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LES GARDIENNES

Au plus profond de l'infinité cosmique,


Entre les astres et les dimensions profondes,
La lumière se propage en des salves rythmiques,
Sur la mesure des insondables Gardiennes du Monde.

Leurs pas étincellent dans l'éther comme les astres en mouvement,


Elles louent le céleste infini, dansant leur dévotion humblement.
Traversées des flots de la valse qu'elles mènent,
Elles exultent dans le torrent qui les assène.

Elles sont omniscientes, savent tous les desseins,


Et toujours dansent pour honorer le destin.
Entre les rayons d'argent et l'éther cosmique,
La houle intense de leur tournoiement rythmique,
Est toujours prophétique.

Prologue
[A DEPLACER AU DEBUT TOME 2 ]

Dans le fond de l'air il y eut un sifflement lent et léger, si doux qu'il en était grave. Deux
Shinobis se faisaient face dans le col large des montagnes de l'ouest, et une centaine d'autres
les observaient depuis le flanc de celles-ci. L'un des deux Shinobis s'inclina, le second suivi
aussitôt. Sous leurs masques blanc affublés de formes abstraites peintes en rouge, aucun
d'eux ne laissait paraître la moindre émotion, et seuls leurs regards fixés sur l'autre étaient
perceptibles.
"Schisan, que la honte soit sur toi ! Tu as enfreint les règles du temple, nous sommes
venu ici pour te punir.
-Assez. Vous êtes venu ici pour combattre, alors pas besoin de discussion.
-Vous l'aurez voulu !"
Amunt, son ennemi, frappa son pied d'un coup sec sur le sol en élargissant sa posture
et relevant ses épaules, puis frappa face à lui de sa paume. Le sol trembla et un sillon partit
en un instant en direction de Schisan. Mais celui ci ayant vu le coup venir sauta rapidement,
prenant l'impulsion pour sauter en vrille. Lorsque le sillon arriva au niveau de Schisan,
Amunt, qui était resté dans sa posture, fléchit d'un coup les bras à l'horizontale en les
écartant de chaque coté. Du sillon emergea un arceau de roche qui manqua de peu de
percuter Schisan, qui tourbillonnait encore dans les airs en tirant des couteaux sur son
adversaire. Ce dernier fit un pas en arrière et un quart de tour en tirant un mur de pierre avec
son bras qu'il monta vers le ciel, puis fit un saut fulgurant pour se mettre en retrait. Schisan
s'agrippa au bas flanc du relief et se propulsa, il tendit d'un geste sec son bras vers Amunt
pour cracher une gerbe de flammes infernales. Son adversaire se protégea en accolant ses
bras face à lui, aspirant toute l'eau de la végétation et l'humidité de l'air ambiant en un
bouclier aqueux. Le choc ne dura qu'une seconde. Assez pour que Schisan surgisse aussitôt
du nuage de vapeur pour frapper de sa paume contre la poitrine d'Amunt, qui fut propulsé et
allât s'écraser au le sol sur plusieurs mètres. Encore trop étourdit, il ne sentit pas le sigil
évanescent apposée sur son torse. Schisan observa son rival que le sigil luminescent
consumait de l'interieur, happant son essence vitale et la recrachant en des émanations
flamboyantes. Il vit le dernier souffle de vie s'échapper du regard d'Amunt, lorsque son cœur
n'était plus qu'un foyer brûlant. Mais Schisan ne sentit pas de suite non plus son sang
devenir plus acide et sirupeux. Lorsqu'il releva la manche de sa tunique, il vit une petite
piqûre depuis laquelle s'éxorbitaient ses veines. Il sentit quelque chose s'éteindre en lui, puis
perdit connaissance.
SOMMAIRE

CHAPITRE 1 : Les adeptes de Sofia


CHAPITRE 2 : Conseil de crise
CHAPITRE 3 : Halte à Bresa
CHAPITRE 4 : Ergus
CHAPITRE 5 :
CHAPITRE 6 :
CHAPITRE 7 :
CHAPITRE 1 : LES ADEPTES DE SOFIA

Dans l'étroite obscurité de la forêt d'Odsun, un homme avançait seul dans la nuit
noire. L'air froid était sec et agressif, et les cris des animaux nocturnes résonnaient en écho
jusqu'à la cime des arbres. Alors qu'il marchait à l'ombre d'un sentier brumeux, Senph, un
homme élancé à la démarche confiante, entendit quelqu'un arriver. Il se cacha rapidement en
retrait d'un petit bosquet pour attendre le malheureux passant, la main au fourreau prête à
l'action. Le passant à cheval avança tranquillement jusqu'au niveau de Senph, sans se douter
un instant que ce dernier l'observait dans l'ombre. Une fois le cavalier un peu avancé, Senph
sorti de sa cachette : « Halte rôdeur ! Tu n'es pas un soldat Impérial alors je ne te tuerais pas,
tu peux t'estimer chanceux ! Néanmoins, je vais avoir besoin de ton cheval.
— Qui va là derrière ce capuchon ? Qui que vous soyez, je ne vais certainement pas vous
laisser mon cheval ! Rétorqua le passant, qui essayait de passer outre sa stupeur pour garder
son sang froid. Il essayait en vain de discerner le visage de Senph derrière son large
capuchon.
— Soyez raisonnable... Expliqua doucement Senph. Les nuits sont dangereuses vous
savez...
— Je vous propose quelque chose, montez avec moi ! Je vous dépose, vous ne me tuez pas,
et tout le monde est content ! »
Senph pris une seconde pour réfléchir. Le passant était chétif et fuyant, mais mal
intentionné, aurait-il su le dire ? Pour le moment Senph avait pu garder son visage caché
sous son masque et son capuchon, « tant mieux, on ne sait jamais » pensa-t-il. Il accepta
finalement l'offre, et ils entamèrent ensemble une route qui fût bien moins longue à cheval
jusqu'au pied du Mont Cosmocréat. Le passant essaya bien de demander pourquoi Senph
devait se rendre aussi profond dans la forêt d'Odsun, et pourquoi de nuit, comme si la forêt
était sans risque ? Mais tout ce qu'il eut en réponse fût de savoir que Senph avait perdu son
propre cheval dans un bourbier peu avant qu'ils ne se rencontrent, et qu'il était attendu au
plus vite par des connaissances déjà sur place. Au bout d'un moment, le voyage se fit dans
un silence tendu.
Quand enfin ils eurent remonté tout le long des Montagnes Incandescentes et qu'ils
atteignirent un col au pied du gigantesque Mont Cosmocréat, Senph rompit le silence pour
indiquer le chemin. Il passèrent par des sentiers obscurs et hasardeux, enchassés au pied des
montagnes. Une brume presque surnaturelle s'était levée sans que quiconque ne le remarque,
et les arbres des bosquets alentours semblaient gémir à chaque souffle du vent glacé qui
s'engouffrait dans la gorge montagneuse. « Nous sommes arrivés » chuchotta Senph. Au
détour du sentier qu'ils empruntaient, le passant remarqua plusieurs corbeaux nichés dans
les arbres mourrants, et dont les yeux rouge vif flamboyaient d'une énergie mystique au
milieu d'une nuit sombre et nuageuse. Le passant ne put défaire son regard de leur emprise,
comme s'il était hypnotisé. Les yeux fixes, la bouche bée, il chuta soudainement du cheval
dans d'incroyables convulsions inarrêtables. Senph lui, arrêta le cheval et descendit comme
si de rien n'était pour aller attacher la monture à un arbre. Sans plus prêter attention au
pauvre bougre qui se tordait de douleur dans une agonie étouffée, il se dirigea vers le flanc
de la montagne, là ou les corbeaux s'étaient ammassés. Sur un pan de roche dréssé devant
lui, on pouvait distinguer des rainures propres et nettes qui courraient en courbes le long des
aspéritées. Un léger tremblement parcouru alors le coeur de la roche lorsqu'il caressa les
rainures.
Senph s'en retourna vers le cheval et passa à côté du passant, gisant au sol les yeux
écarquillés et les lèvres coulant d'une mousse jaunâtre. Chuchotant un "merci" un peu
confus, Senph remarqua alors deux silhouettes sortant d'une faille finement taillée dans le
pan de roche selon le tracé des rainures, puis qui se résorba aussitôt pour ne laisser paraître
que les rainures nettes sur la roche. Ceci n'étonnant visiblement personne, les deux
silhouettes interpellèrent Senph : « Alors, pourquoi as-tu mis tant de temps ? Demanda
Jhorac, un homme grand et costaud, vêtu du même capuchon et de la même cape que Senph.
— Comme je l'expliquais à ce bonhomme, dit-il en pointant le malheureux agonisant, j'ai
perdu mon cheval dans un bourbier à l'entrée de la forêt, ça m'a pas mal retardé. Quelle est
l'affaire urgente pour laquelle tu nous as rassemblé au sanctuaire ?
— Sofia, notre Gardienne, a eu vent d'un mal qui allait s'abattre sur notre plan, elle n'as pu
percevoir que des bribes mais elle prévoit une catastrophe sans précédent. Expliqua Jhorac.
— Selon Sofia, ce mal serait à l'œuvre depuis des dizaines d'années déjà, à se préparer... On
doit l'en empêcher et découvrir ce qu'il se trame. Reprit Rheun, la deuxième silhouette qui
n'avait dit mot jusque là. Rheun était un homme talentueux mais borné, qui ne faisait que
trop peu confiance aux autres -Cela dit, il semble que ça lui ait réussi jusque là.
— C'est étonnant que Sofia n'ait rien vu avant, vous savez pourquoi ? Demanda Senph.
— On soupçonne que l'entité à la base de ce phénomène sache qu'on risque de lui tomber
dessus, et qu'elle efface volontairement ses traces. Répondit Jhorac qui visiblement était à
fleur de peau. Sofia ne percevait auparavant qu'une sorte de murmure à peine décelable
parmi tout le bruit qu'elle percoit, mais recemment ce murmure se serait accentué...
Drastiquement... En revanche on ne sait pas ce qui serait assez puissant pour berner une
Gardienne, de surcroît Sofia, et ce pendant des années !
— Mais elle sait où le prochain rituel va se produire, reprit aussitôt Rheun qui semblait
vouloir en découdre, et nous devons y aller au plus tôt pour sécuriser l'endroit et le
sanctifier, puis poursuivre et arrêter l'entité qui provoque tout ça.
— Très bien, ne perdons pas de temps et allons-y, nous en discuterons plus longuement sur
la route. » Acquiesca Senph.
Senph monta sur le cheval qui l'avait amené jusqu'ici, et Jhorac apporta rapidement
deux chevaux qui semblaient sortir de nul part, un pour Rheun et l'autre pour lui, avant de
commencer leur chevauchée aussitôt vers l'est, avec le désert de Chebet comme horizon.
L'avantage du col dans lequel était niché le Sanctuaire de Sofia, c'est qu'il offre des accès à
l'est comme à l'ouest du continent, une place de choix, bien cachée tout au nord des
Montagnes Incandescentes -qui d'ailleurs ne sont pas à proprement parler incandescentes,
c'est plus une facilité de langage que les gens utilisent car en réalité, cette chaîne de
montagne émet un rayonnement éthéré d'énergie planaire, mais qui donne effectivement
cette impression d'incandescence. Cependant nul ne sait pourquoi...
Parcourant donc les bois de Lodalteï, bien moins dangereux que la forêt d'Odsun
malgré la nuit, les confrères échangeaient sur leur mission : « On ne sait pas à qui ou quoi on
doit s'attendre, il faut savoir quoi faire en arrivant. Annonça Jhorac.
— On peut déjà supposer qu'il n'y a qu'une personne. Au moins deux, avec autant de
capacités réunies, cela aurait forcément attiré l'attention de Sofia, malgré les précautions qui
sont visiblement prises. Conjectura Rheun, le regard interrogateur.
— Je le pense aussi, et je l'espère... Nous aurions plus de liberté pour agir à trois contre un.
Répondit Jhorac. Mais il y a quelque chose qui me turlupine. Comment se fait-il qu'il ait si
bien caché ses traces pendant si longtemps, mais qu'il fasse des erreurs maintenant ?
— Peut-être est-il dans la précipitation ? Peut-être est-ce un piège ? Proposa Rheun.
— Sans doute un piège si vous voulez mon avis, pour qu'il puisse finir ensuite sans nous
avoir dans ses pattes. Pensa Senph à voix haute. Il a visiblement des renseignements sur
nous s' il se cache ainsi, poursuivit-il, et je gage qu'il doit aussi savoir que nous sommes les
derniers survivants parmi les adeptes...
— Je penche plutôt pour le piège aussi, répondit Jhorac, mais nous n'avons pas d'autre choix
que d'y aller.
— Et le problème c'est qu'il fera grand jour quand nous arriverons sur place, on ne sera pas
aussi efficace que de nuit. Souligna Senph.
— Exact, mais nous devrons faire avec, continua Jhorac, l'important c'est d'empêcher le
rituel de s'accomplir, ou au moins l'empêcher de venir à son terme. Et nous savons aussi
qu'il va utiliser le monolithe à l'orée du bois pour son rituel. Au moins nous aurons une vue
dégagée de là bas si c'est effectivement un piège, et de toute façon vous saurez quoi faire, je
sais de quoi vous êtes capables.
— À mon avis, on ne pourra pas briser le monolithe si le rituel est en cours, expliqua Rheun,
on devra sans doute recourir à un sigil pour contrecarrer son achèvement.
— Une fois de plus je suis d'accord avec toi Rheun, répondit Jhorac d'un ton grave,
seulement je suis le seul à connaître vraiment l'enchantement, et cela va salement nous
compliquer les choses si le rituel est effectivement déjà en cours à notre arrivée.
— Rheun et moi pourront intercepter la chose pendant que tu traces le sigil ? Proposa
Senph.
— Pourquoi pas mais, s'il y a urgence, j'aurais besoin de l'un de vous pour le tracer plus vite.
Vu la taille du monolithe, c'est un très grand sigil qu'il va nous falloir. » Répondit Jhorac,
qui semblait un peu angoissé.
Je me dois d'éclaircir un point avant toute autre chose. On nomme généralement
"enchanteur" les rares personnes qui ont su maîtriser l'art complexe de l'écriture des sigils,
ces cercles arcaniques composés de runes, qui sont dessinés, taillés ou gravés et qui ont
d'extraordinaires propriétés, des plus utiles aux plus inattendues, qui peuvent aussi bien
canaliser un rituel profane que l'amplifier, s'il n'est pas bien exécuté. Mais Jhorac est un
enchanteur aguerri qui pratique depuis le plus jeune âge, et ses confrères ont toute confiance
en lui.
Les trois adeptes continuèrent leur chevauchée pendant plusieurs heures jusqu'au
petit matin. Discutant de temps à autre : « Au fait, commença Rheun qui interpellait Senph,
tout à l'heure tu disais qu'on est les derniers des adeptes. Mais je croyais que Sofia avait
trouvé une potentielle recrue qui pourrait être au niveau ?
— Oui c'est vrai, répondit Jhorac, c'était il y a à peu près un an. Mais depuis Sofia n'y a pas
refait allusion, et de toute façon sans mentor, un apprenti aurait du mal à devenir un vrai
adepte.
— Je te l'accorde... Répondit Rheun. M'enfin, le premier des adeptes...
— Ceontar. Corrigea Jhorac.
— Oui Ceontar, lui il a réussi à tout apprendre tout seul avant de devenir l'émissaire de
Sofia.
— D'accord, mais Ceontar avait clairement des dons hors normes, sans parler de son génie.
Et je te parie que même les autres Gardiennes l'ont surveillé, il avait un destin inégalable, ce
n'est pas comparable.
— Hm, peut-être... Reprit Rheun. Mais de toute façon je suis sûr qu'on est largement de
taille pour régler ce problème, et on sera toujours là après pour former les nouveaux quand il
y en aura. »

Le vent du matin était frais et les rayons du soleil peinaient à se frayer un chemin
entre les feuillages qui voletaient au gré des courants d'air. Les bois étaient animés, on
entendait les oiseaux qui chantaient dans le ciel clair. La chevauchée des trois compères
marquait les temps comme un métronome le long de leur chemin. Tout semblait si calme, si
tranquille... Il n'y avait rien alentour, ni ours, ni sanglier, ni même de gredin pour perturber
leur avancée, comme si c'était le matin idéal pour faire de grandes choses, comme
contrecarrer un rituel ancestral qui altérera tous les plans de la réalité pour l'éternité à venir.
Et toute la journée fût de même. Il s'étaient arrêtés dans l'après-midi pour se reposer
quelques heures et avoir l'énergie de voyager de nuit. En effet, si le commun des mortels
évite les trajets de nuit, les adeptes de Sofia n'ont pas cette contrainte, car c'est dans l'ombre
qu'ils maîtrisent au mieux les capacités formidables que leur confère Sofia, la si mystérieuse
Gardienne égarée.
L'histoire de Sofia n'est pas encore mon propos, mais si je devais essayer d'être
conscis, c'est une des innombrables Gardiennes cosmiques qui veillent de tout temps sur les
différents plans de la réalité. Cependant, Sofia s'est jadis égarée dans cette dimension, et y
est piégée depuis. Ses "adeptes" eux, ont un don inné pour la percevoir, avant même de
devenir disciple et de pouvoir accéder à son incommensurable puissance. Néanmoins, ceux
qui peuvent se targuer d'un tel don sont aussi rare qu'une goutte d'eau l'est dans le désert.
Quoiqu'il en soit, Jhorac, Rheun et Senph avaient repris leur route en fin d'après midi
et voyagèrent toute la nuit sans embûches, ce qui d'ailleurs les étonna. Bien qu'ils ne furent
pas dérangés depuis le petit matin, ils n'avaient aperçu aucun animal, n'avaient plus entendu
aucun gazouillement d'oiseau, et aucun crissement ou grésillement d'insectes. À part le vent
dans les arbres et les buissons, la forêt semblait avoir été désertée.

Il leur aura bien fallu plusieurs jours au galop pour atteindre l'orée de Lodalteï, et
quand ce fut le cas, à l'aube du quatrième jour, ils virent se dévoiler derrière les arbres un
horizon pourpré et lourd, dominant toutes les plaines de l'est dont la vie semblait s'être
absentée. Au loin, le monolithe se dressait de plusieurs mètres hors du sol au centre d'un
vide inattendu, pulsant d'aussi loin d'une énergie pourpre malsaine qui embaumait le ciel. Il
continuèrent d'avancer rapidement dans ce paysage sinistre jusqu'à arriver à bonne distance.
L'air qu'ils respiraient alors était lourd et brûlant, et dans le sol au pied du monolithe se
dessinait d'eux mêmes des sigles profanes incompréhensibles.
« On arrive trop tard ! Le rituel est déjà en cours ! Hurla de rage Jhorac, avant de se rendre
compte qu'il y avait quelqu'un, agenouillé au sol presque à hauteur du monolithe, et qui
semblait souffrir le martyr à en croire ses hurlements. Attendez qu'est ce que c'est ?
— C'est notre gars ? Demanda Senph, les dents serrées.
— Peu de chance, le rituel à été lancé hier à vue de nez, et il a déjà dû partir au prochain
site. Répondit Jhorac, la gorge nouée. Va le voir, c'est certainement un civil trop téméraire,
je vais avec Rheun arrêter le rituel. » Termina-t-il en reprenant le galop avec Rheun, tandis
que Senph se dirigeait vers l'homme au sol.
« Qui êtes vous malheureux ? Que faites vous là ? Ordonna Senph d'un ton inquisiteur alors
que le pauvret agenouillé cessa ses lamentations.
— C'est... C'est vous ? ... Vous êtes les disciples... De la Gardienne ? Susurra-t-il avec
difficulté.
— Qui êtes vous ?! Répéta Senph d'un ton encore plus directif.
— Je m'en doutais... Mais c'est trop tard pour vous... Et pour tous les autres... »
Alors que l'homme se relevait péniblement pour faire face à Senph, un incroyable
choc fît trembler ciel et terre. Le sol se mit à bourdonner, et l'air se fit corrompre par une
énergie malsaine indicible. Le monolithe se mit à rayonner d'une aura pourpre pendant que
des sillons rouge vif se traçaient jusqu'à son sommet. Soudain, dans les yeux de Senph, le
temps s'arrêta. Il put voir jaillir du monolithe écarlate une gerbe explosante d'énergie pure
qui fendit le ciel, suivie par plusieurs autres éparpillés à travers l'horizon. Sept faisceaux au
total, pour relier la terre au ciel. Et soudainement, une fissure de rayonnement se dessina
dans le ciel, irradiant toutes les plaines de sa lumière qui semblait venir d'un autre monde.
La faille de rayonnement s'étendait encore, constituant peu à peu une immense barrière
d'énergie translucide et impalpable, traversant tout le continent du nord-ouest au sud-est,
passant le long du désert de Chebet, et continuant son expansion bien au delà des frontières
du visible. Il ne fallut qu'une ou deux secondes à Senph pour reprendre ses esprits, pour voir
que Jhorac et Rheun avaient disparus et réaliser qu'ils avaient échoué dans leur mission.
Alors, il se retourna vers l'inconnu qui était passé dans une transe mysterieuse sans se
soucier de lui. Tout un halo de fumerole étrange et compacte l'englobait, duquel Senph tenta
de se rapprocher. Mais, lorqu'il fût assez proche, il sentit soudainement de vives lacérations
fulgurantes dans tout son corps et ses membres. Il tomba alors sous la douleur assaillante
qui le tailladait, et se tordait au sol en braillant sa souffrance. Au bout d'une toute petite
minute, qui dura des heures aux yeux de Senph, le mur rayonnant qui s'était levé de part en
part du continent commença à étinceller et à irradier de plus en plus. Senph le sentait, le pire
n'était pas encore arrivé. Tandis qu'il se contorsionnait comme une bête folle, crachant du
sang à chaque respiration, il put voir le mur aveuglant qui implosa. S'affaissant sur lui même
dans un fracas inimaginable, l'ensemble de la barrière se fracturait pour finalement se
désagréger en une monstrueuse onde de choc, se répandant plus loin que nul homme ne
puisse jamais aller. Le choc fût si puissant qu'il meurtrit la terre, scindant le continent en
deux, pendant que les faisceaux d'energie pourpre qui transperçaient le ciel se
désagrégèrent. Le monolithe perdit rapidement sa couleur vive pour retrouver son aspect
initial, et Senph, agonisant au sol, vît l'inconnu sortir de sa transe. Quelque chose avait
changé. Quelque chose en lui était reveillé... Il s'approcha de Senph, à l'article de la mort : «
Tu es encore des nôtres ? Bien, bien... Mais tu n'as pas l'air en forme.
— ...
— Tu sais quoi ? Pour avoir tenu jusque là, je vais te faire un petit cadeau... Tu pourras
rejoindre le domaine des esprits, si difficile d'accès. Tu n'imagines pas comme c'est différent
là bas !
— ...
— Tu vas rejoindre ta misérable Gardienne, et de là-bas, tu auras tout le loisir d'admirer ma
suprématie ! » Termina l'inconnu qui se pencha sur le corps à demi-mort de sa victime. Il
retira son gant et approcha sa main du crâne de Senph, qui y distingua un étrange sigil
comme il n'en avait jamais vu, tatouée à même la paume. Senph ne put retenir un dernier
hurlement de douleur quand l'inconnu apposa sa paume évanescente son front, et que sa tête
toute entière se mît à bouillir. La trace du sigil encore rouge vive marquée sur le front, il
tomba finalement raide mort au sol.
CHAPITRE 2 : CONSEIL DE CRISE

Rel-Tavem, la Cité Impériale. Majestueuse et chatoyante capitale du sus-nommé


Empire, elle est perchée sur les hauteurs des falaises qui longent le littoral sud, et elle veille
sur le continent comme une sentinelle en haut de son mirador. Car si quelques régions
reculées n'ont pas été annexées par l'Empire, son expansion dura plus d'un siècle pour ne
s'arrêter qu'en l'An 112, durant le règne de Borumdur 1er, qui fût assassiné lors de sa
tentative de conquête de l'archipel d'Archaï, ce qui arrêta là les désirs de conquête de
l'Empire. Depuis lors, le territoire Impérial s'étend des Îles de Lareb-Dan jusqu'au désert de
Chebet, mais cinquante-quatre ans plus tard, les relations avec les territoires indépendants
sont toujours aussi glaciales si ce n'est inexistantes, bien que l'Empereur actuel soit
autrement plus diplomate que Borumdur 1er en son temps. En effet, Milemnith 1er,
Empereur au pouvoir en cet An 166, s'affaire judicieusement à la tâche depuis déjà quatorze
ans, et est également bien loin des méthodes barbares de son père Filenith 1er, mort il y a de
cela quarante-trois ans. Sa mère, Dolnarae, dite "la bienveillante", régna vingt-neuf ans
avant de mourir de vieillesse, laissant le trône à son second fils, seul encore vivant, le
fameux et bien nommé Milemnith 1er, "l'éclairé". Il s'agit d'un homme de grande taille et de
forte carrure, dissimulée sous les différentes couches de vêtements luxueux brodés de
pourpre et d'or. Il était également doté d'une courte barbe fournie taillée avec précision, sous
un visage charismatique et un regard puissant. Il était coiffé de cheveux blonds cuivrés jetés
en arrière, cerclés par une couronne pourpre elle aussi, et modestement parsemée de rubis et
de quelques saphirs, tous reliés par des enjolivures du plus bel effet.
Niché au cœur du Palais Impérial, l'Empereur Milemnith 1er venait de convoquer un
conseil extraordinaire, avec à l'appel les plus grands pontes étant actuellement dans la Cité.
La salle du conseil, dans laquelle l'assemblée allait se tenir, est une salle largement
démesurée avec une hauteur sous plafond d'au moins six mètres et dotée de multiples
colonnades et arcs plafonniers qui serpentent au-dessus des têtes. Du haut de son quatrième
étage, la salle offre de surcroît une vue panoramique sur toute la cité, les plaines et jusqu'aux
montagnes incandescentes, au travers de ses immenses vitraux enchâssés sur tout le pan
nord de la salle. En somme, une moindre vue sur l'immensité de l'Empire fédéré. Au centre
de la pièce est plantée une longue table solitaire en hêtre verni, et parcourue par un chemin
magnifiquement tissé de lin -et soyez-en sûr, une manufacture de cette qualité ne peut venir
que d'une tisseuse de Chebet. Il n'en reste pas moins tout le mobilier luxueux, les bannières,
ainsi qu'un alignement des écussons de chaque Empereur jusqu'alors. Sept en tout, mais
dont nous aurons tout le loisir d'en étudier le parcours plus tard. Évidemment, il y avait
également la protection rapprochée de l'Empereur : la Garde Barundur. Plusieurs
Sentinelles étaient postés dans toute la salle, et le Légat, à la tête de la fameuse Garde, qui
ne quittait pas l'Empereur d'une semelle -à noter que seuls les eunuques et les femmes
peuvent prétendre intégrer la prestigieuse Garde Barundur, une volonté de Barundur 1er en
personne qui à l'époque craignait pour la fidélité de l'Impératrice, et au fil du temps la Garde
conserva cette condition de recrutement.
Mais revenons en au fait, car l'Empereur patiente dans le fond de la salle depuis déjà
plusieurs minutes. Debout face à l'horizon, il observe son empire au travers des superbes
vitraux colorés, tandis qu'une poignée de corbeaux viennent se poser de l'autre coté sur la
corniche, sans faire plus de bruit que le simple battement de leurs ailes à l'atterrissage. Les
premiers convoqués commençèrent alors à arriver. Bien sûr, le Grand Conseiller Irrod -un
homme humble et perspicace, et à l'allure toujours élégante- était déjà à sa place, à la droite
du magnifique et imposant siège Impérial sculpté d'une main de maître, brodé de pourpre et
d'or et orné du sceau Impérial : un lys cerclé par une couronne de laurier

[ ANNEXE organigramme ]

Les premiers à arriver fûrent Salem, Cosmologue et Logothète du Culte, ainsi que
son apprenti Haït, qui s'assirent du côté opposé à Irrod, en prennant soin de laisser libre la
place juste à gauche de l'Empereur. Salem était un vieil homme, très expérimenté et
particulièrement compétent, et Haït lui était un jouvenceau discret et effacé, mais au talent
certain. Vinrent après eux Peledrin, Ervin, Nedal et Dailorn, qui sont respectivement
Logothète de la Plèbe, Chartulaire de l'armée de la Cité, Chartulaire de l'armée d'Odsun, et
enfin Logothète des Armées. Peledrin, Logothète de la Plèbe, était un homme malingre au
visage disharmonieux, provocateur mais à la réthorique bien aiguisée. Ervin, Chartulaire de
l'armée de la Cité Impériale, était un petit homme trapu au visage rondouillet, respecté de
ses troupes. Nedal, Chartulaire de l'armée de la province d'Odsun, était lui un homme
athlétique et au visage buriné, ayant fait ses classes dans la Maison-Forte réputée pour être
la plus dangereuse de tout l'Empire : celle de Landt qu'il dirige désormais. Et Dailorn,
Logothète des Armées Impériales, était pour sa part un homme immense, bourru et
impassible, stratège hors-pair ayant fait ses preuves à maintes reprises.
Du beau monde qui s'installa à la suite d'Irrod, suivi de peu par Joerc, Chartulaire de
la Loge des Druides de la Cité, un homme propre sur lui qui est toujours pressé,
accompagné de Lodt, Druide de premier ordre, visiblement peu à l'aise et vêtu d'une longue
toge mal entretenue, qui vit dans les étroits versants sud des Montagnes Incandescentes. Et
enfin ce fût au tour de Dzaekh et Sajul, deux amis proches qui sont respectivement
Chartulaire de la Loge des Enchanteurs de la Cité, et Alchimiste de premier ordre. Dzaekh
était un homme costaud à l'air gentillet, toujours plongé dans des livres, tandis que Sajul
était un homme élancé au visage creusé, qui vit presque sans interruption dans son atelier.
Tout deux prirent les places restantes au bout de la table, et voyant que tous étaient arrivés,
le grand Conseiller Irrod se leva : « Merci de votre présence à tous. Notre Empereur
Milemnith 1er va vous expliquer de quoi il retourne, bien que vous vous doutiez tous de
quoi il s'agit.
— Messieurs, commença l'Empereur qui se tournait doucement vers son audience en
dévoilant une mine lourde et anxieuse, l'heure est à la catastrophe ! Certains d'entre vous ont
certainement vu, continua-t-il d'un ton toujours aussi lourd et grave, il n'y a même pas une
heure que ce mystérieux mur a fendu le continent en deux et a ravagé nos terres du nord au
sud, il nous faut réagir au plus vite ! Enragea l'Empereur Milemnith 1er, en quête de
solutions.
— J'ai vu ce qui c'est passé, intervint alors Ervin, j'étais en patrouille avec quelques uns de
mes hommes sur les remparts nord à ce moment là. J'ai tout vu, la terre à tremblé et j'ai vu
des flambeaux pourpres jaillir vers le ciel à travers tout le continent... Ensuite, le mur s'est
mit à emettre une lumière surnaturelle avant de s'abattre le long des plaines de culture, à
coté d'un des flambeaux. On l'a ressenti jusque dans les pierres des fondations, j'ai bien cru
que la fin était arrivée... Ce n'est qu'après que j'ai remarqué la scission monumentale qui a
fissuré le continent... Termina Ervin, visiblement perturbé par ce qu'il avait vu.
— J'ai vu cette barrière aussi, poursuivit Joerc, j'étais aux écuries de la grande porte est. Et
ce rayonnement avant l'explosion, il a résonné à travers l'énergie tellurique, je suis sûr que
tout les druides du continent l'on senti...
— Ce sont les sorcières ! Interrompit soudainement Peledrin. Cela fait des saisons et des
saisons qu'elles provoquent des catastrophes, qu'elles perturbent la tranquillité de l'Empire
avec leur sorcellerie maligne et insidieuse !
— Ne vous emportez pas dans des accusations sans fondement Peledrin, reprit aussitôt Joerc
sur un ton sec, pour l'instant ne savons rien du comment ni du pourquoi.
— Je me permet de vous couper, coupa Nedal, car il me semble important de noter que nos
routes commerciales avec les tribus de Chebet sont désormais inutilisables, sinon les voies
maritimes.
— Et Archaï n'aurait pas un intérêt dans tout ça ? Supputa Ervin.
— J'en doute, répondit le Grand Conseiller Irrod, toute l'archipel a dû être ravagée par le
cataclysme, cela me semble peu probable qu'ils se sabordent ainsi pour simplement couper
le tiers de nos échanges commerciaux. Un tel acte à mon sens ne peut être que pour
instaurer la peur, et semer le chaos dans l'Empire.
— Si je peux me permettre, se permit Sajul, je ne suis qu'alchimiste et non expert de la
sorcellerie, mais j'ai pu rencontrer nombre de sorcières dans mes différents voyages, et ai pu
observer leur art à l'œuvre. Ce que vous décrivez ne me semble pas du tout du même acabit.
— Mais cette catastrophe n'a pas l'ampleur des tours de passe-passe que vous avez sans
doute l'habitude de voir, Monsieur ... ?
— Sajul, répondit-il sèchement, mais vous ne devriez pas prendre ces choses à la légère.
— Vous croyez que je les prends à la légère ? Vous vous fourvoyez mon pauvre, rétorqua
Peledrin en s'adressant à tous, je prends ces choses tout à fait au sérieux, et l'événement
d'aujourd'hui n'est sûrement qu'un commencement ! Alerta-t-il en frappant du poing sur la
table. Nous devons reprendre le contrôle de ce qui se passe sur nos terres !
— Et que suggérez-vous ? Demanda en réponse Dailorn. On ne peut pas surveiller chaque
habitant, chaque taverne, chaque angle de rue. Il faudrait une armée ! Et je peut vous assurer
que vous ne la trouverez pas chez moi !
— Hm j'entends bien, mais en revanche ce n'est pas une mauvaise idée, continua Peledrin
avec une étincelle de génie dans les yeux, nous pourrions lever une milice spécifique à la
veille de ce genre de destruction de masse et autres complots. Termina-t-il enthousiaste, un
regard interrogateur tourné vers Irrod, le Grand Conseiller.
— C'est une idée saugrenue, d'autant plus qu'irréalisable en l'état. Monter une milice privée
pour une menace qu'on ne sait pas reconnaître me semble tout à fait hors de propos.
Expliqua Irrod. Nous devons dans un premier temps savoir comment nous relever de ce qui
c'est passé.
— Est-ce que nous avons reçu des nouvelles des villages touchés ou des alentours ?
Poursuivi Nedal d'un ton toujours morose. Il me semble indispensable en tout cas de faire un
état des lieux de la catastrophe.
— Et d'envoyer des soins aux survivants si tant est qu'il y en ait. Reprit Dzaekh, approuvé
par un hochement de tête de Sajul.
— C'est déjà fait, Dailorn et moi-même avons envoyé plusieurs petits groupes de ses
hommes afin de porter secours et de renforcer la sécurité proche du lieu du cataclysme.
Expliqua le Grand Conseiller Irrod.
— En effet ! Reprit Dailorn. Et ils trouveront sûrement la source de ce mal au passage.
— Et nous n'avons reçu aucunes nouvelles de ceux qui étaient sur place à ce moment.
Termina Irrod, dans un lourd silence partagé entre tous.
— Salem, vous êtes notre Cosmologue, quel est votre avis sur la situation ? Nous ne vous
avons pas entendu vous exprimer. Questionna Nedal, attendant visiblement des réponses que
personne n'avait à lui donner.
— Pour tout vous dire, commença-t-il doucement, je comprends mieux les signes que les
Gardiennes nous envoyaient depuis ces cinq dernières saisons. Mais, je n'aurais jamais cru...
Je me sens terriblement coupable de ne pas avoir su prévenir ce cataclysme. Mais, elles se
sont calmées, depuis tout à l'heure, elles sont redevenues reposantes.
— Je ne comprends pas, et les autres non plus, reprit Peledrin d'un ton inquisiteur en
regardant ses compères interrogateurs. Pouvez vous être plus clair ?
— Je doute que nous courrions un danger à présent, les Gardiennes ne sont plus agitées.
Expliqua Salem, penaud. Mais, il y a eu autre chose ce matin, que je ne m'explique pas.
Continua-t-il, sous le regard inquiet de son apprenti, Haït. C'est... C'était si proche, si...
Furtif...
— De quoi parlez-vous Salem ? Demanda Irrod, inquiet à son tour.
— Ce n'est rien de mauvaise augure, rassurez-vous ! Mais, on aurait dit qu'une Gardienne
avait chuchoté à mon oreille pendant un instant.
— Et en quoi est-ce inexplicable ? N'est-ce pas votre rôle d'entendre les Gardiennes ?
Demanda sarcastiquement Peledrin, qui n'a jamais été très convaincu de l'honnêteté de
Salem, ni même de l'existence des Gardiennes.
— Je ne les "entends" pas, Peledrin... Les Gardiennes sont des êtres cosmiques dont la
simple existence dépasse l'entendement. Aucun Homme sur cette terre, même le plus sage
des sages, ne pourrait imaginer leur réalité. Pour ma part, je tente autant que faire se peut de
percevoir leur énergie rythmique qui parcourt le cosmos. Mais ce qui est arrivé est inédit, et
je préfère simplement être prudent. Jamais je n'avais senti leur présence aussi proche et
aussi distinctement, bien que ce qui me fût susurré soit incroyablement abstrait.
— L'important Salem, c'est que nous sachions que ça ne va pas recommencer. Rassura Irrod.
Nous allons envoyer des hérauts à travers le continent pour prévenir la populace, et atténuer
les craintes. L'important, c'est que la population ne s'inquiète pas. En revanche, il nous faut
des réponses ! J'accorde une entière confiance à vos hommes, Dailorn, mais vu l'ampleur de
la situation je serais plus rassuré si nous envoyons également des experts pour enquêter sur
ce phénomène. Nous ne pouvons envoyer hors de la Cité messieurs Peledrin, Ervin et
Dailorn qui sont indispensables ici. Nedal, j'imagine que vos obligations vous feront
rapidement repartir dans l'ouest ?
— Effectivement, j'avais initialement prévu de partir dans trois jours, mais vu les
événements, je ferais sans doute mieux de repartir au plus vite auprès de mes hommes.
Répondit-il.
— J'en conviens. Acquiesça Irrod. Messieurs Joerc et Dzaekh, vous êtes tous deux
disponibles si je ne m'abuse, et de plus vous êtes experts dans vos domaines respectifs, je ne
doute pas de votre capacité à élucider ce mystère.
— Malheureusement je suis déjà pris pour ma part, je dois toujours m'occuper d'endiguer le
mal qui se propage à Mital, j'aurais déjà dû partir il y a deux jours. Expliqua Joerc d'un ton
gêné.
— Je peut me joindre à Dzaekh si vous le souhaitez. Proposa Sajul.
— Fort bien, répondit Irrod, je gage qu'à vous deux, et avec l'aide des hommes de Dailorn,
vous serez capable de faire la lumière sur le cataclysme qui s'est produit.
— Nous y mettrons toute notre énergie. Répondit Dzaekh visiblement enthousiaste.
— Si je puis demander, reprit Peledrin qui semblait perplexe, où est le Logothète des
Sciences ? Demanda-t-il en jaugeant Dzaekh. Il nous serait d'une aide considérable en ce
moment.
— Amunt n'est pas dans la Cité depuis plusieurs moussons, il a toujours fort à faire.
— Soit, néanmoins j'estime que l'enquête ne devrait pas être menée par des novices qui sont
ici uniquement parce que leurs supérieurs sont absents. Poursuivi Peledrin, soudainement
bien véhément envers l'alchimiste et l'enchanteur.
— Comment osez... Commença Dzaekh très remonté par cette remarque, avant d'être coupé
par Sajul.
— Logothète Peledrin ! Nul ici ne vous empêche de penser, mais vous serez fort bien
éduqué d'attendre et de constater par vous même notre efficacité, plutôt que céder à des
accusations infondées. Reprit Sajul, qui de toute évidence parvient mieux garder son sang
froid.
— Messieurs ! Dois-je vous rappeler où vous êtes ? Intervint Irrod quelque peu courroucé.
Vous vous devez d'observer les règles de bienséance, je vous rappelle que notre Empereur
vous écoute houspiller pendant que de sombres affaires planent au-dessus de nos têtes.
Reprenez-vous !
— Merci Irrod, mais nous en avons terminé de toute façon. Reprit l'Empereur Milemnith
1er. Messieurs, j'entends vos dires, et nous n'en savons que trop peu sur ce qui s'est passé.
Nous devons nous relever après cela et découvrir le pourquoi du comment. Nos objectifs
sont clairs : les corbeaux seront envoyés aux hérauts de chaque bourgade afin de rassurer la
population, et messieurs Dzaekh et Sajul vont mener l'enquête. Vous devriez dans un
premier temps rejoindre les hommes que nous avons déjà envoyés sur place à Rodan, ils
pourront vous aider. Et de notre côté, Salem continuera de surveiller l'activité des
Gardiennes, la prudence est mère de sûreté. Nous nous reverrons ici même au plus vite,
lorsque nous en saurons plus sur la situation. Merci de votre présence, je compte sur votre
vigilance et votre perspicacité à tous pour essayer de tirer cette histoire au clair.
— Merci messieurs, vous pouvez disposer. » Termina le Grand Conseiller Irrod.
Tous quittèrent la salle hormis Salem et Haït qui restèrent avec le Grand Conseiller et
l'Empereur. Dans l'immense couloir, et après que les conviés se soit éclipsés, Peledrin
attrapa Ervin par la manche et le traîna dans un recoin à l'abri des regards.
« Ervin ! Chuchota-t-il avec ferveur. C'est insensé, à croire qu'ils ne mesurent pas la gravité
de la situation !
— Je suis d'accord, mais que veux-tu, Irrod t'as bien fait comprendre qu'il n'approuvait pas
cette idée de milice...
— Et c'est une terrible erreur de jugement qu'il fait, les sorcières sont un réel danger et il ne
fait que se voiler la face !
— Doucement mon ami, interrompit Ervin en jetant un œil dans l'angle du couloir, il ne
faudrait pas qu'une oreille traîne.
— C'est que je ne conçoit pas qu'il puisse ignorer les risques à ce point. La mousson
dernière, la milice de Tanco a retrouvé une sorcière avérée, morte dans un champ après un
rituel qui aurait échoué et qui aurait ravagé tout les champs alentours ! Et ce n'est qu'un
exemple parmi tant d'autres ! Que se passera-t-il ensuite ?
— J'en ai entendu parler par mes hommes, il parait que c'était pas beau à voir...
— Il faut faire quelque chose ! Chuchotta Peledrin avec hargne.
— Mais que suggères-tu ? Demanda Ervin en retour.
— Il faut faire comprendre au Conseil que le danger est plus que présent. Il faut trouver des
preuves, les incriminer, passer au crible chaque femme susceptible d'être capable de
sorcellerie ! Et même les hommes ! Même si aucun ne peut pratiquer, il peuvent couvrir des
sorcières, ils peuvent être mêlés à des affaires de sorcellerie ! Il ne faut rien laisser passer.
— D'accord, mais je ne peux pas envoyer mes hommes fouiller et inspecter chaque foyer de
la Cité, pour une raison pour laquelle nous avons déjà essuyé un refus.
— Ils nous compliquent tellement la tâche... Si seulement ils pouvaient se soucier d'autre
chose que des futilités comme rassurer les gens. Ils gaspillent leur temps et leur ressources.
— J'en conviens. Mais je pense, il suffirait de leur faire peur, leur montrer que les sorcières
usent de leur don comme d'une arme.
— Continue... Répondit Peledrin soudainement intéressé.
— Il suffirait d'une ou deux preuves flagrantes pour les faire réagir, au moins certains
d'entre eux. » Expliqua Ervin, qui s'arrêta net quand ils entendirent des gens sortir de la salle
du conseil, plus loin dans le couloir. Il s'agissait de Salem et Haït, qui retournaient
visiblement à la tour de Cosmologie en discutant : « Salem, j'ai une autre question si vous le
permettez. Demanda timidement Haït.
— Je t'écoute.
— Vous pensez que monsieur Peledrin à raison ? Que c'est à cause des sorcières ?
— Ce qui c'est passé reste un mystère Haït. J'imagine bien que tu t'inquiètes pour ta mère,
mais je doute que ce soit l'œuvre des sorcières. Je doute que ce soit l'œuvre de quelqu'un
d'Humain pour tout te dire.
— Que voulez-vous dire ? Vous suggérez que ce soit une créature qui ait fait ça ?
— Peut-être. Ou peut-être pas. Mais je doute qu'un simple homme puisse déclencher ce
genre de cataclysme. Et je me dis que quelque chose cloche, qu'on passe à côté de quelque
chose... J'en suis persuadé.
— Monsieur Peledrin avait l'air persuadé de ce qu'il disait aussi. Rétorqua Haït, suivant
Salem dans le colimaçon montant jusqu'en haut de la tour de Cosmologie.
— Peledrin est parfois un peu trop passionné, ce qui peut troubler son jugement... »
Répondit Salem, pensif.
Ils finirent de monter dans le silence puis rentrèrent dans l'atelier de Salem, à l'étage
le plus haut de la tour. La pièce poussiéreuse était cerclée par de vieilles bibliothèques
enchâssées dans la pierre, et plusieurs bureaux étaient épars, recouverts de feuilles
griffonnées et de toutes sortes d'objets mécaniques intrigants. De grandes fenêtres entre les
bibliothèques offraient une vue de toute part sur la Cité, le continent, et sur la mer des
Embruns au sud. Dans tout le capharnaüm qu'était son atelier, Salem commença
soudainement à retourner chaque parchemin et chaque ouvrages sur une des bibliothèques.
« Salem ? Qu'est ce que vous faîtes, je vais encore devoir tout classer ! S'exclama Haït.
Salem s'arrêta net et se tourna vers son apprenti, les yeux vifs et l'air perplexe.
— Haït ! J'ai omis quelque chose ! Il y a une image qui vient de me revenir !
— Je ne comprends pas, que se passe-t-il ?
— Depuis ce matin que j'ai entendu ce chuchotement distinct ! Comment j'ai pu passer à
coté, bon sang !
— Calmez vous maître, vous vous éparpillez et vous allez juste réussir à tourner en rond !
— Bon sang ! Bon sang, tu as raison ! Je vais t'expliquer Haït : ce matin quand j'ai entendu
ce chuchotement, il y a une image qui m'est apparue en tête et qui en est sortie aussitôt,
c'était comme le souvenir d'un rêve ! J'ai vu un visage venir murmurer à mes oreilles. Bon
sang, je ne dois pas l'oublier à nouveau ! Il me faut une feuille et un crayon ! »
Haït se hâta de lui attraper ce qu'il demandait, et Salem se mit alors à dessiner
frénétiquement sur le malheureux bout de papier. Bientôt, un visage se profila, laissant
apparaître le portrait d'une femme au cheveux
noir de jais. Et il griffonna un mot à côté, "D'ha
senph'all eremnoth".
« C'est ce visage que j'ai vu, c'est la Gardienne
qui m'as parlé ! C'est tout bonnement stupéfiant !
C'est la première fois de ma vie que je vois, que
je distingue des mes sens le visage d'une
Gardienne ! Enfin, si tant est que ce soit son
visage !
— Vraiment ? C'est fascinant ! Pourquoi
pensez-vous que vous l'avez vu ? C'est vraiment
à quoi elle ressemble, vous pensez ? Et qu'est ce
que vous avez noté à côté, "D'ha senph'all
eremnoth" ? Demanda Haït.
— Impossible à dire. C'est comme si elle était
venue juste en face de moi mais qu'elle était en
même temps à des lieux. Et ce que j'ai noté, et
bien c'est à peu près ce que j'ai compris de ce
qu'elle à marmonné, mais ce n'est que du
charabia pour moi je n'ai aucune idée de ce que
ça peut-être. Répondit Salem.
— Mais vous ne savez pas traduire leur langage ?
— Non, enfin normalement je perçois une sorte de fond diffus, pas clairement des mots. Ce
doit être d'une importance capitale ! Une Gardienne en personne qui vient me murmurer à
l'oreille, qui me montre son visage ! Bon sang il se passe quelque chose de très important, et
nous devons comprendre au plus vite de quoi il retourne !
— Ne vous en faites pas Salem, nous en saurons plus quand Dzaekh et Sajul enverront des
nouvelles, ce qu'ils découvriront va surement nous aider à éclaircir tout ça.
— Sans doute... Écoute je te laisse ranger un peu tout ça, je vais aller faire un tour à la
Grande Bibliothèque, je trouverais peut être quelque chose d'intéressant. » Termina Salem
qui quitta la pièce d'un pas vif, perdu dans ses pensées.
Haït se retrouva ainsi seul dans l'atelier sans dessus dessous, bougonnant
qu'évidemment il est de corvée de rangement, et que lorsqu'il aura un apprenti à son tour il
le laissera s'occuper des tâches ingrâtes de ce genre. Préférant ne pas s'y mettre tout de suite,
il s'accouda à la fenêtre ouest donnant sur la cour du Palais, inspirant longuement pour
profiter le plus possible du beau temps avant de devoir se mettre au travail. Les gens
s'agitent et fourmillent dans la cour tout en bas de la tour. Il y a un commerçant avec une
charrette pleine de légumes qui visiblement négocie avec le Chef Cuisiner, et les Gardiennes
seules savent comment il a réussi à faire passer sa grosse charrette à l'intérieur de la cour ! Il
y a aussi plusieurs aspirants soldats qui rient fort dans un coin, ainsi que quelques nobles,
dont le nom échappe encore à Haït, et qui batifolent entre les parterres de fleurs sans se
soucier de ce qui s'est passé le matin même, tandis que deux hommes traversent la cour d'un
pas rapide.
« Les gens vont reprendre leur vie, continuer de travailler... Je me demande combien
s'inquièteront encore dans deux, quatre ou six jours ?... Je me demande ce qui s'est passé...
Quand même, ça fait froid dans le dos ! Qui sait, ça aurait pu toucher la Cité !... Et si ça
recommençait ?... ... Et si c'était vraiment à cause de certaines sorcières ? Maître Salem
n'avait pas l'air de cet avis, mais... Si c'était le cas, alors ça risque effectivement de
recommencer... Et si Dzaekh et Sajul ne trouvaient rien une fois sur place ?... ... Oh, j'espère
qu'ils trouveront une piste ! »
CHAPITRE 3 : HALTE À BRESA

Dans le Palais Impérial, deux hommes traversent la cour d'un pas rapide. Ce sont
Dzaekh et Sajul qui s'en vont en direction des écuries. Ils ont le pas déterminé, pressés par
leur mission. Passant par les couloirs, ils évitent les nobles et les bourgeois qui viennent
jouer les joli-coeurs au Palais, et ils rejoignent rapidement l'écurie. Lenpoe, l'éleveur qui
bichonne tous les chevaux du Palais vint les accueillir : « Monsieur Dzaekh et monsieur
Sajul, quel plaisir de vous voir ! Vous m'avez l'air bien chargé, ma main a couper que vous
partez en mission à l'autre bout du continent !
— Plaisir partagé Lenpoe. Répondit Dzaekh. Et je suis heureux de vous annoncer que vous
pourrez garder votre main au bout de votre bras, vous avez vu juste.
— L'Empereur nous a missionné pour tirer au clair les événements de ce matin. Repris
Sajul.
— Oh là, ne m'en parlez pas ! La terre a tellement tremblé que j'ai cru qu'elle allait se fendre
en deux ! Et ce brouhaha infernal, on aurait vraiment cru à la fin du monde ! Qu'est ce que
c'est que cette affaire ?
— C'est justement ce genre de réponses que l'on va chercher. Expliqua Dzaekh d'un ton
désabusé.
— Et en l'occurrence la terre s'est réellement fendue en deux, à l'est entre le désert et les
Montagnes Incandescentes. Expliqua Sajul avec un flegme à la limite de l'indécence.
— Que ...! Vous... Vous vous fichez de moi ? Répliqua Lenpoe qui tomba des nues.
— Absolument pas. Vous pourrez voir par vous même depuis les remparts du Palais. En
revanche nous sommes pressés, je ne voudrais pas être inconvenant mais nous ne devons
pas perdre de temps.
— Oh bien entendu, euh, toutes mes confuses ! Je vais vous seller mes chevaux les plus
robustes de suite.
— Je vous remercie. » Conclu Sajul alors que Lenpoe était déjà affairé à la tâche.
En quelques minutes les chevaux étaient prêts et Dzaekh et Sajul prirent aussitôt la
route. Ils passèrent des hauts quartiers aux quartiers bas de la Cité Impériale, avant
d'atteindre rapidement la grande porte est. De là où ils étaient, ils avaient une des meilleures
vues sur ce côté du continent. Bercés à droite par la tumultueuse mer des Embruns,
surveillés à gauche par les imposantes Montagnes Incandescentes, et en face vers l'horizon,
le Golfe de Dolomet, épargné de peu par la récente catastrophe dont l'immense plaie ouverte
défigure le lointain.
Ils entamèrent sans s'attarder dans la douce descente vers l'est, les menant en aval de
la falaise où est haut perché Rel-Tavem, la majestueuse Cité Impériale. Accompagnés d'une
volée de corbeaux qui se dispersa après une centaine de mètres, ils chevauchaient à vive
allure sans échanger un mot, tout deux se demandant ce qu'ils trouveraient à leur arrivée.
Profitant de la fougue des chevaux tant qu'ils l'ont encore, ils ne firent presque aucune pause
sur leur route pour reussir à rallier Bresa en milieu d'après midi. Ici les routes sont encore
sûres, l'influence de Rel-Tavem et de la Milice Impériale qui rôde jusque là ont une certaine
tendance à dissuader les malandrins. Ainsi, Dzaekh et Sajul avaient quelques heures devant
eux une fois arrivés à Bresa, et Dzaekh proposa de se rendre dans une auberge qu'il
connaissait ici. Une fois devant l'établissement, ils y harnachèrent les chevaux et se
reservèrent une chambre pour la nuit. Profitant de l'avance qu'ils ont pu gagner, ils partirent
flâner dans la bourgade avant que le soleil ne se couche.
Par souci de discrétion, ils ne s'étaient pas vêtus de leurs vêtements nobles dignes du
Palais, mais de tuniques sobres cachées sous de larges bures à capuche. Un œil avisé
pourrait néanmoins repérer une broche ou collier que seuls les bourgeois se permettent de
porter. Dzaekh et Sajul arrivèrent rapidement au niveau du marché central, une grande place
sur laquelle des dizaines de marchands braillent pour vanter leurs marchandises, et une foule
de personnes qui errent de stand en stand dans une cacophonie infernale. Les deux compères
se faufilaient dans les mouvements de foules, glanant des bribes de conversations : « ...Et
qu'il voulait rester pour la nuit, écoute moi bien que j'l'ai attrapé le col et que je l'ai bien fait
comprendre qu'y pouvait aller manger sa bouse et se faire cuire un oeuf ! Expliqua un
paysan à l'odeur forte et au visage ravagé.
— Mais d'où qu'il sortait ce bougre ? Demanda en réponse son comparse à l'état tout aussi
déplorable.
— Ah ben j'en sais rien du tout ! Et qu'c'est ça le pire, le p'tit y sort de nul part et me
demande un lit, t'imagine quoi, qu'avec ce matin j'vais laisser entrer quelqu'un chez moi ?
— Ah pour sûr, sale histoire ça ! Et le héraut ce midi, on aurait dit un cochon qui va à
l'abattage !
— À qui le dis-tu, ce type n'savait même pas de quoi il parlait ! Qu'y nous retiens une demie
heure pour nous dire qu'l'Empereur n'sait pas ce qu'il s'est passé, tu parles mon p'tit !
— Moi je vais te l'dire ce qui se passe, c'est le début d'la guerre mon vieux ! C'est Archaï qui
nous affaiblit pour venir reprendre le contrôle du continent ! Et l'Empire va nous laisser en
disant qu'c'est rien pour qu'on se fasse trucider à la place des pête-sec du Palais !
— Putain, c'est sûr ça ! Acquiesça le collègue paysan. Mais quand même, je m'demande
qu'est ce que c'est que ce bouzin de ce matin, faut espérer qu'ils n'vont pas venir faire ça ici
quand même ! S'inquiéta-t-il.
— Alors ça, j'te parie qu'on va y passer, on est parmi les plus proches de Rel-Tavem... »
Alors que les paysans continuaient leur discussion, un marchand alpaga Dzaekh et
Sajul : « Bonjour messieurs, vous n'êtes pas du coin vous, je ne vous reconnais pas !
— Non en effet, nous sommes simplement de passage pour la nuit. Répondit Dzaekh.
— Je n'ai pas pu m'empêcher de voir que vous écoutiez ces badauds, il ne faut pas vous en
faire hein.
— Que voulez-vous dire ?
— Ils ne savent pas de quoi ils parlent, Archaï n'a ni les moyens ni les intérêts de lancer une
guerre avec l'Empire.
— Et qu'est ce qui vous fait dire ça ? Demanda Sajul.
— Franchement je doute qu'ils aient une armée assez imposante pour nous tenir tête, et
honnêtement, ce qui s'est passé ce matin, moi je pense que ce sont les Gardiennes hein.
Personne d'autre n'aurait le pouvoir de faire ça. On aurait cru à la fin du monde, bon sang !
Même Archaï à dû trembler de peur !
— Certes, ce qui s'est passé ce matin est pour le moins invraisemblable... Répondit Sajul,
songeur. Mais dites, vous m'avez l'air vif et aux aguets, vous n'avez rien remarqué d'étrange
ou qui sortait de l'ordinaire ce matin, ces derniers jours ...?
— J'saurais pas vous dire, j'ai vu les mêmes clients que tous les jours et y'en n'a pas un qui
avait l'air plus louche que d'habitude quoi. Vous essayez de mener votre enquête ?
— En quelque sorte, oui. Répondit vaguement Sajul qui ne voulait pas trop en révéler.
— Et ben, si ça peut vous aider il y a le petit de Nariel, il est parti au petit midi pour faire
comme vous. Enfin je crois, je l'ai juste vu passer en disant que cette catastrophe, ça serait
son moment de gloire. Si ça se trouve il a trouvé une piste, ou quelque chose dans le genre.
— Le fils de Nariel vous dîtes ? Comment s'appelle-t-il ? Demanda Dzaekh.
— Narius. Un vrai chenapan mais il n'est pas bien méchant. Si vous voulez le rejoindre,
demandez à Nariel, elle devrait pouvoir vous dire où il est allé. Elle habite la petite maison à
droite en sortant de la place. Expliqua le marchand en pointant du doigt la bonne direction.
— Merci des infos, on va se renseigner. Répondit poliment Dzaekh.
— Au passage, il n'y a rien qui vous tente ? Une petite liqueur ? Un bout de pain ? Essaya le
marchand avant qu'ils ne s'en aillent.
— On va vous prendre la miche de pain bien dorée que vous avez là. Demanda Sajul.
— Elle est encore bien fraîche, vous avez l'œil avisé monsieur ! C'est trois écus s'il vous
plaît. » Demanda le marchand alors qu'il emballait la miche dans un petit linge.
Sajul paya et ils saluèrent le marchand avant de quitter la place du marché.
« Tu penses qu'on pourrait apprendre quelque chose de ce Narius ? Demanda Sajul.
— Aucune idée, mais ça ne coûte rien d'aller voir.
— Je suis d'accord. Bon, on est encore loin du lieu du cataclysme, il ne faut pas non plus
s'attendre à trouver quelque chose d'intéressant à se mettre sous la dent. » Reprit Sajul.
Ils arrivèrent rapidement à la maison que le marchand leur avait indiqué, une petite
baraque modeste d'où s'échappaient de légers sanglots. Dzaekh et Sajul se regardèrent,
interrogatifs, avant de toquer à la porte. Une voix féminine tremblotante répondit : «
Allez-vous-en ! Je... Ce n'est pas le moment !
— Nariel ? Nous venons au sujet de votre fils Narius. » Répondit Dzaekh.
Quelques secondes passèrent sans réponses, puis quelqu'un vint ouvrir la porte. Une
femme peu âgée et en larmes leur ouvrit : « Que... Qui êtes-vous ?
— Dzaekh, et voici Sajul, nous sommes du Palais Impérial. Expliqua-t-il en montrant son
pendentif de la Cour -un petit médaillon rond représentant une fleur de lys cerclée dans une
couronne de laurier-, suivi par Sajul qui montra également le sien.
— Je... Je ne comprends pas... Qu'est ce que vous voulez à mon fils ? Il n'est pas en état de
voir des gens. Sanglota Nariel
— Nous sommes missionnés pour faire la lumière sur les événements de ce matin, et nous
avons appris que votre fils avait décidé d'enquêter également ? Demanda calmement Sajul,
ne voulant pas brusquer Nariel plus qu'elle ne l'est déjà. Nous voulions savoir s'il avait
trouvé quelque chose d'intéressant.
— Oh... Bon sang ! Entrez, vous pourrez peut-être l'aider... »
Dzaekh et Sajul échangèrent un regard circonspect avant de suivre Nariel à l'intérieur.
« Asseyez-vous, je vais vous expliquer... Commença-t-elle en essayant de se calmer. Ce
matin, quand cette chose est arrivée... Narius était dans les champs voisins, il a tout vu. Il est
vite revenu à la maison tant il a eu peur...
— Comme tout le monde j'imagine. Ajouta Sajul.
— J'ai eu la frayeur de ma vie aussi, continua Nariel, et après ça Narius m'a expliqué ce qu'il
avait vu. Les lumières pourpres perçant vers le ciel, le voile étrange au-dessus des plaines de
culture... Et cette explosion monstrueuse... Puis il m'a dit qu'il avait vu quelque chose
apparaître près de la tour de guet, et qu'il voulait y retourner, il voulait trouver ce qui y était
apparu... Je... Je lui ai dit de ne pas y aller, que rien n'était apparu... Mais il n'a pas écouté, il
disait que c'était l'occasion rêvée pour se faire remarquer auprès du Bataillon.
— Il voulait intégrer le Bataillon de Domelt ?
— Oui... Enfin il voulait rejoindre la Maison-Forte de la Cité. Le Bataillon n'était qu'une
étape dans son projet...
— De belles ambitions, intervint Dzaekh, mais dites m'en plus. Que lui est-il arrivé au juste
?
— Je.. Je ne sais même pas ! Répondit Nariel en recommençant à sangloter. Il... Il est parti
ce midi... Il allait bien ! Mais quand il est revenu, il était tout pâle, il n'a pas dit un mot
depuis son retour... Et il a le regard vide, comme si... Comme si on lui avait ôté son âme...
Termina-t-elle en éclatant en larmes.
— Vous disiez qu'il avait vu quelque chose apparaître à la tour de guet. Il vous en a dit plus
? Demanda Sajul.
— Non, juste... Juste qu'une apparition avait surgi du ciel, et qu'elle était partie en direction
de la tour. Oh bon sang ! Je n'aurais jamais dû le laisser y aller !... Qu'est ce que j'ai fait ?!
— Nous pouvons peut-être vous aider. Est-ce qu'on peut voir votre fils ? Demanda Dzaekh.
— Oui... Oui, je vais le faire venir. » Termina Nariel, tentant tant bien que mal de retrouver
son calme. Elle revint assez vite de la pièce du fond, soutenant la marche difficile de son fils
visiblement très affaibli. Il avait le teint blafard, le regard éteint, et ne semblait même pas
remarquer ce qui se passait autour de lui. Nariel le fit asseoir avec précaution avant de
reprendre : « Vous voyez... Il... Il n'est plus lui-même, je... Je ne sais pas... » Nariel s'arrêta
là, tombant à genoux en pleurant des torrents de larmes qu'elle essayait de cacher derrière
ses mains.
« Voyons voir... Commença Sajul qui palpa doucement le visage et le cou du jeune homme.
Ses voies respiratoires ont l'air intactes, ses pupilles ne sont pas dilatées et réagissent bien à
la lumière. Son pouls est faible. Cela dit, il n'a pas d'exacerbation des vaisseaux sanguins.
— Tu penses à un empoisonnement ? Demanda Dzaekh.
— Ce n'est pas exclu, mais j'en doute. Répondit Sajul en ouvrant la bouche de Narius pour
en observer l'intérieur. En tout cas, il n'a rien ingurgité d'autre que des légumes visiblement.
Nariel, est-ce que vous avez vu s'il avait des piqûres sur le corps ? Demanda-t-il.
— Non, non je n'ai rien vu... Répondit Nariel d'une voix tremblotante, ne parvenant pas à
retenir ses sanglots.
— Narius ? Narius, est-ce que tu m'entends ? Demanda Sajul, tandis que Dzaekh s'écarta
dans un coin et commença à tracer quelque chose au sol. Narius ? Si tu m'entends mais que
tu ne peux pas parler, essaie de cligner des yeux. »
Narius, qui jusque-là n'avait rien dit ni rien fait que regarder dans le vide, cligna avec
difficulté des yeux.
« Dzaekh. Il a cligné !
— Demande lui s'il reconnait Nariel.
— Narius ? Si tu reconnais la dame à côté de toi, cligne des yeux. Demanda Sajul, qui n'eût
pas de réponse.
— Il n'a pas cligné ? Demanda Dzaekh.
— Non... Écoute moi, est-ce que Narius est ton nom ? Si c'est le cas, cligne des yeux. »
Et le jeune homme, apathique, ne cligna pas des yeux.
« Nariel, restez à côté de lui, nous allons avoir besoin de quelques préparatifs. Expliqua
gravement Sajul.
— Qu'est ce que ça veut dire ? Qu'est ce que vous allez faire ?! Et pourquoi il n'a pas réagi
quand vous lui avez demandé s'il s'appelait bien Narius ?! Demanda Nariel, le nez coulant et
les yeux trempés.
— Votre fils est visiblement victime d'un rituel de possession. C'est puissant mais votre fils
à toutes ses chances de s'en sortir. Expliqua calmement Dzaekh. Ce qui m'inquiète, c'est que
le rituel semble avoir partiellement échoué.
— Tu vas t'en sortir ? Je ne peux pas plus t'aider sur ce coup. Demanda Sajul qui avait fini
d'examiner Narius
— Oui ça ira, ne t'en fais pas. Répondit Dzaekh, qui ajoutait les runes au sigil qu'il avait
commencé à tracer au sol. En revanche ça ne sera pas agréable, pour lui comme pour nous...
Il vaudrait mieux que vous vous écartiez. Tu peux me l'amener Sajul ? »
Sajul s'exécuta et porta Narius qui tenait à peine debout. Il l'allongea au sol avec
précaution, la tête au milieu du sigil, puis s'écarta. Dzaekh attendit quelques secondes avant
d'inscrire la dernier rune dans la bordure exterieure du sigil. Au moment où il le fît, les traits
dessinés à la craie se mirent à s'illuminer d'un halo rouge orangé, mat et terne, et duquel
semblait s'échapper des étincelles impalpables. L'air alentour se mit à vibrer étrangement, un
leger sifflement se fît entendre, et le halo s'intensifia d'autant plus. Il se dégagea peu à peu
une sorte de vapeur ocre qui émanait de la tête de Narius, et qui se mit alors à secouer les
bras et le torse de douleur. Dzaekh se pencha alors rapidement vers lui pour lui maintenir la
tête au sol, et en quelques secondes Narius se mit à convulser frénétiquement en tout sens, si
bien que Sajul dut intervenir pour maintenir les épaules du bougre au sol et sa tête dans le
sigil. Nariel commença à crier de peur et d'horreur, ordonnant qu'ils arrètent tout avant de le
tuer. Ni Dzaekh ni Sajul ne l'écouta alors qu'elle continuait de hurler sa panique, et que
Narius se contortionnait de plus en plus en des spasmes incontrolables. Puis très rapidement
le halo runique se dissipa, estompant par la même les convulsions insensées du pauvre
Narius. Sajul retourna calmer et rassurer Nariel, lui assurant que c'était terminé. Dzaekh lui
prit le pouls du garçon, posa sa main sur son front puis l'aida à se redresser. Narius soupira
lourdement et ouvrit ses yeux avec peine, il avait toujours les traits tirés et la mine pâle, et
semblait sortir d'une torpeur macabre. Il regarda alors Dzaekh en tournant difficilement la
tête, et il murmura "Doel o ethnareth setum. Od esq genheb" avant de tourner de l'oeil en
s'ecroulant au sol.
Sajul resta rassurer Nariel pendant que Dzaekh portait Narius pour le coucher dans la
chambre au fond de la maison : « Qu'est ce qui s'est passé ? Est-ce que... Est-ce qu'il va
mieux maintenant ? Demanda Nariel encore toute paniquée.
— Oui il va mieux, mais il va lui falloir un peu de repos avant de se remettre, à ce qu'il
paraît la possession est une épreuve épuisante et particulièrement désagréable. Répondit
Sajul.
— Ah vous voilà ! Comment va-t-il ? Que lui avez-vous fait ? Questionna prestement Nariel
en voyant Dzaekh revenir de la pièce du fond.
— Ne vous inquiétez pas, il va très bien. Il aura seulement besoin de beaucoup de repos et
de bien s'hydrater pendant les prochains jours. Mais il sera de nouveau frais comme un
gardon bien avant la fin de la mousson. Assura Dzaekh.
— Vous êtes sûr ?... Demanda Nariel inquiète.
— Sûr et certain. Avec votre accord, j'aimerais repasser demain dès l'aube avant notre
départ. Je voudrais voir comment il se sent après une bonne nuit.
— Oui, oui bien entendu ! Mais... Enfin, je ne sais pas comment vous remercier... Vous
débarquez de nul part et vous sauvez mon fils sans rien demander... Je peux au moins vous
offrir le repas ?
— Merci beaucoup mais ce n'est pas nécessaire, il est normal que nous intervenions en de
telles situations. Répondit humblement Dzaekh, tenant les mains de Nariel tout en se
penchant pour faire une rapide révérence.
— Cependant il vaudrait mieux éviter la tour de guet pour le moment, on ne sait jamais.
Précisa Sajul.
— Oh oui bien sûr, c'est entendu ! Merci encore pour ce que vous avez fait, les Gardiennes
vous bénissent. » Termina Nariel tandis que Dzaekh et Sajul tournaient les talons.
Ils prirent le chemin de l'auberge, marchant tranquillement dans les rues bien vides et
calmes. La nuit était tombée depuis une bonne heure, et tous les marchands avaient déjà
remballés leurs marchandises pour rentrer chez eux.
« Dis, c'était quoi ces murmures quand il s'est réveillé ? Demanda Sajul.
— Narius ? Je ne sais pas. C'était bizarre, il a murmuré quelque chose de très distinct mais
ça n'avait aucun sens. Comme si il parlait une autre langue... Commença Dzaekh.
— C'est déjà arrivé ce genre de chose ?
— Non. Pas comme ça en tout cas. Des rituels de possession ratés, j'en ai déjà vu pas mal, et
quand on fait revenir leur conscience c'est un véritable capharnaüm dans leur tête, le temps
que tout se remette en ordre. C'est habituel qu'à la suite d'une dépossession les gens se
mettent à déblatérer des tonnes d'absurdité, des phrases abstraites de cris et de syllabes
incompréhensibles. Une fois, j'ai aidé un homme qui était possédé par un cochon !
— C'est une blague ? Demanda Sajul.
— Même pas ! Le cochon avait accidentellement déclenché un sigil de possession préparée
à l'avance. L'homme s'est retrouvé possédé par le cochon, et quand je l'ai libéré, il a continué
de grogner deux jours durant avant de retrouver un discours censé !
— Haha, c'est invraisemblable ! S'amusa Sajul.
— Mais en l'occurrence, Narius semblait dire quelque chose de bien particulier, comme s'il
savait ce qu'il disait. C'est inhabituel... Reprit Dzaekh d'un ton plus grave et sérieux.
— Moi j'ai plutôt eu l'impression qu'il disait n'importe quoi. Mais de toute façon le sigil a
bien fonctionné ?
— Visiblement oui. Quand je l'ai allongé, son pouls était redevenu normal, et sa respiration
était légèrement saccadée, ce qui est normal pour le coup.
— D'autant que j'ai vu la sorte de fumerolle s'évaporer de sa tête. Ajouta Sajul, cherchant
l'approbation de Dzaekh.
— Oui, en soi tout indique que le sigil à bien marché. Et puis il n'y a pas de raison, ce n'est
pas la première dépossession que je fais.
— Bon, pas de quoi s'inquiéter alors.
— À mon avis non. Mais je suis d'avis qu'on aille voir cette tour de guet demain matin avant
de prendre la route, peut être qu'on trouvera quelque chose. Proposa Dzaekh.
— Ça me va, il y a forcément quelqu'un derrière cette histoire et j'aimerais bien savoir qui. »
Sur ces mots, Dzaekh et Sajul arrivèrent à l'auberge pour y passer la nuit. Ils
profitèrent de quelques chopes le temps d'une petite heure avant de monter dans leurs
chambres et se coucher.

Le lendemain ils se levèrent avant l'aube et firent rapidement leurs affaires pour partir
tôt. Comme prévu, ils firent halte chez Nariel et Narius pour s'enquérir de l'état de ce
dernier, et Nariel les reçut en leur proposant une infusion de tilleul qu'elle venait de cueillir.
Elle avait l'air beaucoup plus calme et décontractée que la veille, et quand Dzaekh demanda
pour Narius, elle leur expliqua non sans une once de soulagement qu'il s'était reveillé ce
matin, lucide et cohérent. Les deux compères se félicitèrent et souhaitèrent un prompt
rétablissement à Narius, qui était encore allité. Nariel les benit une fois de plus pour leur
aide avant les les laisser reprendre la route.
Ils leur fallut ensuite peu de temps pour passer de l'autre côté du fleuve Volgea et
atteindre la tour de guet, à moitié en ruines depuis des années et qui s'écroule doucement
mais sûrement depuis.
« On y est. On commence par faire le tour ? Proposa Sajul
— C'est parti. Ouvre l'oeil, c'est tellement délabré ici qu'il va falloir être vigilant si on veut
trouver quelque chose. »
Les deux compères firent donc le tour, examinant des monceaux de pierres et de
gravats sans grand intérêt.
« Au fait, comment va Almaïn ? Ça fait un moment que je ne l'ai pas vu. Demanda Dzaekh,
qui continuait de zieuter au sol et le long des murs.
— Elle va bien, merci. Je n’ai même pas eu le temps de lui dire au revoir avant de partir,
mais elle se faisait du souci quand je l'ai vu avant le conseil, elle semblait perturbée...
J'espère qu'elle ne s'inquiète pas trop.
— C'est évident qu'elle s'inquiète pour toi, moi aussi je m'inquiète pour nous ! Qui sait dans
quoi on va se retrouver ! S'exclama Dzaekh.
— Effectivement... Et Seri, elle aussi doit se faire du mauvais sang ?
— Écoute, elle se portait plutôt bien avant le conseil, je n’ai pas eu le temps non plus de la
voir avant notre départ. C'est sûr qu'elle doit se faire du mouron, mais elle s'occupe de Raël
et je ne doute pas que ça doit lui occuper assez l'esprit comme ça. Expliqua-t-il tandis qu'ils
rentraient tous deux à l'intérieur de la tour.
— Et comment il se porte Raël ? Demanda Sajul, qui commençait à farfouiller dans les
quelques commmodes et étagères, du moins pour celles qui n'ont pas été reduites en
morceaux quand la tour s'est éffondrée...
— Oh très bien ! Il ne tient pas en place, on a toujours du mal à le canaliser. Continua
Dzaekh, en inspectant consciencieusement chaque pierre, chaque centimètre de sol et de
mur encore accessible. Mais d'ici un an il commencera les leçons avec un précepteur,
j'espère qu'il se sera un peu calmé d'ici là.
— Il commencera tout de suite les leçons d'enchantement ?
— Oui bien sûr, on essaie déjà de lui apprendre quelques runes, mais il est encore très jeune,
il est dissipé.
— C'est sûr, mais ce n'est pas plus mal de le faire commencer le plus tôt possible. Et puis
son père est quand même un des plus grands enchanteurs de l'Empire, je ne doute pas qu'il
progressera vite et bien ! Répondit Sajul qui zieutait de tous côtés
— J'espère aussi, mais je ne m'inquiète pas trop effectivement.
— Non parce que j'ai connu des néophytes autodidactes, il n'avaient aucune idée de ce qu'ils
faisaient et certains ont fini en petit tas de cendres...
— Oui pour le coup il n'y a aucun risque à ce niveau. Mais je sais ce que c'est, une fois que
tu as fait tes premiers sigils tu as envie de tout essayer ! Et je ne tiens pas à le retrouver dans
le salon à tracer un sigil sismique, si tu vois ce que je veux dire ! Plaisanta-t-il.
— Haha ! J'aimerais bien voir ça ! Répondit Sajul qui ria à gorge déployée.
— Bon, c'est bizarre par contre, je ne trouve rien du tout ! Reprit Dzaekh. Et toi ?
— J'ai fouillé les meubles et je n'ai rien trouvé d'autre que de la nourriture passée depuis un
bon bout de temps. Et dis, c'est possible de lancer une possession sans ancre animique ?
— Pas à ma connaissance, non. Le cas de Narius est étrange, le sigil à bien fonctionné sur
lui mais il y a quelque chose qui ne colle pas... Pas d'ancre, pas de signe de sigil de
possession... Et puis, le contexte est bizarre... Expliqua Dzaekh, perplexe.
— Il disait qu'il avait vu une sorte d'apparition surgir aux alentours... Ajouta Sajul, pensif.
— Continuons de jeter un œil. Mais j'ai de moins en moins l'impression qu'il s'agisse d'un
rituel conventionnel.
— Tu pense que ça pourrait être une sorcière ? Demanda gravement Sajul.
— Je ne sais pas, ça me paraît peu probable. J'ai bien regardé mais Narius n'avait aucune
cicatrice sur lui, il n'avait pas l'air d'avoir perdu beaucoup de sang récemment... Et puis, les
possessions de sorcières qui échouent se terminent généralement mal pour les deux.
Expliqua Dzaekh, qui observait les abords de la tour. Je pensais que tu l'aurais su.
— Je sais qu'elles utilisent normalement un totem pour ce genre de sortilège, mais non pour
les possessions ratées je n'en savais rien.
— Bref, tu as une proposition pour dénicher cette apparition ? Demanda Dzaekh à court
d'idée.
— En fait, j'ai peur qu'on n'ait que trop peu d'indices. Si je savais ce que l'on cherchait, on
aurait un peu plus de moyen d'agir... Répondit Sajul quelque peu désemparé, qui regardait
en l'air en réfléchissant plus qu'il ne cherchait.
— Tu penses que l'apparition a quelque chose à voir avec la possession ? Supposa Dzaekh.
— Justement, c'est difficile à dire... Et surtout l'apparition qui surgit au moment du
cataclysme d'hier matin ? Honnêtement, c'est bizarre comme coïncidence.
— Je suis bien d'accord, mais alors pourquoi Narius ?
— Il y a vraiment quelque chose qui cloche. Continua Sajul qui n'écoutait plus que d'une
oreille.
— Et tu penses que le marchand avait raison ? Que ce sont les Gardiennes ?
— Franchement, c'est sûrement l'explication qui tient le plus debout. Ca expliquerait le
cataclysme, les signes que Salem disait avoir ressenti... Même pour l'apparition inexpliquée
ça pourrait prendre du sens...
— Mais on en revient à savoir pourquoi Narius ? Tu penses que les Gardiennes ont un projet
pour lui ? Demanda Dzaekh.
— Qui sait ? Même pour Salem, leurs desseins ont l'air particulièrement flous. Répondit
Sajul, toujours perdu dans ses pensées. Mais, cela dit j'ai peut être quelque chose qui pourra
aider, on ne sait jamais... »
Dzaekh et Sajul étaient partis convenablement équipés, bien qu'ils ne furent armés
que d'une simple dague chacun. Si Dzaekh n'avait qu'une sacoche par dessus sa large bure
de voyage, de laquelle dépassaient en fouillis quelques parchemins enroulés, Sajul lui avait
un attirail un peu plus chargé. Caché par sa bure, il portait deux ceinturons en bandoulière
avec une pléthore de poches à ingrédients, et une grosse cartouchière sur son flanc contenant
diverses fioles et carnets de notes. Il farfouilla alors dans cette grosse sacoche pour en sortir
une fiole d'un liquide bleuet, puis prit une large feuille séchée dans un étui de son ceinturon
pour la moudre entre ses doigts, et en verser les copeaux dans la petite fiole qu'il se mit à
remuer. Il chercha alors au fond de sa sacoche en chamboulant son barda, et en ressortit une
petite bourse de graines pour s'en saisir de deux d'entre elles, qu'il ajouta également dans la
fiole avant de secouer le tout sans ménagement. Très rapidement, les graines se dissolurent
dans le mélange qui tourna au violacé, puis Sajul n'attendit qu'une petite minute avant de
verser goutte à goutte la décoction, tout autour de la tour de guet à même la terre meuble et
fraîche.

« Qu'est ce que c'est ? Interrogea Dzaekh qui, bien qu'il soit intruit des bases de l'alchimie,
ne reconnu pas de quoi il s'agissait.
— Un décocté de Pal-Mori, pour révéler des essences stagnantes ou marquantes. Répondit
Sajul, qui était plus concentré sur le sol où il ne se passait rien que sur la conversation. Mais
il ne semble pas réagir.
— Qu'est ce qui est censé se passer ? Je ne connais pas cette décoction. Demanda Dzaekh,
suivant Sajul qui s'en allait observer tout autour où il avait déversé sa mixture.
-Une brume devrait apparaître et se densifier s'il y a une essence particulière qui a marqué
l'endroit.
— Par exemple, si une sorcière était passée ici ?
— Plutôt si une sorcière avait lancé un sortilège ici. L'essence résiduelle de son sort devrait
encore être présente depuis hier. Expliqua Sajul. Mais si c'est une intervention des
Gardiennes, aucune chance que ça réagisse.
— Ah bon ?
— Hé, ce sont les Gardiennes tout de même ! Répondit Sajul sur un ton désabusé.
L'alchimie a beau être un art noble, elle ne permet pas ce genre de choses. Il faut bien laisser
du boulot aux Cosmologues !
— Haha certes, mais je comprends. Je t'avoue que durant mes longues leçons avec mon
précepteur de l'époque, j'ai étudié plusieurs cas qui ont tenté des sigils pour entrer en contact
avec Elles. Je ne tiens même pas à te décrire dans quel état ils ont été retrouvés... Ce genre
de sigils sont bannis tant ils violent les lois fondamentales du Cosmos.
— Ouais, ça ne m'étonne pas. Répondit Sajul l'air pensif. L'Humain n'est pas fait pour ça, ça
nous dépasse...
— Après... Je me dis que quand même... Une possession ratée, pour une Gardienne... Ça
paraît assez improbable. Admis Dzaekh.
— Complètement même... »
Ils restèrent silencieux quelques secondes, tous deux pensif, puis Sajul reprit : « Bon,
le décocté ne réagit pas.
— Donc on n'en sait pas plus...
— Le problème, c'est qu'on a une mission plus importante, on ne peut pas prendre le temps
d'enquêter là-dessus et de se mettre en retard.
— Je le sais bien... On devrait prévenir l'échevin qu'il vaut mieux éviter les visites ici.
— D'accord. On fait un saut en ville, tu vas prévenir l'échevin, et je fais envoyer un courrier
au palais. Proposa Sajul. C'est à côté, ils pourront envoyer quelques hommes enquêter.
— C'est parti, il vaut mieux ne pas se retarder plus que ça. »
Les deux missionnés rebroussèrent chemin pour retourner à Bresa. Comme convenu,
Dzaekh s'en allât prévenir l'échevin du village, tandis que Sajul se rendit à la volière
envoyer un corbeau au Grand Conseiller Irrod. Ils se retrouvèrent ensuite devant la maison
de l'échevin pour repartir sur la route en direction de leur prochaine halte, le village de
Tanco.
« Au fait, commença Dzaekh, je sais qu'on a un peu éludé le sujet depuis notre départ mais,
au sujet du conseil que l'Empereur a organisé...
— Oui ?
— Tu en penses quoi de Peledrin ? Questionna Dzaekh, non sans un petit intérêt dans la
voix.
— Ha ! Peledrin... Un vaste sujet si tu veux savoir. Tu lui avais déjà parlé avant le conseil ?
— Non du tout, je l'avais déjà croisé au Palais mais je n'ai jamais vraiment discuté avec lui.
Et de ce que j'ai vu au conseil, je préfère que cela continue comme ça.
— Ah bon ? Alors ça c'est étonnant ! Répondit sarcastiquement Sajul.
— Qu'est ce que tu veux dire ? Il est toujours comme ça ?
— Oh que oui ! On ne peut pas dire que j'ai beaucoup échangé avec lui, mais les quelques
fois où c'est arrivé il ne m'en a pas laissé un bon souvenir... Enfin, il paraît que c'est un très
bon Logothète.
— Je vois oui. En fait, depuis notre départ je n'arrête pas de penser à ce qu'il a dit sur les
sorcières... Expliqua péniblement Dzaekh.
— Que le cataclysme serait de leur faute ?
— Non, enfin oui ça aussi, même si je n'y crois pas une seconde. C'est au sujet de cette
milice anti-sorcière...
— Ah, ça...
— Imagine qu'il arrive à rallier des gens, ou même juste quelques personnes d'influence à la
cour. Si il commence à stigmatiser les sorcières ça risque de tourner très vite en eau de
boudin !
— Alors ça c'est sûr ! Rétorqua Sajul en acquiesçant de la tête. Bon il ne faut pas toujours
prendre ce qu'il dit au pied de la lettre, mais de toute façon comme Irrod l'a dit, son idée de
milice anti-sorcière est irréalisable en l'état, je ne me fais pas trop de soucis.
— Tu ne t'inquiète pas pour Almaïn ? Personnellement je ne suis pas rassuré pour Seri avec
ce sectaire qui déambule à sa guise dans le Palais, et qui déverse ses idées obtues à qui veut
bien l'entendre. Poursuivi Dzaekh.
— Bien sûr que je m'inquiète pour elle, mais honnêtement je m'inquiète plus de ses anciens
ennemis de l'époque que de Peledrin. D'autant qu'elle n'a pas pratiqué depuis l’époque où
l’on s’est rencontré, rares sont ceux qui se souviennent d’elle.
— Oui oui, bien sûr. Et Seri non plus n'as pas pratiqué depuis des dizaines d’années, mais si
la situation empire on pourrait se retrouver dans un sacré merdier.
— J'entends bien, mais comme je te dis je ne me fais pas trop de soucis pour l'instant, et
puis l’Empereur savait parfaitement qui elles étaient lorsqu’elles sont venues vivre au
Palais, et ça ne l’a jamais dérangé. Si jamais la situation s'aggrave vraiment, on avisera. »
Répondit Sajul, qui semblait tout de même préoccupé.
CHAPITRE 4 : ERGUS

Il était encore tôt quand Dzaekh et Sajul quittèrent Bresa pour rallier Tanco, mais ils
ne devaient pas traîner s'ils comptaient arriver avant la nuit. D'autant que plus on s'éloigne
de Rel-Tavem, plus il est probable de croiser quelques brigands et autres coquins mal
intentionnés, et bien que les deux compères soient capables de gérer ce genre de situation
cela les retarderait inévitablement, alors qu'ils ont déjà perdu le peu d'avance gagné en
aidant Narius. Ils chevauchèrent donc à vive allure, ne s'arrêtant que quelques minutes en
milieu d'après-midi pour manger un morceau. Ce n'est qu'au coucher du soleil qu'ils
distinguèrent vraiment Tanco au loin, proche de quelques bosquets épars qui bordent le sud
des plaines de culture, et plusieurs heures après le crépuscule ils arrivèrent enfin au village.
Tanco est tout aussi peuplé que Bresa, mais est bien plus modeste. Les habitations et
les bâtisses sont vieilles et pour certaines à demi en ruines, quant aux villageois ils
n'arborent pas d'élégantes toges, mais des vêtements pour la plupart crasseux et rapiécés.
Cependant lorsque Dzaekh et Sajul avancèrent sur le chemin boueux au centre du village,
guidant leurs chevaux à pied, les quelques villageois alentour s'écartèrent, rentrant chez eux
en hâte et guettant d'un œil mauvais les deux arrivants. Les volets se fermèrent en claquant
et des portes se verrouillèrent prestement, tandis qu'une poignée de costauds gaillards
sortirent de l'auberge en grognant, l'air patibulaire et s'engageant en direction de Dzaekh et
Sajul : « On peut vous aider, étrangers ? Demanda le gaillard de tête, d'un ton menaçant.
— Que nous vaut un accueil si chaleureux ? Les gens semblent nous fuir comme si nous
portions le mauvais œil. Répliqua Dzaekh d'un calme imperturbable.
— Et ça s'pourrait ! Répondit vivement le gaillard. Qu'est ce que vous venez faire ici ?
Demanda-t-il, tandis que la demie douzaine de bonhommes qui se tenaient derrière lui
ruminait et semblait vouloir manger de l'étranger au souper.
— Nous ne sommes que de passage pour la nuit, nous nous rendons bien plus au nord.
Répondit froidement Sajul, qui visiblement n'appréciait pas beaucoup la façon de faire de
ces gens.
— Et qui vous dit qu'on a envie d'accueillir des étrangers ?! Vous n'êtes pas les bienvenus
ici, passez votre chemin ! Rétorqua-t-il aussitôt, tandis qu'une vieille femme sortit de
l'auberge et s'avanca vers le groupe.
— Polomn, s'il te plaît calme toi ! S'exclama la vieille femme en faisant de grands geste en
direction du fameux Polomn, tandis qu'elle s'avançait vers la tête du groupe. Ces voyageurs
n'ont rien à voir avec ce qui est arrivé.
— Peu m'importe Melen, ils ne resteront pas ! On ne peut pas prendre le risque ! Répondit
le gaillard patibulaire. Tu as bien vu ce qui s'est passé aujourd'hui !
— Pardon mais, de quoi s'agit-il ? Suivi Dzaekh, intrigué.
— Ça n'vous regarde pas, étrangers ! Occupez-vous d'v... Commença Polomn avant d'être
coupé par Melen.
— C'est un voyageur qui est arrivé ce midi. Répondit-elle, sans laisser le temps à Polomn de
reprendre la parole. Et, il y a eu un incident... Le voyageur avait un étrange écu avec lui, il
disait qu'il était magique et qu'il allait le revendre à Rel-Tavem pour une fortune. Il s'est
arrêté ici dans notre auberge pour dîner, et... Même pas une heure après qu'il soit arrivé...
— Il a tué quelqu'un cet enfoiré d'enfant de catin ! Reprit enfin Polomn, enragé.
— Comment ? Mais, pourquoi ? Questionna à nouveau Dzaekh, perplexe, alors que Sajul
jaugeait les villageois un à un, d'un œil avisé et sans dire un mot.
— Il... C'est à cause... Oh, vous feriez mieux de venir voir... » Balbutia Melen qui tourna les
talons, regardant ses pieds en faisant signe de la suivre à l'intérieur de l'auberge. Dzaekh et
Sajul jetèrent un regard vers Polomn et sa troupe, cherchant tout de même leur approbation
pour suivre Melen, et celui-ci leur lança un hochement de tête désinvolte en direction de
l'auberge comme pour faire signe qu'ils pouvaient y aller.
Ils harnachèrent donc leurs chevaux puis entrèrent à la suite de Melen. Dzaekh et
Sajul furent alors embaumés dans une odeur agressive de charogne, et remarquèrent
rapidement un drap recouvrant un corps dans un coin au fond de la salle. Il semblait
également y avoir au moins la moitié des habitants du village dans l'auberge, cependant
aucun n'était là pour festoyer... Tous étaient rassemblés le long du comptoir et affichaient
une mine lourde en regardant entrer le petit groupe. La plupart d'entre eux dévisagèrent les
deux compères, avec le même regard que Polomn et ses sbires eurent sur eux à leur arrivée.
Dzaekh et Sajul suivirent Melen vers le fond de la pièce où se trouvait le corps caché
par le drap, et remarquèrent également un homme allongé sur un banc le long d'une table,
visiblement assoupi. Melen commença alors ses explications : « L'homme allongé sur le
banc ici, c'est le voyageur qui nous à causé tous ces problèmes... Et, sous ce drap, c'est
Yielon... C'était le fils de Lyelia, la femme en robe verte là-bas... Expliqua-t-elle, pointant en
direction d'une pauvrette en robe verte, recroquevillée à même le sol et la tête enfoncée dans
ses bras pour couvrir ses pleurs et ses sanglots.
— Mes condoléances. Répondit sobrement Dzaekh. Mais que s'est-il passé ?
— Le voyageur, comme je vous ai dit, est arrivé avec un écu magique, qu'il disait... Il
entendait l'écu lui parler dans son esprit dans une langue inconnue. Continua Melen, la voix
faiblarde et frémissante.
— Et on l'a entendu aussi ! On est plusieurs à avoir pris l'écu et on l'a entendu parler dans
nos têtes ! Intervint Polomn, qui semblait s'être un peu calmé et paraissait désormais plus
docile.
— Tout à fait, on l'a trouvé plutôt téméraire de nous le montrer alors qu'il comptait le
revendre à prix d'or. C'est vrai qu'à première vue, on s'est tous dit que ça devait valoir une
petite fortune un objet aussi étrange... Continua Melen qui parlait désormais d'un ton plus
monotone, le regard fixé dans le vide. Vous imaginez bien que tout le village est venu voir
cet énergumène et son objet magique... Il a payé une tournée à tout le monde, se vantant
d'être bientôt aussi riche que l'Empereur... Ça a duré une heure je pense, tout le monde
s'amusait et les gens venaient à tour de rôle essayer d'entendre les voix...
— Et ça marchait ! On est une bonne dizaine à les avoir entendu avant qu'ça tourne mal !
Ajouta Polomn d'une voix grave, mais l'air plus conciliant.
— Oui, moi aussi j'ai essayé, et je les ai entendus... Poursuivit Melen.
— Et que s'est-il donc passé ? Comment cette personne sous le drap, Yielon, à pu perdre la
vie ? Demanda Sajul un peu brusquement.
— Yielon... Il attendait son tour pour écouter les voix. Et, quand il a pris l'écu... Bon sang,
les Gardiennes nous protègent ! Sanglota soudainement Melen, qui se mit alors à trembler
de la tête aux pieds en se remémorant la scène.
— L'écu s'est mit à briller... Reprit Polomn la voix et la mine lourde, semblant lui aussi être
profondement affecté par les récents évenements. En quelques secondes, l'écu brillait
tellement qu'il était devenu aveuglant... La dernière chose qu'j'ai pu voir, c'est que
l'voyageur à tenté de reprendre l'écu des mains de Yielon. Il a du avoir peur que ce soit le
petit qui fasse ça à son précieux écu... Et... On avait tous les yeux fermés, la lumière était
trop forte ! On a entendu un genre d'explosion... Comme si de la foudre explosait en
crépitant... Termina-t-il le regard fixé dans le vide.
— Et on a tous entendu les voix à ce moment. Précisa Melen, la voix toujours tremblante.
On les a tous entendu, et très distinctement.
— C'est vrai, comme si elles ne parlaient plus dans nos têtes mais qu'elles étaient avec nous
dans la pièce. Reprit Polomn, le regard agité. Quand... Quand on a pu rouvrir les yeux, on a
vu l'voyageur... Son bras était tout décomposé... Ça tombait en morceaux, et y'hurlait à la
mort... Et Yielon, le pauvre... Il n'a pas eu le temps d'hurler... Il... Lui, il était tombé en
arrière, et tout le devant de son corps... ... Tout était déchiré et décomposé... Comme le bras
du voyageur... »
Sajul, interloqué, s'en retourna vers le voyageur allongé et inconscient sur le banc à
côté. Son bras droit saignait et suintait encore à travers les bandelettes de fortune qui
cachaient avec peine sa large blessure. Tout son bras était nécrosé, la peau et les muscles
étaient déchirés et s'étaient désagrégés, laissant même voir les os par endroits. La nécrose
s'était arretée un peu avant l'épaule, et était bien plus grave à l'extremité de son bras. De sa
main droite il ne restait que les os et quelques rares tendons, certaines phalanges s'étant
même décrochées et étaient tombées sur le plancher tant les tissus et les chairs qui les
retenaient s'étaient décomposées, à l'image de l'avant bras dont il ne restait que les os et des
débris de chair épars. Constatant les séquelles sur le bras du voyageur, Sajul ne s'imagina
que trop bien ce qu'il découvrirait sous le drap où était Yielon...
« Yielon est donc mort sur le coup, c'est ça ? Demanda sobrement Dzaekh, qui jeta un coup
d'oeil rapide vers Sajul pour voir ce qu'il faisait.
— Oui... On, on n'a rien tenté, il n'y avait rien à faire... Continua Polomn, encore très
perturbé par ce qu'il avait vu. Il n'y avait plus rien à sauver... Sanglota-t-il à voix basse.
— Et vous pensez que le voyageur aurait pu avoir raison ? Demanda Sajul qui examinait en
même temps les tables de la salle.
— Que voulez-vous dire ? Rétorqua Melen qui ne comprenait pas la question.
— Vous pensez que le petit aurait pu faire ça ? Est-ce qu'il a reçu quelque instruction à
l'enchantement, ou l'alchimie ?
— Comment osez-vous, étranger ! S'enragea Polomn, offusqué au plus haut point par la
remarque de Sajul. Pour qui vous vous prenez, espèce d'enfoiré ! Vous sortez de nul part et
vous accusez ce pauvre Yielon d'avoir provoqué ça lui même ?! Je vais vous en faire voir
moi des instructions !...
— Polomn ! Tiens ta langue et calme tes ardeurs ! Interrompit Melen sans ménagement. Ces
personnes sont des notables de Rel-Tavem, je gage qu'ils ne demandaient pas cela dans le
but de nous offenser. Termina-t-elle d'une voix autoritaire.
— Effectivement, je ne cherche qu'à comprendre ce qui a pu se passer. Répondit calmement
Sajul qui ne prêta aucune attention au coup de sang de Polomn.
— Qu'est ce qui vous fait dire que nous venons de la Cité Impériale ? Demanda Dzaekh,
curieux de savoir ce qui avait trahi leur couverture.
— Vos chevaux messieurs. On n'en voit pas d'aussi beaux ailleurs qu'à la Cité. Expliqua
Melen en hochant la tête.
— Ah, bien sûr les chevaux... Acquiesça Dzaekh. Nous ne sommes pas là pour ça, mais si
nous pouvons aider nous le ferons. Affirma-t-il tout en sortant l'insigne Impérial, son petit
médaillon de fleur de lys cerclée d'une couronne de laurier.
— En revanche, ma question était tout à fait sérieuse. Reprit Sajul qui finissait de faire le
tour des tables en sortant également son médaillon à la va-vite. Est-ce que quelqu'un ici
pense que Yielon aurait eu les moyens ou les capacités de faire quelque chose du genre ? Et
à quelle table est-ce que ça s'est passé ?
— Je ne pense pas que Yielon ait pu faire ça, rares sont ceux qui savent lire ou écrire ici.
Enfin Lyelia saura mieux que nous autres... Répondit Melen. Et... Cela s'est passé juste ici,
sur cette table. Termina-t-elle en montrant la table à côté de laquelle le voyageur était
allongé.
— Celle-ci ? Elle est intacte, il n'y a que la vaisselle de brisée... Reprit doucement Sajul qui
commençait à se perdre dans ses pensées, se penchant sur le voyageur en l'examinant sous
d'autres angles.
— Effectivement, c'est étrange. Confirma Dzaekh, pensif également.
— Si vous êtes vraiment de la Cité Impériale, vous pouvez peut-être nous aider ? Engagea
Polomn, qui semblait avoir retourné sa veste bien facilement depuis qu'il entendit d'où
venaient les deux compères. Vous devez connaître des gens, vous pouvez faire enfermer ce
fumier d'Ergus pour le restant de ses jours ?!
— Ergus ? C'est le voyageur ? Demanda en réponse Dzaekh.
— Oui c'est lui ! Je suis sûr qu'il reste une place pour lui dans les cellules de Domelt !
Grogna Polomn qui s'énervait tout seul.
— L'écu, où est-il ? Demanda alors Sajul, le regard vif parcourant la pièce, comme si l'écu
allait se présenter de lui même.
— Il... Il est toujours dans la main de Yielon... Personne n'a osé y toucher... » Expliqua
tristement Melen, qui semblait même en avoir honte.
Tandis que Dzaekh et Sajul commencèrent leur petite investigation, Lyelia s'était
relevée et arriva auprès du petit groupe. Elle avait la tête lourdement penchée vers le sol, les
cheveux en bataille et les mains jointes, et elle susurra des mots mais sans vraiment avoir la
force de les prononcer : « Je... Vous... Vous êtes... Pouvez... Aider ?...
— Nos condoléances madame. Malheureusement, le mieux qui puisse être fait désormais est
de trouver une sépulture décente pour votre fils. Expliqua avec peine Dzaekh.
— Est-il possible de soulever le drap ? Demanda Sajul, principalement à l'attention de
Lyelia.
— Ou... Oui. » Soupira-t-elle avec difficulté.
Alors, Melen se dirigea vers le drap recouvrant le corps du pauvre Yielon, en pris un
coin et jeta un regard à Dzaekh et Sajul avant de le soulever, comme pour être sûre qu'ils
étaient prêts pour ce qu'ils allaient voir.
Lorsque Melen souleva le drap, tous les spectateurs trop curieux de revoir dans quel
état avait fini ce malheureux Yielon, détournèrent le regard à l'instant même où ils posèrent
les yeux sur le corps sans vie du jeune homme. Le drap, à demi découvert, laissait visible le
tronc rongé et nécrosé du pauvret. Son visage aussi, les tissus étrangement déchiquetés et
dissolus, ne laissant plus que le crâne intact pour sa face, l'arrière de sa tête étant plus ou
moins intacte. C'est comme s'il avait subi de plein fouet la salve suivant une explosion. De
devant, Yielon était défiguré, décharné, irreconnaissable... Polomn, sans trop le montrer,
retint un haut le cœur alors qu'il détourna les yeux. Dzaekh et Sajul eux, échangèrent un
regard désabusé en voyant le corps meurtri du pauvre jeunet, puis Dzaekh montra du regard
l'écu, en faisant signe de la tête à Sajul pour lui indiquer l'extérieur. Ce dernier se mit alors à
fouiller dans l'un de ses deux ceinturons en bandoulière, pour en sortir un épais gant de cuir
qu'il enfila, ainsi qu'une petite pince en fer dont il se servit pour attraper l'écu qui était
encore bien accroché dans les mains décomposées de Yielon, dont la fossilisation
instantanée permit à ses os de ne pas se détacher les un des autres. Sajul sortit ensuite de
l'auberge d'un pas rapide, tenant de loin l'étrange écu avec sa pince, et conseillant à
quiconque de rester éloigné. La plupart des villageois présents dans l'auberge regardèrent
Sajul partir, attendant d'être à bonne distance pour pouvoir le suivre et guetter si l'écu allait
refaire des siennes. Mais alors que Melen s'engageait pour suivre tout le groupe, Dzaekh
l'alpagua.
« Melen, dites moi, est ce que dans votre établissement vous auriez un tout petit tonnelet ?
D'un litre ou deux hein, pas plus.
— Ah, mais attendez vous avez sorti l'écu pour pouvoir vous saouler tranquillement à
l'intérieur ? Demanda Melen, interloquée et surtout surprise.
— Haha, non non ! Certainement pas, on a encore du pain sur la planche avec cet écu... Je
parlais d'un tonnelet vide.
— Un vide ? Pour... l'écu ? Mais qu'est ce que vous comptez faire avec cet objet de malheur
?! Il va juste vous exploser au visage comme il l'a fait avec Yielon, et vous vous retrouverez
six pieds sous terre avant d'avoir pu dire « ouf » ! S'exclama Melen, visiblement très
inquiète de ce que Dzaekh et Sajul préparaient.
— Il ne faut pas vous inquiéter, on sait ce qu'on fait ! Affirma Dzaekh d'une voix ferme et
confiante.
— Oui oui bien sûr, mais, prenez garde quand même... Ergus, vous savez, il a dit qu'il venait
de Milno... Et il se passe toujours des choses étranges là-bas... Expliqua-t-elle à voix basse.
— Vous parlez de cette histoire de bêtes sauvages ? Les créatures hybrides ?
— Oui, ça entre autre ! Ces chimères ont posé beaucoup de problèmes dans les plaines, et
certains disent que la purge faite par la Bastille de Ternes à l'époque n'a pas éradiqué toutes
ces bêtes, et que les dernières seraient parties se retrancher dans les bois ou les montagnes...
— Oui je connais les rumeurs, mais cela dit la Maison-Forte de Dolomet avait envoyé des
équipes il y a trois ans, pour ratisser toute la région et s'assurer que ces créatures soient bien
de l'histoire ancienne. Répondit-il protocolairement.
— Oh, vous savez ce que c'est... Quand on envoie des hommes en mission durant trois
saisons, eux ils n'pensent qu'à rentrer chez eux et ils n'ont pas envie d'aller traquer des
monstres tueurs d'hommes...
— Ça, je veux bien vous l'accorder, même si je préfère penser que mes confrères de la
Bastille et de la Maison-Forte sont plus consciencieux que ce que vous dites.
— M'enfin bref, prenez garde ! Même sans parler de cette histoire de chimères, il y a
souvent des disparitions étranges, des événements bizarres à Milno... Certains ici pensent
qu'un groupe de sorcières peu scrupuleuses est derrière toutes ces étrangetés là-bas, mais
moi j'en sais rien, j'y suis même jamais allé ! Continua Melen, la voix tremblotante et la
mine lourde.
— Ne vous en faites pas, nous serons très prudents. Et pour ce tonnelet d'ailleurs ?
Poursuivit Dzaekh.
— Ah, en effet ! Alors je vais aller voir, mais j'en doute ! Des tonnelets d'un ou deux litres,
c'est pas souvent qu'on en voit. Vous n'voulez pas plutôt une bouteille ?
— Non non, surtout pas, il faut que ce soit en bois ! » Repondit Dzaekh, haussant la voix
pour se faire entendre par Melen qui était descendue à la cave.
Alors qu'il entendait Melen marmonner au sous-sol, il entendit également la voix de
Sajul, qui l'appellait depuis l'exterieur. Il quitta donc l'auberge pour rejoindre son compère
qui s'était éloigné vers l'exterieur du village, et qui visiblement l'attendait pour s'éloigner
encore un peu plus, vers la petite plaine dégagée non loin. Dzaekh se fit rabrouer par son
camarade car, en effet, beaucoup de villageois trop curieux suivaient de plus ou moins près
Sajul qui transportait l'écu, voulant voir ce qu'ils allaient en faire. Dzaekh ne pris pas la
peine de considerer les villageois, et avança d'un pas rapide avec Sajul vers la plaine
pendant dix bonnes minutes, jusqu'à être à bonne distance du village. Plusieurs souches
d'arbres parsemaient le milieu de la petite plaine, et Sajul profita de l'une d'elle pour y
déposer très précautionneusement l'écu. Dzaekh lui s'installa sur une autre souche à
quelques mètres, sorti un parchemin vierge de sa besace et commença à y tracer un sigil.
« Qu'est ce que tu traces ? Demanda Sajul perplexe. Il vaut mieux sceller ce truc sans
attendre à mon avis.
— On ne va pas le sceller sans savoir de quoi il s'agit quand même ? Répondit Dzaekh qui
restait concentré sur son tracé.
— Ah... Tu vas faire ton sigil qui est beaucoup trop dangereux et qui donne un résultat
beaucoup trop vague, c'est ça ? Poursuivit sarcastiquement Sajul, qui jetait des coups d'œil à
l'écu comme s'il allait exploser d'un moment à l'autre.
— Oui, c'est exactement celui-là. » Répondit très sérieusement Dzaekh.
Au bout d'à peine une minute, Dzaekh avait fini son sigil et déposa bien à plat le
parchemin sur la souche où il était assis, avant de demander à Sajul de prendre l'écu pour le
déposer sur le parchemin. Ce dernier marmonna quelques plaintes du fait que ce soit lui qui
doivent s'occuper du transport de cet objet de malheur, mais il s'éxecuta tout de même. Il
amena l'écu avec une minutie très méthodique tandis que Dzaekh s'écartait de la souche,
puis il déposa l'écu au centre du sigil, non sans un frisson de peur incontrôlé. Alors même
que l'écu toucha le parchemin du bord de sa tranche, des crépitements se firent entendre
dans l'air. Il n'y avait aucun feu d'aucune sorte, mais les crépitements s'intensifièrent et se
muèrent en des grésillements assourdissants dès l'instant où Sajul lâcha completement l'écu
au centre du sigil. Il ne traîna pas et s'écarta aussitôt de la souche où se déroulait la réaction.
Étrangement, le calme semblait regnait dans la modeste plaine, le vent ne soufflait pas, tout
était immobile et calme, tout hormis ce vacarme qui se modulait et se transformait, laissant
par moment entendre des bruits lourds et craquants, parfois des mélopées tirant vers les
aïgus les plus inaudibles, et certaines fois, donnant l'impression d'entendre le râle d'agonie
infernal d'une horde de démons fantasques. Alors qu'ils plaquaient leurs mains sur leurs
oreilles pour tenter de ne pas perdre la tête à l'écoute de ce boucan blasphématoire, Dzaekh
et Sajul décelèrent une odeur âcre diffuse se répandre dans l'air, brûlant leurs voies
respiratoires à chaque inspiration. Une odeur épaisse et malsaine, qu'aucun des deux ne
connaissaient... Mais le vacarme continuait toujours, faisant désormais saigner les oreilles
des deux compères au fur et à mesure de ses modulations infernales, et Dzaekh tenta de faire
signe à Sajul tout en hurlant des instructions inaudibles à travers le brouaha. Il arrêta
rapidement de faire des signes en vain, préferant proteger à nouveau son oreille qu'il avait
découverte, mais il eut alors des vapeurs et sentit sa conscience vasciller. Il tomba à genoux,
recroquevillé, tenant sa tête entre ses mains, en criant et se tordant de douleur. Il savait que
son esprit ne resisterait pas encore bien longtemps, et il parvint à trouver la force de se
relever, prêt à sauter sur le parchemin pour le retirer de dessous l'écu, mais quand il releva la
tête, le vacarme infernal et impie s'arreta. Sajul, qui semblait souffrir le martyr également,
avait eu la même idée et venait de tirer le parchemin loin du contact avec l'écu. Le calme
revint alors dans la plaine, alors que Sajul et Dzaekh s'éffondrèrent tous deux au sol, à bout
de force. Il fallut plusieurs minutes à Dzaekh avant qu'il ne retrouve ses esprits et que la
douleur ne passe. En le voyant reprendre conscience, deux villageois s'approchèrent avec
hésitation, gardant tout de même une bonne distance avec Sajul qui lui était encore étendu
au sol tout proche de l'écu.
« M'sieur ?.. M'sieur ? Vous allez bien ?.. Demanda l'un des deux villageois, le plus grand et,
visiblement le moins effrayé.
— Euh... Ouf... Oui, oui je crois que ça va. Répondit difficilement Dzaekh qui se redressa
avec peine en position assise.
— On a eu très peur ! Qu'est ce que c'était que ce vacarme infernal ? Demanda d'une voix
inquiète le plus grand des deux villageois.
— On a bien cru que la fin du monde était arrivée ! Ajouta le second.
— C'était le sigil... Arf, je ne m'attendais pas... Commença Dzaekh qui essayait de se relever
avec le peu de force qu'il avait, avant de continuer une fois remis d'aplomb. Je ne pensais
pas que ce serait si violent... Mais, vous allez bien vous ?
— Oui nous ça va, enfin c'boucan strident à fait tourner de l'œil la vieille Gisa, mais elle a
r'prit ses esprits au bout de deux minutes. Expliqua le plus petit, et le plus jeune des deux.
Mais et vous, ça va ? Vous vous êtes écroulé avec vot' copain, on a tous cru que vous y étiez
passé !
— Oh par les jupons de Dolnarae, Sajul ! S'écria-t-il avant de se ruer en direction de son
compagnon encore étendu au sol. Hé, Sajul ! Tu m'entends ?! Hurla-t-il sans ménagement,
avant de prendre son pouls à sa gorge et de constater qu'il était encore en vie. Bon sang, tu
m'as fait une de ces frayeurs !.. C'est bon, il va bien ! Cria-t-il au deux villageois qui étaient
resté en retrait, et qui n'avaient toujours pas envie de s'approcher plus près de l'écu qui
scintillait dans l'herbe sous les rayons lunaires, là où il avait atterri au pied de la souche.
— Ah tant mieux ! Cria de loin le plus grand des deux. On vous laisse le ramener au village,
on n'a pas trop envie de venir plus près, v'voyez. »
Dzaekh hocha de la tête avant de se pencher sur son compagnon pour l'examiner plus
en détails. Sajul n'avait pas de plaies apparentes, mais il avait saigné des oreilles tout
comme Dzaekh. Cependant il présentait d'abondants saignements du nez, et avait
visiblement craché du sang à en juger les éclaboussures sur ses vêtements et au sol, sans
parler des larges coulées de sang qui se déversaient de ses lèvres.
« J'admets que tu avais raison, c'était peut être un peu trop dangereux... Dit à haute voix
Dzaekh, alors que Sajul reprit conscience à ce moment.
— Aaah... Pu... Tain ! Geigna Sajul les dents serrées et peinant à ouvrir les yeux. Hmmf, tu
vois... Je te l'avais dit. Grogna-t-il les dents serrées en tentant de se redresser, les bras
tremblants et le visage livide.
— Tu me l'avais dis... Répondit Dzaekh tout penaud, aidant son compagnon à se redresser.
— Arf, j'espère que tu as au moins appris quelque chose ! Grommela-t-il en s'adossant à la
souche, encore trop faible pour se relever.
— Oui, encore heureux ! Mais, tu es sûr que ça va aller ? Demanda Dzaekh, inquiet de l'état
de son ami.
— Hmf, ça ira. Ne t'en fais pas... Alors, dis moi tout.
— C'est une malédiction de possession.
— Encore de la possession ? Qu'est ce que c'est que ce bordel ?! S'enerva Sajul qui,
visiblement à fleur de peau, ne s'efforçait plus à l'élégance de son verbe.
— Je sais... C'est ce que je me disais, en des termes moins familiers.
— Ha. Ha. Ria sarcastiquement Sajul, sans grand entrain. Et c'est tout ? Rien d'autre ?
— C'est déjà un bon indice de savoir ça. Et puis il y a des choses étranges...
— Du genre ? Demanda Sajul intrigué.
— Du genre que l'écu serait de toute évidence l'ancre animique, mais il n'y a pas de rune
gravée dessus.
— Donc... Ce n'est pas un enchanteur qui a fait le coup ? Demanda Sajul, n'étant pas certain
de son affirmation.
— Exactement ! On n'a pas à faire à un rituel de possession classique. Donc la première
chose qui me viendrait à l'esprit...
— C'est que ce serait l'œuvre d'une sorcière... Termina Sajul à la place de Dzaekh.
— J'en ai bien peur... Et ça ne me réjouit pas... Même si c'est l'œuvre d'une marginale qui
fait ça seule, la réputation des sorcières est déjà bien entachée, et ça ne va pas aider... Pensa
Dzaekh à haute voix.
— J'en connais un au Palais qui, au contraire, va bien se réjouir si c'est vrai.
— Enfin bref, le fait que ce ne soit pas un rituel d'enchanteur, ça pourrait expliquer pourquoi
la réaction à été si... Brutale...
— Oui, c'est certainement ça. Répondit Sajul d'un ton amer, et qui parvenait enfin à se
remettre debout de lui même, bien qu'il soit très pâle et qu'il tremble comme une feuille.
— En revanche, je ne m'explique pas cette étrange odeur abrasive.
— Ah... C'est bon signe ça ! Répondit Sajul cyniquement.
— J'ai vraiment l'impression qu'on passe à côté de quelque chose...
— Tu pense que c'est lié à la catastrophe de l'autre jour ? C'est vrai que c'est bizarre que des
événements comme ceux-là se produisent sur une si courte période... Réfléchit Sajul.
— Peut-être, ou peut-être pas... On ne sait même pas ce que c'était que cette catastrophe,
c'est compliqué de dire si c'est lié. Pensa Dzaekh, laissant Sajul silencieux quelques instants.
— Bon... Et pour cet écu, tu penses pouvoir faire quelque chose pour lever la possession ?
Demanda Sajul d'un ton amer.
— J'ai bien peur que non... Répondit tristement Dzaekh. Les sigils de dépossession ne
s'utilisent que sur la victime directement, et puis je ne suis même pas sûr qu'il existe un sigil
pour défaire une malédiction.
— Comment ça tu ne sais pas ? Ce n'est pas toi qui est censé être à la tête de la Loge de la
Cité ?
— Non mais, bien sûr que c'est moi... Répondit Dzaekh qui leva les yeux au ciel,
visiblement de moins en moins réceptif au sarcasme de son ami. Ce que je veux dire, c'est
qu'à ma connaissance ça n'existe pas... Il faudrait que je demande à Amunt, si un tel sigil
existe, lui il le saura.
— Donc, qu'est ce qu'on en fait de cet écu ? Soupira Sajul qui jeta un regard mauvais à l'écu
malveillant qui attendait dans les touffes d'herbes.
— Écoute, je pense qu'on va sceller ce truc sans attendre si tu veux mon avis.
— Ah ! En voilà une bonne idée ! Répondit Sajul avec un regard taquin.
— J'avais demandé à Melen de nous trouver un petit tonnelet en bois, retournons au village
voir si elle en a trouvé un. Et puis, tu pourras manger quelque chose au passage, tu es encore
pâle.
— Effectivement, ça ne me fera pas de mal. En revanche, on va avoir un problème.
Commença Sajul d'un ton grave. J'ai tout les ingrédients pour faire un sceau d'isolement,
seulement j'avais prévu de les garder jusqu'à Rodan, si on avait besoin de sceller quelque
chose sur les lieux du cataclysme. Si on les utilise maintenant, on ne pourra plus rien sceller
là-bas...
— Tu ne peux pas racheter les ingrédients chez un druide en chemin ? Il me semble qu'un
ami de Lodt vit près du bois de Lodalteï.
— Je doute qu'il ait de l'huile de Benrûth... J'ai déjà dû montrer patte blanche au Palais pour
qu'on me laisse en emporter un demi litre ! Pour te dire, le contremaître me disait qu'il n'en
avait que quatre litres au dernier inventaire.
— Ah... Effectivement, si même le stock Impérial est presque vide... Répondit Dzaekh qui
semblait un peu déçu.
— D'autant que les Benrûth ça ne court pas les bosquets, ça vit plutôt du côté la Mer
Filienth. Et sans parler de l'écorce de merisier, ça fait longtemps que je n'en ait pas vu
ailleurs que dans le stock Impérial justement... Poursuivit Sajul qui lui aussi semblait dépité.
— Mais de toute façon, on n'a pas vraiment le choix.
— Non, c'est sûr. On ne peut pas laisser l'écu libre comme l'air !
— Il faudra juste espérer qu'on n'ait rien besoin de sceller une fois à Rodan... » Termina
Dzaekh qui tentait de se rassurer.
Les deux compagnons retournèrent doucement au village, traversant le bosquet sous
l'obscurité et le froid nocturne, tous les deux silencieux et perdus dans leur pensées. Ils
rejoignirent l'auberge où certains des villageois s'étaient réfugiés après la réaction quelque
peu incontrôlée du sigil, et lorsqu'ils entrèrent dans l'auberge, ils sentirent sur eux les
regards méfiants et dédaigneux, tout comme à leur arrivée ici. Cependant, Melen qui était en
train de discuter vint les accueillir pour leur demander ce qui s'était passé, avant de
remarquer la mine faiblarde de Sajul et de demander s'ils allaient tous les deux bien. Sajul
expliqua d'une voix désabusée que non, il n'allait pas bien, et il demanda un grand pichet
d'eau et une pleine assiette de n'importe quel plat disponible. Dzaekh lui, demanda si elle
avait finalement pu trouver un tonnelet, ce à quoi Melen fût heureuse de répondre qu'elle en
avait effectivement trouvé un ! Elle repartit sans tarder pour revenir aussitôt avec le pichet
d'eau et le tonnelet vide, qui selon Dzaekh, devait avoir une contenance d'environ trois
litres, puis elle s'en allât de nouveau en expliquant qu'elle partait préparer une assiette de
tourte aux champignons pour Sajul. Les deux compères s'étaient installés sur une des tables
au fond de la salle, loin de la troupe de villageois qui étaient au comptoir et qui, après
plusieurs larges chopes de bière chacun, chuchotaient sans grande discrétion quelques
soupçons et autres doutes sur l'efficacité de Dzaekh et de Sajul. Dzaekh entendit même un
des villageois particulièrement aviné se demander s'ils venaient vraiment de la Cité
Impériale. Mais Melen revint alors de la cuisine les bras chargés d'un plat encore chaud,
jetant au passage un regard assassin aux soulards qui ne prennaient plus vraiment la peine
d'essayer de chuchoter leurs interrogations, et elle se dirigea directement vers la table de
Dzaekh et Sajul.
«Voilà pour vous, une tourte entière pour vous deux, ça devrait vous requinquer ! Annonca
gracieusement Melen en posant le plat et les couverts sur la table. Et, euh, excusez les...
Reprit-elle d'une voix accablée, roulant des yeux pour désigner les ivrognes au comptoir. Ils
ont besoin de se rassurer, ils ont prit peur quand il y a eu ce vacarme, et on ne peut pas leur
en vouloir avec ce qui se passe ces jours-ci...
— Ne vous en faites pas, en général on ne se formalise pas sur les jugements des gens un
peu trop imbibés. Répondit Sajul d'un ton monocorde.
— Et comme vous dites, c'est compréhensible. Avec le cataclysme d'hier matin, il est
normal que les gens soient sur les nerfs. Reprit Dzaekh d'une voix plus compatissante.
— Si je peut me permettre Melen, vous semblez nous accorder une confiance aveugle
depuis que nous sommes arrivés. C'est fort aimable mais, pourquoi ? Demanda Sajul sans
détour, tandis que Dzaekh le regarda, perplexe.
— Et bien, je fais le pèlerinage jusqu'au Plateau du Pèlerin tous les cinq ans, et il arrive que
la route ne soit pas sûre si vous voyez ce que j'veux dire... Heureusement, certains
enchanteurs et Compagnons font aussi le pèlerinage, eux ils savent se défendre contre les
brigands ! Expliqua-t-elle d'un ton malicieux. Sans eux je ne serais plus là, à trembler
comme une feuille à la vue d'un écu ! Termina-t-elle en plaisantant.
— Effectivement, le pèlerinage vers le Plateau est une bonne occasion de se remplir les
poches pour les détrousseurs, avec tous les gens qui font le chemin... Répondit Dzaekh d'une
voix dépitée. Mais je suis heureux que vous soyez saine et sauve, vous nous êtes d'une
grande aide ! Termina-t-il d'un ton plus amical.
— Hmm, dites moi. Commença Sajul qui avait déjà coupé la tourte et avait la bouche pleine
d'une énorme part. Je suis navré, on vous sollicite beaucoup mais, auriez-vous un saladier,
une planche à découper ainsi qu'une cuillère et un couteau de bonne facture ?
— Oui bien sûr, vous voulez que je vous apporte ça ? Demanda alors Melen.
— S'il vous plaît, oui. Mais il faut que le tout soit parfaitement récuré et immaculé !
Ajouta-t-il d'un ton rigoureux, levant le doigt en signe d'avertissement.
— Je m'en occupe tout de suite. Répondit-elle, faisant une légère courbette et repartant aussi
sec.
— Ah Melen ! Pourriez-vous également nous préparer une chambre pour la nuit ? Demanda
Dzaekh, qui reçut un hochement de tête de la part de Melen qui était presque déjà aux
cuisines. Bon... Continua-t-il alors qu’il prit une part de la tourte. Il faut qu'on sache si
Yielon avait quelque chose de particulier... Si c'est bien une sorcière qui à fait ça, il faut
savoir pourquoi elle le ciblait lui.
— On pourrait déjà demander à Lyelia, j'imagine qu'elle serait au courant. Proposa Sajul.
— Mais, c'est bizarre.. Poursuivit Dzaekh, la main sur le menton et les yeux fixés au
plancher. Ils disaient qu'ils entendaient des voix en touchant l'anneau...
— Et ce n'est pas censé faire ça ?
— Non. Pas si le sortilège est fait correctement. Répondit Dzaekh qui semblait suspicieux.
Enfin, je ne suis pas expert en sorcellerie... J'imagine que si le sort n'est pas tout à fait réussi,
et vu ce qu'il s'est passé on peut supposer qu'il ne l'était pas, il pourrait y avoir des effets
particuliers, comme le fait d'entendre des voix... Termina-t-il alors que Melen revenait avec
les ustensiles que Sajul avait demandé.
— Merci beaucoup Melen, vous êtes adorable ! Répondit Sajul qui commença à répartir sur
la table chacun des objets apportés, tandis que Melen retourna s'occuper de ses clients qui
s'asséchaient au comptoir. Le problème qu'on va avoir aussi, c'est que si tout ça est causé par
des sorcières, il va falloir qu'on prévoit un plan ! Non parce que moi je n'ai jamais eu à me
confronter à de la sorcellerie, et je n'ai pas bien envie de me faire incendier par une boule de
feu, tu comprends...
— Et moi non plus ! Mais ne t'en fais pas, on aura un peu de temps pour se préparer demain
matin avant de repartir. Et puis je n'ai pas eu à me frotter à beaucoup de sorcières dans ma
vie, mais en général elles ne sont pas si dangereuses que ça en confrontation directe, on aura
d'autant plus de chance si on se prépare bien avant de la confondre.
— Hm, je te fais confiance... » Répondit Sajul qui semblait inquiet sans trop le montrer.
Les deux comparses continuerent de fabuler l'hypothèse qu'une ou plusieurs sorcières
auraient pu provoquer les évènements récents, essayant de chercher une cohérence, une
logique ou juste un semblant de concret. Tout en discutant et reflechissant avec Dzaekh,
Sajul sortait differents objets des multiples poches de son ceinturon, ainsi que deux très
grosses fioles de sa cartouchière qu'il posa sur la table, et s'apprêta à verser le contenu de la
plus grande fiole dans le saladier avant de retenir son mouvement. Il prit le saladier pour
l'inspecter et, le jugeant suffisament récuré et immaculé à son goût, le reposa avant de verser
dedans le contenu de la plus grande fiole. Il y ajouta le contenu de la seconde fiole, montrant
à Dzaekh la fameuse huile de Benrûth si difficile à trouver, et mélangea le tout avec la
cuillère. Il continua quelques minutes, débatant avec son compère sur les rumeurs de
sorcières à Milno, puis il sortit une minuscule fiole contenant une poudre marron, qu'il versa
dans le saladier avant de continuer à mélanger. Dzaekh évoqua le fait qu'il y aurait eu des
évènements étranges à Milno ces dernières saisons, Melen ayant suggéré qu'il y eut
nottament des disparitions, et rappela la fameuse attaques des chimères il y a de cela quatre
saisons, tandis que Sajul cessa de mélanger pour ouvrir une toute petite poche contenant
plusieurs feuilles d'ancolie, encore fraîches comme si elles avaient été cueillies le matin
même. Il en sortit trois et commença à les hacher avec une minutie imperturbable, alors que
Dzaekh s'était saisi du tonnelet et en retira le fond qu'il posa sur la table, continuant à se
demander si Milno était aussi bizarre et risqué que ce que Melen laissait entendre. Il n'était
pas rassuré, et d'autant plus après avoir vu ce qui s'était passé à ici et à Bresa. Quoi qu'il en
soit, Dzaekh qui restait pensif sortit de sa sacoche un petit marteau ainsi qu'un burin, mais
attendit que Sajul ait fini de hacher les feuilles avant de s'en servir. Ils divagèrent alors sur
les raisons qui pousseraient une sorcière à tenter une possession sur un jeune d'ici, et qui à
priori n'a rien de particulier, avant de se demander si ce n'aurait pas pu être pour nuire à
Lyelia plutôt qu'à Yielon lui même. Voyant que Sajul prenait tout son temps pour hacher ces
trois malheureuses feuilles, Dzaekh décida d'aller chercher Lyelia qu'il croyait avoir vu
passer vers le comptoir, peu après leur retour dans l'auberge. Il la trouva effectivement, en
retrait, assise à une table dans le coin de l'autre côté de la salle, effondrée et la tête dans ses
bras, tenant compagnie à deux bouteilles vides. Dzaekh fit preuve de beaucoup d'empathie
et de diplomatie pour soutenir la pauvre Lyelia, puis il l'invita à sa table en lui proposant
d'essayer de tirer cela au clair. Quand ils revinrent, Sajul avait enfin fini de hacher les
feuilles d'ancolies qu'il venait tout juste d'ajouter dans le saladier.
« Lyelia ! Je vous en prie, asseyez vous... Commença Sajul.
— Dites moi... Commença Lyelia sans attendre. Les autres, au comptoir... Ils... Ils pensent
que Yielon à rejoint les voix dans l'écu... Dites moi... Est-ce que c'est vrai ?!
— J'en doute. Répondit Dzaekh d'un ton grave. Il est probable qu'une sorcière ait lancé cette
malédiction sur l'écu, mais il est très invraisemblable qu'une sorcière ait le pouvoir de
capturer l'esprit humain. Termina-t-il toujours sur un ton impassible.
— Alors... Il... Il est vraiment... Il ne reviendra pas... Répondit Lyelia qui retenait avec
ardeur ses sanglots.
— Je suis vraiment navré pour vous... Reprit Dzaekh, tandis que Sajul restait silencieux.
Mais sachez que si cet écu était effectivement un piège à esprit, je ne souhaiterais à
personne de survivre à ce piège.
— En revanche, nous pouvons encore comprendre ce qui s'est passé... Poursuivit doucement
Sajul. On peut encore rendre justice pour votre fils, mais pour comprendre il faudrait qu'on
vous pose quelques questions, si vous êtes d'accord bien sûr... Finit-il alors que Dzaekh lui
jeta un regard inquisiteur, hochant la tête pour lui signifier de ne pas être trop brusque avec
la malheureuse.
— Oui... Oui, allez-y.
— Dites nous, est ce que Yielon avait des occupations particulières, des choses un peu hors
du commun ? Ou même vous... Vous pouvez être honnête avec nous, vous ne craignez rien,
mais il doit y avoir une raison pour que Yielon ait été la cible de la malédiction, vous devez
nous dire s'il y a quoi que ce soit. Demanda Sajul sans vraiment prendre de pincettes.
— Je... Non... Mon fils est un garçon tout à fait normal, il est calme et ne fait pas plus de
bêtises qu'un autre enfant de son âge... Enfin, il... Il était... Répondit difficilement Lyelia
entre deux sanglots. Il travaillait dans les champs comme moi, il n'y a aucune raison que
quelqu'un s'en prenne à lui ! Oh bon sang !.. Mon pauvre fils ! Larmoya-t-elle en pleurs,
tandis que Dzaekh qui se tenait toujours debout posa sa main sur son épaule.
— Et vous, est ce que quelqu'un pourrait vous en vouloir ? Enchaîna Sajul qui semblait
curieux.
— Non, enfin bien sûr que non ! Répondit-elle après quelques secondes. C'est un petit
village ici, on s'entend tous très bien, personne ne ferait une chose pareille ! Et puis le
voyageur ne venait pas d'ici, pourquoi voudrait-il du mal à mon fils ?!
— Il venait de Milno... Vous ne connaissez personne là-bas ? Continua Sajul.
— Personne ! Je n'y suis même jamais allé ! Je... Je ne comprends pas... Pourquoi mon fils,
bon sang !
— C'est ce qu'on essaie de comprendre aussi... Répondit Dzaekh, désemparé. Mais ne vous
en faites pas, celui qui à fait cela ne restera pas impuni !
— On ferait mieux de ne pas plus vous déranger avec nos questions... Vous préfereriez
certainement rester seule... Poursuivit Sajul d'un ton compatissant.
— Et bien pour être honnête, votre compagnie m'est bien plus agréable que la solitude. Et
puis vous au moins, vous ne faites pas que vous lamenter au comptoir d'une auberge...
Dit-elle en jetant un regard accusateur aux multiples ivrognes qui cuvaient, affalés sur le
comptoir. Enfin, si je ne vous dérange pas, vous sembliez occupés.
— En effet, nous étions en train de créer un sceau pour enfermer ce maudit écu. Mais restez
donc, si cela permet de vous changer les idées ! Expliqua amicalement Sajul. De toute façon
j'en ai fini pour le moment, je dois laisser l'huile décanter pendant une heure
— Qu'est ce donc ? Demanda Lyelia en s'étirant pour voir le contenu du saladier.
— Il s'agit d'une huile de rétention, on y baignera l'écu pour l'empêcher de nuire à nouveau.
Expliqua-t-il alors que Dzaekh venait de s'asseoir, et prit enfin en main son petit marteau
ainsi que son burin afin de graver quelque chose sur le fond du tonnelet. Et comme vous le
voyez, Dzaekh grave un sigil pour compléter le sceau.
— Vous comptez sceller l'écu dans un tonnelet ? Demanda Lyelia les yeux écarquillés,
observant ledit tonnelet. Vous rigolez j'espère ?
— Pas du tout. Mais ne vous en faites pas, c'est une mesure d'urgence pour le moment.
L'écu sera transféré jusqu'aux laboratoires de la Cité pour être examiné et traité en
conséquence. Et puis l'écu ne semble pas altérer le bois. Voyez la table où l'accident s'est
produit, elle n'a pas une égratignure ! Un tonnelet en bois fera parfaitement l'affaire pour le
moment. Expliqua Dzaekh sans relever la tête de sa gravure.
— Et vous n'allez pas le sceller ici quand même ?! S'inquiéta soudainement Lyelia.
— Aucunement, vous pouvez vous détendre. L'écu est resté à l'extérieur, à l'orée de la petite
plaine. Répondit Sajul d'une voix qui se voulait rassurante.
— Attendez... Vous avez laissé l'écu dehors sans surveillance ?! Vous êtes bien sûr de savoir
ce que vous faites ? Demanda Lyelia, visiblement inquiète de la nonchalance dont les deux
compères faisaient preuve à l'égard de la situation.
— Honnêtement très chère avec ce qui s'est passé aujourd'hui, je pense que personne
n'aurait envie de risquer sa vie à s'approcher de cet objet de malheur... Supputa Sajul.
— Et puis il est déjà très tard, je doute que beaucoup de villageois soient dehors à cette
heure. Ajouta Dzaekh, toujours sans relever la tête du sigil qu'il gravait, et qui désormais
était presque complet.
— Certes... J'imagine que personne n'aurait envie de s'en emparer... Acquiesça Lyelia, qui
observa alors le sigil que Dzaekh gravait, et dont les lignes étaient parfaitement droites et les
cercles parfaitement ronds. C'est incroyable ! Comment arrivez-vous à faire cela ?!
S'étonna-t-elle.
— Comment ? Demanda Dzaekh qui était resté concentré sur sa gravure, et qui vit Lyelia
pointer du doigt le sigil. Oh oui ! Le sigil ? Et bien ça très chère, c'est une dizaine d'années
d'apprentissage et de travail pour réussir à tracer des cercles et des droites parfaites ! Se
flatta-t-il. Mais c'est plus que nécessaire, si le sigil n'est pas parfaitement tracé il pourrait
réagir de manière incontrôlée. Beaucoup se sont brûlés les doigts en essayant des sigils fait à
la va-vite... Expliqua-t-il d'un ton plus grave.
— Dix ans ? Ça fait beaucoup pour tracer des cercles ronds, non ? Répondit Lyelia d'un ton
moqueur.
— Il est vrai, c'est assez long...
— Mais il apprend aussi à tracer des lignes droites, et ça, ça prend du temps aussi !
Interrompit Sajul qui se moquait également et sans vergogne de son ami.
— Non mais, on ne fait pas que ça ! Répondit Dzaekh qui prit la réflexion au premier degré.
Et puis si il y a ne serait-ce qu'une ligne du sigil qui n'est pas parfaite...
— Oui on sait, tu devras retourner à l'école pour apprendre à tracer des cercles. Interrompit
une fois de plus Sajul, poursuivant d'autant plus le sarcasme.
— Ouais, alors dis nous combien de temps tu as étudié pour apprendre à correctement
hacher des feuilles ? Poursuivit Dzaekh qui semblait vouloir se moquer de son compère à
son tour.
— Bon... Il est vrai, j'ai aussi travaillé pendant une bonne dizaine d'années... Mais je sais
aussi moudre en plus de hacher ! Reprit Sajul qui de toute évidence ne craignait pas
l'auto-dérision.
— Vous aussi dix ans ?! Mais en revanche vous ne savez pas tracer de cercle parfait ?
Plaisanta Lyelia qui se dérida le temps de quelques secondes.
— Non en effet, mais lui ne sait pas hacher des feuilles parfaitement ! Répondit alors Sajul.
— Alors, je n'ai pas dix ans d'expérience c'est vrai, mais je suis sûr que je hache au moins
aussi bien que toi ! Répondit Dzaekh avec un rictus, sachant très bien que c'était faux.
— Ouais mais c'est facile aussi, sur mes dix ans j'en ai passé neuf à apprendre à moudre et
seulement un pour hacher, ce n'est pas dur de m'égaler. Continua Sajul qui faisait mine d'être
déçu.
— Attendez.. Neuf ans pour apprendre à moudre ?! Demanda Lyelia, aussi surprise que
perplexe.
— Non mais ne l'écoutez pas, il raconte n'importe quoi. » Expliqua Dzaekh sur le ton de
l'amusement avec un sourire exaspéré.
Il continuèrent de plaisanter un bon moment, répondant aux multiples questions de
Lyelia sur la vie au Palais. Elle s'était visiblement détendue et paraissait apprécier la
compagnie des deux amis, et eux deux ne le montraient pas mais ils était heureux de pouvoir
lui changer les idées. Entre temps Dzaekh avait fini son sigil et replacé le fond du tonnelet à
sa place, et il avait même été chercher une bouteille de vin pour la partager avec Sajul et
Lyelia, en attendant que l'huile de rétention soit prête. Plus d'une heure passa pendant
laquelle Dzaekh et Sajul racontèrent à Lyelia diverses anecdotes sur leurs passés, nottament
sur leur rencontre alors qu'ils n'étaient encore que de tout jeunes adultes.
À l'époque l'Empire était encore en guerre avec Archaï, c'était la dernière année avant
que le traité de paix ne soit signé. Les deux compères n'étaient encore que des Néophytes de
la Chambre des Sciences, et ils furent tout deux affectés sur le front à Ieneta où ils
rencontrèrent chacun leur femme avec qui ils partagent encore leurs vies. Dzaekh, étant à ce
moment Néophyte de la Loge des Enchanteurs, fût envoyé comme beaucoup d'autres de ses
pairs en première ligne pour soutenir les bataillons, et il y rencontra Seri, une jeune sorcière
de bataille qui accompagnait une escouade de Compagnons de premier ordre. Sajul lui, étant
Néophyte de la Loge des Druides, fût affecté au baraquement de Ieneta pour servir de
commis aux Druides et aux Alchimistes plus experimentés, et c'est là qu'il rencontra
Almaïn, une jeune sorcière guerisseuse qui restait au baraquement pour soigner les blessés.
À cette époque là, il n'y avait en tout et pour tout que cinq sorcières sur l'ensemble des
differents champs de bataille qui parsemaient le golfe, et bien entendu elle se connaissaient
toutes les cinq. Mais, à tort ou à raison, les sorcières ont toujours eu le reflexe de garder
l'anonymat, et même avec leur nouvel amant, ni Seri ni Almaïn ne parlèrent de leurs
consœurs. Dzaekh et Sajul passèrent au moins trois moussons au front avant de finir par se
rencontrer, lorsque Dzaekh fût salement amoché lors du débarquement d'un navire d'Archaï,
et qu'il avait donc été envoyé en retrait dans les contreforts de Ieneta pour être soigné. Ce fût
Almaïn qui se chargea de le remettre d'aplomb et de lui administrer des soins au moins pour
une nuit, et c'est durant cette nuit qu'il fit la connaissance de Sajul, qui avait pris l'habitude
de passer voir Almaïn dès qu'il le pouvait. Le plus étonnant pour les deux compères fût de
découvrir alors qu'ils étaient tout deux Néophytes de la Chambre des Sciences, mais
n'étudiant pas au sein de la même Loge il ne s'étaient encore jamais croisés jusque là.
Lyelia s'étonna d'apprendre qu'ils étaient chacun mariés à une sorcière, leur
demandant si l'Empire approuvait cet union. Puis elle enchaîna aussitôt en s'inquietant qu'ils
ne laissent s'échapper la sorcière qui avait fait cela à son fils, demandant à juste titre ce
qu'ils feraient s'ils se rendaient compte que la sorcière en question était une amie de leurs
femmes. Dzaekh lui expliqua, avec toute la philosophie d'un homme quelque peu aviné, que
l'on peut trouver du bon comme du mauvais partout et chez n'importe qui, et assura à Lyelia
que la sorcière qui avait fait cela à son fils paiera pour son crime, qui qu'elle soit ! Sajul
ajouta après avoir vidé son verre de vin, que de toute façon ils ne connaissaient ni le visage
ni le nom des anciennes alliées de leurs femmes. Les sorcières n'avaient déjà pas très bonne
réputation à l'époque, mais elles étaient particulièrement utiles pendant la guerre et donc
tolérées par l'Empire... Cependant dès lors que le traité de paix fût signé, la plupart des
sorcières s'évaporèrent dans la nature, sachant pertinement que leur soutien pendant la
guerre ne serait pas reconnu par l'Empire. Sajul évoqua alors, d'un ton beaucoup plus
maussade, qu'au moins deux sorcières qui avaient servies durant la guerre furent par la suite
arrêtées et enfermées, car elles avaient alors dévoilées d'incroyables sortilèges dévastateurs
contre la flotte d'Archaï. Elles avaient été jugées trop puissantes et sans doute n'étaient-elles
pas assez docile pour l'Empire, alors l'Empire les fit disparaitre... Sajul resta quelques
secondes à regarder dans le vide avant de reprendre, continuant d'expliquer que ni Seri ni
Almaïn n'avait partiqué la sorcellerie depuis que le traité de paix fût signé. Cela semblait
convenir à l'Empire qui ne vit alors rien à redire sur l'union de deux Néophytes avec des
sorcières ne pratiquant plus. Dzaekh ajouta alors, avec une pointe d'amertume, que si
Almaïn n'est pas dévisagée par ceux qui l'ont connu sur le front, c'est parce que c'était une
guérisseuse. Il n'en est pas de même avec Seri, une sorcière de bataille, une arme de guerre
aux yeux des simples mortels. Peu nombreux étaient les survivants qui avaient pu la croiser
à l'époque, mais il n'est pas rare qu'elle recoive encore des regards méfiants ou méprisants
lorsqu'elle parcourt Rel-Tavem.
Dzaekh pris alors quelques instants, versa dans son verre le peu de vin qu'il restait,
puis reprit : « Bien, je pense que l'huile à suffisament reposé à présent.
— Oui c'est bien assez, nous allons pouvoir en finir avec cet écu. Répondit Sajul alors que
Lyelia le regarda alors d'un air désabusé.
— Bien... Oui, je... Bredouilla-t-elle. Je ne vais pas vous imposer ma présence plus
longtemps, vous avez fort à faire... Merci infiniment pour le vin, et pour la discussion.
— Ce fût un plaisir également de pouvoir discuter avec vous. Répondit amicalement Sajul.
— De même, passez une bonne soirée ma chère. Ajouta Dzaekh d'un ton chaleureux. Et si
on ne se revoit pas avant notre départ, prenez soin de vous. »
Lyelia adressa aux deux compères une révérence avant de leur dire au revoir et de
quitter la taverne, la mine moins lourde qu'il y a quelques heures. Dzaekh soupira en se
prennant le front dans une main, plaignant la pauvre Lyelia, tandis que Sajul ajouta
d'étranges éclats de roche dans le saladier contenant l'huile. Il touilla une dernière fois le
mélange avant de verser le tout dans le tonnelet, puis se saisit de ce dernier avant de se lever
de table et de quitter l'auberge à son tour en compagnie de Dzaekh. Il se rendirent sans
traîner aux abords de la petite plaine, là où ils avaient laissé l'écu. Sans surprise, il n'avait
pas été volé ni n'avait disparu, il était toujours là à attendre entre les brins d'herbe, l'air de
rien comme si c'était un objet on ne peut plus normal. Comme si la mort n'avait pas surgi tel
un diable de sa boîte... Désormais, la boîte s'était refermée, mais il ne faisait aucun doute
que le diable à l'interieur ne demandait qu'à en sortir à nouveau. Sajul, qui n'était toujours
pas très rassuré, se munit alors de sa pince pour s'emparer de l'écu avec beaucoup de
précaution, puis le fit glisser directement dans l'huile à l'interieur du tonnelet. Il y eut à ce
moment un sifflement provenant de l'écu lorsqu'il s'imergea, et une étrange odeur âcre à
peine perceptible se dégagea l'espace de quelques secondes. Dzaekh placa le couvercle du
tonnelet après avoir échangé un regard suspicieux avec Sajul, puis y ajouta le cercle de tête
afin de le refermer correctement. Ils attendirent tout de même quelques minutes pour voir si
le sceau tenait le coup, puis voyant que rien d’inhabituel ne se produisit, ils reprirent avec
eux le tonnelet pour retourner à l’auberge. Aucun des deux n’était vraiment rassuré à l’idée
de devoir garder cela avec eux, d’autant qu’ils n'étaient pas certains de trouver des
Compagnons à qui le confier avant d’arriver jusqu’à Ternes. Lorsqu’ils furent de retour à
l’auberge, Sajul monta directement à l’étage où se trouvaient les chambres pendant que
Dzaekh retournait voir Melen pour prendre la clef de la chambre. Ils s’installèrent sans
perdre de temps car la nuit était déjà bien entamée, et ils devaient se lever aux aurores le
lendemain pour espérer ne pas prendre plus de retard.
Après une courte nuit de sommeil qui ne fût pas aussi reposante qu’escompté, Sajul
se réveilla alors que le soleil venait tout juste de se lever. Il trouva Dzaekh déjà debout,
occupé à graver de minuscules sigils sur chacune de leurs dagues.
« Qu’est ce que c’est ? Demanda Sajul qui avait du mal à émerger.
— Des sigils de paralysie. Si on rencontre effectivement une sorcière à Milno, ça peut nous
être utile d’avoir de quoi se défendre. Répondit Dzaekh sans relever le nez de sa gravure.
— Ça me va très bien.
— Et puis, j’ai aussi ça. Reprit Dzaekh en sortant un petit objet de sa poche qu’il envoya à
Sajul.
— Un anneau ?.. Ah je vois, il est enchanté... Pensa Sajul à voix haute, examinant la tête de
bague où un minuscule sigil avait été gravé avec une précision hors norme.
— Surtout ne l’enfile pas, hein ! C’est un sigil de projection miroir, il ne peut servir qu’une
fois.
— Oh, vraiment ? Pas mal ça, j’espère qu’on aura l’occasion de s’en servir je n’en ai jamais
vu de mes yeux ! S’enjoua Sajul qui finissait de se rhabiller et rangeait ses dernières
affaires. Mais, tu penses vraiment qu’on va tomber sur une sorcière là-bas ?
— Je ne sais pas, il vaut mieux être prudent… Vu ce qui se passe en ce moment, ça ne
m’étonnerais pas… Répondit Dzaekh, toujours sans lever la tête de sa gravure.
— Si tout ça est la faute d’une sorcière, elle doit être sacrément puissante n’est ce pas ?
Demanda rhétoriquement Sajul qui tendait l’anneau à Dzaekh pour lui rendre.
— Oh que oui ! Mais on a quelque chose qu’elle n’a pas.
— Quoi donc, la force de l’amitié ? Demanda Sajul d’un ton moqueur.
— L’effet de surprise ! »

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