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Cahiers contestation globale (1996)
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Découverte Paris, Séguier, réédition corrigée et augmentée, 244 p.
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1996 / n° 7 | 
décembre 1996

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UCCIANI Louis
, « SCHERER René : Charles Fourier ou la contestation globale (1996)
 », Cahiers Charles Fourier
, 1996 / n° 7
, en ligne :
http://www.charlesfourier.fr/spip.php?article142 (consulté le 4 novembre 2021).

Texte intégral

L’utopie serait-elle morte avec ses essais malheureux ? Y aurait-il encore place pour une pensée de
l’utopie, voire pour une pensée utopique  ? Si le monde semble plonger dans une résignation des
plus soumises, si les jeunes générations ne brillent guère qu’à être relais du résigné en faudrait-il
conclure à une extinction définitive de toute volonté critique et de tout rêve d’un autre monde ? - Et

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comme s’il suffisait d’attendre qu’un jour, à nouveau lève le grain de la révolte et du rêve, nous
aurions, nous, mission de préparer le terrain en vue que les générations futures s’accrochent à ces
bases que la pensée et la politique d’aujourd’hui laissent en friche. Parmi ces gardiens de la révolte
et du rêve René Schérer trace inlassablement les sillons en vue d’un monde autre. La question était
celle de la place d’une pensée de l’utopie, l’œuvre de Schérer répond par sa présence et sa ténacité,
par sa générosité et sa critique. A l’autre question sur la pensée utopique il trace les contours de
cette constellation qui devrait permettre de la cerner. Il développe une généalogie de l’utopie. Mais,
et c’est en cela qu’il est philosophe, il ne s’occupe guère de restituer les tracés académiques et les
linéarités historiques. Il s’exprime dans l’urgence de ne pas laisser sombrer ce qui a émergé. Mais
par delà ce souci c’est bien autre chose qui transparaît : il s’agit de repenser l’utopie afin de donner
possibilité à une pensée utopique d’éclore. Sans doute alors le déplacement qu’il opère prend-il tout
son sens  : l’utopie n’est pas à comprendre comme ce lieu du rêve réalisé qui donne à toute
institution une illusion utopique. Les porteurs de l’utopie n’ont pas des semelles de plomb, ils sont,
dans un monde clos, nomades et errants. C’est à eux que l’utopie parle, c’est à travers eux qu’elle se
dessine  : «  l’utopie est nomade dans son déploiement et son sens, avant même de concerner les
déplacements humains du nomadisme proprement dit de l’être humain en son errance. Aussi, dans
sa nature intime et secrète, leur est-elle particulièrement appropriée, en affinité avec eux, en
osmose. Nulle utopie ne peut, à l’heure présente, se concevoir qui ne s’adresserait pas aux nomades,
peuples et individus, aux sans-logis, aux exclus » [1]. Le glissement vers le nomadisme introduit une
dimension habituellement délaissée en la matière. L’utopie traditionnellement se laisse cerner,
même si c’est en évoquant son impossible localisation, dans des catégories d’espace. Or, et c’est bien
ici que tient l’originalité de Schérer, l’utopie relève plus des catégories de la temporalité que de la
spatialité : « Délaissant l’espace des îles bienheureuses, l’utopie s’introduit dans la dimension d’un
devenir. Non seulement celle d’un futur, projetée dans l’à-venir, mais dans le mouvement même de
l’histoire se faisant, pour opposer sa résistance à son apparente inéluctabilité  » (14). En quoi
l’utopie n’est pas un objet d’étude mort réservé aux historiens des idées, ni même un mot sésame
ouvrant sur les flots de l’imaginaire, elle est actualité  : présence et projection. «  Elle n’est pas à
chercher ailleurs, mais ici et maintenant, présente sans être actuelle, à l’état de virtualité  ». Le
propos n’est plus alors pour le philosophe de construire et d’élaborer des constructions qui
pourraient bien passer pour chimériques, mais de déceler dans l’aujourd’hui les ferments de son
éclosion « dans le présent elle correspond à ce qui est le plus familier tout en restant encore lointain
et momentanément inaccessible dans sa réalisation : l’ordre des désirs ».

C’est par et dans le désir qu’est possible un retour au réel dont il est la force motrice. Le monde alors
décrit n’est pas que celui qui a trouvé matérialité, mais aussi celui porté par les désirs et les rêves
qui n’ont pas su trouver leur réalisation : « la réalité, ce n’est pas seulement l’ensemble des possibles
actualisés, mais les virtualités dites “impossibles”, laissées pour compte par l’histoire se faisant dans

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son imperturbable et aveugle avancée dominatrice ». Nomade, en quête d’une réalisation, vaincue
mais cependant écrite, l’utopie hante comme un arrière monde celui des réalisations. C’est dans la
figure de l’étranger qui fait cohabiter en lui «  le proche et le lointain  » qu’on pourrait la déceler  :
«  Elle agit comme l’étranger dans une contrée bornée et chauvine (...) Il vient d’ailleurs, installé
parmi nous dont il fait éclater les mesquineries et les travers  ». Ironique et révélatrice, la pensée
nomade est la forme que prend l’utopie quand s’extrayant de l’espace elle conquiert la temporalité.
Si cette pensée prend racine en Fourier (« exemple même d’une utopie non arrogante et nomade »)
elle n’en est point cependant morte avec lui. Plus encore, si Fourier se méfiait du terme même
d’utopie dont il ne faisait pas usage pour lui, il ouvrait à sa modernité la plus radicale. Contre la
localisation et dans le sens du nomadisme (« loin de se laisser enclore, comme on l’a trop longtemps
interprétée, dans le cloître d’un phalanstère, elle n’a de sens que par l’occupation de la terre entière
qu’elle sillonne avec des bandes industrielles et amoureuses, entretenant à sa surface un incessant
va-et-vient ») [15] l’utopie de Fourier « revendique (...) le réel à l’inverse des leurres que les sciences
politiques et morales, économiques, présentent à une humanité abusée ». Alors face au constat de
Debord sur le spectacle généralisé, à celui de Baudrillard sur le monde devenu simulacre, la
perspective ouverte par Fourier pourrait bien apparaître comme un retour du réel, ou comme un
retour vers le réel. En ce sens en effet Schérer montre combien Fourier est lucide de la dérive prise
par le monde vers sa déréalisation : « avec son ironie accoutumée, son inimitable naïveté, sincère ou
feinte, Fourier met au compte de “l’oubli” l’incapacité des modernes à résoudre les problèmes
politiques, économiques et sociaux qui les assaillent » [16]. L’oubli guérit du problème qui ne peut
se poser, l’oubli permet au monde de se déréaliser en mettant entre parenthèse le monde du
concret.

C’est dans cette perspective que Schérer parcourt un tracé de l’oubli levé et donne à lire quelques
ponctualités de retour de concrétude. Parmi celles-ci il est intéressant de remarquer la conjonction
Fourier-Deleuze. Si ce dernier n’a jamais “travaillé” Fourier qui n’entre pas dans ses références
explicites, il n’en subsiste pas moins, comme le pressent Schérer, qu’il pourrait très bien être vu
comme un héritier de Fourier, ou encore comme un fouriériste contemporain. Sa conceptualisation
du multiple retrouve les rêveries de Fourier autour de ce même multiple. Et cette phrase épigraphe
utilisée par Schérer viendrait expliciter la correspondance  : «  le concept est le contour, la
configuration, la constellation d’un événement à venir  ». Or ces contours que Schérer trace
fonctionnent comme des points dans une généalogie dont Fourier est l’origine(« “l’utopie qui vient”
dont Fourier a tracé les lignes d’orientation et les contours », p. 220) et dont Deleuze pourrait être
l’aboutissement théorique. Même si, pour cela, il s’agit, pour Schérer, de « forcer le ton, quitte à être
infidèle à la rigueur conceptuelle, en détournant à mon profit vocabulaire et concepts, les
transformant en éléments de ma propre “philosophie portative” » [183]. En ce sens l’Utopie nomade
pourrait être née de la rencontre de la vision du multiple selon Fourier et de la théorie du

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nomadisme développée par Deleuze et Guattari, dans la préoccupation propre de Schérer, déjà
développée dans Zeus Hospitalier, autour des notions d’errance et d’hospitalité. Que ce livre
paraisse en même temps que la réédition de son Charles Fourier ou la contestation globale, vient
comme pour montrer le lien tissé depuis cette rencontre avec Fourier, qui lie l’origine à ses
aboutissements, en une diffraction sans cesse dédoublée ou multipliée par d’autres rencontres. C’est
ainsi que se tisserait la voie du multiple.

Si les utopies nomades montrent avec clarté les enjeux contemporains ouverts par la pensée de
Fourier on peut regretter que la réédition «  corrigée et augmentée  » de Charles Fourier ou la
contestation globale ne soit pas accompagnée de quelques lignes sur la permanence des études
fouriéristes, ou d’une bibliographie plus complète.

Louis Ucciani

Louis Ucciani enseigne la philosophie à l’Université de Franche-Comté. Il collabore


depuis leur création aux Cahiers Charles Fourier. Ses axes de recherche récents
interrogent la genèse et la structure de l’art contemporain. Il a notamment publié
Charles Fourier ou la peur de la raison (Paris, Kimé, 2000) ou encore de Saint-
Augustin ou le livre du Moi (1998). Dernier ouvrage paru : Le geste du peintre (2003).

Les autres articles de Louis Ucciani


Notes

[1] Utopies nomades, p. 10.

 . 

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