses situations cliniques en réanimation. – comme témoin de la consommation excessive de
Ce syndrome se définit par l’association d’anomalies facteurs de la coagulation : un syndrome hémorragi-
biologiques avec ou sans signes cliniques témoins de la que, une baisse du taux de prothrombine et de la
formation exagérée de thrombine et de fibrine, et de la concentration plasmatique du fibrinogène.
consommation excessive de plaquettes et de facteurs de
la coagulation. Implications pour la recherche
La CIVD s’inclut dans un processus complexe qui Concernant la définition du syndrome, il est néces-
commence par un syndrome d’activation systémique de saire :
la coagulation (SASC) difficile à mettre en évidence – de développer des marqueurs fiables de l’activation
(figure 1). Il se poursuit par l’apparition de troubles systémique de la coagulation ;
patents biologiques puis cliniques de l’hémostase qui – de clarifier le rôle du système fibrinolytique dans la
peuvent engager le pronostic vital. progression du SASC vers la CIVD.
Par souci de clarification, les termes de CIVD
Question 2 : quelles sont les situations cliniques
compensée/décompensée, latente/patente, subclinique/
à risque de CIVD ?
symptomatique doivent être abandonnés. Le jury décide
de réserver le terme de CIVD à l’association d’un Ces situations cliniques, malgré leur hétérogénéité, peu-
syndrome d’activation systémique de la coagulation vent être classées selon les principaux mécanismes ini-
(SASC) et d’ un syndrome de consommation excessive tiateurs.
de plaquettes et de facteurs de la coagulation. Il retient La liaison du facteur tissulaire (FT) au facteur VII
les termes de CIVD biologique lorsqu’il n’existe pas de activé (FVIIa) est le déterminant de la génération de
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thrombine. Le FT est exprimé de façon constitutive Tableau I. Étiologies des CIVD.


dans certains tissus sans contact direct avec le sang. Il Situations cliniques Fréquence de la
active la coagulation en cas de brèche vasculaire pour CIVD
limiter les phénomènes hémorragiques. Certaines cel- Infections et sepsis +++
lules, principalement les monocytes et les macrophages Bactériennes : Neisseria meningitidis,
mais aussi les fibroblastes, les cellules endothéliales et Escherichia coli, Salmonella typhi, Streptococ-
musculaires lisses vasculaires synthétisent le FT sous cus pneumoniae
l’effet de différents stimuli, en particulier inflammatoi- Virales : Dengue, Ebola, Marburg, Hantaan,
EBV, CMV, VZV, HSV, HIV, HTLV,
res : l’endotoxine, d’autres constituants de micro- Hépatites
organismes, des fragments activés du complément, les Parasitaires : Plasmodium falciparum
cytokines pro-inflammatoires ainsi que certaines pro- Fongiques
téines de la phase aiguë de l’inflammation (protéine C Néoplasies
réactive…). Tumeurs solides : prostate, poumon, ovaire, ++
sein, intestin, pancréas
Le contact entre le FT et le FVIIa peut résulter de Hémopathies : leucémies (LAM3, LAL, ++
trois mécanismes potentiellement associés dans certai- lymphomes)
nes situations cliniques, en particulier le traumatisme et Causes obstétricales
les brûlures : Pré-éclampsie +
– l’induction de la synthèse et de l’expression membra- Eclampsie et HELLP syndrome
naire de FT par des cellules au contact du sang, en Hématome rétroplacentaire ++++
Embolie amniotique
réponse à des stimuli inflammatoires ; Stéatose hépatique aiguë gravidique
– le contact entre le FT constitutif extravasculaire et le Mort fœtale et rétention in utero ++++
FVIIa lié à une effraction vasculaire ; Hémorragies du péripartum
– le contact entre le FVIIa et FT exprimé à la surface de Dommages tissulaires ++++
cellules anormales (leucémiques ou cancéreuses). Traumatismes étendus
Embolie graisseuse
Quelles situations cliniques à risque d’urgence et/ou Brûlures étendues
de réanimation sont les plus à même de conduire Choc hémorragique
à une activation anormale de la coagulation Hépatopathies ?
(tableau I) ? Insuffisance hépatique aiguë
Matériel prothétique ?
Activation anormale de la synthèse du FT Shunt de LeVeen
Le sepsis est en réanimation la principale cause du Contre-pulsion intra-aortique
SASC. Une CIVD biologique est observée dans 10 à Pathologies vasculaires
20% des cas et une CIVD clinique est plus rare. Cer- Télangiectasie hémorragique héréditaire ++++
taines infections bactériennes s’accompagnent d’une Anévrismes des gros vaisseaux +
Hémangiomes géants (syndrome de +
CIVD clinique (purpura fulminans) avec une fréquence Kasabach-Merritt)
plus importante : Neisseria meningitidis, Escherichia coli, Morsures de serpents ?
Salmonella typhi et Streptococcus pneumoniae. Il peut Hémophagocytose ?
s’agir également de virus (herpes virus, adenovirus, para- Troubles de la régulation thermique ?
influenzavirus, échovirus, cytomégalovirus, HTLV-1, Hypothermie
HIV, virus responsables de fièvres hémorragiques…), Hyperthermies malignes
Pancréatite ?
de parasites (paludisme) ou encore d’agents fongiques. Hémolyses ?
En dehors du sepsis, d’autres situations peuvent abou- Causes toxiques ?
tir à une réaction inflammatoire systémique et à une Chimiothérapie
activation de la coagulation : Amphétamines
– hypothermie et hyperthermies malignes ; Réactions allergiques ?
– choc hémorragique. Vascularite allergique
Purpura allergique
Mise en contact du FT extravasculaire avec le secteur Microangiopathies ?
plasmatique Purpura thrombotique thrombocytopénique
Tous les dommages tissulaires traumatiques peuvent Syndrome hémolytique et urémique
Hypertension maligne
s’accompagner d’un SASC, par contact de FT consti-
Autres causes néonatales et pédiatriques
tutif avec le plasma. Du fait de la richesse du tissu Déficit congénital en protéine C et en +++
cérébral en FT, les traumatismes crâniens s’accompa- protéine S
gnent d’une CIVD dans 10 à 20 % des cas. Entérocolite ulcéro-nécrosante du ++
De nombreuses complications obstétricales sont sus- prématuré
ceptibles de conduire à une CIVD par différents méca- Jumeau de fœtus mort in utero +++
570 Texte de consensus

nismes. Certaines d’entre elles sont en rapport avec purpura fulminans néonatal est la seule situation clini-
l’exposition du FT : que où une pathologie génétique est clairement en
– hématome rétroplacentaire (par clivage entre paroi cause.
utérine et placenta avec rupture des artères spiralées et
libération de FT d’origine placentaire) ; Question 3 : quels sont les moyens cliniques
– mort in utero et rétention intra-utérine ; et biologiques du diagnostic ?
– outre l’exposition du FT, plusieurs mécanismes par-
ticipent à l’activation de la coagulation (consommation Par définition, la CIVD comporte des anomalies biolo-
locale des facteurs hémostatiques, complications septi- giques non associées (CIVD biologique) ou associées à
des signes cliniques (CIVD clinique) et des complica-
ques, choc) dans différentes situations comme les brû-
tions (CIVD compliquée).
lures étendues ou les pancréatites.
CIVD biologique
Expression de FT par des cellules anormales Quatre paramètres servent au diagnostic (c, 3) :
Les manifestations thrombotiques constatées au cours – un indicateur de formation de fibrine in vivo, aug-
des états cancéreux constituent la manifestation essen- menté (fibrine soluble) ;
tielle de la CIVD présente dans ces situations. Leur – numération plaquettaire diminuée ;
fréquence est variable en fonction de la pathologie – taux de prothrombine diminué ;
maligne en cause. – fibrinogène diminué ;
Le paramètre « fibrine soluble » est le plus proche
Situations particulières indicateur de formation excessive de thrombine. Il peut
Il existe quelques situations pour lesquelles le méca- être évalué par :
nisme d’activation de la coagulation est mal élucidé ou – les monomères circulants de fibrine, indicateurs
indépendant du FT comme les morsures de serpents directs de l’action systémique de la thrombine ;
dont les venins contiennent des substances « thrombin- – les produits de dégradation spécifiques de la fibrine
like » activatrices de la fibrinoformation (batroxobin ou (usuellement appelés D-dimères), indicateurs indirects
reptilase) et des activateurs de la prothrombine (ecarin). de la formation de fibrine (disséminée ou non) car
En pédiatrie, le purpura fulminans post-infectieux, dépendant de la réaction fibrinolytique ;
décrit au cours des varicelles surinfectées à streptoco- – les produits de dégradation de la fibrine et du fibri-
que A, relève de mécanismes complexes (déficit acquis nogène (usuellement appelés PDF) qui prennent en
en protéine S, déficit hétérozygote en facteur XII, hété- compte la présence de produits de dégradation du
rozygotie pour la mutation G20210A du gène de la fibrinogène, par essence pathologique.
prothrombine et pour la mutation Leiden du gène du La mesure des D-dimères est le meilleur indicateur de
facteur V, divers auto-anticorps). formation de fibrine in vivo. Ce test est fiable, aisément
disponible, plus rapide que les PDF. Différentes tech-
Existe-t-il une prédisposition génétique et celle-ci niques de mesure non interchangeables et non standar-
doit-elle être recherchée ? disables, sont disponibles. Il convient de choisir une
Quelques études de polymorphismes génétiques de fac- technique dont l’utilisation au cours des CIVD a été
teurs de l’hémostase ont suggéré l’association de cer- rapportée, comme un test d’agglutination de particules
tains d’entre eux avec une évolution défavorable dans de latex avec lecture automatisée, pour lequel le seuil est
des pathologies à risque de CIVD : gène promoteur du à 500 µg/L. L’élévation des D-dimères n’est pas spéci-
PAI-1 et méningococcémie, gène promoteur de PAI-1 fique de CIVD.
et traumatismes crâniens sévères, mutation Leiden du Le diagnostic de CIVD biologique doit être retenu si
facteur V et mutation G20210A du gène de la les D-dimères sont augmentés et s’il existe un critère
prothrombine (hématome rétroplacentaire et purpura majeur ou deux critères mineurs de consommation
fulminans post-infectieux). Cependant, l’association de (tableau II).
ces polymorphismes avec la CIVD n’a pas été spécifi- Les microangiopathies thrombotiques se distinguent
quement étudiée et reste du domaine de la recherche. des CIVD par l’absence de consommation autre que
Le purpura fulminans néonatal est une situation excep-
tionnelle qui doit faire évoquer un déficit congénital
homozygote ou hétérozygote composite en protéine C Tableau II. Critères de consommation chez l’adulte.
ou en protéine S. En faveur de ces diagnostics, plaident Paramètre (unité) Majeur Mineur
le début du purpura fulminans dans les 12 premières Numération plaquettaire (g/L) ≤ 50 50 < – ≤100
heures de vie et la découverte chez les parents de taux de Taux de prothrombine (%) < 50 50 ≤ – < 65
protéine C ou de protéine S proches de 50 %. Le Concentration en fibrinogène ( g/L) ----- ≤1
Texte de consensus 571

celle des plaquettes et par l’existence d’une hyper- Une association entre SDMV, mortalité et CIVD a
hémolyse mécanique. été constatée dans de nombreuses études expérimenta-
L’activation du système fibrinolytique est exception- les et cliniques sans que la notion d’imputabilité directe
nellement (voire jamais) isolée. de la CIVD dans les défaillances d’organes ait été
Particularités chez le nouveau-né et le prématuré démontrée. Plusieurs études ont rapporté une mortalité
Compte tenu des particularités hématologiques du plus importante dans le sepsis et le polytraumatisme en
nouveau-né et du prématuré, le temps de Quick n’est cas de survenue d’une CIVD. Il n’existe aucune donnée
pas utilisable, et les seuils pour la cotation des critères clinique permettant d’établir un lien de causalité entre
numération plaquettaire et fibrinogène sont différents CIVD et SDMV.
de ceux de l’adulte (tableaux III et IV). En outre le seuil Des données expérimentales suggèrent un tel lien par
pour la mesure des D-dimères est mal établi. Pour le le biais de phénomènes thrombotiques puis hypoxiques
prématuré (poids < 1 500 g) un critère clinique com- ou par le biais de la génération de protéases et des
plémentaire pourrait être requis : (saignement, tem- phénomènes inflammatoires (interactions protéases et
pérature rectale ≤ 34°C, pression artérielle médiateurs pro-inflammatoires). D’autres données
systolique ≤ 30 mm Hg). expérimentales récentes remettent en cause l’existence
d’un tel lien. Par exemple, l’injection de facteur tissu-
CIVD clinique laire induit une CIVD isolée tandis qu’une injection
Les signes de la CIVD clinique sont hémorragiques ou d’endotoxine induit une CIVD associée à une dysfonc-
thrombotiques et peuvent la révéler. Ils n’ont pas de tion d’organe et à des dépôts de fibrine dans le rein.
caractères spécifiques. Implications pour la recherche
Les manifestations thrombotiques ont essentiellement – Recherche de marqueurs plus spécifiques de l’excès
une expression cutanée. Les manifestations hémorragi- d’activation de la thrombine, de l’état du système fibri-
ques se caractérisent par des saignements prolongés, nolytique.
inattendus et en nappe. Il s’agit par exemple d’hémato- – Validation des critères proposés.
mes volumineux aux points de ponction, d’épistaxis, de – Valeur diagnostique de l’évolution temporelle des
gingivorragies, d’ hémorragies digestives, obstétricales marqueurs.
ou rétiniennes. – Développement de tests rapides d’hémostase avec
CIVD compliquée des appareils utilisables au lit du malade.
Dans cette situation, les manifestations cliniques – Recherche d’un lien de causalité entre CIVD et
hémorragiques et thrombotiques mettent en jeu le pro- survenue de défaillances d’organes.
nostic vital ou fonctionnel (choc hémorragique, hémor-
ragie intracérébrale, embolie pulmonaire, infarctus Question 4 : quels sont les moyens thérapeutiques
viscéraux, ischémie des extrémités). et leurs indications spécifiques ?
La nature et l’intensité de ces manifestations varient Le traitement étiologique de la CIVD est fondamental.
selon l’étiologie et le terrain (hémorragie dans les CIVD Les moyens thérapeutiques peuvent être de nature
obstétricales, thromboses diffuses du purpura fulminans « substitutive » visant à restaurer le potentiel hémosta-
ménigoccocémique). tique de sécurité, ou « spécifique » dans le but d’inter-
Le purpura fulminans représente une forme caricatu- venir sur la coagulation et la fibrinolyse.
rale de CIVD compliquée engageant le pronostic vital Traitements substitutifs
dans 5 à 10 % des cas et le pronostic fonctionnel Il n’existe pas d’études spécifiques validant des recom-
(amputations de membres) dans 10 à 20 % des cas. mandations de transfusions plaquettaires, de plasma
frais congelé (PFC) ou de fibrinogène au cours des
CIVD. De même, le risque théorique d’aggravation de
Tableau III. Critères de consommation chez le nouveau-né à terme.
la CIVD après l’administration de ces produits n’est pas
Paramètre (unité) Majeur Mineur démontré.
Numération plaquettaire (g/L) ≤ 100 100 < – ≤ 150 Les transfusions plaquettaires
Concentration en fibrinogène (g/L) ≤1 1 < – ≤ 1,5
Il existe 2 types de concentrés plaquettaires, les mélan-
ges de concentrés plaquettaires standard obtenus à par-
tir de plusieurs donneurs et les concentrés plaquettaires
Tableau IV. Critères de consommation chez le prématuré de d’aphérèse (CPA) obtenus à partir d’un donneur uni-
poids < 1500 g.
que. Le choix entre ces 2 types de concentrés plaquet-
Paramètre (unité) Majeur Mineur taires dépendra principalement de la disponibilité
Numération plaquettaire (g/L) ≤ 100 100 < – ≤ 150 des produits. Les CPA limitent le risque d’allo-
Concentration en fibrinogène (g/L) ----- ≤ 0,5 immunisation et le risque infectieux théorique.
572 Texte de consensus

Comme il s’agit d’une situation de thrombopénie de théliale. La PCa, en inactivant les facteurs Va et VIIIa
type périphérique, le rendement de la transfusion de limite la formation de thrombine.
concentrés plaquettaires est faible et la durée de l’effi- L’administration de concentrés de PC n’a été rappor-
cacité de la transfusion est toujours inférieure à 24 heu- tée que dans le traitement du purpura fulminans sans
res. La transfusion plaquettaire n’est indiquée qu’en cas qu’il existe d’étude randomisée validant son intérêt.
d’association d’une thrombopénie inférieure à 50 g/L et Le concentré en PC est indiqué dans l’exceptionnel
de facteurs de risque hémorragique (intervention chi- purpura fulminans néonatal, expression du déficit congé-
rurgicale, geste invasif, thrombopathie associée) ou nital homozygote en PC.
d’hémorragie grave (CIVD compliquée).
Un recombinant activé de la PC (drotrécogine α)
La posologie minimale est 0,5 × 1011 plaquettes /
7 kg de poids. vient d’obtenir l’AMM pour le sepsis avec deux
défaillances d’organe. Il n’y a pas d’information pour
Le plasma frais congelé (PFC) recommander son usage pour le traitement de la
Deux produits sont disponibles : le plasma « sécurisé » CIVD (d).
provenant d’un donneur unique et le plasma « viro- Il existe une autre molécule, la PC dérivée du sang
atténué » (PVA) qui est un mélange obtenu à partir de secondairement activée par de la thrombine in vitro. Il
100 plasmas puis fractionné. Le choix est fait non pas n’y a pas d’indication à l’administrer dans la CIVD (c).
sur l’efficacité qui est identique, mais plus sur la dispo-
nibilité et le coût, favorables aux PVA. Le PFC est le L’antithrombine (AT)
seul produit apportant du facteur V, de la protéine S, L’antithrombine est un médicament dérivé du sang.
du plasminogène et de la métalloprotéase du facteur C’est l’inhibiteur physiologique principal de la throm-
Willebrand. La transfusion de PFC est indiquée dans bine.
les CIVD avec effondrement des facteurs de la coagu-
lation (TP inférieur à 35-40 %) associées à une hémor- AT et CIVD du sepsis
ragie active ou potentielle (geste invasif, intervention Une étude randomisée concerne 35 patients en choc
chirurgicale). septique compliqué de CIVD. 17 patients ont été ran-
Le volume initial à transfuser est de l’ordre de 10 à domisés dans le groupe AT (dose de charge 90 à
15mL/kg. Le temps de décongélation minimal est de 120 UI/kg et la même dose journalière pendant 4 jours).
30 min. Le PFC ne doit pas être utilisé à titre systéma- Elle montre dans le groupe AT une résolution plus
tique ou comme soluté de remplissage. rapide de la durée de la CIVD avec une diminution non
significative de la mortalité à j12.
Le fibrinogène Une autre étude randomisée a été réalisée sur 40
Comme il s’agit d’une situation de consommation, le patients en sepsis sévère avec ou sans CIVD, dont 20
rendement habituel (normalement de 0,4 g/L par patients ont été randomisés dans le groupe AT (dose
gramme injecté chez l’adulte) est diminué. d’AT titrée pour obtenir une activité à 120 % pendant
Il n’y a pas d’indication démontrée à l’utilisation du 5 jours). Elle montre un taux de résolution de la CIVD
fibrinogène dans la CIVD.
plus important dans le groupe AT à J14, une réduction
Le complexe prothrombique (PPSB) des défaillances rénales et hépatiques et une réduction
Le PPSB, potentiellement thrombogène, est contre- non significative de la mortalité hospitalière.
indiqué dans la CIVD. L’AT améliore la CIVD au cours du sepsis (a). La
puissance insuffisante de ces études ne permet pas de
Traitements spécifiques
conclure à un effet sur les défaillances d’organes et la
Inhibiteurs de la coagulation mortalité.
L’inhibition de la voie du facteur tissulaire Trois autres essais randomisés (2 phases II, une pha-
En théorie, elle est susceptible de prévenir l’initiation se III) réalisés chez des malades septiques n’apportent
du processus de CIVD. En pratique, un recombinant pas d’information sur les effets de l’AT au cours de la
humain de l’inhibiteur de la voie du facteur tissulaire CIVD.
(tifacogin) a été testé dans le cadre d’une étude clinique AT et CIVD d’autres origines
de phase III chez l’homme au cours du sepsis sévère sans Une étude randomisée portant sur 32 patients de
faire la preuve de son efficacité. réanimation avec CIVD a montré que l’administration
La protéine C et protéine C activée d’AT pendant 2 à 7 jours améliore les paramètres
La protéine C (PC) circulante, sans effet biologique, biologiques de CIVD (a). Il n’y a pas d’autres études qui
est convertie en PC activée (PCa) en présence du com- permettent de conclure à un effet bénéfique de l’AT
plexe thrombine-thrombomoduline à la surface endo- dans d’autres circonstances.
Texte de consensus 573

L’héparine inhibiteurs de la fibrinolyse. L’efficacité des inhibiteurs


Il n’y pas d’étude randomisée contre placebo évaluant de la fibrinolyse n’est pas prouvée (d).
les héparines dans la CIVD. La seule étude randomisée L’administration précoce d’activateurs de la fibrino-
compare une héparine de bas poids moléculaire (dalté- lyse, semble montrer une amélioration des paramètres
parine) à l’héparine non fractionnée chez 126 patients. hémodynamiques et de la survie dans des études expé-
Cette étude montre une tolérance supérieure de la rimentales. L’efficacité des activateurs de la fibrinolyse
daltéparine (complications hémorragiques moindres) n’est pas prouvée (d).
pour un même taux de mortalité dans les deux bras.
En conséquence, l’efficacité des héparines dans le Implications pour la recherche
traitement des CIVD n’est pas prouvée (c). Une étude de phase III, évaluant l’efficacité et la
Lorsqu’une héparine est prescrite à titre de prophy- tolérance de l’AT dans le traitement de la CIVD du
laxie des thromboses veineuses et d’anticoagulation des sepsis est nécessaire.
circuits extracorporels, il n’existe pas d’argument en L’efficacité et la tolérance de l’AT doit être évaluée
faveur ou en défaveur de sa poursuite à l’exception des dans des études de phase II pour le traitement de la
complications hémorragiques de la CIVD. CIVD dans d’autres situations.
Inhibiteurs et activateurs de la fibrinolyse Les héparines doivent impérativement être évaluées
Les résultats de quelques études expérimentales n’amè- dans le traitement des CIVD dans des études de pha-
nent aucun argument en faveur de l’utilisation des se II.

Figure 2. Stratégie devant un syndrome d’activation systémique de la coagulation.


574 Texte de consensus

Les autres inhibiteurs de la coagulation et les modu- – Dans les hémorragies de la délivrance, le traitement
lateurs de la fibrinolyse méritent également d’être éva- est principalement le contrôle mécanique de l’hémor-
lués. ragie. L’adjonction d’un traitement spécifique de l’acti-
vation de la coagulation et de la fibrinolyse n’a pas fait la
Question 5 : quelle stratégie adopter en pratique en preuve de son efficacité autre que celle d’une correction
fonction des situations cliniques (figure 2) ? plus rapide des anomalies biologiques (c, 3). L’utilisa-
tion de l’héparine et de l’AT n’a pas fait la preuve de son
La stratégie dépend du stade de la CIVD (biologique, efficacité (c, 3). L’utilisation de l’aprotinine est fré-
clinique, compliquée), de la prédominance du syn- quente en cas de défibrination. Cependant, aucune
drome hémorragique ou thrombotique, de l’étiologie étude n’a démontré son efficacité et son utilisation n’est
de la CIVD et de la nécessité d’un acte invasif. pas recommandée (c, 3).
Le traitement optimal de la cause est la condition sine – Dans l’embolie amniotique, le bénéfice d’un traite-
qua non de l’efficacité du traitement de la CIVD, de ment spécifique n’a pas été démontré (c, 3). L’hépari-
même que le traitement symptomatique des défaillan- nothérapie est habituellement utilisée. Cependant,
ces d’organes. aucune étude n’a démontré son efficacité et son utilisa-
CIVD compliquée d’une hémorragie grave tion n’est pas recommandée (c, 3).
ou nécessité d’un acte invasif L’AT n’est pas recommandée dans les pathologies
– L’objectif thérapeutique est de limiter le saignement. obstétricales (c, 3).
Les moyens sont la transfusion de concentrés plaquet- CIVD au cours des défaillances hépatiques
taires et de PFC jusqu’à arrêt du saignement. – L’insuffisance hépatocellulaire complique le diagnos-
– En cas de procédure invasive ces produits doivent tic de CIVD.
être transfusés immédiatement avant sa réalisation.
– Le diagnostic formel de CIVD dans cette situation
– Le PPSB est contre indiqué et l’administration de
n’est pas possible (d, 3).
fibrinogène n’est pas recommandée (c, 3).
– La stratégie thérapeutique immédiate repose sur la CIVD au cours des traumatismes graves
seule clinique dans le purpura fulminans ou les CIVD Il n’existe pas actuellement de preuve qu’un traitement
obstétricales. spécifique de la CIVD influence le pronostic des poly-
CIVD au cours du sepsis traumatismes, ou des traumatismes crâniens (c, 3).
– L’héparine n’est pas recommandée (c, 2).
CIVD au cours des autres étiologies (hypothermie,
– L’AT ne peut être recommandée bien qu’elle per-
hyperthermie maligne, néoplasies, malformations
mette d’améliorer les paramètres cliniques et biologi-
vasculaires, anévrisme aortique, envenimation)
ques de la CIVD (a, 2).
– Aucune étude n’a été conçue pour évaluer l’efficacité Le traitement est principalement celui de l’étiologie. Il
de la PC ou de la PCa au cours des CIVD. Leur n’existe pas actuellement de preuve qu’un traitement
utilisation n’est pas recommandée (c, 3). spécifique de la CIVD influence le pronostic (c, 3).
– L’utilisation de fibrinolytiques n’est pas recomman- Spécificité des CIVD en pédiatrie
dée (c, 3). – Les critères diagnostiques de CIVD sont les mêmes
CIVD au cours des pathologies obstétricales chez l’enfant. Des critères spécifiques doivent être uti-
– Le traitement étiologique doit être mis en oeuvre le lisés chez le nouveau né et le prématuré.
plus rapidement possible, permettant seul de contrôler – L’exceptionnel purpura fulminans néonatal par défi-
la CIVD (extraction foetale, embolisation ou chirurgie cit congénital en Protéine C nécessite un traitement
si hémorragie) dans la majorité des cas. Exception faite substitutif par ce facteur.
de l’embolie amniotique, la caractéristique majeure de – Dans les purpura fulminans post-infectieux, aucun
la plupart des CIVD obstétricales est leur régression traitement spécifique n’est validé. L’héparinothérapie
spontanée quand la grossesse est terminée et l’évacua- est souvent utilisée. Cependant, aucune étude n’a
tion du contenu utérin correctement et rapidement démontré son efficacité et son utilisation n’est pas
conduite. recommandée (c, 3).

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