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Hubert Landier
Le management du
risque
social
Éviter
les tensions et
le désengagement
© Groupe Eyrolles, 2005, 2013
ISBN : 978-2-212-55516-5
Sommaire
Introduction ...................................................................................... 9
La diversité des risques ......................................................................... 10
La dimension humaine de l’entreprise envisagée en termes de risque .... 12
CHAPITRE 1
Le risque social aujourd’hui en France ................................... 15
Accident, crise et rupture : trois formes de risques à ne pas confondre.. 17
La grève routinière ou accidentelle ..................................................... 17
La crise sociale.................................................................................. 19
La rupture sociale............................................................................. 21
L’évolution du modèle social français ................................................... 23
La crise du modèle social traditionnel ................................................ 24
Les difficultés de mise en œuvre en France du modèle managérial anglo-
saxon ............................................................................................... 27
Le développement de la tendance au désengagement ............................ 29
La diversité des risques sociaux aujourd’hui.......................................... 31
De nouveaux risques internes ............................................................ 31
De nouveaux risques externes ............................................................ 36
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CHAPITRE 2
L’évaluation du risque social ..................................................... 43
Les deux sources du risque social .......................................................... 45
Le risque social endogène................................................................... 46
Le risque social exogène ..................................................................... 54
L’interférence entre risque endogène et risque exogène.......................... 59
Les coûts résultant du risque social ....................................................... 61
La réalité financière du risque social .................................................. 62
Le coût d’un mouvement de grève ...................................................... 65
Les coûts en termes de perte d’efficacité ............................................... 67
Les coûts en termes de détérioration de l’image.................................... 69
L’évaluation globale du risque ........................................................... 70
CHAPITRE 3
La multiplication des « irritants » ............................................. 73
L’image que la direction donne d’elle-même ........................................ 76
L’éloignement des centres de décision .................................................. 77
L’absence de reconnaissance du travail accompli ................................. 78
Le manque de courtoisie.................................................................... 78
L’incapacité à présenter un projet mobilisateur ................................... 79
Le manque de cohérence visible de l’équipe de direction....................... 80
Le comportement de l’encadrement ..................................................... 81
La définition insuffisante des rôles respectifs du n + 1 et du n + 2 ........ 82
La présence insuffisante sur le terrain ................................................. 83
Le comportement autoritaire ............................................................. 84
L’incapacité à animer l’équipe........................................................... 84
L’incapacité à faire progresser les personnes ......................................... 85
L’existence d’ordres et de contre-ordres................................................ 86
L’absence d’informations claires et complètes....................................... 86
L’absence de réponses aux questions, aux demandes
et aux suggestions d’amélioration ....................................................... 87
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CHAPITRE 4
La prévention du risque social ................................................ 111
Veille, anticipation et prévention des risques d’origine interne ........... 112
La veille sociale .............................................................................. 113
L’anticipation et la prévention du risque.......................................... 118
Veille sociétale et anticipation des risques d’origine externe................ 124
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CHAPITRE 5
Au-delà du risque social ............................................................ 139
Une question qui relève de la philosophie politique............................ 141
Unilatéralisme ou multilatéralisme ?................................................ 143
Shareholders ou stakeholders ?....................................................... 145
Qui doit avoir le dernier mot ? ........................................................ 147
Les règles du jeu à promouvoir ........................................................... 155
Peut-on se fonder sur une promotion de l’éthique des affaires ? ........... 156
S’agit-il seulement d’une question de « gouvernance » ? ..................... 158
Le problème de l’équilibre des pouvoirs............................................. 164
guer avec les partenaires sociaux, dont ils ont par ailleurs une image
extrêmement négative. Dans ces conditions, ils attendent de plus en
plus du DRH de :
maintenir la paix sociale ;
contenir et, si possible, réduire les frais de personnel ;
prendre en charge les complications résultant d’une législation
réputée trop rigide ;
procéder dans les meilleures conditions de coût, de délai et de
discrétion aux licenciements qu’impose le redéploiement des acti-
vités de l’entreprise au plan mondial.
Selon une telle problématique, il n’y a pas de place pour le
« dialogue social », pas plus que pour la générosité, les convictions
éthiques ou l’amour des arts. Il s’agit d’une préoccupation exté-
rieure à l’objet social de l’entreprise et aux qualités que requiert son
management. Au mieux y verra-t-on l’une de ces aimables « excep-
tions françaises », au même titre que le camembert, le cognac ou le
béret basque. Autant dire que le DRH qui expose au directeur
financier les beautés du dialogue social n’a aucune chance de se faire
entendre. Or, c’est bien le directeur financier qui, en dernier
ressort, tient les cordons de la bourse. Moyennant quoi, celui-ci se
trompe lourdement en prétendant négliger le « social » ou en
prétendant le réduire aux préceptes enseignés à Harvard ou ailleurs.
Le social, en effet, risque de coûter très cher à l’entreprise s’il n’est
pas pris en considération. Il représente un risque à part entière au
même titre que le vieux risque incendie, et c’est en ces termes que le
DRH doit désormais le présenter s’il veut avoir quelque chance de
susciter l’intérêt de son interlocuteur. Tel est le parti pris qui a été
adopté dans ce livre.
À cela, il convient d’ajouter que le risque social évolue et qu’il peut
n’être pas visible. Aux conflits collectifs classiques se substitue de plus
en plus une tendance au désengagement des salariés. Le désengage-
ment consiste à être physiquement présent mais moralement ailleurs, à
faire le minimum de ce qui est prescrit et à utiliser toutes les échappa-
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A – Le comportement de la direction
L’éloignement des centres de décisions.
L’absence de reconnaissance pour le travail accompli.
Le manque de courtoisie.
L’incapacité de présenter un projet mobilisateur.
Le manque de cohérence visible de l’équipe de direction.
B – Le comportement de l’encadrement
La définition insuffisante des rôles respectifs du n + 1 et du n + 2.
La présence insuffisante sur le terrain.
Le comportement autoritaire.
L’incapacité à animer l’équipe.
L’incapacité à faire progresser les personnes.
L’existence d’ordres et de contre-ordres.
L’absence d’informations claires et complètes.
L’absence de réponses aux questions, aux demandes et aux suggestions
d’amélioration.
Les défaillances dans le traitement des symboles.
C – La composition sociologique de l’établissement
Les querelles entre anciens et nouveaux.
Le déséquilibre démographique excessif en faveur des anciens ou des jeunes.
L’absence d’une représentation fidèle des griefs et des desiderata du personnel.
L’existence de groupes sociaux fortement typés du point de vue ethnique,
sociologique ou professionnel.
D – La mise en œuvre des méthodes de management
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Les salariés ont réussi, au prix de gros efforts, à faire face à un surcroît
momentané d’activité et au travail supplémentaire généré par la mise en
place d’un nouveau logiciel de gestion. Celle-ci, en fait, s’est révélée beau-
coup plus hasardeuse que ne voulait le reconnaître la SSII chargée de sa
conception et de son installation. Malencontreusement, le montant de
l’intéressement, qui a été calculé par rapport aux résultats de l’année
précédente, selon des modalités qui échappent à la compréhension de la
très grande majorité des salariés, se révèle extrêmement décevant. Inter-
prétation par le personnel : la direction ne reconnaît pas nos efforts et n’y
attache aucune importance. Elle est, en fait, prisonnière de la logique à
laquelle, à ses yeux, obéit le calcul de l’intéressement, sans compter le
discours optimiste que lui tiennent les consultants de la SSII qui ne
veulent pas admettre la réalité des bugs qui affectent le logiciel.
Le manque de courtoisie
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LE COMPORTEMENT DE L’ENCADREMENT
Les enquêtes de climat social conduisent fréquemment à la détec-
tion d’insuffisances dans la façon dont l’encadrement, et plus spéci-
fiquement l’encadrement de proximité, joue son rôle sur le plan
humain et social. Il est vrai que, face à des jeunes fraîchement
débarqués dans la vie professionnelle, la tâche n’est pas facile. Or,
après des décennies de discours de consultants sur « la dimension
humaine de l’entreprise », l’encadrement y est souvent mal préparé :
Les réorganisations de l’entreprise ont parfois eu pour consé-
quence de déstabiliser l’encadrement de proximité. Le chef
d’équipe est devenu « superviseur » ; on lui a bien fait
comprendre qu’il n’était pas là pour hurler des ordres et
engueuler les récalcitrants, mais pour animer l’équipe et aider
ceux qui se trouvaient en difficulté. Or, entre la théorie et la
pratique, entre ce qu’imaginent les dirigeants et ce qui se passe
réellement sur le terrain, l’écart peut être important.
L’encadrement se plaint fréquemment d’être accaparé par des
tâches de reporting, par la multiplication des réunions et par la
nécessité de tenir, coûte que coûte, les objectifs opérationnels.
Bref, ce sont les résultats qui comptent. Dans ces conditions, les
nobles propos sur la dimension humaine de l’entreprise se trou-
vent largement rejetés à l’arrière-plan, « quand on trouvera le
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temps ».
Jeunes ingénieurs et jeunes managers ne sont pas toujours à la
hauteur de la situation. Certains d’entre eux semblent considérer
82 LE MANAGEMENT DU RISQUE SOCIAL
qu’il suffit de donner des ordres, comme leur haute fonction leur
en donne le droit, pour être assurés d’être obéis ; d’autres s’inté-
ressent plutôt à la technique, au marketing ou à la gestion finan-
cière ; d’autres, enfin, donnent l’impression de se préoccuper plus
de leur carrière que des hommes qui les entourent.
Bref, les « encadrants » donnent souvent d’eux-mêmes, à ceux qu’ils
encadrent, une image qui contribue largement à expliquer la dégra-
dation du climat social. On laissera de côté les cas pathologiques de
harcèlement ou de discrimination (raciale, syndicale ou sexuelle)
pour s’en tenir aux situations les plus fréquentes. On en distinguera
neuf, ce qui est déjà beaucoup.
c’est lui, en effet, qui mène les entretiens annuels d’évaluation et qui
décide des augmentations individuelles. Mais il ne sait plus très bien ce
que fait chacun et comment il doit s’acquitter de sa tâche. Quant aux
superviseurs, ils expriment leur frustration : ils récoltent les problèmes
LA MULTIPLICATION DES « IRRITANTS » 83
— Et pourriez-vous leur dire, dans votre rapport, que le ménage est mal
fait ?
… ?
— Oui, la société de nettoyage ne fait pas son boulot ; regardez, il y a de
la poussière partout.
— Peut-être pourriez-vous en parler à votre patron ?
— Vous n’y pensez pas. D’abord, on le voit très peu. Ensuite, ce n’est
même pas la peine que je lui en parle.
— Alors peut-être pourriez-vous le signaler au CHSCT ?
— Le quoi ?
Cette dame est murée dans son problème quotidien : personne à qui
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Le comportement autoritaire
L’exercice de l’autorité, avec le renouvellement des générations,
exige un style qui ne peut plus être ce qu’il était il y a vingt ans,
quand il pouvait sembler « normal » à quiconque de se faire
engueuler, de préférence en public. Les jeunes accordent la plus
grande importance au respect qu’on leur témoigne, ou non. Mais,
en même temps, ils attendent conseils et orientations. L’exercice de
l’autorité relève ainsi de la quadrature du cercle. Or, nombre de
ceux qu’on appelait les « petits chefs » ne connaissent guère que le
modèle taylorien dans lequel ils ont baigné depuis les débuts de leur
vie professionnelle. Il peut en résulter, venant de jeunes souvent
mieux formés techniquement, des réactions fortes de rejet devant
des méthodes qui leur semblent à la fois archaïques et irrespec-
tueuses à leur égard.
Une usine, près de Belfort, fait l’objet d’un mouvement de grève très dur,
dont les principaux acteurs sont de jeunes ouvriers qui se donneront le
surnom d’« Apaches ». Il s’agit d’une usine toute nouvelle, dont le
personnel est constitué de jeunes qui sortent tout juste du CFA. L’enquête
de climat social qui suivra révèle alors l’ampleur de l’incompréhension qu’il
pouvait y avoir entre les uns et les autres. « Le problème, affirme un agent
de maîtrise d’âge mûr, c’est que lorsqu’on leur donne un ordre, au lieu de
l’exécuter, ils vous répondent. » « Le problème, affirme en retour un jeune
ouvrier, c’est que, si on leur demande une explication, ils ne vous répon-
dent pas, alors, évidemment, il faut se mettre à plusieurs pour gueuler un
peu fort. » Entre ceux qui répondaient et ceux qui ne répondaient pas, le
clash était donc prévisible.
sent par principe, mais aucun modèle n’est venu remplacer celui
qu’ils rejettent. Ils s’en remettent donc volontiers au sens des
responsabilités de leurs collaborateurs, ou craignent les réactions
LA MULTIPLICATION DES « IRRITANTS » 85
Cette usine a longtemps été dirigée d’une poigne de fer, par un directeur
énergique, considéré à la fois comme très compétent et abusivement
autoritaire. Mieux valait pour les ouvriers, dans ces conditions, éviter de se
faire remarquer par des idées qui n’auraient pas été celles du chef. Or, parti
en retraite, celui-ci laisse place à un manager animé de la volonté de
mettre en place un management participatif faisant appel à la responsabi-
lité et au sens de l’initiative des ouvriers. Ayant été habitués à se contenter
d’exécuter les ordres qui leur étaient donnés, ceux-ci auront, dans un
premier temps, le sentiment d’être désormais laissés à eux-mêmes. Ce
n’est que progressivement qu’ils prendront la liberté, jusqu’alors dure-
ment réprimée, d’exprimer leurs idées et leurs suggestions.