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ALPINISME

SANS GUIDE

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MANUEL TECHNIQUE

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Avertissement

Cet ouvrage s'adresse d'abord à des grimpeurs de résine cherchant comment faire pour
aller là-haut. Les techniques d'assurage par longueurs en site d'escalade équipé sont
réputées connues. Le pratiquant de randonnée devra commencer par se familiariser
avec ces bases techniques élémentaires mais nous croyons paradoxalement que c'est
lui, et non le grimpeur, qui sera le mieux placé pour s'introduire en haute-montagne,
car le milieu naturel est déjà son élément.
Chacun sait que l'alpinisme cultive le risque. Le lecteur gardera à l'esprit tout au long
des pages qui suivent que ce risque peut entraîner des accidents graves et parfois la
mort. Assumer ceci, en toute connaissance de cause, a construit la grandeur de
l'activité.

Première diffusion : Mai 2017

Droits :
Partage (c'est à dire téléchargement et diffusion de l’œuvre dans son intégralité)
autorisé en citant les nom et prénom de l'auteur et la source:
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AVANT-PROPOS

Le manuel d'alpinisme est historiquement une affaire d'amateur.


Son inventeur est le jeune médecin autrichien Emil Zsigmondy (1861-1885)
avec Die Gefahren der Alpen, Praktische Winke für Bergsteiger, (Leipzig 1885,
édition Paul Frohberg), traduit en français l'année suivante par Abel Lemercier, l'un
des fondateurs du Club Alpin Français (Les Dangers dans la montagne, indications
pratiques pour les ascensionnistes, Paris 1886, librairie Fischbacher). L'auteur avait
pratiqué l'alpinisme pendant onze années, essentiellement sans guide (sur une
centaine d'ascensions, seulement six avec guide), formant habituellement cordée avec
son frère aîné dentiste, Otto (1860-1917), et leur ami professeur de gymnastique
Ludwig Purtscheller (1849-1900). Doté d'un esprit étonnamment rapide, Zsigmondy
pénétra son sujet pour atteindre l'essentiel, comprenant avant tout le monde qu'un
manuel d'alpinisme ne sert aucunement à partir en haute-montagne mais à en revenir.
Il livre ainsi d'emblée la clef pour se passer d'un guide.

Emil Zsigmondy, dessin sur pierre d'Otto Barth (1876-1916)


(domaine public)

En 1904, la facture du livre technique d'alpinisme, toujours dans la main des


amateurs, devient plus conventionnelle avec une remarquable édition du CAF,
comptant 23 auteurs dont une femme, Mary Paillon, intitulée sobrement Manuel
d'Alpinisme (Lucien Laveur éditeur).
En 1913, l'écrivain de talent Georges Casella (1881-1922), pratiquant le plus
souvent sans guide, fournit L'Alpinisme (Pierre Lafitte & Cie éditeur), ouvrage
particulièrement complet qui sera de nombreuses fois réédité.
En 1918, c'est au tour de la Suisse de proposer Le Conseiller de

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l'Ascensionniste de Hans Koenig (Club Alpin Suisse), suivi en 1929 par Technique de
l'Alpinisme édité par le Club Alpin Suisse.
En 1931, le ministère de la Guerre publie un Manuel de Montagne et
d'Alpinisme Militaire (éditions Charles-Lavauzelle & Cie).
En 1933, la Suisse revient avec le naturaliste et illustrateur Emile Brodbeck
(1888-1963) et son volumineux (376 pages) L'Alpinisme, guide pratique (Société
Romande d'édition).
Puis en 1934, le CAF récidive son Manuel d'Alpinisme vingt années après son
premier opus en accentuant son caractère académique puisqu'il se présente en deux
tomes (Tome I partie scientifique, Tome II partie technique, librairie Dardel,
Chambéry) et que plusieurs chapitres renvoient à des sources bibliographiques.
En 1936 paraît l'édition posthume (S.Bornemann éditeur) de La Technique
Moderne du Rocher par l'alpiniste amateur et philologue allemand Léo Maduschka
(1908-1932), livre qui sera l'outil de travail d'un certain Georges Livanos.
En 1940, le ministère de la Guerre récidive sous la direction du général
Degoutte (Manuel de montagne et d'alpinisme militaire, Imprimerie Nationale).
En 1943, un amateur isolé, Léon Vibert (1878-1944), écrivain de profession et
par ailleurs passionné de vélo et de camping, publie ABC de l'Alpinisme (Les éditions
J.Susse).

Finalement, ce n'est qu'en 1946 – soit 60 années après l'édition française du


manuel de Zsigmondy ! - que paraît le premier manuel (écrit en 1943 mais repoussé
après guerre) issu de la profession de guide de haute-montagne, La Technique de
l'Alpinisme (Arthaud éditeur), rédigé par le Commandant Marcel Pourchier (ancien
commandant de l’École Militaire de Haute Montagne) et le guide diplômé Edouard
Frendo (1910-1968), directeur-fondateur de l’École Nationale d'Alpinisme, mais avec
encore le concours du Groupe de Haute Montagne dont les amateurs Pierre Allain et
Lucien Devies.
L'amateur, en la personne de ce Pierre Allain, reprendra la main en 1956 (L'Art
de l'Alpinisme, Amiot Dumont éditeur), avant que Gaston Rébuffat ne vole
promptement secourir l'honneur de sa profession avec Neige et Roc trois années plus
tard (Hachette éditeur, 1959)...

En 2019, le paysage éditorial a changé. Ceci est une évolution récente, le


premier manuel de l'ENSA datant de 1997. Les acteurs professionnels et
institutionnels de la montagne ont cependant pris la place, occupant jusqu'aux
comités de lecture. On sait que le courage éditorial de monde du livre a rejoint celui
de la presse. Dans une société où toute idée originale est devenue douteuse, où
l'ensemble de la production littéraire ne sert plus qu'à relayer un prêt-à-penser élaboré
dans les clubs obscurs du pouvoir, proposer un manuel d'alpinisme privé de son
couplet d'introduction consacré au péril climatique donne un commerce interlope ;
présenter l'autonomie autrement que comme un horizon lointain tient de l'activité
criminelle. Pourtant, l'immense majorité des alpinistes présents sur les sommités sont

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des amateurs autonomes. Chaque jour, ils démontrent que le stade adulte n'est
aucunement contre-indiqué par delà les moraines. En définitive, qu'un manuel
d'alpinisme soit écrit par un amateur doit être considéré comme un simple retour à
l'ordre naturel des choses.
27 août 2019.

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INTRODUCTION
« Les vertus diverses dont je suis le son total me donnaient le conseil de
chacun de ceux qui m'ont créé à travers les âges. » Maurice Barrès1.

Un acte gratuit
L'alpinisme est le sport des ascensions en montagne soutiennent nos
dictionnaires. Cette façon de voir a le mérite ordinaire de fâcher le pratiquant ; il ne
peut se résoudre à voir réduire les aventures autour desquelles s'organise sa vie à la
pratique d'un sport. Pourtant, ce dernier mot, apparu en 1828 après deux traversées de
la Manche vient du verbe anglais to disport, lui-même issu de l'ancien français
desport, signifiant amusement. Il s'agit de gravir les montagnes pour se distraire et
non avec un sens pratique. Les conquérants de l'inutile2, titre de l'autobiographie du
Grenoblois Lionel Terray parue en 1961, avait averti tout le monde. Les actes les
moins nécessaires sont parfois les plus grands mais exigent qu'on se soit auparavant
débarrassé du quotidien. Une pareille ambition ne pouvait qu'attirer une catégorie de
pionniers ayant résolu les problèmes de subsistance, comme les penseurs du VIe
siècle avant notre ère n'avaient pu se pencher sur la philosophie, l'astronomie ou les
mathématiques que grâce à l'insouciance d'une Ionie prospère. Un marqueur social
aussi fort ne s'efface pas facilement. Bourdieu a montré le puissant déterminisme
économique, culturel et social, impliqué dans le supposé libre choix d'une pratique
sportive, et plaçait encore l'alpinisme de l'époque contemporaine dans le quartier
supérieur gauche de son fameux diagramme, soit la fraction de capital culturel (et non
économique) prédominant des classes sociales élevées.3

1 Un homme libre, Maurice Barrès, 1889.


2 Les conquérants de l'inutile, Lionel Terray, éditions Gallimard, 1961.
3 La distinction ; critique sociale du jugement, Pierre Bourdieu, éditions de Minuit, 1979.

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La seconde édition, achevée en 1877, du Dictionnaire de la langue française
d’Émile Littré présente le mot alpiniste avec l'illustration suivante : « Un alpiniste
milanais a fait l'ascension du Koenigspitz 4 (3874m), Journ. Offic. 22 oct.1875,
p.8795,1re col. » Le mot alpinisme y est encore absent. Il va suivre de près, en
18805, bien tardivement eu égard à la pratique.
Attardons-nous dans un survol des annales de l'activité puisque s'approprier
l'histoire n'est pas tant se souvenir des faits qu'acquérir une vision du monde.

Une protohistoire utilitaire


L'encyclopédie Larousse6 fait commencer l'ère de l'alpinisme avec la conquête
du Mont-Blanc en 1786, mais les alpinistes eux-mêmes ne résistent pas à la tentation
de donner à l'assaut du mont Inaccessible (le Mont Aiguille) par les escalleurs de
Charles VIII, menés par leur capitaine Antoine de Ville en 1492, le label de première
course d'alpinisme répertoriée de l'histoire, voulant ignorer sa qualité d'exercice
militaire comme le fait qu'il fût réalisé sur ordre. Car si l'on prend en compte les fins
plus ou moins utilitaires, les ascensions remontent évidemment à bien plus
longtemps, en témoigne, pour illustration parmi un nombre incalculable, celle du
Mont Haemus7 par Philippe V de Macédoine en -181 pour « embrasser d'un coup
d’œil le Pont-Euxin, l'Adriatique, le Danube et les Alpes. Il pensait que cette vue lui
serait de quelque utilité pour organiser son plan de campagne. »8 Longtemps, les
motifs des grimpades demeurèrent militaires, topographiques, naturalistes, même si
certains se singularisaient en entendant apporter un supplément d'âme à leur curiosité
scientifique. Ainsi, le naturaliste zurichois Conrad Gesner 9 écrivait en 1541 : « J'ai
décidé qu'à l'avenir, aussi longtemps que Dieu me prêtera vie, je ferai tous les ans
l'ascension d'une ou de plusieurs montagnes, à l'époque où la végétation est à son
apogée, d'une part pour me livrer à des études de botanique, d'autre part pour exercer
mon corps et détendre mon esprit. » Les naturels des pays montagneux qui
s'aventuraient au-delà des sentiers poursuivaient des fins également utilitaires: chasse
qui fournissait le commerce de pelleterie ; recherche de cristaux de roche pourvoyant
aux XVIIe et XVIIIe siècles une industrie de luxe grande consommatrice10.

Qui emmène l'autre ?


Il faut attendre le dernier tiers du XVIIIe siècle pour que des citadins instruits,
les ecclésiastiques ayant bonne place, lancent l'habitude des excursions de loisir, se
faisant accompagner par ces natifs qui connaissaient les lieux et y voyaient un moyen
d'améliorer l'ordinaire. On se met à visiter les glacières de Savoye. Dans ce
mouvement, le naturaliste genevois Horace-Bénédict de Saussure découvre
Chamonix en 1760. Il a vingt ans, et gravit le Brévent emporté par sa passion de la
4 Autre nom du Grand Zebru, dans la région entre le Trentin et la Lombardie, mais culminant à 3851m.
5 Petit Robert. (Charles Durier présentera « alpinisme » comme un néologisme dans La Grande Encyclopédie.)
6 Grand Larousse encyclopédique en dix volumes, 1960.
7 Actuel Mont Mousala en Bulgarie (2925m).
8 Histoire romaine, Tite-Live, 110 avant J.C.
9 La passion de la montagne, M.C.Poole, éditions Gründ, 1980.
10 Histoire du Mont-Blanc, Stephen d'Arve, éditions Delagrave, 1878.

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botanique. Envisageant l'ascension du Mont-Blanc, il promet une récompense pour la
réussite. Il revient, à pied depuis Genève, en 1761 et se crée un réseau de guides
improvisé parmi les cristalliers les plus hardis. Entre 1760 et 1787, il fera douze
voyages à Chamonix, et de nombreuses excursions. A son onzième voyage, il tente
l'ascension du Mont-Blanc avec son compatriote Théodore Bourrit, chantre à la
cathédrale de Genève, qui fréquentait Chamonix dès 1766 dans le même but.
L'Indomptable, Jacques Balmat, jeune chercheur de cristaux infatigable, âgé de 24
ans, et guide favori des Saussure, Bourrit et autres messieurs, attiré par la gloire et la
récompense, finit par tenter l'aventure seul, puis par réussir, accompagné du médecin
Michel-Gabriel Paccard le 8 août 1786. Une sordide polémique s'engage entre les
deux hommes pour plusieurs années, chacun revendiquant le leadership de
l'entreprise et rabaissant le rôle joué par son compagnon. Qui a emmené l'autre ?
Cette querelle, toute pittoresque fut-elle, montre que, dès son origine, l'alpinisme voit
apparaître la question de la prééminence, de l'autonomie et du mérite. Au-delà du cas
particulier des Paccard et Balmat, la coupure sociale marquée entre le riche
ascensionniste citadin, habituel initiateur de l'aventure, et l'habitant mal instruit des
montagnes, qui montre le chemin dans un but lucratif, n'aidera pas à la
réconciliation.
L'été suivant, Saussure, flanqué de son domestique et de dix-huit guides,
réalisait enfin son rêve, ne manquant pas d'emporter ses instruments de météorologie
et de se faire dresser une table au sommet pour faciliter ses observations
scientifiques. L'Anglais Woldley renouvela l'exploit le 5 août 1788 puis la Révolution
passa. Tandis que sur proposition de Cambacérès les Français se prononçaient pour le
Consulat à vie de Bonaparte, un baron originaire de la mer Baltique, puis un Suisse,
remirent à l'honneur en 1802 l'ascension du Mont-Blanc, toujours accompagnés de
guides locaux. En 1809, alors que le Napoléon de la victoire de Wagram est à
l'apogée de sa puissance et, selon le mot de Talleyrand, « ne tolère même plus
l'approbation », Marie Paradis campagnarde de la vallée s'adjuge la première
féminine du toit de l'Europe, accompagnée par son guide et fiancé.
Cette première moitié du XIXe siècle voit l'ascension d'un grand nombre de
sommets comme la Jungfrau en 1812, la pointe Zumstein du Mont-Rose en 1820, le
Pelvoux en 1828, par une génération de pionniers suisses, allemands et français. Les
voies de transports se développent, Chamonix, Zermatt, Grindelwald, Courmayeur et
Breuil deviennent de grands centres d'alpinisme. Essor de l'hôtellerie et apparition des
premiers corps de guides vont de pair. Cependant, la prise de risque en montagne
demeure une transgression. L'ascension du Mont-Blanc en 1838 par l'éternelle
célibataire de 44 ans Henriette d'Angeville dont le grand-père avait été raccourci par
la Révolution, en est une autre. L'alpinisme scientifique dans la continuité de
Saussure, avec les travaux de J.D.Forbes (1808-1868) puis de J.Tyndall (1820-1893)
sur l'écoulement des glaciers, ou la passion pour la géologie du massif des Écrins d'un
T.G.Bonney (1833-1923), « allait durablement influencer le sport alpinisme, en lui
offrant son plus efficace système de légitimation désamorçant les critiques les plus

9
virulentes »11.
L'ascension du Wetterhorn en 1854 par le juge Alfred Wills12 marque le début
de ce que l'on appelle l'âge d'or de l'alpinisme qui va durer jusqu'à l'ascension du
Cervin en 1865 par le graveur Edward Whymper. En 1855, le vainqueur du Mont-
Blanc du Tacul, Edward Shirley Kennedy (1817-1898), accomplit la première
ascension sans guide du Mont-Blanc. Avec Charles Hudson, il publie l'année suivante
l'ouvrage Where there's a will, there's a way : An ascent of Mont Blanc by a New
Route and Without Guides, reproduisant en sous-titre avec un solide humour anglais
une citation du Murray's Handbook of Switzerland : « It is a somewhat remarkable
fact, that a large proportion of those who have made this ascent have been persons of
unsound mind. » Sur son impulsion est fondé à Londres en 1857 le plus ancien des
clubs alpins, l'Alpine Club. Durant les onze années de l'âge d'or, soixante premières
sont réalisées ; sur 39 ascensions importantes13, 31 sont accomplies par des Anglais,
belle expression du Rule Britannia ! John Bull est sans contredit l'homme fort de son
siècle. Hudson, Tyndall, Kennedy, Stephen, Dent, Whymper et de nombreux autres
marquent le massif du Mont-Blanc. Les récits de montagne édités par l'Alpine Club
invoquent de moins en moins l'alibi scientifique qui permettait de faire accepter
socialement la pratique, révolutionnant la vieille littérature alpestre 14 auparavant faite
d'observations botaniques, minéralogiques, géographiques. Ils deviennent des
rapports de courses descriptifs, recherchant l'exactitude et la sobriété, excluant tout
lyrisme comme toute justification utilitaire. Certains guides français et suisses y sont
loués comme des employés spécialisés modèles tandis que d'autres sont sévèrement
critiqués.
En 1862 est fondé le club alpin autrichien (ÖAV) dans un Empire plongé dans
les difficultés : perte de la Lombardie trois ans plus tôt face à la France et au Piémont,
revendications des Magyars, rapprochement de la Russie et de la Prusse au sujet de la
Pologne, nomination à Berlin du chef du groupe d'extrême-droite au Landtag Otto
Bismarck au poste de Chancelier. Le temps de la reculade d'Olmütz (novembre 1850)
où François-Joseph imposait ses conditions à la Prusse est déjà loin. En 1863, les
clubs alpins suisse et italien voient le jour. Les femmes se permettent de nouvelles
ascensions dans les années 1864 et 1865, obligeant le raisonnable Stéphen d'Arve à
poser cette question... et à y répondre : «Faut-il encourager ce genre de gymnastique
musculaire et pulmonaire pour la femme ? Telle n'est pas notre opinion. »15 Les
doctes, unanimes, promettent en effet aux intrépides congestion de l'utérus et stérilité.
En 1869, trois années après la victoire prussienne éclatante de Sadowa, le club alpin
allemand (DAV) est créé à Munich ; il fusionnera en 1873, deux ans après la
proclamation de l'Empire d'Allemagne au palais des glaces de Versailles, et en plein
Kulturkampf, avec le club autrichien (DÖAV). En 1870 et 1871 paraissent en
11 Le récit d'une course au temps de Victoria : une littérature de mâts de cocagne ? Michel Tailland, Babel, 20/2009,
194-207.
12 Célèbre pour avoir présidé le tribunal ayant condamné en 1895 à la peine maximale de deux ans de travaux forcés
l'écrivain Oscar Wilde pour homosexualité.
13 Op. cit., M.C.Poole, p.8.
14 Op. cit., Michel Tailland, supra.
15 Op. cit., Stephen d'Arves, p.8.

10
Angleterre le livre d'Arthur Gilbert Girdlestone The High Alps Without Guides et le
récit des ascensions de Whymper16, terminées dramatiquement au Cervin en 1865,
accident utilisé par les garants des bonnes mœurs pour discréditer de nouveau les
ascensions en montagne. L'âge d'or se termine avec le retrait de Whymper,
inconsolable de la perte de son grand guide Michel Croz.
En 1874, tandis que la France panse difficilement ses plaies de Sedan, de
l'Alsace-Moselle et de la Commune, et hésite encore entre République et
Monarchie17, le Club Alpin Français est fondé. Derrière ses objectifs de
développement du tourisme, d'historiographie de l'alpinisme et de connaissance
scientifique de la montagne, se dresse l'œuvre de redressement patriotique de la
jeunesse18, l'opinion assez communément admise étant que c'était l'instituteur
prussien qui avait véritablement gagné la guerre par la formation qu'il avait donné
aux futures recrues19. L'idée de la revanche (« Pensons-y toujours, n'en parlons
jamais. » selon le mot de Gambetta) plane en permanence derrière la résignation
apparente à la force de l'Allemagne et à l'habileté diplomatique de son chancelier.
Illustrant ce rôle d'édification des nouvelles générations dévolu à la pratique de la
haute-montagne, qu'on retrouvera bien sûr en août 1940 avec la création de Jeunesse
et Montagne, Pierre Puiseux, en avant-propos du Manuel d'Alpinisme du CAF de
190420, écrira : « Nous avons fait une œuvre à la fois nationale et humanitaire, en
mettant au service d'une cause d'intérêt général cette force d'expansion et de
propagande que les étrangers, même peu bienveillants, s'accordent communément à
nous reconnaître. » La devise du CAF « Pour la patrie, par la montagne. » a le
mérite de la clarté. Habitées par le positivisme d'Auguste Comte, les élites françaises
croient en la science, au progrès, pensent que tout s'enseigne.

L'éclaireur congédié
En 1871, le jeune Albert Mummery, seize ans, fils oisif d'un riche tanneur de
Douvres, entre en alpinisme. Accompagné du guide suisse Burgener et du porteur
Venetz, il va marquer l'histoire de la haute-montagne par sa volonté d'aller chercher la
difficulté technique : l'alpinisme acrobatique est né, essuyant fatalement les
reproches. Mieux, après ses ascensions sans guide du Grépon en 1892, puis de
l'aiguille du Plan en 1893, et suivant l'évolution de ses compatriotes Frederick
Gardiner21, Charles et Lawrence Pilkington, C.T. Dent22, le récit de ses aventures paru
l'année de sa disparition au Nanga Parbat en 1895 va consacrer l'alpinisme sans
guide comme le seul alpinisme authentique et valable : « En 1882, je partis de
16 Escalades dans les Alpes, Edward Whymper, réédition chez Hoëbeke, 1994,
17 De Broglie avait fait voter en novembre 1873 le septennat, prolongeant Mac Mahon afin de garder ouverte l'option
monarchiste. Les lois constitutionnelles n'avaient pas encore été adoptées.
18 Marie Paillon, vue à travers ses écrits et ses papiers personnels, Alexandra Garriguene, Mémoire de Master de
Sciences humaines et sociales, sept.2015, Université de Lyon II.
19 Précis d'Histoire contemporaine, Jacques Néré, éditions PUF, 1973.
20 Manuel d'alpinisme, ouvrage collectif sous l'auspice du CAF, éditions Lucien Laveur, 1904.
21 Frédérick Gardiner (1850-1919) accompagné des frères Charles (1850-1918) et Lawrence (1855-1941) Pilkington :
Premières sans guide de la Barre des Ecrins (1878), de la Meije (1879) et de la Jungfrau (1881).
22 Clinton Thomas Dent (1850-1912), chirurgien de Londres, rédacteur à l'Alpine Journal, se prononce en faveur des
expéditions sans guide en 1885.

11
nouveau pour cette ascension. Cette fois nous étions sans guides, car nous avions
appris la grande vérité, à savoir que ceux qui désirent réellement goûter aux joies et
aux plaisirs de la montagne doivent savoir se débrouiller dans les neiges d'en haut en
ne se confiant qu'en leurs talents et en leur connaissances propres. (…) La répétition
constante de la même ascension tend de plus à faire du guide une sorte
d'entrepreneur. En effet, pour tant de dizaines ou de centaines de francs, il vous
mènera partout où vous le désirez. Le talent du grimpeur ne compte pour absolument
rien ; le guide exercé regarde le touriste simplement comme un colis. (...) Non
seulement le guide est capable « de dépeindre de son lit chaque marche de sa route »,
mais il peut encore, toujours de son lit, vous dire à une fraction de minute près le
temps exact que vous mettrez à faire telle partie de l'ascension et le moment précis où
il vous ramènera, sain et sauf, au propriétaire souriant de votre hôtel. »23
L'alpinisme, quatre siècles après l'assaut des escalleurs du roi, entrait dans la
maturité de l'autonomie. L'excursionniste, depuis toujours initiateur de ses sorties en
montagne, congédiait son guide quand celui-ci entendait, dans un retournement inédit
des prérogatives, prendre la maîtrise totale de la course. Un général yankee eût-il pris
autrement l'ambition de son éclaireur indien, aussi talentueux fût-il, de prendre le
commandement de son armée ?
Cependant, Mummery n'était guère représentatif de ses compatriotes
victoriens. L'alpinisme sans guide avait trouvé son meilleur terreau en culture
allemande, les frères Zsigmondy, fils de dentiste, ayant ouvert la voie dès 1879.
Michel Mestre24 tentera d'expliquer le phénomène en quatre points : 1/ Les guides
sont médiocres et désorganisés dans les Alpes orientales. 2/ La bourgeoisie austro-
allemande est en quête de reconnaissance morale depuis l'échec des révolutions de
184825 et voit dans l'alpinisme sans guide les éléments d'un code de l'honneur pouvant
rivaliser avec la noblesse. 3/ Le mouvement gymnique de Friedrich Ludwig Jahn
(1778-1852), le Turnen, créé à la suite des victoires napoléoniennes afin de restaurer
la virilité allemande, est glorifié pour devenir le nouveau ciment national. 4/ Le
succès des idées nietzschéennes valorise bien sûr le dépassement de soi.
On peut y ajouter l'appui de la technique. Tandis qu'en France, le client
britannique ou français, chaussé de ses souliers cloutés, a oublié l'emploi pourtant
ancien des crampons (Saussure avait décrit les crampons 4 pointes de ses guides, et
les crampons étaient très utilisés par les chasseurs de chamois ; on connaissait leur
usage depuis 1574 au moins.) et suit son bûcheron de guide dans les innombrables
marches que celui-ci taille au piolet tenu à deux mains, les alpinistes des Alpes
orientales chaussent couramment des crampons modernes déclinés en de nombreux
modèles26. Le crampon Pastori de Bescia, doté de 6 pointes date de 1876. Les frères
Zsigmondy utilisent le crampon de Kaprun à 6 pointes, Emil vantant avant 1885
23 Mes escalades dans les Alpes et le Caucase, Albert Mummery, paru en 1895 en Angleterre. Version française de
1995 : Le roi du rocher, éditions Hoëbeke.
24 Sans-guides et solistes : aux sources austro-allemandes du solo, Michel Mestre, Cimes 2004-2005, GHM.
25 La crise économique et financière des années 1846-1847 avait poussé la bourgeoisie libérale allemande, et à un
moindre degré autrichienne, à revendiquer une participation au pouvoir politique afin de défendre au mieux ses
intérêts menacés autant par les faillites que par le risque de soulèvement des masses populaires sans travail.
26 Alpinisme, la saga des inventions, Gilles Modica, Les éditions du Mont-Blanc, 2013.

12
(année de sa mort) le crampon de l'Allgäu (orthographié par erreur Algan par le
manuel du CAF de 1904) à 10 pointes, déjà semblable aux crampons que nous
connaissons. Le modèle de Vienne et de Salzbourg comportant également 10 pointes
et très proche du crampon de l'Allgäu date de 1884. En 1904, le CAF 27 présentera
encore d'autres modèles : les crampons Fiorio et Ratti (à 10 pointes, très articulé), un
modèle courant à 8 pointes et structure rigide, et le crampon léger du lieutenant
Trémeau à 9 pointes.
La liste des alpinistes sans guide célèbres des Alpes orientales est longue. On
peut citer des Autrichiens : le professeur de gymnastique Ludwig Purtscheller (1849-
1900 ; actif de 1885 à 1891), l'écrivain longtemps rédacteur du journal du club alpin
(le ZDÖAV) Heinrich Hess (1857-1944), l'ophtalmologiste Karl Blodig (1859-1956)
qui sera le premier à collectionner tous les 4000 des Alpes, le dentiste Otto
Zsigmondy (1860-1917), son frère médecin Emil Zsigmondy (1861-1885 ; actif de
1879 à 1885), le docteur en philosophie, professeur et écrivain Eugen Guido Lammer
(1863-1945 ; actif de 1884 à 1895) qui théorisera un alpinisme sans guide héroïque
exaltant le danger, le juge viennois Heinrich Pfannl (1870-1929), plus tardivement le
phytobiologiste et quasiment grimpeur professionnel Paul Preuss (1886-1913) qui
refusera superbement corde et pitons.
Puis des Allemands : le géologue et botaniste Hermann Von Barth (1845-1876),
le jeune fils de marchand de viande Georg Winkler (1869-1888 ; actif de 1886 à
1887) porté sur le solo et développant une force considérable, l'ingénieur Hans Pfann
(1873-1958), l'étudiant en médecine, en droit et en philosophie Hans Dülfer (1892-
1915), mort au champ de bataille à Arras, et inventeur du rappel en S et de la
technique d'opposition en fissure portant son nom, et bien sûr l'école de Munich
(Academic Alpine Club of Munich fondé en 1892) dont son représentant le plus
connu sera plus tard Willo Welzenbach (1900-1934).
Enfin des Italiens : par exemple le gérant d'usine Giuseppe Gugliermina (1872-
1960), son frère papetier et photographe Battista Giovanni Gugliermina (1874-1969).
En France, on suit timidement. Résignation au régime parlementaire (Mac
Mahon en décembre 1877), anticléricalisme (mot inventé en 1877), aventure
coloniale (Tunisie en 1881, Tonkin en 1882, Chine en 1884, Congo en 1891),
ambitions du général La Revanche (Boulanger en 1889), scandale de Panama (1889),
ralliement des catholiques sous l'impulsion de Léon XIII (1890 à 1892), agitation
anarchiste (assassinat du président Carnot en 1894), sonnent comme des préparatifs
aux antagonismes profonds révélés par l'affaire Dreyfus. La France se cherche. Dans
le bulletin du CAF de 1895, son président, l'historien et géographe Charles Henri
Durier (1830-1899) rédige un plaidoyer pour l'alpinisme sans guide, destiné à lever
les dernières objections. Malheureusement, le Club ne saura choisir entre les deux
pratiques, accompagnée ou sans guide, hésitant à identifier la seconde comme une
conduite condamnable, ou réservée à une élite, ou bien encore digne
d'encouragement. Son Manuel de 1904, préfacé par l'astronome Pierre Puiseux
héritier de la pratique sans guide de son père Victor, tout en la distinguant comme « le
27 Op. cit., CAF, p.11.

13
plaisir suprême », ne peut pourtant s'empêcher de mettre en garde : « N'y succombez
qu'avec tous les atouts en main », « après quatre ou cinq saisons »28. Le Club
finalement préférera à la radicalité du discours l'organisation de la profession de
guide, l'aménagement des sentiers et la construction de refuges (40 refuges seront
construits de 1875 à 1914).
En 1907, Elizabeth Aubrey Le Blond, après avoir conduit des cordées
féminines, fonde le Ladies' Alpine Club pour une provocation de plus, dans le
contexte de l'important mouvement des suffragettes créé en 1903 par Emmeline
Pankhurst qui utilise la violence comme arme politique depuis 1905, crachant au
visage des policiers, s'enchaînant sur la voie publique ou sectionnant les fils du
télégraphe. En 1910, la française Marie Paillon, membre de la section lyonnaise du
CAF depuis 1875 et qui a constitué depuis 1888 une cordée célèbre avec la
britannique Kate Richardson, est élue vice-présidente du Ladies's Alpine Club.

La robuste fondatrice du Ladies' Alpine Club,


Elizabeth Alice Hawkins-Whitshed (1861-1934), épouse Aubrey Le Blond
(tiré de son ouvrage The High Alps in Winter, 1883, signé du nom de son premier
mari : Mrs Fred Burnaby ; domaine public)

En 1910, le guide autrichien Hans Fiechtl (1884-1925), destiné par son père à
la prêtrise, met au point les pitons modernes qui vont permettre d'assurer un premier
de cordée, les immenses pieux métalliques de type Wilson utilisés dans le massif du
Mont-Blanc depuis 1870 n'étant jusqu'ici pratiquement utilisés que comme ancrages
de rappels. La même année, l'Allemand Otto Herzog détourne les Karabiners utilisés
28 Op. cit., C.A.F., p.11.

14
par les pompiers de Munich pour en faire les premiers mousquetons d'escalade. Le
couple piton-mousqueton décuple les possibilités émancipatrices des alpinistes des
Alpes orientales. Les effectifs des clubs alpins de la fin de l'année 1912 présentés par
Coolidge sont éloquents : 730 membres à l'Alpine Club, environ 6500 au CAF,
environ 7500 au CAI (Club Alpin Italien), environ 13 000 au CAS (Club Alpin
Suisse), et environ 100 000 au DÖAV.29 Il faudra attendre 1928 pour qu'Alfred
Couttet et son porteur Roger Frison-Roche ramènent des Dolomites les premiers
pitons à Chamonix et envisagent d'enseigner l'alpinisme aux vacanciers30, au grand
effroi de la profession de guide. Le premier article consacré aux pitons ne paraîtra en
France qu'en 1932 dans le magazine La montagne, sous la plume d'Alain Le Ray, du
groupe de Bleau. Jamais sans mon guide semble être l'horizon indépassable du
touriste français comme britannique, ainsi que l'illustre la sortie suivante du vieux
révérend américain.
En 1913, Coolidge (1850-1926)31, malade depuis 1900 et retiré à Grindelwald,
après une solide carrière alpine commencée en 1865 et terminée en 1898, après avoir
été le compagnon de cordée d'un Gardiner de 1880 à 1893, s’emploie en effet dans
une sévère remontrance à l'encontre des cordées sans guide insuffisamment
expérimentées, les rendant responsables d'une recrudescence d'accidents, de jeter de
nouveau le discrédit sur l'activité difficilement remise du drame du Cervin, et, chemin
faisant, de ruiner la profession de guide. Le montagnard atrabilaire et fatigué déplore
que ces nouveaux alpinistes, « se recrutent désormais - en Angleterre le déclin est
moins sensible - dans des couches moins cultivées de la population », « la qualité des
ascensionnistes s'en ressent fâcheusement », ces nouveaux pratiquants ne pouvant
s'entraîner que pendant les courts congés permis par leurs obligations
professionnelles. Il demande aux amateurs autonomes expérimentés la plus grande
discrétion : « Qu'ils se gardent d'encourager, par la parole ou la plume, les amateurs
non qualifiés à les imiter. »
Mais les effrontés vont désobéir aux injonctions du grand homme. La Première
Guerre mondiale est passée par là. Une génération de jeunes gens a vu partir ses aînés
dans la frustration et ne les a pas vu revenir. Dans chaque village de France, on dresse
des monuments à la mémoire des héros, condamnant les plus jeunes au rôle d'éternels
cadets placés dans l'ombre des hommes illustres. La réaction est vive. En France,
Jacques de Lépiney et ses amis fondent, dès 1919, le Groupe de Haute Montagne au
sein du CAF, mettant à l'honneur un alpinisme élitiste amateur. En 1925 est même
fondé à Paris le CAFA, Club Académique Français d'Alpinisme, ne reconnaissant que
l'alpinisme sans guide. Il fait paraître une revue trimestrielle illustrée nommée
Alpinisme, puis se rapproche du GHM en 1927. Chez les vaincus, l'exacerbation est à
son comble. L'Autriche est amputée de la majeure partie de son territoire.
L'Allemagne, ruinée et humiliée par la question des Réparations, se souvient qu'elle
est restée invaincue sur son sol et incline à la théorie du coup de poignard dans le dos

29 Les Alpes dans la nature et dans l'histoire, William Augustus Brevoort Coolidge, librairie Payot et Cie, 1913.
30 Le versant du soleil, Roger Frison-Roche, éditions Flammarion, 1981.
31 Op.cit, W.A.B. Coolidge, supra.

15
développée par le général Erich Ludendorff. L'Italie a reçu une partie des terres
irrédentistes qui avaient motivé son entrée en guerre du côté de l'Entente. Les
Dolomites, désormais italiennes et non plus autrichiennes, après avoir été le théâtre
d'affrontements armés des troupes de montagne 32, deviennent un haut lieu
d'émulation. Munichois, Viennois, Tyroliens d'Innsbruck monopolisent les
ouvertures et atteignent le sixième degré. Sestogradiste devient le mot
incontournable.
Le jeune Jean Coste, externe des Hôpitaux de Lyon, tombé à la Meije en 1926,
avait parfaitement assimilé cette continuité avec l'esprit d'initiative des pionniers :
« Pourquoi donc n'étais-je pas content ? A la réflexion, je suis persuadé que la cause
de cet état d'âme particulier c'est le guide. En effet, quel plaisir peut-on bien avoir
lorsqu'on n'a pas agi ? Je trouve que la présence du guide qui vous hisse comme un
paquet ôte à l'ascension tout son charme qui est fait de l'incertitude de la victoire, de
sa dépendance de nos seules forces, de la recherche laborieuse du chemin. Plus je fais
de la Montagne et plus, comme Mettrier, je suis convaincu que seul vaut l'alpinisme
sans guide. »33
Les décennies suivantes ne feront plus que répéter l'Histoire hexagonale. Les
Kletterschuhes (chaussures d'escalade à semelles de corde ou de feutre) passeront les
cerbères des Alpes occidentales avec la même peine qu'avaient rencontrée les pitons.
Les pointes frontales des crampons introduites dès 1929 à Courmayeur par Grivel et
utilisées par les membres amateurs du GHM seront repoussées par la puissante
corporation des guides jusqu'au milieu des années soixante, comme on avait
longtemps rejeté l'emploi de la totalité du crampon. On pansera la nation exsangue
par la création de Jeunesse et Montagne en 1940 comme on avait fondé le CAF après
Sedan.
Après la seconde guerre mondiale toutefois, l’État, par la Direction des Sports,
s'empare de l'organisation et de l'enseignement de la profession de guide et
accouchera difficilement de l'ENSA. Ceci aura l'heureuse conséquence d'obliger le
CAF, privé d'une de ses occupations principales, à ne plus tergiverser. Tandis qu'avant
guerre, le recours au guide était encore l'alpha et l'oméga de la doctrine, le club
s'oriente définitivement vers l'enseignement alpin, affichant la volonté de construire
des alpinistes autonomes.

Suivre la trace
Cette chronique accélérée illustre en définitive que l'alpiniste, ascensionniste
de lieudits chargés d'aventures, est relié à un territoire mais aussi à une histoire,
autrement dit, à ses morts beaucoup plus qu'à la mort, n'en déplaise aux amateurs de
tragédies. Il met ses pas dans ceux des anciens et va gravir le pic du terrible révérend
Coolidge, le couloir de l'abbé Davin, le pilier du truculent Georges Livanos, la voie
Jacques de Lépiney, ou le couloir Henry de Ségogne, conseiller d’État – Jacques
Lagarde, médecin, à l'aiguille du Plan. Il pense avec Chateaubriand que si « les

32 Histoire de l'alpinisme, Les Alpes, Michel Mestre, éditions Edisud, 1996.


33 Mes quatre premières années de montagne, Jean Coste, Librairie Générale et Internationale, 1927.

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vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les
vivants. »34 Chaque transgression successive - alpinisme débarrassé de son alibi
scientifique, alpinisme féminin, alpinisme sportif, alpinisme sans guide, alpinisme
pratiqué par des milieux sociaux moins élitistes -, en s'affirmant dans la réprimande
invariable des aînés, s'inscrit pourtant dans la continuité de la transgression
précédente, la véritable trahison ne pouvant être finalement que la paresse à ne
vouloir pas transgresser. La destinée indépassable de la nouvelle pratique étant de
devenir le conformisme de l'époque suivante, les acteurs se voient contraints à la
surenchère... jusqu'à la radicalité de la réception policière au sommet des grattes-ciels
gravis en solo non assuré par Alain Robert35 à partir de 1994.

L'inoffensive sécession
Emportés par le mouvement libertaire des années soixante, les cheveux
poussèrent et l'escalade advint. Certains voulurent affirmer la formation d'une fracture
avec le succès du clean-climbing d'outre-Manche puis du free-climbing d'outre-
Atlantique. Emboîtant le pas d'un Jean-Claude Droyer en France 36, on construisit « un
système d'oppositions symboliques »37 dénonçant l'alpinisme rance de la génération
précédente corrompu par les moyens artificiels utilisés, au profit d'une escalade
hédoniste moralement pure et écologiste. Hoibian a montré 38 que derrière cette mise
en scène d'une révolution technique de l'escalade libre, se cachait en réalité une prise
de pouvoir de la discipline sportive par de nouveaux pratiquants, ce processus « de
différenciation sociale et de domination culturelle » passant par l'énoncé de
nouvelles règles éthiques dont le nouveau groupe dominant se fait le dépositaire.
Certains39 contèrent une lente distanciation étalée sur quatre-vingts années, depuis les
prouesses solistes de Paul Preuss jusqu'à la première compétition d'escalade organisée
sur les rochers de Bardonecchia (Italie) en 1985 puis aux compétitions en salle des
années quatre-vingt-dix. L'escalade sportive se mettait à exister à part entière, mais
c'était en refusant de voir que la plupart de ses adeptes étaient aussi des alpinistes
chevronnés. Catherine Destivelle et Stefan Glowack, vainqueurs de la première
compétition de Bardonecchia, étaient aussi alpinistes de haut niveau. On sait moins
que Patrick Edlinger, vainqueur de la seconde compétition de Sport-Roccia, avait, en
1980, enchaîné en solo intégral la pente de glace centrale du Pelvoux et le couloir
Chaud. Wolfgang Güllich, franchissant les frontières du huitième degré (8b en 1984,
8b+ en 1985, 8c en 1987, 9a en 1991), allait aussi user ses chaussons en Patagonie ou
aux Tours de Trango (massif du Karakoram) avec Kurt Albert. Jean-Baptiste Tribout,
connu pour sa force en falaise, avait grimpé à la Cima Grande et en face nord des
Grandes Jorasses. A son modeste niveau, le varappeur ordinaire posait ses coinceurs
où on avait jadis enfoncé des pitons et continuait de s'aventurer sur les mêmes
34 Les mémoires d'outre-tombe, François-René de Chateaubriand, 1841.
35 L'homme-araignée, Alain Robert, éditions Le cherche midi, 2004.
36 Escalade libre : quelques réflexions pour l'avenir, Jean-Claude Droyer, Paris-Chamonix n°21, Section de Paris du
CAF, 1977.
37 De l'alpinisme à l'escalade libre. L'invention d'un style ? Olivier Hoibian, revue S.T.A.P.S. février 1995, n°36, 7-15.
38 Les alpinistes en France 1870-1950. Une histoire culturelle, Olivier Hoibian, éditions de l'Harmattan, 2000.
39 Cours d'escalade en 10 leçons, Paolo Paci, éditions.de Vecchi, 1992.

17
falaises. Si les terrains de jeu n'étaient plus forcément en montagne, les compétences
requises, hormis la neige et la glace, étaient du même ordre. Il demeurait une
continuité dans les pratiques. L'abonné du début des années quatre-vingt-dix à la
première salle d'escalade de Grenoble venait avec son vieux sac à dos usé contre le
gneiss de l'Oisans et se rencontrait couramment au détour d'une cascade de glace. Le
grimpeur et l'alpiniste, si distincts étaient-ils devenus pour les psychanalystes du
vertige40, restaient de la même race. L'un et l'autre connaissaient cette tension qui
monte à mesure que les pieds s'élèvent au-dessus du dernier mousquetonnage et la
quantité de maîtrise de soi nécessaire pour en venir à bout. Plus indociles, les
controversés planteurs de spits Michel Piola et Jean-Michel Cambon, s'ils
promouvaient l'escalade plaisir et sans danger en haute-montagne (après pourtant de
belles carrières de grand alpinisme engagé), apportaient bien une ultime transgression
en équipant à demeure des parois considérées comme sanctuaires de l'histoire alpine.
Les volées de bois vert qu'ils reçurent les qualifièrent à ce titre, mieux qu'un piolet
d'or, en dignes héritiers des Gardiner, Mummery ou Lizzie Le Blond.

La trace perdue
Puis le petit monde de la verticalité connut une nouvelle évolution. Les salles
d'escalade se multiplièrent, le niveau athlétique des nouvelles recrues ne cessa de
croître. Une gestuelle dynamique exécutée dans la réclusion d'un gymnase par des
corps entraînés avec un soin jaloux, se propagea, en même temps qu'un grand nombre
de pratiquants se mit à refuser obstinément de fréquenter le rocher ou la glace,
voulant oublier toute notion d'adaptation au terrain. Une grimpe charnelle indoor
phagocytait une discipline où le spirituel - connaissance d'un milieu, bagage
technique, maîtrise de soi, esprit d'initiative, curiosité, solidité morale, dosage du
risque - avait longtemps eu la première place. Plus fâcheux, grimper n'était plus,
pour le pratiquant de base, une transgression émancipatrice mais s'exercer
transitoirement au sport urbain à la mode. Dans une même déprise, l'escalade sur
résine devenait hors-sol, affiliée ni à un territoire, ni à une histoire, traduisant une
fracture d'ordre anthropologique d'autant plus flagrante qu'on pensait que l'aventure
en montagne avait été l'enfant naturel des explorateurs de l'Afrique, des grandes
découvertes du XVe siècle comme des premières migrations du genre homo hors du
premier continent voici deux millions d'années. Cette relève du praticien -
transposant des connaissances dans un exercice voire un art - par le pratiquant -
s'exerçant à une gestuelle sportive - ne pouvait faire bon ménage avec le milieu
naturel. Si Marcel Rouff déplorait déjà en 1931 que les montagnes fussent « devenues
quelque chose comme un stade, comme un court de tennis, comme un autodrome :
une arène de sport »41, le résultat, cette fois, fut que les saisons disparurent et qu'on
n'envisagea plus de quitter son statut confortable de consommateur de salle
d'escalade.

40 Le plaisir du vide, Eric de Léséleuc, Corps et culture, n°2, 1997.


41 Montagnes, Marcel Rouff, éditions de la NRF, 1931.

18
Le constat n'est pas sans rappeler la spécificité des arts martiaux chinois
dénaturés par l'Occident en sports de combat. Avant la pénétration des Européens à la
suite des guerres de l'Opium, la Chine est une vaste société rurale homogène, où la
féodalité n'existe pas, et où les marchands, et plus encore le métier militaire sont
tenus en piètre estime. L'histoire du kung-fu (wu shu) montre un attachement
intellectuel à la diversité des innombrables styles, plutôt que le souci premier de
l'efficacité du geste sportif comme on peut au contraire le voir dans la culture féodale
et guerrière du Japon, dont le meilleur exemple est le karaté. La Chine est jalouse
avant tout de son bagage culturel, de sa civilisation. Vaincre l'adversaire n'est pas une
priorité, l'essentiel est dans la conduite de sa vie, dans la défense de valeurs morales,
dans la transmission du savoir auprès du sifu respecté, non par habitude hiérarchique,
mais, dans cette société égalitaire, parce qu'il incarne l'héritage de la civilisation
chinoise. Du reste, les connaissances du maître de wu shu s'étendent souvent à la
médecine traditionnelle chinoise, l'exemple le plus célèbre étant celui du légendaire
Wong Fei-Hung, prouvant définitivement que le wu shu n'est qu'un prétexte, un
moyen de se réaliser et de trouver la voie (tao) plutôt qu'une recette pour terrasser un
adversaire. Cette force morale n'est sans doute pas étrangère à l'adage des historiens
concernant la Chine : facile à vaincre, impossible à conquérir.42

La trace retrouvée
Patrick Berhault disait de l'alpinisme qu'il consistait à passer par des portes
que la montagne consentait momentanément à ouvrir, et qu'être alpiniste de haut
niveau était simplement être capable de franchir, donc d'abord de voir, des portes plus
petites et se refermant plus vite.
La performance du corps passerait après le savoir-faire. Acquérir ce savoir-
faire, incorporer une histoire alpine pour mieux s'y incorporer, font comprendre
comment l'escalade a pu compter autant pour les Zsigmondy, Preuss, Whymper,
Mummery, Livanos, Allain, Messner, au point de transformer leurs existences.
Nous souhaitons montrer qu'il est licite, raisonnable et salutaire de franchir le
portail, en partageant la pratique d'un alpinisme amateur ordinaire, c'est à dire
compatible d'une part avec une activité professionnelle, donc exercée pendant les
vacances d'été, compatible d'autre part avec les qualités physiques communes de tout
individu en bonne santé. Par conséquent, hors le contexte de ce que nous tenons pour
un dopage social, quand la fréquence des entraînements ou l'absence d'obligations
professionnelles extérieures à la montagne deviennent des contingences artificielles.
Homme normal certes, mais adulte : il s'agira d'ouvrir la porte sans se faire tenir la
main, en autonomie, sans quoi le jeu n'aurait plus d'intérêt, l'essentiel ne tenant pas à
un défi athlétique.
Pourquoi grimper là-haut ? Dans ces temps obscurantistes où des élites
cosmopolites, fourvoyées, tentent d'emporter dans leur égarement une acculturation
de masse, vendant pour avancées sociétales mille façons de se semer soi-même, et
imposant de fait, au-delà d'une fragilité économique et sociale - autrement dit
42 Op. cit., Jacques Néré, p.11.

19
politique -, une insécurité culturelle 43 - c'est à dire d'ordre anthropologique - , aider à
réconcilier le grimpeur de résine avec le rocher, la neige et la glace, donc avec son
territoire et son histoire, est tout l'objectif de cet ouvrage. La haute-montagne est
bien pour notre cerveau humain atteint d'hypertélie un moyen de reprendre pied.
« La réalité, c'est quand on se cogne » disait Jacques Lacan. Et la réalité de
l'alpinisme se résume prosaïquement à ces satanées lois de Newton qui nous
conduisent, pêle-mêle de cordées, de pierres, de séracs, et autre fatras, quoi qu'on
fasse, en bel ordre vers le centre de la terre.

Rien n'est plus pénible que ces cours de voile qui débutent de cette façon : ceci
est la coque, ceci est la voile, ceci est la mer, ou pire, ceci est la réglementation
plaisance. Vous savez tout cela : enfiler vos chaussons, vous encorder avec un nœud
de huit, placer vos dégaines, mousquetonner, vous vacher au relais, passer la corde
pour vous faire mouliner ou descendre en rappel.
Nous inspirant de la pragmatique leçon du regretté skipper Gilles Barbanson 44,
vous allez tenir la barre tout de suite. Et pour commencer, vous allez choisir le
matériel indispensable et votre terrain de jeu.

43 La cause du peuple, Patrick Buisson, éditions Perrin , 2016.


44 Bien naviguer, mieux connaître son voilier, Gilles Barbanson, éditions Amphora, 2004.

20
Chapitre 1 : Premier matériel et terrain de jeu
« Les petits équipages, et en particulier les couples, sont ceux qui s'entendent le
mieux. La compatibilité est essentielle ; réfléchissez-y à deux fois avant de naviguer
avec des personnes que vous ne connaissez pas. » Peter Noble.45

Nous n'allons parler ici que de l'armement essentiel à la pratique de l'alpinisme,


le but étant d'aller le plus vite possible en montagne en surmontant les premiers
obstacles.

1 / La bagnole
Une bagnole, c'est une mauvaise voiture, impropre à flatter l’ego, mais capable
de mener la cordée et ses sacs à dos au début du sentier. C'est ce qu'on lui demande.
Bagnole égale liberté. Nos pouvoirs publics l'ont parfaitement compris, et très
méfiants vis à vis de ce second mot qu'ils tiennent, depuis 1789, 1830, 1848, 1871,
pour une provocation, font mille manières pour brider l'automobiliste, le véhicule
téléguidé du futur devant remplir toutes leurs aspirations.
En attendant, la voiture est votre premier outil pour aller en montagne au plus
près de vos terrains de jeu, à l'heure que vous souhaitez. Il est loin le temps où Anderl
Heckmair46 partait pour grimper à la Civetta (1930) les sacs de montagne jetés dans
le gig de son vélo, celui où Hermann Buhl47 allait à bicyclette d'Innsbruck jusqu'à la
Karwendelhaus (une cinquantaine de kilomètres) pour gravir la face nord de la
Laliderer (1942). Les transports en commun restent très limités pour se rendre au

45 The mind of the sailor, cité par Objectif grande croisière, Jimmy Cornell, éditions Loisirs Nautiques, 2002.
46 Alpiniste, Anderl Heckmair, éditions Guérin, 1997.
47 Hermann Buhl, ou l'invention de l'alpinisme moderne, éditions Glénat, 2003.

21
départ des chemins et vous empêchent de rapidement changer d'objectif en fonction
des conditions de la montagne. Si vous pouvez, dégotez un break, ou mieux un vieux
fourgon, que vous aménagerez sommairement pour pouvoir dormir dedans comme le
font de nombreux grimpeurs.

2/ Le compagnon de cordée
Il est peu probable que le choix d'un sac à dos de 35 litres ou de 45 litres
change quoi que se soit à votre capacité d'oser aborder votre première course
d'alpinisme. Nous verrons plus tard certains détails concernant le matériel. Nous n'en
sommes pas là. Le premier indispensable outil à trouver n'est pas en vente dans les
magasins de sport, encore moins sur internet. Il s'agit de votre compagnon de cordée.
Sans lui, vous ne traverserez seulement pas ce glacier crevassé à l'apparence
débonnaire et n'atteindrez pas ce beau granit ensoleillé qui vous attend de l'autre côté
de la rimaye. Catherine Destivelle48 ne se lasse pas de rappeler son cuisant accident
de 1985, quand elle s'était dirigée décordée et insouciante vers le départ de sa voie
d'escalade de la paroi de l'Envers-des-Aiguilles, l'aventure se soldant par une double
fracture du bassin après sa chute dans la rimaye, le salut devant tout à l'efficacité de
son compagnon Lothar Mauch. Pourtant un 14 juillet, relativement tôt en saison,
quand les crevasses sont supposées être encore bien bouchées par la neige de l'hiver.
La pratique en solo de l'alpinisme est surtout un mythe (cf. néanmoins au
chapitre 9). La plupart des exploits solitaires ont mis en jeu des compagnons de
cordée acceptant de jouer le rôle ingrat d'assureur dans la traversée des champs de
crevasses, de cinéaste, de routeur météo, de porteur pour les dépôts de matériel au
pied de la voie, voire de compagnon de cordée attendant au sommet pour le retour par
la voie normale ou pour un bivouac avec un minimum de confort. Sans compter le
suivi par l'hélicoptère. Le soliste de haut niveau est donc un personnage très entouré.
Il n'y a pas si longtemps, quand l'apprentissage de l'escalade se faisait sur des
rochers écoles nécessitant la corde, la question du compagnon de cordée ne se posait
pas. Celui qui avait fait l'affaire ici faisait l'affaire là-haut. Aujourd'hui, les
compagnons de cordée sont interchangeables au gré des rencontres du jour à la salle
d'escalade. Les cordées se font et se défont quand, parfois, elles n'existent tout
simplement pas, au bloc, où le groupe est sujet à un turn-over incessant. La confiance
se mérite. Vous soupçonnez que l'artiste qui vous a gratifié, avec un grand sourire,
d'un bel assurage dynamique qui vous a stoppé à vingt centimètres du sol alors que
vous aviez mousquetonné la quatrième dégaine, n'est peut-être pas le meilleur choix
pour la montagne...
Une cordée normale, considérée comme la plus sûre, était jadis 49 composée de
trois personnes. Mais une cordée de deux était jugée plus rapide et occasionnant
moins de chutes de pierres en terrain délité 50. Deux cordées de deux conciliaient
rapidité et sécurité. La cordée de deux est actuellement de loin la plus courante.

48 Ascensions, Catherine Destivelle, éditions Arthaud, 2003.


49 Neige et roc, Gaston Rébuffat, éditions Hachette, 1959.
50 L'art de l'alpinisme, Pierre Allain, éditions Amiot Dumont, 1956.

22
Il existe deux critères essentiels dans le choix de votre compagnon de cordée.
Et au regret de vous décevoir, il ne s'agit pas de la largeur d'épaules, de la capacité à
serrer les prises, de l'aisance gestuelle, ou de la fraternité avec le-copain-qui-va-
tenter-l'aspi.

a/ La fiabilité
Le premier critère est la fiabilité. Et pour paraphraser Henri-Georges Clouzot,
« Pour faire un bon film, premièrement il faut une bonne histoire, etc. », pour faire
une bonne cordée, premièrement il faut un compagnon de cordée fiable,
deuxièmement il faut un compagnon de cordée fiable, troisièmement il faut un
compagnon de cordée fiable. Vous partez à deux, vous revenez à deux. A la vie, à la
mort. Il ne sera pas question d'assister d'autres cordées si cela met en péril votre
compagnon de cordée, les choses doivent être très claires. Il est votre - et vous êtes sa
- priorité absolue. Le reste est subsidiaire. Vous avez tous les deux admis que la
désertion est passible du peloton d’exécution. Comme le maréchal Ney à Auxerre au
retour de Napoléon, vous tomberez dans les bras l'un de l'autre quoi qu'il doive
ensuite arriver. La fiabilité suppose que vous pouvez tout lui confier. Que cette
course, vu l'heure tardive, votre forme moyenne, vous ne la sentez pas vraiment ; que,
pour tout dire, vous avez même un peu la frousse. Combien de cordées iront à
l'accident par bravade ? Gaston Rébuffat51 nous enseignait que « la prudence risque
parfois de n'être qu'un aspect de la lâcheté, et l'entêtement à poursuivre qu'une stupide
et dangereuse déformation de la volonté ». La fiabilité suppose aussi que votre
compagnon sera attentif à vous assurer comme s'il s'assurait lui-même. La fiabilité
suppose qu'il ne vous enverra pas dans une longueur dangereuse en vous défiant :
« même pas cap... » La fiabilité suppose que quand il vous affirme qu'il est à la
hauteur, il est à la hauteur.

b/ L'esprit d'aventure
Le second critère est qu'il ait parfaitement compris de quoi il retourne dans la
pratique de l'alpinisme. On ne pratique pas l'alpinisme parce que la montagne est
belle et qu'on aime respirer l'air pur. On préférera alors la marche sur les sentiers
d'alpage d'autant que la pression partielle en oxygène s'abaisse avec l'altitude...
« Préférer l'alpinisme à tout autre sport, c'est sans doute choisir une activité où le
mental prime sur le physique, où la volonté de vivre l'aventure pour elle-même prend
le pas sur le désir de vaincre l'adversaire. » nous dit Michel Piola52.
Dans notre hexagone où l'homme a domestiqué la quasi-totalité du territoire,
l'alpinisme est l'opportunité de vivre une authentique aventure sur une surface
verticale qui représente peu de chose sur une carte d'état-major. L'aventure à portée
de la civilisation. Les cordées se lançant sur la face ouest des Drus le font devant les
longues-vues des terrasses du Montenvers. Celles s'engageant dans la face nord de
l'Eiger sont suivies par les touristes débarqués à la gare de la Kleine Scheidegg. Dans

51 Le massif du Mont-Blanc, les 100 plus belles courses, Gaston Rébuffat, éditions Denoël, 1973.
52 Le Mont Blanc, grain de folie, Tome 2, Michel Piola, éditions Glénat, 1991.

23
un petit pays urbanisé, l'aventure horizontale qui nécessite de grands espaces est
impossible ; voilà pourquoi votre terrain de jeu est dans l'autre sens.
Qui dit aventure dit incertitude. Ici encore, Gaston Rébuffat53 vient à notre
secours : « A une époque où tout est de plus en plus prévu, programmé, organisé,
pouvoir se perdre sera bientôt un délice et un luxe exceptionnels. » Votre compagnon
de cordée jubile en lisant ce genre de phrase, vous avez fait le bon choix. Vous avez
aussi conclu, l'un et l'autre, que l'alpinisme ne peut se pratiquer sous la conduite d'un
guide, puisqu'il s'agit de se perdre.

Compagnon de cordée ou compagne tout court


En 1904, Marie Paillon, taquine, débutait ainsi son chapitre sur l'équipement
féminin54 : « Le temps n'est plus où l'on se demandait si la femme peut marcher.
Pendant qu'on discutait gravement sur ce sujet, l'intéressée, qu'on avait oublié de
consulter, s'est chargée de répondre. »
Si vous avez la chance de partager la montagne avec votre compagne, ce sera,
et d'une, une bonne façon de ne pas rester éternellement célibataire. Et de deux, ne
croyez surtout pas les mauvaises langues qui prétendent qu'un couple sur un bateau
ou encordé est un divorce assuré. Au contraire, les mille et une occasions de forcer
l'admiration de l'autre et réciproquement dans des situations difficiles tissent des liens
beaucoup plus solides que la mise en commun des corvées ménagères... Et la scène
de ménage au sommet du Pic Coolidge dans la tourmente aura nettement plus de
cachet qu'au milieu des assiettes. Afin de mesurer à quel point le couple est l'unité
d'élite de la société moderne, il faut absolument lire les récits de Navigation par gros
temps de Adlard Coles et Peter Bruce55, qui montrent des couples gérant au mieux des
tempêtes exceptionnelles sur plusieurs jours, oscillant entre inquiétude extrême pour
l'autre, confiance et complémentarité exemplaire. On comprend par ailleurs que le
couple hétérosexuel soit naturellement la cible à atteindre pour qui entreprend
d'ébranler durablement les bases de résistance d'une nation. Les attaques récurrentes
dont il fait l'objet depuis ces dernières décennies en témoignent.

3/ Un cerveau autonome
Après l'automobile et le compagnon de cordée, le cerveau autonome est le
troisième matériel indispensable.
La pratique de l'alpinisme a la valeur d'un syndicat d'initiative. Il s'ensuit que
vous avez besoin d'un cerveau autonome en bon état de marche pour prendre les
différentes décisions qui vont nécessairement s'imposer : A quelle heure dois-je me
lever ? Que dois-je emporter ? Quel itinéraire choisir ? Est-il raisonnable d'escalader
cette longueur ? Ai-je assez de matériel pour envisager la retraite ? Est-ce que je
chausse mes crampons ici ou là-bas ? Si les indications d'un gardien de refuge
peuvent être utiles, par exemple pour conseiller l'heure d'un lever dans une course

53 Op. cit, Gaston Rébuffat, p.23.


54 Op. cit., CAF, p.11.
55 Navigation par gros temps, Adlard Coles et Peter Bruce, éditions Gallimard, 2002.

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classique, il vous revient en tout état de cause de faire le choix ultime.
Un fait essentiel est que l'autonomie ne viendra pas à posteriori, comme une
cerise sur le gâteau d'une pratique accompagnée. Si vous commettez cette commune
erreur de le croire, il vous sera très difficile de vous émanciper. Il est probable que la
voie future dans laquelle vous vous engagez consistera surtout à trouver un premier
de cordée qui acceptera de vous emmener.
Nous pensons au contraire que l'autonomie doit, d'emblée, faire partie de votre
pratique. Elle n'est pas un exploit ni une mise en danger supplémentaire, mais un état
d'esprit. Et il faudra lui trouver la meilleure place dans votre sac à dos. Cela se
traduira concrètement par une trousse de premiers secours, un ou deux pitons et de la
cordelette, un grand sac poubelle en cas de bivouac improvisé, une boussole, un
altimètre, un morceau de carte au 1/25000e, etc. Nous verrons ensemble le contenu
du sac, mais d'ores et déjà, vous pouvez vous inspirer de la démarche des
survivalistes dans la confection de leur fameux EDC (everyday carry). Ma copine est
sujette aux hypoglycémies d'effort ; j'emporte ses barres chocolatées préférées. Je
peux me blesser la peau contre le rocher ; j'emporte des pansements de tailles
diverses. Mais les pansements tiendront mal sur la peau mouillée par la neige ;
j'emporte du Strappal® pour entourer le pansement.
Il est habituel de formellement déconseiller, voire d'interdire, au novice de
tenter sa première course d'alpinisme sans être accompagné d'un mentor, guide ou
instructeur de club alpin, au prétexte d'immenses périls.
Présenter les choses de cette façon fallacieuse nous fait bondir pour trois
raisons :
- La première est que le fameux novice n'est pas dépourvu d'acquis. Il possède
d'abord son bagage d'escalade avec une gestuelle variée pouvant intimider le vieux
montagnard. Il embarque ensuite son expérience de la randonnée, c'est à dire
l'habitude de marcher longtemps avec un gros sac, de camper en montagne, de faire
face aux intempéries et de s'orienter avec carte et boussole. Enfin ses connaissances
livresques sont consistantes, car il a lu des ouvrages techniques avant de pousser plus
loin que le refuge.
- La deuxième est que les immenses périls seront tout à fait proportionnés à son
noviciat, puisque, cultivant à la fois la modestie, l'intelligence et l'enthousiasme, le
débutant va choisir une première course facile, courte, d'altitude raisonnable, dans les
conditions et saisons idéales, et qu'il sera extraordinairement attentif pendant tout le
déroulé de l'ascension.
- La troisième est ontologique. Si Sartre56 peut nous convaincre que l'existence
précède l'essence, comment imaginer qu'on devienne alpiniste en préalable de
pouvoir pratiquer l'alpinisme ? Le philosophe, consterné, se retournerait dans sa
tombe. L'orthodoxie qu'on vous propose ferait de vous, au mieux, un bon client ou un
stagiaire doué, certainement pas un alpiniste autonome. En mer, un stage de niveau
deux voiles réussi vous prépare efficacement... à vous inscrire au stage trois voiles du
même club.
56 L'existentialisme est un humanisme, Jean-Paul Sartre, éditions Nagel, 1946.

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4/ Une bibliothèque
Antoine, auteur d'un formidable livre sur la plaisance 57, aime dire que la chose
la plus importante qu'il a retenue de l’École Centrale est d'avoir appris à apprendre.
Notre vieil et ébouriffé professeur d'orthopédie dento-faciale de Lyon, Henri
Deplagne, nous répétait à l'envi : « Il faut lire, lire, lire, bande de couleuvres. » Le
quatrième matériel d'alpinisme dont vous avez le plus besoin après la voiture, le
compagnon de cordée et le cerveau autonome, est une bibliothèque la plus fournie
possible de tout ce que vous trouverez qui se rapproche de près ou de loin à
l'alpinisme, la montagne, la neige, les techniques de secourisme, l'orientation, les
récits de montagne, les topos.
Ne croyez pas les gens incultes qui prétendent qu'on n'apprend pas dans les
livres. Bien entendu qu'on apprend dans les livres ! Et vous allez apprendre
l'alpinisme dans les livres, puis mettre en pratique ce que vous aurez appris, avec
application, avec le soin d'un bon élève, sur le terrain de jeu que vous aurez choisi.

Une bibliothèque minimale pourrait être celle-ci :

Alpinisme, des premiers pas aux grandes courses, G.Decorps, J.F.Hagenmuller,


C.Moulin, éditions Glénat, 1997.
L'alpinisme, des premiers pas aux grandes ascensions, J.F.Hagenmuller, F.Marsigny,
F.Palandre, éditions Glénat, 2016.
Alpinismes, B.Amy, P.Beghin, P.Faivre, éditions Arthaud, 1988.
L'alpinisme, P.de Bellefon, éditions Denoël, 1987.
L'escalade, D.Belden, éditions Denoël, 1987.
Escalade en terrain d'aventure, S. Conche , éditions Amphora, 2004.
Glace et Neige, art et technique, Y.Chouinard, Arthaud éditeur, 1981.
Glace, couloirs et cascades, B.Gardent, P.Tournaire, éditions Glénat, 1990.
Glaces, J.Blanc-Gras, M.Ibarra, éditions Blue ice, 2011.
Le massif du Mont-Blanc, les cent plus belles courses, G.Rébuffat, éditions Denoël,
1973.
Le massif des Écrins, les cent plus belles courses, G.Rébuffat, éditions Denoël, 1974.
Oisans nouveau, Oisans sauvage, partie est et partie ouest, J.M.Cambon, plusieurs
autoéditions renouvelées.
Le topo du massif du Mont-Blanc, plusieurs tomes , M.Piola, plusieurs autoéditions
renouvelées.
Guide du Haut-Dauphiné, plusieurs tomes, GHM et F.Labande, éditions Cartothèque,
éditions renouvelées.
La chaîne du Mont-Blanc, tomes 1 et 2 guide Vallot, F.Labande, éditions Arthaud,
éditions renouvelées.

57 Mettre les voiles, avec Antoine, éditions Arthaud, 2001.

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Matériel d'alpinisme !

Vous serez sans doute surpris de voir figurer des livres datant un peu. Ils sont
indispensables pour se forger une véritable culture des techniques d'alpinisme et
réellement comprendre l'enseignement actuel. Lire uniquement le dernier traité
d'alpinisme paru risque de vous enfermer dans la croyance que la pratique ancienne
était forcément dangereuse. Or, nos aînés, la plupart du temps, faisaient preuve
devant les obstacles concrets d'une ingéniosité et d'une débrouillardise que beaucoup
d'alpinistes actuels pourraient leur envier. La bibliographie de fin d'ouvrage fera la
part belle à des ouvrages plus anciens encore qu'on peut se procurer facilement par
internet.
On pourra s'étonner aussi de trouver des topos mélangés à des ouvrages
techniques. Ces topos seront bien sûr indispensables pour choisir et réaliser les
différentes courses, mais dès maintenant, leurs premières pages sont truffées de
conseils techniques en tous genres, et offrent une pédagogie en direct du terrain très
précieuse. Ils sont à lire et à relire.
Concernant les récits, la priorité va, sans contestation possible, aux deux livres
de Whymper58 et de Mummery59. Puis on se plongera dans ceux de Gervasutti60,

58 Op. cit., Edward Whymper, p.11.


59 Op. cit., Albert Mummery, p.12.
60 Ascensions dans les Alpes, Giusto Gervasutti, éditions Arthaud, 1949.

27
Devies61, Livanos62 et Allain63. Finalement, achetez tout !

5/ Le terrain de jeu
Le choix du playground cher aux rédacteurs de l'Alpine Journal64 va
certainement autant dépendre de critères subjectifs que de critères objectifs. Chercher
l'aventure dans une société confortable qui ne vous y oblige pas suppose que
l'essentiel de votre motivation réside dans une quête mythique. Et il serait dommage
de ne pas se servir de ce puissant levier qui a su animer les plus importants
personnages de l'Histoire si l'on veut bien se souvenir simplement de cette seconde
moitié du XVIIe siècle où Condé, Gaston d'Orléans, la Grande Mademoiselle, Gondi,
Turenne, se disputaient leur revanche contre le pouvoir royal dans un héroïsme
perfectionné du meilleur goût. De la même façon que Paul Valéry 65 pensait qu' « il n'y
a point de puissance capable de fonder l'ordre sur la seule contrainte des corps par les
corps. Il y faut des forces fictives », trouverez-vous dans vos lectures d'histoires de
montagne la source d'inspiration et marcherez-vous dans les pas de vos premiers
héros. Cela supposera un massif d'envergure marqué par une histoire alpine notable et
des personnages pittoresques. L'Oisans et le massif du Mont-Blanc n'en manquent
pas. Répéter les voies Whymper 66, Mummery67, Gervasutti68, Allain69, Livanos70,
Chapoutot71 après avoir lu leur récits rendra les courses plus exaltantes.
En pratique, les longues marches d'approche de l'Oisans sont plus
formatrices (le sac trop lourd...) et meilleur marché que les coûteuses remontées
mécaniques du massif du Mont-Blanc. Les campings, champêtres, y sont aussi plus
agréables que l'ambiance urbaine de la vallée de Chamonix. Les voies normales sont
moins fréquentées, ce qui est essentiel pour l'apprentissage. Il n'est pas rare en Oisans
d'être une cordée solitaire - parfois avec l'artifice de décaler son horaire - ce qui
accroît à la fois l'engagement et la sécurité de la course, ce qui n'est pas
contradictoire. Le risque de se laisser embarquer dans l'enthousiasme d'un flot de
cordées sans trop réfléchir si la pente de neige raide est suffisamment stabilisée,
semble plus faible que dans le massif très fréquenté du Mont-Blanc.
Un camp de base au camping d'Ailefroide, donnant accès aux voies
normales de Roche Faurio, des Agneaux, de l'arête des cinéastes, du Dôme des
Ecrins, est un excellent choix. Un autre au camping de la Bérarde donne accès aux
voies normales du Gioberney, du Pic Coolidge, de la pointe des Bœufs Rouges, de la
pointe de la Pilatte. Les courses de neige devront cependant être réalisées plus tôt en
61 Lucien Devies, la montagne pour vocation, Olivier Hoibian, éditions L'Harmattan, 2004.
62 Au-delà de la verticale, Georges Livanos, éditions Guérin, 1997. Première édition par Arthaud, 1958.
63 Alpinisme et compétition, Pierre Allain, éditions Arthaud, 1947.
64 The playground of Europe, Leslie Stephen, éditions Longmans, 1871.
65 Préface aux Lettres persanes, dans Variété II, Paul Valéry, éditions nfr, 1930.
66 Op.cit., Edward Whymper, p.11.
67 Op. cit., Albert Mummery, p.12.
68 Op. cit., Giusto Gervasutti, p.27.
69 Op. cit., Pierre Allain, supra.
70 Op. cit., Georges Livanos, supra.
71 La montagne c'est pointu, Pierre Chapoutot, autoédition, 1996.

28
saison dans ce massif méridional, car les glaciers s'ouvrent vite. Les longues
escalades équipées autour des deux campings (souvent des voies Cambon) permettent
de conserver son niveau d'escalade entre deux courses de neige et de retrouver ses
sensations d'adhérence sur le granit, avant d'aller se mesurer au gneiss plus lisse des
étages supérieurs.
Le gneiss de l'Oisans est bon, pris morceau par morceau dit la légende, et
les fissures apparentes sont souvent bouchées ; petites lames minces de rigueur. Y
confectionner un relais robuste revient parfois à un savant bricolage. Pratiquer ses
premières années d'alpinisme dans ce massif sauvage est le gage d'une formation
solide.
On voit qu'un des intérêts non négligeable de l'alpinisme est la possibilité
de grimper sur des roches variées. Il serait dommage que le varappeur se cantonne au
calcaire, manquant ainsi la massive protogine du Mont-Blanc, le granit fissuré de
Cornwall, le gneiss compact du Pouce ou celui douteux du Cervin, la transition
granit-gneiss du Pelvoux ou le conglomérat de la Pierra Menta. Savoir grimper sur
l'un ne donne parfois guère de compétence sur l'autre.

6/ L'assureur
C'est celui qui assure, c'est à dire qui paie à votre place différents
débours causés par la survenue d'un sinistre. Il peut s'agir de frais de secours quand
ceux-ci ne sont pas gratuits (par exemple à l'étranger ou sur les domaines skiables),
de dépenses de santé suite à un accident corporel, de la réparation de dommages
matériels causés à un tiers.
Mais ce peut être également réparer un préjudice corporel causé à autrui.
Les sommes peuvent alors être considérables et ruiner une vie entière, la prodigalité
des juges n'ayant guère de limite en la matière.
Il est donc indispensable de souscrire une assurance responsabilité civile
couvrant explicitement l'activité d'alpinisme (pas celle de l'assurance habitation...),
par l'intermédiaire d'un club de montagne (FFME ou CAF) ou d'une enseigne de sport
(Carte Vieux Campeur).
Nous reviendrons au chapitre 12 (p.237) sur la question de la
responsabilité en montagne.

29
Chapitre 2 : Les techniques de base
« Si l'alpinisme ne consistait qu'à appliquer des méthodes précises à des
cas précis, ce ne serait pas l'alpinisme. » Georges Livanos72.

Les techniques d'aujourd'hui ne sont pas celles d'hier, ni celles de


demain. A ceci s'ajoute la très grande variété des situations rencontrées en montagne.
S'il est un lieu où il est déconseillé d'être sectaire, c'est bien la haute-montagne, aussi
pensons-nous que les phrases commençant par ne jamais sont les moins indiquées
pour un manuel d'alpinisme
Après un petit rappel des connaissances réputées acquises, voici ce qu'il
faut savoir des techniques académiques en neige, en rocher et en glace, concernant la
progression et l'assurage.

1/ Révision de vos connaissances


Vous savez vous encorder avec une corde à simple (notée 1 sur la bague
imprimée posée en bout de corde) par un nœud en huit. Vous connaissez également le
nœud de chaise bloqué par un double nœud d'arrêt. Vous savez mousquetonner la
corde qui entre dans le mousqueton depuis l'assureur jusqu'au grimpeur en allant du
rocher à l'extérieur et non l'inverse. Vous savez également que si la suite de la voie se
dirige à droite, il vaut mieux placer la dégaine de façon à ce que le doigt du
mousqueton du bas soit tourné vers la gauche. Ces deux précautions minimisent le
risque que la corde ouvre accidentellement le doigt du mousqueton du bas lors de la
chute et vous savez que ce risque est accru s'il s'agit d'un mousqueton au doigt
courbé, car la corde en s'appuyant dessus l'ouvre plus facilement.
Vous savez vous vacher au relais puis faire la fameuse manip pour
72 Op. cit., Georges Livanos, p.28.

30
passer la corde dans le maillon sans rompre la chaîne d'assurage. Au sol, vous savez
faire un gros nœud de sécurité en bout de corde dès que la longueur de la voie semble
approcher la moitié de la longueur de votre corde, ce qui évite l'accident classique de
la moulinette trop courte. Au relais, vous savez réveiller votre assureur distrait par la
jolie grimpeuse de droite avant de vous soulager de votre poids sur la corde posée en
moulinette.
Vous savez poser un rappel en égalisant les deux brins, vous savez
doubler votre descendeur par un autobloquant que vous mettez au-dessus du
descendeur ou dessous selon votre convenance personnelle (cf. p.100), en ayant
compris les avantages et les inconvénients de votre choix. Vous savez utiliser
indifféremment le nœud de Prusik (écrit avec un seul s comme le nom de son
inventeur Karl Prusik, qui se prononce Prussik en Allemand, d'où la liberté prise par
certains auteurs), le nœud de Machard, le nœud français, voire même le Machard
croisé utilisable sur sangle si vous avez perdu votre cordelette.
Vous savez porter un casque quand vous le jugez nécessaire. Vous savez
débiter en anneaux pour rappels, votre vieille corde devenue raide après avoir amorti
un certain nombre de vos vols mémorables, et protéger amoureusement la nouvelle
du soleil lors des longues marches d'approche vers votre falaise préférée.
Vous savez que des chaussons précis sont cruels et que des chaussons
bienveillants ne sont pas précis. Aussi, vous les quittez entre deux couennes et savez
les porter en babouches à vos relais de grandes voies.
Vous savez distinguer une broche scellée d'une plaquette montée sur un
goujon à expansion. Pour la plaquette, vous emportez souvent un maillon rapide pour
une réchappe confortable, ou au moins un petit anneau de cordelette. Vous savez bien
entendu qu'on ne se fait pas mouliner sur une sangle ou une cordelette.Vous savez
distinguer un spit de 8mm (tête de boulon visible au lieu d'un écrou autour d'une tige
filetée) d'un goujon inox de 10mm à la tension nerveuse accrue qui vous prend dans
le pas dur les pieds deux mètres au-dessus.
Vous connaissez le principe des forces de choc et de facteur de chute.
Aussi, vous partez d'un relais en grande voie en tachant de ne pas voler avant de
mousquetonner le premier point de la longueur pour éviter une chute en facteur deux.
Trouver très vite ce premier ancrage et le mousquetonner, vous appelez ceci à raison
protéger le relais. Vous savez que le confort d'un assurage dynamique trouve ses
limites quand votre copain s'écrase sur la vire. Vous savez aussi que le gri-gri ne
bloque que si l'accélération de la corde est suffisante, aussi qu'il est déconseillé de
déposer doucement son poids sur la corde tant que votre assureur n'aura décidément
pas quitté des yeux la fameuse grimpeuse de droite et posé enfin sa main nonchalante
sur la corde libre.
Malgré la difficulté d'un pas dur, vous tachez de ne pas enfiler votre
jambe entre le rocher et la corde car vous savez que celle-ci vous faucherait en cas de
vol, lequel aurait toutes les chances de se terminer tête en bas.
Vous avez déjà utilisé une corde à double (notée ½ sur l'étiquette), et
savez que la force de choc et le tirage sont réduits quand vous ne mousquetonnez

31
qu'un brin à la fois. Vous avez compris que la corde à double permet de redescendre
en rappel la même longueur qu'à la montée et facilite donc la retraite, tandis que la
corde à simple ne permet que de descendre de la moitié de la longueur maximale
possible en montée, corde à simple qui vous a du reste déjà mis en fâcheuse posture
d'improvisation dans des couennes un peu trop hautes. Vous avez renoncé à acheter
une corde jumelée (notée OO sur l'étiquette) qui nécessite de mousquetonner en
permanence les deux brins à la fois et, ma foi, vous n'avez pas eu tort.
Vous avez déjà vu un jeu de coinceurs câblés, un décoinceur, des friends
de toutes les couleurs, et avez déjà été à la recherche de la bonne fissure pour les
poser correctement. Vous avez vu des pitons dont on vous a dit qu'il fallait les retaper,
ce que vous auriez bien fait si seulement vous aviez eu un marteau, comme dit la
chanson.
Vous savez relier deux plaquettes sur goujons avec un bout de votre
vieille corde débitée noué par un double nœud de pêcheur et placer un maillon rapide
sur la plaquette du bas. Comme Michel Piola73, vous vous arrangez pour allonger
légèrement cette cordelette de liaison pour passer la corde de rappel à la fois dans le
maillon et dans la cordelette de liaison, de façon à ce que le rappel de la corde ne
provoque pas de frottement sur la cordelette. Ou bien vous savez tendre cette
cordelette entre la plaquette du haut et le maillon du bas de façon à ne passer la corde
de rappel que dans le maillon rapide.
Vous savez vous vacher directement avec la corde avec un nœud de
cabestan à la longueur souhaitée, sans utiliser de vache dédiée. Vous savez assurer le
second ou le premier avec un nœud de demi-cabestan fait autour d'un gros
mousqueton à vis en forme de poire. Vous savez descendre aussi sur un seul brin avec
ce demi-cabestan, et à l'occasion sur deux brins ce qui ne manque pas de transformer
votre belle corde en monstrueux plat de nouilles. Vous savez qu'une vache en sangle
n'est pas dynamique et ne résiste pas à une petite chute de facteur deux, aussi vous
restez en tension permanente sur une vache de ce type quand vous l'utilisez, et vous
êtes taillé dans votre ancienne corde une vache dynamique que vous tachez de ne pas
oublier pour les grandes occasions.
Voici en quelques mots, vos acquis techniques.

2/ Le nœud d'encordement : un objet sous surveillance


Pour la montagne, on choisit une corde dont la gaine répond à deux
caractéristiques : 1/ Elle reçoit un traitement hydrophobe, indispensable si on ne veut
pas voir sa corde gorgée d'eau à la moindre promenade sur glacier, mais qui la rend
glissante, surtout quand elle est neuve. 2/ Son épaisseur et son tressage serré la
rendent résistante à l'abrasion (voir chapitre 10), mais diminuent sa souplesse et donc
la faculté de serrer un nœud.
Il est par conséquent normal qu'une corde adaptée à l'alpinisme soit aussi
une corde qui tienne plus mal les nœuds que votre vieille corde à simple ultra-souple
73 Face au Mont-Blanc, les aiguilles Rouges 1, Michel Piola, autoédition, 2008.

32
dépourvue de traitement hydrophobe. Le nœud d'encordement a plus de risque de se
desserrer tout seul et réclame une attention constante. Attention également requise,
soit dit en passant, pour la fermeture du baudrier. Vous éviterez ainsi la mésaventure
de ce cascadeur de l'Alpe d'Huez qui, au moment où il mettait son poids pour le
dernier rappel de 40 mètres de Symphonie d'automne, vit son baudrier lui tomber
sous les genoux complètement dégrafé. Présent au relais, j'eus juste le temps de
tendre le bras vers lui avant qu'il ne s'envole dans les airs, mais que tenir dans ces
conditions ? Chacun d'une main tremblante, nous l'avons rhabillé au mieux,
maladroitement, tandis qu'il déclarait d'un rire jaune et chevrotant qu'il ne faudrait
surtout pas qu'il raconte un jour cette histoire à sa mère...

Le nœud de huit est le nœud d'encordement le plus courant car très résistant et
facile à contrôler, une erreur se détectant au premier coup d’œil. Certains l'expédient
en deux secondes en réalisant un beau huit à plat qui laisse les brins croisés. Ils font
dépasser une quarantaine de centimètres de corde au cas où, puis terminent par un
nœud d'arrêt à la fois pour sécuriser le tout et parce qu'il ne savent que faire de ce
long bout qui dépasse. Il est vrai que la résistance d'un nœud en huit dont les brins
sont croisés est sensiblement identique à celle d'un nœud aux brins parallèles. Par
contre, sa durabilité n'a rien à voir, puisque le croisement des brins empêche de serrer
intimement le nœud. Pour être tranquille toute une journée de montagne, il est
préférable de réaliser son nœud de huit sans croiser. Il a donc l'aspect d'une boule, en
trois dimensions, et non d'un huit à plat.
Idem bien sûr pour le nœud de jonction servant à abouter deux cordes pour un
rappel puisqu'il s'agit du même nœud.

Nœud passable pour une couenne à gauche ; nœud plus durable pour une journée à droite.

Le nœud de chaise a pour avantage principal d'être moins volumineux, ce qui


se justifie surtout quand on s'encorde en cours de corde pour l'encordement en N
puisqu'on traite deux brins à la fois. Un nœud de chaise sous tension constante est très
résistant même sans nœud d'arrêt quand on tire sur le dormant, c'est à dire la corde
allant à l'autre grimpeur. C'est la raison pour laquelle il est utilisé sans nœud d'arrêt en
plaisance pour frapper la drisse sur la têtière de grand-voile. Cependant, en
alpinisme, on est obligé de bloquer ce nœud de chaise par un double nœud d'arrêt

33
serré contre lui pour deux raisons :
1/ Le nœud de chaise seul glisse pour des valeurs très faibles quand on tire sur
la boucle d'encordement elle-même (la ganse) comme si on voulait l'agrandir. Le
glissement va jusqu'à ouvrir le nœud. Ce cas de traction se produit quand, pour
l'encordement montagne classique (cf. p.34), on a choisi de repasser la boucle venant
des anneaux de buste dans la boucle d'encordement. Sans nœud d'arrêt, le nœud glisse
pour des valeurs très insuffisantes et la boucle s'agrandit puis lâche.
2/ Un nœud d'encordement, au contraire du point de drisse de la grand-voile,
n'est pas en tension constante et peut donc facilement se desserrer. Or, un nœud de
chaise qui se desserre peut également se retourner et se transformer en nœud coulant,
à la façon inverse de la méthode rapide parfois décrite pour le fabriquer et qui
commence précisément par la réalisation d'un nœud coulant sur le dormant. S'il se
retourne, il lâche.
Le double nœud d'arrêt fait donc partie intégrante de la sécurité du nœud et son
serrage énergique contre le nœud de chaise sera régulièrement vérifié tout au long de
la course.

Pour ceux qui prennent l'habitude de réaliser leur nœud de chaise en


commençant par un nœud coulant, n'oubliez pas que le brin coulissant doit être le
dormant et non le courant. Sinon, le nœud obtenu est vicié car la boucle non croisée
vient entourer la ganse et non le dormant, selon la photographie suivante.

ATTENTION : nœud vicié en haut à gauche.

Pour ceux qui ont entendu parler du finish Yosemite qui peut remplacer le

34
double nœud d'arrêt, n'oubliez pas que cette clef ne se réalise que quand le courant (le
bout libre) est placé à l'intérieur de la ganse, et non à l'extérieur. L'avantage de la clef
Yosemite est un encombrement moindre que le double nœud d'arrêt, mais elle mérite
plus de surveillance. Certains lui adjoignent un nœud d'arrêt supplémentaire.

Clef Yosemite sur nœud de chaise.

3/ La neige
Le but étant d'aller promener ses guêtres dans les neiges de moins en
moins éternelles, commençons par arpenter un glacier, lequel est constitué d'une
glace fracturée par des crevasses, recouverte d'une couche de neige plus ou moins
épaisse et plus ou moins solide. L'été, la neige est dure le matin, quand on a bénéficié
d'un bon regel, molle au retour de course.

a/ Le glacier enneigé
Sur glacier, on progresse en cramponnage dix pointes, dit technique
française à l'étranger avec cette admiration amusée que le génie suranné de notre
nation ne manque pas de susciter. Il s'agit de faire mordre les dix pointes inférieures
de chaque crampon dans la neige, un crampon classique en comptant deux de plus
dirigées vers l'avant qui ne sont d'aucune utilité sur pente faible. En conséquence, on
tord la cheville au gré de l'inclinaison de la pente. Contrairement au ski, on ne prend
pas de « carre ».
A la montée, pour éviter d'allonger dangereusement le tendon d'Achille,
on progresse de côté, voire presque à reculons, dans une sorte de traversée
ascendante. C'est à dire qu'on présente une hanche vers l'amont, une autre vers l'aval.
Le pied amont se positionne de travers à la pente, voire pointe légèrement dirigée
vers l'aval sur une pente plus importante. Le pied aval, lors du pas, va passer devant
le tibia amont, se placer en avant et en amont du pied amont, pointe nettement
dirigée vers l'aval d'autant plus que la pente est grande. On a donc à cet instant les
jambes croisées, l'équilibre étant maintenu grâce au piolet tenu comme une canne par

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la main amont posée sur la panne, lame orientée vers l'avant : c'est la technique du
piolet-canne. On reporte le poids du corps sur le nouveau pied amont, puis l'ancien
pied amont, devenu aval, passe derrière le mollet du nouveau pied amont (c'est à dire
entre la pente de neige et la jambe, espace de plus en plus réduit à mesure que la
pente s'accentue), et se pose de nouveau de travers à la pente, mais plus haut sur la
pente. Plus la pente est forte, plus l'ensemble du corps se tourne vers l'aval, donnant
alors l'impression de progresser à reculons.

Technique dix pointes, au moment du croisement de jambes.

La progression forme donc des lacets. En bout de lacet, le changement


de direction se fait pour le premier de cordée en se tournant vers l'aval, ce qui lui
évite de devoir enjamber la corde qui relie les deux membres de la cordée, car la
corde doit rester du côté de la hanche aval du leader pour l'empêcher d'être soumis à
une rotation qui le déséquilibrerait lors d'une glissade du second.

A la descente, les deux pieds sont en canard. Pour éviter la prise de


carres, on porte le poids sur l'avant du pied. On peut s'aider à conserver la bonne
position du corps vers l'avant en pente soutenue en plaçant la main libre, celle qui ne
tient pas le piolet, sur le genou.

Si la neige est molle et épaisse, on peut s'affranchir de la technique en


imprimant des marches. A la montée, on marche alors normalement, comme on
monte un escalier. A la descente, on attaque franchement du talon. Mais dès que la
couche de neige devient insuffisamment malléable, on revient au poids du corps porté
sur l'avant du pied car une glissade sur le talon est une glissade sans filet. Derrière le

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talon, il n'y a en effet plus rien pour retenir la chute, tandis que derrière l'avant-pied
qui glisse, il y a encore toute la longueur du crampon pour se rattraper.

L'encordement pour glacier enneigé est l'encordement dit en N, c'est à


dire en divisant la corde en trois parties. Chaque alpiniste réalise son nœud
d'encordement au tiers de la corde. Pour trouver le bon endroit sur la corde, soit on a
marqué les tiers au feutre, soit chaque grimpeur place provisoirement un mousqueton
à son pontet, dans lequel il place une boucle de la corde (photo page 125). Tout en
tenant chacun une extrémité de la corde, les deux grimpeurs s'éloignent l'un de l'autre,
la corde coulissant dans les deux mousquetons, jusqu'à tendre la corde. On obtient
ainsi les tiers. Le nœud d'encordement est le nœud de chaise avec double nœud d'arrêt
ou clef Yosemite pour moins d'encombrement. On peut également réaliser un nœud
en huit au lieu du nœud de chaise, mais il présente l'inconvénient d'être très
volumineux quand, comme ici, on le réalise avec deux épaisseurs de corde, puisqu'on
s'encorde dans le cours de la corde et non à son extrémité.

Nœud de chaise en cours de corde.

Après la réalisation du nœud de chaise, on love le tiers libre en un petit


écheveau qu'on place sous le rabat de son sac à dos. C'est la réserve de corde. Elle va
servir à faciliter les manœuvres de sauvetage en crevasse le cas échéant : confection
d'un mouflage ou jet de cette réserve au compagnon tombé dans le pot afin qu'il s'en
serve pour remonter sur corde fixe, car la portion de corde reliant les deux grimpeurs
peut avoir pénétré profondément dans la lèvre de la crevasse et être difficilement
utilisable.
Au baudrier, chacun porte au moins une ou deux broches à glace, deux
anneaux de cordelettes (fermés par un double nœud de pêcheur) en 6mm, l'un de
60cm de long, l'autre de 120cm, deux mousquetons à vis, un petit bloqueur

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mécanique de type ropeman (de la marque Wild Country) ou tibloc (de la marque
Petzl), quatre mousquetons simples. En bandoulière, chacun porte une sangle de
60cm et une sangle de 120cm. Il s'agit du matériel minimum pour se sortir d'une
crevasse ou réaliser un relais et un petit mouflage. On peut y ajouter une petite poulie.
La progression se fait corde tendue. L'idéal est que la corde ne touche
pas le sol. La tension est cependant fatigante pour le grimpeur de tête car elle le
freine. On peut donc détendre légèrement dans les zones peu suspectes de crevasses
et tendre à la perfection dès qu'un doute se présente.
Si un grimpeur perce un pont de neige fragile recouvrant une crevasse, la
corde déjà tendue empêche la chute. Chacun doit donc progresser en gardant à l'esprit
qu'il peut être tiré brusquement vers l'autre à tout instant, et qu'il lui appartiendra de
ne pas se laisser entraîner.
Pour cet encordement, on peut utiliser un seul brin d'une corde à double
car il s'agit d'enrayer une glissade plus que de stopper une véritable chute. Mais on
peut aussi bien entendu utiliser une corde à simple : qui peut le plus peut le moins.
L'idéal est d'avoir un brin de 50 mètres de façon à disposer d'une quinzaine de mètres
entre les grimpeurs. Si la corde est plus courte, on privilégie la longueur de
l'encordement par rapport à la réserve de corde, qui sera alors plus courte.
L'encordement n'est donc plus rigoureusement au tiers.

b/ La pente raide
On quitte le glacier pour la pente de neige raide. Le risque de glissade
remplace le risque de chute en crevasse. L'encordement en N devient trop long. Un
encordement long est en effet très trompeur en neige du fait de l'élasticité de la corde.
C'est quand l'assureur croit avoir enrayé la glissade de son compagnon que la corde
transmet avec une relative douceur sa force de choc maximale et le décroche de la
pente à la façon d'une catapulte. Il arrivera de nouveau la même infortune à celui-ci
même s'il a réussi entre temps à se stopper. On ménage ainsi toutes ses chances pour
sauter la formidable barre rocheuse située en contrebas et figurer en bonne page du
journal local.
Il faut donc s'encorder très court, environ trois mètres, afin d'enrayer la
glissade dès son début, avant toute prise de vitesse dans la pente. On est donc proche,
mais pas au point de s'envoyer un coup de crampon dans la figure... Si le leader est
très à son affaire, il peut conserver quelques anneaux de corde à la main, le dernier
serré en tour mort autour de la paume. La corde est bien tendue de façon à sentir le
second par la corde, un coup de poignet énergique le remettant en selle en cas de
déséquilibre. Si le leader a besoin de ses deux mains, on progresse sans anneaux à la
main, à corde tendue, en conservant cette même distance très courte. Dans les deux
cas, la corde ne touche pas le sol. Nous reparlerons plus loin de la question des
anneaux à la main.
On réduit la longueur de l'encordement en prenant des anneaux de
buste. Il s'agit de l'encordement montagne classique. Si on vient du glacier
crevassé avec un encordement en N, que la portion raide et non crevassée sera suivie

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d'une nouvelle portion de glacier crevassée, on peut prendre ces anneaux de buste à
partir de l'encordement en N pour ne pas tout défaire. Puis on relâchera ces anneaux
de buste quand le risque de crevasse reprendra. Mais si le risque de chute en crevasse
a définitivement disparu et qu'on aborde un terrain plus complexe, neigeux puis
rocheux, où on devra peut-être changer encore la distance d'encordement, on peut
préférer, pour plus de simplicité, défaire l'encordement en N puis réaliser
l'encordement montagne classique à partir des extrémités de la corde.
On réalise l'encordement montagne classique de la façon suivante :
Chaque membre de la cordée est encordé à une extrémité de la corde par
un nœud en huit ou un nœud de chaise assorti de son double nœud d'arrêt, selon sa
préférence. La corde est en tas, posée au sol. Chacun va raccourcir la corde en
prenant des anneaux de buste. On place sa main droite, paume ouverte vers bas,
devant et légèrement au-dessus du pontet de son baudrier. La main gauche, en
glissant le long de la corde depuis le nœud d'encordement, va amener la corde
derrière la nuque, de gauche à droite. On fait plusieurs tours, jusqu'à obtenir la bonne
longueur entre les grimpeurs, en tenant compte de la longueur nécessaire pour les
nœuds d'arrêt. Une fois le dernier anneau formé, on enfile le bras droit puis l'épaule
droite dans la totalité des anneaux. On a donc ces anneaux en bandoulière sous
l'aisselle droite, et derrière l'épaule droite. Si vous souhaitez tout inverser, à votre
guise, aucune religion ne l'interdit.

Le dernier anneau passe sous tous les anneaux puis dans la boucle
d'encordement que forme le premier nœud d'encordement.

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Il reste à nouer le tout. On fait une boucle avec le dernier anneau qu'on
enfile sous tous les anneaux (c'est à dire entre le paquet d'anneaux et la poitrine) de
haut en bas. Cette boucle est ensuite repassée dans la boucle du nœud d'encordement
initial (ou dans le pontet), puis est nouée sur elle-même par un nœud simple qui
emprisonne la corde allant à l'autre grimpeur. En tendant alors cette corde, la tension
est transmise à la boucle d'encordement. On place enfin un mousqueton entre la
boucle et le pontet pour prévenir le lâchage progressif du nœud simple.
Faut-il prendre ces anneaux de buste avant ou après avoir mis son sac à
dos ?
Avant, c'est la possibilité d'ôter son sac sans tout défaire (quitter les
crampons, ranger un vêtement, prendre sa gourde, etc.), mais on aura une bosse un
peu gênante formée par les anneaux entre le dos et le sac. Surtout, on ne pourra pas
faire varier la longueur sans retirer son sac. Ces deux inconvénients ne sont pas
rédhibitoires et cette option a souvent notre préférence car nous préférons pouvoir
nous libérer de notre sac à tout moment.
Après avoir mis le sac, celui-ci est piégé, mais on peut modifier très vite
la longueur d'encordement, ce qui peut être très intéressant sur certains terrains
variés. Tout va donc dépendre du terrain.

Encordement montagne terminé. On sécurise généralement la


boucle en la mousquetonnant au pontet.

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Vous trouverez dans la littérature ou sur internet plusieurs variantes de
l'encordement montagne classique. Le CAF74 enseigne la façon de faire que nous
avons décrite, de même que le Club Alpin Suisse à ceci près que la dernière boucle
entourant la totalité des anneaux est introduite dans l'autre sens, ce qui revient
strictement au même75. La FFME76 préconise un double nœud (voir photographie
suivante) pour finir l'encordement à la place du nœud simple, ce qui ne rend plus
indispensable le mousqueton venant sécuriser le nœud simple. C'est donc une bonne
idée. La FFME suggère également la possibilité d'utiliser un nœud de chaise (avec
son double nœud d'arrêt), sans véritablement le promouvoir, car plus difficile à
réaliser (puisque réalisé en cours de corde donc sur deux brins comme lors de
l'encordement en N), et en l'ayant certainement repris de l'ENSA qui l'enseigne.
Précisément, l'ENSA (citée par l'EMHM 77) préconise deux méthodes :
l'une est donc, comme nous venons de le dire, la méthode que nous avons décrite en
remplaçant le nœud simple par le nœud de chaise ; l'autre consiste à faire des anneaux
de buste très serrés sous l'aisselle et non arrêtés par un nœud, puis de réaliser un
nœud de cabestan sur un mousqueton à vis directionnel placé sur le pontet du
baudrier. Cette seconde méthode est indiquée quand on pense devoir souvent changer
la longueur de l'encordement. (Un mousqueton directionnel est un mousqueton
équipé d'une patte à son extrémité la plus étroite pour empêcher le mousqueton de se
mettre de travers et l'obliger à travailler selon son grand axe. On considère
actuellement qu'on peut remplacer un mousqueton à vis directionnel par un
mousqueton à vis classique doublé d'un mousqueton normal placé en sens inverse.)

A gauche, nœud simple à sécuriser par un mousqueton. A droite, la solution FFME :


nœud double. La corde, emprisonnée dans le nœud, part en bas de
l'image vers le compagnon de cordée.

74 Alpinisme et escalade, Les guides du Club Alpin Français, éditions Seuil, 1998.
75 Wladimir Tislenkoff, youtube.
76 ffme.fr/fiches-ffme-techniques/page/s-encorder-avec-des-anneaux-de-buste.html
77 www.emhm.terre.defense.gouv.fr/memento/alpinisme

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Enfin, les militaires de l'EMHM78 (École Militaire de Haute Montagne),
qui ne font rien comme les autres, avancent une solution astucieuse afin d'éviter les
inconvénients des autres méthodes, c'est à dire des anneaux trop longs puisque devant
atteindre le pontet du baudrier quand ils sont bloqués, ou franchement trop courts et
empêchant d'ôter une veste sans défaire tout l'encordement quand ils vont sous
l'aisselle, sans compter l'impossibilité d'utiliser la réserve de corde sans défaire
l'encordement dans le premier cas. Voici comment ils procèdent. Ils dissocient le
blocage des anneaux et l'encordement. On commence par réaliser la manière
classique avec le nœud simple, à la différence près que la boucle entourant tous les
anneaux ne passe ni par la première boucle formée par le nœud d'encordement, ni par
le pontet. Les anneaux sont donc réunis, mais on n'est pas encore encordé. Puis on
exécute plus loin un nœud de chaise (avec son double nœud d'arrêt) , donc avec deux
brins, puisqu'il est exécuté en cours de corde. On peut remplacer ce nœud de chaise
par un nœud en huit placé sur un mousqueton à vis directionnel (ou deux
mousquetons inversés dont un à vis, qui sont son équivalent comme on l'a dit) placé
sur le pontet. Le fait d'avoir dissocié le blocage des anneaux et le nœud
d'encordement permet de fabriquer des anneaux de buste d'une longueur
intermédiaire, ni trop serrés, ni trop pendouillant, et de pouvoir utiliser la réserve de
corde sans défaire le nœud d'encordement. La méthode est certes plus longue que la
technique classique mais très sûre et confortable.

La méthode de l'EMHM.

78 Ibid.

42
Le pragmatisme de l'EMHM n'étonne nullement quand on sait que
l'entraînement de ces troupes contient la réalisation de courses très difficiles sans
l'aide d'un topo ni connaissance du terrain, mais avec la seule indication que la voie
se déroule sur telle arête.

Voici pour l'encordement montagne. Voyons maintenant la progression

En neige idéale, dite « neige à bout de pied »79, c'est à dire à la fois solide
et malléable, le piolet est tenu en piolet-appui (photo page 45) ou en piolet-panne :
La main tient le piolet en haut du manche très près de la tête, ou bien par
la panne, mais c'est cette fois la lame du piolet qui est plantée en la poussant
simplement devant soi dans la pente raide, tandis que la main libre est posée sur la
neige pour parfaire l'équilibre. On progresse face à la pente avec la moitié du pied qui
pénètre à chaque pas dans la neige. On obtient rapidité et économie de mouvement,
mais on ne peut ancrer profondément que si la neige est relativement molle. Sur neige
plus dure, l'ancrage est superficiel et risque de ne pas pouvoir enrayer une glissade.
Dans des pentes plus raides ou des neiges plus dures, on utilise la
technique plus sûre, mais plus lente et plus fatigante, du piolet-ancre :
Une main sur la tête, l'autre main en bas de manche. On ancre la lame en
tenant le piolet d'une seule main comme on le pratique en cascade de glace tel un
smash de tennis, puis on s'y tient à deux mains.

Saisie en piolet-ancre.

79 Op. cit., Gaston Rébuffat, p.22.

43
Cette saisie permettait jadis à l'école française de gravir des pentes très
raides, qu'elles soient en neige ou en glace, pieds à plat, avec le corps vrillé, le bas
tourné vers l'aval, le haut vers l'amont ou de travers. Au moment critique du
désancrage, l'équilibre était résolu par un pas intermédiaire dit du pied-assis80 : avant
que le pied devenu aval ne passe de nouveau devant le tibia du pied amont, on le
posait à plat contre la pente, orteils dirigés vers le bas, assez haut sous la fesse arrière,
genou plié bien sûr, comme si on allait s'asseoir dans un étrier. Ceci donnait la
stabilité nécessaire pour désancrer puis ancrer de nouveau plus haut. La posture
spectaculaire du pied-assis a fait le succès des célèbres photographies du professeur-
guide Armand Charlet, développeur du style et virtuose en la matière. On résout
actuellement ce cas de figure prosaïquement par le cramponnage frontal.

Pied-assis, ici en glace. Le pied droit posé à plat sous la fesse permet
d'obtenir une position stable pour désancrer puis ancrer de nouveau.

Des pas en traversée et des descentes raides peuvent être résolus en


utilisant le piolet-ramasse :
Le piolet est tenu sensiblement horizontalement au niveau de la hanche
amont, pique posée ou plantée dans la neige, une main en pronation en bas du
manche (très proche de la pique) appuyant vers la pente, l'autre main en supination
sur la tête du piolet tirant vers le haut. Le couple de forces créé est d'une efficacité
redoutable.

80 Glace et neige, Yvon Chouinard, éditions Arthaud, 1981. Édition originale par Sierra Club Books en 1978.

44
Piolet-ramasse, ici en glace.

Le cramponnage dix pointes trouve ses limites dans la flexion de


cheville. Avant d'envisager le radical cramponnage frontal, on peut utiliser un
cramponnage mixte moins éprouvant :
Un pied en cramponnage frontal, en faisant mordre face à la pente les
quatre pointes avant du crampon, l'autre pied à plat pour soulager le mollet. On
inverse les pieds dès que la fatigue du mollet en cramponnage frontal le rend
nécessaire. Le piolet est tenu en piolet-appui, en piolet- panne, ou en piolet-ancre
selon les besoins.

Piolet-appui et cramponnage mixte.

45
Pour une pente très raide, on progresse en cramponnage frontal et
piolet-traction comme en glace, en s'aidant souvent d'un second piolet. On espace et
on décale suffisamment les marches pour éviter leur effondrement si la neige est
molle. On descend à reculons de la même façon ce qui est assez fastidieux. Dès qu'on
est de nouveau à l'aise quand l'inclinaison diminue, on reprend la descente face au
vide.
En neige molle, on utilise la technique du piolet-manche qui consiste à
planter le manche verticalement et entièrement dans la neige. On se tient au piolet
dont seule la tête dépasse comme en piolet-canne. Si la neige est encore plus molle,
on peut poser son piolet à plat horizontalement, tenu à deux mains devant soi en
l'enfouissant comme un corps mort à chaque pas, mais ce cas de figure se rencontre
plutôt en hiver dans une neige poudreuse pour par exemple accéder à une cascade de
glace. On peut aussi utiliser les bâtons télescopiques réunis ensemble avec la même
technique. L'inconvénient est qu'on se mouille beaucoup. Il faut avoir prévu des gants
de rechange.

Il n'est pas possible de stopper la glissade du compagnon de cordée si


celui-ci est passif. L'assurage suppose donc une participation de celui qui chute.

Position de réchappe.

Le plus tôt possible, il tente de se retourner sur le ventre en conservant la


tête à l'amont. Il pèse de sa poitrine sur la tête de piolet tenue d'une main tandis que la
seconde main tient le bas du manche, c'est à dire avec la même saisie que la
technique du piolet-ancre. Ainsi, la lame raye la neige à la manière d'un soc de
charrue et freine progressivement. On s'arrange pour que la pique ne s'enfonce pas

46
dans la neige en relevant soigneusement le bas du manche, sinon, le piolet pourrait se
bloquer d'un coup. En neige dure, on relève les pieds pour éviter de rebondir sur les
pointes avant des crampons. En neige molle, on écarte les pieds et on s'en sert pour
freiner davantage, mais avec d'infinies précautions si l'on a chaussé les crampons
pour ne pas risquer un arrêt brutal des pieds et une bascule tête en bas, et seulement
après avoir déjà ralenti franchement par l'action du piolet. Tout ceci est appelé
position de réchappe.
Se méfier des tenues en gore-tex qui peuvent être très glissantes sur la
neige. On enrayera plus facilement une glissade si on est vêtu d'une fourrure polaire
et d'un pantalon en soft-Shell.

En neige collante, on tape régulièrement un ou deux coups de piolet sur


l'extérieur du crampon au moment où le pied est levé pour faire tomber le sabot de
neige éventuel qui s'est formé dessous. Ceci s'appelle débotter, et c'est indispensable
sous peine de glisser de façon incontrôlable sur la semelle de neige qui double la
chaussure. On botte beaucoup plus facilement sur un crampon à structure verticale
comme le fameux rambo de la marque Grivel qui a révolutionné en son temps le
matériel de cascade de glace, que sur un crampon à structure horizontale. Les
antibotts équipent maintenant d'origine de nombreux modèles mais ils ne sont pas une
garantie absolue en neige collante. Le geste du débottage n'est donc pas obsolète.

A la descente d'une neige ramollie, on peut quitter les crampons dès que
la pente ne présente plus de danger. Ceci permet de se lancer dans de belles glissades
qui économisent beaucoup d'énergie. On peut glisser de quatre façons différentes :
- La manière « nordique » : On profite de la glissade pour allonger la
foulée en faisant des pas glissés. On cherche à prolonger le plus possible chaque
glissade pour gagner en vitesse tout en s'économisant.
- La manière classique, en ramasse : Le piolet est tenu en piolet-ramasse
contre la cuisse amont. Il fournit en quelque sorte une troisième jambe placée
légèrement en amont du corps qui permet de freiner plus ou moins selon la pression
exercée. La technique est plus difficile à exécuter avec un piolet court de 45cm
qu'avec un piolet de 60 ou 70cm.
- La manière skieur émérite : On godille sur les chaussures, à plat,
comme à ski. Le poids se porte sur l'avant du pied, les sensations sont cherchées dans
les plantes des pieds. Les virages sont déclenchés depuis les pieds et non des fesses,
de type braquage parallèle. Le haut du corps reste face à la pente. Le piolet s'il est
long peut être tenu comme un bâton de ski, s'il est court par le manche au cas où, prêt
à être utilisé pour se stopper en ramasse ou en réchappe.
- La manière paresseuse : Quand on ne réussit pas à conserver son
équilibre en godille, et que le piolet-ramasse freine trop, on s'assied sur les fesses
avec le piolet saisi comme en piolet-ramasse prêt à ralentir une vitesse excessive. La
méthode est d'une efficacité redoutable et épargne totalement les muscles des cuisses.
Les précautions à prendre sont de choisir un pantalon aux fesses renforcées, d'éviter

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les cailloux cachés dans la pente de neige et de retirer tous les mousquetons des
porte-matériel du baudrier pour les accrocher autre part (sur les bretelles du sac à dos
par exemple ou carrément dans le sac) sous peine de perdre ici un mousqueton, là une
broche, comme le petit Poucet. Quand on voit qu'on est entraîné vers un obstacle
rocheux, on s'arrête avec le piolet. On fait quelques pas en traversée pour se décaler
vis à vis de l'obstacle, puis on reprend la glissade. L'inconvénient est qu'on se mouille
beaucoup, ce qui n'a pas d'importance si on rallie le sentier en plein soleil qui ramène
à la voiture mais peut être plus ennuyeux en fin de journée si on doit rejoindre son
bivouac déjà à l'ombre.

c/ L'arête de neige
Sur une arête sans corniche importante qui empêcherait de parcourir le
fil, on marche sur celui-ci en prenant garde à l'effondrement des marches formant la
trace. L'encordement est réduit par des anneaux de buste à sept mètres. Le membre de
la cordée le plus à l'aise sur ce genre de terrain est derrière et tient à la main deux
mètres de corde formant des anneaux. Les alpinistes progressent donc à cinq mètres
l'un de l'autre. Si le grimpeur placé en arrière voit devant lui son compagnon chuter
d'un côté, il doit lâcher ses anneaux et sauter de l'autre côté de l'arête. La réserve de
corde permet de donner le temps d'agir.
Sur une arête fortement cornichée, la trace se trouve très en contrebas du
fil ce qui interdit cette technique. On doit donc progresser avec un encordement très
court si l'inclinaison n'est pas trop forte et que la consistance de la neige rend la
progression sûre. Si vous êtes très sûr et que vous emmenez un débutant, vous
préférerez dans ce cas de figure particulier progresser sur une trace amont de votre
second, afin d'éviter tout pendule. Il sera ainsi mieux assuré, et ne vous déstabilisera
pas par ses pertes d'équilibre. Si la pente est délicate, on rallonge l'encordement de
façon suffisante pour dépasser l'obstacle que constitue la portion cornichée en posant
un relais avant et un après.

d/ Les relais en neige


Le relais de progression le plus classique est le piolet enfoui en corps
mort.
On creuse avec la panne du piolet deux tranchées profondes : une
horizontale qui va recevoir le piolet, une verticale partant du milieu de la première
vers le bas, qui va accueillir une longue sangle allant au pontet du baudrier de
l'assureur. Le piolet est couché dans la tranchée horizontale, la sangle passée au
milieu du manche en tête d'alouette ou mieux en nœud de cabestan. L'assureur, vaché
à la sangle tendue, se place en contrebas du piolet et assure à l'épaule (vêtements
épais obligatoires) ou sur demi-cabestan pour doser un assurage dynamique. Pour
renforcer la tenue du corps mort, on doit le recouvrir de neige tassée, mais cela
ralentira le démontage, d'autant plus si on ne dispose pas d'un second piolet pour
creuser et récupérer le piolet enfoui. On peut également acquérir un deadman prêt à
l'emploi fait d'une sorte de pelle sans manche équipée d'un câble. On plante la pelle

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verticalement dans la neige au marteau, ce qui est très rapide.
Le relais de rappel le plus simple est un corps-mort fait d'un objet
abandonné : pierre trouvée sur place, gourde, sac plastique solide rempli de neige
(celui qui vous a servi à emballer vos crampons), morceau de bois en forme de bâton
ou de planchette, etc.
En l'absence d'objet à abandonner, le modelage d'un champignon de
neige de grand diamètre (2 mètres parfois) peut faire l'affaire en dépannage. On y
place directement la corde et on fait des essais de coulissement de la corde avant que
le dernier de la cordée ne descende. Sa confection est assez laborieuse : de diamètre
trop petit, il est fragile ; de diamètre trop grand, la corde peut refuser de coulisser. Sur
une neige très dure de consistance proche de la glace, sa confection plus compacte est
plus facile et on peut abandonner une sangle.

4/ Le rocher

a/ Grimper en grosses
En montagne, on grimpe généralement en chaussons à partir du 4e degré.
Mais dans certaines voies faites essentiellement de dalles à franchir en adhérence, on
pourra se trouver plus confortable et plus sûr en chaussons dès le 3e degré.
Inversement, dans certaines courses où les fissures nécessitant des coincements sont
nombreuses, on pourra préférer grimper en grosses dans des pas bien plus durs.
De même quand en début de saison le rocher est encore partiellement
enneigé. Même chose enfin quand il y a alternance de sections rocheuses et de
sections mixtes (mélange de rocher et de neige ou de glace) qui impose le recours aux
crampons. Si les sections rocheuses sont courtes et peu difficiles, on conserve alors
les crampons pour éviter de perdre du temps.
Grimper en grosses ou en crampons réclame une gestuelle identique à la
grimpe en chaussons mais nécessite un placement de pied plus précis sur les petites
prises ainsi qu'une immobilité stricte de la cheville. C'est ce qu'on appelait le
grattonnage. Par ailleurs, le rocher de montagne, soumis à des gradients de
températures extrêmes, non nettoyé systématiquement comme en falaise, mais tout de
même assaini naturellement par le passage des cordées, mérite de tester les prises
avant de tirer dessus comme un âne, surtout en début de saison quand on essuie les
plâtres, le rocher ayant été soumis à la cryoclastie tout l'hiver.
Sans crampon, après chaque passage mixte, on prend l'habitude de taper
une ou deux fois ses semelles contre le rocher pour faire tomber la neige et retrouver
plus rapidement l'adhérence de la gomme.
On tache de désescalader face au vide, les paumes prenant appui le plus
bas possible, les bras un peu écartés, les jambes écartées. On plie une jambe tandis
que l'autre jambe tendue va chercher une prise très en aval. On règle les bretelles de
son sac à dos pour ne pas le porter trop bas car il raclerait sur le rocher et risquerait de
se déchirer ou de faire tomber des pierres. En pratique il râpe quand même un peu et

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on regrette les sacs des années quatre-vingts dont le fond était fait d'un tissu tramé et
imperméable, certes lourd, mais ultra-résistant puisque la publicité de la marque
Millet consistait à placer un sac chargé sur la pique d'un piolet. Ce n'est pas une faute
que de poser les fesses de temps à autre, mais quand la jambe descend, on doit être en
appui sur les paumes et le pied restant et non sur les fesses. Sinon on ne pourra pas
charger le pied et s'assurer qu'il se bloque bien sur la prise. Quand la pente est trop
raide ou que la difficulté est trop grande, on se retourne face au rocher. On
désescalade alors avec des mouvements quasi identiques à l'escalade avec cette
différence qu'on va davantage abaisser les mains jusqu'à une position très groupée
avant de descendre les pieds à leur tour. Dans le plus raide encore, on ne voit plus les
prises. Alors, on se met un peu de profil pour lire l'enchaînement des prises suivantes
à l'avance, puis on exécute la séquence face au rocher, le pied cherchant à tâtons la
prise mémorisée. Celui descendu indique ensuite les prises de pied à son compagnon,
voire lui guide la chaussure.

b/ L'assurage en mouvement
Comme en neige, on distingue l'encordement long et l'encordement
court. Dans les deux cas, on réduit l'encordement par des anneaux de buste. C'est
l'encordement montagne classique qu'on a vu précédemment.
En encordement long, les deux grimpeurs sont éloignés de quinze à
vingt mètres. Le premier de cordée place des protections que le second récupère en
passant. En présence d'obstacles rocheux sur une arête par exemple, le simple passage
de la corde à droite puis à gauche de deux obstacles successifs peut suffire à créer
l'assurage. De la même façon, en traversée, on passe simplement la corde derrière une
écaille saillante sans déposer de matériel. Quand le premier de cordée ne dispose plus
assez de matériel pour assurer convenablement la cordée, il fait venir le second à lui
sur une protection sûre, et soit le second part en premier de cordée, soit le premier
récupère son matériel. On essaie de conserver au moins deux protections en
permanence entre les deux grimpeurs pour plus de sécurité, en gardant à l'esprit que
le chiffre deux n'a rien de magique.
En encordement court, réservé aux sections faciles, on progresse à trois
mètres l'un de l'autre, sans pose de protection entre les deux grimpeurs. On verra plus
loin (chapitre 5, page 140) l'intérêt pour le premier de cordée de conserver des
anneaux à la main en réserve de corde. Il s'agit du mode d'assurage le plus rapide.

c/ L'assurage par longueurs


On retrouve ici le mode d'assurage de l'escalade. C'est dans ces portions
les plus difficiles de la voie rocheuse, celles qui nécessitent la pose de relais et la
progression par longueurs, que le grimpeur va se trouver le plus à son aise. La seule
différence avec les voies équipées tiendra à la pose des coinceurs, des pitons, des
sangles sur les becquets rocheux, dans les lunules de rocher ou autour de pierres

50
coincées dans des fissures.

Le relais est en place


Les relais sont parfois en place dans les courses classiques. Il vaut mieux les
utiliser pour éviter d'être décalé dans les longueurs. Ainsi, on trouve plus facilement
le relais suivant qui est logiquement à une longueur de corde, à moins d'une
particularité de l'itinéraire. Ils sont reconnaissables à leurs deux ou trois pitons la
plupart du temps réunis par un méli-mélo de cordelettes et de sangles de toutes les
couleurs. Il s'agit alors d'un relais utilisé aussi pour la descente, chaque cordée
précautionneuse ajoutant une cordelette neuve aux précédentes. Ces cordelettes ont
l'avantage d'être visibles de loin, alors que deux pitons noircis par la rouille au fond
de deux fissures sombres ont du mal à se voir. Il faut retaper les pitons (voir plus
loin le paragraphe consacré).

Pour se vacher, on mousquetonne de préférence directement les pitons plutôt


que le tas de cordelettes. On introduit un mousqueton à vis dans le piton du bas, on le
retourne ouverture vers le bas, et on réalise un nœud de cabestan avec sa corde
d'assurage, à la bonne longueur pour être confortable avec le relais à peu près à la
hauteur du front, corde en tension. On règle une longueur suffisante pour ne pas être
collé au relais. L'idéal est de pouvoir jeter un œil en bas vers le second qui va monter
et d'avoir une marge de liberté pour pouvoir éviter une chute de pierre.
Puis on pose un second mousqueton simple dans le piton du haut, on le
retourne, et on fait un nœud de cabestan avec la corde qui vient du mousqueton du
bas. En quelque sorte, le piton du haut contre-assure le piton du bas. Il n'y a pas
répartition des forces sur les deux ancrages, mais chacun a été jugé suffisamment
solide. On a ici recherché la simplicité du relais et sa rapidité de réalisation. C'est le
relais de première intention. Il reste à placer la plaquette d'assurage sur le
mousqueton du bas.
Si les nombreuses cordelettes empêchent de mousquetonner directement les
pitons, soit vous faites confiance au gros paquet et vous vous vachez sur la totalité
des cordelettes en l'entourant par une longe ou une sangle. La confiance repose sur la
présence d'une cordelette presque neuve d'un diamètre suffisant (5mm minimum) ou
d'une corde (8mm minimum) pas trop vieillie. Soit vous sortez le couteau pour retirer
les vieilles sangles qui interdisent l'entrée des mousquetons dans les pitons, en
laissant les anneaux les plus récents afin de conserver la visibilité du relais pour les
cordées suivantes.

Si les pitons sont douteux, parce que très rouillés, cherchez à ajouter une
protection quelconque : coinceur, sangle ou piton. Puis répartissez les forces exercées
sur les différents ancrages avec une longue sangle, pour réaliser ce qu'on appelle
maintenant pompeusement la triangulation, terme chipé à la géodésie. Placez un
mousqueton simple ouverture vers le bas sur chacun des ancrages, rassemblez vers le
bas toutes les boucles créées (3 s'il y a 3 ancrages) et nouez-les par un nœud de huit si

51
votre sangle est assez longue, ou par un nœud simple si elle est trop courte. Puis
vachez-vous avec votre corde sur la boucle du bas par l'intermédiaire d'un nœud de
cabestan sur mousqueton à vis, en restant en tension. C'est sur ce mousqueton que
vous installerez la plaquette d'assurage. Certains préfèrent placer la plaquette juste
au-dessus du nœud de la sangle en prenant bien toutes les boucles, afin de l'éloigner
du mousqueton servant à se vacher. C'est au choix.

Le nœud de la sangle évite la production d'un choc au cas où un des ancrages cède.
On s'est vaché avec la corde avec un nœud de cabestan sur mousqueton à vis.

Pour diviser les forces transmises aux ancrages, vous devez obtenir un triangle
le plus fermé possible. L'idéal est l'angle nul, obtenu en superposant les ancrages. La
limite acceptable est pour certains auteurs de 90° 81. D'autres conseillent de ne pas
dépasser 60°. Voyons ce qu'il en est réellement.

81 Îlots de sécurité, Emanuel Wassermann et Michael Wicky, journal Bergundsteigen, 02/2007.

52
On trace les forces exercées sur chaque ancrage, FA et FB, à partir de leurs
composantes verticales dont la somme doit être égale à P', chacune étant donc
égale à ½P'. A partir de ces composantes verticales, on en déduit FA et FB par
projection sur les sangles.
Sur le dessin du haut, on voit que FA et FB sont supérieures à P. Sur le dessin
page suivante, elles sont très inférieures à P.

La construction géométrique fait apparaître deux triangles rectangles de part et


d'autre de la verticale définie par le poids supporté par le relais. Les éléments qui
nous intéressent sont :
– l'angle inférieur, qui est égal à la moitié de l'angle séparant les deux portions
de sangle (½α) ;
– l’hypoténuse, FA ou FB, qui sont les forces exercées sur les ancrages ;
– le côté adjacent, ½P.

53
La trigonométrie ne vous ayant jamais laissé indifférent, de vieux souvenirs ne
manquent pas de faire valoir que, dans un triangle rectangle, le côté adjacent d'un des
deux angles complémentaires à l'angle droit, divisé par l'hypoténuse, est égal au
cosinus de l'angle.
On a donc ½P / F = cos ½α
On en tire F = P / 2 cos ½α

La force exercée sur les ancrages varie donc en fonction de l'inverse du cosinus
de l'angle inférieur. La fonction cosinus décrit bien sûr une sinusoïde, allant de la
valeur 1 pour un angle de 0° à la valeur 0 pour un angle de 90°. Pour de faibles
angles, la courbe s'abaisse lentement, puis elle plonge pour des valeurs plus grandes.
Cela signifie que pour des valeurs inférieures à 15° (donc 30° pour l'angle total α
entre les deux sangles), le cosinus restera voisin de 1, et la force d'environ 50% du
poids exercé sur l'ancrage. Ne pinaillez donc pas pour placer vos ancrages
rigoureusement superposés, vous ne les soulagerez pas beaucoup plus.
Par contre, pour des valeurs d'angles plus importantes, une faible augmentation
de cet angle entraîne des variations de forces bien plus considérables.
On sera donc très méfiant dès que l'angle sera ouvert, en sachant que c'est dans
cette configuration qu'il faudra gagner quelques degrés coûte que coûte. On devra
choisir de monter la sangle en utilisant notamment le moins de longueur possible
pour les nœuds, donc un nœud simple plutôt qu'un nœud de huit. (Voir chapitre 6
pour différents montages quand la sangle est trop courte.) . Si vous avez épuisé toutes

54
vos sangles, cette triangulation peut être réalisée par la corde elle-même. Mais la
complexité du montage rendra cette solution pénible si vous ne grimpez pas en
réversible, puisqu'il faudra tout reconstruire à l'arrivée du second à partir de son nœud
d'encordement, et non plus du vôtre.

Dès 120° d'angle entre les sangles, les forces sont démultipliées et toute autre
solution devient meilleure que la triangulation.

Voici quelques valeurs :

α ½α cos½α F
_____________________________________

0° 0° 1 50% de P
10° 5° 0,996 50,20% de P
20° 10° 0,985 50,76% de P
30° 15° 0,966 51,76% de P
40° 20° 0,940 53,19% de P
50° 25° 0,906 55,19% de P
60° 30° 0,866 57,73% de P
70° 35° 0,819 61,05% de P
80° 40° 0,766 65,27% de P
90° 45° 0,707 70,72% de P
100° 50° 0,643 77,76% de P
110° 55° 0,574 87,11% de P
120° 60° 0,5 100% de P
130° 65° 0,423 118% de P
140° 70° 0,342 146% de P
150° 75° 0,259 193% de P
152° 76° 0,242 206% de P
160° 80° 0,174 287% de P
180° 90° 0 infini (impossible à réaliser)
_____________________________________

Le relais n'est pas en place


En présence d'une terrasse confortable dépourvue de matériel mais flanquée
d'un solide becquet, on admettra qu'il s'agit du relais habituel de la longueur, et il
vaudra mieux ne pas l'ignorer pour ne pas être décalé et profiter de son confort. On
tente d'ébranler le becquet pour éprouver sa solidité. On est spécialement méfiant vis
à vis des becquets, même gros, dont la base est enfouie dans la neige. On coiffe la
protubérance avec une longue sangle qui descend bien bas sur le becquet, on place un
mousqueton à vis et on se vache avec la corde avec un nœud de cabestan, en tension,

55
en se tenant en contrebas du becquet. La règle du V le plus fermé possible s'applique
aussi ici : on évite d'utiliser une sangle trop courte. (D'une façon générale, on choisit
un mousqueton à vis quand l'ancrage est unique donc le mousqueton unique
également ; et on choisit des mousquetons simples quand les ancrages sont multiples
donc les mousquetons également. Ceci pour une question de probabilité d'ouverture
des mousquetons qui devient très faible quand on les multiplie.82)
Les autres relais seront des compromis tentant de concilier la longueur de corde
optimale, la sécurité des ancrages composant ce relais (doublage d'un bon piton
préexistant par exemple) et la commodité (éviter le plus possible les relais suspendus
qui sont très éprouvants). On cherche à faire relais bien avant d'avoir épuisé la corde.
L'assureur prévient quand il reste 10 mètres. On garde en tête deux impératifs :
-Communication : les deux grimpeurs doivent s'entendre.
-Tirage : une longueur trop grande et alambiquée, c'est un tirage monstrueux
garanti, qui rend dangereuse la fin de la longueur. Non seulement le leader est tiré en
arrière, mais la force de choc peut être considérablement augmentée par le fait que
seule la dernière portion de corde va être sollicitée, pouvant créer une situation
proche d'un facteur de chute égal à 2.

d/ La pose des sangles d'assurage


Les sangles sont un moyen d'assurage très fréquent dans les courses
classiques. En falaise, on les utilise autour des buis et des pins poussant en paroi. Si
on veut assujettir la sangle à un endroit précis de la racine ou du tronc, on en fait une
tête d'alouette avant de placer un mousqueton et de mousquetonner la corde, mais on
sait que ce nœud fragilise la sangle. Aussi, quand il est inutile de serrer la sangle
autour du bois, on se contente de mousquetonner les deux boucles de la sangle, pour
obtenir une meilleure résistance.

En haute-montagne, point de végétation. On utilisera les sangles pour


coiffer les becquets et les écailles en tous genres qu'on rencontre quasiment partout
sauf dans les parois vraiment dures. On passe tout simplement l'anneau de sangle
cousue en collier autour du bollard de rocher et on mousquetonne la corde avec un
mousqueton. Vous savez maintenant que la sangle doit être assez longue pour former
un V à branches resserrées.

Par grand vent, pour éviter qu'elle ne quitte le becquet en s'envolant, on


peut la forcer à frotter contre le rocher en faisant un nœud qui l'étrangle, ce qui est
évidement contradictoire avec la recommandation précédente : vous y êtes,
l'alpinisme est souvent fait de compromis. Parfois on peut bloquer la sangle avec une
pierre coincée en amont du becquet ou de l'écaille. De même en bas d'une brèche
qu'on vient de franchir, la tension de la corde entraîne les sangles vers le haut. Il faut
donc trouver une astuce pour empêcher ce phénomène, un friend posé plus bas et
82 Ibid.

56
retenant la sangle vers le bas par exemple, ou soit faire relais à la brèche, soit se
passer de cette protection. La rapidité à prendre la bonne décision fera la différence
entre une cordée novice et une autre expérimentée.

On utilise aussi fréquemment les sangles pour entourer une pierre


coincée au fond d'une grosse fissure. Si l'accès est difficile pour tirer la boucle qu'on a
passée derrière la pierre, on peut s'aider du décoinceur pour la crocheter. On
mousquetonne les deux boucles. On est souvent obligé de rallonger par une dégaine
pour éviter le tirage car ces sangles, qui sont posées assez profondément dans les
cheminées ou les dièdres, sont généralement surmontées par un surplomb. Forcer la
corde à suivre un angle à cet endroit tout en frottant contre le surplomb a de bonnes
chances de provoquer un important tirage en fin de longueur.

Plus rarement, on trouve des lunules naturelles de rocher et on est alors


heureux de posséder au moins une sangle très fine en dyneema car les trous peuvent
être très étroits.

Attention au coincement intempestif de la couture en double épaisseur au


moment de la dépose. On tâche de tirer la sangle dans le sens qui ne va pas entraîner
la couture dans un endroit inaccessible.

Utilisation du décoinceur pour installer une sangle autour d'une pierre coincée,
ce qui évite de se débattre longuement avec des doigts trop courts.

57
Lunule naturelle en calcaire.

La sangle est ici trop courte et forme un v beaucoup trop ouvert. De plus,
la boucle située à gauche est trop proche de l'ouverture du mousqueton.

58
On a allongé la première sangle par une seconde pour refermer l'angle
et on a retourné le mousqueton pour éviter la proximité de la boucle
de gauche avec le doigt.

Même endroit, mais on a ici noué un morceau d'une corde mise au


rebut par un double nœud de pêcheur, dans le but de poser un rappel,
et non plus un point d'assurage.

59
e/ La pose des pitons
« Un piton, pas des meilleurs et planté à l'envers a résisté au choc. C'est
toujours plus solide que ce qu'ils disent, ces trucs là. » Georges Livanos.83

Pour une réhabilitation


Les récents ouvrages d'escalade ou d'alpinisme consacrent peu de lignes
aux pitons depuis que les censeurs de l'escalade libre sur coinceurs les ont voués aux
gémonies dans les années soixante-dix. Une exception notable est l'ouvrage de
Sylvain Conche84.
Dans les années cinquante, le clean-climbing s'impose en Grande-
Bretagne. On bannit l'utilisation du piton dans le but de ne laisser aucune trace sur le
rocher mais on continue dans les premiers temps de se tracter sur les coinceurs
comme dans le bon vieux tire-clou. Dans la lancée des mouvements hippies aux
États-Unis, les années soixante voient l'avènement du free-climbing, avec
l'emblématique camp IV au Yosémite. Royal Robbins, chef de file du direct-aid
climbing (artif), se met lui-même à l'escalade libre, bientôt suivi par Yvon Chouinard
et beaucoup d'autres. Inspiré par ces évolutions, le grimpeur belge Claudio Barbier 85
envisage alors de peindre certains pitons en jaune pour informer simplement le genre
humain des passages qu'il a pu franchir sans les utiliser comme point d'aide. Il appelle
cela : jaunir le piton. Puis, dans le même élan romantique de retour à la nature qui
envoie certains intellectuels français élever des chèvres, on allègue avec Jean-Claude
Droyer que le plantage du piton, puis sa déplantation, esquinte durablement les
fissures, argument douteux puisque l'élargissement produit permet de créer un
emplacement propice aux écologiques coinceurs. Cette possibilité de dépitonnage
(même si quelques bateleurs de la grande époque de l'escalade artificielle des années
cinquante, il est vrai, avaient pu volontairement casser quelques pitons au ras des
fissures pour en interdire l'utilisation aux répétiteurs et rendre très exposé le
franchissement du passage) faisait pourtant échapper à l'accusation portée aux
embarrassants coins de bois utilisées pour les fissures plus larges, très difficiles à
déloger et dont la cordelette vieillie ne pouvait pas toujours être remplacée ou
contournée par une sangle. Très vite, on avait compris à raison dès les années
soixante que les opérations de reboisement n'étaient plus d'actualité. Mais les grands
maîtres hippies autoproclamés de la génération suivante se lancèrent dans de longues
campagnes de dépitonnage, définissant le piton légal comme celui dont leurs
grandeurs avaient elles-même besoin, et le piton illégal comme celui dont pouvaient
s'affranchir leurs augustes personnes. Leur censure grandissant à mesure que leurs
cheveux poussaient et que leur front se dégarnissait, on finit par ne commercialiser la
chose, sinon anathématisée du moins mise à l'index, que de mauvaise grâce, par n'en
plus parler du tout sauf en se pinçant la bouche, comme d'un objet pernicieux
coupable de détruire la planète entière que le citoyen exemplaire est, vous le savez,

83 Op. cit., Georges Livanos, p.28.


84 Escalade en terrain d'aventure, Sylvain Conche, éditions Amphora, 2004.
85 Bulletin du Club Alpin Belge, janvier 1965.

60
sommé d'idolâtrer sans faillir, de sorte que le grimpeur moderne ne sait plus s'il est
licite de lui confier sa misérable existence.
Mais le piton faisait une résistance continue au-dessus de l'alpe. Ne faisant ni
une ni deux, le montagnard attardé persistait en fourrer deux ou trois en fond de sac,
comme étonnamment attaché à la survie de sa propre personne. Certainement par cet
esprit malveillant que les objets renferment parfois, le piton représente aujourd'hui
encore quasiment le seul équipement à demeure des courses classiques, et on ne
pourra faire moins que de lui administrer deux ou trois coups de marteaux
auscultatoires avant de mousquetonner sa corde. Au risque de tournebouler les
cervelles chagrines, on osera même, dans un incivique entêtement, y suspendre
délicatement son poids ou y poser son pied. Nos anciens ne s'embarrassaient pas de
scrupules de bigot et empoignaient sans remord chaque piton qu'ils avaient planté, et
n'auraient sans doute pas compris qu'on s'abstienne. Les vrais hommes, grecs il est
vrai, avaient du reste commis de solides apophtegmes traversant les générations :
« Mieux vaut un piton en plus qu'un homme en moins. » (Livanos) renvoyant les
fadaises au pied des falaises.
Vous avez compris que l'alpiniste normal, c'est à dire celui qui va en terrain
inconnu, arbore à sa ceinture un marteau du plus bel effet... et s'en sert. Le reste est
enfantillage. « Le discours moral du bourgeois est un signe extérieur de richesse »
nous avait prévenu le géographe Christophe Guilluy 86. Ne croyez surtout pas que la
montagne est fragile au point de ne pouvoir supporter votre piton de 4mm d'épaisseur
et pesant 110 grammes tandis que les hordes de promoteurs déversent allègrement
jour et nuit des tonnes de béton pour agrandir la station de ski voisine. Le vieux
Chaps avait fini par écrire : « Parcs, je finirai par vous haïr. »87, comprenant que
l'avalanche d'interdictions s'abattant sur le pratiquant de montagne servait d'alibi à
l'extension des stations découpées au bulldozer.

Mode d'emploi
Il existe grosso modo deux types de pitons : ceux en acier doux écroui,
classiquement indiqués pour les roches tendres comme le calcaire ; ceux en acier au
chrome et au molybdène traité à chaud, acier allié moins déformable, classiquement
indiqués pour des roches dures comme le granit. Ces derniers, venant originellement
d'outre-atlantique, étaient naguère appelés pitons américains, ce qui redonnait un petit
côté moderne à la bête. En réalité, les deux indications sont loin d'être inflexibles et
on peut forcer un piton dur dans une fissure de calcaire, tout comme on peut placer un
excellent piton mou dans une fissure de granit, par exemple un universel épais dont la
récupération va être très difficile si on veut dissuader quiconque d'ôter cette
protection.
Les pitons mous pénètrent dans la fissure en épousant ses méandres. La
déformation est permanente, d'où une récupération besogneuse. Il va falloir les

86 La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires, Christophe Guilluy, éditions Flammarion,
2014.
87 Op. cit., Pierre Chapoutot, p.28.

61
redresser au marteau avant réutilisation, d'où une fatigue du métal après plusieurs
utilisations.
Les pitons durs se déforment très légèrement mais rarement au-delà de leur
limite d'élasticité. Ils tiennent en place par un effet ressort. Leur récupération est plus
aisée, souvent ils ressortent sans déformation permanente, et peuvent être réutilisés de
nombreuses fois sans fatigue de l'alliage. Leur rigidité fait qu'ils résistent à des forces
de choc plus importantes que les pitons mous, qui eux peuvent fléchir sous le choc,
puis travailler en arrachement pour des valeurs assez faibles.
Certaines marques comme Grivel, proposent des aciers de dureté intermédiaire,
qui sont intéressants dans des tailles courtes.

Petit assortiment de pitons. En noir, les pitons en acier dur ; en blanc, les pitons en acier
mou ; au milieu en bas, le piton Grivel en acier mi-dur. En haut à gauche, les pitons dits
horizontaux les plus courants. Les cornières en bas à gauche. Les universels vers la
droite. Deux pitons horizontaux mais à œil centré à l'extrême droite.

Les formes étaient jadis très variées, mais les magasins sont aujourd'hui
beaucoup moins achalandés. Acquérir davantage que cinq pitons à la fois vous fait
maintenant regarder par le vendeur comme un délinquant fomentant quelque forfait.

62
On distingue cinq formes principales :
– le piton dit vertical : dont l’œil de mousquetonnage est dans le même plan
que la lame, déjà plus guère fabriqués en 195688 ;
– le piton dit horizontal : dont l’œil est dans un plan perpendiculaire à la
lame, soit centré, soit plus souvent décentré ;
– le piton dit universel (qui ne l'est pas) : dont l’œil est dans un plan à 45° de
la lame, tourné à droite ou à gauche ;
– le piton à anneau qui comporte un anneau métallique passé dans l’œil qui
permettait de faire passer directement la corde pour un rappel;
– les cornières, dont la lame est repliée sur toute la longueur sur elle-même
pour former un U épais, pour les larges fissures.
Chaque forme principale est déclinée en différentes longueurs et épaisseurs,
allant du minuscule piton de suspension RURP (Realized Ultimate Reality Piton)
incapable de résister à une chute et réservé à l'escalade artificielle très difficile
jusqu'aux cornières larges dont le sommet avait été atteint par le Bong, détrôné depuis
longtemps par la panoplie de friends divers et variés.
Le principe du pitonnage est d'enfoncer, jusqu'à l’œil, le piton avec force,
c'est à dire contre une résistance réelle du rocher, de telle façon que la traction vers
le bas au niveau de l’œil engendre un effet de couple cherchant à tordre le piton
dans la fissure, ce qui crée le verrouillage.

Placement d'un piton dit horizontal en acier mou. La position du mousqueton participe
à la création du couple. Éviter de le mettre à cheval sur la totalité du corps du piton.

De ce principe découlent les indications des différents pitons. Les pitons


verticaux sont contre-indiqués dans les fissures verticales, les pitons horizontaux à

88 Op. cit., Pierre Allain, p.22.

63
œil centré dans les fissures horizontales, les pitons universels tournés d'un côté dans
les fissures à 45° inclinées du mauvais côté, les pitons à anneau presque partout car
on n'obtient pas de couple de verrouillage.
Les pitons horizontaux à œil décentré conviennent partout et sont les réels
pitons universels. Voilà pourquoi cette forme est la grande survivante des pauvres
rayons de nos magasins.
On recherche donc cet effet de verrouillage, et si on ne l'obtient pas, on sait que
son piton n'est pas totalement sûr.

________________________________

Pitons horizontaux pour fissures verticales et verticaux pour fissures horizontales...


Mais où vont-ils chercher tout ça ?

Dans le Manuel du CAF de 193489 on lit page 41 que le piton existe en deux variétés :
« piton plat, section allongée dans le plan de l'anneau ; piton à lame transversale, dont la section
est allongée dans le sens perpendiculaire au plan de l'anneau. » Le terme anneau ne désigne pas un
anneau mobile mais ce que nous appelons actuellement l’œil du piton. A la page 166, la figure 46
qui représente les deux modèles, indique pour le dessin de gauche « Lame dans le plan de l'anneau.
(Pour fissures verticales.) » et pour le dessin de droite « Lame transversale au plan de l'anneau.
(Pour fissures horizontales.) »
Dans le Pourchier-Frendo de 194390, les pitons sont présentés ainsi à la page 53 :
« L'utilisation des pitons est entrée actuellement dans la technique de l'alpinisme au même titre que
celle des crampons et des chaussures d'escalade. » et page 54 : « Le jeu de pitons est constitué par
un ensemble de trois modèles horizontaux (lame transversale au plan de l'anneau) destinés à des
fentes horizontales, et de deux modèles verticaux (lame dans le plan de l'anneau) destinés à des
fentes verticales. »
On comprend qu'à ces débuts de l'usage des pitons dans les Alpes occidentales, le principe
du verrouillage était ignoré. Chaque désignation correspondait donc bien à son usage réel.
En 1956, l'ouvrage de Pierre Allain 91 fait apparaître la notion de couple : « Les pitons à
rocher sont maintenant fabriqués d'après le principe du piton dit « horizontal », qui a l'avantage de
convenir à tous les cas. (…) Il convient pour les dièdres et pour les fissures horizontales et
verticales, où il remplace avantageusement le piton dit vertical, car, plus que celui-ci, il a des
chances de se coincer par mouvement de torsion, en cas de choc, de chute, etc. »
En 1959, Gaston Rébuffat92, enfonce le clou : « Autrefois il y avait les pitons verticaux et les
pitons horizontaux, selon que la fissure dans laquelle ils devaient être enfoncés était soit verticale,
soit horizontale ou en angle. Maintenant, on ne fabrique plus guère que des « horizontaux » car à
l'usage on s'est aperçu qu'ils pouvaient servir efficacement dans tous les cas. »
Enfin, en 1977, Technique de l'alpinisme93 systématise l'inversion d'usage : « Il est conseillé
d'employer les pitons verticaux (lame et œil dans le même plan) dans les fissures horizontales et les
pitons horizontaux (œil perpendiculaire à la lame) dans les fissures verticales. De cette façon, la

89 Manuel d'alpinisme, Tome II, Club Alpin Français (coll. GHM), librairie Dardel, 1934.
90 La technique de l'alpinisme, Marcel Pourchier et Édouard Frendo, éditions Arthaud, 1943.
91 Op. cit., Pierre Allain, p.22.
92 Op. cit. Gaston Rébuffat, p.22.
93 Technique de l’alpinisme, sous la direction de Bernard Amy, éditions Arthaud, 1977.

64
force de choc ou de traction entraîne une torsion sur la lame engagée dans la fissure et provoque
un verrouillage du piton. »
________________________________

Pour planter un piton, on libère une main, on saisit un piton à son porte-
matériel, on l'introduit à la main dans la fissure jusqu'à la moitié de la longueur
environ, on le coince par un coup sec de la paume. Là, il doit tenir tout seul son
propre poids. On sort son marteau d'une main, on tape très légèrement le premier
coup surtout si c'est un piton dur qui a tendance à rebondir en début de frappe. S'il a
du mal à tenir en place, on sort la petite ficelle qu'on a prévue pour assurer le piton
dans ces cas de figure. Puis on frappe de plus en plus fort au fur et à mesure que le
piton rentre. Il faut vraiment taper très fort, surtout si on a choisi un marteau léger. Si
le piton rentre avec des coups de marteau dépourvus de force, c'est qu'il est trop fin
pour la fissure. Les coups de marteau produisent un son de plus en plus aigu : on dit
que le piton chante, gage d'une bonne tenue. Si le marteau rebondit violemment, c'est
que la lame a rencontré un obstacle insurmontable. Soit on s'en contente (presque
planté à fond, rien de mieux autour de cette fissure et pas d'autre piton), soit on
recommence avec un piton de dimensions différentes ou le même piton dans une
autre fissure.

Universel insuffisamment planté et cravaté par une sangle.


Pas d'effet de verrouillage dans ce cas !

S'il est impossible de planter le piton à fond, on cherche à annuler le bras de


levier défavorable, soit en cravatant la lame du piton avec une cordelette qu'on
mousquetonne à la place de l’œil (nœud en tête d'alouette ou nœud coulant), soit s'il
s'agit d'un piton mou en rabattant la partie du piton hors du rocher contre celui-ci à la

65
force de la paume ou avec le poids du corps plutôt qu'au marteau. On n'aura sans
doute pas envie de voler au-dessus de ces bricolages qui créent rarement un effet de
verrouillage..

Piton insuffisamment planté et rabattu à la main pour réduire le porte-à-faux.

Si la fissure est trop large pour l'épaisseur des pitons emportés (on aurait dû
emporter une cornière, mais celle-ci est bien lourde), on peut coupler deux pitons dos
contre dos pour obtenir une double lame plus épaisse. Mais deux pitons sont alors
consommés pour un seul ancrage.
Dans tous les cas, piton trouvé en place ou piton qu'on a planté soi-même, on
reste critique vis à vis de sa tenue, ce qui ne signifie pas qu'on ne puisse pas utiliser
un piton très moyen, comme point de progression par exemple. C'est la même chose
que monter sur un piolet posé dans un trou en cascade de glace : on sait que le piolet
n'est que posé, on l'exploite en tant que tel, avec le coude bien bas. On reste conscient
de ce qu'il permet de faire, et de ce qu'il ne permet pas de faire.
On se méfie aussi de la solidité du rocher. Parfois, les bords de la fissure
s'écartent sous les coups de marteau. On change de fissure. On avertit le second si on
a laissé un rocher prêt à tomber, mais aussi, on le signale à la cordée du dessous.
Si le second après avoir extrait une partie du piton ne réussit pas à le récupérer,
il ne laisse pas ce piton fragilisé en piège pour les cordées suivantes. Il le replante
à grands coups de marteau. Le temps des faux pitons en carton peint du Saussois pour
terroriser les cordées suivantes est révolu, on s'interdit de laisser des traquenards
qu'on ne voudrait pas trouver soi-même en montagne.
Pour ôter un piton, on se sert du crochet à dépitonner du marteau. On tape

66
d'abord latéralement sur la tête du piton pour l'incliner, puis on fait levier avec le
crochet à dépitonner passé dans l’œil du piton jusqu'à l'incliner dans l'autre sens, et on
recommence l'opération jusqu'à l'extraction totale. On peut aussi utiliser une chaîne
ou un câble à dépitonner. On fixe une extrémité au piton par un maillon rapide et
l'autre extrémité à l’œil du marteau, puis on donne des coups de marteau vers le vide.
On maintient son visage hors de l'axe d'éjection car on a payé la porcelaine de son
incisive centrale suffisamment cher. Parfois, on peut utiliser son poids pour achever
un piton affaibli.

Utilisation du crochet à dépitonner.

Utilisation du câble à dépitonner

67
Au relais, on redresse au marteau les pitons tordus afin qu'ils soient
réutilisables dans la longueur suivante.
On porte un assortiment de ses pitons préférés sur un ou plusieurs
mousquetons, et le reste en réserve, en lieu sûr, dans son sac à dos. Ainsi, une
maladresse ne fera pas perdre l'ensemble de ses pitons si précieux pour la descente.

f/ La pose des coinceurs


Les premiers coinceurs, au début des années soixante, furent les écrous
de chemin de fer que les grimpeurs gallois de la région de Snowdonia - parc national
dès 1951 - coincèrent dans les fissures en lieu et place des traditionnels cailloux
emportés dans les poches. Une cordelette était passée dans le trou de l'écrou. Les
années suivantes, les coinceurs fabriqués évoluèrent vers la forme trapézoïdale
actuelle. En 1967, le grimpeur américain Royal Robbins importa l'idée galloise au
Yosémite, qui fut ensuite perfectionnée par Yvon Chouinard (fondateur de Patagonia
et Black Diamond) et Tom Frost en créant une asymétrie forçant la rotation selon le
principe de la came : l'hexentric était né.
En 1978, Ray Jardine inventait le friend, commercialisé par la firme
britannique Wild Country.

On emporte généralement un jeu de coinceurs câblés du n°1 au n°8 pour


les fissures étroites qui présentent des étranglements, et un jeu de friends du n°1 au
n°3 voire 3,5 pour les fissures larges. Les bons topos précisent s'il faut prévoir aussi
le volumineux friend n°4.

On peut prendre également quelques hexentrics, très old school, qui sont
pratiques dans des fissures plus larges au fond qu'à l'entrée, car dans ce cas, les
friends rampent vers le fond de la fissure au gré des mouvements de corde et finissent
par se décrocher. Les fissures typiques où il est interdit d'oublier ses bons vieux
hexentrics ne sont pas en montagne mais au bord de la mer dans le sud du pays de
Galles à Pembroke. Vous introduisez votre hexentric dans un élargissement de l'entrée
de la fissure, vous le lâchez, il tombe derrière un rétrécissement et vous avez un
ancrage béton en quelques secondes. Sur un rocher plus ordinaire mais à fissures
larges, emporter seulement les deux gros numéros 8 et 9, en complément des friends
n°3 et 3½, permet d'éviter de devoir doubler ces derniers qui sont bien lourds.

Dans le massif du Mont-Blanc où les fissures parallèles très régulières


sont légion, les friends sont les coinceurs les plus utilisés., même dans les fissures
étroites mais présentant peu de rétrécissements. On utilise alors des coinceurs
mécaniques de petite taille comme les C3 de Black Diamond ou encore les Aliens,
très intéressants car au câble extrêmement souple.

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Jeu d' hexentrics du n°9 au n°3.

De gauche à droite, décoinceur, jeu de coinceurs câblés, friend à tige rigide (cordelette en dyneema
nouée avec un nœud de pêcheur triple), deux friends flexibles, un Alien, et un C3 de Black
Diamond. Dessous, trois copper-heads à mater.

Les coinceurs câblés sont très utilisés outre-Manche sur le granit très fracturé
de Cornwall où les grimpeurs arborent à leur porte-matériel passé en bandoulière de
nombreux jeux (les numéros courants sont au moins triplés) ainsi qu'un grand nombre

69
de sangles de 60cm pour allonger les dégaines, ce qui certes augmente la hauteur de
chute potentielle mais évite que les coinceurs ne soient délogés par les mouvements
de la corde. Ils sont très utilisés en montagne et peu encombrants.

Pour placer un coinceur câblé, on sort le jeu entier monté sur un mousqueton.
On présente le numéro correspondant à la largeur de la fissure juste au-dessus d'un
resserrement. Si la taille ne convient pas, on en sélectionne un autre. On l'introduit
dans la fissure, et en tenant la grappe des autres coinceurs, on tire un ou deux coups
secs vers le bas pour le coincer. Si la fissure est encombrée de terre ou de petits
cailloux, on la nettoie préalablement avec le décoinceur ou à défaut la lame du
marteau-piolet. On détache ensuite le coinceur du mousqueton portant les autres
qu'on range à son porte-matériel et on mousquetonne la dégaine. Dans les cas
difficiles, on peut coupler plusieurs coinceurs, l'un coincé vers le bas, l'autre coincé
vers le haut et dont le câble passe dans la boucle du précédent afin que les deux se
contrarient. On obtient ainsi un ancrage qui peut être multi-directionnel.
Pour placer un friend, on sélectionne le numéro correspondant à la taille de la
fissure en sachant que le friend doit tenir avec les cames presque entièrement
refermées. Cames trop ouvertes, le friend ne résistera pas à un choc. Cames
totalement fermées, on ne pourra peut-être pas le récupérer. On tache de ne pas
l'installer à proximité d'un élargissement de la fissure car le friend se déplace comme
un crabe quand il est sollicité par les mouvements de la corde. Il faut alors choisir un
numéro de plus grosse taille qui convient à cet élargissement et le mettre à cet
endroit. Ainsi, s'il se déplace, il va vers le rétrécissement et reste coincé. On place la
queue du friend dans la direction de la chute (même si cette recommandation est
moins cruciale que naguère pour les friends à tige rigide) car le choc risquerait de
provoquer une rotation dont l'issue n'est pas forcément favorable. Ce phénomène est
du reste l'argument commercial des Aliens dont le câble est extrêmement souple.

Il est préférable de porter les friends avec un mousqueton pour chacun, ce qui
évite l'emploi systématique d'une dégaine et permet leur mise en place plus rapide.
Plus on utilise les coinceurs qu'on possède, plus on a le compas dans l’œil pour
choisir d'emblée la bonne taille, ce qui évite bien des sueurs dans les pas durs. Avant
ceux-ci, on anticipe en examinant les possibilités de placement qui vont s'offrir, et on
place les numéros probables à l'endroit le plus accessible de son porte-matériel.
Quand l'escalade est difficile, on est bien inspiré de ne pas occuper les
emplacements propices aux verrous de main ou de pied par les coinceurs, et donc
souvent de choisir des tailles plus petites qui entrent là où les doigts ne pénètrent pas.
Il faut aussi préférer placer le coinceur en dessous des doigts introduits dans la
fissure plutôt qu'au-dessus, ainsi on réserve la fissure pour déplacer la main, et on ne
se pince pas le dos de la main avec la dégaine. Le coinceur placé sous la main peut
même ensuite être utilisé en appui pour améliorer le verrou.

70
Nettoyage de la fissure avec le décoinceur.

Coinceur câblé en place. Si cette position rendait le coinceur instable,


on le retournerait, avec la face convexe à gauche et la face concave
à droite. On choisit le sens le plus stable.

71
Friend en place. S'il est instable dans cette position, on le retourne avec
les cames externes à gauche et les cames internes à droite. On choisit
le sens le plus stable.

On aurait préféré enfoncer davantage le friend afin que sa tige soit entièrement en appui sur la
partie horizontale du rocher et éviter ainsi une flexion du câble, mais la fissure est insuffisamment
profonde. C'est ce genre de situation qui a fait abandonner les premiers friends à tige rigide.

72
Hexentric n°9 en place dans une fissure irrégulière.

Cette façon de positionner un coinceur câblé est autorisée. On bénéficie ainsi d'une plus grande
largeur, ce qui est intéressant si on ne dispose pas d'un coinceur suffisamment large dans la
position classique. Mais on n'obtient pas dans cette position l'effet de came provoqué par les faces
concave et convexe du coinceur.

73
5/ La glace

a/ Les techniques de progression


En glace, le cramponnage dix pointes est identique à celui décrit en
neige. La seule différence est que la surface n'est plus du tout malléable. La technique
est plus rigoureuse car le pied doit suivre exactement le modelé de la glace. On doit
aussi être un peu sec dans ses gestes afin de bien faire mordre les pointes dans le
matériau plus dur, ceci d'autant plus que la glace est froide ou compacte. De la même
façon, le piolet tenu en piolet-canne est posé avec un coup sec pour faire mordre la
pique qu'on aura pris soin d’affûter.

En pente plus raide, le piolet-appui ou le piolet-panne ne sont pas


utilisables en glace car pousser simplement la lame en tenant le piolet par la panne
ou en haut du manche ne suffit pas pour la faire mordre. La technique du piolet-
ancre est la technique royale quand on ne dispose que d'un piolet. En 1967, André
Contamine la tenait encore comme la clef du cramponnage dix pointes en pente
forte94. Le piolet-ancre peut bien sûr s'employer conjointement au cramponnage
frontal ou mixte.

Le piolet-ramasse convient tout à fait pour de courtes traversées


horizontales, ascendantes ou descendantes. Ici aussi, on ne se contente pas de poser la
pique mais on tape d'un coup sec contre la glace pour créer une encoche.

Dès que la pente se redresse, on utilise la technique du piolet-traction,


avec un ou deux piolets (cf. p.109). On frappe alors la glace comme un service de
tennis et on se tient au bas du manche. Le cramponnage est frontal. On garde les
talons bas pour faire mordre les quatre pointes avant de chaque crampon, les deux
pointes les plus basses servant à stabiliser la position. Si la section est longue, on peut
préférer la technique mixte, un pied en technique frontale, un pied à plat, pour
épargner les mollets.

En descente, le piolet-rampe (photos page suivante) est très efficace à


condition de ne pas avoir choisi une lame banane qui ne tient pas à l'envers. On ancre
très bas le piolet puis on se sert du manche comme d'une rampe en cherchant à
l'exploiter le plus bas possible.

94 Op. cit., Yvon Chouinard, p.48


.

74
Piolet-rampe, main en bout de manche.

Piolet rampe : la main a glissé le long du manche pendant le pas de désescalade.


L'autre main posée sur le genou aide à conserver la position vers l'avant pour
que le poids du corps soit à l'aplomb des pieds.

75
b/ Les points d'assurage
Les points d'assurage en glace sont devenus relativement solides avec les
broches tubulaires qu'on visse à la main perpendiculairement à la surface de la glace.
La qualité de celle-ci est évidemment primordiale. La consistance de la carotte sortant
de la broche pendant le vissage nous renseigne : des copeaux épars, trop d'air dans la
glace ; de l'eau, glace trop chaude. Une dégaine « explose » dont les coutures se
déchirent pour amortir le choc peut être utilisée dans le cas d'une glace douteuse. On
peut aussi nettoyer au piolet cette mauvaise glace pour accéder à un matériau solide.
Une vieille glace fossile mise à nue dans une pente de haute-montagne en fin d'été
peut interdire le brochage par sa dureté extrême. On est alors heureux d'avoir
entretenu avec soin les dents d'amorçage et l'état de surface du corps de ses broches,
pour réussir à se protéger néanmoins un minimum.
De nombreux modèles de broches existent sur le marché. Il est bon de
posséder quelques broches courtes pour la glace mince plaquée sur du rocher afin
d'éviter le porte-à-faux d'une broche incomplètement vissée. On ne cravate plus le
corps d'une broche par une sangle dans ce cas car il a été montré que la sangle
pouvait se déchirer au moment du choc en glissant brutalement contre la patte
métallique. Des broches munies d'une patte spéciale protégeant une sangle pouvant
coulisser le long du corps de la broche existent maintenant pour cet usage. Les
fabricants proposent souvent une manivelle incorporée qui est très utile pour
accélérer le vissage, une fois celui-ci amorcé. Enfin, Grivel propose son modèle 360
dont l'absence de patte longue permet de brocher dans un trou.

3 broches classiques (22, 19, 16 cm), un capuchon, une broche 360, 2 étuis
à placer à la ceinture, une dégaine « explose ».

76
c/ Les relais de progression
Le relais en glace est simple et sûr si la glace est suffisamment épaisse et
solide. On visse deux broches tubulaires l'une au-dessus de l'autre, suffisamment
éloignées pour qu'elles ne sollicitent pas le même cône de glace, et on les relie avec
une grande sangle. On fait un nœud (simple ou en huit selon la longueur disponible)
en bas de la sangle pour éviter qu'un choc ne se produise sur une broche si l'autre
venait à céder. (Voir aussi chapitre 6.)

d/ Les relais de rappel


Pour éviter d'abandonner une coûteuse broche à glace, on confectionne
une lunule artificielle, dite abalakov, du nom de son inventeur Vitali Mikhaïlovitch
Abalakov (alpiniste russe, 1906-1986, auteur d'un manuel d'alpinisme traduit en
Allemand en 1952 par Hellmut Schöner : Die Grundlagen des Alpinismus –
signifiant les fondements de l'alpinisme - , V.E.B. Bibliographisches Institut,
Leipzig), en vissant deux broches inclinées de façon qu'elles se rencontrent en
profondeur.
Il faut savoir viser juste. Black Diamond propose un instrument aidant à
trouver la bonne angulation. Il est judicieux d'utiliser une broche longue d'au moins
20cm. Après avoir retiré les broches, on enfile une cordelette dans un tunnel pour la
ressortir du second tunnel en la piquant avec un crochet métallique pointu. On
conseille actuellement un diamètre de 7mm pour la cordelette, ce relativement gros
diamètre sciant moins facilement une glace de consistance douteuse. En glace
compacte, rien n'empêche de descendre à 6 ou 5mm. La cordelette est fermée en
anneau par un double nœud de pêcheur.

La solution de Mike Barter pour les étourdis ayant oublié leur crochet :
la cordelette vient se pêcher elle-même.

Si on a perdu son crochet à abalakov, on peut tenter d'attraper la


cordelette avec la boucle d'un coinceur à câble, ou bien encore, suivant les

77
démonstrations du farceur Mike Barter95, au choix avec un simple fil de fer façonné
en boucle (qu'il scotche en permanence au manche de son piolet près de la tête au cas
où) ou avec la boucle de la cordelette elle-même enfilée au fond d'un tunnel pour
pêcher l'autre extrémité (non effilochée) insérée dans le second tunnel creusé un peu
trop long. Le diamètre de 6mm est préférable pour cet usage.
Classiquement on recommande une angulation des broches avec la
surface de 45°, de façon qu'elles se rencontrent à 90°. D'autres auteurs, plus fâchés
avec l'arithmétique proposent 40° pour les premiers angles, les deux broches devant
également se rencontrer à 90°... Enfin, on recommande que les deux broches se
rencontrent le plus profondément possible. Il nous semble opportun de proposer un
triangle équilatéral, afin d'obtenir autant d'épaisseur que de largeur à la lunule, donc
des angles de 60°, les broches se rencontrant à... 60°. En pratique, vous verrez que
vous serez déjà bien content de voir vos deux tunnels se rejoindre, surtout en glace
dure où on ne peut pas récupérer un mauvais angle de départ, et que vous n'ergoterez
pas sur quelques degrés pourvu que l’œuvre semble solide.
Les fractures naturelles de la glace se produisant la plupart du temps
horizontalement, on conseille aujourd'hui de réaliser une lunule verticale plutôt
qu'horizontale. Quand la glace est bien sèche, on peut même économiser la cordelette
en passant la corde directement. Le nœud doit alors se situer en dessous, pour avoir à
tirer sur le brin sortant du tunnel inférieur. On parle de lunule sèche.

Lunule sèche.

95 youtube.com/user/mikebarter387/videos

78
Deux abalakovs verticaux superposés et liés avec la même cordelette.
Nœud de chaise avec nœud d'arrêt pour chaque lunule, nœud simple ou
en huit en bas de la cordelette.

Abalakov en triangle. On réalise d'abord la lunule verticale, ici située à droite.


Puis on crée le tunnel plus ou moins horizontal (situé ici à gauche) qui rejoint
vers la droite le tunnel du bas. La cordelette est insérée comme pour une lunule
verticale classique, puis est repêchée en double par le trou en bas à gauche.

79
On peut confectionner le crochet à abalakov soi-même à partir d'un
rayon de bicyclette. On peut également se procurer un modèle du commerce, en le
préférant rigide plutôt qu'à câble.

De haut en bas, crochet à câble, multihook de CharletMoser pouvant aussi


servir de décoinceur, et fabrication maison à partir d'un rayon de bicyclette.

En l'absence de broche à glace , on peut confectionner comme en neige


un corps-mort (un caillou trouvé sur le glacier par exemple), un champignon de glace,
ou un coin de glace. Un gros nœud vient alors se coincer dans la fente en V creusée
avec la lame du piolet un peu comme les nœuds que les grimpeurs de Bohème
coincent dans leurs fissures de grès à faible dureté.

Le coin de glace.

80
Plus classique,une pierre du glacier utilisée en corps mort.

**

81
Chapitre 3 : Se préparer à la montagne.
« Nous voulons pousser notre entraînement physique et moral, renforcer notre
confiance en nous-mêmes pour acquérir cette force tranquille qui, alliée à une ferme
volonté, nous autorisera à nous engager à fond. »96 Anderl Heckmair.

Apprendre les techniques de base de l'alpinisme est une chose, les appliquer en
situation en est une autre. Entre les deux se trouve la préparation à la montagne. C'est
une étape intermédiaire qui n'est pas sans rapport avec ce que les chercheurs en
Sciences Humaines97, très intéressés depuis les années 1980 par ce nouveau sujet
d'étude pittoresque que représente la haute-montagne, appellent processus d'ancrage
à l'alpinisme98.
Jean Corneloup distingue trois volets principaux à ce processus qui tente
d'expliquer les mécanismes ayant conduit les pratiquants à la montagne : 1/ Le
contact avec la nature. Les témoignages d'alpinistes évoquent tous une forte
immersion dans la nature pendant l'enfance. Si cette immersion n'a pas eu lieu, ce
sera la première clef que l'adulte citadin devra se procurer pour ouvrir la porte ; nous
allons lourdement y insister. 2/ Les histoires racontées et les livres lus. Ces récits
permettent selon l'auteur de s'imprégner : - de la symbolique de l'activité qui permet
la légitimation de sa propre pratique (il est légitime d'aller prendre des risques en
haute-montagne car des héros reconnus l'ont fait avant nous) ; - de la culture
technicienne et des compétences à maîtriser, en vivant des scènes par procuration, ce
qui permet la transmission d'un savoir et d'un savoir-faire qui vont ensuite se greffer
96 Les trois derniers problèmes des Alpes, Anderl Heckmair, éditions Arthaud,1951.
97 Les Sciences Humaines apportent en effet un nouvel éclairage salutaire sur une activité jusqu'ici exclusivement
auto-racontée par ses acteurs, pour l'essentiel une profession de guide de haute-montagne volontiers encline à
l'hagiographie. On peut citer des géographes : Philippe Bourdeau, Jean Corneloup ; des sociologues : Olivier
Hoibian, Rodolphe Christin ; des historiens : Michel Mestre, Michel Tailland ; des juristes : Pierre Mazeaud bien
sûr, Frédéric Caille, Dominique Delafon.
98 Processus d'ancrage à l'alpinisme, Jean Corneloup, Actes du colloque ARIS, 2002.

82
sur l'expérience pratique de l'apprenti. 3/ L'initiation et la pratique de l'alpinisme
où l'auteur nous fait l'immense plaisir de souligner que l'initiation par un parent, un
mentor ou une structure (club alpin) ne devient efficiente que si l'apprenant a la
possibilité de réaliser ses propres expériences en autonomie. Les mots clefs sont
liberté de mouvement, débrouillardise, expériences sur le tas.

1/ La base
La base de l'alpiniste est sa gestuelle d'escalade. Trois cas de figure :
Si vous venez de l'escalade en salle ou en couenne (voie d'une seule longueur),
c'est acquis. Un niveau 5a à vue en premier de cordée sur couennes variées est
suffisant pour s'aventurer en montagne dans beaucoup de courses classiques. Si je
puis dire, passez à l'étape numéro deux.
Si vous venez de la randonnée, inscrivez-vous à des cours avec un moniteur
d'escalade breveté d’État, dans une salle d'escalade. Essayez d'éviter les clubs où l'on
recherche avant tout la convivialité du groupe pour les sorties barbecues. Vous, vous
cherchez à acquérir les schémas moteurs qui vous ont manqué pendant l'enfance,
quand d'autres grimpaient déjà aux arbres. On acquiert maintenant le niveau 5a en
salle en quelques semaines. Cela ne signifie nullement que vous avez atteint le niveau
5a à vue en tête sur couennes variées. Car attention, dès que vous connaissez les
techniques d'assurage élémentaires, c'est à dire dès les cinq premières séances,
achetez les topos d'escalade des sites de couennes proches de chez vous, et allez
grimper dehors en autonomie avec votre copain, en plus des cours suivis avec le
moniteur à la salle. Si vous ne le faites pas, vous risquez fort de demeurer
éternellement un grimpeur de résine et de ne voir la haute-montagne qu'en
photographie. Après quelques mois d'escalade en salle et en couennes, achetez un
rappel 2x50m, des coinceurs, un peu de cordelette 6mm et un casque, et commencez
à envisager votre première grande voie (voie de plusieurs longueurs). Puis multipliez-
les.
Si vous êtes déjà bon grimpeur, n'attendez pas trop. Approcher le niveau 7a
après travail à la salle sans avoir joué au montagnard une fois ou deux est à notre sens
un sérieux handicap : va-t-on savoir accumuler de l'expérience dans des courses
faciles plutôt que se laisser entraîner par un copain expérimenté ou pire un
professionnel dans des voies TD qui seront flatteuses d'apparence mais inutiles voire
nuisibles pour acquérir l'autonomie ? Il est probable que non. On est dans une
impasse dont on peut sortir en prenant une voie paradoxale : reprendre quelques uns
des kilogrammes de muscles perdus, fréquenter moins assidûment la salle d'escalade,
laisser son niveau de pure lumière de la résine (les pures lumières du rocher,
qualification réservée aux sestogradistes, étaient le groupe de bleausards entourant
Pierre Allain dans les années d'après guerre) retomber doucement, et se mettre à
parcourir la moyenne montagne à pied, en raquettes et à skis, en plantant la tente le
plus souvent possible. Poser ses fesses sur l'herbe mouillée, démarrer son réchaud au
petit matin en soufflant dans ses doigts, saisir un cliché de la marmotte voisine étirée
sur un caillou pour son bain de soleil du soir... immersion dans la nature a prescrit le

83
sociologue.
Quel que soit le niveau atteint, le degré maximum en couenne équipée après
travail ne se confond pas avec l'expérience générale de rochassier. Patrice de
Bellefon99 préconisait d'employer pendant l'apprentissage un bon tiers du temps passé
en rocher école à la désescalade, tant il voyait en montagne des premiers de cordée de
Vsup lançant des rappels dans du petit III et doublant l'horaire. Le grimpeur qui se
lancera précocement dans la voie normale de la Muzelle, voie seulement PD (peu
difficile), sera très surpris de sa difficulté et de son appréhension à redescendre la
longue pente raide située en contrebas de l'arête sommitale et faite de multiples petits
rochers fracturés imbriqués les uns dans les autres, à la solidité douteuse, difficile ou
impossible à protéger, et dont la cotation n'est pourtant que du 2e degré. De même,
la fissure Mummery au Grépon, seulement cotée IV - le guide Vallot précisant tout de
même pénible - risque d'ébranler la belle confiance dans le degré maximum atteint.
Inversement, le contre exemple le plus fameux est celui de Lionel Terray, jugé
par Robert Paragot et Lucien Bérardini comme spécialement mauvais en gestuelle
pure100 sans que cela puisse remettre en cause ses immenses qualités de rochassier
comme de glaciériste.

2/ La condition physique
Le vélo ou la course à pied peuvent donner la condition physique nécessaire.
Réussir à courir dix kilomètres pendant une heure, ce qui est à la portée de tout le
monde, est suffisant pour une pratique normale de l'alpinisme.
Marcher longtemps en montagne, et spécialement dans la neige, nécessite des
pas lents, peu coûteux, selon un rythme régulier. Couramment on voit de rudes
gaillards transpirer dans le labour opiniâtre d'une neige molle tandis que leur aérienne
compagne suit toute en économie d'énergie. Ici comme à vos débuts en escalade où
vous avez observé votre copine composer habilement avec la pesanteur plus
efficacement que votre propre tendance naturelle vouloir à la vaincre, il faudra
prendre leçon de la capacité générale des femmes à accepter le monde tel qu'il se
présente. Marcher longtemps est davantage une discipline qu'un exploit sportif.
Pourchier et Frendo101 affirmaient en 1943 : « En principe, avec un sac de 10 à 15
kilos, on doit s'arrêter 5 minutes après 25 minutes de marche environ. » ce qui fera
sourire les adeptes du trail.

3/ La rusticité
Le départ nocturne, le rocher froid, l'incertitude de l'itinéraire, le vent, le port
du sac, l'épreuve de la marche d'approche, réclament un minimum de rusticité. La
pratique de la randonnée sur plusieurs jours avec bivouacs sous tente est une
préparation parfaite. Même après des années de pratique, en début de saison, une
petite course au départ d'un bivouac sera la meilleure façon de retrouver ses marques

99 L'alpinisme, Patrice de Bellefon, éditions Denoël, 1987.


100 La voie Terray, film de Gilles Chappaz, Sevendoc, 2005.
101 Op. cit., Marcel Pourchier et Édouard Frendo, p.64.

84
de montagnard. Quand en juin 1786, l'endiablé Jacques Balmat passa une nuit sur les
hautes pentes du Mont-Blanc, « son mouchoir sur la figure »102 en guise de tente, et
qu'il revint le visage brûlé par la réverbération du soleil sur la neige mais vivant, il
avait anéanti la croyance selon laquelle on ne pouvait revenir d'une nuit passée en
haute altitude. Depuis cette date, le bivouac demeure l'arme numéro un pour
démythifier la montagne.
Le bivouac est historiquement une pratique militaire. Il doit être la première
technique d'aguerrissement de l'alpiniste. Il est du reste en bonne place dans les stages
proposés par les instructeurs de close-combat qui considèrent les techniques
d'aguerrissement comme faisant partie intégrante de l'enseignement de l'art martial.
Et puisqu'il s'agit de référence militaire, écoutons Jules César : « L'ensemble de
la Gaule est divisé en trois parties : l'une est habitée par les Belges, l'autre par les
Aquitains, la troisième par le peuple qui, dans sa langue, se nomme Celte, et, dans la
nôtre, Gaulois. (…) Les plus braves de ces trois peuples sont les Belges, parce qu'ils
sont les plus éloignés de la Province romaine et des raffinements de sa civilisation,
parce que les marchands y vont très rarement, et, par conséquent, n'y introduisent pas
ce qui est propre à amollir les cœurs. »103
Plus loin, Arioviste, roi des Suèves, donne ainsi une fin de non recevoir à
César : « Personne ne s'était encore mesuré avec lui que pour son malheur. Il pouvait
quand il voudrait venir l'attaquer : il apprendrait ce que des Germains qui n'avaient
jamais été vaincus, qui étaient très entraînés à la guerre, qui, dans l'espace de
quatorze ans, n'avaient pas couché sous un toit, étaient capables de faire. »104
Rangé à ces références, on ne peut donc faire moins que tenir la pratique du
bivouac en très haute estime.

Il existe à notre sens trois types de bivouac. Deux prévus, l'un improvisé.
Le premier type de bivouac s'apparente davantage au camping. Quitte à porter
un sac énorme, on a pris la tente (1,5 à 2 kg, de petites dimensions pour se caser entre
les murets des emplacements de bivouac déjà construits), le sac de couchage, le
matelas, le réchaud. On a choisi un bel emplacement de bivouac loin de tout refuge,
proche d'une eau potable ou d'une neige propre (réserve de gaz suffisante et sac
plastique pour le stockage). Un léger terrassement, un petit muret de pierres du côté
du vent dominant occupent la fin d'après-midi. On pense à la brise thermique du
glacier : L'air froid qui va dévaler la pente pour remplacer l'air chaud montant à la
verticale des pentes herbeuses et rocheuses situées en contrebas, exactement comme
la brise de mer du littoral. On n'a pas oublié la ficelle pour arrimer la tente à de
grosses pierres car les sardines pénètrent mal le terrain morainique. Bien sûr, on ne
portera rien de tout cela dans la course. Demain matin, soit on laisse la toile montée,
soit on roule le tout caché sous des pierres, selon la fréquentation et la réglementation
du lieu. On récupérera les affaires au retour de la course, ce qui suppose de repasser

102 Op. cit., Marcel Rouff, p.18.


103 Guerre des Gaules, Jules César, 52 avant J.C. .
104 Ibid.

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par là. On aura choisi une tente dotée d'une abside suffisante pour y installer le
réchaud sous l'averse du soir sans risquer de brûler la toile. Les feuillées sont cachées
du chemin par ce gros bloc posé là-bas sur la moraine, le petit ruisseau (probablement
gelé demain matin, remplir sans faute les gourdes ce soir...) coulant ici est la cuisine
(comprimés de micropur) et la salle de bain, deux petits cairns bien visibles qu'on a
construits indiquent clairement la trace qu'on a aménagée pour retrouver facilement
dans la nuit la sente menant au glacier, bref on s'est approprié ce coin de montagne
pour un jour, et on est déjà chez soi. Le chamois qui viendra ce soir gambader sur le
raide névé le plus proche sera le compagnon dont on enviera l'intelligence du terrain
et l'agilité inégalables .

Chloration de l'eau :
Désinfecter l'eau est moins important en haute-montagne qu'en moyenne montagne car
il n'y a pas de troupeaux. Mais, un refuge en amont, d'autres bivouacs le même jour ou
les jours précédents, ont pu souiller l'eau ou la neige qu'on va faire fondre. Les pastilles
de micropur (marque Katadyn) et d'aquatabs (marque Medentech) renferment du
dichloroisocyanurate de sodium (NaDCC) qui libère en milieu aqueux l'acide
hypochloreux qui est un oxydant. Il s'agit du même produit présent dans les pastilles de
Javel, mais ces dernières contiennent en plus des agents effervescents et tensio-actifs
qui empêchent de les utiliser pour l'eau potable. Le micropur a la particularité d'ajouter
des ions argent dont l'intérêt est la conservation de la désinfection à long terme (6 mois
au lieu de 24 heures), pour l'eau de réservoirs par exemple. L'hydroclonazone (CLS
Pharma), utilisant le tosylchloramide, est jugé moins efficace depuis son test par
l'armée. Enfin, le micropur en liquide, hormis les ions argent, est de l'hypochlorite de
sodium, c'est à dire de l'eau de Javel, et est indiqué pour des quantités importantes d'eau
(à partir de 10 litres, 3 gouttes par litre d'eau, action pendant 1 heure). Tous ces produits
sont moins efficaces en présence de matières organiques. Il est conseillé de les utiliser
sur une eau d'aspect clair.
Le paysan voisin pourrait aussi vous donner une pastille d'Aquasept qu'il met dans ses
réservoirs pour l'eau de ses bêtes, puisqu'il s'agit du même dichloroisocyanurate de
sodium. A ceci près que ses comprimés sont dosés à 0,7g de NaDCC, tandis que ceux
d'aquatabs sont dosés à 3,5mg par comprimé, soit 200 fois plus...

Le second type de bivouac est prévu, mais la course projetée ne fait pas
repasser par ce chemin. Il va falloir porter l'attirail jusqu'au sommet, et c'est une autre
paire de manches. La tente reste à la maison ce qui en fait un vrai bivouac au sens de
Pierre Allain105, c'est à dire une nuit à la belle étoile. En été, le sac de couchage peut
également être oublié, à moins de choisir un sac très léger (600g) et que la course ne
nécessite pas en elle-même un matériel lourd. Le matelas ne sera plus qu'un petit
rectangle de mousse de type Karimat de la dimension du dos. Plié en deux, il tient à
l'intérieur du sac à dos placé contre l'armature. On en achète un complet et on le
105 Op. cit., Pierre Allain, p.22.

86
découpe au cutter.
Le réchaud sera du type Esbit pour accueillir des tablettes de combustible
solide, soit les tablettes d'origine à base d'alcool solidifié , soit des allume-feux du
commerce, qui donnent une flamme plus résistante au vent mais salissent
énormément le quart (à tester chez soi avant la sortie pour la hauteur des flammes).
On ne fera plus fondre de neige avec ce type de matériel. Trouver de l'eau est
impératif.

Le réchaud à méta, héros de bien des récits de montagne, est apparu en 1953. Il utilisait
pour combustible solide le métaldéhyde qui est un pesticide employé notamment contre les
limaces. Ce produit est toxique pour les hérissons qui deviennent les dommages
collatéraux de la guerre des jardiniers contre les gastéropodes, mais il est également
toxique pour l'homme, même sous forme de traces. Le métaldéhyde est donc actuellement
abandonné comme combustible à réchaud.

Le stockage se fera dans des gourdes souples Platypus dont le poids et


l'encombrement sont négligeables une fois vides. Le repas est surtout lyophilisé :
soupes minute, purées en poudre, cappuccinos pour le matin, etc. La popote consiste
en un quart alu chacun, avec un couvercle formé d'un couvercle de boîte de confiture
qu'on pose simplement sur un quart pendant la chauffe. On pèse tout avec un pèse-
lettre ! Et on se fait le kit bivouac doté du meilleur rapport qualité/poids.

Pour compenser l'absence de sac de couchage, on prend une grosse doudoune


avec capuche, ainsi qu'un sursac léger (moins de 400g) ou plutôt une couverture de
survie en forme de sac (108g), un collant chaud en fourrure polaire sous le pantalon.
On peut enfiler les jambes dans son sac à dos et on se réjouit si on l'a choisi d'une
grande hauteur. Cagoule en fourrure polaire, tour du cou, gants, chaussettes
montantes très chaudes seront les bienvenues sans peser bien lourd.
On ne dort pas beaucoup à ce genre de bivouac. On se dit qu'on récupère
seulement un peu avant de repartir à l'aube. On est rassuré car on est au pied des
rochers, on a déjà reconnu l'attaque de la voie, même vu le premier piton. Cette
tranquillité, ça compte pour trouver néanmoins le sommeil, qui commence à venir
quand le froid du petit matin devient plus intense et vous oblige à changer de
position...
Bien sûr, on a choisi un endroit qui ne canalise pas les chutes de pierres, peut
être même protégé par un petit surplomb solide.

Le troisième type de bivouac est celui qu'on n'a pas prévu. Il va falloir faire
avec le matériel qu'on a. Autant dire que si l'on est parti en « tenue de plage » comme
disait l'ancien gardien du refuge des Bans, la nuit va être longue.
Un réchaud type Esbit, son combustible et deux briquets, deux soupes et un
sachet de purée chacun, des fruits secs, deux tisanes, une petite doudoune avec

87
capuche, un rectangle de mousse Karimat et un grand sac poubelle de 150 litres en
guise de sursac, sont un minimum en « fond de sac » dès que la course menace de
tourner au bivouac.

Réchaud fabriqué à partir d'une petite conserve de thon,


fonctionnant au combustible solide et pesant 24g.

Il est très important de s'habiller tout de suite avec la totalité des vêtements
disponibles pour conserver le plus longtemps possible la chaleur du corps ; et de tout
attacher à un relais solide avec une attention particulière pour les chaussures si on les
quitte. On se contente la plupart du temps d'en desserrer les lacets. Les baudriers sont
conservés et on reste vaché au relais toute la nuit.
Avoir accumulé les expériences de bivouacs plus organisés sera alors un riche
bagage. Et ce sont les expériences du deuxième type de bivouac qui sont bien sûr les
plus précieuses. On est alors en situation connue. On sait qu'elle est inconfortable
mais gérable. Gilles Barbanson dit à propos du gros temps que peut rencontrer le
plaisancier : « C'est vrai que je ne connais personne qui va d'emblée partir naviguer
dans du mauvais temps, il faudrait être complètement maso, par contre il ne faut pas
tomber dans l'excès inverse, ne sortir que lorsqu'il y a moins de 15 nœuds de vent, car
le jour où on se prend 35-40 nœuds, là, cela devient la fin du monde. »106

Quand on sort du refuge dans la nuit pour débuter sa course vers le sommet,
c'est un bourgeois citadin qui fait ses premiers pas dans une montagne inconnue
pleine de pièges. Quand on plie le bivouac et qu'on a hâte de se réchauffer par sa
marche nocturne, c'est l'homme de la montagne, déjà rude, qui pousse simplement un

106 Op. cit., Gilles Barbanson, p.20.

88
peu plus loin l'aventure dans un monde qu'il s'est approprié toute la nuit. Et tout
change.
Vos bivouacs resteront sans doute vos meilleurs souvenirs de montagne. Avec
Raphaëlle Billetdoux107, vous direz: mes bivouacs sont plus beaux que vos jours. Le
mot de la fin est pour Rébuffat : « Certains alpinistes sont fiers d'avoir fait toutes
leurs courses sans bivouac. Comme ils se privent ! »108

Bivouac en sac poubelle de 150 litres au pied de la voie Jonot,


Tête de Lauranoure.

Randonnée, bushcraft et scoutisme


La meilleure préparation est bien entendu la randonnée ; la vraie : celle avec
nuits sous tente et non au refuge.
La pratique du bushcraft, littéralement art des bois, qui est une manière récente
de remettre à l'honneur les ingrédients du scoutisme, est une bonne idée. Un feu, un
abri, trouver de l'eau, maîtriser son autonomie, gérer le mauvais temps. Les vidéos
réalisées par Julien Taix sur youtube 109 sont à voir. Aspect négligé par ces substituts
utilitaires, le scoutisme entendait également délivrer une formation morale (parfois
religieuse) qui pourrait ne pas apparaître totalement déplacée en haute-montagne. Le
matériel rustique, solide et lourd, utilisé pour le bushcraft sera peu adapté à la haute-
montagne. La popote inox, l'énorme couteau de camp parfait pour faire son bois, les
vêtements en coton épais résistant aux projections de braises, seront ensuite
remplacés par un quart alu, le plus petit canif mono lame pour sectionner la
cordelette, et les vêtements soft-Shell, fourrure polaire et gore-tex.
Quoi qu'il en soit, toutes les activités de nature sont facilitatrices. Une enfance
107 Mes nuits sont plus belles que vos jours, Raphaëlle Billetdoux, éditions Grasset, 1985. Prix Renaudot.
108 Étoiles et tempêtes, Gaston Rébuffat, éditions Hoëbeke, 1999. Édition originale : 1954.
109 Jubushcraft Alpin, youtube.

89
de pêches à la ligne, de constructions de cabanes au fond du jardin, de jeux dans les
champs, les forêts et les lits des ruisseaux est un immense avantage comparée à de
jeunes années passées devant une playstation. Parents qui voulez mettre vos enfants à
la montagne, pensez-y : laissez au moins une partie du jardin en broussailles, les
feuilles non ramassées pour les hérissons et les haies mal taillées pour les cachettes et
les aventures des gamins.
Pour les cas extrêmes de citadins dont les contacts avec la nature ne se sont
jamais faits qu'à travers un écran de télévision, la première étape sera peut-être… le
déjeuner sur herbe. Le pique-nique en famille, occasion de rencontrer toutes sortes de
petites bêtes, rampantes ou volantes, montant à l'assaut du panier de victuailles, est
promu, le plus sérieusement du monde, premier stade d'initiation au bivouac de
haute-montagne engagée. Et c'est peut être sur la rive de ce petit lac de moyenne
montagne où vous avez dégusté vos sandwiches et bu le café chaud de la thermos que
vous aurez envie de revenir cet été pour cette fois planter la tente et dérouler les sacs
de couchage.

4/ S'entraîner aux techniques


On a vu que les techniques utilisées en montagne sont parfois très différentes
de celles en usage en salle d'escalade ou en couennes. L'assurage en mouvement y est
beaucoup plus fréquent que l'escalade par longueurs. L'utilisation de la corde double,
les rappels, la pose de pitons, de coinceurs, l'assurage sur béquets, les remontées sur
corde fixe, les mouflages, le hissage du sac, sont des indispensables. Il faudra aussi
apprendre à se servir d'un piolet et de crampons, sur glace et sur neige. Comment
procéder ?
Les grandes voies en falaise introduisent l'utilisation de la corde double 2x50m,
qui est la corde à tout faire de l'alpiniste, et des coinceurs posés en complément des
spits. C'est ici qu'on se rode aux rappels, au hissage du sac, aux manipulations de
corde au relais.
Une couenne raide va servir à essayer plusieurs techniques de remontées sur
corde fixe, expérience vitale dès la moindre promenade sur glacier pour se sortir
d'une crevasse, mais aussi pour aller décoincer un rappel récalcitrant. On y
expérimente aussi les mouflages. A l'écart des voies équipées, on plante des pitons
variés au pied du rocher.
L'assurage en mouvement, long à roder, se fera nécessairement sur le tas lors
des premières courses, On sera content d'avoir un compagnon de cordée fiable et de
connaître mutuellement avec exactitude le niveau d'escalade de l'autre, ses points
forts comme ses faiblesses.
Les rudiments de maniement du piolet et des crampons se feront au début du
séjour sur le lieu de vacances lui-même en s'inscrivant au bureau des guides à une
école de glace sur le front d'un glacier. Quelques heures grandement bénéfiques,
surtout si on a la chance de tomber sur un professionnel passionné de cascade de
glace et aimant l'enseigner.
Le perfectionnement futur, et pourquoi pas dès maintenant, sera acquis en

90
s'inscrivant à un stage de cascade de glace d'une semaine, ceci chaque année jusqu'à
atteindre au moins le degré IV en cotation glace à vue en premier de cordée avec
brochage.
Les vacances de ski de piste permettent d'améliorer son aisance en neige en
privilégiant les pentes raides.

Les grandes voies, hissage du sac


Elles sont le meilleur entraînement technique pour la montagne, mais à la
condition de les traiter dans cet état d'esprit, et non dans l'idée de faire une croix en
enchaînant à tout prix la totalité des mouvements ou de pulvériser l'horaire sans
emporter de sac. Vous savez grimper, on le sait, c'est bien...
Maintenant, si votre ambition est une préparation à l'alpinisme, emportez
l'intendance : vêtements chauds, chaussures dans le sac, vivres, eau, coinceurs câblés,
décoinceurs, friends, pitons, marteaux, cordelette, canif. Vous ne serez plus la
première cordée arrivée en haut de la falaise, d'autres cordées vous doubleront
certainement en ronchonnant, mais vous apprendrez à gérer l'ensemble de vos
impedimenta comme il faudra bien le faire au-dessus de 3000m d'altitude. Dépôt du
sac du premier sur un point avant le passage difficile, hissage du sac sur un brin avec
gestion de ce sac par le second assuré sur le deuxième brin, anticipation des
traversées pour éviter que le sac ne se coince sous un surplomb inaccessible, etc.
Toutes les bêtises que vous allez faire ici vous éviteront bien des déboires. En pestant
contre ce sac à hisser, toujours trop gros, toujours trop lourd, et bien sûr toujours
borné, vous apprenez la débrouillardise en montagne, une communication efficace (la
bleue, stop, la rouge, stop, du mou sur la bleue, etc.). La cordée se rôde.
Une chose à savoir : le sac légèrement en arrière du second est plus commode
que le sac le précédant, car dans ce second cas, il dissimule les prises. Mais il ne
s'agit pas pour autant que le second distance trop le sac dans les zones où celui-ci
risque de se coincer. Avec le sac légèrement en arrière du second, celui-ci peut aussi
aider au hissage en tirant la corde. A user sans modération quand le premier de cordée
reste leader pour la suite. A n'en pas abuser si le second doit ensuite repartir en tête,
car il arriverait exténué au relais.
Pour les perfectionnistes et pour éviter les coincements, on peut fabriquer un
chapeau en V qui coiffe le haut du sac, à l'aide d'un gros entonnoir en plastique dont
on sectionne le tuyau et dans lequel passe la longe. Une moitié de gros bidon
plastique est plus adaptée à l'énorme sac de hissage des exploits d'alpinistes de haut
niveau. L'efficacité d'un tel procédé quand on est en solo est indispensable puisque le
sac doit alors venir seul, non guidé, depuis le relais inférieur.
La poulie autobloquante micro-traction de Petzl (85g) est l'outil idéal pour le
hissage du sac. Elle sera aussi d'un grand secours en cas de mouflage. La
combinaison tibloc (39g) et poulie oscillante P02 de Petzl (42g), convient aussi. Un
sac spéléo, bon marché, léger et quasi indestructible, fait un très bon sac de hissage
qui permet d'éviter la déchirure immédiate de son précieux sac d'alpinisme beaucoup
plus cher.

91
Le brin du sac est sur la poulie autobloquante, le brin du second sur la plaquette.

Tête de mouflage faite de la poulie autobloquante, renvoi inférieur sur mousqueton et


tibloc, renvoi supérieur sur mousqueton. On peut ainsi tirer vers soi en étant
positionné sous le relais.

92
Quand le sac est lourd, ce qui pourra être le cas plus tard en montagne, on peut
s'aider en installant un petit mouflage avec un tibloc. Les forces exercées par un
mouflage sur le relais peuvent être considérables si les frottements sont importants. Il
vaut mieux donc éviter d'installer un mouflage quand on a oublié sa poulie et que la
tête de mouflage est la plaquette d'assurage, à moins d'un relais infaillible.

On préfère aussi les grandes voies présentant des fissures qui seront autant
d'occasions de placer les câblés et les friends, voire un ou deux pitons, même dans
une voie équipée. Votre second vous renseignera sur la tenue de vos coinceurs et
n'hésitera pas à critiquer leur placement. Votre belle testera aussi la réelle capacité de
son poignet à récupérer ce massif universel que vous avez victorieusement planté
avec l'énergie d'un forgeron. Faudra-t-il l'équiper d'une petite chaîne (ou un câble) à
dépitonner ? A tester bien entendu en grande voie avant la montagne, en n'oubliant
pas de contracter fortement l'orbiculaire des lèvres avant l'éjection du piton sous
peine d'avoir à signer un redoutable devis chez votre chirurgien-dentiste préféré..
Si votre choute s'avère incapable de récupérer vos pitons, deux choses à faire :
Lire ou relire, 342 heures dans les Grandes Jorasses de René Desmaison110, où la
difficulté que rencontre Serge Gousseault à récupérer les pitons met son premier de
cordée dans une position de plus en plus délicate. De quoi vous imprégner des enjeux
de la montagne. La seconde est de prévoir d'emporter davantage de pitons, et, bonne
nouvelle pour votre compagne, elle pourra faire l'économie de l'emport d'un marteau.

Un jour de grande forme et dans une voie dotée d'une descente commode,
choisir de pique-niquer au relais de la dernière vire tranquillement malgré les signes
avant-coureurs du mauvais temps, puis finir la grande voie sous l'averse, est une
bonne idée qui vous fera lire autrement les futurs bulletins météo montagne : « Beau
temps. Risque d'orages dans l'après-midi. » Le granit à gros grains détrempé reste
étonnamment adhérent pour un grimpeur de calcaire, pour peu qu'il soit exempt de
lichen, auquel cas il devient une patinoire dangereuse.
Enfin, tachez de trouver une grande voie où une cheminée se grimpe en
ramonage (la voie des cheminées à Rochefort-Samson dans la Drôme par exemple),
et placez votre sac à votre pontet pendu entre vos jambes pour libérer votre dos. Les
cheminées sont plus fréquentes en montagne que sur les sites d'escalade.

Les rappels
Descendre en rappel ne pose plus de difficulté avec les outils modernes.
L'introduction sur le marché de cordes à double très fines et dont l'état de surface est
glissant du fait du traitement hydrophobe (spécialement quand la corde est neuve)
réclame cependant de la méfiance concernant la capacité de freinage des différentes
plaquettes ou descendeurs lors d'un rappel en fil d'araignée et/ou lourdement chargé.
On peut avoir avantage à entourer plusieurs fois la jambe (pantalon de rigueur) avec
la corde libre pour augmenter le freinage, ou bien utiliser un renvoi sur mousqueton,
110 342 heures dans les Grandes Jorasses, René Desmaison, éditions Flammarion, 1973.

93
ou encore utiliser le micro jul de la marque Elderid spécialement conçu pour les
cordes de 6,9 à 8mm.

Le nœud de jonction
La question du nœud de jonction n'a commencé à se poser qu'au début des
années quatre-vingt-dix. Auparavant, les rappels étaient vendus d'un seul tenant et il
ne serait venu à l'idée de personne de couper volontairement en deux sa belle corde
de rappel de 80 mètres pour risquer de coincer un nœud dans une fissure de la paroi.
Puis les rappels s'allongèrent. D'abord 90 mètres, puis 100. Porter l'objet et
surtout le plier devint une véritable épreuve. Comme on n'emmenait plus de corde
d'attache (la corde à simple) en plus du rappel déjà bien encombrant, il fallait gérer la
grande longueur de corde aux relais en évitant les nœuds, avec le problème
supplémentaire que le leader devait être encordé en milieu de corde et non aux
extrémités si l'on souhaitait assurer le second sur un brin et hisser le sac du leader sur
l'autre brin. D'où l'obligation de tout inverser au relais en cas de cordée réversible, ce
qui n'avait rien d'aisé sur des relais exigus.
Ces complications conduisirent de nombreux grimpeurs à sectionner leur
rappel en son milieu. Les fabricants tardèrent à s'adapter, par crainte sans doute
d'endosser la responsabilité de vendre deux brins séparés et dans l'attente prudente
d'une éventuelle nécrologie de la nouvelle pratique... Pendant ces quelques années de
transition, les cordées les plus modernes achetaient leur rappel et le coupaient aussitôt
sous les yeux médusés des anciens qui continuaient de lover avec abnégation leurs
quatre-vingt-dix mètres de corde. Puis l'offre commerciale rejoignit la demande des
clients et on se mit à vendre des rappels en deux brins séparés. Aujourd'hui, on ne
trouve plus que cela en magasin, sauf à acheter sa corde en bobine.

Les nœuds de jonction préconisés jusque vers la fin des années quatre-vingt-
dix était au nombre de deux.
- Le double nœud de pêcheur était la référence.
- Quand la corde était mouillée et qu'on craignait une grande difficulté à
dénouer ce premier nœud, les plus connaisseurs choisissaient le nœud de tisserand
(usage détourné d'un nœud marin : le nœud d'écoute), avec adjonction de deux
doubles nœuds d'arrêt. Ce nœud de tisserand était également utilisé pour abouter deux
cordes de diamètres différents, la corde de petit diamètre formant la ganse croisée. A
notre connaissance, ce nœud de tisserand n'a pas été testé récemment dans cet usage
de nœud d'aboutement. Le double nœud d'arrêt serait susceptible de fragiliser le nœud
quand il emprisonne le dormant. En l'absence de test, il ne peut être recommandé sans
réserve.
Le double nœud de pêcheur demeure par contre le nœud d'aboutement de
référence qui présente les meilleures valeurs de résistance. Il est du reste le seul
recommandé pour fermer durablement les anneaux de cordelette en nylon (triple
nœud de pêcheur pour la cordelette dyneema). Mais sa facilité à se coincer dans les
fissures ou derrières les angles de rocher a conduit à l'invention des nœuds de

94
jonction spécifiques au rappel. Ces nœuds sont apparus à la fin des années quatre-
vingt-dix, dans un anonymat de bon aloi pour éviter les éventuelles mises en cause
judiciaires en cas d'accident.

Nœud de tisserand avec ses doubles nœuds d'arrêt. Non testé récemment !

Aujourd'hui, qu'en est-il ?


1/ Le nœud de jonction préconisé par l'ENSA (et l'UCPA et le DPMC, voir ci-
dessous) pour un rappel est le nœud en huit avec les deux courants du même côté.

Nœud de jonction en huit

Aux États-Unis, ce nœud (appelé flat figure-eight bend) est considéré


dangereux à la suite d'accidents (Zion National Park en 2002, Grand Teton National
Park en 1997, Big Cottonwood Canyon en 1995, Seneca Rocks en 1994), les tests

95
effectués par Tom Moyer en 1999 achevant de convaincre ses compatriotes.
Cependant, les causes exactes de ces accidents sont restées inconnues (nœud mal
réalisé?) et le test n°4 de Moyer qui a le plus ému concerne un nœud volontairement
bâclé (brins croisés, nœud non serré).
Les tests réalisés en France par l'ENSA (voir la vidéo du 20 mars 2015 sur
Youtube) et ceux réalisés en 2012 par le DPMC (Développement Promotion Métiers
sur Cordes)111 ont cependant montré des valeurs de résistance à la traction suffisantes
pour la descente en rappel. Lors des tests, le nœud se retourne une fois, puis se bloque
jusqu'à rupture de la corde. Le retournement d'un nœud en huit « consomme »
davantage de corde libre que le retournement d'un nœud simple, aussi ne faut-il pas
oublier de laisser une queue libre d'au-moins 30 centimètres après le nœud.

2/ Aux États-Unis et au Royaume-Uni, on préconise le nœud simple avec les


deux courants du même côté. Ce nœud est appelé flat overhand bend ou
ironiquement European death knot, en précisant aussitôt que ce nœud a d'abord été
mis en cause par erreur dans les accidents mentionnés ci-dessus avant qu'on ne sache
que le nœud probablement utilisé dans ces accidents était le nœud de jonction en huit
qui, lui, mériterait ce surnom selon les Américains.

Nœud simple de jonction

Il peut également se retourner plusieurs fois, et ceci pour des valeurs


inférieures à celles du nœud en huit d'après les tests de l'ENSA. Ces valeurs restent
suffisantes pour descendre en rappel. C'est le nœud recommandé par les fabricants de
cordes Petzl et Béal, et par la FFME (avec 40 cm de corde libre). Il n'a pas la faveur
du DPMC.
Afin d'accroître la sécurité, certains auteurs (Mike Barter, Montagne Magazine,
111 Guide des nœuds et des amarrages dans les travaux sur cordes, résistances et applications, Marc Gratalon, Vincent
Lecomte, Isabelle Fouquet, Sylvain Bporie, Chris Bouilhol, Antoine Heil, 19 octobre 2012.

96
Petzl) recommandent d'ajouter un second nœud simple en butée contre le premier
pour l'empêcher de se retourner. Les tests montrent alors des valeurs plus
importantes. Le second nœud serait notamment très indiqué sur corde gelée ou sur
corde neuve à la gaine glissante. Il faut ici aussi laisser une queue libre d'au-moins 30
cm après ce second nœud. L'inconvénient est un nœud plus volumineux qui risque
davantage de se coincer.

Deux nœuds simples de jonction

Conclusion :
L'avantage de ces nœuds de jonction par rapport au classique double nœud de
pêcheur réside dans leur dissymétrie qui diminue le risque de coincement. Mais ils
sont moins durables et moins sûrs qu'un double nœud de pêcheur qui demeure le
nœud d'aboutement de référence dans l'industrie, quand deux cordes reliées doivent
servir toute une journée de travail (ou pour une séance en moulinette). Ceci veut dire
que l'utilisation du nœud de jonction, en huit ou simple, pour de nombreux rappels
successifs suppose qu'on vérifie de nouveau le nœud à chaque rappel et qu'on le
réajuste s'il a glissé.
Les différents tests semblent montrer une supériorité d'un nœud en huit bien
réalisé sur un nœud simple bien réalisé. Mais ils montrent aussi une très nette
supériorité du nœud simple mal serré sur un nœud en huit bâclé : mal serré et aux
brins croisés. Ce nœud en huit bâclé peut céder à des forces bien inférieures à celles
mises en jeu lors d'un rappel.
Un gros avantage du nœud en huit est son volume plus important qui se bloque
plus facilement contre un maillon rapide quand on désire descendre sur un seul brin.
Un gros avantage du nœud simple est qu'il est très difficile de le rater en
croisant les brins.
La conclusion est que si l'on ne se sent pas capable de réussir un nœud de
huit non croisé en forme de boule (et non de huit à plat, voir supra le nœud

97
d'encordement page 31), il semble préférable d'opter pour le nœud simple, ou les
deux nœuds simples.

Un nœud de jonction en huit bien formé est une boule.

Dans tous les cas, on laissera au moins 30 cm de brins libres après le nœud. Et
on serrera le nœud énergiquement en tirant le plus fort possible sur chacun des
quatre brins successivement.

_______________________________

En montagne, on aura souvent besoin d'aligner de nombreux rappels et la


cordée doit être bien rodée pour gagner du temps. Quand l'orage s'approche et qu'il
reste cinq ou six rappels, l'heure est à l'efficacité. Les brins doivent être
soigneusement pliés en écheveaux avant d'être lancés, le premier descendu installe le
relais suivant en changeant la cordelette, se vache, crie « libre ». Pendant la descente
du second, le premier installe déjà le brin à tirer dans l'anneau en pensant que le nœud
d'aboutement doit se trouver contre le rocher, ceci pour éviter l'effet de la plaquette
réverso (repris de la plaquette New Alp, elle-même reprenant la vieille technique du
frein-mousqueton décrite dans le livre de Patrice de Bellefon 112) : le brin du dessus
plaqué contre le brin du dessous bloque celui-ci.
Redescendre une grande voie en rappel (choisir une voie non fréquentée pour
éviter les chutes de pierres sur des cordées montantes) permet d'appréhender les
différents problèmes qui peuvent se poser: vent perturbant le lancer de corde, absence
de coulissement de la corde en raison d'un rappel trop long ou sous un surplomb,
coincement du brin tombé sur une racine, chute de pierres lors du rappel de la corde
ou de la descente du second (le premier peut avoir avantage à utiliser son sac à dos en
bouclier), gestion des traversées ou des grands surplombs en mousquetonnant
quelques points à la descente, gestion des pendules, etc.
Parfois, on moulinera le premier, notamment par grand vent, sur les deux brins.
112 Op. Cit., Patrice de Bellefon, p.84.

98
Expérimenter cette technique permet également d'anticiper un éventuel blessé qu'il
faudra un jour mouliner, s'il est encore suffisamment valide pour pouvoir penduler
pour trouver le relais suivant et se vacher dessus.
Quand la corde est mouillée elle coulisse beaucoup moins bien, surtout si elle
est installée sur une cordelette ou une sangle. Vous avez alors toutes les chances de ne
pas réussir à rappeler la corde si vous venez de descendre un long rappel de presque
cinquante mètres sans avoir abandonné un mousqueton ou un maillon rapide au relais
pour faciliter le coulissement. Quand vous aurez coincé votre corde et aurez été
obligé de remonter remédier au problème, vous vous résignerez, comme tout le
monde, à la dépense. Si la corde ne vient pas, tentez de changer l'angle de traction.
Parfois, si la longueur de corde est excédentaire, avant sa descente le second peut
avoir avantage à faire coulisser le nœud d'aboutement des deux brins en dessous
d'une fissure en « v » qui ne demanderait qu' à le coincer. Se souvenir aussi que le
Fortissimo (Giusto Gervasutti) s'est tué en 1946 en tirant un rappel d'abord
récalcitrant puis venu brusquement, tandis qu'il n'était vaché à aucun relais.
En descendant un long rappel, on surveille les deux extrémités des cordes avec
d'autant plus d'attention que celle-ci risque d'être détournée par la recherche inquiète
du relais inférieur. Une fois celui-ci repéré, on refrène son enthousiasme en pensant
que certains équipeurs facétieux placent leurs relais à 50 mètres pile, quand ce n'est
pas 51 mètres : les yeux sont alors rivés sur les bouts de corde.

Cette année-là nous avions remonté les premières longueurs de la cascade des Moulins
pour aller voir à quoi ressemblait le grand cigare en 6. Très impressionnés par les
immenses stalactites pendant de celui-ci, nous nous étions un peu attardés dans sa
contemplation, imaginant une ligne d'ascension mais sans aucune intention réelle de le
gravir. Nous enchaînions maintenant les rappels de la descente avec notre corde de
l'époque, mesurant 90 mètres. Dans la confusion des relais, je ne me souvenais plus très
bien où était le suivant et je descendais lentement le dernier tiers de la corde, concentré
sur l'extrémité qui s'approchait à une dizaine de mètres sous mes pieds. Où pouvait donc
se trouver ce satané relais ? Un pendule à droite m'avait convaincu qu'il se situait à
gauche, et tout à coup, je le vis à quelques petits mètres de moi, très proche alors que
mon regard avait cherché plus loin. Ne faisant ni une ni deux, et tout heureux, j'expédiai
la fin du rappel sans plus me soucier de l'extrémité, et tendis la main vers la vieille sangle
qui décorait le relais... juste à l'instant où mon descendeur, arrivé en bout de corde, se
libéra. Heureusement penché en avant, je tombai à genoux sur la glace plutôt qu'en
arrière et pus empoigner la sangle, tous poils hérissés, au lieu de voler dans les airs...
Dessous, il restait un ressaut d'une soixantaine de mètres...

Quand la longueur du rappel est inconnue et qu'on a aucune visibilité sur


l'extrémité basse de la corde, on peut être tenté de réaliser d'emblée un nœud en bout
de corde qui relie les deux brins. Cette façon de procéder crée souvent des torons
importants pendant la descente, lesquels sont pénibles à démêler pendant les derniers
mètres. On peut préférer réaliser un nœud sur chaque brin, ce qui limite la formation
des torons. Cependant, on agit rarement de cette façon car, si par malheur

99
(notamment par grand vent) un brin vient se coincer autour d'une branche ou d'une
écaille de rocher hors de portée pendant la descente, la présence d'un nœud peut
rendre impossible sa récupération. Quand on s'est battu une ou deux fois pour se
sortir d'une telle situation, on s'en souvient assez pour adopter une autre tactique. On
recommande actuellement de lancer les deux brins dépourvus de nœud en bout de
corde, de réaliser l'essentiel de la descente, puis, arrivé à une dizaine de mètres de
l'extrémité, de se laisser bloquer par son autobloquant, de ramener la corde restante à
soi pour faire à ce moment seulement le nœud de sécurité rassemblant les deux brins
en bout de corde.
Aussitôt après l'acquisition d'une corde neuve, n'oubliez pas de retirer les
bagues de plastique qui rigidifient les extrémités, et de les remplacer par un marquage
au feutre indélébile pour les retrouver facilement. Ces bagues augmentent en effet les
risques d'accrochage.

Autobloquant au-dessus ou en dessous du descendeur ?


Les manuels d'alpinisme proposaient il y a peu deux solutions pour placer le
dispositif d'auto-assurage en rappel : autobloquant au-dessus ou en dessous du
descendeur, avec une nette préférence pour le premier montage. Récemment, les
acteurs institutionnels de la montagne (ENSA, FFME, FFCAM) ont cherché à
systématiser un certain nombre de procédures dans le but d'éliminer les sources
habituelles d'accident, finalité évidemment louable. Il en a résulté au contraire le
choix univoque du placement de l'autobloquant sous le descendeur, ce dernier étant
souvent placé au milieu d'une longe à double étage afin de l'éloigner de
l'autobloquant. (On voit aussi certains auteurs proposer de monter l'autobloquant sur
la sangle de cuisse du baudrier.) Cette solution a été jugée moins accidentogène et
donc sécurisante à la fois pour le stagiaire et pour l'encadrant devant assumer une
responsabilité judiciaire. Elle est donc maintenant la seule enseignée.
Ceci ne signifie pas que le montage avec autobloquant au-dessus du
descendeur soit dépourvu d'avantages, et il est bon avant de traîner ses guêtres en
haute-montagne d'avoir saisi les tenants et aboutissants des deux techniques en les
ayant pratiquées, comme de s'être exercé à des rappels simples sans auto-assurage. Il
ne s'agit pas ici de corrompre un enseignement qui vous a été donné à juste titre, mais
de dépasser l'application scolaire de bases techniques élémentaires pour accroître
votre polyvalence.

Autobloquant sous le descendeur :


Avantages principaux :
Deux mains contrôlent le défilement de la corde sous le descendeur.
La tension de la corde est plus efficace quand elle est exercée à distance du
descendeur.
Le risque de serrage excessif du nœud autobloquant est réduit.
Inconvénients principaux :
On doit installer un second nœud autobloquant au-dessus du descendeur si

100
l'on doit amorcer une remontée sur corde fixe, ce qui arrive quand on a dépassé le
relais suivant qu'on a vu trop tard, situation malheureusement relativement fréquente.
Le descendeur à distance peut se coincer plus facilement au-dessus d'un
surplomb.
Il est difficile de descendre rapidement quand le terrain n'est pas raide.

Autobloquant au-dessus du descendeur :


Avantages principaux :
La remontée sur corde fixe (voir chapitre 3) est prête à l'emploi : Pendu à
l'autobloquant, on peut ôter son descendeur et installer par exemple un nœud de cœur
pour la pédale de pied.
Le passage d'un nœud est possible.
Sur corde gelée, le descendeur nettoie la corde de la glace adhérente à la
gaine, ce qui la prépare pour garantir l'efficacité du nœud autobloquant.
Inconvénients principaux :
La main supérieure servant à faire coulisser l'autobloquant manque pour
tenir la corde en aval. A ceci s'ajoute une proximité entre la main aval et le
descendeur qui rend moins efficace la tension de la corde. Le freinage est donc moins
efficace. On doit parfois pour pallier à cet inconvénient enrouler la corde autour d'une
jambe pour augmenter le freinage (cordes fines et neuves, sac lourd, rappel en fil
d'araignée).
Le serrage intempestif du nœud autobloquant est fréquent. Son blocage ne
doit pourtant pas être considéré comme un accident puisqu'il s'agit justement de ce
qu'on lui demande. On le débloque en repliant une jambe, en enroulant la corde
plusieurs fois autour de ce pied levé et en se dressant debout sur ce pied pour
soulager la cordelette.

La corde et ses nœuds intempestifs


En montagne, vous allez plier et déplier la corde de nombreuses fois, pour
changer l'encordement, sortir un brin pour grimper une longueur avec la corde à
double, en ranger un quand vous continuez à corde tendue, préparer un rappel, etc.
Deux brins de 50 mètres se plient en un clin d’œil et non durant un quart d'heure, ce
qui nécessite de s'entraîner.
Un brin de 8mm de 50 mètres tient facilement dans une main, même petite,
aussi il n'est pas besoin d'envoyer les ganses derrière la nuque. Les brassées se
prennent dans la paume en écartant les deux bras pour augmenter l'amplitude. Puis
on finit en formant une poupée, et non en saucissonnant le milieu de l'écheveau, afin
d'avoir un objet compact facile à fourrer dans le sac à dos.
Jadis, on pliait le rappel en écheveau en double à partir des extrémités plutôt
qu'à partir du milieu. On laissait avant le pliage 3 à 4 mètres de corde libre qui
servaient à se confectionner des bretelles pour porter la corde sur le dos. Aujourd'hui,
les brins d'un rappel sont deux cordes distinctes, on plie donc chaque brin
séparément.

101
Le pliage en écheveau toronne moins la corde que le pliage en couronne, il est
donc préférable avant de lancer un rappel.

Pliage en écheveau à gauche, en couronne à droite.

Par contre le pliage en couronne est plus rapide et permet de porter le brin en
bandoulière. Sa meilleure indication est au pied du dernier rappel qu'il faut fuir le
plus vite possible sous peine de recevoir les pierres des cordées suivantes. Tandis que
l'un tire la corde puis préparera le brin qui permet de se ré-encorder avec les anneaux
de buste, l'autre plie déjà, au fur et à mesure de sa récupération, le premier brin qui
vient, puis le passe en écharpe sans besoin d'ouvrir le sac . En quelques instants, la
cordée dégage de la zone à risque.
On doit s'exercer à plier les brins du rappel en écheveau et en couronne jusqu'à
savoir le faire très vite. Cela fera peut-être la différence à la prochaine chute de
pierres.

Ne pas faire de nœuds intempestifs avec une corde d'alpinisme relève de la


tautologie (même si les cordes récentes fines et très souples favorisent
malheureusement le paquet de nœuds rédhibitoire) : une corde d'escalade possède
deux bouts, pas un de plus, pas un de moins. Et, le croiriez-vous, ces deux bouts sont
reliés irrémédiablement entre eux. Voilà, et pas autre chose, la raison de tous vos
malheurs. Par surcroît, et comme par un fait exprès, un bout se trouve souvent en
dessous, l'autre au-dessus, preuve que Satan existe. Si vous cherchez à extirper le
bout du dessous en le tirant à travers le tas, vous créez l'insurrection.
Aussi, après avoir dénoué sa poupée, on ne jette pas le tout de façon
désordonnée sur le sol, mais on sort avec application le premier bout, on le pose en
évidence sur le rocher, puis on dévide sa poupée en « tas bien pensé » sans masquer
le bout sorti, jusqu'à arriver au second bout. Le premier de cordée s'encorde sur ce
dernier (qui est au-dessus du tas) tandis que le second peut dès maintenant s'encorder
avec le premier bout qui est sorti du tas et qui est en dessous. La possibilité pour le
second de s'encorder dès maintenant en étant sûr de ne commettre aucun nœud sera
plus tard une véritable aubaine quand, dans un terrain d'aventure inconnu, le premier

102
de cordée n'ayant trouvé aucun relais et ayant épuisé la totalité de la corde vous
demandera de commencer l'escalade avec précaution pour lui permettre d'atteindre le
bon becquet visible à cinq mètres, et faire enfin relais.
Au relais, si le premier de cordée repart dans la longueur suivante en tête, son
bout est en dessous. Si la corde est neuve, sa gaine bien lisse va se laisser coulisser
pendant que le second donne le mou. Mais sur une corde plus ancienne, il est
préférable de dévider toute la corde (les deux brins) depuis le bout du second jusqu'au
bout du premier pour remettre ce dernier au-dessus du tas. Surtout si la longueur
suivante est corsée et qu'il ne s'agit pas d'annoncer au premier de cordée en difficulté
dans un passage qu'un gros paquet empêche de lui donner du mou.
Une corde d'escalade possède donc deux bouts... et un sens.

La remontée sur corde fixe


Les spéléologues sont passés maîtres dans ce genre de techniques puisqu'il
s'agit souvent de la seule façon de remonter les puits. Leur pratique intensive sur des
hauteurs impressionnantes les a conduit à inventer de nombreuses techniques utilisant
du matériel sophistiqué, bloqueurs mécaniques de différents modèles - poignées-
bloqueurs, bloqueurs de poitrine, bloqueurs de pied - dans le but de réduire la fatigue
de la remontée, d'augmenter la vitesse, et de réduire les risques (fractionnement des
puits pour minimiser les frottements de la corde contre le rocher).
Si ces techniques sont souvent reprises telles quelles en big-wall où les
remontées sont encore plus considérables, elles doivent être adaptées à la pauvreté du
matériel emporté dans une course d'alpinisme où le poids est compté et la remontée
sur corde fixe, accident de parcours, improvisée dans l'urgence. Il s'agit alors de sortir
de la crevasse ou de remonter le rappel coincé avec le matériel dont on dispose à cet
instant.
Le rappel ne se remonte évidemment qu'à la condition qu'on ait encore à sa
disposition les deux extrémités. Si on ne les a pas, on grimpe en s'assurant en premier
de cordée avec la portion de corde qu'on a pu rappeler, jusqu'à la seconde extrémité
qui pend en l'air, puis on démarre la remontée sur corde à cet endroit. On remonte en
emprisonnant les deux brins à la fois dans les autobloquants.
La remontée n'étant pas prévue, le fractionnement préparé à la descente des
spéléologues à l'aide de nœuds papillons ne peut bien entendu pas être réalisé. Lors
de la remontée d'un long rappel coincé, cet apparent point de détail, conjugué à
l'utilisation d'une corde dynamique (effet yo-yo) et non statique, et de faible diamètre,
augmente le risque d'usure prématurée de la corde à l'endroit où elle frotte contre une
saillie du rocher. Cet endroit se trouve hors de vue pendant l'essentiel de la remontée,
et il est donc impossible de surveiller l'intégrité de la gaine pendant la remontée. Le
second à descendre pensera donc pour tout rappel de grande hauteur (proche de la
totalité de la corde disponible) à jeter un coup d’œil sur l'appui de la corde contre le
rocher dans les premiers mètres de la descente, et à corriger cet appui en décalant
latéralement la corde s'il s'agit d'une arête saillante, ou pourquoi pas dans les cas
rédhibitoires émousser soigneusement cette saillie de quelques coups de marteau en

103
avertissant le compagnon déjà descendu qui va en recevoir les éclats. Pendant la
remontée, on adoptera également la délicatesse et la légèreté d'une ballerine, en
empathie totale avec la souffrance de cette portion de la corde encore si loin et qu'on
voudrait bien atteindre avant qu'elle ne se sectionne tout à fait sous nos yeux à trois
ou quatre mètres du relais...
Il est exclu de faire l'impasse sur la remontée sur corde fixe. Les
complications, souvent minimisées dans le discours, que représente la mise en œuvre
d'un mouflage rendent la remontée sur corde fixe incontournable sur glacier enneigé.
Lors d'une chute en crevasse, si aucune autre cordée ne peut être appelée
immédiatement pour tirer à plusieurs sur un mouflage simple tout en empêchant la
corde de fendre la lèvre de la crevasse, oublier le mouflage et envisager la remontée
sur corde fixe est faire preuve de réalisme. Ce qui ne signifie pas que vous n'ayez pas
à apprendre la confection du mouflage mariner... (Le mouflage mariner n'est pas
diabolique et n'est rien d'autre qu'un mouflage de mouflage. Voir appendice 3 en fin
d'ouvrage.)
Votre préparation technique prioritaire avant votre première course d'alpinisme,
avant la moindre balade sur glacier enneigé, est donc la remontée sur corde fixe avec
un matériel minimum, c'est à dire avec deux cordelettes de 6mm, fermées en anneaux
par un double-nœud de pêcheur, l'un de 60cm pour le baudrier, l'autre de 120cm pour
la pédale de pied.
Des nœuds autobloquants, nœud de Prusik (du nom de son inventeur Karl
Prusik, Autrichien d'origine tchèque né en 1896, président du club alpin autrichien
avant guerre puis membre du club alpin nazi après l’Anschluss) ou un nœud de
Machard (du nom de Serge Machard, grimpeur marseillais né en 1945), permettent
de fixer ces anneaux à la corde fixe, et de les coulisser vers le haut l'un après l'autre
pendant la progression.
On place l'anneau de 120cm en dessous de l'anneau de 60cm. En se levant sur
la pédale, la corde se tend et facilite le déplacement de l'autobloquant du baudrier
vers le haut. Une fois celui-ci glissé au maximum vers le haut, on s'assied dans le
baudrier, puis on plie la jambe pour monter l'autobloquant du bas, et ainsi de suite.

Nœud de Prusik. Aux USA, on le réalise souvent avec six spires.

104
Nœud de Machard.

Autobloquant français, dit parfois Machard français.


Ne bloque que dans un sens.

La seconde technique à connaître utilise l'anneau de 60cm pour le


baudrier, et un nœud de cœur en remplacement de l'anneau de 120cm.

105
Le nœud de cœur, très facile à réaliser.

La corde forme un nœud de cœur autour des deux mousquetons côte à côte. Une sangle est fixée
dans le bas des deux mousquetons. Cette sangle forme une tête d'alouette autour du pied pour
réaliser une pédale bien serrée.

L'avantage de cette technique est une grande rapidité pour une fatigue réduite,
mais elle nécessite de ne pas démarrer pendu en bout de corde. Vous ne pourrez donc
utiliser cette technique qu'après avoir amorcé la remontée par la première technique

106
pour avoir un peu de corde libre, ou bien sur glacier, en utilisant la réserve de corde
d'un encordement en N. C'est la technique qui nécessite le moins de matériel puisqu'il
suffit d'un anneau de cordelette, de deux mousquetons pour le nœud de cœur (de
préférence de même modèle pour un blocage plus sûr), et d'une petite sangle pour la
pédale.
Vous devez être parfaitement à l'aise dans ces remontées, et ce doit être une
formalité de les réaliser sur votre couenne habituelle. Entraînez-vous également avec
votre sac à dos, chargé suffisamment pour vous mettre en situation. Si la couenne est
raide, retirez le sac de votre dos et laisser le pendre entre vos jambes vaché au pontet
de votre baudrier. Si la couenne est une dalle peu pentue, le second pied prend appui
sur la paroi, et on conserve le sac sur le dos pour éviter qu'il ne frotte la paroi et ne
provoque des chutes de pierres.
Sur un glacier, une fois dans la crevasse, retirer votre sac sera souvent la
première chose à faire. D'abord, pour vous décoincer dans une crevasse étroite et
gagner un peu de liberté de mouvement. Ensuite, pour prendre un matériel manquant
ou un vêtement supplémentaire. Les ponts de neige s'écroulent en effet rarement à
l'aube, mais en milieu d'après-midi quand vous revenez de votre escalade en plein
soleil et vêtu seulement d'un tee-shirt. Une fois dans la crevasse, on est plongé
brutalement à la cave ou plutôt au congélateur, le refroidissement est rapide. Votre
frontale peut également vous manquer. Pendu à la corde lors de votre entraînement
sur votre couenne favorite, occupez-vous donc de votre fourbi comme si vous y
étiez : accrochez votre piolet à un porte-matériel du baudrier, mettez une sangle à
votre pontet en tête d'alouette, accrochez-y votre sac à dos, retirez vos lunettes de
glacier et mettez-les dans la poche du rabat, sortez une fourrure polaire et enfilez-la,
installez votre matériel de remontée, etc. Quand vous y serez pour de vrai, tout sera
plus facile...
N'oubliez pas que dans une crevasse, les difficultés s'accumuleront. Le stress
de la situation, l'incertitude que votre compagnon de cordée est capable de tenir la
corde - A-t-il réussi à fabriquer un ancrage correct dans cette neige molle ? - Votre
remontée doit être efficace et sans à coup. Merci pour lui. Il ne s'agirait pas d'arracher
le méchant piolet qui fait office de relais de fortune et de l'entraîner avec vous.

Répétez ces techniques et peaufinez-les. Remontez sur deux brins de corde


comme sur un brin. Procurez-vous également un bloqueur mécanique léger, comme
le tibloc de Petzl ou le ropeman de Wild Country, qui permettra aussi la mise en place
rapide d'un mouflage simple pour aider ponctuellement votre second ou hisser un sac.
Et expérimentez ce bloqueur à la place de l'anneau de 60cm. Le machard sur
mousqueton est également très agréable à utiliser car il coulisse plus facilement qu'un
nœud de Prusik. Le machard croisé sur sangle est à essayer, au cas où.

La remontée sur corde fixe est sans aucun doute, parmi les manœuvres de
corde, la première arme contre les embrouilles de la montagne.

107
Machard sur mousqueton, très agréable à faire coulisser. Attention,
en s'agrippant au mousqueton on desserre l'autobloquant.

Vous avez égaré votre anneau de cordelette ? Ne perdez pas


espoir, et utilisez le machard tressé sur sangle. Éviter la sangle
en dyneema pour cette utilisation (fusion facile).

108
Été 2001: Pour notre septième saison d'alpinisme, nous avons de grandes ambitions. Nous
venons de réussir la voie des Savoyards à la Dibona et nous ne sommes pas peu fiers. Avant les
vacances, nous avions poussé une reconnaissance au fauteuil, ce socle facile situé au bas de la face
sud de la Meije, en vue de gravir plus tard la voie Pierre Allain. Nous y sommes. Nous remontons
dans la nuit les premières longueurs que nous avons parcourues de jour deux semaines auparavant.
Nous reconnaissons jusqu'à nos emplacements de coinceurs et filons assez vite vers le début des
difficultés. Après les premières dalles se présente un grand dièdre assez raide vers lequel nous nous
dirigeons, attirés par quelques sangles qui pendent ça et là. Nous allons nous entêter à forcer ce
dièdre directement, puis par la droite, puis très à gauche, montant, redescendant les impasses en
rappel, plusieurs fois, pour de nombreuses heures, cherchant à comprendre au moins l'itinéraire
maintenant que l'horaire est gâché donc la course fichue pour cette fois. Nous prenons également de
nombreuses photographies pour les confronter au topo. Puis, le cœur gros, nous nous résignons à la
descente, que nous connaissons puisqu' empruntée quinze jours auparavant. Désescalade des pentes
faciles, pose d'un long rappel dans la cascade de droite. Nous voilà au pied de ce rappel, dans cette
gorge lugubre et nous tirons sur la corde qui coulisse d'abord... puis refuse de venir. Après moult
essais en tous genres, il faut nous avouer vaincus. Le rappel est long (presque nos 50 mètres), la
corde frotte en haut contre le rocher, et surtout, elle est gorgée d'eau car le débit de la cascade est
plus important que la dernière fois pour cause de fonte du névé supérieur. Mais notre corde est déjà
ancienne donc non précieuse et nous savons que quelques mètres de désescalade nous amènent à un
second rappel, très court celui-là, qui nous dépose sur le petit glacier du pied de la face sud. Aussi
nous décidons d'aller couper le morceau à notre disposition le plus haut possible, pour aller installer
celui-ci en corde fixe abandonnée au petit rappel en contrebas. Aussitôt dit aussitôt fait. Avec une
vingtaine de mètres de corde, nous dégringolons joyeusement jusqu'au second rappel... pour nous
apercevoir que la rimaye, depuis quinze jours, était passée d'une fente presque invisible à un canyon
gigantesque et béant, absolument impossible à franchir avec le pauvre morceau de corde que nous
venions de récupérer. Nous avions fait la grosse bêtise...
Comme nous avions tiré de toutes nos forces avant de couper la corde pour en récupérer le
maximum, par élasticité, le bout coupé étaient remonté très haut. Après quelques minutes de
réflexions concernant nos différentes options, nous décidons de rabouter notre morceau de corde à
la corde coupée, puis de remonter la cascade sur les deux brins du rappel coincé. Ma copine est
volontaire. Elle grimpe les premiers rochers glissants sous l'eau de la cascade, assurée par nos vingt
mètres et un coinceur. Une fois la jonction rétablie avec beaucoup d'efforts, déjà trempée jusqu'aux
os, la remonteuse d'élite entame sa longue ascension en faisant coulisser ses deux nœuds de Prusik,
et atteint enfin le relais en grelottant. Nous faisons des essais de coulissement, communiquant avec
difficulté, chacun à une extrémité de cette haute cheminée de 50 mètres. Malgré l'abandon d'un
mousqueton, la corde ne veut rien savoir. Aussi dois-je à mon tour remonter la corde fixe sous la
cascade, avec le premier sac sur le dos, et le second sac pendu au pontet de mon baudrier... Nous
arriverons tard ce soir-là récupérer nos affaires au Promontoire où Marielle, la gardienne, nous dira
en souriant que c'est sans doute ainsi qu'on apprend sans faute la montagne.

La cascade de glace
Une journée de cascade de glace ressemble à une course d'alpinisme en
miniature : marche d'approche dans la neige, équipement au pied de la cascade,
quelques longueurs techniques, une descente en rappel, un retour dans la neige.
Passer une journée à grimper dans le froid, parfois sous les chutes de neige, engoncé

109
dans des vêtements chauds qui dissimulent en partie les porte-matériels, avec des
gants qui gênent dans la manipulation des mousquetons, est très formateur. Un très
bon rochassier ignorant des techniques de glace demeurera un montagnard incomplet
qui pourra échouer dans une course AD comme la traversée de la Meije en raison des
quelques longueurs de glace en face nord. La cascade de glace sera incontournable,
pas forcément dès la première année, mais plus tard pour la progression.

Il est difficile de commencer seul en cascade de glace, l'escalade étant souvent


exposée sauf à truffer la longueur de broches, ce qui reste tout à fait possible si on a
la chance de trouver une cascade peu fréquentée. Mais il faut reconnaître qu'un stage
de glace par an jusqu'à atteindre l'autonomie, avec un guide aimant vraiment la glace,
est la meilleure façon de procéder.
La gestuelle en piolet-traction est la même que l'escalade à la salle à l'exception
notable de la frappe. Il va s'agir de pouvoir ancrer et désancrer plusieurs fois de suite
le même piolet, car il faut parfois redoubler la frappe pour obtenir un bon ancrage,
sans être déséquilibré, sans fatigue excessive pour maintenir la position, et avec
suffisamment de puissance dans le bras.
Quand l'inclinaison est faible, la glace se trouve loin du corps, à la fois pour les
pieds et pour les mains. Il n'est donc pas difficile d'ancrer les pointes frontales des
crampons plus haut, ou de frapper la glace comme un service de tennis. Si la pente
n'est pas assez forte, la glace peut même se trouver trop éloignée du haut du corps, de
sorte qu'on est obligé d'être quasiment couché pour progresser en piolet-traction. On
atteint les limites de la technique. Il vaut peut-être mieux alors sortir la lime... affûter
correctement les pointes inférieures de ses crampons, et évoluer en cramponnage 10
pointes.
Quand la pente se redresse, la glace se rapproche , jusqu'à devenir bien trop
proche. Le débutant ne voit alors plus ses pieds, et tape l'avant de la chaussure au lieu
d'ancrer les pointes frontales des crampons. Quand la pente sera encore plus raide, et
pour peu qu''il ne soit pas d'une grande souplesse, il ne pourra plus taper que des
genoux contre la glace quand il voudra monter les pieds. De la même façon, la frappe
de son piolet part du coude et se trouve dépourvu de puissance, parce qu'il n'a plus la
distance nécessaire pour réaliser un mouvement d'ampleur partant de l'épaule, de type
service de tennis. Quel est donc le secret ?
La réponse réside dans le bassin qui va être décollé de la glace pendant la
montée des pieds, et au contraire collé à la glace avec le dos cambré une fois les pieds
montés, pour sortir le plus possible l'épaule qui va frapper. Réussir à décoller le
bassin pendant la montée des pieds suppose de ne pas avoir ancré les piolets trop
haut, en extension complète, car il faut pouvoir casser le corps vers l'arrière, fesses
sorties, jambes tendues, bras tendus. (Ancrer trop haut rend également très difficile le
désancrage, au cas où la première frappe n'aurait pas donné satisfaction.) Ainsi, on
voit facilement entre ses jambes toutes les prises qui s'offrent aux pieds, et ceux-ci
ont le recul nécessaire pour frapper la glace. Il n'y a plus besoin d'avoir une souplesse
extraordinaire de la cheville pour ancrer les pointes frontales plutôt que la chaussure.

110
Car on est loin de la glace. N'hésitez pas à être caricatural dans cette cassure du corps
et cette projection du bassin vers l'arrière. Ceci va vous permettre de monter très haut
les pieds. Dès que les pieds sont montés, de part et d'autre du piolet que vous allez
conserver, plaquez le bassin contre la glace et cambrez le dos le plus possible en
sortant les épaules. Souplesse bienvenue dans ce sens pour pouvoir mettre le plus de
distance possible entre l'épaule qui va frapper et la glace. Vous obtenez ainsi un
dégagement immense pour une frappe puissante.
Le second point important consiste à se diriger vers le piolet qu'on va garder.
Si vous conservez le piolet de la main droite, commencez par vous diriger à droite
pour vous retrouver centré par rapport à ce piolet, sans nécessairement monter, mais
par un petit pas chassé de côté. Cela évite au moment du désancrage de l'autre piolet
puis lors de la frappe, de tourner comme une porte sur ses gonds. Pour grimper de
façon la plus rectiligne possible, donc gagner en rapidité, la conséquence est de tenter
d'ancrer le piolet le plus possible au-dessus de l'autre piolet, sur une même verticale,
ce qui suppose de bien monter les pieds à chaque ancrage pour conserver un écart de
sécurité suffisant entre les deux piolets, et de garder le coude tirant bien vers le bas
pour éviter que le piolet ne sorte quand on l'exploite complètement.
Pour les cascades encore plus raides, grimper de face ne suffit plus, sauf
souplesse exceptionnelle. La seule façon de plaquer le bassin et de sortir les épaules
est d'utiliser les lolottes. On joue alors les essuies-glaces avec les talons. On essaie
les talons tournés à gauche, si on n'est pas à l'aise, on les tourne à droite. Il y a
forcément un sens où ça va mieux. Un fort glaciériste fera ici la différence par sa
capacité à continuer de monter très haut ses pieds. Ainsi, un immense champ de glace
s'offre devant lui pour l'ancrage suivant. Au même endroit, le plus faible grimpeur,
faute d'avoir monté suffisamment ses pieds, sera contraint d'ancrer le piolet presque à
la hauteur du second piolet déjà ancré, ce qui lui fait faire du sur-place et peut même
le mettre en danger s'il casse la glace trop près de l'ancrage qui le retient.

Pour brocher, on a les pieds écartés, le dos cambré, le bassin contre la glace.
On se tient au piolet de sa main la moins adroite, et on broche au niveau de la hanche,
c'est à dire là où on a le plus de force, avec sa main la moins gauche. Pour
mousquetonner avec les gants, si ceux-ci sont un peu gros, on peut raidir la corde au-
dessus de la broche en la tenant entre les dents, et saisir à pleine main la dégaine en
appuyant le doigt du mousqueton contre la corde tendue.
Si vous êtes à la rue, évitez la course en avant sans brochage sous prétexte que
vous ne trouvez pas de position de repos. Tachez de replacer vos pieds de part et
d'autre de votre piolet le moins mauvais, peu importe s'il n'y a pas de prises à cet
endroit. C'est ici que vous devez être. Tapez alors avec les crampons plusieurs fois
pour vous ménager des petites prises de pieds. Une fois à peu près équilibré,
désancrez votre piolet minable et replantez-le pas trop loin mais à distance du premier
piolet pour ne pas dépendre de la même zone de glace. Ancrez autant de fois que
nécessaire au même endroit pour avoir un ancrage béton. Puis lâchez l'autre piolet,
décrochez la dragonne et vachez-vous avec la vache courte que vous avez en

111
permanence à votre pontet à votre piolet sûr. Mettez-vous en tension. Ouf ! Vous êtes
sauvé. Brochez tranquillement. Le style a été très laid, soit. Mais vos chevilles, qui
ont évité la réception d'un vol crampons aux pieds, restent en bon état. Ceci
compense cela...

Exercice en moulinette dans une cascade de degré 4+


au Vallon de la Selle (Oisans)

Dans le raide, un grand nombre de stalactites gêne la progression et le


brochage. N'hésitez pas à nettoyer en cassant tous ces petits cheveux inutiles. Vous
êtes autorisé à vous frayer un chemin. Derrière ces rideaux, vous trouverez

112
certainement des zones plus solides et plus compactes qui vous permettront de
brocher. (Vous serez heureux d'avoir au moins une broche dépourvu de patte, comme
le modèle 360 de Grivel, pour pouvoir brocher dans des trous.) Par contre, ne vous
attaquez pas à cette colossale stalactite qui ne vous a rien fait et que vous pouvez
facilement éviter, alors que des cordées en dessous risquent de la prendre sur la
figure. Si elle vous fait vraiment peur, cassez en juste une petite pointe après avoir
prévenu la population de se mettre aux abris.

Dès que la gestuelle de base est acquise, un bon enseignant propose à ses
élèves de tenter une cascade facile en premier de cordée. La manière efficace du très
pédagogue Claude Vigier, au GUC de Grenoble, consistait à placer d'avance une
broche sur deux, dégaine mise, aux pas stratégiques de la longueur, afin de diminuer
l'exposition et de renforcer la confiance de l'apprenti. En cas de difficulté, on savait
qu'on pouvait se ruer sur la dégaine en enfilant instantanément la lame du piolet dans
le mousqueton pour échapper au vol.
Une fois un minimum autonome, une bonne séance peut consister à grimper
une longueur en tête en plaçant les broches puis de répéter la longueur en moulinette
en variant au maximum la gestuelle, en minimisant les ancrages pour savoir quand ça
décroche et quand ça tient, puis en changeant les passages en plaçant au besoin une
broche en renvoi vers le haut de la longueur pour décaler la corde vers une zone plus
raide ou de glace très mince. Il n'y a aucune raison pour que l'ensemble de votre
répertoire gestuel de grimpe ne devienne pas reproductible en glace, et c'est en
moulinette que vous pourrez vous essayer, vous aussi, à une escalade en glace
débridée. Lolottes, drapeaux, griffages des colonnettes avec les pointes inférieures du
crampon, exploitation des trous pour enfiler les lames de piolet, tout est possible. Si
votre ouverture de bassin est honorable, essayez la position de la grenouille, très
reposante dans le très raide, qui peut parfois avantageusement remplacer une lolotte.
La fabrication d'abalakovs variés termine la séance, indispensables pour
redescendre ou pas, en guise d'exercice. Au pied de la cascade mais hors des chutes
possibles de glace, on cherchera à les réaliser le plus rapidement possible,
l'inclinaison des broches étant la principale difficulté. Les deux tunnels doivent se
rejoindre le plus profondément possible pour augmenter l'épaisseur de glace et donc
la solidité. On recommande maintenant des tunnels verticaux plutôt qu'horizontaux,
pour éviter une coïncidence avec une fracture horizontale de la cascade. Des
abalakovs complexes comportant trois tunnels peuvent être expérimentés.
Pour des ancrages de piolet faciles et un brochage sûr, sachez enfin que la glace
possède la température idéale, proche de zéro degré, les jours de neige, quand ceux-ci
correspondent bien à un redoux modéré. Aussi, n'annulez pas trop vite votre sortie
pour cause de sybaritisme...

______________________

113
L'anomalie dilatométrique de l'eau
Les choses les plus simples recèlent parfois des complications insoupçonnées.
L'eau, à priori la simplicité même, présente une caractéristique déroutante. Alors que
la plupart des matières se contractent en se refroidissant, l'eau fait un peu n'importe
quoi.
Tout le monde sait, bien entendu, qu'une conduite d'eau gelée risque d'éclater
en raison de l'accroissement du volume de la glace par rapport à l'eau liquide. On a vu
aussi son glaçon flotter dans son verre d'eau, en raison de la plus faible densité de la
glace du fait de ce volume accru. Alors pourquoi donc ces glaciéristes nous disent que
par temps froid, la contraction de la glace de surface augmenterait le risque de la
fendre à coups de piolet puisque la glace serait sensée se dilater ?
En réalité, l'eau en se refroidissant depuis sa température d’ébullition, se
contracte d'abord comme tous les corps, et ce jusqu'à atteindre la température de
3,98°C environ. Elle atteint alors son maximum de densité. Puis en continuant de se
refroidir, elle se met à se dilater. La cause de cette dilatation réside dans les liaisons
hydrogène (liaison à 90% électrostatique unissant un atome d'oxygène à un atome
d'hydrogène de la molécule voisine) qui lient les molécules d'eau entre elles. Ces
liaisons hydrogènes peuvent se tordre aisément dans l'eau liquide, mais deviennent
pratiquement rectilignes dans l'eau solide, obligeant les molécules à s'assembler en
tétraèdres, le tout occupant alors davantage de place. Vers 0°, juste avant son point de
congélation, sa densité est comparable à celle qu'elle avait vers 6 ou 7°. Puis la
densité chute brutalement, donc le volume augmente brutalement, quand la glace se
forme, car toutes les liaisons hydrogène deviennent rectilignes. Cette augmentation
de volume se poursuit un peu en-deçà de 0° « jusqu'à ce que la glace soit environ 1/9
plus rare que l'eau » s'exprimait Ernst Gottfried Fischer113 (1756-1831), puis comme
tous les solides, elle se met à se contracter si la température baisse encore.
La dilatation produite par la congélation est d'environ 9,09%, et peut entraîner
des forces de l'ordre de 10 à 20 Mpa (100 à 200 kgf/cm²) 114. La congélation de l'eau
infiltrée dans les fissures de rocher favorise donc leur fracture (dite cryoclastie) ainsi
que la création d'un jeu autour des pitons plantés. Il est par conséquent d'autant plus
nécessaire de retaper ces derniers et de se méfier des prises entourées de fissures si
on est la première cordée à fréquenter le lieu après de longues périodes de froid.
Mais, plus que l'intensité du froid, c'est la fréquence des cycles de gel et dégel qui est
en cause.
Au contraire, la contraction d'une glace déjà formée lors d'un refroidissement
brutal supplémentaire (d'environ 6 à 8°C par heure pour la température de l'air, ce qui
peut arriver en hiver) peut raccourcir une cascade de glace 115 qui se trouve écartelée
entre ses ancrages. Le conflit entraîne des contraintes, souvent maximales au niveau
de l'ancrage supérieur de la cascade, et le grimpeur par ses coups de piolet et de
113 Physique Mécanique, Ernst Gottfried Fischer, 3ème édition Paris, 1819.
114 Géologie de la surface, Michel Campy, Jean-Jacques Malcaire, Cécile Grosbois, éditions Dunod, 2013.
115 Étude sur le comportement mécanique des cascades de glace, Jérôme Weiss, CNRS Grenoble/Fondation Petzl,
2006.

114
crampons peut être simplement le petit facteur déclenchant de l'effondrement (pour
les cascades raides) d'un édifice en pleine crise.
Sur une cascade couchée, l'effondrement n'est pas à craindre, mais la glace de
surface se refroidissant à la température de l'air se contracte alors que la glace plus
profonde est sous isolant et continue d'occuper le même volume. La surface va donc
éclater au moindre coup de piolet et l'on va décrocher des assiettes au moment des
désancrages qui vont soulever les protestations des cordées suivantes.
Dans un couloir de montagne, la contraction de la glace en fin de nuit très
froide peut libérer des cailloux emprisonnés dans la pente.
Enfin, un réchauffement, en dilatant la glace, créera des efforts de compression
qui s'opposeront à la propagation des fractures. On y grimpera plus en sécurité.
On ne confondra plus la dilatation produite par la congélation de l'eau et la
contraction d'une glace en glace plus froide.

Une autre singularité de l'eau peut intéresser le glaciériste frileux. D'une façon
générale, les corps présentent des points de congélation et de fusion identiques. Mais
dans certaines conditions, notamment en cas de refroidissement rapide, et à la
pression atmosphérique « normale », l'eau liquide peut exister à des températures
inférieures au point de fusion. On dit qu'elle est en surfusion, état métastable dont la
limite estimée est à -39°C. Cette eau en surfusion ne demande qu'un germe ou un
choc pour se congeler.
Ce peut être un morceau de glace ou de la poussière. L'exemple le plus
célèbre116 est celui de décembre 1942 en Russie où un millier de chevaux se sont jetés
dans le lac Ladoga pour fuir un incendie de forêt produit par des bombardements
aériens. On entendit un grand bruit et le lac se figea, emprisonnant les animaux (avec
une eau à -10°C, 14% se transforme en glace).
Autre illustration, une eau en surfusion à -21°C versée dans une tasse y crée
instantanément de la glace.
Le glaciériste ne s'étonne plus alors quand il reçoit de l'eau très froide d'une
cascade qui coule, alors que le soleil est absent et que la température est proche de
0°C, que celle-ci se transforme immédiatement en glace au contact de son matériel et
de ses vêtements. Il s'agit d'une eau en surfusion qui va le refroidir beaucoup plus
rapidement que ne l'aurait fait un froid sec plus intense. Une veste gore-tex
transformée en carapace, des gants trempés et gelés... L'onglée est à prévoir au pied
de la cascade.

Enfin, la capacité frigorifique de la glace117 mérite d'être connue. L'élévation de


1°C d'1 kg d'eau absorbe 1 kcal, tandis que l'élévation de 1°C d'1 kg de glace
n'absorbe que 0,5 kcal. La glace, tant qu'elle reste de la glace, refroidit donc deux fois
moins que l'eau.

116 La glace, Jean-Pierre Michel, Bulletin de l'Union des Physiciens, vol.95, juin 2001, 1023-1035.
117 Ziegra.com, information sur la glace.

115
Au contraire, la fonte d'1kg de glace absorbe 80 kcal, ce qui signifie que la
capacité frigorifique de la glace est maximale à son point de fusion. Le danger de
refroidissement de l'alpiniste est plus grand en présence d'une glace qui va fondre à
son contact qu'en présence d'une glace froide qui va rester en glace. On remarque que
les enfants jouant dans le froid au retour de l'école époussettent naturellement leurs
pantalons entre deux boules de neige. Ils évitent ainsi de laisser la neige fondre à leur
contact, empêchant un refroidissement radical qui arrêterait la partie. De la même
façon, les randonneurs nordiques au long cours devant affronter au campement des
températures nocturnes inférieures à -25°C savent que la balayette est un outil de
survie au même titre que la pelle. Il n'est pas question de laisser la neige des
vêtements entrer dans la tente pour se transformer en eau en volant les précieuses
calories à ses habitants.
_____________________

116
Chapitre 4 : La première course
« Car il ne se peut pas que les Français soient lâches, - Mais ils ont oublié
qu'ils étaient courageux. » Charles Péguy118
« Si je me tuais dans les Calanques ou dans du facile, je n'oserais plus sortir. »
Robert Gabriel119

En somme, vous avez commencé à grimper à la salle voici bientôt un an, vous
connaissez quelques sites d'escalade à côté de chez vous, et vous avez fait vos armes
dans des voies de rocher de plusieurs longueurs. Vous avez même été une fois dans
une voie ancienne, équipée d'un mélange de spits et de pitons et dans laquelle il est
préférable de compléter l'assurage par des coinceurs et des sangles. Dans ce terrain
d'aventure, qu'on appelait il n'y a pas si longtemps encore varappe, du nom de deux
couloirs rocheux qui descendent du Salève, cette montagne proche de Genève, vous
avez pu taper sur quelques vieux clous dont certains étaient ad hoc tandis qu'à
d'autres, votre grand-mère, en ménagère consciencieuse, aurait refusé de pendre son
linge. De quoi aiguiser le sens critique. Si un jour, vous en avez l'occasion, des
escalades de ce genre sont à faire en Chartreuse. Par dérision, les grimpeurs du cru
appellent le mélange de rocher douteux, de terre et d'herbe, le mixte chartrousien.
Arrivés sur votre lieu de vacances, vous et votre copain – ou copine - vous êtes
inscrits à une école de glace. Un guide de haute montagne habile vous a enseigné en
une paire d'heures les rudiments du maniement du piolet et des crampons :
cramponnage dix pointes, mixte et frontal, techniques du piolet-canne, piolet-appui,
piolet-ancre, piolet-ramasse, piolet-rampe et piolet-traction. Vous avez vu la
différence entre la technique académique et l'aisance de quelqu'un qui a les crampons

118 Jeanne d'Arc, Charles Péguy, 1897.


119 Op. cit., Georges Livanos, p.28.

117
aux pieds à longueur d'année. Certains sont capables de danser avec leurs crabes.

Vous allez choisir pour votre première course d'alpinisme une course de neige
facile.
La haute-montagne, c'est autant la neige que le rocher, voici pour la neige ;
autant l'humilité que la performance, voilà pour le facile. Il ne s'agirait pas de donner
dans l'ascensionniste bancroche : rochassier passable, glaciériste ajourné. La neige, ça
glisse ; judicieux pour l'équilibre. La neige, ça dépend des conditions : épaisse, fine,
avec rocher ou glace affleurants, stable ou instable ; parfait pour entretenir l'attention.
La neige, ça change radicalement avec l'heure ; occasion à saisir pour ne plus être le
saint-lambin houspillé de votre grand-mère. La belle montée de l'aurore en neige dure
que vos semelles ont marquée avec confiance et sécurité s'est transformée à midi en
une descente hasardeuse d'une soupe malsaine que vos crampons peinent à saisir.
Quelques heures d'ensoleillement ont tout changé.

Votre première course sera d'altitude modérée, réalisée en début de saison, une
fois les pentes purgées de leur neige de printemps.
Les crevasses sont alors bien bouchées, souvent réduites à une simple fente
qu'on enjambe (attention aux exceptions). La neige abondante facilitera la descente
des pentes raides car les crampons imprimeront des marches profondes sécurisantes
quand plus tard la glace demanderait une aisance supplémentaire pour faire mordre
l'extrémité des dix pointes bien à plat face à la descente. Retenir le compagnon de
cordée sera également plus facile, le manche du piolet pouvant s'enfoncer jusqu'à la
garde lors d'un passage plus difficile.
On n'est pas acclimaté à l'altitude, aussi, on choisit un sommet bien en dessous
de 4000 m. Voie normale (VN) de Roche Faurio, VN des Rouies, VN du Giobernay,
VN de la Pointe de la Pilatte, les idées ne manquent pas.

Le mot course a deux significations. L'une, datant de la fin du XIVe s., est l'action de courir ;
sont comprises dans cette acception les différentes courses de compétition, chevaux, hommes,
autos. L'autre, plus récente, début du XVIIe s., est l'action de parcourir un espace. On parle de
la course d'un piston, de la course d'un projectile, des courses qui sont les commissions, ou
d'une course de montagne qui est une excursion. Nul renvoi à la vitesse dans ce second sens,
encore moins à la compétition. Une course de montagne ne signifie donc pas que vous devez
doubler nécessairement toutes les cordées présentes, transformant un sens moderne en
comportement médiéval...

Première étape : la météo. Celle du jour de la course, celle de la veille (la


montée en refuge), celle des jours précédents (la quantité de neige récente ayant pu
rendre de nouveau la pente instable). Appeler le 08 99 71 02 .. (numéro du
département) pour obtenir le bulletin météo montagne et neige. On s'intéresse à
l'absence de précipitation, à la force du vent (un vent chaud ramollit la neige
rapidement, un vent fort déséquilibre sur une course d'arête et a pu créer des

118
corniches et des plaques à vent les jours précédents), et à l'isotherme 0° qui donne
une indication sur le bon regel nocturne, gage de sécurité du cramponnage et de pente
stable et sûre. En été, isotherme 0° à 4400m, c'est chaud. Isotherme 0° à 3900m, on
s'en contente souvent.

Deuxième étape : réserver le refuge. Le bivouac sera pour une autre fois. Pour
la première course, on met toutes les chances de son côté et on s'offre toutes les
commodités pour réussir : demi-pension au refuge si votre budget le permet pour
monter moins lourd et rester frais pour le lendemain.

Troisième étape : préparer les sacs. Petits (30 litres), légers. Si on a un 45


litres, la poche caméra amovible pourra rester au refuge, tout comme la ceinture
ventrale. Dans une course de neige facile, pas de relais, pas de longueurs : on sera en
mouvement, on ne se refroidira pas, ou pas longtemps (un gore-tex pour la crête
sommitale en plein vent...). Votre atout : la légèreté, la mobilité, l'absence de fatigue.
Une différence de 200 grammes pour un article comme par exemple un baudrier doit
être appréciée comme étant considérable.

Pour chacun : Un pantalon de montagne (de type soft-Shell épais et solide)


resserré en bas des jambes (pour éviter de tricoter avec les crampons), une fourrure
polaire, un sous-vêtement respirant, un gilet matelassé, une veste gore-tex légère
(moins de 600g), un mouchoir, les papiers (protégés de l'humidité par un sac
congélation avec lien) et les clefs bien accrochées en sécurité dans une poche du sac à
dos qu'on n'ouvrira pas, une paire de stop-tout ou de guêtres très ajustées et très
simples, dépourvues de câbles (trop de risque d'enfiler la pointe avant entre le câble
et la chaussure de l'autre pied), une paire de chaussures d'alpinisme légères avec
débord arrière (de type Trango de LaSportiva), une paire de chaussettes chaudes en

Une bonne chaussure d'alpinisme est rigide en semelle pour plusieurs raisons : pouvoir imprimer
des encoches dans la neige « bout de pied » et non pas rouler dessus en se déformant, éviter le
déchaussage intempestif des crampons, tenir sur les petites prises de pieds en rocher. Elle est
souple en tige pour pouvoir pratiquer le cramponnage dix pointes (pieds à plat) et rester utilisable
en adhérence sur le rocher. Le décrochement du talon est un élément essentiel : c'est cette
« marche inversée » qui bloque les pierres roulant sous la chaussure. Un talon peu marqué (et un
crantage de toute la semelle moins profond) est le prix à payer des chaussures d'alpinisme légères
de type Trango qui ont nettement moins d'accroche que des modèles plus traditionnels (Jorasses
de Scarpa par exemple). L'absence de talon explique pourquoi on se casse facilement la figure en
descente raide sur une terre dure caillouteuse avec des chaussures d'approche, jusqu'à ce qu'on
admette que la glissade est impossible à empêcher avec ce genre de chaussures, et que donc il faut
davantage porter son poids sur l'avant du pied pour accompagner le surf en conservant son
équilibre . « Le tibia sur la languette ! » vous a crié votre moniteur de ski tout l'hiver...

fourrure polaire (qui sèchent vite), un baudrier d'escalade léger (300g maxi), une
paire de crampons 12 pointes semi-automatiques (talonnière automatique et sangles à

119
l'avant), un piolet classique, une paire de lunettes de glacier, une paire de gants de ski
bon marché car on les égare facilement, 4 mousquetons simples, deux mousquetons à
vis HMS (HMS signifie Half Middle Snap, c'est à dire un mousqueton – snap -, ayant
une forme symétrique dont l'axe de symétrie est le grand diamètre du mousqueton. La
forme de poire – piriforme- est très accueillante pour la corde et facilite la bascule du
nœud de demi-cabestan quand on donne du mou après avoir avalé ou inversement.),
une broche à glace (plus tard en saison, avec des crevasses plus ouvertes et une glace
recouverte de moins de neige, deux broches par personne peuvent être utiles), un
crochet à abalakov, un anneau pour Prusik de 60cm, un anneau pour Prusik de
120cm, une petite poulie et un petit bloqueur (tibloc ou ropeman) ou une poulie
autobloquante (micro-traction de Petzl), un sac plastique robuste pour confectionner
un corps mort qui peut servir à emballer les crampons, un petit canif bien affûté
capable de couper la cordelette, une grande sangle, une petite sangle, une gourde, des
vivres de course (barres de céréales et chocolatées, fruits secs, fromage...), un sifflet,
un bâton télescopique, une lampe frontale avec piles neuves, du papier toilette, une
brosse à dent, une casquette chaude ou un bonnet ou un casque si la voie est
fréquentée ou emprunte un couloir qui peut canaliser les pierres ou chemine sous une
arête de rocher qui peut en envoyer.
On peut se passer du casque dans certaines courses de neige faciles, quand on a
le ciel au-dessus de la tête pendant la totalité de la course. Le choix est à faire avec
son compagnon de cordée en connaissance de cause : topo en main, renseignements
sur les conditions (plus de chutes de pierres en cas de sécheresse), fréquentation de la
course choisie. La tendance actuelle est au port du casque systématique, influencé par
la conduite des guides de haute-montagne qui ont une obligation de sécurité vis à vis
de leurs clients. Pour autant, ne vous laissez pas influencer par des photos des années
soixante-dix montrant des grimpeurs de cascade de glace sans casque. Plus personne
ne fait ça.

Pour la cordée : 1 brin de 50 mètres de corde à double (il s'agit d'enrayer ici
des glissades et non des chutes), 5 mètres de cordelette de 6 ou 7 mm de diamètre
pour poser un rappel au cas où, une trousse de secours (pansements, Strappal,
Elastoplaste suffisant pour un strapping du genou, éosine, aspirine pour le MAM,
Codoliprane, strips adhésifs de suture (Stéristrips) , compresses, Valium, épingles à
nourrice), une petite paire de gants de secours (en laine ou en fourrure polaire), une
montre-altimètre, une petite boussole, un morceau de la carte au 1/25000ème, la
photocopie du topo, une couverture de survie, un tube de dentifrice très entamé et un
morceau de savon (qui resteront au refuge), un appareil photo, un téléphone portable
en gardant à l'esprit que le réseau ne passera peut-être pas et que les réponses à vos
problèmes ne seront pas logées dans ce machin électronique mais dans votre boîte
crânienne.

(Le Valium, anxiolytique sous prescription médicale, peut être intéressant en


cas de traumatisme générant une panique de l'accidenté difficile à gérer. Par son effet

120
secondaire général favorisant l'hypotonie musculaire, il peut aussi atténuer les
contractures très douloureuses d'un muscle ayant subi une forte contusion. Son T max
-temps nécessaire pour atteindre la concentration maximale- est court : compris entre
0,5 et 1,5 heure. Nous ne le conseillons pas, ni aucun autre médicament, pour mieux
dormir la nuit précédent la course.)

On peut faire son sac en quatre étapes :


1/ On étale au sol l'ensemble des objets sélectionnés en s'interdisant d'en
placer un seul dans le sac. Celui-ci est rigoureusement vide.
2/ On engouffre le tout dans le sac et on met celui-ci sur son dos.
Immanquablement, on le trouve trop lourd, en s'imaginant brasser une interminable
pente raide de neige molle puis escalader des rochers aériens.
3/ On étale de nouveau la totalité du contenu au sol, et on désigne le maximum
d'objets, non pas inutiles, mais dont on va devoir se passer. Chaque misérable article
passe l'impitoyable épreuve : est-il indispensable ?
4/ On refait le sac plus soigneusement en plaçant au fond les objets les plus
tardivement utilisés.
Cette façon de procéder, dès maintenant, sera une bonne habitude prise pour
les futures courses plus ambitieuses où il faudra discuter chaque mousqueton emporté
avec la pointillerie d'un mercanti afin de limiter le poids.

Quatrième étape : monter au refuge. La marche en montagne, à la différence


du badaud attiré par les vitrines, se fait en regardant le sol où se pose le pied. On
choisit ses appuis comme en escalade on choisit ses prises. On évite les obstacles
comme le Parisien évite avec virtuosité les crottes de son trottoir. Le pas n'est donc
pas régulier, mais dépend des accidents du terrain. C'est le rythme qui est régulier. La
variété du pas explique, du reste, qu'on puisse marcher très longtemps sans qu'une
douleur apparaisse en un endroit précis du corps – tendinite ou ampoule -
contrairement aux longues marches militaires en terrain plat. Peu chargé, un bâton, de
ski ou télescopique, est utile. Lourdement chargé, deux bâtons sont préférables. La
vitesse habituelle est de 300 mètres de dénivelé positif par heure. La bonne vitesse
est celle qui vous permet de marcher plusieurs heures sans éprouver le besoin de faire
une pause. Se dévêtir suffisamment tôt permet d'éviter la déshydratation précoce par
une transpiration abondante. Pour les plus de quarante ans, couvrir chaudement le
mollet au démarrage à froid permet d'éviter un claquage malheureux à cinquante
mètres de la voiture.
On évitera d'imiter les forts en jambes qui montent après les heures chaudes de
la journée d'été à grandes foulées pour arriver vers 20 heures, pour quatre raisons :
1/ La première est que, si on est en demi-pension, le repas est souvent servi à
19h voire à 18h30.
2/ La deuxième est qu'on va prendre son temps, toute vanité bue, pour arriver
le plus frais possible au refuge car les choses sérieuses ne sont pas pour aujourd'hui
mais pour demain.

121
3/ La troisième raison est qu'il est peu probable qu'on réussisse à trouver un
véritable sommeil récupérateur la nuit prochaine (cet inévitable frileux qui refermera
de façon intempestive la fenêtre du dortoir rapidement transformé en fournaise par la
chaleur des bêtes entassées...) et qu'il vaut mieux monter très tôt, vite demander sa
place de châlit au gardien et dormir réellement au moins deux heures dans le dortoir
aéré, sain (avant que la coterie du soir ne se prenne à agiter en tous sens les
couvertures empoussiérées...), vide et silencieux de l'après-midi.
4/ Il faudra enfin aller jouer l'éclaireur sur le début de l'itinéraire qui sera
parcouru de nuit.
Marielle, l'ancienne gardienne du Promontoire, exhortait les candidats à la
traversée de la Meije arrivés tôt dans l'après-midi au refuge, à aller en reconnaissance
au moins jusqu'au campement des Demoiselles, voire d'aller jeter un œil sur l'entrée
du couloir Duhamel. Ceci permettait de savoir négocier le passage du Crapaud
quelques mètres au-dessus du refuge, la prise salvatrice étant très difficile à trouver
dans le noir dans ce petit pas de III qui a provoqué plus de sueur que de raison dans
son histoire... ou d'éviter de commencer l'escalade de la plaque commémorative
située à gauche du refuge dans un remarquable et délicat pas d'escalade, alors que la
course débute à droite du refuge par des gradins débonnaires. « Il faudra dire à votre
copain de ne pas faire ça toute la course » avait dit malicieusement Marielle au
second mal réveillé qui assurait devant sa cuisine. Durant votre reconnaissance,
n'hésitez pas à redresser les cairns déjouant les pièges de l'itinéraire et à en fabriquer
d'autres, stables et bien situés pour qu'ils ne constituent pas des risques de chutes de
pierres, en vous imaginant dans la nuit noire tergiversant entre deux cailloux
sombres, d'autant plus si la lune éclaire peu (le calendrier à vérifier...). Vous avez
deux impératifs à concilier : aller suffisamment loin pour réellement comprendre le
début de l'itinéraire, mais le faire sans fatigue excessive qui se payerait cher le
lendemain. Les sacs sont bien sûr restés au refuge.

Une fois le travail d'éclaireur effectué, on va dormir jusqu'à l'heure du repas.


Les alpinistes et les marins qui savent dormir à n'importe quelle heure sont chanceux.
Il a été montré qu'un marin solitaire habitué à des tranches de sommeil courtes de
quelques dizaines de minutes réussit à passer en accéléré les différentes phases et à
obtenir précocement son sommeil paradoxal récupérateur. Certains poissons dorment
en permanence par phases de quelques secondes seulement afin de pouvoir échapper
aux prédateurs. Une facilité de ce genre sera un immense atout quand on se lancera
plus tard dans des courses plus ambitieuses.
Le repas terminé, on se renseigne sur la pratique du refuge concernant le
paiement. On paie souvent au retour de la course quand celle-ci repasse par le refuge
afin que le gardien puisse comptabiliser les survivants... (Le GGM, Groupe des
Grimpeurs Marseillais, organisait chaque année dans les années soixante le Banquet
des Survivants dans une calanque livrée à un joyeux chahut au grand dam des
riverains.)
On peut alors brosser ses dents si on envisage de les conserver durablement

122
après plusieurs années de pratique. La consommation régulière de sucres rapides
pendant l'effort installe dans la bouche des ph locaux (entre les dents) très acides
pendant les longues heures d'une journée de montagne. L'acidité ne disparaît qu'au
brossage suivant, d'autant plus que le manque d'hydratation ne favorise pas une
sécrétion salivaire optimale, réduisant l'auto-nettoyage buccal. Pendant toutes ces
heures d'acidité, les prismes d'hydroxy-apatite de l'émail se dégradent. C'est la durée
sur vingt-quatre heures d'acidité buccale qui provoquera ou non la carie dentaire.
C'est également la durée d'exposition aux bactéries buccales de l'attache gingivale qui
déterminera ou non la parodontite (première cause statistique de la perte des dents)
chez les sujets, nombreux, présentant un dysfonctionnement de la réponse tissulaire
locale. Prendre l'habitude d'oublier le brossage sous prétexte qu'on est en montagne
est une mauvaise idée. On emportait bien sa vieille brosse pour faire reluire les prises
de sa couenne préférée, alors, même au bivouac spartiate sur cette étroite vire, on
sortira triomphalement sa brosse, propre celle-là, du fond de son sac à dos, comme
preuve irréfutable que la civilisation s'est hissée jusqu'ici. Une dernière chose. Il a été
mis en évidence la présence de bactéries fécales – à la virulence certaine - parmi la
flore buccale. Ces bactéries n'ont visiblement rien à y faire. Se brosser les dents avant
de passer aux cabinets, et se laver soigneusement les mains au savon avant le
brossage si on a manipulé des portes ou des robinets à l'hygiène douteuse, sont des
solutions de bon sens, indispensables quand on loge en collectivité dans un confort
sommaire.
On remplit ses gourdes, on prend ses dernières photographies sous la lumière
rasante qui est très belle, et on va s'allonger sinon dormir, avec à portée de main
lampe frontale, mouchoir, boules Quies et patience... Le sac est resté dans le couloir
du bas, hissé à un crochet, ce qui évite la tentation de l'ouvrir inutilement mille fois
au dortoir dans les froissements pénibles de sacs plastique à la recherche d'on ne sait
quoi.

Quelle veine, le gardien viendra interrompre le supplice de votre insomnie à


trois heures et demi en entrouvrant la porte du dortoir et en disant simplement :
« Trois heures et demi. » Vous n'avez pas dormi, tout est normal. Cela n'a aucune
espèce d'importance. La cordée, en face, a bien dormi mais somnole encore sous
l'effet des hypnotiques qu'ils ont pris hier soir. Ils ne seront pas clairs sur le glacier.
Des études médicales menées actuellement montrent qu'ils présentent, malgré une
apparence trompeuse de lucidité, des troubles du comportement, une baisse de la
vigilance, une confusion, et des troubles de l'équilibre. Ne les imitez pas. Vous, ne
paierez véritablement votre nuit blanche que le lendemain de la course, jour de repos
ou de bureau. Eux, après avoir assuré qu'ils étaient prêts, sont capables de partir sur le
glacier avec un nœud d'encordement à moitié fait.
On plie ses couvertures, on n'éblouit pas trop les dormeurs, on retrouve ses
chaussons de refuge ou on chipe ceux du voisin, puis on descend dans l’arène... euh,
je veux dire, le réfectoire.
On y est. Tout va commencer : la lutte pour le petit-déjeuner dans la

123
bousculade, la fébrilité généralisée, la salle à chaussons transformée en capharnaüm.
Laissez-les mettre leur baudrier d'une main, leur guêtre de l'autre, tandis qu'ils
engloutissent à la hâte la dernière tartine et se font écraser le pied par un énergumène.
Et ne vous laissez surtout pas gagner par cette agitation. Ne vous inquiétez pas de ces
cordées déjà prêtes : probablement des personnes accompagnées, levées quelques
dizaines de minutes plus tôt à la demande du guide. Mangez tranquillement, prenez
un bon café pour vous réveiller, sauf si la caféine vous rend nerveux. On vous a levé
tôt pour que vous n'ayez pas à courir. Nous avons vu une année un guide dynamique
et son jeune client affûté arriver au refuge Carrel depuis Breuil à 11 heures pour se
lancer tranquillement, après un sandwich sur la terrasse, dans l'arête du Lion à 11h20
alors que le gros des prétendants s'était disputé âprement les premières places dès 4
heures et que certains s'étaient même levés à 2 heures. La cordée tardive revint
pourtant du sommet du Cervin avant beaucoup d'autres, il faut bien le dire, assez
contente de son coup. Était-il bien indispensable de s'empoigner dans la nuit les uns
les autres pour se disputer l'ordre de préséance sur la première chaîne fixe ? Sans aller
jusqu'à imiter la façon de faire de cette cordée éclair qui suppose une parfaite
connaissance de la voie, restez cool. Pour vous donner un repère, si vous partez trente
minutes après votre lever, c'est que vous avez été rapide ; une heure après le lever,
c'est une durée de préparation normale. Laissez les caravanes accompagnées prendre
de la distance, pourvu seulement qu'elles épargnent vos cairns...
On a reconnu hier l'itinéraire, on est donc serein. Si ça ne suffisait pas, on se
souvient qu'on est ici pour se perdre, et acquérir la compétence de se retrouver.

Garry Hemming.
Ce jour d'août 1966, Lothar Mauch et Garry Hemming sont dans un bar d'Entrèves et lisent
l'article du Dauphiné Libéré sur la cordée d'Allemands en difficulté dans la face ouest des Drus.
Garry se propose d'aller récupérer la cordée par sa voie de 1962 et s'indigne de l'inaction des
guides. Tu n'aimes pas les guides ? dit Lothar. « Non. Ils sont du genre à casser les cairns pour
que les amateurs se perdent . » répond le beatnik des cimes.
La montagne en direct, Antoine Chandellier, éditions Guérin, 2010.

Cinquième étape : partir dans la nuit. Pour Livanos, la nuit, souvent passée
assis dans les étriers sur une paroi des Dolomites, n'était qu'un relais qui durait plus
longtemps. Aussi, la soixantaine de minutes où on va marcher dans l'obscurité n'a
aucune raison de nous faire peur. On recherchait une ambiance, on l'a. Si le début de
l'itinéraire comporte une approche hors glacier ne nécessitant pas d'encordement, on
ne met pas son baudrier, au contraire de toutes les cordées autour de nous. La marche
sera moins fatigante et plus silencieuse qu'accompagnée par les cliquetis des porte-
matériels chargés de mousquetons et de broches.
On ne suit personne bêtement. Celui qui vous précède ne jette-t-il pas quelques
coups d’œil en arrière pour vérifier qu'il est toujours suivi et se voir confirmer son

124
itinéraire ? A suivre quelqu'un qui suit celui qu'il précède, l'histoire ressemble fort au
baron de Münchhausen120 s'extirpant de la mare en se tirant lui-même par les
cheveux... On s'amuse au contraire à déjouer les pièges, à déceler les traces de
passage, empreintes de semelle dans la terre, rocher criblé par les pointes des
crampons, passage astucieux entre deux dalles de rocher lisses, etc.

Juillet 1993 : Nous sommes de retour au refuge des Écrins pour notre deuxième tentative de la
voie normale de la Barre des Écrins. C'est notre première saison d'alpinisme et notre liste de
course est immense... : voie normale de Roche Faurio, voie normale des Agneaux et traversée
du Pelvoux, point final. Quelques jours plus tôt, la Barre des Écrins a refusé de s'offrir à nous
pour cause d'orage nocturne : toutes les cordées sont restées au dortoir ce jour-là. Cette fois,
nous avons décidé de ne plus nous tromper dans l'entrée du couloir d'accès au glacier Blanc
situé en contrebas du refuge. La fois précédente en effet, pour Roche Faurio dont la première
partie est commune avec la Barre, nous nous sommes laissés embarqués dans des pas de
désescalade scabreux d'un rocher moyen, mal guidés par le halo incertain de nos lampes
frontales. De jour, nous avons maintenant repéré un passage commode, nous l'avons essayé, et
nous sommes bien décidés à le retrouver la nuit de la course. Un souci en moins.
Nous voilà donc à sortir cette nuit-là gaillardement, ignorant les autres cordées qui cherchent
l'entrée du couloir dans l'obscurité. Nous allons droit à notre passage, et retrouvons bientôt les
premières prises maintenant presque familières. Mais fichtre, quel est ce remue-ménage
soudain ? Nous voyant faire, l'ensemble des caravanes est en train de se ruer pour nous
emboîter le pas sans réfléchir. Nous devons nous hâter de retirer nos mains des prises sur
lesquelles arrivent les crampons tant l'hystérie semble avoir gagné les autres cordées, et nous
prenons garde d'être bousculés. Nous finissons par atteindre le glacier sains et saufs, la meute
sur nos talons. Mais, sait-elle, la meute, qu'elle a suivi une cordée totalement inexpérimentée
qui a à son compteur trois misérables voies normales de tout petits sommets de l'Oisans ?

Parvenu au glacier, on trouve un endroit commode pour enfiler les baudriers,


chausser les crampons, s'encorder. Surtout, on n'attend pas que la pente s'accentue
franchement pour mettre ses crampons sous peine de gymnastique scabreuse sur une
pente raide et glissante.

Recherche des tiers (in vitro).

Encordez-vous un peu à l'écart de la trace car vous avez besoin de place pour

120 Les aventures du baron de Munchhausen, Rudolph Erich Raspe, 1785.

125
trouver les tiers. Vous dépliez votre corde, chacun tient une extrémité, passe une
boucle dans un mousqueton placé à son pontet de baudrier, puis vous vous écartez
l'un de l'autre jusqu'à tendre la corde. Vous avez vos tiers. Pendant que vous réalisez
votre encordement en N, d'autres cordées vont sans doute s'approcher, quittant la
trace, mais attirées par la lumière...
Quand le risque de chute dans d'immenses crevasses, bien larges et bien
profondes, existe, on recommande de créer plusieurs nœuds de freinage (au moins
trois : à 4-5 mètres du nœud d'encordement puis à 2-3 mètres de distance) sur
l'encordement afin qu'ils se bloquent dans la lèvre de la crevasse, ce qui facilite le
travail de celui resté à l'air libre puisqu'il n'est plus tiré (ou moins) par le poids de son
compagnon.

Nœud de freinage : un nœud de huit pour commencer, puis piéger un brin avec la
boucle qui repart dans le nœud.

Ces nœuds de freinage ne fonctionnent réellement qu'avec une lèvre de


crevasse faite de neige épaisse et molle, ce qui est justement le genre de terrain où le
risque de percer un large pont de neige est élevé.121
Une fois l'encordement en N exécuté, on place sur les porte-matériels du
cuissard la panoplie nécessaire pour jouer l'un ou l'autre des personnages de l'épisode
« chute dans un pot », car le metteur en scène facétieux ne distribue ses rôles qu'au
dernier moment. On porte donc son kit préféré pour remonter sur corde fixe, mais
aussi le nécessaire pour fabriquer un relais et un mouflage.
Si c'est votre compagnon qui a décidé d'explorer le sous-sol, vous devrez dans
un premier temps vous arc-bouter pour ne pas être entraîné. Il est probable que vos
fesses rencontrent le sol à cette occasion. Puis, tout en maintenant la tension de la
corde, vous creuserez derrière vous une tranchée profonde perpendiculaire à la corde,
à l'aide de la panne de votre piolet, puis une seconde dans l'axe de la corde. Dans ces
tranchées, vous placerez votre piolet flanqué d'une sangle en corps-mort. Puis il

121 ENSA Chamonix, youtube, nœuds de freinages.

126
faudra vous libérer de la tension de la corde pour la transférer sur le corps-mort.
On appelle cette manœuvre « abandon de la chaîne d'assurage ». Cela
consiste à placer une cordelette entre le mousqueton à vis du corps-mort qui
représente votre relais, et la corde en tension en formant autour de celle-ci un nœud
auto-bloquant. Vous poussez ce nœud auto-bloquant à fond vers la crevasse pour
commencer à tendre la cordelette et serrer le nœud, puis vous vous déplacez
doucement en rampant vers la crevasse pour donner du mou à la corde. Le poids se
reporte alors sur la cordelette et le relais. Vous vérifiez que votre corps-mort reste
bien à sa place, que tout semble solide, puis vous vous décordez. Par sécurité, vous
réalisez une boucle sur la corde avec un nœud en huit que vous mousquetonnez au
relais. Une fois debout, vous pouvez tasser soigneusement de la neige sur le piolet
pour renforcer le corps-mort. Rassuré quant à sa solidité, vous pouvez maintenant
vous déplacer le long de la corde tendue (y nouer un nœud de Prusik pour vous
vacher en main courante si la situation est précaire) vers la crevasse pour prendre des
nouvelles du spéléologue.
Il est O.K., à lui de jouer en remontant sur corde fixe, il connaît ça par cœur. Si
la corde a pénétré profondément dans la lèvre de la crevasse, vous allez lui renvoyer
votre réserve de corde pour qu'il fasse sa remontée sur ce brin. Mais avant, vous irez
mettre un objet sous cette corde, entre elle et la lèvre, pour éviter que ce brin ne
pénètre à son tour dans la neige. Comme vous avez un peu la frousse que votre piolet
ne soit éjecté par les cabrioles de votre copain, vous retournez à votre relais pour le
renforcer en vous vachant au mousqueton à vis et en vous mettant en tension en
direction inverse de la crevasse, assis et les pieds bien calés dans la neige.
Dans le cas où la glace n'est pas loin, cas peu probable en début de saison, on la
met à nu en raclant la neige avec la panne du piolet et on visse une, ou mieux, deux
broches l'une derrière l'autre qu'on relie par une sangle.
Si votre copain n'est pas O.K. pour remonter sur corde fixe, il va falloir faire un
mouflage. Si des cordées traînent par là, appelez-les pour tirer à plusieurs. Sinon,
occupez-vous d'abord de la santé de votre copain (le refroidissement...) car votre
manœuvre va être longue. Relais solide et soigneux. Mouflage mariner (voir
appendice en fin d'ouvrage) en soignant les frottements. Vous allez y arriver.

Sixième étape : le jour se lève, et les autres...


Tentez d'éteindre votre frontale dès que l'aube commence à poindre. On obtient
un meilleur équilibre dans le jour naissant que dans le halo perturbateur de la frontale,
ou pire de la frontale de son compagnon. Mais gardez-la sur la tête pour le moment,
s'il faut examiner une souricière inattendue, retoucher une lanière de crampon ou lire
le topo.
Devant vous, loin sur le glacier ou dans la pente sommitale, vous ne voyez
personne. Seul dans la course que vous avez choisie, vous êtes chanceux et en
sécurité. Pour peu que le passage des cordées des jours précédents ait laissé une trace
profonde, vous bénéficierez de l'existence de vos congénères sans craindre les
inconvénients de leur présence.

127
Si au contraire une autre cordée se trouve dans la voie, ne vous réjouissez pas.
On se souvient de la grande recommandation du trappeur de Cooper : « Mes enfants,
nous ne sommes pas seuls dans ces plaines désolées ; d'autres que nous les
parcourent, et il en résulte qu'à la honte de notre espèce, il y a péril pour nous. »122
On maintiendra heureusement une distance sanitaire avec les cordées accompagnées,
la mauvaise humeur des chaperons vis à vis des sans guides étant susceptible de
représenter le premier danger de la course du jour... On a souvenance cependant que
dans notre république qui cultive sans faillir depuis une certaine nuit du 4 août
l'égalitarisme jacobin, notre place sur cette montagne n'est pas moins bien fondée que
celle de n'importe qui d'autre, membre de corporation ou pas, et que le matamore qui
se permet de contester ceci mérite d'être promptement remis à sa place.
L'état d'esprit qui régnait sur la frontière, cette zone mal définie dans les USA
du 18e siècle qui séparait les États conquis des territoires sauvages, illustre
savoureusement les rapports humains en vigueur dans le milieu naturel : « Il n'était
pas rare que des étrangers se rencontrassent dans les vastes déserts de l'Ouest. A des
signes moins appréciables à des yeux moins expérimentés, ces rôdeurs savaient
reconnaître la présence d'un des leurs, et ils l'évitaient ou s'en approchaient suivant
la nature de leurs sentiments ou de leurs intérêts. En général, ces entrevues étaient
pacifiques ; car les blancs avaient un ennemi commun à redouter dans les anciens et
peut-être plus légitimes occupants du sol, mais il arrivait quelquefois que la jalousie
ou la cupidité amenaient à la suite de ces rencontres des scènes de violence et de
trahison. Deux chasseurs du désert américain ne s'abordaient donc qu'avec la
lenteur et la circonspection que mettent deux navires à s'approcher l'un de l'autre
dans des parages connus pour être infestés de pirates. »123
Que Cooper nous apporte son concours pour énoncer crûment une réalité que
la civilisation nous a fait oublier n'étonne nullement si l'on se rappelle que l'élection
en mars 1828 (La prairie fut publiée en 1827) du président Jackson, engagé à l'âge de
13 ans dans la guerre d'indépendance puis contre les indiens Séminoles, consacra aux
États-Unis le triomphe politique de l'Ouest. Depuis 1790, la population du pays avait
triplé (4 millions en 1790, presque 13 millions en 1830) au profit de ces nouveaux
États, tous à l'ouest à l'exception du Vermont, et marqués par l'esprit des pionniers :
individualisme, autonomie, égalitarisme, ignorance des bonnes manières et de la
culture intellectuelle, religiosité mais éloignée de l’Église, vie sociale de plus en plus
séparée de l'influence de l'Angleterre. L'Ouest marqua alors définitivement les mœurs
politiques des États-Unis.124 Cet égalitarisme des pionniers où personne ne pouvait se
dire plus légitime qu'un autre sur une nouvelle terre en friche s'illustre encore par ce
passage : « Il y a dans la possession de l'autorité, malgré l'abus qu'on peut en faire,
quelque chose qui élève l'âme. On est jaloux de prouver qu'on est à la hauteur d'une
situation élevée ; la plupart du temps, on manque le but et l'on n'arrive qu'à rendre
ridicule ce qui auparavant n'était qu'odieux. »125
122 La Prairie, James Fenimore Cooper, 1827.
123 Ibid.
124 Op. cit., Jacques Néré, p.11.
125 Op. cit., James Fenimore Cooper, supra..

128
Partant, on se gardera de confondre respect dû à des règles communes et
soumission à l'humeur belliqueuse du capitan du jour. Débutant ou pas, accumulant
mille bévues ou pas, vous êtes ici chez vous comme n'importe qui d'autre. Votre
embarras, vos hésitations, vos incertitudes, sont autant de poinçons certifiant votre
légitimité car c'est l'essence même de l'alpinisme de surmonter tout cela, tandis que la
suffisance de celui qui pourrait décrire la moindre marche de la course depuis son lit,
selon la saillie de Mummery, n'est que la marque de son indigence. Le concept
d'altérité dont on vous a rebattu les oreilles pour vous faire avaler mille couleuvres
économiques, fiscales, réglementaires et sociétales, s'est inversé : pour une fois, cet
autre qui mérite tant d'égards, c'est vous.
Ici, vous ne devrez rien à personne, mais tout à vous-même. Vous incorporerez
les usages de la haute-montagne pour mieux vous y incorporer. Une discipline bien
opposée du credo contemporain des ayants-droits des villes : exigeant avec les autres,
laxiste avec soi-même. Votre ligne de conduite sera de vous concentrer sur votre
cordée, de faire les choses correctement, comme vous les avez apprises, afin d'assurer
votre sécurité et de ne pas mettre en péril celle des autres (les chutes de pierres) et
non d'accepter la sujétion à une quelconque autorité autoproclamée, aussi alpiniste
chevronné, guide ou gardien de refuge soit-il.
Hormis le PGHM, le maire de la commune ou le préfet du département par
l'intermédiaire de leurs arrêtés, et les gardes des parcs naturels nationaux dans la
limite de leurs prérogatives, personne n'a le droit de vous donner des ordres en haute-
montagne, et vous devez simplement éviter la mise en danger d'autrui pour ne pas
engager votre responsabilité pénale. Il faut savoir cependant qu'ignorer délibérément
un conseil de prudence sans justification peut engager cette responsabilité pénale en
cas de sinistre (cf chapitre 11). Il ne s'agit donc pas non plus, bien entendu, de faire la
sourde oreille aux avis de personnes bienveillantes, lesquelles sont facilement
reconnaissables à leur absence de moquerie ou d'agressivité.

Septième étape : la marche sur glacier. Elle se fait donc à corde tendue à une
quinzaine de mètres l'un de l'autre, sans anneaux à la main. Les pieds sont un peu
écartés pour éviter d'accrocher une jambe de pantalon avec un crampon, d'un
écartement similaire à la position de base du ski moderne : la largeur du bassin. Les
boucles des lacets sont escamotées. Dès que la pente se redresse, la marche en canard
avec les pieds en V est proscrite afin de conserver ses tendons d'Achille en bon état,
au profit du cramponnage 10 pointes. On dirigera d'autant plus la pointe des pieds
vers l'aval que la pente sera forte. Et il sera bon de s'être habitué, dès les raidillons du
sentier vers le refuge, à cette démarche, très reposante quand on est chaussé de
chaussures d'alpinisme à semelles rigides. On saisit très vite l'intérêt d'avoir une
chaussure à tige souple mais dont le maintien procure un bon gainage de la cheville,
afin d'exploiter toute l'amplitude de sa propre flexion latérale de cheville sans pour
autant mettre en danger l'articulation. Un pantalon étroit sous le genou facilitera
grandement le passage de la jambe de la hanche amont, ce qui laisse penser que les
obsolètes bandes molletières des poilus de 14 n'étaient peut-être pas si bêtement

129
conçues126. On oublie donc ces guêtres larges mal ajustées ou ces sur-pantalons aux
longueurs de jambe infinies compliqués de soufflets en tous genres tombant en mille
plis sur l'empeigne de la chaussure. D'où le succès récent et mérité chez les
connaisseurs de ces pantalons moulants et robustes de la marque Montura (modèle
vertigo), quasiment devenus l'uniforme des alpinistes italiens.
Le piolet est tenu en piolet-canne, à la française lame en avant, ou à l'anglaise
lame en arrière127, ou bien posé négligemment sur l'épaule (mais prêt à l'emploi) dans
le pur style que René Desmaison arborait en illustration d'un cours collectif au Japon
dans son livre Professionnel du vide128.

Quand la pente se redresse se posent trois questions :


La longueur d'encordement est-elle encore adaptée à enrayer une glissade ?
Dois-je ranger mon bâton télescopique pour mieux manier mon piolet ?
Le cramponnage dix pointes est-il encore possible ?

La longueur d'encordement :
Face au risque de chute en crevasse, l'encordement est à quinze ou vingt
mètres. Devant le risque de glissade, on réduit à trois mètres en prenant des anneaux
de buste pour l'enrayer avant toute prise de vitesse. Pour la première course, il vaut
mieux que le premier de cordée ne s'encombre pas d'anneaux à la main. Ainsi, il aura
les deux mains libres et pourra changer son piolet de main facilement. La marche des
deux membres de la cordée devra donc être rigoureusement à la même vitesse, ce qui
donnera peut être un caractère un peu heurté à la progression. Ceci n'est pas très
grave.
Un dilemme apparaît : Que faire si la pente devient forte et que le risque de
chute en crevasse est encore présent ?
D'abord, êtes-vous bien sûr d'être sur le bon itinéraire ? N'êtes-vous pas plutôt
en train de vous diriger innocemment vers une zone tourmentée du glacier qu'on
appelle... sérac ?
Sinon, à vous de décider quel risque est le plus dangereux : crever à deux le
même pont de neige (mauvais plan) ou ne pas être capable d'enrayer la glissade du
compagnon dans la forte pente. Tout est question d'appréciation sur le terrain. La
longueur de corde pourra aussi être un compromis.
Si on choisit de conserver l'encordement long pour ne pas tomber à deux dans
un pot, on sait qu'on est peu garanti contre les glissades et on en tient compte : on fait
gaffe ! Ce qui est du reste la façon la plus universelle d'assurer sa sécurité en
montagne.

126 Pour la petite histoire, Pourchier et Frendo préconisaient encore en 1943 la courte molletière de drap (1 mètre) à
condition de la prendre large (10 centimètres) et déconseillaient tout ce qui pouvait comprimer le mollet comme les
molletières longues ou les guêtres hautes. Op. cit., p. 64.
127 « En Inde, si l'on apprend au club de Bombay, c'est à la française, si l'on apprend à l'école de Darjeeling, c'est à
l'anglaise. Mais il n'y a pas de quoi en faire une guerre civile ! » Alpinisme et Escalade, Erik Decamp, éditions
Didier Richard, 1992.
128 Professionnel du vide, Rene Desmaison, Ed. Arthaud, 1979.

130
Ranger le bâton :
Ici comme ailleurs, il ne s'agit pas d'imiter les cordées voisines qui n'ont peut-
être pas une expérience identique à la vôtre. Si vous n'êtes plus très à l'aise dans la
pente, rangez le bâton (ou plantez-le dans la neige à un endroit caractéristique pour le
retrouver à la descente, au moins dans le massif des Écrins où les alpinistes ont moins
tendance à s'approprier ce qu'ils décident être abandonné que dans le massif du Mont-
Blanc...), même si devant vous la cordée continue tranquillement bâton en main et
piolet nonchalamment posé sur l'épaule.
Pensez qu'en cas de perte d'équilibre, il faudra ne pas lâcher le piolet, seul
capable d'enrayer votre glissade. Avoir un bâton dans l'autre main peut vous tromper
dans les priorités : lâcher le piolet, vous agripper à un bâton inutile lors de la chute.
Le bâton est un formidable outil pour limiter la fatigue de la progression mais n'est
pas un outil de sécurité. Il faut aussi préciser que vous aurez choisi votre piolet
classique dépourvu de longe ou de dragonne, quelque soit leur type, et dieu sait que
les fabricants sont inventifs en la matière, car un piolet est un outil qu'on doit pouvoir
changer de main instantanément, et saisir d'une multitude de façon selon la position
où l'on se trouve, parfois bien involontairement. Une dragonne ou une longe sur un
piolet classique est une gêne. Vous pensez à juste titre que lâcher votre corde
d'assurage d'une falaise qu'il faut redescendre en rappel est une grosse bêtise ? Alors
vous ne lâcherez pas ce piolet qui vous a coûté une fortune, et vous prendrez ce pli
dès votre première course de montagne pour qu'il devienne un acquis définitif.
Vous avez bien fait de choisir un piolet à lame classique et d'une longueur
environ 60cm pour votre stature moyenne. Tenu en piolet-canne sur le plat, bras
pendant le long du corps, il ne touche pas le sol : il vous arrive à moitié du mollet. Il
n'est pas lourd comme un outil de jardin, mais vous n'avez pas choisi non plus le plus
léger du magasin sous peine de ne pas pouvoir l'ancrer dans la glace. Vous pouvez
faire un corps-mort avec un piolet que le manche soit estampillé B ou T, les deux
répondant à la norme EN-13089 qui garantit une résistance suffisante en cas de choc
au milieu du manche.

Cramponnage dix pointes sur pente forte :


Vous avez déjà lu partout que l’intransigeant Armand Charlet a retardé
l'introduction à Chamonix des pointes frontales inventées à Courmayeur en 1932 par
Laurent Grivel en raison notamment de son extraordinaire laxité de chevilles et bien
entendu de sa maîtrise toute aussi exceptionnelle de la technique pointes à plat sur
pentes très fortes. Tout va donc dépendre de votre propre maîtrise... et de celle de
votre compagnon de cordée. Il s'agit surtout de ne pas perdre l'équilibre, de ne pas
faire perdre l'équilibre à votre compagnon de cordée (qui vous entraînera à votre tour
dans sa chute), et d'être capable à tout moment de remettre celui-ci sur pied s'il
perdait l'équilibre. Le cramponnage à plat nécessite en particulier pour le premier de
cordée, puisqu'il ne s'accomplit pas directement dans l'axe de la pente mais décrit des
lacets, soit d'enjamber la corde, soit de tourner face à l'aval, à chaque changement de
direction, afin que la corde passe par la hanche aval. Les deux solutions peuvent finir

131
par devenir scabreuses, d'autant plus si on a absolument tenu à conserver des anneaux
à la main qu'il va falloir changer de main, plutôt que s'encorder très court sans tenir
d'anneaux. Il faudra aussi creuser légèrement le genou de la hanche aval pour
pouvoir passer l'autre pied entre la paroi et ce genou sans accrocher ni l'un ni l'autre,
car l'espace s'est rétréci depuis que la pente a forci.
Alors, sur pente relativement forte, le cramponnage mixte est souvent une
bonne solution : un pied à plat, un pied en pointes frontales. La technique est très sûre
et permet aussi d'alterner les pieds lorsqu'un des deux mollets n'en peut plus.
Si la pente est encore plus forte, le cramponnage frontal s'impose, de
préférence à réserver pour de courtes sections, à moins d'un entraînement sérieux. On
pensera alors, comme du reste en cascade de glace, à exploiter la moindre bossette de
neige dure ou de glace. Ici aussi, il existe des prises, et tout va bizarrement beaucoup
mieux quand on s'en sert. De même, les piolets seront plutôt ancrés dans les creux de
neige que sur les bosses de glace, les cordées du dessous ne réussissant décidément
pas à s'habituer à recevoir vos assiettes sur leurs tibias.
Pensez que, la pente s'accentuant, ce n'est pas une course éperdue contre la
tétanisation de vos mollets et cette angoisse qui monte, qui vont vous sauver sur cette
longue pente où il faut gérer les difficultés dans la durée. Prenez votre temps.
Ménagez des pauses, en ancrant profondément votre piolet et en vous vachant dessus,
en vous ménageant deux petites marches pour les pieds, le temps par exemple de
raccourcir encore un peu plus votre encordement si vous le sentez nécessaire. Écoutez
aussi les bruits : un froufrou est souvent le seul bruit que fait la chute d'une pierre sur
une pente de neige. Le soleil a-t-il déjà touché le haut de la pente ? Où le
refroidissement de la fin de la nuit provoque-t-il des variations volumétriques de la
glace qui lâche ses cailloux emprisonnés ? Peut-on s'écarter de la trajectoire à gauche,
ou à droite ? Un bruit sourd qui résonne dans la pente de neige sous votre poids doit
vous faire dresser les cheveux sur la tête : la pente est-elle stable ? N'y a-t-il pas trop
de neige fraîche ? Si c'est le cas, n'ai-je pas intérêt à tracer directement dans l'axe du
versant en technique frontale pour éviter de découper la pente et donc de faciliter le
départ d'une coulée? Ou décider de rentrer à la maison... ? Auquel cas : sommet raté
mais journée riche en enseignement.
Or, c'est ça qu'on est venu chercher : une compétence plus qu'un sommet.

Huitième étape : le topo vous a résumé ça d'une phrase expéditive : « Gravir


les rochers faciles jusqu'au sommet. » Mais devant vous se dresse maintenant, en
plein vent, un tas de rocs instables bien plus haut que la couenne de votre site
d'escalade préféré. Et aucun spit ne brille sous le soleil levant. Tout ça n'inspire pas
bien confiance.
D'abord, faites le géographe : vous identifiez le sommet comme étant... le
rocher le plus haut. Saussure aurait été fier de vous. Voilà où aller.
Puis, faites le montagnard : glissez votre piolet derrière la bretelle de votre sac
à dos (entre dos et sac, la panne à l'extérieur, la lame derrière la nuque), prêt à être
repris d'une main si on rencontre une nouvelle portion de neige. Pierre Allain

132
recommandait de le passer dans la patte de hissage du sac 129, ce qui réclame plus de
dextérité mais évite que le piolet ne tombe quand on quitte le sac et qu'on a oublié sa
présence. Et gardez vos crampons aux pieds. Vous avez déjà grimpé une couenne
facile avec vos crampons dans votre préparation, ça ne vous fait pas peur. Attention
au second : la main pas trop proche des crampons du premier de cordée, quand on
saisit trop vite une prise à peine quittée par le pied de son compagnon (mais la trousse
de secours est dans le sac et permet un gros pansement sur le dos de la main).
Ensuite, faites l'indien : là où la trace dans la neige s’interrompt... commence
le passage rocheux. On devrait y voir des traces de crampons, des marques dans la
terre, un rocher un peu blanchi et plus nettoyé qu'ailleurs de ses petits cailloux en tous
genres ; peut-être une vieille sangle qui traîne sur un becquet.
Puis, faites le Marseillais en discutaillant la cotation : Peuchère, c'est un peu
sec pour du III. Des rochers faciles, même impressionnants, ne font pas un pas de V.
Allez voir à gauche, ou à droite, de l'autre côté de l'arête peut-être... Vous allez
trouver des semblants de petites vires interrompues. C'est sans doute là.

Aiguille du Plan, 3673m, août 2007. Il y a affluence sur la traversée Midi-Plan. Les rochers
terminaux sont spécialement encombrés de cordées montantes et descendantes. On sent une
certaine impatience chez les alpinistes qui savent le retour à l'aiguille du Midi par l'arête fort long
et la descente sur le refuge du Requin par le glacier d'Envers du Plan très crevassée. Un immense
balourd descend du sommet en rappel, crampons aux pieds sans se soucier des autres alpinistes.
Ma voisine de rocher, d'une autre cordée, saisit une grosse prise de sa main nue, celle-là même
que choisit notre énergumène du jour pour se relancer du pied dans son rappel. Ce fut le cri que
poussa la jeune femme qui nous fit tourner la tête et voir sa main ensanglantée tandis que le
grand costaud disparaissait déjà dans son rappel.

Enfin, ne faites pas l’œuf : assurez-vous. Une petite chute ici, avec à la clef une
cheville en mauvais état, et dans quelles conditions allez-vous négocier cette fichue
pente de neige raide que vous venez de gravir et qu'il faudra bien redescendre ? Alors,
on rallonge un peu l'encordement, on passe la corde derrière tous les becquets qui se
présentent, on coiffe au passage un autre becquet d'une sangle à laquelle on
mousquetonne la corde ; pourquoi pas on pose l'un des deux friends qu'on a emportés.
C'est fou comme on ose plus s'aventurer dès qu'on a placé quelques protections. Un
pas un peu plus difficile : vous le franchissez en tête avec votre second qui vous pare
juste en dessous, puis vous coiffez le premier becquet rocheux qui se présente avec
une sangle, un mousqueton à vis HMS dessus dans lequel vous faites passer la corde,
vous prenez le mou, réalisez un demi-cabestan et vous assurez efficacement le second
avant de repartir corde tendue. C'est ce que j'appelle un mini-relais. Mini-relais pour
mini-longueur. Au fur et à mesure des courses, votre cordée gagnera en fluidité et
donc en vitesse sans pour autant vous mettre à courir.
Vous pouvez également vous vacher à la sangle posée sur le becquet par un
nœud de cabestan et assurer à l'épaule ou à la taille. Rappelez-vous que la corde allant
129 Op. cit., Pierre Allain, p.22.

133
au second passe du même côté (par la même hanche) que la portion qui vous vache,
pour ne pas être soumis à une rotation non maîtrisable qui vous met les bras en croix
et annule tout frottement sur votre corps quand le second tend brusquement la corde.
Voir à ce sujet les très bonnes vidéos de Mike Barter130.
Plus rapide et pour enrayer une simple glissade : passer simplement la corde
directement derrière un becquet assez gros pour obtenir une grande surface de
freinage entre le rocher et la corde et prendre le mou sans perdre ce contact corde-
rocher.

Neuvième étape, le sommet : « J'ai vu - la photo - une barre de céréales - une


gorgée d'eau - je voudrais redescendre. » Voilà souvent comment se passe le premier
sommet pour une cordée autonome. L'inquiétude de la descente vient en même temps
que le sommet. Ce n'est pas un moment de plénitude ce qui empêche l'amateur de se
faire croquer par Rouff : « La photographie s'étant perfectionnée (…) il obtint de
l'objectif une image où le Mont-Blanc était tout petit et lui, Périchon, énorme. »131 Il
est normal d'être soucieux. Le soleil est en train de ramollir la neige, qui si elle n'était
pas parfaitement dure tout à l'heure, pourrait bien devenir franchement pourrie. Alors,
on préfère ne pas tarder pour au moins en descendre au plus tôt la portion raide. Les
rochers faciles se désescaladent face au vide, pieds légèrement écartés, les bras
écartés également avec les paumes prenant appui sur les prises devant soi. On
privilégie les passages au fond des petits dièdres, moins exposés que les dalles ou les
gradins. Ponctuellement, on se retourne face au rocher pour un passage plus difficile,
celui déjà descendu pouvant indiquer les prises qu'on ne voit plus. Le premier à
désescalader place des protections pour le suivant sans le surestimer... Juste après
chaque pas jugé plus dur : une protection, même si le leader, faisant son mariolle,
prétend qu'il n'en a pas besoin. Arrivé à la neige, on plante la totalité du manche du
piolet dans la neige le temps que le premier de cordée rallie et on ramène la corde à
soi pour qu'il ne se prenne pas les jambes dedans.

Le reste est une formalité qui tient en un mot : une attention de tous les instants
pour éviter la chute. Ah oui, profitez-en pour saisir votre piolet en piolet-canne à
l'anglaise : lame vers l'arrière.
Ainsi, le petit doigt est dirigé vers la lame, le pouce vers la panne, ce qui est la
même prise que la position de réchappe qui enraye une glissade : couché à plat
ventre sur le piolet, crampons décollés de la neige si elle est dure, poitrine pesant sur
la tête du piolet pour faire pénétrer progressivement la lame dans la neige tel un soc
de charrue. Faire un planté de piolet brutal et sauvage vous ferait au contraire lâcher
l'outil sous le choc. Soulevez bien le bas du manche pour que la pique ne se plante
pas brutalement dans la neige.
Tenir le piolet lame en arrière à la descente permet donc de n'avoir pas à

130 Op. cit., Mike Barter, p.78.


131 Op. cit., p.18. Marcel Rouff brodant bien entendu sur le personnage prenant deux r d'Eugène Labiche et Édouard
Martin, dans Le voyage de Monsieur Perrichon, Bourdilliat et Cie éditeurs, 1860.

134
changer de prise pendant la chute. Ceci n'était pas la préférence d'Yvon Chouinard 132
qui conseillait de tenir le piolet lame vers l'avant dans toutes les situations parce que
plus à distance du corps, pour minimiser les risques de blessure. Vous pourrez donc
essayer les deux options et choisir celle qui vous plaît.
La lame vers l'arrière est plus discutable à la montée, car une perte d'équilibre
vers l'avant se traduit par le contact automatique de la lame contre la neige (en même
temps que le genou) si la lame est dirigée vers l'avant, ce qui a toute chance d'enrayer
la petite glissade, et l'utilisation en piolet-appui ou piolet-panne est possible à tout
moment.

Régulièrement, on vérifie l'absence de sabot de neige sous les crampons. Il


peut se former malgré les antibotts. On donne un coup de manche de piolet sur le
côté extérieur du crampon pour faire tomber la neige accumulée. Quand on rejoint le
glacier ramolli donc au risque accru, on tend un peu plus la corde et on regarde loin à
droite et loin à gauche de la trace, pour détecter les crevasses qui se prolongeraient
cachées sous nos pas.
Au bas du glacier, vous vous décorderez et ôterez vos baudriers et vos
crampons avec l'impression de vous soulager d'un fardeau. L'apaisement se trouve ici,
non au sommet. « La plénitude ! L'épanouissement de l'effort calmé, de la volonté
victorieuse ! La vie d'en bas vaincue et dominée en même temps que la cime ! »133
Les derniers névés sont dévalés à toute allure en godille ou en ramasse, en
choisissant les zones lisses qui glissent bien, et en ayant rangé tout le matériel dans le
sac pour ne pas le semer ici ou là.

132 Op. cit., Yvon Chouinard, p.44.


133 Op. cit., Marcel Rouff, p.18.

135
Chapitre 5. L'assurage en mouvement
« Ne craignez rien Madame Lane, je vous tiens.
- Oui, vous me tenez. Mais qui vous tient, vous ? »134

L'assurage en mouvement est la plus ancienne technique d'assurage moderne


avec corde. Il mit du temps à s'imposer. A l'époque de Saussure, on emportait en plus
du bâton ferré une longue perche à laquelle plusieurs personnes se tenaient pour
franchir les crevasses et les passages difficiles. Puis on jugea l'usage de la corde plus
pratique que la perche, mais on ne s'encorda pas pour autant. Les récits de l'accident
de 1820 de la caravane Hamel135, comptant sept guides et trois voyageurs, ne
mentionnent pas l'utilisation de la corde, alors que l'avalanche a précipité les victimes
dans une crevasse. La corde fut longtemps tenue à la main, ce qui n'allait pas sans
quelques déboires. Whymper raconte ainsi l'accident du 15 août 1860 survenu à la
descente du versant italien du col du Géant136. Une glissade se produisit dans la pente
de neige et le guide de tête comme le guide de queue lâchèrent la corde, provoquant
le mort de trois Anglais et du guide Tairraz. A la fin du 19ème siècle, l'encordement
en nouant la corde à la taille, sur glacier enneigé, sur névé raide, ou sur rochers
escarpés, devient la règle. La caravane se transforme en cordée.
Le principe général est simple. Les membres de la cordée progressent ensemble
en cherchant à maintenir la corde à peu près tendue. Si l'un glisse, il est retenu par
l'autre. En cas d'obstacle court, le premier de cordée le franchit, paré voire poussé par
le second, se cale derrière un recoin du rocher, et assure son compagnon à l'épaule ou
134 Superman, film de Richard Donner, 1978.
135 Notice sur la découverte de cadavres après 41 ans de séjour dans la glace, Edmond de Catelin (vrai nom de
Stephen d'Arve), éditions Venance Payot, 1861.
136 Guide à Chamonix et dans la chaîne du Mont-Blanc, Edward Whymper, Librairie A.Jullien éditeur, 1910.

136
directement sur un becquet rocheux. Le second le rejoint, puis les deux repartent
corde tendue.

L'assurage à l'épaule consiste à se caler solidement derrière une saillie, la jambe avant
devant être capable de supporter le poids du second sans déraper. La corde partant de
l'assuré passe par la main avant en supination, passe sous l'aisselle du même côté,
derrière le dos, puis sur l'épaule opposée, pour finir devant la poitrine dans l'autre main
en pronation. On ne peut avec cette méthode qu'enrayer une glissade que l'assuré va
devoir finir de stopper lui-même. Les facteurs favorables sont : un excellent calage de
l'assureur, un assureur costaud, un assuré léger, un diamètre de corde important, une
gaine de corde rugueuse donc ayant déjà un peu vieilli, des vêtements épais pour
l'assureur, des manches longues, le port de gants en cuir brut. L'assureur peut aussi
s'auto-assurer à un becquet pour consolider sa position, mais dans ce cas, pourquoi ne
pas assurer directement sur ce becquet avec un demi-cabestan ? Si vous choisissez
néanmoins cette possibilité, souvenez-vous de la leçon de Mike Barter : la vache passe
du même côté du corps que la corde qui va à l'assuré. (voir p.134)

Actuellement, on aborde l'alpinisme par l'escalade en salle puis en couenne. On


apprend donc en premier la technique la plus récente et la plus sophistiquée :
l'assurage par longueur avec relais. Et on ignore la technique la plus ancienne et la
plus simple, mais qui réclame un minimum de pratique pour être efficace. L'assurage
en mouvement est rudimentaire et apporte nettement moins de sécurité aux grimpeurs
que l'assurage par longueurs. Mais la sécurité en montagne ne se réduit pas à la
sécurité d'une longueur. Il s'agit aussi de descendre au plus tôt la pente de neige raide
avant que le soleil ne la rende dangereuse, de quitter le sommet avant l'orage, de
rentrer avant la nuit, et tout simplement de réduire la durée totale de la course afin
d'épargner la fatigue de la cordée. Une course qui dure 8 heures ne met pas dans le
même état de fatigue que la même course qui dure 4 heures, même si le temps a été
perdu à attendre à des relais superflus. La cordée qui a le plus de probabilité de
commettre un faux-pas à la descente sera forcément celle qui a déjà passé trop de
temps sur la montagne alors qu'elle devrait être à savourer la bière méritée sur la
terrasse du refuge.
Après une paire de courses de neige F ou PD, vous avez certainement hâte de
toucher le rocher. Vous avez feuilleté les topos en y cherchant les belles longueurs de
6a ou 6b que vous pourriez grimper sous le lumineux soleil de la haute altitude. Du 6
en montagne se trouve dans les courses TD, et griller les étapes de cette façon au
prétexte d'un excellent niveau d'escalade va malheureusement créer de lourdes
impasses et laisser d'immenses lacunes. Admettons que vous choisissiez une course
TD. Qu'est-ce que vous allez faire ? Choisir une face courte. Avec une approche
rapide par téléphérique. Comme vous voudrez ne pas gérer un sac ni vous embêter à
redescendre une pente de neige raide et molle, vous choisirez une face qui se descend
en rappel. Et avec des relais équipés. Bon, en définitive, vous allez faire la Contamine
à la pointe Lachenal en laissant les affaires au pied de la voie. Comme vous grimpez

137
bien et vite, vous aurez la dernière benne. Mais vous n'aurez pas appris grand chose.
Alors, allez donc dans une course de rocher de difficulté AD. Parce que c'est ici
qu'on devient montagnard. Ces rochers sauvages, comme l'arête des Cinéastes, la
traversée de la Nonne, l'arête sud de la pointe Louise, l'arête sud des dents de Coste
Counier, plus tard le pilier nord-est des Bans (après en avoir fait la voie normale),
vont permettre de repasser vos acquis : déchaussage des crampons au bord de la
rimaye, grimpe avec sac à dos, progression anneaux à la main ou corde tendue, pose
de mini-relais, assurage sur sangles, rappels dans les brèches, recherche de
l'itinéraire, tenue d'un horaire, équilibre sur une arête, escalade en grosses ou en
crampons dans les zones enneigées, rocher moyen voire délité en cas d'erreur
d'itinéraire, chutes de pierres, longues désescalades, descente sur un versant inconnu,
tous ingrédients éminemment formateurs.
Sur ce terrain, une cordée peu rodée pose des relais et tire des longueurs. Une
cordée plus expérimentée réalise la course presque entièrement corde tendue.
L'horaire entre les deux peut être du simple au triple. C'est à la mobilité: assurage en
mouvement, rapidité pour explorer une option d'itinéraire à gauche ou à droite, qu'on
reconnaît les acquis de la cordée. Cette mobilité viendra progressivement en avalant
un grand nombre de courses de ce type. Il est normal au début d'éprouver souvent le
besoin d'installer des relais un peu partout et de grimper par longueurs. Et il serait
dangereux d'imiter systématiquement les caravanes voisines qui progressent
ensemble. Mais dès que les deux membres de la cordées sont très à l'aise, on prend
des anneaux de buste, on réduit l'encordement et on marche ensemble.
Dans les courses de rocher classiques – 500m, niveau D -, on progresse
essentiellement en tirant des longueurs. Le grimpeur retrouve ses marques des
grandes voies calcaires, la confection des relais et des points d'assurage en plus. Mais
il est essentiel d'être passé par l'étape précédente. Sinon, on sera incapable de
reconnaître à temps les portions pouvant être gérées avec assurage en mouvement et
on ne saura pas passer d'une option à l'autre sans d'interminables conciliabules. Faire
la totalité de ce genre de course en tirant des longueurs même dans les portions
faciles qui s'interposent entre deux ressauts difficiles, serait très exagéré et l'horaire
s'en ressentirait. Comme le faisait remarquer Yvon Chouinard 137, avaler rapidement
les portions faciles permet de disposer de plus de temps dans les portions qui
nécessitent une escalade précise et un assurage soigneux.
Dans ces parties en corde tendue, on sera heureux de ne pas avoir choisi une
corde ni trop longue ni trop grosse quand les anneaux des deux brins viendront
encombrer le buste. Le sac devra se porter assez bas (la poche caméra remplie à
bloc...) sous peine d'avoir le casque rabattu sur les yeux par la corde passant en gros
paquet derrière la nuque dès qu'on lève la tête. On pourra aussi plier les cordes en
écheveau et placer celui-ci dans le sac comme on va le voir plus loin, afin de ne plus
être encombré par les anneaux de buste. A la descente, on ajustera les bretelles du sac
à dos pour le porter au contraire assez haut, afin qu'il frotte moins contre le rocher.

137 Op..cit., Yvon Chouinard, p.44.

138
1/ L'encordement court sans anneaux à la main
La distance entre les grimpeurs est de trois à quatre mètres.
Le premier de cordée, devant à la montée, derrière à la descente, est toujours
plus haut que le second.
Personne ne tient d'anneaux à la main.
Le risque de faire tomber des pierres est minimum. Les pierres qu'enverrait le
leader n'auraient pas le temps de prendre de la vitesse avant d'atteindre le second.
C'est la technique d'assurage qui permet la progression la plus rapide sur un
terrain uniforme. Elle peut même dépasser en rapidité l'absence d'encordement en
réduisant les hésitations du fait de la sécurité accrue.
La mobilité de la cordée est maximale. Il est très facile d'aller explorer une
option d'itinéraire puis de revenir.
La communication de la cordée est maximale, même en plein vent, sans besoin
de hurler.
Le second de cordée est bien assuré, sauf dans les traversées. Le leader peut
avoir intérêt pour gérer celles-ci à traverser en amont de son second pour éviter un
pendule.
Le premier de cordée n'est assuré que par la proximité du second qui peut le
parer ou caler ses pieds sur des adhérences précaires. Le leader doit donc être très sûr.
Le premier de cordée a les deux mains libres. En neige, il peut donc manier
deux piolets et être capable en permanence de retenir une glissade du second. En
rocher, les deux mains libres lui donnent une grande sûreté.
Dans une course très fréquentée, la capacité à grimper en encordement court
permet de doubler des cordées lentes sans les gêner, et évite également, quand vous
piétiniez derrière un convoi de caravanes, qu'un artiste d'une cordée inférieure ne se
prenne à s'interposer entre vous et votre compagnon, le mélange des deux cordes
faisant assumer à chaque cordée le risque supplémentaire de l'autre. Râlez si
nécessaire. Cette situation ne peut pas être durable.

Les indications sont :


– tous les terrains faciles pour la cordée - neige, glace, mixte ou rocher - à
l'exception des glaciers enneigés en raison du risque de chute en crevasse ;
– les pentes de neige raides, en montée et en descente ;
– les gradins rocheux sans possibilité d'assurage, en montée et en descente ;
– les arêtes de neige délicates non cornichées, en progressant de part et d'autre
du fil, ce qui assez pénible mais sûr.

Une première limite d'utilisation est la nécessité fréquente de franchir des


obstacles, si ceux-ci excèdent en hauteur la longueur d'encordement. Un passage de
cinq mètres supposerait que les deux grimpeurs se trouvent simultanément dans le
même pas d'escalade délicat. Même chose pour le franchissement d'une rimaye. Pour
de tels obstacles, la marche aux anneaux est plus indiquée.
La limite extrême d'utilisation est la situation où la corde est devenue un

139
instrument pour tomber à plusieurs, c'est à dire quand le leader n'a plus la capacité de
retenir une glissade du second. Si cette limite n'est dépassée que pendant quelques
mètres, la cordée peut passer outre pour gagner du temps. Mais elle doit être
consciente que les risques de chacun des grimpeurs sont doublés par rapport à une
progression en solo.
Seule une « vieille » cordée a les capacités de pousser la limite d'utilisation car
les deux membres de la cordée connaissent parfaitement leurs niveaux respectifs. Une
vieille cordée n'est pas une cordée d'âge mûr, mais une cordée qui s'entraîne ensemble
habituellement à la salle d'escalade, en couennes, en grandes voies. Ainsi, le premier
de cordée sait, quand il franchit ce pas aléatoire sur une dalle friction, que son second
ne glissera pas car celui-ci est meilleur que lui en dalle...
Quand la limite d'utilisation est durablement dépassée, on garde la tête sur les
épaules sans se laisser emporter par la griserie de la vitesse. Il faut trouver d'urgence
une autre solution avant l'accident. A la prochaine vire ou au prochain becquet :
relais.

2/ L'encordement court avec anneaux à la main, dit « marche aux


anneaux »
La distance entre les grimpeurs est de deux à trois mètres.
Le premier de cordée, devant à la montée, derrière à la descente, est toujours
plus haut que le second.
Le premier de cordée tient dans sa paume aval trois ou quatre mètres de corde,
lovés en anneaux dont le dernier est serré en tour mort autour de la main. Ce dernier
anneau doit toujours être le premier qu'on peut lâcher. Ceci implique de devoir
retourner le paquet quand on change de main. Les anneaux sont assez courts ; ils ne
descendent pas plus bas que le genou.
La corde est tendue comme une laisse entre la main aval et le pontet du second.
Ceci permet au leader de sentir un début de glissade du second, et de le remettre en
selle d'un coup de poignet énergique.
Si le leader monte plus vite que le second, il lâche des anneaux
progressivement. S'il est rattrapé, il reprend des anneaux. A la descente, s'il rattrape
son second, il reprend des anneaux. S'il se fait distancer, il lâche des anneaux. Il
pense à bien refaire le dernier tour serré à chaque fois. Cette manœuvre, très fatigante
nerveusement si on le fait bien, permet de conserver la fluidité de la progression.
Le leader a donc en permanence une main occupée, voire deux quand il
reprend ses anneaux. Mais cela ne l'empêche pas de pouvoir tout de même se servir
de cette main. On peut saisir une grosse prise en conservant les anneaux dans la main.
En cas d'obstacle plus sérieux, on le franchit l'un après l'autre en lâchant tous
les anneaux. Cela permet de franchir un passage d'escalade de sept mètres, ou une
rimaye.
Le leader est non seulement mal assuré, mais doit maintenir en permanence la
tension de la corde. Sa main occupée est un handicap non seulement pour grimper

140
mais aussi pour rattraper une glissade du second. Sa compétence doit être plus grande
que pour l'encordement court sans anneaux à la main, mais la méthode est plus
polyvalente.

Les indications sont :


– tous les terrains faciles pour la cordée, à la condition que le leader se sente
capable de gérer les anneaux. à l'exception des glaciers enneigés ;
– particulièrement un terrain facile semé de courts passages plus difficiles.
Sur une pente de neige raide uniforme, sans franchissement d'obstacle, rien ne
justifie de s'encombrer avec des anneaux, d'autant plus si on possède deux piolets. La
méthode précédente est alors préférable.
Sur des gradins rocheux uniformes sans possibilités d'assurage, le leader
préférera sans doute aussi avoir ses deux mains libres.

Les limites d'utilisation sont les mêmes que la technique précédente, en gardant
à l'esprit que la compétence du premier de cordée est le premier facteur limitant. C'est
la raison pour laquelle il est indispensable dans les courses faciles de se roder à cette
technique le plus souvent possible, et ce pour les deux membres de la cordée.

Amateurs de livres anciens, méfiance : on recommandait naguère à


chaque membre de la cordée de tenir des anneaux à la main pour une
marche sur glacier. Cette façon de faire, illustrée notamment par les belles
photographies de cordées menées par Gaston Rébuffat, est totalement
abandonnée. Sur glacier, encordement en N comme on a vu, sans aucun
anneau à la main, pour aucun des membres de la cordée. Pour les autres
terrains, on ne rencontre aucune circonstance où les deux grimpeurs à la
fois portent des anneaux à la main, sauf à vouloir simplement porter la
corde sans bénéficier d'une assurance.

3/ L'encordement long dit souvent « progression à corde tendue »


La distance entre les deux grimpeurs est de douze à quinze mètres environ.
Le premier de cordée est devant à la montée.
A la descente, celui qui va devant est celui qui place le plus efficacement les
protections. Celui qui va derrière est celui qui désescalade le mieux. Ceci pour les
courses où il s'agit d'être efficace. Pour les courses d'entraînement, on fait l'inverse
pour que chacun ait l'occasion de soigner ses défauts.
Personne ne tient d'anneaux à la main.
La tension de la corde est toute relative. Elle chemine à droite et à gauche des
différents reliefs que présente le parcours. On en joue, afin que le passage de la corde
suffise parfois à protéger la cordée : à droite du premier petit gendarme, à gauche du
second, derrière l'écaille suivante, etc.

141
Celui qui va devant place des protections régulièrement avec trois objectifs :
1/ Conserver au moins deux bonnes protections entre les deux grimpeurs. Si le
terrain est un tantinet avare en possibilités, quand le compagnon de cordée arrive à
une protection, il le signale avant de la démonter : « J'arrive au friend rouge. » Ceci
permet au premier de cordée de vérifier si la cordée sera toujours protégée où s'il doit
poser sans tarder une nouvelle protection. Cette communication permanente est
indispensable.
2/ A la montée, placer la protection juste avant le pas difficile, pour se protéger
soi, comme on le fait classiquement quand on grimpe en tête.
3/ A la descente, placer la protection juste après le pas difficile, pour protéger
son compagnon de cordée qui va descendre ensuite. Tenir compte du niveau
d'escalade de celui-ci et non du sien. Interdiction de descendre en ne se souciant de
rien : derrière, la désescalade serait particulièrement exposée. Alors, après chaque pas
dur, on se retourne vers le rocher pour trouver une bonne fissure, et on pose une
protection ad hoc. Si on arrive sur une vire et qu'il y a risque de chute à terre, on y
reste le temps de parer la fin de la désescalade du copain, tout en reprenant le mou au
fur et à mesure de sa descente sur demi-cabestan à son pontet tant qu'il reste des
protections.
Quand le premier de cordée a épuisé son matériel, le second le rejoint pour soit
lui rendre le matériel soit passer en premier de cordée.

La méthode est rapide, mais moins que les deux méthodes précédentes.
Les deux grimpeurs sont efficacement protégés à la condition que le second
soit suffisamment discipliné pour ne pas laisser un mou se créer entre les deux
grimpeurs. Il ne doit pas non plus bloquer dans un pas d'escalade sans prévenir le
premier de cordée qui pourrait se trouver stoppé au plus mauvais moment.
Le leader choisit lui-même le degré d'exposition de son escalade à la montée.
Mais à la descente, c'est le premier descendu qui règle l'exposition pour lui.

La méthode est indiquée :


– pour une voie rocheuse assez difficile mais facilement protégeable ;
– pour une arête rocheuse (encordement à douze mètres maximum pour
s'entendre, éviter un tirage excessif et réduire le risque de chute de pierres).
– pour une pente de glace (encordement à vingt mètres minimum pour éviter
de brocher et débrocher sans arrêt).
– pour un terrain mixte assez difficile ;
– pour les arêtes de neige faciles.

La limite d'utilisation est le risque grandissant de chute du second. S'il chute, il


risque d'entraîner le leader dans un vol en premier de cordée. Voilà une bonne raison
de se construire une cordée homogène. Quand le second se trouve trop limite dans la
plupart des passages : relais.

142
Un autre facteur limitant est la quantité de matériel. Avec deux friends, une
sangle et trois coinceurs, on ne va pas loin.

4/ Panachage, mini-relais, fluidité


En pratique, il ne faut pas hésiter à changer de méthode en fonction des
circonstances. Si tout va bien, que la vitesse est soutenue, que les deux membres de la
cordée y trouvent leur compte sans se faire peur, on continue sur le même mode. Dès
qu'on se rend compte que l'encordement n'est plus adaptée, on change de méthode.

Les mini-relais (pour mini-longueurs) consistent à interrompre la progression


simultanée le temps de franchir un passage plus difficile. Chacun son tour, mais on
conserve l'encordement réduit. On place une sangle sur un becquet, le second se
vache assez long pour pouvoir parer et passe la corde dans un demi-cabestan à son
pontet. Vous placez un friend ou deux dans le passage que vous surmontez en un
éclair puis vous faites relais juste au-dessus. Ça ne prend pas des heures : une sangle
sur un becquet, un demi-cabestan : C'est bon, tu peux venir. Vous voyez le second
juste sous vous, vous pouvez même lui indiquer les prises. La question n'était pas
tellement de s'assurer dans le passage - on le fait quand même - mais plutôt de
grimper chacun son tour car le premier de cordée n'aurait pas pu retenir le second tout
en grimpant lui-même.

L'assurage en mouvement est assez long à acquérir. Il faut engranger beaucoup


de courses de rocher PD et AD pour devenir vraiment efficace. En pratique, on passe
d'un mode d'assurage à un autre sans interruption. On cherche à être débrouillard, non
académique. Connaître parfaitement le niveau d'escalade de son compagnon, ses
points forts et ses points faibles (fissures en verrous, dalles friction, ou surplombs...)
permet d'aller aux limites de l'assurage en mouvement sans se mettre en danger outre
mesure. Tout en grimpant lentement et avec sûreté, la cordée va gagner une vitesse
considérable par rapport à ses premières années.
Ce qui compte n'est pas la rapidité réelle des mouvements mais la fluidité de la
progression. Passer sans temps mort d'un encordement court à un encordement long,
à une mini-longueur, à une parade ou une petite courte-échelle, est la clef.

5/ Les cas particuliers

a/ La marche sur glacier


L'encordement sur glacier en N qu'on a vu dans les techniques de base
est une variante de l'encordement long, mais sans pose de points intermédiaires.

b/ La progression sur une arête de neige effilée horizontale


La distance entre les deux grimpeurs est de 5 à 6 mètres, le leader tenant
deux ou trois mètres d'anneaux à la main. Il se place derrière son second pour le

143
garder à vue si la trace est faite. En cas de chute sur un versant, le leader doit lâcher
les anneaux et sauter de l'autre côté en tâchant de ne pas se blesser. Les anneaux
lâchés donnent le temps nécessaire pour réagir.

Août 1996, arête Sud du pic du glacier Blanc.


Troisième saison d'alpinisme pour notre cordée. Échaudés par les débuts difficiles de l'arête
avec des passages d'un bon 4c, nous continuons à progresser lentement par longueurs sur un rocher
maintenant couché et beaucoup plus facile. Des nuages se sont amoncelés depuis nos premières
longueurs, nous faisant hésiter davantage. Puis une cordée surgit derrière nous, deux Anglais,
avançant tranquillement à trois, quatre mètres de distance, éminemment mobiles quand l'un de nous
reste rivé à son relais béton les deux brins de la corde à double de 45 mètres entièrement déroulés à
ses pieds, et que l'autre cherche longuement une fissure pour accueillir un nouveau « rock ». Très
patients, les Britanniques devisent paisiblement et attendent la fin de nos improductives opérations.
Puis ils finissent par demander avec une politesse infinie la permission de doubler notre cordée
quasi immobile sur ce rocher battu par le vent qui nous impressionne. Ils disparaissent bien vite
dans le brouillard maintenant levé, puis la neige tombe, comme en hiver, plâtrant la dalle où nous
avons fini par avancer en traversée encore d'une grande longueur qu'on oserait plus désescalader.
Des voix devant nous, et nous rejoignons les Anglais à une petite brèche, en grande discussion,
carte en main. Ils prennent la décision de s'échapper vers le glacier par un rappel improvisé en
pleine face, et installent déjà la corde sur un énorme becquet qui nous semble un peu branlant. Ne
sachant quoi faire, nous attendons derrière, n'osant ni pousser plus loin sur l'arête, ni rebrousser
chemin sur la dalle désormais bien enneigée. Puis du premier Anglais descendu et donc invisible
proviennent des avertissements que nous comprenons mal. Son compagnon à nos côtés demande
des explications et nous comprenons seulement : « There's a little problem. » De longues minutes
s'écoulent, puis il emprunte le rappel sans un mot et disparaît à son tour. Nous sommes seuls sur
l'arête, il continue de neiger. La corde des Anglais coulisse et tombe dans le vide. Nous ne savons
pas où mène ce rappel. Nous savons que ces alpinistes sont bien plus expérimentés que nous-
mêmes. Que faut-il faire ? Je grelotte dans mon pantalon de toile de coton maintenant gorgé d'eau et
je ne raisonne plus normalement. Comment tout a-t-il pu dégénérer si vite ? Nous décidons alors de
copier bêtement la cordée britannique sans connaître le terrain, d'installer notre rappel au même
endroit, ayant cherché en vain un ancrage qui nous paraîtrait plus sûr. Nous plaçons notre deux fois
45 mètres et nous descendons pour découvrir le little problem. Nos compagnons du jour ne
possédaient qu'une corde à simple d'une quarantaine de mètres, et leur rappel trop court pour
atteindre une brèche commode ne les amenait qu'à une méchante écaille posée en pleine paroi où le
premier de cordée n'avait pu placer qu'un « rock » n°6 pour tout relais. Les deux Anglais avaient dû
rappeler la corde depuis ce relais suspendu et précaire et relancer un second rappel. Heureusement,
nous pûmes atteindre la brèche sans ces dangereuses acrobaties, même pas fichus de ramener le
« rock » n°6 à notre cordée d'élite tant je grelottais dans mon pantalon trempé. Nous venions
d'apprendre que les montagnards d'outre Manche avait les guts aussi bien accrochés en montagne
que leur ancêtre conquérant du Cervin, et alliaient ce moral à toute épreuve à une politesse
indéfectible, tandis que nous, fixés à nos trop nombreux relais et incapables de mobilité, avions
encore énormément de choses à apprendre...

144
6/ Les encordements spéciaux

La réserve en vrac dans le sac


L'encordement en N préconisé pour un glacier enneigé (crevasses masquées)
prévoit originellement de placer un tiers de la corde plié en écheveau sous le rabat de
son sac à dos. Récemment, on préconise plutôt de placer cet excédent de corde en
vrac à l'intérieur du sac. Ceci permet de tirer la longueur de corde utile à une
remontée sur corde ou à un mouflage sans devoir nécessairement ôter son sac à dos,
et ce de façon plus rapide. La corde doit être soigneusement introduite dans le sac en
commençant par son extrémité, pour qu'elle puisse sortir sans nœud. Certains
appellent cela enkiter la corde.

Un autobloquant (réservé aux experts)


Les guides italiens qui gravissent l'arête du Lion au Cervin ont pris l'habitude
de s'encorder de la façon suivante : Leur corde à simple est fourrée dans le haut du
sac en tas bien pensé, comme on dit dans la marine à voile, jusqu'à ne laisser que
l'extrémité dépassant du sac, qui passe ainsi la nuit dans la salle surpeuplée du refuge
Carrel.. Cela lui évite d'être piétinée toute la soirée par la bousculade généralisée
mais en même temps lui permet d'être prête à l'emploi pour le lendemain. Au petit
matin, l'extrémité libre est donnée au client mal réveillé qui fait son nœud
d'encordement. Le guide tire une douzaine de mètres du sac sans l'ouvrir, enfile son
sac à dos et se contente de piéger la corde à son pontet par un nœud de Machard très
serré sur un mousqueton à vis directionnel, ou par un bloqueur mécanique comme un
ropeman. Il part ainsi à corde tendue en mousquetonnant la corde sur les ancrages des
cordes fixes qui équipent la voie. Si le client est à la hauteur, il continue ainsi, puis
prend des anneaux à la main dans les portions plus faciles pour progresser à deux
mètres l'un de l'autre. Si le client bloque dans le premier surplomb de la première
chaîne de la voie mais qu'il n'a pas atteint un ancrage où le relais peut se faire de
façon confortable, il peut rallonger à volonté son encordement en faisant coulisser
dans l'autobloquant du pontet la corde qui sort sans difficulté du sac. Il concilie ainsi
rapidité et souplesse, en fonction des capacités de son client du jour qu'il découvre.
Cette manière de faire n'est décrite dans aucun manuel, il va sans dire qu'il est
préférable de ne pas chuter sur cet autobloquant. Il s'agit d'un encordement non
conventionnel, justifié pour ses raisons professionnelles, utilisé en connaissance de
cause (le premier de cordée ne chute pas), et ce n'est pas une faute de l'employer en
en connaissant les limites.

Fractionnement dissymétrique
De la même façon, de nombreux guides préfèrent aux anneaux de buste, lover
la totalité de la corde inemployée en écheveau, fourrer celui-ci dans le sac, et tendre
l'extrémité libre de la corde à leur client qui ne détient aucune réserve de corde dont
ils jugent qu'il ne saurait que faire. Ils préfèrent disposer eux-même de la totalité de la
réserve pour intervenir si besoin plus facilement puisque le client est supposé

145
incapable. La grande réserve de corde est alors moins encombrante à l'intérieur du sac
que portée en de nombreux anneaux. La différence avec les guides du Cervin, outre
que la corde est ici nouée en écheveau dans le sac et non en vrac, est qu'ils
s'encordent avec un nœud de chaise et son double nœud d'arrêt, comme pour
l'encordement en N.
Cette façon de faire peut être imitée par une cordée sans guide quand on veut
soulager sa compagne du poids de la moindre portion de corde, ou bien quand on sait
qu'il faudra utiliser bientôt la totalité de la corde pour une longueur difficile ou un
rappel. La corde se démêle en effet beaucoup mieux à partir d'un écheveau qu'à partir
de nombreux anneaux de buste. On peut également l'utiliser quand le compagnon de
cordée porte le second brin du rappel. Ainsi, chacun porte grosso modo un brin de
corde, et peut renvoyer un brin au compagnon tombé dans un pot.
La quatrième indication pour une cordée sans guide est le parcours d'arête fait
de montées et de descentes, courtes descentes pour lesquelles on peut être amené à
mouliner le second sur un maillon rapide posé sur un relais, pour descendre ensuite
soi-même en rappel sur l'autre brin. Il faut alors que le second se décorde pour passer
son extrémité de corde dans le maillon (qui quand il est à demeure ne s'ouvre
généralement plus depuis longtemps du fait de la corrosion) et qu'il se ré-encorde
après. Cette façon de faire fait gagner beaucoup de temps pour descendre dans de
petites brèches abruptes. Elle évite aussi d'envisager d'utiliser le nœud Dufour qui
n'est à recommander que pour une cordée très familiarisée à son usage et que nous ne
décrirons pas. Si le second avait pris des anneaux de buste, il aurait fallu qu'il défasse
ces anneaux avant de se décorder pour accéder à l'extrémité de la corde, ce qui aurait
été beaucoup plus lent.
Quand la brèche est plus profonde, le premier peut avoir avantage à avoir laissé
la corde en vrac dans son sac comme les guides du Cervin. Avant de descendre à son
tour sur son seul brin, l'extrémité de la corde étant maintenue en bas sur le pontet du
second qu'on vient de mouliner à la brèche, il défait son nœud d'encordement. Ainsi,
il est sûr d'avoir la longueur suffisante pour atteindre la brèche puisque l'excédent de
corde sort du sac à la demande.
Ces encordements non conventionnels vont donner l'aisance et la rapidité de la
cordée sur des itinéraires nécessitant de nombreuses manipulations de corde, et
difficiles à anticiper comme les parcours d'arête, faute de visibilité sur la suite de
l'itinéraire. Expérimentez-les plusieurs fois sur une couenne avant de les appliquer en
montagne.

Ranger la corde
Enfin, on ne peut en terminer avec les encordements spéciaux sans mentionner
la possibilité de ranger la totalité de la corde dans le sac. Deux alpinistes progressant
dans un couloir raide, qui se sentent incapables dans les conditions du jour d'enrayer
la chute de l'autre, et sans possibilité ou temps disponible pour tirer des longueurs,
doivent se décorder pour que la corde ne serve pas seulement à tomber à plusieurs.
Chacun assume alors son propre risque de chute, sans devoir assumer en plus le

146
risque de la chute de l'autre qui l’entraînerait irrémédiablement. Le risque est alors
divisé par deux. Si l'on ajoute le fait que l'absence de corde augmente la
concentration, évite le sentiment d'une fausse sécurité, et évite de s'empierger dans
une ficelle inutile, le risque diminue encore.
Il est aussi possible dans ces cas de rebrousser chemin sur abalakovs et de
remettre la course à l'année prochaine...

147
Chapitre 6 : L'assurage par longueurs
« Il ne faut pas oublier que le premier objectif d'une sortie en montagne
est de ramener la cordée en bon état. » Pierre Allain.138

La prescription de Pierre Allain est à ce jour la seule et unique éthique valable


de la haute-montagne ayant pu traverser les époques et dépasser les modes. Entre
abîmer le rocher, soulever l'indignation générale... ou esquinter la cordée, le choix est
limpide.

1/ Gestion des longueurs

Avec une corde à double, on ne mousquetonne qu'un brin à la fois pour


diminuer la force de choc exercée sur les ancrages et réduire le tirage. On peut très
bien mousquetonner plusieurs fois de suite le même brin, sans obligation d'alterner
scrupuleusement, l'essentiel étant que les brins ne se croisent pas. En gros, un brin à
gauche et un à droite. Aux changements de direction, on passe systématiquement le
brin qu'on mousquetonne sous l'autre brin pour ne pas croiser.

Des longueurs courtes


Dans les vieilles courses classiques, les longueurs sont courtes, à portée de voix
en tout cas, en tenant compte du vent qui entrave la communication de la cordée. Une
longueur trop importante, c'est un tirage garanti après avoir contourné ces trois
obstacles, ce qui interdit d'aller explorer derrière cette petite arête pour rechercher
l'itinéraire car la corde refuse catégoriquement de coulisser dans cette direction. La
138 Op. cit. , Pierre Allain, p.22.

148
cordée perd en mobilité. Il faut se souvenir que ces voies ont été ouvertes avec des
cordes beaucoup plus courtes que les nôtres. En 1956, Pierre Allain indiquait : « Les
longueurs habituellement utilisées sont : de 20 à 40 mètres pour les cordes d'attache ;
de 40 à 60 mètres pour les cordes de rappel. » En 1959, Rébuffat recommandait un
encordement de 30 mètres pour les très grandes courses et 40 mètres dans quelques
passages particulièrement longs. On emportait une autre corde longue et plus fine
pour le rappel seulement si la course l'exigeait. Avec l'arrivée du nylon, on s'est mis à
utiliser la corde de rappel comme corde d'ascension en la mettant en double. Ainsi,
Rébuffat disait qu'il avait choisi pour la face nord des Grandes Jorasses ou de l'Eiger
« une corde de rappel de 60 mètres mise en double (ce qui donne 30 mètres
d'encordement) ». Patrice de Bellefon en 1987, donnait sa préférence pour un rappel
de 70 mètres, c'est à dire 2 x 35m. Ces références ne sont bien sûr plus d'actualité en
ce qui concerne la longueur de la corde à emporter, la corde actuellement classique
étant un 2 x 50m (voire un 2 x 60m dans certaines courses), mais doivent rester en
mémoire quand on se demande où faire relais à la montée d'une ancienne voie
rocheuse. Vous avez gravi 30 mètres et vous avez les deux pieds bien posés par terre
sur cette petite vire, ne cherchez pas plus loin : relais.

Des protections parfois rares mais sûres


Dans ces mêmes courses, les protections sont souvent espacées. La hauteur de
chute potentielle est importante mais il s'agit que les coinceurs tiennent, et ne
finissent pas par se balader le long de la corde qui les arracherait de leurs fissures.
Les grimpeurs britanniques ont pris l'habitude de mousquetonner presque
systématiquement à leurs coinceurs câblés des sangles de 60 cm qui limitent les
mouvements imprimés par la corde. La hauteur de chute augmente encore un peu,
mais le coinceur tient, ce qui est l'essentiel.
Le vol ne fait généralement pas partie du répertoire des figures autorisées. Mais
quand on pense qu'on va peut-être faire son malin, on prépare son coup avec
application. Là, plus question de grande hauteur de chute potentielle. On bétonne, en
plaçant plusieurs coinceurs au même endroit : deux coinceurs très rapprochés dans la
fissure de gauche pour le brin rose, un friend dans la grosse fissure de droite pour le
brin bleu. On sort aussi un beau et long piton, et on le plante à grands coups sonores
avant de réaliser son exploit. Le marteau peut servir à mater un coinceur câblé dans
une fissure revêche (avec le bec du marteau), afin d'être sûr de sa tenue, mais souvent
au prix de sa perte définitive.
Conclusion, on ne pose pas régulièrement et scolairement des coinceurs tous
les trois mètres sans tenir compte du terrain. On peut grimper dix mètres sans
protection car on est sûr de ne pas tomber, puis poser trois protections sur une
distance d'un mètre cinquante dans le pas difficile.

Retaper les pitons


A chaque piton rencontré dans la voie : le marteau, deux coups sur le piton
pour le tester, davantage s'il faut le renfoncer. Ceci suppose d'abord d'avoir le marteau

149
à portée de main, au baudrier ou en bandoulière. S'il peut sortir d'une main de son
porte-marteau, c'est l'idéal. Après avoir beaucoup pesté, j'ai fini par ôter le matériau
caoutchouté recouvrant le manche de mon propre marteau pour qu'il sorte plus
facilement de son étui. Dans un pas dur, cela peut faire la différence, car on ne peut
pas toujours lâcher les deux mains. Oubliez le marteau-piolet de cascade de glace
sanglé sur le sac : on ne pourra pas l'utiliser à chaque piton rencontré. Par contre, un
petit marteau-piolet de type troisième main se porte très facilement au baudrier et
peut même être plus léger qu'un marteau. Il permet aussi de crocheter plus facilement
les cordelettes qui pendent parfois trop loin, dans les mauvais pas de certaines voies
classiques. En début de saison dans une course peu fréquentée, ne pas retaper les
pitons qui ont joué dans les fissures tout l'hiver, revient à ne pas devoir compter sur
eux, surtout les cornières qui ont la réputation de jouer plus que les autres pitons.

Été 2004. Nous sommes de retour dans la voie Allain à la face sud de la Meije. C'est notre
quatrième passage au fauteuil, car après notre reconnaissance puis notre échec de 2001, nous avons
parcouru en 2003 la première partie jusqu'aux vires du glacier Carré, remontant celui-ci sous l'orage
dans une fin de course épique. La veille, depuis la fenêtre du dortoir, nous surprenons une
discussion qui a lieu sur la terrasse du refuge. Une cordée originaire de Toulon envisage comme
nous la voie Allain et deux guides, qui font demain la voie normale, sont en train de la décourager
en invoquant la présence de cascades au pied de la face, signe qu'elle ne serait pas en condition.
Devant une telle malhonnêteté, puisqu'il s'agit des fameuses cascades permanentes du fauteuil dont
nous avons remonté en 2001 celle de droite, nous décidons d'aider cette cordée, coûte que coûte,
dans la recherche de l'itinéraire de la première partie que nous connaissons bien maintenant. C'est
une bonne cordée. Elle nous précède maintenant avec un fort grimpeur de tête qui s'engage un peu
vite... pour redescendre plusieurs fois selon nos indications. Je finis par rejoindre les deux seconds
vachés en tension à un relais comportant deux pitons préexistants. Ne voyant pas de marteau à leur
baudrier mais un marteau-piolet de cascade de glace sanglé derrière un sac à dos, je leur demande si
les pitons ont été retapés. Ils me considèrent avec crédulité. Sans un mot, je dégaine mon marteau,
leur demande de s'écarter un peu, et tape sur les deux pitons... qui s'enfoncent chacun de plusieurs
centimètres... Frayeur rétrospective. A chaque relais où je les rejoindrai durant toute l'ascension, ils
s'écarteront obligeamment pour me laisser retaper les pitons, parfois inutilement, parfois utilement,
tandis que le grimpeur de tête s'emploie déjà dans les pas retors concoctés par le brillant bleausard
de 1935.

L'exposition
La différence existant entre l'exposition d'un passage et l'engagement d'une
course est parfois mal comprise. On entend des grimpeurs qualifier des couennes de
voie engagée, au prétexte d'un espacement important des points d'assurage, ou du
mauvais positionnement d'un point d'ancrage par rapport au crux de la voie. C'est un
usage impropre.
L'engagement d'une course tient essentiellement à la difficulté grandissante de
la retraite à mesure que l'on progresse vers le haut, la sortie par le sommet devenant
la véritable option de retraite tant rebrousser chemin peut finir par être problématique.

150
Il dépend aussi de l'éloignement, de l'absence de moyens de secours, de la saison, etc.
L'exposition d'un passage tient à la dangerosité de la chute dans l'escalade de
celui-ci en raison du caractère aléatoire de l'assurage permis par le rocher. Un pas de
III peut être exposé et un pas de VI au contraire très protégeable. Certains avancent
que le terme intégral et imagé serait l'expression : « exposer la viande froide ».
Exposer sa vie ou s'exposer à un péril sont pourtant des acceptions courantes de nos
dictionnaires sans faire appel à des images morbides. Chapoutot, grand expert en la
matière, l'illustrait dans un récit de course : « Le goût de la facilité nous fit donc
prendre la tangente, mais celle-ci était encombrée d'énormes blocs instables, où il
nous fallut « exposer » beaucoup. Un piton de relais que j'avais mal planté suscita de
vives protestations de la part des échelons inférieurs de l'expédition, qui se mirent en
grève sur le tas. La panne dura plus d'une demi-heure, et l'accord ne se fit que sur la
base de promesses solennelles de pitonnage à outrance. »139
Une course engagée est une course sérieuse pour laquelle il faudra vous
préparer plus soigneusement qu'une autre. On y trouve les valeurs de l'alpinisme, et
c'est cet engagement qui définit la notion de « grande course ». Préparation
méticuleuse, entraînement, courage physique et moral, connaissances, créneau météo,
tout y est.
Un pas exposé, pour peu que votre niveau d'escalade soit insuffisant, est une
couillonnade... qui mène droit à l'hôpital un jour ou l'autre. Alors, la courte-échelle,
un étrier, un lancer de corde, une perche : tout est permis.

Ne pas se priver d'un pas d'artif.


« Le grimpeur dispose des moyens les plus variés pour suppléer, le cas
échéant, à l'insuffisance des ressources que lui offrent les méthodes d'escalade
pure. » C.A.F. 1934.140
En montagne, on cherche en permanence à économiser ses forces pour la suite,
en pensant à la répartie de Coluche quand son public riait prématurément : « Non,
c'est pas là ; c'est pas là.. » Si un mouvement réclame trop d'effort en libre, on tire sur
le piton ou le coinceur sans se poser de question. La règle est que si ça passe plus
facilement en artif, on passe en artif ; et que si ça passe plus facilement en libre, on
passe en libre. Ce qui compte est de passer facilement.
Si son niveau d'escalade est limite, on peut s'équiper d'un ou deux plombs à
mater (en calcaire) ou copperhead (granit), ou d'un très petit piton de suspension. On
ne risque pas la chute là-dessus, ni sur aucun des pitons rouillés, tordus, plantés de
moitié, tête en bas, qu'on trouve dans la voie, mais on y dépose précautionneusement
une partie de son poids.

Un étrier en sangle, qu'on a en permanence au porte-matériel dès la cotation D,

139 Op. cit., Pierre Chapoutot, p.28.


140 Op. cit. , C.A.F. et G.H.M., p.64.

151
permet de forcer les passages les plus difficiles. Un ou deux pas d'artif pratiqués par
les premiers ascensionnistes ne sont plus décrits dans les topos récents mais si
commodes à répéter. Le tire-clou, le pied passé dans une pédale étaient jadis des
façons normales de procéder sans besoin d'y insister. De même, particulièrement sur
le granit compact du Mont-Blanc, l'usage des courtes-échelles. La cotation
traditionnelle des passages tient compte de ces méthodes expéditives sans lesquelles
un pas de IV pourra un tantinet surprendre comme au Grépon.
Le Manuel de montagne et d'alpinisme militaire 141 de 1940 indique ainsi à son
paragraphe « 207. Escalade d'un surplomb. - Assurer l'homme de tête comme dans le
cas ordinaire, lui faire la courte échelle s'il n'a pas de prises suffisantes à sa portée
et aider son rétablissement en le poussant par les pieds, soit avec les mains, soit avec
la tête du piolet, tenu à bout de bras et appliqué contre le rocher (fig.20). Le
mouvement s'exécute de la même façon pour les autres hommes de la cordée. Le
dernier est hâlé par le camarade qui le précède. »
Guido Magnone illustre la leçon au Fitz Roy : « Lionel me sert d'escabeau et je
repars un pied sur sa cuisse fléchie, l'autre sur son épaule jusqu'à saisir un angle de
rocher franc, par chance débarrassé de sa gangue verglacée. »142

Voici les étapes pour franchir un pas en artif :


- On pose le coinceur, on mousquetonne la dégaine On se pend dessus, d'abord
doucement pour le tester, puis on y met franchement tout son poids.
- On mousquetonne alors seulement la corde.
- On mousquetonne l'étrier en sangle sur le mousqueton du haut de la dégaine.
- On se vache très court avec une dégaine entre le pontet et ce mousqueton du
haut, du côté opposé au doigt.
- On passe un pied dans une marche de l'étrier et on se lève. La dégaine qui
sert de vache aide à se redresser dans un mouvement d'opposition avec le pied et
pivote vers le haut.
- Une fois debout sur l'étrier, on pose un autre coinceur plus haut et on
recommence l'opération.
- On récupère l'étrier dès qu'on a mousquetonné la corde sur le nouveau point
en se laissant descendre à la corde.
- On se rapproche de nouveau du coinceur du haut en se tirant à la corde,
comme à la salle quand on remonte après un vol.

Après un passage de ce genre ayant consommé les coinceurs disponibles plus


que de raison, on voudra souvent redescendre à la corde depuis le bon piton enfin
mousquetonné pour les récupérer. Ceci est une bonne idée, d'autant que ces points de
progression rapprochés augmenteraient le tirage, ce qui nuirait à la sécurité. Mais
voilà, on a un second... Et si on n'a pu franchir le passage en libre sans son sac,
comment, lui, avec le gros sac, va-t-il se débrouiller si on lui retire tous les points

141 Manuel de montagne et d'alpinisme militaire, Paris, Imprimerie Nationale, 1940.


142 Sculpteur de cimes, Guido Magnone, éditions Arhaud, 2005.

152
intermédiaires. La solution : on récupère la plupart des points et on équipe ceux qu'on
laisse de grandes sangles pour qu'il puisse se tirer.

La dégaine sur laquelle on est vaché, très courte, est accrochée au mousqueton
du haut de la dégaine d'assurage, côté opposé au doigt.

La traîtrise du déboutonnage par le bas


Un début de longueur sensiblement horizontal suivi par un rocher redressé
peut, sous un aspect débonnaire, constituer le piège du jour. La protection posée en
bas de la portion verticale sera tirée en cas de chute, non pas vers le bas, mais vers la
bissectrice de l'angle formé par les deux portions, horizontale puis verticale, de la
corde qui se tend, c'est à dire nettement vers le haut. S'il s'agit d'un coinceur, il a
toutes les chances d'être éjecté, transmettant alors son mauvais rôle au coinceur
immédiatement supérieur, lequel sera éjecté à son tour. Alors même que les
placements des coinceurs étaient irréprochables quant à leur résistance vers le bas,
tous sont susceptibles de sortir de leur logement l'un après l'autre, de bas en haut, sans
avoir pu jouer leur rôle.
Pour éviter ce déboutonnage, deux solutions :
1/ La première est radicale. On va faire relais le nez contre la portion verticale.
Le problème est réglé. Seules vos cervicales vont souffrir à regarder votre copain
s'escrimer à l'aplomb de votre tête. Tâchez de vous décaler un peu à droite ou à

153
gauche pour qu'il ne vous tombe pas en plus dessus.
2/ La seconde est de placer en bas de la portion verticale une protection qui
peut résister vers le haut aussi bien que vers le bas, c'est à dire une protection
multidirectionnelle. On a le choix : couplage savant de deux coinceurs, un câble
passant dans l'autre ; un piton ; une sangle passée dans une lunule ; un friend.
Faites dans le solide : il y a effet poulie sur ce point situé à un angle de la
longueur et les forces seront bien plus grandes que sur les autres points.

La réchappe
Vous vous êtes engagé dans cette longueur qui ne vous inspirait déjà pas trop,
mais cette fois vous bloquez carrément. L'envie vous a complètement passé de
poursuivre. Avant d'enchaîner les rappels jusqu'au pied de la voie, il va falloir
regagner le relais. Si vous êtes à un piton infaillible et que vous n'avez pas dépassé la
moitié de la longueur, vous laissez un mousqueton et vous vous faites mouliner
jusqu'au relais. C'est l'option la plus simple. Si le piton est infaillible mais que vous
êtes plus près de vos sous, vous vous vachez au piton, vous passez un anneau de
cordelette dans son œil, et vous installez un rappel avec un autobloquant qui
fonctionne dans les deux sens.
Vous pouvez aussi être à un piton inspirant peu confiance sans possibilité de
renforcer l'ancrage, et avoir dépassé le milieu de la corde. Le mieux est d'abandonner
un mousqueton, de vous faire mouliner par le second très doucement sur un seul brin
tandis qu'il ravale le deuxième brin au fur et à mesure de votre descente. Ainsi, vous
ne risquez pas plus qu'un vol en premier de cordée. Si vous grimpez avec une corde à
simple, il faudra placer un autobloquant costaud entre votre pontet et la corde qui
monte, que vous ferez coulisser pendant votre descente. Dès que vous arrivez à un
ancrage solide de la longueur, vous vous vachez, vous vous décordez du brin qui
passe dans le mousqueton du haut, vous rappelez la corde et vous vous encordez de
nouveau. Vous êtes revenu dans le premier cas de figure plus favorable.
On peut objecter que se faire mouliner sur un point fragile n'est pas judicieux
en raison de l'effet poulie qui double la charge sur l'ancrage par rapport à un rappel.
Ceci est vrai. Mais installer un rappel est beaucoup plus long à réaliser, on sera donc
plus longtemps sur le point douteux. Avec une corde double, on peut installer un
rappel sur un seul brin, tandis que le second continue d'assurer sur le second brin
pendant toute l'installation du rappel puis pendant toute la descente. Tout ceci va être
bien chronophage et disproportionné si le piton n'est pas franchement minable et qu'il
suffit de quelques mètres de moulinette pour atteindre un ancrage sûr.

2/ Des relais plus ou moins difficiles

Un relais sûr
Le relais est l'endroit où les membres de la cordée vont se retrouver
momentanément réunis sans pouvoir compter sur une autre assurance. Il doit donc

154
être sûr. Sûr en montagne ne signifie pas seulement solide mais à l'abri des chutes de
pierres ou de glace ; à l'abri également d'une chute du leader qui arriverait crampons
en avant sur son infortuné second : en glace, on décale le relais de la prochaine ligne
d'ascension.

Les lieux communs


L'escalade sportive a introduit des relais normés dont la solidité aurait
impressionné les générations d'alpinistes qui nous ont précédés. Leur cahier des
charges digne des Ponts et Chaussées risque d'inhiber totalement le grimpeur sportif
qui quitte le confort des lignes de spits et qui trimballe dans sa tête toutes sortes de
poncifs qu'il va tenter d'adapter à la situation qu'il trouve :
- Le relais comporte un maillon primaire. Commencez par retaper les pitons
puis par vous vacher n'importe où, plutôt que de vous lancer dans une longue
recherche d'un éventuel maillon primaire. Il ne s'agit pas d'être scolaire mais efficace.
- Le relais doit être inarrachable. On croirait une publicité pour la colle du
dentier de votre grand-père... Imaginez qu'un auteur vous dise que le relais doit être
fragile.
- Le relais doit comporter deux points. Déjà en 1943, Pourchier et Frendo143
recommandaient de s'auto-assurer autant que possible sur un autre « piton que celui
sur lequel on assure » et de « ne pas hésiter, quelquefois, à planter un piton
supplémentaire ». Mais le relais sur piton unique était de pratique courante. Pierre
Allain144 en 1956 écrivait : « Le piton d'assurance permet d'assurer ses compagnons
de cordée. » et plus loin : « Piton de rappel : Le poser solidement. » En 1977, Jouty145
écrit pour décrire le relais : « Pour des raisons de sécurité, on installe presque
systématiquement deux points d'assurage, voire plus s'ils ne donnent pas entièrement
confiance. L'un auto-assurera l'assureur, l'autre sera destiné à l'assurage du second
membre de la cordée. » En 1987, Patrice de Bellefon146 présentera encore une
photographie de relais dans cette configuration où piton de l'assureur et piton de
renvoi pour l'assuré ne sont pas reliés. En 1977, Technique de l'alpinisme147 montrent
plusieurs dessins de rappels sur piton unique. Ce n'est qu'en 1988 que la nouvelle
édition Alpinismes148 systématise à la fois le doublement du piton et le fait de les
relier : « Dans le cas d'ancrages artificiels : pitons, coinceurs, spits, (…) il conviendra
de toujours doubler l'amarrage en respectant bien sûr les principes de couplage de
plusieurs points. » ou « Ce relais devra comprendre au moins deux points d'ancrage
distincts. (…) On aura (…) souvent non pas deux mais un nombre plus important de
points d'ancrage, qu'il faudra coupler convenablement pour répartir les forces qui
s'exerceraient sur eux en cas de chute. » Bref, le chiffre deux ne possède aucun

143 Op. cit., Marcel Pourchier et Édouard Frendo, p.64.


144 Op. cit., Pierre Allain, p.22.
145 L'alpinisme, où et comment ? Sylvain Jouty, éditions de Vecchi, 1977.
146 Op. cit., Patrice de Bellefon, p.84.
147 Op. cit., dir. Bernard Amy, p.64.
148 Alpinismes, Bernard Amy, Pierre Beghin, Pierre Faivre et coll., édiions Arthaud, 1988.

155
pouvoir magique : un piton solide vaut mieux que deux foireux, lesquels méritent
d'en planter un troisième, et ainsi de suite jusqu'à obtenir une solidité suffisante pour
le service que vous allez demander à votre relais. Car vous ne demanderez pas la
même chose à tous vos relais.

Un cahier des charges varié


Expédions d'abord le cas de la vire large comme un jardin, horizontale et non
glissante faisant suite à une longueur facile. On se cale pour assurer le second à
l'épaule dans le but d'enrayer une petite glissade éventuelle. Pour la longueur
suivante, l'assureur n'aura pas plus besoin de relais qu'à la salle d'escalade avec les
deux pieds par terre. Si votre copain tombe, il s'écrase sur la vire. Il vaut mieux le
parer que fabriquer un relais parfaitement inutile.
Réglons ensuite la cas du relais de la fin des difficultés. A partir d'ici, vous
allez raccourcir l'encordement et partir corde tendue. Le relais doit uniquement
résister à la mise en tension de la corde en cas de chute du second : un choc faible. Si
vous devez hisser un sac, l'affaire est différente : relais plus solide.
On se souvient de ces récits piquants où le leader, arrivé en bout de corde au
beau milieu d'une cheminée, fait relais en se coinçant tant bien que mal mais sans
pouvoir poser aucune protection, et assure le second à l'épaule. Le second le rejoint,
passe en tête en montant sur son compagnon : un pied sur une cuisse, puis sur
l'épaule, puis sur la tête. Il plante alors à bout de bras un bon piton, sans qu'un choc
soit possible puisque le grimpeur est encore posé sur l'assureur. Il mousquetonne la
corde au piton puis quitte le corps de son compagnon au grand soulagement de celui-
ci. Le choc potentiel est alors assumé par le piton. Ce relais-là, qui a tant servi à nos
solides anciens, n'était pas CE...

Le redoutable facteur 2
Plus sérieux est le cas où votre leader s'engage dans le pas dur immédiatement
au-dessus du relais, et est susceptible de se vautrer bien au-dessous. Là, chute de
facteur 2 sur le relais. Problème réel.
Voyons la chose. Vous avez votre plaquette d'assurage au pontet du baudrier, il
réalise sa prouesse, et vous vous retrouvez coincé entre la corde tendue par son poids
et votre vache qui va au relais. Votre copain s'est cogné au rocher et aimerait bien une
petite assistance comme un mouflage, mais vous êtes vous-même en piteux état car le
choc a été sévère, votre main est même un peu brûlée. C'est normal, en facteur 2, on
atteint la limite de freinage des plaquettes (2kN pour de nombreuses plaquettes,
parfois 2,5kN149). La corde a donc pas mal glissé, ce qui a eu au moins le bon effet de
dissiper un peu d'énergie. Mais toute la corde aurait pu y passer !150 Puis vos
jambes ne se sont pas effondrées lamentablement car vous aviez les pieds bien posés
sur la vire, encore heureux. Ça va pour cette fois, mais vous aimeriez bien ne pas
renouveler l'exploit.

149 ensa.sports.gouv.fr
150 Op. cit., Emanuel Wassermann et Michael Wicky, p.52.

156
Quatre solutions : une mauvaise, trois bonnes ; la mauvaise faisant comprendre
les trois bonnes.

La mauvaise : Votre copain, indestructible, repart dans le pas retors. Mais il


mousquetonne le point le plus élevé du relais avant, pour éviter le facteur 2 et
faciliter le blocage de la corde dans la plaquette. Et patatras, il se casse encore la
figure. Gros problème. La distance entre votre pontet et le point mousquetonné étant
très faible, le facteur de chute n'a quasiment pas changé : 2. Ce qui change, c'est
l'effet poulie. L'ancrage du haut va maintenant recevoir à peu près le double de la
force de votre première tentative (7kN au lieu de 3kN car il y a frottement 151 dans la
dégaine) et ce peut être beaucoup trop s'il ne s'agit pas d'un goujon inox à expansion
de 10mm. Le relais avait résisté à la première tentative, ici, il saute. Mousquetonner
le relais triangulé au lieu d'un seul point du relais ne vous aurait pas beaucoup sauvé.
Il faudra réserver cette solution aux seuls relais équipés à demeure avec des points
bétons, goujons à expansion ou broches scellées, et quand la différence de poids entre
assureur et grimpeur est favorable, conditions cumulatives. Autant dire pas en
montagne.

La première vraie solution est donnée par la précédente. Si vous aviez pu


mettre de la distance entre votre pontet et le point mousquetonné, vous n'auriez pas
été encore en facteur 2. Donc, allez à la cave. Vous redescendez de trois ou quatre
mètres, vous placez un friend pour vous vacher. Votre copain repart en
mousquetonnant le relais triangulé et le tour est joué. Vous avez transformé le relais
en premier point de la longueur, et avez fabriqué un relais juste capable de soutenir
votre poids puisque vous serez tiré vers le haut. Comme votre copain est le grimpeur
de tête ultra-léger car il aime moins bien la bière et les pizzas que vous, ce n'est pas
ça qui vous fera broncher. Si c'est l'inverse, il faut que ce petit relais situé à la cave
soit capable de résister vers le haut. Sinon, votre frêle compagne pourrait être
éjectée.

La deuxième vraie solution est l'anticipation. Arrivé au relais, vous avez vu


que le début de la longueur suivante était exposé. N'écoutant que votre courage, vous
avez réussi le passage, rassuré de savoir que dans cette fin de longueur, vous
bénéficiiez d'un facteur de chute très faible. Vous êtes allé mousquetonner le premier
piton tout là-haut et êtes redescendu à la corde jusqu'au relais. Votre copain va alors
démarrer sa longueur avec le premier point posé. Vous êtes un vrai chic type. Mais
vous n'avez pu réaliser cet exploit que parce qu'il vous restait beaucoup de corde en
fin de longueur.

La troisième vraie solution est maintenant celle préconisée par l'ENSA 152,

151 Ibid.
152 L'alpinisme, Jean-François,Hagenmuller, François Marsigny, François Pallandre, éditions Glénat, 2016.

157
reprise des Suisses et des Autrichiens153. Elle consiste à assurer avec un nœud de
demi-cabestan (appelé nœud de demi amarrage par les Suisses) directement sur le
relais triangulé, au moins tant que le leader n'a pas mousquetonné un point dans la
longueur. On évite ainsi trois choses : L'effet poulie disparaît. La difficulté de freiner
avec la plaquette s'atténue car le nœud de demi-cabestan après avoir glissé se serre et
possède une force de freinage supérieure aux plaquettes (3 kN 154). L' assureur ne
reçoit aucun choc et n'est plus bloqué, donc disponible pour porter assistance à son
compagnon. Certes, il n'y a plus le corps de l'assureur pour dissiper une partie de
l'énergie, mais le glissement du nœud de demi-cabestan amortit tout de même le choc.
Évidemment, tout aurait été plus simple si vous aviez pu protéger le relais en
plaçant dès le début de longueur, un ancrage. C'est ce qu'il faudra faire en glace, en
quittant un relais sur broches. On posera une broche protégeant le relais, la plus
éloignée possible des broches du relais pour ne pas solliciter la même zone de glace
et pour abaisser le plus possible le facteur de chute, mais avant la moindre possibilité
de chute. Donc le plus loin possible signifiera parfois, quand le départ du relais est
particulièrement délicat et qu'on peut se casser la figure immédiatement, rester vaché
au relais et placer la première broche au bout de votre long bras. On ne se dévache
qu'après avoir mousquetonné cette broche.

The belay155
La façon britannique de confectionner un relais est très intéressante. La
principale différence avec la manière française consiste à assurer le second en plaçant
la plaquette d'assurage sur le pontet du baudrier et non sur le relais.
Ceci présente un certain nombre d'avantages :
- Les différents ancrages, coinceurs ou autres, sont reliées par la corde au
pontet de l'assureur, chacun séparément. La mise en tension créée par le poids de
l'assureur stabilise les coinceurs dans la bonne direction pour les maintenir à leurs
places dans les fissures. L'assureur choisit donc judicieusement sa position par
rapport à ces coinceurs pour optimiser leur tenue. Alors qu'un relais français reliera
les coinceurs par une sangle en V dont la pointe sera tirée vers le dernier point
mousquetonné de la longueur, donc dans une direction pas forcément favorable aux
coinceurs, ici, l'inertie de l'assureur -de gabarit anglo-saxon - renvoie les forces dans
la direction favorable.
- On peut ajouter un nouveau coinceur après coup, si on le juge nécessaire : il
suffit de refaire un renvoi du pontet au nouveau coinceur avec la suite de la corde.
- L'assureur est tourné vers le bas, et peut donc suivre la progression du second,
et au besoin lui donner des indications concernant les mouvement ou les prises
cachées.
- Le montage est déjà prêt pour que le second parte ensuite en tête dans la

153 Op. cit., Emanuel Wassermann et Michael Wicky, p.52.


154 Ibid.
155 L'escalade, John Barry et Nigel Sheperd, éditions Edimages, 1990.

158
longueur suivante. On gagne du temps et le risque de perdre la plaquette dans la
manipulation est éliminé.
-Une chute du second est absorbée par le corps de l'assureur avant d'être
transmis aux ancrages, absorption d'autant plus grande que les pieds de l'assureur
reposent sur une petite vire et que ses membres inférieurs contractés assument le
choc. Par surcroît, la force de choc restante est réorientée par le corps de l'assureur,
du fait de son inertie, dans la direction optimale pour les coinceurs.

Le relais britannique est donc recommandé dans les cas difficiles où chaque
coinceur a été particulièrement délicat à poser convenablement. Il présente cependant
quelques inconvénients :
-Il est réservé aux cordées réversibles, car il est compliqué pour le second de se
vacher à son tour à chaque coinceur séparément. On perd alors du temps au lieu d'en
gagner.
-On ne peut pas installer un mouflage, car celui-ci devrait être installé sur le
pontet de l'assureur, et donc bloquerait celui-ci au milieu de la tension allant des
coinceurs au second. On ne pourra donc pas assister facilement le second qui doit
maîtriser la longueur.

Le relais pré-contraint.
Classiquement, un relais en glace comporte deux broches, placées à une
certaine distance l'une de l'autre afin que les deux ne dépendent pas de la résistance
de la même zone de glace. Afin de réduire la force exercée sur chaque broche, l'angle
formé vers le bas par la cordelette de liaison (ou la corde) allant à chaque broche doit
être le plus fermé possible. L'idéal est donc que cet angle soit nul, ce qui est faisable
en plaçant les broches l'une au dessus de l'autre. On respecte ainsi les deux
impératifs : espacement important et angle le plus faible possible.
Partant de cette configuration, Jérôme Blanc-Gras et Manu Ibarra 156 remettent à
l'honneur le relais précontraint cité par Jeff Lowe en 1996, dérivé des ancrages des
chapiteaux de cirque.
La broche inférieure est celle où l'assureur est vaché. La broche supérieure
contre-assure la broche inférieure par l'intermédiaire d'une cordelette mise en tension
par un petit mouflage de la cordelette sur elle-même, à la façon employée en
bushcraft pour tendre une corde entre deux arbres afin d'y installer un tarp.
On peut également réaliser un mouflage par des allers-retours entre le
mousqueton du haut et la broche du bas, en finissant par le nœud très connu des
plaisanciers pour frapper un cordage sous tension : un tour mort et deux demi-clefs
n'ont jamais lâché promet le dicton marin.
On remarque que la mise en tension de la cordelette consolide la position de la
broche inférieure, de la même façon que la mise en tension de la corde vers les
156 Glaces, Manu Ibarra et Jérôme Blanc-Gras, éditions Blue-Ice, 2011.

159
différents coinceurs consolidait la position de l'assureur dans le relais britannique. Le
principe est en effet le même. :
The belay était aussi un relais pré-contraint.

Relais pré-contraint avec mouflage de type tarp.

Détail du mouflage précédent.

160
Relais pré-contraint, mouflage terminé par un tour mort et deux demi-clefs.

Le relais en neige.
Le relais en neige est rarement prescrit en première intention. Si le rocher est
proche, on privilégiera le relais en rocher ; si la glace est sous-jacente, on la dégagera
pour visser deux broches. Si on ne dispose d'aucun ancrage possible en rocher ou en
glace, on se résignera à poser un relais en neige, en seconde intention donc.

Le principe du relais en neige consiste à confectionner un corps mort, un piolet


le plus souvent, très en amont de l'assureur. Celui-ci assure le second à l'épaule ou à
son pontet par une plaquette d'assurage ou un demi-cabestan, tout en étant vaché en
tension sur le corps mort.

On reconnaît de nouveau le principe du relais pré-contraint.

On a déjà dit que tous les piolets peuvent être utilisés en corps mort, même
ceux correspondant à l'ancienne norme B pour le manche. Il a en effet été montré que
la déformation de ces manches tassait la neige devant le corps-mort jusqu'à former un
bourrelet très résistant, et une tenue de l'ancrage bien supérieure à la résistance

161
intrinsèque du manche. La distinction B et T a donc été abandonnée.
La chute de facteur 2 n'existe pas en neige, et c'est heureux car on dispose
rarement de points de progression. Dans les Alpes, la neige ne tient pas sur des pentes
supérieures à 50 ou 55°, au-delà on a affaire à la glace. Il existe donc des frottements
importants lors d'une chute. Sur une pente à 45°, une chute qui serait de facteur 2 est
de facteur √2, soit 1,41157.

On voit que différentes façons de résoudre le problème de la solidité du relais


sur des ancrages précaires se rejoignent dans leur principe. Par des chemins
différents, chapiteaux de cirque, relais en neige, relais britannique, relais sur broches,
plusieurs auteurs ont abouti à une réponse commune, le relais pré-contraint, gage de
sa validité.

Triangulation unidirectionnelle avec sangle trop courte


Wassermann et Wicky158 préconisent de fixer la sangle avec des nœuds de
cabestan sur chacun des mousquetons placés sur les ancrages. Un mou est laissé dans
la portion reliant les deux ancrages, et le nœud du bas n'intéresse que deux épaisseurs
de sangle. Ainsi, on consomme beaucoup moins de sangle (ou de cordelette pour un
rappel), ce qui permet d'obtenir plus facilement l'angle aigu de la page 53. La sangle
dyneema, au point de fusion bas, n'est pas recommandée pour cette utilisation.

Les nœuds de cabestan empêchent la dangereuse traction horizontale


sur les ancrages.

157 Op. cit., ENSA, p.156.

158 Op. cit., Emanuel Wassermann et Michael Wicky, p.52.

162
Une autre façon de procéder, rapide et astucieuse, consiste à placer un nœud de
huit ou un nœud simple en milieu de sangle, puis de mousquetonner chaque demi-
anneau formé.

Montage dit parfois répartiteur Vertaco.

Triangulation multi-directionnelle ou uni-directionnelle pour un rappel


Le nœud de huit placé sur la sangle peut être discutable pour un rappel
inconnu. Ceci parce que le nœud fixe définitivement la direction de résistance qu'on
a voulu donner au relais. Il s'agit d'une triangulation uni-directionnelle., car tirer
dans une autre direction ferait supporter la charge sur un seul ancrage. Il s'agit donc
de descendre le rappel dans la direction choisie, et non de changer en cours de route.
Or, dans les rappels inconnus, il arrive fréquemment qu'on jette la corde d'un côté,
puis qu'on se ravise en cours de descente car on a aperçu le relais inférieur décalé là
où on ne l'attendait pas.
On peut alors être tenté de ne pas réaliser de nœud sur la sangle, mais de
seulement tourner une des deux boucles, comme on l'a longtemps préconisé, pour
bénéficier d'un relais multidirectionnel se prêtant aux changements de direction.
Malheureusement, une sangle ou une cordelette ne sont pas dynamiques et
offrent peu de résistance à un choc. De plus, si la sangle résiste, le choc peut être fatal
pour l'ancrage restant. C'est la raison pour laquelle cette option est actuellement
abandonnée.
Si on souhaite conserver une légère mobilité du relais, on lui préfère la solution
du paragraphe suivant : le relais semi-directionnel.

163
Uni-directionnel à gauche : un seul ancrage sollicité en tirant à gauche.
Multi-directionnel à droite : solution abandonnée.

Triangulation semi-directionnelle : le bon compromis


Afin de limiter le choc potentiel, on peut placer un nœud sur chacune des
branches du V. On obtient ainsi un compromis entre la liberté de mouvement de
l'ancrage et le choc réduit. On nomme cette solution triangulation semi-
directionnelle. C'est celle qui semble la plus recommandable pour concilier les
avantages de chaque technique. On dose le compromis le plus judicieux en
rapprochant plus ou moins les nœuds du bas du triangle.

Semi-directionnel, dit parfois répartiteur d'alpiniste.

164
Semi-directionnel pour un rappel.

S'il s'agit d'un relais de progression et non de rappel, on peut mousquetonner


les deux brins de la sangle à la condition bien sûr d'en tourner un des deux pour ne
pas mettre le mousqueton à cheval sur l'ensemble. Les nœuds peuvent être
indifféremment des nœuds simples ou des nœuds de huit. On recommande de ne pas
laisser davantage que 20cm de débattement entre chaque nœud et le point inférieur du
dispositif.

3/ L'assurage dynamique
« (…) si l'on sait (et encore...) comment débute une chute, on ne sait jamais
comment elle se terminera. » Livanos.159

La mode, en salle d'escalade, est à l'assurage dynamique. Cela consiste à sauter


vers le haut, avancer d'un pas ou lâcher un grand mou lorsque le copain s'envole pour
se retrouver « déguisé en lustre » selon le mot du Grec (Livanos). L'argument est la
diminution de la force de choc afin que la réception du vol se fasse dans la douceur...
à la condition que cela ne finisse pas par terre ou par un télescopage du grimpeur
avec son assureur comme on le voit plus souvent qu'on ne voudrait.
Il faut reconnaître à cette méthode une certaine efficacité pour se fracturer le
coccyx et épargner la corde...
Le style semble avoir été introduit suite à l'utilisation du Gri-gri qui, lors de la
chute, bloque la corde sans aucun coulissement, au contraire des anciens procédés
d'assurage : descendeurs en huit et autres tubes. Pourtant, les plaquettes plates
dépourvues de ressort, très en vogue en Angleterre dans les années soixante-dix et
159 Op.cit., Georges Livanos, p.28.

165
quatre-vingt (plaquette Sticht dite aussi plaquette Salewa, conçue par l'alpiniste
allemand Franz Sticht en 1973) bloquaient également très sèchement. La descente en
rappel sur ces engins du reste éminemment fiables était pour cette raison assez
cahotante. Il est vrai qu'un coulissement, même faible, de la corde dans le système
d'assurage amortit le choc et permet une grande dissipation d'énergie. Mais est-il
indispensable de sauter jusqu'à la première dégaine et pour éviter quoi au juste ?
Les cordes dynamiques sont conçues et normées pour ne pas pouvoir
transmettre une force de choc supérieure à 1200 daN (800 daN pour un brin d'une
corde à double) lors d'une chute de facteur 1,77 d'un poids rigide guidé. Or, cette
situation défavorable n'existe pas en salle d'escalade. Une fois le premier point clippé,
la chute au niveau de la seconde dégaine va soit provoquer un facteur de chute proche
de 1 si le mou strictement nécessaire a été donné, soit une chute au sol si le mou est
excessif. La force de choc est donc d'emblée très inférieure aux 1200 daN qui sont
pourtant déjà sans dommage pour le corps humain. Une fois les dégaines suivantes
clippées, elle diminuera encore. De plus, les fabricants proposent des cordes qui
présentent des forces de choc très inférieures à la limite de la norme.
En montagne, prendre d'emblée l'habitude d'assurer de manière dynamique,
soit en sautant vers le haut quand on le peut, soit en donnant un bon mètre de mou
pendant le vol, risque de conditionner un réflexe préjudiciable dans beaucoup de
circonstances quand une chute trop longue ferait rencontrer directement une
proéminence du terrain : terrasse, vire, écaille saillante, becquet, pieux métallique,
etc.
S'il est bon de savoir comment assurer de manière dynamique, ce qui peut être
utile parfois sur un relais en neige, en glace avec des broches douteuses, en rocher au-
dessus d'un mauvais piton, on se gardera d'en faire une habitude.
L'élasticité du système d'assurage peut se parfaire en montagne moins
dangereusement avec l'emploi du nœud de demi-cabestan, l'utilisation pour les points
douteux de dégaines-explose (dégaines à absorption d'énergie), la bonne gestion du
tirage (un tirage important augmente la force de choc transmise au dernier ancrage)
ou le mousquetonnage d'un seul brin de la corde à double.

166
Chapitre 7 : La recherche de l'itinéraire
« Le petit Poucet grimpa en haut d'un arbre pour voir s'il ne découvrait rien. »
Charles Perrault.160

Les auteurs d'Alpinismes161 écrivaient en 1988 : « Bien grimper en montagne ce


n'est donc pas seulement réussir des passages difficiles, c'est avant tout bien choisir
les passages que l'on va gravir. »
Trouver le bon itinéraire est, de loin, la plus grande difficulté de l'alpinisme.
Les anciens ne s'y étaient pas trompés quand ils avaient engagé les montagnards du
cru pour les guider, ni ceux de l'Alpine Club quand ils avaient produit leurs premiers
descriptifs de voies. C'est une difficulté qui, de plus, a la fâcheuse tendance à
conditionner toutes les autres. Se tromper d'itinéraire entraîne souvent :
– des passages d'escalade plus difficiles ;
– l'absence de pitons ;
– un rocher mauvais ;
– un horaire à rallonge, donc l'orage de la fin d'après-midi, voire le bivouac en
tenue de plage ;
– une fatigue plus grande ;
– la nécessité de gérer une réchappe si on ne réussit pas à se raccorder sur
l'itinéraire originel à l'issue de sa variante d'anthologie.
L'immense majorité des sommets ratés le sont en raison d'un itinéraire non
trouvé plutôt qu'en raison d'un passage difficile. Le phénomène est d'autant plus
paralysant que la cordée sait très bien que, si elle pense maîtriser le niveau requis
160 Le petit Poucet, Les contes de ma mère l'Oye, Charles Perrault, 1697.
161 Op. cit., Bernard Amy et coll., p.155.

167
pour répéter la course prévue, elle n'a certainement pas l'habileté nécessaire pour
ouvrir, en 2017, une nouvelle voie dans une face où toute ligne possible aurait déjà
forcément été gravie depuis longtemps par des cordées chevronnées. Il s'agit donc de
rester plus ou moins dans les clous, ou de redescendre...

1/ Ouvrir les yeux et décider

Les courses classiques sont souvent pauvres en matériel. Elles suivent la


plupart du temps des lignes de fissures où les coinceurs sont principalement utilisés.
Les rares pitons ou sangles abandonnés peuvent être des signes de réchappes et donc
hors itinéraire. L'absence d'équipement n'est pas en soi un problème car les
possibilités d'assurage dans ces courses qui utilisent les lignes de faiblesse du rocher
sont nombreuses. Le véritable inconvénient est que rien ne vient conforter l'itinéraire.
L'inquiétude de se fourvoyer complètement s'accroît bien sûr avec la difficulté
grandissante de battre en retraite. C'est ici qu'on entre dans le cœur du sujet : tandis
que le corps exécute sa prestation athlétique, on réalise qu'il va surtout falloir prendre
un certain nombre de décisions, sans conduire à l'accident mais sans non plus inhiber
l'action. Comprendre les enjeux : l'heure tardive, les nuages menaçants, le topo
énigmatique, les aléas de la réchappe, la fatigue de la cordée, la descente inconnue.
Ne pas hésiter trop longtemps et faire un choix qui satisfait la totalité de la caravane.
Tenir compte de ses propres capacités mais également de celles de son compagnon ou
compagne de cordée. Dans une course un peu longue, savoir s'interroger quand tout
se présente mal, c'est à dire ne pas s'entêter, est faire preuve de lucidité. Mais il faut
savoir aussi cesser de tergiverser et se lancer entièrement dans l'action, que se soit
vers le haut ou vers le bas.
Se mettre dans la peau des premiers ascensionnistes, comme le
recommandent de nombreux ouvrages d'alpinisme pour trouver l'itinéraire n'est pas
facile car ces bougres étaient très efficaces, adeptes de la cotation modeste et
résolument capables d'être passés par cette cheminée qui vous paraît peu avenante. Il
est très hasardeux de transposer les cotations en chiffres romains des vieilles
classiques en cotation moderne. Le III vaut souvent bien plus que du 4a de la salle
d'escalade. Certes, ils grimpaient en grosses, mais ils grimpaient toujours en grosses...
Ouvrir l’œil semble la méthode la plus recommandable. Il s'agit de chercher
des traces de passage comme un chasseur qui fait le pied. Si la voie a été fréquentée
avant vous, on peut déceler des empreintes de semelles sur les petits passages en terre
qui existent entre les rochers faciles. Les rochers peuvent aussi porter des griffures de
crampons si, en début de saison, ils sont partiellement enneigés. Plus sûrement, le
rocher de la voie sera plus sain qu'ailleurs, débarrassé de la plupart des cailloux
branlants même s'il en reste un certain nombre. Il aura aussi généralement une teinte
plus claire, un peu blanchie, et ne portera pas de lichen. Si après des rochers
relativement compacts, vous vous retrouvez dans des piles d'assiettes, méfiance. Nos
aînés, qui, également, n'étaient pas stupides, adoraient contourner les passages
dangereux. Les voies directes n'existaient pas : on suivait la ligne de faiblesse, avec

168
parfois bien des détours.
En course d'arête, sauf indication claire du topo pour contourner un grand
gendarme, on s'éloigne rarement formidablement du fil car le rocher y est souvent
meilleur. Si on le quitte, c'est pour éviter quelques menues difficultés, tantôt à droite,
tantôt à gauche : on passe la tête pour voir. Si on descend trop en contrebas de l'arête,
on va se retrouver rapidement sur une pente instable. Alors on remonte vers le fil.
Quand vous doutez franchement entre deux directions, explorez donc d'abord
l'option qui vous paraît la moins probable, pour l'éliminer d'emblée. On va à cette
petite crête cinq mètres à droite, on passe la tête : Ah non, ici ça ne passe vraiment
pas ! Classé. On revient dans l'itinéraire qui reste mais cette fois on en est sûr. Si
vous allez un jour sur l'arête du Hörnli au Cervin, c'est ainsi qu'il faudra procéder :
d'abord éliminer le plus douteux car ça va vite. Au prochain passage peu avenant, cela
vous évitera de sombrer soudain dans une immense perplexité : Aurait-il fallu choisir
le vague dièdre de droite voici un quart d'heure ?

2/ Le fameux sens de l'itinéraire

Disons tout de suite que le sens de l'itinéraire revendiqué par certains consiste
surtout à se souvenir des passages d'une voie déjà réalisée de nombreuses fois. Ainsi
nous rencontrâmes un guide menant dans la traversée de la Meije un groupe d'au
moins trois ou quatre cordées, qui, excédé de nous voir sur son chemin (ses cordées
les plus lentes s'étaient arrêtées tandis qu'il étirait la colonne en tête de convoi) nous
apostropha durement : « Est-ce que vous connaissez très bien la Meije ? » Quelle
surprise : fallait-il connaître chaque prise de rocher pour oser s'aventurer sur ces
quartiers réservés ? Pour la petite histoire, ce jour-là, nous arrivâmes au refuge de
l'Aigle à 14h10, tandis que la légion de notre aimable commensal connaissant très
bien la Meije pénétra dans la pièce après notre coucher vers les vingt-et-une heures,
bonne dernière de toutes les nombreuses caravanes du jour... Comme quoi la parfaite
connaissance des lieux ne pallie pas toujours au manque d'homogénéité des cordées.
Il en résulte en tout état de cause que le fameux sens de l'itinéraire semble
relever de l'escroquerie pure et simple, et pourtant...

Seconde anecdote : Août 1999. Nous sommes à la fin du premier ressaut de


l'arête sud du Petit Pelvoux, très en retard sur l'horaire, après des hésitations infinies
quant à l'itinéraire. Quand une cordée de deux êtres hirsutes et dégingandés, semblant
sortir du fin fond des Carpates, surgit de l'abîme, courant corde tendue, chaussés de
vieilles pompes élimées et tordues pareilles à celles de Charlot dans La ruée vers l'or.
Ces diables immenses escaladent les rochers peu sûrs à grands mouvements de bras et
de jambes, tous coudes sortis, et ont tôt fait de nous dépasser, disparaissant dans la
brèche, puis resurgissant déjà sur le ressaut suivant, tout là-haut, au milieu de gros
blocs branlants, fonçant sans hésitation droit vers le sommet. La leçon fut rude tandis

169
que nous engagions la retraite honteuse dans cette voie trop difficile pour nous et
dans laquelle nous n'avions plus aucune mobilité car incapables de progresser corde
tendue ou de forcer des passages plus difficiles que ceux répertoriés dans le topo.
Ce jour-là, nous apprenions que l'itinéraire, c'est droit au-dessus, vers le
sommet, sans faire de chichis ! Et que le fameux sens de l'itinéraire des uns n'est en
réalité que leur capacité de forcer des passages très difficiles quand ils perdent la
voie classique pour la récupérer un peu plus haut, conjuguée à une mobilité
préservée malgré le caractère soutenu de la voie, ce qui permet d'explorer rapidement
les différentes options d'itinéraires. Ainsi vous vous surprendrez de pouvoir compter
sur un excellent sens de l'itinéraire dans cette course de rocher AD, alors que vous
perdez étrangement complètement ce sens de l'itinéraire dont vous étiez si fier dans
cette autre course TD.

Été 2004 : L'année de la grande forme.


Nous venons de réussir la voie Alain à la Meije et nous voici sur la méchante
terrasse de gravier inclinée qui va nous servir de bivouac à la bifurcation du Pilier sud
des Écrins et de l'itinéraire de l'arête Rouge, à une encablure du bastion. Toute la
soirée, nous entendons des collègues explorer assidûment la paroi plus raide au-
dessus de nous. Des voix fusent de toutes parts, on voit monter, descendre. On
traverse à gauche, puis à droite. Le remue-ménage cesse quand la nuit reprend ses
droits. Au matin, nous plions le bivouac tranquillement, ne souhaitant pas affronter
trop tôt les difficultés sur un rocher froid. Nous remontons la fin du socle et
rencontrons deux cordées de grands gaillards, des Lituaniens, qui se préparent à
redescendre, n'ayant pas trouvé la veille l'accès au bastion, ces « vires obliques du
flanc droit » décrites par le topo. Nous enfilons nos chaussons à quelques mètres de
leur bivouac, la confiance bien entamée par le renoncement de ces montagnards
athlétiques. Puis nous cherchons à notre tour ces rochers commodes introuvables.
Droit au-dessus de nous finit par se présenter un grand dièdre très raide, faisant deux
longueurs, dans lequel pendouillent plusieurs sangles, que nous évaluons à Vsup.
Vers la fin de ce dièdre, nous apercevons la tour grise décrite par le topo qui donne
accès au bastion. Un dièdre très raide et bien fissuré pour placer les coinceurs et faire
au besoin quelques pas en artif, c'est mon rayon, au contraire des dalles friction. Je
me lance, un peu tendu, persuadé que les sangles sont des signes de réchappes. En
deux longueurs impressionnantes mais rapidement enlevées, nous arrivons au
sommet caractéristique de la tour grise et le bastion miraculeusement s'offre à nous.
Nous arriverons au miroir à 16h et au sommet à 19h où nous nous octroierons un
second bivouac assis chacun sur un rocher, dans le froid, devant les pentes craquant
bruyamment du pic Coolidge éclairées par la lune, insomniaques et heureux. Le sens
de l'itinéraire avait été seulement la capacité de franchir un passage difficile et
d'oublier le topo incompréhensible.

170
3/ Les topos

Les fondateurs de l'Alpine Club avaient parfaitement compris qu'être adulte en


montagne supposait de ne pas dépendre entièrement de la connaissance des lieux
qu'avaient les indigènes. C'est la raison pour laquelle ils publièrent dès 1863 le
premier guide alpin sérieux, celui de John Ball (1818-1889), premier président de
l'Alpine Club, intitulé Ball's Alpine Guide : The Western Alps162, tout en faisant
réviser la carte du massif du Mont-Blanc et dresser celles d'autres massifs. L'ouvrage
de Ball sera régulièrement réédité en 1866, 1870, 1877, puis revu par Coolidge en
1898. Depuis ce jour, les topos sont l'indispensable compagnon de l'alpiniste
autonome, et tout individu ayant rédigé ou diffusant un descriptif loyal d'une course
de montagne doit être considéré comme un grand ami de l'alpinisme sans guide.

On reproche souvent à l'amateur de grimper le nez dans le topo, ce qui


signifierait qu'il ne cherche pas suffisamment les indices du terrain pour trouver son
itinéraire. L'injonction lui est aussi faite de se remettre en question plutôt que
d'incriminer trop vite une prétendue erreur du topo. A ces deux poncifs nous devons
opposer une négation catégorique. En une vingtaine d'année de pratique, nous n'avons
pas vu une cordée grimper le nez dans le topo. Nous avons simplement rencontré
parfois des grimpeurs ne trouvant pas l'itinéraire et lisant le topo, ce qui n'est pas la
même chose, ces grimpeurs ayant même tout à fait raison de le lire. Nous avons
également consulté quelques topos incompréhensibles ainsi qu'un certain nombre
d'erreurs manifestes.

On ne peut penser qu'un faiseur de topo réalise autant de travail pour le seul
plaisir pervers d'égarer les lecteurs. Cette idée serait absurde. Le rédacteur est
nécessairement de bonne foi, et les descriptions sibyllines tiennent généralement tout
simplement à la difficulté qu'il y a à décrire un passage d'escalade. Tous les rochers
se ressemblent, et ce qui apparaît comme un rocher en tête de Sphinx pour l'un sera
invisible pour un autre moins imaginatif. Parfois cependant, une véritable erreur se
glisse dans un descriptif, ou une lacune dans la description, toutes les cordées
cherchant à répéter la voie se perdant exactement au même endroit. Les faux amis du
faiseur de topo se gardent bien de l'en avertir, se félicitant de l'écrémage réalisé sur le
terrain, terrain où l'on prend grand soin d'effacer toute trace de passage. Un exemple
célèbre est le fameux rappel de Grépon-Mer de Glace que les connaisseurs des lieux
franchissent si possible sans témoin...

On recommandera donc d'emporter les photocopies de plusieurs topos dès que


la course est d'envergure, celle-ci mesurée à l'aulne de sa propre expérience. L'un
correspondra probablement mieux qu'un autre au terrain pour une portion de
l'itinéraire, la pertinence pouvant s'inverser pour une autre portion.
En définitive, l'alpiniste amateur va certainement souvent pester en brandissant
162 L'alpinisme, Georges Casella, éditions P. Laffite, 1913. Réédition Slatkine en 1980.

171
le texte abscons, mais qu'il se rappelle que le rédacteur de la page qu'il a entre ses
mains est son meilleur ami et qu'il n'en n'a pas d'autre...

4/ Une reconnaissance poussée

Se perdre la nuit dans des champs de neige qui se ressemblent tous est d'une
déconcertante facilité. De jour, vous aviez pris vos repères, cette masse rocheuse
qu'on tourne par la droite, la tour sombre qui était la ligne directrice suivante, vous
étiez sûr de votre coup. L'approche, c'est dans la poche. Mais voilà, de nuit, tous les
repères semblent étonnement loin, les pentes paraissent plus raides, et vous peinez
même à distinguer les langues de neige qui séparent les éperons rocheux des
contreforts. Il n'est pas rare de voir des cordées remontant une belle pente de neige ne
menant nulle part pour avoir manqué le bon couloir. Méfiance requise devant les
traces fantaisistes. Alors, trois suggestions :
La première est de choisir pour ces courses essentiellement nocturnes une nuit
éclairée. C'est à dire avec au moins un tiers de la lune, et sans nuages. A la pleine
lune, on voit presque aussi bien qu'en plein jour.
La deuxième proposition est de monter des piles neuves dans toutes les
frontales de la cordée, et de posséder des lampes de puissance identique car celui qui
possède une lampe peu puissante est très handicapé par le faisceau éblouissant de la
formidable lampe dernier cri de son compagnon. Mettez vous donc d'accord au
moment de l'achat et ne descendez pas au-dessous de 100 lumens.
Certaines cordées se promènent maintenant avec de véritables phares, très
intéressants quand on doute de l'itinéraire. En rocher, ils éclairent suffisamment pour
deviner la difficulté des rochers situés au-dessus de soi, ce que ne permet pas une
lampe faible. Ces lampes très haut de gamme et très chères sont surtout utilisées par
les trailers qui ont besoin d'un bon éclairage car ils courent vite. C'est à eux qu'il faut
demander des conseils sur les dernières nouveautés.
On trouve dans les catalogues des ratios poids puissance prix très intéressants :
82g, 350 lumens. L'autonomie est également une caractéristique importante. En
conditions froides, les piles alcalines sont vite épuisées (inefficaces au dessous de
moins dix degrés Celsius), et les lampes frontales sont maintenant compatibles avec
les piles lithium pour les grandes occasions. On peut emporter dans une poche près
du corps, donc au chaud, un jeu de trois piles AAA de rechange pour la cordée au
cas où l'on tomberait sur un premier jeu de piles déchargées comme la mésaventure
racontée par Jean-Marc Boivin, contraint de finir une approche dans le noir complet
après deux jeux successifs défaillants 163. Les accumulateurs rechargeables sur prise
USB sont en passe de détrôner totalement les piles dans les lieux où il est possible de
recharger entre deux courses.
La troisième suggestion est de connaître l'approche parfaitement en l'ayant déjà
parcourue intégralement de jour. L'idéal est que cette approche soit commune avec
une course plus facile que vous avez réalisée : par exemple, vous connaissez
163 L'abominable homme des glaces, Jean-Marc Boivin, éditions Flammarion, 1983.

172
l'approche du Migot parce que vous avez fait l'arête Forbes l'année précédente. Si ce
n'est pas possible, l'approche jusqu'à la rimaye sera votre course d'entraînement de
début de saison. Au petit matin, mais de jour, et avec un sac léger, muni de votre
appareil photo, l'objectif est d'aller voir à quoi ce couloir ressemble, et quelle est
l'allure de la rimaye. Si vous pouviez observer quelques cordées et vous rendre
compte avec les petites jumelles que vous avez emportées de leur façon de
progresser, ce serait grandement profitable. Voir les casques de couleur s'élever
régulièrement dans la pente qui vous impressionne va vous donner une furieuse envie
de revenir pour en être. Vous avez fait une pierre trois coups : dissipation de
l’appréhension de l'approche, horaire prochain non gâché par une bête erreur
d'orientation nocturne, motivation doublée.

5/ S'aventurer et se perdre

Se lancer dans une longueur incertaine


Continuer de grimper des passages difficiles, relativement au niveau de la
cordée, alors qu'on éprouve un gros doute sur le fait d'être encore sur l'itinéraire,
suppose une grande maîtrise de soi.
Plutôt que d'envisager la longueur comme une succession de prises et de lire la
séquence d'escalade, la priorité doit être donnée à la lecture des possibilités
d'assurage.
Tant que vous voyez au-dessus de votre tête des fissures qui vont pouvoir
accueillir des coinceurs ou des pitons, ou des becquets pour vos sangles, continuez,
même si les pas sont très difficiles. Si vous bloquez, vous poserez une protection
solide et commencerez votre réchappe. Par contre, si vous ne voyez que des dalles
compactes, pas forcément très dures, mais très délicates à désescalader, comment
allez-vous faire si vous ne pouvez placer aucune protection ? Continuer à l'aveuglette
jusqu'en bout de corde en n'ayant placé qu'un petit friend décoratif peut vous mettre
dans une situation très dangereuse si vous ne trouvez pas de quoi faire relais. Il est ici
impératif que vous confirmiez le bon itinéraire avant de vous exposer davantage.
Même chose en cascade de glace : continuez de grimper tant que vous voyez au-
dessus de vous une zone possible pour brocher, même si la grimpe paraît ahurissante.
Arrivé à cette zone, vous vous vacherez sur un piolet, visserez une broche et pourrez
toujours vous faire mouliner jusqu'au relais. A la salle, vous lisiez du sol les prises
rouges, ici, vous lisez les emplacements propices aux protections.

Mémoriser les échappatoires


Parfois, la voie classique qui se déroule en arête croise le sommet de voies
modernes. Celles-ci sont équipées en rappel sur goujons. Il est intéressant de
conserver leurs emplacements dans un coin de sa tête, au cas où une complication
surviendrait. Essayez de mémoriser l'heure et l'altitude. Placez un cairn si c'est
faisable sans risque qu'il s'écroule sur une longueur sous-jacente.

173
La descente
Bertrand Kempf164 écrivait en 1962 : « Comme nous l'avons signalé dans le
chapitre relatif à la moyenne montagne, les erreurs d'itinéraire sont plus fréquentes et
plus graves à la descente, car les parties les plus escarpées sont cachées du regard. »
Les descentes les plus piégeuses sont celles qui franchissent de petites brèches ou des
côtes mal définies pour changer de ligne générale. On trouve de telles configurations,
par exemple, dans la descente de la voie normale des Bans, dans la descente de
l'Ailefroide occidentale, dans la descente du Chardonnet, ou encore dans la descente
de l'arête du Hörnli au Cervin. Le danger est qu'il est très facile de manquer la
bifurcation car la descente pourrait se poursuivre commodément le long de la ligne
précédente. Emportée par le désir d'en finir et de perdre rapidement de l'altitude, la
cordée ne voit pas à temps qu'elle a manqué le coche et qu'elle se dirige dans une
impasse. Pour peu que la fatigue s'en mêle, on rechigne à reconnaître qu'on s'est
trompé car il faudrait remonter longuement ce qu'on vient de descendre, parfois dans
une neige molle très pénible. Si on s'entête et qu'on lance un rappel qu'on ne pourra
plus remonter, on peut se mettre dans de très grandes difficultés. C'est ainsi que de
nombreuses cordées appellent le PGHM après s'être perdues à la descente de
l'Ailefroide centrale pour avoir manqué la traversée vers la voie normale de
l'Ailefroide orientale.
Pour éviter ces désagréments, plusieurs précautions :
- On ne se laisse pas gagner par la griserie d'un couloir facile à descendre, mais
on regarde attentivement à droite et à gauche à la recherche permanente d'indications
pouvant faire penser à une bifurcation : cairn, traces de passage, sangle, petite brèche,
rupture de pente, minuscule vire, traversée de la trace sans raison apparente, etc.
- On a lu et relu le topo de la descente, et au moindre doute, on le sort de sa
poche et on le relit encore. Et on cherche à faire coïncider le descriptif avec le terrain
qu'on a sous les yeux. Il s'agit de comprendre ce que l'auteur a voulu dire.
- On est attentif à l'interruption soudaine de la trace et on ne se fie pas trop à
d'éventuelles traces de chamois, ces montagnards-là étant d'un trop fort niveau pour
qu'on envisage de toujours les suivre.
- Quand on se met à douter, on a le courage de remonter jusqu'au dernier
endroit où on était sûr d'être sur le bon itinéraire, même si c'est exténuant et qu'on est
très fatigué. Au besoin, on fait une pause de cinq minutes pour réfléchir sereinement,
à condition qu'on ne soit pas exposé aux chutes de pierres.
- On ne lance pas un rappel au petit bonheur dans une barre qu'il sera
impossible de remonter en escalade, sous prétexte qu'on a dans son sac plusieurs
mètres de cordelette et trois ou quatre pitons.
- On sort l'altimètre, le morceau de carte qu'on a emporté, et la prochaine fois,
on le jure, on pensera à avoir recalé l'altimètre au sommet pour être sûr de sa fiabilité.
- On ascensionne la voie normale alambiquée qui sert de descente l'année
précédente et on emporte deux ou trois photographies qu'on a prises des lieux à ne
surtout pas manquer.
164 Guide pratique de la montagne, Bertrand Kempf, éditions Flammarion, 1962.

174
Perdu
Cette fois ça y est, vous êtes sûr et certain de ne pas être dans l'itinéraire. Vous
voilà moins bête. Le problème est que le début de la soirée a commencé et que vous
êtes au milieu de nulle part.
Personne n'est blessé, il n'y a aucune raison de dégainer le portable plus vite
que son ombre.
Pour savoir si vous avez été vraiment couillon, vérifiez deux choses :
- Le ciel au-dessus de votre tête : Bleu : Tout va bien. L'averse qui se prépare :
Qui a pris la météo ?
- Le contenu du sac : Des vêtements chauds, un grand sac poubelle de 150
litres, un petit rectangle de mousse, un peu d'eau, des vivres de course : Tout va bien.
Un sac vide : Qui n'a pas pris à temps la décision d'entamer la descente ?
Maintenant, la meilleure chose à faire est de trouver un emplacement
horizontal à l'abri du vent pour passer la nuit. Cela tombe bien, vous vous souvenez
que trois longueurs en-dessous, vous avez traversé une terrasse avec encore un peu de
neige dans un coin. Lancez vos rappels avant la nuit. Une fois sur la terrasse, si vos
proches attendent votre retour dans la vallée, essayez le portable pour les rassurer afin
qu'ils ne déclenchent pas les secours. Demain, selon votre forme, vous finirez la voie
si vous trouvez enfin l'itinéraire ou vous terminerez la descente. La prochaine fois,
sûr que vous n'oublierez plus votre petite doudoune...

Navigation aux instruments


Il existe beaucoup de phantasmes concernant l'utilisation des outils
d'orientation en haute-montagne. Ils tiennent probablement à ce que le randonneur
fait couramment usage de la boussole et de la carte au 1/25 000ème même pour une
simple promenade en forêt, et qu'il imagine qu'en terrain plus aventureux, leur
utilisation deviendrait plus délicate. Il n'en est rien.
En haute-montagne, le relief accidenté offre de nombreux points de repère. Il
est rare que les nuages enveloppent la totalité des pics environnants, et l'alpiniste est
rapidement capable, dès qu'il connaît approximativement un bassin, de mettre un
nom sur chacun d'eux. Sur le glacier des Nantillons par exemple, on est cerné par de
vieilles connaissances : l'aiguille de l'M, les Petits Charmoz, les Grands Charmoz, le
Grépon, le bec d'Oiseau, l'aiguille de Blaitière ; et vers l'aval, Chamonix. Si l'on tient
absolument à consulter le bout de carte qu'on a emporté, nul besoin de sortir la
boussole pour l'orienter. Le sens de la pente et un sommet connu suffisent. Ceci est la
première grosse différence avec l'orientation en forêt où le sol est horizontal et où
tous les arbres se ressemblent. Le morceau de carte emporté doit être suffisamment
large pour englober les sommets environnants sur le versant côté montée comme sur
le versant côté descente.
Les problèmes d'itinéraires de l'alpiniste, on l'a vu, représentent le plus souvent
peu de chose sur une carte d'état-major. Il s'agit surtout de savoir si on escalade le
dièdre de gauche ou la dalle de droite, sachant que ni l'un ni l'autre n'inspirent

175
confiance... La carte, la boussole, ne sont d'aucune utilité dans ces moments-là. Par
contre, l'altimètre peut parfois donner une indication sur la hauteur atteinte,
spécialement si on a longtemps grimpé corde tendue et qu'on n'a donc pas pu compter
le nombre de longueurs de corde. Il faudra dans ce cas avoir noté – dans sa tête -
l'altitude fournie par l'instrument au pied de la paroi, pour connaître le dénivelé
accompli. (Voir chapitre suivant pour les variations de l'instrument.) Ceci permet de
se situer approximativement, non pour décider du chemin à suivre, mais plutôt pour
savoir si on dispose de suffisamment de temps avant la nuit pour finir la voie. Avoir
grimpé 400 mètres d'une voie de 800 mètres alors qu'il est quatre heures de l'après-
midi va conduire à se poser quelques questions...
Il reste ensuite le problème de la nuit, et surtout du brouillard. Les fervents de
la technologie seront sans doute déçus d'apprendre que le GPS est capable d'indiquer
une position complètement fantaisiste en cas de brouillard dense, quand on en aurait
le plus besoin. Nous en avons fait l'expérience sur notre voilier devant Bandol,
manquant de rencontrer un navire réparant une énorme bouée métallique, après
plusieurs sautes d'humeur de notre GPS devenu capricieux. Cependant, les GPS de
dernière génération (SIRF IV) savent capter à travers le roof d'un voilier.
La première chose à faire quand le brouillard s'installe consiste à se repérer
soigneusement avant de ne plus rien voir. On peut aussi relever l'azimut d'un amer
spécialement important pour la suite. La seconde chose est d'élaborer dès maintenant
la stratégie pour rejoindre un lieu connu, la moraine du glacier par exemple. Avant
de dévaler les deux derniers rappels et s'enfoncer dans la brume, on profite du beau
poste d'observation que constitue le relais pour relever l'itinéraire à suivre. On
mémorise qu'une fois franchie la rimaye qui est sous nos pieds, il faudra prendre
plein sud pour rejoindre le collet menant au refuge.
Les endroits les plus traîtres sont souvent les plus débonnaires par beau temps.
Ce sont les lieux peu accidentés et de grande étendue, où les repères proches sont
inexistants et où la pente est insuffisamment forte pour constituer une indication
précise. On cite souvent le col du Géant ou le Dôme du Goûter.
Les skieurs savent qu'en cas de brouillard dense, l'absence d'orientation peut
aller jusqu'à ne plus savoir si l'on monte ou si l'on descend, et qu'on peut même finir
par perdre l'équilibre à l'arrêt. Dans ces occasions, voici deux armes habituelles, à
conjuguer pour se diriger vers un endroit précis :
1/ On pratique un erreur volontaire d'azimut, par exemple vers la droite, de
façon à être certain que l'objectif (le refuge, le col...) sera à notre gauche à la fin de la
progression. On suit cet azimut jusqu'à rencontrer soit un repère connu (une barre
rocheuse par exemple), soit l'altitude de l'objectif.
2/ On suit ensuite la courbe de niveau, grâce à l'altimètre tenu dans la main,
jusqu'à rencontrer l'objectif.

Quand on suit un azimut, c'est le grimpeur de l'arrière qui tient la boussole et


oriente de la voix le grimpeur de tête de façon à aligner la corde avec l'indication de
la boussole. La déclinaison magnétique est négligeable en France en 2017. A

176
l'étranger, il faut se renseigner. Elle vaut par exemple actuellement environ 16° Est
dans les Rocheuses canadiennes.
Quand on suit une courbe de niveau, c'est au contraire le grimpeur de tête qui
tient l'altimètre, afin d'éviter d'incessantes corrections.
Si on prévoit une course se déroulant sur de grandes étendues et que le temps
est douteux, on peut préparer sa route à la maison au cas où on ne verrait plus rien sur
le terrain. On peut aussi emporter une feuille de papier et un crayon pour noter les
relevés faits à l'aller en prévision du retour.
La marche aux instruments ne doit pas faire oublier la réalité du terrain. Il n'est
pas toujours possible, techniquement, de suivre l'azimut envisagé. Ne pas oublier les
barres rocheuses, les séracs, les crevasses infranchissables. En mer, le skipper
comprend généralement assez vite, malgré le calcul d'un azimut soigné, que son
voilier aura du mal à traverser le prochain îlot de part en part...

177
Chapitre 8 : Les conditions
« Mais là, une nouvelle surprise m'attend. Dès que je passe mon bras de l'autre
côté de l'angle, un vent très fort s'engouffre dans la manche de mon blouson. (…) Je
retente une sortie côté vent. J'y passe tout mon corps pour m'éviter d'être
déséquilibré. Il est peut-être tout de même possible de grimper avec le vent. Mais
non ! » Alain Robert165, lors de son échec dans l'escalade de l'Arche de la Défense à
Paris.
Les conditions font la difficulté de la course. Quand elles sont exécrables, une
petite course F que le dédain assimile à une promenade peut devenir infréquentable à
des cordées insuffisamment expérimentées. La haute-montagne est aussi capable de
fermer sa porte au plus chevronné des alpinistes comme la mer au meilleur équipage.
Voici quelques généralités qui n'ont rien de paroles d'évangile.
La saison classique d'alpinisme commence vers la fin du mois de juin.
Grossièrement, on commence l'été par les courses de neige, puis on poursuit par les
courses de rocher. Beaucoup de couloirs de neige doivent maintenant être réalisés
début juin, juste après les grosses purges de la fin du printemps. Si on a la chance
d'habiter dans la région de la montagne, on se fait une idée des conditions qu'on va
avoir en été en fonction des quantités de neige tombées en hiver et au début du
printemps.
C'est au début de l'été que les glaciers sont le plus praticables. Les crevasses
sont visibles et leurs ponts de neige sont encore solides. La neige est dure et ne
nécessite pas l'emploi des raquettes. Les rimayes sont faciles à franchir. De plus, les
165 Op. cit., Alain Robert, p.17.

178
jours sont longs et pardonnent bien des bêtises, et la neige quitte le rocher.
Après le 15 juillet, on gravit plus rarement le couloir Whymper à l'aiguille
Verte. Mais la saison ne fait que commencer pour la traversée de la Meije. Passée la
mi-août, l'accès à un certain nombre de courses rocheuses devient impossible en
raison d'une rimaye trop ouverte. D'autres courses rocheuses, dont le névé au pied de
la paroi disparaît complètement, sont au contraire facilitées car on n'a plus à
transporter les crampons, par exemple la face ouest de la Rouye dans le Valgaudemar.
Certaines courses sont faisables début juillet et mi-août mais changent de caractère :
de bons rochassiers peu expérimentés en glace préféreront gravir l'éperon Frendo à
l'aiguille du Midi avec une seconde partie en neige quitte à devoir s'accommoder
d'une partie rocheuse plus difficile car partiellement enneigée, tandis que de bons
glaciéristes attendront un rocher parfaitement sec et feront leur affaire d'une seconde
partie en glace. La première cordée ira en juillet, la seconde en août.

1/ Installer le Q.G.
Si vous avez aménagé un fourgon, la petite étagère où vous rangez vos topos
est surmontée d'un panneau d'affichage pour la météo que vous avez recopiée de vos
différentes sources. On y voit la liste des courses projetées pour les vacances, les
courses d'entraînement d'un côté, les objectifs sérieux de l'autre, une ou deux courses
de rocher d'altitude inférieure à 3000m qui restent faisables quand la neige a plâtré les
hauts sommets. Optimiser les vacances va consister à faire coïncider au mieux les
minuscules créneaux météo permis par un été chaotique avec les impératifs de chaque
course projetée. « C'est ça le casse-tête chinois » disait Patrick Berhault166. Vous
suivrez les bulletins sur plusieurs jours pour avoir une idée de l'enneigement et des
risques de plaques à vent ou de corniches.
Chaque jour, vous allez lire le bulletin affiché à l'Office du Tourisme, à la
Maison de la Montagne ou à la remontée mécanique.
Si vous avez accès à internet, deux sites sont parfaits :
1/Météo-alpes.org : www.meteo-chamonix.org/drupal/p-r-e-v-i-s-i-o-n-s/alpes-
du-nord
2/Chamonix météo.com : www.chamonix-meteo.com/chamonix-mont-
blanc/meteo/prevision/matin/previ_meteo_5_jours.php
Le serveur vocal de Météo France est le: 08 99 71 02 et les 2 chiffres du
département.
Ce qui vous intéresse dans le bulletin, c'est :
- L'altitude de l'isotherme 0°C pour savoir s'il y aura un bon regel, mais aussi
savoir s'il fera chaud ou froid. Chaud : possibilité de course de rocher longue. Le
bivouac forcé en paroi ne sera pas trop inconfortable. Les jours d'attente, un
isotherme élevé fait fondre plus vite la neige résiduelle sur les rochers. Froid :
possibilité de course de neige raide. Le cramponnage se fera en sécurité. Mais aussi,
plus de vêtements et de matériel pour le bivouac de la veille, donc sac plus lourd. On
166 La cordée de rêve, film de Gilles Chappaz, Migoo productions, 2004.

179
partira plus tôt du parking, d'autant qu'il faudra se coucher tôt, car demain, réveil à
2h30 au plus tard pour le Migot au Chardonnet.
- Le vent : Vent du nord fort au-dessus de 4000m : pas terrible pour escalader la
dent du Géant, mais sans problème pour la face sud du Pouce, occasion de grimper
sur le gneiss compact du rocher des Gaillands en plus grand. Foehn : on oublie les
courses de neige raides. Vent et neige : risque de corniches ou de plaques. Vent
variable et faible en altitude, : synonyme d'instabilité pouvant dégénérer en orage.
- L'averse en fin d'après-midi ou orage : On choisit une course relativement
courte, en tous cas sans risque de bivouac. Il n'est pas rare que l'averse de milieu
d'après-midi de météo-France commence à 9 heures du matin dans le monde réel...
- L'averse la veille de la course : on monte plus tôt au bivouac pour ne pas
s'installer tout trempé. On emporte les ponchos en plus des veste gore-tex. On soigne
l'emplacement de bivouac hors des écoulements d'eau : attention aux cuvettes,
sympathiques quand on les voit sèches, nettement moins confortables quand on se
réveille en pleine nuit sous l'orage au milieu du lac. Le lendemain, exceptionnelle
grasse matinée, pour que les dalles sèchent un peu : réveil à 5 heures.
- La neige des jours précédents et le risque d'avalanche ou de plaques à vent.
- Le ciel nocturne plus ou moins nuageux : Ciel clair, bon regel.

A Chamonix, dès que vous avez un objectif, vous pouvez vous rendre à la
Maison de la Montagne, 190 place de l'église 74400 Chamonix (Téléphone :
+33(0)4.50.53.22.08), ouverte du lundi au samedi, de 9h à 12h et de 15h à 18h. A son
dernier étage, vous trouvez l'Office de Haute-Montagne qui dépend de la société de
secours La Chamoniarde. Vous pouvez interroger le personnel quant à la faisabilité
de votre projet. Vous pouvez aussi consulter les topos en libre-service, du massif du
Mont-Blanc ou d'autres massifs, en France et à l'étranger, et acheter pour une somme
très modique les photocopies qui vous intéressent.
Vous saurez ainsi si la course a été faite récemment, si elle semble en
condition, si elle est en glace ou en neige. On vous conseillera quant au créneau
météo, au regel, à la praticabilité de la rimaye, etc.

Dans les Écrins, on ne bénéficie pas d'une telle organisation. Des Maisons de la
Montagne ont cependant également été créées.
On pourra se renseigner auprès des cordées de retour de course. De gros sacs
qui reviennent au refuge ou au camping avec les piolets qui dépassent, vous leur
sautez dessus pour leur demander la course réalisée et les conditions. Pentes en neige
ou en glace ? Bonne trace ou absence de fréquentation ? Rocher sec ou enneigé ?
Rimaye ouverte ou fermée ? Chutes de pierres ou absence de danger ? Itinéraire
facile ou difficile à suivre ?
Les gardiens de refuge peuvent parfois être de bon conseil. Il faut penser qu'ils
peuvent minimiser les difficultés pour faire monter les clients. Ces informations sont
donc, comme d'ailleurs celles des cordées de retour, à prendre avec le même sens
critique que celui que les plaisanciers entretiennent vis à vis des propos de pontons...

180
En cas de sinistre, le fait de tenir un Q.G. météo et conditions, dans votre
fourgon, dans la boîte à gants de votre voiture, dans votre tente ou à votre hôtel, est
susceptible de montrer que vous ne vous engagez pas à la légère en haute-montagne,
et que vous avez un grand sens des responsabilités. Un crédit en votre faveur qui
comptera peut-être un jour.

2/ La course de neige AD
Les courses de neige et les courses mixtes qui ne sont plus des courses faciles
posent de nouveaux problèmes à l'amateur disponible pendant ses congés d'été.
Le premier de ces problèmes est dû au décalage grandissant de la saison idéale
vers le printemps (voire vers l'automne pour certaines courses), en raison du
réchauffement climatique actuel. Manque d'enneigement et isothermes 0° supérieurs
à 4000 m devenus la norme en été font que ces courses doivent être réalisées au plus
tard au tout début de l'été, c'est à dire à une période où l'amateur n'a pas encore repris
ses marques, n'est ni entraîné ni acclimaté à l'altitude, et parfois même pas encore en
vacances. Ceci est d'autant plus gênant que ces courses sont celles où il faut tenir un
horaire pour la sécurité de la cordée (sortie du couloir avant les chutes de pierres
provoquées par les premiers rayons du soleil touchant le haut de la pente, descente de
la pente raide avant que la neige transformée ne deviennent pourrie, c'est à dire
dangereuse car non cramponnable), ce qui suppose une excellente forme physique.
Le second problème est la lecture des conditions. Si Bruno Gardent a su
magistralement réaliser la première hivernale de la face nord de la Meije, c'est qu'il
pouvait guetter le jour idoine depuis sa fenêtre. Depuis Paris, la chose est moins
aisée. Les indications récoltées au Q.G. sont précieuses, mais ne remplacent pas la
vue directe sur une face ou un couloir qu'on voit régulièrement en passant à son pied.
Il est alors probable que les ascensions glaciaires ou mixtes ne constituent pas
l'essentiel de votre carnet de course. Vous y serez par conséquent moins à l'aise que
pour vos courses de rocher, sauf aptitude particulière. La pratique de la cascade de
glace l'hiver doit vous permettre d'acquérir au moins un bagage technique largement
suffisant pour tout passage mixte ou de glace, de maîtriser la pose de protections
(brochage) ou de rappels (abalakov), et d'être capable d'apprécier la qualité de la
glace et de vos ancrages comme d'appréhender le risque de s'engager dans une
goulotte à la suite d'une cordée qui ne peut s'empêcher de détacher de monstrueuses
assiettes de glace à chaque désancrage de piolet. Toutes expériences de cascade
grandement profitables qui compenseront, un peu, votre manque de condition
physique.

3/ L'isotherme 0°
L'isotherme 0° est une donnée importante du bulletin météo. Il est mesuré pour
les Alpes du Nord par l'envoi d'un ballon équipé d'un thermomètre au-dessus de la
ville de Lyon et d'un second au nord de Lausanne, toutes les 12 heures. Il donne une

181
indication quand à l'altitude du regel de la neige en montagne, mais un isotherme 0° à
4000 m ne signifie pas que la neige ne va pas regeler bien plus bas dans certaines
circonstances favorables.
Les facteurs favorisant le regel sont :
– une nuit claire et sans vent ;
– une surface de neige très exposée au ciel, et non, encaissée comme un
couloir ;
– une surface de neige environnée d'autres surfaces de neige, et non de
rochers ;
– une atmosphère pure, non polluée (donc éloignée de la vallée) ;
– une neige propre (absence de passage, absence de coulée de terre dans un
couloir) ;
– une neige contenant peu d'air (les marches tassées de la bonne trace des
cordées des jours précédents gèleront plus facilement).

La neige peut ainsi regeler jusqu'à 1000m sous l'isotherme 0° en été si on


cumule tous ces facteurs favorables. Par contre, l'isotherme élevé fera très vite
dégeler cette neige, et il faudra courir dans la voie... Partir très tôt ne suffira alors pas
toujours, car le regel ne se produira qu'au moment le plus froid, c'est à dire en fin de
nuit, vers 3 ou 4 heures. Vous aviez bien observé ce phénomène à vos déjà nombreux
bivouacs : presque trop chaud le soir au moment de s'endormir crânement, puis
recroquevillé et grelottant dans le mince sursac dans la dernière partie de la nuit,
vous demandant dans quel état de congélation l'aurore va vous trouver. Le créneau du
bon regel est donc court. Il faudra partir, ni trop tard pour cause de dégel rapide, ni
trop tôt pour éviter de brasser dans une neige chaude pendant toute l'approche et le
début du couloir. Sans compter les chutes de pierres qui pourront se déclencher au
moment du refroidissement, alors que vous êtes déjà entrés dans le couloir.
Un isotherme 0° bas reste donc une condition très confortable pour qui ne veut
pas, ou ne peut pas, courir. Une cordée d'amateurs a besoin de cet isotherme bas pour
rester en sécurité pendant toute la durée de la course. Elle pourra partir très tôt (les
cordées se lèvent souvent à 23h pour le couloir Whymper à l'aiguille Verte, à 2h30
pour l'éperon Migot au Chardonnet) pour compenser sa relative lenteur.

4/ Les chutes de neige récentes


Des chutes de neige importantes peuvent se produire en été. Dans les courtes
périodes de refroidissement qui durent quelques jours, on voit la neige couramment
descendre à 3000m, parfois beaucoup plus bas. Pierre Allain conseillait d'attendre
deux ou trois jours de beau temps après une chute de neige pour retourner en haute-
montagne. Ce conseil est toujours d'actualité.
Dans les couloirs, il faut attendre que la neige fraîche se transforme ou que la
pente se purge dans le cas d'une grosse chute de neige. En hiver, un froid rigoureux
peut empêcher la neige de se transformer, ce qui prolonge le risque d'avalanche. En

182
été, l'idéal est d'avoir des températures chaudes permettant la purge ou la
transformation, puis un bon regel le jour de la course.
Sur le rocher, on doit attendre que la neige disparaisse ou, au moins, qu'elle ne
soit pas trop envahissante. Du bas, une face peut paraître sèche alors qu'elle reste très
enneigée car les parties horizontales sont cachées. L'idéal est de l'observer depuis la
montagne qui est en face, même si on n'est pas à la même altitude. En revenant du
refuge du Couvercle, vous aurez par exemple une belle vue avec suffisamment de
recul sur la face est du Grépon. Certaines courses de rocher tolèrent une neige
résiduelle ; celle-ci peut même être souhaitable pour stabiliser un mauvais rocher.
D'autres ne peuvent être réalisées que sur un rocher parfaitement sec, ce qui est le cas
quand de nombreux passages sont en adhérence sur des dalles. Dans une face nord, la
fonte de la neige peut produire du verglas. Bien sûr, la neige fondera plus vite en face
sud qu'en face nord, et sur les arêtes que dans les zones encaissées. Il faut se méfier
des courses qui suivent des fissures, l'humidité y restant longtemps, même à basse
altitude comme par exemple le bas de la voie Ménégaux à l'aiguille de l'M.

5/ La sécheresse
Une longue période chaude et sèche n'est pas la garantie de bonnes conditions.
Des zones habituellement enneigées peuvent être dégarnies et libérer des pierres. En
général, saison sèche égale chutes de pierres.
Les écroulements monumentaux peuvent également survenir par suite de la
dégradation de la glace (pergélisol) soudant des pans entiers de montagne, par la
conjugaison de fortes précipitations et de températures élevées. Les géologues 167
pensent actuellement qu'il s'agit de la principale cause des écroulements récents
(2005 et 2011) de la face ouest du Petit Dru, même si des séismes ont plusieurs fois
joué un rôle préparateur (séismes de 1905, de 2005). La probabilité que l'alpiniste soit
présent lors d'un épisode de ce que les scientifiques appellent une « crise morpho-
dynamique » de la montagne est heureusement faible. Les nombreux écroulements du
Dru n'ont fait aucune victime.
La neige quittant les couloirs, ceux-ci deviennent en glace. Quand il ne s'agit
que de courtes portions, les couloirs se gravissent encore, mais on ne fréquente
généralement pas un couloir entièrement ou presque entièrement en glace.
Accroissement du temps passé dans le couloir et augmentation du nombre de chutes
de pierres serait la combinaison fatale. Quand un couloir est sali par des traînées de
pierrailles, vous pouvez considérer qu'il est fermé.
Une minuscule chute de neige peut être très trompeuse depuis la vallée par le
beau coup de pinceau blanc passé sur la montagne. En débarquant à Chamonix, vous
pouvez penser que la partie neige de l'éperon Frendo est en excellente condition, alors
que les alpinistes déjà présents avant le mauvais temps avaient sous les yeux depuis
plusieurs semaines une glace sombre coupée en plusieurs endroits de souillures

167 La face ouest des Drus (massif du Mont-Blanc) : évolution de l'instabilité d'une paroi rocheuse dans la haute
montagne alpine depuis la fin du petit âge glaciaire, Ludovic Ravanel et Philip Deline, Géomorphologie : relief,
processus, environnement, vol.14, n°4/2008, 261-272.

183
noires. La mince couche de peinture, jolie depuis la terrasse de café, ne sera d'aucune
utilité dans la pente. Il aurait été préférable de se renseigner sur les conditions des
jours précédents.

6/ Les observations sur le terrain


Au réveil le matin de la course, un bon réflexe est d'aller dehors. Les étoiles
brillent, il fait froid : parfait.
Pendant la course, on peut remarquer quelques phénomènes :
– Le sommet de la montagne fume en fin de matinée : signe de beau temps.
– Un nuage lenticulaire se forme au-dessus du sommet, comme l'âne du
Mont-Blanc : signe de l'arrivée d'une perturbation.
– Un halo se forme autour de la pleine lune ou du soleil : il va pleuvoir dans
quelques heures, au maximum dans une demi-journée.
– Les traînées des avions à réaction tardent à disparaître : le beau temps ne va
pas durer plus d'une journée.
– Le vent en altitude est faible et variable : des orages non prévus par le
bulletin météo peuvent se déclencher.
– Dans le massif des Écrins, le mauvais temps vient le plus souvent du sud.
Dans le massif du Mont-Blanc, il vient généralement de l'ouest. Si le vent
en vient, regarder dans ces directions.

L'altimètre
L'altimètre, qui est un baromètre, peut également fournir une indication. Une
variation d'affichage sans déplacement de l'observateur, de plus de 50 mètres (ou
5hPa) en 3 heures est à prendre en considération, une diminution de l'altitude ou une
augmentation de pression étant signe de beau temps.

Extrait de notice d'une montre-altimètre Casio G-Shock.

En cas de déplacement, il faut se souvenir que l'altimètre respecte une loi de


correspondance entre la pression et l'altitude qui n'est vraie que dans l'Atmosphère
Standard Internationale. Cette atmosphère standard, outre une pression de 1013hPa

184
au niveau de la mer, prévoit à cette altitude zéro une température de 15°C, c'est à dire
un isotherme 0°C à 2300m. Si l'isotherme 0°C est plus élevé, l'appareil va sous-
estimer les dénivelés, du fait de la dilatation de la troposphère quand il fait chaud.

L'atmosphère, épaisse de 350 à 800 km en fonction de l'activité solaire (en moyenne


600km d'épaisseur), comporte une première couche, appelée troposphère, dans laquelle la
température décroît avec l'augmentation de l'altitude (ce qui n'est pas le cas de la couche
suivante, appelée stratosphère, dont la température augmente avec l'altitude, surtout à
partir de 30 km, jusqu'à une température moyenne de 0°C en périphérie de la couche, à 50
km). Cette troposphère, a une épaisseur moyenne de 10 km ; elle est donc celle qui
intéresse l'alpiniste. Au niveau des pôles, l'air froid lui donne une épaisseur de 6 à 8 km,
tandis qu'au niveau de l'équateur, l'air chaud lui donne une épaisseur de 16 à 18 km. Les
pressions en bas de couche et en haut de couche étant les mêmes, le gradient de pression
selon l'altitude est donc moins élevé si l'air est chaud. L'altimètre, ne connaissant que la
pression, va donc sous-estimer le dénivelé, à la montée comme à la descente.
Ceci explique par ailleurs que les sommets élevés du Kenya ou de la Tanzanie bénéficient
d'une pression en oxygène supérieure à ceux des Alpes, à altitude égale, d'où une
acclimatation plus facile.
Source : education.meteofrance.fr

Par exemple, un isotherme 0°C à 4000m, crée une sous-estimation de 34


mètres tous les 1000 mètres de dénivelés. Ceci signifie que quand on recale
l'altimètre à 1000m et qu'on s'élève de 1000m, l'altimètre va compter 966 mètres et
afficher une altitude de 1966m. Si on recale ici à l'altitude réelle de 2000m et qu'on
redescend au point de départ, l'altimètre comptera de nouveau 966 mètres de dénivelé
et affichera 1034m. Il ne faudra donc pas interpréter à tort cette sous-estimation
comme une évolution météorologique. Ce phénomène est bien sûr inversé si
l'isotherme 0°C est inférieur à 2300m, c'est à dire en hiver, les dénivelés étant alors
surestimés par l'appareil. Tout ceci n'a rien à voir avec le fait que votre altimètre soit
compensé ou non en température, car on parle dans ce cas de la température du
capteur et non de la température de l'atmosphère qui influe sur l'étagement des
pressions. Si l'on possède une montre-altimètre non compensée en température, le
port au poignet recouvert d'un vêtement à manche longue devrait éviter les erreurs
importantes.
Pendant la course, on cherche à recaler son altimètre le plus souvent possible,
dès que l'altitude d'un lieu est connue, pour conserver sa fiabilité dans l'indication de
l'altitude. Un étalonnage toutes les trois heures, rarement faisable, est l'idéal. Au-delà,
on doit nécessairement porter un regard critique sur la mesure affichée et raisonner un
peu.

7/ Franchir la rimaye
L'état de la rimaye fait partie des conditions. Certaines courses sont réputées ne
pouvoir se faire que jusqu'en milieu de saison pour cette raison. Les cordées les plus
motivées arrivent parfois à repousser l'échéance de quelques jours au prix

185
d'acrobaties au bord du gouffre. Mais il faudra dans ce cas en fin de journée savoir
aussi négocier le glacier peut être très ouvert qui constitue la descente sur l'autre
versant. Il est préférable avant de se lancer de soigneusement s'informer pour savoir
si ce glacier est encore praticable.
En bonne condition, la rimaye est bouchée et forme simplement une fente ou
une petite marche. Un grand pas et l'affaire est faite.
Quand elle est plus ouverte, un pont de neige solide peut avoir été construit par
la dernière coulée ayant purgé la pente. Ici, le couloir est si on peut dire de plain-pied.
On passe rapidement, puis on dégage vite de la goulotte d'avalanche, car plus haut
que le halo de la frontale, plusieurs centaines de mètres de dénivelée organisés en
entonnoir ne demandent qu'à passer par là au moindre appel de la pesanteur. Si la
coulée a été formidable et a jonché la pente sous la rimaye d'un amoncellement
impressionnant de gros blocs de neige compacte, on se souvient de la réflexion du
placide André Bertrand, meilleur grimpeur des Cerces de son temps, en réchappe
dans la face nord de l'Eiger avec René Desmaison tandis que des rochers gros comme
des armoires tombaient de toute part : « Ce qui tombe ne sera plus à tomber. »168
Quand le pont de neige est douteux, on en fait un examen approfondi, en allant
voir du côté gauche puis du côté droit, comme cet hiver avant de se lancer en cascade
de glace sur un free-standing où on faisait le tour de la bête pour voir si elle était
assez solide. La glace, la neige, sont solides à la compression, pas à la traction. Aussi,
on cherche à savoir si les piliers sont compacts de chaque côté du pont. La neige du
milieu doit reposer sur une sorte de voûte soumise à la compression.

Si vous n'avez pas de chance, la rimaye se présente comme un mur, la lèvre


supérieure étant très au-dessus de la lèvre inférieure. En l'absence de trace de passage,
on peut se poser la question de savoir si le couloir est réellement en condition, et s'il
n'est pas plus sage de faire demi-tour. Mais les traces ont pu aussi être effacées
récemment suite à une petite coulée, aussi n'abandonnez pas trop vite. Franchir le
mur peut ne pas être facile car il est généralement en neige plus ou moins molle, qui
supporte mal le poids du grimpeur sur les seules pointes avant des crampons.
Il faut d'abord choisir l'endroit le moins difficile, donc éliminer les endroits où
la lèvre supérieure est surplombante ou trop à distance de la lèvre inférieure.
Le second assure depuis la lèvre inférieure qui forme généralement une partie
horizontale, sans trop s'approcher du trou. Il est simplement calé dans la neige si la
pente est débonnaire, vaché à un corps-mort sinon. Il n'est pas dans l'axe de chute du
premier de cordée car réceptionner son copain équipée de crampons est moins
agréable que de l'accueillir avec ses chaussons d'escalade.
Ensuite on cherche à progresser en piolet traction et cramponnage frontal. Si la
lèvre est trop molle et à tendance à s'effondrer, il va falloir l'aménager.
Trois solutions :
1/ On creuse des marches au piolet. C'est une des dernières circonstances où
l'alpiniste contemporain s'emploie à ce genre d'exercice. - Les autres occasions de
168 Professionnel du vide, René Desmaison, éditions Arthaud, 1979.

186
tailler sont de courts passages de neige dure ou de glace qu'on rencontre parfois à de
petites brèches aériennes en parcours d'arête rocheuse, pour éviter de devoir remettre
les crampons pour quelques mètres seulement. - Il faut souvent commencer par
déblayer avec la panne du piolet la neige non adhérente et en cours de fonte qui pend
de la lèvre supérieure. On tâche de se mouiller le moins possible car tout à l'heure, le
vent au sommet sur les vêtements trempés nous le ferait regretter. (On a prévu une
paire de gants de rechange dans le sac par personne.) Une fois le déblayage accompli,
on taille des marches profondes en tachant de trouver une ligne de faiblesse, pas
forcément en ligne directe. Pour ne pas se trouver rejeté en arrière, on peut creuser
au-dessus de la marche une conque pour accueillir le genou et le tibia. Plus la neige
est molle, plus les marches doivent être profondes, ce qui peut finir pas former un
véritable escalier.
2/ On prend les gros bâtons en bois qui ont servi pour l'approche et qu'on a
prévu d'abandonner, et on les enfonce horizontalement dans le mur vertical pour en
faire des échelons. On monte le pied sur le premier bâton, on ancre le piolet plus haut
en enfonçant le manche obliquement jusqu'à la tête, et on enfonce le deuxième bâton
pour avoir un second échelon. De là, on part en libre avec les deux piolets et en se
ménageant de profondes marches pour les pieds si la neige est toujours inconsistante.
Si on n'a pas de bâton, le premier de cordée emprunte les piolets du second pour les
planter à l'horizontale comme les bâtons. Le second récupérera ses piolets au passage.
S'il lui manque un piolet pour démarrer, le leader pourra peut-être lui renvoyer un
piolet après avoir confectionné son relais, en le mousquetonnant à la corde et en le
laissant filer.
3/ On creuse jusqu'à atteindre la glace pour placer une bonne broche, puis on
mousquetonne un étrier en sangle sur la broche en tâchant de ne pas coincer une
pointe de crampons dans le tissu de la sangle. C'est un pas d'artif comme en rocher.
On se vache très court sur la broche avec une dégaine comme à la page 143.

Après avoir franchi la rimaye, le premier de cordée se met un peu à distance


pour ne pas tomber bêtement dedans, et fait relais sans attendre. Une longueur courte
permet de mieux assurer le second car la corde n'est pas encore élastique.
Le relais est fait d'un corps-mort ; classiquement, le deuxième piolet dans une
tranchée horizontale, très haut par rapport à l'assureur qui se vache en tension dessus.
Ou bien on a emporté un deadman et on l'enfonce au marteau-piolet. Ou bien encore
on casse en deux le bâton de bois qu'on a emmené pour l'approche (et qu'on n'a pas
consommé pour franchir la lèvre) et on utilise les deux morceaux côte à côte en
corps-mort.
Si vous trouvez de la glace, vous êtes le roi du pétrole : deux broches reliées
par une grande sangle nouée. Si vous trouvez le rocher du bord du couloir avec
fissure ou becquet : trop facile. Attention toutefois à ces immenses becquets inspirant
confiance mais dont la base disparaît dans la neige. Testez-le en le bousculant un peu
avant de lui confier la cordée.

187
Finalement, le fameux mal des rimayes décrit dans les livres pourrait bien
devenir la meilleure partie de rigolade de la course où vous admirerez les qualités
artistiques de votre copain qui se démène comme un beau diable à gravir plus vite la
neige molle qu'elle ne se dérobe sous ses pieds avec ses jambes battant en tous sens
dans le vide...

8/ Sortie de goulotte en neige : danger.


Les sorties de longueur en neige, vous avez connu ça lors de vos week-end en
cascade de glace. On ne sait jamais à l'avance si on va avoir affaire à une neige
compacte qui rend la sortie plus facile ou à une poudreuse inconsistante. Dans le
raide, avec la corde qui tire en arrière en fin de longueur, on se fait vite peur.
La glace bien sûr, c'est technique, mais c'est la sécurité. L'idéal est de
progresser sur la neige compacte parce que ça va vite, et de s'assurer sur la glace
parce que c'est solide.
Aussi, on ne va pas quitter trop vite la goulotte de glace qui nous a donné du fil
à retordre, pour partir à l'aventure dans la sortie en neige où on ne pourra peut être
pas faire un relais sûr. Le second va en avoir besoin quand il va remonter à son tour la
goulotte. Il est probable qu'on l'entende quand il entamera le pas dur : «Dis voir, il
est béton ton relais ? ». Alors, à la fin de la goulotte de glace, avant de prendre pied
sur la neige, on commence par visser une broche au dernier emplacement solide
possible. Puis on regarde attentivement la suite. Y-a-t-il un becquet ou une fissure de
rocher dans la pente de neige pour faire relais ? A quelle distance ? Ai-je assez de
corde pour y aller ? On demande au second. Il sait répondre car il vient de voir passer
le milieu qu'on a marqué au feutre. Il crie : « Il reste vingt mètres. » C'est largement,
vous y allez. Si en vous rapprochant de ce que vous avez pris de loin pour un becquet,
mais qui n'en est pas un, vous regrettez de vous être aventuré dans la neige raide,
vous redescendrez plus sereinement en sachant qu'une broche vous protège en sortie
de glace.
Maintenant, si le copain vous crie « il reste cinq mètres », ne tentez pas le
diable : une deuxième broche superposée à l'autre, une sangle qui les relie ; relais !

9/ Conditions exécrables ou conditions dangereuses ?


Vous sortez du dortoir un peu hagard. Bizarre, le gardien n'est pas venu
réveiller son monde, et pourtant, vous entendez des voix en bas qui viennent du
réfectoire. Vous vérifiez votre montre : 3h45. Vous ne l'avez pas entendu sonner à
3h30, mais depuis que vous avez aligné quelques courses en haute-montagne, vous
avez une sorte de réveil naturel dans la tête.
En bas, c'est l'effervescence. Un vent froid s'est engouffré dans la salle hors-
sac. On discute ferme dans une ambiance un peu folklo. Certains traînent en
chaussons de refuge et caleçon, d'autres sont équipés de pied en cap, leurs
mousquetons cognent sur le banc quand ils se rassoient. Vous comprenez que le
temps ne s'est pas arrangé depuis hier soir. La dégradation prévue pour l'après-midi a
sans doute pris un peu d'avance. Vous sortez sur la terrasse. Le vent manque de vous

188
arracher la lourde porte des mains. Des flocons passent presque à l'horizontale. On ne
voit pas à vingt mètres. Il fait un froid de canard. Vous rentrez au réfectoire. Certains
sont allés se recoucher. D'autres prétendent qu'ils partiront dans une paire d'heures,
quand la tempête sera calmée, mais n'y croient pas eux-mêmes. La montagne s'est
mise en colère. Vous allez vous recoucher à votre tour. Le genre de conditions
exécrables où l'on n'hésite peu. Aucun danger : tout le monde reste au chaud. Quand
la mer se fâche de cette façon, les marins restent au port et ne courent aucun risque.

Il a fait bien chaud cette nuit sous la tente malgré le vent. Pour un peu, vous
regrettez d'avoir monté votre sac de couchage dans les échelles des Egralets. Vous
vous sentez en forme, prendre le petit déjeuner à 2 heures sans souffler dans ses
mains est une aubaine. Les nuages de tout à l'heure se sont dissipés. Vous abattez la
tente et la roulez sous un rocher. Vous voilà prêts pour cette longue course de neige.
L'atmosphère est un peu étrange, inhabituelle, vous ne sauriez dire pourquoi. Peut-
être cette chaleur. Vous dévalez les pentes jusqu'au glacier empierré. Des frontales
dansent en provenance du refuge du Couvercle. Puis vous arrivez au premier névé qui
n'a pas regelé. Hésitations. On verra bien plus haut. Vous vous harnachez, chaussez
les crampons par habitude et vous voilà à tracer vers les Courtes en vous enfonçant
tous les dix pas dans un trou de neige molle. La progression est pénible, la fatigue
arrive vite.
Dans ces conditions médiocres mais maniables, quand donc allez-vous prendre
la décision de renoncer à la course ? Avant ou après la chute de pierre qui va écraser
le nez de votre copain ? Avant ou après le milieu de la pente raide instable, avec ce
piolet technique dont la lame fine raye la neige inconsistante sans aucun freinage ?
Ces conditions qui ne font pas peur, mi-figue mi-raisin, sont sans doute les plus
traîtres car on a tendance à vouloir forcer le destin, à remettre à plus tard la bonne
décision. On ne se voit pas renoncer pour si peu alors qu'on peut encore avancer. On
constate bien que rien n'est habituel, mais on refuse de l'admettre. On veut croire à un
meilleur regel en toute fin de nuit ou à plus haute altitude. C'est ici qu'il faut faire
preuve d'une grande lucidité afin de se ménager une longue carrière...

189
Chapitre 9 : L'engagement
En avoir ou pas (Ernest Hemingway, 1937)

Philippe Bourdeau et Rodolphe Christin169 ont montré comment la promesse


d'émancipation que contenait l’avènement des loisirs a été récupérée par une
économie du tourisme qui cherche « à pousser, autant que possible à la dépense »,
condamnant le vacancier à un retour précoce au travail. Devant les stratégies
d'évitement mises en place essentiellement par les classes populaires (dont les deux-
tiers ne partent plus en vacances), les marchands de séjours proposent toute une série
d'offres alléchantes et originales, allant du dernier safari-photographique à l'ours
blanc avant la fonte finale jusqu'à la philanthropique plantation de légumes en
Afrique, dont l'objet est de brouiller cette image de vache à lait dont se méfie
maintenant le consommateur.
Quand en 2003 le grand marin Gilles Barbanson avait vu le cockpit de son
First Class Europe en passe d'être transformé en bain de soleil par les serviettes et les
crèmes d'une stagiaire davantage intéressée par le statut que par la mer, une ombre
avait un instant plané sur le bateau... Ici, dans ce chapitre consacré à l'engagement, et
nonobstant l'équipement supplémentaire que vous allez probablement devoir acquérir,
il ne s'agit pas d'un vain slogan publicitaire : Attention, ceci n'est pas du tourisme !

La grande course
Il était difficile d'éviter la référence à l'écrivain féru d'aventures pour illustrer le
chapitre consacré à l'engagement. Réaliser une grande course – 1000m, TD - pour un
amateur qui pratique ordinairement un alpinisme de loisir pendant ses congés d'été
revient à dépasser nettement le niveau de pratique moyen. Il est entendu qu'il ne s'agit
toujours pas ici d'accompagner le « copain-qui-tente-l'aspi » dans la réalisation de sa

169 Le tourisme : émancipation ou contrôle social, Philippe Bourdeau, Rodolphe Christin et coll., éditions du Croquant,
2011.

190
liste de course mais de se lancer soi-même dans l'entreprise, avec son compagnon de
cordée fidèle depuis la première course de neige facile. On met donc, un peu, sa peau
sur la table. Et on la reprend ensuite parce qu'on a bien joué. C'est le deal.
La référence à Hemingway est d'autant moins innocente que nous croyons que
la recherche d'un certain engagement en montagne, et la possibilité d'en revenir en
bonne santé, requiert la présence d'un grain dans le profil psychologique de
l'ascensionniste. Nous tenons la fragilité narcissique, bien visible chez les Bonatti 170,
Messner171, Bérardini172, Lafaille173, Batard174, Moulin175, Daudet176, comme la pierre
de touche de l'alpiniste de performance. Il peut parfois lui être substituée une foi
intense rendant le pratiquant quasi indestructible. Ce n'est pas un hasard si Patrick
Gabarrou177, catholique fervent, est devenu le plus fameux alpiniste de sa génération.
Penser que la mort est un appel de Dieu entretient sans nul doute une immense
sérénité dans les moments difficiles. De même la présence continue d'un tel
Spectateur omniscient habile à juger nos instants de bravoure ne peut-elle être qu'un
encouragement dans ce drôle de sport sans public.
Hors l'exception de la foi, nous estimons paradoxalement que c'est quand
l'alpiniste perd le manque structurel de confiance et d'estime de soi, qu'il a donc
comblé cette faille narcissique qui était son moteur, qu'il devient réellement en
danger. Aussi l'invulnérabilité de l'alpiniste à l'acmé de son activité pourrait-elle être
interprétée comme une indomptable inclination à devoir colmater sa brèche
narcissique, pour éviter de naufrager dans la mélancolie. Le montagnard séduit par
l'engagement aurait donc peu de chance de correspondre à cet homme épanoui, en
phase avec la nature et parfaitement équilibré que le profane imagine.
Par ailleurs, l'alpiniste médiatisé, victime de son image, court le risque de
vouloir se conformer à ce que sa clientèle attend de lui. La motivation peut devenir
extérieure, mal logée dans le regard de l'auditoire, donc aléatoire. De même pour
l'alpiniste amateur, le danger est de grimper pour provoquer l'admiration ou pire la
frayeur de ses proches : de tels attendus ont tôt fait de fabriquer un montagnard
velléitaire. Alors, pour toutes ces raisons, ne temporisez pas trop pour vous lancer
dans la grande course de vos rêves. Allez-y dès que l'envie est profonde et intérieure.
On perd plus vite qu'on ne pense la niaque qui immunise, l’œil du tigre, dans la
torpeur sédentaire de nos vies occidentales.
L'himalayiste Pierre Beghin détestait qu'on jouât aux cartes au camp de base
pendant les périodes d'inaction dues au mauvais temps. Il n'était pas venu là pour se
détourner de la montagne et retrouver l'ambiance festive de la vallée urbaine où
chacun est régulièrement invité à « se chatouiller sous les bras sur commande » selon
le mot d'Ivan Rioufol lors de la fête des voisins... Comprendre Pierre Beghin est
170 Montagnes d'une vie, Walter Bonatti, éditions Arthaud, 1997.
171 La montagne nue, Reinhold Messner, éditions Guérin, 2003.
172 Vingt ans de cordée, Robert Paragot et Lucien Bérardini, éditions Arthaud, 1998.
173 Prisonnier de l'Annapurna, Jean-Christophe Lafaille et B. Heimermann, éditions Guérin, 2003.
174 La sortie des cimes, Marc Batard, éditions Glénat, 2003.
175 Solos, Christophe Moulin, éditions Guérin, 2005.
176 La montagne intérieure, Lionel Daudet, éditions Grasset, 2004.
177 Patrick Gabarrou, pèlerin des cimes, documentaire de Fabrice Maze, production Seven Doc, 2005.

191
assurément un bon pas vers l'esprit de grande course. On n'ira pas parce que la
montagne est belle. Après le rude combat viendra la fierté de ce qui a été accompli.

La peur, bonne amie de l'homme courageux.


« Alors les Germains, contraints et forcés, se décidèrent à faire sortir leurs
troupes : ils les établirent , rangées par peuplades, à des intervalles égaux, Harudes,
Marcomans, Triboques, Vangions, Némètes, Sédusiens, Suèves ; et, pour s'interdire
tout espoir de fuite, ils formèrent une barrière continue sur tout l'arrière du front
avec les chariots et les voitures. »178
En dépit des écrits de Jacques de Mailles, loyal serviteur du chevalier Bayard,
« la fréquentation assidue de la chaise longue » (mot de Jean-Michel Cambon179) est
sans doute la meilleure façon de vivre sans peur, sinon sans reproche... Les hommes
d'action, contrairement à la légende, sont ceux qui connaissent la peur, vivent avec
elle, et... tâchent de la surmonter comme ils peuvent, chariots ou pas. En parler n'est
pas une obscénité. Le courage consiste à ne pas la fuir systématiquement mais à
l'apprivoiser. Elle devient une compagne familière qu'on retrouve de temps à autre et
à laquelle on présente bonne figure. Lire sans faute Solos de Christophe Moulin180
même si l'on n'est pas un alpiniste de haut niveau.
En pleine opération, il s'agira de se concentrer sur son métier sans se laisser
déstabiliser par l'ambiance ou le gigantisme de la face. Catherine Destivelle explique
qu'elle essayait, plutôt que d'appréhender la totalité de la paroi, de ne se concentrer
que sur le passage suivant lors de ses grandes ascensions, sachant qu'en grignotant un
mètre après l'autre, elle arriverait à un moment au sommet. Bruce Lee enseignait que
« la tranquillité dans la tranquillité n'est pas la vraie tranquillité »181, ce qui suppose
que la voie – le tao - consiste à la trouver dans le bruit et la fureur, c'est à dire à
l'intérieur de soi-même. Les maîtres d'arts martiaux taoïstes enseignent de se
présenter au combat « comme l'eau qui dort », ce qui signifie en langage occidental
ne s'attendre à rien de préconçu mais être prêt à tout. Jean-Claude Van Dame, moqué
car incompris, préférait dire « être aware ». Un bon passeport pour le franchissement
nocturne de la rimaye. La différence entre ici et la salle d'escalade est la même qui
faisait dire à Bruce Lee à propos de la casse de planches par des artistes martiaux :
« Le bois ne rend pas les coups. »182 Au contraire des courses classiques où l'on avait
pu bénéficier de concours de circonstances favorables, on ne réussit pas une grande
course par hasard. 1000 mètres de chances, ça n'existe pas. La réussite voudra dire
qu'on en avait la compétence. C'est ce moment de vérité qu'on est venu chercher.

Ne pas créer de faux problèmes : la vache molle...


Les tenants d'un nouvel ordre mondial, comme le nomment eux-mêmes ses
promoteurs, monde unipolaire d'inspiration kantienne ou vétérotestamentaire,
178 Op. cit., Jules César, p.85.
179 Oisans nouveau, Oisans sauvage, livre Est, Jean-Michel Cambon, autoédition de 2004.
180 Op. Cit., Christophe Moulin, p.191.
181 Le Tao du gung-fu, Bruce Lee, éditions Guy Trédaniel, 1998.
182 Jeet Kune Do, Bruce Lee, éditions Guy Trédaniel, 1998.

192
proposent un gouvernement planétaire rendu nécessaire par les questions,
prétendument insurmontables autrement, concernant l'écologie, la finance
internationale, ou les migrations humaines. Ces apprentis sorciers se tenant
démiurges et luttant contre l'homogénéité des nations (sic), nous expliquent qu'une
phase inévitable de transition serait réglée par les assurances. Il faut entendre qu'au
cadre juridique d'une activité humaine défini par l’État devenu défaillant, serait
substituées les conditions générales de votre contrat d'assurance. Il est à craindre que
cette police contractuelle puisse rapidement devenir beaucoup plus inquisitrice et
contraignante que le plus tatillon Code Pénal, et que ce néo-libéralisme outrancier,
plus exactement ce « capitalisme de connivence » comme le nomme Charles Gave,
n'écorne de fait l'essentiel de nos libertés individuelles.
D'ores et déjà, la responsabilité judiciaire s'invite dans la pratique de l'escalade,
aboutissant parfois à des solutions abracadabrantesques. L'enseignement au monitorat
d'escalade de la vache molle, devant doubler la vache tendue au relais de grandes
voies au prétexte que la chute d'une pierre pourrait sectionner la vache tendue, atteint
un de ces actuels sommets cruels où l'intelligence, faute sans doute d'oxygène à cette
altitude, n'a plus cours.
Devant cet état de fait, il semble nécessaire de faire deux recommandations :
Une grande course est une entreprise sérieuse. De nombreux problèmes bien
réels et concrets devront être résolus tout au long de la course. N'en créez pas d'autres
théoriques, avec des questions imaginaires qui ne se sont pas posées de toute
l'histoire de l'alpinisme. Le facétieux glaciériste Manu Ibarra se plaît par exemple à
répéter que personne ne meurt de chaud en haute-montagne... Ici, votre objectif est la
réussite de la course et votre impératif est que la cordée revienne en bonne santé.
Vous devez rester pragmatique et intelligent et vous sortir de la tête les complications
nouvelles ayant été créées davantage pour couvrir une responsabilité que pour
apporter une solution technique. Devant un relais présentant deux goujons inox de
10mm reliés par une chaîne, vous vous vachez où vous voulez car tout est solide.
Vous aurez tout le loisir de peaufiner sur cette sauvage paroi de l'Oisans au gneiss
compact où la création d'un relais acceptable demandera tout votre savoir faire dans
le couplage des coinceurs, et dans l'assurage au corps à la façon des Anglais, après
avoir tout relié et mis en tension à l'aide de la corde selon les directions que
recommandent chacun des coinceurs... On ne fait compliqué que parce qu'on n'a pas
réussi à faire simple. Sinon, on fait simple. Et on cesse de se vacher trois fois sans
raison (vu à la télé...) sous peine de ne plus rien comprendre à ce fouillis et de finir
par faire la vraie grosse bêtise.
La seconde recommandation, découlant de la première, est de vous procurer les
ouvrages techniques de référence publiés il y a plusieurs années, c'est à dire avant que
le judiciaire ne phagocyte la totalité des activités humaines de nos sociétés
occidentales. Avant que la sottise du principe de précaution qui, selon la belle saillie
de Jean-Pierre Chevénement183, «n'est pas plus scientifique que le proverbe de nos

183 Technologie et redressement de l'Europe : d'abord vaincre la peur, Le blog de Jean-Pierre Chevènement, 26 février
2007.

193
grands-mères deux précautions valent mieux qu'une », ne paralyse la plume de ceux
qui n'osent plus transmettre le véritable contenu de leur connaissance. Le principe de
précaution, nous dit le philosophe Dominique Lecourt, c'est entériner « la maxime de
la sagesse populaire qui avertit les plus timorés d'entre nous qu'on n'est jamais trop
prudent ». C'est à dire « identifier purement et simplement le risque au danger,
jamais plus à l'occasion favorable. (…) On oublie que la prise de risque devrait être
calculée en fonction du rapport entre le bénéfice escompté et le danger encouru ».184

Un problème à la fois : d'abord une grande face sud


Une grande course certes mais toutes sont loin de se valoir. Il va falloir se
méfier de « la belle confiance du grimpeur au sol »185. Choisir une face sud promet,
en été, un bivouac sans danger, et la survenue du mauvais temps n'emprisonnera pas
la paroi dans une couche de neige durable.
Une course de rocher sera indépendante des conditions, une fois déneigée,
tandis qu'une course de glace ou mixte dépendra de nombreux facteurs difficiles à
gérer pour le citadin qui n'est pas à pied d’œuvre pour exploiter le moment favorable
pour effectuer ce genre de courses.
Une grande course de rocher en face sud semble donc un objectif sage pour une
première grande course, sachant en tout état de cause que c'est une course qui en
amène une autre, façon de procéder conciliant réalisme et ambition, car il s'agit d'un
pas à pas dénué de raison préconçue de s'arrêter à quelque stade que ce soit.
Quand vous étudierez la face sur laquelle vous avez jeté votre dévolu, vous
vous souviendrez avec Pierre Alain « que les pentes vues de face paraissent plus
raides qu'elles ne sont » et « que les parties hautes d'une montagne sont plus
importantes qu'elles ne paraissent, parce que plus éloignées (…) et vues sous un angle
plus aigu ».186 C'est ainsi que la seconde partie en neige de l'éperon Frendo à l'aiguille
du Midi paraît trompeusement très courte vue de Chamonix.

Engagement ou exposition ?
On a déjà dit que les deux notions sont parfois confondues et on entend de
temps à autre affirmer qu'un passage est engagé sur un site école équipé. Ceci ne veut
rien dire. L'engagement est simplement l'impossibilité ou l'extrême difficulté à faire
marche arrière dans l'entreprise et n'a rien à voir avec le fait que certains passages
soient difficiles à protéger. C'est l'importance de l'engagement qui définit la grande
course plutôt que la hauteur de l'itinéraire, même si les deux éléments sont bien
entendu liés. Quand la retraite devient plus problématique que la sortie au sommet, le
succès devient une obligation. La situation peut se produire progressivement ou
brutalement, après une traversée pendulaire. Arrivé à ce point, plus que jamais on
s'interdit la chute, on se protège efficacement, on surveille sa montre autant que le
ciel pour tenter d'anticiper les problèmes, on fabrique des relais sûrs et clairs, on ne

184 Euristique de la peur, Dominique Lecourt, dans Colloque Le nucléaire et le principe de précaution, 24 janvier 2006.
185 Op. cit., Georges Livanos, p.28.
186 Op. cit., Pierre Allain, p.22.

194
perd aucun matériel, on prévoit le bivouac inévitable bien avant la nuit, on prend les
grandes décisions ensemble puis on les exécute sans velléité, on assume ensemble les
erreurs sans se renvoyer la faute et on leur cherche une solution. On ne compte
surtout pas sur les autres cordées présentes car possiblement plus fortes et capables de
variantes d'itinéraires qu'on ne peut pas soi-même maîtriser, ou ayant emporté un
matériel qu'on ne possède pas (un rappel 2x60m par exemple, ou de nombreux pitons,
ou bien un matériel de bivouac conséquent, ou deux piolets chacun). Lire la tragédie
d'Henry et Vincendon de l'hiver 1956187 pour illustrer l'immense danger qu'il y a à
suivre une cordée plus expérimentée.
Pour les joueurs d'échec, gérer le déroulement d'une grande course avec
efficacité consiste en définitive à analyser la partie avec en permanence cinq ou six
coups d'avance dans les scénarios les plus probables, après avoir rapidement passé en
revue les variantes les plus faibles. Ceci réclame une forte concentration qui peut
facilement engendrer une fatigue nerveuse. On profite des relais confortables pour se
détendre et pourquoi pas plaisanter, avant de se concentrer de nouveau pour la
prochaine longueur.

Apprivoiser la montagne.
En juin 1865, Edward Whymper escaladait les Grandes Jorasses pour observer
la partie supérieure de l'aiguille Verte. En 1880, Albert Frederick Mummery put
observer le Grépon depuis le sommet des Grands Charmoz. Le jeune Gaston Rébuffat
escalada le Fifre pour mieux repérer les passages de la face sud des Écrins. En
Himalaya, les reconnaissances (et les portages) sont une habitude.
Explorer de jour le socle de la face qu'on devra parcourir dans la nuit est un
sérieux avantage. On peut profiter d'un créneau météo court pour préparer ainsi la
course de l'année suivante. On a alors tout son temps. On part avec les pitons et la
cordelette nécessaires pour redescendre, et on aura avantage à choisir surtout des
pitons universels en acier doux qui sont très difficiles à ôter (car déformables et
épais). Ainsi aura-t-on peut-être la chance de retrouver certains de ces relais connus
intacts lors de la première tentative, comme autant de repères très sûrs. On réalise
aussi de nombreuses photos, qu'on confrontera aux indications des topos.
Puis on ascensionne la voie de descente qui peut être une voie normale peu
parcourue à la montée, comme la VN du Grépon par exemple. On prend son temps
pour bien la connaître. On trouve des repères, on cherche à mémoriser. Savoir la
descente, et la configuration du sommet, sera d'un grand réconfort quand on
approchera tardivement de la sortie de la grande course. On repère les emplacements
possibles de bivouac dans cette descente et on les note sur le topo. On sait si le
bivouac est envisageable au sommet lui-même ou non. Y a-t-il de la neige pour
s'approvisionner en eau ? De quelle direction souffle le vent dominant ? Y a-t-il une
heure pour descendre (neige trop molle dans une pente raide) ? Des chutes de pierres
sont-elles à craindre ? Quel horaire prévoir pour rejoindre un abri ou un refuge ?
Combien de rappels sont nécessaires, donc combien de cordelette emporter ?
187 Naufrage au Mont-Blanc, Yves Ballu, éditions Glénat, 1998.

195
En connaissant l'approche, le socle, l'attaque de la première longueur difficile
et la descente sur l'autre versant, l'ensemble commence à devenir nettement plus à
notre portée.

Intégrer le bivouac.
La tactique est une chose, la stratégie en est une autre. Partira-t-on
classiquement du refuge, et à quelle heure ? Ou va-t-on s'avancer par un bivouac au
début de la paroi ? A quelle hauteur ? Et si l'emplacement de bivouac est déjà occupé
par une autre cordée ? Y en a-t-il un autre pas trop éloigné ? Y a-t-il de l'eau, ou de la
neige ? Les emplacements de bivouacs sont-ils exposés aux chutes de pierres ?
Ce premier bivouac va-t-il m'en éviter un second ? Si non, le sac ne risque-t-il
pas d'être trop lourd pour deux bivouacs ? Qu'est-ce que j'y gagne ? Qu'est-ce que j'y
perds ?
Suis-je du genre à être en forme le lendemain d'un bivouac inconfortable en
paroi, ou ne suis-je alors plus que l'ombre de moi-même ?
Quelle est la stratégie habituelle des cordées qui réussissent la voie ? Est-elle
applicable à ma cordée ? Suis-je aussi rapide ?
On peut être un excellent et rapide grimpeur et expédier l'éperon Frendo à
l'aiguille du Midi par la première benne. Mais on peut aussi être un piètre et lent
escaladeur mais un montagnard endurci qui réussit le Frendo avec deux bivouacs très
bien vécus. Chaque cordée aura misé sur ses qualités réelles, et non sur la façon
habituelle de procéder des autres.
Pour Livanos, le bivouac, parfois assis dans ses étriers sur une paroi
surplombante des Dolomites, n'était qu'un relais qui se prolonge. Dans un tel état
d'esprit, les deux journées n'en font plus qu'une immense, coupée par un relais un peu
longuet dont on soignera au mieux le confort. Le tout étant d'être, le lendemain, en
état de fonctionnement pour surmonter les longueurs qui se présentent. Dans les voies
difficiles, grimper la veille la longueur au-dessus du bivouac et laisser la corde en
moulinette, permet une reprise tout en douceur au petit matin quand personne n'a
envie de se colleter avec le rocher froid en premier de cordée.

Le casting
En cédant à la caricature, la distribution de la représentation que vous allez
jouer comporte trois rôles titres : un stratège, un porteur et un acrobate. Dans une
cordée de deux, quelqu'un devra jouer deux rôles. Les deux attributions rarement
compatibles, sauf exception, chez une même personne sont les fonctions de porteur et
d'acrobate. Question de gabarit, comme pour le ski et la grimpe : gros cuissots - petits
cuissots. L'un sera donc stratège et porteur, ou stratège et acrobate. Si les trois
compétences sont assumées par la même personne, le second n'étant qu'un paquet
qu'on emmène, l'escouade aura toutes les peines d'être une forte cordée.
Quelques exemples illustres : Rébuffat était le stratège et l'acrobate, tandis que
son professeur Edouard Frendo était le porteur. Terray était le porteur et le stratège,

196
tandis que Lachenal était l'acrobate. Devies était le stratège tandis que Gervasutti était
l'acrobate. Mummery était le stratège, Venetz l'acrobate, tandis que le guide Burgener
était le porteur. On remarque que les attributions réelles sont parfois à rebours des
prérogatives officielles.
Le stratège n'est pas nécessairement l'intellectuel de la cordée : c'est celui à qui
la course tient à cœur, il en est le rêveur, l'initiateur et l'organisateur. S'il est fiable, sa
cordée ne saurait compter un expendable : tout le monde revient en bon état. Ainsi la
présence dans les expéditions ou à Chamonix du « strong sahib »188, prêt aux portages
les plus ingrats comme aux secours difficiles, rassurait tout le monde : Terray présent,
chacun reviendrait, on en était sûr.
S'il n'est pas fiable, c'est la casse pour le sommet à tout prix : on ne compte
plus les cordées expendables où l'un n'est que la bête immolée de l'autre pouvant
revenir avec quelques orteils ou doigts en moins selon qu'on l'ait attelé à la trace dans
la profonde ou aux portages destructeurs...
Il va sans dire que pratiquer l'alpinisme en couple est incompatible avec cette
façon de faire. Sans doute faut-il y trouver l'explication de la lenteur habituelle de ce
dernier type de cordée où le care tient la place prépondérante. Les escalades du Grec
et de Sonia témoignent de la retenue inhabituelle et salvatrice de ces cordées. Ici, il
est impossible, comme Pierre Chapoutot le racontait dans le récit hilarant de ses
débuts en montagne, de s'estimer « fort satisfait d'avoir ramené à bon port les deux-
tiers de la cordée ».189

Août 2013 : Nous sommes attablés au refuge Monzino avec une cordée de trois Suisses
rigolards. Celui qui apparaît comme le chef de cordée est un solide paysan du Valais aux
jointures épaisses. Trois demis de bière sont entamés à côté de la bouteille de vin rouge qui va
accompagner leur repas. « Les demis, pour récupérer ; le rouge, pour dormir. » Le général nous
demande notre destination : « La voie Ottoz à l'aiguille Croux. - Ah ! vous êtes des grimpeurs...
Nous on va à l'Innominata. » Il s'agit d'une immense arête du versant italien du Mont-Blanc, une
grande course, très engagée, qu'on commence généralement beaucoup plus haut au bivouac
Eccles, à 4 ou 7 heures de marche depuis Monzino. Le généralissime nous présente ses
compagnons : « Lui, il a fait tous les 4000 des Alpes ; c'est la Blanche de Peuterey qui nous a
donné le plus de fil à retordre. Lui, le petit, c'est notre singe ; on le cale entre nous deux dans
toute la montée corde tendue où on court littéralement. En 3 heures, on sera à Eccles. On le tire
et on le pousse. Quand il faut grimper difficile, nous on ne sait pas, on l'envoie en l'air. » Et de
rigoler encore puis de nous proposer de nous donner un âne du Valais qu'il a en trop, habitué à
brouter en pente raide. A n'en pas douter, les rôles de ces trois gaillards étaient merveilleusement
distribués pour constituer la plus redoutable des cordées.

La vitesse
Yvon Chouinard190, dans sa liste de moyens permettant d'accroître la vitesse
d'une cordée, écrivait : « Laissez le meilleur grimpeur conduire constamment la

188 Op .cit., Gilles Chappaz, p.84.


189 Op. cit., Pierre Chapoutot, p.28.
190 Op. cit., Yvon Chouinard, p.44.

197
cordée. » L'expérience du bonhomme garantit la pertinence du conseil. Il semble
judicieux cependant de déposer un certain nombre d'amendements :
1/ Si le meilleur grimpeur de votre cordée est le même quel que soit le terrain
(glace, rocher ou mixte, dalles ou fissures, calcaire ou granit, excellent rocher ou
mauvais rocher, etc.), c'est qu'il existe un gros déséquilibre dans votre cordée que
vous allez payer un jour ou l'autre. A régler au plus vite avant de vous lancer dans de
grandes entreprises.
2/ Le conseil s'applique quand le facteur limitant est technique, mais si le
facteur limitant est physique, notamment pour l'approche ou la remontée d'un couloir
facile, imposer au plus faible le rythme endiablé du plus fort va casser le second aussi
sûrement que deux et deux font quatre. Aussi, dès que le facteur limitant est physique,
c'est le rythme du plus lent qui s'impose.
3/ Le conseil concerne la course du jour. Mais s'il s'agit de gagner en vitesse
pour les prochaines courses, il faudra au contraire s'efforcer de grimper très souvent
en réversible afin de se constituer la cordée la plus équilibrée possible. On gagnera
alors en vitesse pour le futur mais aussi en sécurité. En mer, un équipage qui ne peut
compter que sur un skipper omnipotent est un équipage faible. La prise de
conscience peut venir cruellement du capitaine qui tombe à l'eau. Qui donc à bord
sera capable de le repêcher dans cette mer agitée ?
4/ Le corollaire du précédent est que le meilleur grimpeur conduira
constamment la cordée dans une course limite pour la cordée dans les conditions du
jour (Passer avant l'orage de fin de journée peut être un motif.), mais qu'on grimpera
en réversible pour les courses qui sont des entraînements, en préparation de projets
plus ambitieux. En aparté, ceci va vous permettre de savoir si la caravane qui vous
talonne avec condescendance depuis l'aube est bien une forte équipe, ou si elle ne
fait que vous enquiquiner en envoyant constamment son meilleur grimpeur en tête
dans une frénésie craintive, alors que, vous même, êtes au patient peaufinage de la
réversibilité de votre cordée pour un prochain objectif plus grandiose...

L'échec ou Tamata
Échouer dans une grande entreprise est la confirmation qu'il s'agissait bien
d'une grande entreprise.
Il faut d'abord prévoir la possibilité de cet échec, c'est à dire le matériel
nécessaire pour une réchappe en paroi, depuis la hauteur où la sortie par le haut n'est
pas encore quasiment assurée. Pour une paroi de 1000m, pouvoir redescendre de
500m permet de s'engager plus facilement. Si à moitié de la paroi, on n'est pas égaré,
on a surmonté les passages techniques sans trop s'exposer, la fatigue est raisonnable,
l'horaire correct, le temps stable, les conditions acceptables, la décision de poursuivre
est facile à prendre : on a une certaine visibilité. Si l'impossibilité de redescendre
existe dès le premier tiers de la paroi, l'incertitude est au contraire très grande. Ceci
suppose d'emporter une quantité de pitons et de cordelettes et sangles suffisante pour
une longue réchappe en rappels ainsi qu' une bonne aptitude à la désescalade.
On apprend dans ces cas-là beaucoup plus de ses échecs que de ses réussites.

198
Une réchappe complexe bien gérée est une expérience incomparable. Il est évident
que le téléphone portable et le numéro du PGHM ne sont pas des outils de réchappe
et qu'ils ne feront rien apprendre...
La retraite a ceci de particulier qu'aucun enthousiasme ne vient plus doper les
performances physiques et mentales de la cordée. Il faudra le remplacer par un
surcroît de vigilance. On se déteste d'avoir échoué soit, mais on s'empêche de
provoquer un acte manqué. On pense aux innombrables essais de Whymper au
Cervin, aux seize tentatives de Jacques Lagarde en face nord-est des Droites, à tous
ces grands qui eux aussi ont connu l'échec... pour revenir plus forts. On pense au
doute classique de tout sportif de haut niveau après une blessure ou une simple
contre-performance qui se demande : « Suis-je réellement fait pour ce sport ? » alors
qu'il est parmi les meilleurs mondiaux de sa discipline.
L'échec va servir à construire une stratégie différente, à changer le matériel, sa
répartition, le poids des sacs, l'emplacement du bivouac, l'heure de départ, le créneau
météo, la saison ; à remettre en question son propre niveau d'escalade dans ce type de
rocher, à se mettre au dry-tooling dès cet automne, à viser un objectif plus modeste
préparatoire à celui-ci qu'on garde, pourquoi pas, pour dans une paire d'années.
La grande force de l'alpiniste autonome est qu'il ne découvre pas l'échec lors de
sa première grande course mais qu'il l'a connu dès ses débuts, et que l'échec l'a même
accompagné tout au long de sa progression, sa grande satisfaction étant de courir
dans une voie dont il ne maîtrisait aucun des paramètres quelques années plus tôt.
Oserait-on dire que le pratiquant d'un alpinisme de loisir autonome est le roi de
l'échec, et que ceci fait de lui un montagnard particulièrement averti, coriace et
méfiant, bien qu'alpiniste de niveau très moyen ? Il n'a pas l'habitude des courses déjà
connues et réalisées sans effort dans des temps records avec des sacs minuscules,
mais ses galères lui ont appris à savoir toujours revenir. Il est Tamata, surnom que les
habitants des îles Tuamotu avaient donné au navigateur Bernard Moitessier : celui
qui essaie.191

Le solo de loisir
Partir seul pour une ascension commence souvent par la défection du
compagnon de cordée habituel. Puis l'envie d'y retourner devient irrésistible tant les
sensations sont exceptionnelles.
Il s'agit à notre sens de la quintessence de la pratique de l'alpinisme, très
différent du solo de haute performance de quelques champions médiatisés car la
plupart du temps suivis durant la totalité de leur course par les rotations d'un
hélicoptère, un photographe voire une équipe de cinéma et un routage météo. Dans
ces conditions, s'agit-il réellement de solo ? L'hélicoptère n'a rien d'un équipement
minimaliste.
En effet, le soliste de loisir part non seulement seul, mais la plupart du temps
sans avertir personne et surtout pas ses proches qui tentent en vain de le dissuader en
191 Tamata et l'alliance, Bernard Moitessier, éditions Guérin, 2002. Première édition Arthaud Flammarion, 1993.

199
provoquant parfois une sorte de chantage affectif. Il se retrouve ainsi réellement seul
avec la montagne ; et s'il rencontre d'autres cordées, celles-ci sont bien souvent
jalouses de sa force de caractère et ne le ménagent pas. L'intention n'est pas de briller
face au regard des autres mais bien d'avoir une pratique authentique où le plaisir est
la symbiose avec un milieu naturel complexe qu'on a apprivoisé.
La distinction entre solo intégral et solo auto-assuré n'a souvent guère de sens,
puisque certains passages se font sans assurage et d'autres avec. Le soliste porte un
baudrier léger, une vache en corde dynamique qui résiste à une chute de facteur 2
munie d'un mousqueton directionnel, et au moins une corde de 7mm et un descendeur
conçu pour les cordes fines (microjul de Elderid) : une simple chute de pierre sur un
bras et la désescalade qu'on pensait facile risque de devenir problématique. Elle sera
bien facilitée par la possibilité de poser un petit rappel.
Quand on s'auto-assure à la montée, on emploie le système Barnett : l'extrémité
de la corde (une corde à simple à gaine dense pour endurer la remontée) est fixée au
relais inférieur qui doit pouvoir résister à une traction vers le haut, l'essentiel de la
corde est en vrac, en tas bien pensé, à l'intérieur du sac, ou bien posé sur la vire du
relais. Le grimpeur fait coulisser un autobloquant le long de la corde au fur et à
mesure de sa progression. Il mousquetonne les points comme un grimpeur normal.
Arrivé au relais suivant, il accroche sa corde, hisse son sac de charge s'il en a un,
descend en rappel tout en préparant sa remontée, c'est à dire qu'il prévient le ragage
de la corde en fractionnant par des nœuds papillons ou des nœuds de huit fixés à
certains ancrages comme les spéléologues. Arrivé au relais du bas, il démonte le
relais puis remonte sur corde fixe en récupérant son matériel. Il réalise donc trois fois
la voie : deux montées, une descente. A la place de l'autobloquant prévu par Steve
Barnett fait d'un morceau de corde 9mm assoupli (en retirant quelques brins de
l'âme), on utilise maintenant des autobloquants mécaniques comme un gri-gri modifié
pour qu'il reste maintenu contre la poitrine (port d'un torse en complément du
cuissard indispensable). De nombreux réglages sont nécessaires en école d'escalade
puis en grande voie, la corde coulissant souvent difficilement (tirage) dans le
dispositif autobloquant en début de longueur par insuffisance de poids, puis au
contraire défilant toute seule sans avancée du grimpeur par son seul poids en fin de
longueur. Pour éviter cette situation dangereuse qui provoque un mou de plusieurs
mètres parfois à l'insu du grimpeur, on fixe la corde au mousqueton par un nœud de
cabestan toutes les trois ou quatre dégaines, annulant le poids de la corde situé
dessous. On peut aussi se fabriquer un petit porte-corde en V avec une lame
d'aluminium pliée qu'on place au baudrier, et qui sert à piéger provisoirement une ou
deux boucles de la corde pour régler au mieux le poids de la corde libre pesant de
l'autre côté du dispositif autobloquant. A l'approche d'un passage spécialement
aléatoire, rien n'empêche, si on a pas absolument confiance dans le déclenchement de
son autobloquant, de prendre le mou d'avance nécessaire pour le passage et de
s'encorder par un nœud. C'est ce que faisait Bonatti aux Drus. Vol plus long, mais
certitude d'être stoppé. Cette technique est à connaître, même si on n'envisage pas le
solo, si un jour on est dans une situation extrême où l'on doit partir seul chercher des

200
secours par le haut en franchissant, sans se tuer, un passage difficile.
La sécurité du soliste, c'est son attention et sa fraîcheur. Il est donc
inacceptable qu'il soit longuement bloqué par des cordées incompétentes comme on
le vit sur l'arête du Lion du Cervin où des manières de reîtres, toutes cordes dépliées,
occupaient la brèche du pic Tyndall pour tirer on ne sait quelles longueurs, menaçant
de bousculer le soliste par leurs manœuvres intempestives et lui interdisant le passage
tandis qu'il se refroidissait et perdait sa concentration. Arriver au sommet en quatre
heures ou en six parce qu'on a trop attendu ne met pas dans le même état de fatigue.
Pour des courses de difficulté modérée où il ne s'assure pratiquement pas, le soliste
conserve sa fraîcheur parce qu'il ne va pas passer beaucoup de temps sur la
montagne, et c'est une garantie qu'il ne faut pas lui dérober.

Inciter à la prise de risque et au solo serait tout à fait déplacé. Le risque n'est
pas un médicament qu'on prescrit aux autres. On se l'inocule à soi-même quand on le
juge nécessaire, en sachant que les cimetières sont remplis d'hommes n'ayant pas eu
froid aux yeux.
Mais quand un soliste se montre, sachez lui témoigner votre admiration et
écartez-vous sur son passage sans le déséquilibrer avec votre corde tendue comme un
arc. A son allure, il ne vous gênera pas longtemps.

201
Chapitre 10 : Chiffons et outillage
« J'allai acheter des souliers d'escalade et un piolet, avec l'impression de
désobéir, comme un gamin qui desserre le frein à main de la voiture familiale. »
Patrice de Bellefon.192

On se flatterait d'affirmer qu'on part en montagne armé de sa seule compétence.


Malheureusement, rien n'est moins sûr. Parfois, tel le poète inconsolable, un seul
objet vous manque, et tout est dépeuplé.

1/ La tenue
On s'habille selon le fameux système multi-couche, qui doit permettre de
concilier :
– l'évacuation de l'humidité ;
– l'isolation thermique ;
– la protection contre le vent et la pluie.
Les trois couches classiques de vêtements répondent à ce cahier des charges :
sous-vêtement en matériau synthétique et non en coton qui doit éloigner l'humidité de
la peau, fourrure polaire qui apporte la chaleur par la couche d'air qu'elle emprisonne,
et veste gore-tex ou équivalent qui n'empêche pas l'évacuation finale de l'humidité. La
veste gore-tex de l'alpiniste ne comporte pas de doublure chaude pour pouvoir
l'utiliser par temps doux et pluvieux, et diminuer son poids.
Il serait attristant de croire que nous venons d'inventer l'eau chaude. M.L.
Weissenbach193, en 1894, écrivait déjà que « les vêtements, pour être chauds, doivent
192 Op. cit., Patrice de Bellefon, p.84.
193 Op. cit., Georges Casella, p.171.

202
(…) être appliqués sur le corps en plusieurs couches minces séparées les unes des
autres par une légère couche d'air ».
Le pantalon idéal est près du corps, élastique, robuste, chaud, protège du vent
et est imperméable. Si, en plus, il ne pèse pas trop lourd, c'est qu'on a trouvé le
mouton à cinq pattes. On peut se tourner vers un pantalon de la marque Vertical dont
la membrane MP+ se monte sur des tissus extensibles. Les pantalons de montagne en
soft-shell conviennent mais sont rarement imperméables. On peut ajouter un sur-
pantalon léger en gore-tex pour la montée au refuge ou au bivouac sous la pluie, ou
choisir un poncho descendant bas.
En conditions froides, la veste en duvet est toujours incontournable.
Déconseillée en bushcraft car fragile et ne supportant pas l'humidité, en altitude, l'air
sec et l'absence de pluie (remplacée par la neige) rendent inoffensifs ses principaux
inconvénients. Il faut la choisir obligatoirement avec une capuche pour pouvoir
l'utiliser en bivouac quand on ne s'est pas encombré d'un sac de couchage.
Un alpiniste préfère généralement porter ses vêtements près du corps. Ceci
limite l'accrochage des plis de tissu avec le rocher, les crampons, les piolets, les
mousquetons, les broches, le décoinceur. On voit aussi beaucoup mieux les porte-
matériels du baudrier. On évite cependant d'exagérer en choisissant une taille trop
petite car c'est la couche d'air emprisonnée entre deux vêtements qui crée l'isolation
thermique. On sera plus mobile avec un vêtement ajusté mais moins au chaud.
Les bonnets fins doivent pouvoir être portés sous le casque. Les tours-de-cou et
les cagoules en fourrure polaire apportent un supplément de chaleur pour un poids
négligeable.
Une casquette améliore la protection oculaire. Un chapeau à large bord protège
en plus la nuque et les oreilles du soleil. Ils sont utiles pendant une longue montée au
refuge ou au bivouac en plein soleil, mais on se contente souvent du casque, ce qui
évite de le porter dans le sac.
Une paire de gants de ski plus une paire de gants en fourrure polaire en
rechange conviennent pour la plupart des courses d'été. Il faut que le matériau de la
paume ait un minimum de grip et que la souplesse générale du gant permette de serrer
un manche de piolet sans effort. Si elle est absente d'origine, on doit y coudre une
boucle élastique pour maintenir le gant au poignet quand on l'ôte pour quelques
instants, ce qui permet de saisir une petite prise avec la main nue sans devoir ranger
son gant. Il est important que le matériau intérieur reste glissant quand on a la peau
humide, sous peine de retourner l'intérieur des doigts en ôtant le gant : on ne peut
alors le remettre qu'après de longs efforts. La boucle de serrage ne doit pas être trop
envahissante ni trop agressive, pour éviter que la dragonne serrée d'un piolet ne crée
une douleur à cet endroit.
On a déjà parlé des chaussures. Les Italiens demeurent les spécialistes du
produit. Les deux marques incontournables sont actuellement Scarpa et La Sportiva.
Pour bien grimper, on choisit une pointure plus ajustée que pour la randonnée. Ceci
implique qu'on aura mal au bout du gros orteil dans les très longues descentes et
qu'on sera plus précocement sensible au froid. Souvent, les alpinistes finissent par

203
posséder plusieurs paires, de différents modèles, plus ou moins chauds, plus ou moins
lourds et plus ou moins ajustés. Et ils choisissent en fonction de la course projetée. En
conditions très froides, on évite la pointure trop petite qui favorise les gelures.
En refuge ou au bivouac, personne ne prend de vêtements de nuit. On dort avec
les sous-vêtements de la journée. Du reste, si on s'est lavé, c'était une toilette de chat,
les douches restant rares. Les refuges obligent maintenant à dormir dans des sacs à
viande. Il existe des modèles de la marque Sea to Summit (dont l'un pèse 125
grammes) et qui peuvent, au bivouac, doubler une couverture de survie en forme de
sac ou un sac de couchage léger.

2/ Les lunettes de soleil


Le rayonnement solaire s'étend sur la totalité du spectre électro-magnétique,
depuis les plus petites longueurs d'onde (λ) des rayons gamma (à ne pas confondre
avec les rayons cosmiques qui sont des protons ultra-rapides et non des photons)
jusqu'aux grandes longueurs d'ondes des ondes radioélectriques, en passant par les
rayons X, les ultra-violets, la lumière (c'est à dire la gamme d'ondes électro-
magnétiques visibles), et les infra-rouges.
L'atmosphère, notamment la ionosphère (mésosphère, thermosphère et
exosphère), stoppe les longueurs d'ondes inférieures aux UVB. L'irradiation aux
rayons gamma et X ne se posent que pour les personnels navigant de l'aviation (ils
portent maintenant des badges dosimétriques comme les professions de santé utilisant
les rayons X), et les UVC (λ<280nm) sont en principe stoppés par la couche d'ozone,
située dans la stratosphère, dont le fameux trou ne concerne que le continent
antarctique.
A l'arrivée au sol, sans nuage, on obtient les proportions suivantes : 56% du
rayonnement est composé d'infra-rouges, 39% de lumière (λ comprise entre 400 et
780nm ; limite inférieure parfois indiquée à 380nm), 5% d'ultra-violets. Les ultra-
violets sont répartis en 98% d'UVA (λ comprise entre 315 et 400nm) et 2% d'UVB (λ
comprise entre 280 et 315nm).
Les infra-rouges sont stoppés par les nuages, et ont la bonne idée de provoquer
de la chaleur, ce qui les empêchent d'avoir un effet délétère sur l’œil de l'alpiniste,
hors masochisme invétéré.
Les rayonnements qui nous concernent sont donc les UV A et B et la lumière
visible. La quantité d'UV dépend de deux paramètres :
- L'épaisseur de l'atmosphère traversée : Ainsi, les UV sont plus nombreux aux
faibles latitudes qu'aux latitudes élevées. C'est la raison pour laquelle on attire
l'attention des vacanciers sous les tropiques, qui peuvent se surexposer sans le savoir
pendant une journée nuageuse qui stoppera l'essentiel des infrarouges donc diminuera
la sensation de chaleur. L'altitude joue bien entendu sur l'épaisseur de l'atmosphère
traversée, et tous les 1000m d'altitude, on observe une augmentation de 10% des UV.
L'épaisseur traversée varie également en fonction de l'heure (le soleil au zénith, c'est
à dire en été et en France à 14h, étant bien sûr le plus proche) et de la déclinaison du

204
soleil (faisant les saisons).
- La réflexion du rayonnement : La neige peut réfléchir de 40 à 90% du
rayonnement (jusqu'à 80 ou 85% selon d'autres auteurs), le sable jusqu'à 20 ou 25%,
l'eau jusqu'à 10%, la mer jusqu'à 20%. Ces rayons réfléchis contiennent de la lumière
polarisée préjudiciable à la vision des contrastes. Ce sont principalement les UV et la
lumière bleue qui sont réfléchies.

La cornée stoppe les UVB de longueur d'onde inférieure à 295nm, puis le


cristallin de l'adulte stoppe l'essentiel des autres UV A et B. Ainsi, seuls 1 à 2% des
UV atteignent la rétine adulte.
Chez l'enfant, le cristallin est moins opaque, spécialement avant l'âge de 6 ans.
Mais à 13 ans, il laisse encore passer 60% des UVA et presque 25% des UVB. C'est à
l'âge de 25 ans que le cristallin possède une filtration adulte. Puis, avec le
vieillissement, le cristallin jaunit, ce qui améliore encore sa qualité de filtration. Mais
les opérés de la cataracte se voient dépourvu de nouveau de toute protection, ce qui
nécessite la mise en place d'un filtre.
L'action des UV sur la conjonctive et la cornée peut entraîner une
photokératoconjonctivite aiguë ou ophtalmie des neiges : en une paire d'heures
apparaît la sensation d'avoir du sable dans les yeux, des larmoiements et une
invalidité visuelle qui peut durer 24 heures. Le pronostic est bon (disparition
spontanée des symptômes en deux ou trois jours), mais le handicap peut
compromettre la sécurité de la cordée en haute-montagne.
L'action des UV sur le cristallin, cumulative, peut à long terme favoriser la
cataracte, laquelle est statistiquement plus précoce de 10 ans chez les professionnels
de la montagne par rapport à la population générale.

La lumière va à la rétine par définition, puisqu'il s'agit du rayonnement que


notre œil perçoit. Des études récentes - notamment celle de 2012 conduite par Guo-
Yuan Sui194, parue dans le British Journal of Ophtalmology - semblent montrer une
certaine nocivité de la lumière bleue pour la rétine, et en faire un facteur de risque
pour la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l'âge, se traduisant par un trou noir
au milieu du champ de vision). Cette affirmation n'est cependant pas considérée
comme une vérité établie par la communauté scientifique.
La DMLA reste une maladie multifactorielle dépendant d'autres facteurs de
risque. Deux sont certains : l'âge et la consommation de tabac (risque multiplié par
2,5 au-delà de 20 cigarettes par jour). D'autres sont évoqués mais non prouvés
comme une prédisposition génétique, l'hypertension artérielle, l'obésité, l'insuffisance
d'antioxydants dans l'alimentation.
Le pigment maculaire, la lipofuscine, absorberait surtout les longueurs d'onde
comprises entre 430 et 440 nm, d'autres auteurs parlent de 415 à 455 nm avec un pic
à 430, ou 400 à 500 nm et encore 450 à 480 nm, quoi qu'il en soit une lumière bleue

194 Is sunlight exposure a risk factor for age-related macular degeneration ? A systematic review and meta-analysis,
Guo-Yuan Sui et coll., BJO, novembre 2012

205
foncée. Il en résulterait une toxicité pour la cellule rétinienne.
On connaît par ailleurs la rétinite solaire, qui est la destruction localisée de
cellules de l'épithélium pigmentaire de la rétine ainsi que des photorécepteurs,
produite par l'observation d'éclipses solaires sans protections oculaires. Ces lésions
sont le plus souvent réversibles en quelques mois mais peuvent laisser des séquelles,
abaissant l'acuité visuelle. Il s'agit cependant d'un accident dû aux circonstances
exceptionnelles d'une éclipse qui permettent de fixer le soleil alors que tous ses
rayons ne sont pas masqués.

Il résulte de ces données qu'il est indispensable de se protéger des UV pour


éviter l'ophtalmie des neige et à long terme la cataracte. Et que les enfants ont, de
plus, la rétine exposée à ces UV, ce qui pourrait être un facteur favorisant la DMLA.
Il résulte également des dernières études, que se protéger de la lumière bleue,
pourrait être utile, si cette longueur d'onde se voit confirmée comme facteur de risque
de la DMLA.

Avant de l'être pour des raisons prophylactiques, les lunettes de soleil sont
d'abord portées pour un avantage utilitaire. Le verre teinté stoppe un certain
pourcentage de rayonnement visible, ce qui supprime l'éblouissement dû à un excès
de lumière.
Selon l'utilisation, on distingue différentes catégories de filtration de la
lumière :
– Catégorie 1 : absorbe 20 à 57% de la lumière. Verres légèrement teintés.
– Catégorie 2 : absorbe 57 à 82% de la lumière. Verres moyennement teintés.
– Catégorie 3 : absorbe 82 à 92% de la lumière. Verres foncés.
– Catégorie 4 : absorbe 92 à 97% de la lumière. Verres très foncés. Interdits
pour la conduite automobile.
Pour la montagne, les catégories 1 et 2 seraient insuffisantes pour une simple
question de confort. Le choix reste à faire entre les catégories 3 et 4.

Si le verre est trop sombre par rapport à la luminosité ambiante, la pupille va se


dilater pour compenser. D'où le danger qu'il y aurait à porter ces verres trop sombres
s'ils ne stoppaient pas également les UV, car ceux-ci pénétreraient en plus grande
quantité dans le cristallin (et la rétine des enfants) du fait de la mydriase. C'est la
raison pour laquelle toutes les lunettes de soleil estampillées CE vendues en Europe
doivent maintenant filtrer 99,9% des UVB et 99% des UVA, quel que soit leur
catégorie de filtration des rayonnements visibles (c'est à dire plus ou moins foncées).
Ces lunettes comportent parfois un logo indiquant 100%UV ou UV400, en référence à
la longueur d'onde minimale de la lumière.
Cette filtration des UV est obtenue différemment selon les matériaux :
- Les verres organiques, composés de résine de synthèse, aux excellentes
qualités optiques mais peu résistants à la rayure, se trouvent surtout sur des lunettes
de vue. Ils doivent pour la plupart d'entre eux recevoir un traitement de surface pour

206
filtrer les UV.
- Les verres minéraux, composés de verre, ont des qualités optiques optimales,
une bonne résistance à la rayure mais sont lourds et cassants. Ils équipent également
davantage les lunettes de vue que les lunettes de soleil. Ils filtrent naturellement les
UVB, mais pas les UVA. Ils doivent recevoir un traitement de surface pour ces
derniers.
- Les verres en polycarbonates ont de mauvaises qualités optiques, mais une
bonne résistance à la rayure et à la fracture, sont légers, bon marché. Ils filtrent
intrinsèquement les UV sans besoin de traitement de surface. La plupart des lunettes
de soleil de sport les utilisent.
Certains verres sont dits polarisants. Ceci signifie qu'ils stoppent la lumière
polarisée issue des réflexions. Ils permettent de réduire l'éblouissement tout en
augmentant les contrastes, en éliminant la lumière réfléchie perturbatrice qui n'est
d'aucune utilité pour voir l'objet ciblé. Ils sont donc très indiqués en montagne et en
mer.

Il est classique de recommander pour la haute-montagne le port de lunettes de


catégorie 4 filtrant bien sûr 100% des UV, et de formes bien enveloppantes ou munies
de caches extérieurs pour stopper les rayonnements latéraux. Une étude de 2002 sous
la conduite du Dr Hussam El Chehab 195 a montré une prévalence de pathologies
oculaires augmentée chez les guides de haute-montagne par rapport à la population
générale, mais sans corrélation avec leur fréquentation plus ou moins grande de la
haute altitude (au-dessus de 3000m), la raison étant trouvée dans leur application à se
protéger dans ces circonstances. Leur risque accru par rapport à la population
générale semblait donc paradoxalement lié à leur fréquentation de la moyenne
montagne où les lunettes sont moins systématiquement portées.
On doit en conclure qu'il est préférable de porter des lunettes le plus souvent
possible en montagne, et que choisir les verres les plus foncés, qui ne protègent pas
davantage des UV, risque de les faire retirer dans beaucoup de circonstances,
notamment pendant la grimpe sur rocher pour chercher au mieux les prises ou les
pitons cachés au fond des fissures sombres. Tandis que choisir des verres moins
foncés va certainement permettre de les porter plus continûment.
Un choix idéal serait de posséder une paire de catégorie 4 pour les courses de
neige, et une paire de catégorie 3 pour les courses de rocher. On peut encore emporter
ces deux paires, l'une étant la paire de secours en cas de perte ou de fracture, leurs
rôles étant permutés en fonction des circonstances.
Les lunettes de soleil sont à la fois indispensables, perdables aussi facilement
que des gants, et cassables. Il s'agit donc de consommable. En acquérir plusieurs
paires bon marché est sans doute une meilleure dépense que la paire unique et très
chère de la dernière marque à la mode.

195 Do ultraviolet radiations induce earlier aged ocular pathologies among moutaineers guides ? Hussam El Chehab
et coll., ARVO journal, vol.52, mars 2012.

207
Il faut enfin ajouter :
– que la visière d'une casquette ou le rebord d'un chapeau participe de la
protection oculaire par l'ombre portée.
– qu'une alimentation riche en anti-oxydants (vitamines C et E, caroténoïdes
présents dans les carottes, les tomates, les courges, les brocolis) renforce la
protection rétinienne à l'oxydation, donc aux radicaux libres, qui seraient
formés dans les tissus par la respiration cellulaire qui se déroule à l'intérieur
de ces drôles d'endosymbiotes que sont les mitochondries. Manger des
fruits et des légumes et cesser de fumer pourrait être plus efficace que de se
précipiter sur les nouveaux verres filtrant la lumière bleue.

3/ Le sac à dos
Un sac à dos d'alpinisme est de taille moyenne (30 à 45 litres) et ne comporte
pas de poches latérales pour ne pas être plus large que le corps, au cas où il faudrait
passer par une petite boîte à lettre comme on en trouve dans le massif du Mont-Blanc.
Mais ici aussi, l'exagération peut devenir un défaut.
Quand on grimpe en chaussons ; les chaussures et les crampons sont dans le
sac. Trop étroit, celui-ci fait perdre beaucoup de temps pour composer le savant
agencement qui permet de tout caser, surtout si l'on chausse une forte pointure.

La priorité d'utilisation des objets est évidemment le grand ordonnateur : La


cordelette pour poser des rappels sera utilisée après les chaussures car on quittera
certainement les chaussons avant d'entamer la descente par la voie normale ; la
gourde sera utilisée avant les crampons, etc. Mais malgré toute votre sagacité, il y
aura bien un objet qu'il faudra aller chercher sous tous les autres à un moment ou un
autre, et si votre sac est trop étroit et trop bourré, vous ne pourrez pas enfiler la main
entre le tissu et le contenu pour le ramener des profondeurs. L'astuce est là. Celui qui
vous sort n'importe quel article en un clin d’œil en donnant l'impression de tout avoir
en haut du sac est celui qui n'en a pas tassé le contenu.
A un moment ou un autre, on sera amené à hisser le sac du premier de cordée.
Abîmer votre beau sac de montagne va certainement vous faire de la peine, mais si
ça peut vous éviter un vol d'anthologie dans cette dalle où les coinceurs n'ont qu'un
rôle décoratif, vous le sacrifierez sans miséricorde. Le sac doit donc être un
minimum résistant à la déchirure. Le sac spéléo utilisé en grande voie est
inconfortable pour les longues approches. Un vrai sac de hissage peut parfois
convenir, mais il est généralement bien lourd, et sera plus indiqué pour une course
TD où l'on pense devoir hisser pour de nombreuses longueurs.
Alors pour une course classique, on tente de choisir le compromis. : un sac
montagne de 40 à 45 litres, léger (moins d'1,200 kg), pas trop étroit, dont la ceinture
ventrale est escamotable, dénué de poche extérieure à crampons pour éviter qu'elle ne
s'accroche au rocher pendant le hissage, et dont le tissu paraît robuste, notamment
celui du rabat qui prend les coups, et celui du dos, trop souvent fabriqué dans une

208
maille fragile privilégiant l'aération. On évite de placer un objet dur au contact direct
du tissu, car celui-ci se déchirerait au moindre frottement contre le rocher puisque
soumis à la fois au marteau et à l'enclume. Les crampons sont rangés pointes
inférieures contre pointes inférieures, emballés dans un sac plastique épais tourné
autour, et on interpose entre les pointes avant et le tissu du sac la grosse paire de
gants. Oubliez la pochette à crampons : trop lourde. Oubliez les protections de
pointes en caoutchouc à replacer longuement. Un montagnard peut sortir et mettre à
ses pieds ses crampons en quelques instants. On peut disposer les chaussures
verticalement, tête bêche, contre le dos du sac, en interposant un vêtement dans les
parties latérales entre le tissu du sac et les semelles. Les sangles de compression du
sac sont bien serrées pour qu'elles rendent le tout compact et ne se prennent pas dans
les saillies de rocher. Au retour de course, on fera le bilan des petites déchirures et on
réparera avec du Seam Grip de Mac Nett. On aura évité les grosses déchirures car le
premier de cordée, au lieu de tirer comme un âne bâté sur sa poulie autobloquante,
aura obéi au doigt et à l’œil à son second – la rose, stop, la bleue, stop, la rose... - qui
a pour mission de conduire sans dommage le sac hissé. On se congratule encore
d'avoir réglé toutes ces manœuvres dans les grandes voies de la fin du printemps.

4/ Piolets, marteaux
Le premier achat sera le piolet à lame classique et à manche droit ou
légèrement cintré. Acheter un piolet très léger à manche droit très long serait
confortable en neige facile mais peu efficace en glace : trop léger et lame trop épaisse
pour ancrer dans un matériau dur. Inversement, choisir un piolet très court, équipé
d'une lame banane très fine, serait un handicap en neige molle et profonde. La lame
rayerait la neige sans freiner, ce qui peut rendre une réchappe inefficace. Le petit
manche planté jusqu'à la garde serait encore insuffisant pour atteindre la neige moins
ramollie sous la surface. Le premier piolet classique doit être un compromis entre ces
deux écueils : 60 ou 70 cm de long selon sa stature, relativement lourd, à lame
d'épaisseur intermédiaire très bien affûtée pour pouvoir ancrer dans la glace et retenir
dans la neige. Un bout de manche coupé en biais en guise de pique est inefficace en
glace. Une véritable pique est indispensable.
On achètera aussi un marteau équipé d'un bec à dépitonner pas trop agressif
pour éviter de se blesser en cas de chute. Ce sera le marteau des escalades difficiles,
compact, avec le poids bien en tête.
Puis on s'équipera d'un petit marteau-piolet de type 3ème main, qui pourra
remplacer les deux outil précédents dans un grand nombre de courses rocheuses à
l'approche glaciaire débonnaire. Gain de poids assuré. A peine plus encombrant que le
marteau, on le porte au baudrier. Comme le marteau, on l'équipe d'une cordelette de
4mm en bout de manche pour l'attacher au porte-matériel. On règle la longueur de
façon à pouvoir tendre le bras en complète extension du côté opposé à la hanche qui
soutient le marteau. A la désescalade, on se prend souvent un genou dans cette
cordelette : il suffit de la réduire par un nœud de vache peu serré pour qu'elle ne gêne
plus. Dans la marche glaciaire, on reste conscient que creuser la tranchée en T pour

209
enfouir un corps-mort sera plus difficile avec le manche qu'avec une panne, aussi on
tend encore mieux que d'habitude la corde et on évite les longs ponts de neige
douteux. A la descente, on n'abuse pas de l'utilisation en piolet-rampe, la lame banane
ayant tendance à mal tenir à l'envers. On peut alors planter le piolet légèrement de
travers par rapport à la ligne de pente pour éviter son décrochage.
Enfin, on finira par acquérir une paire de piolets-tractions pour la cascade de
glace, l'un équipé d'un marteau, l'autre d'une panne, ces accessoires étant
démontables. Ne pas hésiter à choisir un manche très cintré, mais en évitant tout de
même les modèles spécifiques au dry-tooling.

Dragonnes et longes des piolets-tractions


En cascade de glace, on a cherché à grimper le plus possible sans dragonne
pour libérer sa gestuelle. Mais on se fatigue un peu plus car on serre davantage le
manche. En montagne, le mieux est d'emporter ses dragonnes au cas où et de ne les
mousquetonner à son piolet que si on en éprouve le besoin en cours d'ascension. Il
faut choisir des dragonnes détachables par un mousqueton ou une attache rapide. Si
son piolet en est dépourvu, on installe une cordelette 5mm depuis le trou de la tête du
piolet jusqu'au milieu du manche où elle est maintenue par un ruban adhésif. La
dragonne comporte un mousqueton porte-matériel qui se clippe dans cette cordelette.
Quant aux longes élastiques accrochées en permanence aux piolets, très à la
mode, c'est une question de convenance personnelle. Leur rôle essentiel est de
rassurer quant à la crainte de perdre son piolet. Hormis cet avantage psychologique,
nous pensons qu'elles compliquent la progression et ne sont utiles que pour des
courses très engagées. Si on a su renoncer depuis ses premières courses à toute longe
sur son piolet classique, on a pris la bonne habitude de ne pas perdre son piolet : c'est
devenu une seconde nature. Et puis, dans une course AD par exemple, on maîtrise le
niveau technique suffisamment pour pouvoir poursuivre avec un seul piolet. Dans les
longueurs délicates, le second donnera son deuxième piolet au leader qui a perdu le
sien. D'où l'intérêt de s'être forgé une cordée relativement homogène, puisque le
second devra être capable de négocier ces passages sans trop de fatigue, certes assuré
du haut, mais à l'aide d'un seul engin.
En glace, pouvoir se vacher très vite en tension sur son piolet est très
confortable. On peut donc se confectionner avec une cordelette 7mm une vache
courte équipée d'un mousqueton capable de passer dans le trou du bas du manche.
Elle est nouée en permanence au baudrier mais clippée sur un porte-matériel. Elle
permet de se vacher rapidement en tension au piolet pour brocher confortablement
dans un pas vertical difficile bien pourvu en glace.

5/ Les crampons
Un modèle douze pointes en acier avec fixation automatique à l'arrière et
sangle ou bride plastique à l'avant est incontournable. Si on choisit un étrier à l'avant,
on se prive de la possibilité d'acheter à l'avenir des chaussures dépourvues de débord
avant, ce qui limite énormément le choix.

210
Les deux pointes avant peuvent être verticales, ce qui les rend plus efficaces en
glace.
Il faut éviter les modèles typés cascade de glace trop spécifiques. Si on peut
s'accommoder d'une mono-pointe avant, l'absence des pointes intermédiaires situées
au milieu du pied et placées perpendiculaires à la marche est plus gênante. Ces
pointes ont disparu de certains crampons cascade pour pouvoir mieux utiliser les
pointes orientées vers l'arrière qui servent à griffer les colonnettes. Mais ce sont les
pointes de retenue utilisées à la descente en cramponnage classique.
Les antibotts sont maintenant livrés montés sur la plupart des modèles. En
l'absence, il faut impérativement les commander ou bien, faute de mieux, s'en
fabriquer avec du ruban adhésif large et solide.

6/ La corde

La classique
Choisir une corde pour débuter en alpinisme ne pose aucun problème. Il faut
clairement acquérir un rappel de 100 mètres livré en deux brins séparés de 50 m de
couleurs différentes. Pour les courses de neige F et PD, où il n'y aura ni risque de
chute avec un choc important, ni long rappel, on emportera un seul brin. Pour les
courses de rocher, on prendra les deux brins. Le mousquetonnage d'un seul brin à la
fois permet de réduire le tirage et d'obtenir une force de choc bien inférieure à celle
d'une corde à simple. Ceci laisse aux coinceurs et broches à glace plus de chances de
résister.
On évitera les caractéristiques extrêmes, car les avantages des unes
correspondent souvent aux inconvénients des autres :
- Le premier critère est le poids. Entre un poids de 36 g par mètre et un autre de
49 g, la différence dans le sac à dos sera énorme : 1,300 kg, Éviter le poids le plus
lourd tombe sous le sens.
- Le second critère est le diamètre. Manier une corde de 7,3 mm de diamètre
n'a rien à voir avec une corde de 9 mm. Une corde très fine oblige l'emploi d'un frein
spécialement adapté aux petits diamètres (microjul d'Elderid par exemple), beaucoup
de vigilance pendant l'assurage et le rappel, un serrage moins sûr des nœuds
autobloquants pour remontées ou mouflages, et un assurage au corps très difficile. Un
choix ultra-léger certes, mais à l'évidence déconseillé à l'amateur bien décidé à se
comporter comme celui qui essaie, et voulant avoir une corde capable de tout faire, et
surtout de pardonner toutes les bêtises.
- Le troisième critère est la résistance de la gaine. Elle dépend du nombre de
fuseaux constituant cette gaine (de 32 à 48, un faible nombre donnant une corde plus
résistante à l'abrasion mais moins élastique), du pourcentage de fibres constituant la
gaine par rapport au total des fibres de la gaine et de l'âme (de 35 à 45%, un
pourcentage élevé donnant une corde plus résistante à l'abrasion) et du mode de
tressage de la gaine autour de l'âme (tressage tri-axial, 1 fil, 2 fils, plus ou moins
serré). On se fait une bonne idée de la résistance de la gaine en pliant la corde. Une

211
corde résistante à l'abrasion se laisse plier moins facilement. Elle tient donc moins
bien les nœuds mais ceux-ci sont plus faciles à défaire après tension. Elle a moins
tendance à faire un paquet de nœud inextricable au lancer d'un rappel sur un terrain
peu incliné. Avoir une corde résistante à l'abrasion permet de remonter un rappel
coincé sans trop de crainte pour la portion de corde qui s'appuie tout là-haut sur le
rocher saillant, de ne pas devoir la changer au moindre coup de crampon malheureux,
de ne pas être effrayé dans ce parcours d'arête rocheuse au point d'envisager de
s'encorder en double. C'est un véritable confort que de posséder ce genre de corde
rustique, même si elle est un peu plus lourde.
Bref, le choix est clair : Deux brins de 50 m d'une corde de rappel d'un poids
intermédiaire et relativement rustique. Avec 42 g par mètre, on porte 4,200 kg de
corde.
Le rappel 2 x 60 mètres
La surenchère n'a pas de limite. Tandis que Rébuffat conseillait en 1959 un
rappel de 60 mètres pour les grandes courses, nous voici maintenant à 120 mètres
pour beaucoup de couses glaciaires ou mixtes. Pour les courses classiques, les topos
indiquent généralement la nécessité d'emporter une telle longueur, par exemple pour
redescendre le couloir Whymper de l'aiguille Verte. Les rappels des goulottes récentes
sont équipés à 60 mètres sans que cela soit forcément mentionné. Il faut donc être
méfiant et bien se renseigner sur la voie projetée.

Les autres choix


Après avoir fait simple, on fait plus compliqué.
La première raison est que votre cordée est maintenant devenue la reine de
l'assurage en mouvement. Corde tendue à quinze mètres, vous avalez régulièrement
des longueurs de IV ou IVsup ; parfois un ou deux pas de V. Ce n'est donc plus une
simple glissade que votre corde est sensée retenir mais un beau vol certifié. Vous
libérez tous les anneaux de buste en un clin d’œil pour vous lancer dans la longueur
clef en 6a puis vous reprenez ensemble votre course extraordinaire vers le sommet
après avoir raccourci de nouveau l'encordement. Trop fort. Mais avec quelle corde
faites-vous ça ? Sortez-vous vraiment le second brin du rappel le temps de la
longueur dure ou ce second brin reste-t-il dans le sac jusqu'aux longs rappels de la
descente ?
La seconde raison est que, quand vous voyez le topo indiquer « corde pour
rappels de 30 mètres », vos genoux vieillissants se demandent s'il ne serait pas
possible d'emporter moins lourd que les deux brins de 50. Mais voilà, un brin de 50
pour un rappel de 30 mètres... il n'y a pas toujours une cordée conciliante à vos côtés
pour franchir le dernier rappel au-dessus de la rimaye à la descente du Chardonnet...
Alors si vous avez fini par acquérir un rappel 2 x 60 pour vos courses glaciaires,
emporter un seul brin de 60 peut être une solution. On se retrouve alors avec le
premier problème et avec le facteur limitant suivant : à la montée, on s'interdit de
faire une longueur supérieure à 30 mètres puisqu'il faut grimper avec deux brins.

212
Pour résoudre le premier problème, de nombreuses cordées emportent
maintenant un brin de corde à simple de 50 mètres et un brin de rappel de la corde qui
sert aussi au hissage du sac.
a/ Les diamètres peuvent être très différents, afin d'obtenir le poids le plus
faible possible. On utilise alors pour le brin de rappel de la corde une cordelette en
dyneema statique, comme la trail line 7,3mm dyneema de Beal qui pèse 30 g par
mètre, ou un diamètre plus faible encore (5,5mm en dyneema). Le descendeur se
place uniquement sur la corde à simple, l'autre brin ne servant qu'à rappeler la corde.
On laisse un maillon rapide étroit et court pour que le nœud d'aboutement s'appuie
dessus. Ce nœud est un nœud d'aboutement classique en huit, bien serré. Utilisé en
appui contre le maillon, le nœud de huit est classé dans l'industrie parmi les nœuds
d'arrêt ; on conseille pour cette utilisation dans l'industrie de laisser dépasser 50 cm
de corde libre.
Le premier inconvénient de la technique est d'être obligé d'emporter autant de
maillons rapides que de rappels prévus. Or, on sait rarement à l'avance leur nombre
exact.
______________________________________

Les maillons rapides


Les maillons destinés à l'escalade sont maintenant des EPI (Équipement de
Protection Individuelle) devant répondre à la norme EN 12275 qui prévoit une
résistance à la traction selon le grand axe du maillon de 25 kN, et une résistance
transversale de 10 kN, maillon vissé. Aucune résistance n'est contrôlée maillon
dévissé. La marque Péguet propose trois matières pour ses maillons homologués en
tant qu'EPI, avec les caractéristiques suivantes pour les plus petits numéros :
matière diamètre du fil (mm) charge de rupture poids (g)
acier zingué 8mm 35 kN 77
inox 7mm 45 kN 52
zycral 10mm 25 kN 49

Concernant les sites d'escalade équipés, il va sans dire que la responsabilité


judiciaire d'un ouvreur qui utiliserait des maillons rapides qui ne seraient pas des EPI
pourrait être engagée. L'exigence élevée de la norme a pour objectif de garantir la
sécurité du maillon malgré son éventuel usage folklorique par un profane hors toute
surveillance, comme voler en facteur 2, alors que l'objet n'avait été placé que pour
descendre en rappel.
En montagne, pour peu que vous n'emmeniez personne d'inexpérimenté et que
vous choisissiez d'un commun accord avec votre compagnon de cordée le modèle des
maillons auxquels vous allez confier vos vies, rien ne vous empêche d'être réalistes et
d'abaisser le poids des maillons emportés. Vous n'équipez pas une voie à demeure, il
appartient aux cordées suivantes adultes de vérifier à leur tour la solidité des relais
qu'ils utilisent, aussi n'avez vous de responsabilité que vis à vis de vous-même. Les
maillons rapides qui ne sont pas des EPI mais qui sont fiables doivent indiquer la

213
charge de travail. La charge de rupture est égale à cinq fois cette charge de travail. Il
s'agit d'une charge exercée selon le grand axe du maillon, celui-ci étant vissé. L'appui
du nœud de la corde ne fait pas travailler, dans le cas qui nous préoccupe, le maillon
rigoureusement selon son axe. Il est donc préférable de prévoir une marge de sécurité.
Une charge de travail aux alentour de 200 kN, correspondant à une charge de rupture
de 1000 kN, devrait vous permettre d'en sortir sains et saufs. S'il n'y a rien de gravé
sur le maillon, il ne faut pas l'acheter. Sur le terrain, quand vous hésitez à utiliser un
maillon, essayez de lire l'inscription. S'il n'y a aucune inscription, méfiance :
remplacez-le. Si la gravure existait mais est devenue illisible, inspectez-le pour
détecter des fissures. Puis estimez le diamètre. Un 4mm en acier zingué neuf a une
charge de travail de 180 kg. Un 3,5mm en acier zingué a une charge de travail de
100kg. Rouillé, ça commence à faire très très juste... Il va falloir trouver une autre
solution.
_______________________________________

Le second inconvénient en cas de coincement est que la cordelette de rappel,


souvent un brin de 7mm statique ou semi-statique, ne permet pas de s'assurer en
premier de cordée pour aller récupérer la corde à simple coincée. Le troisième
inconvénient est dans le lancer d'une cordelette légère en terrain peu raide : nouilles
assurées. Pour cette raison, les anciens, qui utilisaient déjà ce système avec une
cordelette en nylon de 5 mm quand un long rappel unique était prévu, préparaient leur
cordelette en la portant, dans le sac ou dans une poche banane, nouée en chaînette.
Celle-ci se détricotait d'elle-même au fur et à mesure de la descente le long de la
corde à simple.

Formation d'une chaînette.

b/ Les deux diamètres peuvent être proches. On peut alors descendre


classiquement (sans utiliser un maillon rapide), mais le compagnon resté au relais

214
vérifie quand même qu'une corde ne coulisse pas plus vite que l'autre, en haut comme
en bas du rappel. On peut installer d'avance le descendeur du second afin de bloquer
la corde, puis nouer le bas du rappel avec une queue de vache au relais pour plus de
sûreté. Il vaut mieux faire des essais en couenne avec les descendeurs qu'on utilisera
en montagne et à différentes vitesses.
On trouve des cordes à simple à 62 g par mètre. Le brin de 50 pèse 3,100 kg.
Pour le brin de rappel, 39 g par mètre permet d'avoir un diamètre d'encore 8,1mm. Le
second brin pèse donc 1,950 kg. L'ensemble pèse 5,050 kg, soit 850 grammes de plus
que le rappel 2 x 50. L'option cordelette dyneema permet de gagner 450 grammes
(39g-30g = 9g x 50m = 450g) moins le poids des maillons rapides.
Pour réduire cette différence de poids sans être obligé de choisir une cordelette
de rappel qui nécessite l'emport de maillons, on peut choisir une corde multilabel.
Un brin de 50m pesant 48 g par mètre donne un poids de 2,400 kg, soit un total de
4,350 kg, et seulement 150 grammes de plus qu'un rappel 2 x 50. Ce choix va
permettre de conserver la polyvalence d'un rappel classique et de pousser l'assurage
en mouvement jusqu'à la limite de vos propres possibilités.
Résoudre le second problème sans être limité par des longueurs de 30 mètres
passe par la même solution : un brin de 60 m d'une corde multilabel, soit un poids de
2,880 kg. On gagne 1,320 kg par rapport au rappel 2 x 50.

7/ Nombre de pitons, cordelette et sangle en vrac


On prend peu de pitons quand on est sûr de sortir par le haut ou que la course
se réalise normalement en aller-retour avec un ou deux rappels maximum.
Quand la course est plus ambitieuse, la descente se réalise généralement par la
voie normale. La conséquence est que la voie de montée n'est pas équipée pour
descendre en rappel. Même si des cordées ont pu battre en retraite et fabriquer
quelques relais, il ne faut pas trop compter dessus, car les commensaux de la course
ont tôt fait de récupérer pitons et maillons à chacune de leurs montées. La voie est
donc aussi rapidement déséquipée qu'elle a été équipée. Sur un rocher bien pourvu
en becquets, il suffira de sangle et de cordelette en vrac pour équiper les rappels.
Mais dans une face plus difficile, donc plus lisse, on va consommer beaucoup plus de
pitons. Si on en veut deux à chaque rappel, et qu'on se contente de rappels de trente
mètres pour ne pas coincer, il va falloir un certain nombre de pitons.
Il est confortable de pouvoir envisager une réchappe en rappel d'au moins les
deux tiers de la hauteur d'une voie de rocher inconnue avec l'ensemble du matériel
(sangles en vrac ou cousues, cordelettes, coinceurs, pitons) et compte tenu des
possibilités de désescalade. S'il ne reste plus qu'un tiers de la voie, on peut estimer
qu'on va sortir par le haut. Par risque de pluie, prévoir qu'on ne pourra que réaliser
des rappels encore plus petits pour éviter de coincer la corde. On consommera
beaucoup plus de matériel. Donc si le bulletin météo indique « risque d'averse en fin
d'après-midi », emporter plus de cordelette et de pitons est une bonne idée.
Dans les courses où on finirait par se charger excessivement, on diminue le
diamètre de la cordelette pour pouvoir en emporter davantage. On réserve plutôt la

215
5mm pour relier des pitons, la sangle pour des becquets non coupants, la cordelette
7mm convenant partout. Si on est obligé de poser un anneau de rappel en 5mm sur un
rocher agressif, on n'hésite pas à l'émousser soigneusement au marteau.
Le matériel conseillé dans les livres qui décrivent des courses sélectionnées est
à comprendre comme le minimum syndical quand tout va bien. Mais être
autonome consiste à pouvoir faire face quand tout va mal.
Dans une face importante, emporter une douzaine de pitons variés n'a rien de
ridicule. Dans une course de rocher classique - D, 500m – prendre un ou deux pitons
va vous servir à quoi ? En tout cas pas à une réchappe sous la pluie alors que vous
avez déjà grimpé deux ressauts... Il est probable que l'essentiel de vos pitons restera
dans le sac. Ils doivent être considérés comme un billet de retour.
A ceux qui vous disent qu'il est inutile de se charger avec autant de matériel,
répondez-leur que six pitons est un matériel extra léger comparé à un hélicoptère...

216
Chapitre 11 : Les dangers
«Tout hussard qui n'est pas mort à trente ans est un jean foutre » Général
Lasalle.196

Les accidents en montagne ont toujours beaucoup fait couler l'encre de ceux
qui ne s'y aventuraient pas. Le drame de la caravane Hamel en 1820 et celui du
Cervin en 1865 en sont les archétypes. Dans ce second cas, la reine Victoria elle-
même envisagea d'interdire la pratique à ses sujets. L'Alpine Club fut sommé de ne
plus se comporter en danger public. Quatre morts d'un coup, dont un Lord, sur une
montagne, c'était trop. La révolte des Taiping, de 1849 à 1864 venait de faire en
Chine entre 20 et 30 millions de morts et l'on sortait juste, en avril, de la Civil War
qui avait tué au moins 600 000 américains pour la question de tarifs douaniers...

Dangers objectifs et dangers subjectifs


Il est d'usage de se faire plaisir avec la division d'Emil Zsigmondy 197, parmi les
dangers rencontrés en montagne, entre ceux objectifs et ceux subjectifs. L'ouvrage du
jeune docteur, traduit en français de façon posthume en 1886 sous le titre Les dangers
de la montagne, indications pratiques pour les ascensionnistes, confirmait que les
médecins sont les derniers à suivre leurs propres ordonnances – ce qui les rend
d'autant plus sympathiques - puisqu'il était mortellement tombé en face sud de la
Meije le 6 août 1885.
Les premiers de ces dangers seraient ceux provenant de la montagne elle-
même et en quelque sorte indépendants du comportement de l'alpiniste, tandis que les
seconds relèveraient d'une insuffisance de l'alpiniste lui-même. On range par exemple
dans la première catégorie les chutes de pierres, dans la seconde une perte d'équilibre
196 Mémoires du général Baron Thiébault, Tome 3, librairie Plon, 1895. Le Général Antoine Lasalle, 1775-1809, tué
d'une balle au front à la bataille de Wagram à la suite d'une longue carrière militaire commencée à l'âge de 11 ans et
ponctuée d'exploits plus extraordinaires les uns que les autres, respecta sa propre prescription à quatre ans près.
197 Die Gefarhen der Alpen (Les dangers des Alpes), Emil Zsigmondy, 1885.

217
sans cause extérieure.
Cette distinction semble en apparence commode et pertinente. Elle permet aux
auteurs de redoubler les imprécations à l'encontre de l'excursionniste imprudent.
Ainsi, Kempf198 assure-t-il que « bien des accidents n'ont pas pour origine des actes
de témérité, mais bien l'inconscience du péril » et que « les accidents dus au seul
hasard, à la fatalité comme pensent certains, sont extrêmement rares », se prononçant
toutefois à notre soulagement contre le projet de loi déposé alors à l'Assemblée
nationale imaginant la création du permis de grimper. Félix Germain199 insiste en
révélant que « dans un accident, la part de la fatalité est infime, comparée à la grande
part de responsabilité de la victime elle-même ». Ce discours grossier de culpabilité
quitta ensuite les manuels au profit de la transmission d'outils pratiques –
connaissance du milieu, assurage, techniques de réchappe, moyens de survie. Dans le
même éclair de lucidité, Chuck Norris donnait enfin des cours de self-defense aux
femmes où l'on n'avait su la décennie précédente que leur reprocher l'ourlet de leur
jupe placé un peu trop haut.
Le bel effort cartésien qui classait les chutes de pierres parmi les dangers
objectifs résistait mal à la réflexion. Si ces pierres tombaient tous les jours à telle
heure dans tel couloir, à telle époque de la saison, et que ces foutus bonshommes
remontaient tout de même le couloir, le forfait devenait la conjugaison du fait
indépendant de la conduite de l'alpiniste : la pierre qui chute, et du fait dépendant de
son comportement : cet animal remonte quand même le couloir. Factuellement,
l'alpiniste comme la pierre allaient chacun à la rencontre de l'autre. Allait-t-on
chercher à savoir qui se déplaçait le plus vite ?
Inversement, trouver l'étiologie d'une glissade, marquée par le stigmate du
danger subjectif, dans l'impréparation physique ou technique du montagnard,
confinait à la malhonnêteté intellectuelle puisque l'alpinisme tout entier réside dans le
fait de tenter des actions qu'on n'est pas sûr de réussir. Que de surcroît, c'est bien la
même pesanteur, régie par les mêmes lois de Newton, qui entraîne la pierre comme
l'alpiniste dont l'équilibre est momentanément pris en défaut. Sans cette fameuse
pesanteur, qui est bien un paramètre indépendant de la volonté de l'alpiniste, donc se
définit comme un danger objectif, l'alpiniste n'aurait pas chu. Mieux, sans cette
humidité sur le rocher, qui est bien un danger objectif, l'adhérence du caoutchouc
aurait supporté le faible angle d'attaque de la semelle vibram, de sorte que l'équilibre
de l'alpiniste n'aurait pu être trompé par un inhabituel abaissement des forces de
frottement. On ne multipliera pas les exemples.
On a compris que tout accident en montagne est de cause multi-factorielle et
que les catégories du méthodique Emil ne sont d'aucune utilité en montagne. Si le
message était faites gaffe, on se serait passé d'autant de science.
Savoir qu'il vaut mieux ne pas traîner au sommet de l'aiguille du Peigne par
temps d'orage parce que son sommet pointu est relativement isolé des hauts sommets
alentour a autrement d'intérêt. Mais il restait le péril que ce genre de conseil ne

198 Op. cit., Bertrand Kempf, p.174


199 Op. cit., Bernard Amy et coll., p.64.

218
tombât dans l'oreille des assureurs, des avocats et des décideurs publics, lesquels
rassembleraient les usages d'une discipline au sein d'un immense code de bonnes
pratiques, écrit ou verbalisé au débotté par des experts vertueux. Toutes les
professions200, toutes les activités humaines y passèrent, et l'on devina que nos
censeurs d'aujourd'hui n'avaient rien à envier à ceux d'hier, où quand ceux-là nous
tançaient naguère, en gros, d'être fréquemment le moteur de nos propres accidents en
montagne et de faire un peu plus attention, ceux-ci entendaient maintenant prouver
chacun de nos manquements, chacune de nos insuffisances, la totalité de nos lâchetés
comme de nos petites faiblesses, nous condamnant pour ce que nous avons fait
comme pour ce que nous aurions dû faire, refusant de nous lâcher le collet tant que
nous n'aurions pas bu la lie entière pour finalement abdiquer, de guerre lasse, notre
liberté de nous fracasser en montagne. Bientôt nous porterions le casque pour prendre
un shampoing au cas où on se cognerait la tête contre la pomme de douche. Tant que
les censeurs n'intégreraient pas la différence entre la responsabilité ontologique de
l'alpiniste et sa responsabilité morale ou judiciaire, l'incompréhension serait totale.
Depuis que les premiers êtres pluricellulaires se sont essayés avec succès à la
mortalité201, voici quelques 2 milliards d'années202, nous sommes un certain nombre
d'animaux à avoir exploré les arcanes de notre nouvelle condition. Si nos prêtres et
leur eschatologie ont poussé loin le bouchon théorique, nous autres alpinistes, sur le
plan pratique, n'avons pas démérité. De Socrate à Nagasaki en passant par les
joyeuses prescriptions de l'Incorruptible, l'homme a testé mille manières de se voir
confirmer qu'il détient bien toujours ce pouvoir de s'éteindre, à la manière du
mélancolique adolescent qui pense qu'il ne pourra mourir sans y mettre du sien. Ne
touche-t-on point ici ce que fait concrètement l'alpiniste quand il se sent apaisé, juché
sur ce sommet, en phase avec la montagne, à sa place, là où il sait qu'un autre, privé
de sa connaissance du milieu et de ses acquis techniques, ne pourrait survivre. Que
fait-il sinon prouver qu'il a su pousser un peu le mur, être vivant là où les autres
seraient morts, offrant davantage d'espace à sa vie ?
Si l'on entend responsabilité ontologique de l'alpiniste dans la survenue des
accidents de montagne, elle est forcément pleine, entière, assumée, revendiquée. Le
jeune docteur n'avait pu suivre sa propre ordonnance parce qu'un homme de vingt-
quatre ans ne saurait résister à l'attirance de la face sud de la Meije par des appels de
prudence. Si quelques esprits chagrins avancent que de cette responsabilité
ontologique découle une culpabilité judiciaire ou morale, qu'on mette alors l'espèce
entière aux arrêts, on ne trompera personne.
Dans le domaine de l'écologie, le vieux Chaps avait pourtant flairé ce mauvais

200 En matière médicale, les codes de procédures cliniques font florès et sont opposables au praticien, de sorte qu'il doit
pouvoir se justifier s'il les transgresse. Le professionnel de santé est réduit à un exécutant devant fournir une tâche
complexe, élaborée dans les officines du pouvoir. Sa marge de manœuvre n'est plus que dérogatoire. Le fameux
colloque singulier (la relation patient-praticien) est ramené au déroulement parfait du contrat de soin. L'homme est
réifié.
201 L'être pluricellulaire a inventé la mort naturelle. Cours d'évolution animale, Roland Ballesio, C.E.S. De Biologie
Buccale, Lyon, 1987.
202 Découverte récente de fossiles pluricellulaires datant de 2,1 milliards d'années au Gabon, tandis que les plus
anciens précédemment connus, situés en Australie, dataient de 670 millions d'années.

219
coup de Père Ubu : « Pendant que le grimpeur batifole sur les parois, l'écolo gère les
affaires de son club, et pousse à l'interdiction de l'escalade ! (…) On en arrive au
point où l'on peut voir l'U.I.A.A. se gratter la tête pour savoir si elle ne va pas
consentir à des mesures visant à interdire l'alpinisme ici ou là ! »203

L'inversion des températures est ce curieux phénomène décrit par les météorologues quand il fait
plus chaud en altitude qu'au fond des vallées. Une autre singularité, si l'on en croit cet affichage,
est que, quand nous allons dehors, nous entrons dorénavant dans un espace naturel, cette
inversion-là étant l'innocente occasion de produire 7 pictogrammes d'interdiction...

Mais ses péroraisons n'auront pas suffi car c'est la société entière qui s'abîme
dans le précautionnisme totalitaire. Le zélateur du positivisme ne croit plus qu'il peut
manquer son but autrement que par une faute coupable. Déclencher une avalanche
devient une insulte au progrès humain, puisque, de nos jours, on disposerait de tous
les éléments pour la prédire. Il faut punir l'individu pour sauver l'Homme, prouver
que l'Homme pouvait faire mieux. Ainsi la jeune femme comme le jeune homme
n'ont plus le droit de s'écarter du progrès, doivent s'efforcer d'être conformes aux
exigences essentielles, marqués CE, comme des bêtes pour la grandeur de l'Homme.
Pour Alain Ghersen204, le précautionnisme est « paradoxalement anxiogène car il n'a
de cesse d'agiter les peurs », l'auteur énumérant « les adjectifs qui qualifient le mieux
cette nouvelle morale de la prophylaxie -liberticide, infantilisante, paternaliste,
culpabilisante » montrant qu'il « semble bel et bien relever d'une volonté du pouvoir
d'accroître son contrôle sur les individus ». Alors les alpinistes doivent insister sur
leur liberté de pratiquer la montagne comme ils l'entendent, avec le matériel qu'ils

203 Op. cit., Pierre Chapoutot, p.28.


204 Risque et alpinisme, Alain Ghersen, éditions Glénat, 2016.

220
veulent, bien ou mal chaussés, avec la quantité de risques qu'ils décident, en assurant
de telle façon ou de telle autre même si aucun manuel ne la répertorie, ou en ne
s'assurant pas du tout, à des saisons idoines et à d'autres moins aimables, sur une
montagne en condition ou en condition exécrable, en revenant entier ou en ne
revenant pas. Les alpinistes doivent aussi cesser de se juger en cas d'accident,
impatients qu'ils sont de se tancer mutuellement dans une compétition morale qui fait
le jeu des censeurs. On se souvient de ces anciennes et malheureuses classifications
rangeant les accidents en deux catégories : les accidents inévitables et les accidents
évitables205. Ces derniers ont la fâcheuse tendance à réunir les accidents des autres
cordées tandis que la première catégorie regroupe avec une élégance douteuse les
accidents de sa propre cordée ou ceux de sa corporation... Si lors d'une mésaventure,
des professionnels se précipitent pour dénoncer la mauvaise pratique présumée des
amateurs, qu'ils ne s'étonnent pas d'être traînés devant les tribunaux quand ils sont à
leur tour plongés dans un drame.
La façon la plus efficace de conserver nos libertés n'est certainement pas de se
transformer soi-même en petit inquisiteur de la conduite de l'autre. Dans un État
totalitaire, chacun est encouragé à surveiller son voisin et à y trouver à redire.

Les dangers fréquents


Les dangers les plus fréquents en montagne sont les chutes de pierres et les
chutes d'hommes.
Si les premières sont généralement étrangères au randonneur, les secondes
sont parfaitement connues de lui. Les chutes sur sentier sont en effet, de loin, les plus
pourvoyeuses d'accidents en moyenne montagne. Dès qu'homo habilis s'est
définitivement attaché à cette hasardeuse posture érigée découverte précocement par
australopithecus, se casser la figure est entré dans le répertoire des actions humaines
ordinaires. Votre grand-mère qui vient de se fracturer le col du fémur en sait quelque
chose. Il était donc peu probable que vous en réchappiez dans un milieu en pente.
Alors, une seule solution : se méfier partout et tout le temps. L'alpiniste n'est pas celui
qui ne se casse pas la figure mais celui qui sait qu'il peut partout et tout le temps se
casser la figure. Il se méfie donc autant en descendant du train en plein hiver avec sa
paire de skis à la main que sur une arête de mauvais rocher en été. Il n'est pas
prudent, car la prudence recommande comme on l'a dit la fréquentation assidue de la
chaise longue, mais méfiant.

Les chutes de pierres sont redoutables en haute montagne. Une pierre qui
chute sans toucher la paroi produit un bruit comparable à un simple souffle. Un bruit
qui ne fait malheureusement pas peur, exactement le même que celui produit par le
piqué d'une hirondelle de rocher. Si la pierre heurte la neige tangentiellement, un
froufrou s'y ajoute. Les bruit provoqués par les crampons et le piolet peuvent très
bien masquer cet avertissement. Alors on tend l'oreille et on observe continûment. Le
casque ne protège pas la clavicule, ni les bras, ni les tibias, zones très exposées. Dès
205 Op. cit., Georges Casella, p.171.

221
l'alarme, on fiche le camp le plus vite possible, à gauche ou à droite. En sécurité : une
retraite n'est pas une débandade. On évite généralement de remonter les couloirs dans
leur centre qui canalise souvent les pierres, et sur les bords, on contourne les zones
jonchées de débris variés. Quand on doit traverser la rigole d'une coulée, on le fait
rapidement, après avoir attendu quelques instants pour apprécier la fréquence
éventuelle des passages de cailloux. Quand on dit rapide, il ne s'agit pas non plus de
se mettre à courir en faisant n'importe quoi et se casser la figure dans la rigole. Il
s'agit plutôt de choisir le bon passage et d'anticiper l'enchaînement des mouvements
qui vont permettre de franchir l'obstacle proprement.
Dans une cheminée rocheuse, les ricochets provoquent de brusques
changements de direction jusqu'au dernier moment, ce qui rend très difficile
l'évitement des pierres. On tente d'installer des relais protégés sous des saillies et
décalés de la ligne d'ascension. On se vache assez long pour pouvoir se déplacer d'un
mètre ou deux s'il le faut. Le sac à dos peut servir de bouclier.

Les chutes de séracs sur des alpinistes sont relativement rares. Ceci car les
itinéraires classiques tentent de les éviter. Mais une nuit au bivouac est souvent
ponctuée par les craquements des divers séracs des parois environnantes, surtout
celles qui ne sont pas fréquentées. Ces chutes ne dépendent pas de la température, se
produisent invariablement la nuit ou le jour, et à toutes saisons. Quand le poids du
glacier en surplomb dépasse la résistance à la flexion de la tranche de glace, le sérac
tombe. Bien malin celui qui peut en prédire le moment. Évidemment, plus la quantité
de glace en surplomb est importante, plus on sera méfiant. Alors, on évite les pauses
pique-niques sous les séracs paraissant menaçants. On se souvient aussi que la chute
d'un sérac peut déclencher une coulée d'avalanche très en aval et qu'il faudra alors
peut être savoir courir rapidement en travers de la pente, chose peu aisée pour une
cordée faite de plus de deux alpinistes, forcément moins mobile.

Les chutes de glace sont courantes en cascade de glace. Le désancrage d'un


piolet profondément planté soulève souvent une assiette de glace redoutable pour les
cordées suivantes. Apprendre à grimper en cassant le moins possible en cascade de
glace permet de savoir ne pas envoyer en dessous les choses qu'on déteste recevoir
sur soi. En glace, les ricochets sont également courants et traîtres. Il s'agit ici encore
de bien choisir les emplacements de relais.

Les chutes de matériel sont plus fréquentes en grande voie qu'en haute
montagne. La raison est que les alpinistes sont davantage conscients en ces hauts
lieux des inconvénients de la perte d'un descendeur que pour une sortie en plaine.
Mais on n'est pas à l'abri de recevoir un mousqueton, un piolet, une plaquette
d'assurage ou tout autre objet. On sera méfiant si on bivouaque en contrebas du
bivouac d'une autre cordée. Il vaudra mieux se décaler à droite ou à gauche.

222
La chute en crevasse
Les chutes en crevasse se résument le plus souvent à percer un petit pont de
neige dans lequel s'engouffre une jambe ou la moitié du corps. La corde se tend
aussitôt et cela se termine comme une histoire cocasse. Si l'appareil photo est prêt à
l'action, c'est encore plus drôle. Mais l'effondrement d'un large pont de neige est plus
problématique puisque l'infortuné pend au bout de sa corde tandis que son assureur
renversé tente de ne pas le suivre à son tour. Si la personne engloutie par la crevasse
est valide, elle remonte sur corde fixe le long du brin que va lui relancer l'assureur. Si
elle n'est pas suffisamment valide, l'assureur installe un mouflage et tente de
rameuter les cordées voisines pour tirer à plusieurs. Les risques sont l'aggravation du
traumatisme (en cas de fracture) par des manœuvres brutales et l'hypothermie si la
mise en œuvre est trop lente.

La chute en paroi du premier de cordée avec blessure peut poser d'importants


problèmes selon la gravité du traumatisme.
Voici quelques réflexions sur la gestion possible de la situation :

1/ Il faut d'abord pouvoir communiquer avec l'accidenté. Au besoin, on fixe la


corde d'assurage, et on quitte le relais auto-assuré sur la corde jusqu'à pouvoir
communiquer avec lui : lui parler, l'entendre, si possible le voir. Mais on se réserve
évidemment la possibilité technique de retourner au relais pour la suite des
opérations. Pour quitter la chaîne d'assurage alors qu'on assure au pontet du baudrier
et qu'on est donc soumis à la tension de la corde, on installe un machard sur la corde,
on le relie au relais, puis on donne le mou suffisant pour transférer la charge sur le
machard. Après quoi on peut sécuriser la corde par un nœud directement au relais et
ôter sa plaquette. Il faut préalablement que le relais résiste à la traction vers le haut.
2/ La première action consiste ensuite à faire un bilan médical succinct :
conscience ou inconscience ; hémorragie ou non ; localisation et intensité de la
douleur ; fracture, entorse ou contusion ; symptômes de souffrance cérébrale
(céphalées, nausée, vertige) ou non.
3/ La seconde action est d'envisager le retour du premier de cordée au relais. Si
le relais est à l'aplomb, on le moulinera ; à condition qu'il n'ait pas dépassé la moitié
de la corde (avoir marqué chaque brin à la moitié avec un feutre indélébile). S'il a
dépassé la moitié, le rejoindre, installer un relais en doublant ou triplant le dernier
point d'assurage. Vacher l'accidenté à ce relais. Mouliner l'accidenté jusqu'au relais
inférieur depuis le haut. Descendre en rappel pour le rejoindre en récupérant le
matériel. Si une traversée a été réalisée, voir si une terrasse peut offrir un relais
convenable à l'aplomb du dernier point d'assurage.
4/ Traiter au mieux la première urgence : compression, pansements, attelle de
fortune, antalgique, resucrage, hydratation, vêtements chauds.
5/ Examiner les différentes options : si le traumatisme est léger et que la
réchappe en rappel est possible (matériel suffisant, peu de traversées), on fuit vers le
bas. Si l'accidenté n'est pas en état de participer à la réchappe en rappel, on appelle les

223
secours. On essaie son téléphone portable et on compose le 112. S'il n'y a pas de
réseau, on tente d'alerter des cordées voisines ou le refuge situé au pied de la paroi :
sifflet, lampe, miroir de détresse. Le SOS est un signal sonore ou visuel répété 6 fois
en une minute, pause d'une minute, puis on recommence. On peut aussi étendre sur la
vire la face colorée d'une couverture de survie. Quand un hélicoptère s'approche, on
lève les deux bras au ciel en forme de Y pour demander de l'assistance.
6/ On envisage de gagner un meilleur endroit, plus protégé du vent, plus facile
d'accès pour un hélitreuillage, moins exposé aux chutes de pierres. On le fait si c'est
possible sans détériorer l'état du blessé.
7/ En dernier recours, on prépare au mieux le blessé : tous les vêtements
chauds, toute la nourriture, toute l'eau. On signale l'emplacement par des chiffons de
couleur vive. On note l'heure. On explique au blessé qu'on va chercher des secours,
qu'il n'est pas abandonné. On fait le plus vite possible sans s'accidenter soi-même.
Dans ces cas-là, on est capable de battre toutes les performances.

Neige instable
Les accumulations de neige récente sont instables. La neige se métamorphose
ensuite : les particules de neige s'arrondissent et la taille des grains diminue tandis
qu'ils se rapprochent. La cohésion augmente. (La métamorphose peut aussi aboutir à
la formation de gobelets instables si un fort gradient de température existe dans
l'épaisseur de la nouvelle couche de neige quand celle-ci est mince, ce qui arrive le
plus souvent en début d'hiver : une courte chute de neige suivie d'un beau temps froid
prolongé.) Il est par conséquent préférable d'attendre quelques jours après une forte
chute de neige avant d'aller en haute-montagne. La chaleur diurne accélère la
métamorphose, elle est donc plus rapide l'été que l'hiver. Il y a, relativement, peu
d'avalanches en été.
Le vent modifie la forme des grains et transporte la neige. Il la transporte
pendant la chute de neige mais peut aussi véhiculer une couche de neige déjà au sol :
le seuil de reprise varie de 11 km/h pour une neige récente à 110km/h pour une neige
transformée. On comprend qu'il soit intéressant de connaître les bulletins
météorologiques, non seulement du jour de l'ascension, mais également des jours
précédents pour véritablement s'informer sur les conditions de la montagne. On
détecte l'action du vent sur la surface au vent, c'est à dire la surface érodée, par la
présence de rides ou de vagues. L'accumulation de la neige sous le vent d'une crête
peut former des plaques à vent et des corniches.

L'accumulation dans la pente sous le vent n'est pas forcément une plaque à
vent. Il peut s'agir d'une couche stable. Le mécanisme de la formation d'une plaque à
vent commence par la métamorphose très profonde des cristaux brisés par le vent.
Les grains deviennent très fins et présentent une cohésion très forte. Une plaque dure
se forme alors sur la pente de neige molle et se comporte comme un objet solide qui
ne suit pas le tassement naturel des couches sous-jacentes. Elle finit par être ancrée
dans la couche par quelques points seulement, ne demandant qu'à glisser dans la

224
pente à la moindre sollicitation comme une pierre glisserait dans la pente. Un vent
modéré (15 nœuds) peut former une plaque en quelques heures. La plaque est située
sur le versant sous le vent, mais il faut se méfier si le vent était en sens inverse au
moment de la chute de neige. La seule façon de procéder est de déceler ces plaques à
temps pour ne pas s'y engager davantage. On cherchera à les contourner.

Les corniches peuvent céder sous le poids de la neige ou des alpinistes. A


l'instar d'une stalactite de glace qui casse souvent bien au-dessus de l'endroit où elle
se détache du rocher, la ligne de fracture d'une corniche de neige est souvent très en
aval de l'arête faîtière. Il est donc normal que la trace soit nettement en contrebas, ce
qui pose d'évidents problèmes d'assurage puisque les deux membres de la cordée se
trouvent dans la même pente, trop éloignés du faîte pour envisager de sauter de l'autre
côté en cas de nécessité.

Le mauvais temps
La notion de mauvais temps commence avec le vent, comme en mer, même si
le ciel est bleu et que le soleil brille. On vient de dire que le vent des jours précédents
a pu former des plaques à vent. Un vent fort peut aussi faire tomber des graviers
d'une crête exposée qui eux-mêmes vont entraîner des cailloux plus gros. Des chutes
de pierres sont alors possibles sur le versant sous le vent. En parcours d'arête, un vent
fort peut perturber l'équilibre de manière rédhibitoire. Le vent va compliquer
l'installation des longs rappels et la récupération de la corde. Même hors les cas
extrêmes, le vent nuira à la communication de la cordée. Une cordée qui ne s'entend
pas est en situation potentiellement dangereuse : l'assureur ne saura suivre les
indications du premier de cordée et peut très bien faire sec quand le premier réclamait
du mou. Il ne saura pas si le leader s'est vaché ou a installé sa plaquette d'assurage.
Alors, on s'en tient à des longueurs inhabituellement courtes, on convient de
signes devant remplacer les mots (on avale quelques mètres d'un brin, on le lâche,
puis on avale quelques mètres de l'autre brin, ceci plusieurs fois pour indiquer qu'on
est vaché), on évite les longs rappels, on tâche de rester à portée de vue. On cherche à
communiquer davantage ; à chaque relais, on décide ensemble du déroulement de la
longueur suivante. Si tu n'entends rien au bout de tant de minutes et que la corde ne
bouge plus, tu fais ceci. Je te mouline plutôt que lancer d'emblée le rappel, mais tu
gardes bien ton poids sur la corde, sinon ce sera pour moi l'indication erronée que tu
es arrivé au relais et je risque de lâcher la suite de la corde pour installer le rappel,
etc.
Le mauvais temps, c'est bien sûr surtout la pluie et la neige, rendant les pas
d'adhérence aléatoires. On sera peut-être amené à quitter les chaussons pour finir en
crampons. La pluie emportera son lot de chutes de pierres dans les couloirs, les
cheminées et les dièdres. On pourra quitter l'itinéraire classique pour ne pas se
trouver sur leur trajectoire, même si l'escalade ou la désescalade est un peu plus
difficile. La neige et le vent effaceront la trace du glacier, masqueront les crevasses
comme autant de pièges. On tend la corde encore mieux que d'habitude pour ne pas

225
ajouter aux difficultés.
Le froid sera un sérieux problème si le mauvais temps vous retarde au point de
vous obliger à bivouaquer. Vous lutterez contre l'hypothermie en vous isolant du sol,
en vous protégeant du vent efficacement (choix judicieux de l'emplacement), en vous
préparant des boissons chaudes (un réchaud efficace dans le vent), en ayant pris soin
d'avoir conservé au sec votre veste en duvet bien emballée dans le sac pendant toute
la pluie de la fin d'après-midi, quitte à avoir eu un peu froid pendant que vous vous
employiez à avancer dans la tourmente. Vos extrémités seront l'objet d'une attention
de tous les instants, même en pleine action : hors de question de ne plus les sentir, de
passer outre. Un arrêt s'impose - pas sous les chutes de pierres - pour enrayer ce début
de gelure : frottez énergiquement sans abîmer la peau, il faut que ça revienne, jusqu'à
la sensation de chaleur. L'intense douleur est le signe que la circulation commence à
se rétablir. Arrêtez-vous autant de fois qu'il est nécessaire, et posez-vous
mutuellement la question à voix haute : « Tes pieds, ça va ? Tu les sens ? » plusieurs
fois, pour y penser.
Quand on emmène des enfants, il faut se souvenir que, comme tous les
animaux de petite taille, leur rapport poids-surface défavorable entraîne une inertie
thermique faible. Les enfants s'en sortent spontanément en étant très actifs dans le
froid. Le mécanisme de protection contre le froid le plus efficace des homéothermes
est comportemental, aussi est-il préférable de les laisser faire. Ils ont alors besoin de
beaucoup d'énergie. Il faudra prévoir des repas, la veille de la course, abondants en
glucides lents (riz, pâtes) et en eau (indispensable pour la transformation des glucides
en glycogène ; si l'eau manque, les glucides sont transformés en graisse) pour leur
constituer des réserves maximales en glycogène, et des glucides rapides (sucreries)
pendant la course.
L'humidité des vêtements favorise le refroidissement. Pour cette raison, les
randonneurs des pays polaires savent qu'il est indispensable de savoir se déshabiller
pendant l'effort. L'habillement multi-couche est évidemment le plus adapté (1ère
couche éloignant l'humidité de la peau : pas de coton ; 2ème couche thermique :
fourrure polaire ; 3ème couche imperméable au vent et à la pluie : gore-tex).
La consommation d'alcool, par la vasodilatation périphérique qu'elle provoque,
favorise l'hypothermie, et risque de perturber le comportement naturel de lutte contre
le froid.
La perturbation de ce comportement est aussi un signe précoce de
l'hypothermie. Le sujet laisse sa veste grande ouverte, ne met pas ses gants ou les
perd, reste étendu dans la neige sans chercher à se recroqueviller. En marche, le fait
de traîner en retard sur le groupe est un autre symptôme. Il est indispensable de
s'occuper efficacement de votre compagnon qui présente ces signes car il ne le fera
pas lui-même. C'est à vous de lui remettre son bonnet et de remonter sa fermeture
éclair. Il vous arrivera peut-être un jour de devoir rhabiller comme un bébé votre
grand copain costaud dont les qualités athlétiques font d'ordinaire votre admiration, et
de le secouer pour qu'il se remette en action, car un début d'hypothermie peut
provoquer un abandon de soi spectaculaire.

226
Le brouillard vous fera sortir votre altimètre, votre boussole et votre carte.
Avant qu'il ne monte, vous aurez pris des repères sur le terrain, relevé des azimuts.
« Si le brouillard monte, on prendra au 240° qui nous ramènera sur la grosse trace de
la voie normale qu'on suivra ensuite plein sud.» Chacun mémorise l'azimut, un
nombre, c'est vite oublié.
L'orage, c'est davantage que le risque de la foudre. C'est surtout une
formidable ambiance qui fait peur et peut conduire à faire n'importe quoi. On se
recentre donc sur son métier. Dans le gros temps, même au bas ris et sous tourmentin,
le marin continue de régler les angles de tire de ses voiles, assure une veille constante
car il sait qu'il n'est peut être pas seul en mer malgré les conditions épouvantables.
Alors, on soigne le placement de la carre interne sur la petite prise, on se protège en
continuant d'être méticuleux dans les positionnements des friends, on change les
cordelettes pourries des rappels même si ça tonne très fort. On n'hésite pas à
abandonner un mousqueton pour faciliter le coulissement de la corde mouillée. On est
rapide mais précis. On ne perd pas les pédales. On est extra-lucide. On ne glisse pas,
on s'étonne de grimper si bien. On anticipe tous les problèmes. On ne s'égare pas de
l'itinéraire. On conserve un moral d'acier, on reste concentré jusqu'au dernier pas
ramenant au refuge.
Si l'on doit s'arrêter, on descend d'au moins cinquante mètres en contrebas des
sommets ou des arêtes qui attirent la foudre, on évite de se placer sous un surplomb,
on n'appuie pas son dos au rocher, on s'éloigne de la fissure servant d'ancrage au
relais, on se vache pour éviter d'être projeté par une secousse, on s'isole du rocher à
l'aide de la corde, du sac, ou d'un bout de matelas en mousse. On s'assoit en repliant
les jambes, tête sur les genoux, bras entourant les cuisses ou paumes contre les
oreilles, pour se protéger le mieux possible. On ne jette pas son matériel technique
sous prétexte qu'il est métallique mais on ne brandit pas non plus son piolet vers le
ciel comme un paratonnerre. On conseille parfois de placer le plus gros des objets
métalliques à une distance de plus de deux mètres, sans savoir vraiment si Jupiter
prend en compte nos petits arrangements.

L'altitude
Le mal aigu des montagnes (MAM) est provoqué par l'hypoxie résultant de la
faible pression partielle en oxygène à des altitudes élevées. L'adaptation à l'altitude
est très variable d'un sujet à l'autre. Elle est basée sur l'augmentation de la quantité de
globules rouges qui transporte l'oxygène aux cellules, mais aussi probablement dans
une adaptation tissulaire à la situation d'hypoxie. Le phénomène est encore
incomplètement compris. L'été 2016, une équipe dirigée par un médecin-anesthésiste
préparait une étude scientifique à l'aiguille du Midi en prenant pour cobayes le
personnel de la Compagnie de Chamonix et d'autres volontaires.
Chacun s'acclimate à des paliers différents des autres, et à une vitesse qui lui
est spécifique. La stratégie d'acclimatation qui vous réussit ne réussira donc pas
forcément à votre compagnon de cordée. Cela ne signifie pas qu'il supporte moins
bien l'altitude que vous : une nuit supplémentaire au refuge Torino et il pourrait bien

227
vous laisser sur place dans l'approche de la Dent du Géant.
Chacun doit donc apprendre à se connaître. Muni de son propre mode d'emploi,
tout est plus facile. On sait que deux nuits au-dessus de 3000 m et une petite
ascension à 4000 m nous préparent suffisamment pour un 4000 plus sérieux. Ou on
sait que ce n'est pas suffisant. On reconnaît ses symptômes, ceux bénins dont on est
sûr qu'ils vont céder au repos. On détecte ceux inhabituels, plus sérieux, qui peuvent
aiguiller vers la descente.
On peut s'aider par le calcul d'un score clinique. Chaque type de symptômes
donne un certain nombre de points :
-céphalée, nausée ou anorexie, insomnie, vertiges : 1 point chacun ;
-céphalée ne cédant pas à l'aspirine, vomissement : 2 points chacun ;
-essoufflement au repos, asthénie, diurèse réduite : 3 points chacun.
Si le score est entre 1 et 3 point, le MAM est léger, on prend de l'aspirine.
Si le score est entre 4 et 6 points, le MAM est modéré. On tente de revenir au
score précédent par le repos.
Si le score est au-dessus de 6, le MAM est sévère. Le risque d’œdème
pulmonaire (toux, respiration bruyante, crachats mousseux) ou d’œdème cérébral
(céphalée intense, hallucinations, double vision, vomissements en jet) rend impératif
la perte d'altitude.
Certaines personnes présentent facilement des œdèmes périphériques affectant
les chevilles ou les poignets. Ou bien le visage, ce qui gâche un certain nombre de
photos de sommets. On considère généralement ces œdèmes comme bénins s'ils sont
des signes isolés.
Des hémorragies rétiniennes peuvent être la conséquence de l'hypoxie, mais
généralement à des altitudes supérieures à 5200 mètres. Elles cèdent spontanément au
retour dans la vallée.

Le Diamox (acétazolamine 250mg, inhibiteur de l'anhydrase carbonique) est


souvent proposé en prévention du MAM. On a longtemps pensé que son intérêt en
altitude provenait de son effet diurétique qui abaissait le risque d'œdème pulmonaire
ou cérébral. Il abaisse également la tension oculaire. On pense aujourd'hui qu'il agit
plutôt sur les échanges pulmonaires. Sa principale indication en médecine se trouve
en effet dans la décompensation des insuffisances respiratoires chroniques qui
nécessitent une ventilation mécanique : L'alcalose métabolique qui résulte de cette
situation est réduite par le Diamox parce que, non seulement il augmente la diurèse,
mais il augmente aussi fortement l'élimination des bicarbonates par le rein.
La posologie du Diamox recommandée en prévention du MAM est ½ ou 1
comprimé matin et midi (pas le soir en raison de l'effet diurétique) en commençant le
traitement 24 heures avant l'heure d'arrivée à 3000m. Le traitement se termine dès
qu'on est redescendu. Les effets secondaires fréquents sont des picotements aux
extrémités, et bien sûr le risque de déshydratation dû à l'effet diurétique. Il faut donc
s'hydrater régulièrement et suffisamment.
Dans les Alpes, le Diamox ne sera conseillé qu'aux personnes sujettes au MAM

228
malgré une stratégie d'acclimatation à l'altitude rigoureuse. C'est votre médecin
traitant qui écartera les contre-indications et les interactions médicamenteuses
éventuelles.

La trousse de secours
Une trousse de secours trop fournie aura toutes les chances de rester à la
maison au moindre prétexte : course facile, de courte durée, dans un endroit
fréquenté. Au contraire, la réduire à une boîte de pansements la rend peu utile. Le
compromis judicieux pourra dépendre de l'engagement de la course mais il est bon de
se constituer une trousse standard qu'on emmènera partout, quitte à l'étoffer pour
certains projets plus ambitieux.
La trousse standard doit permettre de stopper le saignement et de protéger une
plaie, de placer un strapping sur une articulation, de fabriquer une contention de
fortune pour une entorse ou une fracture, d'atténuer la douleur, de désinfecter
grossièrement une plaie, de laver un œil, de calmer une céphalée due au MAM,
d'alerter les secours.
Oubliez la stérilité des compresses, des pansements ou de vos gants de
chirurgien. Vous êtes en traumatologie, c'est à dire en milieu septique. Désinfecter
une plaie pleine de terre à l'aide d'une compresse stérile n'a aucun sens. Les bactéries
ne vous ont pas attendu. Utilisez des compresses et des mains propres, c'est déjà bien.
Les médicaments seront prescrits par votre médecin traitant en fonction de vos
contre-indications et des interactions éventuelles avec des traitements déjà suivis. Il
est indispensable que les membres de la cordée se confient mutuellement leurs
antécédents médicaux, et les médicaments personnels qu'ils emportent. On évitera
ainsi les longues explications de dernière minute pour chercher le spray de Ventoline
caché au fond du sac de votre copain asthmatique, ou on apportera immédiatement le
sucre nécessaire à la copine habituée aux malaises hypoglycémiques.

Une trousse de secours complète pourrait être celle-ci :


-1 petit flacon de liquide de désinfectant des mains (lotion hydro-alcoolique ou
ammonium quaternaire) ;
-1 paire de gants d'examen en latex non stériles (les gants en latex sont précis) ;
-1 paire de gants d'examen en vinyl non stériles (si un membre de la cordée est
allergique au latex) ;
-2 unidoses de sérum physiologique (pour laver une plaie ou un œil),
-2 unidoses d'éosine (pour désinfecter et assécher une plaie) ;
-nombreuses compresses tissées non stériles (mais propres!) ;
-1 rouleau entier d'Elastoplaste de 6cm de largeur (pour maintenir des
pansements, des compresses, et pour placer un strapping) ;
-1 boîte de stéri-strips (bandes autocollantes pour « suturer » les plaies) ;
-1 boîte de pansements divers de bonne qualité, résistant à l'eau (ils doivent
tenir malgré la neige) ;

229
-2 pansements hydrocolloïdes 15x15cm type Algoplaque, pour les plaies larges
et en surface suite à une forte abrasion de la peau lors d'une chute ;
-2 bandes extensibles non collantes, type Velpeau ou Nylex (pour maintenir un
pansement en place, une compression, une contention) ;
-plusieurs épingles à nourrice (pour arrêter les bandes, pour réparer les
vêtements déchirés pendant la chute, pour soutenir un bras avec la manche piquée au
tissu de la poitrine) ;
-1 attelle d'urgence, déformable et ajustable, de type Sam Splint ;
-6 comprimés de Codoliprane (association paracétamol et codéine, antalgique
périphérique, 2c. en cas de douleur intense, espacer les prises de 4 heures minimum ;
contre-indiqué en cas d'allergie à un constituant, en cas d'asthme, d'insuffisance
hépatique ou respiratoire, et chez la femme enceinte) ;
-4 comprimés de Nurofène 400 (ibuprofène, anti-inflammatoire à visée
antalgique, 1c. en cas de douleur, espacer les prises de 6 heures minimum, alternance
possible avec le Codoliprane, contre-indiqué en cas d'allergie, d'insuffisance
hépatique ou rénale, d'ulcère, et chez la femme enceinte) ;
-6 comprimés d'Aspirine 500 (acide acétylsalicylique, 1 ou 2 comprimés en cas
de céphalée due au MAM, espacer les prises de 4 heures minimum ; contre-indiqué
en cas d'allergie, d'asthme à l'aspirine, de risque hémorragique, d'insuffisance
hépatique ou rénale, de prise d'anticoagulants, chez la femme enceinte) ;
-4 comprimés de Coramine Glucose (glucose, 4 c.par jour en cas de fatigue
brutale, conte-indiqué en cas d'allergie, d'hypertension artérielle, d'épilepsie, et chez
la femme enceinte) ;
- 4 comprimés de Valium 5mg (diazépam, anxiolytique, 1 comprimé en cas
d'anxiété suite à un traumatisme ou en cas de contractures musculaires suite à une
forte contusion, demander l'avis du médecin traitant) ;
-4 comprimés de Guronsan (glucoronamide, vitamine C et caféine, 1c.le matin
et 1c.à midi en cas de fatigue, contre-indiqué en cas d'allergie ou de calculs rénaux) ;
-1 canif à petite lame ou un multitool avec ciseaux (pour découper les
compresses, les pansements, les bandes diverses) ;
-1 petit morceau de savon (pour un lavage plus sérieux en cas d'eau courante) ;
-1 miroir de signalisation ;
-1 sifflet ;
-1 couverture de survie ;
-1 téléphone portable ;
-1 crème écran total pour peau et lèvres ;
-1 paire de lunettes de glacier de secours.

Pour les courses sérieuses, on pourra ajouter un coussin hémostatique


d'urgence, une attelle Sam Splint de grande taille supplémentaire, une radio avec son
abonnement au service local de secours, un corticoïde injectable pour traiter l’œdème
cérébral (Soludécadron , 4mg en intramusculaire).
En très haute altitude (pas dans les Alpes), on emporte de l'Adalate

230
(nifédipine), inhibiteur calcique par voie orale proposé habituellement pour les crises
d'angor, pour son effet de diminution en quelques minutes du tonus vasculaire
artériel. Il permet de diminuer la pression de l'artère pulmonaire en cas d’œdème
pulmonaire.
Pour le camp de base dans les Alpes (au camping!), on peut prévoir de
l'Adrénaline en stylo injectable prêt à l'emploi (Epipen, Anapen) à utiliser en cas de
choc anaphylactique suite à une piqûre de guêpe, surtout si l'un des membres de la
cordée a présenté dans le passé des signes d'allergie (œdème local important, urticaire
géant, œdème de Quincke).
L'adrénaline entraîne une vasoconstriction périphérique puissante qui enraye la
vasodilatation périphérique brutale provoquée par l'allergène, ce qui permet d'éviter le
désamorçage de la pompe cardiaque par l'hypotension brutale. Elle entraîne
également une puissante bronchodilatation combattant l'obstruction des voies
aériennes due à l’œdème de Quincke.
Si votre copain présente une hypertension artérielle, il est probablement sous
bêtabloquant, médicament de choix pour l'hypertension artérielle du jeune car cela lui
apporte du confort en lui évitant les bouffées de chaleur et de rougeur liées à
l'émotivité. Il va donc vous falloir plus d'adrénaline car le bêtabloquant l'empêche
d'agir: appeler le SAMU.

Quelques malaises simples


Vous avez emmené votre vieil oncle en montagne. Une pause était nécessaire,
assis sur la vire. Puis il faut repartir. Vous vous levez tous les deux brutalement. Il a
un malaise. Il s'agit probablement d'une hypotension orthostatique. Elles est favorisée
par la prise de bêtabloquants ou d'antidépresseurs. Le rallonger. Si cela ne suffit pas,
lui faire boire un demi-litre d'eau (Badoit parfaite) pour restaurer le volume sanguin.
Quand il va mieux, il se relève par étapes, en prenant son temps.
Votre copine reçoit une pierre sur le bras. Rien de cassé mais la douleur
provoque un malaise important. D'abord, vous accompagnez la chute qui va se
produire... dans vos bras. Vous ne savez pas si c'est un simple malaise réflexe
(malaise vagal) ou une hypoglycémie. Que faire ? Prenez son pouls. S'il est faible et
lent, c'est un simple malaise. Allongez la, une ou deux petites tapes sur la joue pour
l'obliger à revenir. Elle revient à elle. Si le pouls est rapide et bien frappé, c'est une
hypoglycémie, car il y a sécrétion d'adrénaline qui est l'hormone hyperglycémiante.
Si elle est agressive, confirmation du diagnostic. Donnez lui 3 sucres (15 grammes),
puis consolidez le resucrage avec des sucres lents dès qu'elle va mieux. Elle va
refuser les sucres assez violemment : soyez autoritaire, insistez.
Votre copain vient de se coltiner une longueur d'anthologie en premier de
cordée. Quand vous le rejoignez au relais, il est encore très mal. Il a des gestes
saccadés, respire rapidement et vous dit qu'il a une boule dans la gorge. C'est une
crise de spasmophilie (ou tétanie), c'est à dire une réponse ventilatoire exagérée au
stress. Le rassurer, l'allonger, lui mettre une main sur le ventre et lui dire : « respire
avec ma main ».

231
Perte de connaissance
Pour commencer, s'assurer qu'il a bien perdu connaissance. Il peut ne pas
pouvoir parler mais rester conscient. Lui prendre les deux mains (un côté peut être
paralysé ou blessé) et dire : « Serre-moi les mains et ouvre les yeux. » S'il agit, bilan
des lésions, surveillance, appel des secours éventuel.
S'il n'agit pas, penchez votre oreille contre sa bouche tout en regardant si le
ventre se soulève.
1/ Il respire : Mettre en PLS de n'importe quel côté (PLS gauche impérative
seulement pour les femmes enceintes), c'est à dire en chien de fusil stable. Il ne doit
pas pouvoir rouler tout seul sur le dos. Orienter sa bouche vers le sol. Ceci évite qu'il
inhale un vomissement éventuel.
2/ Il ne respire pas : appeler les secours tout en faisant le massage cardiaque
externe. On ne s'occupe pas si le cœur est arrêté ou pas. De toutes façons, sans
ventilation, il va forcément s'arrêter. On comprime le sternum sans toucher aux côtes
(les doigts relevés) de 5 à 6 cm, 30 fois de suite à raison de deux par seconde (donc
un rythme rapide), puis 2 bouche-à-bouche, puis de nouveau 30 fois, etc. jusqu'à
reprise de la respiration spontanée ou l'arrivée du défibrillateur. Si on est plusieurs, on
se relaie. Dans tous les cas, on s'économise pour durer : les bras tendus, les mains
bien superposées.
On préconisait naguère un coup de poing sternal pour faire repartir le cœur.
Cette recommandation est aujourd'hui abandonnée. Le coup de poing sternal n'est
plus utilisé que dans une seule circonstance : un patient sous monitoring fait un arrêt
cardiaque en présence du médecin qui ne dispose pas immédiatement du
défibrillateur. Il a quelques secondes pour tenter le coup de poing sternal. Mais en
secourisme, le geste est maintenant considéré comme dangereux : risque d'arrêter
définitivement un cœur dont le diagnostic a été mal posé et risque de fractures.

Organisation du secours en montagne en France


L’État a pris en charge le secours en montagne dans les années 1957, 1958,
suite à l'émotion soulevée par la catastrophe de décembre 1956 d'Henry et Vincendon.
Jusqu'à cette date, les secours étaient organisés par des sociétés de secours locales et
par les compagnies de guides (à Chamonix, également l'école nationale de ski,
ancêtre de l'ENSA, et l'EMHM), réquisitionnées par le maire de la commune. La
circulaire ministérielle du 21 août 1958, dite « plan ORSEC-montagne », organise les
secours sous l'autorité du préfet. En novembre est créé le GSHM, ancêtre du PGHM.
Les CRS, déployés dès la fin de la guerre dans les Alpes pour surveiller les frontières
et les barrages, sont incorporés au dispositif. Progressivement, les sociétés de secours
voient leur rôle marginalisé, les obligeant à orienter aujourd'hui l'essentiel de leur
action vers la prévention (La Chamoniarde), la gestion d'un réseau VHF (dans les
Alpes-Maritimes) ou des œuvres sociales (Société Dauphinoise recyclée dans l'aide
aux enfants handicapés). La loi 96-369 du 3 mai 1996 départementalise les services

232
d'incendie et de secours en créant les SDIS (Service Départemental d'Incendie et de
Secours), leurs Groupes Montagne de Sapeurs Pompiers (GMSP) devenant le
troisième corps intervenant sur le terrain. En 2012, les CRS accèdent à la
qualification d'OPJ (Officier de Police Judiciaire) et deviennent donc habilités à
diligenter une enquête au même titre que les gendarmes.
Actuellement, CRS de montagne, PGHM et GMSP se partagent le territoire
montagnard dans une cohabitation forcée qui ne va pas sans rivalités, sur fond de
querelle de légitimité historique. La loi de modernisation de la Sécurité Civile du 13
août 2004 a notamment placé, au centre du dispositif de secours, le SDIS, qui
réceptionne les appels du 18 et du 112, puis doit transmettre aux acteurs prévus par le
plan ORSEC départemental devenu un dispositif permanent de veille (et non plus
un dispositif déclenché à partir d'un certain seuil de gravité). La Cour des
comptes206(dont on a repris les chiffres qui vont suivre) a pointé plusieurs cas
d'interventions des GMSP envoyés d'autorité par les SDIS, au prétexte d'une rapidité
plus grande, dans des zones où le plan ORSEC prévoyait l'intervention des
gendarmes ou des CRS, soulevant l'indignation de ceux-ci. L'utilisation des bases
aériennes de la Sécurité Civile et des forces aériennes de la gendarmerie ne va pas
non plus sans difficultés, les tentatives de mutualisation des bases pour réduire les
coûts de maintenance provoquant quelques heurts. Les CRS, ne possédant pas
d'appareils, ont des difficultés pour s'entraîner aux procédures de vol, d'autant que
plus nombreux que les gendarmes par département, leur nombre d'intervention par
tête est plus faible. L'histoire brillante des trois corps, les personnalités fortes qui les
composent (haut degré de formation), et les enjeux d'image, source de prestige pour
la totalité de la gendarmerie, de la police ou des pompiers, entretiennent une
compétition qui nuit à la réduction des coûts mais ne porte aucun préjudice à
l'efficacité des secours. Les GMSP ont notamment tendance à se suréquiper dans des
zones où ils ne sont pourtant pas les acteurs prévus des plans ORSEC afin de
développer leurs futures prérogatives. Le PGHM revendique la possibilité de gérer la
totalité de certains départements sans l'alternance prévue avec les CRS, etc. PGHM et
CRS revendiquent la nécessité de leur qualité d'OPJ face aux pompiers, le judiciaire
intervenant de plus en plus souvent dans les accidents et les éléments de preuve étant
volatiles en montagne.

La Cour des comptes décrit 270 secouristes des PGHM et PGM répartis sur 18
départements, 170 secouristes CRS de montagnes répartis sur 6 départements et 334
secouristes des GMSP répartis sur 19 départements, soit un total de 774 secouristes
sur 24 départements. 40% des secouristes du PGHM et 30% des secouristes CRS de
montagne ont aussi obtenu le diplôme de Guide de Haute-Montagne. Les hélicoptères
étaient en 2012 au nombre de 8 dans les Alpes (4 à la gendarmerie, 4 à la Sécurité
Civile) avec possibilité de réquisitionner ceux des départements limitrophes du
Rhône et du Var ou des hélicoptères privés ; et au nombre de 5 dans les Pyrénées (3 à

206 L'organisation du secours en montagne et de la surveillance des plages, rapport de la Cour des comptes, septembre
2012.

233
la gendarmerie, 2 à la Sécurité Civile). La gendarmerie renouvelant ses écureuils pour
des EC145, le parc a peut être depuis augmenté. Un EC145, incontournable, met 10
minutes pour aller de Grenoble à l'Alpe d'Huez, ou pour intervenir au Mont-Blanc
depuis Chamonix.
Le coût total annuel du dispositif de secours en montagne mis en place par
l’État est d'environ 60 millions d'euros, dont 27,6M€ pour les PGHM et PGM,
14,3M€ pour les CRS de montagne, 7M€ pour les hélicoptères de la gendarmerie,
12M€ pour les hélicoptères de la Sécurité Civile. La Cour des comptes n'a pas été en
mesure de chiffrer le coût des GMSP (à la charge du département), car non distingués
des activités des pompiers hors montagne.
Dans le massif du Mont-Blanc, seul le PGHM intervient. Les pompiers
interviennent sur le reste du département. Il n'y a pas de CRS montagne en Haute-
Savoie.
Dans le massif des Écrins, à cheval sur les départements des Hautes-Alpes et
de l'Isère, il y a alternance hebdomadaire entre les CRS de montagne et le PGHM.
Dans les Alpes de Haute-Provence, les gendarmes sont seuls sur le
département, sauf pour les gorges du Verdon où les pompiers interviennent au motif
d'une spécialisation « canyon ».
Dans les Pyrénées, il y a la même alternance hebdomadaire, sauf dans le
département des Pyrénées Atlantiques où l'alternance hebdomadaire se fait entre les
gendarmes et les pompiers, et dans l'Ariège où la gendarmerie est seule.
Cette petite pagaille, qui ne tient absolument pas compte d'une logique des
massif, montre que notre pays gaulois n'a pas perdu la main...
En montagne, on compte entre 5000 et 8000 (selon les sources) interventions
annuelles, contre 52000 en domaine skiable et 4,5 millions sur la totalité du pays.
La montagne a fait 181 morts en 2011, contre 13 en domaine skiable, et 188
décès par noyade sur le littoral en 2009. Le nombre d'intervention est donc faible,
mais les accidents sont plus graves. La randonnée est la première cause d'accidents en
montagne. L'alpinisme ne représente que 16% des interventions annuelles.
On peut donc avancer que l'alpinisme n'est pas dangereux, mais qu'on ne se
rate pas. Nous voulons y voir que les pratiquants savent se former, progressent par
étapes en jaugeant longuement leurs objectifs au regard de leurs capacités, partent
bien équipés, s'informent sur les conditions, et que la peur que peut inspirer la haute-
montagne est un frein naturel salutaire nécessaire et suffisant.

Les secours sont gratuits et devraient le rester, grâce à une mobilisation


énergique en 2013, notamment de Jean Viret, de Marcel Pérès et de Bénédicte
Cazanave.
Le coût moyen d'une intervention est de 8600 €. La limitation des abus est
apportée par la réponse pénale, avec la notion de mise en danger abusive de la vie
des sauveteurs, ce choix ayant permis de conserver la gratuité. Au contraire, les
secours intervenant sur les domaines skiables sont à la charge des communes, et
celles-ci ont la possibilité de demander remboursement aux secourus. C'est la raison

234
pour laquelle une assurance couvrant ces frais est maintenant systématiquement
proposée avec les forfaits de ski. L'assurance du CAF couvre ces secours des
domaines skiables.
Si le secours a été médicalisé, le secouru reçoit par contre une note de l'hôpital
qui a envoyé son SAMU dans l'hélicoptère. Les honoraires d'un médecin du SMUR
sont facturés 1500 € de l'heure, d'où l'intérêt d'avoir également une assurance pour
éponger ce qui reste à payer après intervention de la Sécurité Sociale puis de sa
mutuelle santé si on en a une.

L'utilisation de l'hélicoptère est systématique en haute-montagne.


Quand vous appelez les secours, par le 18 ou le 112, les indications à fournir
sont QUI, OU, QUOI, QUI :
– Qui appelle ? Nom, prénom, numéro de téléphone.
– Où êtes-vous ? Montagne, versant, voie, hauteur.
– Que se passe-t-il ? Chute, crevasse, entorse, fracture, MAM, etc.
– Qui est blessé ? Nom, prénom, nombre de victimes.
Attention : Ce sont les secours qui vous disent de raccrocher.

L'appareil fait une première approche pour se voir confirmer la nécessité du


secours. Vous vous levez avec les deux bras en V, c'est à dire que vous formez un Y
avec l'ensemble de votre corps. Cela signifie Yes à la question tacite « voulez-vous
des secours ? » Si vous n'en avez pas besoin, vous ne levez qu'un bras. Vous formez
donc un N, comme No.
Vous avez un certain nombre de dispositions à prendre :
1/ Avoir choisi si possible un emplacement dégagé, de façon que l'hélicoptère
puisse être en vol stationnaire à votre zénith. Sinon, tenter de ne pas être trop éloigné
d'un tel endroit.
2/ Ne laisser aucun matériel risquant de s'envoler et s'habiller chaudement car
le souffle produit par le rotor est extrêmement puissant. Ranger tout le matériel dans
les deux sacs à dos et les maintenir plaqués au sol. Ranger la couverture de survie
dans laquelle vous aviez emballé votre copain. Ne pas garder un bonnet ou une
casquette sur la tête. Par contre, conserver les casques. Attention aux projections dans
les yeux (lunettes ou plisser les yeux et mettre sa main devant son visage).
3/ Se maintenir assis. Ne pas chercher à saisir le sauveteur qui descend par le
treuil. Ne pas toucher au câble. Au premier contact avec le rocher, il libérera une
décharge d'électricité statique.
4/ Le secouriste va être déposé à vos côtés. Laissez-lui une place pour se
stabiliser. Si le relais est exigu, prévoir le mousqueton où il peut se vacher
immédiatement sans complication. Laissez-le faire sa manœuvre. L'hélicoptère
s'éloigne après avoir déposé le secouriste. Vous allez pouvoir discuter sans le bruit de
l'appareil. Suivez ensuite ses instructions.
5/ Généralement, il conditionne la victime puis rappelle l'appareil avec sa
radio. Le câble est redescendu, avec parfois un brancard, et le secouriste remonte

235
avec le blessé. L'hélicoptère s'éloigne de nouveau et peut même aller immédiatement
à l'hôpital le plus proche. Il reviendra vous chercher avec les sacs à dos dans quelques
minutes. Plus souvent, le secouriste redescend au treuil pour vous remonter à votre
tour.
6/ A votre arrivée dans la cabine laissez-vous positionner.
7/ Quand le vol stationnaire est délicat à maintenir, l'appareil peut repartir
immédiatement avec le câble encore déroulé et la victime ou vous-même au bout,
puis le remonter plus loin. Sensations garanties. Si vous et votre copain êtes en pleine
forme et avez un tantinet abusé, vous aurez peut être droit à un tour de manège
supplémentaire pour vous passer l'envie de recommencer... Au contraire, vous qui
êtes un dur, n'écoutez pas la phrase précédente et n'attendez pas d'être à moitié mort
pour appeler les secours.

236
Chapitre 12 : La responsabilité judiciaire
« L'homme sage ne se trouve jamais sur le lieu d'un combat. » Proverbe
chinois.

Si l'on excepte la commission d'enquête du juge d'instruction Joseph Antoine


Clemenz des quelques jours du mois de juillet 1865 suite au drame célèbre du Cervin
(ayant abouti à un non-lieu), le droit s'est invité en haute-montagne depuis environ un
demi siècle. Le premier livre qui lui a été consacré en France est celui de Wladimir
Rabinovitch, alors juge d'instance à Briançon, en 1959 : Les sports de montagne et le
droit207. Des mises à jour de cet ouvrage ont été publiées en 1966 puis 1980. En 1982,
Jean-louis Grand et Pierre Sarraz-Bournet (un temps juge à Chambéry) livrent
Montagne, droit et sauvetage208 (réédité en 1988 aux PUG). Sarraz-Bournet avait
auparavant rédigé le chapitre 7 : Droit et alpinisme de Technique de l'alpinisme209
paru en 1977. Puis, en 2006, l'ancien directeur de l'ENSA, ancien normalien et ancien
directeur de cabinet du préfet de Grenoble, Marcel Pérès, publie Droit et
responsabilité en montagne210, illustré de cas de jurisprudence. Il faut aussi citer les
travaux juridiques du CAF et de Bénédicte Cazanave (qui a collaboré au livre de
M.Pérès), ancienne juge de Bonneville (tribunal correctionnel territorialement
compétent pour les accidents dans le massif du Mont-Blanc), et un livre récent sous la
direction de Philippe Yolka, Escalade et droit211.

En 2000, la loi Fauchon (loi n°2000-647 du 10 juillet 2000) a apporté un


certain nombre de modifications à la responsabilité judiciaire.
En premier lieu, elle a mis fin (par l'article 4-1 du Code de procédure pénale) à
l'ancien principe jurisprudentiel (on dit prétorien) de l'unité des fautes pénale et civile
207 Les sports de montagne et le droit, Wladimir Rabinovitch, librairies techniques Bordeaux, impr.Delmas, 1959.
208 Montagne, droit et sauvetage, Jean-Louis Grand et Pierre Sarraz-Bournet, éditions Symbiose, 1982.
209 Op. cit., Bernard Amy (dir.), p.64.
210 Droit et responsabilité en montagne, Marcel Pérès, PUG, 2006.
211 Escalade et droit, sous la direction de Philippe Yolka, PUG, 2015.

237
en raison des effets pervers qu'il provoquait. Quand la faute pénale n'était pas retenue,
la faute civile n'existait pas, et les victimes ne pouvaient recevoir aucun
dédommagement de la part des assurances responsabilité civile. Les juges, émus par
cette situation, étaient incités à la sévérité en retenant une faute pénale dans le seul
but de provoquer une indemnisation des victimes. Désormais, la relaxe au pénal ne
fait pas obstacle à une action en réparation au civil.
En second lieu, la loi Fauchon a eu pour but (par l'alinéa 4 de l'art.121-3 du
Code pénal) d'alléger la responsabilité pénale des élus locaux et des « décideurs
publics », sans pour autant affaiblir la répression là où on ne le souhaitait pas. Le
législateur a voulu dans le même temps renoncer à utiliser des dispositions
spécifiques qui auraient porté atteinte au principe d'égalité devant la loi. Une telle
gageure ne pouvait manquer de produire un résultat jugé subtil par le juriste mais
abscons par le profane.
Le pratiquant n'est guère réjoui de voir le judiciaire interférer avec l'espace de
liberté que représente la haute-montagne. Il a notamment du mal à comprendre que
ces histoires de responsabilité lui soient opposées alors que les risques de la haute-
montagne concernent des adultes consentants. La notion d'acceptation des risques qui
a un temps eu la faveur des tribunaux dans le domaine limité de « la responsabilité
sans faute, par le fait des choses, lors de compétitions automobiles » et qui est même
remise en question dans ce champ d'action particulier par la jurisprudence récente, n'a
jamais eu cours en ce qui concerne la montagne et fait donc partie des légendes
urbaines. La pratique de l'alpinisme ne connaît aucun droit spécifique, ce qui signifie
que le droit commun s'y applique comme ailleurs. Mais bien entendu, ce droit
commun reconnaît l'existence d'une prise de risque volontaire comme dans la
pratique d'autres sports dangereux comme par exemple les sports de combat. Il s'agit
de savoir si ces risques sont « normaux », compte tenu de la pratique habituelle du
sport, notamment le respect des règles du jeu quand celles-ci existent, ou s'ils
excèdent ceux d'une bonne pratique. Le corollaire de l'absence de droit spécifique à la
montagne en matière de responsabilité est qu'apprendre les quelques notions de
responsabilité peut aussi servir dans d'autres sphères de la vie, comme la pratique de
la médecine, les relations de voisinage, etc.
L'opposition du monde judiciaire et du milieu montagnard s'articule souvent de
la façon suivante : Le juriste ne comprend pas que le montagnard entende se
soustraire au droit commun, et estime, notamment en ce qui concerne la profession de
guide, qu'il s'agit d'un comportement corporatiste qu'il est nécessaire de combattre.
Inversement, le monde montagnard et les professionnels en particulier, pensent être
les victimes d'un acharnement judiciaire. La vérité est moins caricaturale. La
tendance actuelle du judiciaire est de s'orienter vers une responsabilité individuelle
dans un souci de préservation de la liberté d'agir, plutôt que vers un encadrement
réglementaire des pratiques. Bénédicte Cazanave212 avait résumé les choses ainsi :
« Accepter l'intervention judiciaire a posteriori est peut-être le prix à payer pour

212 La montagne sous contrôle judiciaire ? Bénédicte Cazanave, Assises de l'Alpinisme et des activités de montagne,
Observatoire des Pratiques de la Montagne et de l'Alpinisme, août 2011.

238
éviter l'intervention étatique a priori qui entraînerait, presque à coup sûr la
disparition de ce qui fait que la montagne nous attire encore, et réduirait celle-ci à
n'être qu'un terrain de sport ou de loisir aseptisé. » En clair, la situation n'est pas
brillante mais ce pourrait être pire...

1/ La responsabilité civile
La responsabilité civile est définie par les articles 1240 et 1241 du Code Civil :
Art.1240 : « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »
Art.1241 : « Chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement
par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

L'objectif de la responsabilité civile est d'indemniser un dommage et non de


réprimer une faute.
Il y a donc nécessité de l'existence d'un dommage. L'action civile ne peut être
engagée que par la partie qui s'estime victime d'un dommage et non par le ministère
public (le parquet). C'est à la victime de prouver qu'il y a eu faute, et que cette faute a
provoqué le dommage (lien de causalité).
Qu'est-ce qu'une faute civile ? Il s'agit d'un comportement situé hors des règles
normales de conduite humaine, dites souvent comportement de bon père de famille.
Ce comportement, tout théorique, fait référence à la loyauté, la bienveillance,
l'absence d'excès. Il n'existe donc pas de définition précise.

L'élément intentionnel n'est pas exigé pour qualifier une faute civile.
De même, comme nous venons de le voir dans l'introduction sur la loi
Fauchon, l'absence de faute pénale non intentionnelle au sens de l'article 121-3 du
Code Pénal, ne fait pas obstacle à la qualification d'une faute civile.
L'abstention (manquement à une obligation d'agir) peut être qualifiée de faute
civile aussi bien qu'un acte positif.
L'article 1240 est le domaine de la faute délictuelle. Cela suppose une action
volontaire, mais pas forcément une intention malveillante. Il s'agit de l'équivalent de
la faute contractuelle -on ne respecte pas les clauses d'un contrat -, quand il n'existe
pas de contrat qui lie les parties.
L'article 1241 est le domaine de la faute quasi-délictuelle. Cela suppose une
action involontaire, tenant de l'erreur de comportement, du mauvais choix, de la
négligence, de l'imprudence, de la maladresse, de l'inattention. La faute n'a pas alors
de caractère répréhensible et elle n'est pas punissable. Elle fait simplement naître une
obligation de réparation.
Attention, le découpage entre faute délictuelle et faute quasi-délictuelle ne se
superpose pas avec le découpage au pénal entre faute simple et faute intentionnelle. Il
existe des fautes délictuelles au civil qui sont des fautes simples au pénal. Ceci est
très important en pratique, car les fautes intentionnelles, au sens pénal, ne sont pas
assurables. C'est à dire qu'à l'issue d'une procédure mixte, à la fois civile et pénale,

239
l'assurance responsabilité civile ne prendra pas en charge les dommages-intérêts dus à
la victime si la faute est intentionnelle.

L'assurance responsabilité civile peut aussi prévoir contractuellement des


cas dégageant la responsabilité de l'assureur. Ainsi, l'assurance du CAF stipule :
« Ce que nous ne garantissons pas au titre de la garantie « Responsabilité
Civile Générale », en plus des exclusions générales :
(…)
« Les dommages résultant de la violation délibérée de votre part ou de la
part des membres de la fédération ou de la direction des Clubs (Président, vice-
président, trésorier, secrétaire) des règles particulières de sécurité et de prudence
imposées par une loi ou un règlement, d'application générale ou particulière à votre
activité, des prescriptions du fabriquant ou des dispositions contractuelles, quand
cette violation :
« -constitue une faute d'une gravité exceptionnelle dérivant d'un acte ou
d'une omission volontaire, de la conscience du danger que vous deviez en avoir, de
l'absence de toute cause justificative ,
« -et était connue ou ne pouvait être ignorée de vous,
(...) »

Hormis la faute, la responsabilité civile peut également se déduire de


l'application de l'article 1242 alinéa 1 du Code civil :
« On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre
fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit
répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. »
On appelle le second volet de cette responsabilité, pour aller plus vite,
responsabilité du fait des choses. Il s'agit d'une responsabilité sans faute : Dans ce
cas, la victime n'a pas à prouver l'existence d'une faute. Par contre, la chose doit bien
être sous la garde de la personne sur laquelle en entend faire porter la responsabilité
civile.
Il a ainsi été jugé que les pierres qu'un grimpeur peut détacher en marchant ne
sont pas sous sa garde. Le moyen est donc inopérant dans ce cas de figure.
Par contre, la corde est bien sous la garde de l'alpiniste. Chercher à se défendre
contre l'accusation de chute de pierre en invoquant l'action de la corde qui aurait fait
tomber la pierre serait pour le moins maladroit et reviendrait à donner le fouet pour se
faire battre.

Il faut savoir, qu'historiquement, la responsabilité du fait des choses, créée en


1896 par la Cour de cassation, ainsi que la mutualisation du risque par les assurances,
ont été introduites afin de pourvoir à l'indemnisation des ouvriers victimes en masse
de machines dangereuses dans l'industrie florissante du 19ème siècle finissant. Il était
en effet pratiquement impossible au personnel d'apporter la preuve d'une faute de leur

240
patron lors d'un accident. La responsabilité du fait des choses leur permettait d'obtenir
une indemnisation par l'assurance de l'entreprise sans devoir apporter cette preuve, la
machine ayant handicapé le salarié étant bien sous la garde de l'employeur. Ceci
illustre parfaitement que l'objet de la responsabilité civile est l'indemnisation et non le
châtiment du responsable qui, lui, est du ressort du pénal. On a de fait remplacé la
vieille vengeance tribale par un processus en deux temps : 1/ La victime démontre
que la responsabilité civile de l'auteur est engagée et obtient réparation pécuniaire de
la part de l'assurance de celui-ci s'il est assuré. 2/ La société, par l'intermédiaire du
ministère public, se charge elle-même de punir le fautif s'il le mérite, se substituant à
la vendetta.
La tendance des tribunaux civils sera donc de toujours rechercher la possibilité
d'indemniser la victime. Ne pas être assuré revient à ne pas comprendre cette finalité
de la responsabilité civile. Bref, il est indispensable de souscrire une assurance
responsabilité civile couvrant explicitement l'activité d'alpinisme, par le biais d'un
club d'escalade (FFME ou CAF) ou d'une enseigne commerciale (carte Vieux
Campeur par exemple) en vérifiant que les plafonds des sommes allouées sont élevés.

Si vous êtes vous-même victime, vous n'êtes en aucune façon obligé de


demander réparation. L'exercice de ce droit est facultatif. Cependant, il est probable
que si votre assurance est contrainte à des dépenses, elle fera valoir vos droits auprès
de l'assurance de la partie adverse pour rentrer dans ses frais.
Quand un volet pénal existe, on se constitue partie civile dans la procédure
pénale. En l'absence, cette procédure ne concernera que la répression éventuelle du
comportement du fautif mais ne s'intéressera pas à l'indemnisation de la victime.
Enfin, il faut signaler que la faute de la victime peut limiter, et même parfois
exonérer, la responsabilité du fautif. C'est le cas quand la victime a contribué elle-
même au dommage.

2/ La responsabilité pénale
Il ne s'agit pas ici de réparer un dommage, mais de punir une infraction à la loi
ou à un règlement. L'absence de dommage n'est donc pas une garantie d'échapper à sa
responsabilité pénale.
C'est le ministère public qui décide ou non de poursuivre, indépendamment de
la volonté de la victime. Cependant, la victime peut forcer le déclenchement de la
procédure pénale en déposant plainte avec constitution de partie civile. Ce peut être
dangereux, car si la procédure n'entraîne aucune condamnation de l'adversaire, celui-
ci peut ensuite réclamer des dommages-intérêts pour procédure abusive. Il est donc le
plus souvent préférable de laisser l'initiative du déclenchement de la procédure pénale
au parquet, et de se constituer partie civile après.

a/ La responsabilité pénale en matière d'infractions intentionnelles


Elle est définie par les articles 111-3, 111-4, et 121-3, 1er alinéa du Code

241
Pénal :
Art.111-3 : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les
éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments
ne sont pas définis par le règlement.
« Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction
est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention. »
Art.111-4 : « La loi pénale est d'interprétation stricte. » Ce qui signifie
notamment que les juges ne peuvent pas procéder par analogie.
Art.121-3, alinéa 1 : « Il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le
commettre. »

Il s'agit ici d'enfreindre intentionnellement une loi ou un règlement précis dans


un but malveillant. On déduit de ce comportement une hostilité de l'agent à la
norme pénale et aux valeurs sociales.
Point n'est besoin pour un honnête homme de se promener avec un Code Pénal
sous le bras ou de l'apprendre par cœur. Nous savons tous qu'on ne doit pas
volontairement voler ou dégrader les biens d'autrui, porter atteinte à l'intégrité
physique des personnes, menacer sous condition, etc.
En gros, vous vous abstenez de jeter volontairement cette pierre sur la cordée
en contrebas qui ne fait que vous enquiquiner, et l'affaire est réglée.
Quant à la réglementation, elle n'est opposable au pratiquant qu'à la condition
d'être dûment signalée sur le terrain : par exemple un panneau interdisant le camping
sauvage. Braver l'interdiction expose naturellement à une contravention. Tout cela est
limpide.
Au contraire de la responsabilité civile, aucune assurance ne peut couvrir la
responsabilité pénale puisque les condamnations ont une finalité afflictive, c'est à dire
morale.

b/ La mise en danger délibérée de la personne d'autrui (imprudence


consciente)
Elle est définie par le deuxième alinéa de l'article 121-3 du Code Pénal :
Art. 121-3, alinéa 2 : « Toutefois, lorsque la loi le prévoit, il y a délit en cas de
mise en danger délibérée de la personne d'autrui. »

La mise en danger délibérée de la personne d'autrui se situe entre la faute


intentionnelle et la faute non-intentionnelle. Elle est illustrée par un conducteur
roulant à grande vitesse en ville. Le chauffard roule bien intentionnellement à cette
vitesse, enfreint délibérément le code de la route, mais n'a pas l'intention de
provoquer des dommages. Il y a donc également hostilité de l'agent à la norme
pénale et aux valeurs sociales mais la faute n'est pas stricto sensu intentionnelle.
Il n'y a pas de nécessité d'un dommage pour caractériser cette faute pénale,
mais s'il existe, il s'agit d'une circonstance aggravante.
L'introduction de la notion de mise en danger délibérée de la personne d'autrui

242
a eu pour but de pouvoir punir plus sévèrement l'auteur de dommages quand ceux-ci
sont consécutifs à un comportement volontairement dangereux que quand ils sont la
conséquence d'une maladresse ou une inattention. Elle permet également de pouvoir
poursuivre ce comportement dangereux délibéré en l'absence de dommage.
On déduit d'autres articles du code pénal qu'il y a nécessité que ce
comportement dangereux soit aussi la violation d'une obligation particulière de
sécurité imposée par la loi ou le règlement. Pour illustration, jeter un sac de détritus
sur la chaussée ne constitue pas l'infraction, quand bien même cela constituerait un
danger, car le code de la route ne l'interdit pas. Il faut par surcroît que cette obligation
violée soit suffisamment précise.
Ce volet pénal ne peut donc pas s'appliquer pour une cordée s'engageant dans
la descente d'un couloir de pierrailles avec un risque de faire tomber des pierres sur
des cordées en aval, car il n'existe aucun règlement formel en la matière. Mais il peut
s'appliquer pour des skieurs bravant l'interdiction d'une piste avalancheuse fermée
mettant en danger des personnes situées en contrebas. La présence de l'élément légal,
-existence d'une obligation de sécurité dans la loi ou le règlement – et de l'élément
intellectuel – volonté délibérée de violer cette obligation - est donc indispensable.

c/ La responsabilité pénale en matière d'infractions non-intentionnelles


(imprudence inconsciente)
Elle est définie par les troisième et quatrième alinéas de l'article 121-3 du Code
Pénal, issus de la fameuse loi Fauchon du 10 juillet 2000 :
Art.121-3, alinéas 3 et 4 :
« Il y a également délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de faute d'imprudence,
de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue
par la loi ou le règlement, s'il est établi que l'auteur des faits n'a pas accompli les
diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de
ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il
disposait.
« Dans le cas prévu par l'alinéa qui précède, les personnes physiques qui n'ont
pas causé directement le dommage, mais qui ont créé la situation qui a permis la
réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter, sont
responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont, soit violé de façon manifestement
délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le
règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d'une
particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer. »

Ces deux alinéas ne visent plus une hostilité de l'agent, mais une indifférence
de l'agent à la norme pénale et aux valeurs sociales.
Afin d'éclairer les différences entre ces deux alinéas, Frédéric Desportes,
conseiller référendaire à la Cour de cassation, explique le nouveau principe dans des
termes simples. L'infraction est constituée en fonction du lien de causalité plus ou

243
moins direct entre la faute et le dommage : « Lorsque le lien est direct, une faute
simple suffit, comme par le passé. Lorsqu'il est indirect, une faute d'une certaine
gravité, dite souvent « qualifiée » (…) doit être établie. »213
Il y a donc nécessité de traiter séparément les deux aliénas qui sont très
différents dans leurs exigences et ne visent pas les mêmes fautifs. L'alinéa 3 vise
l'auteur direct du dommage. L'alinéa 4 visent l'auteur indirect du dommage. Par
exemple, l'auteur direct est le skieur ayant déclenché une avalanche sur un groupe
pratiquant la raquette en aval. Et les auteurs indirects sont le chef de groupe l'ayant
emmené sous la pente avalancheuse et l'organisateur de la sortie qui est resté dans son
bureau.

c1/ Le lien de causalité direct


Le lien de causalité direct est bien sûr celui qui intéresse le plus l'alpiniste
autonome. En effet, son compagnon de cordée possède une expérience de la haute-
montagne équivalente à la sienne, aussi n'emmène-t-il personne.
Il suffit ici d'établir que le fautif n'a pas accompli les diligences normales
compte tenu de ses compétences et des moyens dont il disposait pour engager sa
responsabilité pénale. Les diligences normales seront peut être explicitées par un
expert chargé de définir la bonne pratique correspondant au cas d'espèce.
On exigera davantage d'un sachant – professionnel, moniteur fédéral, alpiniste
expérimenté - que d'un débutant, puisqu'il s'agit de tenir compte des compétences du
fautif.
Il n'y a pas nécessité de l'existence d'un dommage, pour engager cette
responsabilité pénale.
Il n'y a pas, non plus, nécessité d'enfreindre une obligation particulière de
sécurité prévue par la loi ou le règlement, pour engager cette responsabilité pénale.

Le 3ème alinéa de l'article 121-3 du Code pénal représente de ce fait l'exigence


la plus redoutable pour un alpiniste autonome. S'il commet une imprudence ou une
négligence, même si celle-ci n'a pas entraîné de dommage, il doit avoir été
irréprochable dans l'accomplissement de ses diligences. Par exemple, il fait tomber
une pierre sur une cordée en aval. Cette pierre n'entraîne aucun dommage. Si la
cordée fautive attend que la cordée aval soit à l'abri pour descendre à son tour, ou
autre option, accélère pour coller la cordée aval de façon à ce que les pierres ne
prennent pas de vitesse, et avertit à chaque pierre en criant « caillou ! », les diligences
sont accomplies. Si par contre la cordée amont continue sa progression en faisant
tomber des pierres sans prendre aucune précaution, sa responsabilité est engagée.

c2/ Le lien de causalité indirect


Ce volet, adouci par la loi Fauchon, demeure la grande difficulté pour un

213 La responsabilité pénale en matière d'infractions non-intentionnelles, Frédéric Desportes, Rapport annuel de la
Cour de cassation, 2002.

244
professionnel, un moniteur fédéral, un organisateur de sortie. Il est anecdotique pour
l'alpiniste autonome. Si lui et son copain, de même expérience, se promènent au pied
d'une pente dangereuse et reçoivent l'avalanche, auteurs indirects et victimes se
confondent puisque personne n'a emmené l'autre. Il en sera différemment si notre
alpiniste autonome emmène des amis non expérimentés - ou nettement moins que lui-
même - en montagne. Il se retrouve alors presque dans la situation juridique du
professionnel concernant sa responsabilité, un contrat non écrit étant de fait conclu
entre lui et la ou les personnes qu'il emmène.
L'alinéa 4 de l'article 121-3 du Code pénal comporte davantage de conditions
pour engager la responsabilité pénale du fautif indirect :
- Il y a nécessité de l'existence d'un dommage.
- Il y a nécessité de l'existence d'une faute qualifiée, et non d'une faute simple.

Qu'est-ce qu'une faute qualifiée ? On en distingue deux types :


- La faute dite délibérée : Il s'agit d'enfreindre délibérément une obligation
particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement. Avec
toujours la présence obligatoire de l'élément légal (l'existence de cette règle) et de
l'élément intellectuel (la volonté de la violer). On retrouve l'hostilité à la norme.
- La faute dite caractérisée : Il s'agit d'une faute comportant un certain degré de
gravité ou d'une particulière évidence. L'alinéa 4 exige par surplus que cette faute
caractérisée ait exposé autrui à un risque d'une particulière gravité (c'est à dire avec
une forte probabilité de blessures ou de mort), et que l'auteur du dommage n'ait pu
l'ignorer. Il s'agit davantage d'une indifférence à la norme qu'une véritable hostilité.

Emmener des personnes inexpérimentées (cf. infra) créent à leur égard une
obligation de sécurité. Il s'agit d'une obligation de moyens et non de résultat,
puisque les aléas du milieu naturel font qu'on admet qu'il est impossible de maîtriser
parfaitement la totalité de son environnement. Quand le lien de causalité est indirect,
ce qui est plus fréquent que le lien de causalité directe (où il faudrait que la personne
en cause heurte, frappe ou lâche directement la victime) et qu'on n'a pas enfreint
délibérément une obligation de sécurité prévue par la loi ou le règlement, les juges
devront rechercher l'existence de cette faute caractérisée ayant exposé autrui à un
risque particulièrement grave. Emmener un groupe au pied d'une pente avalancheuse,
un jour de fort risque d'avalanche, et sans emmener ARVA, pelles et sondes, pourrait
représenter, en cas de dommage, cette faute caractérisée. Il ne suffira pas de trouver
un simple manquement aux diligences requises, comme c'est le cas lors d'un lien de
causalité direct.

3/ L'enquête
Pour un accident d'une certaine gravité, la gendarmerie ou la police se
présenteront sur les lieux. Les interrogatoires menés par l'officier de police judiciaire
(OPJ) détermineront les circonstances et les justifications de chacun.
Avait-on vu les personnes en aval ? Savait-on que le couloir était spécialement

245
avalancheux ? A-t-on consulté le bulletin météo neige et avalanches ? Faire tomber
une pierre sur une cordée en contrebas est une maladresse qui a la valeur d'une faute
civile non punissable au pénal. Ne pas crier « cailloux » pour avertir les autres
pourrait bien être un manquement aux diligences normales, sauf si l'on démontrait
qu'au moment de la chute de la pierre, on chutait soi-même et qu'on était dans
l'impossibilité physique de donner l'alarme. On voit combien le récit qu'on va faire
lors de la première audition par l'OPJ, à chaud, va engager l'avenir judiciaire.
Le danger est d'autant plus grand que l'auteur d'un accident se culpabilisera
énormément et pourra se faire le principal témoin à charge contre lui-même : « Je n'ai
sans doute pas crié assez fort cailloux puisqu'ils n'ont pas entendu. »
On peut s'inspirer des principaux conseils de Laurent-Franck Lienard, avocat à
la cour d'appel de Paris214, donnés aux policiers et gendarmes ayant fait usage de leur
arme et devant s'en expliquer. Ils sont :
– de refréner son désir de justification par un flot de paroles qui seront toutes,
le moment venu, retournées par l'avocat de la partie adverse ;
– de ne pas mentir ;
– de ne pas juger l'action des autres ;
– de limiter ses déclarations au strict nécessaire ;
– de ne pas entrer dans des précisions impliquant des nombres, des distances,
des couleurs ;
– de réclamer un délai pour répondre, afin de recouvrer ses esprits ;
– de faire appel à un avocat connaissant l'activité le plus vite possible.
En transposant facilement les problèmes de responsabilité qui se posent aux
forces de l'ordre dans ces circonstances exceptionnelles, aux accidents en montagne,
la lecture de Force à la loi est à recommander particulièrement à tout guide de haute-
montagne avant de se trouver un jour immergé dans l'inconnu d'une aventure
judiciaire.

4/ Les cas particuliers limitant la faute


Nous avons vu que la faute civile peut être limitée, voire annulée, par une faute
de la victime ayant participé à son dommage. Il existe également des mécanismes
limitant la responsabilité pénale. Certains, comme l'exercice d'un droit (droit de
concurrence, légitime défense, violence légitime des forces de police) ou le
consentement de la victime (soins médicaux, recherche médicale – moyen opérant
uniquement quand l'action est permise par la loi, donc pas, à l'heure actuelle, pour
l’euthanasie) ne concernent pas l'alpinisme.

a/ Le 5ème alinéa de l'article 121-3 du code pénal


« Il n'y a point de contravention en cas de force majeure. »
Par contre, l'excuse de la bonne foi ne fait pas disparaître une contravention.

214 Force à la loi, Laurent-Franck Lienard, éditions Crépin-Leblond, 2009.

246
b/ L'état de nécessité
L'article 122-7 du Code Pénal définit une exception d'état de nécessité:
« N'est pas pénalement responsable la personne qui, face à un danger actuel ou
imminent qui menace elle-même, autrui ou un bien, accomplit un acte nécessaire à la
sauvegarde de la personne ou du bien, sauf s'il y a disproportion entre les moyens
employés et la gravité de la menace. »
L'exemple classique illustrant l'excuse de nécessité sont les infractions au Code
de la route par un automobiliste emmenant d'urgence sa femme enceinte à l'hôpital. Il
est donc permis d'enfreindre un règlement ou la loi, si c'est la seule façon d'éviter une
infraction et un dommage supérieurs.

5/ Emmener des gens peu expérimentés

La décharge
Pour s'exonérer de sa responsabilité, l'alpiniste expérimenté pourrait être tenté
de faire signer une décharge en bonne et due forme à ses amis profanes qu'il emmène
en montagne pour un jour. Ceux-ci déclareraient qu'ils savent parfaitement qu'ils vont
s'exposer à des risques et renoncent à tout recours. Ce serait une très mauvaise idée
pour trois raisons :
– La responsabilité pénale n'est pas un droit de la victime auquel elle pourrait
renoncer. Il s'agit de la répression directe d'un comportement par la société
qui ne passe pas par la victime. La décharge serait donc inopérante sur ce
point.
– En matière de responsabilité civile, les articles 1340 et 1341 du code civil
étant d'ordre public, les clauses d'exonération sont nulles.
– La volonté de s'exonérer d'une responsabilité et donc de l'obligation de
sécurité due à la personne qu'on emmène, serait considérée par les juges
comme un moyen, non seulement inopérant, mais déloyal et immoral. Il est
probable que leur sévérité grandisse à l'encontre d'un fautif qui aurait, à
priori, admis qu'il ne pourrait pas assurer la sécurité des personnes qu'il
emmène.

La préparation (judiciaire) de la course


Il faut donc procéder d'une manière complètement différente, inspirée de celle
recommandée aux professionnels de santé avant l'exécution d'un plan de traitement
relativement lourd. Il faudra être en mesure de montrer qu'on a accompli les
diligences d'une bonne pratique, pendant, mais aussi avant, la réalisation du plan de
traitement, c'est à dire ici de la course. Plusieurs rendez-vous avant le jour J ont été
consacrés aux explications, à l'étude des solutions alternatives, aux soins
préparatoires de mise en condition des tissus, c'est à dire en alpinisme, aux
entraînements en couenne afin de connaître le niveau des participants, remontées sur
corde fixe, réglage du matériel, distribution des topos, etc. Toutes ces réunions
préalables sont destinées à préparer au mieux l'intervention - la sortie -, afin de

247
mettre toutes ses chances de son côté. En médecine, elles permettent en outre d'établir
qu'on a obtenu l'indispensable consentement éclairé du malade de façon loyale.
L'accomplissement de ces diligences devient alors l'inverse d'une volonté de
s'exonérer de sa responsabilité mais la démonstration qu'on était pleinement conscient
de cette responsabilité et qu'on entendait l'assumer en prenant le maximum de
précautions.

Il est intéressant de connaître les reproches habituels que font les juges aux
professionnels de la montagne pour éviter des lacunes dans la préparation. On
retrouve les sujets suivants :
- Les conditions : Il s'agit des conditions météorologiques, nivologiques, plus
ou moins grande sécheresse accentuant le risque de chutes de pierres, ouverture de la
rimaye, et praticabilité du glacier. On doit : 1/ s'informer ; 2/ en tenir compte en
fonction du niveau des participants.
- Le matériel emporté : L'absence ou la non-adéquation d'un matériel à la
course projetée peut être un manquement à l'obligation de sécurité. Penser aux
vêtements chauds, au réchaud s'il y a risque de bivouac pour une personne peu
aguerrie.
- Le niveau et le nombre de personnes emmenées : Connaître le niveau de
chacun avec précision est indispensable. On doit connaître leurs antécédents
montagnards afin que la course ne soit pas jugée en inadéquation avec leur faible
expérience. On doit aussi ne pas surestimer sa propre capacité de surveiller tout son
monde, la délégation de cette surveillance à certains participants plus aguerris ne
faisant pas disparaître la nécessité d'une surveillance directe par le chef de groupe.
- L'itinéraire et l'horaire : Il est nécessaire de ne pas avoir entraîné son
groupe dans une souricière. Parfois, on doit reconnaître soi-même le parcours
glaciaire un jour précédent, pour vérifier qu'il est praticable. L'horaire doit être
calculé pour ne pas se trouver aux mauvais endroit au mauvais moment.
- La faute technique : En emmenant des personnes non expérimentées, les
critères deviennent différents. Là où avec votre copain vous n'auriez jamais imaginé
sortir la corde, avec vos amis profanes, ne pas s'encorder pourra être considéré
comme une faute technique si par exemple l'accès au refuge comporte des passages
exposés. Soit vous faites une parade efficace, soit vous sortez la corde.

Il est habituel de dire que le dossier patient est toujours la meilleure défense du
professionnel de santé. Les multiples informations qu'il collecte démontre sa rigueur
et son sens de la responsabilité. Les antécédents médicaux, les médicaments pris par
le patient sont notés. Les dates des soins des années précédentes montrent
l'expérience acquise par le patient en matière de soins. Se lancer dans un plan de
traitement lourd sur un patient qu'on connaît parfaitement depuis plusieurs années n'a
pas la même valeur que sur un patient qu'on ne connaît que depuis une semaine.
Analogie plus proche, le livre de bord, pièce juridique maîtresse d'un navire,
comporte le rôle d'équipage, la route projetée, les conditions de vent et de mer, et va

248
permettre d'établir les diligences accomplies par le skipper.
De la même façon, on peut se fabriquer des fiches « client » des personnes peu
expérimentées qu'on emmène en montagne. Ces fiches fourniraient des informations
précises sur les dates des courses, escalades, randonnées à pied, randonnées à
raquettes, sorties de ski, que vous avez déjà faites avec vos amis, montrant que votre
cordée était déjà un minimum rodée, que vous tenez compte de l'âge, de l'absence de
pratique habituelle d'un sport, des antécédents médicaux, que vous avez un contact
« à terre » en cas d'accident, etc.
Un exemple pourrait être celui-ci :
__________________________________________________________________

FICHE PERSONNE EMMENEE EN MONTAGNE


Nom :
Prénom :
Date de naissance :
Adresse :
Téléphone :
Mail :
Contact « à terre » : …........................................................................................
__________________________________________________________________
Antécédents médicaux : …...................................................................................
Médicaments pris : …............................................................................................
Antécédents de MAM : Date : Altitude : Symptômes :
….............................................................................
….............................................................................
….............................................................................
Sport habituel : …............................................................................................
__________________________________________________________________

Antécédents montagnards (randonnée, ski, raquette, camping, scoutisme, escalade)


….................................................................................................................................
….................................................................................................................................
….................................................................................................................................
__________________________________________________________________
SORTIES ENSEMBLE
Date : Course : Conditions :
…........................................................................................................
…........................................................................................................
…........................................................................................................
…........................................................................................................
__________________________________________________________________

249
6/ Assister une autre cordée
En présence d'autres cordées en difficulté, l'abstention volontaire de porter
assistance peut constituer l'infraction de l'article 223-6 du Code Pénal.
Art.223-6 : « Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans
risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l'intégrité
corporelle de la personne s'abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans
d'emprisonnement et de 75000 € d'amende.
« Sera puni des mêmes peines quiconque s'abstient volontairement de porter à
une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait
lui prêter soit par une action personnelle, soit en provoquant un secours. »

Ceci n'étonne personne car tout le monde connaît la « non assistance à


personne en danger ». On sait moins qu'en présence d'une autre cordée peu
expérimentée évoluant sous nos yeux et commettant une grosse bêtise sans s'en
rendre compte, un juge pourra d'autant plus facilement qualifier l'infraction que notre
expérience sera grande. Si à un débutant on ne pourra guère reprocher de n'avoir pas
vu l'erreur d'appréciation faite par la cordée voisine, à un chef de cordée expérimenté
il sera fait grief de n'avoir pas empêché le mauvais positionnement du descendeur
par exemple de la cordée précédente pourtant visiblement novice. Ainsi, on gardera
en mémoire que dès qu'on évoluera au contact d'une telle cordée, on endossera en
quelque sorte un supplément de charge d'âme, qu'on le veuille ou non. Il restera à
intervenir avec tout le doigté nécessaire.
Il faut aussi préciser que dans le cas où l'on assiste une autre cordée moins
expérimentée et que celle-ci souhaite ensuite continuer la route avec vous, vous
acceptez de façon tacite la responsabilité de chef de caravane. Ainsi que le rapportait
Sarraz-Bournet à propos d'un accident au Chardonnet en 1954 : « celui qui accepte
que d'autres se joignent à sa cordée doit, de ce fait, assumer la charge de les aider et
de les guider. »215Il ne s'agit donc pas de les abandonner avec une corde trop courte
au-dessus de la rimaye, mais seulement les deux pieds posés bien à plat en sécurité
sur le sentier voire la terrasse du refuge. Il s'agit de l'importante notion de
délaissement à laquelle les juges sont de plus en plus sensibles.

Conclusion
A la lecture des articles du code civil et du code pénal, on comprend qu'au
corps défendant de tout rédacteur de manuel d'alpinisme, c'est la totalité de l’ouvrage
qui tient finalement lieu de chapitre juridique. En effet, ce qu'exige le droit est, ni
plus ni moins, la mise en application de la bonne pratique. Et cette bonne pratique est
la somme de tous les autres chapitres. La dangerosité judiciaire se situe exactement
ici. A trop donner de conseils péremptoires et à ne pas savoir éviter les règles
dogmatiques, pourtant invariablement mises en défaut à l'époque suivante, on
fabrique soi-même le carcan quasi-réglementaire que le législateur avait pourtant
pour but d'éviter en choisissant la voie de la responsabilité.
215 Op. cit., Pierre Sarraz-Bournet dans Technique de l'alpinisme, dir. Bernard Amy, p.64.

250
En 1943, Pourchier et Frendo écrivaient : « Il n'y a rien d'absolu dans la
conduite d'une course (…) : telle solution s'étant révélée bonne dans certains cas peut
amener de grands déboires si elle est appliquée systématiquement. » En 1934, les
auteurs du manuel du CAF soulignaient : « Nous croyons qu'il est impossible aux
alpinistes de se préserver absolument de tout danger par la mise en pratique d'une
technique rigoureuse. » Peut être devrait-on inscrire en filigrane de chacune des pages
de tous les manuels d'alpinisme une formule de ce genre : Les techniques décrites ici
ne possèdent aucun caractère formel et sont d'application toute relative ?
Lors d'un accident, il ne faudrait pas croire qu'un imaginaire « acharnement
judiciaire » choisisse pour son plaisir pervers d'accabler un présumé fautif. Les
personnes présentes, donc ses pairs, souvent dans un souci inconscient d'auto-
justification, peuvent être les principaux acteurs à charge, à l'exemple de ce que
Laurent-Franck Lienard décrit chez les forces de l'ordre : « Les collègues du policier
qui a tiré vont fréquemment adopter une attitude extrêmement critique à l'égard de ce
dernier. »216 Chacun sait ce qu'on aurait dû faire et ce qu'on a mal fait. Pour peu que
les rivalités guide/sans guide ou professionnel/moniteur fédéral s'en mêlent,
l'opprobre est à son comble. Les petites phrases assassines (« Si mon collègue n'avait
pas ouvert le feu, la situation aurait pu être différente. »217) sont pain béni pour
l'accusation et le juge sera bien obligé d'en tenir compte. Les alpinistes eux-mêmes,
par leur jugement moral immédiat et à l'emporte-pièce, peuvent fabriquer leur propre
camisole judiciaire dont ils se prennent ensuite à déplorer l'existence ; sans compter
la performance de l'expert généralement impatient d'exhiber la complète étendue de
ses connaissances.
Enfin, la loi Fauchon a voulu alléger la responsabilité des décideurs,
principalement des maires, ce qui ne justifie plus leur affolement sécuritaire.
Échapper à la faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité
visée à l'alinéa 4 de l'article 121-3 du code pénal devrait pouvoir se faire sans élan
liberticide. Placer un panneau explicite recommandant aux piétons, aux pratiquants
de raquettes et aux skieurs de randonnée devant remonter des pistes de ski pour
accéder à leurs itinéraires, de suivre scrupuleusement le bord des pistes et de traverser
le plus rapidement possible à des endroits visibles et étroits, et un autre panneau
demandant aux skieurs la plus grande attention du fait de la présence éventuelle de
ces pratiquants lents à se déplacer, suffit à dégager la responsabilité pénale indirecte
sans besoin de recourir à un arrêté municipal d'interdiction. On pourrait multiplier les
exemples d'interdiction facilement remplaçables par une information, des
explications et des recommandations. On pense, hors montagne, au panneau
« baignade interdite » dont le fabricant a forcément fait fortune... Il appartient aux
électeurs de sanctionner dans les urnes tout élu qui ne comprendrait pas leur volonté
de vivre dans une société de liberté, et de le renvoyer à la loi Fauchon s'il prétend
qu'il y est obligé.
*

216 Op. cit., Laurent-Franck Lienard, p.246


217 Ibid.

251
Chapitre 13 : Le guide de haute-montagne a-t-il un avenir ?
« A partir d'ici, c'est pour les amateurs, dit Louiset. S'ils en ont envie qu'ils
s'amusent ; moi je suis un professionnel, je m'arrête, j'en ai assez.. » Jean Giono218.

De quoi parle-t-on ?
Les guides de montagnes ont commencé à s'organiser en profession en 1821.
Le Conseil municipal de Chamonix créa la Compagnie des guides de Chamonix suite
à l'accident au Mont-Blanc au mois d'août 1820 de la caravane du docteur Hamel,
conseiller aulique du Tsar, drame qui avait tué trois guides dans une avalanche. La
première motivation était de créer une caisse de secours pour les familles. La
compagnie s'attacha à organiser la profession en donnant la priorité à ses intérêts,
instaurant notamment le tour-de-rôle et le tarif, « jetant ainsi les bases d'une véritable
territorialisation appropriative de la haute-montagne chamionarde »219
A partir de 1875, des associations d'alpinistes créèrent des corps de guides dans
d'autres massifs, à l'exemple de la STD en Dauphiné. Ici, au contraire, la
réglementation créait une subordination des guides à leurs clients par l'intermédiaire
des associations, les empêchant par exemple de les abandonner à brûle-pourpoint en
pleine ascension pour aller chasser un chamois. Le guide est considéré comme un
« domestique spécialisé »220 soumis à la bienveillance paternelle du touriste
bourgeois. Après 1925, les rivalités entre le CAF et la STD profitèrent aux guides qui
purent s'introduire dans des commissions paritaires. Le CAF imposa son règlement
dès 1930 à tous les corps de guides français à l'exception de la Compagnie des
Guides de Chamonix. Chaque guide présentait un livret à son client dont des feuilles
numérotées étaient destinées à recevoir son appréciation.
En février 1948, l’État promulgue une loi sur les guides de montagne en

218 L'Iris de Suze, Jean Giono, éditions Gallimard, 1970.


219 Le touriste et son guide, Philippe Bourdeau, Revue de Géographie Alpine, tome 79, n°4, 1991, pp.89-104.
220 Ibid.

252
entérinant plus ou moins les règlements du CAF. (Le livret sera maintenu jusqu'aux
années soixante.) La nouvelle sélection remplace l'ancienne cooptation pourvoyeuse
d'un niveau très hétérogène, par un diplôme d’État validant des connaissances.
L'ENSA passe sous la tutelle du Ministère de la Jeunesse et des Sports.
En 1976, la loi de 1948 est abrogée sous l'impulsion de Pierre Mazeaud. La
nouvelle loi ne s'intéresse plus qu'à l'organisation de la sélection et de la formation
des guides. L’État assimile alors le guide à un enseignant sportif, et le rattache
juridiquement à d'autres professions du même ordre.
On reconnaît la forte empreinte d'un alpiniste amateur de haut niveau qui ne
peut concevoir la haute-montagne comme une conduite accompagnée.
L'initiative de Mazeaud déconcerte la profession qui considère l'enseignement
comme un suicide professionnel. Un vide réglementaire apparaît dans la pratique du
métier lui-même.
Depuis 1985, le Syndicat National des Guides de Montagnes (SNGM) élabore
des recommandations professionnelles, explicite les droits et les devoirs vis à vis de
la clientèle. On change de paradigme. L'obéissance à un règlement est abandonnée
au profit d'une responsabilité vis à vis d'une déontologie, suivant une évolution déjà
présente dans d'autres pays. La relation guide - client évolue à l'avenant : du
paternalisme bourgeois hérité de la IIIème République vers la notion de contrat. Le
guide devient un prestataire de service.221 Le client tend à ne plus être que le faire-
valoir maladroit du guide talentueux.
En 1986 est créé le monitorat d'escalade, entérinant le saucissonnage de la
profession. En 1996, une qualification obligatoire est requise pour encadrer l'activité
de canyoning (qui deviendra DE autonome en 2010). Les prérogatives concernant le
ski de montagne et le ski hors-piste sont disputées avec la profession des moniteurs
de ski, à laquelle est laissée l'activité d'enseignement tandis que les guides
revendiquent la connaissance du risque. Ces chamailleries aboutissent à des situations
cocasses comme le droit des guides à orienter des clients sur des pistes de ski par
temps de brouillard tout en leur contestant le droit d'enseigner le ski sur ces mêmes
pistes par temps clair. Cette concurrence obligent les guides à se préoccuper de
marketing. De prestataires de services, ils mutent encore en vendeur de produit. Il
s'agit d'élaborer puis de vendre un produit fini alléchant : séjour d'escalade au Wadi-
Rum, stage cascade en Écosse, fissures de l'Utah. Le client devient passif, ignorant
des enjeux comme de la culture montagnarde. Il consomme.
Dès 2005, le SNGM sonne l'alarme. L'accidentologie de la profession est
mise en cause, particulièrement vis à vis des voisins européens. En 2015, une étude
confirmera le diagnostic en montrant un taux de décès de 4,13 décès/an pour 1000
guides français, face à un taux de 0,57 décès/an pour 1000 guides suisses 222. Le
SNGM déclare que l'ENSA est incapable de former correctement des stagiaires,
déplore la sportivisation du métier, des enseignants trop élitistes connaissant mal la
221 La formation des guides de haute-montagne depuis 1948, Mathieu Martinez, août 2014, mémoire pour le Master
ITER, Université Joseph Fourier, Grenoble.
222 Accidents des guides de haute-montagne français de 2003 à 2013, Romain Ferlay, Cécile Radiguet de la Bastaie,
thèse de doctorat en médecine, 2015 <dumas-01163777>.

253
pratique car souvent recrutés dès l'examen de guide parmi les majors des promotions.
L'ENSA n'est plus vue que comme une fabrique de sportifs de haut niveau. Le SNGM
souhaite une harmonisation de la formation avec celle des pays voisins. Le Ministère
en prend également pour son grade, dénoncé comme trop attaché à une symbolique
d'élitisme. Bruno Pellicier, président du syndicat de 2002 à 2006, assène :
« Finalement, l'ENSA, son rôle, c'est l'excellence technique, point. »223
Devant la charge, l'ENSA s'interroge sur sa part de responsabilité. N'a-t-elle pas
trop mis l'accent sur le haut niveau et sur la valorisation de l'engagement en
montagne ? Tout ceci aboutit en 2007 à une réorientation de la formation vers la
gestion du risque, et à une professionnalisation - i.e. un rapprochement avec les
exigences réelles du métier- des stagiaires.
En 2010 apparaît une refonte du recrutement et de l'enseignement, qui peut se
comprendre en quatre volets :
– La gestuelle technique n'est plus le seul critère de sélection. Face à l'afflux
de stagiaires aussi fortiches en escalade qu'ignares concernant les choses de
la montagne et dont seul un tiers provient actuellement de zones de
montagnes (Pour Charles Daubas, ancien de l'EMHM, « Desmaison, y en a
plus un qui connaît maintenant ».), la notion de sens de la montagne
apparaît à travers la gestion d'une course de montagne. Le pied montagnard
et la culture montagnarde sont remis à l'honneur.
– La période où l'aspirant-guide devait justifier d'une pratique autonome avec
client disparaît du cursus au profit d'un tutorat auprès d'un professionnel en
exercice. Cette modification, imposée par le syndicat, n'a pas été facilement
intégrée par la profession. Nous reconnaissons personnellement une
tendance générale des pouvoirs publics à imposer ce genre de période
probatoire accompagnée par les pairs dans d'autres professions, puisqu'elle
fait également son entrée en chirurgie dentaire.
– La gestion du risque prend une place centrale dans l'enseignement. Un
stage de cascade de glace est rendu obligatoire, cette activité étant jugée
comme exemplaire pour servir de support pédagogique à ce nouveau thème.
Pour Alain Ghersen, il s'agit presque d'introduire une note
comportementale.224
– La professionnalisation des individus est l'objectif ultime à travers le
triptyque classique d'autres métiers : 1/ Expertise spécifique
scientifiquement et techniquement fondée. 2/ Autonomie, permise par une
formation longue et approfondie. 3/ Responsabilité, impliquant un contrôle
des acquis et de la pratique par les pairs.

Voici en quelques lignes où en sont les louables efforts de cette drôle de


profession dont l'impossible gageure consiste à vendre à la fois l'aventure et l'absence
de risque.
223 Op. cit., Mathieu Martinez, p.253.
224 Ibid.

254
Sur le terrain
Le premier constat est que la profession jouit d'une assez bonne réputation chez
le grand public qui ne met pas les pieds en haute-montagne. Elle est perçue comme
une guilde assez fermée de gens plutôt sérieux et courageux. Une abondante
littérature laudative a bien sûr aidé à construire un mythe de héros invincible doté de
qualités physiques et morales exceptionnelles, un peu frustre mais taillé directement
dans le solide granit des montagnes. Le panégyrique ayant été essentiellement écrit
par la profession elle-même, les Rébuffat, Terray, Bonatti, Desmaison, on peut douter
sans être taxer de totale perfidie de son parfait équilibre... Pour le moins, l'opinion
générale apparaît beaucoup plus contrastée parmi les alpinistes eux-mêmes.
Car ceux-ci semblent avoir un point de vue, si peu pertinent puisqu'ils ont
affaire, chaque été, et chaque hiver, très concrètement, à une gent dont une portion
exagérée croise leur trace sans un bonjour et s'invite à leurs relais à coups d'épaule.
Curieusement, l'alpiniste de sport, du bas de sa condition depuis que Monsieur
l'Alpiniste de Métier juge avoir pris du grade, élève une objection.
Voici les faits : Les amateurs ont fatalement connu en chair et en os un ou deux
guides qui ont assisté à leur initiation ou encadré des stages de glace, de neige ou de
rocher. Ces guides sont la plupart du temps devenus des amis et notre dilettante est
heureux de les rencontrer au hasard d'une escalade ou d'une file d'attente de remontée
mécanique pour échanger sur les dernières courses, montrer les progrès accomplis
depuis les premières années tandis que le professionnel ne se faisant plus tout jeune
se félicite d'avoir su jouer son rôle de passeur.
Toutefois, les rencontres sur le caillou faites avec l'aimable corporation se font
dans une agressivité devenue banale, et chacun finit par collectionner une
impressionnante série d'anecdotes affligeantes, allant de la simple rivalité à la
véritable rixe : moquerie, malveillance verbale, dépassement discourtois voire
dangereux, au contraire obstruction à un dépassement inoffensif, accaparement de la
totalité d'un rocher école ou d'une cascade de glace d'initiation par la pose de
nombreuses moulinettes et expulsion sous la menace d'un poing levé d'une autre
cordée sollicitant un espace pour grimper (vu à La Grave), enlèvement d'un relais de
sangle coiffant un becquet en cours d'utilisation pour y placer son propre relais (vu à
la Chapelle de la Glière), descente en rappel sur une corde posée dans le même
maillon que la cordée précédente qui n'a pas encore rappelé sa propre corde (vu au
Grépon), hurlements à l'encontre de cordées situées en amont, sous prétexte de
recevoir quelques débris de neige, alors que l'homme de l'art vient de précipiter sa
propre équipe dans la descente de la pente raide précisément sous ces cordées déjà
présentes (vu à l'aiguille d'Argentière), destruction des cairns puis invectives contre
les cordées égarées dans la nuit traversant trop haut et menaçant de faire tomber des
pierres (vu dans l'accès à la traversée du Pelvoux), sans compter les frontales éteintes
sur un glacier pour égarer les suiveurs (un classique), cet animal jouant des coudes
sur la vire d'attaque de la Dent du Géant tandis que de nombreuses cordées attendent
stoïquement leur tour dans la bise, et autres mesquineries indignes d'une profession

255
honorable. Fait notable, l'exploit de la Dente del Gigante, intervenu l'été 2016,
souleva l'indignation d'un montagnard italien âgé apparemment emmené par son fils :
« Ah vous les guides, c'est toujours pareil, il faut que vous doubliez tout le monde ! -
Je suis guide, aboie l'infâme en guise de passe-droit. - Ah vous êtes guide ! Moi aussi
je suis guide, et je reste derrière ! » Il s'agissait en réalité d'un sympathique guide
italien à la retraite, encore affûté, qui formait son fils à sa future profession et qui
partageait, pour notre plus grand plaisir, notre façon d'apprécier la fatigante coterie. A
l'évidence, une manière de sélection darwinienne d'un profil psychologique
particulièrement lourd s'était insidieusement imposée dans le cursus de l'ENSA au
corps défendant de l'équipe enseignante... La Paramount 225 eut visiblement vent du
phénomène dès 1951 puisqu'elle mit Popeye à la montagne aux prises avec le guide
Bluto - « World Famous Mountain Guide, he never lets you down » affirme son
enseigne - l'affreux allant jusqu'à s'emparer de la belle Olive en sectionnant la corde.
Popeye ne doit son salut qu'au sauvetage d'un saint-bernard qui lui donne à manger
des épinards, c'est dire...

L'amateur accumulant ces navrantes historiettes finit par se convaincre que le


principal danger objectif en haute-montagne n'est pas la chute des pierres mais bien
la rencontre inopinée avec ce genre de prolétaire convaincu qu'il est écrit sur son
écusson Roi de la Montagne, et se croyant autorisé à délivrer des injonctions à des
cordées autonomes qu'il imagine sous ses ordres.
Le retour d'expérience d'autres caravanes font penser que ces exactions sont
rarement le fait du guide passionné à la fois alpiniste amateur de talent, mais qu'elles
signent au contraire la rancœur d'individus, pas forcément âgés au contraire de ce
qu'on pourrait croire, aigris précocement par un métier qui ne leur apporte aucune
satisfaction, s'abîmant à livrer un colis en haut d'une pente, puis le redescendant,
méprisant dans le même élan le client du jour comme le dilettante venu ici pour son
plaisir qu'il voudrait bien voir déguerpir de ce massif qui n'est plus que son lieu de
travail abhorré.
Les amoureux de la haute-montagne seraient très reconnaissants à l'ENSA de
prendre ce sujet à bras le corps plutôt que le nier dans un paresseux confort
intellectuel.
Le saucissonnage du métier et son obligation de trouver des activités annexes
aussi épanouissantes que le canyoning, le ski-guiding, l’accrobranche ou la
contemplation des petites fleurs (l'AMM...) devrait conduire à ménager l'immense
vivier bêtement ignoré de clientèle potentielle que représentent les alpinistes
amateurs autonomes pour des stages de perfectionnement de toute nature. Il suffit de
rappeler les paroles de Jean Coste pour comprendre le grand intérêt pour un
professionnel de se doter de cette espèce de client : « Je veux être un excellent élève
parce que j'ai hâte d'être un Sans-guide. »226 Pour Pierre Mathey, président de
l'Association suisse des guides de montagne, le différentiel de l'accidentologie des

225 Alpine for you, Popeye the sailor, dirigé par I.Sparber, 1951, Paramount.
226 Op. cit., Jean Coste, p.16.

256
professionnels des deux pays pourrait trouver son explication dans une clientèle
plutôt privée en Suisse, plutôt « collective » en France, et par une culture du risque
différente, moins axée sur la performance, davantage centrée sur le client.227 Faut-il
comprendre que les guides suisses avaient fait tout leur possible pour séduire les Jean
Coste quand leurs collègues hexagonaux avaient fait le maximum pour être honnis ?
Quand les rapports qui informent que la profession végète et ne peut, en tout état de
cause vivre exclusivement de son métier (une activité d'alpinisme durant en moyenne
65 jours par an dans les Hautes-Alpes et générant un chiffre d'affaire annuel, et non
un revenu, de 18200€ par an228), se succèdent, et plutôt que d'en vouloir à la terre
entière, il serait peut être temps de revoir sa copie en profondeur. La profession de
guide va très mal, et son agressivité habituelle sur le terrain en est le témoin le plus
patent. Des gens épanouis ne se comportent pas de cette manière.

L'éternelle proposition
En préalable de sa prise de conscience, le professionnel peut admettre que le
fait de tirer une rémunération de sa pratique n'apporte en aucune façon un supplément
de légitimité à sa présence en haute-montagne.
Premier effort manifestement coûteux pour certaines brutes rencontrées.
Ensuite, il est temps, presque un siècle et demi après que Mummery ait
définitivement montré que l'alpinisme ne peut se pratiquer dans toute sa vérité que
sans guide, que la profession s'oriente totalement vers l'enseignement. C'est à dire,
concrètement, que les ascensions ne représentent plus l'essentiel de l'activité, et
qu'elles ne soient comprises que comme de simples supports pédagogiques pour
délivrer une leçon d'alpinisme. Le sommet serait parfaitement facultatif tandis que
l'existence bien réelle du contenu de la leçon ne le serait pas. En somme, les
enseignants de l'ENSA formeraient des enseignants, ce qui n'a rien d'extraordinaire.
Déjà en 1904, le Manuel d'Alpinisme du CAF229 voyait les choses ainsi :
« Étant donné qu'il n'est pas d'école pour apprendre le sport alpin, que les guides
eux-mêmes ne sont pas encore des professeurs, comme il en va des professionnels
des autres sports (souligné par nous), celui qui désire faire des courses sans guide
devra s'armer lui-même de toutes pièces et exceller dans toutes les branches de ce
manuel. »
En 1928, Alfred Couttet et Roger Frison-Roche ramenèrent pitons et
mousquetons des Dolomites et nettoyèrent puis équipèrent le rocher des Gaillands à
Chamonix pour en faire un rocher école. En 1935, à son retour du Hoggar, Frison-
Roche, guide depuis 5 années, se mit en tête d'aller plus loin et de créer une véritable
école qui dispenserait un enseignement complet des techniques d'alpinisme aux
vacanciers. Il avait pris soin d'organiser son projet en impliquant le bureau des guides
et en les engageant au tarif officiel, et l'école eut immédiatement beaucoup de succès.
On y enseignait non seulement le rocher mais les rappels sur champignons de glace,
227 Op. cit., Romain Ferlay et Cécile Radiguet de la Bastaie, p.253.
228 Le marché et l'impact socio-économique de l'alpinisme dans les Hautes-Alpes, JED, Conseil Général des Hautes-
Alpes, 2013.
229 Op. cit., C.A.F., p.11.

257
le sauvetage, l'assurance, la conduite d'une course. Mais c'était sans compter les
esprits butés : « La querelle entre guides et sans guides n'était pas encore apaisée ;
les vieux se souvenaient d'une époque où ils étaient les seuls rois de la montagne.
Que je forme des élèves sachant se débrouiller tout seuls par la suite leur paraissait
dangereux. - Tu formes des futurs sans-guides, me reprochait-on. Tu vas ruiner
notre profession !
« Un jour de fin août, comme je revenais de course, je trouvai le secrétaire de
l'école penaud et désemparé. Certains guides s'étaient emparés de force de ses
papiers et l'avaient proprement jeté à la porte de son bureau.
« Ainsi se termina cette expérience. Elle n'avait eu qu'un tort ; être en avance
d'une vingtaine d'année ! »230
L'épouse de Frison-Roche lui répétait qu'il avait un heureux caractère... ce dont
il avait du reste fait la démonstration éclatante lors de son bizutage par les frères
Charlet en 1925231. Autrement, il eût écrit en avance d'un siècle !

Faut-il que cette profession se complaise dans l'entêtement pour que le


volontarisme d'un Pierre Mazeaud232 n'ait pas suffi pour faire lâcher le vieux chanvre
arrimé à l'épaisse taille du client et qu'on devienne enfin l'éducateur sportif adulte de
la modernité, tel le moniteur de ski ou celui d'escalade !
A-t-on vu un nageur nager soutenu indéfiniment par la perche de son moniteur
de natation ? Voit-on un parapentiste voler en éternel biplace avec son moniteur de
parapente ?
En 1977, Sylvain Jouty avait été très explicite : « Le guide, en prenant en
charge tout l'effort moral et psychologique que demande une ascension, dénature
celle-ci. (…) Il est pourtant certains guides qui pensent que leur métier devrait
consister, paradoxalement, à apprendre à leurs clients à se passer de guides. C'est là
une conception saine de ce métier. (…) Le rôle des guides devrait être aujourd'hui
essentiellement pédagogique. »233
Nous savons que les guides se sentiraient déshonorés si leur médaille de guide
de haute-montagne leur était dégrafée au profit de celle de moniteur d'alpinisme au
prétexte qu'ils seraient davantage que de simples moniteurs mais des passeurs - ce
qui est vrai - c'est à dire celui qui permet de franchir une frontière, celle de la haute-
montagne, comme celui qui relie avec les générations qui nous ont précédés en ces
lieux. Qu'à cela ne tienne ! Conservez la médaille et changez la pratique.
Le critérium retenu pour la profession mériterait un bouleversement plus
radical que la timide introduction du sens montagnard. La compétition acharnée à
l'excellence gestuelle ne retient en définitive que les plus batailleurs à supplanter
leurs concurrents, la montagne se voyant privée de ses meilleurs soupirants. Ceux-ci,
compétents mais tranquilles et las de cette guerre du probatoire, s'en vont vers
d'autres cieux à l'exemple de ce qui s'était passé en voile, lorsque le navigateur Gilles
230 Op. Cit., Roger Frison-Roche, p.15.
231 Vocation alpine, Armand Charlet, éditions Hoëbeke, 1998. Édition originale 1949.
232 Loi 75-988 du 29 octobre 1975.
233 Op. cit., Sylvain Jouty, p.155.

258
Barbanson s'était détourné de la solitaire du Figaro après deux participations quand
les compétiteurs s'étaient mis à mouiller voiles et cordages avant la pesée de leur
bateau. De même que l'obtention de la médaille Fields n'est d'aucune garantie pour
faire un bon professeur de mathématiques, les qualités requises pour retenir un
enseignant de montagne sont davantage l'étendue des connaissances, l'exactitude, la
rigueur, la maîtrise de soi, la pédagogie, la fiabilité morale, la patience, la
bienveillance, que sa capacité à produire des horaires de courses spectaculaires ou à
tenir les verrous de doigts. Craindre reproduire la situation d'il y a quelques années où
le client skiait plus brillamment que le guide qui l'emmenait dans la poudre aurait
d'autant moins de sens que la qualité d'un alpiniste ne se réduit pas à son niveau
d'escalade, et que surtout, il ne s'agirait plus d'emmener quelqu'un quelque part, mais
de lui transmettre quelque chose qu'il n'a pas : une connaissance. Transmission
d'autant plus pertinente que l'expertise de la profession s'appuie dorénavant de plus
en plus sur une base technologique et scientifique. Les études menées par le
laboratoire de l'ENSA sous l'égide de Philippe Batoux en témoignent régulièrement.

Les prétentions à un alpinisme basé sur des preuves scientifiques ne datent


cependant pas d'hier. Casella* écrivait en 1913 : « Ce qui caractérise l’œuvre des
Clubs Alpins durant ces dernières années, c'est qu'elle a transformé l'alpinisme
en un sport scientifique. Je veux dire que les clubs se sont efforcés de déterminer
d'une manière définitive les règles d'une technique très complexe. C'était là une
tâche utile et qui diminuera peut être le nombre des accidents. » On appréciera le
terme « définitive » pour mieux comprendre que notre pratique d'aujourd'hui sera
sans doute jugée très sévèrement dans un siècle. Il est probable que l'homme
tailleur de silex du paléolithique devait aussi penser avoir établi les règles
définitives et scientifiques de la technique de la chasse...
* Op.cit., Georges Casella, p.171.

Le client disparaîtrait donc définitivement dans les oubliettes de l'histoire


alpine comme une chose obsolète et abstruse et serait remplacé par l'élève, c'est à dire
celui qu'on élève non en tirant sur la corde mais en transmettant un savoir. Chemin
inverse de celui vilipendé par Régis Debray qui craint « une école qui reproduirait les
vices et les automatismes du monde extérieur : zapping, surfing, cocooning,
packaging, marketing, et qui ferait de l'élève un client ».234 Le client, bien identifié
par le philosophe comme le degré zéro de l'apprentissage, qu'on est donc autorisé à
éradiquer sans la moindre nostalgie. Alors seulement les guides pourront-ils
s'épanouir – ce qui visiblement leur est actuellement difficile - , comme tout
enseignant digne de ce nom, à être fiers du parcours de leurs élèves, comblés bien
entendu quand ceux-ci les dépasseront. Alors seulement pourront-ils continuer
d'exercer sans risque excessif, physique mais aussi malheureusement judiciaire,
malgré le nombre des années. Alors seulement la profession entière aura-t-elle un
avenir, et pourra notamment s'ouvrir davantage au femmes réduites à la portion
234 Intervention sur France-Inter le 28 avril 2015.

259
congrue : Martine Rolland, première guide en 1983, 4 femmes guides jusque 1995,
10 femmes en 2005, 18 femmes en 2014. Pas étonnant que nous nous fracassions
contre cette phalange de machos...
De nombreux professionnels ont évidemment déjà compris cette évolution
inéluctable de leur métier. Ils proposent des stages de perfectionnement où l'on
apprend comment aller là-haut tout seul ou participent à l'enseignement alpin du CAF
ou d'autres structures. Certains écrivent des ouvrages décrivant avec précision des
courses sélectionnées agrémentés de nombreux conseils techniques. Bruno Gardent,
dans sa précieuse lettre à sa cousine publiée sur le site des guides de la Grave,
explique en détail le matériel à emporter et la façon de s'assurer correctement dans la
traversée de la Meije pour une cordée autonome. Des « écoles » d'alpinisme
fleurissent ici ou là. L'ENSA a publié deux manuels techniques où il n'est question
que d'alpinisme autonome. Nous savons que la profession a déjà théorisé depuis
longtemps le fait que le guide n'est plus seulement celui qui va devant, mais qu'il est
aussi derrière (pour rassembler) et au milieu (pour conseiller). 235 Ceux-là ne tiennent
pas les montagnes avec une fièvre obsidionale et sont à féliciter.

Quitte à vous arracher les derniers cheveux, un peu de mauvais esprit, cette
méchanceté allégée en malice selon le mot de l'ancien guévariste (Régis Debray) :
une cordée formée d'un guide et de son client ne pratiquent cette activité humaine
qu'on appelle alpinisme qu'à deux conditions :
1/ Le guide ne connaît pas la course d'alpinisme du jour, et doit donc répondre
à toutes les questions que pose la montagne, que ce soit en termes d'itinéraire, de
conditions, de difficulté, d'assurage ;
2/ Le client possède une expérience de la haute-montagne suffisante pour avoir
été capable d'assumer le risque de la course en toute connaissance de cause. C'est ce
consentement éclairé du malade, comme on dit en médecine, qui est le plus souvent
impossible à obtenir de façon loyale (ce qu'exige le Droit236) de la part d'un touriste
attiré par une course dont il a entendu parlé mais sourd à comprendre qu'il pourrait
bien mourir là-haut ou en revenir diminué.
Ces deux conditions sont rarement réunies, de sorte que ni l'un ni l'autre ne
pratiquent à cette occasion l'alpinisme. C'est autre chose : un guide emmène un client
faire une ascension en haute-montagne, tout simplement. On n'y trouve pas les
ingrédients principaux de la recette qui fait l'alpinisme, à savoir l'incertitude et le
risque assumé. Ils ne sont pas des épices facultatives dont l'absence rend simplement
le plat moins bon. Le lecteur a fini par admettre depuis que l'auteur le rabâche qu'ils
sont, mieux que l'exercice musculaire ou pulmonaire, l'essence même de la pratique
235 Paulo Grobel en 1990, cité par Bourdeau, op. cit., p.252.
236 Cette exigence d'information est cependant loin d'être suffisante. Frédéric Caille explique que l'exercice
professionnel du guide ne s'affranchit pas du droit commun qui implique : 1/ une obligation de moyen en matière de
sécurité, qui devient une obligation de résultat quand il s'agit de milieux sécurisés (piste de ski, écoles d'escalade, via
ferrata, etc.) ; 2/ le rejet systématique de la notion d'acceptation de risque dès lors qu'un contrat commercial est
conclu. (Le guide comme professionnel de l'alpinisme : perceptions et enjeux du traitement judiciaire de la
responsabilité dans le domaine des sports de montagne, dans Deux siècles d'alpinismes européens, Olivier Hoibian
et Jacques Defrance (dir.), éditions de l'Harmattan, 2002.)

260
de l'alpinisme. Ils ne peuvent être ici présents, que l'on suive un mentor ou que l'on
répète pour la énième fois une course dont on connaît chaque détail et ce dans des
conditions variées.
Il ne s'agit pas de dénier le qualificatif d'alpiniste à ces professionnels et à leurs
clients, ce serait caricaturer le propos. Ce serait commettre l'erreur, commune à notre
époque où l'esprit épais de l'éditorialiste contagionne la société entière, de réifier
l'homme. Pour illustration, aucun tribunal ne poursuit qui que ce soit pour être un
meurtrier ou un assassin, pourtant désignés comme tels par la presse. Telle personne
est condamnée pour avoir commis un meurtre ou un assassinat tel jour et à telle
heure, ce qui n'est pas du tout la même chose. On n'essentialise pas l'individu, c'est à
dire qu'on ne le réduit pas à ce qu'il a fait tel jour et à telle heure. Ainsi, rien
n'empêche le professionnel, comme le client, de pratiquer chacun de son côté
l'alpinisme comme n'importe qui d'autre. C'est bien entendu le cas de nombreux
guides, qui dès leur saison terminée, s'empressent de tenter à la fin de l'été ou à
l'automne des courses souvent difficiles. Et c'est parce qu'ils comprennent ici
parfaitement les valeurs d'engagement qu'ils éprouvent secrètement dans leur métier
cette frustration de devoir vendre l'oxymore d'une aventure sans danger.
Les amateurs ne font pas autant d'effort pour se hisser si haut dans le but de
rencontrer un chamailleur. Nous pensons que la façon la plus heureuse de partager la
montagne est de comprendre définitivement que le métier de guide et la pratique de
l'alpinisme sont deux activités très distinctes et que cette évidence soit enseignée aux
stagiaires. C'est cette prise de conscience qui permettra aux uns et aux autres de
comprendre les enjeux de la pratique opposée. Il est normal qu'une cordée amateur se
perde dans un terrain qu'elle ne connaît pas, puisqu'il s'agit du but même de
l'alpinisme. Se perdre pour se retrouver. Finir par surmonter des difficultés, et non
que ces difficultés n'existent pas. Mais il est normal aussi qu'un guide ne puisse pas
assumer pour son client du jour, lié à lui par un contrat, le moindre risque. Il craindra
davantage les chutes de pierres, les avalanches, les séracs, parce que le client n'est pas
venu ici pour mourir et que la fameuse obligation de moyens se transforme in vivo en
obligation de résultat ou y ressemble beaucoup, dès qu'il s'agit d'accident.
Nous voulons croire que les derniers fâcheux corporatistes feront bientôt partie
du passé, que la mutation du guide en enseignant d'alpinisme, mais, grand Dieu,
conservant son nom idéalisé, va nécessairement se poursuivre, et que les rencontres
des cimes ne se produiront plus qu'avec des personnages bonhommes, aimant
davantage la montagne qu'eux-mêmes, à la mine réjouie, aux manières aimables et à
la patience infinie.

261
Chapitre 14 : Nouvelle saison
« Il était mondain à Londres et à Paris, puis se refaisait à la campagne. »
Maurice Barrès237

Les ouvrages de body-building recommandent d'aménager des cycles


d'entraînement pour la bonne raison que personne n'est capable de soutenir
infiniment une intensité croissante d'exercices. Après l'interruption annuelle qui
correspond aux vacances d'été, les culturistes sont invités a manier des poids
inhabituellement légers en regard de leurs capacités, et surtout pas les charges
soulevées en fin de cycle sous peine de blessures. On reprend les exercices de base
avec balancier pour stimuler de nouveau l'organisme entier. Il s'agit de remettre la
machine en route. Dans le même temps, on se nourrit mieux et on s'endort plus tôt.
Pour le citadin qui envisage sa nouvelle saison d'alpinisme, l'été dernier est
déjà loin. On a certes entretenu le foncier avec plus ou moins de rigueur par le
footing, on a continué de grimper à la salle et sur des sites d'escalade. Mais l'aisance
formidable acquise à la fin de l'été dans des terrains variés, arêtes effilées,
désescalades de cailloux branlants, pentes de neige pourrie, a toute chance de s'être
envolée malgré les belles descentes à ski de l'hiver.
On reste modeste, on reprend tout à zéro. C'est à dire pour commencer par
l'arme numéro un pour redevenir le montagnard qu'on était : le bivouac. On ira
planter la tente là-haut, vers 2700m, près d'un glacier. On tracera dans la neige le
premier sommet de la saison en se méfiant des dernières coulées qui vont purger les
pentes surchargées. Seuls dans cette course facile, vers ce sommet peu fréquenté, il
n'est pas si aisé de suivre l'itinéraire. Puis la pente raide qui grimpe à l'arête
sommitale encore bien enneigée, un peu instable, ne nous fait pas du tout regretter
d'avoir été humble dans le choix de notre objectif. Il faut le reconnaître, on n'en mène
pas très large maintenant sur l'arête vertigineuse, on a hâte que le sommet arrive. On
237 Op. cit, Maurice Barrès, p.7.

262
se serait cru plus à l'aise.
Il est normal de se trouver gauche en parcours d'arête, surtout à la descente,
quand on ne grimpe que des murs à longueur d'année. Il manque le guidon. Une paire
de courses de cet acabit, et tout va revenir très vite. De la même façon que les
muscles du body-builder reprennent rapidement la route des poids lourds, l'équilibre
que vous aviez acquis l'année dernière va réapparaître.

Il faudra ensuite se stimuler pour cette nouvelle saison. On pensera avec le


sociologue Rodolphe Christin238 que le tourisme - nouvelle aliénation du travailleur
jouant à se croire rentier le temps de la consommation d'un circuit pensé par une
ingénierie sociale - est le renouvellement d'un divertissement standardisé, tandis que
le voyage - aventure émancipatrice - est un prototype à la rencontre de la diversité.
On épluchera les topos avec soin pour dénicher quelques courses loin des foules,
comme la petite voie Paquet au Gioberney ou la voie Jonot à la Tête de Lauranoure.
Les objectifs seront ambitieux mais réalistes, tenant compte notamment des dates de
vacances. Si celles-ci commencent début août, nul besoin de fantasmer sur le couloir
Whymper à l'aiguille Verte. Si on arrive plus tôt, on mettra en priorité de programme
ce genre de courses de neige avant de ne plus pouvoir les faire. On guettera ensuite
pour les courses de rocher le bon moment pour trouver un caillou sec puis on
surveillera l'ouverture des rotures et autres rimayes.
On peut choisir de découvrir un nouveau massif. Rencontrer les fameuses
fissures chamoniardes est le dépaysement garanti pour l'arpenteur de l'Oisans. On
reste ici encore modeste sur les cotations. Inversement, le Savoyard malhabile dans le
mauvais rocher ferait bien d'envisager un séjour au pays du père Gaspard avant de
projeter l'ascension du Cervin.
Puis on rêve d'une grande course. Elle se concrétisera cette année ou l'année
prochaine, mais on va dès maintenant réaliser l'approche, le repérage du socle, et
l'ascension de la voie normale qui est la voie de retour. Un bel objectif. On soignera
la stratégie pour obtenir une acclimatation à l'altitude ad hoc pour pas trop cher, des
courses préparatoires assez hautes et deux nuits au moins à plus de 3000 m. Concilier
ceci avec les conditions optimales, le créneau météo, et les dates des vacances, ce
sera un nouveau casse-tête réjouissant.

Par contre, on tâchera de ne pas chercher à se faire peur à chaque fois qu'on
met les pieds en altitude. Livanos disait que « les grandes audaces font les petites
carrières »239. Il n'est pas nécessaire de le comprendre dans sa version dramatique. Si
le stress est le compagnon habituel que vous emmenez en montagne, l'envie d'y
retourner vous quittera très vite. Les amateurs qui pratiquent encore après vingt ou
trente années cultivent essentiellement un alpinisme de loisir, agrémenté seulement
de temps à autre par un petit défi. Et pas chaque année, loin s'en faut. Un coureur ne

238 Intervention à la conférence Ultra-sieste : Quel sport ? Dans quelle montagne ? Pour quel tourisme ? Rodolphe
Christin, Les Houches, 28 août 2010.
239 Op. cit., Georges Livanos, p.28.

263
réalise un marathon que de façon exceptionnelle. L'ordinaire d'un plaisancier n'est
pas le gros temps mais un vent de demoiselle. Bien sûr, les récits qu'ont tendance à
raconter les alpinistes sont émaillés d'aventures toutes plus extraordinaires les unes
que les autres, mais ils sélectionnent les plus piquantes. Et penser au dessin de
Samivel « Leur première : Comment ils la font... et comment ils la racontent. »240
L'habituelle pratique est beaucoup plus proche de l'hédonisme des falaises
ensoleillées qu'on ne le croit. La plupart des courses réalisées, si elles ne sont tout de
même pas d'aimables promenades au risque nul, ne sont pas non plus des expéditions
guerrières à réussir mort ou vif. Ne renoncez pas aux voies normales même après
plusieurs années de pratique. Être teigneux avec soi-même revient à être très mal
accompagné. Étrange ego qui forcerait à se faire peur. Si de très minuscules alarmes
renforcent le moral, les grandes peurs au contraire le fragilisent. Fuyez-les comme la
peste. Une épouvante est la meilleure façon de casser un homme. Les alpinistes âgés
sont des gens qui ne se détestent point, se savent très bien accompagnés par eux-
mêmes, c'est à dire par un être bienveillant qui n'ira pas les mettre dans des situations
stressantes. Le secret de la longévité, identique à celle des vieux artistes martiaux, est
sans doute ici. Si vous appréhendez chaque sortie d'escalade, chaque grande voie,
chaque cascade de glace, chaque course d'alpinisme, commencez par redevenir l'ami
de vous-même que vous étiez241, et décidez de façon définitive que vous ne vous ferez
plus aucun coup tordu en escalade et en montagne. Cela peut commencer, pourquoi
pas, par la confection d'une petite perche pour mousquetonner à distance...

Après quelques saisons, le paysage impersonnel des cimes s'est transformé.


Vous avez été là-haut telle année, puis sur ce sommet-ci telle autre. Il n'est plus
possible devant ces pics familiers qui réveillent tant de souvenirs de rester indifférent.
Plus possible de promener la neurasthénie du jeune touriste de Rouff installé à la
terrasse de Combloux face à la beauté de la chaîne du Mont-Blanc, qui, tandis que
« le soleil en déclinant l'inondait d'une sorte de pâleur dorée » et qu'un « incendie
dévorait les arêtes et les sommets », après « une longue conférence avec le maître
d'hôtel (…) revint vers sa compagne et d'un geste nonchalant montrant cette magie
divine, (…) laissa tomber ces mots : Il paraît que la curiosité de l'endroit, c'est
ça. »242
______

Quelques questions à ma compagne, qui pratique l'alpinisme sans guide


depuis 24 années.

Quelle est ta définition de l'alpinisme ?


Je n'en ai pas. Cela ne m'intéresse pas. Par esprit scientifique, je dirais, grimper
ou se promener dans les Alpes.

240 Sous l’œil des choucas, Samivel, éditions Delagrave, 1948.


241 Lire à ce sujet la belle lettre de Jacques Lagarde à Lucien Devies, op. cit., Olivier Hoibian, p.28.
242 Op. cit., Marcel Rouff, p.18.

264
Quel est pour toi l'intérêt de pratiquer l'alpinisme ?
Retrouver les vraies valeurs, remettre les pendules à l'heure. Quand on revient
de course, on sait que l'eau chaude est plus importante que le dernier modèle de
montre à la mode.

Quelle est ta course la plus belle ?


Une des dernières, la traversée du Cervin. Aussi la voie normale du Pic Bayle
ce début de saison avec plein de neige. En remontant dans mes souvenirs, la voie
Paquet au Gioberney car c'est une course courte et complète. Une course variée en
miniature. Par contre au départ d'un refuge...

Quel programme vois-tu pour les prochaines années ?


Je ne le vois pas. Une belle photo, une envie d'y aller. Pas de projet précis.

As-tu un conseil à donner à ceux qui débutent ?


Choisir une belle montagne pour avoir envie d'y aller. Et un truc assez court
pour qu'ils aient envie d'y retourner. Et bien choisir le compagnon de cordée aussi,
pour ne pas se crier dessus toute la journée.

As-tu un conseil à donner aux femmes qui vont faire de l'alpinisme ?


Ne pas se laisser dissuader par son copain de passer en tête parce qu'il a peur
pour vous. Du genre : « Tu es sûre, bien sûre, sûre sûre sûre, que tu vas y arriver ? »

Le mot de la fin ?
Une course réussie, c'est une course avec un bon bivouac avec de l'eau. On
peut s'organiser comme on a envie. C'est la liberté. Et ce peut être réussi sans aller au
sommet si on a fait la retraite au bon moment.

265
Conclusion
« Pour parler franc, là entre nous, je finis encore plus mal que j'ai
commencé... » Céline243.

La pratique de l'alpinisme consiste en définitive à vivre une petite ou une


grande aventure en haute-montagne.
Le randonneur a depuis longtemps apprivoisé la moyenne montagne. Il sait
remplir sa gourde en amont des troupeaux, planter sa tente derrière un muret de
pierres sèches, et porter un sac où il a su trouver un compromis judicieux entre
l'autonomie et le poids. Il pense pouvoir demeurer longtemps dans ce pays des
marmottes et des chamois, moyennant le matériel nécessaire.
En découvrant la haute-montagne, l'alpiniste a embrassé l'essentielle
différence : ici, on ne reste pas impunément. On est de passage, par une porte
temporairement ouverte. Le chocard juché sur le gendarme voisin est trompeur. Un
battement d'aile puis un piqué audacieux, et il aura rejoint les pentes gazonnées avant
l'orage, nous laissant seul face aux éléments. Il faudra revenir avant que la porte ne se
ferme.
Ici, le montagnard doit acquérir une forte aptitude à contrôler son
environnement : se débarrasser du sable collant à la semelle de ses chaussons avant
ce pas en dalle, guetter les fissures propices aux coinceurs, ne pas perdre l'itinéraire et
garder un œil sur les nuages en train de se former vers l'ouest. Écouter les chutes de
pierres tout en surveillant sa montre et son altimètre. Saisir qu'il faut s'activer car
l'isotherme élevé va détériorer rapidement les conditions de la descente, alors on
passera à corde tendue dès la fin de ce passage difficile pour accélérer la progression.
Ces prises de décisions, faites à la volée, émaillent la course du début à la fin,
243 D'un château l'autre, Louis-Ferdinand Céline, éditions Gallimard, 1957.

266
et réclament une force de concentration soutenue. Si à la salle on grimpait avec ses
muscles, ici, on grimpe surtout avec sa tête, et on le comprend à la fatigue nerveuse
qui s'installe.
Ce sont alors des qualités morales que l'on développe en haute-montagne,
avant même les qualités athlétiques, c'est la raison pour laquelle l'alpinisme demeure
une activité majeure et durable et non le dernier sport à la mode dans les milieux
branchés des métropoles.
Pour exercer ces qualités morales, on s'est convaincu que l'indispensable
condition était de ne pas se faire tenir la main par un chaperon. L'autonomie, dès le
début de la pratique, est la manière univoque de procéder. On ne peut pas tricher. De
la même façon que les ouvrages sérieux de body-building vous expliquent que si vous
voulez vous construire un corps d'athlète, il va falloir travailler dur, soulever lourd, et
finalement réellement devenir un athlète, si votre souhait est de devenir alpiniste, il
va bien falloir que votre cordée autonome quitte le confortable bivouac pour
s'enfoncer dans la nuit, accompagnée par cette incertitude de l'itinéraire qui entretient
une petite tension salutaire. Les satisfactions qu'apportera la réussite du sommet
seront proportionnelles au fait d'avoir su maîtriser vos appréhensions et surmonter
avec intelligence toutes les complications de la montagne. Alors seulement
l'alpinisme pourra remplir votre vie sans l'enfermer. Alors seulement vos séances de
grimpe sur résine prendront un sens : un moyen de grandir là-haut, et non plus un
repli égotiste dans la répétition acharnée d'une gestuelle d'escalade.
Trop de courage tue précocement. Le dessinateur Frédéric Delavier 244, féru
d'anthropologie, allègue que les hommes, par une longue sélection naturelle
préhistorique, sont génétiquement lâches. Survivre aux chasses dangereuses et aux
guerres entre clans, n'aurait pu se faire que par la conjugaison d'une certaine
pusillanimité et d'une capacité de projection spatio-temporelle afin de faire face à la
prochaine fois : élaboration d'une tactique de chasse, conception des armes, pour
réduire les risques et la peur. Le courage des femmes, condamnées à l'acceptation
passive de leur destin incontrôlable – la mort en couches -, serait exclusivement
tourné vers la protection de leur petit, et d'une manière plus élargie de leur foyer : un
courage fataliste face à un risque qu'on ne peut qu'assumer. L'auteur avance que c'est
la raison pour laquelle le courage est exalté dans la culture humaine, afin d'aider le
mâle à combattre sa poltronnerie naturelle qui lui a néanmoins permis de survivre.
Ces réflexions très pertinentes rejoignent les travaux du père de la sociobiologie
Edward O. Wilson, qui a insisté sur le conflit permanent existant entre la sélection
naturelle au niveau individuel (dont les produits sont la lâcheté, l'hypocrisie) et la
sélection naturelle au niveau du groupe (dont les produits sont l'honneur, le devoir) 245.
Le biologiste estime qu' « une grande partie de la culture humaine, en particulier le
contenu des arts créatifs, est apparue du choc inévitable entre sélection individuelle et
sélection de groupe »

244 www.youtube.com/user/freddelavier
245 La conquête sociale de la terre, Edward O. Wilson, éditions Flammarion, 2012.

267
Par ailleurs, Régis Debray246 nous apprend que l'errance actuelle des nouvelles
générations françaises n'est pas sans rapport avec la disparition des mouvements
ouvriers comme de l'influence catholique. La laïcité comme horizon indépassable de
notre société contemporaine ne serait qu'un cadre sans tableau et le philosophe nous
expose qu'il revient à chaque citoyen de remplir ce cadre pour lui-même. Ceci
suppose qu'il lui soit délivré une instruction, faute de quoi la jeunesse peine à
s'inscrire dans une aventure qui la grandit. Sans sacré, sans mythe, sans aventure,
l'homme est réduit à l'animalité, raisonnable condition à laquelle son cerveau
hypertélique ne sait se résoudre.

Au total, on comprend que rien – la lâcheté de l'un, le confinement fataliste de


l'autre - ne pousse naturellement, ni l'homme, ni la femme, à tenter l'aventure en
haute-montagne. L'un et l'autre forcent leur caractère pour le meilleur, tachant de
dépasser leur condition. Ce faisant, ils créent cet enchantement du monde qui leur est
devenu indispensable. Tout ceci est bien le propre de toute culture humaine.

246 Colloque Intégration, laïcité, continuer la France, Régis Debray, 23 mai 2016.

268
APPENDICE 1
ENERGIE ET FORCE

On parle beaucoup de forces en escalade tandis que vos souvenirs scolaires


évoquent certainement la notion d'énergie mécanique (Em).
En creusant dans votre mémoire, on y trouvera sans nul doute que Em = Ec +
Ep, Ec étant l'énergie cinétique, et Ep l'énergie potentielle de pesanteur.
Puis en cherchant bien dans les basses fosses de votre hippocampe :
Ec = ½mv² et Ep = mgh , m étant la masse en kilogrammes, v la vitesse en
mètres par seconde, g l'accélération de la pesanteur environ 9,81 m/s², et h la hauteur
en mètres.
L'unité de ces énergies est le Joule.
Dans le cas d'un solide à l'arrêt - votre copain qui ne trouve pas la fichue prise -
qui tombe deux mètres au-dessus du dernier point, Ec = 0 en début de chute. Donc
Em = Ep = mgh. Votre copain tout mouillé fait 61kg (pour 1,80m, il faudra le faire
manger régulièrement...), il a 3kg de vêtements, et un sac de 12kg car c'est un dur. Un
rapide calcul nous donne une énergie potentielle de 76x9,81x4 = 2982,24 joules.
Étant donné qu'il y a conservation de l'énergie mécanique pendant la chute, à la
fin de celle-ci, l'énergie potentielle est arrivée à zéro, et c'est l'énergie cinétique qui l'a
remplacée. On a donc Ec(fin de chute) = Ep(début de chute) = 2982,24 J = ½mv² = mgh.
On en tire v = racine carrée de 2gh = 8,85m/s = 31,86km/h. C'est à cette vitesse que
votre copain arrive en bas en évitant de justesse le rocher.
Puis comme le joule est le travail d'une force de 1 newton sur une distance de 1
mètre, et que le newton est la force nécessaire pour élever 1kg d'un mètre, et que par
surplus, les indications portées sur tous vos beaux outils d'escalade font mention du
kN, vous aimeriez bien savoir comment on passe de l'un à l'autre, c'est à dire traduire
l'énergie potentielle de départ de 2982,24 joules en kN. Et là, patatras, votre vieux

269
professeur de physique du lycée se retourne dans sa tombe !
Vous alliez nous faire une grosse bêtise : mélanger une énergie avec une force.
Or, ce n'est pas du tout la même chose. Pour le comprendre, il suffit d'un dessin. Il
faut admettre que les aires 1 et 2 du dessin sont égales même si le dessin n'est pas
rigoureux.

En abscisse, on a le temps ; en ordonnée, la force créée au moment du choc,


soit sur le grimpeur, soit sur l'ancrage ou le relais, peu importe. La courbe de gauche
est le résultat d'une chute sur une corde peu élastique. La force augmente rapidement
et redescend rapidement, mais elle monte beaucoup. Le point culminant de la courbe
est la force de choc maximale. La courbe de droite, qui est le résultat de la même
chute avec une corde plus élastique, est plus étalée dans le temps et monte beaucoup
moins. Son point culminant, la force de choc maximale, est plus faible. Mais les aires
circonscrites par ces deux courbes sont identiques. Chacune représente la même
énergie potentielle du début de chute que le choc doit dissiper.

Avec ce dessin, il n'est plus possible de vouloir mélanger les torchons avec les
serviettes : l'aire avec le point culminant atteint par la courbe. L'aire est en joules, le
point culminant en newtons.

On remarque qu'il vaut mieux absorber l'énergie potentielle de votre copain,


qui dépend de son poids et de la hauteur de sa chute, sur une longue durée, pour qu'il
soit soumis plus longtemps à des forces qui resteront raisonnables. Cette force de
choc faible s'obtient de trois façons :
– La corde choisie possède une grande élasticité.
– Le facteur de chute (hauteur de chute/longueur de la corde depuis le

270
relais) est faible.
– Le tirage a bien été géré pour que le facteur de chute réel soit bien le
facteur de chute théorique.

L'élasticité des cordes dynamiques d'escalade fait que l'augmentation de la


hauteur de la chute, qui accroît l'énergie potentielle, est compensée par l'élasticité de
la longueur supplémentaire de corde déroulée, pour deux situations à facteur de chute
identique. C'est la raison pour laquelle on ne se préoccupe plus de la hauteur de la
chute en ce qui concerne les forces mises en présence (il faudra par contre ne
rencontrer aucun obstacle pendant la chute...), mais seulement du facteur de chute. Il
reste le poids du grimpeur qui influe sur l'énergie potentielle. Mais là, votre copain a
déjà fait le maximum...

_________

271
APPENDICE 2
LES NOEUDS INDISPENSABLES

Les nœuds indispensables en alpinisme sont peu nombreux et


simples.
Vous trouverez d'abord dans les pages suivantes des nœuds
d'encordement : nœud de huit, nœud de chaise flanqué de son
double nœud d'arrêt, le même en cours de corde donc en traitant
deux brins à la fois, puis avec la clef Yosémite.
Ce seront ensuite des nœuds d'aboutement, soit pour réunir
les deux brins d'un rappel, soit pour fermer un anneau de
cordelette ou de sangle : nœud de jonction en huit pour le rappel,
double nœud de pêcheur, triple nœud de pêcheur indiqué pour les
cordelettes en dyneema, nœud de sangle préconisé pour les
sangles.
Puis il s'agira des nœuds sur mousquetons : nœud de
cabestan, nœud de demi cabestan, et nœud de cœur (voir page 106
pour ce nœud).
On a vu les nœuds autobloquants pages 104, 105 et 108.
Enfin, deux nœuds animaliers moins couramment utilisés :
le nœud en tête d'alouette pour assujettir un anneau de cordelette
ou de sangle, et le nœud de mule, pour bloquer un demi-cabestan
par exemple, et un nœud marin : un tour mort et deux demi-clefs.

272
Encordement par un nœud de huit.

Encordement par un nœud de chaise flanqué de son double nœud d'arrêt.

273
Encordement par un nœud de chaise flanqué de son double nœud d'arrêt, mais réalisé
en cours de corde, donc gérant deux brins à la fois (pour l'encordement en N par exemple).

Encombrement : avantage à la clef Yosémite !

274
De haut en bas, nœud de sangle, double nœud de pêcheur, et nœud de
jonction pour rappel.

Triple nœud de pêcheur. Le double nœud de pêcheur glisse sur les cordelettes dyneema.

275
Nœuds de cabestan (à gauche) et de demi cabestan, appelés nœuds
d'amarrage et de demi amarrage en Suisse.

Nœud de mule comme le font les Suisses pour bloquer leur demi nœud d'amarrage.
Ce nœud est bien sûr serré, puis sécurisé par un nœud d'arrêt en nouant la boucle
autour de la corde allant au grimpeur.

276
Pour réaliser ce nœud de mule, tirer la petite croix marquée sur la corde
en suivant le crayon.

Nœud en tête d'alouette.

277
Un tour mort et deux demi clefs.

_________

278
APPENDICE 3
BLOCAGE DU DISPOSITIF D'ASSURAGE

1. On introduit une boucle de la corde libre dans le mousqueton qui


tient la plaquette. 2. On réalise ensuite un nœud de mule en introduisant
de nouveau une boucle de la corde libre dans la première boucle, et on
serre. A ce stade, si on tire la corde libre, le nœud de mule lâche et on
revient en position d'assurage. 3. On réalise une clef (la moitié d'un double
nœud de pêcheur) autour de la corde allant au grimpeur pour sécuriser le
blocage.
(Même technique sur les deux brins pour bloquer une descente en
rappel en l'absence d'un autobloquant.)

_________

279
APPENDICE 4
TROIS MOUFLAGES

Dans les trois cas, la tête de mouflage est une poulie autobloquante ou
son équivalent : poulie plus autobloquant de type tibloc par exemple.
A gauche : mouflage simple. La corde de réserve a une longueur
suffisante et il est possible d'envoyer une boucle au mouflé. Celui-ci
passe un mousqueton à son baudrier, ou mieux un mousqueton équipé
d'une poulie, et y passe la boucle. On tire à plusieurs, ou bien il s'agit
juste d'une aide pour un mouflé qui participe à son sauvetage.
Au milieu : mouflage simple de surface. La corde de réserve a une
longueur insuffisante, ou l'accès au mouflé ne permet pas de lui envoyer
la corde. On installe un autobloquant, nœud ou autobloquant mécanique
sur la corde. Le renvoi est fait sur un mousqueton, ou mieux sur une
poulie.
A droite : mouflage mariner. On a mouflé le mouflage à l'aide d'une
cordelette auxiliaire accrochée en haut au relais. La démultiplication
permet de tirer seul, si on a bien géré les frottements : poulies, objet dur
sur la lèvre de la crevasse, etc.

280
APPENDICE 5
LE SYNDROME DU HARNAIS (SDH)*
un accident hémodynamique « orthostatique ».

Le SDH concerne davantage le milieu de la spéléologie que celui de l'alpinisme. Il


apparaît cependant peu raisonnable que le montagnard s'abîme dans une ignorance
complète du phénomène, d'abord en tant qu'utilisateur habituel d'un cuissard
d'escalade, ensuite tout bonnement pour sa culture générale.
Le syndrome du harnais (ou traumatisme de suspension) est un malaise pouvant
survenir sans cause apparente chez une personne suspendue de manière prolongée et
passive dans son baudrier. Le malaise évolue rapidement vers la perte de
connaissance et le décès.

Rappels :
Dans les années 70, des pertes de connaissances survenues lors de suspensions dans
des baudriers sont signalées dans les milieux militaires.
En 1972, une étude portant sur 137 décès en haute-montagne datés de 1957 à 1968
mentionne pour certains cas des causes inexpliquées après chute et suspension sans
traumatisme létal.
En 1973, Amphoux aborde le syndrome (Cahiers de la médecine du travail,
1973,n°4,p.157-160) puis le décrit en 1978.
En 1983, une étude de la commission médicale de spéléologie répertorie 15 cas de
décès en suspension, le tableau classique étant le spéléologue épuisé et en
hypothermie qui remonte aux jumars un puits profond et perd soudain
connaissance sans raison apparente pendant sa remontée.
A la suite de cette étude, deux expérimentations en laboratoire sont tentées en 1984 et
1986 par une équipe de Besançon (Bariod et Thery) sur des spéléologues volontaires.
Mais les essais sont stoppés après que les premiers cobayes aient présenté des
symptômes alarmants, tout en apportant beaucoup d'éclairage.
En 1998, Shamsuzzaman (Japon) étudie l'effet vasomoteur sympathique sur des
individus sains en suspension inerte dans un baudrier.

Tableau clinique :
Ces constatations ont permis de décrire un syndrome du harnais, une étiologie, et des
hypothèses pathogéniques.

1/ Diagnostic étiologique : La victime se trouve suspendue dans son harnais en état


d'inertie totale, notamment des membres inférieurs.
C'est la combinaison de la suspension prolongée et de l'inertie totale qui est la
cause du syndrome.

281
En amont, les causes de l'inertie totale peuvent être variables : épuisement,
hypothermie, traumatisme par chute de la victime ou par chute de pierre, attente
prolongée qu'une corde fixe se libère, etc.

2/ Diagnostic positif : La victime présente une accélération du pouls, une


augmentation de la tension artérielle, puis un malaise (vertige, nausées, bouffées de
chaleur, sueur abondante, oppression thoracique, essoufflement). Puis elle perd
connaissance (six minutes après le début de la suspension inerte pour un cas).
En quelques minutes, le décès peut survenir par ischémie cérébrale.

3/ Hypothèse pathogénique : Plusieurs mécanismes ont été avancés. Certains sont


réfutés aussitôt comme l'effet garrot artériel du harnais (infirmé par les relevés de
pouls fémoraux puis par doppler montrant l'écoulement sanguin non interrompu)**.
Le mécanisme le plus probable est hémodynamique :
Le retour veineux des membres inférieurs, structurellement problématique chez
l'homme en raison de la station érigée (ce qui favorise les varices et les malaises
orthostatiques), ne réussit à se produire qu'avec l'aide de l'appui des pieds sur le sol et
des contractions des muscles des membres inférieurs qui soutiennent le poids du
corps (pompe musculaire des mollets notamment). Quand ces muscles sont au repos,
l'homme est allongé ; si l'homme est debout, ces muscles sont actifs. La suspension
dans un harnais avec inertie des membres inférieurs présente une situation non
physiologique où la posture est érigée sans contraction des muscles des membres
inférieurs. Le sang revient donc plus difficilement au cœur.
Le cœur compense d'abord (activation des barorécepteurs aortiques et carotidiens et
stimulation sympathique adrénergique) par une tachycardie afin de maintenir un débit
cérébral suffisant. Ce mécanisme de compensation aggrave les choses en envoyant
davantage de sang dans les membres inférieurs où il est séquestré en grandes
quantités par le système veineux. Puis une bradycardie s'installe. Un effet réflexe
paradoxal (effet Von Bezold-Jarish) entraîne une diminution de taille du ventricule
gauche puis son collapsus qui provoque la perte de connaissance.

La suite de la pathogénie dépend des circonstances :


- Le décrochage suivi d'un allongement brutal peut provoquer un retour brutal du
sang au cœur provoquant l'arrêt cardiaque. Les toxines accumulées dans le sang
stocké (similaire au crush syndrome des cas d'écrasement d'un membre) peuvent
aussi provoquer une insuffisance rénale aiguë, une hyperkaliémie (mortelle), des
lésions au foie. On peut craindre également un syndrome des loges (rupture grave de
loges anatomiques par déchirure des aponévroses).
- L'absence de décrochage entraîne le décès par hypoxie cérébrale (ischémie aiguë du
cerveau).

Les autres pathogénies ont été jugées moins convaincantes ou accessoires. Elles

282
semblent ajouter des facteurs de risque. On a retenu :
– la perturbation du barorécepteur carotidien quand la tête pend en arrière en
hyper extension ;
– un réflexe vasculaire à point de départ nociceptif (une douleur due à une
blessure, à un harnais inconfortable, semble augmenter le risque) ;
– L'hypothermie et l'hypoglycémie favoriseraient également la survenue du
syndrome du harnais.

Épidémiologie et sensibilisation des populations concernées :


Il n'existe aucune étude épidémiologique. La littérature est peu abondante sur le sujet.
Les cas recensés semblent se limiter à quelques dizaines de cas en France. Mais le
fait que le syndrome ait longtemps été peu connu a probablement laissé sous silence
un certain nombre de cas, des décès ayant pu être imputés à la chute ou à
l'épuisement.
La population la plus informée est bien sûr celle des médecins-urgentistes de
montagne et des secouristes de montagne, qui connaissent parfaitement les tenants et
aboutissants du syndrome.
Les spéléologues sont généralement sensibilisés, de même que les professionnels de
travaux en hauteur (cordiste, arboriste-grimpeur, etc.).
En alpinisme et escalade, les pratiquants n'ont souvent jamais entendu parler de ce
syndrome, ou en ont une connaissance vague. Le risque est faible mais bien réel. Un
cas de sauvetage récent au Petit Clocher du Portalet relate une chute de 30 mètres
avec syndrome du harnais (Richon Jacques, Spichiger Thierry, ANMSM Grenoble,
2009).

Conduite à tenir :
Tout individu suspendu sans mouvement doit être décroché de toute urgence par ses
coéquipiers. Les spéléologues apprennent cette manœuvre relativement complexe,
l'instant crucial étant le transfert de poids de la victime depuis le bloqueur de son
harnais sur le descendeur qui va permettre de le redescendre avec le sauveteur.
Si la victime est consciente et peut se tenir debout par la force de ses membres
inférieurs (début du malaise), reposer le poids du corps sur les pieds.
Si le malaise est plus profond ou que la victime a perdu connaissance, la position
assise pendant 30 minutes semble être actuellement l'attitude la plus recommandée
pour éviter le syndrome du reflux. Mais il faut tenir compte d'autres impératifs selon
le tableau clinique, un risque de vomissement important pouvant faire choisir une
position allongée latérale (position latérale de sécurité) avant les 30 minutes.

Devant la difficulté de la manœuvre de décrochage, la prévention est la chose la


plus simple.

– Dans l'industrie, les harnais homologués comportent une longue sangle de


secours de chaque côté de la ceinture. Ces sangles sont repliées sous un velcro.

283
On peut les déplier en cas de malaise et les réunir ensemble pour former une
sorte de trapèze souple sur lequel le professionnel peut se dresser debout, afin
que le poids du corps repose sur les pieds.
– En spéléologie, avant toute longue remontée de puits, chaque spéléologue
fatigué ou refroidi est invité à se reposer sur un point chaud de fortune
(couverture de survie sous laquelle on allume une bougie) et à consommer sa
ration alimentaire de survie.
– En montagne, se lancer sous l'orage dans la remontée d'un long rappel coincé
(sur les deux brins bien sûr...) sous les trombes d'eau et les chutes de pierres
sera le job du dur à cuire de la cordée, après ingestion préventive d'une barre
alimentaire.
– Quand on pourra, on évitera les relais suspendus dans le vent glacial, surtout si
la longueur suivante est particulièrement difficile et va réclamer au leader un
temps infini. Si on ne peut pas l'éviter, le second, non seulement pourra
trépigner devant la lenteur de son premier de cordée, mais il en aura quasiment
l'obligation ! C'est le moment de changer mille fois de position (sans perdre ses
chaussons ni les boucles de la corde) et de jouer à pousser les jambes contre le
rocher (contraction des mollets) pour ne surtout pas les laisser inertes.
– Devant tout malaise suspendu dans un harnais, la victime doit s'efforcer de
bouger ses jambes pour retarder les symptômes et de retrouver le plus tôt
possible le poids du corps reposant sur les pieds., ou au moins une position
assise.

* Compression Avascularization Reperfusion Syndrom (CARP) chez les Anglo-


Saxons.
**L'expérience peut être reproduite sans harnais en plaçant le sujet sur un plan
incliné en inertie totale.

Bibliographie :
Bariod Jean, Thery Bruno, Le point sur la pathologie induite par le harnais, Spélunca, n°55,
1986.
Bariod Jean, Thery Bruno, Pathologie induite par le harnais, Commission médicale de la
Fédération Française de Spéléologie, 1987.
Bussienne Frédéric, Le syndrome du harnais, montagne magazine n°317.
Bussienne Frédéric, Boyet Pierre, Manteaux Eloi, Reynaud Thomas, Le syndrome du harnais,
Urgence pratique, 2007, n°85.
Nespoulet Hugo, Léal Sandra, Becker François, Cauchy Emmanuel, Le traumatisme de
suspension dans l'activité professionnelle des travaux sur cordes, Ifremmont, octobre 2013.
Querellou Gaël-Emgan, Le syndrome du harnais, article détaillé renvoyé à une bibliographie de 25
références mais sans indication de référence, probablement 2008.
S.P.S.T. (Service de Prévention et de Santé au Travail), Utilisation du harnais et syndrome du
harnais, mai 2015, Colmar.
_________

284
APPENDICE 6
CODE DE L'ALPINISTE AMATEUR
En contre-pied bien sûr de ces codes portés à l'admonition sécuritaire
et à la remontrance écologique.

1/ Décider que l'autonomie précède la pratique.


2/ Choisir un compagnon de cordée fiable aussi peu
expérimenté que soi-même.
3/ S'introduire en montagne comme un bédouin par des
randonnées sous tente.
4/ S'initier à l'escalade efficacement avec un moniteur
breveté d’État.
5/ Lire tout.
6/ S'initier au cramponnage en une paire d'heures par
une école de glace avec un guide de haute-montagne.
7/ Réaliser sa première course d'alpinisme, courte,
facile, en bonnes conditions, et en autonomie,
sans suivre quiconque.
8/ L'échec ? Une aubaine pour progresser.
9/ S'inscrire par la suite à des stages de cascade de
glace, incontournable pour la suite de la progression.
10/ Préférer les bivouacs aux nuits en refuge.
11/ Préférer les vieilles courses classiques aux
voies modernes.
12/ Le risque, un produit à usage personnel
qu'on ne prescrit pas aux autres.

285
APPENDICE 7
LES QUALITES DE L'ALPINISTE

« Je ne crois que médiocrement à la nécessité d'avoir


des aptitudes innées bien spéciales pour la montagne,
ces qualités s'acquièrent et vous les citeriez vous-
mêmes. Pour le physique : endurance, agilité,
souplesse, indifférence aux intempéries, au vide, à la
raréfaction de l'oxygène et de l'acide carbonique,...
au moelleux du matelas, à l'heure et la qualité des
repas ; pour le moral : sang-froid, rapidité de
décision en face des imprévus, confiance en soi-
même, toutes qualités qui s'exaltent automatiquement
en présence des dangers constants et réels. Enfin, ce
qui est la source du dédommagement de toutes les
peines que l'on se donne, le culte de tout ce qui, dans
la nature, est grand, beau et sain. »

Mes étapes d'alpinisme, Charles Lefebure247,


Bruxelles, Société Protectrice des Enfants Martyrs, 1901.

247 Charles Lefebure avait débuté avec le père d'un camarade, l'industriel Ernest Solway, qui a donné son nom à la
cabane de secours située à 4003m sur l'arête du Hörnli au Cervin. Il a été plus tard un compagnon de cordée habituel
du roi Albert 1er.

286
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages techniques
(ordre chronologique)

Emile Zsigmondy, Les Dangers dans la Montagne, indications pratiques pour les
ascensionnistes, librairie Fischbacher, 1886.
C.A.F., Manuel d'Alpinisme, éditions Lucien Laveur, 1904.
Georges Casella, L'Alpinisme, éditions Pierre Laffite, 1913 (réimpression Slatkine en
1980). - Cf Supplément illustré en fin d'ouvrage -
C.A.F., avec la coll. Du G.H.M., Manuel d'Alpinisme, librairie Dardel Chambéry,
1934.
Sous la direction du Général Degoutte et coll., Manuel de Montagne et d'Alpinisme
Militaire, Paris, Imprimerie Nationale, 1940.
Marcel Pourchier, Edouard Frendo, La Technique de l'Alpinisme, Arthaud, 1943.
Pierre Allain, L'Art de l'Alpinisme, Amiot Dumont, 1956.
Gaston Rébuffat, Neige et Roc, Hachette, 1959.
Bernard Kempf, Guide Pratique de la Montagne, Flammarion, 1962.
Sylvain Jouty, L'Alpinisme, Où et Comment ?, éditions de Vecchi, 1977.
Bernard Amy et coll., Technique de l'Alpinisme, Arthaud, 1977.
Yvon Chouinard, Glace et Neige, Arthaud, 1981. (Éditions Sierra Club Books,
1978.)
Patrice de Bellefon, L'Alpinisme, Denoël, 1987.
David Belden, L'Escalade, Denoël, 1987.
Bernard Amy, Pierre Beghin, Pierre Faivre, et coll., Alpinismes, Arthaud, 1988.
Bruno Gardent, Pascal Tournaire, Glace, couloirs et cascades, Glénat, 1990.
John Barry, Nigel Sheperd, L'Escalade, Edimages, 1990.
Erik Decamp, Guide des Techniques, Didier Richard, 1992.
Paolo Paci, Cours d'Alpinisme, éditions de Vecchi, 1993.
Gérard Decorps, J.F. Hagenmuller, Christophe Moulin, Alpinisme, des premiers
pas aux grandes courses, Glénat, 1997.
Sylvain Conche, Escalade en Terrain d'Aventure, Amphora, 2004.
Coudray, Cadot, Gardien, Jourjon, Verdier, Les guides du C.A.F. Alpinisme et
Escalade, Seuil, 1998.
Jérôme Blanc-Gras, Manu Ibarra, Glaces, arts, expériences et techniques, Blue
ice, 2011.
Jean-François Hagenmuller, François Marsigny, François Pallandre,
L'Alpinisme, des premiers pas aux grandes ascensions, Glénat, 2016.

287
LA VIE DE GEORGES CASELLA
Supplément illustré indissociable du manuel Alpinisme sans guide.
Source des illustrations : gallica.bnf.fr

Georges Casella, auteur du manuel d'alpinisme de 1913, était journaliste et


écrivain de profession. Il est né à Paris le 20 avril 1881 et mort dans la même ville le
samedi 20 mai 1922.

Élève au collège Chaptal, il va montrer dès sa scolarité des dispositions


exceptionnelles pour l'écriture. Il obtient le prix d'honneur de littérature au concours
général. Il a deux frères, Henri et Maurice. Renonçant à la carrière militaire souhaitée
par ses parents, il collabore très tôt avec différents journaux, y publie des vers. A 20
ans, son premier livre est édité, un recueil de poèmes intitulé Les Petites Heures.

288
L'avant guerre, les débuts littéraires
Il fonde avec des amis la revue L'Idée, qui longtemps regroupera les disciples
de Barrès. Il crée ensuite Effort de Paris, La Revue Dorée (novembre 1901), La
Renaissance Latine, son ami l'écrivain Binet-Valmer faisant partie de l'aventure.

Apôtre du "parisianisme" (enquête sur la "courtisane" publiée dans la Revue


Dorée, critique de l'interprétation à Comœdia, fréquentation du milieu Dada dès ses
débuts), portant haut l'habit et bientôt le monocle, il combat plusieurs fois en duel, à
l'épée contre le critique musical et ami de Ravel Jean Marnold en novembre puis en
décembre 1910 (Marnold, très énervé, fut blessé à l'avant-bras), à l'épée encore contre
le journaliste Enrique Gomez Carillo en mars 1911 (voir en fin d'article), à l'épée
toujours contre Maurice Kaplan (de la revue Montjoie!) à la suite d'un article jugé
infâmant ridiculisant le spectacle de danse dite de métachorie de Valentine de Saint
Point (petite nièce de Lamartine) le 20 septembre 1913.

Photographie du duel Casella Marnold, parue dans


L'Excelsior du mardi 22 novembre 1910

289
Dans un esprit bon enfant, jamais revanchard ("La note gaie de cette
rencontre fut fournie par M.Casella qui, s'approchant de
M.Marnold pendant cette suspension, lui dit en tendant sa
main: "Comment allez-vous?" Bref, la réconciliation fut
des plus amicales et elle se termina par des accolades."
L'Excelsior du mardi 22 novembre 1910) , Casella se fait pourtant un devoir de
relever tous les défis qu'engendrent souvent ses piques artistiques. Il devient
rédacteur en chef de La Revue Illustrée en 1904 quand René Baschet passe à la
direction de L'Illustration. Il créera encore Nos Loisirs, et donne régulièrement des
articles ou des nouvelles dans la grande presse quotidienne.

La montagne
En 1904, Casella écrit qu' "après avoir utilisé des guides, il y a quatorze ans" il
a cru bon de s'en passer. Ce qui donnerait des débuts en alpinisme dès l'âge de 9 ans,
précocité douteuse. Binet-Valmer fera en effet le récit (Comœdia du 28 mai 1922) du
"gosse" Casella mourant à l'hôpital Saint-Antoine pendant la période de vaches
maigres des deux écrivains, "les joues creuses, une cuvette pleine de sang à sa
gauche, un manuscrit à sa droite", rédigeant un article (!) pour payer la chambre où
les médecins s'étaient résignés à ce qu'il meurt. La mère adoptive de Binet-Valmer, la
comtesse Gilbert de Voisins arrache le jeune écrivain à l'hôpital et l'expédie dans les
Alpes. Sauvé par la montagne, Casella lui vouera une reconnaissance éternelle.

Photographie parue dans Les Annales politiques et littéraires du 28 septembre 1913

290
Dès lors, il alternera ses travaux littéraires avec les excursions en montagne, en
toutes saisons, se faisant le promoteur de l'alpinisme comme du ski ou du bobsleigh.
La presse suivra de près les exploits de l'homme du monde. Ainsi, il est caricaturé en
juillet 1908 par le journal L'Auto pour son départ en vacances.

L'Auto du mercredi
15 juillet 1908

L'été 1909, il tente une voie directe à la Meije décrite dans L'Illustration du 18
septembre, avortée en raison de chutes de pierres, tentative qui fit grand bruit en
Autriche (en raison des antécédents de Zsigmondy), sans doute jusqu'à la fine oreille
d'un certain Angelo Dibona. Du reste Max Mayer, dans son récit de l'ascension de
1912 avec son frère Guido et leurs deux guides citera la tentative de l'écrivain: "On
peut compter de nombreuses tentatives d'escalade à cette muraille, dont la première
devenue célèbre par la chute d'Emil Zsigmondy, qui s'est taillé une place d'honneur
dans les fastes de la montagne. Le plus récent essai est celui de G. Casella, qui se
bornait, comme toutes les autres attaques, à la partie supérieure de la muraille, a été
popularisé par son article dans L'Illustration (18 septembre 1909), et ne s'éleva
guère au-dessus du point terminus atteint par Zsigmondy, où devait trouver la mort
un de nos collègues, dans une tentative vraiment trop hasardeuse, en raison de
l'isolement absolu de son auteur." (Max Mayer, La Première Ascension des Arêtes de
la Meije par la Muraille Sud, Revue Alpine du CAF de Lyon, n°11, 1er novembre
1912)
En 1910, Le Radical informe ses lecteurs que Casella vient de faire une chute
de 12 à 15 mètres à l'Aiguillette d'Argentière pour cause de rocher mouillé, et qu'il ne
doit la vie sauve que par le choc contre un rocher solide lui démolissant la jambe.

291
Le Radical du mercredi 21 septembre 1910

Durant la lente préparation de son manuel technique qui sera publié en 1913,
Casella fournit plusieurs longs articles consacrés à la technique de l'alpinisme dans Je
sais tout (1908), La Culture Physique (1909), La vie au Grand Air (1909).
Il s'attache à faire connaître l'alpinisme et les sports d'hiver à un large public.

292
On le retrouve au Comité de Camping du Touring Club de France. Son Manuel
de Camping est publié en 1912. En 1913, à la parution de son manuel le plus célèbre,
L'Alpinisme, aux éditions Pierre Laffite, Maurice Paillon en fera la présentation
suivante dans le journal du CAF La Montagne n°8 d'août 1913:

293
La Grande Guerre
Casella combat d'abord au front [Au procès Bolo de février 1918, Casella
répond au défenseur de Porchère (acolyte de Bolo), mutilé, décoré de la croix de
guerre, qui venait de lui jeter à la figure qu'il avait fait son devoir: "Vous êtes décoré
de la croix de guerre, moi aussi; mais je déclare qu'il est peut être plus difficile de
défendre Bolo que de défendre sa patrie."].

Puis il est très vite utilisé dans le service auxiliaire de renseignement du


ministère de la Guerre: "Le caporal Casella, du service auxiliaire, qui était
inspecteur auxiliaire de police au commissariat de cabinet du ministre, fut mis au
début de 1916 à la disposition de l'E.M.A., comme informateur en Suisse. Il
connaissait parfaitement le pays où il avait d'utiles relations, et où il a pu, à
différentes reprises, effectuer des enquêtes importantes et intéressantes, tout d'abord
comme agent du 5ème bureau, puis comme indicateur du général Morier." Note sur
la création d'un S.R. politique à Genève, 30 novembre 1917, in La guerre secrète en
Suisse (1914-1918), Olivier Lahaie, Connaissances et Savoirs.

Il produira depuis Berne plusieurs rapports de mai 1916 à octobre 1918, ayant
trait essentiellement à la fameuse affaire Bolo, elle-même continuation de l'affaire du
Bonnet Rouge, mais également sur une partie de l'affaire de Dijon dite affaire Susy
Despy.
Clemenceau, une fois président du Conseil en novembre 1917 découvre dans les
cartons de Painlevé auquel il succède les dossiers de ces affaires de tentatives de
financement de la presse française par l'Allemagne, Bolo et des banques suisses
servant d'intermédiaire. Quand fin novembre le 2e bureau décide de créer un S.R.
politique à Genève, Clemenceau choisit parmi plusieurs noms proposés Casella, alors
président de l'Association des correspondants de la presse alliée, pour le diriger.
Casella va alors déployer ses talents d'organisateur mais aussi avoir le mauvais
rôle, le vendéen retors se servant de lui et de sa capacité à nouer des relations pour
régler ses comptes avec Joseph Caillaux, républicain de gauche et ancien ministre des
Finances, qui avait eu des relations avec Bolo. Le vrai rôle de Casella, officiellement
correspondant à Genève du journal Le Matin, est de réunir des preuves de la
complicité de Caillaux avec l'ennemi , Caillaux détesté par la droite en tant
qu'inventeur de l'impôt sur le revenu, et haï par Clemenceau pour son opposition à la
guerre.

L'époque était haute en couleur. Madame Caillaux avait tiré en 1914 sur Gaston
Calmette, directeur du Figaro à la suite d'une violente campagne du journal,
orchestrée par Poincaré, contre son ministre de mari, l'accusant de duplicité en
publiant une de ses lettres avant mariage à sa future épouse - obtenue en soudoyant la
femme de chambre du couple - où il se vantait d'avoir fait capoter en sous-main

294
l'impôt sur le revenu qu'il était sensé défendre (le Sénat ne votera la loi proposée par
Caillaux en 1907 et adoptée par la Chambre le 9 mars 1909, que le 3 juillet 1914). Et
l'épouse protectrice dans les locaux du Figaro, vidant le chargeur de son Browning,
n'avait pas raté le replet journaliste.

Caillaux après l'exploit de sa femme avait été obligé de démissionner. Il avait


été envoyé en mission à l'étranger et Clemenceau avait eu l'idée d'en profiter pour le
faire accuser d'intelligence avec l'ennemi, présentant la chose à Poincaré comme la
victime expiatoire nécessaire pour redresser le moral de la nation (désertions
nombreuses cette année-là lors des grosses hécatombes avant la reprise en main par
Pétain). Caillaux sera condamné à trois années d'emprisonnement par la Haute-Cour
de Justice en février 1920 mais sera amnistié en janvier 1925 par un vote du Cartel
des gauches à la Chambre. Quant à Madame Caillaux, elle avait été graciée pour
crime passionnel dès juillet 1914.

Pour ses services, Casella, auteur d'un rapport qui fit grand bruit dans la presse
et permit d'établir la culpabilité de Bolo, sera nommé secrétaire d'ambassade à Berne

295
et obtiendra la Légion d'Honneur à titre militaire...
Il fut ensuite un des plus importants témoins devant le Conseil de guerre de
février 1918 jugeant Bolo, qui prononcera la condamnation à mort de ce dernier. De
nombreuses personnalités sentirent le vent de la lame, créant sans doute de belles
rancunes contre l'écrivain qu'on pouvait soupçonner de conserver encore en réserve
quelques pièces maîtresses des confidences reçues en Suisse.
Il faut dire que la tournure même de Casella déplaisait à la gauche ["Voici maintenant
M. Georges Casella. Visage osseux, moustaches coupées à l'américaine, complet
jaquette, ruban de la Légion d'honneur, tel est au physique le témoin qui pendant plus
d'une heure va tenir la barre." L'Humanité du jeudi 7 février 1918] autant qu'aux
milieux militaires qui ne semblent pas aujourd'hui encore pardonner à l'écrivain
d'avoir été l'une des sources de la disgrâce puis des poursuites engagées contre le
capitaine Georges Ladoux, chef du 2e bureau à Berne, ni d'avoir voulu réorganiser
face à sa hiérarchie militaire directe le contre-espionnage en Suisse alors qu'il n'était
issu que de la société civile... ["Casella "était un petit homme d'apparence
insignifiante, avec une moustache courte, à l'expression peu engageante que le
lorgnon, qu'il ne quittait pas, n'était pas faite pour corriger"." "(...) c'était somme
toute un contre-espion de "bas étage", un indicateur médiocre ne vérifiant pas ses
informations. (...) il se permettait tout et n'avait aucun sens éthique." Extraits du livre
cité plus haut du lieutenant-colonel Olivier Lahaie]

On jugera de « l'apparence insignifiante » de Casella, ici à droite


et très à son affaire face à l'expérimenté Gomez Carrillo...
(L'Excelsior du 8 mars 1911)

296
L'après-guerre, Georges Casella à dada
Un an après l'armistice, Casella prend la direction du journal Comœdia qu'il
conservera jusqu'à sa mort. La ligne éditoriale résolument moderne qu'il fait prendre
au journal soulève des détracteurs virulents mais il prend l'habitude de s'en amuser.

Dans les jours suivant sa mort, le 28 mai 1922, La Maison de Molière, revue anecdotique et
critique de la vie théâtrale à Paris, ne renonce pas à l'incorrection d'assombrir l'ambiance
hagiographique générale :
« Nous n'avons jamais approuvé l'orientation donnée à Comœdia par Georges Casella ;
mais cela ne nous avait pas empêché de conserver pour cet aimable confrère des sentiments
de bonne camaraderie. Parfois, cependant, lorsque la feuille plus résolument commerciale
que véritablement théâtrale, où il avait succédé à Gaston de Pawlowski, se montrait injuste
et discourtoise envers de grands artistes, alors que – pour des raisons sur lesquelles il serait
superflu d'insister – elle portait aux nues de jeunes... ou de vieilles grues, la moutarde nous
montait au nez et Casella « prenait » quelque chose pour son rhume ! Il « encaissait »
d'ailleurs, en souriant. Au hasard d'une rencontre, il lui arrivait même de nous expliquer sa
façon de comprendre le journalisme théâtral ; non pour nous convaincre, il savait trop qu'il
n'y parviendrait point, mais, dans le but plus modeste « d'éclaircir la situation ». Dès lors, le
moyen de lui en vouloir – de lui en vouloir... sans circonstances atténuantes ?
« A Georges Casella nous adressons un adieu sincèrement attristé. »
Et plus loin :
« Créé par le cycliste Desgrange. Rédigé en chef, depuis « l'après-guerre », par l'alpiniste
Casella, que va devenir le journal du boulevard Poissonnière ? Nous voulons dire : à quel
nouveau « sportif » va-t-on le confier ? A un boxeur, sans doute ? Car, il serait fou
d'admettre un seul instant qu'il puisse y avoir à la tête de Comœdia un professionnel du
théâtre. »
Casella avait été enterré quatre jours plus tôt...

Réputé pour sa fidélité en amitié, il soutiendra sans faillir son grand ami
Picabia qui ne se séparera définitivement du mouvement Dada qu'en 1922, année de
la mort de Casella. Picabia rendra alors hommage à son ami décédé à sa façon : « Je
félicite vivement la nouvelle direction de Comoedia ! Quel beau journal, plein de
belles conneries ! Il est vrai que M. Léon Bérard a écrit une belle lettre et que nous
avons pu admirer sa belle figure, mais on cherche vainement dans les six belles
pages un petit coin de lumière : rien, c'est le noir le plus absolu, mon pauvre Casella,
Comoedia porte ton deuil. » (Les Débuts du Surréalisme Français : reconnaissance
littéraire et reconnaissance médiatique, Paul Aron, Carnets, 2e série -9/2017
journals.openedition.org)

[Le mouvement Dada, dont les débuts peuvent se situer


en 1916, réfutait l'idée naïve héritée du kantisme et du
positivisme de Comte que le progrès technique et moral

297
était la fin de l'histoire, et proposait pour se libérer
de cette fausse espérance de vivre pleinement le présent.
On comprend dès lors l'attirance de Casella pour la
haute-montagne. Le fameux progrès avait déployé tout son
potentiel en 1917 avec les trahisons successives des
tentatives de paix de l'Empereur Charles - affaire Sixte
de Bourbon-Parme - qui auraient pu éviter l'effroyable
boucherie.]

Réveillon cacodylate chez la cantatrice Marthe Chenal (ici à droite)


rassemblant des sympathisants du milieu dada, le 31 décembre 1921
Le parisianisme de Casella évoque la citation de Barrès que nous avons mise en exergue
du chapitre 14 Nouvelle saison (p.262)

Bien entendu, le Casella d'après-guerre ne quitte pas l'univers de la montagne.


Il voyage au Sénégal, au Soudan, au Tyrol, dans les Andes. En 1919, à l'occasion
d'une ascension à l'Aconcagua très médiatisée avec le docteur argentin Calcagno, il
aide à fonder le Club Alpin Argentin.

Vignette de La Vie au Grand Air du 15 mars 1919

298
Malgré son métier de directeur extrêmement prenant, il publie encore en 1918
un recueil de portraits d'écrivains (Pèlerinages) et un roman (Les Deux Routes).
En 1920, il devient membre de la Société artistique et littéraire Le Cornet
(fondée en 1896), présidant son 207e dîner le lundi 28 février 1921 au café Cardinal.
Il laissera enfin un roman inachevé, La Ruée.

Discours de Casella au 207e Dîner du Cornet


Le Cornet, mars-avril 1921

299
Georges Casella est mort
Au mois de mai 1922, Casella se plaint de douleurs dentaires.
Il ne suit pas les conseils d'un de ses amis qui lui donne l'adresse de son
praticien, arguant d'une quantité de travail trop importante ("Je n'ai pas le temps.
Regarde!..." récit de Paul Grégorio dans Comœdia du 20 mai 1923) .

Absorbé dans la direction de son journal, il est aussi dans la préparation de


l'organisation d'une manifestation à Chamonix à la mémoire de Whymper, ceci dans
le cadre de ses fonctions au Comité de Tourisme du Touring Club de France où son
rôle était notamment d'aider au développement du camping en montagne.

Le 12 mai, il va jusqu'à s'aliter un moment tout en expédiant ses obligations


professionnelles. Le samedi 13, un médecin croit diagnostiquer les oreillons. Le lundi
15, Binet-Valmer appelle le chirurgien déjà célèbre Thierry de Martel qui l'opère le
jour même d'un phlegmon. On le croit sauvé le vendredi 19, les infirmières
témoignant du courage extraordinaire du malade et de sa furieuse volonté de vivre.
Mais des hémorragies se déclarent dans la soirée puis la nuit du vendredi au samedi.
Le samedi matin, on envisage une transfusion, ses frères, Binet-Valmer, d'autres amis
se portent volontaires. Mais on doit reconnaître que c'est inutile à la mi-journée.
Il succombe à la clinique de la rue Piccini le samedi 20 mai à 19h20. La
pénicilline n'avait pas encore été découverte...

Le lendemain de son décès, le numéro du dimanche 21 mai de Comœdia titre bien sûr sur la
disparition de son directeur très apprécié.

300
Évidemment, le CAF publie dans son journal La Montagne la nécrologie de l'écrivain alpiniste, en
précisant "presque toujours sans guide". Il avait pourtant fallu prier le club (dixit Les Potins de
Paris du 30 juin 1922) pour ce service minimum car Casella n'était pas comitard mais sociétaire
ordinaire...

301
Sa veuve le pleure pendant une année sans mettre en cause la version officielle.
Puis devant la quantité de pression qu'elle subit pour qu'elle livre les papiers
confidentiels de son mari datant de son séjour à Berne, des doutes germent puis se
cristallisent.
Longtemps après, en 1933, à la suite de l'assassinat de son ami (et non amant)
le préfet Jean Causeret, "repliée sur elle-même, échevelée, toute petite mais vibrante,
les yeux noirs plein du feu ardent d'une volonté redoutable (Le Matin)", elle laisse
éclater sa colère en clamant que son mari a été assassiné sur ordre en 1922.
"J'ai eu deux hommes dans ma vie: Casella, Causeret... Deux hommes, deux
assassinats. Maintenant je suis seule, toute seule avec trop de soucis. Alors, je vais
me tuer. Je vais me tuer, mais écoutez bien; avant, j'ai quelques coups de cravache à
distribuer. (...)
"Casella, mon mari, attaché d'ambassade à Berne pendant la guerre, chef en
cette ville du 2e bureau, le dénonciateur de l'affaire Bolo. Casella exécuté - j'en ai la
preuve un an après sa mort - pour avoir refusé de livrer des documents où les
agissements de quelques traîtres apparaissent au grand jour. (...)
"Respectueux de la volonté de Casella, j'ai réussi à mettre en lieu sûr les
documents qu'on voulait lui arracher. Pour les reprendre, ce n'est pas un crime qu'il
faudrait commettre, c'est une famille entière qu'il faudrait exterminer." (Le Matin du
vendredi 24 novembre 1933)

Combative, la veuve de Casella obtiendra encore le 6 juin 1934 la révocation


de M. Sauvaigno, huissier trop pressant de Cagnes-sur-Mer, sur plainte en violence.
(Le Petit Journal du jeudi 7 juin 1934)
Le loyal Georges Casella, refusant d'être instrumentalisé après guerre pour
faire tomber des rivaux politiques, aurait-il payé ce refus de sa vie?

Portrait réalisé 24 heures avant son entrée à la clinique, le dernier connu.


Paru dans Comœdia du 20 mai 1923.

302
Œuvres de Georges Casella
Les Petites Heures. Poèmes. 1902
L'Âme Bourgeoise. Pièce. 1902
Comédies, en collaboration avec André de Fouquières. A partir de 1905 (C'est pas chic! Une nuit.
J'attends Zoé. Sensationnel article.)
La Nouvelle Littérature (1845-1905), en collaboration avec Ernest Gaubert. Critiques. 1906
Le Vertige des Cimes. Roman. 1907
J.S.Rosny. Essai critique. 1907
Le Sport et l'Avenir. Etude sur l'influence sociale des sports. 1910
Manuel de Camping. 1912
L'Alpinisme. Essai technique. 1913
Du Sang sur la Neige. Contes. 1917
Pèlerinages. Portraits d'écrivains. 1918
Les Deux Routes. Roman 1918
La Question Quotidienne. Contes. (non paru)
La Ruée. Roman. Inachevé.

_________

Le duel Casella – Gomez Carrillo du 7 mars 1911


Le matin du mardi 7 mars 1911, Georges Casella s'engage en duel contre le
journaliste guatémaltèque Enrique Gomez Carrilo (1873-1927), débarqué à Paris dès
1892 et séjournant plusieurs fois en Espagne). Gomez Carillo, de son vrai nom
Gomez Tible, n'en était pas à son premier d'essai. Il avait blessé en duel, en 1905,
pour défendre l'honneur de son journal El Liberal, son confrère directeur de La
Monarquia, le dénommé Benigno Varela, et provoquera de nouveau celui-ci en 1917,

303
fait extraordinaire car les tueries de la Première guerre mondiale avait mis un sérieux
frein aux duels (interdits bien sûr théoriquement depuis Richelieu). Il se fera ensuite
remarquer en laissant courir volontairement la fausse rumeur selon laquelle il aurait
dénoncé Mata Hari à la police française.
Casella fut blessé à l'avant-bras droit à la cinquième reprise comme l'expliqua
le quotidien Le Petit Parisien du lendemain, journal dont le sous-titre se vantait
modestement d'être "Le plus fort Tirage des Journaux du Monde Entier", dans la
rubrique Echos de sa deuxième page.

Une photographie du duel, sur le site de la Grande Roue, dissimulé aux yeux
des passants par de grands draps, fut conservée. D'autres furent publiées dans la
presse.

Dans Pèlerinages, recueil de portraits d'écrivains paru en 1918 (Librairie Payot


& Cie) mais écrit avant guerre, Casella avait eu l'occasion de croquer avec humour le
directeur de son futur duel (dans le chapitre consacré à Ernest La Jeunesse):
"Rouzier-Dorcières, auteur de Sur le Pré (récits de duels -note
du blog), était le grand organisateur des rencontres. Il
est mort, il y a peu de temps, après avoir été bombardier
dans l'aviation. Il a "dirigé" plus de deux-cents duels,
dont quelques-uns furent mortels. Perpétuellement
affairé, il surgissait encadré de personnages solennels
que l'on reconnaissait pour des témoins. Il
"réquisitionnait" une table d'un ton sans réplique,
s'installait devant une immense feuille de papier et

304
discutait. La chose débutait toujours par un long et
mystérieux conciliabule au milieu du silence des
"habitués". Mais soudain la voix de Rouzier éclatait:
"Messieurs, je prends toutes les responsabilités, votre
client est l'insulteur, c'est clair!" L'attitude était si
menaçante que les témoins de l'adversaire cédaient,
dominés. Et l'on prenait l'engagement de garder la
rencontre secrète. Rouzier sortait le dernier, pliant son
procès-verbal, et confiait à ses seuls intimes l'endroit
où aurait lieu le duel. Le lendemain, il y avait cinq-
cents curieux à la Grande Roue ou au Parc des Princes,
vingt photographes et deux opérateurs de cinéma. Rouzier-
Dorcières avait l'aspect même du mousquetaire, cheveux
longs et bouclés, barbiche en pointe et moustaches fines.
Il portait un chapeau à bords plats et des cravates
Lavallière. Il était aussi brave que serviable, et ses
amis étaient si nombreux qu'ils avaient institué un dîner
mensuel en son honneur."

Photographie parue dans Le Cornet de février 1921

305
Photo parue dans le Comœdia du dimanche 21 mai 1922

« L'hôte, gentilhomme normand bâti en hercule, laissa les murmures s'apaiser,


alluma un gros cigare, et poursuivit :
- Si vous n'avez jamais éprouvé la haine impérieuse qui conduit au meurtre,
c'est que vous n'avez jamais aimé. Pour moi, je l'avoue, j'ai failli commettre le plus
atroce des forfaits, et je dois au hasard seul de n'être pas un misérable. »
Le Record, dans Du Sang sur la Neige, 1917.

(Signature portée sur un exemplaire de Comœdia du 28 mars 1920)

_________

306
TABLE DES MATIERES

Pages :

Avertissement, Droits.................................................................................3
Avant propos...............................................................................................4
Introduction................................................................................................7
Un acte gratuit . Une protohistoire utilitaire. Qui emmène l'autre ? L'éclaireur
congédié. Suivre la trace. L'inoffensive sécession. La trace perdue. La trace
retrouvée.
Chapitre 1 : Premier matériel..................................................................21
La bagnole. Le compagnon de cordée ; la fiabilité ; l'esprit d'aventure ;
compagnon de cordée ou compagne tout court ; un cerveau autonome ; une
bibliothèque ; le terrain de jeu ; l'assureur.
Chapitre 2 : Les techniques de base........................................................30
Révision de vos connaissances. La nœud d'encordement : un objet sous
surveillance ; le nœud de huit ; le nœud de chaise. La neige ; le glacier enneigé ; la
pente raide; la position de réchappe (p.46) ; ramasse et godille (p.47) ; l'arête de
neige ; les relais en neige. Le rocher ; grimper en grosses ; l'assurage en mouvement ;
l'assurage par longueurs ; la triangulation ; la pose des sangles d'assurage ; la pose des
pitons ; la pose des coinceurs. La glace ; les techniques de progression ; les points
d'assurage ; les relais de progression ; les relais de rappel (les abalakovs).
Chapitre 3 : Se préparer à la montagne................................................. 82
Le processus d'ancrage à l'alpinisme. La base : la gestuelle d'escalade. La
condition physique. La rusticité ; le bivouac ; la randonnée, le bushcraft et le
scoutisme. S'entraîner aux techniques ; les grandes voies ; hissage du sac ; les
rappels ; le nœud de jonction (p.94) ; l'autobloquant (p.100) ; la corde et ses nœuds
intempestifs ; la remontée sur corde fixe (p.103) ; les nœuds autobloquants ; la
cascade de glace (p.109). L'anomalie dilatométrique de l'eau.
Chapitre 4 : La première course............................................................117
Choix de la course. La météo. Préparer les sacs. Monter au refuge. Reconnaître
l'itinéraire. Partir dans la nuit. S'encorder (p.125). Abandon de la chaîne d'assurage
(p.127). Les autres cordées. Le glacier. La pente raide. Les rochers terminaux. La
descente.
Chapitre 5 : L'assurage en mouvement................................................136
Un principe simple. Un rodage long. L'encordement court sans anneaux à la
main (p.139). La marche aux anneaux (p.140). Progression à corde tendue (p.141).
Mini-relais et fluidité de la progression. Les cas particuliers ; le glacier ; l'arête de

307
neige. Les encordements spéciaux (p.145). Ranger la corde.
Chapitre 6 : L'assurage par longueurs........................................... ...148
La gestion des longueurs ; des longueurs courtes ; des protections parfois rares
mais sûres ; retaper les pitons ; exposition ou engagement ? (p.150) le pas d'artif ; le
déboutonnage par le bas ; la réchappe.
Des relais plus ou moins difficiles (p.154) ; un relais sûr : les lieux communs ;
un cahier des charges varié ; le redoutable facteur 2 et le relais suisse ; the belay ; le
relais-précontraint ; le relais en neige ; la triangulation avec sangle trop courte :
unidirectionnelle, multidirectionnelle, semi-directionnelle.
L'assurage dynamique.
Chapitre 7 : La recherche de l'itinéraire..............................................167
Ouvrir les yeux et décider (faire les pieds). Le fameux sens de l'itinéraire. Les
topos. Une reconnaissance poussée. S'aventurer et se perdre ; se lancer dans une
longueur incertaine ; mémoriser les échappatoires ; la descente ; perdu ; navigation
aux instruments.
Chapitre 8 : Les conditions....................................................................178
Installer le Q.G. La course de neige AD. L'isotherme 0°. Les chutes de neige
récentes. La sécheresse. Les observations sur le terrain ; l'altimètre (p.184). Franchir
la rimaye. Sortie de goulotte en neige. Conditions exécrables ou conditions
dangereuses ?
Chapitre 9 : L'engagement....................................................................190
La grande course. La peur. La vache molle. Un problème à la fois. Engagement
ou exposition ? (p.194) Apprivoiser la montagne. Intégrer le bivouac. Le casting. La
vitesse. L'échec ou Tamata. Le solo de loisir.
Chapitre 10 : Chiffons et outillage........................................................202
La tenue. Les lunettes de soleil. Le sac à dos. Piolets et marteaux. Crampons.
La corde ; la classique ; les autres choix ; les maillons rapides. Pitons et cordelette.
Chapitre 11 : Les dangers......................................................................217
La rationalité d'un Emil Zsigmondy. Précautionnisme (Alain Ghersen). Les
dangers fréquents ; les chutes de pierres ; les chutes de séracs ; les chutes de glace ;
les chutes de matériel ; la chute en crevasse ; la chute en paroi ; neige instable ; le
mauvais temps ; le froid ; le brouillard ; l'orage ; l'altitude (p.227). La trousse de
secours (p.229). Quelques malaises simples. Perte de connaissance. Organisation du
secours en montagne en France (p.232).
Chapitre 12 : La responsabilité judiciaire............................................237
La loi Fauchon. Une responsabilité a postériori (Bénédicte Cazanave). La
responsabilité civile. La responsabilité pénale. L'enquête. Les cas particuliers limitant
la faute. Emmener des gens peu expérimentés. Assister une autre cordée.
Chapitre 13 : Le guide de haute-montagne a-t-il un avenir ?............252
De quoi parle-t-on ? Sur le terrain. L'éternelle proposition.
Chapitre 14 : Nouvelle saison................................................................262
La reprise. La motivation.
Conclusion...............................................................................................266

308
Appendice 1 : Énergie et force...............................................................269
Appendice 2 : Les nœuds indispensables..............................................272
Appendice 3 : Blocage du dispositif d'assurage...................................279
Appendice 4 : Trois mouflages............................................................. .280
Appendice 5 : Le syndrome du harnais.............................................. .281
Appendice 6 : Le code de l'alpiniste amateur.................................... ..285
Appendice 7 : Les qualités de l'alpiniste......................................... .....286

Bibliographie...........................................................................................287

Supplément illustré de 19 pages faisant revivre Georges Casella, l'auteur du manuel


de 1913......................................................................................................288

Table des matières............................................................…...................307

309
Première diffusion : mai 2017

Diffusion sur internet par :


https://alpinismesansguide.blogspot.com
depuis juillet 2018

Voir à la page 3 pour les droits.

310
Le mot de l'auteur
Ce manuel d'alpinisme met l'accent sur
l'autonomie, la pratique du bivouac, la
polyvalence rocher-neige-glace. Loin de
prôner l'élitisme, il est le reflet d'une
pratique amateur de niveau modeste,
comparable à celle de nombreux
pratiquants, ce qui ne signifie nullement
l'absence de connaissances ou de
compétences.
Nous avons insisté sur l'incertitude d'une
course d'alpinisme qui est une aventure
plus qu'une démonstration sportive. Cette
précarité est l'essentiel de la discipline et
non une gratification accessoire qui
s'ajouterait à la performance athlétique.
C'est la raison pour laquelle nous croyons
qu'il n'est pas possible de goûter à
l'alpinisme en suivant docilement
quelqu'un qui gérerait la totalité des
complications que présenterait la course,
que ce soit en terme de difficulté d'escalade, de prise de risque ou de
recherche d'itinéraire. Une conséquence de cette incertitude est à l'évidence
l'échec. Prendre un but, c'est à dire rater le sommet, non seulement n'est pas
une honte mais la preuve qu'on a tenté quelque chose de difficile pour soi. On
pense aux seize tentatives de Jacques Lagarde en face nord-est des Droites.
Les buts rencontrés par les cordées amateurs, souvent méchamment moqués
par des montagnards qui connaissent parfaitement la voie pour la parcourir
plusieurs fois par saison, sont au contraire la marque indiscutable d'un
alpinisme authentique.
Valoriser cet alpinisme émancipé et surtout donner les moyens concrets d'y
parvenir ont été les objets poursuivis dans ce manuel. Ne pas attendre une
tardive et hasardeuse manumission mais se considérer d'emblée, avant
même l'acquisition de son premier piolet, alpiniste sans guide, y est proposé
sans détour comme le moyen le plus simple et le plus sûr de le devenir.

Mai 2017

311

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